(Annales parlementaires de Belgique, Chambre des représentants, session 1870 extraordinaire.)
(Présidence de M. Vilain XIIIIµ.)
(page 115) M. Woutersµ procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. de Borchgraveµ donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.
M. Woutersµ présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« La veuve Christiaen prie la Chambre de statuer sur sa demande ayant pour objet la révision de sa pension. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur de Contreras demande que la législature prenne des mesures immédiates et urgentes afin d'épargner au commerce et à l'industrie de grandes catastrophes. »
M. Lelièvreµ. - Je demande le renvoi de la requête à la commission des pétitions, qui sera invitée à faire un prompt rapport, l'objet ayant un caractère d'urgence.
- Adopté.
« Le sieur Allard réclame l'intervention de la Chambre pour que son père, qui a été gracié des peines prononcées contre lui par le tribunal correctionnel de Nivelles, obtienne la réparation qu'il a réclamée. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« La chambre de commerce et des fabriques de Charleroi adresse à la Chambre 25 exemplaires du rapport général annuel sur la situation du commerce et de l'industrie de cet arrondissement, pendant l'année 1869. »
- Distribution et dépôt à la bibliothèque.
« MM. Hagemans et Brasseur informent qu'ils ont manqué la correspondance par suite du déraillement d'un train de chemin de fer.
« M. de Baillet-Latour demande un congé. »
- Accordé.
MpXµ. - Le chiffre de l'article premier a été réduit de 400,000 fr. par suite de la suppression du n°1° du litt. A, ainsi conçu :
«,1° Pour améliorer la place de Termonde (terrassements et locaux à l'épreuve), 400,000 francs. »
La discussion est ouverte sur cet amendement.
MgGµ. - Messieurs, j'espère que la Chambre ne sanctionnera pas par un vote définitif le vote qu'elle a émis dans la dernière séance relativement au crédit de 400,000 francs demandé par le gouvernement pour améliorer les fortifications de Termonde.
Parmi les membres qui ont émis un vote négatif, il en est un grand nombre qui n'ont point contesté et qui ne pouvaient contester l'utilité des travaux dont il s'agit ; en émettant un vote défavorable, ils ont eu en vue d'exprimer leur désapprobation au sujet de la mesure qui a été prise pour l'exécution immédiate de travaux de campagne sur la rive gauche de l'Escaut, à Anvers. Ces honorables membres qui, sur une question de défense nationale, ont cru pouvoir émettre un vote politique, je ne puis espérer les ramener par des raisons d'intérêt militaire.
D'autres membres ont peut-être fait une confusion sur la destination du crédit demandé. Le crédit qui n'a pas été accepté est simplement destiné à construire des magasins à poudre à l'épreuve de la bombe, en remplacement des magasins à poudre actuels qui ne présentent pas les garanties de sécurité désirables.
L'intérêt de la ville de Termonde se combine donc ici avec les intérêts militaires en faveur des travaux que le gouvernement veut faire exécuter.
J'espère donc que la Chambre, mieux informée, votera le crédit que je lui ai demandé.
- La discussion est close.
MpXµ. - Je mets aux voix le crédit de 400,000 francs, qui a été rejeté au premier vote.
- L'appel nominal est demandé.
Le crédit de 100,000 francs est mis aux voix par appel nominal et adopté par 55 voix contre 42.
Ont voté l'adoption :
MM. Cornesse, Cruyt, de Borchgrave, de Clercq, de Haerne, de Kerckhove, Delcour, De Le Haye, de Montblanc, de Muelenaere, de Naeyer, de Smet, de Theux, de Zerezo de Tejada, Drion, Drubbel, Dumortier, Hermant, Jacobs, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, Lefebvre, Lelièvre, Liénart, Magherman, Moncheur, Mulle de Terschueren, Notelteirs, Pely de Thozée, Rembry. Reynaert, Royer de Behr, Santkin, Schollaert, Simonis, Snoy, Tack, Thonissen ; Van Cromphaut, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Outryve d'Ydewalde ; Van Overloop, Van Renynghe, Van Wambeke, Amédée Visait, Léon Visart, Wasseige, Wouters, Beeckman, Biebuyck et Vilain XI1II.
Ont voté le rejet :
MM. Bouvier, Bricoult, Coomans, Coremans, Couvreur, d'Andrimont, Dansaert, David, De Fré, Defuisseaux, Delaet, de Lexhy, de Lhoneux, Demeur, de Rossius, Descamps, Dupont, Elias, Funck, Gerrits, Guillery, Hayez, Houtart, Jamar, Jottrand, Le Hardy de Beaulieu, Lescarts, Mascart, Muller, Orts, Rogier, Sainctelette, Thienpont, Van Humbeeck, Van Iseghem, Vleminckx, Allard, Ansiau, Anspach, Balisaux, Bara et Berge.
MpXµ. - Le chiffre de l'article 1er est donc de 2,150,000 francs.
Il va être procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi.
L'appel nominal donne le résultat suivant :
98 membres sont présents.
62 adoptent.
33 rejettent.
3 s'abstiennent.
En conséquence le projet de loi est adopté.
Ont voté l'adoption :
MM. Bricoult, Cornesse, Cruyt, de Baets, de Borchgrave, de Clercq, de Haerne, de Kerckhove, Delcour, De Le Haye, de Montblanc, de Muelenaere, de Naeyer, de Smet, de Theux, de Zerezo de Tejada, Drion, Drubbel, Hermant, Jacobs, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, Lefebvre, Le Hardy de Beaulieu, Lelièvre, Liénart, Magherman, Moncheur, Mulle de Terschueren, Notelteirs, Orts, Pety de Thozée, Rembry, Reynaert, Rogier, Royer de Behr, Sainctelette, Santkin, Schollaert, Simonis, Snoy, Tack, Thonissen, Van Cromphaut, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Outryve d'Ydewalde, Van Overloop, Van Renynghe, Van Wambeke, Amédée Visart, (page 116) Léon Visart, Wasseige, Wouters, Anspach, Beeckman, Biebuyck et Vilain XIIII.
Ont voté le rejet :
MM. Coomans, Coremans, Couvreur, d'Andrimonf, Dansaert, David, Defuisseaux, Delaet, de Lexhy, de Lhoneux, Demeur, de Rossius, Descamps, Dupont, Elias, Funck, Gerrits, Guillery, Rayez, Routait, Jamar, Jottrand, Lescarts, Mascart, Thienpont, Vanden Steen, Vermeire, Vleminckx, Allard, Ansiau, Balisaux, Bara et Bergé.
Se sont abstenus :
MM. Bouvier-Evenepoel, De Fré et Muller.
M. Bouvierµ. - Messieurs, le projet de loi contient des crédits auxquels j'aurais donné mon assentiment, ce sont ceux qui ont pour objet de fortifier la défense d'Anvers ; mais il en contient d'autres, auxquels je ne puis acquiescer, ceux particulièrement relatifs à Termonde, que je considère comme un acheminement à des dépenses nouvelles et que certaines notabilités militaires ont, dans cette enceinte, déclarés ne pas être d'une utilité indispensable à la force défensive d'Anvers.
Ce sont la, messieurs, les motifs qui m'ont déterminé à m'abstenir.
M. De Fréµ. - Je me suis abstenu pour les mêmes motifs.
M. Mullerµ. - Messieurs, il y a, dans la loi que vous venez de voter, des crédits que je reconnaissais comme indispensables ; d'autres me paraissaient tout au moins inopportuns et nullement urgents.
Je n'ai donc pas voulu engager l'avenir, j'ai voulu réserver complètement mon appréciation en ce qui concerne le projet des fortifications de Termonde, en faveur duquel la législature ne s'est jamais prononcée.
M. Defuisseauxµ. - Messieurs, lorsque, il y a huit jours à peine, j'ai pris la parole au sujet des décorations, je ne m'attendais pas à ce que nous fussions témoins nous-mêmes des dangers que je signalais alors, et si je les rappelle aujourd'hui à vos souvenirs, c'est pour que nous prenions acte des dangers que j'ai signalés et afin que plus tard nous en revenions a la véritable pratique démocratique, c'est-à-dire à l'abolition de toutes les décorations.
J'en viens, messieurs, à l'affaire spéciale dont il est question aujourd'hui, au vote de l'ordre du jour qui blâme le gouvernement d'avoir décoré un soldat qui a tué un ouvrier.
D'abord, messieurs, je demanderai à l'honorable ministre de la guerre s'il entend faire de cette affaire une question de cabinet... (Interruption.)
Mais, messieurs, l'affaire qui nous occupe est une des plus graves qui puissent se produire ; elle intéresse la classe la plus importante de la société. Je m'étonne que vous m'interrompiez, lorsque je vous dis que la mort d'un enfant du peuple est une chose très grave.
J'ai trop de confiance dans la droite pour croire que de pareils faits puissent être approuvés par elle, et je dis que tous les catholiques aussi bien que les libéraux doivent voter mon ordre du jour.
Je pose donc la question et j'attends une réponse.
J'entrerai, messieurs, d'une manière sommaire seulement, dans l'examen des faits qui nous sont soumis.
