(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1870-1871)
(Présidence de M. Vilain XIIII.)
(page 485) M. Wouters procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. de Borchgrave donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.
M. Wouters présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Les instituteurs du canton de Florennes demandent une augmentation de traitement proportionnée à leurs années de service et prient la Chambre de fixer les rétributions scolaires à un minimum de 12 francs par élève. »
« Même demande des instituteurs communaux du canton de Namur (Nord). »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le conseil communal de Zoerleparwys demande le maintien des commissaires d'arrondissement. »
« Même demande des conseils communaux de Rethy, Veerle, Vlimmeren, Lille-Saint-Pierre et Poederlé. »
- Même renvoi.
« Des habitants d'une commune non dénommée demandent la mise en liberté des soldats français fugitifs de Prusse et arrêtés en Belgique ou amenés blessés sur le territoire belge par les événements de la guerre et désarmés sans résistance à la frontière. »
« Même demande d'habitants de Liège. »
- Même renvoi.
« La dame Mathys demande que son mari, milicien de la levée de 1865, brigadier au 2ème régiment d'artillerie, soit renvoyé dans ses foyers. »
- Même renvoi.
« La dame de Vlaminck demande un congé pour son mari, milicien de la levée de 1864, appartenant au 3ème régiment d'artillerie, en garnison à Gand. »
M. Bouvier. - Je demande le renvoi de cette pétition ùàla commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport.
- Adopté.
« L'administration communale de Nieuport réclame l'intervention de la Chambre pour que le concessionnaire du chemin de fer de Lichtervelde à Thielt soit mis en demeure de remplir ses engagements. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« L'administration communale de Nieuport demande que le concessionnaire du chemin de fer de Nieuport à Audenarde soit mis en demeure de construire la section de Dixmude à-Roulers. »
- Même renvoi.
« Les membres de l'administration communale et des habitants de Patgnies prient la Chambre d'autoriser la concession au sieur Grangier d'un chemin de fer d'Agimont à Athus. »
- Même renvoi.
« Des instituteurs pensionnés sur les fonds de la caisse provinciale de prévoyance du Luxembourg prient la Chambre de décider que toutes les pensions liquidées avant le 31 décembre 1870 seront élevées à la moyenne des pensions allouées par la caisse générale pendant le cours de l'année 1871. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi instituant une caisse générale de prévoyance des instituteurs primaires.
« Les instituteurs du canton de Florennes proposent des mesures pour améliorer la position des instituteurs primaires.
« Même pétition d'instituteurs à Olne, Virton, et des cantons de Namur (nord) et de Herck-la-Ville. »
- Même renvoi.
(page 486) « Le sieur Borremans, instituteur pensionné, demande que le bénéfice de la loi relative à la révision des statuts de la caisse de prévoyance des instituteurs primaires soit étendu aux instituteurs pensionnés. »
- Même renvoi.
« Le sieur Marissens, surveillant à l'athénée de Liège, prie la Chambre de voter au budget de l'intérieur l'allocation nécessaire pour augmenter le traitement des surveillants de l'athénée de Liège. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur.
« Le sieur Van der Biest demande l'enseignement obligatoire pour tous les Belges de 6 à 14 ans. »
« Même demande d'instituteurs à Bevere. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner la proposition de loi relative à l'enseignement primaire obligatoire.
« Les bourgmestres du canton de Nederbrakel proposent des modifications à la loi du 18 février 1845 sur le domicile de secours. »
« Même pétition des bourgmestres du canton d'Eecloo. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur une pétition relative au même objet.
« Des habitants de Bruges demandent le vote à la commune pour toutes les élections. »
« Même demande d'habitants de Vlesembeke. »
- Renvoi à la section centrale pour le projet de loi sur la réforme électorale.
« M. le ministre de l'intérieur adresse à la Chambre 126 exemplaires du volume contenant les résultats du recensement général au 31 décembre 186, en ce qui concerne la population. »
- Distribution et dépôt à la bibliothèque.
« M. le ministre de la guerre fait hommage à la Chambre d'un exemplaire d'une nouvelle carte du pays qu'il a fait dresser par le dépôt de la guerre pour en donner un exemplaire à tous les officiers de l'armée. »
- Dépôt à la bibliothèque.
« Des habitants de Roche à Frêne demandent que ce village soit détaché de la commune de Harre et réuni à celle de Villers-Saitec-Gertrude. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le lieutenant général comte Duval de Beaulieu, président et le capitaine Wagenaere, secrétaire de la société générale des officiers pensionnés, demandent que la commission soit invitée à faire, dans le plus bref délai possible, son rapport sur la question des pensions militaires. »
M. Bouvier. - Je demande le renvoi de cette pétition à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport.
- Adopté.
« Le sieur Belche, de Bertrix, demande qu'il soit donné suite à la pétition par laquelle il se plaint d'être exclu du droit de suffrage. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des instituteurs à Bevere demandent que le projet de loi instituant une caisse générale de prévoyance des instituteurs primaires oblige l'Etat, la province et la commune à contribuer à la caisse des pensions pour les instituteurs dans la même proportion qu'à celle des secrétaires communaux. »
- Renvoi à la section centrale, chargée d'examiner le projet.
« M. le ministre de la justice transmet à la Chambre, avec les pièces de l'instruction, la demande de naturalisation du sieur Buost. »
- Renvoi à la commission des naturalisations.
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M. de Haerne, retenu par une indisposition, demande un congé.
M. Van Hoorde, retenu par une indisposition, demande un congé de huit jours.
M. Boucquéau, ne pouvant se trouver au commencement de la séance, demande un congé.
- Ces congés sont accordés.
M. de Macar. - Messieurs, dans la séance de samedi, le bureau a analysé une pétition par laquelle l'administration communale et des habitants de Vieuxville demandent l'érection de la chapelle de cette commune en succursale.
J'étais en section centrale, messieurs, au moment où cette pétition a été analysée. Je n'ai pu, par conséquent, demander un prompt rapport.
Il est très urgent, messieurs, que les besoins du culte soient satisfaits dans cette commune, qui est depuis très longtemps en instance pour obtenir cette succursale.
- Le prompt rapport est ordonné.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre divers projets de lois portant :
1° Nouvelle délimitation des communes d'Anvers et de Merxem ;
2° Réunion du hameau de Dambrugge au territoire d'Anvers ;
3° Erection des hameaux de Bressoux, Robermont et Trou-Louette (Grivegnée) en commune distincte sous le nom de Bressoux.
- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ces projets qui seront imprimés, distribués et renvoyés à l'examen d'une commission qui sera nommée par le bureau.
M. Bouvier. - Messieurs, j'ai eu l'honneur d'adresser à M. le ministre de la guerre, sous forme d'interpellation, une lettre conçue dans les termes suivants :
« Monsieur le ministre,
« Un armistice de trois semaines vient d'être signé à Versailles le 28 de ce mois entre les deux grandes puissances belligérantes voisines de nos frontières.
« Cette convention sera, il faut l'espérer dans l'intérêt de l'humanité, le précurseur d'une paix prompte et durable.
« En présence de cet acte, j'aurai l'honneur de vous interpeller dans la séance de demain, mardi, sur le point de savoir si vous trouvez quelque inconvénient à renvoyer dans leurs foyers, au moins pendant la durée de cet armistice, le plus grand nombre de miliciens possible dont les bras sont si utiles à leurs familles.
« Vous voudrez bien ; à cette occasion, fournir à la Chambre quelques éclaircissements sur les motifs qui vous ont déterminé à rappeler tout récemment quatre classes de l'armée sous les drapeaux. Ces explications seront en quelque sorte le commentaire obligé de projet de loi récemment déposé sur le bureau de la Chambre ouvrant à votre département un nouveau crédit supplémentaire de cinq millions..
« Recevez, monsieur le ministre, l'assurance de ma haute considération.
« Bouvier-Evenepoel. »
J'attendrai, messieurs, les explications de l'honorable ministre pour y répondre s'il y a lieu.
M. le président. - Messieurs, l'honorable ministre de la guerre est indisposé.
J'ai eu l'honneur de le voir avant-hier et j'ai eu avec lui une conversation précisément sur le sujet dont il vient d'être question.
L'honorable ministre m'a demandé d'interrompre les travaux de la section centrale sur le projet de loi de 5 millions ; il m'a fait espérer qu'il y aura une diminution considérable à demander.
M. Bouvier. -Je viens confirmer les paroles de notre honorable président. M. le ministre de la guerre m'a fait l'honneur de me répondre par une lettre d'hier, dans laquelle il me dit qu'un membre du gouvernement répondra aux deux objets qui font l'objet de l'interpellation.
M. d'Anethan, ministre des affaires étrangères. - Messieurs, je réponds immédiatement à l'interpellation que l'honorable M. Bouvier vient d'adresser au gouvernement.
L'honorable membre a posé deux questions. Il a demandé, d'abord, pour quels motifs le gouvernement a rappelé quelques classes de milice sous les armes ; il a demandé ensuite, si, en présence de l'armistice qui vient d'être conclu, le gouvernement ne trouve pas convenable de renvoyer dans leurs foyers la plupart au moins des miliciens qui ont été récemment rappelés sous les drapeaux.
Voici ma réponse à ces deux questions.
Après les événements de Sedan et lorsque les troupes belligérantes, s'éloignant de nos frontières, avaient pris la direction de Paris, le gouvernement s'est empressé de diminuer l'effectif de l'armée et de renvoyer dans leurs foyers 35,000 hommes.
L'armée, ainsi réduite, avait encore à pourvoir à des services nombreux : elle avait à observer et à protéger nos frontières sur une étendue de 50 à 60 lieues ; elle avait à seconder les mesures prises pour empêcher l'invasion de la peste bovine qui nous menaçait ; elle avait, en outre, à prêter son concours à la douane chargée de s'opposer aux exportations d'armes et de munitions de guerre vers les pays belligérants.
L'armée devait de plus surveiller six dépôts d'internés, et l'on reconnaîtra que pour rendre impossibles les évasions qui ont été tentées à maintes reprises, il est indispensable d'avoir des forces assez nombreuses dans les différentes localités où les prisonniers sont détenus.
Enfin, il fallait conserver des garnisons dans plusieurs villes, et les faits ont prouvé cette nécessité.
(page 487) A Gand, notamment, lorsque la garnison est partie pour se rendre aux frontières, et que le service de garnison a été imposé à la garde civique, les plus vives réclamations se sont immédiatement élevées et l'on a été obligé d'envoyer à Gand d'autres bataillons pour remplacer ceux qui en avaient été momentanément éloignés.
Telle était la situation quand de nouveaux mouvements des belligérants et les faits qui se produisaient ont obligé le gouvernement à prendre de nouvelles précautions : le siège de Longwy allait commencer, il y avait grande probabilité que le siège de Givet allait suivre ; il y avait de plus des incursions fréquentes de francs-tireurs qui avaient donné lieu à de nombreux incidents ; enfin, ce qui était plus grave, les armées française et allemande se rapprochaient de nos frontières, et il était à craindre qu'à la suite d'une bataille qui paraissait alors imminente, l'armée vaincue ne fût rejetée sur notre territoire.
Nous devions être prêts pour cette éventualité ; nous, devions, comme après Sedan, être en mesure de désarmer l'armée qui entrerait en Belgique et de l'interner. Si nous avions été impuissants à le faire, il était à craindre que cette armée ne fût poursuivie par l'armée victorieuse et que notre territoire ne devînt ainsi le théâtre de la guerre, ce que nous avions le devoir d'empêcher, et le plus grand intérêt à éviter.
Ce n'était pas une crainte vaine, car vous savez tous ce qui s'est passé récemment en Suisse, où une partie de l'armée française a été forcée de se réfugier.
Ce qui a eu lieu en Suisse pouvait se passer en Belgique et nous avions des renseignements, que je ne puis communiquer à la Chambre, qui étaient de nature à nous faire penser que le même mouvement qui s'est opéré du côté de la Suisse se serait opéré également du côté de la Belgique et nous aurait mis dans la situation où la Suisse se trouve maintenant, situation à laquelle elle a pu pourvoir grâce aux troupes nombreuses qu'elle a rassemblées sur ses frontières, en vue des événements.
Nous avions donc un devoir impérieux à remplir en présence d'une pareille situation, nous l'avons rempli en rappelant sous les armes un certain nombre de miliciens, car, vous le comprendrez, il était impossible de dégarnir aucun des points que j'ai mentionnés tout à l'heure, de renoncer à aucun des services dont je vous ai signalé la nécessité.
Nous avons en conséquence dû renforcer l'armée et rappeler quelques classes de. miliciens, non pas 50,000 hommes, comme on l'a dit, mais entre 12,000 et 13,000. Voilà les seuls contingents qui ont été rappelés et ils ont été rappelés par le seul motif que je viens d'indiquer. J'insiste sur ce point que c'est là le seul motif qui a déterminé le gouvernement à rappeler les miliciens.
J'insiste, dis-je, parce que l'on a voulu rattacher ce rappel à la découverte d'un prétendu complot d'évasion formé par des prisonniers français internés en Allemagne.
Nous avons, il est vrai, reçu quelques renseignements venus d'une source respectable et qui pouvaient faire supposer l'existence d'un semblable complot et de dépôts d'armes en Belgique destinés à ces prisonniers.
Nous n'avons pas négligé ces renseignements ; ils nous ont engagés, comme c'était notre devoir, à prendre des précautions, à redoubler de vigilance, et à ordonner une surveillance active.
Ces mesures, pour lesquelles les moyens de police et l'aide des troupes en garnison suffisaient, nous défendaient de dégarnir le pays d'aucun côté, pour renforcer l'armée aux frontières ; il fallait donc nécessairement augmenter, par le rappel de quelques classes, sa force numérique ; mais, je le répète, ce prétendu complot n'a motivé en rien le rappel des miliciens ; et j'espère que ce démenti catégorique coupera court aux bruits qu'on s'est plu à répandre à ce sujet.
Je crois, par ces courtes explications, avoir satisfait à la première demande de l'honorable M. Bouvier.
La seconde question faite par l'honorable membre est celle de savoir si le gouvernement a l'intention de renvoyer des miliciens dans leurs foyers.
Il est évident que si l'armistice qui vient d'être conclu à Paris est accepté par les armées belligérantes, le gouvernement s'empressera de renvoyer chez eux les miliciens, rappelés pour les éventualités qui ne se sont heureusement pas réalisées.
Dans cette hypothèse, ainsi que M. le président l'a dit tout à l'heure, M. le ministre de la guerre réduira, dans les proportions qu'il indiquera à la section centrale, la demande de crédit qu'il a faite.
Le gouvernement sera heureux de diminuer les charges que les circonstances ont imposées au pays ; mais, de même qu'il n'hésitera pas à entrer dans une voie de réduction, du moment qu'elle sera possible et compatible avec les devoirs de la neutralité scrupuleusement et impartialement pratiqués, de même il n'hésitera pas à faire, avec confiance, appel au patriotisme de la Chambre, si, ce qu'à Dieu ne plaise, les circonstances rendaient de nouveaux sacrifices nécessaires pour maintenir notre position et pour sauvegarder notre indépendance.
