(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1870-1871)
(Présidence de M. de Naeyer, premier vice-président.)
(page 283) M. de Vrints procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Wouters donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.
M. de Vrints présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre :
« Le sieur Cotteeu réclame contre une condamnation prononcée à sa charge par le juge de paix du canton d'Evergem. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le conseil communal de Becquevoort demande la construction d'un chemin de fer de Tirlemont à Diest par Vissenaeken, Attenrode, Meensel, Wersbeck, Becquevoort et Assent. »
M. Beeckman. - Je propose le renvoi à la commission des pétitions.
- Adopté.
« La dame Degraeuwe, institutrice communale à Basècles, demande qu'il soit apporté une modification aux statuts de la caisse de prévoyance des instituteurs et institutrices primaires, pour que ceux-ci puissent jouir des prérogatives accordées aux instituteurs et professeurs urbains, par l'arrêté royal du 17 août 1865. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Evrard, combattant de 1830, demande une pension. »
- Même renvoi.
« Le secrétaire communal de Ville-sur-Haine demande que l'avenir des secrétaires communaux soit assuré, que leur traitement soit mis en rapport avec l'importance de leur travail et des services qu'ils rendent aux administrations communales, provinciales et générale. »
M. Lelièvre. - Des pétitions ayant le même objet ayant été renvoyées à la commission avec demande d'un prompt rapport, je prie la Chambre de prendre la même décision en ce qui concerne la requête qui vient d'être analysée et que j'appuie tout particulièrement.
- Adopté.
« Des habitants de Schoonaerde demandent que ce hameau de la commune de Wicheien en soit séparé et forme une commune distincte. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le conseil communal de Borloo demande que le chemin n°1 de l'atlas de cette commune, nommé la Vieille-Chaussée, soit déclaré grande route de l'Etat. »
- Même renvoi.
« Des huissiers de l'arrondissement de Bruxelles prient la Chambre d'augmenter de 50 p. c. le tarif des actes des huissiers. »
- Même renvoi.
« Les membres du conseil communal de La Bouverie demandent qu'il soit pris des mesures pour que la compagnie concessionnaire exécute, dans le délai fixé, la ligne de Dour à Quiévrain et les embranchements reliant les chemins de fer industriels.
« Même demande du conseil communal de Dour. »
- Même renvoi.
« Le sieur Quelot propose des mesures pour empêcher les difficultés qui pourraient naître de la fuite d'un certain nombre d'officiers français, prisonniers sur parole. »
- Même renvoi.
« Le sieur Morissin se plaint que M. le gouverneur du Luxembourg prive le journal la Voix du Luxembourg des annonces officielles. »
- Même renvoi.
« Le sieur Slock, sergent au 2ème régiment de ligne, demande la confrontation de deux témoins qui ont déposé dans une affaire poursuivie à sa charge devant la cour militaire. »
- Même renvoi.
« Le sieur Vandenbroeck prie la Chambre d'ordonner le renvoi à M. le ministre de l'intérieur du bulletin d'août 1854 de la société centrale d'agriculture contenant un projet de loi relatif à la réglementation du commerce des engrais et des amendements, à la surveillance, dont il doit être entouré, et aux dispositions pénales applicables aux falsifications dont ses éléments sont l'objet. »
- Même renvoi.
« La dame Wathar, née Dehousse, demande que son mari, Dieudonné Wathar, milicien de la levée de 1864, sergent armurier 'au 11ème de ligne, soit renvoyé en congé illimité. »
- Même renvoi.
« L'administration communale de Saint-Josse-ten-Noode transmet à la Chambre le vœu du conseil communal de voir l'instruction primaire inscrite au plus tôt dans la loi comme une obligation des parents ou des tuteurs envers leurs enfants ou leurs pupilles. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner la proposition de loi relative à l'enseignement primaire obligatoire.
« Des conseillers communaux, un échevin et d'autres habitants de Dolhain-Baelen prient la Chambre de ne pas donner suite à la séparation de Baelen de la commune de Baelen. »
M. Simonis. - Je propose le renvoi a la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.
- Adopté.
« Le conseil communal de Pepinster prie la Chambre d'adopter la proposition de loi relative à l'instruction primaire obligatoire. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner la proposition de loi.
« Des instituteurs assermentés dans la Flandre orientale présentent des observations concernant la proposition de loi relative à l'enseignement primaire obligatoire. »
- Même décision.
« Des électeurs de la commune d'Aeltre demandent le vote à la commune pour toutes les élections. »
-Renvoi à la section centrale pour le projet de loi sur la réforme électorale.
« Les membres de l'administration communale et des habitants d'Appelterre-Eychem demandent l'établissement d'un pont ou du moins d'une passerelle sur la Dendre canalisée, àa la hauteur du village de Pollaere. »
(page 284) « Même demande des membres de l'administration communale et d'habitants de Poliaere. »
- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le budget des travaux publics.
M. Van Wambeke. - Je propose le renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.
- Adopté.
« Le sous-lieutenant Lyon fait hommage à la Chambre d'un exemplaire du travail qu'il a publié sous ce titre : « Les Dunes de la Belgique. »
- Dépôt à la bibliothèque.
M. Vanden Steen, retenu chez lui par les funérailles de sa belle-sœur, demande un congé.
M. Van Renynghe, devant s'absenter pour une affaire administrative urgente, demande un congé d'un jour.
- Ces congés sont accordés.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur, présente :
1° Un projet de loi ayant pour objet de modifier les articles 75, 76, 77, 133, 135, 136 et 137 de la loi communale ;
2° Un projet de loi relatif aux cours d'eau non navigables ni flottables.
M. Jacobs, ministre des finances présente :
1° Un projet de loi ayant pour objet d'accorder des indemnités aux propriétaires de biens grevés de servitudes militaires ;
2° Un projet de loi allouant au département des finances un crédit de 305,000 francs pour la régularisation du déficit du trésor, provenant du vol d'obligations au porteur commis dans les archives de la cour des comptes ;
3° Un projet de loi autorisant le département de la guerre à affecter aux dépenses extraordinaires de l'armée pour l'exercice 1871 le reliquat que présentera le crédit extraordinaire alloué à ce département pour l'exercice 1870 par la loi du 30 septembre 1870 ;
4° Un projet de loi ayant pour objet de rendre disponible, pendant les exercices 1871 et 1872, en lui conservant son affectation actuelle, une somme de 1,220,000 francs formant le reliquat, au 31 décembre 1870, des allocations de l'article 20 (matériel de l'artillerie) du budget de la guerre, auquel est rattaché le crédit alloué par l'article 4 de la loi du 2 septembre 1870.
Enfin, un crédit supplémentaire de 83,000 francs au département des travaux publics.
- Il est donné acte à JIM. les ministres de l'intérieur et des finances de la présentation de ces projets de lois, qui seront imprimés, distribués et renvoyés à l'examen des sections.
Il est procédé au scrutin.
Nombre de votants, 82.
Bulletins blancs, 5.
Votes valables, 77.
M. Verryekcn obtient 77 suffrages ; il est proclamé bibliothécaire de la Chambre pour un terme de six ans.
M. De Lehaye. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de la section centrale qui a examiné le budget de l'intérieur pour l'exercice 1871.
- Impression, distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.
M. de Baets. - Messieurs, j'ai l'honneur d'annoncer au gouvernement et spécialement à MM. les ministres des affaires étrangères et des travaux publics que je désire présenter une interpellation concernant divers travaux à exécuter dans la ville de Gand et aux environs de cette ville.
L'interpellation demandera d'assez longs développements, et comme je ne désire pas prendre les ministres à l'improviste, je demanderai à quel jour il leur conviendra d'écouler mes développements et de me répondre.
L'interpellation portera :
1° Sur la démolition de la citadelle de Gand ;
2° Sur le chemin de fer de ceinture ;
3° Sur le canal de Terneuzen et la création du nouveau bassin ;
4° Sur le prolongement du grand bassin jusqu'au bas Escaut ;
5° Sur la jonction directe du bas Escaut et du haut Escaut à la Lys ;
6° Sur l'élargissement et la canalisation de diverses branches du Burggravenstroom et de la Caale.
Je préviens, en même temps, mes honorables collègues du Hainaut, de la Flandre occidentale et de la province d'Anvers que les travaux dont j'aurai l'honneur d'entretenir le gouvernement les intéressent dans une large proportion.
Je demanderai donc que le gouvernement veuille bien fixer le jour où il lui conviendra d'écouter le développement de mon interpellation.
Puisque j'ai la parole, j'en userai pour demander à la Chambre de porter à son ordre du jour le projet de loi que j'ai eu l'honneur de déposer avec quelques-uns de mes honorables collègues, il y a quatre ou cinq ans.
M. d'Anethan, ministre des affaires étrangères. - Il faut le reproduire.
M. Bouvier. - La dissolution a fait tomber tous les projets.
M. de Baets. - Je pense que toutes vos observations se sont produites et j'y réponds.
La Chambre décidera que cet objet sera porté à son ordre du jour ou elle décidera le contraire. S'il ne convient pas à la Chambre de se considérer comme saisie de cet objet, je déclare que je représenterai le projet de loi.
M. de Naeyer. - Je dois faire remarquer que d'après les usages constants, quand il y a dissolution, tous les projets dont la Chambre était saisie viennent à tomber. L'assemblée n'est donc plus saisie du projet dont il s'agit et elle ne peut s'en occuper que pour autant qu'il soit fait une nouvelle proposition de loi.
M. de Baets. - J'ai donc l'honneur d'annoncer que je représenterai le projet dans un bref délai. On veut faire une évolution inutile de procédure : elle sera faite.
M. Wasseige, ministre des travaux publics. - Le gouvernement, messieurs, est tout disposé à prêter la plus grande attention à l'interpellation qui vient de nous être annoncée par l'honorable M. de Baets sur les objets qu'il a indiqués lui-même, et s'il peut lui convenir de nous faire entendre, jeudi prochain, les développements qu'il nous annonce, le gouvernement appréciera, après les avoir entendus, s'il peut y répondre immédiatement ou s'il doit ajourner sa réponse à un autre jour.
- La Chambre fixe à jeudi l'interpellation de M. de Baets.
M. Pirmez. - L'honorable ministre de l'intérieur m'a écrit, après la séance de vendredi, qu'il avait l'intention d'introduire dans le débat une affaire analogue à celle de Cherscamp, affaire concernant l'instituteur d'Oosf-Eecloo. Je crois préférable de laisser M. le ministre de l'intérieur s'expliquer à cet égard ; je répondrai alors aux deux incidents qu'il aura soulevés.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - J'ai eu l'honneur de faire connaître à l'honorable M. Pirmez que je serais peut-être amené à mêler à cet incident une autre affaire semblable, celle de l'instituteur d'Oost-Eecloo ; mais ce n'était qu'une éventualité que je prévoyais. C'est donc dans un sentiment de loyauté que la Chambre appréciera, mais en vue d'une simple éventualité, que j'ai eu l'honneur de communiquer, dès avant-hier, le dossier à l'honorable M. Pirmez.
La suite de la discussion m'apprendra si le dossier de l'affaire d'Oost-Eecloo peut être invoqué dans le débat actuel. Présentement, je ne pense pas qu'il y ait lieu de confondre deux affaires différentes.
