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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 30 novembre 1870

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1870-1871)

(Présidence de M. Vilain XIIII.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 212) M. de Vrints procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Wouters donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Vrints présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Les membres du conseil communal d'Ethe déclarent adhérer à la pétition demandant le prompt achèvement du chemin de fer de Virton par Ethe. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Debry réclame l'intervention de la Chambre pour que M. le ministre de la guerre donne suite à sa demande concernant une machine de guerre. »

- Même renvoi.


« Des propriétaires, cultivateurs et éleveurs dans la Flandre occidentale demandent la construction d'une éclusette de garde à l'embouchure du petit canal de Blankenberghe et derrière le portée refuge. »

M. de Clercq. - Messieurs, l'objet de cette pétition est très important et présente un certain caractère d'urgence ; je prie la Chambre de vouloir bien la renvoyer à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.


« Par dépêche en date du 30 novembre, M. le ministre dès finances: adresse à la Chambre 135 exemplaires du Tableau général du commerce avec les pays étrangers pendant l'année 1869. »

- Distribution aux membres de la Chambre et dépôt à la bibliothèque.


« L'administration communale de Gand transmet à la Chambre deux exemplaires du Rapport présenté en séance du conseil du 3 octobre 1870 sur l'administration et la situation des affaires de cette ville en 1869. »

- Dépôt à la bibliothèque.

Motion d’ordre relative au chemin de fer de Virton

M. Bouvier (pour une motion d’ordre). - La Chambre a reçu, il y a quelque temps, une pétition du conseil communal de Virton, dans laquelle il réclame la déchéance de la compagnie concessionnaire du chemin de fer de Virton pour défaut d'exécution de ses engagements.

Il a été décidé par l'assemblée que cette requête serait envoyée à la commission des pétitions, en exprimant le désir qu'elle fût l'objet d'un prompt rapport. A mon grand étonnement, je ne la vois pas figurer au feuilleton de pétitions qui nous a été distribué.

Comme mon arrondissement ne doit pas être victime du mauvais vouloir du concessionnaire du chemin de fer de Virton, j'ai l'honneur de prévenir M. le ministre des travaux publics, que je n'aperçois cependant pas à son banc, que je l'interpellerai vendredi prochain sur le point de savoir s'il est décidé à prendre une mesure énergique et définitive pour vaincre la résistance du concessionnaire à la décision prise par lui le 18 octobre dernier, en ce qui touche le tracé de la deuxième section par Ethe vers Virton.

Projet de loi portant le budget des voies et moyens de l’exercice 1871

Discussion du tableau des recettes. I. Impôts

Contributions directes, douanes et accises

Foncier

« Foncier : fr. 19,150,000. »

M. Demeur. - Je ne sais pas, messieurs, comment M. le ministre des finances est arrivé à ce chiffre de 19,150,000 francs. Cela représente une augmentation de 5,000 francs sur le chiffre de l'année 1870 ; or, l'augmentation a été beaucoup plus considérable pendant les années précédentes. Je vois, en effet, que l'augmentation annuelle du contingent voté a été, pour 1868, de près de 23,000 francs ; en 1869, de plus de 100,000 francs et en 1870 de 135,000 francs.

Aujourd'hui M. le ministre des finances prévoit une augmentation de 5,000 francs seulement et il ne donne aucune explication.

Dans les années précédentes, les prévisions du budget n'ont-elles pas été atteintes ? M. le ministre nous donne la réponse dans la note préliminaire du budget.

Pour 1869, on n'avait prévu qu'un revenu de 19,010,000 francs et il a été de 19,098,000 francs.

Pour l'année courante, M. le ministre nous assure que les prévisions seront probablement réalisées.

Chaque année, l'augmentation du revenu cadastral doit entraîner un accroissement proportionnel du produit de la contribution foncière.

Je ne comprendrais pas qu'en 1871, nous n'ayons pas un résultat aussi avantageux que les années précédentes.

Cette observation faite, je me permettrai de faire remarquer que la propriété foncière jouit, dans notre pays, notamment en matière d'impôt, de privilèges injustifiables.

C'est ainsi que je ne me suis jamais expliqué pourquoi la propriété bâtie nouvellement est exempte de l'impôt foncier pendant huit années.

Cela existe depuis 1828, et bien que l'honorable M. Dumortier ait dit, l'autre jour, que les meilleures lois d’impôt sont les plus anciennes, il me sera bien permis de critiquer cette disposition de la loi de 1828.

Pourquoi, je le demande, celui qui a construit un bâtiment a-t-il le privilège d'être exempté, pendant huit ans, du payement de l'impôt foncier ?

Si c'est pour son usage personnel qu'il a fait cette construction, il en profite, dès la première ou la seconde année ; si c'est dans un but de spéculation, il peut de même, dès la première ou la seconde année, bénéficier sur son opération. Je ne vois donc, dans l'un ni dans l'autre cas, aucun motif d'exemption.

C'est pour encourager l'industrie de la bâtisse que l'on a établi l'exemption. Mais la même raison pourrait être donnée pour toutes les autres industries.

Voici un négociant qui s'établit. Dès la première année, il paye patente.

Que dirait-on si nous votions une loi d'après laquelle il ne payerait pas patente pendant plusieurs années ?

La preuve, messieurs, qu'il y a là une injustice, c'est que certaines communes, profilant de la loi de 1828, ont établi, à leur bénéfice, un impôt sur la propriété nouvellement bâtie, pour la période de temps pendant laquelle l'Etat n'en perçoit point.

La ville de Bruxelles, notamment, a établi cet impôt, qui lui donne un revenu de 120,000 francs,

J'approuve la ville de Bruxelles d'avoir procédé ainsi ; mais je crois que nous agirions également bien si tout au moins nous rétablissions la législation antérieure à celle de 1828, si nous revenions au principe consacré par la loi de frimaire an VII, organique de la contribution foncière, et d'après laquelle c'est seulement pendant trois années que la propriété nouvellement bâtie était exempte de l'impôt.

Pendant ce laps de temps, l'exemption peut se justifier dans une certaine mesure, en ce sens que la propriété nouvellement bâtie n'offre pas, dès la première année, le même avantage, ou peut ne pas donner le même (page 212) produit que les années suivantes. Mais au delà des trois premières années, l'exemption ne devrait pas durer.

Ce n'est pas à ce point de vue seulement que la propriété foncière, en matière d'impôts, est dans une situation tout à fait privilégiée. L'impôt foncier est le seul pour lequel on n'a pas admis la proportionnalité entre l'augmentation de la valeur de la chose et l'impôt.

Le chiffre que l'on vous propose de voter pour cette année est inférieur à celui de 1830. Permettez-moi de vous rappeler des chiffres :

De 1831 à 1853 la moyenne de l'impôt foncier était de 19,423,000 fr. ; de 1836 à 1840 la moyenne était de 18,237,000 francs ; de 1841 à 1845 17,841,000 francs (la séparation d'une partie du Limbourg et du Luxembourg explique ici la différence) ; de 1846 à 1850, elle était de 18,350,000 francs ; de 1851 à 1855, elle était de 18,570,000 francs. Enfin, pendant les dix années suivantes, la moyenne a été de 18,886,000 francs.

Vous le voyez, pendant une période de 35 ans, le chiffre de l'impôt foncier voté annuellement ne présente que des différences insignifiantes ; cependant, pendant cette même période, la propriété foncière n'augmentait-elle pus considérablement de valeur ?

Nous n'avons pas la statistique des dernières années, mais nous en avons une qui nous permet de comparer la situation de l'année 1830 avec celle de l'année 1856. Eh bien, en 1830, d'après la statistique officielle, la valeur moyenne de l'hectare en Belgique est de 2,180 francs ; en 1856, la valeur moyenne de l'hectare était de 3,171 francs. Nous avons près de trois millions d'hectares de terre en Belgique ; le chiffre réel est de 2,945,259. Eh bien, si nous multiplions le nombre d'hectares par la valeur en 1830 et en 1856, nous arrivons aux résultats suivants :

En 1830 les 2,945,259 hectares représentent 6,420,000,000 de francs ; en 1856 ils représentent 9,340,000,000 de francs, soit une augmentation de 2,920,000,000 de francs ou 45 1/2 p. c. d'augmentation sur la valeur de 1830.

Certainement, aujourd'hui, en 1871, après quinze années, on constaterait encore une augmentation assez considérable.

Eh bien, nonobstant cela, le chiffre qu'on vous propose de voter pour l'impôt foncier est le même que dans les années précédentes. N'y a-t-il pas lieu cependant, pour déterminer la part de la propriété foncière dans le payement de l'impôt, de tenir compte de cette augmentation de valeur de trois milliards ?

Et si je remonte plus haut, si je remonte à soixante ans, je trouve que la propriété foncière payait alors chez nous un chiffre à peu près égal à celui qu'elle paye aujourd'hui.

Voici les chiffres que je trouve dans un discours de l'honorable M. Frère-Orban, du 23 novembre 1859. J'y vois que, sous l'empire français, l'impôt foncier était de 18,700,000 francs et sous le gouvernement des Pays-Bas, 17,803,000 francs.

