(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1870-1871)
(Présidence de M. de Naeyer, premier vice-président.)
(page 295) M. Wouters donne lecture du procès-verbal de la précédente séance ; la rédaction en est approuvée.
M. de Vrints présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Les membres d'une société flamande prient la Chambre de décider qu'à partir du 1er janvier prochain, il sera publié une édition flamande du Moniteur. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les membres du conseil communal et des habitants d'Oisy prient la Chambre d'autoriser la concession d'un chemin de fer d'Athus à Givet, demandée par le sieur Brassine. »
- Même renvoi.
« La chambre de commerce et des fabriques d'Arlon demande que le gouvernement accorde la concession d'un chemin de fer d'Athus à la Meuse dans la direction de Charleroi. »
- Même renvoi.
« Le bourgmestre de Clermont demande que le sieur Riga, milicien de la levée de 1863, incorporé au régiment d'artillerie à Namur, soit libéré du service. »
- Même renvoi.
«L'administration communale de Tongres demande la construction d'une route de Tongres à Gelinden, aboutissant à la chaussée de Liège à Saint-Trond. »
- Même renvoi.
« Le conseil communal de Genval prie la Chambre d'accorder à la compagnie Rosart la concession d'un chemin de fer de Hal à Maestricht avec station à Genval. »
- Même renvoi.
« Les membres de l'administration communale de Nimy demandent le changement de cantonnement du 5ème escadron du 3ème régiment de lanciers. »
- Même renvoi.
« Le secrétaire communal de Wichelen demande que l'avenir des secrétaires communaux soit assuré, que leur traitement soit mis en rapport avec les services qu'ils rendent à l'Etat, aux provinces, aux communes et aux particuliers. »
« Même demande du secrétaire communal de Westmalle. »
- Sur la proposition de M. Van Renynghe, renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.
« Des habitants de Dolhain-Baelen prient la Chambre de porter à son plus prochain ordre du jour la demande de leur annexion à l'a commune de Limbourg et transmettent 125 exemplaires des procès-verbaux des séances du 14 et du 15 juillet dernier du conseil provincial, qui a émis sur cette question un avis favorable. »
,- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur la demande d'annexion et distribution aux membres de la Chambre.
« Le sieur Perpicon demande que la somme volée à la cour des comptes soit payée par ceux qui en sont responsables. »
- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi ouvrant au département des finances un crédit de 305,000 francs.
« Le sieur Polis demande que le projet de loi établissant une caisse générale de prévoyance des instituteurs primaires contienne une disposition pour améliorer les pensions déjà liquidées au profit des instituteurs communaux. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet.
M. le président. - Les sections ont autorisé la lecture de la proposition de loi qui a été déposée sur le bureau. Elle est ainsi conçue :
« Les soussignés ont l'honneur de déposer la proposition de loi suivante :
« Article unique. A défaut de dispositions contraires dans les lois particulières, toute poursuite pour recouvrement des amendes en matière fiscale ou disciplinaire est prescrite par trois années à dater du jour où les contraventions ont été commises.
« Signé : X. Lelièvre, de Baets. »
M. Lelièvre désire être entendu dans ses développements mardi prochain.
S'il n'y a pas d'opposition, il aura, mardi, la parole.
M. Moncheur. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la commission d'industrie sur une pétition de quelques sauniers de Gand.
- Ce rapport sera imprimé et distribué et mis à la suite des objets à l'ordre du jour.
M. le président. - La discussion continue. La parole est à M. Van Cromphaut, à qui M. Vermeire a cédé son tour de parole.
M. Van Cromphaut. - Messieurs, je n'ai pas eu l'intention de prendre la parole dans la discussion engagée depuis vendredi dernier, parce qu'il me répugne de ne pouvoir rien dire de bon sur les actes du premier magistrat de la commune de Cherscamp. Mais je n'ai pu garder le silence lorsque, dans certains passages du discours de M. Pirmez, je lui ai entendu constater que les opprimés étaient les oppresseurs.
L'honorable M. Pirmez a parlé pendant deux heures avec le talent que nous lui connaissons. Mais il a eu malheureusement une mauvaise cause à défendre ; aussi a-t-il, pour éblouir le public, su faire rire ses amis par des plaisanteries qui lui sont familières, et qui n'ont eu d'autre but que de ridiculiser les actes de l'honorable ministre de l'intérieur, dans la question qui nous occupe beaucoup trop longtemps déjà ; car c'est faire beaucoup d'honneur au bourgmestre de Cherscamp que de lui consacrer trois séances, ce qui coûte au pays déjà plus de 3,000 francs. (Interruption.)
M. Bouvier. - Et les révélations ?
M. Van Cromphaut. - L'honorable M. Pirmez, avec son habileté ordinaire, a tourné constamment autour de la question, il a parlé longtemps et nous l'avons écouté avec attention. Mais a-t-il répondu à tous les faits allégués dans la pétition dont il a été fait rapport par l'honorable M. Vander Donckt ? Evidemment non.
Je ne dirai pas que l'honorable M. Pirmez n'a pas rempli son devoir lorsqu'il était au ministère, par une lenteur préméditée apportée dans l'instruction de cette affaire. J'ai la conviction que la faute n'en est pas à lui, (page 296) et qu'il avait probablement perdu de vue sa demande de renseignements dans la province. Je connais M. Pirmez trop honorable et trop consciencieux pour négliger l'instruction d'une pareille affaire ; mais il est certain que, d'après son discours, il a été mal renseigné sur la position de la commune de Cherscamp.
Je dirai d'abord que la commune de Cherscamp n'est pas libérale, et je conteste même que le conseil communal tout entier serait libéral.
Je ne sais même pas si le bourgmestre l'est, et s'il connaît ce que c'est que le libéralisme.
Dans tous les cas, je pense que l'honorable M. Pirmez ne serait pas disposé à le revendiquer pour son parti, il ne lui ferait pas grand honneur. A Wetteren, commune de 10,000 habitants, et dans les environs, il y aussi des libéraux, mais des libéraux honnêtes, qui critiquent avec nous les actes arbitraires du fonctionnaire accusé. Cherscamp est en quelque sorte la banlieue de Wetteren, de sorte que nous sommes parfaitement au courant de tout ce qui s'y passe, et nous avons eu mainte fois a exprimer nos doléances à cause des actes qui s'y produisent.
Arrivons directement au fait ; je crains de prolonger ces débats.
L'honorable M. Pirmez a contesté l'existence des faux mandats, et il a déclaré que c'était un simple transfert, comme cela se pratique souvent. Il est vrai que mon honorable collègue blâme cette manière de faire, mais il n'en fait pas grand cas. Eh bien, je lui répondrai, depuis 28 ans que je fais partie du conseil communal de Wetteren, et pendant 15 ans que j'ai rempli les fonctions d'échevin, jamais, au grand jamais, un détournement de fonds n'a eu lieu, sans une autorisation de l'autorité compétente pour leur donner une autre application.
Eh bien, messieurs, ces mandats étaient parfaitement faux, et je le prouve par un certificat que je tiens ici à la main, signé par deux anciens échevins dont l'honorabilité n'est pas contestable. Cette pièce est écrite en flamand ; si on le désire, j'en donnerai la traduction :
« Les soussignés, Joseph Van Steendam et Englebert Baeyens, échevins de 1860 à 1866, attestent que le sieur bourgmestre Hoebants leur a toujours dit et affirmé que les travaux de l'entretien du presbytère, en leur montrant un compte détaillé, de 1862 à 1865, étaient toujours exécutés et qu'ils n'ont jamais su qu'il existait de faux mandats. Seulement le fait nous a été signalé par le ci-devant secrétaire communal Vansteendam.
« Cherscamp, le 10 décembre 1870.
« J. Van Steendam, E. Baeyens. »
M. Pirmez. - Baeyens, oui ; c'est cela.
M. Van Cromphaut. - Or, messieurs, comme vous le voyez, le bourgmestre a fait accroire à ces échevins que les travaux de réparation et d'entretien étaient réellement faits à la maison du curé, tandis que pendant quatre ans aucune réparation de ce genre n'avait eu lieu. Qu'a-t-on fait de ces fonds ?
Le secrétaire, communal d'alors, feu le sieur Venneman, ne pouvait transiger avec sa conscience ; il dénonça le fait aux échevins dont il s'agit. Aussi a-t-il payé cher sa révélation, et le bourgmestre l'a tellement tourmenté, qu'il a été obligé de donner sa démission.
Arrivons à tous les autres faits signalés dans la pétition ; n'ont-ils pas leur gravité, et l'honorable M. Pirmez est-il parvenu à nous démontrer que tout cela est régulier ?
Mais, dit M. Pirmez, le conseil tout entier a approuvé tous les actes du bourgmestre jusqu'à la suspension et la demande de révocation de l'instituteur communal.
Je répondrai à M. Pirmez que le bourgmestre constitue à lui tout seul le conseil, il en est le maître absolu, et il en dispose comme il l'entend. Vous n'en serez pas étonné lorsque vous apprendrez que tous les conseillers dépendent de lui, ils sont ses fermiers, ou ils sont les fermiers du grand propriétaire dont il a le pouvoir de disposer des baux. Il faut savoir que la commune de Cherscamp est purement agricole, que tous les habitants vivent de l'agriculture, et que perdre une parcelle de terre en fermage, c'est perdre leur gagne-pain. Les cultivateurs sont très sensibles de ce côté, et ils préfèrent tolérer les volontés du bourgmestre, et subir la tyrannie de celui-ci, plutôt que de se montrer les adversaires de ses actes, qu'ils ne réprouvent pas moins dans le cœur.
C'est ainsi que le sieur Hoebants, par une faible majorité, est encore maître des élections dans sa commune.
Le despotisme et la vengeance durent un certain temps, mais il vient un moment où la boule roule à sa fin ; elle tombe, et alors vous verrez revivre ceux qui paraissent encore être ses adhérents, et se réjouir d'avoir reconquis la liberté, cette liberté si chère à nous tous, pour laquelle tant d'honorables et courageux frères ont versé leur sang en 1830.
Il semblerait, messieurs, que notre émancipation de 1830 n'a pas passé par la commune de Cherscamp ; donc les habitants ont le droit de s'insurger si on ne leur fait pas justice. Mais justice sera faite, j'ai confiance dans la paternelle administration de M. le ministre de l'intérieur qui saura agir selon sa conscience et son devoir, et nous devrions être unanimes pour y applaudir.
Ce n'est pas une question de parti que je traite, mais j'ai le droit de protester hautement contre tous ces actes iniques qui se passent à Cherscamp, et je dois protection aux excellents habitants de cette commune, si injustement traités.
La vengeance du bourgmestre va si loin, qu'il sévit contre tous ceux qui ne votent pas pour lui.
Je tiens ici une liste de vingt-deux contribuables dans la cotisation dite de l'octroi : ce ne sont pas ses partisans ; eh bien, tous les ans, depuis un très grand nombre d'années, ces braves gens sont surtaxés et doivent recourir annuellement à la députation permanente pour obtenir justice, et une réduction de 5, 10, 20, 30 et 50 francs, selon leur classement, leur est accordée.
Cette liste, messieurs, est signée par le receveur communal, un honnête cultivateur.
Je tiens ici une autre pièce également signée, qui constate l'extrême violence du bourgmestre et son emportement.