Il est avéré, messieurs, qu'un seul témoignage affirme que l'ouvrier Gîllîs aurait provoqué la sentinelle, mais ce témoignage nous pouvons le récuser d'emblée, car c'est celui du soldat lui-même.
Aucun autre témoin ne parle d'un fait de provocation et ici je rectifie une erreur de l'honorable ministre de la guerre, erreur consistant à dire que les ouvriers étaient au nombre de vingt.
Ils étaient cinq.
Quatre sont restés en arrière. Un seul a marché en avant. Cet homme n'était pas armé et la sentinelle avait l'albini que vous connaissez.
Il est impossible d'admettre qu'il y eût un danger sérieux pour le soldat.
Il est impossible de croire qu'il y avait eu provocation de la part de l'ouvrier.
Vous savez, messieurs, ce qui s'est passé à Verviers le jour où a eu lieu cet événement. C'est la conscription, si bien flétrie par un des vôtres, c'est la loterie militaire contre laquelle on proteste sur tous les bancs de cette Chambre, qui est attaquée par tous, mais surtout par le peuple qui en souffre et qui, j'en ai la conviction, ne la supportera pas toujours.
Mais alors qu'une excitation si naturelle, si profonde avait agi sur ces ouvriers, alors qu'ils s'étaient remémoré leurs douleurs et peut-être notre injustice, peut-on punir l'un d'eux d'avoir manqué aux convenances envers, une sentinelle ?
Cet homme n'était pas armé ; ses intentions n'étaient pas mauvaises.
Je ne me constituerai pas l'accusateur du soldat. Je ne m'occuperai pas de la question de savoir s'il est criminel ou s'il doit être décoré. Je dirai seulement, suivant l'expression d'un de ses chefs : « Vous êtes un bon soldat, mais une autre fois ne tirez pas si vite. »
En présence de ces faits, il n'est permis à aucun de nous de trouver que l'on a bien fait.
J'en ai fini avec l'examen sommaire de ce qui s'est fait à Verviers.
Je pourrais encore dire des choses qui vous attendriraient au sujet de la victime. Ce mot a été prononcé par le procureur du roi lui-même.
Je dirais que c'était un brave et honnête père de famille, qui a laissé une pauvre femme dans les larmes, des enfants sans soutien ; je pourrais vous dire que c'est entouré de l'estime de tous ses compagnons qu'il a été conduit à sa dernière demeure, pendant que le gouvernement décorait son meurtrier ; je me bornerai à vous dire que, selon moi, de pareils faits constituent une provocation à la classe ouvrière. Au lieu de laisser tomber dans l'oubli nos malheureuses discordes civiles, vous décorez un soldat qui a tué un ouvrier. Eh bien, si nous ne nous hâtons pas de donner promptement et complètement satisfaction aux exigences des ouvriers et que de pareils faits se produisent encore, je vous demanderai si vous entendez par cette décoration, qui deviendrait une décoration donnée par le Parlement, encourager les ouvriers, non pas comme l'a dit le pauvre Gillis mourant, à être bon au peuple, non pas à avoir ce grand courage civique de savoir supporter les insultes, mais à verser le sang de leurs compatriotes et de leurs frères.
MgGµ. - Lorsque j'ai été interpellé, il y a quelques jours, au sujet du caporal Weeckmans, j'ai communiqué à la Chambre tous les documents officiels que je possédais concernant l'acte d'énergie et de sang-froid accompli par ce militaire.
On a désiré recourir à l'information judiciaire. Or, tous les faits renseignés dans les rapports militaires sont confirmés par les dépositions reçues, dans les instructions faites tant par le procureur du roi que par la police de Verviers.
M. Jottrandµ. - Je demande la parole,
MgGµ. - Un seul fait est contesté par l'honorable préopinant ; celui qui est relatif au nombre des assaillants. Or, il résulte du dossier consulté par M. Defuisseaux que le soldat Weeckmans a déclaré à son capitaine, à l'instant même de l'événement, qu'il avait été assailli directement par cinq individus, et que quinze autres se trouvaient plus ou moins en arrière.
Quant aux témoignages contraires, je ne puis m'en rendre compte, ils ne peuvent avoir été produits que par des assaillants ou des personnes qui n'assistaient pas au conflit, puisqu'il n'y avait en présence que la sentinelle et les émeutiers.
Je proteste contre cette parole de M. Defuisseaux, qu'on a décoré un soldat pour avoir tiré sur un enfant du peuple. On n'a pas tiré sur un paisible enfant du peuple ; on a tiré sur un émeutier qui s'était mis hors la loi.
Ce n'est pas parce que le soldat Weeckmans a couru un danger qu'on l'a décoré ; c'est parce qu'il ne s'est pas troublé dans une circonstance critique, et qu'il a mis fin à des désordres qui auraient pu devenir extrêmement graves, s'il avait montré de la faiblesse.
Je ferai, du reste, remarquer que ce n'est pas la première fois que de pareils faits se produisent.
Dans presque toutes les émeutes, il s'est trouvé des militaires qui ont mérité, par leur sang-froid, leur présence d'esprit, d'obtenir la décoration.
Je rappellerai notamment un fait que toute la Chambre connaît, et qui s'est passé en 1848, à Gand. Un caporal, chargé de conduire des prisonniers, a été assailli par une bande d'émeutiers qui se sont rués sur son escouade. Il a fait feu seul, a tué un émeutier, en a blessé un autre et a ramené ses prisonniers. Il a été nommé sergent et décoré.
Vous voyez, messieurs, que le fait qu'on nous reproche n'est pas un fait nouveau ; si nous voulons que l'armée défende énergiquement l'ordre public menacé par l'émeute, il faut que nous ayons le courage de récompenser les soldats qui font leur devoir comme l'a fait le soldat Weeckmans.
M. Jottrandµ. - M. le ministre de la guerre a justifié la décoration qu'il a fait accorder au caporal Weeckmans, par les rapports officiels qu'il a reçus, notamment du lieutenant général qui s'est occupé de cette affaire.
(page 117) Dans ces rapports, se trouve une affirmation que je vais avoir l'honneur de vous rappeler. Je lis dans le premier rapport du lieutenant général :
« Permettez-moi d'appeler votre attention sur la partie du rapport du major Spreux où il signale la belle conduite d'un jeune soldat de son bataillon, le nommé Weeckmans, de la levée de 1870, qui, étant en faction dans la nuit du 20 au 21 courant, a été assailli, par une vingtaine d'émeutiers armés de pierres, qu'il a mis en fuite après en avoir tué un, d'un coup de feu. »
Le major expose ce fait « dans tous ses détails » et fait ressortir avec beaucoup de raison ce qu'il accuse d'énergie et de sang-froid et appelle sur son auteur la bienveillance du gouvernement.
Dans l'ordre du jour proclamé par le même lieutenant général, le fait qui a motivé la haute récompense se trouve encore précisé de la même manière :
« Le lieutenant général se plaît à citer particulièrement l'énergie déployée par un jeune soldat, le nommé Weeckmans (Pierre-Antoine), de la première compagnie, qui, étant en faction la nuit, a été assailli par une bande de plus de vingt émeutiers et est parvenu à les mettre en fuite après avoir tué l'un d'eux d'un coup de feu. »
Il n'y a donc pas d'autre motif pour justifier la récompense accordée au fusilier Weeikmans, que le fait de ne pas avoir perdu son sang-froid, quand il s'est prétendument trouvé subitement assailli par une vingtaine d'individus au milieu de la nuit.
Or, nous allons voir ce qui s'est réellement passé par la déclaration de Weeckmans lui-même, faite non sous l'émotion du coup, alors que, ne sachant pas trop bien lui-même ce qui s'était passé, il racontait tellement quellement à son capitaine le fait qui venait d'entraîner la mort d'un homme, mais alors que de sang-froid et sous la fol du serment, il était appelé à ne dire rien que la vérité devant le juge d'instruction ; déclaration méditée, car elle devait rester consignée dans une instruction judiciaire.
En effet, messieurs, l'instruction judiciaire que j'ai réclamée la première fois que je me suis occupé de cette affaire, cette instruction judiciaire que M. le ministre de la justice déclarait être impossible, cette instruction avait eu lieu avec toutes les formalités prescrites par la loi.
Voici comment a parlé alors le caporal Weeckmans ; et après cela, je demanderai à M. le ministre de la guerre lui-même si, à quelque point de vue qu'on se place, le fait réel pouvait mériter à ce fusilier la décoration qu'il a obtenue :
« Dans la nuit, du 21 au 21 juin, j'étais de faction sur la place Derrière l'hôtel de ville. Mon poste allait jusqu'au coin du Mont du Moulin. Vers 1 heure et demie du matin cinq individus s'approchèrent de moi. Quatre d'entre eux restèrent derrière l'angle de la rue Mont du Moulin, et le cinquième monta les premières marches qui conduisent à la place Derrière l'hôtel de ville. Je lui dis qu'il ne pouvait passer, il me répondit qu'il passerait. Je persistai à lui refuser le passage, et comme il s'approchait de moi pendant que les autres regardaient à l'angle du mur, je remarquai qu'il avait dans sa main un objet qui m'a paru être enveloppé dans un mouchoir. Je criai deux fois : Aux armes ! et pour écarter cet individu je fis semblant de couler une cartouche dans mon fusil. L'individu ne s'éloigna pas pour cela ; au contraire, son intention évidente était de m'enlever mon fusil. Il s'avança encore et cette fois je mis réellement une cartouche dans l'arme. Enfin mon agresseur se lança sur moi le bras droit levé. Je sautai en arrière et abaissant mon arme je tirai sur l'homme sans viser. Il était alors tout près du canon de mon fusil. Il tomba. Je criai de nouveau : Aux armes ! J'ai parfaitement vu les quatre autres individus se sauver ; un peu après ils sont revenus ou du moins j'ai reconnu l'un d'eux et ils ont porté le corps plus bas dans la rue Mont du Moulin. On a retrouvé le mouchoir contenant une pierre que vous me représentez à l'endroit où le corps est tombé. »
Voilà à quoi se réduit l'acte de courage inouï attribué au fantassin Weeckmans et qui lui a valu l'honneur d'être nommé chevalier de l'ordre Léopold, alors que déjà il avait reçu le grade de caporal et une pension.