M. Bouvier. - Messieurs, je n'ai jamais marchandé mon loyal concours pour voter toutes les sommes réclamées pour les besoins de l'armée et la défense de mon pays. Je reste dans les mêmes sentiments, prêt à voter les crédits nécessaires à la satisfaction de ce grand intérêt, répudiant l'exemple de certains membres de l'ancienne minorité assis sur les bancs mêmes du ministère.
Mais l'honorable ministre des affaires étrangères n'a pas entièrement répondu à mon attente. Ainsi que je l'ai dit dans ma lettre à M. le ministre de la guerre, un armistice vient d'être conclu ; il est à désirer qu'une paix longue et durable suive cette trêve.
L'armistice suspend les hostilités ; en présence de cette suspension, ne serait-il pas possible de renvoyer les classes récemment rappelées, sous la condition de les réintégrer si la conclusion de la paix ne vient pas couronner cet armistice ?
Le moyen que j'indique est d'autant plus facile à employer que nous disposons en Belgique, dont le territoire a peu d'étendue, de nombreux chemins de fer, de la télégraphie et d'un bureau de mobilisation au département de la guerre, qui permettent la concentration des troupes sur tous les points déterminés, dans un délai très rapproché.
Il me semble que nous n'avons pas besoin, alors surtout qu'il y a un armistice et que la guerre s'éloigne de nos frontières, nous n'avons pas besoin, dis-je, d'arracher à leurs foyers un si grand nombre de miliciens indispensables à leurs familles et utiles à l'industrie, alors qu'il nous reste des forces militaires suffisantes pour couvrir nos frontières. Il ne faut pas en abuser, car elles seront d'autant mieux disposées qu'elles savent qu'on ne fait appel à leur dévouement patriotique qu'en cas de nécessité et de danger pour la patrie.
Le gouvernement avait compris, il y a peu de temps, la nécessité de renvoyer dans leurs familles une grande partie de nos miliciens. Aujourd'hui, il les a rappelés alors que nous voyons, dans plusieurs de nos villes de la Belgique, des régiments de cavalerie dont l'emploi serait plus utile sur les frontières que dans ces grands centres, oh leur utilité me semble fort contestable.
Ainsi on parle du Luxembourg.
Pourquoi ne pas jeter sur l'extrême frontière quelques corps mobiles composés de cavalerie, d'artillerie à cheval ayant un petit état-major dirigeant les mouvements dans un rayon déterminé ?
M. d'Anethan, ministre des affaires étrangères. - Cela y est.
M. Bouvier. - Cela y est, mais il y a trop de fantassins et pas assez de cavalerie ni d'artillerie.
Ainsi, je puis parler en parfaite connaissance de cause de ce qui se passe dans l'arrondissement que j'ai l’honneur de représenter tout particulièrement dans cette Chambre. Dans l'arrondissement de Virton, comme je viens de le dire, il y a beaucoup de fantassins et très peu de cavalerie et point d'artillerie. L'état-major y fait défaut.
C'est, selon moi, le contraire qu'il eût fallu faire. J'appelle toute l'attention de l'honorable ministre de la guerre sur ce point capital. Il me semble qu'il faut être circonspect lorsqu'il s'agit d'arracher à leurs familles un si grand nombre de miliciens, lorsqu'il s'agit de renforcer un effectif coûteux qui nécessite des crédits importants dont les contribuables, que nous ne devons jamais oublier dans cette enceinte, auront à supporter tout le poids.
Ce n'est pas en vue de faire de l'opposition que j'ai demandé à interpeller l'honorable ministre de la guerre, mais uniquement déterminé par le vif désir d'être utile à l'armée, dont j'ai toujours défendu les intérêts et dans le but de soulager la nation et le trésor public tout en sauvegardant la défense du pays.
M. d'Anethan, ministre des affaires étrangères. - Il me semble que nous sommes parfaitement d'accord avec l'honorable M. Bouvier, qui trouve néanmoins que ma réponse n'a pas été satisfaisante.
M. Bouvier. - Je n'ai pas dit cela ; j'ai dit qu'elle n'était pas complètement satisfaisante.
M. d'Anethan, ministre des affaires étrangères. - Elle ne vous paraît pas complètement satisfaisante. Eh bien, je vais tâcher de donner cette fois à M. Bouvier satisfaction complète.
Je disais que nous étions parfaitement d'accord avec M. Bouvier. L'honorable membre dit en effet : Il y a un armistice, pendant l'armistice renvoyez au moins les militaires chez eux : vous n'en avez pas besoin. Je (page 488) suis parfaitement du cet avis, mais pour cela il faut que l'armistice existe réellement,
Or, qu'y a-t-il jusqu'ici ? Il y a un armistice conclu à Paris ; mais l'honorable membre n'ignore pas ce qui se passe à Bordeaux et dans d'autres villes de la France. Peut-il nous garantir que l'armistice sera accepté par toutes les armées françaises ? Sait-il quel accueil y fera l'armée qui se trouve non loin de nos frontières ? Le gouvernement a une grave responsabilité ; il doit veiller à la sécurité du pays, il doit donc être libre d'apprécier les événements et d'agir en conséquence. Je donne à la Chambre l'assurance que dès que nous aurons la certitude que l'armistice existe réellement, c'est-à-dire qu'il est accepté et respecté, que dès cet instant nous n'attendrons pas un jour pour renvoyer les miliciens chez eux. Je puis même déclarer à l'honorable M. Bouvier que les ordres sont préparés et qu'ils seront expédiés dès que les prévisions d'armistice seront réalisées.
L'honorable M. Bouvier s'est ensuite occupé de la manière dont les troupes sont réparties sur la frontière du Luxembourg.
Je regrette l'absence de mon collègue de la guerre, qui aurait pu répondre beaucoup mieux que moi aux observations de l'honorable M. Bouvier. Mais je dois cependant lui dire que si dans son arrondissement il n'y a pas de cavalerie, il y en a beaucoup sur tous les autres points de la frontière, où se trouvent environ trente ou même trente-deux escadrons. Je crois, messieurs, que ces troupes sont réparties d'une manière très intelligente, de façon à rendre de grands services suivant les circonstances et les nécessités auxquelles elles ont à pourvoir.
Il y a au département de la guerre une carte parfaitement bien faite et qui indique la place qu'occupent les différents corps sur la frontière.
Je prie l'honorable M. Bouvier, s'il en a le loisir, d'aller au département de la guerre, où l'on s'empressera de lui montrer cette carte, et il se convaincra alors que les mesures sont prises d'une manière entièrement satisfaisante et quant au service et quant à l'emplacement des troupes.
- L'incident est clos.
M. le président. - La Chambre a chargé le bureau de nommer la commission chargée d'examiner le projet de loi ayant pour but la création d'un nouveau canton de justice de. paix ayant Dison pour chef-lieu.
Le bureau a composé cette commission de MM. Delcour, de Lhoneux, Simonis, David et Pety de Thozée.
M. Le Hardy de Beaulieu (pour une motion d’ordre) - Messieurs, je fais cette motion avant la reprise de la discussion à l'ordre du jour, à cause de la connexité intime que la question que je vais faire à M. le ministre des finances a avec cette discussion.
Je demanderai à l'honorable ministre s'il est informé que, dans son assemblée générale d'hier, la société de la Jonction de l'Est a refusé de ratifier le contrat provisoire qui liait cette société vis-à-vis des Bassins houillers pour l'exécution de la convention du 25 avril. Je demanderai encore à l'honorable ministre s'il peut, dans le cours de la discussion, nous dire quelle influence ce rejet pourra avoir sur l'exécution du traité lui-même et particulièrement sur l'exploitation de la ligne du chemin de fer de la Jonction de l'Est. Cette question, M. le ministre le comprendra facilement, intéresse au plus haut degré mon arrondissement et particulièrement les villes de Nivelles, Genappe et Wavre, qui se trouvent sur le parcours de ce chemin de fer.
M. Jacobs, ministre des finances. - Nous sommes, en effet, informés qu'à la date d'hier, l'assemble générale du chemin de fer de la Jonction de l'Est s'étant réunie, a rejeté la ratification qui lui était demandée de la convention du 25 avril.
Nous pensons, messieurs, que, si même nous ne prenions pas possession de la ligne de la Jonction de l'Est, néanmoins la convention du 25 avril pourrait s'exécuter entièrement pour le reste des voies reprises.
Il est avéré, pour le département des travaux publics, que la ligne de Manage à Wavre est une des mauvaises lignes. Le seul fait qu'elle a un minimum d'intérêt en est la preuve. Elle est au-dessous de la moyenne et, si cette ligne se trouvait définitivement exclue de la convention du 25 avril, il y aurait, en réalité, bénéfice pour l'Etat, puisqu'une des mauvaises lignes tiendrait à sortir de ses mains, et bénéfice pour toutes les autres compagnies qui se trouveraient privées d'un mauvais associé.
Cependant, je dois déclarer que, s'il faut interpréter le contrat en ce sens qu'il n'est qu'une simple sous-location, nous aurions le droit de nous passer complètement de la ratification de cette compagnie et de prendre possession de ses lignes.
Il y aurait un simple bail repris par nous ; l'assentiment du bailleur n'est pas exigé ; à cet égard, aucune réserve n'a été faite pour la Jonction dans le bail ; de sorte que, si la convention du 25 avril est une simple sous-location, ce sur quoi j'aurai à m'expliquer dans le cours de la discussion, nous pourrions exécuter la convention tout entière, y compris cette ligne, sans même le consentement de cette compagnie.
M. Tesch. - Les journaux annoncent que de nouvelles communications seront faites aujourd'hui à la Chambre, à propos de la loi en discussion. Je ne sais pas ce qu'il y a de vrai dans cette nouvelle. Mais s'il en est ainsi, je crois qu'il serait utile que le gouvernement fit immédiatement cette communication.
M. Jacobs, ministre des finances. - Voici ce qui en est à cet égard.
Il n'y a pas, à proprement parler, de nouvelles propositions faites. Mais la Chambre le sait, ce qui avait effrayé les obligataires, c'était la prétention des Bassins houillers de pouvoir disposer librement des annuités représentatives des anciennes lignes.
Ce à quoi l'on a tenu dans ce que l'on a cherché à obtenir des Bassins houillère, n'importe le moyen, c'a été l'indisponibilité de ces annuités. La société a déclaré dès l'origine qu'elle consentait à rendre ses annuités indisponibles si le matériel était payé au comptant et si le gouvernement accordait son visa. Une première combinaison d'exécution a été consentie entre les Bassins houillers et le gouvernement, mais dès ce moment déjà la société des Bassins houillers a déclaré au gouvernement que, quant à la forme à laquelle il faudrait recourir pour rendre les annuités indisponibles, elle lui donnait carte blanche.
Différentes critiques ont été élevées contre la combinaison première. On a fait entrevoir ce qui pourrait arriver en cas de faillite des Bassins houillers, le gage séquestré entre nos mains étant alors le gage commun de tous les créanciers au lieu d'être le gage spécial des obligataires.
La société des Bassins houillers a répondu à ces critiques en déclarant que, quel que fût le mode de garantie adopté par le gouvernement, elle s'y soumettait d'avance. Nous en avons conféré avec les avocats du département et nous aurons à faire connaître à la société notre résolution définitive lorsque nous serons certains que la convention devra être exécutée par suite du vote de la Chambre. Dès à présent la société des Bassins houillers approuve ce que décidera le gouvernement, soit une délégation aux sociétés concessionnaires, soit un contrat de gage à leur profit, soit la combinaison primitive, soit toute autre chose encore, et elle remettra, en attendant, les titres d'annuités entre les mains de l'Etat en renonçant à en disposer de quelque manière que ce soit.
Pour éviter au gouvernement même l'embarras du choix, elle compte faire convoquer incessamment les assemblées générales de toutes les compagnies et leur proposer de leur donner, soit par voie de délégation, soit par voie de gage, un certain nombre d'annuités à chacune d'elles et, en échange de cette garantie, en échange du visa du gouvernement, elle leur demandera, dès à présent, de considérer le gouvernement comme locataire direct des lignes si les Bassins houillers faisaient défaut ; de sorte que jamais, tant que le gouvernement exécutera la convention du 25 avril, le contrat ne pourra être rompu. Ce sera un bail conféré d'avance au gouvernement par les différentes sociétés. En cas de faillite, le contrat tomberait dans la masse et les différentes sociétés s'en partageraient les bénéfices.
Ce qui m'a frappé, messieurs, dans cet arrangement, c'est qu'il met le contrat absolument à l'abri d'une action résolutoire quelconque. Il importe d'atteindre ce résultat et lorsque M. Bara en a parlé dernièrement, il n'a pas fait ressortir suffisamment quels pourraient être pour l'Etat les inconvénients d'une rupture.
Ainsi, messieurs, une fois les lignes remises à l'Etat, tous les agrandissements, d'après la convention, sont à la charge de l'Etat. S'il y a lieu d'établir des doubles voies sur certains parcours, s'il faut agrandir des stations, c'est à l'Etat de le faire.
L'établissement des plates-formes, des excentriques, toutes les améliorations en un mot sont à la charge de l'Etat. Si le contrat était rompu après que des millions auraient été dépensés, quelle serait la position de l'Etat ? Il n'y a aucune stipulation de la convention du 25 avril qui lui donne droit à une indemnité. Se trouverait-il au moins dans le cas prévu par l'article 555 du Code civil ? Non, messieurs, car cet article prévoit le cas où l'on fait des constructions sur le sol d'autrui.
Or, comme ce serait sur son propre terrain qu'il aurait fait toutes ces dépenses, il n'aurait pas le droit de réclamer la plus-value qu'elles auraient produite.
C'est la crainte de cette éventualité qui a fait insérer dans les différents (page 489) contrats une stipulation par laquelle, en pareil cas, une indemnité est due ; dans le contrat de la Jonction de l'Est, notamment, on trouve une clause de ce genre. Mais dans le cas qui nous occupe, l'Etat pourrait se trouver avoir englouti des millions dont il ne retirerait pas un centime.
Ce danger est grand, messieurs ; il n'est pas le seul.
Des lignes ont été supprimées en vertu de l'article 17 ; ces lignes ressusciteraient en cas de rupture de la convention ; les concessionnaires primitifs, aujourd'hui dispersés, devraient se réunir, reprendre leur position d'autrefois et toutes les modifications faites depuis lors, y compris les travaux accomplis, devraient être considérées comme non avenues.
Il est un troisième point de vue sous lequel la résolution du contrat ferait infiniment préjudiciable, c'est le point de vue des populations qui réclament l'exécution des lignes nouvelles.
Si jamais il y a une crainte quelconque que le contrat puisse être résolu, je vous défie de trouver un entrepreneur disposé à construire les 600 kilomètres de lignes nouvelles.
La rémunération des Bassins houillers est une moyenne. Ils reçoivent un premier prélèvement de 7,000 francs par kilomètre sur la masse, puis 11,000 francs sont comptés à l'Etat, le surplus est partagé. Le calcul se fait sur l'ensemble des lignes.