Voilà pour l'impôt. Et quant à la différence de valeur, nous avons un procédé d'appréciation autre que celui que j'indiquais tout à l'heure ; nous avons un moyen officiel de constater l'augmentation de valeur de la propriété ; c'est la révision cadastrale qui a été faite récemment. Le cadastre qui a été établi d'après des documents qui allaient de 1812 à 1826 a constaté pour la Belgique un revenu cadastral annuel de 168 millions de francs. On a procédé à une révision cadastrale et consacré à ce travail une somme de 1,750,000 francs. Cette révision a été opérée d'après des documents qui vont de 1849 à 1858 ; ce n'est donc pas encore la valeur actuelle que nous allons constater. Eh bien, que révèle ce travail ? Que le revenu cadastral, au 31 décembre 1865, était de 282 millions, soit une augmentation de 114 millions ou 68 p. c.

Je demande pourquoi cette augmentation dans la valeur, dans le revenu, n'entraîne pas une augmentation proportionnelle dans la participation de la propriété foncière aux charges générales du pays ?

Remarquez, messieurs, que je ne viens pas offrir ici le spectacle, qui serait certainement nouveau, d'un représentant demandant que le pays soit accablé d'impôts nouveaux. Non ; ce que je demande, ce n'est pas l'augmentation des impôts ; c'est leur plus juste répartition. Or, je viens de vous montrer que l'ensemble de nos recettes et de nos dépenses ayant subi une notable augmentation, il n'en a pas été de même de la contribution foncière ? C'est là une injustice et je la constate.

M. Julliot. - Et les valeurs mobilières qui ne payent rien ?

M. Demeur. - Les mêmes raisons existent pour ces valeurs. Mais une injustice ne saurait justifier une autre injustice. (Interruption.)

Dans la séance d'hier, l'honorable M. Tack disait qu'il faut tenir compte des centimes additionnels votés par les communes dans ces dernières années et qui ont subi des augmentations considérables. Eh bien, voyons les chiffres ; je prends les plus récents, ceux que j'ai trouvés dans l'Annuaire statistique pour 1870 ; je fais la comparaison entre l'année 1861 et l'année 1865. C'est à partir de 1861, en effet, que les communes, par suite de l'abolition des octrois, ont été en quelque sorte provoquées à l’établissement d'impôts directs.

Je vois qu'en 1865 l'ensemble des impositions communales s'élevait à 10,060,865 francs, tandis qu'en 1861 ces impositions s'élevaient à 9,117,460 francs ; différence : 945,405 francs ; c'est-à-dire moins d'un million.

Pendant ce temps, l'impôt indirect perçu, non par les communes, mais au profit des communes par l'Etat, n'augmentait-il pas ? Voyons. En 1865, le produit du fonds communal était de 16,895,246 francs, tandis qu'en 1861 il était de 15,133,601 francs. L'augmentation est de 1,761,645 francs. Cette augmentation d'impôts indirects, payés au profit des communes, est supérieure à celle qui se remarque dans les impositions directes payées aux communes elles-mêmes.

En résumé, une injustice est commise au profit de la propriété foncière dans l'établissement de l'ensemble des impôts. Si j'en recherchais la cause, je la trouverais dans cette circonstance que l'impôt foncier représente 54 p. c. de l'ensemble des impôts qui concourent à former le cens électoral ; il a la majorité ; comme il a la majorité, il est assez naturel qu'il ne se traite pas trop mal.

Mon intention n'est pas de proposer aujourd'hui un amendement. J'ai entendu hier M. le ministre des finances nous annoncer que son département examinait la question des impôts et qu'on y préparait des projets de lois. Je comprends que M. le ministre n'étant aux affaires que depuis trois ou quatre mois, il n'ait pu encore déposer de projets ; mais si l'année prochaine M. le ministre des finances ne réalisait pas ses promesses, j'userais de mon initiative pour présenter une proposition de loi.

M. Vermeire, rapporteur. - Messieurs, il n'y a pas de question plus ardue, ni plus difficile à résoudre que celle qui concerne l'assiette des impôts.

L'honorable préopinant vient de dire que l'impôt foncier est resté depuis plusieurs années presque toujours le même ; et tandis que les autres impôts ont considérablement augmente, l’impôt foncier aurait du, d'après lui, augmenter dans une mesure équivalente.

Messieurs, si l'impôt foncier n'a pas augmenté, cela tient précisément à la base de cette assiette. Ainsi, je pense que pour l'impôt foncier on paye en principal 11 centimes et 74 centièmes de centime par franc imposable...

M. Jacobs, ministre des finances. - Six centimes 70 centièmes.

- Un membre. - Depuis la révision.

M. Vermeire, rapporteur. - Ce qui est certain, c'est que l'impôt est toujours perçu sur la valeur cadastrale. Or, comme on ne peut pas réviser tous les ans cette valeur cadastrale, il est donc presque impossible que l'impôt foncier soit modifié.

Maintenant cet impôt est-il trop bas, est-il trop élevé ? Nous ne le savons pas. En effet, en comparant la valeur actuelle de la terre à ce qu'elle était lorsque l'impôt a été décrété, il est certain que, comparativement à cette valeur, nous payerions moins aujourd'hui, l'impôt étant resté le même.

Mais il en est de même de tout ce qui sert de base à l'impôt et si la thèse pour l'augmentation de l'impôt foncier est exacte, elle est juste aussi pour l'augmentation de la patente, car ceux qui sont soumis à la patente font aujourd'hui des affaires autrement considérables que ceux qui exerçaient le même état, il y a trente ou quarante ans.

En voulez-vous des exemples ?

Voyez les redevances sur les mines : cet impôt, établi depuis fort longtemps, est toujours le même aujourd'hui, et certes les affaires qu'on fait en ce moment ne sont plus en rapport avec celles qu'on faisait autrefois.

Mais, messieurs, il y a encore d'autres industries qui sont loin d'être placées sur le même pied quant au payement de l'impôt. Ainsi vous avez, par exemple, les moulins à vent. Les moulins à vent payent une patente très considérable comparativement à ce que payent les hauts fourneaux. En effet, je crois qu'un moulin à vent dans les Flandres paye autant qu'un haut fourneau dans le Hainaut.

Vous voyez donc bien que s'il faut remanier l'assiette de l'impôt pour un objet, il faut aussi le remanier pour tous les autres objets.

Personnellement, messieurs, je ne suis pas aussi vivement porté que l'honorable M. Demeur pour le remaniement des impôts, parce que l'expérience m'a enseigné que chaque fois qu'on change l'assiette d'un impôt, on veut en retirer un plus grand produit et que, selon moi, l'Etat doit se (page 213) borner à réclamer les ressources dont il a besoin pour équilibrer ses dépenses.

Je craindrais qu'en procédant comme on le propose, c’est-à-dire en révisant l'assiette de l'impôt, on en vienne encore une fois à donner à l’Etat le goût d'augmenter considérablement ses dépenses. Ce n'est pas là, messieurs, ce que nous devons vouloir ; tous nos efforts, au contraire, doivent tendre à diminuer autant que possible les charges qui pèsent sur les contribuables.

Je crois donc qu'il ne conviendrait pas de modifier l'assiette de l'impôt foncier sans une nécessité absolue.

Maintenant, l'impôt foncier qu'on paye est-il trop bas ? Evidemment non.

Il y a les droits de mutation et toutes espèces d'impôts qui frappent la propriété et si l'on mettait ensemble tous ces impôts, je crois que l'équilibre serait établi entre l'impôt foncier et les impôts placés sur les autres objets,

M. de Theux. - Messieurs, les observations de l'honorable M. Demeur portent principalement sur ce point que l'impôt foncier est un impôt de répartition.

M. Frère-Orban. - Non ! c'est un impôt de quotité.

M. de Theux. - Soit ; mais il est certain que le chiffre de l'impôt foncier ne varie guère d'une année à l'autre. Le chiffre reste à peu près le même.

Mais l'honorable membre a perdu de vue plusieurs autres charges qui grèvent la propriété foncière et qui suivent la proportion de la valeur.

Ainsi, les droits d'enregistrement, de mutation s'établissent sur la valeur actuelle. Ces droits s'élèvent à 18,000,000.

Voilà une charge considérable qui grève surtout la propriété foncière.

Les droits d'hypothèque pèsent exclusivement sur la propriété foncière.

Les droits de succession pèsent principalement sur la propriété foncière ; car les valeurs mobilières y sont souvent soustraites soit en tout, soit en grande partie.

Les droits de mutation en ligne directe, les droits pour les époux survivants, s'élèvent à 2,500,000 francs. Voilà des charges que grèvent énormément la propriété foncière. L'impôt de succession en ligne directe n'est établi que sur la propriété foncière. C'est un droit qui n'existait pas sous le gouvernement précédent et il constitue une charge considérable pour la propriété.

Je crois donc que l'honorable membre s'est trompé considérablement dans la comparaison qu'il a établie entre la propriété foncière et la propriété mobilière.

Je crois qu'en général, la tendance de notre législation fiscale, depuis longtemps, a été de ménager la propriété mobilière et de s'adresser principalement à la propriété foncière.