J'ose à peine le dire ; dans cette pièce je vois que le bourgmestre, lors de la vérification de la caisse du receveur communal, accompagné d'un échevin, s'est tellement emporté, qu'il a chargé cet échevin d'aller chercher le garde champêtre et de lui apporter son fusil à deux coups, disant qu'il tuerait le sieur Baeyens, lui et toute sa famille, dans sa propre maison. Plusieurs témoins étaient présents à cette scène scandaleuse qui se ressent du sauvage. L'échevin partit en effet, mais il revint bientôt et il déclara n'avoir pas trouvé le garde champêtre. Je puis citer, au besoin, trois témoins de cette scène, accourus par le bruit que faisait le bourgmestre. Le brave échevin Vanwesemael a sagement agi en lui faisant accroire l'absence du garde champêtre. Toutefois, ce dernier est un brave fonctionnaire qui ne prêterait pas vite la main à un pareil forfait.
Je veux bien admettre que ce n'était là qu'une menace pour intimider son adversaire, mais l'effet n'a pas été moins terrible dans le ménage de ces honnêtes gens qui ne lui avaient fait aucun mal.
J'arrive à un autre point. Trois parcelles de terre sont louées publiquement. Elles appartiennent au bureau de bienfaisance. La première est louée 36 fr., la deuxième 60 fr. et la troisième 15 fr.
Le receveur communal certifie que le bourgmestre, de son propre chef, a accordé une réduction
De 6 fr. au premier fermier, de 5 fr. au deuxième et de 4 fr. au troisième, ensemble 15 fr. dont il a frustré le bureau de bienfaisance pour faire de la faveur à ses vassaux. Cela est-il régulier ?
Par contre, pour punir ceux qu'il considère comme ses ennemis, il leur refuse leur salaire.
Depuis un grand nombre d'années, M. le curé de l'endroit bine dimanche pour faciliter aux habitants de remplir leurs devoirs religieux. Une somme était portée au budget pour subside de ce chef au curé ; depuis plusieurs années, ce subside lui a été retiré.
La somme portée au budget pour remonter l'horloge qui appartient à la commune, et celle portée pour la sonnerie de la cloche de retraite ou de police, sont également retranchées, parce que c'était le sacristain qui devait en recevoir le payement pour ses peines.
Ainsi, M. le bourgmestre ne veut d'aucune lumière, il repousse les enfants de l'école, il empêche aux habitants de voir l'heure, et il ne veut pas les prévenir, lorsque l'heure de la retraite est là.
Je tiens encore ici deux certificats constatant la puissance du bourgmestre pour empêcher les habitants d'envoyer leurs enfants à l'école communale.
Il y a plus : une fille de mauvaises mœurs, publiquement constatées, renvoyée de l'école par l'instituteur, fut, par autorité du bourgmestre, réintégrée au milieu d'autres filles. Cet acte a produit un triste effet sur les parents, et sur tous les enfants.
Enfin, messieurs, les violences du bourgmestre n'ont pas de bornes, et les menaces de ruiner les gens qui ne sont pas de son bord ne sont que (page 297) trop fréquemment dans sa bouche. Je puis, au besoin, en fournir la preuve par des témoins fort honorables et incapables de mentir.
Messieurs, je cesse le narré de tous ces griefs qui pèsent sur le premier magistrat de Cherscamp ; s'il fallait les relater tous, on n'en finirait pas, et la Chambre a hâte d'en finir.
Toutefois, je tiens à dire un dernier mot, par rapport à M. Steppe, instituteur communal. Ce bon instituteur a été réellement calomnié. C'est un excellent père de famille qui a encore neuf enfants en bas âge. Il a grande peine à vivre, comme vous pouvez le penser ; il doit évidemment se priver du nécessaire, comment est-il possible de l'accuser comme chef de parti, comme un brouillon et un révolutionnaire ? Il n'est ni l'un, ni l'autre.
M. Steppe jouit de la considération publique et de celle surtout de tous ses collègues qui le considèrent comme un des meilleurs et des plus dignes instituteurs de la Flandre orientale. Non, M. Steppe n'est pas un révolutionnaire, c'est un homme de progrès, c'est un habitant paisible, serviable et bienveillant. J'ai tenu à justifier ce brave et digne instituteur, ma conscience m'y obligeait, j'ai rempli un devoir, et je m'en sens soulagé.
M. Pirmez. - L'honorable représentant de Termonde a fait le calcul de ce que coûte au pays cette discussion. II me rendra la justice de ne pas l'avoir provoquée. Si la Chambre a eu à s'occuper de cette affaire, c'est parce que M. le ministre de l'intérieur, d'accord avec les honorables députés de Termonde, a cru devoir l'organiser contre moi ; c'est parce qu'au lieu de se borner à faire par des actes administratifs ce qu'il croyait bon, il a, avant le rapport sur une pétition, fait faire une instruction sur cette pétition pour se trouver prêt à m'accuser quand le rapport sur cette pétition est venu.
Je comprends qu'il serait plus agréable aux honorables députés de Termonde que je me fusse laissé exécuter dans la séance de vendredi sans répondre. Mais ce rôle ne me convient pas. Quand l'honorable membre se plaint d'une discussion, il doit s'adresser à ceux qui l'ont provoquée et s'il y prend part, ajouter à ce que coûte au pays cette discussion, ce que lui coûte son discours et le plaisir de lire en flamand et en français exactement la même chose.
Il paraît que ce n'est pas une question libérale et cléricale que celle de Cherscamp. Mais si la politique est tout à fait étrangère à cet incident, pourquoi m'a-t-on accusé de n'avoir pris la décision critiquée que pour faire triompher le parti libéral ?
L’honorablc M. Van Cromphaut se plaint de e oque je ne discute pas d'une manière assez sérieuse, il va plus loin, il croit, pour être à la hauteur de son sujet, devoir parler du sang versé en 1830.
M. Bouvier. - La Brabançonne.
M. Pirmez. - J'avoue que mon caractère ne se prête pas à introduire ce dramatique dans un débat comme celui-ci, et je laisse à l'honorable M. Van Cromphaut l'incontestable supériorité qu'il a sur moi en ce genre.
Mais puisque l'on veut des souvenirs de 1830, je lui rappellerai qu'il est assez contraire à ces souvenirs, de voir qu'une commune est prête à s'insurger si le ministère ne dompte pas son conseil communal.
Chaque jour on dit que la révolution de 1830 a consacré l'indépendance de la commune. M. le ministre de l'intérieur se pose en champion de l'indépendance communale, et ce que vous voulez aujourd'hui c'est qu'on n'ait aucun égard à une décision prise à l'unanimité par un conseil communal.
M. Van Cromphaut a produit une foule de certificats, on m'en a envoyé au moins autant qui pourraient être lus en français et en flamand.
Mais ce n'est pas discuter comme il convient à cette Chambre que de venir invoquer des certificats, qui ne feraient pas même foi devant un tribunal de simple police.
M. Van Cromphaut invoque le témoignage d'un nommé Beyens, échevin ; il invoque le témoignage d'un autre Bayens, receveur communal ; et on m'a assuré que le premier ne met pas ses enfants chez l'instituteur. Quant au second, M. Van Cromphaut ignore-t-il qu'il a été révoqué par le conseil communal parce qu'il avait refusé de laisser vérifier sa caisse et que le jour où on est parvenu à la vérifier, on constata qu'il avait placé 4,000 francs chez un agent d'affaires ? Ignore-t-il qu'il y a au dossier de M. le ministre un rapport très sévère contre ce fonctionnaire ?
Et c'est l'administration communale qui devrait être blâmée parce qu'elle a voulu empêcher de pareils faits !
Je pourrais aussi entrer dans beaucoup de détails si je voulais suivre l'exemple de l'honorable membre, même parler d'affaires de chasse, car moi qui ne connaissais en rien cette commune, j'ai été accablé de renseignements depuis vendredi.
Mais j'aime mieux aborder le débat principal.
Messieurs, l'honorable ministre de l'intérieur, qui est historien, sait fort bien que les deux yeux de l'histoire sont la géographie et la chronologie.
Quant à la géographie, nous sommes satisfaits et nous savons fort bien que la commune de Cherscamp fait partie de l'arrondissement de Termonde. Mais je voudrais bien que l'on respectât un peu la chronologie, car le discours de M. le ministre de l'intérieur est un chef-d'œuvre de confusion de dates.
De quoi s'agissait-il, au début de la discussion ? De juger un acte que j'ai fait le 20 juin. C'est le 20 juin que j'ai signé la lettre invitant l'instituteur ù donner sa démission. C'est par les documents formant le dossier à cette date que je dois être jugé. J'ai demandé à M. le ministre de l'intérieur de me communiquer le dossier et j'ai constaté que si je trouvais dans le dossier la lettre du gouverneur, en date du 7 juin, par laquelle il me proposait cette mesure, cette lettre était seule ; les annexes manquaient.
Or, ces annexes, c'était le dossier complet sur lequel j'avais eu à me prononcer.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - C'est par vous que ces pièces ont été renvoyées.
M. Pirmez. - Evidemment, elles ont été renvoyées par moi à Gand avec la lettre du 20 juin et elles n'étaient pas en votre possession ; mais vous nous avez dit hier qu'elles vous étaient revenues hier matin. Vous êtes venu produire une partie des pièces, celles qui vous convenaient.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - J'ai tout lu.,
M. Plrmcz. - Dans ce cas, vous m'avez accusé sans avoir pris connaissance du dossier sur lequel j'avais statué : parmi les annexes à la lettre du gouverneur étaient notamment les deux rapports de votre parent, M. Kervyn.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - J'ai eu les rapports en juillet et en août.
M. Pirmez. - Je dois montrer comment vous avez procédé pour faire apprécier votre manière d'agir à mon égard. (Interruption.)
J'userai de mon droit de défense jusqu'au bout.
M. le ministre de l'intérieur m'a donc accusé vendredi dernier sans avoir jamais eu en mains le dossier sur lequel j'avais prononcé, car ce dossier n'était pas dans les pièces qui m'ont été communiquées.
Le 7 juin, le gouverneur m'a transmis la demande de révocation avec tout le dossier. J'ai statué sur cette demande.
M. le ministre de l'intérieur, au lieu de prendre le dossier, l'a laissé à Gand et a fait faire une nouvelle enquête.
Il a demandé des rapports et c'est par des rapports faits ainsi sous son administration et jusqu'au commencement de ce mois, jusqu'au 10 courant, qu'il veut faire juger mon acte.
Je demande si c'est un procédé possible que de faire faire de nouveaux rapports pour se prononcer, au mois de décembre, sur ce qui a été fait au mois de juin, et de ne pas produire les rapports sur lesquels a été prise la décision de juin ?
Je sais bien que ma justification serait trop claire si l'on produisait les deux rapports de M. Kervyn. Il est bien étonnant que ces pièces, qui formaient des annexes de la lettre du gouverneur, ne se trouvent plus.
J'ai le droit de croire que ces deux pièces se trouvaient jointes à la lettre du gouverneur ; M. le ministre peut vérifier le nombre des annexes ; et ce fonctionnaire dit que sa proposition s'appuie entre autres sur une demande de M. Kervyn faite au mois de janvier, jointe à sa lettre et reproduite en termes plus nets en avril. (Interruption.)
On n'arrangera pas au mois de décembre un dossier pour condamner ce que j'ai fait au mois de juin. On n'arrangera pas cela en famille.
Il est donc constaté par la lettre du gouverneur, qu'au mois de janvier, M. Kervyn, inspecteur provincial, demandait le déplacement de l'instituteur, et il a renouvelé sa demande le 30 avril en réclamant une décision dans un bref délai.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Jamais la révocation.