Or, messieurs, si les bonnes lignes s'en vont par suite de l'action résolutoire, si les nouvelles nous restent seules entre les mains, il est certain que l'Etat rompra la convention vis-à-vis de ces lignes nouvelles, les mauvaises, comme des anciennes, les bonnes, l'ont rompue vis-à-vis de lui.
L'esprit du contrat serait complètement bouleversé si nous devions conserver les mauvaises lignes seules en leur donnant le prélèvement de 7,000 francs.
En cas de résolution du contrat, les lignes nouvelles étant construites par l’appât du prélèvement de 7,000 francs, les sociétés qui auraient construit en prévision d'un bénéfice que l'on chiffre à 20 et même 30 millions... (Interruption.)
Je vois que les honorables MM. Tesch et Brasseur me font des signes d'assentiment.
M. Frère-Orban. - Il y aura un bénéfice incontestablement, mais c'est là une exagération.
M. Jacobs, ministre des finances. - Mettons 15 millions. Ne discutons pas sur le chiffre. Les sociétés au lieu de ce bénéfice considérable et certain, n'auraient plus que le bénéfice aléatoire de l'exploitation, c'est-à-dire : zéro peut-être et, probablement, pas grand-chose. Pour elles, ce serait un désastre.
A tous les points de vue, il importe donc de mettre le contrat du 25 avril à l'abri d'une action en résolution.
Je pense pour ma part, messieurs, que les auteurs de la convention n'ont pas perdu de vue cette situation et qu'ils ont exigé, en demandant la ratification, une véritable renonciation à l'action résolutoire. Je le pense, parce que la prudence le leur commandait.
M. Bara. - C'est une fraude.
M. Jacobs, ministre des finances. - En aucune façon ; ce n'est pas là une aliénation frauduleuse, c'est un simple bail.
Ces sociétés eussent pu dire : Nous nous réunissons en syndicat, en association et nous prenons l'Etat comme locataire commun aux conditions du contrat du 25 avril.
Il n'y a pas là une vente, une aliénation, comme on l'a prétendu, attendu que le contrat est toujours résoluble, que l'action en résolution existe toujours, pour le cas où l'Etat ferait défaut à ses engagements.
La clause résolutoire aurait alors son effet et l'on verrait qu'il n'y a pas eu de vente.
M. Bara. - Ce n'est pas ce qui a été fait.
M. Jacobs, ministre des finances. - Je crois que c'est ce qui a été fait, parce que la prudence commandait de se mettre à l'abri de cette éventualité dont je viens de vous entretenir. (Interruption.)
Je pense que c'est pour cela que l'on a exigé la ratification. Ce qui ressort de tous les documents de la convention du 25 avril, c'est que l'on a voulu faire à cette époque un contrat définitif et irrévocable, tant que l'Etat l'exécute.
Dans le rapport de l'honorable M. Sainctelette, je lis en effet « qu'il éloigne définitivement » la concurrence des deux réseaux.
Or, messieurs, s'il ne fallait pas voir dans la stipulation qui exige la ratification, une demande de renonciation à l'action résolutoire, on n'aurait ni la situation qu'indiquait l'honorable M. Sainctelette, ni l'assurance de voir les lignes nouvelles se construire.
Nous trouvons également, dans le rapport de l’honorable membre, l’explication de l'article 62 qui demande l'acquiescement de la Société générale d'exploitation.
Que nous dit-il de l'article 62 ?
« En présence de cette déclaration (l'acquiescement), il n'y a pas lieu de se préoccuper du sort des conventions d'exploitation dont la plupart des chemins repris ont été l'objet entre les deux sociétés. »
On a voulu, par l'article 62, que tous ces contrats fussent balayés. Je suis d'avis que, par l'article 63, on a voulu également que les sociétés balayassent de même tous les contrats faits entre elles et les Bassins houillers, pour qu'ils ne puissent atteindre l'Etat. On a voulu écarter toutes les chances mauvaises, aléatoires, et faire un contrat absolument irrévocable dès que l'Etat l'exécutait.
Dans cette situation, la renonciation à l'action résolutoire des différentes compagnies n'est pas faite à titre gratuit, elle n'est que l'exécution stricte du contrat ; elle est la condition à laquelle l'Etat a subordonné la convention, et les avantages du contrat sont la contrepartie de la concession que font les sociétés en renonçant à cette action résolutoire.
Cette action résolutoire, la plupart des sociétés, je pourrais dire toutes, y ont renoncé ; quelques-unes ont réservé le droit des obligataires, mais qu'est-ce que ce droit quand les actionnaires renoncent au leur ? C'est l'action de l'article 1167 du Code civil, ce n'est plus l'action de l'article 1166. Celle-là est le droit de l'actionnaire ; s'il ne renonçait pas à celle-là, il ne renoncerait à rien du tout.
La réserve s'applique au droit propre de l'obligataire, à l'action de l'article 1167.
Or là il faut la fraude, et il faut la fraude concertée quand il s'agit d'un acte à titre onéreux ; il faudrait donc supposer que l'Etat eût participé à la fraude pour qu'un danger quelconque pût naître de cette réserve. La convention du 25 avril devrait être une œuvre de fraude pour être anéantie.
Ce qu'il y a d'avantageux, messieurs, dans l'ouverture qui m'a été faite par la société des Bassins houillers, je vais vous le dire. La renonciation à l'action résolutoire obtenue aurait beau être parfaitement valide, il est certain que, lorsque en plein Parlement des clauses de ce genre sont contestées avec autant de vivacité qu'elles l'ont été, les personnes prudentes se tiennent sur la réserve. Aucun entrepreneur ne se serait présenté pour faire les lignes nouvelles du moment que la question de savoir si la renonciation à la clause résolutoire est valide, était un point en contestation entre, les jurisconsultes de la Chambre,
On se dirait : Dans cet état il n'est pas prudent de traiter, car il se pourrait qu'un jour je fusse frustré de ce prélèvement de 7,000 francs par kilomètre ; je ne me lance donc pas dans une affaire pareille.
Il faut dès lors demander aux compagnies, cette fois-ci bien certainement à titre onéreux, non pas une renonciation dans la forme à l'action résolutoire, mais leur demander d'admettre dès à présent l'Etat comme locataire direct, en cas de défaut des Bassins houillers. Les compagnies primitives y trouveront leur avantage puisqu'elles obtiendront et de l'Etat et des Bassins houillers, soit par délégation, soit par gage, une quotité d'annuités dont elles se déclareront satisfaites. Voilà l'avantage pour elles ; l'avantage pour l'Etat, ce sera d'avoir un contrat qui ne pourra plus être mis en question puisque, dans le cas où les Bassins houillers viendraient à faire défaut, l'Etat lui succéderait dans son rôle de locataire. Enfin pour les populations il y aurait cet immense avantage qu'étant sorti d'incertitude, ayant une garantie complète que le contrat ne sera jamais rompu, on trouvera un entrepreneur pour exécuter les 600 kilomètres de lignes nouvelles.
Je crois donc qu'en présence de l'attitude des Bassins houillers, qui s'en remettent complètement au gouvernement, qui lui disent : « Quel que soit le mode que vous préfériez, je déclare d'avance que je l'accepte, et pour plus de sûreté je vais m'adresser à toutes les compagnies successivement pour leur offrir une délégation ou un gage, leur demandant en échange de ratifier le contrat de façon qu'il ne puisse plus être rompu. » Je crois que les Bassins houillers vont aussi loin qu'ils peuvent aller, qu'ils donnent satisfaction a tout le monde, et que, dans ces conditions,-il n'y aura plus de réclamations.
Je tiens à le déclarer en finissant : on a parlé plusieurs fois des embarras dans lesquels pouvait se trouver la société des Bassins houillers ;'je ne disconviens pas des difficultés de sa situation ; je ne prétends pas qu'il lui soit aisé de supporter le poids de la convention du 25 avril ; mais je pense qu'aidée par la Chambre dans la mesure de ce qui est juste et raisonnable, par le payement au comptant du matériel ou même d'une fraction du matériel qu'elle a créé de ses deniers, elle sera à même de faire face à toutes ses obligations.
Déjà un mois d'annuités aurait dû être payé ; nous ne l'avons pas payé par suite de l'état de négociations où nous sommes. Des (page 490) approvisionnements sont encore dus ; nous ne les avons pas payés, parce que la quotité exacte n'en a pas encore été établie ; et malgré cela, la société ne nous oppose pas la compensation éventuelle ; elle nous a fait, à la fin de janvier, le payement de 500,000 francs prévus par l'article 6 de la convention, plus 250,000 francs également prévus par l'article 5.
Cela vous montre, messieurs, que la société n'est pas précisément aux abois ; mais il faut lui faciliter sa tâche, si l'on veut qu'elle puisse exécuter ses obligations dans l'avenir comme dans le présent sans trop de difficultés.
(page 493) M. Frère-Orban. - Messieurs, de grands efforts ont été faits pour déplacer le terrain de la discussion.
Nous avons a examiner les actes du gouvernement ; on a pensé que, pour détourner l'attention des fautes graves qui ont été commises, rien n'était mieux que d'opérer une petite diversion en représentant la convention du 25 avril comme étant la cause de tous les maux. On n'y a guère réussi. A mesure que la discussion s'avance, on voit combien les actes dont nous avons à nous occuper sont étrangers à la convention du 25 avril.
A mesure que la discussion s'avance, nous voyons un spectacle nouveau et bien étrange se produire. C'est la convention du 25 avril qui est la cause de tous les maux. On a pu rompre la convention ; on s'en est abstenu. La compagnie des Bassins houillers n'exécutait pas les stipulations convenues, elle ne versait pas les sommes qui avaient été- promises, et le gouvernement accordait des délais. Le gouvernement a fait plus encore : il a donné lui-même les fonds nécessaires pour qu'on pût lui payer ce qui lui était dû ; car, messieurs, restituer les cautionnements qu'il possédait en garantie de l'exécution des chemins de fer, à la condition qu'un lui payât la somme stipulée par la convention, c'était bien se payer avec son propre argent.
Aujourd'hui, messieurs, on nous apprend que la compagnie de la Jonction de l'Est refuse de ratifier le contrat. On pourrait peut-être saisir l’occasion de déclarer que le contrat étant indivisible, comme il l'est en effet, on n'est pas tenu de l'exécuter pour une partie seulement. Mais non ; on s'attache à démontrer qu'il importe de le maintenir, même s'il est mutilé, tant on a peur d'en perdre le bénéfice. Il faut conserver cette convention ; l'intérêt de l'Etat et des populations l'exige : avouez, messieurs, que cette convention, cause de tous les maux hier, dont on pouvait se débarrasser aisément, fait aujourd'hui assez bonne figure dans la discussion.
Si elle ne servait pas les intérêts de l'Etat, des particuliers, des populations et même de la société des Bassins houillers, si la convention du 25 avril n'avait pas toutes ces qualités, concevrait-on les efforts que M. le ministre des finances vient de faire encore pour nous démontrer qu'en toute hypothèse, vînt-on à ne pas ratifier la convention de la Jonction de l'Est, y eût-il d'autres difficultés encore, on trouverait bien le moyen de conserver cette fameuse convention.
Je n'en veux pas davantage pour triompher des critiques qui ont été dirigées contre la convention du 25 avril.
Cependant on ne s'est pas fait faute d'incriminer nos intentions et nos actes. On s'est livré, à cette occasion, à beaucoup d'attaques qu'à raison de l'attitude que l'opposition prenait dans cette affaire, il eût été peut-être prudent, convenable, en tous cas, habile surtout de ne pas introduire dans le débat.
On vous a dit que la convention avait été conclue avec précipitation, dans deés vues politiques ; qu'elle avait été apportée à la Chambre au dernier jour de la session précisément parce qu'on voulait éviter qu'il y eût une discussion, pour peser sur les opérations électorales avec tout le prestige de cette convention. On a ajouté que, dans des vues moins avouables encore, on avait établi autour de la convention la conspiration du silence.
Messieurs, je le dirai franchement, il est fâcheux que des actes de cette importance soit discutés par les Chambres à une époque rapprochée de la clôture des sessions, et lorsque au moins on peut présumer que l'attention n'est pas suffisamment portée sur l'examen de ces actes ; mais si je puis sous ce rapport concéder l'expression d'un regret légitime dans toute son étendue, je pose en même temps une question de bonne foi.
D'abord, il s'est écoulé quinze jours entre le dépôt du projet de loi et sa discussion, huit jours entre le dépôt du rapport et l'ouverture du débat.
Certes, le temps n'a pas fait défaut pour l'examen. Mais supposant qu'il eût fait défaut, je demande loyalement si, dans l'hypothèse d'une discussion prolongée, aucune des objections qui se produisent aujourd'hui et qui sont fondées sur des difficultés d'exécution, aurait été aperçue et expliquée dans la Chambre, je demande si, la discussion étant aussi longue que possible, nous avions été appelés à donner alors les explications que nous avons données aujourd'hui, je me demande si une seule voix opposante se serait fait entendre. J'ose dire que non.
Si je concède au surplus sous ce rapport ce qui peut être concédé, je proteste avec énergie contre cette incrimination, que c'est un calcul politique qui nous aurait fait agir ; je proteste plus énergiquement encore contre cette seconde assertion que nous aurions établi autour de la convention la conspiration du silence.
Quoi ! dans la Chambre, dans la presse, dans l'opinion publique il n'y avait qu'un concert d'éloges pour cette convention qui répondait si bien à l'attente des populations. Sur le principe même, l'accord était pour ainsi dire unanime ; sauf la voix de l'honorable M. Le Hardy qui s'est fait entendre et qui, au nom de l'économie politique, telle qu'il la comprend, a contesté une intervention aussi étendue de l'Etat dans une affaire de ce genre, le principe de la convention n'a été critiqué par personne.
Cette convention était donc très populaire ; et par une étrange contradiction, on nous dit : « Vous vouliez établir autour d'elle la conspiration du silence. » Nous avions tous, au contraire, intérêt à ce qu'on en parlât.
Du reste, il faut bien le dire, ce prétendu calcul politique est un thème repris de la société des Bassins houillers elle-même, qui, ayant pensé à une certaine heure qu'elle pouvait faire son profit d'attaques dirigées contre nous et acquérir ainsi le plus de sympathie de la majorité, a imaginé d'insinuer qu'en effet on s'était hâté à l'approche des élections. Mais on avait oublié des écrits émanés des administrateurs eux-mêmes et qui depuis se sont abstenus de parler encore de calculs politiques. Nous étions pressés par eux de conclure cette convention dès le 23 février ; nous n'y mettions aucun empressement ; nous étions de nouveau pressés par eux, dans les premiers jours d'avril, de prendre une résolution. Les écrits sont là. Nous ne nous sommes cependant pas pressés. Nous avons tenu avant tout à sauvegarder l'intérêt public et ce que j'aurai l'occasion de vous rappeler tantôt prouvera la sérénité, l'impartialité avec laquelle cette affaire a été examinée, en dehors de toutes préoccupations d'esprit de parti.
Cependant c'est à ce point que s'attache particulièrement M. le rapporteur de la section centrale.
