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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 23 novembre 1870

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1870-1871)

(Présidence de M. Vilain XIIII.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 169) M. Wouters procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart et donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

- M. de Naeyer remplace M. Vilain XIIII au fauteuil.

Pièces adressées à la Chambre

M. Wouters présente l'analyse suivante des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Le secrétaire communal de Soulme demande que l'avenir des secrétaires communaux soit assuré ; que leur traitement soit mis en rapport avec l'importance de leur travail et des services qu'ils rendent aux administrations communales, provinciales et générale. »

M. Van Renynghe. - Comme cette pétition mérite d'attirer l'attention très sérieuse de la part de la Chambre et que d'ailleurs elle a un caractère d'urgence, je demande qu'elle soit renvoyée à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport.

- Adopté.


« Des habitants de Beaumont demandent la prompte et complète exécution du chemin de fer de Frameries à Chimay avec embranchement de Beaumont sur Thuin. »

M. Hagemans. - Je demande le renvoi de cette pétition à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport. Je demande en outre que la commission comprenne dans son rapport toutes les pétitions ayant le même objet.

- Adopté.


« La dame Délier demande un congé illimité pour son mari, milicien de 1865, servant au 2ème régiment d'artillerie. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Legrand demande que les militaires français faits prisonniers soient désarmés et ensuite mis en liberté. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Liège prient la Chambre d'adopter la proposition relative à la révision des articles 47, 53 et 56 de la Constitution. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion sur la prise en considération de la proposition.


« Des habitants de Bruxelles prient la Chambre d'adopter le projet de loi sur la réforme électorale et de décréter, pour toutes les élections indistinctement, le vote à la commune. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.


« M. Pety de Thozée, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé de quelques jours. »

- Accordé.


« M. Nothomb, empêché par des devoirs de famille urgents, demande un congé de quelques jours. »

- Accordé.


« M. Orts, retenu chez lui par un deuil de famille, demande un congé. »

- Accordé.


M. Vilain XIIII. - Messieurs, il est arrivé tout à l'heure au bureau de la Chambre une pétition d'une femme pauvre et sur le point d'accoucher, qui demande que la Chambre veuille bien être son intermédiaire auprès de M. le ministre de la guerre, pour que son mari milicien et incorporé obtienne un congé illimité. J'aurais pu proposer le renvoi de cette pétition à la commission des pétitions, avec prière de faire un prompt rapport ; mais cela durerait trop longtemps ; j'aime mieux aller tout de suite au fond. Je demande donc à la Chambre l'autorisation d'interpeller demain M. le ministre de la guerre sur la question de savoir si, oui ou non, il y a encore des miliciens mariés sous les drapeaux.

- De toutes parts. - Oui ! oui !

- La proposition de M. Vilain XIIII est adoptée.

Projet de loi portant le budget du ministère des finances pour l’exercice 1871

Rapport de la section centrale

M. Thonissen. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau, de la Chambre le rapport de la section centrale, qui a été chargée d'examiner le budget des finances.

- Impression, distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.


M. le président. - Conformément ù une décision prise hier par la Chambre, le bureau a nommé deux commissions, chargées d'examiner respectivement le projet de révision du code de commerce et le projet de loi relatif à la réunion de l'ancienne commune de Mont-Hadelin aux canton et arrondissement judiciaires de Verviers.

Ces commissions sont composées :

La première : de MM. Vermeire, Pirmez, Cruyt, Van Iseghem, Gerrits, Van Humbeeck et Liénart.

La seconde : de MM. Moncheur, Muller, Simonis, Lefebvre et de Macar.

Proposition de loi proposant de déclarer qu’il y a lieu à réviser les articles 47, 53 et 56 de la Constitution

Prise en considération

M. Coomans. - Messieurs, j'avais préparé un discours, mais je ne le prononcerai pas. Je me bornerai à motiver en peu de mots mon vote, qui est en quelque sorte un vote forcé, parce qu'il m'est imposé par tous mes antécédents et par ma conscience.

La loi électorale me paraît mauvaise, dangereuse, injuste ; aussi en ai-je demandé depuis longtemps la réforme ; je dois donc adhérer à toutes les propositions qui tendent à ce but. Celle de l'honorable M. Demeur et consorts est la plus grave de toutes ; elle peut offrir des inconvénients, je le sais ; elle peut sembler inopportune, peut-être dangereuse, je n'en disconviens pas, mais j'en voterai la prise en considération pour cette raison principale qu'au-dessus de toutes les considérations politiques imaginables plane l'intérêt supérieur de la justice.

La Constitution est respectable, la nationalité est respectable, mais il y a quelque chose de plus respectable encore : c'est la raison, c'est la justice.

On s'est borné à nous dire,- je dis « nous » parce que j'aurais signé la proposition si l'on m'avait fait l'honneur de me le demander,- on s'est borné à nous dire que la proposition de modifier notre pacte fondamental est inopportune. J'en conviens ; le moment est mal choisi. Je ne dis pas cela aux nouveaux représentants qui l'ont signée, mais je puis le dire à d'anciens membres de cette Chambre qui n'ont eu garde, pendant qu'ils étaient les maîtres, de formuler une pareille proposition.

Ils l'ont fait aujourd'hui de bonne foi, je n'en doute pas, ils en désirent le succès, je le veux bien, mais ils l'ont fait probablement pour se débarrasser un peu plus vite de la majorité nouvelle ou pour créer des embarras (page 170) au gouvernement. Je n'insiste pas sur ce point. Je regrette cependant que d'anciens membres de cette assemblée, lorsqu'ils étaient eux-mêmes tout-puissants, n'aient pas pris l'initiative qu'ils prennent aujourd'hui. Je suis convaincu qu'ils sentent profondément la nécessité de modifier largement notre législation électorale ; je les en félicite et je m'en félicite aussi.

Je conçois donc que dans les rangs de la majorité nouvelle on éprouve une certaine répugnance à l'égard de la proposition de l'honorable M. Demeur et je le répète, je conçois les raisons d'excessive prudence qui détermineront les votes de la plupart de mes amis politiques. Quant à moi, je viens de reconnaître l'inopportunité de la proposition ; aussi engagerais-je ses honorables auteurs, si la prise en considération était votée, de ne pas insister sur la discussion immédiate du fond, et d'attendre le moment où, dégagés des préoccupations extérieures, extérieures à la question, nous pourrons tous ensemble examiner cette réforme devenue indispensable et jugée indispensable, je ne crains pas de le dire, malgré tous les désaveux dont je vais être l'objet, jugée indispensable par l'immense majorité de cette assemblée.

On nous dit : Nous ne pouvons pas voter la prise en considération parce que ce serait reconnaître que la Constitution est discutable, qu'il y a quelque chose à y faire. Mais, messieurs, cette prise en considération ne préjugera pas plus la question que ne l'a fait le vote des sections. Si les sections avaient usé ou, selon moi, abusé de leur droit de refuser la lecture de la proposition de l'honorable M. Demeur, on aurait pu invoquer l'argument que je caractérisais tout à l'heure et dire que les sections avaient agi de la sorte pour mettre tout de suite au-dessus de toute discussion une réforme constitutionnelle.

Mais dès que les sections ont jugé la proposition assez sérieuse pour être discutée à la Chambre (car en définitive les signataires ont le droit de discuter à fond) ; dès que les sections ont pensé ainsi, la Chambre a voté d'avance la prise en considération. (Interruption.)

Je réponds à des interruptions assez incohérentes qui se produisent autour de moi. Je précise : ou bien l'examen préalable en sections ne signifie rien ou il signifie ce que je viens de dire.

Ceux de mes honorables amis et adversaires qui pensent qu'il ne fallait pas mettre en discussion la possibilité d'une réforme constitutionnelle, ne devaient pas en sections admettre la lecture à la tribune. Ayant admis cette lecture, ils sont obligés, selon moi, pour rester logiques, de voter la prise en considération.

Messieurs, cette prise en considération ne préjuge rien. Après l'avoir votée, après avoir rendu cet hommage non seulement aux honorables membres en grand nombre qui ont signé la proposition, mais à la question en elle-même, la Chambre reste parfaitement libre et de fixer l'époque où la proposition sera discutée, et même de la rejeter. Et en supposant même la proposition votée, la législature sera parfaitement libre de conserver, si elle le veut, notre détestable régime électoral d'aujourd'hui. On se sera borné à écarter une barrière.

Eh bien, messieurs, en reconnaissant que hic et nunc la suppression de cette barrière peut offrir quelques inconvénients, je serais charmé qu'on pût accomplir cette opération le plus tôt possible.

Il me paraît, messieurs, que l'on exagère le caractère sacro-saint de la Constitution. Il me semble même, je prendrai la liberté de le dire, qu'on exagère le mérite de la Constitution de 1831. Pour ne pas sortir de la question qui nous occupe, du système électoral, il ne m'est pas démontré du tout que la Constitution soit encore un modèle. Je déclare qu'à ce point de vue, la Constitution est devenue le papier politique le plus rétrograde du monde entier.

En 1831, le cens minimum à 20 florins était un progrès notable et je conçois que l'Europe l'admirât. Partout ailleurs, le cens était élevé ; en France, il était de 200 francs. En Angleterre, il était très haut ; en Hollande aussi ; et dans d'autres pays, il n'y en avait pas du tout, parce qu'il n'y avait pas d'électeurs. Mais il est clair qu'alors notre Constitution était un modèle, un immense pas en avant dans ce qu'on appelle le progrès social et politique. Mais au bout de quarante ans, quand on ne marche pas et que les autres marchent, on finit par rester singulièrement en arrière.

Or, c'est notre cas ; et quand une voix amie nous disait hier que l'Europe admirait fort notre Constitution et qu'elle serait étonnée et scandalisée de nous y voir porter une main réformatrice, était-ce bien à l'article 47 qu'on a voulu faire allusion ?

Mais l'Europe entière ne veut plus de cet article-là. Je suis sûr que si la Russie, mieux inspirée, adoptait quelque progrès politique au lieu de s'attacher toujours au progrès militaire, que si la Russie dotait les Moscovites d'un régime électoral, ce ne serait pas l'article 47 qu'elle adopterait. (Interruption.)