Je laisse à la Chambre, sans plus de commentaire, à juger si l'acte réellement posé, décrit par son auteur lui-même, a quelque rapport que ce soit avec celui qui a été décrit par M. le ministre de la guerre d'après les rapports officiels dont il nous a donné lecture.
Je ne veux pas entrer dans l'examen de la question de savoir si réellement Weeckmans a été l'objet d'une menace violente et si réellement la victime avait dans la main un mouchoir enveloppant une pierre ou si elle n'en avait pas ; en un mot si Weeckmans était en état de légitime défense ou s'il était tout simplement dans la situation d'une sentinelle qui doit, à tout prix, maintenir la consigne qui lui a été donnée de défendre un passage.
Je n'examine pas cette question ; si une action civile, dont on parle de la part de la veuve et des enfants Gillis, se poursuit, ce sera à la justice civile à juger ce qui s'est réellement passé.
Je demande tout simplement à la Chambre d'adopter l'ordre du jour formulé par l'honorable M. Defuîsseaux, en prenant en considération non point tous les motifs par lesquels il l'appuie, il en est auxquels je ne me rallie pas, mais principalement l'énorme disproportion entre la récompense accordée et le fait tel qu'il est constaté par le récit de Weeckmans lui-même.
M. Rogierµ. - Messieurs, la motion qui vous a été soumise à l'improviste renferme en elle des questions graves. Si j'avais eu l'honneur d'être consulté par l'auteur de la motion, je lui aurais conseillé de ne pas la produire.
Messieurs, je n'ai pas besoin de faire profession ici de sympathies pour les classes ouvrières. Depuis longtemps je m'en suis occupé et je ne crois pas avoir besoin de les flatter pour être assuré au moins de leur estime.
Si, messieurs, le gouvernement venait nous demander une approbation explicite de l'acte qu'il a posé, j'avoue que cette approbation, je ne pourrais la lui donner. Je ne pourrais le faire, alors même qu'il attacherait à cette question une question de ministère.
Mais comme le gouvernement ne demande pas une approbation explicite de cet acte isolé qui n'est d'ailleurs, j'aime à le croire, l'expression d'un système, et comme il s'agit, d'autre part, d'infliger un blâme direct, politique, parlementaire, particulièrement à M. le ministre de la guerre, je ne puis m'associer à cette motion.
L'honorable membre a demandé, je ne sais dans quel but, si le cabinet faisait de cette question une question de portefeuille. On n'a pas répondu. Mais il est certain que si la Chambre venait à exprimer un blâme de l'acte posé par le cabinet, elle renverserait celui-ci moralement.
Messieurs, j'aime bien les élans généreux, je m'associe volontiers aux sentiments de la jeunesse. Je n'ai pas de prévention contre le jeune contingent que les dernières élections nous ont envoyé. Mais je trouve que, dans ces circonstances, ces nouveaux représentants n'ont pas fait preuve d'une circonspection suffisante, qu'ils me permettent de le leur dire.
Ainsi, on vient de traiter de meurtrier un soldat, alors que tout innocent qu'il est de la décoration qui est venue le chercher dans son humble position, alors qu'il a rempli ce qu'il considérait comme son devoir.
MpXµ. - Permettez-moi une observation. M. Defuisseaux a prononcé le mot « meurtre », et non le mot « meurtrier », et se reprenant immédiatement, il s'est servi du mot « mort », effaçant ainsi lui-même le mot que vous lui reprochez.
M. Rogierµ. - Je ne veux pas être plus sévère que vous, M. le président ; mais j'ai entendu parfaitement que l'orateur appelait ce soldat « meurtrier ». Eh bien, je trouve cette accusation excessivement grave.
On a dit que la victime était un enfant du peuple. Mais je ferai remarquer à l'honorable député de Mons que le soldat est aussi un enfant du peuple, qui a droit à nos sympathies, tout autant que les autres enfants du peuple.
Cet enfant du peuple est enlevé à ses travaux, à sa famille pour le service de la patrie. Il a droit à des égards qui ne sont pas dus peut-être au même titre à d'autres enfants du peuple qui ne sont pas astreints à des devoirs aussi difficiles.
Le mot qui a été prononcé, je le regrette donc et je serais charmé d'accepter l'interprétation de notre honorable président par laquelle l'honorable orateur lui-même aurait en quelque sorte retiré le mot prononcé dans un moment d'émotion et que peut-être il regrette. (Interruption.)
Eh bien, pour moi, loin de m'associer à cette expression, je ne puis que la réprouver complètement.
Messieurs, je le répète : si le gouvernement venait nous demander l'approbation de l'acte qu'il a posé, je ne la donnerais pas.
A certains égards, cet acte a manqué d'opportunité ; mais il y a loin de là à infliger un blâme public à M. le ministre de la guerre, contre lequel aucune espèce de griefs n'a été articulé jusqu'ici.
Je tiens M. le ministre de la guerre pour un homme intelligent, capable, animé de patriotisme ; je ne pourrais donc m'associer à un vote qui, quoi qu'on fasse, aurait, pour lui personnellement, le caractère et les conséquences d'un vote de blâme.
Mon vote, messieurs, sera donc négatif, et si j'avais un conseil à donner aux honorables auteurs de la motion, ce serait de la retirer, tout en maintenant l'opinion qu'ils ont exprimée avec chaleur sur l'acte ministériel en | lui-même.
(page 118) M. Defuisseauxµ. - Non seulement je ne retire pas ma motion, mais je la présente avec une confiance absolue à la Chambre.
Si l'on s'en rapporte à l'honorable M, Rogier lui-même, on ne peut pas approuver l'acte posé par le gouvernement ; or, nous n'avons que deux manières de nous exprimer : approuver avec franchise ou désapprouver avec la même franchise.
Malheureusement, les militaristes se trouvent aussi nombreux sur les bancs de la droite que sur les bancs de la gauche et je ne m'étonne pas plus de l'opposition de l'honorable M. Rogier que des adversaires que j'ai rencontrés de l'autre côté de la Chambre.
L'honorable M. Rogier a dit tout à l'heure que ce soldat était, lui aussi, un enfant du peuple. Malheureusement oui ; mais il est un enfant du peuple enrégimenté, un enfant du peuple qui a abdiqué, en entrant a la caserne, sa volonté, pour suivre celle de ses chefs, et il est véritablement bien malheureux, lorsqu'on vient soutenir la cause des ouvriers, lorsqu'on vient exprimer le regret d'avoir vu donner un signe honorifique à ceux qui ont eu le malheur (car c'est toujours un malheur) d'avoir donné la mort, il est déplorable d'entendre argumenter d'une chose qui pèse sur l'ouvrier lui-même, d'entendre dire : « Le soldat est aussi un enfant du peuple. » Cela ne prouve qu'une chose, c'est que nous avons eu le malheur de diviser la population et de chercher dans le peuple des éléments pour le combattre.
Encore une fois, messieurs, je présente cet ordre du jour à la chambre avec une entière confiance, je désire non seulement qu'il soit voté, mais qu'il soit voté par appel nominal, afin que tous les ouvriers puissent connaître ceux qui ont approuvé le gouvernement et qui ont, en quelque sorte, ajouté une nouvelle décoration à celle qui a été donnée par le gouvernement.
M. Bouvierµ. - Messieurs, j'aurais voté la motion de l'honorable M. Defuisseaux, mais les dernières paroles qu'il vient de prononcer m'obligent à émettre un vote négatif sur sa proposition.
M. Baraµ. - Je ne puis m'associer à la motion de l'honorable député de Mons, pour une raison fort simple. Déjà l'honorable M. Jottrand a déclaré qu'il ne s'associait pas aux motifs de cette motion, et qu'il avait d'autres motifs que l'honorable M. Defuisseaux.
Mais, messieurs, il est certain que quand on vote une motion, on vote les motifs développés par celui qui l'a faite et que si l'honorable M. Jottrand ne faisait pas une autre proposition, il serait censé avoir adopté l'opinion de l'honorable M. Defuisseaux.
Quant à moi, je regrette vivement, avec l'honorable M. Rogier, que la question ait été soulevée.
Nous avons tous la plus grande sympathie pour les ouvriers ; mais, d'un autre côté, nous devons vouloir que l'ordre soit respecté dans l'intérêt même de l'ouvrier.