« D'autres vous diront,, ainsi s'exprimait M. le rapporteur, l'usage que le gouvernement en fit et le pays jugera si l'honorable M. Jamar s'est conformé à la vérité quand il vous a dit hier, à l'honneur du cabinet précédent et dans un langage véritablement austère, que le cabinet précédent n'a jamais cherché, en dehors du monde des idées et des principes, les appuis qui font la force des gouvernements comme elles font celle des majorités. »
Vous avez entendu, messieurs, les secrets pleins d'horreur qui vous étaient promis.
Aucun reproche cependant n'a été adressé du cabinet précédent du chef de l'exploitation de la convention dans un intérêt électoral.
Personne n'en a parlé ; l'honorable rapporteur vous affirmait que d'autres devaient le dire et lui-même, reprenant la parole malgré cette déception, a dû chercher à justifier sa propre incrimination. Et où a-t-il été puiser cette justification ?
Il vous a dit : Il y a, dans la convention du 25 avril, une disposition portant que le gouvernement est autorisé à supprimer un certain nombre de lignes faisant double emploi. Eh bien, dit-il, vous étiez convenus d'avance de ce qui serait supprimé : voici la liste de l'administrateur délégué des Bassins houillers dans laquelle il indique qu'il serait disposé à consentir à la suppression de telle et telle ligne ; vous n'avez pas répondu à cette lettre et dans la réalité vous étiez lié. Vous n'avez pas voulu vous expliquer parce que si vous aviez indiqué les lignes qui seraient supprimées, vous auriez pu tourner contre vous certains collèges électoraux. Voilà pourquoi vous n'avez pas répondu.
Eh bien, la perspicacité de l'honorable rapporteur de la section centrale me paraît ici complètement en défaut. Je suppose pour un instant que dans l'incertitude où l'on pouvait se trouver sur l'effet que pouvait produire la suppression de certaines lignes, le gouvernement se soit abstenu momentanément de répondre. Serait-ce là un acte bien criminel ? fallait-il nécessairement livrer à l'opposition cette arme qui n'eût certainement pas été loyale dans ses mains ?
Mais l'honorable rapporteur n'a pas pensé à une chose : c'est que l'arme électorale est restée dans les mains de l'opposition en vertu de la convention qui, ne stipulant rien, menaçait tout. Aussi ne s'est-on pas fait faute d'user de cette disposition du contrat, de déclarer dans les collèges électoraux que les lignes étaient menacées, qu'elles allaient être supprimées ; on ne s'est pas fait faute d'accuser le gouvernement d'avoir l'intention de nuire aux intérêts les plus légitimes des populations.
L'honorable rapporteur me paraît excessivement rigoureux. En (page 494) politique, c'est un puritain ; c'est un homme vertueux. Au XVIIIème5 siècle, on l'aurait nommé un philosophe, voulant se tenir en dehors des préoccupations sous lesquelles se courbent les autres hommes. Au XIXème siècle, à raison du progrès qui est indéfini, comme chacun le sait, il nous faut le nommer un petit saint. Ce n'est pas lui qui succomberait jamais à la tentation d'exploiter, dans un intérêt politique, l'intérêt matériel. Jamais !
Cachez ce sein que je ne saurais voir ! (Interruption.)
- Des membres : On n'entend pas l
M. Frère-Orban. - Je dis donc que l'honorable rapporteur ne succomberait pas à la tentation ; c'est du moins ce qu'il aurait bien le désir de nous persuader. Mais franchement je suis obligé de lui dire que je ne crois pas à sa vertu politique. Son rigorisme à notre endroit m'oblige a scruter un peu sa conscience. Un jour, en effet, pour ne pas sortir du sujet, pour rester dans la convention du 25 avril, Ptliphar politique lui est apparu sous les traits de l'honorable ministre des travaux publics.
L'honorable ministre lui a montré la convention du 25 avril et lui a dit : Vous voyez dans cette convention un chemin de fer d'Anvers à Douai ; il doit aller à Termonde ; les ingénieurs sont de cet avis ; tout le monde pense qu'il en doit être ainsi. C'est la ligne droite. Mais si nous passions par Alost, qu'en pensez-vous ? (Interruption.)
M. Van Wambeke. - La loi de 1864 le fait passer par Alost.
M. Frère-Orban. - Vous allez trop vite, M. Van Wambeke. Le tracé pouvait être modifié et les ingénieurs le demandaient.
On dit donc : Si nous passions par Alost ? Eh bien, l'honorable M. Liénart n'a pas laissé son manteau dans les mains de Putiphar. (Interruption.) L'honorable M. Liénart a trouvé la chose excellente, et se trouvant un jour dans une réunion d'ingénieurs, il y annonça son bonheur. Il ne put le cacher. Il déclara bien haut que le chemin de fer passerait par Alost. Sur quoi, grand étonnement de la part de ces ingénieurs ; ils ne pouvaient pas le croire, c'est M. Liénart qui l'a affirmé.
Mais l'honorable M. Liénart ne s'est pas borné à faire la confidence de son bonheur à ces ingénieurs.
Il a fait cette confidence à l'honorable M. Van Wambeke, et l'honorable membre s'est rendu au sein du conseil communal d'Alost et a dit : « Nous allons avoir un chemin de fer par Alost ; nous devons cela à MM. Jacobs et Wasseige, jamais nous ne l'eussions obtenu du ministère précédent ; envoyons une députation à ces messieurs, pour les remercier. » Et cela s'est ainsi fait.
M. Van Wambeke. - Vous connaissez bien mal les faits.
M. Frère-Orban. - J'ai ici la Gazette Van Aelst ; je ne la lirai pas en flamand, j'en donne une analyse en français.
« M. Van Wambeke déclare que nous devons ce chemin à MM. Wasseige et Jacobs. Il y avait, M. de Ryck le sait fort bien, de grands, de très grands obstacles. L'ancien ministère n'aurait pas décidé cette affaire à l'avantage d'Alost, au contraire. L'orateur a été mystifié par M. Jamar ; car, pendant que le ministre assurait qu'Alost ne courait aucun danger, la commission des ingénieurs nommée par lui s'occupait de dresser des plans contraires aux intérêts d'Alost. M. Van Wambeke a l'entière conviction que si l'ancien ministère était resté, Alost n'aurait pas eu cette ligne. »
M. Van Wambeke. - Je le prétends encore.
M. Frère-Orban. - Je le sais bien. C'est ainsi que vous exploitiez l'affaire dans des vues politiques, puisque l'ancien cabinet n'avait rien décidé.
Et M. Liénart ajoute, dans cette même séance du conseil communal d'Alost, que, se trouvant un jour en société de quelques ingénieurs, ceux-ci étaient très étonnés que cette ligne devait passer par Alost.
J'ai donc fidèlement rapporté ce qui s'est passé.
M. Van Wambeke. - Qu'est-ce que cela prouve ?
M. Frère-Orban. - Je n'ai voulu prouver qu'une seule chose : on a prétendu que nous avons fait la convention avec précipitation, que nous l'avons fait voter à la hâte dans un but politique, que nous l'avons exploitée dans des vues électorales.
Je dis que cela n'est point exact, mais ceux qui ont exploité la convention dans un intérêt politique, ce sont ceux qui l'ont exploitée sur notre dos, qui ont dit : Jamais le ministère précédent n'aurait fait cela ; votons des remerciements à MM. Jacobs et Wasseige et maudissons leurs prédécesseurs.
M. Van Wambeke. - Mais c'est après les élections.
M. Frère-Orban.- Agissiez-vous moins dans un intérêt politique ?
Du reste, messieurs, de plus graves reproches nous sont adressés par l'honorable rapporteur de la section centrale ; nous versons des larmes hypocrites sur le sort des malheureux obligataires, on est disposé même à dire : « des larmes de crocodile ». Nous n'avons eu de tendresse pour eux que dans un jour d'opposition.
Jusque-là nous avons examiné très tranquillement la situation et nous avons déclaré froidement que nous n'avions pas à nous préoccuper des intérêts des tiers.
Voilà, messieurs, quelle est la position que l'on nous fait dans ce débat. On prend ainsi un rôle extrêmement facile. On nous prête un langage contradictoire que nous n'avons pas tenu. On nous donne une position qui jamais n'a été la nôtre.
Nous avons dit, à toutes les époques, avant comme après la convention : Le gouvernement n'a pas à s'immiscer dans le règlement des intérêts privés. Ils ont le droit pour eux. Nous n'y touchons pas. Ce langage, nous l'avons tenu avant la convention et c'est la compagnie des Bassins houillers qui l'attestera.
Voici ce qu'elle vous dit :
« Le point qui fait l'objet de ces longues discussions, c'est que, dans l'intérêt de la valeur des titres à émettre, nous voulions que l'établissement auquel se ferait le transfert fût agréé par le gouvernement, tandis que le gouvernement, ou disons mieux, M. le ministre des finances ne voulait pas que le gouvernement intervînt en quoi que ce fût. La pensée qui nous était exprimée par M. le ministre des travaux publics, au nom du conseil, était que le gouvernement ne devait pas et ne pouvait pas s'occuper des droits et des intérêts des tiers. »
En effet, il ne le doit pas, il ne le peut pas et, quand il veut le faire, il s'expose à se heurter à des difficultés extrêmes.
Quand le gouvernement contracte, messieurs, il n'a pas une autre position que celle d'un simple particulier. Il n'a pas à refaire le code civil parce qu'il fait un contrat.
C'est une erreur vulgaire que celle qui fait supposer que par cela seul que le gouvernement intervient dans une convention, les conditions légales seront changées au gré du gouvernement.
Le gouvernement n'avait pas à se préoccuper d'autres intérêts que ceux qu'il a eus en vue lorsqu'il a fait la convention du 25 avril.
Cette position étant bien déterminée, vous voyez immédiatement l'erreur dans laquelle on tombe lorsqu'il s'agit d'apprécier notre attitude depuis que ces débats se sont ouverts.
Nous avons dit deux choses : la première, si nous ne pouvons rien pour les tiers, vous ne pouvez rien contre eux et vous ne pouvez nuire à leurs droits ; si vous ne pouvez stipuler pour eux, vous ne pouvez, par des actes que nous avons blâmés, vous exposer à rendre ces droits stériles.
Mais, avant comme depuis, comme aujourd'hui, nous disons : Laissez les particuliers régler leurs droits entre eux ; ne faites rien qui puisse leur être préjudiciable.
Autre chose est de ne pas faire de stipulations dangereuses, ou inutiles, ou dérisoires sous prétexte de servir l'intérêt des obligataires ; autre chose de permettre, de donner les moyens de faire des opérations qui pourront être préjudiciables à leurs intérêts.
On ne peut, messieurs, avoir de meilleure preuve de la sagesse de cette attitude que ce qui s'est passé dans cette affaire.
L'honorable ministre des finances, pour réparer les fautes graves, il est vrai, qu'il a commises, a essayé dans les meilleures intentions, avec une bonne volonté parfaite, de faire quelque chose et vous voyez à quoi il a abouti.
Des propositions se sont successivement produites, nous en verrons probablement d'autres encore. On n'est pas arrivé à faire quelque chose qui fût satisfaisant. On rencontre de grandes difficultés d'exécution. Voilà la justification de l'attitude que nous avons gardée.
Je ne doute pas que si le gouvernement s'abstenait complètement dans cette affaire, déclarant qu'il ne payera le matériel que lorsqu'il sera démontré qu'il n'en peut résulter de lésion pour personne, ces divers intérêts en présence se seraient parfaitement réglés entre eux, en toute sécurité et sans que l'Etat puisse en aucune manière être compromis. Je puis dire, messieurs, que c'est là la pensée qui a dominé dans la rédaction de l'article 59 de la convention ; cet article ne compromet les droits de personne ; ce qu'on a voulu et ce qui est attesté par l'un des négociateurs dont on a invoqué souvent le témoignage, c'est de ne préjuger absolument rien, de ne porter aucune atteinte ni aux droits des tiers, ni aux droits des sociétés primitives, ni aux droits des obligataires, ni aux droits des Bassins houillers et de laisser l'Etat neutre entre tous.
Mais, dit-on, vous prétendez à tort qu'il n'y avait rien à stipuler ; on pouvait stipuler l'incessibilité. Il y a deux jours mon honorable ami, (page 495) M. Bara, a démontré, à un point de vue légal, l'impossibilité de la stipulation d'incessibilité. Mais, à un autre point de vue, je puis la démontrer encore. L'incessibilité était impossible. Pourquoi ? A raison même des projets qui, de la part des Bassins houillers, reposaient sur sa cessibilité des annuités. Cette société disait : C'est une condition sine qua non du contrat. Il faut qu'on puisse céder. Et que répondions-nous ? Ou vous le pouvez ou vous ne le pouvez pas. Si vous le pouvez, vous userez de votre droit ; si vous ne le pouvez pas, il n'y a pas de stipulation qui puisse vous conférer ce droit.
Mais il fallait que ce droit ne fût pas interdit, puisque c'était une condition de la convention. Et dans la vérité si l'incessibilité avait été stipulée, il aurait fallu sur-le-champ déroger à la convention.
En effet, nous savions que ni la société de Flénu, ni la société de Jonction de l'Est, ni la société de Saint-Ghislain n'entendaient traiter sans avoir une délégation, sans être en possession de la rente qui était promise. On avait grand intérêt à leur donner satisfaction sur ce point, car le Flénu, (erratum, page 518) était une grande source de revenus pour la compagnie des Bassins houillers. II y avait donc là un extrême intérêt et il aurait fallu sur-le-champ déroger à cet égard à la convention. (Interruption.)
Permettez, il ne s'agit pas d'obligataires ; il s'agit de propriétaires-bailleurs ; il fallait stipuler pour ces propriétaires-bailleurs. Eh bien, nous ne faisions rien pour les obligataires ! On vous l'a déjà dit : Impossible de traiter sans faire une ventilation. Nous n'avions pas qualité pour faire une ventilation.
Et pourquoi eût-on interdit la cessibilité des annuités alors qu'elles pouvaient être légitimement cédées et qu'elles pouvaient être utilement cédées ?
Il y a des cessions possibles, qui sont très licites, très légitimes, très avouables ; les combinaisons dont on parlait pendant les négociations mêmes se comprenaient parfaitement bien.
Il y a vingt combinaisons qui peuvent permettre à la compagnie des Bassins houillers de tirer parti de ses annuités pour traiter avec ses obligataires.
Il n'y avait donc pas lieu de les interdire puisqu'elles étaient légitimes, licites, de nature à faciliter l'exécution de la convention. Mais d'où est venue la difficulté, d'où sont venues les plaintes ?
Ce n'est pas de la cessibilité, mais de ce qu'on a abusé ou tenté d'abuser d'un moyen de cession mis postérieurement à la disposition de la société. De ce qu'on peut faire un mauvais usage d'une chose bonne en soi, il serait vraiment absurde de l'interdire. Il n'y avait rien d'ailleurs à stipuler pour les obligataires, parce que tout était stipulé. En effet, dans tous les contrats entre la société des Bassins houillers et les concessionnaires primitifs, dans les contrats entre la société des Bassins houillers et la Société générale d'exploitation qui reprenait l'exploitation de ses chemins de fer, des stipulations formelles ont été introduites en faveur des obligataires.