M. Pirmez. - Puisque Oost-Eecloo disparaît pour le moment, j'aborderai immédiatement la discussion de l'affaire de Cherscamp.
Messieurs, dans la séance de vendredi, l'honorable M. Vander Donckt faisait rapport sur une pétition émanée de plusieurs habitants de Cherscamp. Cette pétition avait un double objet : elle rappelait d'abord une pétition antérieure signalant divers griefs administratifs de gestion financière contre l'administration communale de Cherscamp ; elle avait, en outre, pour but de signaler différents faits relatifs à l'instruction primaire dans cette commune.
J'avoue, messieurs, que la confiance que j'ai dans les rapports de l'honorable M. Vander Donckt m'avait porté à me dispenser d'écouter attentivement, ou même d'écouter du tout le rapport qu'il a fait sur cette pétition. J'étais, pendant qu'il faisait son rapport, livré aux délices d'une conversation avec l'honorable M. Rogier, ne me doutant pas du tout qu'un orage se préparait sur ma tête ; cet orage cependant allait éclater, formé d'éléments préparés longtemps à l'avance.
(page 285) En effet, M. Vanden Steen se lève aussitôt après le rapport de M. Vander Donckt ; il appuie la pétition, qu'il signale comme contenant la révélation des faits les plus odieux, ce sont ses expressions ; et il demande si M. le ministre de l'intérieur n'est pas prêt à répondre immédiatement à cette affaire déjà ancienne.
Par un hasard que je trouvai merveilleux d'abord, M. le ministre de l'intérieur était parfaitement prêt à répondre à l'honorable M. Vanden Steen ; mais cette circonstance, qui m'avait d'abord frappé d'admiration, a cessé de produire cet effet sur mon esprit quand j'ai eu connaissance du dossier.
J'ai pu, en effet, constater que la pétition sur laquelle on avait fait rapport avait été remise d'avance par l'honorable membre à M. le ministre de l'intérieur qui l'avait étudiée et fait instruire avant l'exposé qu'il est venu en faire à la Chambre.
M. le ministre de l'intérieur a incriminé devant la Chambre un acte de mon administration.
Il a dit que cette affaire était d'une gravité extrême ; que le bourgmestre de Cherscamp, représenté par les rapports administratifs comme un homme d'une grande violence, était accusé de s'être rendu coupable de faux et qu'il avait dirigé contre l'instituteur les plus odieuses persécutions. Il m'a accusé d'avoir, dans ces circonstances, sévi non contre le bourgmestre, mais contre l'instituteur qui, grâce à des protections acquises au bourgmestre, fut invité à donner sa démission.
Il nous a annoncé, après cela, qu'il avait rétabli l'instituteur dans ses fonctions et qu'il allait sévir contre le bourgmestre.
Ainsi, M. le ministre de l'intérieur s'est donné comme le réparateur des torts graves que j'aurais eus dans cette affaire.
M. le ministre de l'intérieur a choisi le terrain du débat ; il m'a provoqué ; il veut une comparaison entre nos deux administrations ; j'accepte le débat sur le terrain où il s'est placé !
La commune de Cherscamp est une commune libérale....
M. Van Cromphaut. - Cela n'est pas vrai.
M. Bouvier. - Cela n'est pas parlementaire. Le mot vient de la droite ; il n'est guère poli.
M. Pirmez. - Je dirai, si vous voulez, que la commune de Cherscamp a une administration libérale....
M. Van Cromphaut. - C'est autre chose.
M. Pirmez. - Votre interruption n'est pas un service que vous rendez à vos amis.
Je répète que l'administration communale de Cherscamp appartient tout entière à l'opinion libérale. Ce fait est assez extraordinaire dans l'arrondissement de Termonde.
M. Vermeire. - Je demande la parole.
M. Pirmez. - Je ne sais pas si le fait n'est pas unique dans l'arrondissement. Quoi qu'il en soit, on a organisé une opposition violente contre l'administration locale, non pas seulement au sein de cette commune, mais de la part de personnes qui habitent des communes voisines et ont des relations à Cherscamp. Oh craignait naturellement que cette gangrène libérale, ayant un foyer d'infection dans la commune de Cherscamp, ne finît par s'étendre au dehors.
Lorsque j'ai été appelé à statuer sur cette affaire, comme ministre de l'intérieur, j'étais fort dégagé de préoccupations politiques ; elles ne pouvaient guère entrer dans mon esprit, car, quelque parti que je prisse, il ne pouvait en résulter aucun profit pour l'opinion libérale dans l'arrondissement de Termonde, dans lequel toute lutte sérieuse est impossible.
Quoi qu'il en soit, je répète que l'administration libérale de Cherscamp avait soulevé contre elle une opposition très vive, et qu'on y faisait des efforts très ardents pour arriver à la renverser.
Le chef de l'opposition a naturellement été, dans la commune, le curé de la paroisse. Je pourrais, messieurs, si je voulais suivre les procédés de l'honorable ministre de l'intérieur, entrer, quant à ce chef de l'opposition, dans certains détails qu'il ne remercierait pas M. Kervyn d'avoir provoqué. Mais je ne suivrai point en cela l'exemple de M. le ministre, qui s'est cru obligé de mettre à la charge du bourgmestre les faits les plus graves. J'ai toujours évité ce genre de discussion.
Je me borne à dire que le curé a été un ardent adversaire du bourgmestre et que comme il ne pouvait être le meneur actif de l'opposition à maintenir dans la commune, il a chargé de ce soin l'instituteur, qui était son sacristain. Vous savez, messieurs, l'empire que les curés exercent naturellement sur leurs sacristains ; aussi, par une circulaire que j'ai adressée lorsque j'étais au ministère de l'intérieur, j'ai interdit le cumul de ces fonctions.
Mais à Cherscamp la circulaire n'a jamais été exécutée d'une manière complète ; on a, je crois, nommé pour la forme un fils de l'instituteur, puis un autre fils de l’instituteur, mais en fait, si j'en crois le conseil communal, l'instituteur est toujours en réalité demeuré sacristain.
Ceci est du reste un détail. Le fait important est celui-ci : c'est que depuis plusieurs années l'agent ardent de l'opposition à l'administration communale, c'est l'instituteur communal qui s'appelle Steppe.
Steppe a fait tous ses efforts comme un vaillant combattant électoral pour renverser l'administration communale et il les a faits non pas seulement aux dernières élections, mais trois ans avant déjà. Il a été battu complètement à cette époque et il ne l'a pas caché : il a suspendu au-dessus de la porte de la maison communale une buse, symbole habituel des défaites et il l'a surmontée d'une description ironique à l'adresse des vainqueurs.
Cette situation qu'a prise l'instituteur est, comme vous le voyez, tout à fait irrégulière. Il est évident que si l'on permet aux instituteurs d'intervenir dans toutes les luttes électorales des communes, on aura détruit la moitié de l'enseignement primaire.
Dans beaucoup de communes il existe deux partis :
Si l'instituteur est l'agent actif d'un parti, il s'attirera l'animadversion des parents qui sont de l'autre parti et ceux-ci ne mettront plus leurs enfants entre ses mains. Empêcher cette intervention des instituteurs dans les luttes communales est une nécessité de premier ordre, parce qu'elle crée une situation destructive de la généralisation de l'enseignement.
Cette situation était signalée depuis longtemps à Cherscamp ; elle a entraîné, comme c'est naturel, une opposition extrêmement tendue entre le conseil communal unanimement libéral et l'instituteur représentant du parti opposé
L'administration communale, par représailles, a parfois tenu une conduite qu'on ne pouvait approuver, mais qui découlait de la position prise par l'instituteur.
Ainsi lorsqu'une nouvelle école a été construite, l'administration communale a refusé assez longtemps de la mettre à la disposition de l'instituteur ; mais l'administration est intervenue et a fait rendre justice à l'instituteur ; elle a envoyé un commissaire spécial pour installer l'instituteur dans la nouvelle école.
Plus tard un retard ayant été apporté au payement de l'instituteur, j'ai donné des ordres pressants pour que le payement fût fait immédiatement. Je constate ces faits parce qu'ils prouvent que l'administration n'a pas manqué à ses devoirs et a rendu justice à l'instituteur, quand il avait droit.
Au mois de septembre dernier, le gouverneur de la Flandre orientale fit connaître au gouvernement que la situation devenait intolérable, et proposait cependant d'attendre encore ; des élections allaient avoir lieu ; si l'administration communale était renversée, l'instituteur pourrait être maintenu ; si l'instituteur jouant son va-tout dans les élections succombait encore, il serait impossible de le maintenir.
L'instituteur n'a pas manqué ; il a combattu, il s'est constitué l'adversaire le plus ardent de l'administration et a succombé.
Cette lutte a augmenté les difficultés de la situation et le conseil communal, surveillant naturellement de très près et sans beaucoup de bienveillance, je veux bien le reconnaître, l'instituteur, lui a infligé plusieurs suspensions : de là un trouble profond dans l'enseignement à Cherscamp.
C'est alors qu'est intervenu l'inspecteur provincial de l'enseignement et j'appelle sur ce point toute l'attention de la Chambre ; car elle va voir si j'ai agi par esprit de parti et en cédant à des protections, comme le dit M. le ministre de l'intérieur.
L'inspecteur provincial de la Flandre orientale est M. Kervyn, qui est, je crois, parent de l'honorable ministre de l'intérieur. M. l'inspecteur Kervyn, comme son parent, appartient à l'opinion catholique d'une manière absolue ; il est connu pour avoir des convictions non moins prononcées que M. le ministre de l'intérieur. Or, M. Kervyn, le 21 janvier, signalait déjà au gouverneur de la Flandre orientale la nécessité de déplacer l'instituteur.
Cependant, on attendit encore pour voir s'il n'y aurait pas amendement et s'il fallait absolument renoncera l'espoir d'arriver à une autre situation. M. l'inspecteur provincial trouva qu'on attendait trop longtemps et, le 30 avril, il demanda que M. le ministre de l'intérieur prît enfin une décision définitive sur l'affaire de Cherscamp.
Le gouverneur de la Flandre orientale m'adressa, le 7 juin, une demande pour être autorisé à inviter l'instituteur à donner sa démission, s'il ne voulait être révoqué. (Interruption de M. le ministre de l'intérieur.)
(page 286) je vais tous lire la dépêche de M. le gouverneur, dépêche que vous m'avez transmise sans ses annexes.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Je vous ai transmis tout ce que j'avais.
M. Pirmez. - Parfaitement. Mais à la dépêche du gouverneur n'étaient pas joints les deux rapports de M. l'inspecteur provincial. Je vais vous lire le rapport que m'a fait M. le gouverneur et vous verrez quelle était l'opinion de M. Kervyn, inspecteur provincial de la Flandre orientale.
Voici la lettre du 7 juin, sur laquelle j'ai statué :
« Monsieur le ministre,
« Par apostille du 28 mai dernier, administration de l'instruction publique, n°1672N, vous me faites l'honneur de me transmettre, pour renseignements et avis, la requête ci-jointe de retour par laquelle le sieur Bernard Steppe, instituteur communal de Cherscamp, se plaint d'avoir été suspendu de ses fonctions pour un terme de trois mois ayant pris cours le 1er mai dernier.