Les Turcs n'en voudraient pas non plus ! Dans toute l'Europe il n'y a plus d'article 47 ; le suffrage universel existe plus où moins partout. Je puis laisser de côté les développements de cette proposition ; M. Demeur nous les a donnés hier avec une exactitude mathématique et historique. Je suis persuadé que l'Europe trouverait tout simple que nous révisions cet article 47 et que nous suivions l'exemple des Allemands, des Anglais, des Espagnols, des Italiens, à peu près de tous les peuples.

Il est assez étrange que tant de libéraux s'attachent à notre suffrage restreint à 42 fr. 32 c., pas un centime de moins, alors qu'ils admirent presque toujours les révolutions progressistes qui se font en Espagne et ailleurs. Est-il donc bien démontré que les Belges sont le peuple du monde le plus indigne d'exercer ses droits politiques ? C'est un singulier moyen d'exalter le patriotisme des Belges que de les déclarer moins avancés, moins moraux, moins éclairés que les peuples qu'on est convenu de qualifier de rétrogrades par excellence.

Messieurs, de la manière dont j'entends les suites à donner à la proposition de l'honorable M. Demeur, la Chambre devrait être unanime à la voter. Il est bien entendu que l'on attendrait un temps normal, des circonstances favorables pour discuter à fond, mais nous déclarerions ce qui est au fond de nos consciences et ce qui est démontré par l'expérience, que votre système électoral est détestable et réellement impopulaire. Du reste, ne fût-il pas impopulaire, eût-il quelques bons résultats, ce dont je doute, je n'en voudrais pas encore, parce qu'il est injuste.

Messieurs, j'ose tout dire quand je suis l'objet de tant de bienveillance. Eh bien, je dirai que l'article 47 de la Constitution est inconstitutionnel. (Interruption.)

Quelle est la base de la Constitution ? C'est la souveraineté nationale : « Tous les pouvoirs émanent de la nation. » Et quelle est la nation ? C'est la moitié plus un des Belges, c'est la majorité. (Interruption.) II n'y a qu'une nation, c'est la majorité. Eh bien, quand la Constitution proclame la souveraineté nationale, elle déclare que c'est la majorité qui doit faire la loi, que la loi doit être faite selon la volonté de la majorité.

C'est donc une pure inconséquence commise par les auteurs de la Constitution que d'avoir établi, à tout jamais, un cens élevé, c'est-à-dire d'exclure la grande majorité de la nation de l'exercice de la souveraineté nationale.

Voilà comment je trouve que cet article est inconstitutionnel ; en d'autres termes, contraire à l'esprit de la Constitution.

L'honorable M. Balisaux vous a fait aussi des remarques justes ; il y a, comme il l'a dit hier, d'autres articles de la Constitution qui sont également inconstitutionnels.

C'est le droit donné au Roi de faire la guerre, sans avoir consulté le vrai souverain ; c'est la confiscation du droit qu'a toute majorité de modifier la loi en cas de vacance du trône.

Ne soyons ni étonnés ni scandalisés de ce que je viens de dire. Les inconséquences sont nombreuses, dans les Constitutions comme dans les livres, comme chez les hommes.

J'ai toujours cru que notre régime électoral est contraire à la Constitution, et à ma conviction théorique s'est jointe l'expérience pratique qui la confirme.

Il y a bien d'autres choses à dire à ceux qui trop lestement nous interdisent de faire au moins une réforme constitutionnelle, selon le sens de l'article 131, qui est le meilleur.

On pourrait leur demander si une génération a le droit de lier à perpétuité les suivantes ; je dis à perpétuité, car, dès que vous admettez, par exemple, que le Congrès avait le droit d'exiger les deux tiers des suffrages pour porter à la Constitution les changements jugés nécessaires, vous devez accorder au législateur constituant le droit d'exiger l'unanimité.

Cette unanimité a été exigée dans beaucoup de pays. Le droit de veto a été souvent pratiqué en Pologne et ailleurs.

Si le législateur constituant avait le droit d'exiger les deux tiers des votes pour apporter un changement à la Constitution, il avait le droit d'exiger l'unanimité, c'est-à-dire d'opposer à tout jamais sa volonté à celle de la nation belge ! Quelle exigence !

Je ne porte pas jusque-là le respect des législatures constituantes. Nos pères de 1830 n'avaient pas d'autre droit que nous et dès qu'ils ont proclamé la souveraineté nationale, nous avons le droit et le devoir de la pratiquer.

Je regrette que ce chiffre de deux tiers soit exigé dans la Constitution, parce que c'est là encore un article inconstitutionnel.

Quoi ! il faudra les deux tiers ; c'est-à-dire qu'un tiers de la nation pourra imposer sa volonté à la nation tout entière ? Vous parlez de périls ; en voilà un. Je suppose que la proposition (page 171) Demeur passe, que la Chambre décide qu'il y a lieu de supprimer l'article 47, de faire une autre législation électorale. Je suppose qu'il n'y ait que les deux tiers moins une voix qui votent une réforme électorale et que le tiers plus une voix décide le contraire.

Voilà donc, bien la volonté nationale vinculée.

Pourrez-vous encore pratiquer cet article constitutionnel flétri par la grande majorité de la nation ? C'est une difficulté grave. Messieurs, examinons ces choses avec sang-froid, au point de vue de la logique, de l'intérêt public, de la volonté nationale et non pas avec ce fétichisme qui souvent précipite les obstinés vers les abîmes.

Je n'ai plus qu'un point à justifier.

Je vous ai dit tantôt que je place la justice au-dessus de tous les intérêts. Je maintiens ce mot, mais je l'explique. Pour moi il suffit que la justice parle pour que je l'écoute quels que soient les inconvénients et les périls d'un pareil accueil. Et pourquoi pas ? Ne voyons-nous pas des peuples tout entiers courir les aventures les plus périlleuses pour une question d'honneur national qui n'est souvent qu'une question d'amour-propre national.

On empile les cadavres pour une question d'amour-propre national, on commet des horreurs sous prétexte d'exercer ce qu'on appelle le noble métier des armes, et ce que j'appelle, moi, l'ignoble métier des armes, quand il s'inspire de l'esprit de conquête.

Pour une question d'amour-propre national, on tue une partie d'une nation, on la ruine tout entière, et je ne pourrais pas, moi, risquer quelque chose ! Je veux bien reconnaître qu'il y a un petit péril à discuter aujourd’hui la réforme de la Constitution. Mais n'avons-nous pas tous applaudi à la noble, à la magnifique décision que les Etats-Unis du Nord ont prise de faire la guerre aux Etats du Sud, non pour un intérêt national, les intérêts nationaux étaient contraires à cette lutte fratricide, Mais pour une question de principe, de justice, pour la question de l'esclavage.

Nous avons tous applaudi à cette lutte, quelque sanglante et abominable qu'elle ait été dans ses épisodes. Et pour un petit péril, qui n'existerait pas même si les auteurs de la proposition voulaient se montrer prudents et ajourner l'examen à fond, pour un petit péril que l'on ne peut concevoir que par peur, j'allais dire par lâcheté civile, pour un petit péril, nous reculerions devant la solution de ce que nous reconnaissons tous au fond de notre conscience comme un problème de justice !

Je ne puis admettre cela et moi je dirai toujours : Périssent les colonies, périsse tout plutôt que la justice et je voterai pour la prise en considération quelles qu'en soient les conséquences.

M. le président. - La parole est à M. Defuisseaux.

M. Defuisseaux. - Si un orateur est inscrit pour parler contre la proposition, je lui céderai volontiers mon tour de parole.

M. le président. - La parole est à M. de Theux.

M. de Theux. - On a souvent vanté la sagesse du Congrès dans l'élaboration de notre Constitution ; quant à moi, je trouve le principal signe de cette sagesse dans l'article qui rend la révision de la Constitution difficile. Le Congrès a compris qu'il devait mettre son œuvre à l'abri de l'instabilité.

C'est pour cela que si le pouvoir législatif croyait opportun de réviser la Constitution, les deux Chambres devraient être dissoutes, que de nouvelles Chambres devraient être constituées et que les modifications proposées a la Constitution devraient réunir au moins les deux tiers des voix des deux Chambres.

Le Congrès national en faisant une œuvre aussi nouvelle que la sienne, qui était si peu en harmonie avec les législations constitutionnelles de l'Europe, a voulu avant tout lui assurer des garanties de stabilité. Le Congrès national a largement devancé l'esprit de l'époque.

Il fallait obtenir à la Constitution l'assentiment du pays et l'assentiment de l'étranger ; il lui fallait aussi l'épreuve du temps. Dans mon opinion, la Constitution n'a fait que se consolider d'année en année dans l'opinion du pays, dans l'amour du pays, dans l'opinion de l'étranger et dans le respect de l'étranger.

On ne peut prétendre que dans les élections générales qui ont eu lieu au mois d'août, à la suite de la dissolution des deux Chambres, on avait posé devant le pays la question de la révision de la Constitution et que la proposition faite aujourd'hui était la conséquence de ces élections.

Or, messieurs, je ne puis admettre que la Belgique, aujourd'hui si calme et si respectée par tout le monde, même par les puissances belligérantes sur nos frontières, que la Belgique, méconnaissant les bienfaits immenses de cette sécurité, méconnaissant les garanties nouvelles de neutralité que l'Europe nous a données, aille se lancer dans les aventures et courir au-devant d'éventualités dont il est impossible de prévoir la gravité.

Il faut bien le dire, messieurs, quand on remanie un système électoral, il est bien difficile de prévoir où l'on aboutira. Et quant à celle que renferme en germe la proposition qui nous est soumise, avons-nous jamais eu l'occasion de discuter la question du suffrage universel ?

Or, messieurs, s'il se peut que, dans des circonstances données, le suffrage universel produise de bons résultats, il se peut aussi qu'il ait les plus fâcheuses conséquences. Dans tous les cas, je le répète, ma conviction profonde est que, quand un pays a une position forte, certaine, excellente, il est bien imprudent et peu sage de courir au-devant d'éventualité» dont il est impossible de prévoir les effets. Aussi, messieurs, suis-je bien résolu à ne pas voter la prise en considération.

