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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 4 février 1871

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1870-1871)

(Présidence de M. Vilain XIIII.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 527) M. de Vrints procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Wouters donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la Chambre

M. de Vrints présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Des habitants de Dison demandent la mise en liberté des soldats français fugitifs de Prusse et arrêtés en Belgique, ou blessés et amenés dans notre pays, ou bien poussés sur le territoire belge par les événements de la guerre. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les membres du conseil communal de Loochristy prient la Chambre d'accorder à la Compagnie de Reichter la concession d'un chemin de fer de Gand vers Anvers, par Oostacker, Loochristy, Lokeren et la vallée de la Durme. »

- Même renvoi.


« Le sieur Quoilin, facteur des postes à Rochefort, demande une augmentation de traitement. »

- Même renvoi.


« Le sieur Van Reyen demande qu'il soit pris des mesures pour empêcher que des maladies ne viennent s'abattre sur les pays voisins des champs de bataille qui n'ont pas été désinfectés, »

- Même renvoi.


« Les huissiers de l'arrondissement judiciaire d'Anvers demandent une augmentation de 50 p. c. sur le tarif des actes de leur ministère. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur des pétitions identiques.


« Des habitants de Watermael-Boitsfort demandent le vote à la commune pour toutes les élections. »

- Renvoi à la section centrale pour le projet de loi sur la réforme électorale.


« Le sieur Viaene prie la Chambre d'adopter le projet de loi établissant une caisse générale de prévoyance en faveur des instituteurs primaires et propose une disposition additionnelle fixant un minimum de pension. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet.


« Les instituteurs du canton de Fosses proposent des mesures pour améliorer la position des instituteurs primaires. « Même pétition d'inslituteurs.de Quaremont, de Sichen. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi établissant une caisse générale de prévoyance des instituteurs primaires.


« Le sieur Briard prie la Chambre de décider que la répartition des annuités à donner une garantie aux obligataires des différentes lignes concédées, reprises par l'Etat aux Bassins houillers, se fera d'après l'importance du produit annuel de chaque ligne. »

M. Pery de Thozée. - Messieurs, dans une pétition du 28 janvier dernier relative aux mesures de garantie à stipuler par l'Etat en faveur des obligataires des lignes concédées dont il reprend l'exploitation, on rappelle à la Chambre les mesures prises par le gouvernement en 1857 pour sauvegarder les droits et les intérêts des obligataires des chemins de fer de Namur à Liège et de Mons à Manage. Ces mesures consistent a ne payer la rente semestrielle à ladite compagnie que quand celle-ci aura prouvé, à la satisfaction du gouvernement, que les fonds sont assurés pour le service semestriel des obligations (article 5 de la convention du 16 février 1857 approuvée par la loi du 8 juillet 1858).

Si ce précédent avait pu être suivi pour les obligataires des lignes dépendant de la société des Bassins houillers, on aurait peut-être évité les objections et les protestations qui ont amené la laborieuse discussion à laquelle la Chambre se livre depuis si longtemps.

Mais comme le principe d'une garantie, à stipuler par l'Etat, au moins dans une certaine mesure, pour les obligataires est reconnu par le gouvernement et admis par la société des Bassins houillers, il importe que cette garantie soit répartie avec justice entre les obligataires des différents chemins de fer repris par l'Etat.

Le même pétitionnaire, comme suite à sa pétition du 28 janvier, nous en adresse aujourd'hui une seconde sur laquelle j'appelle toute l'attention de la Chambré et du gouvernement.

II demande que la répartition des annuités à donner en garantie se fasse entre les différentes lignes, d'après l'importance de leurs produits et non d'après leur longueur ou le nombre de leurs obligations.

Cette solution, simple et équitable, pourrait donner satisfaction aux divers intérêts en cause. Elle maintiendrait, entre les obligations des lignes dont il s'agit, un écart proportionnel à l'importance des produits de chacune, ce qui est juste et logique. Elle empêcherait que les lignes productives ne fussent, au grand détriment de leurs obligataires, la garantie et l'appoint des lignes moins prospères, ce qui serait contraire aux règles de l'équité.

Le gouvernement pourra sans doute nous dire si les dispositions dans lesquelles se trouve la société des Bassins houillers lui permettent de donner l'assurance qu'elle agréera ce mode de répartition.

M. le président. - Quelle est votre conclusion, M. Pety de Thozée ?

M. Pery de Thozée. - Je demande le dépôt de la pétition sur le bureau pendant la discussion.

- Adopté.


« Le sieur Lambot présente des observations contre la pétition des membres de l'administration communale de Fosses au sujet de la séparation du hameau d'Aisemont et demande l'érection de ce hameau en commune distincte. »

- Renvoi à la commission qui a examiné le projet de loi portant érection de la commune d'Aisemont.


M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, la demande de naturalisation du sieur Gobel.

- Renvoi à la commission des naturalisations.


M. de Montblanc demande un congé de quelques jours.

- Accordé.

Motion d’ordre relative à la situation des Belges résidant à Paris

M. Anspach. - Messieurs, je désire obtenir un renseignement de la part de M. le ministre des affaires étrangères.

Depuis deux ou trois jours des journaux font de la situation des habitants de Paris, depuis la capitulation, un tableau lamentable.

Des Belges qui ont réussi à quitter la ville investie ont, paraît-il, fait connaître que nos compatriotes étaient dans une position plus mauvaise encore que celle des Français parce qu'ils n'étaient point secourus par le gouvernement, parce qu'ils n'étaient point secourus par les mairies.

Je demande à M. le ministre des affaires étrangères s'il a reçu de la légation belge, à Paris des informations conformes aux bruits qui circulent.

S'il en est ainsi, messieurs, s'il est vrai qu'il y a de nos compatriotes (page 528) dans une misère aussi affreuse que celle qu'on rapporte, je suis convaincu que la Belgique fera de nouveaux efforts pour venir en aide à de pareilles infortunes.

Je suis convaincu que notre pays, qui a déjà fait beaucoup depuis six mois dans le sens de la bienfaisance, trouvera encore, dans son inépuisable charité, la force de faire un effort nouveau pour répondre à l'appel d'un comité qui s'est formé aujourd'hui, et dont j'ai l'honneur de faire partie, pour venir en aide à des souffrances aussi déplorables qu'imméritées.

J'espère que M. le ministre des affaires étrangères voudra bien donner communication à la Chambre des renseignements qu'il aurait à cet égard.

M. d'Anethan, ministre des affaires étrangères. - Messieurs, je n'ai pas de renseignements positifs à donner à la Chambre relativement à la situation des Belges qui sont à Paris.

Je n'ai pas reçu de lettrés de notre ministre à Paris depuis très longtemps ; mais il est de notoriété publique qu'il règne à Paris une très grande misère et évidemment nos compatriotes n'y ont pas échappé plus que les Français eux-mêmes.

Depuis quelque temps déjà j'ai autorisé la légation belge à Paris à venir en aide, dans les limites du possible, à nos malheureux compatriotes. Il y a au budget un crédit, assez minime, il est vrai, puisqu'il ne s'élève qu'à environ 70,000 francs, pour secourir, le cas échéant, les Belges indigents.

J'ai dit à notre ministre d'user de ce crédit, et si, par suite des circonstances malheureuses, les sommes qui nous sont allouées ont dû être dépassées, je pensé que la Chambre ne me blâmera pas cette fois d'être sorti des limites du crédit.

Je dois dire à la Chambre que, d'après des renseignements, non pas officiels, mais d'après des renseignements officieux qui me sont parvenus, il s'est présenté, pendant des jours assez nombreux,' jusqu'à 1,000 Belges à la légation pour demander des secours ; il est donc vraisemblable, comme je le disais tout à l'heure, que le crédit qui a été voté ne sera pas suffisant.

Dès que la capitulation m'a été connue, j'ai envoyé un secrétaire de légation à Paris avec des instructions pour notre ministre et des demandes de renseignements.

Ce qui est surtout important et urgent, c'est de faire parvenir le plus tôt possible à Paris des provisions et des vivres ; cela est indispensable et beaucoup plus utile même que des envois d'argent.

J'ai demandé aussi à M. ke ministre de la Confédération de l'Allemagne du Nord, que le gouvernement allemand ne s'opposât pas à la réparation des routes qui avaient été endommagées, qui avaient été coupées par suite des mouvements de la guerre.

Le gouvernement allemand a fait répondre qu'il ne mettrait aucune espèce d'opposition à ces travaux. Ces travaux sont déjà commencés, et d'ici à peu de temps, la ligne directe sera rétablie. En attendant, le gouvernement allemand nous avertit que ce qu'il y avait de mieux à faire pour le moment, c'était d'expédier les vivres que l'on voulait envoyer à Paris par la voie de Dieppe qui était ouverte et permettait ainsi le ravitaillement de la capitale de la France.

J'ai l'honneur d'informer la Chambre que j'ai prié des membres de la Chambre et du Sénat de bien vouloir se former en commission et de réunir leurs efforts pour invoquer la charité privée en faveur de nos compatriotes. Cet appel que j'ai fait a été entendu par plusieurs honorables membres avec un grand empressement, et c'est un devoir et un bonheur pour moi de leur en témoigner publiquement ma reconnaissance.

Ces messieurs se sont déjà réunis et ont avisé aux premières mesures d'exécution pour remplir la mission charitable qu'ils ont bien voulu entreprendre.

Comme l’a dit avec beaucoup de raison l'honorable M. Anspach, la Belgique a montré la plus louable générosité envers des étrangers malheureux. J'ai la conviction profonde qu'elle continuera à suivre la même voie et qu'elle montrera les mêmes sentiments et la même charité pour nos compatriotes.

- Des membres. - Très bien !

Projet de loi approuvant la convention conclue avec la société anonyme des chemins de fer des Bassins houillers du Hainaut

Discussion générale

La discussion générale continue.

M. Jacobs, ministre des finances. - Messieurs, la Chambre a manifesté le désir d'être tenue au courant des moindres incidents des négociations entre le gouvernement et la compagnie des Bassins houillers.

Depuis la proposition nouvelle qui nous a été faite, deux documents me sont parvenus. L'un a été distribué, je crois, à la plupart des membres de la Chambre : c'est une lettre du comité des obligataires.

M. Bouvier. - Oui, nous l'avons reçue.

M. Jacobs, ministre des finances. - J'ai reçu une seconde lettre de ce comité dans laquelle il se prononce d'une façon très nette pour la proposition du 16 janvier. Voici, en effet, ce qu'il dit :

« Nous vous supplions, M. le ministre, de revenir à la combinaison dont vous avez tracé les termes le 16 janvier. Que le rôle du gouvernement se borne à exiger la justification contradictoire des obligations en circulation, régulièrement émises et représentatives d'un travail fait ; qu'il prélève, sur la valeur du matériel, la somme nécessaire pour compenser la charge des obligations émises ou négociées indûment ; que le gouvernement se borne à faire donner à ces obligations ou à d'autres titres qui les remplaceraient un gage certain, légal, indiscutable ; qu'il se constitue séquestre, dans la forme exigée par les lois, de toutes les annuités fixes et variables provenant de l'exploitation aussi bien que de la vente du matériel et formant le nantissement des obligataires ; après cela, que l'Etat laisse les Bassins houillers et les obligataires faire entre eux et selon leurs convenances la ventilation des titres. »

D'un autre côté, j'ai reçu ce matin même de la société des Bassins houillers la lettre suivante :

« Bruxelles, 4 février 1871.