« Au moment où je reçus cette plainte, j'allais précisément vous proposer de révoquer définitivement ce fonctionnaire pour mettre un terme à des tiraillements dont mon rapport du 21 septembre 1869, 2e division, B/43, n°3346, que je vous prie de vouloir bien vous faire remettre sous les yeux, vous a fait le tableau et qui n'ont pas cessé depuis cette époque de nuire au service de l'instruction primaire en cette commune.
« Je vous aurais même proposé depuis longtemps de prendre la mesure ci-dessus signalée si je n'avais été retenu par l'espoir que l'intéressé lui-même, appréciant sa situation vis-à-vis de l'administration communale, aurait cherché à se procurer une autre place et m'aurait ainsi dispensé de provoquer sa destitution.
« Quoi qu'il en soit, celle-ci me paraît devenue nécessaire. L'attitude de Steppe envers ses supérieurs étant une cause permanente de conflits auxquels il importe de mettre un terme.
« Par résolution en date du 20 novembre dernier, régularisée par une délibération subséquente du 11 décembre, le conseil communal suspendit le sieur Steppe pour un terme de trois mois ; cette mesure était basée sur une série de faits d'insubordination, de négligence et d'irrévérence relatés dans la délibération et qui ne sont que la répétition de ceux déjà antérieurement constatés à charge de cet instituteur.
« Celui-ci fut invité à s'expliquer par écrit sur ces griefs. Dans son mémoire joint aux pièces, il dénie tous les faits que l'unanimité du conseil communal lui impute.
« M. le commissaire d'arrondissement, par deux rapports que vous trouverez ci-joints en copie, prend la défense de l'instituteur inculpé, mais ne parvient pas, à mon avis, à le justifier.
« M. l'inspecteur provincial lui-même dans son rapport ci-joint du 24 janvier dernier reconnaît que le sieur Steppe n'est pas exempt de tout reproche et insiste sur l'urgence de l'éloigner de l'école communale.
« Enfin, par sa lettre du 30 avril dernier, ce fonctionnaire convaincu de l’impossibilité de prolonger le statu quo émet le vœu que vous preniez, dans le plus bref délai, une décision définitive sur le sort du sieur Steppe en conformité de l'article 11 de la loi du 23 septembre 1842.
« Je partage, entièrement cette manière de voir et quelque rigoureuse que puisse paraître au premier abord la mesure que j'ai l'honneur de vous proposer, j'estime qu'elle est pleinement justifiée par les rétroactes de l'affaire et les infractions aux devoirs disciplinaires et professionnels constatés à charge du fonctionnaire inculpé.
« Vous remarquerez dans mon rapport précité qu'à sa date déjà j'entrevoyais cette solution comme inévitable, si l'administration libérale de Cherscamp n'était pas culbutée aux élections d'octobre dernier. Elle s'est au contraire consolidée, l'agent militant de la coalition contre elle, l'instituteur sacristain Steppe depuis nombre d'années, en hostilité flagrante avec elle, n'est dans la première de ces qualités ultérieurement plus soutenable.
« Le gouverneur, de Jaegher. »
Ainsi voilà la situation dans laquelle je me trouvais.
On me déclare que la situation à Cherscamp est devenue absolument impossible. Après le vote unanime du conseil communal, cette situation impossible est indiquée non pas seulement par le gouverneur, mais encore par l'inspecteur provincial, appartenant notoirement à l'opinion catholique.
M. l'inspecteur le déclare le 24 janvier, il y revient le 30 avril et M. le gouverneur ne fait qu'appuyer ce sentiment.
Ce dossier arrive au département de l'intérieur, où il est examiné dans les bureaux de l'instruction publique.
Le directeur de l'enseignement primaire trouve la mesure justifiée, et fait préparer un projet de décision. M. Thiery, directeur général, approuve ce projet sans observation, et il en est de même de M. le secrétaire général !
Je cite cette procédure administrative, non pour me décharger sur ces fonctionnaires d'une responsabilité que j'accepte, mais pour montrer la régularité de tout ce qui s'est fait, et combien tout s'est tenu dans les bornes d'actes administratifs.
Après toute cette instruction et en présence de tous ces avis conformes, j'approuve également.
Voilà l'acte de parti ! Voilà comment j'ai sacrifié un instituteur à des protections. Et je demande à M. le ministre de l'intérieur à quoi il a fait allusion quand il a parlé de protections.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - C'est indiqué dans la pétition.
M. Pirmez. - Vous avez fait l'accusation vôtre, ayez donc le courage de préciser.
Vous ne dites rien ? Je n'ai donc pas subi l'influence de ces protections imaginaires.
Et quel acte a jamais été plus régulier ?
Le gouverneur et l'inspecteur provincial, fonctionnaires appartenant à deux opinions politiques différentes, sont d'accord sur l'impossibilité de maintenir la situation à Cherscamp. Fallait-il sacrifier l'enseignement primaire de cette commune en repoussant ce qui m'était proposé comme une nécessité ?
Je demanderai à M. le ministre de l'intérieur en vertu de quoi, en vertu de quel passage de son programme le gouvernement justifiera sa conduite dans cette affaire.
Est-ce le passage où l'on prétend que le gouvernement intervient trop dans les affaires communales, que nous sommes opprimés sous l’excès de la centralisation ? M. le ministre de l’intérieur, ce grand adversaire de la centralisation, va soumettre un conseil communal à sa volonté !
Est-ce la circulaire adressée aux agents du gouvernement relativement à leur intervention en matière électorale ? Prenons cette circulaire.
« Quelle que soit la part que plusieurs fonctionnaires ont prise aux luttes politiques du passé, nous n'aurons point recours à des révocations : elles ne seraient justifiées et ne deviendraient immédiatement nécessaires que dans le cas (nous aimons à ne pas le prévoir), où des fonctionnaires chercheraient à exercer sur le corps électoral, soit directement, soit indirectement, soit par eux-mêmes, soit par leurs agents, cette pression que nous n'invoquerons jamais pour nous, que nous ne tolérerons jamais contre nous. »
M. De Lehaye. - C'était parfaitement bien.
M. Pirmez. - C'est parfaitement bien et dès qu'on exécute ce programme loyalement, je ne demande pas mieux.
Ce n'est pas parce que je critique la circulaire que je l'invoque, mais parce que je l'approuve et pour vous l'opposer. Je dis que M. le ministre de l'intérieur, après une pareille déclaration, ne peut imposer à un conseil communal de conserver comme fonctionnaire une personne qui est le chef d'une opposition ardente.
Ah ! vous dites que vous ne tolérerez pas cela contre vous et vous voulez qu'une administration communale le tolère !
Est-ce là de la justice ?
Vous avez dit que votre administration serait impartiale, juste et bienveillante. Je demande si vous réalisez vos promesses.
M. Carton déclare qu'il doit vous faire opposition ; vous déclarez qu'il est impossible et qu'il doit donner sa démission.
Je loue la position de M. Carton : je ne blâme pas la vôtre ; mais, si vous trouvez impossible que dans une politique digne qui se fait à distance, sans froissements personnels, un fonctionnaire vous combatte, vous ne pouvez exiger qu'une administration communale ait toujours devant elle un subordonné qui la brave, qui l'outrage en dénonçant à sa charge les faits les plus graves ; ce qu'a fait l'instituteur, comme je le démontrerai tantôt.
J'ai justifié mon acte. Si cet acte avait été maintenu, que serait-il arrivé ?
Mais la commune de Cherscamp aurait eu un instituteur qui, étranger à ses luttes anciennes, eût été accepté par tous les partis auxquels il ne se serait pas mêlé et à qui tous les habitants eussent pu confier leurs enfants, au moins quant à l'enseignement ; la paix eût été rétablie.
(page 287) L'instituteur n'eût pas été embarrassé de trouver une position, car dans la province de la Flandre orientale, quel est le conseil communal qui n'eût pas accepté une prétendue victime du parti libéral ?
Du reste, quand M. le ministre de l'intérieur a dit que j'avais ordonné la révocation immédiate de l'instituteur, il n'a pas rendu exactement la portée de ma lettre du 20 juin.
Cette lettre reconnaît l'impossibilité de maintenir l'instituteur en fonctions, elle charge le gouverneur de l'inviter à donner sa démission, et de le révoquer en cas de refus ; mais quand un instituteur se rend à une pareille invitation, on lui accorde un certain temps pour chercher une position. L'administration, satisfaite d'avoir une solution, agit alors avec bienveillance et n'oublie pas ce que l'intérêt de l'instituteur réclame. Si M. le ministre de l'intérieur veut parcourir les dossiers d'affaires semblables, il verra comment dans ces cas on a facilité le remplacement de l'instituteur.
Si ma décision eût été maintenue, l'instituteur ne faisait que subir les conséquences de la position prise par lui, et sans être sacrifié, mettait par son éloignement un terme à la position fâcheuse de l'enseignement primaire. Ce grand intérêt était sauvegardé, et les faits déplorables signalés aujourd'hui évités.
J'ai fini ma justification.
M. le ministre de l'intérieur a voulu la comparaison de ma politique avec la sienne.
Je vais la faire ;
Ici le débat a deux objets.
D'abord ce qui concerne là gestion financière de la commune dénoncée par les pétitionnaires.
Ensuite ce qui concerne l'instruction publique.
Il s'agit à la fois du bourgmestre et de l'instituteur.
M. le ministre de l'intérieur a bien voulu nous dire au commencement de son discours :
« Messieurs, les faits, il ne faut pas se le dissimuler, sont d'une gravité extrême.
« Lorsque j'ai pris possession du ministère de l'intérieur, j'ai trouvé une pétition du mois de février, adressée par des habitants de Cherscamp à cette Chambre et que l'assemblée avait renvoyée au ministre de l'intérieur. Je me suis hâté de provoquer des rapports administratifs sur cette pétition. »
Eh bien, M. le ministre de l'intérieur est dans une erreur complète quand il croit avoir trouvé cette pétition au ministère de l'intérieur.
M. Bouvier. - C'est fort !
M. Pirmez. - Je vais vous expliquer comment les choses se sont passées ; j'ai dépouillé le dossier et je puis rappeler exactement à M. le ministre tout ce qui a eu lieu sous son administration au ministère de l'intérieur.
M. le ministre, vous n'avez pas trouvé la pétition au ministère de l'intérieur et ce pour une excellente raison, c'est qu'elle n'y était pas.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Elle y est encore.
M. Pirmez. - Vous l'avez maintenant, mais je vais vous dire comment elle y est venue.
C'est le 9 août que vous l'avez demandée et on vous a répondu qu'elle était à Gand depuis le 25 février.
Voici la note de M. le directeur général des affaires provinciales et communales ; je ne parle que d'après les pièces qui m'ont été communiquées par M. le ministre de l'intérieur :
« Une plainte a été adressée au ministère de l'intérieur le 24 février par des habitants de Cherscamp contre le bourgmestre de cette commune à qui on reproche des irrégularités dans la gestion financière de la commune et du bureau de bienfaisance.
« Cette plainte a été envoyée à l'avis du gouverneur de la Flandre par apostille du 25 février. Le gouvernement n'ayant pas répondu, une lettre de rappel vient de lui être adressée. J'aurai l'honneur de remettre à M. le ministre l'avis de ce fonctionnaire dès qu'il sera parvenu. »
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Voici une pièce qui prouve le contraire.