Je n'examine pas les faits qui se sont passés à Verviers, mais je prends les choses de plus haut.
L'honorable M. Defuisseaux a prétendu que lorsqu'un soldat se conduisait bien dans une émeute, dans un mouvement populaire, il n'avait pas droit à une distinction parce qu'il avait affaire à des concitoyens.
Nous ne pouvons admettre un système aussi absolu.
Ainsi, je suppose que des soldats défendent contre des forcenés l'asile d'un citoyen qu'ils veulent mettre en pièces. Ces hommes qui auront, au péril de leur vie, défendu l'inviolabilité du domicile n'auront-ils pas fait preuve d'autant de courage que s'ils avaient combattu sur un champ de bataille ?
Mais ils auront montré un double courage, le courage personnel et celui du sacrifice à l'accomplissement du devoir, de l'amour de leurs compatriotes. (Interruption.)
Je vais prouver à l'honorable membre que sa théorie est loin de servir le progrès.
L'honorable membre est anticlérical.
Je suppose que demain des fanatiques viennent envahir la demeure d'un citoyen connu comme libre penseur, je suppose que des juifs soient attaqués chez eux, que la force armée repousse ces forcenés.
Croyez-vous que ces soldats n'auraient pas rempli leur devoir et servi la grande cause du progrès et de l'humanité ?
La thèse de l'honorable membre est insoutenable. Il est évident que l'on doit rarement décorer lorsqu'il s'agit d'émeutes ; mais de là au système de l'honorable membre, il y a loin.
Si j'arrive aux faits de Verviers, je déclare que je ne puis me prononcer.
L'enquête a été déposée. D'après ce que l'honorable M. Defuisseaux a dit lui-même, elle est très vague ; les témoignages sont très incertains.
Cet homme a-t-il fait son devoir ?
M. Defuisseaux lui-même paraît l'admettre, puisqu'il ne met pas ce point en discussion.
Je crois que l'honorable ministre de la guerre peut avoir envisagé, d'une manière trop complaisante, l'action commise par ce soldat.
Je crois qu'il aurait pu se dispenser de le décorer et surtout sur l'heure, mais les renseignements fournis sont de telle nature qu'il nous est impossible de blâmer et encore moins d'approuver l'acte du ministère.
Dans ces conditions, je ne puis pas accepter la proposition de l'honorable M. Defuisseaux. S'il y avait eu une autre motion disant : La Chambre, sans approuver ni improuver l'acte du gouvernement, passe à l'ordre du jour, je l'eusse votée, mais je ne puis accepter la proposition telle qu'elle est formulée.
- Plusieurs membres à droite. - Aux voix !
M. Bouvierµ. - Laissez parler. La question est très grave.
M. Guilleryµ. - Il importe que la question soit posée d'une manière nette et précise. Je n'ai pu, quant à moi, assister à toute la discussion, mais quels que soient les motifs que M. Defuisseaux a donnés à sa proposition, je ne puis que l'approuver en elle-même.
Je ne vois que la proposition elle-même.
Laissons de côté le fond de la question, n'allons pas même aussi loin que M. Bara, qui croit qu'on a été un peu vite en conférant la décoration au caporal Weeckmans ; examinons simplement le fait.
Est-il possible de ne pas regretter que le gouvernement ait consacré par une distinction honorifique un événement tout au moins malheureux et regrettable.
Le souvenir de nos discordes civiles doit-il être inscrit dans les fastes où ne doivent se trouver que des actions louables à tous égards et heureuses à tous égards ? Je n'examine pas avec M. Bara s'il faut plus de courage pour faire son devoir dans les discordes civiles que sur le champ de bataille, je reconnais volontiers que, pour défendre un poste ou un citoyen attaqué, il faut un grand courage, souvent même un courage héroïque, et certainement tout le monde louera le soldat qui fait son devoir dans ces circonstances ; aussi si l'on se fut borné à louer le soldat Weeckmans, personne n'aurait fait entendre le moindre blâme.
Mais de ce qu'il faut un grand courage pour faire son devoir dans ces circonstances, s ensuit-il qu'il faille décorer ceux qui le font ? Remarquez-le, dans les émeutes, les coupables sont plus souvent égarés que coupables, ils sont plus souvent entraînés par des sentiments généreux que par de mauvaises pensées et le plus souvent aussi ils font le mal en croyant faire le bien.
Dans les discordes civiles, il faut donc, avant tout, admettre l'indulgence, l'amnistie et le pardon. Si l'on n'admettait pas ce principe, il n'y aurait pas de société possible ; il faut toujours que, le lendemain des erreurs, il y ait place pour le pardon.
Or, ces sentiments, qui sont certainement ceux de la Chambre et ceux du pays, sont incompatibles avec la collation d'une décoration le lendemain de la répression d'une émeute.
Toute la question est de savoir si le gouvernement a eu raison, oui ou non, de consacrer ce souvenir par une décoration. Si le soldat qui a fait son devoir avait été l'objet de la bienveillance de ses chefs ; si, au lieu de lui décerner avec éclat une décoration, on s'était borné à lui donner une approbation pure et simple, personne n'aurait songé à récriminer.
L'amendement de M. Defuisseaux me paraît à moi parfaitement clair et ma conscience ne me permet pas de ne pas le voter.
M. Baraµ. - Je ne puis accepter la manière dont l'honorable membre pose la question, parce que demain on pourrait venir nous présenter au public comme ayant acclamé le gouvernement pour avoir décoré un soldat à l'occasion de la mort d'un ouvrier. Mais la question n'est pas ainsi posée par M. Defuisseaux.
M. Defuisseauxµ. - Pardon !
M. Baraµ. - L'honorable M. Defuisseaux, dans la première séance où il a été question de l'affaire qui nous occupe, a déclaré que l'on ne devait jamais décorer un soldat qui, dans une émeute, avait causé la mort d'un homme.
M. Defuisseauxµ. - C'est aussi ce que dit M. Guillery.
M. Baraµ. - M. Guillery a pu dire cela à la fin de son discours, mais il a dit le contraire au commencement. Si vous prétendez qu'il doit en être ainsi, présentez un projet modifiant la loi sur les décorations de l'ordre Léopold ; mais ne rapetissez pas le débat à une question de fait. (Interruption.) Vous voulez, à propos du fait de Verviers, emporter notre vote ; vous ne l'obtiendrez pas, parce que ce fait est obscur, parce (page 119) que, dans l'état des choses, il ne nous paraît y avoir lieu ni à blâme ni à approbation.
Si le soldat Weeckmans a été attaqué par vingt ouvriers, comme on le prétend, il avait pour devoir de se défendre, et en le faisant, il aurait fait preuve de résolution.
Si les choses s'étaient passées ainsi, je serais d'accord avec les honorables membres qu'il n'y avait pas lieu de le décorer ; mais l'expression de notre opinion suffit. Il est inutile d'aller jusqu'à un blâme solennellement donné par la Chambre. Vouloir aller plus loin, c'est donner les mains à ceux qui ne manqueront pas de nous accuser de compromettre l'ordre public. On nous représentera comme excitant au désordre et comme ne sachant pas défendre ceux qui, attaqués, usent du droit de légitime défense. Nous sommes le parti de l'ordre et de la légalité et nous ne pouvons vouloir de cette position. Nous déclarons nettement que la décoration donnée au caporal Weeckmans était inopportune, mais là doit se borner notre opposition.
M. Defuisseauxµ (pour un fait personnel). - Messieurs, je ne réclame que quelques minutes de votre patience et de votre bienveillance.
L'honorable M. Bara vient de dire que ma motion diffère complètement de celle de l'honorable M. Guillery ; et moi, je n'ai trouvé dans le discours de mon honorable collègue que la reproduction, sinon de mes paroles, au moins de mes idées et de mes sentiments. Qu'est-ce que l'honorable M. Guillery a dit, en effet ? Il a dit que, le lendemain d'une guerre civile, il ne fallait songer qu'au pardon et à l'oubli. Je n'ai pas dit autre chose devant la Chambre.
L'honorable M. Bara nous a dit que nous devions aller plus loin, que nous devions provoquer une modification à l'institution de l'Ordre de Léopold ; je demande non pas seulement une modification à l'Ordre de Léopold, mais l'abrogation de cet Ordre pour tout le monde.
Voilà la rectification que j'ai cru de mon devoir de présenter à la Chambre.
MjCµ. - Messieurs, on ne conteste pas la légitimité de la conduite du soldat Weeckmans ; ceux mêmes qui ont proposé l'ordre du jour, ou qui en demandent l'adoption, reconnaissent qu'il a usé de son droit, qu'il s'est trouvé dans le cas de légitime défense (Interruption) ; du moins renoncent-ils à examiner ce point.
Cette abstention, après l'examen du dossier, prouve qu'il n'y a pas de reproche à faire au caporal Weeckmans. Si on le contestait, il suffirait, pour démontrer à la Chambre que le soldat Weeckmans a usé de son droit et rempli son devoir, il suffirait, dis-je, de donner connaissance de quelques-unes des dépositions recueillies dans l'instruction dont le dossier a été soumis à la Chambre. Je ne veux pas abuser de l'attention de la Chambre en donnant lecture de toutes ces dépositions.