M. Bouvier. - Mais produisez les pièces.
M. Pirmez. - Je vous montrerai tantôt, par votre propre discours, M. le ministre, que j'ai fait ce qu'il a demandé.
Voici, en attendant, ce que dit le gouverneur :
« Enfin, par sa lettre du 30 avril dernier, ce fonctionnaire, convaincu de l'impossibilité de prolonger le statu quo, émet le vœu que vous preniez dans le plus bref délai une décision définitive sur le sort du sieur Steppe, en conformité de l'article 11 de la loi de 1842. »
(page 298) Or, je demande à M. le ministre de l'intérieur quelle décision plus douce on peut prendre en vertu de l'article 11 de la loi de 1842, que celle que j'ai prise ; on peut décider la révocation immédiate, mais on ne peut prendre de mesure moins rigoureuse que celle que j'ai prise.
Ainsi on vient m'accuser d'avoir cédé à des rancunes politiques, mais on laisse toujours de côté les demandes de l'inspecteur provincial, hostile à notre politique et sollicitant, à deux reprises, de prendre la mesure que l'on critique !
Ma justification serait éclatante en présence de ces pièces qui ne paraissent pas ; elle est plus éclatante encore de leur absence dans de pareilles conditions !
Mais, chose merveilleuse, si on ne trouve pas dans les annexes ces rapports, on y trouve deux pièces qui me seraient défavorables ; ce sont deux rapports du commissaire d'arrondissement de Termonde.
Mais ces pièces émanent de M. Fraters, qui déclare lui-même né pas pouvoir se prononcer dans cette affaire avec le calme convenable. Je rends hommage à la délicatesse d'un fonctionnaire qui se récuse ainsi ; mais faut-il, malgré sa récusation, ne vouloir entendre que lui, et récuser tous ceux qui ne se récusent pas ?
Que dit cependant ce fonctionnaire ? Que l'instituteur mérite une réprimande, que l'instituteur, malgré la défense qui lui en avait été faite, a repris ses fonctions de sacristain. qu'il avait d'abord abandonnées. Il va plus loin et ajoute : » Quant aux griefs articulés dans la délibération à l'égard du sieur Steppe, de répandre de mauvais principes parmi ses élèves, je ne puis en juger ; mais il me semble que la regrettable et profonde zizanie qui règne entre les habitants de Cherscamp et dont leurs enfants se sont peut-être faits l'écho, explique jusqu'à un certain point les cris du gestes irrespectueux signalés par l'administration communale ; mais doit-on rendre l'instituteur responsable de ces cris ou gestes ? Ne les a-t-il pas réprimés aussitôt qu'ils sont venus à sa connaissance ? »
M. le commissaire d'arrondissement de Termonde ne résout pas cette question.
Il est donc constaté qu'à Cherscamp les enfants mêmes se permettaient des actes irrespectueux vis-à-vis de l'administration communale. M. le ministre de l'intérieur aura beau dire, l'instituteur de Cherscamp ne prêchera pas d'exemple.
Vous n'avez pas voulu, M. le ministre, voir le dossier sur lequel j'ai statué ; il vous en a fallu un autre que vous avez fait faire. Eh bien, je prends votre dossier et nous allons voir si ce dossier, si cette arme forgée contre moi ne vous accable pas aussi.
Vous avez fait, dans la séance d'hier, un grief à l'administration communale d'avoir suspendu l'instituteur et de l'avoir remplacé par un instituteur provisoire, sans que l'inspecteur cantonal fût consulté.
Ecoutez ceci, messieurs, la chose en vaut la peine.
Voici comment M. le ministre de l'intérieur s'est exprimé et il n'est en cela que l'écho de son parent, M. l'inspecteur Kervyn :
« Est-il vrai, oui ou non, que lorsque en janvier 1870, le conseil communal a suspendu l'instituteur, celui-ci s'est trouvé sans protecteur et que le bourgmestre a pu impunément installer dans l'école communale un instituteur sur le compte duquel l'inspecteur cantonal n'avait pas même été consulté ? »
Interrompant M. le ministre, je lui dis : « C'est une erreur », et M. le ministre me répond : « Je donnerai tout à l'heure à la Chambre lecture des pièces qui constatent le fait. » J'interromps de nouveau M. le ministre pour lui dire : « L'inspecteur cantonal du premier ressort a été consulté » ; et M. le ministre répond de nouveau : « L'inspecteur cantonal du ressort n'a pas été consulté. »
Pourquoi cette contradiction ?
D'après M. l'inspecteur provincial à la lettre duquel M. le ministre de l'intérieur faisait allusion, le conseil communal, au lieu de s'adresser à l'inspecteur du neuvième ressort, où est Cherscamp, a consulté celui du premier.
Au premier abord, cela peut paraître assez étrange, et l'on conçoit qu'aux yeux du ministre de l'intérieur ce fait prenne les proportions d'un grief contre l'administration communale de Cherscamp.
Pourquoi n'a-t-on pas consulté l'inspecteur du ressort de Termonde ? Si, dans la cause, il y avait une circonstance atténuante, M. le ministre de l'intérieur aurait dû en tenir compte.
Or, la raison, la voici ; personne ne la devinerait : si l'on n'a pas consulté l'inspecteur du neuvième ressort, c'est tout simplement parce qu'il était mort. (Interruption.)
M. Bouvier. - Oh ! oh ! oh ! on va d'étonnement en étonnement. (Interruption.)
M. Pirmez. - Et maintenant, si l'on veut savoir pourquoi l'inspecteur du premier ressort a été consulté, ce ne peut être que parce qu’il avait été chargé de l'intérim du neuvième, en attendant la nomination du nouveau titulaire.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Connaissez-vous la date de sa mort ?
M. Pirmez. - Je n'en connais pas la date exacte, mais je sais qu'elle est antérieure au 20 décembre 1869.
Voilà, messieurs, comment on parvient à forger des griefs contre une administration communale. Faut-il s'en étonner quand on voit ce qu'écrit aujourd'hui M. l'inspecteur Kervyn pour blâmer une mesure que lui-même m'a proposée à une autre époque ?
Mais ce n'est pas tout, messieurs ; on a trouvé d'autres histoires aussi étranges que celle-là et M. le ministre de l'intérieur, sans bien en comprendre la portée sans doute, s'en est rendu l'écho, car il a approuvé en tout, lui, M. le ministre, ce que j'ai fait. (Interruption.) Oui, M. le ministre de l'intérieur a approuvé hier tout ce que j'ai fait, sans s'en douter. (Interruption.)
M. Van Wambeke. - L'affaire est jugée alors.
M. Bouvier. - Le pays la jugera.
M. Pirmez. - Voici ce que je lis dans le discours de M. le ministre de l'intérieur. Ecoutez : Répondant à l'invocation que j'avais faite de ce rapport de M. l'inspecteur Kervyn du commencement de l'année, M. le ministre me disait :
« De quoi s'agissait-il alors ? Il s'agissait d'une position tendue, fâcheuse, regrettable. L'inspecteur provincial de l'enseignement croyait, attendu que Steppe avait droit à sa pension, qu'il était bon, qu'il était dans l'intérêt de la commune qu'on l'admît à faire valoir ses droits à la retraite. »
Voilà ce que M. le ministre de l'intérieur trouve tout naturel ; eh bien, je-lui demande si j'ai fait autre chose.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Voulez-vous lire la dépêche du 20 juin ?
M. Pirmez. - Par ma dépêche je reconnais que l'instituteur ne peut être maintenu, je charge le gouverneur de l'inviter à donner sa démission ; et j'autorise le gouverneur à le révoquer s'il s'y refuse.
Eh bien, lorsque je disais à l'instituteur : « Je vous donnerai votre démission », cela ne voulait dire autre chose sinon « vous serez mis à la retraite. »
M. Wasseige dit que non.
M. Wasseige, ministre des travaux publics. - Je dis au contraire que oui.
M. Pirmez. - Eh bien, veuillez alors expliquer la chose à M. Kervyn, pour qu'il la comprenne ; vous pourriez ainsi faire gagner un peu de temps à la Chambre, et au pays un peu d'argent, ce qui touche M. Van Cromphaut.
M. Wasseige, ministre des travaux publics. - Je ne conçois pas même que tout le monde n'apprécie pas comme moi votre manière anodine d'offrir aux instituteurs leur mise à la retraite volontaire.
M. Pirmez. - Je vais montrer que l'instituteur avait accepté lui-même la combinaison. Voici ce que vous dites, M. Kervyn :
« Le sieur Steppe consentait à cette combinaison (celle de sa mise à la retraite). »
L'instituteur avait donc consenti à se retirer.
Veuillez remarquer qu'il n'y a pas de mise à la retraite proprement dite en matière d'instruction primaire ; les communes ne payent pas de pension ; elles ne mettent donc pas à la retraite ; elles se bornent à accepter la démission, et quand cela arrive, la caisse provinciale des pensions intervient pour fixer et payer la pension.
L'instituteur, à un moment donné, avait accepté cette retraite.
Si je prends le rapport de l'inspecteur cantonal, fait dans l'enquête récente, qu'est-ce que j'y trouve ? Ce qui suit : « Si à cette époque Steppe avait donné suite à la promesse qu'il m'avait faite de solliciter sa retraite, bien des difficultés eussent pu être évitées et nous ne serions pas obligés aujourd'hui d'exhumer tous ces souvenirs. »
Ainsi l'instituteur s'était engagé à se retirer, et je n'ai pas fait autre chose que de le mettre en demeure d'accepter une mesure à laquelle il avait consenti.
Voilà l'acte de violence que j'ai posé. (Interruption.)
M. le ministre a dit, il est vrai, que l'autorité communale avait refusé de délivrer à l'instituteur un certificat de moralité nécessaire à sa pension.
(page 299) Messieurs, les droits à la pension sont acquis en vertu de l'arrêté royal qui organise les caisses provinciales de prévoyance. Je demanderai à M. le ministre de l'intérieur s'il dépend d'une administration communale de faire perdre à un instituteur ses droits à la pension, en lui refusant un certificat de moralité. (Interruption.)
La commune peut certainement être contrainte à délivrer le certificat. C'est une obligation pour les autorités communales de faire les actes qui lui incombent en vertu des lois et des arrêtés royaux. Si la commune refuse de faire un de ces actes, on peut lui envoyer un commissaire spécial, qui le fait pour elle.
Il y a d'autres moyens encore sans doute de parer à un refus qui ne serait pas justifié, mais dans la circonstance actuelle, il n'était nullement à craindre qu'il n'en fût pas ainsi, puisque la députation permanente pouvait prendre la mesure.
II est donc constaté, M. le ministre, que l'instituteur avait consenti à donner sa démission ; vous reconnaissez avec M. l'inspecteur provincial que c'était l'intérêt de la commune ; mes décisions n'ont fait qu'y contraindre l'instituteur.
Du reste, vous avez déclaré d'une manière formelle que vous partagiez mes principes sur la matière : c'est donc uniquement une question de fait qui nous sépare.
Voici ce que vous disiez à ce sujet : « J'aime à croire que la Chambre sera convaincue que le gouvernement s'est placé dans une région de justice et d'impartialité, qu'il n'a pas recherché quels étaient les partis politiques qui divisent la commune. Et s'il est vrai, ce qui n'est pas démontré, que l'instituteur a pris part à leurs démêlés, je déclare bien haut que je ne permettrai ni à l'instituteur de Cherscamp, ni aux autres instituteurs du pays de se mêler activement aux luttes politiques. »
Mais alors qu'est-ce qui nous divise ?
C'est donc uniquement la question de savoir si l'instituteur communal de Cherscamp est intervenu dans les luttes communales.