Mais, dit-on, il serait juste que chaque citoyen pût participer à la vie électorale ; il est bien difficile de trouver un autre système qui soit conforme à la justice. Pour moi, messieurs, la véritable condition de justice, c'est que tous les citoyens se trouvant dans la même position puissent voter sans exclusion, c'est-à-dire qu'il ne doit pas y avoir de privilège dans la composition du corps électoral, que lorsque le corps constituant à décidé que telles qualités suffisaient pour être électeur, il faut que tous ceux qui réunissent ces qualités puissent exercer leur droit électoral.

Il n'y a qu'à voir ce qui se passe dans tous les pays soumis au régime constitutionnel pour être convaincu qu'il n'y a pas une justice fixe, absolue dans le suffrage universel. Cette idée de justice n'a jamais été défendue et elle ne peut l'être, sans qu'on méconnaisse tous les enseignements de l'histoire.

Quant à moi, j'estime que si la Constitution doit être révisée, elle ne pourra l'être que lorsque la nation entière paraît à peu près d'accord ; qu'elle exprime ses vœux, qu'elle manifeste son désir par les divers moyens dont on dispose dans les Etats libres.

Remarquez que la Constitution est une œuvre d’ensemble ; que c'est un ensemble de droits, de libertés et de devoirs, et qu'il est très dangereux de toucher à un ensemble de cette nature ; car si l'on était admis à faire prévaloir ses sentiments au sujet de telle ou telle disposition, un autre pourrait le demander à l'égard d'autres dispositions. Et ainsi l'ensemble ne pourrait plus tenir.

La Constitution est une œuvre de civilisation ; c'est la consécration de devoirs communs, de sentiments communs, du moins le plus généralement, c'est grâce à une transaction entre les divers partis, les divers intérêts que la Constitution est parvenue à rallier, je puis le dire, le suffrage universel du pays. Chaque fois que l'on avait cru qu'il y avait des tendances à modifier la Constitution, notamment au point de vue de ses libertés, on s'est écrié : « Comment ! toucher à la Constitution ! Mais la Constitution est le palladium de notre pays. » Aussi, personne n'a voulu assumer sur lui la responsabilité d'une proposition ayant pour objet de mutiler une seule de nos libertés.

Savez-vous ce qui arriverait ? Décrétera-t-on, soit le suffrage universel, soit une modification très large du corps électoral ? Je n'en sais rien. Introduira-t-on un système électoral reposant sur la capacité en tout ou en partie ? Dans quel dédale vous allez vous jeter ! Ce que je sais, c'est que le pays verrait d'un très mauvais œil que les Chambres déclarassent qu'il y a lieu de réviser la Constitution dans les points indiqués par la proposition de loi.

Pour moi, j'ai une conviction entière à cet égard ; je pense qu'une fois le système commencé, on ne saurait plus où l'on s'arrêtera.

Je refuse donc mon vote à la prise en considération.

M. Houtart. - Messieurs, peu habitué à prendre la parole en public, c'est une grande témérité pour moi de me lever pour prendre part à une discussion importante ; mais, pénétré de mes devoirs de citoyen et de représentant, je prends le parti de faire taire mes hésitations.

Signataire de la proposition, j'en appelle de tous mes veux l'obtention. Je ne reproduirai pas tous les arguments qui ont été si brillamment énumérés par l'honorable M. Demeur, si éloquemment soutenu par l'honorable M. Balisaux. Je dirai seulement qu'après avoir entendu les observations des adversaires de la proposition, je reste d'autant plus convaincu qu'une réforme est nécessaire.

M. le ministre de l'intérieur nous a dit que l'opinion publique était contre nous. Mais, messieurs, nous sommes ici une expression de l'opinion publique ; c'est bien à l'opinion publique que nous devons de siéger sur ces bancs ; c'est elle qui a dicté la proposition que nous discutons.

La question d'opportunité, messieurs, est peut-être plus sérieuse. A ce sujet je suis autorisé à déclarer, au nom de tous les signataires de la proposition, que si la Chambre veut bien la prendre en considération, nous attendrons pour en fixer la discussion ou en solliciter la discussion que le calme soit rétabli en Europe.

(page 172) J'espère, messieurs, que notre modération sera appréciée par la Chambre et qu'en prenant notre proposition en considération elle rendra justice à la franchise et à la loyauté de nos convictions.

M. le président. - La parole est à M. Defuisseaux. Cependant je crois qu'il est convenu qu'on parlerait alternativement pour et contre la proposition.

M. Defuisseaux. - Je céderai, dans ce cas, mon tour de parole à M. Rogier, qui doit parler contre la proposition.

M. le président. - La parole est à M. Rogier.

M. Rogier. - Messieurs, la proposition qui vient de vous être faite par le dernier orateur, au nom de tous les signataires de la proposition dont M. Demeur vous a donné hier les développements, cette proposition paraît, au premier abord, assez inoffensive et même conciliante. Il s'agit tout simplement de déclarer dès maintenant qu'il y aurait lieu de faire une brèche à la Constitution, sauf à déterminer ultérieurement quelle sera la largeur de cette brèche, l'étendue de la démolition et l'heure propice de faire l'invasion.

Eh bien, messieurs, je crois que le moment n'est pas venu, non seulement de remettre la Constitution en discussion, mais de décider dès aujourd'hui qu'il y aura lieu d'entreprendre plus tard ce travail de démolition.

Je n'ai pas besoin, messieurs, de déclarer que je ne suis un fanatique pas plus en politique qu'en philosophie ou en religion, que je tiens compte du progrès de l'esprit humain, et que je ne m'effraye pas des réformes que le temps et l'opinion publique indiquent comme opportunes et nécessaires.

Le mot de suffrage universel lui-même ne m'épouvante pas outre mesure. Je pense que le temps viendra où le suffrage universel dominera dans tous les pays.

Dirai-je que je suis un peu surpris de l'attitude des auteurs de la proposition ? Car, à parler franchement, que veut-on ? On veut l'introduction dans notre système politique du suffrage universel.

M. Demeur. - C'est une erreur.

M. Rogier. - C'est la conséquence de votre proposition.

M. Demeur. - Non.

M. Rogier. - Eh bien, alors, veuillez nous dire ce que vous voulez ? Il n'y a pas de mal à vouloir le suffrage universel. Vous seriez parfaitement dans votre droit de le vouloir, de le désirer, de le défendre ; d'autant plus, M. le rapporteur, que vous vous êtes expliqué dans des termes d'une modération qui a frappé toute la Chambre et, à cet égard, j'aime à vous rendre en public l'hommage que je vous ai rendu en particulier. Certainement, vous avez fait des motifs de votre proposition un exposé qui mérite l'attention.

M. Demeur. - J'ai eu le malheur cependant, paraît-il, de ne pas être clair sur ce point.

M. Thonissen. - Mais, en résumé, que voulez-vous ?

M. Rogier. - Lorsque des hommes politiques sérieux, qui ont aussi la prétention, je crois, d'être des hommes pratiques, viennent proposer à la Chambre une mesure aussi considérable, viennent proposer de faire une brèche à la Constitution, je suppose que ce n'est pas pour le désir platonique de toucher à la Constitution ; c'est, sans doute, pour y introduire une grande réforme. Cette réforme, pourquoi le nier ? c'est le suffrage universel. C'est le suffrage universel que l'on veut. Si vous ne le voulez pas, dites-nous quel est le système électoral que vous voulez substituer à celui qui nous régit actuellement ? Si nous savions ce que vous voulez, nous aurions peut-être moins de scrupule et nous ne nous croirions plus obligés de repousser d'une manière absolue la prise en considération.

En fait donc, la question qui se présente est celle-ci : Y a-t-il lieu d'introduire dans notre régime politique le suffrage universel ? Maintenant, dans les circonstances actuelles, dans l'état, je dirai, de l'esprit public, je ne crois pas qu'il y ait lieu d'introduire le suffrage universel, quoique je ne sois pas un ennemi irréconciliable de ce système.

On vient, messieurs, de parler de la Constitution avec une légèreté qui m'a été pénible. Je croyais qu'instruit par les événements qui se passent autour de nous et dont nous voyons aujourd'hui le triste et désolant tableau, on avait compris la nécessité pour notre pays de conserver au moins une base solide à son existence politique.

Nous avons vu, nous voyons encore autour de nous des Constitutions se succéder, je ne dirai pas d'heure en heure, mais d'année en année. Un peuple, aujourd'hui malheureux et beaucoup trop châtié, suivant moi, a fait, depuis sa première et grande révolution, l'épreuve d'un nombre presque indéfini de Constitutions de toutes sortes. Nous voyons où il en est arrivé aujourd'hui.

Nous-mêmes, messieurs, à part notre Constitution, qui a été jusqu'ici respectée et qui le sera encore, je l'espère, nous avons souvent modifié nos lois, je trouve que nous les avons souvent trop modifiées et, que M. le ministre de l'intérieur me permette de le lui dire, je pense qu'il cède un peu trop à la manie de modifier notre législation en diverses matières.

Ainsi, je demande quel besoin si pressant il y avait de proposer une nouvelle réforme électorale ? Est-ce que la signification des dernières élections était qu'il y avait lieu d'opérer cette réforme et d'y procéder, comme on le dit, immédiatement ?

Pour le dire en passant, lorsque j'ai eu à me présenter devant mes électeurs, j'ai déclaré que si des réformes étaient jugées légitimes et nécessaires, je ne les admettrais que dans les limites de la Constitution et pas un électeur ne s'est levé pour me contredire.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - J'ai tenu le même langage.

M. Rogier. - Vous auriez dû tenir le même langage dans vos actes. En lisant votre exposé des motifs, j'ai cru un moment qu'il avait été rédigé de commun accord avec l'honorable M. Demeur. Vous avez justifié complètement sa proposition, et M. Demeur a agi avec beaucoup d'habileté en se servant des raisons données par M. le ministre de l'intérieur.

Toutes ces raisons viennent à l'appui de la proposition de M. Demeur, que cependant l'on a maintenant combattu au nom de l'opinion publique.