Je me bornerai à lire celle du capitaine Schollaert :
« Le 21 juin, entre 1 et 2 heures du matin, j'étais de poste à l'hôtel de ville. J'entendis un coup de feu, au moment où j'interrogeais le factionnaire, au sujet de la consigne qui lui avait été donnée.
« J'envoyai immédiatement le sous-lieutenant Berben avec dix ou quinze hommes s'enquérir de ce qui s'était passé. Un des hommes de la patrouille m'a rapporté un mouchoir renfermant une grosse pierre. Je ne connais pas le nom de cet homme ; je l'ai peu remarqué, en ce moment, j'étais très occupé. J'ai remis le mouchoir et la pierre en main de la police. C'est moi qui ai recueilli la déclaration de la sentinelle, immédiatement après l'événement. Voici ce qu'elle m'a dit :
« J'ai vu arriver sur moi quinze à vingt individus dont une douzaine se sont arrêtés au deuxième ou troisième cri de halte-là. J'ai menacé de faire feu sur eux, s'ils continuaient d'avancer. Trois ou quatre se sont détachés du groupe et se sont avancés vers la sentinelle. L'un de ces derniers a marché droit sur moi, il a levé le bras, soit pour me frapper soit pour s'emparer de mon arme. Alors j'ai fait le double saut en arrière, chargé mon arme et tiré sur l'agresseur, tout cela s'est fait en quelques secondes ; car au moment où je tirai, l'homme qui a été atteint avait encore le bras levé ; tous les autres se sont enfuis...
« Dans ces circonstances, cet homme était en légitime défense et il n'a fait qu'obéir à la consigne qui lui avait été donnée de se défendre seulement en cas d'agression personnelle et directe. »
Telle est la déclaration faite par le soldat à son chef, au moment de l'accident, déclaration tout à fait spontanée, par conséquent sincère, puisqu'il racontait ce qui venait de se passer immédiatement.
Le lendemain, 22 juin, le soldat Weeckmans est entendu devant le magistrat instructeur sous la foi du serment. Il raconte de nouveau les faits dans les termes qui ont été rapportés tantôt par l'honorable M. Jottrand.
La première circonstance de quinze à vingt personnes n'est pas renseignée dans cette seconde déclaration. Mais cela ne prouve pas du tout que la déclaration faite au capitaine ne soit pas exacte. Le soldat n'a pas été interpellé par le juge d'instruction sur cette particularité.
Des pièces de l'instruction soumises à la Chambre, il résulte que Weeck mans est à l'abri de tout reproche et a fait son devoir.
Il peut s'abriter derrière la loi.
Le Code pénal militaire (nous sommes ici en matière militaire, notez-le bien, et il s'agit des intérêts de l'armée qu'il faut sauvegarder, des intérêts de l'ordre public qui sont intimement liés aux intérêts de l'armée), le Code pénal militaire, dans son article 213, s'exprime ainsi : « Si un factionnaire a frappé, blessé ou tué quelqu'un, et qu'il prétende l'avoir fait pour sa défense, comme ayant été attaqué et molesté sur son poste, sa déclaration sous serment, attestant qu'il a agi ainsi pour sa défense suffira pour sa décharge, sans qu'il en soit requis de preuves ultérieures à moins que d'autres raisons ou d'autres circonstances n'affaiblissent considérablement la crédibilité de son rapport, auquel cas le serment ne lui sera pas même déféré. »
Je pourrais citer également à la Chambre les dispositions des divers règlements sur le service de garnison qui prouvent clairement que le caporal Weeckmans en agissant, comme il l'a fait, s'est conformé aux prescriptions légales.
Et, messieurs, qu'on ne se récrie pas contre, l'exorbitance de pareilles dispositions, car il en existe de semblables en diverses matières.
Ainsi, messieurs, en matière forestière, en matière de douanes, la loi admet la preuve des procès-verbaux des agents de la force publique jusqu'à inscription de faux, parce que, à côté des intérêts individuels, il y a Ies intérêts de la société, qui sont également respectables.
Dans l'espèce actuelle, les circonstances viennent-elles corroborer la déposition sous serment de Weeckmans et la déclaration qu'il a faite instantanément à son capitaine ?
Mais, messieurs, il suffit de lire l'instruction pour s'en convaincre ;. il y a dans cette instruction des dépositions qui viennent vérifier et justifier complètement la déclaration de Weeckmans.
C'est ainsi qu'une femme racontant la scène qui s'est passée au moment où on a relevé le cadavre de Gillis, est venue déclarer avoir entendu un des compagnons de ce dernier dire que c'était en voulant forcer le passage malgré la défense formelle de la sentinelle, que Gillis avait été atteint par un coup de feu.
C'est là, on ne le contestera pas, la preuve qu'on a voulu violer la consigne.
Le droit dont a usé le caporal dans cette circonstance est donc incontestable.
Parlerai-je du certificat médical si catégorique. ?
M. Bouvierµ. - Justifiez la décoration, M. le ministre.
MjCµ. - Je justifie précisément l'acte posé par l'honorable ministre de la guerre et je ne crois pas, commit l'a fort bien dit, avec sa grande expérience,- l'honorable M. Rogier, qu'il serait sage, dans les circonstances actuelles, de blâmer cet acte..
Il faut tenir compte de ce qui s'est passé à Verviers dans la journée du 20 juin. Ce jour-là, des faits excessivement graves ont été commis ; il y a eu une émeute organisée ; le peuple a été en collision avec la force publique ; des agents de la force publique ont été, non seulement molestés, mais grièvement blessés, et le tribunal de Verviers, dans ses audiences de vendredi et de samedi derniers, a eu à s'occuper de ces tristes incidents de l'émeute du 20 juin.
Il y avait en cause quinze ou vingt personnes (je ne saurais garantir le chiffre exact) prévenues de rébellion envers les agents de la force publique, de coups et blessures et d'outrages envers ces mêmes agents.
Et remarquez que ce ne sont pas seulement les soldats qui ont été l'objet de ces actes de rébellion et de violence ; ce sont les gendarmes et les agents de la police communale de Verviers qui ont été les principales victimes.
Les faits qui ont eu lieu à Verviers, le 20 juin dernier, étaient tellement graves que l'administration communale avait cru devoir requérir, de l'autorité militaire de Liège, l'envoi d'un fort contingent de troupes.
Ces troupes sont arrivées dans l'après-midi et ont dû, comme on l'a dit, dégager les rues encombrées d'une masse de peuple. On a dû prendre des mesures de précaution pour empêcher, pendant la nuit, le retour de l'émeute et c'est pour veiller à ce soin que le soldat Weeckmans avait été posté au (page 120) haut de la rue du Mont du Moulin, afin d'empêcher l'accès de l'hôtel de ville.
Et Gillis, d'où venait-il donc à Verviers à pareille heure ? Gillis est membre de l’Internationale. Il habile Ensival, c'est-à-dire qu'au moment où il se trouvait sur la place de l'Hôtel de ville de Verviers, il était à trois quarts de lieue de son domicile. Pendant qu'il était ainsi rôdant la nuit dans les rues de Verviers, après cette journée d'émeute, sa femme était occupée à l’atelier, gagnant le pain de leurs quatre enfants.
Voilà la vérité ; elle résulte du dossier, ce sont des faits constants.
Que faisait-il donc à Verviers pendant cette nuit ? Pourquoi venait-il s'en prendre au soldat Weeckmans, voulant forcer la consigne ? Quel était son but ? Sa conduite est tout au moins suspecte, il faut le reconnaître. Et Gillis a eu d'autant plus tort dans cette déplorable lutte, qu'il est un ancien soldat et que, comme tel, il connaissait parfaitement les devoirs des factionnaires. Il a eu le tort grave de se mettre dans cette position, lui qui savait quelles sont les obligations strictes de ceux que l'autorité militaire prépose à la garde de la tranquillité publique.
Messieurs, comme on l'a dit, la mission des agents de la force publique est extrêmement pénible. La répression est toujours pénible. Mais elle l'est surtout quand, de la part de soldats qui sont eux aussi enfants du peuple, elle doit s'exercer contre d'autres enfants du peuple.
Si l'on décourageait l'armée dans cette mission pénible, ingrate, qu'elle doit remplir pour réprimer les désordres beaucoup trop fréquents qui désolent nos centres industriels ; si le soldat qui accomplit son devoir, qui fait preuve de courage et d'énergie, ne se sentait pas soutenu par l'autorité supérieure, par ses chefs, je le demande à toute la Chambre, est-ce que la société serait encore suffisamment garantie ? Est-ce que les hommes de désordre ne pourraient pas alors se donner libre carrière ? Je pose cette question à vos consciences.
il est une autre circonstance sur laquelle j'appelle l'attention de la Chambre : cette circonstance est fort grave ; elle est capitale pour l'appréciation des faits. L'armée a été positivement, dans ces troubles de Verviers, l'objet de tentatives d'embauchage, de tentatives de corruption ; cela résulte du dossier. Des sommes d'argent ont été offertes aux soldats pour les détourner de leur devoir et leur faire crier : « Vive l'Internationale ! »
Eh bien, dans ces conjonctures, je crois que si l'on votait l'ordre du jour proposé par M. Defuisseaux, on rendrait un fort mauvais service à la société et l'on compromettrait pour l'avenir la sécurité publique. L'honorable membre a dit lui-même qu'il importait d'effacer autant que possible le souvenir de ces déplorables accidents. Je suis de son avis ; mais je ne crois pas que le moyen d'effacer ce souvenir soit de voter la proposition de l'honorable membre. Au contraire, le vote de cette proposition, au lieu d'apaiser et de calmer, surexciterait les passions. La Chambre écartera donc l'ordre du jour proposé par M. Defuisseaux.