Il y a une autre tendance évidente qui a déjà été manifestée : c'est qu'on demande la suppression de tous les impôts indirects pour faciliter les relations commerciales ; alors toutes les charges pèseraient exclusivement sur la propriété foncière et cela créerait au pays une situation extrêmement triste.

On a parlé aussi de l'exemption de huit années, accordée par la loi sur la propriété foncière en ce qui concerne les bâtiments.

Il est vrai qu'il y a là un avantage. Je crois que le gouvernement qui a établi cette exemption a voulu principalement favoriser les villes, car c'est surtout dans les villes que l'on bâtit beaucoup et de grands édifices ; et je crois que si l'on revenait à l'ancien système, qui n'exemptait les bâtisses de l'impôt que pendant trois ans, les villes se plaindraient beaucoup. Elles y verraient un temps d'arrêt à leur accroissement et à leur prospérité.

Remarquez que la tendance de l'époque est surtout d'attirer la population vers les villes et de dépeupler les campagnes au profit des villes. C'est dans les villes que se font toutes les constructions de luxe, par conséquent, toutes les constructions qui devraient supporter l'impôt.

Je n'en dirai pas davantage. Car je ne pense pas que l'on songe en ce moment à remanier notre système d'impôts. Mais j'ai cru devoir rétablir quelques faits pour la Chambre et pour le public, afin qu'on ne se laisse pas facilement induire en erreur.

M. Jacobs, ministre des finances. - Messieurs, l'honorable M. Demeur, en signalant la faible augmentation de 5,000 francs sur l'article du foncier, a perdu de vue le changement qui s'est opéré dans la nature même de cet impôt depuis 1867 ; à la suite de la dernière révision cadastrale, l'impôt foncier est devenu un impôt de quotité d'impôt de répartition qu'il était jusqu'alors.

Il est aujourd'hui de 6.70 p. c. du revenu cadastral. L'indication qui se trouve au budget des voies et moyens ne limite plus, comme autrefois, le chiffre de l'impôt ; ce n'est plus que l'indication des prévisions de l'administration. Celle-ci peut se tromper et j'espère que le chiffre sera notablement dépassé. Mais je fais remarquer à l'honorable membre qu'il n'y a aucun inconvénient à restreindre les prévisions des recettes ; c'est une mesure de prudence qui a toujours été conseillée.

Je dois ajouter une considération à celles qui ont été présentées par l'honorable M. Vermeire et par l'honorable comte de Theux, Outre toutes les charges indirectes qui grèvent la propriété foncière, il ne faut pas perdre de vue que cette propriété a toujours été considérée comme une réserve pour les temps de crise.

C'est sur elle que pèse alors la charge des impôts extraordinaires, des emprunts forcés. Elle ne peut s'y soustraire, comme le peut la propriété mobilière, et il a toujours été admis que, pour s'assurer cette réserve, il fallait ménager la propriété immobilière dans les temps ordinaires.. Il est certain, messieurs, que si l'on voulait faire une comparaison parfaitement exacte des charges publiques, il y aurait lieu de comparer la propriété immobilière à la propriété mobilière ; comparer l'impôt foncier aux impôts de consommation, c'est comparer des choses qui n'ont rien de commun.

La valeur de la propriété foncière s'accroît constamment, il est vrai, mais, dans l'intervalle de deux révisions cadastrales, elle demeure invariable au point de vue de l'impôt, sauf les bâtisses nouvelles.

Si le fisc pouvait venir chaque année réclamer l'expertise de la valeur des biens pour asseoir sur l'expertise l'impôt de 6.70 p. c, il y aurait des contestations à l'infini.

La propriété foncière subit des charges au moins égales à celles que supporte la propriété mobilière, la seule à laquelle on puisse la comparer.

Il est un autre point qui a été traité par l'honorable M. Demeur, et ici je crois que la thèse qu'il a soutenue est la vraie. Je veux parler de l'exemption des bâtisses nouvelles qui a été étendue par la loi de 1823 de 3 à 8 années.

L'exemption d'environ trois années accordée auparavant se justifiait par la considération que la propriété bâtie ne produit pas de revenu pendant les premières années ; aller au delà et protéger la bâtisse alors qu'on ne protège plus aucune industrie, cela n'a aucune raison d'être.

Le gouvernement l'a si bien compris que, dans vingt-deux villes les plus importantes, il a autorisé les communes à établir un impôt qui compense en quelque sorte l'exemption dont il s'agit ; on a ainsi substitué la protection des villes à la protection des bâtisses.

Je crois qu'il serait plus sage de revenir à l'état de choses antérieur à 1828. Un de mes premiers soins en arrivant au département des finances a été de soumettre cette question à une étude approfondie.

J'ai constaté que, dans les vingt-deux villes où cet impôt existe, il produit un demi-million et je suis d'avis que cet impôt, grossi de celui que négligent les autres communes, reviendrait plus justement au trésor public.

M. Guillery. - Les communes ne sont pas trop riches.

M. Jacobs, ministre des finances. - L'honorable membre se méprend s'il croit que c'est un sentiment de jalousie à l'égard des ressources des communes qui me guide.

M. Guillery. - Ce n'est pas ainsi que je l'entends, mais je dis que les communes ne sont pas trop riches ; elles ont pou de moyens de se procurer des ressources.

M. Jacobs, ministre des finances. - Il existe de meilleurs moyens que celui employé ici. Si les communes augmentaient leurs centimes additionnels, elles feraient infiniment mieux qu'en créant des impôts de ce genre, que quelques-unes seulement utilisent, alors que l'Etat pourrait en profiter partout.

Les centimes additionnels valent mieux aussi que le système de capitation tel qu'il existe dans la plupart des campagnes sans organisation ni base sérieuses.

M. Bouvier. - Il est arbitraire.

M. Jacobs, ministre des finances. - Je ne suis nullement d'avis de priver les villes de leurs ressources, mais je crois qu'elles doivent les chercher aux meilleures sources et qu'il n'y a aucune espèce de raison de leur attribuer un revenu qui, incontestablement, revient à l'Etat, dès qu'on renonce à l'idée de protéger la bâtisse.

La protection que l'Etat accorde aux propriétés neuves, aussi bien que celle dont jouissent les bâtisses vieilles de huit années, légitime un certain sacrifice au profit du trésor, qui n'est autre que l'impôt foncier.

(page 214) Je le répète, la question est à l'étude ; je l'examine avec le plus grand soin, je tiendrai compte de toutes les observations que l'on voudra bien me soumettre. Au premier aperçu, je partage l'opinion de l'honorable M. Demeur, mais je me réserve d'en achever l'examen.

Personnel

« Principal : fr. 10,865,000.

« Dix centimes additionnels extraordinaires : fr. 1,086,000.

« Frais d'expertise : fr. 51,000. »

M. Demeur. - Messieurs, dans la séance d'hier, j'ai entendu l'honorable M. Lelièvre demander la révision de la loi sur la contribution personnelle ; j'ai déjà, je pense, lu trois ou quatre fois ce même discours dans les Annales parlementaires.

Le maintien de la loi de 1822 sur la contribution personnelle sera une des raisons qui me porteront à voter contre le budget des voies et moyens.

Je ne crains pas de le dire, c'est une chose triste que les délais qu'on a mis à la révision de la loi de 1822.

Déjà la Constitution, dans son dernier article, imposait au législateur l'obligation de réviser les lois de finances.

A coup sûr, la loi de 1822 était une de celles que le Congrès avait en vue.

En 1842, un projet de loi a été déposé sur le bureau de cette Chambre pour réformer la loi de 1822, qui était attaquée et considérée comme détestable par tout le monde. Ce projet fut retiré en 1844.

En 1849, l'honorable M. Frère-Orban déposait un autre projet et au mois de décembre 1850, la section centrale, dans son rapport sur le budget des voies et moyens, insistait pour que le ministre des finances donnât les renseignements nécessaires à l'examen de ce projet et pour qu'on se mît d'accord pour le soumettre à la Chambre. Quelques jours après, M le ministre des finances communiquait ces renseignements.

On insista vivement chaque année, en sections, pour que la question fût examinée, et en 1851, le discours du trône s'occupait même de la question :

« Indépendamment des lois nouvelles qui leur seront présentées, les Chambres auront à s'occuper de projets dont l'examen ou le vote a été suspendu dans la dernière session. Vous placerez, sans doute, parmi ces premiers travaux, la nouvelle loi de la contribution personnelle destinée à asseoir l'impôt sur des bases plus équitables. »

Voilà comment s'exprimait le roi, en novembre 1851, en ouvrant la session.

C'est en 1854 seulement que M. Rousselle dépose son rapport. Dans la même session, le projet est discuté ; il tient quatre séances de la Chambre, et à la quatrième séance, M. Vermeire, appuyé par quelques autres honorables membres de la Chambre, propose l'ajournement de la discussion. Quel motif donnait-on à l'appui de cette proposition ? Une des principales bases de la contribution personnelle, disait-on, c'est la valeur locative ; or, nous sommes à la veille de faire une révision cadastrale qui nous donnera la véritable valeur locative des maisons et bâtiments de tous le pays. Attendons donc.

On proposait l'ajournement pur et simple.