« A M. le ministre des finances.

« Monsieur le ministre,

« Pour répondre aux objections qui ont été faites hier à la Chambre, je viens vous proposer de modifier de la manière suivante les bases du projet de convention que j'ai eu l'honneur de vous adresser hier sur votre demande.

« I. La ventilation de 7,000 francs par kilomètre se fera entre toutes les lignes au prorata des recettes nettes de chacune de ces lignes pendant l'année 1870. Cette ventilation sera faite contradictoirement et à l'intervention d'un fonctionnaire du département des travaux publics.

« II. Les 1,500 francs d'annuités à prendre sur les lignes à construire et qui, dans le projet d'hier, étaient uniquement appliqués aux lignes du Centre et du Hainaut-Flandres, seront partagés sur les mêmes bases entre toutes les sociétés, à concurrence du montant complet de l'intérêt et de l'amortissement des obligations.

« III. Les projets de contrats de nantissement seront soumis à l'avis des avocats des départements des finances et des travaux publics, et les statuts des sociétés seront modifiés, de façon à donner à ces contrats un caractère d'immutabilité absolue.

« Je vous réitère du reste, monsieur le ministre, que je suis disposé à accueillir toutes modifications qui auraient pour but de mieux atteindre le but que nous nous sommes tous proposé.

« Veuillez, monsieur le ministre, donner communication de cette lettre à la Chambre, comme complément du projet que vous lui avez communiqué et agréer l'hommage de ma haute considération.

« L'administrateur délégué,

« S. Philippart. »

Vous le voyez, messieurs, la société des Bassins houillers nous donne carte blanche entre toutes les combinaisons possibles : la première qui fait la répartition d'après le nombre des obligations ; la seconde, vicieuse en sa base, qui prenait la longueur des lignes, et la troisième qui prend la recette kilométrique pour critérium.

M. Frère-Orban. - Messieurs, dans la séance du 19 janvier, c'est-à-dire au début de cette discussion, j'ai eu l'honneur d'appeler l'attention de la Chambre sur un fait que je me croyais en droit de critiquer et sur lequel je demandais des explications. Je constatai qu'à la date du 19 octobre, le gouvernement avait déclaré la déchéance de la Compagnie du Luxembourg du chef de son droit de préférence et avait réclamé de la Société générale d'exploitation, concessionnaire d'un réseau dans le Luxembourg le dépôt du cautionnement exigé par l'acte de concession.

Je constatai enfin qu'à la date du 24 novembre, on était revenu sur cette mesure et qu'on avait rouvert, au profit de la Compagnie du Luxembourg, le délai qui était expiré. J'avais réclamé sur ce point des explications.

L'honorable ministre des finances m'a répondu :

« La question qui s'est présentée est celle-ci : On prétendait que dès qu'il existait un nouveau concessionnaire, il fallait restituer le cautionnement (page 529) primitif sans attendre que le cautionnement nouveau fut complété a raison d'un million. (Interruption.) On le prétendait.

« M. Frère-Orban. - Qui ? Pas moi.

« M. Jacobs. - Les intéressés ont prétendu qu'il fallait restituer le cautionnement primitif d'un million, alors que le concessionnaire provisoire nouveau n'avait déposé qu'un premier cautionnement de 100,000 fr. »

Suivent quelques autres explications qui ne sont pas plus satisfaisantes pour vous donner la clef de ce changement subit qui s'était opéré du 19 octobre au 24 novembre.

Lorsque mon tour de parole revint, je fis remarquer à l'honorable ministre des finances qu'il n'avait pas répondu à la question que j'avais posée ; je disais :

« Vous aurez la responsabilité des actes que vous avez posés dans l'affaire du réseau franco-belge. Je n'ai parlé à ce sujet ni des conditions à mettre à la restitution des cautionnements, ni de l'époque à laquelle ces restitutions pouvaient être faites. Les questions que l'affaire présente devaient être résolues au préalable. J'ai constaté seulement qu'après avoir déclaré le 19 octobre que la Compagnie du Luxembourg était déchue de son droit d'option et invité la Société générale d'exploitation à satisfaire à ses engagements, vous avez rouvert au mois de novembre le droit d'option de la Compagnie du Luxembourg ; cet acte est resté inexpliqué. »

Aucun éclaircissement n'a été donné depuis. Seulement à la séance d'hier, l'honorable M. Tesch étant revenu sur cette affaire pour la traiter à un autre point de vue, l'honorable ministre des travaux publics, pour la première fois, a cru devoir donner des explications que j'avais demandées, et ces explications, sur lesquelles je reviendrai tout à l'heure, sont tout à fait différentes de celles qui ont été données par M. le ministre des finances.

M. Jacobs, ministre des finances. - Nous avons parlé de deux faits différents. Il ne s'est agi dans le conseil des ministres que du point de savoir si l'on pouvait restituer le cautionnement de Kiss avant d'avoir reçu le nouveau cautionnement. Le conseil des ministres n'a délibéré que sur ce point.

M. Frère-Orban. - Moi j'avais parlé d'autre chose. J'avais parlé de ce fait précis qu'on avait déclaré, le 19 octobre, que le droit d'option de la Compagnie du Luxembourg était expiré et que la Société d'exploitation devait verser le cautionnement.

Or, le 24 novembre on a rouvert ce droit d'option.

Voilà ce que je demande qu'on explique.

M. le ministre des finances ne l'avait pas expliqué. M. le ministre des travaux publics nous en a donné des raisons sur lesquelles je reviendrai tout à l'heure, lorsque j'aurai examiné un autre incident que l'on a introduit dans le débat.

Dans la séance d'hier, on vous a dit que la convention par laquelle la concession avait été faite à la Compagnie générale d'exploitation contenait une disposition en vertu de laquelle celle-ci prenait à ses risques et périls la charge de défendre les concessions qui lui étaient faites contre les prétentions que l'on pouvait élever contre elle et que - ce que l'on avait ignoré - une contre-lettre existait en vertu de laquelle la compagnie pourrait s'affranchir des obligations qu'elle avait contractées pour le cas où la Compagnie du Luxembourg viendrait à user de son droit d'option sur une fraction du réseau qui avait été concédé.

Messieurs, ceci m'oblige à mettre sous les yeux de la Chambre les textes qui ont fait naître des difficultés.

En vertu de son acte de concession, la Grande Compagnie du Luxembourg a un droit de préférence pour le chemin de fer à exécuter dans cette province.

C'est l'article 47 de cet acte de concession qui détermine les conditions de son droit.

Le premier paragraphe porte que le gouvernement se réserve le droit de concéder des chemins de fer, des routes, des canaux sans que la compagnie du Luxembourg puisse élever aucune réclamation.

Dans le deuxième paragraphe, le gouvernement s'interdit de concéder des voies concurrentes pendant douze ans.

Dans le troisième paragraphe, le gouvernement se réserve le droit de décréter des embranchements accessoires aux lignes principales de la Compagnie du Luxembourg.

Puis vient le paragraphe important :

« Les concessionnaires auront la préférence pour construire dans le Luxembourg les chemins de fer et embranchements mentionnés dans les paragraphes 1er et 3 du présent article et qui feront, le cas échéant, l'objet de concessions nouvelles octroyées par arrêté royal et d'après les bases de la concession primitive. »

Telle était la situation lorsque en 1863 le gouvernement a traité pour la concession de ce qu'on a appelé le réseau Forcade.

Dans la convention provisoire qui avait été faite pour cette concession, on n'avait pas mentionné le droit de préférence de la Compagnie du Luxembourg.

Celle-ci réclama et fit remarquer au gouvernement que son droit n'avait pas été réservé.

Par une lettre du 8 avril, le département des travaux publics informa la Compagnie du Luxembourg qu'on allait introduire une disposition dans le cahier des charges qui ferait droit à cette réclamation.

La Compagnie du Luxembourg répondit quelques jours après que puisque ses droits étaient reconnus, elle n'avait plus d'objection à faire à la concession.

Depuis lors, les concessionnaires primitifs n'ayant pas rempli leurs engagements, la déchéance a été prononcée et l'on a fait un nouveau contrat pour ce réseau avec la Compagnie générale d'exploitation.

Quand il s’est agi de traiter avec celle-ci, nous avons rencontré un obstacle qui était imprévu et que, pour ma part, quoique ayant fait partie du gouvernement, je ne soupçonnais pas, c'est que la disposition qui avait été introduite dans l'acte de concession du réseau Forcade semblait donner au droit de la Grande Compagnie du Luxembourg, consacré par l'article 47 de son acte de concession, une portée plus étendue que dans l'acte primitif.

Voici ce qu'avait stipulé l'article 17 de la convention Forcade : « Si la Grande Compagnie du Luxembourg, usant du droit de préférence que lui donne l'article 47, demandait à être subrogée aux droits des concessionnaires déchus, soit dans leur ensemble, quant aux trois lignes décrétées ci-dessus, soit quant à l'une d'elle, avec ou sans ses embranchements, soit quant à l'un ou l'autre desdits embranchements, les concessionnaires prénommés seraient tenus, au vu de l'arrêté royal, de céder à celle-ci, etc, » Quelle était la valeur de cette stipulation ?

Si c'était un droit nouveau consacré au profit de la Compagnie du Luxembourg, il en résultait que le droit de préférence, qui était inséré dans l'acte de 1846, se changeait en un droit tout différent et de telle façon que la Grande Compagnie du Luxembourg pouvait à son gré, sans les exécuter elle-même, paralyser l'exécution des concessions décrétées dans cette province.

En effet, si elle ne devait plus exercer son droit de préférence sur la base des concessions faites par le gouvernement, comme l'indiquait l'article 47, mais si elle avait la faculté de prendre à son gré dans le réseau une ligne, ou une fraction de ligne ou un embranchement qui pouvait avoir telle importance pour un nouveau concessionnaire que sans cette ligne la concession devenait impossible, il est clair qu'on paralysait le droit du gouvernement et du nouveau concessionnaire au grand détriment des populations.

Les avocats du département des travaux publics furent consultés sur cette situation assez normale et ils furent d'avis, comme ce fut également notre opinion, que par l'article 17 du cahier des charges de la convention Forcade, on n'avait ni pu ni voulu accorder le droit que la Grande Compagnie du Luxembourg ne pouvait puiser que dans l'article 47 de sa concession.

Mais cependant c'était un litige possible.