- Voix à droite. - Ne répondez pas.
M. Muller. - Comment !
M. Pirmez. - Je n'ai pas trouvé cette pétition.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Elle était au dossier.
M. Pirmez. - Je ne l'y ai pas vue à cette date ; elle est rentrée le 19 août.
Je sais qu'une copie vous a été remise à une date que j'ignore, elle portait la recommandation très chaleureuse de M. Van Cromphaut, de M. Vermeire et de M. Vanden Steen ; ce qui prouve que l'affaire n'était pas du tout pour eux une affaire politique. (Interruption.) Oh ! je ne blâme pas ces messieurs.
Vous êtes tellement impatient, M. le ministre, d'avoir cette affaire que le 20 août vous faites écrire par votre secrétaire à la direction des affaires provinciales et communales ;
« M. le ministre désire avoir sans retard l'avis du gouverneur déjà réclamé deux fois. »
L'avis était arrivé la veille, il était défavorable ; il est impossible qu'on ne vous fait pas remis ; mais vous oubliez, un grand mois, cette affaire.. Alors vous éprouvez de nouveau le besoin, M. le ministre, d'avoir du Cherscamp, mais vous oubliez que le rapport du gouverneur est entre vos mains.
Voici ce que vous faites écrire par votre chef de cabinet à la direction générale des affaires provinciales et communales :
« M. le ministre vous prie de vouloir bien lui soumettre un projet de lettre au gouverneur de la Flandre orientale disant : que depuis longtemps a été envoyée à la Chambre des représentants une pétition signalant, à charge du bourgmestre de Cherscamp, des faits d'autant plus graves qu'ils sont en partie constatés par un jugement du tribunal de Termonde et invitant ce fonctionnaire à transmettre sur cette affaire des renseignements qu'il est en retard de fournir. »
Or, M. le ministre, vous aviez ces renseignements depuis le 19 août ; je m'explique fort bien pourquoi vous ne les avez pas trouvés et je vais encore vous raconter ce qui s'est passé dans votre cabinet... (Interruption.)
Je ne le sais pas directement, soyez-en sûr, je le sais par le Moniteur.
Vous avez eu pendant le mois de septembre un encombrement épouvantable d'affaires. (Interruption.) Cette affirmation vous étonne.
Eh bien, voici comment je le sais : vous avez signé vers le 23 septembre, si je me rappelle bien, une lettre que vous n'avez pas eu le temps de lire, lettre qui cependant était préparée depuis le 1er septembre et qui portait la mention « urgente » ; voilà ce que nous a appris une note publiée au Moniteur.
Or, si une affaire déclarée urgente a dû attendre son tour de signature pendant trois semaines et si, après trois semaines, vous signez cette pièce sans même l'avoir lue, je dois en conclure, comme je le disais, que vous avez dû avoir un encombrement d'affaires dont il y a peu d'exemples ; car il y avait certainement beaucoup d'affaires non urgentes, et beaucoup d'affaires urgentes ou non que vous preniez le temps de lire.
Vous voyez, M. le ministre, que par le Moniteur on sait ce qui se passe dans votre cabinet.
Je m'explique donc qu'ayant un peu perdu de vue l'affaire de Cherscamp, M. le ministre de l'intérieur se soit dit tout à coup le 30 septembre : Voyons donc où en est l'affaire de Cherscamp ?
Mais, j'oubliais de signaler encore une circonstance que révèle le dossier ; c'est que, à cette date du 50 septembre, M. le ministre de l'intérieur était déjà en possession du jugement du tribunal de Termonde, au moment même où il réclamait le dossier ; comment ce jugement était-il alors déjà entre ses mains ?
Comme je connais un peu le département de l'intérieur, j'ai pu constater que la copie du jugement du tribunal de Termonde était de la main d'un employé attaché au cabinet. Il est assez étonnant que ce jugement soit parvenu à M. le ministre avant même le dossier qu'il avait réclamé.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - M. le ministre de la justice m'a transmis le jugement et j'en ai fait prendre une copie.
M. Pirmez. - J'accepte l'explication ; mais elle était au moins nécessaire pour éclaircir un fait sur lequel le dossier ne contient aucun renseignement.
J'ai dit que la pétition soumise à la Chambre le 18 février n'est rentrée au ministère que le 19 août, j'ajoute que vous seriez bien embarrassé si elles s'y trouvait, jointe à la lettre de l'instituteur que vous m'avez passée tantôt, car elle vous montrerait l'instituteur communal dénonçant l'administration communale à M. le ministre de l'intérieur.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Cette pétition n'émane pas de l'instituteur.
M. Pirmez. - On a fait rapport le 18 février sur une pétition qui a été envoyée à Gand le 25 février où elle reste jusqu'au 17 août. Donc vous n'avez pas pu la trouver au ministère et c'est sur votre rappel qu'on (page 288) l'a fait venir. Je constate ainsi que vous vous êtes occupé de cette affaire en dehors de votre administration, et l'intérêt qu'y portaient les honorables députés de Termonde explique parfaitement cela.
Voilà donc l’histoire de la rentrée de la pétition du 18 février sur la gestion financière de Cherscamp.
J'arrive maintenant à l'affaire de l'instituteur.
Je vous ai montré, messieurs, la régularité de la marche que j'ai suivie en cette affaire pendant mon administration. Nous allons voir maintenant comment procède mon honorable successeur. (Interruption.)
Comment procède-t-on généralement dans les départements ministériels ? Les affaires sont remises aux bureaux que la chose concerne ; elles sont instruites par les soins de ces administrations.
M. le ministre de l'intérieur ne procède pas comme cela. Comment a-t-il agi dans le cas actuel ? Sur la réception de la réclamation de l'instituteur du 11 juillet, il fait demander, par son secrétaire, des rapports confidentiels au gouverneur de la Flandre orientale, à l'instituteur et au commissaire d'arrondissement.
Le gouverneur répond que le dossier est dans les bureaux du ministère de l'intérieur.
Ainsi, au lieu de demander le dossier dans ses bureaux, M. le ministre de l'intérieur demande des rapports confidentiels en province ; et quand la réponse du gouverneur lui apprend que le dossier est au ministère de l'intérieur, M. le ministre demande au chef de la direction de l'instruction publique de le lui remettre.
Il faut avouer qu'il y a là un procédé nouveau de simplifier les écritures, bien digne de remarque !
La direction de l'instruction publique transmet le dossier et M. le ministre de l'intérieur demande une note, que la direction lui adresse. Mais la note n'est pas au dossier ; je n'en fais pas un reproche, à M. le ministre de l'intérieur, car il n'est pas obligé de me la communiquer.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Vous entretenez la Chambre de détails de ménage.
M. Pirmez. - Je montre comment vous procédez en dehors de tous les précédents administratifs, tandis que je m'y suis toujours conformé.
La note à laquelle je fais allusion figure cependant à l'inventaire, et elle n'est pas au dossier. Me serait il défendu de croire que si la note avait été favorable aux allégations de M. le ministre, elle aurait figuré au dossier ?
Je me demande si la décision que vous avez prise sur l'affaire, et l'ardeur qu'elle vous a inspirée ne vient pas d'une lettre de l'administration communale de Cherscamp, qui articule plusieurs griefs à charge de l'instituteur, griefs qui auraient bien pu être considérés comme des titres à votre protection ?
« Après les élections du 14 juin, dit cette pièce, l'instituteur se donnait à cœur-joie sur la victoire remportée par ses opinions, parcourant les cabarets de la commune d'un air insolent, insultant la famille du bourgmestre et, le 2 juillet, criant, gesticulant devant la ferme du bourgmestre, criant : « Les libéraux sont en bas. » Aujourd'hui, 3 juillet, dès le matin, il se trouve à la tête du mouvement avec quelques criards qui ont arboré un drapeau en signe d'allégresse. Sont-ce là des principes dignes d'un instituteur ? »
Et c'est là-dessus qu'intervient cette décision de M. le ministre qui tranche la question.
La voici de la main de M. le ministre :
« J'ai examiné avec beaucoup de soin le dossier de Cherscamp. Une lettre au dossier indique nettement que la persécution dirigée contre l'instituteur a un caractère tout politique. Je désire recevoir d'urgence un projet qui rétablit Steppe dans ses fonctions. »
Voilà la conclusion qui met fin à l'ère des persécutions !
Eh bien, voyons maintenant, M. le ministre, quelle situation vous avez créée à Cherscamp ?
Je vous ai dit tout à l'heure quels eussent été les résultats de la mesure que j'avais prise : voyons quel est le résultat de la vôtre.
L'instituteur est maintenu en fonctions malgré l'unanimité du conseil communal ; il est maintenu par une décision ministérielle que son auteur même, quand même il le voudrait, ne pourrait que difficilement retirer, parce qu'elle lie le ministre à l'instituteur. Celui-ci peut donc à son aise braver et dénoncer l'administration communale ; que ferait-il de plus que ce qui a été déclaré à l'abri de reproche ? Il sait qu'il restera et que vous ne le feriez pas partir sans condamner vos propres actes.
Aussi voyez ce qui se passe.
On envoie à la Chambre une pétition contenant, à charge du bourgmestre de Cherscamp, des faits de la plus extrême gravité ; comme le dit très bien M. le ministre, ces faits sont tellement précis que l'honorable rapporteur, M. Vander Donckt, n'hésite pas à dire : Ou il y a calomnie, ou il y a malversation ; pour lui pas d'autre alternative.
Eh bien, l'exemplaire de cette pétition qui a été remis au département de l'intérieur est écrit de la main même de l'instituteur !
Et vous voulez que des conseillers communaux qui ont été ainsi dénoncés soient toujours justes, toujours impartiaux, toujours bienveillants pour l'instituteur qui les a ainsi traités ? Je demande si c'est là une position possible ?
Pourriez-vous travailler, M. le ministre, avec un homme qui vous aurait ainsi accusé ? Evidemment non, et s'il en est ainsi, vous ne pouvez exiger que des administrateurs communaux, fussent-ils même libéraux, se résignent à le faire !
Et déjà nous voyons les résultats : l'instituteur a été suspendu ; les parents ont refusé d'envoyer leurs enfants à l'école ; on dit même que l'administration communale avait défendu à certains fermiers de le faire.
Je n'entends pas, messieurs, discuter tous ces détails ; il n'y a qu'une chose contre laquelle je dois protester : on a accusé un grand propriétaire, un de nos anciens collègues, l'honorable M. de Kerchove qui a toujours donné à Gand des preuves d'une sollicitude éclairée pour l'enseignement primaire, on l'avait accusé d'avoir, par un intermédiaire, empêché les enfants de ses fermiers de suivre les cours de l'école communale.
M. de Kerckhove m'a autorisé à protester de la manière la plus énergique contre cette accusation et certainement ceux qui le connaissent n'auront pas besoin de ces protestations !
Mais, je le répète, je ne discuterai pas les faits postérieurs à la décision de M. le ministre de l'intérieur, je n'examinerai pas le point de savoir si les torts sont d'un côté ou de l'autre ; il y a un conflit très vif, conflit qui était inévitable et qui est désastreux pour l'enseignement primaire.