La Chambre n'y consentit pas ; elle fixa elle-même la date extrême de l'ajournement, elle ajourna jusqu'en 1855.

Le projet de loi de M. Frère-Orban avait été adopté par M. Liedts qui, en 1854, l'avait défendu dans cette Chambre. Mais en 1855, de nouveaux ministres survinrent et le projet de loi fut renvoyé aux calendes grecques.

Depuis lors, chaque année, les sections, la section centrale, des membres individuellement réclament la révision de la loi sur la contribution personnelle. La raison qu'on a donnée en 1854 pour ne pas faire la révision de la loi sur la contribution personnelle n'existe plus.

Le projet de loi sur la péréquation cadastrale a été voté en 1867 et depuis on n'a plus rien fait.

Je le répète, il n'y a jamais eu une seule voix dans cette Chambre pour défendre la loi de 1822 ; au contraire, elle a constamment été attaquée, non seulement par les membres de cette Chambre, mais par les ministres, et cependant elle est toujours debout.

Ici non plus je n'ai aucune proposition à faire, mais je dois conclure comme je le faisais tout à l'heure, en déclarant que j'insiste vivement pour qu'un projet soit présenté dans la session prochaine, ajoutant que moi-même je formulerai un projet si le gouvernement n'en présente pas.

M. Jacobs, ministre des finances. - J'ai annoncé dans mes réponses à la section centrale que j'espérais bien pouvoir, non pas dans la session prochaine, mais dans la session actuelle, déposer un projet de loi sur la contribution personnelle.

Je ferai tout ce qui dépendra de moi pour qu'il en soit ainsi. Je ne me dissimule pas cependant, en voyant combien on a hésité, depuis combien de temps on recule devant la révision de cette loi, je ne me dissimule pas la difficulté de la tâche. Mais je déclare qu'il ne dépendra pas de moi qu'elle ne s'accomplisse.

- Le chiffre est mis aux voix et adopté.

Patentes

« Principal : fr. 4,000,000.

« Dix centimes additionnels extraordinaires : fr. 400,000. »

M. Balisaux. - Empêché d'assister, hier, à la séance de la Chambre, je n'ai pas entendu, mais j'ai pu lire ce matin, dans la presse, la promesse formelle faite par M. le ministre des finances de déposer bientôt, sur le bureau de la Chambre, un projet de loi ayant pour but de diminuer considérablement, sans doute, le droit de patente exorbitant qui frappe la batellerie.

Je ne puis donc, messieurs, que joindre mes instances à celles de l'honorable M. Frère-Orban et demander que ce projet de loi soit déposé, le plus tôt possible, sur le bureau de la Chambre, afin de dégrever la batellerie d'une partie de ce droit considérable, pour l'exercice 1871, et de satisfaire ainsi à ses vives et pressantes instances.

La batellerie, dans l'arrondissement de Charleroi du moins, souffre beaucoup depuis plusieurs années, et je crois qu'elle a droit à toute la sollicitude du gouvernement.

II est, messieurs, un autre droit de patente que je désirerais voir, non pas diminuer, - car il s'agit moins d'une question d'argent que d'une question de dignité, - mais supprimer complètement ; je veux parler de la patente qui frappe les médecins.

La troisième section de la Chambre, à laquelle j'ai l'honneur d'appartenir, saisie de cette question par l'un de ses membres, a émis le vœu suivant :

« Elle demande, ensuite, que les médecins, qui exercent un art libéral, soient, en ce qui concerne la patente, mis sur la même, ligne que les autres personnes exerçant aussi des professions libérales, telles que les avocats, etc., et qui, cependant, ne sont point soumises au droit de patente : il faudrait, pour que l'égalité fût parfaite, ou que tous soient soumis à la même charge, ou qu'ils en soient relevés. »

Les médecins, messieurs, se plaignent amèrement et, dans mon appréciation, avec raison, de ce que, exerçant comme les avocats (ils choisissent cet exemple) une profession libérale, ils soient traités par la loi d'une manière plus rigoureuse que les avocats eux-mêmes. Ils disent : Nous sommes astreints comme eux à faire des études longues et dispendieuses pour acquérir un diplôme qui nous permette d'exercer notre profession. Ces études sont plus longues et plus approfondies que celles qu'on exige des docteurs en droit. Leur argumentation me paraît rationnelle.

La science du droit a ses limites, elle ne fait pas de progrès rapides, tandis que la science médicale, étant basée sur l'étude de la nature, est aussi infinie que les secrets de la nature sont infinis. La science médicale fait tous les jours d'immenses progrès, les médecins sont obligés de faire des études constantes et arides pour se tenir à la hauteur de ces progrès.

Les mots « droit de patente » à tort peut-être, entraînent avec eux une idée de négoce et c'est précisément ce qui blesse la dignité du corps médical.

Ils se plaignent de ce que l'on confonde leur noble profession avec un négoce quelconque. Leur réclamation me paraît suffisamment fondée et justifiée pour déterminer le gouvernement à prendre la mesure, sollicitée depuis si longtemps, de supprimer le droit de patente.

Vous savez tous qu'il faut beaucoup de zèle, de dévouement et d'abnégation pour aborder cette carrière, cette profession si difficile qui conduit quelquefois à l'aisance, mais rarement à la fortune. Ceux qui habitent la campagne ont pu apprécier que beaucoup de médecins, après avoir consacré un grand nombre d'années de leur jeunesse à acquérir le diplôme, après avoir consacré à ces études un capital assez considérable, se trouvent souvent dans l'impossibilité presque absolue de subvenir à leurs besoins les plus pressants, ainsi qu'à ceux de leurs familles.

Ce que je demande, messieurs, ce n'est pas, absolument, la suppression du droit de patente ; je n'insisterais pas sur ce point, si, dans l'opinion de M. le ministre des finances, le maintien de cette ressource, bien minime cependant, importait au trésor. Mais j'insiste sur ce point : les médecins disent : « Notre dignité est blessée de ce que nous sommes autrement traités par la loi que ceux qui exercent d'autres professions libérales. Pourquoi (page 215) nous frappe-t-on d'un droit de patente, alors qu'on n'y assujettit pas les avocats ? »

Comme vous le voyez, messieurs, il s'agit donc surtout d'une question de dignité et d'égalité, sur laquelle j'appelle la bienveillante attention de l'honorable ministre des finances.

M. Vleminckx. - Messieurs, j'ai l'honneur de rappeler à la Chambre que tous les motifs qui militent en faveur de la suppression du droit de patente sont exposés dans une pétition, envoyée à la Chambre, il y a plus de vingt ans, par l'académie royale de médecine. Depuis que je fais partie de cette Chambre, j'ai appelé l'attention du gouvernement sur la question soulevée par l'honorable M. Balisaux. Les médecins ne désirent pas précisément la suppression du droit de patente, mais ils demandent qu'il y ait, sous ce rapport, égalité entre eux et les personnes qui exercent d'autres professions libérales.

Lorsque l'honorable M. Frère était minislre des finances, il m'a répondu que, dans son opinion, les avocats devraient, tout comme les médecins payer patente en Belgique.

Je recommande cette opinion à M. le ministre des finances actuel ; il pensera sans doute comme nous que les avocats et les médecins doivent, au point de vue de l'impôt patente, être placés sur la même ligne.

M. Balisaux. - Messieurs, je me permettrai encore d'appeler l'attention de M. le ministre de l'intérieur et de M. le ministre de la justice sur la nécessité signalée depuis longtemps de modifier la loi du 12 mars 1818. Il y a de longues années que cette loi est reconnue défectueuse par tous les corps médicaux. Ils demandent avec instance que le projet de loi qui a été présenté par le gouvernement, et qui est maintenant sous le boisseau, sorte des cartons et vienne au jour. Tous les corps médicaux du pays protestent contre les anomalies qu'offre la loi de 1818...

M. le président. - Cet objet ne se rattache pas au budget des voies et moyens.

M. Balisaux. - Je n'ai plus qu'un mot à dire, une observation au point de vue de la décentralisation.

Les corps médicaux demandent avec justice et' raison que les commissions médicales soient nommées par un corps électoral compose de médecins.

M. Guillery. - Messieurs, la question de la patente, que l'honorable M. Balisaux vient de soulever, ne me paraît pas, en ce qui concerne les avocats, aussi simple que le prétendent l'honorable membre et l'honorable président de l'académie royale de médecine.

Je crois que la science du droit a fait beaucoup plus de progrès et a donné des résultats beaucoup plus positifs et plus certains que la science médicale, qui, jusqu'aujourd'hui, est restée, à beaucoup d'égards, dans les nuages. (Interruption.)

Je tiens seulement à constater que si la législation en France et en Belgique n'a pas imposé le payement de la patente à l'avocat, ce n'est point par mégarde.

Beaucoup de professions libérales sont astreintes au droit de patente et les médecins, sous ce rapport, sont traités comme les notaires, comme les avoués et bien d'autres, mais les fonctions de l'avocat sont de leur nature gratuites. (Interruption.)

Je ne puis m'expliquer les interruptions qui se produisent que par l'ignorance dans laquelle se trouvent certains membres de cette assemblée des fonctions de l'avocat. Je répète donc que les fonctions de l'avocat sont de leur nature gratuites. (Interruption.)