M. le ministre de l'intérieur trouve que nos libertés ont été fécondes depuis quarante ans. Il a fait un grand éloge de nos institutions ; il me semble que la conséquence naturelle était celle-ci : donc il ne faut pas y toucher. Pas du tout. M. le ministre de l'intérieur fait un grand éloge de ces institutions et il vient proposer de les modifier assez profondément.

Seulement, messieurs, voici où nous différons avec M. le ministre de l'intérieur : M. le ministre de l'intérieur, après avoir déclaré que les aptitudes qui se révèlent dans le pays donnent ouverture à des droits, retranche avec soin de son projet de réforme les aptitudes.

Il n'en est plus question, il n'est plus question que du cens électoral ; mais, quant à la capacité, celle-là n'est pas même mentionnée dans le projet de loi.

Je ne sais pas, messieurs, si ce projet viendra à la discussion, mais certainement nous ne le laisserons pas passer sans y proposer des amendements, notamment au point de vue de la capacité électorale.

J'ai entendu dire hier que le ministère de 1847 était timide dans les réformes.

En 1846, messieurs, l'opinion libérale s'était réunie en un congrès et là, sous la présidence de l'honorable M. Defacqz, il a été proposé d'adjoindre aux censitaires ce qu'on appelle les capacités, en stipulant pour la formation du cens le minimum fixé par la Constitution.

Un des premiers actes du ministère de 1847 a été de formuler un projet de loi qui admettait les capacités, par exemple, les citoyens appelés à faire partie du jury, au droit électoral avec l'obligation de payer le minimum de 20 florins.

Quelques jours après la présentation du projet de loi, éclate la révolution de 1848 ; le suffrage universel est proclamé à nos portes, dans des circonstances, suivant moi, beaucoup plus dangereuses pour le pays que celles d'aujourd'hui, qui ont aussi cependant leurs périls.

Que fait la Chambre, que fait le pays ?

C'était le moment de se mettre à l'unisson avec un pays voisin.

Je ne me souviens pas qu'une seule voix dans le pays, dans la Chambre, se soit élevée pour réclamer le suffrage universel.,

Et, depuis lors, dans quelles circonstances a-t-on vu se formuler d'une manière quelque peu générale le vœu d'une réforme électorale dans ce sens ?

Il y a donc lieu, messieurs, non pas de rejeter à jamais toute révision de la Constitution, non pas de rejeter même à jamais le suffrage universel dans certaines conditions, mais il me semble qu'il y a lieu, pour le moment, de ne rien faire de ce côté.

On semble croire, messieurs, que c'est une chose assez simple que de toucher à la Constitution. Mais, prenez-y garde ! Il y a dans la Constitution d'autres articles qui déjà ont été contestés, et dont je dirai à l'honorable M. Coomans, en me servant d'une autre expression que lui, qu'ils ne sont peut-être pas en harmonie avec l'esprit de nos institutions.

Nécessairement, messieurs, si la proposition est prise en considération et si elle est renvoyée aux sections, soit maintenant, soit plus tard, vous aurez à examiner des propositions relatives à d'autres modifications.

(page 173) Certains articles de la Constitution auxquels nos adversaires doivent tenir particulièrement, n'obtiennent pas l'assentiment de tout le monde.

On trouve qu'il y a des incohérences, qu'il y a certains articles qui ne sont pas la véritable expression de l'esprit et des principes qui ont prévalu dans la Constitution.

Si j'avais un conseil à donner à messieurs les auteurs de la motion, je leur dirais de se contenter du premier effet produit par leur proposition.

Jusqu'ici la discussion s'est renfermée dans des termes parfaitement modérés. Il n'y a point eu d'irritation, de récriminations, la question qui a été à peine agitée dans le pays, se trouve posée devant lui et devra donner lieu à des débats ultérieurs, soit dans la presse, soit dans des réunions publiques que la Constitution autorise et garantit.

Je crois que c'est assez, qu'il ne faut pas vouloir courir trop vite.

Il est évident, messieurs, que contrairement à certaine alliance, à certain mariage d'opinions, qui paraissait s'être opéré entre une partie de la gauche et une partie de la droite à l'époque des élections, il est évident que presque toute la droite va reculer. Les auteurs de la motion vont se trouver isolés ; une partie de nos bancs votera contre la proposition ; ce n'est pas ce qui lui donnera de l'autorité. On pourra bien dire que ceux qui repoussent la prise en considération sont des gens vieillis qui n'ont plus la vigueur de la jeunesse, qui manquent d'audace, de hardiesse, qui ont le culte aveugle de la Constitution ; ce sont de braves gens à l'opinion desquels il ne faut pas attacher grande importance. A nous le drapeau de la réforme, à nous la mission de réaliser le progrès ; quant à ces braves gens, ils peuvent être fort respectables, mais nous nous moquons de leur opinion.

Eh bien, je crois que c'est un tort ; il y a, chez ces hommes qui ont été longtemps sur la scène, une certaine expérience, une certaine maturité ; il y a encore chez eux une certaine dose de chaleur patriotique qu'ils sauraient mettre, à l'occasion, au service des bonnes causes et il doit leur être permis, lorsqu'ils croient qu'on va trop vite ou trop loin, de donner des conseils et de tâcher d'arrêter ceux qui se trouvent sur une pente qu'ils considèrent, eux, comme périlleuse.

Jo dis, messieurs, que je combats la prise en considération, mais je ne voudrais pas prononcer un mot qui a l'avantage de produire un certain effet parce qu'il est retentissant : « Jamais ! » Ce mot, il ne faut pas le dire légèrement ;. il peut être imprudent de le prononcer parce qu'en le prononçant aujourd'hui on s'expose à avoir un démenti le lendemain.

Je ne prononce donc pas le mot « jamais » ; je me borne à demander que les auteurs de la proposition n'aillent pas plus avant. Leur proposition n'a pas été repoussée par une violente opposition ; jusqu'ici elle a été discutée froidement.

Nous avons des sympathies pour la jeunesse, nous n'entendons pas que le pays doive se refuser à l'influence des idées jeunes, nous estimons les jeunes gens honnêtes, laborieux, intelligents, qui s'occupent avec ardeur de la chose publique.

Cela vaut mieux que d'aller perdre leur énergie dans les frivolités d'une vie dissipée ou dans une foule d'entreprises véreuses où ils perdent souvent l'estime des autres et leur propre honneur. Voilà l'hommage que je puis rendre à tous les jeunes gens qui, avec des convictions sincères et avec ardeur, s'occupent de la chose publique, et certainement je n'ai pas l'intention de les blâmer de professer des opinions prétendument plus avancées que les miennes. Dans notre temps nous avions aussi des opinions qui passaient pour avancées. Mais, messieurs, les hommes jeunes de 1830 ont eu l'honneur de concourir à une Constitution qui certes n'est pas une œuvre timide, et qui est en même temps une, œuvre très raisonnable et très bien proportionnée.

Vous voulez y introduire des perfectionnements, des améliorations, soit ; mais ce n'est pas le moment : donnez-vous le temps de laisser mûrir les idées. Il n'y a pas même d'accord entre vous. Voici que j'apprends même de l'honorable auteur de la proposition, que ce n'est pas le suffrage universel qu'il veut. Mais alors que voulez-vous ? Je suppose cependant qu'il y a parmi les signataires de la proposition des amateurs du suffrage universel à appliquer immédiatement ou dans un temps plus ou moins rapproché. (Interruption.)

Vous n'en êtes pas partisan, M. Couvreur ?

M. Couvreur. - Je l'ai déclaré itérativement dans cette Chambre.

M. Guillery. - Quelqu'un qui voudrait la législation anglaise devrait nécessairement demander d'abord l'abrogation de l'article 47 de la Constitution.

M. Rogier. - Nous ne savons donc pas au juste ce que veulent les auteurs de la proposition ; car ils ne sont pas d'accord entre eux.

Il semble seulement qu'ils aient voulu se donner le plaisir de faire une entaille à la Constitution, en se réservant d'examiner plus tard l'étendue de cette entaille.

Pour moi, je n'admets pas le moyen terme qui vient de nous être proposé. Je crois qu'il faut que la proposition, puisqu'elle est faite, soit poussée à bout. Il ne convient pas de laisser la Chambre et le pays en suspens en présence d'une pareille proposition. Mieux vaudrait encore laisser aller la proposition en sections que de la voir indéfiniment suspendue après la prise en considération.

J'engage les honorables auteurs de la proposition à considérer qu'ils ont pour ainsi dire accompli leur tâche en la développant, et en provoquant cette discussion parlementaire qui. peut durer encore. Ils ne peuvent aller au delà, car il est manifeste que la proposition, même restreinte dans les limites indiquées par l'honorable M. Houtart, n'a pas de chance d'être admise.

M. Defuisseaux. - Le corps électoral de Mons m'a envoyé dans cette enceinte avec la mission de hâter l'heure où la souveraineté de la nation ne sera plus un vain mot.

Je ne puis me faire l'illusion de croire qu'il a voulu choisir parmi tous les candidats possibles le plus capable et le plus expérimenté ; ce qu'il a honoré en moi, c'est un dévouement absolu aux principes démocratiques, qui sont les siens.

Qu'on cesse donc de dire que la révision de la Constitution n'est pas sollicitée par l'opinion publique : elle est réclamée par ceux mêmes qui y seraient indifférents ou hostiles, s'ils ne se laissaient guider que par leur intérêt personnel.

Nous assistons à ce spectacle, si rare dans l'histoire des nations, mais aussi si véritablement grand, des privilèges disparaissant sous la réprobation des privilégiés eux-mêmes.

Oui, messieurs, j'ai ce rare bonheur de pouvoir vous dire, au nom des électeurs de Mons :

« Nous ne voulons plus ici de privilèges ; nous voulons partager nos droits avec nos concitoyens, nous voulons que l'égalité fictive, proclamée par la Constitution, devienne une égalité réelle, nous voulons, consacrant à jamais l'union de la bourgeoisie et du peuple, proclamer, ce principe salutaire : « Que l'égalité devant la loi n'est qu'un leurre, quand il n'y a pas égalité pour la faire. »

Les adversaires de la proposition se sentent si mal à l'aise, sur le terrain véritable du débat, qu'ils ne cessent de le déplacer.

Ils attaquent le suffrage universel et puisent à pleines mains dans l'arsenal des calomnies dont les réactionnaires de tous les partis l'ont accablé !