Comment faire ? Nous stipulons avec la compagnie d'exploitation ; allons-nous insérer dans le contrat avec la compagnie d'exploitation que, pour le cas où la Grande Compagnie du Luxembourg reprendrait l'une ou l'autre des lignes, la convention viendrait à tomber ? Nous reconnaissions le droit que nous contestons ; cela est manifeste. Comment faire ?

Voici la solution qui a paru la plus satisfaisante :

Donner la concession purement et simplement à la Société générale d'exploitation ; réserver le droit de préférence tel qu'il était au profit de la Grande Compagnie du Luxembourg, et imposer à !a Société générale d'exploitation l'obligation de soutenir, à ses risques et périls, le procès qui pourrait se présenter.

Mais il était de toute impossibilité de vouloir que la compagnie, en pareille situation, pût être tenue, si le procès venait à être perdu, d'exécuter une partie de la concession qui aurait été stérile entre ses mains, grâce au choix que pouvait faire la compagnie du Luxembourg, même de fractions minimes du réseau concédé.

De là, messieurs, la contre-lettre qui est un acte loyal, uniquement inspiré par le désir de ne point compromettre les droits de l'Etat.

Mais, dit-on, cette contre-lettre on aurait dû la communiquer à la Chambre. Mais alors le but ne pouvait pas être atteint. Autant valait faire (page 530) la stipulation qui donnait gain de cause à la Compagnie du Luxembourg et dont je parlais tantôt. Non, messieurs, c'est une faute que l'on a commise en la communiquant à la Chambre. La non-communication de ce document était un cas de responsabilité ministérielle ; je l'admets parfaitement ; c'est le cas qui se présente chaque fois que, sous sa responsabilité, le gouvernement juge utile aux intérêts de l'Etat de garder un document secret. Il est évident que le ministère, en faisant cette communication, après avoir relevé la Compagnie du Luxembourg de la déchéance qu'il avait lui-même prononcée, a fourni à cette compagnie une arme pour soutenir des prétentions contre le gouvernement. Vous le voyez, dira-t-elle, le gouvernement lui-même a compris que son droit n'était pas aussi certain qu'on pouvait le croire en apparence ; il a douté, il a prévu un échec et il a stipulé en conséquence.

Le silence était donc pour nous un devoir, messieurs ; et je crois que nous avons, en agissant ainsi, servi l'intérêt public comme il devait l'être en cette circonstance. Il ne pouvait, d'ailleurs, en résulter aucun inconvénient, aucun dommage pour l'Etat.

En effet, si le droit prétendu par la compagnie venait à être reconnu, si la concession tombait, on pouvait restituer le cautionnement primitif. Et c'est pourquoi j'ai eu soin de dire d'avance à la Chambre, dans les discussions des jours passés, que les questions que soulevait cette affaire devaient être résolues avant qu'on pût restituer ce cautionnement. Une partie, au moins, des voies ferrées s'exécutait par suite de l'option exercée par la Compagnie du Luxembourg ; le cautionnement restait affecté à l'exécution des autres lignes.

Au surplus, je le répète encore, il n'y avait manifestement dans notre acte autre chose que la préoccupation de l'intérêt public. Il était impossible qu'il eût un autre but que de préserver, autant que possible, le droit du gouvernement et ceux des populations du Luxembourg. Il est manifeste qu'on les préservait beaucoup mieux en mettant en présence d'un procès éventuel deux intérêts privés qui auraient eu à se débattre devant les tribunaux.

Mais ces éclaircissements donnés sur le droit et sur le fait, il me reste à faire remarquer que la contre-lettre dont on vous a parlé n'a plus rien absolument, plus rien à faire au débat en ce qui concerne le cabinet précédent.

Par la lettre du 19 octobre, le gouvernement a déclaré que la Compagnie du Luxembourg était déchue de son droit de préférence ; que la Société générale d'exploitation devait prendre la concession pure et simple, verser son cautionnement ; et, par conséquent, la contre-lettre était devenue stérile par l'expiration du délai.

Qu'a fait le gouvernement, à la date du 24 novembre, après un premier acte aussi formel que la lettre du 19 octobre ? Il a fait revivre le délai, donc il a pris la responsabilité de la situation ; donc c'est lui seul qui devra subir les conséquences des prétentions que pourrait encore faire valoir la Compagnie du Luxembourg.

Messieurs, le droit de la Compagnie du Luxembourg, nous n'avons pas à le juger ici ; ce n'est point notre affaire ; nous n'avons pas à nous en préoccuper. Mais en présence de la difficulté résultant de deux stipulations, celle de l'article 47 du cahier des charges originaire de la Compagnie du Luxembourg, celle qui se trouvait dans cet acte postérieur, nous avons pris la mesure que paraissait conseiller une sage prévoyance.

Supposions-nous à la Compagnie du Luxembourg des intentions, des arrière-pensées qu'elle n'avait pas ? Vous allez en juger.

A la date du 28 mai dernier, la compagnie a été mise en demeure d'exercer son droit d'option. Au mois de juillet 1870, elle a répondu par des demandes de renseignements sur lesquelles il est inutile d'insister ici et elle termine sa lettre en manifestant l'intention que nous avions à redouter.

« Nous nous permettons, en terminant, M. le ministre, d'appeler votre attention sur un point de votre dépêche n° 4001/52 précitée. H semblerait résulter de son quatrième paragraphe que nous avons l'obligation d'appliquer notre droit de préférence à tout l'ensemble du réseau Forcade. ; telle n'est point évidemment la portée de l'article 47, paragraphe 4, de notre cahier des charges et des actes ultérieurs qui le consacrent. Notre droit existe incontestablement pour tous les embranchements quels qu'ils soient, décrétés dans la province de Luxembourg et sans qu'il y ait, de notre part, aucune obligation d'établir entre eux aucune solidarité quelconque.

« Veuillez agréer, M. le ministre, etc. »

Maintenant, messieurs, ce point éclairci, je dois vous rappeler comment l'honorable ministre des finances avait expliqué ce revirement du 18 octobre au 21 novembre. Nous avons aujourd'hui les explications de M. le ministre des travaux publics. Il est indispensable que je les remette sous vos yeux.

« Lorsque le réseau Forcade, ou l'entreprise à laquelle on a donné ce nom, a été concédé en 1870 à la Société générale d'exploitation, il existait un droit de préférence généralement reconnu pour la Compagnie du Luxembourg ; mais on n'était pas d'accord sur l'étendue de ce droit.

« Il y avait d'abord un droit absolu résultant de l'article 47 du cahier des charges de 1846 relatif à la concession de la ligne du Grand Luxembourg ; aucun délai n'est fixé pour l'exercice de ce droit.

« D'autre part, l'article 17 du cahier des charges de la concession Forcade contient aussi un droit de préférence, mais ce droit est plus restreint ; il devait s'exercer dans un délai de trois mois que la Compagnie du Luxembourg avait accepté.

« Le premier droit existait-il encore ? N'avait-il pas été remplacé par celui inscrit dans l'article 17 du rallier des charges de la concession de 1864, de manière à être complètement absorbé par celui-ci ? En d'autres termes, la Compagnie du Luxembourg n'en était-elle pas réduite purement et simplement à pouvoir se substituer à la compagnie Forcade, en cas de déchéance de celle-ci ?

« Ces questions étaient excessivement douteuses et c'est parce qu'elles étaient douteuses que mon honorable prédécesseur, sur l'avis des avocats du département, rédigea une disposition (article 3 de la convention de 1870) qui mettait à la charge de la Société générale d'exploitation toutes les conséquences possibles de la solution de ces questions, conséquences que les concessionnaires de 1870 déclaraient accepter à leurs risques et périls.

« Telle était la situation avant la contre-lettre que l'honorable M. Tesch nous a rappelée aujourd'hui. Cette contre-lettre décida l'une des questions les plus douteuses en faveur de la Société générale d'exploitation. C'était une première faute et cette faute l'honorable M. Jamar ne peut pas en décliner la responsabilité, car les avocats du département ne furent pas consultés.

« M. Jamar. - Vous trouverez au dossier l'avis des avocats du département.

« M. Wasseige, ministre des travaux publics. - Je suis autorisé à dire, au nom des avocats du département, qu'ils n'ont eu aucune connaissance de la contre-lettre et il est évident que cette contre-lettre est venue affaiblir dans une proportion considérable les obligations imposées à la Société générale par l'article 3 de la convention de 1870.

« Sous bien d'autres rapports encore, la première notification faite à la Compagnie du Luxembourg est venue amoindrir la bonne position faite au gouvernement par cet article 3.

« Qu'avait à faire le gouvernement ? Il devait notifier purement et simplement à la Compagnie du Luxembourg la déchéance de la société Forcade et lui demander si elle entendait ou n'entendait pas se substituer à cette dernière société.

« Au lieu de cela, qu'a-t-on fait ?

« On s'est borné à notifier à la Compagnie du Luxembourg qu'elle eût à user du droit de préférence qu'elle puise dans l'article 47 du cahier des charges de 1846.

« L'article 17 du cahier des charges de 1864 disparaissait et la Compagnie du Luxembourg ne pouvait exercer son droit qu'à l'égard d'une concession nouvelle qui aurait dû être bien déterminée par le gouvernement dans l'acte même de mise en demeure. Du délai de trois mois, il ne pouvait plus en être question.

« Naturellement, la Compagnie du Luxembourg a demandé qu'on lui indiquât la concession nouvelle qui lui était offerte, repoussant, au surplus, l'obligation pour elle d'avoir à se prononcer dans le délai que fixait la mise en demeure.

« Telle était la situation au moment où je suis arrivé au département des travaux publics. Elle était, vous le voyez, fort compromise. »

Que l'honorable ministre des travaux publics puisse s'imaginer que par une stipulation insérée dans le cahier des charges de la concession Forcade on a supprimé l'article 47 du cahier des charges primitif de la concession de la Grande Compagnie du Luxembourg, c'est là une énormité qu'il suffit de signaler. Que l'honorable ministre des travaux publics s'imagine, entendant d'une façon singulière le régime représentatif et la responsabilité ministérielle, que l'honorable M. Jamar était tenu de consulter les avocats sur les actes qu'il avait à faire, et qu'il vienne, en conséquence nous déclarer qu'il est autorisé à dire, au nom des avocats du département, qu'ils n'ont eu aucune connaissance de la contre-lettre, c'est ce qui me paraît un peu dépasser la permission.

(page 531) On est ministre pour faire des actes et pour en accepter la responsabilité ; on n'est pas tenu de consulter les avocats ; on ne les consulte que lorsqu'on le juge convenable ; ils ont été consultés sur la question de principe, celle de savoir quelle était l'étendue des droits accordés à la Compagnie du Luxembourg ; l'opinion du ministre bien arrêtée sur ce point, opinion conforme à celle de ses conseils, il a fait ce que son devoir lui paraissait commander.