En présence de ce qui s'était passé, il devait y avoir malveillance de la part du conseil à l'égard de l'instituteur, et résistance de la part de l'instituteur.
Je ne juge pas entre l'instituteur et l'administration communale, mais je blâme, comme responsable de tout ce qui arrive, celui qui, dans un esprit de parti, a créé cette situation impossible et qui, pour maintenir un foyer d'opposition politique à l'unanimité du conseeil, a sacrifié les intérêts de l'enseignement primaire.
Voilà, messieurs, encore une partie de mon discours terminée.
Il faut maintenant que j'aborde la question de la position du bourgmestre pour constater comment procède M. Kervyn à l'égard de ses justiciables administratifs.
Nous en avons déjà eu un petit échantillon vendredi dernier ; mais la chose est beaucoup plus intéressante quand on l'examine en détail comme j'ai eu l'occasion de le faire.
Vous avez annoncé, M. le ministre, que vous alliez sévir contre le bourgmestre, mais n'avez-vous pas fait cette déclaration un peu trop tôt ? Vous avez dénoncé le bourgmestre de Cherscamp comme un homme violent, coupable de faux et de machinations contre l'enseignement, contre lequel vous alliez sévir.
Or, j'ai appris que l'on avait appelé ce matin au département de l'intérieur le bourgmestre de Cherscamp pour l'entendre sur sa justification. Cela me paraît assez étrange : on pend, puis l'on juge. Cela s'appelle être impartial, juste et bienveillant.
J'examine si le bourgmestre de Cherscamp est coupable de malversation ; je l'examine d'après les documents que vous m'avez produits.
M. le commissaire d'arrondissement, qui est en mauvais termes avec le bourgmestre (il le déclare lui-même en disant que ses relations avec lui ne lui permettraient pas de donner un avis impartial et calme), rend cependant hommage à l'honorabilité et au zèle du bourgmestre pour les intérêts communaux. M. le gouverneur de la Flandre orientale soutient que le bourgmestre est tout à fait innocent.
Voilà ce que je connais de l'instruction administrative.
J'ai parcouru le dossier. Il y a au département de l'intérieur des hommes très droits et très capables à la tête des affaires communales et provinciales. Ont-ils été consultés ? ont-ils émis des avis contraires ? Au dossier je n'ai rien trouvé.
Je ne sais pas si M. le ministre de l'intérieur a un second dossier. Il n'est pas obligé de me le communiquer ; mais je crois que si M. le ministre de l'intérieur avait des documents qui lui sont favorables, il me les communiquerait. S'il ne me communique pas ses renseignements, c'est qu'ils ne sont pas bons pour lui. Je cherche encore qui a condamné le bourgmestre.
Il y a plus ; on accuse le bourgmestre de Cherscamp d'une multitude de (page 289) faits de malversations, des intérêts non rentrés, des ventes non renseignées, toute une série d’infractions en matière de comptes communaux.
Or, c'est l'administration provinciale qui est chargée de surveiller les communes quant à leur gestion financière. Comment ne sévit-elle pas ? Comment la députation permanente ne régularise-t-elle pas cette gestion financière vicieuse qui remonte, je crois, à huit ou neuf ans ? Elle est donc complice, M. le ministre, du bourgmestre, et si elle est complice, c'est qu'elle est infectée du venin du libéralisme et peut-être même du doctrinarisme.
Jusqu'ici elle n'en était certes pas suspecte !
Mais M. le ministre de l'intérieur a une pièce ; il a un jugement du tribunal correctionnel de Termonde !
Je ferai une petite question à M. le ministre de l'intérieur : pourquoi n'a-t-il lu qu'un jugement du tribunal de Termonde ?
On lit un jugement qui, pour le vulgaire, prête à l'équivoque ; grâce à l'équivoque, le bourgmestre est flétri.
Il existe un second jugement qui dissipe l'équivoque, qui déclare qu'il n'est coupable d'aucun fait qui entache sa probité, l'honneur, et ce jugement n'est pas lu !
Je comprends que, n'ayant pas l'habitude des affaires judiciaires, vous ne vous soyez pas rendu compte de la portée du jugement du tribunal de Termonde.
Mais je vais vous l'expliquer et je crois que vous regretterez d'avoir prononcé si vite et d'avoir basé votre décision sur ce jugement.
Je dois préciser les faits pour en faire comprendre la portée : mais d'abord je vais faire comprendre l'équivoque à la Chambre en deux mots.
Quand on dit dans le langage vulgaire que quelqu'un a fait des actes faux, on entend qu'il s'agit d'un faux criminel, c'est-à-dire d'un acte altérant la vérité dans une intention méchante ou frauduleuse.
Dans le langage du droit, on connaît aussi cette signification du faux, c'est celle du code pénal, mais le mot a aussi un sens plus large : il s'applique à toute altération de la vérité, à tout ce qui n'est pas exactement vrai.
Ainsi donc dire à quelqu'un qu'il a fait un mandat faux, ne signifie pas nécessairement qu'il a commis un faux criminel ; cela peut vouloir dire qu'il a fait un mandat dont les énonciations ne sont pas vraies.
Or, un habitant de Cherscamp a imputé au bourgmestre de Cherscamp d'avoir fait de faux mandats. Cet habitant nommé Braekman a, sur la plainte du bourgmestre, été traduit devant le tribunal correctionnel. C'est.la première affaire, qui a fini par l'acquittement du prévenu.
Or, savez-vous en quoi consistaient ces faux mandats ? Voici ce qu'en dit le jugement :
« Attendu que deux de ces mandats sur la caisse communale, en date le premier du 1er février 1866, le deuxième du 12 janvier 1867, ont été produits au procès ; qu'il résulte de leur teneur qu'ils étaient ordonnancés par le collège échevinal pour payement de travaux effectués à la cure de la commune, comme l'indiquent clairement les mots : wegens werkingen aan het pastoral huis dezer gemeente, que les mandats en question, s'élevant respectivement à 15 fr. 25 c. et à 35 fr. 25 c, correspondent avec les sommes portées en dépenses au compte du receveur communal pour les exercices 1865 et 1866, chap. II, paragraphe 2. Eredienst. Onderhoud van het pastoral huis, et sont prétendument justifiés par deux comptes détaillés signés par le sieur Goossens et approuvés par le bourgmestre Hoebants ;
« Attendu que ces mandats sont signés par ce dernier, par un échevin et contresignés par le secrétaire, conformément à la loi ;
« Attendu néanmoins qu'il résulte de la déposition du sieur Goossens, préqualifié, que, depuis six à sept ans, il n'a plus exécuté aucun travail quelconque à la cure de Cherscamp ; que cette déposition est confirmée par celle du témoin Christiaens, curé dans cette commune, et par les explications de Hoebants lui-même, lequel a reconnu que, depuis un certain nombre d'années, le crédit figurant au budget pour l'entretien de la cure n'avait pas été utilisé et était affecté, du moins en partie, à couvrir les frais de location d'une chambre du sieur Goossens servant de secrétariat et, comme l'a déclaré ce dernier, de quelques menus travaux faits par lui pour le compte de la commune. »
Vous voyez, messieurs, que ce que l'on a fait à Cherscamp c'est ce qui se fait malheureusement dans beaucoup de communes, c'est un abus que je blâme aussi fort que l'on voudra, mais qui ne constitue cependant que le déguisement d'un transfert irrégulier : on a affecté deux sommes, l'une de 15 francs, l'autre de 33 francs, à une destination autre que celle pour laquelle elles ont été mandatées ; or, ces transferts irréguliers, tout blâmables qu'ils sont, ne constituent cependant pas des mandats faux dans le sens vulgaire et criminel, mais des mandats faux dans le sens juridique d'une allégation contraire à la vérité.
Aussi voit-on le tribunal déclarer qu'il ne déclare ces mandats faux qu’abstraction faite de toute intention frauduleuse de la part de ceux qui les ont signés.
Mais dans le sens large du mot, il y avait mandat faux et le tribunal a dû, dès lors, constater qu'on ne pouvait pas dire qu'il y eût calomnie, puisque dans un sens l'allégation était vérifiée.
Voilà le premier jugement.
Mais passons au deuxième jugement.
Vous allez voir que si le prévenu n'avait pas plaidé l'innocuité de son allégation, en soutenant qu'il n'avait accusé le bourgmestre de Cherscamp d'aucun fait criminel, il eût été condamné.
Après son acquittement, Braekman a pensé qu'ayant été traduit devant le tribunal correctionnel et acquitté, il pouvait y attraire son dénonciateur, comme coupable de dénonciation calomnieuse. Chacun son tour, comme on dit à Alost.
M. Van Wambeke. - C'est à notre adresse cela. Cela se dit aussi à Charleroi, M. Pirmez ; vous devez en savoir quelque chose.
M. Pirmez. - Je disais donc que M. Braekman a voulu faire condamner le bourgmestre pour avoir porté une plainte calomnieuse contre lui.
Il venait armé du jugement qu'a lu l'honorable M. Kervyn et disait au bourgmestre devant le tribunal : J'ai été accusé injustement par vous, mon acquittement le prouve, vous avez donc fait une dénonciation calomnieuse contre moi : subissez-en la peine.
Ecoutez le jugement : '
« Attendu qu'il résulte des termes mêmes de la lettre en date du 6 août dernier (lettre de dénonciation) que le défendeur dénonçait une atteinte à sa considération comme fonctionnaire et comme industriel, qu'il a pu et dû croire en formulant sa plainte qu'en l'accusant d'avoir fait de faux mandats la partie civile lui imputait de s'être rendu coupable d'actes intentionnellement faux, entachés de fraude et de simulation, et que l'intention de celle-ci ne se bornait pas à signaler certaines irrégularités en matière de comptabilité communale ;
« Attendu que si l'instruction à laquelle ladite dénonciation a donné lieu n'a pas fourni de preuve suffisante à l'appui de cette interprétation, et si, en l'absence de cette preuve, le prévenu actuellement partie civile a dû dire renvoyé des fins de la poursuite, il ne s'ensuit nullement que le plaignant ait dû croire, à l'époque de sa dénonciation, que les imputations dirigées contre lui avaient pour objet plutôt un transfert de dépense irrégulièrement ordonnancé, qu'un faux criminel,
« Attendu qu'il en résulte que loin d'avoir agi avec mauvaise foi, et dans le dessein de nuire, le défendeur en formulant sa dénonciation n'a été mû que par le soin de sa réputation ;
« Attendu, par suite, que ni l'un ni l'autre des éléments constitutifs de la dénonciation calomnieuse ne se rencontrent dans l'espèce. » !
Et le tribunal, sur l'avis conforme du ministère public, acquitte le bourgmestre et condamne la partie civile aux dépens. Voilà un jugement que j'ai trouvé au dossier de l'honorable M. Kervyn. M. le ministre nous a dit : Les faits sont d'une gravité extrême. Qu'est-il arrivé ?
C'est que celui qui avait accusé le bourgmestre Hoebants n'a échappé à la peine qu'en soutenant que son allégation n'avait aucune gravité, et ne comportait qu'une allégation de transfert irrégulier.