Il ne s'agit pas de savoir quel sera le nouveau système électoral ; le nôtre peut être moins bon que celui de M. Orts ou de M. le ministre.

Nous demandons qu'on nous le prouve et que, dans la discussion, tous les arguments puissent se produire.

Il s'agit, pour emprunter la langue du palais, d'écarter la fin de non-recevoir et de plaider au fond.

Si nos adversaires se croient sûrs de vaincre dans cette lutte loyale où on ne pourra nous fermer la bouche par un texte inflexible, que craignent-ils donc ?

Ils devraient nous démontrer que le suffrage censitaire pour les électeurs à 20 florins est un idéal que rien ne peut remplacer, car c'est le dernier mot de leur politique.

Ils ne tentent même pas cette démonstration. Ils savent qu'elle est impossible ; ils nous disent ce que le suffrage censitaire a produit et ils ne peuvent contenir leur admiration.

Nous ne prétendons pas que le suffrage censitaire n'ait rien créé de bon, ce serait absurde. Nous disons, au contraire : Si sous ce régime du privilège tant de grandes choses ont été faites, que serait-ce donc si la grande masse de la nation avait pu exercer dans les élections la légitime influence qui lui appartient ?

M. Funck n'en serait plus à demander l'instruction obligatoire ; depuis longtemps tous les citoyens belges auraient cette aptitude politique que vous leur reprochez de ne pas avoir, après avoir eu le triste courage de leur refuser les moyens de l'acquérir.

Les détenus pour dettes ne verraient pas le veto inflexible d'une assemblée essentiellement censitaire leur fermer les portes de leur prison.

La presse ne serait plus livrée à la juridiction des tribunaux civils qui lui est si fatale ; elle jouirait des garanties que la Constitution lui accorde.

La conscription serait abolie et les prolétaires sauraient enfin que l'amélioration de leur sort est autre chose qu'une formule banale, sorte de phrase stéréotypée de tous les programmes politiques.

(page 174) Je m'arrête : l’énumération serait trop longue et trop facile.

Vous avez toujours les yeux tournés en arrière et vous vous absorbez dans une admiration muette du passé ; je dirige mes regards vers l'avenir ! et j'entrevois, sous un régime électoral plus juste, des progrès immenses que le système censitaire a été impuissant à réaliser.

Il semblerait, à entendre certains orateurs, que la Constitution tout entière soit menacée.

Il est des vérités et des principes que le temps n'a fait que consacrer, car ils sont la vérité absolue, et ces principes une révision de la Constitution ne ferait que les affermir.

Ce n'est que pour les points où elle n'a pas atteint d'emblée la vérité absolue, sur ces questions qui varient d'après l'instruction, les mœurs, les aptitudes des peuples que nous demandons sa révision.

Nous ne voulons donc pas détruire la Constitution. Pour crier : « Au feu ! », attendons que la maison brûle.

Le gouvernement n'a rien répondu à l'argumentation si décisive de M. Demeur.

L'opinion publique réclame une réforme électorale sérieuse. C'est pour ne pas l'avoir réalisée que le précédent cabinet est tombé. Aucun des services qu'il a rendus - et il a en rendu de réels - n'a pu le sauver.

Il y a de ces questions essentielles pour un peuple qu'il faut savoir résoudre, à peine de n'être plus.

Vous, catholiques, vous êtes arrivés au pouvoir, non pour réaliser les doctrines du congrès de Malines, que le pays condamne et qu'il condamnera toujours, vous y êtes arrivés pour réaliser une réforme électorale sérieuse, et non pour autre chose. C'est M. Coomans, c'est M. de Kerkhove qui ont fait votre popularité allant avec nous de ville en ville, aux acclamations qu'ils se rappellent encore, défendre le suffrage universel et l'abolition de la conscription !

Aujourd'hui vous venez dire à ce flot qui vous a portés : « Tu n'iras pas plus loin ! »

Prenez garde ! Il vous balayera sans pitié !

Au moins les doctrinaires étaient logiques : je dis les doctrinaires de la droite et de la gauche.

(erratum, page 189) Ils disaient : « Ni en un acte, ni en deux actes, ni jamais ; nous ne voulons pas de l'extension du suffrage, » et MM. Dumortier et Schollaert d'applaudir.

M. Frère-Orban. - On n'a pas dit cela.

M. Defuisseaux.-Vous défendiez le statu quo et, en tout cas, je ne pense pas que vous vouliez d'une réforme de la Constitution.

M. Frère-Orban. - Nous ne voulions pas du suffrage universel. La loyauté politique exige que l'on ne dénature pas les opinions de ses adversaires.

M. Defuisseaux.- Je rechercherai votre phrase exacte ; mais quant à de la loyauté politique, je vous en reconnais, vous devez m'en reconnaître aussi.

Vous, vous nous présentez une très jolie pièce, mais il y manque un dénouement.

Que signifie, en effet, cette division des électeurs en trois catégories, à 10 francs pour la commune, à 20 francs pour la province, à 42 francs pour les Chambres ? C'est l'anarchie politique ; ne vous y trompez pas !

Je m'effraye pour le prestige de cette assemblée, et, si vous voulez qu'elle reste à la hauteur de sa mission, je vous conjure de ne pas vous refuser à lui donner les moyens de représenter réellement le pays.

Qu'arriverait-il si dans un moment de crise, et cela s'est vu, l'opinion des conseillers provinciaux et communaux était en opposition, sur une question importante, avec celle de cette assemblée ?

Alors vous verriez que, par votre système insensé et illogique, vous auriez organisé l'anarchie et créé de vos propres mains un pouvoir supérieur qui vous anéantirait. Vous aurez, en cas de conflit, proclamé ce principe, monstrueux en politique, de la minorité faisant la loi à la majorité.

Ah ! si vous êtes conservateurs, n'entrez point dans cette voie qui vous conduirait aux abîmes. C'est chez un de ces doctrinaires logiques de votre parti, dont je parlais tout à l'heure, que je trouve la confirmation de cette idée.

Voici ce que disait M. Schollaert :

« Je pense, et je crois pouvoir l'établir à la dernière évidence, qu'un abaissement- du cens à 15 francs, à 10 francs, un abaissement du cens qui n'irait qu'à 25 ou 30 francs aurait pour conséquences inévitables, dans un très bref délai, et probablement avant que l'Europe aura retrouvé l'équilibre perdu, d'amener la révision de la Constitution. Je pense que, dans les circonstances actuelles, cette révision nous conduirait fatalement au suffrage universel, et que proclamer en Belgique le suffrage universel, ce n'est pas seulement, comme on se le figure peut-être, renverser l'article 47 de la Constitution ou en modifier le texte, c'est altérer dans son essence tout notre pacte fondamental ; c'est y introduire le pouvoir absolu sous une apparence démocratique et populaire ; c'est marcher à une révolution pacifique peut-être, mais, à coup sûr, menaçante pour l'existence du pays.

« Supposez la nouvelle loi en action. Elle n'intéresse pas l'électorat des Chambres législatives, qui reste composé, en vertu de la Constitution, d'électeurs à 42 francs ; mais, pour les élections provinciales, il n'en est pas de même ; on y rencontre, grâce à l'abaissement du cens et à l'admission des capacités, un nombre d'électeurs doublé, peut-être triplé. N'est-il, pas manifeste que, dans ce système, les conseils provinciaux deviennent, en apparence au moins, les représentants plus directe de la nation et du suffrage populaire que les membres des Chambres législatives ? En d'autres termes, n'est-il pas évident que, par l'introduction des mesures qu'on nous propose, la Chambre et le Sénat cesseraient de représenter la nation au même titre que les conseils provinciaux, et ne formeraient plus que la représentation oligarchique d'une certaine classe d'industriels et de propriétaires ?

« Situation inacceptable, messieurs !

« Surgisse en effet, dans le pays, une de ces questions politiques ayant pour caractère de préoccuper beaucoup l'esprit public et de jeter une grande irritation dans les masses...

Il arrivera que, fidèles à leurs antécédents, les conseils communaux des grandes villes, les conseils provinciaux, sans exception peut-être, émettront des vœux, manifesteront publiquement leur opinion sur cette question ; ils présenteront cette opinion au public ; les journaux la commenteront ; et s'il arrive par hasard, ce qui, en définitive, est très possible et même assez naturel, quand des corps délibérants, s'occupant d'intérêts généraux, émanent d'électeurs différents, s'il arrive par hasard que les conseils provinciaux, que les conseils communaux des principales villes du pays ne sont pas d'accord avec la majorité de la Chambre et avec la majorité du Sénat ; si ceux qui émanent plus directement du peuple disent non, et si nous, qui n'émanerons plus alors que d'une classe de censitaires, si nous disons oui ; ne sentez-vous pas que ces portes s'ouvrent pour laisser passage à la prétendue volonté nationale, et nous placer entre la nécessité d'une révision et la menace d'une révolution ?

Mais enfin pourquoi cette flagrante inconséquence, ce manque absolu de logique ? Pourquoi peut-on appliquer à l'exposé de l'honorable ministre académicien ce mot d'Horace :

« Desinît in piscem mulier formosa supeme. »

Le pays se le demande et vous ne répondez rien.

Il faut cependant une réponse nette et précise.

On dit que pour saisir le pouvoir, objet de vos ardentes convoitises, vous avez pris envers la couronne je ne sais quels mystérieux engagements de ne pas toucher aux lois organiques du corps électoral pour les Chambres.

Si cela est, il faut que la nation le sache, car elle saura alors, que si vous repoussez les légitimes exigences de l'opinion, c'est moins parce que vous les croyez mal fondées, que parce que vous avez accepté sur ce point une opinion toute faite. On saura alors que ce que vous défendez, c'est moins la Constitution, le palladium de notre nationalité, comme vous dites, que votre portefeuille ! Palladium de notre nationalité, que ce mot convienne à la Constitution tout entière, dont M. Demeur vous a fait un si juste éloge, je le conçois, mais qu'il s'applique à l'article dont la révision est demandée, je le nie.