Mais M. le ministre de l'intérieur n'a qu'à prendre les rapports qui sont au dossier même de l'enquête ; M. l'inspecteur cantonal dit ceci :
« Vous n'ignorez pas qu'une tension extrême existe depuis longtemps entre l'autorité communale de Cherscamp et l'instituteur Steppe. A diverses reprises ces dissentiments ont pris le caractère d'une hostilité ouverte. L'instituteur, poussé par un parti hostile au bourgmestre, n'a pas toujours su se maintenir dans la ligne de réserve que lui traçaient et la prudence et sa position particulière vis-à-vis du premier magistral de la commune. »
Mais M. le ministre de l'intérieur n'a pas même besoin d'aller chercher aussi loin ; il en a une preuve dans la pétition qui se trouve à son dossier, qui est écrite de la main même de l'instituteur, et qui dénonce des abus financiers prétendument commis par l'administration communale de Cherscamp.
N'est-ce pas là un acte d'intervention dans les affaires de la commune et d'hostilité contre l'administration ? M. l'inspecteur cantonal dit à cet égard :
« Avant de terminer (c'est une lettre du 8 décembre de cette année), je ne crois pas inutile de vous faire observer que la dénonciation à M. le ministre de l'intérieur émane de l'instituteur Steppe et est écrite de sa propre main. Ce nouveau brandon de discorde lancé dans la mêlée, ne constitue pas un gage de réconciliation pour l'avenir. »
Et c'est en présence de pareils faits que M. le ministre de l'intérieur nous déclare qu'il veut empêcher les instituteurs d'intervenir dans les affaires communales, mais que l'instituteur Steppe ne s'en est pas mêlé !
Je termine, messieurs. Je n'ai pas à renouveler les observations que j'ai faites sur le premier discours de M. le ministre de l'intérieur quant à la gestion financière communale ; elles n'ont été l'objet d'aucune réfutation. J'ai rétabli à des faits irréguliers et que j'ai blâmés, leur caractère vrai ; je n'entends pas plus justifier tous les actes qui ont suivi la décision de M. le ministre et qui émanent de l'administration de Cherscamp. J'ai justifié mes actes, c'est là ce que j'avais à faire.
M. le ministre de l'intérieur a encore dit un mot de l'affaire d'Oost-Eecloo.
Nous savons pourquoi il a exhumé le dossier relatif à cette affaire. Pour y prendre une phrase du gouverneur de la Flandre orientale, phrase dans laquelle ce magistrat déclare qu'il ne faut pas, sans motif avouable, que l'on sévisse contre des instituteurs communaux !
Croirait-on que, pour proclamer cette vérité, il faille recourir à un dossier qui n'appartient pas à mon administration, mais à l'administration de mon prédécesseur, et qui date de 1867 !
Croirait-on que M. le ministre de l'intérieur se livré, dans son département, à de pareilles recherches archéologiques ?
La discussion de cette affaire n'eût pas manqué d'enseignement, et loin de la redouter, je l'ai vue avec satisfaction, mais ce n'est pas moi qui soulèverai un nouvel incident.
M. Balisaux. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la commission permanente d'industrie sur une pétition d'habitants de Fayt-le-Franc.
M. de Zerezo de Tejada. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi approuvant un acte additionnel au traité de commerce à signer avec l'Espagne.
- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ces rapports et les met à la suite des objets à l'ordre du jour.
M. Vermeire. - Messieurs, après les explications qui ont été données à la Chambre par M. le ministre de l'intérieur et par l'honorable M. Pirmez, j'aurai très peu de chose à ajouter. Je ferai cependant remarquer que ce débat qui, dans le principe, ne devait être considéré que comme une tempête dans un verre d'eau, a pris des proportions excessivement étendues et a dégénéré en un débat personnel entre M. le ministre de l'intérieur passé et M. le ministre présent.
Je n'ai pas, quant à moi, à intervenir dans ce débat personnel. Cependant, je ferai observer qu'il est très malheureux que ce soit sur le dos d'un simple instituteur d'une petite commune, qui ne peut se défendre ici, que se livre ce grand débat entre deux ministres.
M. Bouvier. - Et le bourgmestre.
M. Vermeire. - Mon honorable ami, M. Van Cromphaut, qui connaît plus particulièrement la commune de Cherscamp, laquelle est voisine de celle de Wetteren, vous a déjà signalé les nombreux abus dont l'administration communale de Cherscamp et M. le bourgmestre de cette commune en particulier, se sont rendus coupables. Ces faits dénoncés à l'autorité compétente, ayant été produits en justice devant le tribunal correctionnel de Termonde, y ont été très durement qualifiés et y ont été même argués de faux par les juges qui siégeaient dans cette affaire.
Je n'ai pas à examiner ici à quel parti politique appartenaient ces magistrats ; je l'ignore. Mais ce que je puis dire, c'est que ces faits examinés d'une manière impartiale, comme le fait habituellement le tribunal de Termonde, doivent être excessivement graves pour avoir reçu une qualification aussi dure.
L'honorable M. Pirmez a prétendu que le fait de détournement, que celui de recettes faites de fermages, versées au bourgmestre, et non renseignées dans les comptes du receveur communal ni dans les comptes communaux, que de l'argent donné en vue de se faire des partisans ou de récompenser des services personnels ne peuvent pas être considérés comme des faux.
En ce qui concerne les faux, l'honorable M. Pirmez a développé, devant la Chambre, une doctrine qui peut être juridique, mais, qui selon moi, n'est pas conforme à la raison.
Ainsi le détournement de fonds, les omissions de recettes faites, sciemment, et non portées dans les comptes ne constitueraient pas des faux ?
Eh bien, je dis que ce sont au moins des faits très graves et qu'on peut qualifier de faux. Car, selon moi, le faux n'est autre chose que le contraire du vrai.
L'honorable M. Pirmez signale comme un fait rare l'existence d'une commune libérale dans un arrondissement aussi rétrograde que celui de Termonde.
Cette commune, dit-il, doit être une commune modèle, la seule peut-être de l'arrondissement et elle doit son progrès à une administration communale aussi intelligente que l'est celle de Cherscamp.
En ce qui me concerne, j'ignore ce que le bourgmestre de Cherscamp, que je ne connais pas, ou les conseillers de la même commune, que je connais encore moins, j'ignore, dis-je, ce qu'ils peuvent penser de la qualification qu'on leur donne.
Eh bien, disons la vérité : il y a des influences puissantes qui ont été exercées dans cette commune sur des cultivateurs qui trouvent dans la culture leurs seuls moyens d'existence.
Ces influences ont été suivies d'effet ; mais, par cela même, elles sont d'autant plus injustes, selon moi, qu'elles privent des citoyens de la liberté qui leur est garantie aussi bien qu'aux citoyens appartenant à (page 300) d'autres classes de la société. C'est ce que le rapport prouve à la dernière évidence.
M. Bouvier. - Et l'on veut étendre le droit électoral !
M. Vermeire. - Et, cependant, c'est à nous, qui appartenons à l'opinion conservatrice, qu'on dit tous les jours que nous sommes des rétrogrades ; nous avons peur des lumières, nous ne voulons pas que le peuple soit instruit, qu'il puisse lire et écrire, précisément parce que, quand il aura quelques connaissances, nous n'aurons plus la majorité dans les élections générales, communales et provinciales ; et quand il y a dans une très petite commune un instituteur assez zélé pour donner l'instruction primaire à ses élèves, quand cet instituteur, dans le concours général, voit couronner trois de ses élèves, eh bien alors, que fait cette administration libérale ? Elle va chez ceux qui ont des enfants à envoyer à l'école, pour leur défendre, sous peine de dénonciation de leur bail, pour leur défendre, dis-je, d'envoyer leurs enfants à l'école ! Eh bien, je le demande, est-ce que ce conseil communal libéral, dont l'honorable M. Pirmez fait un si grand éloge, est-ce que ce conseil communal est un ami des lumières, est un ami de l'instruction, est un ami du progrès ? Non.
Et pourquoi ? Parce que l'on veut étouffer l'intelligence des enfants sous le bonnet doctrinaire.
Maintenant, messieurs, je dirai encore un mot. Quand il s'agit d'un débat un peu important dans lequel l'honorable M. Pirmez intervient, il veut régenter ses adversaires.
Ainsi, par exemple, nous avons assisté à un débat il y a peu de temps, entre deux députés de Charleroi.
Qu'a fait l'honorable M. Pirmez dans cette circonstance ?
Il a voulu donner des conseils à son collègue et celui-ci lui a répondu : Je suis ici pour défendre les intérêts de l'arrondissement ainsi que ceux du pays et quand vous aurez à donner des conseils, vous pouvez passer ma porte.
Maintenant, lorsque mon honorable ami, M. Coomans, a eu dernièrement encore maille à partir avec l'honorable M. Pirmez, celui-ci disait qu'il avait été insulté.
- Une voix. - Calomnié.
M. Vermeire. - Je ne me rappelle pas exactement les termes ; mais quand on a demandé dans quels journaux la calomnie avait eu lieu, M. Pirmez n'a pas fourni cette preuve et l'honorable M. Coomans affirme encore aujourd'hui que tout cela est de pure invention.
M. Pirmez. - Je demande la parole..
M. de Rossius. - Le débat se rouvre.
M. Vermeire. - Puisque le débat paraît devoir se rouvrir encore, je serai extrêmement bref.
Je constate que des faits graves ont été dénoncés à charge d'un conseil communal, des faits si graves qu'ils ont fait l'objet d'une appréciation très sévère d'un tribunal de première instance.
Puisqu'il y a eu une information qui ne prouve pas en faveur du conseil communal, je demande que, pour en finir, on fasse une enquête, que l'on déposera sur le bureau, pour savoir s'il y a eu, oui ou non, malversation ; si, oui ou non, l'instituteur a rempli son devoir ; si, oui on non, on peut remplir, mieux qu'il ne l'a fait, ses devoirs.
Je crois que c'est le seul moyen de sortir de cette impasse.
Cette commune qui certainement avait autrefois vu sur son territoire camper les armées de César, doit être étonnée aujourd'hui qu'après plusieurs siècles, elle devient encore célèbre par des débats très sérieux, dont elle est l'objet dans cette Chambre.
Je ne veux pas citer tous les faits qui ont été désignés à la Chambre ; ils ont été spécifiés dans le rapport si lucide de l'honorable M. Vander Donckt.
Ils ont été encore reproduits par le discours de mon honorable ami M. Van Cromphaut. Ce sont des faits sur lesquels il importe que la lumière se fasse et pour ce motif je demande une enquête impartiale et qui sera communiquée à la Chambre.
M. Pirmez. - Je demande la parole pour un fait personnel.
M. le président. - Vous avez la parole, M. Pirmez, mais je vous en prie, ne renouvelez pas la discussion de l'autre jour.
M. de Rossius. - Il fallait dire cela à M. Vermeire.
M. Pirmez. - J'ai toujours, depuis treize ans que je suis dans cette Chambre, évité toute espèce de provocation, mais lorsque je suis attaqué, je crois devoir me défendre.
Je n'ai pas cherché l'incident actuel ; j'ai protesté, dès le début, que je n'y intervenais que parce qu'on attaquait un acte que j'avais fait.
M. le ministre de l'intérieur a dirigé contre moi une accusation, j'étais évidemment dans mon droit d'y répondre et de faire valoir tous mes droits.
Lorsque, il y a huit jours, M. le ministre de l'intérieur a cru devoir révéler qu'un rapport que j'avais déposé n'était pas terminé lors du dépôt, J'ai répondu a M. le ministre de l'intérieur avec le plus grand calme et la plus grande modération.