Mais ce qui m'a étonné au plus haut point, ce qui m'autorise à dire que M. le ministre des travaux publics n'a pas lu ou a lu de la manière la moins attentive le dossier de cette affaire, c'est qu'il affirme que l'on s'est borné à notifier à la Compagnie du Luxembourg qu'elle eût a user du droit de préférence qu'elle puise dans l'article 47 de sa concession ; que l'article 47 du cahier des charges disparaissait et que la Compagnie du Luxembourg ne pouvait exercer son droit qu'à l'égard d'une concession nouvelle qui aurait dû être bien déterminée dans l'acte même de mise en demeure. On va juger si ces assertions sont conformes aux pièces du dossier.

Voici la lettre écrite le 28 mai à la Compagnie du Luxembourg :

« Un arrêté royal du 25 avril dernier proclame la déchéance de la concession du réseau de chemins de fer franco-belge-prussien qui avait été octroyée par arrêté royal du 20 mars 1864, et une loi tout récemment votée et en ce moment soumise à la sanction du Roi autorise le gouvernement à concéder ce réseau de chemins de fer à la Société générale d'exploitation, aux clauses et conditions d'une convention conclue le 5 mai courant. En vue de ne pas préjudicier aux droits de votre compagnie, j'ai inséré à l'article 3 de cette convention la disposition suivante :

« La présente convention n'est consentie au nom du gouvernement que sous réserve expresse du droit de préférence attribué à la Grande Compagnie du Luxembourg par l'article 47 du cahier des charges de sa concession, en date des 13/23 février 1846. »

« Bien que je doive croire que votre compagnie n'est nullement disposée, à accepter la concession du réseau de chemins de fer dont il s'agit, je me suis cependant engagé à ne donner un caractère définitif à la convention conclue avec la Société générale d'exploitation qu'après lui avoir fait connaître votre résolution, quant à l'exercice du droit de préférence.

« Je vous prie en conséquence de vouloir bien me faire connaître dans un bref délai si votre Compagnie entend ou non faire usage de son droit de préférence pour accepter la concession du réseau de chemins de fer décrit à l'article premier de la convention mentionnée ci-dessus et annexée à l'exposé des motifs ci-joint.

« J'ai stipulé à l'article 7 de la convention un délai de trois mois pour informer la Société générale d'exploitation de la résolution de votre Compagnie, mais j'espère que vous me communiquerez cette résolution longtemps avant l'expiration du délai, pour qu'il me soit possible de provoquer promptement l'arrêté royal de concession et de mettre ainsi la nouvelle société concessionnaire à même de commencer incessamment les travaux de voies ferrées si impatiemment désirées dans le Luxembourg.

« En terminant, je crois devoir vous faire remarquer que les dispositions insérées à l'article 17 du cahier des charges du 10 janvier 1863, dispositions auxquelles vous avez donné votre assentiment par lettre du 17 avril suivant, n°8054, ont été reproduites dans le nouveau cahier des charges, et qu'ainsi la position de votre compagnie n'a subi aucune modification.

« Le ministre des travaux publics,

« Jamar. »

Ainsi, voilà donc textuellement, littéralement, mot à mot, le contraire de ce qui a été dit par M. le ministre des travaux publics. (Interruption.)

L'honorable ministre fait un signe de dénégation et je m'en étonne.

L'honorable ministre des travaux publics n'a-t-il pas dit que, dans la notification faite, l'article 17 du cahier des charges de 1863 disparaissait et que la Compagnie ne pouvait exercer son droit qu'à l'égard d'une concession nouvelle qui aurait dû être bien déterminée ? La notification que je viens de lire ne porte-t-elle pas en toutes lettres que l'article 17 du cahier des charges de 1863 a été. reproduit dans le nouveau cahier des charges et qu'ainsi la position de la Compagnie n'a subi aucune modification ?

On a dit : C'est une concession nouvelle.

Pourquoi une concession nouvelle ? Il s'agit toujours du réseau connu sous le nom de réseau Forcade. Si je ne me trompe, - je n'ai pas eu le temps de vérifier, - je crois qu'on s'est borné à changer le point de départ d'une ligne. Il avait été constaté, je pense, par les études qui avaient été faites, que l'arrivée à Hotton n'était pas possible et au lieu de prendre le point de départ à Hotton on l'a pris à Marloie.

Je ne me souviens pas d'autre chose.

M. Tesch. - Il y a beaucoup d'autres choses que-je ne veux pas discuter en ce moment.

M. Frère-Orban, - Je ne crois pas qu'il y ait autre chose ; au surplus le gouvernement discutera cela avec la Compagnie du Luxembourg, s'il y a utilité à le faire. Toujours est-il que dans sa lettre du 8 juillet 1870 la Compagnie se borne à parler en termes vagues de certaines modifications dans les points de départ et d'arrivée ; je ne sais pas autre chose.

Je vais plus loin et je dis : Si c'est une concession nouvelle, ce qui n'est point, est-ce que par hasard les droits de la Compagnie du Luxembourg ont changé ? Elle devait déclarer en temps opportun si elle entendait user de son droit de préférence et comment elle entendait l'exercer. Mais vouloir l'exercer de telle façon qu'on annihile le droit du gouvernement, qu'on annihile le droit des populations, qu'on empêche l'exécution du réseau du Luxembourg, c'est absolument inadmissible. Ce droit, nous n'avons pas entendu l'abdiquer, nous avons entendu le conserver entièrement.

Voilà les observations que j'avais à présenter sur ce point. Il me reste à constater que j'attends encore que l'on m'explique pourquoi le gouvernement qui, le 19 octobre, avait proclamé la déchéance de la société du Luxembourg, a, le 24 novembre, rouvert le droit de cette compagnie.

Un mot maintenant sur le fond de l'affaire qui nous a occupés si longtemps.

Messieurs, à mesure que la discussion s'est prolongée, nous avons vu des concessions nouvelles se taire ; dès que des objections étaient produites, on essayait de les lever. Pas plus tard qu'hier, on en a soulevé dans cette Chambre, on vous apporte aujourd'hui une réponse.

On fait à la Chambre une situation extraordinaire et bien difficile. Le gouvernement intervenant sans raison, sans motifs, dans un règlement d'intérêt privé, a créé une source d'embarras peut-être inextricables.

Je reste convaincu, comme je l'ai dit au début de la discussion, que s'il avait déclaré à la compagnie des Bassins houillers qu'il n'entendait pas lui payer la valeur du matériel aussi longtemps qu'il pourrait s'élever des réclamations de la part des tiers, on serait arrivé, laissant les intéressés s'arranger entre eux, à une solution complètement satisfaisante ; au lieu de cela, voici où l'on nous amène.

On nous dit : Il est indispensable que l'on paye à la société des Bassins houillers la partie du matériel que nous reconnaissons être sa propriété. L'honorable ministre des finances nous en a suffisamment indiqué les raisons. Nous nous engageons, d'autre part, dit également le gouvernement, à faire des conventions avec les tiers intéressés dans cette affaire. Nous nous engageons à satisfaire les obligataires.

Les premières propositions étaient non seulement insuffisantes, mais pouvaient devenir illusoires et compromettantes pour le gouvernement. On faisait entrevoir des sécurités qui n'existaient pas. On a fait des propositions nouvelles qui sont obscures, mais, il faut le reconnaître loyalement, qui contenaient le germe d'une solution plus satisfaisante en ce qu'elles consacrent le principe d'un gage à donner dans une forme légale. Le gouvernement a tort de se mêler de ces sortes d'affaires, mais il est juste de reconnaître que s'il peut à la fois constituer un gage réel et proportionner les garanties aux droits des divers obligataires, nous n'aurons pas à nous en plaindre.

Quant aux droits des obligataires, il règne dans les discussions et les propositions une erreur fondamentale : on répartit le produit kilométrique de 7,000 francs comme si c'était le produit réel afférent à chaque ligne, de telle sorte que les lignes qui ont un produit effectif plus élevé sont censées avoir moins que ce qu'elles donnent réellement, et celles qui produisent moins sont censées avoir une recette plus élevée. Et l'on veut établir sur ces bases fausses les droits des obligataires. Et l'on a critiqué de ce chef l'article 44 de la convention. C'est une singulière méprise.

La convention du 25 avril ne décide rien quant aux droits des tiers, en établissant le prix du bail d'après le revenu kilométrique.

Si l'on a parlé du produit kilométrique, c'était un moyen de déterminer les droits de la Compagnie. On aurait pu prendre une autre base, dire, par exemple : Lorsque le produit de l'ensemble des lignes sera, je suppose, de 10 millions, la Compagnie prélèvera 4 millions ; lorsque le produit sera de 11 millions, la Compagnie prélèvera 4,500,000 francs et ainsi de suite. On déterminait de la sorte le prix du bail ; pourquoi a-t-on pris un autre mode, celui qui est indiqué dans l'article 44 ? Par une raison fort simple, c'est que c'est la base communément adoptée.

Mais les droits des tiers, les conditions des obligataires ne peuvent pas être changés, parce que l'on a adopté un mode plutôt que l'autre ; il y aura lieu de tenir compte des produits et de régler la position des obligataires, en faisant complètement abstraction de la règle qui sert uniquement à calculer le tantième d'exploitation ou le prix du bail.

(page 532) Je veux laisser au gouvernement, dans une pareille situation, la responsabilité tout entière, je n'entends pas m'y associer. Je ne puis admettre que le gouvernement, sortant de son rôle, devienne ainsi l'arbitre des intérêts privés.

Je ne puis pas admettre qu'il appose le visa de la trésorerie sur des titres qu'il ne peut s'engager en toute hypothèse à payer.

Sous ce rapport, je devrais repousser, s'ils nous étaient soumis, les projets du gouvernement. Il annonce l'intention de faire, sous ce rapport, ce que nous avons formellement repoussé.

Mais, en présence des déclarations du gouvernement, qu'il s'engage à faire droit aux réclamations des obligataires et, d'un autre côté, qu'il est indispensable de verser dans la caisse de la société le montant du matériel, je crois devoir m'abstenir.

M. Wasseige, ministre des travaux publics. - Messieurs, on m'a fait le reproche de n'avoir pas répondu plus tôt à la question soulevée quant au réseau Forcade.

Si je me suis tu, c'est que l'incident n'avait, selon moi, rien à faire dans la question qui nous occupait et, dès lors, il me paraissait inutile d'introduire des éléments étrangers dans des débats qui n'ont déjà duré que trop longtemps.

Si j'ai pris la parole hier, c'est que j'avais été interpellé une troisième fois et qu'il ne m'était plus possible de rester sous le coup d'une accusation que j'étais à même de repousser.

Il y avait une autre raison peut-être encore pour laquelle je désirais ne pas parler : je suis d'avis, comme l'honorable M. Frère, que la publicité donnée à la contre-lettre de mon honorable prédécesseur pouvait ne pas être sans inconvénients.

Si ces inconvénients existent à l'heure qu'il est, j'en renvoie complètement la responsabilité à l'honorable M. Frère lui-même. En effet, c'est lui qui a réclamé le dépôt des pièces et qui a soulevé l'incident.