M. le ministre invoque, pour prouver des faits d'une extrême gravité, un jugement que le tribunal déclare avoir dû être autre, si l'allégation du prévenu avait eu ce caractère !
Et M. le ministre ajoutait, en parlant du bourgmestre, qu'il avait été réduit à intenter une action en calomnie, tandis que le tribunal déclare que cette action a été dictée au bourgmestre par le soin de sa réputation.
Et le jugement qui prétendument l'accable a fait disparaître l'équivoque qui pouvait le compromettre.
Ce que je viens d'exposer, si forts que soient les faits, n'est rien auprès de la décision de M. le ministre de l'intérieur.
Vous avez vu, messieurs, que la pétition sur laquelle M. Vander Donckt a fait rapport contient une série de faits de toute espèce. Celui de ce transfert irrégulier s'y trouve, c'est le cinquième ; les autres faits n'ont absolument rien de commun avec les transferts de crédits dont le tribunal s'est occupé.
Vous croyez qu'on va faire une instruction sur chacun des faits, qu'on va examiner s'ils sont vrais. Non, M. le ministre de l'intérieur déclare que (page 290) ces faits ne sont que trop confirmés par le jugement du tribunal de Termonde. (Interruption.) C'est comme cela.
Voici l'ordre de M. le ministre de l'intérieur :
« Ecrire au gouverneur que les faits allégués par les pétitionnaires ne sont que trop confirmés par le jugement du tribunal de Termonde. » (Interruption.)
C'est textuel, c'est écrit de la main même de M. le ministre de l'intérieur.
Et on a écrit dans ce sens à M. le gouverneur.
J'en ai dit assez, mais si je voulais vous montrer la source de toute cette affaire, je pourrais vous montrer qu'elle a son origine dans les faits du receveur, contre qui le bourgmestre a dû prendre une mesure de rigueur.
Voila, messieurs, comment, avec un jugement qui ne dit pas un mot de certains faits, on déclare un homme coupable de ces faits, en attendant qu'on le destitue. C'est de l'administration juste, impartiale et bienveillante !
M. Bouvier. - C'est un échantillon.
M. Pirmez. - M. le ministre de l'intérieur a demandé un parallèle entre son administration et la mienne. (Interruption.)
Ce n'est pas moi, messieurs, qui ai provoqué ce débat ; il m'eût été beaucoup plus agréable, vendredi dernier, de continuer tranquillement ma conversation avec M. Rogier que d'être relancé par M. le ministre de l'intérieur et de devoir ensuite étudier cette affaire.
Nos politiques ne peuvent être mises en rapport ; elles sont différentes du tout au tout.
Je n'ai jamais cherché à provoquer des affaires irritantes pour les personnes ; sans abandonner la fermeté que demande l'administration, j'ai évité tout ce qui fait scandale. M. le ministre a-t-il suivi cette règle dans cette affaire ?
Quand je suis arrivé au ministère de l'intérieur, j'y ai trouvé, a la tête d'une direction générale, un homme capable et droit, mais qui n'appartenait pas à mon opinion. En lui conservant sa direction, j'y ai ajouté la direction générale des beaux-arts, des lettres et des sciences et je n'ai jamais eu qu'à me [un mot illisible] de ce que j'avais fait.
M. le ministre de l'intérieur a trouvé à la tête de la direction de l'enseignement primaire un fonctionnaire aussi capable et droit, d'une modération incontestable, partisan de la loi de 1842, qu'il a appliquée un grand nombre d'années.
M. le ministre a trouvé qu'il ne pouvait marcher avec lui et il a fait un vide à la direction générale de la garde civique pour l'y envoyer.
Il lui rendra là aussi des services, mais ce changement d'attributions n'est-il pas un signe du peu de modération de la politique qu'on suivra ?
Pendant que j'étais au ministère, j'ai marché toujours d'après les règles de l'organisation administrative, je me suis entouré toujours des conseils des hommes d'expérience que compte le département de l'intérieur. M. le ministre, vous le voyez, suit une voie toute différente et nous le voyons rendre seul, sans examen administratif, des décisions comme celles que j'ai signalées tantôt. Voilà la situation ; voilà le parallèle qu'on m'a provoqué à faire. Ce n'est pas moi, je le répète, messieurs, qui ai soulevé ce débat ; dans le moment actuel, ces questions sont bien petites, mais j'ai été provoqué, j'ai dû accepter la provocation.
Si M. le ministre de l'intérieur veut recommencer, il en est le maître ; mais j'estime qu'il fera beaucoup mieux de chercher à faire de bonne administration qu'à prouver que celle de son prédécesseur a été mauvaise. Mais s'il veut de nouveaux débats, qu'il le dise, je ne les redoute pas et je lui donne, dès maintenant, l'assurance que, quels que soient les griefs qu'il articulera contre mon administration, ils n'exerceront aucune influence sur ma ligne de conduite, dans les grandes questions qui intéressent notre nationalité ; il me trouvera prêt à appuyer le cabinet dans tout ce qui contribuera à consolider notre indépendance et à maintenir le pays dans sa situation actuelle.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - L'honorable M. Pirmez a tracé un parallèle entre le bourgmestre et l'instituteur de Cherscamp. Il a condamné sévèrement l'instituteur ; il a essayé de réhabiliter le bourgmestre.
- Voix à gauche. - Il n'a pas besoin de réhabilitation.
- Voix à droite. - Si ! si ! très bien !
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - En ce qui touche le bourgmestre, je m'étonne qu'un de nos honorables collègues qui a siégé au ministère de l'intérieur traite avec autant d'indulgence ce qu'il a appelé une catégorie de transferts, à l'aide desquels on considère comme dépenses faites au presbytère, des dépenses qui ont un caractère tout à fait différent. (Interruption.)
Lorsque le tribunal de Termonde a eu à statuer sur l’affaire Braeckma, un très grand nombre de faux mandats étaient signalés, mais ce n’est que sur deux d’entre eux que le tribunal a pu se prononcer : il en a constaté l’existence.
J'admets que, dans les considérants du tribunal de Termonde, on n'a pas entendu mettre en cause l'honorabilité même du bourgmestre, mais l'existence des faux mandats a été reconnue. Les considérants que j'ai eu l'honneur de communiquer à la Chambre dans la séance de vendredi dernier, ne laissent aucun doute à cet égard.
J'aurais pu également, si j'avais voulu fouiller toutes les archives administratives, rappeler que tous les ans la députation permanente a eu à s'occuper d'inscriptions électorales, de cotisations personnelles qui concernaient la commune de Cherscamp ; j'aurais pu dire que chaque année 15, 20, 25 décisions de l'autorité communale de Cherscamp ont été régulièrement réformées par la députation permanente.
Comment l'honorable M. Pirmez a-t-il traité l'instituteur ? Comment a-t-il apprécié les faits sur lesquels j'avais appelé l'attention de la Chambre ? Est-il vrai, oui ou non, que lorsque la nouvelle école communale a été bâtie, il a fallu l'intervention d'un commissaire spécial pour y installer l'instituteur ? Est-il vrai, oui ou non, que, lorsque en janvier 1870, le conseil communal a suspendu l'instituteur, celui-ci s'est trouvé sans protection et que le bourgmestre a pu impunément installer dans l'école communale un instituteur sur le compte duquel l'inspecteur cantonal n'avait pas même été consulté ?
M. Pirmez. - C'est une erreur.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Je donnerai tout à l'heure à la Chambre lecture des pièces qui constatent le fait.
M. Pirmez. - L'inspecteur cantonal du premier ressort a été consulté.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - L'inspecteur cantonal du ressort n'a pas été consulté.
M. le président. -- Pas d'interruption, messieurs ; sans cela, la discussion ne finira pas.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Est-il vrai que l'administration communale de Cherscamp n'a pas payé régulièrement à l'instituteur la rémunération de ses services ? Est-il vrai, oui ou non, qu'il a fallu recourir à des mesures administratives, et, dans certains cas, à l'intervention de l'autorité supérieure pour faire obtenir à l'instituteur le payement de ce qui lui était dû ? Et, à l'heure qu'il est, le dernier trimestre de l'année 1869 n'est pas encore acquitté.
Mais, dit l'honorable M. Pirmez, c'était un agent politique ; cela est établi par les rapports du gouverneur de la Flandre orientale.
Eh bien, messieurs, j'oppose à l'assertion de M. le gouverneur de la Flandre orientale d'autres documents dont la source n'est pas suspecte. J'invoque le témoignage du commissaire de l'arrondissement de Termonde qui appartient à la même opinion que le gouverneur de la Flandre orientale ; je viens de relire deux rapports de ce fonctionnaire qui sont au dossier et qui viennent de m'être envoyés par le gouverneur de la Flandre orientale. L'un de ces rapports est du 30 novembre 1869 ; l'autre est du mois de janvier 1870 ; il y est déclaré que les faits reprochés à l'instituteur Steppe, en ce qui concerne sa participation aux luttes électorales de la commune de Cherscamp, ne sont pas démontrés. (Interruption.)
Voici en quels termes s'exprime le commissaire de l'arrondissement de Termonde, qui appartient, je le répète, à l'opinion libérale ; ces lignes sont extraites de pièces qui ont figuré au dossier et qui ont passé sous les yeux de l'honorable M. Pirmez.
M. Pirmez. - Comment voulez-vous que je me rappelle le contenu de pièces qui datent d'un an ?
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Voici ce que dit le commissaire de l'arrondissement de Termonde :
« Termonde, le 30 novembre 1869.
« Monsieur le gouverneur,
« Les faits qui ont donné lieu à cette mesure de rigueur ne me paraissent pas, au premier abord, avoir toute la gravité que le conseil veut leur reconnaître.
(page 291) « On reproche au sieur Steppe ; 1° d'avoir repris les fonctions de sacristain après le départ de son fils, fonctions qu'il n'était plus autorisé à cumuler ; 2° d'avoir critiqué les actes de l'autorité locale, et de s'être mis à la tête d'un parti hostile au gouvernement et d'avoir, il y a trois ans, le jour des élections, orné la porte d'entrée de sa cour d'emblèmes et d'écrits injurieux pour l'administration communale ; 3° de ne donner à ses élèves qu'une instruction incomplète et partiale, d'enseigner des principes subversifs à tels point que les enfants tournent en dérision les membres de l'administration communale et enfin 4° d'avoir fermé son école et donné congé aux élèves sans autorisation de l'administration locale, le 26 octobre dernier, et ce, en contravention des règlements scolaires.
« Il est assez difficile de préciser lesquels de ces griefs sont fondés, ou du moins lesquels d'entre eux sont assez graves pour justifier la mesure qui a été prise à l'égard du sieur Steppe. Il faudrait d'abord entendre celui-ci dans ses moyens de défense. J'admets que l'inculpé ait exercé les fonctions de sacristain après le départ de son fils ; j'admets aussi qu'il ait fermé son école le 26 octobre, jour des élections, comme cela se pratique dans bien d'autres communes. Tout cela mérite une réprimande, mais ne doit pas, à mon avis, motiver une suspension. Le fait d'avoir appendu à la porte de son jardin un écrit dans lequel l'administration communale a cru voir une injure directe pour elle, date de trois ans et aurait dû être signalé alors. Quant au grief articulé dans la délibération à l'égard du sieur Steppe, de répandre de mauvais principes parmi ses élèves, je ne puis en juger ; mais il me semble que la profonde et regrettable zizanie qui règne entre les habitants de Cherscamp et dont leurs enfants se sont peut-être faits l'écho, explique jusqu'à un certain point les cris ou gestes irrespectueux signalés par l'administration communale ; mais doit-on rendre l'instituteur responsable de ces cris ou gestes ? Ne les a-t-il pas réprimés aussitôt qu'ils sont venus à sa connaissance ?