Voici ce que nous trouvons dans ce contrat.
« A partir du jour où les lignes lui seront remises, conformément à ce qui est dit aux articles précédents, la Société générale d'exploitation s'engage :
« 1° à remplir et à exécuter tant à la décharge des concessionnaires, qu'à la décharge des Bassins houillers stipulant, en tant que de besoin pour ces premiers, toutes et chacune des obligations sans exception ni réserve, résultant des conventions et cahiers des charges relatifs aux diverses concessions.
« La Société des Bassins houillers fait, pour autant que de besoin, la réserve des droits des porteurs d'obligations des compagnies concessionnaires, droits mentionnés auxdits titres et que la Société générale d'exploitation l'oblige à respecter, sauf à celle-ci à se rembourser sur le montant des rentes stipulées au présent contrat, de toutes les sommes qui pourraient être éventuellement payées aux porteurs desdits titres, en vertu de la présente stipulation, par retenues opérées de plein droit ;
« 2° à exécuter, comme si elles avaient été contractées par elle-même, les conventions conclues, etc. »
Eh bien, si nous avions eu quelque chose à stipuler, aurait-il été possible d'aller au delà d'une disposition de ce genre ? Et quelle eût été son utilité ? Alors que ces stipulations se trouvent dans des contrats mêmes qui obligent la société des Bassins houillers et la Société d'exploitation vis-à-vis des sociétés primitives et des porteurs d'obligations, qu'était-il besoin d'en faire l'objet de stipulations spéciales dans la convention du 25 avril ?
Quelle est la valeur de ces stipulations ? Quels droits peuvent-elles conférer aux tiers ? Je ne veux pas l'examiner. Mais je demande si, entre les parties contractantes, ce n'était pas une violation manifeste des engagements convenus, que de disposer des annuités du produit de l'exploitation autrement qu'au profit des porteurs d'obligations ?
Et, messieurs, lorsqu'on parle d'imposer l'incessibilité, en présence de pareilles conventions, comment ne voit-on pas l'injure qu'on fait à la compagnie des Bassins houillers ? N'est-ce pas comme si l'on disait : Vous vous êtes bien engagées, vous, compagnie des Bassins houillers et vous, Société générale d'exploitation, à payer aux obligataires ce qui leur est dû ; mais nous nous défions de vous et nous demandons un nouvel engagement.
Au surplus, si la cessibilité ne devait pas être interdite, et j'ai indiqué la mesure dans laquelle elle était légalement possible, en fait la cessibilité ne pouvait exister réellement que pour des usages déterminés ; en fait la cessibilité ne pouvait exister que pour les obligataires et pour ceux qui avaient des rentes en leur faveur.
On a imaginé qu'on pourrait en disposer autrement, grâce à leur capitalisation et par la caisse des annuités. Mais qui a pris ces annuités ? Les créanciers ou bien des actionnaires qui de débiteurs étaient transformés en créanciers. Ils ne donnaient point d'argent en échange des annuités ; les uns prenaient un gage, les autres s'enrichissaient en changeant de titres.
Mais la capitalisation n'aurait eu de valeur qu'à la condition que les titres qui en étaient la représentation eussent pris place sur le marché ; qu'à la condition de pouvoir échanger ces titres contre des écus.
Dans ce sens, je réponds que la cessibilité était vraiment impossible. On aurait pu trouver, dit-on, en Angleterre, en Allemagne, des particuliers puissants qui auraient consenti à faire une opération aussi aléatoire, aussi chanceuse.
L'orateur qui a fait l'objection paraît croire que l'on trouve dès qu'on le veut des Anglais complaisants ou des princes allemands de bonne volonté. Je dis qu'on n'en aurait pas trouvé pour faire une affaire de ce genre.
La raison en est simple. Les réclamations éventuelles, les actions résolutoires qui naissent du contrat pouvaient faire tomber les annuités. Les contestations sont devenues certaines du jour même de la constitution de la caisse des annuités. On n'aurait donc pu trouver d'acheteurs. Je vais plus loin. Je dis qu'on n'en a pas trouvé.
On n'avait pas seulement les annuités kilométriques qui ont été transférées à la caisse des annuités, on avait encore les annuités du matériel.
Or, si l'on avait trouvé des acheteurs pour de pareilles annuités, et pour les faire passer dans les mains du public en les fractionnant d'une manière ou d'une autre suivant les inventions faites depuis ; si on avait trouvé ce moyen, on se serait empressé d'en user.
Pourquoi nous a-t-on soumis le projet de loi sur lequel nous délibérons ? C'est parce qu'on n'a pu faire argent des annuités. On est venu demander au gouvernement de les capitaliser et d'en payer la valeur ; et l'on nous présente la vente des annuités comme la chose la plus simple et la plus facile ; on nous en parle comme si l'on avait des acheteurs à volonté. Si l'on n'avait pas eu, dit-on, la caisse des annuités, on aurait fait une autre société, même une société en commandite, pour placer ces annuités. Mais, encore une fois, où eût été l'acheteur ? Le public n'aurait pas été pris à cette opération-là.
Peut-être bien qu'avec la caisse des annuités, à force de réclames et d'articles dans les journaux, en payant de grosses commissions à des intermédiaires, on serait parvenu peu à peu à en faire pénétrer des fractions dans le public.
Ce n'était pas ainsi que la société pouvait tirer parti de ses annuités, et pour en avoir la valeur, elle a dû s'adresser au gouvernement lui-même ; elle a dû nous demander de lui payer le capital de ses annuités.
Ainsi, à quelque point de vue qu'on se place, point de vue légal, point de vue des faits, point de vue financier, il faut reconnaître qu'il n'y avait pas lieu de stipuler l'incessibilité.
On a compris que tous les moyens inventés pour rattacher à l'article 59 des faits d'exécution que cet article ne peut légitimer, ne pouvaient supporter un examen sérieux, et, en désespoir de cause, à la mi-janvier, à la veille de la réouverture des débats, M. le ministre des finances, essayant de secouer encore une fois la responsabilité de la création de la caisse des annuités, a imaginé de prétendre qu'en vertu de l'article 59 les Bassins houillers pouvaient créer directement des titres au porteur payables aux caisses de l'Etat et cela sans le visa de l'Etat !
L'honorable M. Bara a fait complète justice de cette théorie ; il est absolument impossible de soutenir qu'on puisse émettre indéfiniment, sans aucun contrôle, des titres au porteur payables aux caisses de l'Etat, que l'Etat serait tenu d'acquitter partout ! Je ne reviendrai pas, messieurs, sur (page 496) les démonstrations qui ont déjà été produites, et je ne rappelle le fait que pour montrer à quelles extrémités il a fallu être réduit pour torturer ainsi l'article 59, dont le sens est indiscutable aujourd'hui.
La genèse, comme on l'a dit, de l'article 59 de la convention, attestée par tous les écrits, qui sont (erratum, page 518) indiscutables, démontre de la manière la plus claire et la plus formelle qu'on n'a voulu ni déroger au droit civil, ni rien préjuger, ni s'engager sous aucun point et compromettre aucun droit et aucun intérêt.
Ce n’a pas été, comme l'a dit M. le ministre des finances, une équivoque sur laquelle on a traité, il n'y a pas eu l'ombre d'une équivoque : cela était clair comme le jour au temps du contrat, comme cela est devenu clair comme le jour depuis la discussion. Jamais on n'a entendu, à aucune époque, faire autre chose que ce qui a été fait, et le doute n'a pu exister dans l'esprit d'aucune des parties.
Et pour détruire la signification véritable de l'article 59, il a fallu inventer un petit roman et pour justifier ce roman, on a dit : L'article 59 de la convention était primitivement conçu dans un autre sens ; il ne se bornait pas à dispenser des droits de timbre et d'enregistrement ; il allait au delà ; ce projet primitif était l'œuvre du gouvernement ; il était du à son initiative ; c'est lui qui avait proposé le transfert des annuités à un établissement agréé par le gouvernement ; c'est lui qui, connaissant nos projets, voulait nous en faciliter la réalisation.
Et pour expliquer ensuite comment un projet qui émanait de nous avait été tout à coup dénaturé, au moins en apparence, à la dernière heure, on n'a rien imaginé de mieux que de nous imputer la coupable intention d'avoir voulu tromper les Chambres. Voici ce qu'on né craignait pas d'écrire à cet égard :
« On nous disait, au nom du conseil des ministres : Acceptez l'article tel que nous vous le proposons. Il n'établit pas directement le principe de votre droit de transfert, mais vous n'en avez pas besoin ; le transfert est de droit commun ; en tous cas, il le reconnaît et le consacre. Notre rédaction a le mérite de ne pas attirer l'attention. Elle vous donne ce dont vous avez besoin pour accomplir vos projets : la dispense des droits d'enregistrement.
« On avait raison, continue-t-on. L'attention ne fut pas appelée sur l'article ainsi libellé. Aucune voix ne s'éleva pour s'écrier : Mais si la compagnie peut transférer l'annuité sans payer de droits et en émettre le capital sous forme de titres spéciaux, le revenu de la ligne sera désormais représenté par un autre titre que l'obligation qui se trouve en ce moment dans les mains du publie. Personne ne demanda au gouvernement si les transferts ainsi facilités et reconnus compromettaient les droits des obligataires et s'il n'avait pas pris des mesures pour sauvegarder leurs intérêts. »
Dans une seconde édition, on a un peu modifié le roman. On a fait un discours, moins accentué. On n'était plus certain, cette fois, qu'il eût été tenu au nom du conseil des ministres ; mais si l'on modifiait la première invention, c'était pour mettre dans la seconde une nouvelle injure. Lorsque l'on est en dehors de la vérité, il arrive ainsi que l'on se dément soi-même. Voici donc la seconde édition :
« M. Jamar nous a-t-il parlé en son nom ou au nom du conseil ? Cela nous importe peu : c'est avec lui que nous traitions. MM. Frère et Bara connaissaient-ils nos projets ? Nous ne pouvons pas en douter un instant ; car il n'est pas admissible que M. Jamar les leur ait cachés. Du reste, notre insistance et la longueur des négociations le prouvent surabondamment.
« Maintenant devions-nous croire que MM. Frère et Bara, connaissant nos projets, ayant l'air de nous les faciliter, avaient dans leur for intérieur le dessein de nous les vendre impossibles ? Notre attention fut appelée sur ce point, avant la signature, par un de leurs amis politiques. Mais outre qu'un fait aussi monstrueux nous paraissait hors de toute vraisemblance, nous n'avions pas à le craindre... »
Ainsi, messieurs, on le remarque avec un profond étonnement : c'est un débiteur qui avoue sans scrupule les projets qu'il avait formés au préjudice des obligataires, vis-à-vis desquels il était engagé ; qui nous fait ses complices, qui nous accuse d'avoir dissimulé à la législature ces projets que nous connaissions et qui triomphe parce qu'aucune voix ne s'est élevée dans le sein du Parlement, grâce à notre astuce, pour s'écrier :, « que les droits des obligataires étaient compromis et pour demander au gouvernement s'il avait pris des mesures pour sauvegarder leurs intérêts. »
Voilà le langage qu'on a osé tenir. Il y avait un moyen bien simple de faire tomber cette odieuse et, il faut le dire aussi, cette inepte invention. C'était de prouver que la proposition émanait de la compagnie et qu'elle avait été rejetée par le gouvernement. Tout ce roman s'écroulait.
Eh bien, c’est ce qui a été fait. J’ai apporté la preuve que les propositions émanaient de la compagnie et que le gouvernement n’avait pas voulu les admettre. Ayant en mains cette preuve écrite, je me suis indigné, je l'avoue, du rôle qu'on avait voulu nous faire jouer dans cette circonstance et j'ai traduit ainsi les impressions que je ressentais :
« Il y avait un mauvais coup à faire que projetait la société des Bassins houillers, et nous disions : Nous voulons bien vous aider à faire ce mauvais coup, mais pour Dieu, que l'on n'y voie rien ! N'allez pas faire que le texte soit tellement clair, tellement précis que la législature s'en aperçoive. Nous serons vos complices, nous voulons bien vous enrichir au détriment des créanciers ; nous occupons nos fonctions dans l'intérêt et pour le profit des maltôtiers ! Donc, du silence, de l'astuce, de l'adresse, de la fourberie. »
On a détaché un mot du cadre où il était bien placé ; on a répudié, par omission, le roman et l'injure et l'on s'est plaint du mot ainsi isolé. Je comprends la susceptibilité ; mais, quand on est susceptible pour soi-même, on doit l'être pour autrui. Je demande si notre susceptibilité était légitime et si la plainte qu'on a formulée est bien juste quand on passe l'agression sous silence ?
Maintenant que la preuve est acquise, certaine, irrécusable, et n'est plus même contestée, que l'initiative est duc à la compagnie, irai-je entretenir la Chambre de petites questions de détail, du point de savoir si quelques modifications ont été faites à la proposition primitive, et par qui ; si la mention, écrite au crayon en marge de la minute, s'applique à la proposition primitive ou à la même proposition quelque peu modifiée ; si les épreuves qui ont été tirées, non, comme on l'a dit, pour les Documents parlementaires, qui ne s'impriment que par ordre de la Chambre, mais qui ont été tirées pour le département des travaux publics, ne reproduisent pas précisément les propositions de la compagnie ; tout cela serait sans utilité dans l'état actuel de la, discussion.
Le rejet des propositions dues à l'initiative de la compagnie est attesté par l'un des négociateurs, l'avocat du département des travaux publics, dont le témoignage a été invoqué. Il est formel. Le sens de l'article 59 est ainsi indubitable.
Il serait, au besoin, établi par une note du 20 juin laissée au dossier de cette affaire. Mais on la récuse. C'est l'œuvre d'un ministre démissionnaire, dit M. le rapporteur ; et il souligne avec malice ; c'est une note posthume, dit M. le ministre des finances ; c'est un document que l'on ne peut invoquer dans la discussion, dit un troisième orateur.
Et pourquoi, s'il vous plaît ?
Que cette note gêne, parce qu'elle est décisive, je le comprends. Elle répond d'avance à des inventions qui ont été faites depuis. Mais, avais-je pu les deviner ?
Si l'on avait pris garde à ce que cette note renferme, on eût évité les fautes qui ont été commises. Voyons, au surplus, ce qu'elle contient, pour juger s'il la faut écarter. Elle pose d'abord une série de questions de droit ; elle rappelle ensuite les propositions qui ont été successivement faites et rejetées, puis celle qui a été définitivement adoptée.
Qu'est-ce que la qualité de ministre mort ou vivant peut faire aux questions de droit ? (erratum, page 518) Elle sont ce qu’elles sont ; on le les crèe point à sa fantaisie ; elles naissent du sujet même. Nous les avons posées ; M. le ministre n'a pas voulu les voir ; voilà tout. De là les erreurs qu'il a commises. La prévention lui a fait craindre un piège là où il n'y avait que d'utiles indications. Sur les faits, ma note est identique au rapport de M. Hennequin et nos conclusions sont littéralement les mêmes.