M. Coomans m'interrompant a dit que le mot « fiction » que M. le ministre avait employé était trop poli ; j'ai répondu à M. Coomans que pour lui la politesse était toujours de trop.
Je crois que ma défense n'excédait pas les limites légitimes. M. Coomans a cependant cru alors devoir employer à mon égard un mot qui incontestablement renfermait une insulte. (Interruption.) Personne ne dira que les mots « dépôt mensonger » qu'il a employés envers moi ne sont pas des mots qui froissent profondément.
En répondant à M. Coomans, je dois le dire, j'ai été très vif, mais tout homme qui a le sentiment de sa dignité comprendra l'émotion que je devais éprouver. J'ai alors dit à M. Coomans, en relevant l'insulte qu'il venait de m'adresser, qu'il avait dirigé contre moi dans son journal des calomnies.
M. Coomans. - Des calomnies...
M. Pirmez. - Je relate les faits et je ne chercherai pas à passionner ce nouvel incident.
M. Coomans ayant dit qu'il n'avait jamais écrit l'article auquel je faisais allusion, j'ai déclaré immédiatement qu'en présence de cette déclaration mes paroles ne s'adressaient plus à lui.
M. Coomans a terminé son discours, qui a clos la séance, par une mise en demeure de produire l'article auquel j'avais fait allusion.
J'étais mis en demeure et dès le soir même, j'avais retrouvé cet article ; malgré cette sommation et la justification que je possédais, je n'ai pas cru devoir rouvrir cet incident à la séance suivante ; je me suis tu.
Mais M. Vermeire, qui s'imagine, sans doute, que chaque membre de son parti doit diriger une provocation contre moi, M. Vermeire vient relever cet incident.
Eh bien, je suis prêt à me justifier. Si M. Coomans me demande de lire l'article, je le lirai, mais si sa sommation disparaît, je laisserai tomber cet incident pour donner à la Chambre une preuve nouvelle de ma modération.
M. Coomans. - Je demande la parole.
M. le présidentt. - Laissons cet incident, M. Coomans ; nous n'en finirons jamais.
M. Coomans. - Je n'abuserai pas de la parole, M. le président.
Il me répugnerait fort d'entrer dans la batrachomyomachie de Cherscamp ; elle n'a rien d'homérique ; le seul fait qui m'ait frappé dans ce trop long débat est celui-ci : Que le chef d'une commune s'est appliqué, je puis dire acharné, à défendre la fréquentation de son école communale aux enfants.
M. de Rossius. - Ce n'est pas là la question personnelle.
M. Coomans. - Je ne comprends pas l'interruption ; n'ai-je pas le droit de parler de la pétition de Cherscamp comme les autres ? Je l'ai, j'en userai et n'en abuserai pas.
Oui, ce fait m'a frappé ; je l'ai trouvé indigne et je pense que la qualification de fait grave, qui y a été donnée par M. le ministre de l'intérieur, n'est pas trop forte. Il est étrange, odieux, qu'un chef de commune libéral (au masculin) défende la fréquentation de l'école communale aux enfants pauvres ; et ce fait me suffirait pour condamner la cause du bourgmestre, en dehors de la question des mandats plus ou moins faux, qui est un autre détail pour lequel je m'en rapporte à la justice. Mais ce qui est de notre compétence, c'est de juger, c'est de flétrir les bourgmestres qui, contrairement à leurs principes, au bon sens, à la religion, à la philosophie, osent défendre la fréquentation d'une école légale, approuvée par le clergé et par le gouvernement.
Messieurs, voilà le fait saillant dans cette affaire.
Qu'a fait l'honorable M. Kervyn de Lettenhove ? Il a reproché à son honorable prédécesseur d'avoir destitué indûment un magister de village. Que M. Pirmez ait eu tort ou raison de destituer cet instituteur, pour moi la question n'est pas très importante.
Les ministres passés, présents et futurs ne sont pas infaillibles ; les ministres passés ont fait beaucoup de fautes ; je ne prétendrai pas que les ministres présents n'en feront pas et moins encore que les ministres futurs pourront les éviter.
Quand il serait démontré que M. Pirmez a eu tort de destituer l'instituteur de Cherscamp, je ne lui en voudrais guère ; j'en tirerais seulement cette conclusion-ci : c'est qu'on exagère les attributions gouvernementales et qu'il serait peut-être désirable que le gouvernement n'eût pas à s'occuper de la conduite des instituteurs communaux.
(page 304) Mais je dois vous le dire : je trouve étrange qu'un ancien ministre qui se tient pour quasi calomnié, presque injurié, quand on lui reproche d'avoir injustement destitué un instituteur de village, se permette le plus lestement du monde d'accuser de calomnie un de ses collègues. Est-ce que l'honneur d'un membre de cette Chambre ne vaut pas l'honneur d'un magister ou d'un syndic de village ?
Mais mon honneur, quelque modeste qu'il soit, intéresse la Chambre dans une certaine mesure, tandis que la Chambre n'est pas également intéressée à l'honneur du magister et du bourgmestre de Cherscamp. Or, M. Pirmez m'a accusé, moi, de l'avoir calomnié plusieurs fois dans mon journal ; c'est-à-dire lâchement, parce qu'il est de mon devoir, si j'avais des accusations à diriger contre M. Pirmez, de les formuler en face de lui, ici même, J'ai prié, sommé M. Pirmez de prouver que je l'avais calomnié,
M. le président. - Permettez, M. Coomans : M. Pirmez a dit, en présence de votre déclaration, que ses paroles ne s'adressaient pas à vous.
M. Coomans. - Fort bien ; mais je suis bien autorisé, je pense, à demander à M. Pirmez à quoi il a fait allusion. Il a dit : « Je m'adresse à l'auteur de l'article. » Eh bien, messieurs, comment voulez-vous que cet auteur existe puisque l'article n'existe pas ? Et quand il a dit : « Ce n'est pas à vous que j'adresse mon accusation, puisque vous désavouez cet article. Eh bien, n'en parlons plus. » Cela doit-il suffire ? • Non, messieurs, d'abord, je suis loyalement responsable de ce qui paraît dans le journal, même de ce que je n'y écris pas ; je me déclare donc responsable de cet article d'un bout à l'autre.
Il ne suffit donc pas qu'on me dise : « Ce n'est pas à vous que je m'en prends, je veux bien par politesse vous mettre de côté ; mais mon accusation reste debout contre l'auteur de l'article. »
Non, cela ne suffit pas, il n'y a ni auteur ni article dans le sens que vous avez dit.
Messieurs, il s'agit de l'honneur d'un membre de la Chambre accusé de plusieurs calomnies ; quoi de plus grave ? Vous devez tous, messieurs, être attentifs à un pareil débat.
Puisque M. Pirmez tient tant à préciser, eh bien, précisons. Nous voilà devant la cour d'assises, devant le grand jury national, au verdict duquel je me rends entièrement et auquel je me rendrai, alors même que la majorité serait composée d'autant de doctrinaires qu'elle l'était l'an passé.
Qu'a dit M. Pirmez ?Je lis nos annales :
«Je ne m'arrêterai pas plus devant les injures de M. Coomans que devant les calomnies qu'il a dirigées contre moi dans son journal. »
« Calomnies qu'il a dirigées contre moi.....» J'ai été ému de cette accusation ; je devais m'en émouvoir ; j'ai nié ce qu'affirmait M. Pirmez. Alors M. Pirmez a dit qu'il ne s'agissait plus de faits, mais d'un seul fait : première reculade. Qu'a ajouté ensuite M. Pirmez ? Voici.
« M. Coomans a dit. dans son journal que j'avais reçu 100,000 francs d'un ami pour corrompre les électeurs de Charleroi. »
Voilà la grossière et imaginaire allégation que j'ai repoussée. J'ai déclaré que le fait me paraissait absolument impossible ; que j'ignorais complètement le nom d'un si généreux bienfaiteur qui aurait donné 100,000 francs à M. Pirmez pour corrompre les électeurs, pour commettre un délit.
J'aurais pu demander à M. Pirmez s'il connaissait dans les rangs de la droite un homme assez riche et assez généreux pour sacrifier 100,000 francs dans un but politique.
Si M. Pirmez pouvait me désigner cet homme, j'irais à lui tout de suite, non pas pour corrompre les électeurs de Turnhout, mais pour indiquer à cet honorable et libéral citoyen un utile emploi de ses 100,000 francs, ) savoir la propagande des principes de la Paix.
A l'appui de son accusation, M. Pirmez n'a avancé aucune preuve.
M. Pirmez. - Je suis prêt à le faire.
M. Coomans. - Après moi, monsieur Pirmez. Je connais le danger qu'il y a à lutter contre des avocats retors, je n'emploie pas ce mot dans un mauvais sens, contre des avocats savamment retors devant une assemblée qui ne connaît pas exactement les pièces du procès. Il s'agit d'un journal, du mien, du 18 juin 1870 ; qui contient une lettre écrite de Bruxelles par un homme parfaitement honorable, qui m'autorise à le nommer, mais que je ne nommerai pas. (Interruption.) Je ne le nommerai pas, parce que je me nomme moi-même. Cette lettre, messieurs, j'en accepte la responsabilité ; je voudrais l'avoir écrite ; je me rappelle maintenant d'en avoir félicité l'auteur.
J'ai vu la lettre ; j'étais absent de Bruxelles. (Interruption.). Oh ! ne croyez pas que ce soit là une excuse, la lettre m'a été envoyée, je l'ai approuvée et elle a été insérée.
Elle est bien longue, messieurs, et je ne sais si je dois la lire...
- Plusieurs membres. - Si ! si !
M. Coomans. - Il s'agit, dans cette lettre, surtout de la réforme électorale ; on y énumère les arguments en faveur d'une réforme radicale. L'auteur insiste sur ce point qu'il y a, à droite comme à gauche, un grand abus de dépenses électorales ;. il en parle très impartialement, Jugez-en vous-mêmes :
Bruxelles, 13 juin 1870.
« Quelques partisans du suffrage universel se sont naguère constitués en comité d'investigation, afin de recueillir le plus exactement possible les faits de corruption électorale et les abus d'influence qui fournissent des arguments pratiques en faveur de la réforme si légitimement souhaitée par la très grande majorité du peuple belge. Dans le cours de la lutte qui se terminera demain, nous avons dépensé notre temps et notre argent pour donner à cette enquête des proportions sérieuses, et nous avons obtenu des résultats intéressants que nous désirons résumer dans les colonnes de la Paix, avant le dénouement de la bataille, en dehors de toute préoccupation de parti, au point de vue des principes seulement et pour asseoir la discussion théorique sur un ensemble de faits bien observés.
« Voici donc en somme ce que nous avons vu ou ce qui nous a été rapporté de bonne part, à droite comme à gauche, et ce que quiconque a des yeux ou des oreilles a pu ou pourra vérifier.
« D'abord la pression gouvernementale a été très vive dans les arrondissements ou le doctrinarisme était principalement menacé. Il n'y a pas eu de circulaires officielles, mais on les a avantageusement remplacées par des recommandations officieuses, écrites ou verbales, et même par des réunions de fonctionnaires fidèles où le mot d'ordre a été distribué par des chefs trop complaisants. La plupart des employés étant doctrinaires ou se croyant tenus par reconnaissance à soutenir les ministres qui les introduisirent dans le budget, on a pu en réunir beaucoup et leur parler franchement, sans crainte que ces démarches fussent ébruitées.