Je concevrais que des nations voisines puissent s'étonner et s'inquiéter peut-être de nous voir, par ces temps néfastes, adopter des institutions politiques en opposition avec les leurs. Peuvent-elles s'étonner, au contraire, que nous suivions leur exemple en matière électorale ?

M. Demeur a démontré que la réforme électorale nous étreint de toutes parts, et pour ne parler que de l'Angleterre, notre protectrice, est-ce que l'adoption du nouveau bill, qui a appelé tant de nouveaux électeurs, a été le signal de sa décadence ? Ces craintes sont vaines et nul n'y croit.

Au milieu de cette épouvantable crise, vous avez vu, par deux fois, le pays exercer en paix ses droits politiques. Continuons ces grandes traditions qui, dans l'état actuel de l'Europe, sont un magnifique spectacle.

Ce n'est pas à l'heure où le non possumus de la papauté vient de jeter son dernier éclat dans le concile de Rome que le peuple s'inclinera devant je ne sais quel non possumus constitutionnel dont l'inanité est évidente...

Je ne crois pas plus que les orateurs qui m'ont précédé que la Belgique coure aucun danger extérieur, surtout depuis l'effondrement d'un gouvernement voisin qui était pour nous une menace perpétuelle ; mais si ce qu'à Dieu ne plaise, l'Europe entière, saisie d'une folie guerrière, allait porter partout la dvvastation, les ruines, la mort ; si notre pays, après avoir été admirable de calme et de charité compatissante vis-à-vis des nations en guerre, devait lui-même par je ne sais quel événement fatal se défendre contre un envahisseur, oh, alors, diriez-vous encore à ce peuple qui défendrait, à la frontière, nos lois, nos propriétés, notre patrie : « Vous ne serez jamais rien dans le pays ? » Non, vous ne voudriez pas le lui dire, car ce serait a la fois une suprême injustice et une suprême ingratitude.

(page 175) M. Jacobs, ministre des finances. - Messieurs, si j'interviens dans ce. débat et après que vous avez entendu les honorables MM. de Theux et Rogier, ces deux témoins de la Constitution, c'est uniquement pour répondre à l'honorable préopinant, qui se plaint de ce qu'on n'oppose à la proposition que des fins de non-recevoir sans plaider au fond. Je viens lui rendre raison des fins de non-recevoir et en même temps, par quelques observations de simple bon sens, plaider au fond.

Que discutons-nous en ce moment ? Nous discutons une prise en considération, c'est-à-dire, en réalité, une question préalable, celle de savoir s'il y a lieu de délibérer sur la proposition.

En pareille occurrence, aborder le fond, c'est presque un hors-d'œuvre, on devrait se borner aux fins de non-recevoir.

On a invoqué les circonstances. Cette considération me touche moins qu'une autre qui sera vraie demain, après-demain, comme aujourd'hui.

C'est un acte d'une gravité sans pareille que de porter, pour la première fois, la main sur le pacte fondamental.

Messieurs, il ne faut pas croire que ce soit d'aujourd'hui que des défauts ont été remarqués dans notre Constitution. Depuis quarante ans, on n'a pas été si peu clairvoyant que l'on n'ait constaté quelques imperfections dans les 139 articles dont la Constitution se compose. Croyez-vous que personne n'ait regretté, par exemple, que le Congrès ait réglé par la Constitution le nombre des cours d'appel et consacré l'existence des tribunaux de commerce ?

Je crois que la Constitution n'eût pas dû régler ces petites questions.

Mais pourquoi n'a-t-on pas proposé de modifier ces articles de même que ceux qui vous ont été signalés par l'honorable M. Balisaux ? C'est qu'on a reconnu que le redressement de ces petites imperfections de détail n'équivaut pas, à beaucoup près, à cet acte, dont on ne mesure pas assez les conséquences, la première atteinte au pacte fondamental.

Il faut bien l'avouer, messieurs, aujourd'hui l'on ne respecte plus grand-chose.

Il est une chose cependant qui a conservé, depuis quarante ans, le respect de tous les Belges, c'est la loi fondamentale.

Les autres lois sont attaquées tous les jours ; la Constitution seule est restée au-dessus des attaques.

Le pays ne se le dissimule pas, on peut ici appliquer ce proverbe trivial : « Qui a bu, boira. »

Le jour où la main aura été portée sur l'édifice, vous verrez des demandes de révision se produire en tous sens dans des ordres d'idées très différents.

Les signataires de la proposition, s'ils n'avaient autre chose à modifier que les dispositions constitutionnelles relatives à l'éligibilité au Sénat, s'ils n'avaient pas été les adversaires de l'article 47, ces honorables membres auraient eux-mêmes jugé cette question trop peu importante pour justifier une première attaque contre le pacte fondamental.

Je ne prétends pas plus que qui que ce soit qu'il n'arrivera pas un jour où il sera bon de réviser la Constitution. Fasse le Ciel qu'il soit encore éloigné ! mais, pénétrez-vous-en bien, l'existence de la Belgique constitutionnelle comprendra deux périodes essentiellement différentes :

La première, celle qui commence au 21 juillet 1831 pour finir le jour où une première fois la main sera mise sur l'édifice constitutionnel ;

Le seconde partira de ce jour pour se poursuivre dans la suite des ans.

Personne ne méconnaîtra que ces deux phases de la vie d'un peuple seront diamétralement différentes, et avant de passer de l'une dans l'autre on y réfléchira mûrement.

Tous les législateurs constituants ont établi des garanties contre les entraînements des majorités ; ils ont tenu à ce qu'elles ne pussent, cédant à un mouvement irréfléchi, abroger des dispositions constitutionnelles avec la même facilité qu'elles ont pour toucher aux lois.

Ce. n'est pas dans les constitutions monarchiques seules, c'est dans les constitutions républicaines aussi que l'on trouve des garanties sérieuses contre leur révision.

Voyez celles de la première république française, celle de 1791, celle de 1795, toutes mettent des obstacles sérieux à la révision constitutionnelle.

La constitution de 1848 ne permettait la révision que dans la dernière année de la législature ; il fallait trois délibérations successives et ce n'était que pour autant que ces trois délibérations eussent réuni chacune les trois quarts des suffrages qu'on recourait à la révision de la constitution.

La loi fondamentale du royaume des Pays-Bas comme la Constitution, belge ont mis des obstacles a leur révision ; de tout temps on a compris combien il était grave de porter la main sur la loi des lois et surtout d'y porter la main pour la première fois.

Cette fin de non-recevoir, cette objection, qui ne touche pas au fond, n'en est pas moins excessivement sérieuse ; à elle seule elle pourrait déterminer la Chambre à ne pas réviser aujourd'hui la Constitution.

Mais j'aborde le fond. J'aborde l'examen de la proposition qui nous est faite. Avant tout, il faut bien se rendre compte de ce qu'est cette proposition. On l'a envisagée sous différents points de vue ; je vais essayer de déterminer nettement ce qu'elle est.

La proposition n'a qu'un seul but, c'est de faire sortir du domaine constitutionnel, pour faire rentrer dans le domaine législatif, la question du cens électoral, en un mot, la base du droit d'élire. Ses auteurs nous disent ; Nous n'avons pas à déterminer ce que le législateur fera, nous n'avons pas même à décider s'il fera quelque chose, autre chose que ce qui existe aujourd'hui ; nous n'avons pas à nous mettre d'accord sur la solution de l'avenir ; nous nous bornons à faire sortir du domaine constituant, pour la faire rentrer dans le domaine législatif, la question du cens électoral. Voilà la seule et unique portée de leur proposition.

Etant réduite ainsi à sa plus simple expression, dépouillée de tout artifice oratoire, la Chambre doit se poser cette question : Est-il utile d'enlever au législateur constituant et de transférer au législateur ordinaire le droit de fixer la base du droit électoral ?

C'est tout le débat.

Remarquez, messieurs, que nos honorables collègues ne nous proposent pas l'abrogation de la Constitution tout entière ; ils reconnaissent qu'il y a certaines dispositions qui doivent rester constitutionnelles, certaines dispositions pour lesquelles le législateur ordinaire ne doit pas être omnipotent, pour lesquelles les entraves établies par le Congrès ou d'autres entraves, mais enfin des entraves, doivent être maintenues.

Tout ce qui concerne la royauté restera dans la Constitution ; tout ce qui concerne les deux Chambres et le pouvoir judiciaire y restera également ; tout ce qui y est y restera, une seule chose exceptée : la base du droit électoral.

Eh bien, poser la question, c'est, me semble-t-il, la résoudre.

Il n'est pas de Constitution, je pense, qui n'ait réglé la base du droit électoral ; prenez les Constitutions françaises que je citais tout à l'heure, la constitution de 1791, celle de 1795, celle de 1848 ; prenez la loi fondamentale des Pays-Bas, prenez n'importe quelle Constitution et vous y trouverez établie la condition fondamentale de l'électoral. Il en est même qui, ayant établi l'électorat à plusieurs degrés, ont spécifié dans quelles conditions on était citoyen, c'était le premier degré, et dans quelles autres on était électeur, c'était le second degré.

Il n'y a pas, je le répète, une seule Constitution qui n'ait déterminé la base du droit électoral.

Et cela se comprend.

S'il est une disposition qui doive être maintenue à l'abri des fluctuations, des entraînements de la législature ordinaire, c'est évidemment celle qui engendre les pouvoirs. Nous émanons de la nation par l'intermédiaire du corps électoral.

On a rappelé les discussions du Congrès. Nous voyons là des hommes éminents presque tous d'accord pour introduire une disposition pareille dans le pacte fondamental. Nous voyons M. Defacqz dire : « A raison de l'importance de cette condition (le cens), il ne faut pas le laisser à l'arbitraire d'une loi mobile et changeante ; il ne faut pas que les législatures qui nous succéderont puissent en disposer à leur gré et peut-être selon les caprices du pouvoir. C'est pour cela que je veux que le cens soit fixé dans la Constitution. »

La même chose était répétée par M. Forgeur, et si quelques orateurs voulaient laisser à la loi électorale le soin de déterminer ces conditions, c'est qu'ils prévoyaient que la loi électorale ferait partie intégrante de la Constitution.

Je vous pose, messieurs, la question de bon sens comme elle s'est posée à tous les législateurs constituants : Ne faut-il pas maintenir, dans la Constitution, la condition principale de l'électorat ?