MpXµ. - Voici un ordre du jour proposé par M. Guillery :
« La Chambre, regrettant que le gouvernement ait conféré une distinction dont la conséquence inévitable est de consacrer le souvenir d'un événement malheureux, passe à l'ordre du jour. »
M. de Theuxµ. - Messieurs, je propose à la Chambre de voter l'ordre du jour pur et simple. Je crois que c'est la seule résolution digne de la Chambre.
M. Baraµ. - Cet ordre du jour n'implique ni approbation ni improbation ?
M. de Theuxµ. - Non.
- L'ordre du jour proposé par M. de Theux est mis aux voix par appel nominal.
94 membres sont présents.
72 adoptent.
17 rejettent.
5 s'abstiennent.
En conséquence l'ordre du jour est adopté.
Ont voté l'adoption :
MM. Bricoult, Cornesse, Cruyt, de Baets, de Borchgrave, de Clercq, de Haerne, Delcour, De Le Haye, de Lexhy, de Lhoneux, de Muelenaere, de Naeyer, de Rossius, de Smet, de Theux, de Zerezo de Tejada, Drion, Drubbel, Dumortier, Dupont, Elias, Hayez, Hermant, Jacobs, Janssens, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, Lefebvre, Lelièvre, Liénart, Magherman, Moncheur, Mulle de Terschueren, Muller, Notelteirs, Pety de Thozée, Rembry, Reynaert, Rogier, Royer de Behr, Sainctelette, Santkin, Schollaert, Simonis, Snoy, Tack, Thienpont, Thonissen, Van Cromphaut, Vanden Steen, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Iseghem, Van Outryve d’Ydewalde, Van Overloop, Van Renynghe, Van Wambeke, Vermeire, Verwilghen, Amédée Visart, Léon Visart, Wasseige, Wouters, Allard, Balisaux, Bara, Beeckman, Biebuyck et Vilain XIIII.
Ont voté le rejet :
MM. Bouvier, Couvreur, d'Andrimont, Dansaert, David, Defuisseaux, Demeur, Descamps, Funck, Guillery, Houtart, Jottrand, Le Hardy de Beaulieu, Lescarts, Van Humbeeck, Vleminckx et Berge.
Se sont abstenus :
MM. Coomans, Coremans, Delaet, Orts et Anspach.
M. Coomansµ. - Messieurs, je crois que l'acte de Weeckmans est excusable, mais non décorable.
J'aurais exprimé un regret dans le sens des discours prononcés par d'autres préopinants, si on n'y avait attaché un blâme pour le ministère et pour ce soldat.
Je crois que ce soldat a usé de son droit, de son strict droit, ce qui n'implique pas une décoration, car si nous pouvons user de notre droit nous ne le devons pas toujours.
Je crois que le gouvernement en a usé avec une parfaite bonne foi et que le blâme dont on voudrait le frapper serait d'autant plus injuste que l'honorable ministre de la guerre n'a fait que ce que beaucoup d'autres ont fait avant lui.
M. Coremansµ.- Par les motifs donnés par l'honorable M. Coomans.
M. Delaetµ. - J'aurais voté pour l'ordre du jour pur et simple, s'il avait été entendu que cet ordre du jour excluait toute approbation et tout blâme de l'acte posé par le gouvernement.
M. Baraµ. - Cela avait été entendu.
M. Delaetµ. - J'avais ouï comprendre que l'interprétation de M. Bara n'avait pas été formellement admise. Si je l'avais compris autrement, j'aurais émis un vote affirmatif.
M. Ortsµ. - La signification de l'ordre du jour, après la discussion, m'a paru équivoque.
Je n'ai pas voulu, par conséquent, émettre un vote que l'on aurait pu interpréter, soit comme un blâme, soit comme une approbation, tandis que j'étais aussi peu déterminé à accorder l'une que l'autre.
MpXµ. - La section centrale propose deux amendements. Le gouvernement s'y rallie-t-il ?
MgGµ - Oui, M. le président.
« Art. 1er. Le gouvernement est autorisé à compléter les cadres de l'armée pour le pied de guerre. »
MpXµ. - La section centrale propose d'ajouter à la fin de l'article les mots : « conformément au tableau annexé à la présente loi. »
- L'article ainsi amendé est adopté.
« Art. 2. Il est également autorisé à suspendre les cours de l'école militaire et à nommer officiers les élèves de cette école, ainsi que les sous-officiers des armes spéciales, sans les astreindre à la formalité légale de l'examen préalable. »
MpXµ - La section centrale propose de remplacer les derniers mots de l'article par ceux-ci : « sans les astreindre à l'examen* »
- L'article ainsi amendé est adopté.
Il est procédé à l'appel nominal sur l'ensemble du projet.
92 membres y prennent part.
76 répondent oui.
14 répondent non.
2 s'abstiennent.
Ont répondu oui : MM. Bouvier, Bricoult, Cornesse, Couvreur, Cruyt, d'Andrimont, de Baets, de Borchgrave, de Clercq, de Haerne, Delcour, De Le Haye, de Lhoneux, de Montblanc, de Muelenaere, de Naeyer, Descamps, de Smet, de Theux, de Zerezo de Tejada, Drion, Drubbel, Dumortier, Dupont, Elias, Funck, Hermant, Jacobs, Janssens, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, Lefebvre, Lelièvre, Liénart, Magherman, Moncheur, Mulle de Terschueren, Muller, Notelteirs, Orts, Pety de Thozée, Rembry, Reynaert, Rogier, Royer de Behr, Sainctelette, Santkin, Schollaert, Simonis, Snoy, Tack, Thonissen, Van Cromphaut, Vanden Steen, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Outryve d'Ydewalde, Van Overloop, Van Renynghe, Van Wambeke,(page 121) Vermeire, Verwilghen, Amédée Visart, Léon Visart, Vleminckx, Wasseige, Wouters, Allard, Anspach, Beeckman, Biebuyck et Vilain XIIII.
Ont répondu non : MM. Coomans, Coremans, Dansaert, David, Defuisseaux, Delaet, Demeur, Guillery, Hayez, Houtart, Jottrand, Lescarts, Balisaux et Bergé.
Se sont abstenus : MM. de Lexhy et Le Hardy de Beaulieu.
MpXµ. - Les membres qui se sont abstenus sont priés de faire connaître à la Chambre les motifs de leur abstention.
M. de Lexhyµ. - Je n*ai point voté pour le projet de loi qui nous est soumis, parce qu'il aura, selon moi, des conséquences funestes en temps de paix. Elle seront funestes au point de vue de l'avenir des sous-officiers, qui sera brisé pendant longtemps et au point de vue de nos finances qui en seront lourdement grevées.
Je n'ai pas voté contre, à cause des circonstances dans lesquelles nous nous trouvons.
M. Le Hardy de Beaulieuµ. - J'aurais voté le projet si les conséquences n'en avaient été que temporaires ; je n'ai pas voulu le voter parce que les droits qu'il donne dureront plus longtemps que les événements.
M. Vleminckxµ. - Je demande la parole.
MpXµ. - Sur quoi ?
M. Vleminckxµ. - Sur les motifs d'abstention.
MpXµ. - On ne discute jamais les motifs d'abstention, M. Vleminckx.
M. Rogierµ. - On peut les discuter.
M. Vleminckxµ. - Je voulais simplement manifester le regret que ces motifs d'abstention n'eussent pas été indiqués dans la discussion ; j'aurais pu démontrer que le projet de loi n'aura pas les conséquences que l'on craint.
M. de Lexhyµ. - Si l'on contestait la valeur des motifs que j'ai allégués pour justifier mon abstention, j'espère que la Chambre voudra bien me permettre de développer ces motifs.
MpXµ. - La discussion générale est ouverte.
M. Eliasµ. - Messieurs, il y a quelques jours, M. le ministre des finances, interrompant M. Frère-Orban, vous déclarait qu'il s'était établi un accord complet entre les industriels qui sollicitent du travail du département des travaux publics. L'honorable membre vous disait qu'il croyait cet accord complet difficile et de plus qu'il ne pouvait croire qu'il serait avantageux pour l'Etat.
J'étais du même avis et les faits sont venus promptement le confirmer.
Plusieurs industriels de Liège, fournisseurs habituels du gouvernement, qui prennent part à presque toutes les adjudications du chemin de fer sont venus se plaindre auprès de moi de n'avoir pas été compris dans la répartition des fournitures à faire ; et ces plaintes ne feront qu'augmenter.
Ces messieurs, en effet, n'ont pas été avertis et ne pouvaient par conséquent vous adresser leurs réclamations.