M. Frère-Orban. - Je n'ai pas exigé le dépôt de cette pièce-là.

M. Wasseige, ministre des travaux publics. - Vous avez demandé le dossier complet. Il a été déposé, j'en appelle à l'honorable M. Tesch : je suis convaincu que c'est dans le dossier déposé qu'il a trouvé la pièce.

M. Tesch. - C'est exact !

M. Wasseige, ministre des travaux publics. - Cette contre-lettre, je persiste à trouver que c'était une faute. Je dirai de plus que c'était un acte que je voudrais ne pas devoir qualifier.

Après avoir, dans un acte public, établi les droits de la Compagnie du Luxembourg, donner dans un acte privé une autre signification à cet acte public, sans que ni la Chambre qui avait à apprécier, ni le principal intéressé en aient eu connaissance, cela ne me semble ni honnête ni convenable.

M. Frère-Orban. - Jamais on n'a rien fait de semblable.

M. Jamar. - Non, jamais !

M. Wasseige, ministre des travaux publics. - Je le répète, je ne trouve pas, comme l'a dit l'honorable M. Tesch, qu'un pareil acte soit convenable.

C'était une faute, car cela affaiblissait complètement la situation du gouvernement devant la compagnie concessionnaire relativement à l'article 3, par lequel toutes espèces de difficultés avaient été mises à la charge de cette dernière.

On faisait disparaître une de ces difficultés au profit de la compagnie concessionnaire et on compromettait le sort de la ligne concédée.

On substituait une question purement personnelle à une question d'intérêt public pour la province de Luxembourg.

Voilà la première raison pour laquelle je me suis décidé à faire la nouvelle notification qui devait avoir pour conséquence de faire disparaître, dans un délai déterminé, une faveur que je regardais comme contraire aux engagements pris. J'ai dit que d'autres raisons m'ont inspiré, et j'ai cité cette circonstance que la première notification avait mis la compagnie du Luxembourg en demeure d'exercer le droit de préférence résultant de l'article 47 du cahier des charges de 1846, tandis que cette notification aurait dû s'appuyer exclusivement sur l'article 17 de la convention de 1864.

L'honorable M. Frère vous a dit à ce propos que probablement je n'avais pas lu la lettre du 28 mai 1870 et il en a donné une lecture complète.

Pour toute personne de bonne foi, il sera évident que non seulement j'ai lu mais que j'ai parfaitement compris cette lettre. Que dit-elle en effet ?

« En vue de ne pas préjudicier aux droits de votre compagnie, j'ai inséré à l'article 3 de cette convention la disposition suivante : « La présente convention n'est consentie au nom du gouvernement que sous la réserve expresse du droit de préférence attribué à la Grande Compagnie du Luxembourg par l'article 17 du cahier des charges de sa concession en date des 13-23 février 1846. »

Il n'est question que de ce droit de préférence-là. Il n'est pas question du droit de préférence dérivant de l'article 17 de la convention de 1864, car la lettre ajoute :

« Je vous prie, en conséquence, de vouloir bien me faire connaître, dans un bref délai, si votre compagnie entend ou non faire usage de son droit de préférence pour accepter la concession du réseau de chemins de fer décrit à l'article premier de la convention mentionnée ci-dessus et annexée à l'exposé des motifs ci-joint. »

C'est bien ce qui vient d'être dit au paragraphe précédent.

Si, en terminant, on mentionne l'article 17 de la convention de 1864, ce n'est nullement pour mettre la compagnie en demeure d'user du droit de préférence que consacre cet article. Quel a été le but de mon honorable prédécesseur quand il a rappelé cette disposition ? J'avoue ne pas l'avoir aperçu, mais cela n'était évidemment pas celui que l'on veut lui attribuer aujourd'hui.

M. Frère-Orban. - Lisez la lettre.

M. Wasseige, ministre des travaux publics. - Je la lis : « En terminant, je crois devoir vous faire remarquer que les dispositions insérées à l'article 17 du cahier des charges du 10 janvier 1865, dispositions auxquelles vous aviez donné votre assentiment par lettre du 17 avril suivant, n°8054, ont été reproduites dans le nouveau cahier des charges et qu'ainsi la position de votre compagnie n'a subi aucune modification. »

Je persiste à croire qu'il n'est pas possible de soutenir raisonnablement, en pesant scrupuleusement tous les termes de ce dernier paragraphe, que le droit de préférence inscrit dans l'article 17 était l'objet de la communication.

Il résultait de là que l'article 47 du cahier des charges de 1846 était seul en cause ; que la Compagnie du Luxembourg avait un délai indéterminé ; que, dans cette situation, les conditions faites au concessionnaire se trouvaient, par le fait du gouvernement, moins favorables que celles auxquelles ce concessionnaire pouvait prétendre en vertu de l'article 3 de la convention.

Vous me reprochez maintenant d'avoir, par une lettre du 19 octobre, déclaré que la Compagnie du Luxembourg était déchue et d'avoir, changeant ensuite d'opinion, relevé la société de cette déchéance.

J'ai déjà eu l'honneur de m'expliquer sur ce point. Dans l'intérêt de l'Etat, je n'ai pas cru devoir prendre l'initiative de faire remarquer au nouveau concessionnaire les changements apportés à sa position ; je n'ai pas voulu lui donner en quelque sorte l'idée de discuter la validité de la déchéance et de chercher à refuser la concession. Ce n'était pas là mon rôle ; c'était au concessionnaire à faire valoir ses droits. J'ai donc suivi à cet égard la ligne de conduite qui m'était imposée comme une conséquence des actes de mon honorable prédécesseur, ne me trompant point toutefois sur le sens de la réponse qui me serait faite.

Cette réponse, je l'ai trouvée juste, j'ai trouvé qu'on avait affaibli la position de la Société générale d'exploitation vis-à-vis de la compagnie du Luxembourg, que l'on avait placé la première de ces sociétés dans une situation différente de celle sur laquelle elle pouvait compter quand elle avait accepté tous les risques et périls de l'article 3 de la convention.

Je m'exposais à un procès dont la suite était douteuse. Si ce procès était perdu par le gouvernement, qu'arrivait-il ? Il n'y avait plus de concession pour le Luxembourg ; la Société générale était dégagée de toutes ses obligations et la concession tombait. J'ai voulu épargner cette éventualité au Luxembourg que je désire voir en possession de sa ligne. Je suis arrivé à un arrangement ensuite duquel les choses étaient remises dans leur état primitif du moment que je consentais à faire une nouvelle notification rédigée dans les termes convenus. C'est ce que j'ai fait. Grâce à cet acte, les obligations résultant de l'article 3 de la convention de 1870 ont repris toute leur force, et le concessionnaire ne peut plus repousser les conséquences qui viendront à résulter de cette stipulation.

J'ai fait plus, la contre-lettre déclarant que M. Philippart a le droit de repousser la concession si un embranchement est accepté, était indéfinie (interruption), mais il n'y avait pas de délai déterminé, pas plus que dans l'article 47 du cahier des charges de 1846, sur lequel on s'était basé. Dans la nouvelle convention, si cette éventualité est prévue, elle est limitée, comme tout le reste, au délai de trois mois. (Interruption.) Je crois avoir réparé une situation mauvaise, je crois avoir bien agi au point de vue du gouvernement et au point de vue de la Compagnie du Luxembourg.

(page 533) M. Frère-Orban. - L'honorable ministre des travaux publics vient de prononcer deux mots que je ne puis laisser passer ; il a dit que l'acte qui avait été posé par nous n'était pas honnête.

M. Wasseige, ministre des travaux publics. - Qu'il n'était pas convenable.

M. Frère-Orban.- Ou du moins qu'il n'était pas convenable vis-à-vis de la Compagnie du Luxembourg.

Je pense que l'honorable ministre se trompe singulièrement.

Comment ! nous disons à la Compagnie du Luxembourg : Vous exercerez votre droit tel qu'il est, vous le ferez valoir comme vous le voudrez, et il y aurait la un acte peu convenable vis-à-vis d'elle ! Nous avons stipulé avec la Compagnie d'exploitation qu'elle supporterait ce procès à ses risques et périls.

Mais à la vérité, par une contre-lettre qui ne fait rien à la Compagnie du Luxembourg, nous avons déclaré que pour le cas où la Compagnie du Luxembourg viendrait à faire prévaloir cette prétention exorbitante de pouvoir exercer son droit non pas sur la totalité du réseau, mais sur une fraction, nous ne pouvions pas vouloir que dans une pareille hypothèse la compagnie fût liée. De quoi pourrait se plaindre la Compagnie du Luxembourg ?

Le délai pour exercer le droit de préférence était expiré à la date du 19 octobre ; vous l'avez vous-même déclaré ; et, par conséquent, il n'y avait pas à se préoccuper de la contre-lettre ; c'est par un acte postérieur que vous avez rouvert ce délai d'option. Vous nous dites qu'en vertu de l'article 47 de la concession primitive, il n'y avait pas de délai fixé, d'où vous inférez sans doute que la Compagnie du Luxembourg pouvait indéfiniment ou tout au moins pendant trente ans tenir en suspens les concessions dans le Luxembourg.

Mais ne savez-vous donc pas qu'il suffisait de mettre en demeure de l'exercer ? Il suffisait de mettre la compagnie en demeure de se prononcer et elle devait le faire dans un délai raisonnable. (Interruption.) Oui, certainement ; et, en cas de contestation entre les parties, ce sont les tribunaux qui auraient déterminé ce délai. Mais ne venez donc pas imaginer que la Compagnie du Luxembourg avait le droit indéfini de tenir en suspens la construction des lignes du Luxembourg.

En vérité, M. le ministre, si c'est à cause de cela que vous trouviez la situation compromise, si c'est là ce que vous avez voulu sauver, je ne vous en fais pas mon compliment. (Interruption.) Cela est tellement évident que je ne comprends pas qu'au banc ministériel on puisse émettre de pareilles idées.

Vous prétendez que vous avez fait, à la date du 24 novembre, autre chose que ce que votre prédécesseur avait fait à la date du 28 mai. Mais relisez donc votre lettre du 24 novembre. Elle se termine par ces mots décisifs : « C'est pourquoi je vous adresse la présente communication, sans donner à la dépêche ministérielle du 28 mai dernier les suites plus rigoureuses qu'elle comporterait. »

Ainsi, vous en admettez donc l'efficacité ; c'est un délai de grâce que vous accordez ; vous revenez sur un délai expiré et vous dites : Je pourrais en vertu de la lettre du 28 mai qui vous a mis en demeure, je pourrais exécuter rigoureusement cette lettre. Je ne le fais pas ; je vous donne un second délai de trois mois. Et après cela, vous dites que vous avez obtenu de nouvelles concessions et que la Société générale d'exploitation vous a donné des conditions différentes. Mais relisez donc la lettre que vous avez lue hier à la Chambre.