Faut-il ne pas prendre quelques garanties contre les entraînements d'un jour qui peuvent guider la législature ordinaire ?

Remarquez, messieurs, que de la solution de cette question dépendent toutes nos institutions et qu'on vous demande de les mettre à la merci d'un mouvement de passion contre lequel il n'y aurait pas à revenir.

Je crois avoir démontré à la Chambre que la proposition, telle qu'elle est conçue, est absolument inadmissible. Ses honorables auteurs doivent la formuler autrement pour qu'elle puisse être examinée.

(page 176) Il n'y s pas lieu de faire sortir du domaine de la Constitution, pour la faire entrer dans le domaine législatif, la fixation de la capacité électorale. Il faut qu'on nous présente une proposition déterminée, nette et précise, destinée à remplacer dans la Constitution l'article 47 qui en serait biffé. Ce sera le suffrage universel ou le suffrage restreint ; ce sera le système des capacités ou celui des censitaires ; mais il faut une proposition nettement formulée sur laquelle la Chambre puisse délibérer en connaissance de cause.

Dans quelle situation mettez-vous le pays en agissant autrement ? On ne s'explique même pas sur ce qu'on voudrait mettre à la place de l'article 47 de la Constitution.

On pose une énigme au pays et on veut que, sans aucune espèce de données sur ce qu'on substituera à ce qui existe, le pays devine l'énigme qui lui est posée.

Le pays ne court pas les aventures ; il veut savoir où il va ; et jusqu'au jour où l'on se sera exprimé d'une manière explicite sur ce que l'on veut, le pays se refusera à suivre les auteurs de la proposition.

Les législateurs ne doivent pas avoir une liberté absolue, il leur faut un frein ; ils restent libres de suivre les procédés qu'a tracés la Constitution et qu'ont suivis les auteurs de la proposition.

Ils restent libres de faire toute proposition de réforme de la Constitution, mais à la condition de la soumettre au double vote, au vote avant la dissolution, au vote après la dissolution : c'est là une garantie essentielle contre les entraînements précipités.

Je crois, messieurs, pouvoir me rasseoir ; en l'absence de toute explication sur ce qu'on veut substituer à ce qui existe, il est tout à fait impossible que la proposition aboutisse.

M. Bergé. - Plusieurs orateurs ont parlé contre la prise en considération de la proposition que nous avons déposée ; mais, qu'ils me permettent de le leur dire, je n'ai trouvé dans leurs discours aucun argument réellement sérieux. Ils ont plutôt parlé à côté de la question. Ils se sont livrés à beaucoup de digressions, mais ils n'ont guère attaqué de front la demande de prise en considération.

L'honorable ministre de l'intérieur a trouvé que l'exposé de la proposition, présenté par l'honorable M. Demeur, offrait des incertitudes, des doutes ; qu'il s'y révélait un manque de précision.

Eh bien, messieurs, j'ai relu les développements donnés par M. Demeur à sa proposition et, je dois le dire, j'y ai vainement cherché ces nébulosités qui paraissent exister dans l'esprit de M. le ministre de l'intérieur. J'y ai trouvé, au contraire, la justification d'une proposition nettement formulée, puisqu'elle tend à remplacer l'article 47 de la Constitution par cette disposition si simple : « La Chambre des représentants se compose des députés élus directement par les citoyens réunissant les conditions déterminées par la loi électorale. »

Cela est net, cela est clair, cela est parfaitement précis, cela ne laisse aucun doute.

L'honorable ministre de l'intérieur a été bien sévère envers les auteurs de la proposition. Il a dit :

« La proposition de l'honorable représentant de Bruxelles ne tend à rien moins qu'à déclarer que les pouvoirs parlementaires existant aujourd'hui n'émanent qu'incomplètement de la nation, et que les lois qui sont leur œuvre ont perdu tout droit à son respect et à son obéissance. »

M. le ministre de l'intérieur a oublié que lui-même a présenté un projet de réforme électorale, projet auquel on peut appliquer parfaitement ses paroles ; car il n'a pas hésité un instant à proposer de modifier le cens d'éligibilité pour la province et pour la commune. Les auteurs de la proposition de loi ne demandent que la possibilité de modifier le cens d'éligibilité pour les Chambres.

Il est évident que l'objection présentée par M. le ministre de l'intérieur retombe tout entière sur son projet de loi ; et s'il n'hésite pas à demander une modification au cens d'éligibilité pour la province et pour la commune, il ne doit pas reculer, pensons-nous, devant une simple proposition de modifier le cens d'éligibilité pour les Chambres.

On a dit que notre proposition était inopportune ; on l'a répété aujourd'hui ; mais on a répondu à cette objection.

Le ministère qui siège sur ces bancs a-t-il hésité un instant à prononcer la dissolution des deux Chambres et jeter le pays dans un état de perplexité, au milieu d'une grande crise extérieure ? A-t-il également hésité à nous saisir du projet de réforme électorale, qui, s'il est adopté, doit avoir pour conséquence d'entraîner la dissolution de tous les conseils communaux et provinciaux ? Au point de vue où l'on se place pour nous faire cette objection, l'inopportunité n'est pas moins évidente.

Au reste, nous sommes disposés à ajourner notre proposition, si cela est nécessaire. N'oubliez pas que nous l'avons présentée le lendemain du jour où le ministère a présenté son projet de réforme électorale ; pour ma part, je n'aurais pas présenté la proposition, j'aurais attendu des jours meilleurs. Mais dès l'instant que la question de la réforme électorale était entamée, dès cet instant, ceux qui croient qu'il y a lieu de modifier le cens d'éligibilité pour les Chambres avaient le droit d'exprimer leur opinion dans la proposition de loi, telle qu'ils vous l'ont soumise.

M. Bouvier. - Non !

M. Bergé. - L'honorable M. Dumortier est logique dans l'argumentation qu'il a soutenue devant la Chambre ; il trouve qu'il en est de la Constitution comme du vin : qu'il faut la laisser vieillir. Voilà l'argumentation ; dans quarante ans, l'honorable membre pourra la présenter avec plus de force encore. C'est là l'immobilisme. Or, cet immobilisme, les auteurs de la Constitution ont jugé eux-mêmes qu'il ne devait pas exister, puisqu'ils ont prévu le cas de la révision.

Mais l'honorable M Dumortier va plus loin ; dans son immense respect de la Constitution, il trouve que c'est grâce à cette Constitution que la Belgique a une nationalité ; que sans elle l'existence de la Belgique serait un non-sens ; que la révision de la Constitution mettrait notre nationalité en péril.

Je ne puis pas partager cette opinion de l'honorable membre. Qu'est-ce qui a sauvé la Belgique ? C'est le bon sens, c'est la sagesse de la nation, c'est le patriotisme, c'est le profond amour de la liberté de ceux-là mêmes à qui on voudrait refuser éternellement le droit de suffrage ; ce n'est donc pas à telle ou telle disposition de la Constitution, ce n'est pas surtout à l'article 47 que nous devons le maintien de notre nationalité.

Dans un moment de crise, les partis doivent éviter tout ce qui peut être irritant ; mais, cependant, dans les moments de crise, il faut aussi que toutes les différentes nuances viennent se grouper. Il faut dans ces moments prouver à tous ceux qui ne sont pas d'accord que les institutions qui nous régissent constituent un idéal, que ces institutions n'ont rien non plus d'immuable, qu'on peut y toucher, qu'on peut les modifier afin qu'elles restent toujours à la hauteur des circonstances et en harmonie avec le progrès.

Quand, en 1848, un mouvement s'étant produit dans l'Europe, vous avez offert une satisfaction aux populations, vous avez étendu d’une façon très large le droit électoral.

Si un mouvement semblable se produisait aujourd'hui, si les circonstances extérieures se compliquaient plus qu'elles ne le sont déjà, si la nécessité d'élargir ce cercle se faisait sentir, qu'auriez-vous à offrir aux populations ? Vous seriez arrêtés par la Constitution même et c'est dans un moment de crise aussi accentué que vous vous trouveriez dans cette nécessité fatale, ou bien de refuser toute satisfaction, ou bien d'avoir recours alors à la révision de cette Constitution, à cette dissolution des Chambres, alors que les circonstances extérieures rendraient cette dissolution tout à fait impossible.

Rendons hommage aux auteurs de la Constitution, mais faisons acte de virilité en la modifiant, car il en est en politique comme en industrie ; il ne suffit pas de dire d'un outillage qu'il a donné de bons résultats pour le conserver indéfiniment ; il faut savoir opérer des modifications quand ces modifications sont indiquées.

L'honorable ministre de l'intérieur, repoussant la proposition, a fait un appel au patriotisme. Eh bien, moi aussi, je terminerai en faisant appel au patriotisme de cette assemblée et c'est au nom du patriotisme que j'engage la Chambre à voter la prise en considération. Je l'engage d'autant plus à la voter que ce sera le seul moyen de pouvoir faire disparaître, par la discussion complète de la proposition, cette incertitude, ces équivoques qui peuvent exister actuellement.

L'honorable M. Rogier le disait tout à l'heure : il ne comprend pas la portée de la proposition. Mais précisément parce qu'on n'a discuté jusqu'ici que la prise en considération pure et simple, et les autours de la proposition ne sont pas entrés dans tous les développements que comporte la question parce que cela n'était pas à l'ordre du jour. Que la proposition soit renvoyée aux sections, qu'elle revienne dans cette assemblée, les auteurs et les adversaires de la proposition pourront se soumettre leurs observations réciproques ; on saura à quoi s'en tenir sur sa portée.

On me dit : Ne voulez-vous pas du suffrage universel ? C'est ce que la discussion nous apprendra.

II y a un fait parfaitement établi et incontestable : c'est que dans tous les pays de l'Europe qui ont marché et progressé depuis quelques années, on a vu étendre le suffrage. Nous constatons actuellement que ce suffrage étendu, je ne dis pas suffrage universel, fonctionne non seulement en France qu'on nous cite souvent, mais en Suisse, mais en Prusse, mais (page 177) aux Etats-Unis, mais en Angleterre, mais même dans le Danemark et la Suède.