« La plus forte partie du personnel administratif, jointe aux magistrats favorisés par M. Bara ou vivant dans l'espoir de l'être un jour, s'est mise en campagne avec une ardeur qui, loin d'être contenue par les chefs suprêmes, a été attisée par eux, depuis la fin de mai jusqu'à présent et le sera sans doute jusqu'au matin du 14 juin. A Gand, à Charleroi, à Verviers, à Soignies, à Audenarde, à Mons, l'activité a été peut-être plus dévorante qu'elle ne le fut récemment chez nos voisins du midi. Il y avait là des candidatures vraiment officielles et instamment recommandées à l'instar de celles que le bonapartisme fit longtemps prévaloir. Ainsi que vous le disiez l'autre jour, il est étrange que nos doctrinaires se soient permis de pareils excès, après le blâme qu'ils ont tant de fois jeté sur les pratiques électorales de l'empire français. Leur conduite est étrange au point de vue de la logique, mais elle est assez naturelle de la part de gens dont le libéralisme hypocrite s'accommode de toutes les contradictions profitables.
« Ensuite les frais ont été énormes ; on a prodigué les banquets grands et petits ; le Champagne a coulé à flots parmi les intimes et le commun des électeurs a été aristocratiquement régalé dans les cabarets flamands et wallons. Les dépenses pour voitures, pour séjour en ville, pour vacations électorales, sont montées à des chiffres très élevés, surtout dans le district, de Charleroi. On y a fait ripaille depuis le 20 mai environ jusqu'à l'heure présente, où l'on m'assure qu'un riche ami de M. Pirmez, imitant la munificence du banquier Cernuschi, a sacrifié près de 100,000 francs au succès de son parti. Cet abus s'est également produit à droite... » (Interruption.)
« Au succès de son parti », entends-je dire ! Je demande aux interrupteurs si cela signifie que ce monsieur-là a remis les 100,000 francs à M. Pirmez. (Interruption.)
Je demande aux membres de la gauche qui m'interrompent, si, quand on dit d'un homme qu'il a imité la munificence d'un banquier dont vous connaissez l'acte et qu'il a sacrifié près de 100,000 francs au succès de son parti, cela veut dire qu'il a remis ces 100,000 francs à l'honorable M. Pirmez pour corrompre, les électeurs... (Interruption.)... si c'est là signaler M., Pirmez. à la vindicte publique en l'accusant d'avoir accepté et employé une somme de 100,000 francs pour poser des actes flétris et punis par la loi.
Messieurs, chose curieuse, l'article ajoute : « Cet abus s'est également produit à droite, nous ne l'ignorons pas, mais il n'en est pas moins condamnable. » L'auteur signale un mal, non un malfaiteur. Voici le reste de la lettre :
« Cet abus s'est également produit à droite, nous ne l'ignorons pas, mais il n'en est pas moins condamnable, car, outre l'inégalité des influences au détriment de toute opposition, la moralité publique ne peut que souffrir de (page 302) la mise à l'encan des suffrages ; il s'aggrave chez nous à l'heure même où il diminue en Angleterre et où il provoque une réaction salutaire en France.
« A quoi donc a servi notre loi contre les fraudes électorales ? Hélas ! elle n'a eu aucun des résultats qu'on a eu l'air d'en espérer ! On peut même affirmer que tous les genres de fraude se sont multipliés, et que l'annulation arbitraire de nombreux bulletins a créé la plus désolante et la plus triste des fraudes, à savoir la suppression d'une majorité légale au profit d'une minorité réelle.
« On a pu constater ces conséquences dans les comices tenus depuis deux ans ; nul doute que nous n'ayons encore à les signaler demain.
« Notons d'ailleurs que beaucoup de bureaux sont formés de manière à enlever à l'opposition la confiance qu'elle devrait pouvoir mettre dans la loyauté des scrutateurs. Chaque jour s'accroît le nombre des esprits honnêtes qui reconnaissent que notre régime électoral est pourri de fond en comble ; que le trop petit nombre de censitaires est un vice irrémédiable et que le seul moyen de moraliser notre système représentatif est d'élargir considérablement le terrain des comices pour noyer les fraudeurs dans la masse, pour les décourager tout au moins, et pour diminuer les influences personnelles qui rognent ou suppriment la liberté des citoyens.
« Voilà ce qu'exige la moralité publique, sans parler du droit inaliénable qu'ont tous les Belges de concourir à la nomination de leurs députés, eu vertu de la Constitution elle-même qui proclame l'égalité de tous les concitoyens devant la loi et la souveraineté nationale. »
Messieurs, vous voyez que l'auteur de cette lettre s'est élevé à la hauteur des principes ? Pouvez-vous penser qu'il a voulu flétrir l'homme qui dépense quelque argent pour des dîners électoraux, alors qu'il disait que les mêmes abus se sont produits à droite ? Mais, messieurs, il est à notre connaissance à tous que le même abus, s'est produit de l'un et de l'autre côté ; combien de fois ne vous ai-je pas dit que c'était la raison dominante de mon opposition à notre détestable système électoral ? Ne vous ai-je pas dit qu'à droite comme à gauche on influençait beaucoup trop les électeurs ?
Eh bien, dans la pensée de l'auteur de cet article, dans la mienne, à moi qui ai approuvé la lettre, cela signifie qu'on aurait dépensé 100,000 francs à Charleroi, ce chiffre n'aurait pas suffi à payer tous les frais.
Sacrifier 100,000 francs au succès de son parti, non seulement à Charleroi, mais ailleurs, était-ce une hypothèse énorme ? Ce n'était pas pour l'honorable M. Pirmez seul.
M. Pirmez se considérerait comme un candidat par trop important, s'il avait la prétention de croire que c'est pour lui seul que l'on a dépensé 100,000 francs.
Eh ! M. Pirmez a bien eu tort de m'accuser. Dire qu'on a dépensé 100,000 francs ; où est la calomnie ? Dans ma conviction, c'est vrai. Je ne dis pas que le fait de ces 100,000 francs dépensés par un ami de l'honorable M. Pirmez est vrai ; je n'en sais rien. Remarquez que je n'ai pas besoin de le savoir. Car vrai ou non, il est inoffensif, étant général.
S'il s'est trouvé dans le camp de l'honorable M. Pirmez des gens qui donnaient 100,000 francs pour, je ne dis pas corrompre (le mot est de l'invention de M. Pirmez), mais pour influencer, sinon la cervelle, au moins le ventre des électeurs ; je voudrais qu'il y eût beaucoup de ces gens dans la droite, et s'il y en avait eu quelques-uns, vous n'auriez pas été aussi longtemps ministres doctrinaires que vous l'avez été.
Messieurs, j'ai prouvé que non seulement je n'ai pas écrit ni admis dans mon journal des calomnies contre M. Pirmez, mais qu'il n'y en a pas même eu une seule, que la calomnie est de l'invention de l'honorable membre. M. Pirmez eût réparé dignement l'erreur qu'il a commise, quelque grave qu'elle soit, en reconnaissant immédiatement qu'il s'est trompé et que je ne l'ai pas calomnié le moins du monde.
M. Pirmez. - Messieurs, il y a dans la droite un parti pris de me faire passer pour un homme violent : on prépare des incidents et quand ils sont montés et que je me défends, c'est moi qu'on accuse de violence. (Interruption.) M. Coomans a lancé naguère un mot insultant pour moi.
M. Coomans. - Je ne vous permets pas de dire le contraire de la vérité.
M. Pirmez. - J'étais attaqué, je me suis défendu avec une légitime colère.
J'ai fait ce que j'ai pu pour adoucir ensuite cet incident. J'ai été jusqu'à ne pas répondre à la sommation de M. Coomans, bien que j'eusse en main la preuve de ce que j'avais avancé.
Aujourd'hui, pourquoi ravive-t-on cette querelle ? Parce que l'affaire de Cherscamp a raté ; il faut un dérivatif ! C'est M. Vermeire qui vient chercher à sauver M. le ministre de l'intérieur.
Puisqu'on me pousse à bout, je vais lire cet article, en maintenant que je le considère comme calomnieux et vous pourrez constater jusqu'où on a poussé la perfidie.
Cet article est une lettre écrite de Bruxelles à Bruxelles, et insérée dans le journal la Paix. Il commence ainsi :
« Quelques partisans du suffrage universel se sont naguère constitués en comité d'investigation afin de recueillir le plus exactement possible les faits de corruption électorale et les abus d'influence qui fournissent des arguments pratiques en faveur de la réforme si légitimement souhaitée parla très grande majorité du peuple belge. Dans le cours de la lutte qui se terminera demain, nous avons dépensé notre temps et notre argent pour donner à cette enquête des proportions sérieuses, et nous avons obtenu des résultats intéressants que nous désirons résumer dans les colonnes de la Paix, avant le dénouement de la bataille, en dehors de toute préoccupation de parti, au point de vue des principes seulement et pour asseoir la discussion théorique sur un ensemble de faits bien observés. »
Un comité d'enquête, consacrant son temps, consacrant son argent à faire des investigations sérieuses et venant révéler rien que des faits bien observés ! voilà la source des faits certains que l'on va indiquer !
« Voici donc en somme ce que nous avons vu et ce qui nous a été rapporté de bonne part, à droite comme à gauche, et ce que quiconque a des yeux ou des oreilles a pu ou pourra vérifier. »
Peut-on affirmation plus nette, plus catégorique ? Vient ensuite une tirade sur les candidatures officielles, sur la pression du gouvernement que je passe pour arriver à ce qui me concerne. Après ces méfaits des libéraux, on lit à leur charge :
« Ensuite les frais ont été énormes ; on a prodigué les banquets grands et petits ; le champagne a coulé à flots parmi les intimes et le commun des électeurs a été aristocratiquement régalé dans les cabarets flamands et wallons. Les dépenses pour voitures, pour séjour en ville, pour vacations électorales, sont montées à des chiffres très élevés, surtout dans le district de Charleroi. »
Remarquez, messieurs, que cette lettre est prétendument écrite, le 13 juin, la veille de l'élection, et que l'auteur a vu ce qui ne pouvait se passer que le lendemain.
C'est une enquête qui constate des faits tellement bien observés qu'on les voit à l'avance. (Interruption.)
J'ai le droit de démontrer avec quelle impudence ces assertions sont produites.
M. Coomans. - On a voituré quinze jours à l'avance.
M. Pirmez. - Non, pas avant les élections : « Les dépenses sont montées à des chiffres très élevés, surtout dans le district de Charleroi. On y a fait ripaille depuis le 20 mai environ jusqu'à l'heure présente. »
Savez-vous, messieurs, ce qu'on dit de moi dans un autre article de ce même numéro de la Paix pour que la désignation soit plus exacte ?
« A Charleroi, un autre ministre ne doit sa réélection qu'à ses travaux herculéens dans les meetings, dans les banquets... »
On m'accusait donc d'avoir été dans ces ripailles qui sont défendues par la loi.
J'aurais donc transgressé publiquement la loi, moi qui, comme ministre, devait la faire respecter.
Je n'ai jamais été dans des banquets électoraux. Le fait est faux, il est calomnieux, parce qu'il constituerait un délit, s'il était vrai. Mais ce n'est pas tout, voici à quoi j'ai fait allusion l'autre jour :
« On y a fait ripaille (à Charleroi) depuis le 20 mai environ jusqu'à l'heure présente, où l'on m'assure qu'un riche ami de M. Pirmez, imitant la munificence du banquier Cernuschi, a sacrifié près de 100,000 francs au succès de son parti. »
Ainsi 100,000 francs auraient été fournis par un ami pour faire mon élection et celle de mes collègues !