Quand ces messieurs auront fini de rire, je continuerai, mais je ne puis pas parler devant une Chambre aussi peu disposée à écouter.

Les fonctions de l'avocat sont gratuites : la loi en a décidé ainsi et c'est nier l'existence de la loi que de le contester. La rémunération est purement volontaire.

C'est ainsi que les avocats n'ont point d'action en justice pour le recouvrement de leurs honoraires. Les médecins ont une action. Là déjà la différence apparaît.

De plus, les avocats sont obligés de prêter gratuitement leur ministère aux indigents ; il existe dans tous les barreaux un bureau de consultations gratuites par lequel il est fait droit à toutes les réclamations des plaideurs qui n'ont pas les moyens de payer les frais de justice.

C'est donc un ministère essentiellement gratuit, ce qui n'existe pas pour les médecins. Les médecins des pauvres sont payés ; ils ont un traitement, très faible, il est vrai, mais ils ont un traitement ; de plus ils ont le droit de poursuivre en justice le recouvrement de ce qui leur est dû.

J'ajouterai encore, messieurs, que dans les affaires les plus importantes, devant la cour d'assises, la défense d'office est également gratuite. En outre lorsqu'un juge vient à manquer, les avocats sont encore obligés de siéger.

Le droit de patente, comme on l'a très bien dit, n'est pas extrêmement élever ce n'est point la somme, ce n'est point l'impôt payé qui est pris en considération : c'est la nature des fonctions.

Or, la nature des fonctions d'avocat n'a point changé depuis l'époque où l'on a décidé que la patente ne leur serait pas imposée. Aujourd'hui encore, si l'avocat, après avoir sacrifié son temps soit au correctionnel, soit au criminel, soit au civil, se trouve devant un client qui ne lui tient compte d'aucune espèce d'honoraires, il n'a point de moyen de le forcer au payement. Tous les jours, messieurs, il se présente des cas semblables et un avocat qui réclamerait en justice le payement de ce qui lui est dû, pourrait peut-être obtenir une condamnation, mais il serait rayé du tableau par le conseil de discipline. Telles sont, messieurs, les traditions de l'ordre des avocats.

Ces traditions sont trop honorables pour que le barreau ne les revendique pas hautement, il les revendique d'autant plus qu'elles sont toutes favorables à la bonne administration de la justice, et qu'elles ont pour but l'intérêt des justiciables. Le jour où les avocats pourraient faire reconnaître d'avance leurs soins par les plaideurs ou même exiger une rétribution par la voie judiciaire, le ministère du barreau perdrait son caractère élevé, et les plaideurs en seraient les premières victimes.

Ces faits étaient probablement ignorés des honorables membres qui m'ont interrompu.

Je n'ai pas, messieurs, la prétention de convaincre ceux qui ne veulent pas être convaincus, mais j'ai cru devoir protester contre ce que je considère comme une erreur.

M. Vleminckx. - Messieurs, je n'entends pas entrer en discussion avec l'honorable M. Guillery sur les points qu'il vient de traiter. Je veux seulement relever une erreur qu'il a commise.

Si, dit-il, les avocats sont affranchis de l'impôt patente en Belgique, en Angleterre, en France et ailleurs encore, c'est qu'ils ont à remplir des devoirs qui n'incombent pas aux médecins. Je ne veux pas entrer dans l’examen de cette question des devoirs remplis par les uns et les autres. Mais l'honorable M. Guillery s'est complètement trompé en ce qui concerne la France. En France, bien qu'on plaide d'office, comme ici, devant les cours d'assises, bien qu'il y ait là aussi des bureaux de consultations gratuites et toutes ces choses dont vient de parler l'honorable membre, les avocats payent patente.

M. Guillery.- Depuis quand ?

M. Vleminckx. - Depuis 1816, si je ne me trompe.

M. Guillery. - C'est une grave erreur.

M. Vleminckx. - Je déclare qu'en France les avocats payent patente. J'en ai eu la preuve sous les yeux ici, il y a deux ou trois ans, lorsque des pétitions nous ont été adressées sur la patente des médecins.

Donc ce qui se fait en France peut parfaitement se faire en Belgique, en Angleterre et partout. Les avocats vivent de leur profession comme les médecins ; il faut qu'ils payent patente comme eux.

M. Jacobs, ministre des finances. - Je n'ai pas l'intention d'intervenir dans la grande querelle des avocats et des médecins. Je me bornerai à une observation. Au nom des médecins, on plaide la question de dignité. Nous sommes humiliés d'être patentés, alors que les avocats ne le sont pas ! Mais si chacun se plaçait sur ce terrain, si chaque profession venait soutenir que sa dignité ne lui permet pas de payer une patente dont d'autres sont exempts, de profession en profession, il n'y aurait bientôt plus personne qui payât la patente.

En cette matière, il est dangereux d'anticiper sur la révision de la loi des patentes ; les réclamations seraient innombrables. C'est à ce moment qu'on devra examiner toutes les exemptions. Mais en ajournant à cette époque, je ne dois pas dissimuler à la Chambre que, d'après moi, je l'ajourne à un terme assez long. J'ai examiné la loi sur les patentes ; c'est une véritable mer à boire. Elle a été révisée, en France, en 1814 ; la loi de cette époque détermine de huit à neuf cents professions qui sont taxées chacune séparément.

On a parfois émis l'idée d'essayer d'établir de grandes catégories au lieu de taxer profession par profession ; mais jusqu'à présent on s'est efforcé vainement de déterminer ces grandes catégories et j'avoue que je n'y suis pas arrivé.

La Chambre attendra donc, au moins de la part du gouvernement actuel, la révision de la législation sur les patentes beaucoup plus longtemps que (page 216) la révision de la contribution personnelle. Je n'ai pas voulu le lui dissimuler.

M. Balisaux. - Avant de clôturer le débat, je tiens à constater que je n'ai nullement eu l'intention que m'attribue l'honorable M. Guillery de critiquer la profession d'avocat. J'ai été avocat pendant dix ans et j'ai toujours eu la plus profonde vénération pour la dignité de ma profession. Seulement, je me rappelle et je dois avouer que je n'y ai pas toujours trouvé ces sentiments de générosité que vient d'exposer l'honorable M. Guillery. J'ai exercé cette profession et je me suis fait payer tout en restant dans les limites de modération fixées par ma conscience.

On dit que les avocats n'ont pas d'action en justice pour réclamer leurs honoraires. Je crois qu'en droit, c'est une erreur. L'avocat n'a pas l'habitude de réclamer le payement de ses honoraires. Il croit qu'une action de cette nature serait indigne de la noblesse de sa profession.

Mais je crois que ce droit lui est acquis et que toute action dirigée en justice contre un client qui refuserait de payer serait recevable. Je reconnais que nous trouvons dans l'une et l'autre profession beaucoup de désintéressement, mais nous venons de constater encore, dans les temps difficiles que nous venons de traverser, que s'il existe du dévouement, du courage et de l'abnégation de soi-même, c'est surtout dans le corps médical que nous pouvons les chercher et les trouver.

- L'article est adopté.

- M. de Naeyer remplace M. Vilain XIIII au fauteuil.

Droit de débit de boissons alcooliques

« Droit de débit de boissons alcooliques : fr. 1,500,000 francs. »

M. Liénart. - Messieurs, le rapport de la section centrale du budget des voies et moyens nous apprend que quatre sections sur six se sont préoccupées du droit de débit de boissons alcooliques et de tabac, et je félicite le gouvernement de l'opinion qu'il a émise à ce sujet dans une réponse adressée à la section centrale.

« Bien loin d'avoir restreint le nombre de débits, ce moyen facile d'acquérir le droit de suffrage a contribué à la multiplication des établissements où se débitent les boissons alcooliques. Le droit de débit de boissons paraît condamné comme impôt général, apte à conférer le droit électoral. »

Rien n'est plus vrai, messieurs, que cette affirmation. L'augmentation considérable du nombre des débits, que nous sommes unanimes à déplorer dans l'intérêt de la moralisation des classes pauvres, est due, en partie au moins, à la valeur électorale de cet impôt.

Tous ceux qui ont été mêlés de près ou de loin à nos luttes politiques en ont rapporté cette impression et la statistique donne à ce sentiment une confirmation mathématique.

C'est, en effet, la loi du 1er décembre 1849 qui a attribué au droit de débit la valeur électorale.

Or, avant 1849, l'augmentation du nombre des débits est modérée et on peut même dire relativement lente ;

Dans les années 1857 et suivantes, l'ardeur des luttes électorales va croissant et le nombre de débits s'accroît presque parallèlement : de 1857 à 1867 la statistique signale une augmentation de 34,000 débits, soit 3,400 par an.

La mesure était comble et c'est à cette date que l'honorable M. Sabatier jeta le cri d'alarme et vint, sans prendre au préalable, ce dont je le félicite, l'avis du gouvernement qui n'aurait pas manqué de l'en dissuader, déclarer à cette tribune que la progression était devenue effrayante.

Heureusement que la consommation n'a pas suivi proportionnellement cette progression effrayante du nombre des débits, comme vous en trouverez la démonstration dans le discours prononcé par M. Jacobs dans la séance du 30 avril dernier.