Dans cette lettre, la compagnie dit tout au long : que si la Compagnie du Luxembourg exerce son droit sur une partie du réseau, « alors, conformément à notre convention, si son droit est reconnu en justice, nous serons libres de prendre la concession ou de la répudier. »

Ainsi, la situation est exactement ce qu'elle était alors. Vous avez rouvert le délai d'option ; vous n'avez pas expliqué pourquoi vous l'avez fait.

M. le président. - La parole est à M. Brasseur.

M. Tesch. - Je demande la permission de parler pendant une minute ou deux seulement.

- De toutes parts. - Oui ! oui !

M. Tesch. - Messieurs, on place la question sur un terrain où je ne veux pas suivre les orateurs auxquels je fais allusion : c'est la discussion des droits de la Compagnie du Luxembourg. Je ne me suis plaint que d'une chose ; c'est qu'on a laissé ignorer à la Chambre des documents qu'elle devait connaître.

Il n'appartient pas à un ministère quelconque de ne pas éclairer la Chambre sur des pièces qui existent réellement. Le ministère juge à son point de vue.

M. Frère-Orban. - C'est seulement un cas de responsabilité personnelle.

M. Tesch. - Je n'admets pas du tout cela. (Interruption.) Eh, mon Dieu ! Qu'est-ce donc que la responsabilité ministérielle ? C'est, par la majorité, l'abandon ou le soutien du ministère. Vous tombez ou vous vous maintenez : voilà, dans le régime constitutionnel, ce que c'est que la responsabilité ministérielle. C'est tellement vrai que jamais, dans aucun pays, on n'a fait de loi sérieuse sur la responsabilité ministérielle.

Aujourd'hui, nous sommes minorité. Eh bien, je dis que si j'avais connu la contre-lettre dont l'existence ne vous a été révélée que dans le cours de la discussion actuelle, la position que j'eusse prise à une autre époque eût été toute différente de celle que j'ai prise ; et j'eusse certainement combattu le projet de loi au lieu de le voter sans dire mot. (Interruption.)

Je n'admets donc pas, je le répète, qu'il appartienne à un ministère quelconque de tenir secrètes des pièces qui peuvent éclairer la Chambre et qu'elle a intérêt à connaître.

M. Frère-Orban. - (erratum, page 548) Je demande la parole. (Interruption). Je la demanderais au besoin pour un fait personnel.

On persiste à nous faire un grief de ne pas avoir communiqué à la Chambre la contre-lettre dont il s'agit ; mais on s’abstient de discuter le point de savoir si nous pouvions le faire sans nuire aux intérêts de l’Etat. Je dis que nous ne devions pas la communiquer ; nous ne devions pas plus le faire que nous ne devions stipuler un droit en faveur de la Compagnie du Luxembourg, et reconnaître ainsi qu’elle pouvait, à son gré, prendre une partie de la concession et rendre le rendre sans compromettre le droit de l’Etat. M. le ministre des travaux publics a reconnu lui-même tout à l'heure que la communication qui en a été faite postérieurement n’était pas sans inconvénient.

La contre-lettre est parfaitement justifiée. L’avis des avocats établissait, en effet, que le droit de la Compagnie du Luxembourg n’avait pas pu être étendu par la convention Forcade, ainsi que l’affirmait le gouvernement, et il importait, dans l’intérêt de l’Etat et dans l’intérêt des populations, de ne point affaiblir notre position.

MM. Brasseur. - Messieurs, pendant les longs débats auxquels la Chambre vient de se livrer, la question principale, c'est-à-dire le projet de loi, a été le point accessoire des débats : elle a surtout discuté la question des obligataires.

Les Bassins houillers l'ont compris ainsi eux-mêmes, puisque à côté du projet de loi, il y avait de leur part d'abord un premier projet d'arrangement avec les obligataires, que' j'ai vivement combattu, il y a une quinzaine de jours. Ce projet a été remplacé par un second projet d'arrangement dont l'honorable M. Tesch a demandé il y a deux jours la publication, afin que chaque membre de la Chambre pût l'étudier.

J'avais demandé la parole hier pour combattre le deuxième projet d'arrangement fait avec les obligataires. Il m'eût été facile d'établir que, s'il est préférable au premier projet au point de vue juridique, ce qui n'est pas pour moi le point capital, parce que les droits des obligataires seront toujours garantis par les tribunaux, il m'eût été facile d'établir, dis-je, qu'au point de vue financier, le projet d'arrangement était inadmissible sous tous les rapports. C'est ainsi, du reste, que les obligataires l'ont compris eux-mêmes, puisque dans le document qu'ils viennent de nous envoyer à l'instant même, ils déclarent que leur position est moins bonne qu'auparavant.

M. le ministre des finances vient de nous faire connaître une nouvelle proposition, d'où je dois conclure que le deuxième arrangement est retiré. Il ne me reste plus dès lors qu'à renoncer à la parole ; mon discours n'aurait plus de raison d'être. Inutile d'ajouter que je maintiens mon opposition contre le projet de loi en lui-même.

M. Houtart. - Messieurs, je n'ai demandé la parole que pour motiver mon vote sur le projet de loi en discussion. Malgré toutes les attaques dont la convention du 25 avril a été l'objet, elle reste tout entière dans mon opinion ; elle est utile au pays, utile particulièrement à de nombreuses populations qui ont été privées jusqu'ici de chemins de fer. Je crois que les intérêts du trésor sont parfaitement sauvegardés. Restent les intérêts des obligataires. En présence des efforts du gouvernement, en présence de la bonne volonté montrée par la société des Bassins houillers à l'effet d'arriver à une combinaison assez heureuse pour offrir toutes les garanties désirables, je crois de mon devoir de donner une entière approbation à la combinaison qui surgira.

L'avenir nous apprendra si nous avons eu tort d'avoir confiance dans les lumières et la pénétration du gouvernement, ainsi que dans la bonne foi et l'équité dont la société des Bassins houillers vient de nous donner plusieurs preuves.

Ceci dit, je prendrai la liberté de demander à M. le ministre des travaux publics quelques explications sur son arrêté du 14 janvier. Je crois (page 534) que des lignes d'une minime importance doivent être achevées en 1872 et que d'autres lignes, plus importantes, ne doivent être livrées ù l'exploitation qu'en 1876.

Je demanderai à M. le ministre des travaux publics s'il entrait dans les convenances de la société des Bassins houillers de construire les lignes de la dernière catégorie dans le délai fixé pour celles de la première catégorie, s'il mettrait obstacle à l'exécution de ces travaux ou de cette nouvelle modification.

M. Bouvier. - Evidemment non.

M. Houtart. - Je fais cette remarque pour avoir la déclaration de M. le ministre des travaux publics afin de rassurer certaines localités et notamment la ville de Rœulx qui depuis dix ans attend un chemin de fer, qu'on lui promet toujours chaque fois qu'il est question d'élections, mais qui n'arrive jamais.

M. de Borchgrave. - Voilà un singulier aveu !

M. Houtart. - Je demande donc à M. le ministre de répondre catégoriquement à la question que je viens d'avoir l'honneur de lui poser.

M. Wasseige, ministre des travaux publics. - Comme, cette fois, il ne s'agit point d'élection, je puis m'exprimer d'une manière catégorique et j'espère que la Chambre aura confiance dans mes paroles. Il est positif, messieurs, que, par les mots : « au plus tard » insérés dans mon arrêté, j'ai voulu fixer un délai qui ne peut pas être dépassé et, pour ma part, M. Houtart peut en être convaincu, je ne demande pas mieux que ce délai soit anticipé et, si tous les chemins pouvaient être achevés en 1872, j'y applaudirais des deux mains.

M. Houtart. - Merci de la déclaration.

M. Tack. - Messieurs, je ne viens pas faire un discours, mais justifier mon vote.

Le gouvernement n'eût pas dû intervenir, vient de nous dire l'honorable M. Frère-Orban ; il eût été, sans doute, très commode pour le gouvernement de refuser d'entrer en arrangement avec les Bassins houillers, de s'en rapporter aux termes rigoureux de la convention du 25 avril 1870, de l'interpréter, comme on dit en droit, le plus judaïquement possible, de tenir moins compte de l'esprit de cette convention que de sa lettre, de se borner à payer les annuités dues à raison du contrat d'exploitation ainsi que celles afférentes à la reprise du matériel.

Il évitait ainsi tout embarras ; il se faisait un lit de roses ; il laissait à l'ancien cabinet toute la responsabilité de ses actes. C'eût été politique, mais peut-être que cette attitude eût fait crouler toute la convention du 25 avril 1870, et j'avoue qu'il y avait là un danger.

Le gouvernement a compris autrement ses devoirs : il a mis résolument, pour parler un langage familier, le doigt entre l'arbre et l'écorce ; il a pensé qu'il y avait plus de loyauté, plus de courage à prêter une amiable intervention entre tous, dans un double intérêt : celui des porteurs d'obligations et celui des populations qui aspirent au moment de voir établir les voies ferrées que la compagnie des Bassins houillers s'est engagée à construire. Labeur très rude, tâche ardue à la vérité, et ce qui prouve combien l'entreprise est difficile, ce sont les négociations successivement entamées avec les Bassins houillers.

Les propositions faites au gouvernement par le projet qui nous a été communiqué dans la séance de jeudi, sauvegardent-elles les droits des porteurs d'obligations tout en mettant à l'abri ceux de l'Etat ?

Je pense que, moyennant les changements qui devront nécessairement y être apportés pour assurer une répartition plus équitable des garanties auxquelles chaque ligne peut prétendre, on parviendra à donner satisfaction aux obligataires.

Quant à cette répartition, le gouvernement aura certainement à y veiller, cela est clair, mais c'est aux intéressés eux-mêmes à y donner leur adhésion. En effet, aux termes du projet, les Bassins houillers sont obligés de rapporter à l'Etat l'acquiescement de toutes les sociétés. Ne serait-il pas possible d'avoir l'assentiment des obligataires ? Quoi qu'il en soit, si l'on peut arriver à une juste répartition, les intérêts des obligataires seront évidemment saufs.

Il doit bien être entendu, du reste, que la convention à faire ne peut en rien porter préjudice au droit qu'ont les obligataires de s'adresser directement aux sociétés concessionnaires pour se faire payer les intérêts qui leur reviennent d'après les titres dont ils sont porteurs et exiger le remboursement du capital conformément aux conditions stipulées pour l'amortissement.

En un mot, je veux, pour ce qui me concerne, que la position des obligataires reste ce qu'elle était, avec cette différence que l'exercice de leur droit sera spécialement garanti par le gage résultant du séquestre des titres d'annuités que la société des Bassins houillers s'engage à créer.

Je ne sais s'il ne serait pas bon de le mentionner dans la convention.

Mais qu'en est-il des droits de l'Etat, sont-ils suffisamment assurés par le projet de constitution ? Spécialement, l'Etat est-il garanti contre l'action résolutoire que pourraient lui intenter les sociétés concessionnaires ou leurs ayants droit ? L'affirmative semble résulter du paragraphe 2 de l'article 14, d'après lequel l'Etat devient dès à présent concessionnaire des Bassins houillers pour le cas où ceux-ci manqueraient à leurs engagements.