Je dis dans ma note sur les faits, sur le point capital :
« Le sens de l'article 59, tel qu'il a été enfin adopté, est donc clair et évident. Il ne préjuge rien. C'est là la vraie pensée du conseil. Loin de renfermer une adhésion implicite, soit, à un transfert, soit à toute autre combinaison relative aux annuités, il est établi, au contraire, que le gouvernement, par cet article 59, n'a voulu prendre aucun engagement à cet égard. »
Et M. Hennequin va dire exactement la même chose en d'autres termes :
« L'article 59, tel qu'il a été définitivement arrêté, est plus expressif encore par ce qu'il ne dit pas que par ce qu'il dit. La pensée qui s'en détache à l'évidence, c'est de laisser chaque partie sur son droit, de n'altérer ni ceux de la société des Bassins houillers, ni ceux des compagnies concessionnaires avec lesquelles elle a traité, ni ceux des obligataires respectifs et de laisser l'Etat parfaitement neutre entre tous. »
Comment donc pourrait-on récuser ma note du 20 juin ?
J’ai reproché à la compagnie d'avoir méconnu les intérêts des obligataires, d’avoir fait un acte blâmable en disposant des annuités à leur détriment ; je lui ai reproché d'avoir fait un acte justement critiqué en disposant d'une partie des annuités, soit au profit d'elle-même, soit au profit d'autres sociétés, soit au profit d'actionnaires de ces sociétés. N'avons-nous pas déclaré, me répond-on, que nous voulions avant tout sauvegarder les droits (page 497) des obligataires ? N'avons-nous pas proposé des mesures équitables en leur faveur ? N'avons-nous pas, lorsque la caisse des annuités a été créée, proposé des garanties pour les obligataires ? Je le reconnais ; pendant toute l'époque des négociations, je n'ai rien entendu énoncer qui fût contraire aux droits des obligataires. Si l'on avait manifesté les malheureuses inspirations qui se sont fait jour plus tard, comment aurions-nous pu traiter ?
Aussi n'ai-je point parlé de faits qui se seraient produits pendant les négociations. Je n'ai parlé que de faits ultérieurs, les faits qui se sont succédé depuis la constitution de la caisse des annuités.
On me reprend encore pour avoir dit que la société était aux abois, qu'elle était sous le coup de déchéances, et l'on m'oppose, à cet égard, une dénégation formelle. Nous avons l'air de nec point parler la même langue ou de ne pas comprendre de la même manière les mots dont nous nous servons. J'ai rapporté la proposition de la compagnie qui est venue spontanément nous offrir de reprendre l'exploitation de ses chemins de fer. J'ai constaté que les charges de la compagnie s'élevaient à 11,000 francs par kilomètre, et que le produit de l'exploitation était de 7,416 francs seulement.
Ce produit était aussi élevé que possible, parce qu'on exploitait aussi économiquement que possible, si économiquement que l'exploitation ne pouvait se maintenir longtemps dans de pareilles conditions.
On nous disait : Engagez-vous à payer nos charges qui s'élèvent à 11,000 francs par kilomètre ; prenez les chemins de fer ; exploitez-les, et comme ces charges ne peuvent être couvertes par le produit de l'exploitation même, nous vous garantirons la différence. Mais nous reconnaissons que nous ne présentons pas une surface suffisante pour répondre de pareils engagements. Nous offrons donc de nous faire cautionner par des tiers d'une solvabilité reconnue.
N'étais-je pas autorisé à dire, messieurs, que la société était aux abois ?
Dans les actes postérieurs, que voyons-nous ?
La compagnie qui s'était annoncée comme ayant le dessein d'exécuter de grandes lignes et qui se promettait de réaliser de beaux bénéfices, la compagnie, immédiatement après la convention, demande à être fixée sur les dispositions du gouvernement quant au matériel ; elle veut savoir si l'on payera comptant ou par annuités. L'honorable ministre des finances actuel lui répond que le gouvernement est décidé à payer par annuités. Mais, au mois de novembre, l'honorable ministre des finances est assailli par la compagnie. Elle lui demande le capital, et ce n'est pas assez ; il faut que l'honorable ministre des finances rembourse les cautionnements qui sont la garantie des engagements contractés envers l'Etat.
Et je n'étais pas autorisé à dire que la compagnie était aux abois ?
Je ne veux pas aller plus loin sur ce terrain. Je. regrette qu'une dénégation imprudente m'ait obligé d'y revenir. Je n'ai pas le dessein de discuter plus qu'il n'est nécessaire la situation de la compagnie. Nous avons tenté de lui être utile en servant l'intérêt public. Je fais des vœux pour qu'elle relève son crédit qu'elle a elle-même ébranlé.
Vous n'étiez pas sous le coup de déchéance ? Ne faisons pas d'équivoque. Est-ce que les concessions ont été exécutées dans le délai voulu ? Non.
Je sais bien ce qui se pratique en pareil cas. Les concessionnaires ont mille raisons pour expliquer les retards. Le défaut d'approbation des plans ne leur a pas permis de commencer en temps utile, et c'est le gouvernement qui est en faute. Je sais tout cela. Mais personne ne se méprend à cet égard. Aussi, après une dénégation formelle, vous bornez-vous à dire que les faits étaient tout au moins contestés.
Si le gouvernement avait voulu, il eût pu frapper de déchéance des concessions données à la société des Bassins houillers et c'eût été incontestablement un grand préjudice pour elle. Je voulais constater que nous n'avons été ni malveillants ni rigoureux envers la compagnie.
Mais, dites-vous, votre exploitation s'est développée et ce n'est pas une société aux abois qui peut opérer de la sorte.
Je n'ai pas prétendu que vous n'eussiez rien fait ; je ne sais, toutefois, si votre exploitation n'a pas été développée bien plus par l'acquisition de lignes existantes que par l'exécution de lignes nouvelles.
Y eût-il eu, d'ailleurs, exécution de lignes nouvelles pour des sommes notables, qu'il n'en reste pas moins vrai que la société était dans une situation difficile, au moment où nous traitions avec elle.
Cependant, pour prouver combien mes assertions étaient hasardées, on nous dit : Cette société que vous prétendez aux abois s'est présentée fièrement devant le gouvernement ; elle lui a dit : Si vous faites telle chose, je dénoncerai les conventions de service mixte... à la veille du mois de juin, à la veille des élections ! C'était un moyen de traiter.
Eh bien, messieurs, c'est un triste souvenir qu'on rappelle là. Comment qualifier un pareil acte ? Que pouvait-il signifier ? Mais comment a-t-il été accueilli par nous ? Une lettre va nous l'apprendre. On l'a déjà citée sans que l'on parût se douter de ce qu'elle renferme.
A la date du 13 mars, on trouve au dossier une lettre tout à fait personnelle, une lettre particulière qui s'y est égarée et que je suis heureux d'y voir égarée, car elle va montrer si, à la veille des élections, nous nous préoccupions de la menace qui nous avait été faite. Dans cette lettre, mon honorable ami, M. le ministre des travaux publics, rappelle que je lui ai promis de réunir le conseil des ministres pour statuer sur les propositions de reprise des lignes qui nous avaient été faites. Il ne voulait pas avoir même l'apparence d'un mauvais procédé vis-à-vis de la société, qui avait annoncé l'intention de dénoncer les conventions de service mixte. Il désirait qu'on prît une résolution.
Assurément rien de plus loyal. De l'intérêt politique que l'on pouvait avoir à éviter un conflit, pas un mot, non ; il faut se prononcer et sans retard, afin de laisser à la compagnie le temps de mettre à exécution ses menaces. Il ne faut pas qu'elle puisse croire que l'on traîne les négociations en longueur pour paralyser son action.
Et que se passe-t-il le 13 mars ? Le 13 mars ou le lendemain, c'est-à-dire lorsque nous étions sous le coup de cette menace de voir jeter le trouble dans maint collège électoral le 1er juin, par la dénonciation des conventions de service mixte, que se passe-t-il au sein du conseil des ministres ? Les propositions qui nous sont faites sont rejetées ! Et la preuve qu'elles ont été rejetées, c'est que vous trouverez au dossier une lettre du 22 mars, huit ou neuf jours après, une lettre du 22 mars de la société des Bassins houillers qui fait de nouvelles propositions.
Et ces propositions comment ont-elles été accueillies ? On nous avait proposé d'abord de payer 11,000 francs par kilomètre, moyennant quoi nous aurions des garanties pour être payé de la différence entre cette somme nécessaire pour payer les dettes et les produits de l'exploitation.
Rejeté.
On nous propose de reprendre, pour une somme fixe de 10,000 francs par kilomètre sans progression, les chemins de fer que la société exploité.
Rejeté.
On nous demande de pouvoir émettre des titres directs, des titres de rentes pour l'annuité qui sera convenue.
Rejeté.
On nous demande de traiter au moins sur la base de 7,000 francs par kilomètre, mais on demande que ces 7,000 francs, soient garantis, qu'ils constituent une rente.
Rejeté.
On nous a soumis enfin une série de combinaisons qui expliquaient (erratum, page 518) le transfert des annuités soit à un établissement agréé par le gouvernement, soit à une société à créer dans ce but.
Rejeté.
C'est donc uniquement à l'heure où l'on a accepté toutes les conditions du gouvernement, les plus absolues et les plus rigoureuses, que le contrat a été fait. Nous n'y avons souscrit que le jour où il nous a paru que l'intérêt public était sauvegardé, et c'est pour avoir défendu cet intérêt-là pied à pied pendant plus de trois mois que la convention n'a pu être présentée aux Chambres qu'à la fin du mois d'avril.
Voilà comment nous avons eu des préoccupations électorales dans cette circonstance !
Certes, il n'est pas d'un gouvernement sensé de permettre qu'on puisse exploiter contre lui par manœuvre électorale certains intérêts matériels. Le gouvernement pouvait faire tout ce qui était légitime pour éviter pareil abus ; mais il ne pouvait pas sacrifier l'intérêt public sans se dégrader. J'ose dire, sans crainte d'être contredit par personne, que cet intérêt-là a été pleinement sauvegardé.
On se serait fait, d'ailleurs, une étrange illusion si l'on avait cru obtenir, par peur d'un échec électoral, un avantage quelconque d'un ministère qui a préféré voir se dissoudre la majorité libérale plutôt que de céder aux tentatives d'intimidation des meetings d'Anvers !
Et, dans les dernières élections, n'avons-nous pas donné une preuve nouvelle de la manière dont nous ayons toujours compris la dignité du gouvernement ? Pendant la période électorale, on a vivement agité la question de la concession d'un chemin de fer dans l'arrondissement même où l'un de nos collègues était vivement combattu, non seulement par ses adversaires politiques, mais par une déplorable coalition.
On demandait, messieurs, avec les plus vives instances, la concession du chemin de fer d'Athus à Givet ; on nous représentait qu'un engagement sur ce point était indispensable pour assurer la réélection de notre collègue.
Eh bien, messieurs, nous avons déclaré unanimement, notre collègue au premier rang, que, loin de prendre un engagement, nous refusions (page 498) même de nous occuper de la question de ce chemin de fer en un pareil moment.
Tous ces griefs politiques éliminés, tous ces reproches écartés, nous aurons à rencontrer certaines critiques dirigées contre la convention.
Je ne veux pas entrer dans tous les détails dont on a entretenu la Chambre ; on a déjà répondu sous ce rapport.
On a répété ici tout ce qu'on pouvait faire valoir en faveur de la convention au point de vue des Bassins houillers et que cette société avait elle-même pris le soin d'exposer. On vous a apporté comme des découvertes ce qui avait été parfaitement indiqué, tellement que l'on aurait pu croire un instant que l'on faisait une réclame en faveur de la société des Bassins houillers.
Je m'arrête à deux points qui sont essentiels, caractéristiques. On a dit : La convention du 25 avril est défavorable au gouvernement, aux intérêts du trésor ; lorsque les 600 kilomètres nouveaux seront construits, elle donnera lieu à une perte sur l'exploitation qu'on n'estime pas à moins de trois millions de francs par an.
Cette même convention, si onéreuse pour le trésor, est très favorable à la compagnie ; elle lui assure un bénéfice de vingt-quatre millions sur les 600 kilomètres à construire.
Ici, messieurs, il y a une double exagération.
Rien n'est plus difficile que de déterminer le produit probable de lignes qui sont à construire. On peut faire là-dessus beaucoup d'hypothèses, beaucoup de conjectures.
Des hommes spéciaux peuvent le mieux donner des indications à cet égard et ils savent y mettre une grande prudence. Relativement à la convention qui nous occupe, des chiffres divers ont été produits. L'un des fonctionnaires du département des finances, à l'époque où je le dirigeais, a indiqué, dans des notes qui se trouvent au dossier, quelle était son appréciation sur le produit probable. Des fonctionnaires du département des travaux publics ont émis également leurs appréciations : ils estiment qu'il est contre toute probabilité que l'ensemble du réseau puisse produire moins qu'une somme de 18,000 francs par kilomètre.
Or, du moment que l'ensemble du réseau produit 18,000 francs par kilomètre, l'Etat est indemne. S'il ne fait pas de bénéfice, il n'essuie pas de perte. Pour qu'il pût en essuyer, il faudrait que le produit kilométrique de l'ensemble du réseau descendît à une somme bien inférieure.
Quant au bénéfice, que la compagnie peut réaliser sur l'exécution des nouveaux chemins de fer, bénéfice très légitime, il doit être examiné non isolément, mais dans ses rapports avec les charges de la convention. Or, les concessions qui ont été faites sur le chiffre du premier prélèvement et sur le maximum du prélèvement sont ici à considérer. De plus, la compagnie garantit pendant trois ans un minimum de recette élevé.
Quant à calculer le bénéfice probable, le procédé qui a été employé est extrêmement simple ; il y a 600 kilomètres à construire ; on construira en moyenne à raison de 100,000 francs par kilomètre ; d'une annuité de 7,000 francs, on obtiendra un capital de 140,000 francs ; il y aura donc 40,000 francs de bénéfice par kilomètre et pour 600 kilomètres, 24,000,000 de francs.
Eh bien, je ne trouve pas cela aussi simple qu'on le prétend.
Je dis qu'une annuité de ce genre ne produira pas 140,000 francs, loin de là. (Interruption.)
« On offre, » me dit-on. Il paraît vraiment que l'on n'est pas au lendemain du jour où l'on a fait un traité provisoire avec la Société générale pour obtenir au meilleur marché possible tout l'argent nécessaire pour la construction.
Eh bien, malgré l'appât d'un bénéfice certain, la Société générale n'a pas jugé à propos de traiter.
- Un membre. - On a signé ; mais on n'a pas jugé à propos de continuer le contrat.
- Un autre membre. - Ces annuités ne sont ni contestées, ni contestables.
M. Frère-Orban. - Vous vous trompez ; il y a déjà des obligations émises sur les lignes à construire, et c'est une première source de difficultés.
Eh bien, indépendamment de ces difficultés qui ne sont pas résolues, on ne devra l'annuité que si le contrat s'exécute ; il y a toujours un risque à courir.