Nouvelle preuve que l'augmentation que nous dénonçons n'a pas sa source dans le besoin de la consommation ; que cette augmentation ne suit pas la loi de l'offre et de la démunie ; qu'elle est soumise à une autre influence ; qu'elle obéit à un autre mobile, et que l'explication doit en être cherchée non pas uniquement dans l'ordre économique, mais bien aussi pour partie dans l'ordre politique.

L'honorable chef du cabinet ancien a allégué cette circonstance que l'économie financière de la loi de 1838 aurait entretenu un certain nombre de débits clandestins et que c'est la déclaration postérieure de ces débits déjà existants qui aurait déterminé cet écart considérable.

L'honorable membre expliquera par la, c'est possible, une certaine augmentation pendant les années 1849 et 1850. Mais cette circonstance ne nous donne pas la raison de l'augmentation toujours croissante du nombre des débits pendant les années qui ont suivi ce que j'appellerai la liquidation dés débits clandestins.

Cette liquidation, si tant est qu'elle ait eu lieu, a dû se faire pendant les années 1850 et 1851.

Or, en portant au passif de la loi de 1838 les augmentations de 1850 et 1851, j'arrive encore à ce résultat que, de 18140 à 1852, l'accroissement aurait été de 900 et que de 1852 à 1858 il aurait été de 2,350.

Après cela, je puis dire que l'expérimentation a été faite. Si l'on peut louer les modifications que la loi de 1849 a apportées à l'assiette de l'impôt, cet avantage a été balancé et au delà par les conséquences fâcheuses qu'elle a engendrées au point de vue moral. « Frapper, comme le remarque l'honorable M. Vandenpeereboom dans son ouvrage sur le Régime parlementaire, les débitants de boissons distillées d'un abonnement pour arrêter leur commerce, et puis, en raison de cet impôt, leur donner la capacité électorale, était illogique, » et puisque la valeur électorale de cet impôt a été, pour une grande partie, cause du mal, le remède est dans la transformation du droit, annoncée par le gouvernement et empruntée aux conclusions du remarquable rapport présenté au nom des députations permanentes par l'honorable M. de Mevius.

Celte transformation coupe court fort heureusement à la discussion qui, d'ancienne date déjà, a divisé la Chambre au sujet de la nature du droit de débit.

Grâce à cette transformation, nous rentrons dans l'esprit de nos lois électorales et de la Constitution,

Tel était déjà en 1838 le sentiment de plusieurs membres de la gauche, parmi lesquels je citerai au hasard MM. Devaux et Dolez, et je retrouve, après trente ans, la même opinion professée par M. Sabatier dans son rapport sur la proposition de loi due à l'initiative de M. Delcour.

« La base de notre système électoral, dit M. Sabatier, est d'admettre une certaine fortune comme présomption d'aptitude électorale, et le cens comme mesure de cette fortune. L'impôt de débit de boissons répond-il à cette théorie constitutionnelle ? Evidemment non. »

A en juger donc par ses patrons tant anciens que modernes, la suppression du droit comme impôt électoral n'est pas politique ; le serait-elle davantage dans ses résultats probables ?

J'ai laissé de côté la question de savoir quel est le parti qui a profité le plus de l'existence de cet impôt, parce que j'ai voulu maintenir le débat à une hauteur où il domine les partis et où on puisse l'envisager dans une vue plus sereine.

Cependant cette question a préoccupé l'ancienne majorité.

Les Annales parlementaires de 1868-1869 renferment le jugement de M. Frère-Orban sur ce sujet.

« Je crois, disait-il dans la séance du 2 décembre 1868, que vous devez être les premiers convaincus qu'un très grand nombre de cabaretiers votent dans le sens de votre opinion. Cela est incontestable. Tout ce que l’on peut dire, et je crois faire une concession très large, c'est qu'il y a, tout au plus, partage pour les deux opinions.

« J'ajoute que je fais cette concession, mais absolument sans croire à ce partage ; j'ai de fortes raisons de penser que le nombre des cabaretiers qui appuient l'opposition est plus considérable que celui des cabaretiers qui votent dans le sens de l'opinion libérale.

« M. Coomans. - N'importe dans quel sens. C'est mauvais.

« M. Frère-Orban. - C'est mauvais, je le veux bien. Mais nous constatons les faits, et je dis que vous vous fourvoyez au point de vue de l'intérêt de votre opinion, lorsque vous soutenez cette thèse. Vous avez là un contingent considérable, et s'il disparaissait, votre position serait affaiblie. Veuillez-y réfléchir. »

Le projet de transformation n'est pas seulement justifié, il est, au témoignage de l'honorable membre, marqué au coin du désintéressement politique.

Présente-t-il au moins le caractère antiréformiste que ses adversaires essayeront peut-être de lui prêter pour lui aliéner quelques suffrages ?

La crainte, messieurs, d'une diminution du nombre des électeurs serait de nature, en effet, à agir sur vos esprits, mais le projet de transformation proposé par le gouvernement ne justifie nullement cette crainte.

La diminution qui sera le fait de la suppression du droit de débit comme impôt électoral, sera balancée par l'augmentation du nombre des électeurs a résulter des cinq centimes additionnels aux contributions foncière, personnelle et de patente qui feront retour à l'Etat. En d'autres termes, la masse générale des impôts servant à former le cens restera la même, elle aura diminué du montant du droit de débit des boissons alcooliques et de tabac, par contre elle sera augmentée du produit des cinq centimes additionnels à percevoir au profit de l'Etat. Il n'y aura donc pas ou guère de changement.

(page 217) L'honorable M. Frère-Orban (si je le cite plus particulièrement, c'est qu'il a été mêlé, comme ministre des finances, plus qu'aucun autre membre a la discussion de cette question) nous a apitoyés, et avec une certaine raison, sur le sort d'une quantité de petits électeurs qui ne sont pas que cabaretiers et qui puisent seulement, dans le droit de débit, un supplément nécessaire pour la formation de leur cens.

Cette catégorie intéressante d'électeurs ne sera pas sacrifiée par la transformation projetée ; l'appoint que l'impôt sur le débit leur apportait, ils le trouveront dans les cinq centimes additionnels.

Je pense, en conséquence, que le gouvernement a résolu la question à la satisfaction générale. L'amendement qui a été déposé hier et sur lequel j'ai aussi apposé ma signature, ne fait que traduire en projet de loi la transformation annoncée par le gouvernement, et l'omission de l'impôt sur le débit de tabac est sans doute involontaire.

Si cependant il paraissait aux membres de cette assemblée que notre proposition ne se rattache pas régulièrement au budget des voies et moyens et qu'elle ne serait pas en situation, je suis autorisé à déclarer, au nom de ceux qui ont signé l'amendement avec moi, qu'ils sont disposés à la laisser renvoyer, par exemple, à la section centrale qui a examiné le budget des voies et moyens et qui, à cette occasion, est déjà entré en relation avec le gouvernement sur cette question ; dans ce cas, les développements dans lesquels je viens d'entrer pourront servir d'exposé dés motifs au projet.

La Chambre en décidera.

M. de Theux. - Messieurs, l'impôt sur le débit des boissons alcooliques a été présenté en 1838 et consacré en loi comme mesure fiscale. Il a été entendu alors positivement qu'aucun droit politique ne pourrait être la conséquence de cette taxe.

Le motif pour lequel cet impôt a été introduit était qu'on croyait qu'il était impossible d'augmenter le droit de perception à la distillation. Qu'est-il arrivé ? C'est que le droit, qui était de 50 centimes en 1838 par hectolitre de cuve-matière, est, aujourd'hui, par suite des lois successives, porté à 4 fr. 55 c. ; c'est-à-dire à plus de 9 fois le droit de 1838.

ïl est donc prouvé par là qu'on aurait pu, en 1838, augmenter le droit à la fabrication. Il était dès lors parfaitement inutile de recourir à un impôt sur le débit des boissons alcooliques.

Aussi, lorsque dans la session dernière, M. le ministre des finances a doublé le droit, j'ai proposé un amendement pour supprimer purement et simplement le droit de débit.

Messieurs, la convenance de cette suppression était comprise par tout le monde, en présence de l'augmentation de la perception directe à la distillation. M. le ministre des finances m'opposa la question préalable, disant que la suppression du droit de débit ne pouvait pas se rattacher au projet de loi qu'on discutait. La Chambre en a jugé de même. Dès lors. j'ai pris l'engagement avec un de mes honorables amis de proposer tous les ans la suppression du droit de débit au budget des voies et moyens, parce que là il n'y avait pas à nous objecter la question préalable.

C'est, messieurs, à cette promesse, à cet engagement, que je me suis décidé à satisfaire en proposant, avec l'appui de quelques collègues, la suppression du droit dont il s'agit. Je ne l'ai pas proposée pour l'année 1871 par les motifs qui ont été développés dans le sein de la section centrale. Le gouvernement a craint une perte subite de 1,750,000 francs ; j'ai donc voulu lui laisser le temps de parer à ce déficit, mais j'ai cru qu'il était nécessaire de faire la proposition dès maintenant pour que, l'année prochaine, on ne vienne pas de nouveau objecter qu'il y a un déficit à combler. Le gouvernement aura toute l'année 1871 pour pourvoir à ce déficit, si tant est qu'il soit nécessaire de substituer un autre impôt au droit de débit, car pour moi je n'en suis pas convaincu.