Eh bien, lorsque la discussion sera complète, les auteurs de la proposition pourront vous dire quelles sont leurs vues ; on pourra se mettre d'accord et on verra s'il y a lieu oui ou non d'accepter le projet de révision. Mais on ne peut pas, quoi qu'on en dise, repousser notre proposition par une fin de non-recevoir.

Il faut en entendre tons les développements ; il faut que la lumière se fasse sur la question et j'ai la certitude que tous ceux qui sont sincèrement attachés à nos institutions, à la Constitution elle-même, voudront faire preuve d'un sentiment de patriotisme et d'un sentiment de libre discussion, en se montrant bienveillants à l'égard de la proposition qui est soumise à la Chambre.

Je suis certain que bon nombre de membres de cette Chambre voteront la prise en considération, alors même qu'ils auraient l'intention de combattre la révision de l'article 47, parce qu'ils voudront voir, dans une discussion complète, se produire toutes les argumentations.

M. le président. - Il n'y a plus d'orateurs inscrits.

- Des membres. - Aux voix ! Aux voix !

M. Couvreur. - Je demande la parole.

M. le président. - Vous avez la parole.

- Des membres. - A demain !

- D'autres membres. - Non ! non ! Parlez !

M. Couvreur. - Je dois entrer dans d'assez longs développements. Cependant je suis aux ordres de la Chambre.

M. le président. - La Chambre désire-t-elle remettre la discussion à demain ?

- Des membres. - Non ! non !

Motion d’ordre relative à la correspondance échangée avec la banque nationale au sujet des événements

M. Guillery. - Je demande la parole pour une motion d'ordre.

M. le ministre des finances a déposé récemment sur le bureau de la Chambre, conformément à un engagement qu'il avait pris, la correspondance échangée entre son département et la Banque Nationale.

Vous vous souvenez, messieurs, dans quelle circonstance M. le ministre des finances a pris l'engagement de faire ce dépôt. Une discussion très grave s’est élevée sur la conduite du gouvernement dans les circonstances calamiteuses que nous avons eu à traverser. On a accusé notamment M. le ministre des finances d'avoir été, par les mesures qu'il a proposées, la principale cause de la crise financière que nous avons traversée. On a accusé, d'un autre côté, la banque nationale d'être la seule coupable.

Il importe que la vérité se fasse jour dans une question aussi grave que celle-là. Il importe notamment qu'à une époque où nous devons songer au renouvellement du privilège de la banque nationale, au moment où nous aurons à discuter, par conséquent, les plus graves questions concernant cet établissement de crédit public, le pays soit éclairé sur les conditions dans lesquelles il a agi, sur les réformes qui pourraient être apportées dans ses statuts.

Dans ces circonstances, je crois qu'il importe que les pièces déposées sur le bureau de la Chambre soient livrées à l'impression et j'en fais la proposition formelle.

M. Jacobs, ministre des finances. - Je ne m'oppose nullement à ce que la correspondance entre le gouvernement et la banque nationale soit imprimée ; mais je ferai remarquer que j'ai déposé, en même temps, les procès-verbaux d'une commission mixte qui a siégé au département des finances. Je ne sais si la publication des procès-verbaux de cette commission aurait autant d'intérêt pour le public. Si cependant la Chambre désire qu'ils soient imprimés, je n'y mets pas d'obstacle de mon côté.

M. Tack. - Messieurs, je ne désire rien de mieux que de voir publier tous les documents qui sont déposés sur le bureau de la Chambre au sujet de la question relative à la banque nationale ; je demande que la lumière se fasse aussi complète que possible.

Mais je fais remarquer à la Chambre que parmi les pièces se trouvent, indépendamment de la correspondance, les procès-verbaux de la commission mixte qui a été instituée auprès du département des finances.

Au sein de cette commission, il a été échangé des communications en quelque sorte confidentielles ; ceux qui les ont faites n'ont pas dû s'attendre à ce que leurs observations fussent livrées à la publicité. Il a été question de divers établissements financiers à l'égard desquels des appréciations ont été faites ; il ne faut pas qu'à la suite de fausses interprétations le crédit de ces établissements puisse être ébranlé. Je me demande s'il ne serait pas bon d'ajourner la publication des procès-verbaux de la commission, jusqu'à ce que chacun des membres de cette Chambre ait eu le loisir de s'assurer s'il n'y a pas d'inconvénient à le faire.

M. Jacobs, ministre des finances. - Je dois cependant faire observer à la Chambre que j'ai eu soin, dans les procès-verbaux déposés, de supprimer les noms propres.

Dans tous les cas, la Chambre pourrait ajourner sa décision sur ce deuxième point jusqu'à ce que chacun de ses membres ait pu se rendre compte du contenu des procès-verbaux.

M. Brasseur. - J'appuie la proposition de l'honorable ministre des finances. Il est évident que nous avons tous intérêt et que le pays a intérêt à savoir ce qui s’est passé entre le gouvernement et la banque nationale. J'ai lu le dossier et je ne vois aucun inconvénient à ce que l'on publie entièrement la correspondance entre le gouvernement et la banque nationale. Quant à l'autre document, il contient des discussions eu quelque sorte privées.

M. le ministre des finances a formé une commission où il y a eu des pourparlers officieux ; je comprends jusqu'à un certain point qu'un pareil document ne puisse pas être livré à la publicité, d'autant plus qu'il y a là des passages où il est question d'établissements privés qu'il s'agissait de soutenir, d'établissements auxquels il fallait accorder du crédit. Eh bien, je pense que ni le débat, ni le public ne sont intéressés à connaître ces détails, qui ont un caractère essentiellement confidentiel, et je propose qu'une commission soit chargée d'examiner ce qu'il convient de publier du document dont il s'agit et même de décider s'il convient d'en publier quelque chose.

Quant à la correspondance entre le gouvernement et la banque, nous sommes d'accord qu'il n'y a aucun inconvénient à la publier.

M. le président. - La Chambre adopte donc la première partie de la proposition, c’est-à-dire l'impression de la correspondance entre le gouvernement et la banque.

M. Dumortier. - Il me paraît impossible d'ordonner la publication des procès-verbaux, puisqu'ils concernent des questions de crédit privé. Ce sont des questions auxquelles il ne faut pas initier le public, car ce serait frapper certains établissements d'une déconsidération immense et amener peut-être des catastrophes, il faut, en pareil cas, une prudence extrême ; quels reproches n'auriez-vous pas à vous faire si vous aviez ordonné une pareille publicité et que plus tard il en résultât des malheurs !

Je me rallie entièrement à la proposition de l'honorable M. Brasseur, de publier la correspondance entre le gouvernement et la banque.

Que l'on dépose sur le bureau les procès-verbaux dans lesquels il est question des intérêts privés, afin que chacun puisse les consulter.

Il est vrai que l'honorable ministre des finances a eu soin de supprimer les noms propres.

M. Brasseur. - Pas tous. J'ai constaté que l'indication d'un établissement était restée par inadvertance.

M. Dumortier. - Mais, quand même aucun nom ne serait cité, tout le monde mettra le doigt sur le nom propre disparu.

J'insiste donc vivement pour que l'on se borne à l'impression qui vient d'être votée et que l'on dépose les procès-verbaux sur le bureau.

M. Malou, ministre d’Etat. - Messieurs, j'ai eu l'honneur de faire partie de cette commission et d'assister à toutes les séances.

Je. crois qu'il faut une publicité complète ou qu'il n'en faut pas du tout. Les procès-verbaux résumés comme ils l'ont été, d'après la sténographie, font partie intégrante et nécessaire du débat.

On a éliminé de ce résumé tout ce qui pouvait être une désignation individuelle.

Plusieurs honorables collègues ici présents ont fait partie de la commission ; ils peuvent dire que plus d'une fois on a mis arrêt sur la diurne du sténographe lorsque la question avait un caractère personnel et qu'une publicité même restreinte pouvait avoir le moindre inconvénient.

M. Tack. – C’est ainsi.

M. Malou, ministre d’Etat. - Si des noms avaient été maintenus par inadvertance et qu'il y eût lieu de les supprimer, pourquoi ne pas charger le bureau ou une commission spéciale de faire une seconde révision ? Mais je déclare qu'une discussion complète et sérieuse est impossible si l'on ne donne, dans une certaine mesure, une publicité égale aux délibérations de la commission et à la correspondance.

(page 178) Le bureau pourra, en faisant son examen, apporter la plus grande sévérité dans l'expurgation de manière qu'il ne puisse y avoir d'inconvénient pour personne.

M. Tack. - Messieurs, je veux bien me rallier à la proposition de l'honorable M. Malou ; ce n'est pas moi qui ai le moindre intérêt à ce que les procès-verbaux de la commission ne soient pas publiés, bien au contraire ; mais j'ai éprouvé un scrupule au point de vue du préjudice qui pourrait résulter, pour certains établissements, de cette publication, et j'ai voulu communiquer mes impressions à la Chambre. Je la laisse juge de ce qui reste à faire.

M. Frère-Orban. - Il me semble que c'est au gouvernement de décider ce qu'il lui convient de publier.

Il faut qu'il reste responsable. Si l'on chargeait de la révision une commission ou le bureau, et si quelque chose passait inaperçu qui ne dût pas être publié, la responsabilité tomberait sur la commission ou sur le bureau.

L'honorable M. Malou nous dit qu'il ne voit aucun inconvénient à la publication. Je ne connais pas les documents, nous les jugerons ultérieurement, mais ils sont ce qu'ils sont.

C'est au gouvernement seul qu'il appartient de décider, sous sa responsabilité, ce qui doit être publié.

M. Jacobs, ministre des finances. - Messieurs, nous étions devant un double inconvénient : ou bien de donner trop peu de renseignements à la Chambre, ou bien d'en donner trop au public.

Dans ces conditions, nous avons élagué le moins possible.

Nous consentons volontiers, si la Chambre le désire, à surveiller l'impression des procès-verbaux. Dans ces conditions, nous acceptons la responsabilité entière de la publication.

M. le président. - On est donc d'accord de faire imprimer les procès-verbaux, sous la réserve que le gouvernement en retranchera ce qu'il croira devoir être supprimé.

- La séance est levée à 4 heures trois quarts.