Si petit que vous vouliez le faire, il n'est pas de financier qui n'en tienne compte. On n'obtiendra pas 140,000 francs d'une annuité dans de semblables conditions. N'y eût-il point de risque, et il est impossible qu'il n'y en ait pas, les commissions inévitables et les pertes d'intérêts durant l'exécution, réduiront nécessairement le capital espéré.
Maintenant, on exécutera, dit-on, à raison de 100,000 francs par kilomètre. C'est possible ; mais le contraire peut arriver. Il y a des kilomètres qui s'exécuteront peut-être à moins de 100,000 francs ; mais il y en a qui coûteront le double de cette somme.
Ecartons toute exagération. Faisons la part équitable à chacune des parties ; disons, comme nous l'avons dit au début de cette discussion : La convention n'est pas faite en vue d'une opération financière pour l'Etat ; le trésor n'a rien à en espérer que dans un avenir plus ou moins éloigné ; il peut même subir certaines pertes ; mais la convention répond à un grand intérêt public, et c'est là le mobile qui nous a fait agir, quand nous avons conclu la convention du 25 avril.
Pour les obligataires, il y a une situation plus favorable que celle qu'ils avaient auparavant, puisqu'ils ont tout à la fois la meilleure exploitation possible et le meilleur débiteur possible.
Pour la société concessionnaire, qui se trouvait dans une situation plus ou moins difficile, il y a un contrat favorable en ce que, à la différence de sa situation antérieure, elle n'a pas seulement le produit kilométrique de 7,000 francs, elle n'a pas seulement une chance aléatoire jusqu'à concurrence de 15,000 francs ; elle a de plus un contrat d'exploitation pour les lignes à construire : ce qui lui permettra de réaliser plus sûrement des bénéfices sur la construction. Une convention ainsi faite paraît convenablement pondérée.
Maintenant, en traitant de la sorte et à raison de 7,000 francs par kilomètre, nous avons fait une opération qu'on peut considérer comme très satisfaisante.
La même compagnie des Bassins houillers, si mes renseignements sont exacts, traitait, pour l'exploitation, dans le même temps, avec la compagnie du Nord français et faisait un contrat pour des constructions du même genre à raison de 9,500 ou 10,000 francs par kilomètre. (Interruption.)
Les tarifs n'ont rien à voir ici. Nous pouvons donc dire que l'Etat, en stipulant à raison de 7,000 francs par kilomètre, a fait une opération qu'on peut considérer comme favorable, qu'il a traité dans les meilleures conditions possibles. (Interruption de M. Brasseur.)
Je vous démontrerai tout à l'heure votre erreur.
Nous pouvons donc, messieurs, accepter parfaitement, comme l'a dit M. le. Ministre des finances, l'honneur et la responsabilité de la convention. Nous n'en déclinons certainement pas la responsabilité, et l'on peut s'étonner à bon droit que l'honorable rapporteur de la section centrale ait cru pouvoir nous représenter tour à tour comme essayant de secouer ce fardeau, de le rejeter les uns sur les autres.
L'honorable rapporteur de la section centrale vous a rappelé que j'avais dit que je n'avais vu que deux fois l'administrateur des Bassins houillers.
Il vous a rappelé que l'honorable M. Jamar avait dit de son côté qu'il n'était pas seul initié à la pensée qui dirigeait l'administrateur des Bassins houillers, que notre honorable ami M. Pirmez la connaissait aussi.
Et puis l'honorable rapporteur de la section centrale en conclut que nous sommes empressés de nous décharger de la responsabilité qui peut peser sur nous. Tant de ruses, messieurs, est malhabile, si j'ai constaté que je n'avais vu que deux fois l'administrateur des Bassins houillers, cela a été par une raison que j'ai indiquée à plusieurs reprises dans le cours de la discussion ; c'était pour démontrer que certaines assertions que j'ai relevées n'étaient pas exactes.
Et si l'honorable M. Jamar a dit : « Je n'étais pas seul à connaître la pensée qui pouvait diriger la société des Bassins houillers », c'est parce qu'on l'accusait de n'avoir pas rapporté exactement à ses collègues ce qui avait pu être exprimé au nom de la compagnie ; il a invoqué le témoignage de notre ami commun, l'honorable M. Pirmez, qui lui aussi était parfaitement initié à ce que projetait la compagnie des Bassins houillers, preuve que le conseil des ministres n'a rien ignoré. Nous acceptons donc tous, sans exception, la responsabilité tout entière de la convention, de la même façon, avec la même solidarité. Cette convention fait le plus grand honneur à celui qui l'a négocié.
M. Jamar a fait preuve de capacité et d'une rare intelligence des affaires en négociant pendant trois mois cette convention et en arrivant à un pareil résultat, en posant pour la première fois le principe de la reprise de l'exploitation des chemins de fer, en faisant le plus grand acte qui a été fait en matière de chemins de fer depuis le vote de la loi de 1834. La haine idiote et l'envie aux yeux louches iront en vain déposer dans quelque coin d'un journal obscur le produit de leurs communs efforts de dénigrement ; mais à l'homme qui a montré pareille attitude dans une affaire de cette importance, la Chambre, l'opinion publique et les honnêtes gens rendront complètement justice.
Mais si nous acceptons la responsabilité de la convention du 25 avril dans toute son étendue, il y a une responsabilité qui vous reste, c'est celle (page 499) de l'exécution et elle pèsera lourdement sur vous, si vous n'y prenez garde.
Le premier acte d'exécution est celui du rachat du matériel des compagnies. Eh bien, voici ce qui se passe : vous rachetez le matériel pour 26 millions ; vous allez donc grever les lignes qui sont reprises par l'Etat d'un matériel représentant un capital de 26 millions de francs, et même au delà. Eh bien, je dis que cela est excessif en raison du trafic des lignes que vous reprenez. Je dis qu'à ce point de vue, cela est injustifiable, complètement injustifiable, et j'ai l'aveu de la compagnie des Bassins houillers sur ce point : « Le chiffre de 26 millions représentant par kilomètre une somme de 43,400 francs, est hors de toute proportion avec le trafic du réseau. » On le reconnaît.
Comment explique-t-on ce qu'on veut faire ? Comment justifie-t-on la nécessité de livrer un matériel de 26 millions ?
C'est que, suivant la compagnie, le décompte du matériel en service se soldait régulièrement par une somme de 150,000 à 200,000 francs en sa faveur et qu'elle se plaignait constamment de ce que son matériel circulait trop longtemps sur les lignes de l'Etat. Donc ce n'est pas en raison de la nécessité de ce matériel pour les lignes qu'on va reprendre qu'on dépense 26 millions ; c'est en raison de l'insuffisance du matériel de l'Etat.
Eh bien, je vous avertis que vous ne pouvez venir dire ultérieurement : ces 26 millions que nous devons appliquer aux lignes que nous avons reprises, nous impose une charge de tant, ce qui nous constitue en perte. Et c'est ainsi que je vais répondre à l'interruption de tout à l'heure. Le budget a été établi pour l'exploitation de ces lignes et il a été supposé qu'on aurait un matériel d'une valeur de 18 millions environ. Le rapport des ingénieurs est là.
Nous n'avons traité qu'après avoir vu cette appréciation faite par divers chefs de service. Eh bien, qu'est-il arrivé ? C'est que ce budget ainsi établi se soldait par une perte de 168,000 francs. L'Etat, avec un produit kilométrique de 18,000 francs et la charge résultant d'un matériel de 18 millions de francs, perd 168,000 francs par an. Mais si vous mettez sur le compte de ces lignes un matériel de 26 millions, sera-t-on bien reçu à venir dire ensuite : Nous perdons 500,000 à 600,000 francs par an ?
Je n'examine pas si la raison que donne la compagnie pour expliquer le chiffre de 26 millions est admissible ; il me suffit de son aveu qu'un matériel de 26 millions est hors de toute proportion avec le trafic du réseau.
Mais vous êtes placés devant une difficulté que vous n'avez pas expliquée jusqu'à présent. Les députés des Flandres se déclareront satisfaits, s'ils le veulent ; je ne les provoque pas. Vous avez toujours cette difficulté : vous donnez 26 millions de matériel aux 600 kilomètres que vous reprenez ; et aux 400 kilomètres que vous ne reprenez pas, vous donnez 5 millions de matériel.
Sans doute, on n'a pas prétendu qu'il fallait le même matériel sur toutes les lignes. Il faut que le matériel soit en proportion du trafic et je ne dis pas que toutes ces lignes aient un égal trafic, mais il n'a pas été répondu sur ce point : comment il pouvait se faire, et comment on acceptait la responsabilité de prétendre qu'un matériel dans ces conditions était un matériel suffisant.
Cette responsabilité est donc à vous.
Nous ne sommes pas davantage responsables de la création de la caisse des annuités. Le gouvernement a été parfaitement éclairé à cet égard. On ne peut pas nier qu'il n'y avait aucun engagement à cet égard. Les divers orateurs qui défendent le gouvernement l'ont reconnu ; l'honorable chef du département des finances a lu dans les documents que je lui ai laissés, que si l'on constituait une caisse des annuités on pouvait anéantir toute la garantie des obligataires, il l'a lu ; il a consulté son avocat qui lui a dit : Légalement, vous le pouvez ; mais moralement, vous vous engagez et vous devez prendre certaines garanties ; M. le ministre des finances n'a tenu compte ni des indications du dossier, ni des conseils de son avocat. Il y avait cependant une condition bien simple à mettre dans les statuts : « Les annuités ne pourront être échangées que contre les rentes dues aux sociétés concessionnaires ou contre les obligations qui grèvent les lignes. »
La caisse des annuités ne pouvait être utile que pour ces objets-là ; l'honorable ministre des finances a fait l'aveu qu'il aurait pu obtenir certaines garanties, mais à une condition qu'il repoussait : le visa de la trésorerie sur ces titres.
« Après avoir examiné différentes combinaisons, nous disait-il le 1er décembre dernier, nous avons reconnu que nous ne pouvions aboutir à ce résultat (donner des garanties aux obligataires). On nous les aurait données, peut-être, en échange d'une estampille de l'Etat, garantissant les annuités d'une façon toute spéciale. Mais nous avons cru que nous ne pouvions pas, pour venir en aide aux obligataires, engager même moralement le crédit de l't'at. »
Et après avoir constitué la caisse des annuités sans garanties et sans conditions, en refusant d'engager même moralement le crédit de l'Etat, on arrive aujourd'hui, après de longs circuits, après avoir altéré le crédit des compagnies, après avoir fait la chose la plus fâcheuse pour le crédit des chemins de fer, on arrive précisément à donner l'estampille du trésor que l'on refusait pour ne pas même engager moralement l'Etat.
Vous aurez la responsabilité des actes que vous avez posés dans l'affaire du réseau franco-belge. Je n'ai parlé à ce sujet ni des conditions à mettre à la restitution des cautionnements, ni de l'époque à laquelle ces restitutions pouvaient être faites. Les questions que l'affaire présente devaient être résolues au préalable. J'ai constaté seulement qu'après avoir déclaré le 19 octobre que la compagnie du Luxembourg était déchue de son droit d'option et invité la Société générale d'exploitation à satisfaire à ses engagements, vous avez rouvert au mois de novembre le droit d'option de la compagnie du Luxembourg ; cet acte est resté inexpliqué.
Vous avez encore la responsabilité de la restitution des cautionnements, de l'abandon de toute garantie en faveur de l'Etat pour l'exécution des engagements contractés envers lui.
Vous dites en vain que vous êtes garantis au moyen des annuités ou des obligations ; vous ne l'êtes pas.
Vous dites en vain que ce que l'on peut invoquer contre les annuités ou les obligations dans vos mains, on le pouvait invoquer contre les cautionnements primitifs, que c'est là une question de cœur ou de sentiment que l'on pourrait agiter dans les deux hypothèses.
Non ; lorsque vous avez reçu, en fonds 4 1/2 p. c, la garantie des engagements pris envers l'Etat, personne ne pouvait élever de prétentions sur ce 4 1/2 p. c, tandis que pour les annuités vous saviez, au moment où vous les preniez, qu'il y avait des tiers qui pourraient éventuellement les revendiquer.
Vous avez, enfin, la responsabilité des propositions qui nous sont actuellement soumises. Celles-là émanent bien du gouvernement.
Mais j'en suis maintenant à me demander quelles sont, en réalité, les propositions sur lesquelles nous avons à nous prononcer ? Ce ne sont plus les propositions qui nous ont été annoncées, ce ne sont plus les propositions contenues dans la lettre du 16 ou du 17 janvier, écrite par l'honorable ministre des finances à la compagnie des Bassins houillers, dont il faut maintenant s'occuper.
Aujourd'hui, à la séance même, on a indiqué d'autres modes de solution, mais l'honorable ministre des finances nous les fait connaître de la manière la plus vague. Il se réserve, si le projet de loi est voté, de traiter avec la compagnie sur les bases qui ont été ainsi indiquées, mais que nous ne connaissons pas.
Je supplie le gouvernement de vouloir bien présenter cette proposition, de la formuler ; de répondre à la demande que nous avons faite dans des vues exclusives de bonne gestion des affaires publiques.
Nous avons dit, dès le premier jour : Si l'on insiste, l'on obtiendra d'autres conditions ; on pourra faire mieux, arriver à quelque chose de légal. Personne ne se plaindra de ce que, grâce à une discussion un peu prolongée, on soit arrivé à une solution satisfaisante du grand intérêt qui est en jeu. L'honorable ministre des finances ne doit donc avoir aucun scrupule de faire connaître ces propositions. Il ne peut s'abstenir de les soumettre à la Chambre. Si, après examen, nous les trouvons satisfaisantes, nous le déclarerons loyalement. Si le gouvernement a obtenu un bon résultat, nous ne pourrons que nous en féliciter.
Mais que l'on n'hésite pas à produire ces propositions et que l'on ne convie pas la Chambre à voter aveuglément un projet de loi qui, jusqu'à présent, n'est pas justifié.
(page 490) M. Liénart. - Messieurs, que l'honorable M. Frère ait été quelque peu irrité de mon discours, cela ne m'étonne pas ; ce qui m'étonne, c'est que, pour se défendre, il soit descendu au rôle de plagiaire. Vous avez pu lire, en effet, à diverses reprises, dans certain journal satirique de la capitale, où elles sont parfaitement à leur place, les plaisanteries que l'honorable M. Frère a cru convenable de répéter dans cette enceinte, en les mêlant à la grave et importante discussion qui occupe la Chambre et le pays depuis plus de quinze jours. J'en livre le bon goût à l'appréciation de mes collègues.
Pour amener ces plaisanteries, il a fallu à M. Frère prendre texte d'un extrait de compte rendu verbal d'une séance du conseil communal d'Alost, dont j'ai l'honneur de faire partie.
J'ai souvent remarqué, messieurs, combien il est dangereux, pour une personne qui ne connaît pas toutes les circonstances, de se servir, à la légère, de pièces qui lui sont complaisamment communiquées par une main étrangère.