Je pense que l'impôt perçu directement sur les distilleries sera tellement considérable qu'on pourra, en 1871, se passer parfaitement de la recette du débit. Pour 1871, on a objecté que la loi de 1870 n'aurait pas, quant à la recette, son plein effet en 1871 et qu'il fallait temporiser.

En 1838, messieurs, on s'est proposé accessoirement par l'impôt un but moral : c'était de diminuer le nombre des débits de boissons. On n'a pas prévu ce qui arriverait et avec quelle facilité on s'emparerait de cet impôt pour créer des électeurs. Mais après 1849, on a reconnu de plus en plus combien la loi de 1838, au point de vue moral, avait manqué son effet. Il est donc temps, messieurs, de mettre un terme à cette situation qui est fausse en politique et de faire disparaître une disposition de loi qui, loin d'atteindre son but, a empiré la situation morale.

Je pense donc que la Chambre n'hésitera pas à voter la suppression de l'impôt de débit.

Je sais qu’on a objecté que cette résolution aurait pour effet de diminuer le nombre des électeurs : je crois, messieurs, que l'honorable ministre des finances trouvera le moyen de parer à cet inconvénient, mais dût-il ne pas trouver des moyens sérieux de maintenir le chiffre des électeurs, que ce ne serait pas pour moi un mal.

En effet, messieurs, examinez attentivement la disposition constitutionnelle pour le cens électoral. En première ligne : l'impôt foncier, en second lieu l'impôt personnel, et en troisième lieu l'impôt des patentes. Et notez bien que le Congrès, en ce qui concerne la patente, a cru devoir consacrer d'une manière expresse le droit politique attaché au payement de la patente, en l'inscrivant d'une manière toute spéciale, de crainte qu'on n'enlevât un jour le droit politique à cet impôt.

Mais voyez, messieurs, de quelle manière on peut arriver à déjouer les prévisions du Congrès. Supposez qu'on abolisse les droits de douane et les droits d'accise et qu'on remplace ces droits par un droit de débit sur chaque profession. Le droit de débit sur chaque profession créerait une catégorie nouvelle d'électeurs qui écraserait complètement les électeurs du chef de l'impôt foncier et de l'impôt personnel. Mais on peut aussi procéder d'une autre manière pour écraser l'intérêt commercial et industriel ; ce serait de supprimer le droit de patente ou de le diminuer tellement qu'il n'eût plus qu'une importance minime dans le corps électoral. Pour cela, il suffirait de convertir les impôts indirects qui pèsent sur la propriété en contribution directe. Alors on doublerait le nombre des électeurs fonciers, en même temps qu'on supprimerait en grande partie les électeurs anciens au titre du droit de patente. Je crois que l'une et l'autre de ces mesures serait une fraude à la Constitution, que la législature ne doit pas consacrer.

Ce que je dis pour les mesures générales d'une aussi grande importance, je le dis également pour le droit de débit des boissons distillées. Qu’a-t-on voulu frapper ? Evidemment la consommation des boissons alcooliques. Les débitants de boissons ne les consomment pas, ils les vendent. Eh bien, cette vente qui peut s'opérer sans avoir une fortune tant soit peu notable, accorde un droit électoral faux et je dirai qu'à coup sûr, parmi tous les impôts qui donnent le titre d'électeur, c'est celui qui a le moins de titres à la confiance du pouvoir législatif.

Assurément, si une pareille proposition avait été faite au Congrès, elle eût été rejetée.

Je crois donc qu'après des discussions si longtemps renouvelées et si persistantes, il est temps de mettre fin à cette question et de la résoudre en supprimant cet impôt au profit de l'Etat.

Les provinces et les communes l'établiront, si elles le jugent convenable, à leur profit. Mais au moins, ce ne sera plus un droit au profit de l'Etat, qui en perçoit assez pour son compte, par les augmentations successives des droits à la distillation.

Je crois qu'il n'y a véritablement pas d'objections graves à opposer à la proposition que nous avons l'honneur de présenter et j'espère que la Chambre voudra bien l'adopter.

Si la Chambre ne croyait pas devoir l'adopter en ce moment, je me rallierais à la proposition de l'honorable M. Liénart de la renvoyer à la section centrale du budget des voies et moyens qui s'est déjà occupée, dans une certaine mesure, de cette question. Qu'on en fasse l'objet d'une loi spéciale et que cette section centrale nous fasse un rapport ; cela m'est indifférent. Mais dans mon opinion, ce renvoi est inutile. Je crois que les convictions sont parfaitement faites depuis longtemps et qu'un nouveau rapport n'y apportera aucun changement.

M. Muller. - Faites de votre proposition une proposition de loi spéciale et qu'elle soit renvoyée aux sections.

M. Jacobs, ministre des finances. - Vous avez entendu les honorables membres proposer le renvoi de leur proposition à la section centrale ; je crois qu'ils ont raison de ne pas mêler cette discussion à celle du budget des voies et moyens.

S'il n'y avait que la première partie de leur proposition, celle qui fixe l'époque à partir de laquelle le droit de débit cessera d'exister, sa place serait plutôt au budget des voies et moyens de l'année prochaine.

Quant au second paragraphe de la proposition, il a un caractère électoral qui se concilie mal avec les dispositions qui se trouvent inscrites dans le budget des voies et moyens.

Mieux vaut faire de leur proposition une proposition séparée et d'en ordonner le renvoi. La même chose a été faite, dans différentes circonstances, à la demande du gouvernement. Lorsque l'honorable M. Delcour, l'année dernière, a fait une proposition du même genre, le renvoi a été ordonné.

L'an passé la Chambre, après avoir adopté au premier vote une proposition excluant de la tutelle des commissaires d'arrondissement les (page 218) communes de 5,000 âmes, au second vote a renvoyé cette proposition à la section centrale.

Je ne crois donc pas qu'il y ait lieu de discuter davantage en ce moment, il vaut mieux attendre qu'un rapport ait été fait sur cette proposition spéciale.

M. Bouvier. - Je demande le renvoi aux sections.

M. de Theux. - Je crois qu'on pourrait se borner à renvoyer la proposition a la section centrale du budget des voies et moyens. Plusieurs fois des propositions ont été renvoyées ainsi à la section centrale qui s'était occupée de l'objet principal de la proposition. La proposition actuelle se rattache encore plus au budget des voies et moyens qu'à la législation électorale.

Je crois donc, je le répète, que le plus simple serait de renvoyer la proposition à la section centrale du budget des voies et moyens, car, en définitive, il importe que la question soit résolue avant la prochaine confection des listes électorales.

La révision des listes s'opère au mois d'août.

Remarquez que les listes ont été faites au mois d'août dernier et qu'elles doivent servir pendant toute l'année 1871, même jusqu'au mois de mai 1872. Il ne serait donc porté aucune espèce de préjudice au droit électoral des débitants de boissons.

M. Muller. - Messieurs, il y a, dans la proposition des honorables membres, deux parties tout à fait distinctes : dans le premier paragraphe de cet amendement, on propose qu'à partir de 1872 le droit de débit de boissons distillées soit supprimé ; on nous ferait donc statuer, lorsque nous avons à examiner le budget de 1871, sur ce que nous ferons en 1872 ; on nous propose de décider qu'en 1872 le produit résultant du droit de débit des boissons alcooliques sera supprimé et nous ne statuerions pas sur les ressources par lesquelles ce produit serait remplacé.

Le deuxième paragraphe a une tout autre portée qu'une portée financière, qu'une portée fiscale ; il touche à la loi en vigueur en ce qui concerne l'exercice du droit électoral.

Eh bien, il est évident que vous ne pouvez pas renvoyer une semblable disposition à la section centrale du budget des voies et moyens, parce que cette section centrale a été composée de membres choisis dans chacune des six sections sans aucune prévision que la question qui nous occupe en ce moment serait soumise à cette Chambre.

Selon moi, la proposition est assez grave pour que vous en fassiez l'objet d'un projet de loi et pour que vous la renvoyiez à l'examen des sections qui alors nommeront chacun un rapporteur à la section centrale. Il serait irrégulier qu'une proposition incidente, qui n'a aucune espèce de rapport avec le budget des voies et moyens, fût renvoyée directement à la section centrale qui nous a fait rapport sur cet objet.

M. Delcour. - Messieurs, vous êtes en présence de deux propositions : l'une qui tend à renvoyer à l'examen de la section centrale qui nous a fait rapport sur le budget des voies et moyens, la proposition que j'ai eu l'honneur d'appuyer conjointement avec quelques-uns de mes amis ; l'autre qui tend à la renvoyer aux sections.

Lorsque en 1868, j'ai déposé un amendement identique à celui qui nous est soumis aujourd'hui, la Chambre l'a renvoyé aux sections. Depuis lors, messieurs, un travail considérable a été fait : c'est le rapport de M. Sabatier sur mon amendement, rapport qui est entre les mains de tant de monde et qui a parfaitement élucidé la question dont il s'agit.