A ce point de vue, je suis donc en droit de dire que la répartition que vous avez faite n'est pas et ne pouvait être équitable.
Votre projet de loi est donc mauvais rien que sous ce rapport.
Mais il soulève une autre question que l'impatience de la Chambre ne me permet pas d'examiner complètement en ce moment et qui, à elle seule, me le ferait repousser.
C'est que je ne puis croire que le gouvernement soit plus apte que la libre concurrence à faire la répartition du travail entre les divers groupes industriels du pays.
La concurrence, en effet, par les rabais qu'elle provoque, donne la juste mesure des besoins de travail que chaque concurrent éprouve et par cela seul le donne à ceux qui sont le plus près du manque de commandes.
Le projet de loi viole ainsi les plus saines règles de l'économie politique et ne réalisera aucun des effets que le gouvernement prétend en attendre.
M. Bouvierµ. - Messieurs, comme vient de le dire l'honorable M. Elias, le projet de loi peut donner lieu, dans la répartition des travaux à exécuter et des fournitures à faire, à certain arbitraire que je regretterais vivement pour ma part, s'il venait à se produire. Il donne au gouvernement un pouvoir extraordinaire. Il renferme une dérogation à nos lois de comptabilité, qui exigent la concurrence la plus sérieuse en posant en principe les adjudications publiques. Or, messieurs, d'après le projet de loi, le gouvernement pourra traiter de gré a gré pour toute espèce de travaux de chemin de fer de l'Etat en se dispensant des obligations tutélaires de la loi de 1846, qui constituent la garantie de la bonne gestion des deniers publics. Ainsi les fournitures seront données plus ou moins arbitrairement. Or, je le répète, c'est lui conférer un droit exorbitant.
Je demande donc qu'il soit proposé un tempérament à ce pouvoir que je viens de qualifier ; j'ai, en conséquence, rédigé un amendement dans les termes suivants :
« II sera rendu compte aux Chambres, de mois en mois, des marchés autorisés en vertu de la présente loi, avec communication des documents qui s'y rapportent. »
- L'amendement est appuyé. Il fera partie de la discussion.
M. Drionµ. - Messieurs, à l'occasion du projet de loi en discussion, je dois appeler l'attention de M. le ministre des travaux publics sur la nécessité d'augmenter le matériel de nos chemins de fer. Depuis plusieurs années, l'industrie a fait entendre des plaintes vives sur l'insuffisance du nombre des waggons, non seulement sur le chemin de fer de l'Etat, mais encore et surtout sur les chemins de fer concédés.
J'ai reçu, il y a peu de jours, de l'association charbonnière du bassin de Charleroi et de la vallée de la Sambre, une réclamation adressée à M. le ministre des travaux publics ; je me bornerai à en citer un passage :
« L'industrie charbonnière a cette heureuse chance, jusqu'à présent du moins, de voir son activité maintenue malgré la guerre terrible, et profondément regrettable, engagée entre deux des grandes nations de l'Europe. Malheureusement l'insuffisance du matériel des chemins de fer l'empêche de profiter de cette situation relativement satisfaisante.
« Il semble que nos exploitations sont condamnées à ne pouvoir jamais disposer des moyens de transport nécessaires à leurs expéditions !
« Pourtant, monsieur le ministre, ce n'est pas faute qu'elles réclament. Chaque année, votre département reçoit leurs plaintes ; chaque année aussi elles reçoivent de lui la promesse que tout ira mieux à l'avenir, et nous ne voyons jamais se produire les améliorations annoncées.
« L'année dernière, dès le 2 juin, nous adressâmes une requête à votre honorable prédécesseur, pour l'engager à prendre les dispositions capables d'épargner aux charbonnages le retour des embarras et des difficultés que le manque de matériel leur avait causés précédemment.
« Dans sa réponse, datée du 5 juillet suivant, M. le ministre des travaux publics nous déclara que l'administration des chemins de fer serait en mesure de satisfaire à toutes les exigences de la situation, à tous les besoins de l'industrie...
« Malgré cet engagement, lorsque le mois de novembre arriva, la pénurie de wagons devint telle que les comités des cinq bassins houillers du pays s'empressèrent d'accepter la proposition de notre Association, de faire une démarche collective auprès de M. le ministre des travaux publics pour obtenir un remède au déplorable état de choses constaté partout...
« Mais, les lignes de chemin de fer de l'Etat ne manquent pas seules de matériel de transport ; celles des compagnies sont dans le même cas, et il y avait lieu de discuter la question en ce qui les concerne, comme elle l'avait été à l'égard de l'Etat. »
Ainsi, messieurs, vous le voyez, l'industrie charbonnière ne manque pas de commandes : elle manque seulement de moyens de transport pour les exécuter.
J'attire sur ce point l'attention de M. le ministre ; il serait d'autant plus nécessaire que le gouvernement fasse des commandes de matériel à nos industriels qu'un grand nombre d'ouvriers se trouvent sans ouvrage.
Je crois que si le gouvernement n'intervient pas, nous nous trouverons en présence d'une crise ouvrière très dangereuse. Nous avons, rien que pour l'arrondissement de Charleroi, 70,000 à 80,000 ouvriers, Le gouvernement pourrait certainement leur procurer de l'ouvrage ; il ne manque pas de travaux d'utilité publique à exécuter.
Je ne vous parlerai à cet égard que de l'élargissement et de l'approfondissement du canal de Charleroi à Bruxelles et de ses embranchements. C'est un travail qui intéresse non seulement les bassins charbonniers de Charleroi et les bassins charbonniers du centre, mais encore la capitale et la ville d'Anvers qui auraient un intérêt immense à être reliées à nos bassins houillers par un canal à grande section.
Le gouvernement me répondra sans doute qu'il manque d'argent, mais je lui demanderai alors s'il n'y aurait pas lieu de faire un emprunt. Il me semble que ce serait de l'argent parfaitement placé, puisque ces travaux développeraient la richesse nationale.
(page 122) J'attire sur ces différentes questions, messieurs, l'attention du gouvernement et j'espère qu'il fera tout ce qui est en son pouvoir pour leur donner une solution satisfaisante.
M. Malou, ministre d'Etatµ. - Je tiens à définir l'origine de l'objet du projet de loi. Une association de maîtres de forges de Charleroi a demandé que le gouvernement réclamât des Chambres les pouvoirs extraordinaires qui font l'objet de ce projet. Par la même lettre, cette association nous fait connaître la répartition que les usines se proposent de faire entre elles.
il y a, messieurs, huit usines comprises dans cette association. Ces huit usines se sont partagé les 13,000 tonnes de rails que l'Etat doit faire fabriquer pour ses besoins ordinaires.
Depuis lors, une seule usine a réclamé et je me suis empressé de dire à l'un des membres de l'association, que j'ai rencontré, qu'il fallait également faire la part de cette usine.
De telles mesures, messieurs, n'ont point pour un objet l'intérêt des industriels ; elles ont essentiellement pour objet l'intérêt de la classe ouvrière. Si l'on a recours à l'adjudication, il arrive nécessairement, lorsque l'Etat est le principal demandeur de la marchandise, qu'il y a un grand nombre d'usines qui sont mises en chômage.
L'industrie métallurgique, lorsque les derniers événements sont survenus, se trouvait dans une période de prospérité très grande ; elle avait conclu avec l'étranger des marchés considérables, car ce n'est pas peu de chose aujourd'hui que l'industrie métallurgique de la Belgique.
Ainsi, dans une année, la dernière que j'ai compulsée, pour l'article « rails » seul, il y avait eu 80 millions de kilogrammes réexportés. Quand des marchés pareils, faits avec l'extérieur, sont contremandés ou ralentis, c'est un devoir pour le gouvernement, afin de maintenir partout le travail dans la mesure disponible, de renoncer à l'adjudication et de répartir les commandes, non point d'après les prétentions des usiniers, mais d'après les intérêts de la classe ouvrière.
Parmi les huit sociétés dont j'ai parlé tout à l'heure, il y en a deux qui sont sous le patronage de la Société Générale, mais je le répète, c'est l'association des maîtres de forges qui a fait la répartition.
Messieurs, l'intention du gouvernement ne peut pas être d'appliquer cette mesure à toutes les fournitures ou à toutes les industries qui ne sont pas exercées par un nombre limité et connu d'industriels en Belgique. Ainsi, je cite en premier lieu les rails, et en second lieu je citerai les locomotives. Lorsqu'on peut satisfaire l'intérêt ouvrier sans détruire les bienfaits de la concurrence, je crois qu'on doit le faire. Mais je crois que ce serait à la fois une erreur économique et une intention impossible à réaliser que de vouloir appliquer ce projet à une foule de choses qu'un nombre en quelque sorte illimité de personnes produit en Belgique.
C'est la pensée-mère, c'est l'origine et ce sera l'application du projet de loi, c'est-à-dire que pour des objets à fournir en grande quantité et qui ne sont produits que par un certain nombre, l'intention du gouvernement, pour maintenir le travail dans les usines, est de recourir à des marchés de la main à la main, en pesant au besoin, ce qui n'est pas nécessaire pour l'article « rails », sur les intéressés, pour que cette répartition se fasse, non pas au point de vue de leurs intérêts, mais au point de vue des intérêts de la classe ouvrière.