M. Coomans. - Avez-vous reçu les 100,000 francs ?
M. Pirmez. - Quand on rappelle de mémoire un article, dans un moment d'irritation, on ne peut en reproduire exactement les mots ; on en signale le fond. Ai-je dit que c'étaient les termes dont on s'était servi ?
M. Coomans. -Vous l'avez dit. Le Moniteur est là.
M. Pirmez.- Non ; si j'ai dit que l'on m'avait accusé d'avoir reçu 100,000 francs pour corrompre les électeurs, c'était la corruption... (Interruption.)
(page 303) Je suis accusé ; ayez la patience, ayez la pudeur de m'entendre.
M. Bouvier. - C'est la modération de la droite.
M. le président. - N'interrompez pas.
M. Pirmez. - Je dis que j'ai rappelé un article m'imputant de la corruption électorale. Or, que j'aie reçu 100,000 francs d'un ami pour corrompre, ou que celui-ci ait employé 100,000 francs à corrompre à mon profit, de mon consentement et en employant ces ripailles auxquelles on m'accuse d'assister, est-ce bien différent ? (Interruption.)
C'est le mot « corrompre » qui vous heurte ; mais c'est plus que pour corrrompre, c'est pour acheter des suffrages.
M. Coomans. - On le fait dans les deux partis.
M. Pirmez. - L'article désigne M. Pirmez comme ayant profité de ces 100,000 francs corrupteurs. (Interruption.)
M. Bouvier. - Faites respecter la liberté de la tribune.
M. Pirmez. - Cet abus s'est également produit à droite comme à gauche, dit-on, mais ce n'est pas ce riche ami de M. Pirmez, sans doute, qui a opéré à droite ! Au milieu de cette corruption, c'est mon nom seul qui est cité !
Vous allez voir que c'est bien pour acheter des suffrages que les 100,000 francs ont été dépensés :
« Cet abus s'est également produit à droite, nous ne l'ignorons pas, mais il n'en est pas moins condamnable, car outre l'inégalité des influences au détriment de toute opposition, la moralité ne peut que souffrir de la mise à l'encan des suffrages. »
Est-ce assez clair ? Après l'indication des 100,000 francs de mon imaginaire ami, l'inégalité des influences dans la mise à l'encan des suffrages. Et quelqu'un niera-t-il que les 100,000 francs aient été indiqués comme ayant été appliqués à l'achat des suffrages et que ces suffrages aient été achetés pour moi ?
Je sais bien qu'on se retranche toujours après coup, en matière de calomnies, dans des équivoques pour leur enlever leur gravité, et tous ceux qui ont assisté à des procès de ce genre ont vu les auteurs d'articles calomnieux épiloguer sur les mots.
Mais est-ce sans indignation que je puis voir dire que mon mandat est dû à l'emploi de grosses sommes consacrées à l'achat des suffrages et que ce serait grâce à de pareils moyens que je siégerais parmi vous !
J'ai été le premier attaqué, j'avais le droit de me défendre même par une attaque. En relevant comme je l'ai fait l'article dirigé contre moi, ai-je excédé mon droit ? Tous les hommes d'honneur répondront que non.
Et cependant, je le déclare, si je n'avais été sous le coup d'une légitime irritation, je n'aurais pas relevé cet article ; je l'aurais dédaigné et laissé passer dans la foule des attaques dont je suis l'objet.
M. Coomans. - M. Pirmez m'a paru hésiter à reconnaître qu'il s'est trompé. (Interruption.)
Messieurs, je vous plains si vous ne reconnaissez pas que M. Pirmez s'est tout au moins trompé.
A l'entendre, il n'y aurait qu'une petite différence entre recevoir une somme de 100,000 francs et ne rien recevoir du tout ; ce ne serait là qu'une nuance. Mais il me paraît, au contraire, que c'est une différence du tout au tout.
Si M. Pirmez était mon avocat dans cette affaire, quel beau discours il ferait en ma faveur et comme il prouverait que ceux de ses amis qui l'applaudissent, ou qui ont l'air de l'applaudir en ce moment, ne sont ni justes ni sensés. (Interruption.) Mais, messieurs, c'est clair comme le jour.
Qu'impute à M. Pirmez le monsieur dont je prends la place ? D'avoir fait ce que ses amis politiques à lui ont fait également ; ce n'est pas là une allégation injurieuse.
M. Bara. - Nommez ce monsieur.
M. Coomans. - Qu'importe ! C'est moi. (Interruption.) Ce n'est pas moi, mais c'est moi, que pouvez-vous demander de plus ?
M. Pirmez. - Vous avez prétendu qu'on avait dépensé 100,000 francs pour moi.
M. Coomans. - Point du tout ; on a parlé de votre parti. Je vous le demande, messieurs ; considère-t-on, en Belgique, comme déshonorant le fait de dépenser de l'argent dans un but électoral ?
Vous le savez bien, vous qui avez tant dépensé dans les élections, et mes amis le savent bien aussi. Non, il n'est pas injurieux de dire à un monsieur quelconque qu'il a fait des dépenses électorales. Si j'osais avancer un chiffre, je dirais que cette année on a dépensé en Belgique deux millions pour influences électorales. Je ne serais pas surpris qu'on eût dépensé cette somme ; nous avons eu différentes élections de toutes catégories et nous savons ce que coûtent les élections, non pas seulement en chiffres officiels, mais en chiffres officieux.
Je connais des personnes qui n'ont pas, publiquement, donné un sou, mais qui ont cependant sacrifié des milliers de francs. Vous vous récrier à tort quand un homme honorable, un réformiste presque radical qui veut arriver le plus tôt possible au suffrage universel, s'appuie sur ces dépenses électorales pour rendre son opinion plus populaire. Quand il cite un fait, vrai ou non, mais vraisemblable, vous le prenez pour vous, pour vous seul.
M. Pirmez. - Comment, vraisemblable !
M. Coomans. - Sans doute, vraisemblable ; car il me paraît incontestable qu'on a dépensé plus de cent mille francs pour vous et vos amis de l'arrondissement de Charleroi. Je le dis tout net, je n'en doute pas, et je crois que vous et vos amis seriez enchantés si l'on vous remboursait le surplus de cette somme.
M. Pirmez. - C'est une indignité !
M. Coomans. - Ce qui est une indignité, c'est notre système électoral qui permet ces iniquités-là ; voilà mon opinion. Mais dire à quelqu'un qu'il vous a accusé d'avoir reçu, vous M. Pirmez, une somme de cent mille francs, quand il s'est borné à dire qu'un monsieur a dépensé cent mille francs pour votre parti tout entier, c'est vraiment par trop fort !
Remarquez, messieurs, que dans cet article il ne s'agit pas seulement de l'arrondissement de Charleroi, mais de toute la Belgique, du parti libéral tout entier. (Interruption.)
Quel intérêt avez-vous donc à vous tenir pour calomnié ? Il faut vraiment que vous vous sentiez... je n'ose pas dire le mot propre... bien coupable pour que vous vous sentiez directement touché par l'article en question.
Messieurs, nous ne sommes pas honteux du tout, nous, de reconnaître qu'on a fait de grandes dépenses électorales ; je regrette seulement qu'on n'en ait pas fait autant chez nous que chez vous, car alors il y a longtemps que vous auriez été destitués de votre pouvoir fictif et d'emprunt ; c'est ma conviction profonde.
Je terminerai par un mot, à l'adresse surtout des catholiques. Qu'ils ne croient pas que les dernières élections aient été faites pour eux seuls et. par eux seuls. Cela n'est pas vrai.
On était fatigué du libéralisme doctrinaire et beaucoup de libéraux ont voté pour les catholiques. Voilà la vérité pure. On était fatigué de votre despotisme et les libéraux libres ont donné aux catholiques l'appoint de 5 p. c. environ, qui a assuré leur triomphe.
En conséquence, j'espère que nous serons un jour tous d'accord, les catholiques surtout, je le souhaite, pour demander une large réforme électorale ; car, alors, on ne pourra plus dire qu'il faut dépenser 100,000 francs et plus pour assurer le succès d'une élection. En somme, ce n'est pas moi qui ai calomnié M. Pirmez ; c'est lui qui m'a calomnié. (Interruption.) Voilà la morale de cet incident.
M. le président. - Il nous reste à statuer sur la pétition des habitants de Cherscamp.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Je demande la parole.
M. le président. - La parole est à M. le ministre.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Je désire rentrer, par quelques mots seulement, dans la question soumise en ce moment aux délibérations de la Chambre.
De quoi s'agit-il à Cherscamp ? D'une situation qui, depuis plusieurs années, offre le regrettable tableau d'une administration communale et d'un bourgmestre qui cherchent à arrêter le développement de l'instruction primaire ; et d'autre part d'un instituteur qui est sans cesse en butte à de persévérantes et constantes persécutions.
Tel était l'état des choses sous l'administration de l'honorable M. Pirmez, et il a reconnu lui-même qu'en certaines circonstances il a eu à intervenir pour assurer à l'instituteur le payement de sa rémunération. Et c'est lorsque cette situation était parfaitement connue, c'est lorsqu'il était démontré à l'honorable M. Pirmez que fréquemment l'instituteur avait eu besoin de sa protection, qu'il est allé jusqu'à prononcer ce que j'appellerai sans hésiter sa révocation.
Mais il y a autre chose que la question de révocation. Nous sommes en présence de deux suspensions de trois mois imposées à l'instituteur par le conseil communal de Cherscamp.
La première, si je ne me trompe, a été prononcée au mois de janvier 1870, et la seconde remonte à quelques jours seulement.
Qui voulait la suspension au mois de janvier ? C'était, je le sais bien, le conseil communal. Mais était-ce l'opinion de l'inspecteur provincial et (page 304) de l'inspecteur cantonal ? Etait-ce l'opinion du commissaire d'arrondissement, que j'aime à citer, parce qu'il appartient à l'opinion libérale ?
Que disait M. le commissaire d'arrondissement dans les deux lettres qui ont été insérées dans les Annales parlementaires d'hier ? Vous avez entendu M. Fraters déclarer qu'il n'y avait aucun motif pour justifier la. suspension de l'instituteur prononcée par le conseil communal de Cherscamp.
Or, je demanderai à M. Pirmez pourquoi il n'a pas suspendu l'exécution de la mesure prise par le conseil communal, lorsque les autorités consultées, dont les rapports sont au dossier, établissaient qu'il n'y avait aucun motif sérieux pour légitimer la décision du conseil communal ?
Et tout récemment encore il y a eu une autre suspension dont je parlais tout à l'heure, et sur quoi reposait-elle ? La Chambre me permettra de préciser une dernière fois les faits qui étaient invoqués pour justifier cette grave mesure :
L'échevin se rend à l'école communale ; il ne rencontre pas l'instituteur dans la cour où jouent les garçons. Il sait que cette cour n'est séparée que par un mur de celle où a lieu la récréation des jeunes filles : il ne va pas toutefois y chercher l'instituteur, et lorsque celui-ci, averti de son arrivée, le suit pour l'engager à continuer son inspection, l'échevin se contente de répondre qu'il ne voulait que jeter un coup d'œil à l'école : il suffisait selon lui que la récréation eût duré quelques minutes de trop pour provoquer la mesure que vous connaissez.
Voilà, messieurs, les griefs si graves imputés à, l'instituteur, et qui ont justifié, selon les amis du bourgmestre, la mesure la plus sévère, et, j'ose le dire, la plus répréhensible.