Le règlement nous permet de nommer une commission spéciale, et comme il s'agit en définitive d'une question connue, d'une question dont l'opinion publique a été longtemps occupée, et par la presse et par les discussions du parlement, je pense qu'on pourrait s'arrêter à ce moyen.

Mais, messieurs, la section centrale qui examine le budget des voies et moyens n'est-elle pas une commission spéciale selon le vœu de la Chambre ? Celle section centrale n'a-t-elle pas été elle-même saisie de la question ? Elle l'a été si bien, que dans plusieurs sections l'amendement que nous avons déposé a été examiné et soumis à l'appréciation du gouvernement. Le gouvernement nous a donné des explications complètes à cet égard et nous a fait connaître ses vues.

Il me semble donc que renvoyer la proposition aux sections pour en faire l'objet d'un projet spécial, c'est évidemment chercher des lenteurs que nous pouvons éviter en nous adressant directement à la section centrale. Si cette section centrale n'avait pas été appelée à examiner la question, je comprendrais les objections qu'on soulève, mais ce n'est pas ici le cas ; non seulement elle a examiné la question, mais elle a encore consulté le gouvernement et elle connaît parfaitement l'état des choses.

Par conséquent, je crois que nous pouvons, conformément au règlement, considérer, pour le cas dont il s'agit, la section centrale qui a examiné le budget des voies et moyens, comme une commission spéciale et c'est la proposition formelle que je fais.

M. Vandenpeereboom. - Messieurs, la proposition qui nous est soumise n'est évidemment pas un amendement, c'est une proposition, de loi nouvelle qu'on nous présente. Elle ne se rapporte pas même au budget qui est en discussion en ce moment.

Elle se rapporte éventuellement au budget de l'année prochaine et elle tranche, en outre, une question électorale.

A la rigueur, messieurs, nous aurions le droit d'exiger que cette proposition suive la filière réglementaire. Le règlement est la garantie des minorités et il suffit qu'un seul membre de cette Chambre en demande l'exécution pour que la Chambre ne puisse pas s'y opposer. De sorte que si un seul membre demandait le renvoi de la proposition aux sections, la Chambre devrait le prononcer.

Quant à moi, messieurs, je ne me prononce pas en ce moment sur le fond de la proposition ; elle mérite un examen sérieux, parce qu'elle peut soulever des questions très importantes.

Pour accélérer cet examen, je proposerai à la Chambre de renvoyer... je ne sais trop comment appeler la chose : ce n'est pas une proposition, ce n'est pas un amendement..., enfin de renvoyer la proposition à la section centrale chargée de l'examen du projet de réforme électorale.

Et je déclare que si, par hasard, ma proposition n'était pas adoptée, je ferais appel au règlement pour que la proposition suive la filière ordinaire. La Chambre ne pourrait pas s'y opposer.

M. de Theux. - Si la Chambre abolit le droit de débit des boissons distillées, il est évident que personne ne pourra plus se prévaloir de ce droit. Or, d'après notre proposition, en 1872, personne n'aura plus un centime à payer.

M. Muller. - Mais le droit pourrait compter pour 1870 et 1871.

M. de Theux. - Oui...

M. Frère-Orban. - Vous proposez qu'il ne compte pas...

M. de Theux. - Vous n'avez pas lu la proposition. La liste qui a été faite en 1870 servira, aux termes de la dernière loi électorale, pour les élections jusqu’au mois de mai 1872 ; il est donc clair que tous les débitants inscrits pour 1871 conservent le droit électoral.

M. Muller a perdu de vue la dernière loi électorale.

Je ne m'oppose pas absolument au renvoi de la proposition à la section centrale chargée de l'examen du projet de réforme électorale, mais je ferai remarquer que ce projet est déjà assez compliqué pour qu'on n'y joigne pas encore des questions d’impôt.

Je crois donc que pour faciliter nos travaux, il serait préférable de renvoyer la proposition à la section centrale qui a examiné le budget des voies et moyens.

M. Rogier. - La question soulevée par M. de Theux est très importante.

Que veut l'honorable membre ? Supprimer du nombre des électeurs un certain nombre d'industriels qui, dit-on, font de fausses déclarations. Pour cela, il propose la suppression de la patente spéciale pour le débit des boissons distillées.

Lorsque cette patente a été établie, quoi qu'en dise M. de Theux, elle avait un but moral ; on espérait par là empêcher la multiplication des débits. II a été fait abus de cette patente : on l'a transformée en un moyen électoral ; le gouvernement ne s'attendait pas à ce résultat. Son but, un des buts de la loi était surtout de restreindre le nombre de débits de boissons.

Que proposent l'honorable M. de Theux et ses honorables collègues ? Ils proposent de supprimer cette barrière, de laisser à tout le monde, au premier venu, la faculté d'ouvrir un débit de boissons. Ainsi, messieurs, dans le but de supprimer un certain nombre de faux électeurs, vous allez multiplier à l'infini le nombre des plus misérables débitants. Est-ce là le but moral que l'on veut atteindre ?

Se peut-il que, pour obtenir un avantage électoral plus ou moins douteux, d'après ce qui s'est passé, on veuille s'exposer à cet inconvénient bien autrement grave de multiplier outre mesure le nombre des débits de boissons ?

M. le président. - Permettez-moi de vous faire remarquer, M. Rogier, que nous discutons en ce moment la question du renvoi de la proposition.

M. Rogier. - Veuillez me permettre de continuer, M. le président ; vous verrez que je suis parfaitement dans la question.

Je dis que ma proposition de renvoi aux sections est très sérieuse et je demande la permission de justifier cette opinion.

(page 219) On a, messieurs, émis l'idée de transmettre aux provinces et aux communes la faculté d'établir à leur profit la patente sur le droit de débit. Eh bien, je fais remarquer à l'honorable M. de Theux que, dans ma section, la proposition a été faite de compter pour la formation du cens électoral, communal et provincial les impôts payés à la commune et à la province. Or, si cette proposition, qui peut se défendre, était adoptée, il s'ensuivrait que les débitants de boissons deviendraient, par le fait de leur patente communale et provinciale, des électeurs communaux et provinciaux.

Or, ce n'est pas là ce que l'on peut vouloir ; c'est surtout dans les élections communales que l'on veut, au contraire, chercher à prévenir ou à arrêter l'abus de la multiplicité des électeurs, débitants de boissons.

Je dis donc, messieurs, que la question a de l'importance et qu'elle mérite un examen en sections.

Je fais remarquer, au surplus, qu'en ce moment les sections ne sont pas surchargées de travail et qu'elles ont tout le loisir de s'occuper de cette question. J'en fais la proposition formelle.

M. Tack. - Messieurs, je crois qu'il faut viser à ce résultat, c'est de faire discuter le plus tôt possible la proposition qui nous est faite, tout en respectant notre règlement.

Dans cette vue j'aime mieux voir renvoyer la proposition aux sections que de la voir soumettre à l'examen de la section centrale chargée d'examiner le projet de loi de réforme électorale.

Nous ignorons quand la discussion de ce dernier projet aura lieu ; il renferme de nombreux articles et donnera lieu à de longs débats ; à mon sens le renvoi aux sections n'occasionnera pas un long retard.

L'honorable M. Muller aperçoit deux dispositions distinctes et qui n'ont point entre elles de corrélation nécessaire, dans les deux paragraphes de la proposition qui est soumise à la Chambre.

Pour moi, le second paragraphe est une conséquence du premier, mais j'ajoute qu'il est quelque chose de plus. Car il doit avoir pour effet de ne pas comprendre dans le cens électoral le droit de débit sur les boissons alcooliques qui sera perçu en 1871.

M. de Theux. - Pour ne pas prolonger cette discussion, je consens à ce que la proposition soit renvoyée aux sections. Je propose en même temps de fixer l'examen en sections à mercredi prochain ; car je ne veux pas qu'on enterre notre amendement, en ne fixant pas le jour où l'on s'en occupera dans les sections.

M. le président. - La parole est à M. Muller.

M. Muller. - J'y renonce.

M. le président. - Puisqu'on abandonne la prétention de renvoyer la proposition, soit à une commission spéciale, soit à la section centrale, et qu'on est maintenant d'accord avec moi pour demander le renvoi aux sections, le renvoi aux sections est prononcé.

Les sections seront convoquées mercredi prochain pour examiner la proposition.

- Personne ne demandant plus la parole, l'article relatif au débit des boissons alcooliques est adopté.

Droit de débit de tabacs

« Droit de débit de tabacs : fr. 250,000. »

- Adopté.

Redevances sur les mines

« Principal : fr. 507,000. »

- Adopté.


« Dix centimes additionnels ordinaires pour non-valeurs : fr. 51,000. »

- Adopté.


« Trois centimes extraordinaires sur la redevance proportionnelle pour frais de confection d'une carte générale des mines : fr. 15,000. »

- Adopté.


« Cinq centimes sur les trois sommes précédentes pour frais de perception : fr. 27,000. »

- Adopté.

La suite de la discussion du budget des voies et moyens est remise à demain.

La séance est levée à 4 heures trois quarts.