« En définitive, M. le gouverneur, je ne veux pas me constituer le défenseur d'office du sieur Steppe. Si l'on peut relever à sa charge des faits d'une nature assez répréhensible pour mériter une destitution, je suis prêt à la provoquer, de même que je n'ai pas hésité à réclamer une enquête à l'effet de constater si, sous le rapport de l'instruction et des capacités, cet instituteur était à la hauteur de sa mission et s'il y avait lieu de le maintenir en fonctions ; mais dans le cas particulier qui nous occupe, je ne saurais me rallier à la mesure prise par le conseil communal de Cherscamp. »
Le commissaire d'arrondissement ajoute, le 12 janvier 1870 :
« Le sieur Steppe conteste formellement qu'il ait repris les fonctions de sacristain ; il prétend n'avoir posé aucun acte d'hostilité envers l'autorité communale et défie celle-ci d'en citer un seul. Il n'a participé en aucune façon au fait qu'on lui reproche d'avoir placé des buses à la porte de sa cour d'entrée lors des élections communales de 1866 ; il a au contraire fait enlever, à son retour du scrutin, celle qu'une main anonyme y avait attachée. Quant à l'inscription, il n'en connaît pas le premier mot. Il est vrai que des enfants de Cherscamp fréquentent l'école de Smetlede et celle de Schellebelle ; mais, en revanche, un bien plus grand nombre d'élèves étrangers viennent recevoir l'instruction à l'école communale de Cherscamp. Enfin, le reproche d'avoir fermé l'école le 26 octobre dernier, jour des élections communales, est fondé en lui-même, mais il y a lieu de remarquer qu'il était difficile de prévoir que les opérations auraient pu se terminer en une demi-journée ; que d'ailleurs à l'heure de la proclamation du résultat du scrutin, c'est-à-dire à 1 heure et demie de relevée, il n'y avait plus moyen de réunir les élèves,
« Dans sa réponse, l'administration communale, rencontrant le premier moyen de défense du sieur Steppe, pose la question de savoir qui remplit actuellement les fonctions de sacristain à Cherscamp. Précisant ensuite son accusation, elle met à charge de cet instituteur d'avoir lui même attaché les buses dont il est fait mention plus haut. Elle n'admet pas l'explication relativement à la fermeture des classes le 26 octobre dernier et soutient que le sieur Steppe a quitté la commune dans la matinée après le premier scrutin ; enfin elle déclare exagéré le chiffre d'élèves énoncé par l'instituteur, et accuse de nouveau celui-ci de méconnaître toute autorité et d'inculquer aux enfants des sentiments peu en harmonie avec les devoirs de leur âge et le respect qu'ils doivent aux magistrats de la commune.
« Le sieur Steppe exerce-t-il réellement les fondions de sacristain ? C'est ce qu'il m'est impossible de dire. Il y aurait moyen de s'en assurer en consultant, par exemple, le compte de la fabrique d'église ou en s'adressant au clergé de Cherscamp. Le sieur Steppe a-t-il provoqué la manifestation de 1866 ? Y a-t-il pris une part directe ? Cela n'est pas impossible mais les preuves établissant sa culpabilité font défaut. Le chiffre de la fréquentation de l'école communale de Cherscamp ne m'est pas connu, mais ce renseignement pourrait être fourni par l'inspection scolaire. Peut-être cette dernière serait-elle aussi à même de constater quelle influence dominante l'enseignement du maître tend à répandre dans l'esprit des élèves en ce qui concerne le respect qu'ils ont à vouer à l'autorité. Le fait d'avoir fermé l'école le 26 octobre dernier est réel ; seulement il perd beaucoup de sa gravité quand on considère que les élections communales, qui ont eu lieu ce jour-là, ont appelé le sieur Steppe à exercer ses devoirs de citoyen, et qu'il était assez difficile de prévoir l'heure à laquelle les opérations auraient pu se terminer.
« En résumé, j'estimé, monsieur le gouverneur, à moins que de nouveaux renseignements précis et concluants ne viennent corroborer les accusations portées à charge du sieur Steppe, qu'il y a lieu de m'en tenir à ma première appréciation, telle que je l'ai exprimée dans mon rapport du 30 novembre dernier.
« Le commissaire d'arrondissement, Fraters. »
Ainsi voilà le commissaire de l'arrondissement de Termonde qui témoigne lui-même que rien ne démontre que les griefs articulés contre l'instituteur Steppe, à propos de sa participation aux luttes électorales de la commune de Cherscamp soit fondés. Donc, l'honorable M. Pirmez n'a pas le droit d'affirmer qu'il y a des preuves établissant la culpabilité de l'instituteur ; il est établi, au contraire, que ces preuves n'existent pas...
M. Pirmez. - Et le rapport du gouverneur ?
M. le président. -N'interrompez pas, M. Pirmez, vous n'avez pas la parole.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - J'oppose au rapport du gouverneur les lettres du commissaire de l'arrondissement de Termonde qui n'a cessé de dire qu'on ne pouvait pas justifier la suspension de l'instituteur Steppe, et cependant cette suspension a été maintenue.
L'honorable M. Pirmez, introduisant dans ce débat quelques allusions toutes personnelles sur lesquelles je ne m'arrêterai point, a fait remarquer que l'inspecteur provincial de l'enseignement primaire de la Flandre orientale avait considéré comme nécessaire, ou tout au moins comme utile, l'éloignement du sieur Steppe ; mais à cet égard, les renseignements de l'honorable M. Pirmez sont incomplets et il présente les choses sous un point de vue complètement inexact.
De quoi s'agissait-il ? II s'agissait d'une position tendue, fâcheuse, regrettable. L'inspecteur provincial de l'enseignement croyait, attendu que le sieur Steppe avait droit à la pension, qu'il était bon, qu'il était dans l'intérêt de la commune qu'on l'admît à faire valoir ses droits à la retraite.
Le sieur Steppe consentait à cette combinaison ; mais l'administration communale, ou pour mieux dire le bourgmestre, lui refusait un certificat de moralité qu'il méritait à tous les égards ; on lui fit connaître ainsi qu'on ne voulait pas le mettre à la pension, mais le révoquer, que c'était là la seule position qu'on voulait lui faire.
M. Pirmez. - Un certificat de moralité pour la mise d'un instituteur à la pension ! (Interruption.)
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Voici la lettre de l'inspecteur provincial, lettre toute récente du 10 décembre 1870. (Interruption.)
J'avais demandé des renseignements sur le mérite de l'instituteur de Cherscamp, sur la situation de son école, afin de savoir s'il était vrai que son enseignement était défectueux et éloignait les enfants de l'école communale.
Voici les renseignements qu'on me transmet :
« Monsieur le ministre,
« Comme suite à mon rapport du 8 de ce mois, j'ai l'honneur de vous donner le chiffre de la fréquentation de l'école de Cherscamp pendant les trois dernières années.
« 31 décembre 1867, 122 élèves.
« 31 décembre 1868, 137 élèves.
« 31 décembre 1869, 141 élèves.
« La fréquentation a donc suivi une marche ascendante et équivaut maintenant à 10 p. c. de la population, ce qui est satisfaisant pour une commune où la fabrication de la dentelle et l'application de Bruxelles occupent beaucoup d'enfants.
« L'inspection a rempli, dans l'intérêt de l'enseignement, sa mission de conciliation en proposant différentes mesures pour arrêter le conflit.
(page 292) « En premier lieu l'instituteur a été invité de renoncer à ses fonctions de sacristain, il a cessé ce cumul en se faisant remplacer par son fils, élève normaliste de Saint-Nicolas.
« Ensuite l'inspecteur du ressort a engagé le sieur Steppe, dont la santé était compromise, à donner volontairement sa démission en faisant valoir ses droits à la pension.
« Cette tentative n'a pas eu de résultat, parce que l'administration communale a refusé à l'instituteur un certificat de moralité, pièce exigée par le règlement de la caisse. Il résulte de ces faits que la conciliation n'a pas échoué par l'opposition de l'instituteur.
« L'inspecteur provincial,
« H. Kervyn. »
C'était donc la révocation qu'on voulait. Et lorsque l'honorable M. Pirmez disait tout à l'heure, qu'au mois de juin il ne s'agissait pas de la révocation de l'instituteur, mais qu'on voulait simplement l'engager à chercher une autre position, j'avoue que rien, selon moi, ne répond à cette interprétation dans la dépêche du 20 juin, où on le prévient qu'il est mis en demeure de donner immédiatement sa démission, sinon qu'il sera révoqué.
Je crois reproduire à peu près textuellement les expressions qui se trouvent dans la dépêche dont je viens de parler.
Voilà donc laposition faite à l'instituteur de Cherscamp. C'est un homme honorable, tout le monde lui rend ce témoignage ; c'est en même temps un instituteur plein de zèle, qui a un grand nombre d'enfants dans son école, qui obtient des succès remarquables, puisque, cette année encore, sur trois de ses élèves qui se présentaient au concours, deux ont été couronnés.
Et quelle est la position qu'on lui fait ? C'est sur ce point que j'appelle l'attention de la Chambre, parce qu'il a été complètement omis par l'honorable M. Pirmez. Qu'est-il arrivé les années précédentes ? Qu'est-il arrivé cette année ? Nous voyons la première autorité locale, au lieu de protéger l'enseignement primaire, recourir à la menace pour déclarer qu'elle ruinera les familles qui continueront à envoyer leurs enfants à l'école communale. C'est là ce qu'il y a de grave ; c'est là ce qu'il faut blâmer, ce qu'il faut flétrir. Le rôle du premier magistrat de la commune est de faciliter l'enseignement et non de chercher à en détourner les familles qui habitent la commune.
Et ceci devient plus grave encore lorsqu'il s'agit des familles pauvres auxquelles est réservé le bienfait de l'enseignement gratuit.
J'ai ici une liste des enfants qui demandent en vain à recevoir l'instruction à Cherscamp. Il y a 34 enfants pauvres à qui le bourgmestre l'a refusée. Et c'est là une situation que je n'aurais pas le droit de condamner ! Je crois que la Chambre tout entière s'associera au blâme que j'inflige au premier magistrat de. la commune de Cherscamp.
L'honorable M. Pirmez met en suspicion les documents que j'ai introduits ici. J'ai des rapports de l'inspecteur provincial qui signalent à diverses reprises les faits qui se sont passés à Cherscamp. J'en ai d'autres qui sont placés, pour l'honorable M. Pirmez, hors de toute suspicion ; ce sont ceux de M. le commissaire de l'arrondissement de Termonde.
Je demande à la Chambre la permission de mettre sous ses yeux et les témoignages que l'honorable M. Pirmez récuse et ceux qu'à coup sûr il ne récusera pas. Nous verrons quelle était l'opinion que l'on portait sur l'instituteur et sur le bourgmestre de Cherscamp.