Je pense qu'il ne saurait être question ici que de la cession des droits qu'ont les Bassins houillers sur les lignes reprises au 1er janvier 1871.

L'Etat doit pouvoir résilier partiellement son contrat avec les Bassins houillers, c'est-à-dire en tant que ce contrat se rapporte aux lignes à construire tout en le maintenant quant aux lignes dès à présent reprises par lui.

Je ne considère le document qui nous a été communiqué jeudi que comme un avant-projet, auquel M. le ministre des finances fera subir les modifications que pourraient réclamer les intérêts des obligataires et de l'Etat.

Les bases me paraissent bonnes, mais il m'a été impossible d'en calculer les conséquences, le temps m'a manqué pour cela ; je me demande, entre autres choses, s'il n'y a pas, dans le nouveau projet, de la part de l'Etat, une immixtion trop grande.

Je laisse à M. le ministre des finances le soin de stipuler, de façon qu'il ne reste aucun doute, ni sur les droits des obligataires, ni sur ceux de l'Etat ; je lui laisse la responsabilité de ce soin.

Je ne veux pas, par un vote contraire au projet, faire perdre le bénéfice des concessions que les Bassins houillers consentent à faire dans l'intérêt des obligataires ; d'autre part, c'est au gouvernement à mettre à couvert, dans la convention à conclure avec les Bassins houillers, les intérêts de l'Etat.

Eclairé par les longues discussions qui ont eu lieu dans cette Chambre, averti par les réclamations qui lui sont adressées et par la voie de la presse, il possède aujourd'hui tous les éléments dont il a besoin pour mener cette affaire à bonne fin. Il fera son profit, j'en ai la conviction, des lumières qui ont été jetées dans le débat : c'est mû par ces considérations que je voterai le projet de loi.

Je crois inutile d'ajouter cette dernière réserve, c'est qu'il importe que le gouvernement ne donnera pas exécution à la loi que nous sommes appelés à voter tant qu'il ne sera pas armé d'une convention où les principes sur lesquels nous paraissons d'accord soient nettement appliqués.

- Des membres : La clôture !

M. David. - J'ai demandé la parole et si je n'obtiens pas satisfaction, je voterai contre la loi.

M. le président. - Il n'y a plus que M. David inscrit, et il n'est jamais long.

M. David. - Je désire voter le projet de loi ; mais je vous assure que je ne sais plus de quoi il s'agit. Il y a eu un projet ; il y a eu deux amendements distribués dans le courant de janvier, ensuite deux propositions nouvelles faites par les Bassins houillers, qui nous ont été remises en guise d'amendement s ; il y a eu deux autres propositions : une entre autres, lue à la séance d'hier, qui a été modifiée par la lettre qu'on nous a communiquée aujourd'hui. Je voudrais que toutes ces propositions fussent condensées et que nous sachions sur quoi nous votons.

Ce n'est qu'à cette condition que je puis admettre le projet.

- La discussion générale est close.

Discussion des articles

Article premier

« Art. 1er. Est approuvée la convention conclue, le 22 novembre 1870, modifiée le 19 décembre 1870 et le 16 janvier 1871, entre le gouvernement belge, d'une part, et la Société anonyme des chemins de fer des Bassins houillers du Hainaut, d'autre part, à l'effet de régler le remboursement de l'avance de 3 millions de francs, ainsi que le payement du matériel de transport, du mobilier, etc., dont il est parlé respectivement aux articles 5 et 10 de la convention du 25 avril 1870, approuvée par la loi du 3 juin suivant. »

M. le président. - Nous avons d'abord à nous prononcer sur l'amendement de M. Balisaux.

M. Balisaux. - Je déclare retirer cet amendement.

M. Rogier. - Messieurs, cette discussion dure depuis bientôt trois semaines et je n'ai pas, loin de là, l'intention de la prolonger. Mais je dois dire, j'en fais l'humble aveu, que je ne sais pas au juste quelle est la portée du vote qu'on nous demande, et je crois que si l'on interrogeait beaucoup de mes honorables collègues, ils feraient la même déclaration.

Depuis le commencement de cette discussion, qui a été, je dois le dire, un début assez malheureux dans les questions d'affaires pour le ministère nouveau, nous avons vu surgir, presque dans chaque séance, des discussions et des incidents pour ainsi dire judiciaires.

(page 535) En présence d'autres questions de son ressort, dont il pouvait s'occuper utilement, le Parlement belge s'est vu transformé en une espèce de bureau de consultation où se sont croisés les avis d'avocats du dehors, des avis des avocats du dedans, comme s'il s'agissait de véritables procès devant un tribunal de première instance.

Et, reconnaissons-le, pour beaucoup d'entre nous, une pleine lumière n'est pas sortie de ces débats.

Il règne encore beaucoup de brouillards autour de nous.

Chaque jour, M. le ministre des finances vient nous apporter de nouvelles propositions, des combinaisons nouvelles ; les stipulations, présentées comme bonnes hier, sont remplacées le lendemain par des stipulations que l'on dit meilleures, et je ne suis pas sûr que nous ayons le dernier mot des négociations.

Nous avons reçu hier des avocats du dehors la sommation d'avoir à voter le projet de loi sous peine de rupture, étant à bout de concessions. Il est permis de n'être pas de cet avis, et d'après ce qui s'est passé, de nouvelles propositions peuvent encore se produire.

En attendant, je ne voterai pas le projet de loi.

Nous voyons, messieurs, les inconvénients qu'il y a pour le gouvernement à se jeter, en matière de travaux publics surtout, dans ce système illimité, irréfléchi de concessions.

Nous voyons combien l'intérêt général, qui n'a pas toutes les finesses, tous les ressorts de l'intérêt privé, combien il risque d'être compromis. Nous avons beaucoup trop multiplié les concessions.

La convention du 25 avril, que je n'approuve pas en tous points, aura au moins ce résultat de faire rentrer dans le domaine de l'Etat ce qui n'aurait jamais dû en sortir, de grandes lignes de chemins de fer : je croyais qu'on s’en serait tenu là et que, la convention votée, cette affaire n'aurait plus occupé la Chambre.

Il n'en a été rien et voilà qu'une administration nouvelle nous soumet un projet qui soulève une multitude de questions qui ne devraient pas regarder la Chambre et si nous jugeons de l'avenir par le passé, Dieu sait si l'adoption de ce projet ne nous entraînera pas dans de nouvelles complications !

J'aurais voulu que M. le ministre des finances, avant de nous demander un vote, nous eût apporté une convention finale et définitive faite avec les intéressés.

Aujourd'hui nous n'avons rien que des promesses, la situation change pour ainsi dire d'heure en heure et M. le ministre des finances vient apporter à la Chambre de nouvelles combinaisons, dont il est impossible de saisir la portée.

Pour moi, messieurs, sans être animé d'aucun sentiment d'hostilité contre n'importe quelle société, dont je n'ai pas d'ailleurs l'honneur de faire partie, je crois que nous devons ajourner le vote jusqu'à ce que le gouvernement nous apporte une convention définitive, et il me semble que M. le ministre ne peut pas s'opposer à cet ajournement.

Dans le principe, il y a quinze jours, l'honorable M. Frère, je crois, avait conclu à l'ajournement ; eh bien, l'on eût bien fait d'ajourner dès ce moment-là ; on aurait ainsi épargné à la Chambre ce travail pénible auquel nous nous livrons, on aurait épargné au pays ce triste spectacle de voir la Chambre des représentants transformée en une sorte d'étude d'avoués ou de salle de notaires dans laquelle on débat de toutes les façons, par des moyens que je n'ai pas à apprécier, des intérêts qui au fond ne nous concernent pas. Si nous ajournions l'affaire de quelques jours, on pourrait du moins nous apporter enfin une convention sérieuse dont on pourrait apprécier la portée avec la certitude de ne plus la voir modifier.

Je crois que la société des Bassins houillers qui a montré, à ce qu'il paraît, beaucoup de magnanimité et une grande tolérance, qui a daigné permettre à la Chambre de s'expliquer, qui lui a donné trois semaines de répit, mais qui, aujourd'hui, vient en quelque sorte la sommer, je crois que la société des Bassins houillers aura bien la patiente d'attendre encore un peu.

Il y va de son intérêt, car si elle arrive à faire avec le gouvernement un arrangement définitif qui nous soit notifié ne varietur, il est probable que ceux qui se prononceraient contre le projet aujourd'hui, le voteraient alors.

Jusque-là, je voterai, quant à moi, contre le projet de loi.

M. Jacobs, ministre des finances. - Messieurs, l'honorable M. Rogier nous a dit qu'il ne voyait pas bien clair dans cette discussion. Son discours en est une preuve péremptoire.

Il se plaint de ce qu'il nous arrive des amendements et des modifications tous les jours.

L'honorable membre se trompe ; les différentes propositions que j’ai récemment indiquées à la Chambre ne se rapportent pas au projet de loi.

Ce que l'honorable membre va voter, c'est l'amendement qui a été distribué à la rentrée, le 16 janvier. C'est le payement comptant du matériel, sous déduction d'une somme de 13,600,000 francs.

Il s'est trouvé que le gouvernement a saisi l'occasion et que la Chambre désire qu'on saisisse l'occasion de l'exécution de ce projet de loi pour faire un arrangement favorable aux obligataires, arrangement qui est du domaine du pouvoir exécutif, et l'honorable membre voudrait que l'on ajournât de nouveau la discussion jusqu'au moment où l'on aura trouvé la formule dernière de cet arrangement.

Je puis déclarer à l'honorable membre et je pense que mes paroles lui donneront pleine satisfaction, que je ne payerai pas aux Bassins houillers leur matériel avant d'être arrivé à un arrangement satisfaisant. Je ne me dessaisirai pas avant d'avoir réussi à sauvegarder les intérêts des obligataires.

Ajourner, après un débat de trois semaines, alors que le Sénat doit à son tour délibérer sur l'affaire, ce serait atteindre une époque où les Bassins houillers pourraient trouver un intérêt plus considérable à disposer librement de leur avoir à leurs risques et périls et à se passer de la loi.

M. Bouvier. - Et les tribunaux ?

M. Jacobs, ministre des finances. - Je crois qu'il est excessivement désirable de ne pas compliquer cette situation par une foule de procès interminables et que l'on fera chose utile en y coupant court.,

L'honorable membre a encore demandé comment il se fait qu'on entraînât la Chambre dans ces questions d'affaires.

Il doit savoir que, d'après la convention même, nous devons demander à la Chambre l'autorisation de payer, soit au comptant, soit en annuités ; un projet de loi à cet égard a été rendu indispensable par la convention du 25 avril.

Si la discussion a duré trois semaines, je n'en puis rien, ce n'est pas moi, mais la Chambre qui règle la durée de ses débats.

- Plusieurs membres. - Aux voix !