Je constate de nouveau ce danger dans l'occurrence. M. Frère s'est complètement trompé, et l'induction à laquelle il est arrivé est, je regrette de devoir le dire, le contraire de la vérité.
M. Van Wambeke. - Tout à fait..
M. Liénart. - Nous n'avons jamais songé à tirer un profit électoral, ni de la convention du 25 avril, ni d'aucun acte qui aurait suivi cette convention ; je vous ai prouvé précédemment que vous n'en sauriez dire autant.
Avant les élections, le bruit s'était répandu que la ligne d'Anvers à Douai ne serait exécutée qu'en partie, que notamment le tronçon d'Anvers sur Alost serait remplacé par un tracé d'Anvers sur Termonde ; les intérêts d'Alost et d'une notable partie de l'arrondissement étaient menacés.
Nous nous adressâmes à l'honorable M. Jamar pour savoir si ces alarmes étaient justifiées ; il nous répondit négativement. Nous revînmes à Alost et nous fîmes part au conseil communal, en séance publique, des assurances formelles qui nous avaient été données.
Il ne fut plus question de ce bruit, et les élections du 14 juin comme celles du 2 août se firent sur cette assurance, c'est-à-dire sur un terrain favorable à l'ancien cabinet ; la loyauté politique le voulait ainsi.
Voilà sur quel terrain se sont faites les élections et je demande si nous n'avons pas dit la vérité aux électeurs ?
Mais, au lendemain des élections du 2 août, les inquiétudes, un instant apaisées par nos déclarations, éclatèrent de plus belle ; on nous affirmait qu'il existait des pièces qui portaient la suppression de la ligne directe d'Anvers à Douai.
Nous avons hésité d'abord à croire à ces appréhensions, tant la chose nous sembla invraisemblable, après les assurances que nous avions reçues et dont nous nous étions faits l'écho au sein du conseil communal. Mais quand nous sommes arrivés au ministère des travaux publics, où siégeait un nouveau titulaire et que nous avons pu prendre connaissance des pièces, il nous a bien fallu nous rendre à l'évidence. Nous avons été plus qu'étonnés de constater que, pendant qu'on calmait nos inquiétudes par les affirmations les plus rassurantes, on négocia la suppression partielle de la ligne directe d'Anvers à Alost ; nous trouvâmes dans le dossier les pièces qui n'avaient que trop justement donné lieu à ces émotions que nous avions cherché à apaiser ; une indiscrétion avait sans doute révélé l'existence de ces pièces destinées à rester secrètes jusqu'après les élections. Nous avions été joués. Mais grâce au revirement politique qui venait de s'opérer, le mal était peut-être réparable.
Le conseil communal, sur notre proposition, décida qu'une nouvelle démarche serait faite auprès de M. le ministre des travaux publics. L'honorable M. Wasseige avait pris la place de M. Jacobs. La députation crut bien faire de se rendre auprès de l'un et de l'autre. Elle fit valoir les raisons qui militaient en faveur de l'exécution complète et directe de la grande ligne internationale.
L'honorable M. Wasseige ne nous dissimula pas que la chose souffrirait quelques difficultés, que certains chefs de service se montraient peu favorables à la réalisation de la ligne directe telle qu'elle avait été primitivement conçue, mais il nous promit un examen bienveillant.
Quand il fut à la connaissance du conseil communal que l'examen bienveillant, qui nous avait été promis par l'honorable M. Wasseige, avait abouti au maintien de la ligne directe par Alost, le conseil lui vota des remerciements. Quoi de plus naturel ?
C'est cependant ce simple vote de remerciements qui est interprété par M. Frère comme une tactique électorale et qui remonte seulement à plusieurs semaines. L'honorable M. Frère ou son correspondant officieux eût mieux servi la vérité en citant la date de la séance dont il rapportait un extrait, mais la seule indication de la date aurait fait perdre à l'épisode tout son charme et on l'a passée sous silence.
Y a-t-il dans toute cette affaire une manœuvre électorale ? Oui, en effet, il y en a une, M. Frère-Orban a raison ; seulement elle fut exécutée par M. Jamar au profit de l'ancien cabinet.
M. Jamar. - Je demande à répondre un mot à M. Liénart.
Il est absolument inexact de dire que j'aie donné soit à lui, soit à ses collègues, une garantie quelconque quant à la construction de la ligne d'Anvers à Douai.
Au contraire, j'ai dit non seulement à M. Liénart mais à tous ses collègues que je ne pouvais lui donner à cet égard aucune assurance. J'ai ajouté que la question serait examinée, mais que je n'étais pas encore en mesure de prendre de résolution. Je fais appel sur ce point au souvenir d'un grand nombre de mes collègues qui, eux aussi, se préoccupaient de savoir quelle serait l'exécution donnée à l'article 17.
J'ai dit à ces messieurs, comme j'ai dit aux députés d'Alost, que cette question serait examinée avec le soin qu'elle comportait, qu'il n'y aurait point de lignes inutilement sacrifiées.
Mais il avait été matériellement impossible de statuer sur toutes les questions que soulevait l'exécution de cet article de la convention.
Ce qui vient prouver, au surplus, la sincérité de ce que j'affirme, c'est qu'en dernière analyse l'honorable M. Wasseige a pris la résolution qu'il croyait la plus convenable quant à la direction de la ligne d'Anvers à Douai.
M. Dumortier. - Que vous avez compromise avant lui.
M. Van Wambeke. - J'ai lieu d'être excessivement surpris de la déclaration que vient de faire l'honorable M. Jamar. Quand, peu de temps après la convention du 25 avril, je me suis rendu chez l'honorable M. Jamar, alors ministre des travaux publics, je lui ai demandé si je pouvais annoncer au conseil communal d'Alost que la direction de la ligne d'Anvers à Douai par Alost ne serait pas changée. Quelques jours après, j'ai fait cette déclaration au conseil communal d'Alost sur l'assurance que l'honorable M. Jamar m'avait donnée que la ville d'Alost ne serait point sacrifiée, en y ajoutant qu'elle était trop importante pour qu'on pût songer à faire passer le chemin de fer par une autre direction.
Je lui ai même déclaré, parce que j'avais le pressentiment d'une mystification possible, que j'entendais faire insérer dans tous les journaux de la Belgique la déclaration que j'allais faire au conseil. Ce qui prouve encore que l'honorable M. Jamar a bien réellement fait la déclaration dont il s'agit, c'est que des membres de la chambre de commerce d'Alost, parmi lesquels se trouve M. Cumont et autres qui font également partie du conseil communal d'Alost, ont immédiatement résolu de se rendre chez l'honorable M. Jamar pour obtenir la confirmation de la déclaration qu'il nous avait faite, et que de retour à Alost ils sont venus attester au conseil communal que M. le ministre des travaux publics d'alors leur avait donné les mêmes assurances qu'à nous ; c'est-à-dire que jamais la ville d'Alost n'aurait été sacrifiée.
Aussi, messieurs, grand a été notre étonnement quand, au lendemain des élections, nous avons appris qu'au moment même où l'honorable M. Jamar nous avait fait, à deux reprises, la même déclaration, il était déjà en possession de la lettre de M. Philippart du 25 avril aux termes de laquelle la ville et tout l'arrondissement d'Alost devaient être complètement sacrifiés.
Messieurs, je laisse le pays juge d'une pareille conduite. De deux choses l'une : ou la lettre de M. Philippart à l'honorable M. Jamar était un non-sens, ce que personne n'admettra, ou celui-ci savait, en la recevant, qu'il était question de faire passer le chemin de fer par Termonde et non par Alost. Dans ce cas, son devoir était de nous dire : Un changement est projeté ; je ferai mon possible pour qu'il n'ait pas lieu.
Mais telle n'a pas été sa réponse, et puisqu'on est venu nous donner lecture d'une délibération du conseil communal d'Alost, je donnerai de mon côté, s'il le faut, lecture de la déclaration qu'ont faite au sein de ce même conseil les deux membres de la chambre de commerce qui sont (page 491) venus, après nous, entretenir M. Jamar du trace du chemin de fer. On verra alors que, dans les deux circonstances, les déclarations de M. Jamar ont été identiquement les mêmes.
M. Jamar. - Je déclare que les souvenirs de l’honorable M. Van Wambeke le servent très mal. Après avoir reçu la lettre de M. Philippart, je restais aussi libre que l’honorable ministre des travaux publics quand il a pris la résolution qui a fixé définitivement le sort de cette ligne.
Je n'ai donc pas pu tenir le langage qu'on me prête. Je n'avais pas pu prendre de décision à cette époque.
Elle eût été prématurée, puisque le gouvernement n'avait pas pu soumettre encore l'article 17 de la convention à l'examen définitif qu'il devait nécessairement subir.
M. Frère-Orban. - L'honorable M. Liénart me paraît avoir grand tort de m'accuser d'avoir fait un plagiat. Je ne sais nullement à quoi il veut faire allusion Je n'avais lu nulle part cette histoire du conseil communal d'Alost, si elle a figuré quelque part. (Interruption.)
M. Liénart. - J'ai fait allusion à votre histoire de Putiphar.
M. Bouvier. - Vous n'avez fait qu'un plagiat d'histoire sainte.
- Un membre : Non, de la Chronique.
M. Frère-Orban. - (erratum, page 499) Je ne lis pas habituellement ce journal et je ne sais à quelle histoire on fait allusion.
M. Liénart. - Dans ce cas, vous vous êtes rencontré avec elle.
M. Frère-Orban. - Messieurs, je trouve que l'honorable M. Liénart avait été extrêmement rigoureux à notre égard, en prétendant qu'il y avait eu de notre part une manœuvre électorale lorsque nous avons soumis à la Chambre la convention du 25 avril.
M. Liénart. - D'autres ont ajouté leur démonstration à la mienne, M. Balisaux entre autres.
M. Frère-Orban. - Ah ! vous étiez le confident de M. Balisaux à ce point. Je vous laisse volontiers juge de la question de savoir il qui la convention du 25 avril a servi de manœuvre électorale dans l'arrondissement de Charleroi.
Maintenant, sur le fond même de la réclamation de M. Liénart, l'honorable membre dit que M. Jamar aurait laissé croire, aurait même déclaré que le chemin de fer d'Anvers à Douai passerait par Alost. Eh bien, il est évident que l'honorable M. Jamar n'a pu tenir ce langage. En voulez-vous la preuve : c'est l'intention même que vous lui supposez ; vous supposez qu'il a agi, afin de ne pas troubler un seul instant le terrain électoral ; pour cela, il devait garder le silence sur ce qu'il se proposait de faire.
Or, voici que l'honorable M. Jamar aurait commis la plus grande des inconséquences, en allant vous dire ce qu'il ferait. Il est donc impossible que l'honorable M. Jamar ait tenu ce langage...
Cela n'est pas raisonnable.
M. Jamar. - Et cela n'est pas. (Interruption.)
M. Liénart. - Du tout ; laisser croire à la veille des élections que la suppression n'aurait pas lieu était une ruse habile.
M. Frère-Orban. - Si l'honorable M. Jamar était lié, son successeur M. Wasseige l'était aussi ; il représentait alors le gouvernement ; or, M. Wasseige ne s'est pas le moins du monde considéré comme lié ; il a dit : « J'ai le droit de statuer sur les lignes comme je le jugerai nécessaire et utile. »
M. Tesch (pour une motion d’ordre). - Messieurs, un des points importants de ce débat est évidemment la manière dont seront garantis les intérêts des obligataires. M. le ministre des finances a bien voulu nous faire tantôt une communication. Mais n'est-il pas possible que les déclarations qu'il nous a faites soient formulées ? Si nous n'avons que les paroles vagues de M. le ministre des finances, une discussion sur les nouvelles propositions n'est pas possible.
Les paroles de l'honorable ministre des finances ne permettent pas d'apprécier au fond quelles sont véritablement les garanties qui seront données.
Je demande donc que le débat soit continué après demain et que demain...
- Voix à droite. - Non ! non !
M. Tesch. - Je déclare que si la situation reste ce qu'elle est aujourd'hui, je considérerai, pour ma part, comme non-avenues les déclarations qui nous ont été faites et je devrai continuer le débat comme si les obligataires n'obtenaient aucune espèce de garanties autres que celles qui nous ont été annoncées antérieurement.
Il serait préférable cependant pour abréger le débat, je dirai même pour le concentrer et pour éviter des discussions inutiles, de savoir exactement sur quoi nous avons à délibérer, ce que nous avons à apprécier, et ce qu'il y a de sérieux dans les propositions dont on nous a parlé !
Nous avons à notre ordre du jour différents projets qui exigent même une solution assez prompte. Il s'agit du déplacement de l'hôtel de la Monnaie ; il s'agit du crédit pour matériel de chemins de fer ; il y a enfin d'autres petits projets.
Je demande qu'on vole ces différents projets et que demain M. le ministre des finances nous formule quelque chose que nous puissions sérieusement examiner.
Je demande donc formellement que le débat soit renvoyé à après-demain et qu'on nous saisisse de propositions sérieuses.
M. Jacobs, ministre des finances. - Il n'y a qu'un point obscur dans les propositions dernières des Bassins houillers, c'est le quantum des annuités qu'ils délèguent à chaque compagnie. Je me mettrai en rapport avec eux pour être à même de donner dès demain à la Chambre, au commencement de la séance, des renseignemenls détaillés sur cette combinaison. Le cadre même de la combinaison est connu dès aujourd'hui : le seul point que j'ai à faire connaître à la Chambre, c'est la quotité exacte d'annuités que les Bassins houillers sont disposés à déléguer à chacune des compagnies primitives ; je serai à même de faire cette communication à la Chambre, demain au commencement de la séance.
M. Descamps. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de la section centrale sur le projet de loi portant allocation d'un crédit complémentaire au département des travaux publics.
- Ce rapport sera imprimé, distribué et l'objet qu'il concerne mis à la suite de l'ordre du jour.
M. Tesch. - Je crois, messieurs, devoir persister dans la proposition que j'ai faite. On nous donnera demain, dit-on, les indications que nous réclamons. Mais, messieurs, pourrons-nous les apprécier immédiatement, sera-t-il possible de discuter sérieusement, mûrement ?
Je n'ai pas, moi, messieurs, une rapidité d'intelligence suffisante pour apprécier à première vue quelle est la portée de déclarations qui sont faites séance tenante ; j'ai besoin de réfléchir et de beaucoup réfléchir avant de pouvoir parler, et je persiste dans la proposition que j'ai faite de remettre la suite du débat à après-demain et de prier M. le ministre des finances de nous donner demain les explications nécessaires.
M. le président. - M. le ministre, voyez-vous quelque inconvénient à ce que la discussion soit remise à après-demain ?
M. Jacobs, ministre des finances. - Non, M. le président.
M. le président. - Il n'y a pas d'opposition. La suite de la discussion est donc remise à après-demain.
La Chambre s'occupera demain du projet de loi portant déplacement de la Monnaie de Bruxelles ; du projet de loi allouant au département des travaux publics un crédit de 6,500,000 francs et, s'il y a lieu, d'autres petits projets qui sont à votre ordre du jour.
Il est procédé au tirage des sections pour le mois de février,
- La séance est levée à 5 heures.