L'honorable M. Pirmez disait tout à l'heure, si j'ai bien compris, qu'au mois de juillet je ne me suis pas occupé de l'affaire de Cherscamp, que je n'ai pas pu m'en occuper, que ce n'est qu'au mois d'août que certains documents ont passé sous mes yeux. Ce qui démontrera le contraire, c'est que j'ai ici une lettre du commissaire d'arrondissement de Termonde du 27 juillet 1870, qui répond à des questions que je lui avais posées.
M. Pirmez. - Mais je l'ai dit.
M. le président. - Je demande de nouveau qu'on n'interrompe pas.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - J'ai eu l'honneur de dire vendredi que, dès les premiers temps de mon administration, je m'étais occupé de l'affaire de Cherscamp. Je ne m'étais pas gravement trompé, puisque l'honorable M. Pirmez reconnaît que, dès le milieu du mois de juillet, j'écrivais à ce sujet à M. le commissaire d'arrondissement de Termonde.
Voici du reste la lettre de M. Fraters :
« Monsieur le ministre,
« Par votre lettre du 23 courant, vous m'avez fait l'honneur de me demander un rapport confidentiel sur certains faits qui ont été articulés à charge du bourgmestre de Cherscamp. En réponse je m'empresse de vous faire connaître que M. le bourgmestre se trouve depuis longtemps en désaccord avec nombre de ses administrés ; il s'est brouillé avec d'anciens échevins dont il avait patronné la nomination, avec le receveur communal et du bureau de bienfaisance ainsi qu'avec l'instituteur communal. Des plaintes et des dénonciations successives ont été faites de part et d'autre et ont donné lieu à des investigations et à une instruction très étendue : tous ces rapports ont été adressés à l'autorité supérieure, je ne trouve rien à y ajouter. J'ignore si de nouveaux faits ont été produits encore, mais sans vouloir incriminer l'honorabilité du sieur Hoebants, ni son zèle pour les intérêts de sa commune, il me semble ne s'être pas toujours laissé guider par l'esprit de modération et par le tact que l'on aime à rencontrer chez des fonctionnaires de sa catégorie. Plus d'une fois j'ai eu occasion de rendre le sieur Hoebants attentif aux conséquences déplorables de la ligne de conduite qu'il continuait à suivre et aux désagréments qui devaient en résulter pour l'autorité supérieure par suite des réclamations auxquelles cet état de choses donnait lieu ; mes conseils et mes avertissements n'ont point eu de succès et n'ont abouti, en définitive, qu'à une rupture complète de toutes relations personnelles entre nous.
« En cette occurrence, monsieur le ministre, je craindrais ne pouvoir agir avec le calme convenable si j'étais appelé à traiter confidentiellement des faits qu'on peut lui avoir imputés à nouveau et dont je n'ai point eu connaissance. »
Tel était le jugement que portait sur M. le bourgmestre de Cherscamp un fonctionnaire dont les opinions politiques sont celles de l'honorable M. Pirmez.
Je crois, messieurs, qu'il est nécessaire que je revienne sur un point important de ce débat.
Tout à l'heure, j'ai signalé à la Chambre (et la Chambre a partagé mon opinion à cet égard) le fait si grave de l'immixtion du sieur Hoebants dans tous les obstacles apportés à l'enseignement primaire.
On dira peut-être que les faits ne sont pas constatés, et je crois d'autant plus devoir m'arrêter sur ce point que le sieur Hoebants a déclaré qu'il les niait. Il est vrai qu'invité à signer sa déclaration, il a refusé de le faire, parce que, selon son expression, il aurait pu y commettre quelques erreurs.
Eh bien, messieurs, je tiens à prouver que ces faits sont placés hors du domaine de toute discussion.
Voici, messieurs, ce que je lis dans un rapport du 3 décembre 1870. J'en nomme immédiatement le signataire, c'est l'inspecteur provincial :
« Dans un entretien que j'ai eu avec le bourgmestre en présence d'un échevin et d'un conseiller communal, le premier n'a pas fait de difficulté d'avouer qu'il avait usé de toute son influence pour empêcher les enfants de fréquenter l'école. Il trouvait ce fait tout naturel, comme une mesure de représailles, parce que, prétend-il, ses adversaires avaient également tâché d'entraver la fréquentation pendant la suspension de l'instituteur, et parce que le curé avait décidé de ne pas admettre à la première communion les enfants qui ne fréquentent pas l'école.
« La guerre à l'école faite par l'agent d'un propriétaire étranger est une mesure de parti également blâmable et prise sous la responsabilité du bourgmestre, puisque cet agent était accompagné par le garde champêtre qui était chargé de désigner les maisons des locataires.
« Depuis, une nouvelle suspension de trois mois a été prononcée contre l'instituteur, sous prétexte que l'échevin chargé de faire la visite de l'école aurait trouvé les enfants seuls à la cour pendant la récréation qui aurait duré plus longtemps que ne le prescrit le règlement. »
Et c'est là le fait grave qui justifie une suspension de trois mois imposée à l'un des meilleurs instituteurs de la Flandre orientale !
Je continue :
« Il résulte de plus de la lettre ci-jointe de l'instituteur que le bourgmestre se permet de le menacer et de l'injurier en présence des élèves.
« Une nouvelle instruction est commencée sur ces différents points. »
J'ai ici une autre lettre, qui émane de M. le commissaire d'arrondissement de Termonde.
Eh bien, j'y trouve la confirmation des mêmes faits :
« Termonde, 3 décembre 1870.
« Monsieur le ministre,
« Les faits dont m'entretient votre lettre du 2 courant, cabinet, m'ont été signalés il y a une dizaine de jours. Il paraît en effet qu'un agent reconnu d'un grand propriétaire s'est rendu, accompagné du garde champêtre de Cherscamp, chez les locataires du propriétaire en question pour leur intimer l'ordre de retirer leurs enfants de l'école communale, avec menace de leur reprendre les terres qu'ils avaient en location, s'ils n'obtempéraient pas à ses injonctions ; on prétendait que ces faits avaient été (page 293) posés à l'instigation du bourgmestre qui en avait agi de même à l'égard de ses propres locataires. Cet acte, quelque blâmable qu'il soit, aurait été posé, en quelque sorte, en représailles de faits de même nature posés par les adversaires du bourgmestre pendant la suspension de l'instituteur et son remplacement par un intérimaire.
« Quant au nombre d'enfants pauvres ayant droit à l'instruction gratuite, j'ai remarqué que cette année il était moindre que les années précédentes, mais comme l'appréciation du conseil communal est souveraine, quant aux ayants droit, je n'ai pas cru devoir en faire l'observation.
« Je viens d'apprendre que l'instituteur Steppe vient de nouveau d'être suspendu pour trois mois, par le conseil communal, pour négligence dans ses fonctions en abandonnant les enfants sans surveillance pendant la récréation. Ce dernier acte, que je n'ai pas à juger, prouve malheureusement une fois de plus qu'on saisira toute occasion pour fatiguer l'instituteur et que tant qu'il y occupera ses fonctions, il n'y a pas d'espoir de voir régner l'harmonie entre l'administration locale et le personnel enseignant. »
Mais, messieurs, ce ne sont pas les seuls documents qui établissent cet état de choses. J'ai ici une lettre de l'inspecteur cantonal, qui appartient, je l'ai déjà dit, à une opinion libérale et qui est chef de bureau au commissariat de Termonde.
Les aveux du bourgmestre de Cherscamp sont également constatés :
« Il y a une quinzaine de jours, écrit l'inspecteur cantonal, lots d'une tournée que je fis à Cherscamp, je me plaignis au bourgmestre, mais celui-ci me répondit que les habitants de sa commune qui retiraient leurs enfants ne faisaient qu'user de représailles en suivant l'exemple qui leur avait été donné et que d'ailleurs l'incapacité notoire de l'instituteur était la cause principale de l'abandon de son école. »
Si ces autorités, messieurs, ne suffisaient pas encore, j'invoquerais celle de M. le gouverneur de la Flandre orientale lui-même ; voici ce que ce haut fonctionnaire m'écrit dans une dépêche qui m'est arrivée hier en même temps que des copies de deux anciennes dépêches du commissaire d'arrondissement de Termonde.
Parlant des membres du conseil communal de Cherscamp, il s'exprime, en ces termes :
« Ils ont eu recours à tous les moyens pour s'en débarrasser (de l'instituteur), et faute de pouvoir le révoquer, ils saisissent chaque occasion de le trouver en défaut pour lui infliger des suspensions temporaires. »
Avais-je tort, messieurs, de parler de persécution ?
Ce système qui consiste à chercher tous les prétextes pour frapper l'instituteur ne constitue-t-il pas une véritable persécution ?
J'aime à croire, messieurs, que la Chambre sera convaincue que le gouvernement s'est placé dans une région de justice et d'impartialité, qu'il n'a pas recherché quels étaient les partis politiques qui divisent la commune. Et s'il est vrai (ce qui n'est pas démontré) que l'instituteur a pris une part à leurs démêlés, je déclare bien haut que je ne permettrai ni à l'instituteur de Cherscamp, ni aux autres instituteurs du pays de se mêler activement aux luttes politiques.
J'ai déjà énergiquement condamné de pareilles interventions, et je continuerai à les condamner.
Ce que j'ai vu dans cette affaire, c'est que, par rancune politique, on a frappé un homme dans ce qu'il avait de plus respectable, dans son travail, dans son zèle, dans son dévouement.
On a été plus loin encore : car, quelque dominé que l'on fût par la passion politique, on n'avait pas eu le courage d'en déposer l'expression dans les considérants des mesures que l'on prenait contre cet instituteur.
On est allé bien plus loin. On a attaqué à la fois sa capacité et son honneur. On dit qu'il ne donne pas ses soins aux élèves ; on va jusqu'à refuser des certificats de moralité à ce père d'une nombreuse famille, qui a parcouru une longue et honorable carrière.
Il ne faut pas, messieurs, que, sous de tels prétextes, on frappe les instituteurs et qu'on les empêche d'accomplir leur utile mission.
Messieurs, si j'ai parlé du dossier d'Oost-Eecloo, ce n'est pas, que l'honorable M. Pirmez en soit convaincu, pour étendre cette discussion ; mais il y avait là dans une dépêche d'un fonctionnaire, qui a joué un grand rôle dans ce débat, dans une dépêche de M. le gouverneur de la Flandre orientale, quelques lignes auxquelles je ne saurais assez applaudir, et je demande la permission de les citer en terminant ce discours.
Voici ce qu'écrivait M. le gouverneur de la Flandre orientale :
« Il importe à l'enseignement public à tous les degrés que le personnel enseignant soit entouré de garanties contre l'arbitraire des autorités locales et qu'on ne jette pas le découragement dans ce personnel en laissant sévir, sans motif avouable, contre un de ses membres. »
- Voix à droite. - Très bien !
M. le président. - La parole est à M. Vermeire.
- Voix nombreuses. - A demain !
M. le président. - Le bureau a reçu une proposition de loi émanant de l'initiative de deux membres de cette Chambre.
Cette proposition sera renvoyée aux sections pour examiner s'il y a lieu d'en autoriser la lecture.
- La séance est levée à 5 heures.