M. Rogier. - J'ai parfaitement saisi le projet de loi. Je n'ai pas dit que je ne le comprenais pas ; mais ce que je ne comprends pas, ce sont les incidents, les contradictions, les discussions compliquées qui se sont élevées autour de ce projet.

Ainsi, on a trouvé que le gouvernement avait manqué de prévoyance, qu'il s'était laissé aveugler ou tromper, et que des intérêts qui devaient être sauvegardés ne l'ont pas été.

Le vote à accorder au gouvernement ne devait donc être que conditionnel. (Interruption.) S'il ne s'était agi que de voter sans examen ni réserve, les millions que demande M. le ministre des finances, rien n'eût été plus clair, et l'on n'aurait pas discuté pendant trois semaines.

M. le ministre des finances vient de nous déclarer qu'il ne payera pas...

M. Bouvier. - Qu'il ne payera pas un sou.

M. Rogier. - Qu'il ne payera pas avant d'avoir tous ses apaisements sur les nouvelles ouvertures qui lui sont faites, soit ; mais que M. le ministre des finances fasse la convention et qu'il vienne la notifier à la Chambre en lui demandant de voter le projet de loi, ce sera l'affaire de vingt-quatre heures.

Messieurs, jusque-là je ne vois pas une bonne raison pour ne pas ajourner le vote ; si on ne l'ajourne pas, je voterai contre le projet de loi.

- Voix nombreuses. - La clôture !

M. Defuisseaux. - Messieurs, je n'ai que deux mots à dire, et dans cette discussion, où plusieurs orateurs ont tenu la parole pendent des heures, il me sera bien permis, je pense, de la tenir pendant quelques minutes.

Je partage complètement la manière de voir de M. Rogier ; ce qui m'a frappé, c'est que dans cette discussion déjà excessivement embrouillée et obscure, tous les jours un panorama nouveau se présentait à nous. Si nous avions reçu dès le principe les propositions que les Bassins houillers nous ont transmises aujourd'hui seulement, nous aurions pu prendre une résolution après mûre réflexion.

Pour moi, je ne puis pas accepter les conditions où l'on veut nous (page 536) placer, et de même que M. Rogier, si l'ajournement n'est pas prononcé, je voterai contre le projet.

- Voix nombreuses. - Aux voix !

- L'article premier est mis aux voix et adopté.

Articles 2 et 3

« Art. 2. Le gouvernement est autorisé à émettre un capital nominal en dette belge 4 1/2 p. c., de la 6ème série, dans les limites déterminées par la convention du 22 novembre, modifiée par celle du 19 décembre 1870. »

- Adopté. »


« Art. 3. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa publication. »

- Adopté.

Vote sur l’ensemblle

Il est procédé à l'appel nominal.

103 membres y prennent part.

67 répondent oui.

25 répondent non.

11 s'abstiennent.

En conséquence, la Chambre adopte.

Le projet de loi sera transmis au Sénat.

Ont répondu oui :

MM. Biebuyck, Coomans, Coremans, Cornesse, Couvreur, Cruyt, de Baets, de Baillet-Latour, de Borchgrave, de Clercq, de Dorlodot, de Haerne, de Kerckhove, Delaet, Delcour, De Lehaye, de Lhoneux, de Liedekerke, Demeur, de Moerman d'Harlebeke, de Muelenaere, de Naeyer, de Smet, de Theux, Dethuin, de Zerezo de Tejada, Drion, Drubbel, Gerrits, Hagemans, Hayez, Hermant, Houtart, Jacobs, Janssens, Jottrand, Kervyn de Lettenhove, Landeloos, Lefebvre, Lelièvre, Lescarts, Liénart, Moncheur, Mulle de Terschueren, Notelteirs, Rembry, Reynaert, Boyer de Behr, Schollaert, Simonis, Snoy, Tack, Van Cromphaut, Vanden Steen, Vander Donckt, Van Outryve d'Ydewalde, Van Overloop, Van Renynghe, Van Wambeke, Vermeire, Verwilghen, Amédée Visart, Léon Visart, Wasseige, Wouters, Ansiau et Vilain XIIII.

Ont répondu non : MM. Bergé, Boucquéau, Bouvier, Brasseur, d'Andrimont, Dansaert, David, De Fré, Defuisseaux, de Lexhy, de Macar, de Rossius, de Vrints, Dupont, Elias, Guillery, Muller, Rogier, Tesch, Vandenpeereboom, Van Iseghem, Vleminckx, Allard, Anspach et Balisaux.

Se sont abstenus : MM. Bara, Boulenger, Descamps, Dumortier, Frère-Orban, Funck, Jamar, Le Hardy de Beaulieu, Pirmez, Sainctelette et Van Humbeeck.

M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont priés d'en faire connaître les motifs.

M. Bara. - Je me suis abstenu pour les motifs donnés tout à l'heure par l'honorable M. Frère.

M. Boulenger. - Je me suis abstenu pour des motifs de convenance personnelle que j'ai fait connaître précédemment à la Chambre.

M. Descamps. - Je me suis abstenu pour les motifs donnés par l'honorable M. Frère.

M. Dumortier - Lorsque la convention du 25 avril a été présentée à la ratification de la Chambre, vous vous rappellerez, encore, messieurs, que je l'ai vivement combattue en faisant voir le double danger qu'elle offrait pour le trésor public et pour les intéressés, obligataires ou créanciers des sociétés qui traitaient avec l'Etat. Plusieurs orateurs ont, dans la discussion actuelle, fait allusion aux paroles que j'ai prononcées dans cette circonstance.

Dans cet état de choses, vous comprenez, messieurs, qu'il m'était bien difficile de voter aujourd'hui une loi qui est la ratification de celle que j'ai combattue.

- Voix à droite. - Non, l'application !

M. Dumortier. - Mais, d'un autre côté, je ne pouvais pas voter contre le projet parce que le ministère, qui a toute ma confiance, n'a pas fait autre chose que ce qu'il ne pouvait pas s'abstenir de faire en vertu de cette convention. Il ne pouvait pas agir autrement qu'il n'a fait ; ce qu'il a fait, il devait le faire, et on a eu grand tort de vouloir faire retomber sur lui une faute qui retombe exclusivement sur les auteurs de la convention du 25 avril. Pour moi, cette convention a été très mauvaise ; son but a été électoral ; et c'est pourquoi je me suis abstenu dans cette discussion.

M. Frère-Orban. - Messieurs, j'ai donné les motifs de mon abstention au commencement de. la séance et je m'y réfère.

Deux mots maintenant sur une allégation de l'honorable M. Dumortier. L'honorable membre prétend que ce qui s'est passé est engendré par la convention du 25 avril 1870. J'ai dit et je pense avoir démontré que ce qui a eu lieu n'est nullement la conséquence de cette convention, et que la responsabilité en reste tout entière au cabinet actuel.

M. Funck. - Je me suis abstenu pour les mêmes motifs que l'honorable M. Frère.

M. Jamar. - Je me suis abstenu pour les mêmes motifs.

M. Le Hardy de Beaulieu. - Messieurs, je me suis abstenu pour les motifs que j'ai fait valoir lors du vote de la première loi. Je ne me crois pas, et je ne crois pas non plus à la Chambre le pouvoir d'associer les contribuables aux spéculations de. la compagnie des Bassins houillers.

M. Pirmez. - J'ajouterai deux mois aux motifs d'abstention de M. Frère.

Je ne vote pas pour le projet, parce qu'il se rattache à une combinaison qui a pour but de régler une situation qui fut repoussée par mes collègues et moi lors de la convention du 25 avril, situation créée depuis malgré nos avertissements et dont la responsabilité incombe au ministère actuel.

Je ne vote pas contre, parce que le gouvernement reconnaît qu'il faut revenir sur la situation créée depuis son avènement aux affaires qu'il a fait de grands efforts dans ce sens, parce qu'il présente la loi comme un moyen de revenir a ce dont on n'eût pas dû s'écarter et qu'il nous demande de ne pas substituer notre responsabilité à la sienne. Je ne veux pas être un obstacle à ce qui a été fait soit réparé.

M. Sainctelette. - Je n'ai pas voté pour le projet de loi parce que je n'ai pas voulu, par mon vote, ratifier la création, sans conditions, de la caisse d'annuités, création qui n'est pas conforme à la convention du 25 avril 1870

Je n'ai pas voté contre, parce qu'il me paraît juste de laisser au gouvernement toute la responsabilité de la situation qu'il s'est faite.

M. Van Humbeeck. - Messieurs, dans le cours de la discussion, on nous a fait connaître qu'il s'est établi entre le gouvernement et la société des Bassins houillers un accord sur des principes dont l'application est de nature à taire disparaître toutes les critiques ; dès lors, je ne pouvais voter contre le projet de loi. D'un autre côté, je ne pouvais pas voter pour le projet de loi, attendu que ce vote affirmatif aurait été, de ma part, l'approbation, dès à présent, des conventions qui sont à faire, conventions qui me sont parfaitement inconnues et qui doivent appliquer d’une manière plus ou moins complète, plus ou moins heureuse, les principes sur lesquels on est tombé d'accord.

Projet de loi allouant un crédit spécial de 6,500,000 francs au budget du département des travaux publics

Discussion générale

M. Wasseige, ministre des travaux publics (pour une motion d’ordre). - Messieurs, il existe à l'ordre du jour un projet de loi dont l'urgence est extrême : c'est la demande du crédit spécial de 6,500,000 francs destiné à augmenter le matériel du chemin de fer.

Toul le monde est parfaitement d'accord, la section centrale l'a adopté à l'unanimité, l'honorable rapporteur demande lui-même que le projet soit voté aujourd'hui.

- La discussion générale est ouverte.

M. Coomans. - Je demande la parole.

M. le président. - M. Le Hardy l'a demandée.

M. Vandenpeereboom. - Il en a pour deux heures !

- Voix nombreuses. - A mardi !

M. Le Hardy de Beaulieu. - M. le président, je ferai remarquer à la Chambre que le Sénat n'est pas convoqué ; par conséquent, nous avons le temps devant nous.

Le projet dont il s'agit est d'une très grande importance. Je n'ai pas l'intention de le discuter à fond, mais je dois demander à M. le ministre des travaux publics un assez grand nombre d'explications qu'il ne pourra nous refuser, à moins de forcer la Chambre à voter en aveugle.

(page 537) - Voix nombreuses. - A mardi !

M. Le Hardy de Beaulieu. - Je propose donc de remettre la discussion à mardi, car il est évident que si nous l’entamons immédiatement, nous n’aboutirons pas aujourd’hui, à moins d’avoir une séance du soir.

M. Coomans. - Je prie l'honorable ministre des travaux publics de consentir à l'ajournement de la discussion à mardi ; il n'y a pas péril en la demeure. Pour ma part, j'ai quelques observations essentielles à présenter et je crois que d'autres membres en ont également. Il y a des millions en jeu ; à mardi donc !

M. Wasseige, ministre des travaux publics. - Je ne m'y oppose pas.

- La séance est levée à 4 heures et demie.