Je regrette que M. Pirmez n'ait pas fait, au mois de janvier dernier, ce. que j'ai cru devoir faire aujourd'hui.
A entendre l'honorable M. Pirmez, j'ai eu un grand tort : j'ai apporté ici des déclarations dont rien n'atteste la sincérité, alors que j'affirmais qu'à mes yeux l'instituteur avait à remplir une mission que lui imposait la confiance des familles, et qu'à ce titre il ne lui était pas permis de prendre une part active aux luttes politiques.
Cette déclaration, je la maintiens de toute l'énergie de mes convictions.
S'il m'est permis de former un vœu, c'est qu'à l'avenir, lorsqu'on jugera la conduite d'un ministre, on l'étudié dans un ensemble de faits.
Si l'honorable M. Pirmez avait voulu rechercher dans les colonnes du Moniteur, à une époque bien récente, une décision prise, sur la proposition, du ministre de l'intérieur, relativement à une commune de la Flandre orientale, j'aime à croire qu'il m'aurait rendu cette justice que je me suis constamment renfermé dans cette région de justice et d'impartialité ou j'ai placé le devoir du gouvernement et à laquelle il faisait allusion tout à l'heure pour me contester le droit de l'invoquer.
Dans la commune de Loochristy, il y a une administration communale dont les tendances et les opinions. Sont complètement opposées à celles de Cherscamp. Il y avait là une institutrice laïque qu'elle jugeait inutile, et, bien qu'aucun grief ne s'élevât contre elle, le conseil communal avait cru pouvoir la supprimer. Je n'ai pas hésité à proposer au roi un arrêté qui annule la délibération de l'administration communale de Loochrigty.
Nous ne saurions l'oublier, messieurs : combien de fois dans cette Chambre le gouvernement n'a-t-il pas déclaré que le grand devoir social est d'étendre l'instruction primaire ! Mais le développement de l'instruction primaire n'est-il pas, avant tout un grand devoir communal ? Et s'il en est ainsi, quelle conduite, avons-nous à tenir en présence des actes posés par un magistrat communal, qui, manquant à sa tâche, étouffe, dans le sein des populations confiées à ses soins et à sa sollicitude, les progrès, l'existence même de l'instruction ? Le bourgmestre de Cherscamp a pu se laisser dominer par des rancunes personnelles : le gouvernement n'a à se préoccuper que des intérêts généraux du. pays.
M. le président. - La commission propose le renvoi de cette pétition à MM les ministres de l'intérieur et de la justice avec demande d'explications.
Après les explications qui ont été données par M. le. ministre, de l'intérieur, insiste-t-on sur la demande d'explications ?
M. Bouvier. - Je propose le dépôt de la pétition au bureau des renseignements.
M. Dumortier. - Comme vient de le dire notre honorable président, les explications sont données, mais, quant à moi, j'insiste vivement pour que le renvoi proposé ait lieu. Et voici pourquoi : c'est que toute cette longue discussion a pris un caractère tel qu'on a perdu de vue la pétition elle-même et la première pétition qui l’avait précédée.
Dam ces deux pétitions, de quoi se plaint-on surtout ? Des sévices du bourgmestre contre les habitants.
Or, la pire de toutes ces tyrannies est celle qui est le plus près de nous et, dans une circonstance de cette importance, vous ne pouvez évidemment pas demander qu'on propose le dépôt des pétitions au bureau des renseignements. Il faut au moins que le renvoi aux ministres soit ordonné.
Ces pétitions, messieurs, sont d'autant plus sérieuses qu'elles ont à invoquer un jugement du tribunal de Termonde, jugement par lequel il est établi que l'administration dont il s'agit s'est permis de faire des faux. (Interruption.)
Je sais fort bien que M. Pirmez, dans son indulgence, a bien voulu les considérer comme des transferts, mais je dis que c'est une indulgence que nous ne pouvons pas admettre.
Comment ! on invoque une certaine dépense pour en faire une autre, en dehors des comptes, en dehors de la comptabilité ? Mais, messieurs, cela est excessivement grave et la Chambre ne peut pas tolérer des faits de ce genre.
M. le président. - M. Dumortier, la discussion sur le fond est close.
M. Dumortier. - Je pense donc,, messieurs, que le gouvernement peut s'abstenir de fournir de nouvelles explications, mais je crois aussi qu'il est indispensable que les pétitions soient renvoyées à MM. les ministres de l'intérieur et de la justice ; les faits qui y sont signalés sont d'une gravité telle qu'ils méritent bien un examen attentif et sérieux.
M. le président. - Je mets aux voix les conclusions de la commission. Quelqu'un s'y oppose-t-il ?
M. Rogier. - Le renvoi proposé implique-t-il l'approbation de la conduite du gouvernement.
M. le président. - Le renvoi est proposé dans les termes ordinaires.
M. Rogier. - Si le renvoi de la pétition aux ministres impliquait l'approbation de la conduite de M. le ministre de l'intérieur en cette affaire et de ses procédés vis-à-vis de son honorable prédécesseur, je voterais contre la proposition, en demandant le simple dépôt au bureau des renseignements.
M. le président. - Demandez-vous le dépôt au bureau des renseignements.
M. Rogier. - Je demande une explication.
M. de Theux. - Messieurs, il s'agit de faits excessivement graves qui concernent de grands intérêts communaux et les grands intérêts de l'instruction primaire. On demande que la pétition soit renvoyée à MM. les ministres de l'intérieur et de la justice. Si ces honorables ministres trouvent à propos de pousser l'enquête plus loin, ils le feront, et quant à moi, je m'en réfère aux décisions qu'ils prendront, pour maintenir, d'une part, les droits financiers des communes et, d'autre part, les droits de l'instruction publique et la dignité du gouvernement, sauf à la Chambre à apprécier plus tard les décisions qu'ils auront prises, dans leurs pleins pouvoirs des fonctionnaires chargés de l'exécution des lois et de la sauvegarde des intérêts communaux en degré d'appel.
M. Bara. - Il est évident que nous ne pouvons empêcher M. le ministre de la justice et M. le ministre de l'intérieur de faire une enquête sur des faits signalés à charge d'un bourgmestre. S'ils croient que ces faits peuvent donner lieu à une action judiciaire ou à un acte administratif ; c'est leur devoir, même en l'absence du renvoi de la pétition à ces honorables ministres, d'ordonner une instruction. Mais il est certain que, par le renvoi proposé, on veut forcer la gauche à donner son approbation à la conduite que M. le ministre de l'intérieur a tenue dans cette affaire. Cette approbation ne peut être accordée et j'engage mes honorables amis à ne pas la donner.
Nous n'avons pas à examiner ici si tous les faits imputés à M. le bourgmestre de Cherscamp, et du reste contestés par lui, sont exacts et dignes d'approbation ; mais nous avons à blâmer certains actes de M. le ministre de l'intérieur, qui ont été posés contrairement à l'intérêt de l'enseignement primaire, et à la dignité et à l'indépendance des communes.
Voilà pourquoi nous ne devons pas approuver le renvoi tel qu'il est proposé et qui serait représenté devant l'opinion publique comme une absolution de M. le ministre de l'intérieur, alors que les discussions qui viennent d'avoir lieu prouvent à l'évidence qu'il a montré dans cette affaire une très grande faiblesse et une très grande légèreté, pour ne pas dire plus.
M. le président. - Je fais observer que la discussion est close ; il ne peut plus être question que des conclusions.
M. De Lehaye. - Je pense que la proposition de l'honorable M. de Theux est la seule que nous puissions admettre. Nous demandons (page 305) que la pétition soit renvoyée au gouvernement, afin que le gouvernement prenne telle résolution qu'il jugera convenir.
Lorsqu'il aura pris une résolution, la minorité, si elle désapprouve cette résolution, pourra lui en faire un nouveau grief. Si, au contraire, la décision du gouvernement convient à la minorité et à la majorité, tout sera dit.
Dans ma pensée et dans la pensée de la commission des pétitions, le renvoi proposé n'a pas d'autre but ; c'est d'engager le gouvernement à prendre telle mesure qu'il jugera convenir.
Si vous me permettez de revenir un instant sur ce que vient de dire l'honorable M. Bara, il ne veut pas du renvoi à MM. les ministres, parce que ce renvoi impliquerait l'approbation de la conduite du ministre de l'intérieur. Si telle avait été la proposition faite, je lui aurais donné mon assentiment. Je connais parfaitement la commune dont il s'agit. (Interruption.)
- Des membres. - C'est le fond.
M. le président. - Je fais remarquer de nouveau que la discussion est close.
M. De Lehaye. - Je ne fais que répondre un mot à ce qu'a dit l'honorable M. Bara. Mais je me soumets ) votre observation. Je demande le renvoi de la pétition au gouvernement, afin qu'il prenne telle résolution qu'il jugera convenir.
M. le président. - Je mets aux voix les conclusions de la commission.
- Des membres. - L'appel nominal !
Les conclusions de la commission sont mises aux voix par appel nominal.
94 membres sont présents.
54 adoptent.
40 rejettent.
En conséquence, les conclusions de la commission sont adoptées et la pétition est renvoyée à MM. les ministres de l'intérieur et de la justice.
Ont voté l'adoption :
MM. Hayez, Hermant, Houtart, Jacobs, Janssens, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Lefebvre, Liénart, Magherman, Moncheur, Mulle de Terschueren, Notelteirs, Pety de Thozée, Rembry, Reynaert, Schollaert, Simonis, Tack, Thibaut, Thienpont, Thonissen, Van Cromphaut, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Outryve d'Ydewalle, Van Overloop, Van Renynghe, Van Wambeke, YVrmeire, Verwilghen, Amédée Visart, Léon Visart, Wasseige, Wouters, Beeckman, Biebuyck, Brasseur, Cornesse, Cruyt, de Haerne, Delaet, Delcour, De Le Haye, de Liedekerke, de Montblanc, de Muelenaere, de Smet, de Theux, de Zerezo de Tejada, Drion, Drubbel, Dumortier et de Naeyer.
Ont voté le rejet :
MM. Hagemans, Jamar, Jottrand, Le Hardy de Beaulieu, Lescarts, Mascart, Muller, Pirmez, Rogier, Sainctelette, Tesch, Vandenpeereboom, Van Humbeeck, Van Iseghem, Vleminckx, Warocqué, Allard, Anspach. Bara, Bergé, Boulanger, Bouvier, Braconier, Bricoult, d'Andrimont, Dansaert, David, de Baillet-Latour, De Fré, Defuisseaux, de Lexhy, de Macar, Demeur, de Rossius, Descamps, Dethuin, de Vrints, Elias, Frère-Orban et Funck.
M. d'Andrimont. - J'ai l'honneur d'informer M. le ministre de l'intérieur que je désire avoir une explication sur les retards qu'éprouve la mise en adjudication des travaux des écoles normales pour instituteurs et institutrices, a établir à Liège et à Mons.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Si cela convient à l'honorable membre, je répondrai à l'instant même.
- Plusieurs membres. - Au budget de l'intérieur.
- D'autres membres. - Demain ! demain !
M. le président. - On pourrait mettre cet objet à l'ordre du jour de demain, après l'interpellation de M. de Baets.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Je me mets à la disposition de l'honorable membre pour demain.
- Plusieurs membres. - Au budget de l'intérieur.
M. le président. - M. le ministre accepte l'interpellation pour demain.
M. Bouvier. - Ils sont plus ministériels que le gouvernement, à droite.
- La Chambre décide que l'interpellation aura lieu demain après celle de M. de Baets.
La séance est levée à 4 heures trois quarts.