Ce partage qui a été fait à l'amiable d'après cette idée que je viens d'indiquer et qui inspire aussi les industriels, sera beaucoup plus facile à réaliser pour ce qui concerne un autre article très important, l'article « locomotives ». Nous n'avons en fait, en Belgique, que quatre usines qui produisent des locomotives, et de ces quatre, il en est une qui les produit en quelque sorie accidentellement.
Messieurs, vis-à-vis des industriels il reste une question à débattre.
Je vous disais tout à l'heure qu'avant la crise, l'industrie métallurgique était dans un état de prospérité très grand. Evidemment, lorsque le gouvernement aura à débattre vis-à-vis des industriels le prix des rails ou le prix des locomotives à fournir, il devra avoir égard aux circonstances actuelles et discuter ses intérêts, de manière que le Trésor profile des circonstances ou il fait ses commandes.
Il est une clause que, pour ma part, je tiens à imposer aux industriels et cette clause, la voici. Le gouvernement, en vertu de cette loi, commande à un prix débattu et sévèrement débattu les 13,000 tonnes de rails dont il a actuellement besoin.
Eh bien, lorsqu'il vient ainsi en aide au maintien du travail dans l'intérêt métallurgiste, il est parfaitement en droit aussi de se réserver de bonnes chances pour l'avenir.
Ainsi l'on doit imposer aux métallurgistes qui produiront les rails une clause d'option en vertu de laquelle le gouvernement se réservera le droit, lorsque la crise viendra à cesser et pendant un certain délai, de se faire fournir au même prix 5,000 tonnes de rails, c'est-à-dire le tiers de la quantité totale.
C'est là, eu égard au prix peu élevé de la marchandise en ce moment, un moyen parfaitement légitime pour le gouvernement de faire non seulement une chose utile à la classe ouvrière, mais au point de vue du Trésor, une bonne, même une excellente opération.
Cette clause est juste. Lorsque j'en ai parlé à quelques-unes des usines intéressées, elles l'ont immédiatement admise.
Il y aura à voir si, pour quelques autres articles, la loi peut être appliquée. Mais, je le répète, ce serait aller non seulement au delà des intentions du gouvernement, mais au delà des possibilités, que de supposer que cette loi va devenir un moyen de faire fournir absolument tout ce dont une administration a besoin.
L'adjudication demeurera la règle, et l'exception ne s'appliquera qu'à ces articles principaux qui sont l'objet d'une fabrication limitée à une certain nombre d'établissements.
M. Mullerµ. - Le projet ne renferme aucune limite.
M. Malou, ministre d'Etatµ. - Le projet a été copié sur le projet de 1849 et nous devions croire que lorsque nous imitions les ministres de 1849, ce n'était pas de ce côté de la Chambre que les reproches devaient nous arriver.
M. Mullerµ. - Pourquoi pas ?
M. Rogierµ. - L'industrie n'est pas dans la même situation qu'en 1848.
M. Malou, ministre d'Etatµ. - L'industrie est dans la même situation, et je vais vous en donner la raison : le développement de l'industrie métallurgique en 1848 n'était pas ce qu'il est aujourd'hui ; le mal peut donc devenir aujourd'hui plus grand qu'il ne l'était en 1848.
Messieurs, un mot encore. L'honorable M. Bouvier demande que l'on rende compte tous les mois de l'usage qui aura été fait de la faculté donnée au gouvernement. Je crois devoir faire observer à la Chambre que la loi de comptabilité, article 46, exige un compte spécial indiquant le nom et le domicile des parties contractantes ; la durée et les principales conditions du contrat.
Si le gouvernement, après avoir fait les traités principaux qu'il aurait le droit de faire en vertu de cette loi, déposait ce compte spécial vers la fin de l'année, la Chambre aurait les moyens de contrôle qu'elle peut désirer.
M. Bouvierµ. - On peut supprimer les mots : « de mois en mois. »
M. Malou, ministre d'Etatµ. - Alors l'amendement est dans la loi de comptabilité, dont j'ai cité tout à l'heure l'article 46.
M. Bouvierµ. - L'article 46 parle d'un compte rendu annuellement.
M. Malou, ministre d'Etatµ. - Mettez : « trimestriellement. »
M. Bouvierµ - Je modifie mon amendement en disant : « trimestriellement » au lieu de : « de mois en mois ; » de cette manière, nous sommes d'accord.
M. Baraµ. - Messieurs, je ne pourrai donner mon vote au projet de loi. Il est contraire à tous les principes de l'économie politique et à la loi de comptabilité qui a déclaré avec beaucoup de raison que les fournitures à faire à l'Etat et les marchés qu'il contracte doivent faire l'objet d'une concurrence et d'une adjudication publique. C'est là le principe tutélaire dans les affaires publiques et ou ne doit s'en départir que dans le cas d'une nécessité absolue.
Le projet actuel a pour but de partager la fourniture à l'Etat de certains produits industriels, indifféremment entre tous les producteurs, sans savoir s'ils sont bons, s'ils sont bien outillés, s'ils peuvent fournir des produits de bonne qualité. Et ces industriels se sont réunis, pour fixer les prix. Tous devant participer à la fourniture (et on ne pourrait pas faire autrement, car ce serait une loi de faveur), il en résulte que ces industriels n'ont eu qu'à s'entendre pour faire à l'Etat un prix plus que rémunérateur.
Evidemment, on n'aura pas réclamé des bénéfices exagérés, mais il est positif que l'Etat ne pourra pas traiter à des conditions aussi favorables que celles de l'adjudication publique. Il payera un prix plus considérable.
Il y aura une entente entre tous les fournisseurs qui, de fait, ont un monopole.
Je demande quelle raison peut pousser le gouvernement à nous présenter ce projet de loi ?
L'industrie métallurgique n'est pas dans une aussi mauvaise situation qu'on veut bien le dire.
C'est une industrie importante, mais ce n'est pas la première du pays. Et si vous avez raison de venir en aide aux ouvriers qui travaillent la métallurgie, pourquoi ne venez-vous pas en aide aux ouvriers d'autres industries qui souffrent bien plus ?
Nous avons à Gand de nombreux ouvriers sans travail. A Tournai, les ouvriers en tissus ne travaillent que trois ou quatre jours par semaine.
Pourquoi donc, pour la métallurgie, changer les lois économiques ; pourquoi prendre d'autres dispositions que la nature des choses indique.
Les ouvriers de Verviers sont dans la même situation et l'on ne fait absolument rien pour eux.
Tous les Belges doivent, être égaux devant la loi, et ce projet de loi ne respecte pas ce principe. II favorise sans nécessité les uns au détriment des autres.
L'honorable M. Malou vient de vous dire que l'on avait fait de même en 1848.
Voyons ce qui a été fait alors ?
Vous verrez que c'est tout autre chose et que l'honorable M. Malou n'a même pas lu la loi de 1848.
On a demandé alors un crédit de 5,000,000 de francs pour travaux au chemin de fer de l'Etat, savoir : « Terrassements, ouvrages d'art, stations, rails, etc. »
Les chiffres afférents à chaque objet étaient déterminés.
L'honorable M. Malou, en 1848, soutenait à peu près la même thèse que je défends aujourd'hui.
On sollicitait alors pour la métallurgie un crédit de 1,500,000 francs. L'honorable M. Malou a prétendu que cette industrie ne devait pas être aussi fortement protégée et il a proposé de réduire ce crédit à un million et il a voté contre le chiffre proposé.
Je vais plus loin que l'honorable M. Malou. Je dis que nous ne devons pas, sans raisons sérieuses, faire à la métallurgie une position spéciale et que nous devons maintenir les principes de la libre concurrence, proclamés par la science économique.
De plus, l'Etat ne doit pas intervenir pour fournir du travail aux ouvriers. C'est une mauvaise théorie.
Je désirerais aussi savoir dans quelles limites va se restreindre l'article premier.
Nous avons des parties de crédits non dépensés en 1870. Nous avons tout le budget de 1871 et tous les crédits spéciaux votés pour travaux publics, pour travaux d'art en matière de ponts et chaussées, etc.
Indubitablement il s'agit de tous les marchés de fournitures ressortissant au département des travaux publics. II n'est pas dit que c'est exclusivement pour le chemin de fer comme en 1848.
II y a plus. Le gouvernement fait un contrat avec la Société des bassins houillers pour la reprise de l'exploitation d'un certain nombre de chemins de fer.
Eh bien, ces crédits considérables vont-ils faire l'objet de marchés de la main à la main ?
Nous avons en ce moment de fortes commandes de rails par suite de la reprise des sociétés des Bassins houillers ; allons-nous donner au gouvernement un blanc seing pour traiter comme il veut avec ces sociétés jusqu'au mois de mai 1871 ? Nous ne le pouvons pas.
J'arrive à un autre point.
Je déclare qu'il n'y a dans ce que je vais dire rien que de personnel ; je reste fidèle à des principes que j'ai défendus dans la loi des sociétés ; la Chambre se souviendra que j'ai soutenu alors le texte des lois françaises qui défendent aux administrateurs de société de faire avec leurs sociétés des marchés dans lesquels ils sont personnellement intéressés.
Eh bien, c'est M. Malou qui a traité les affaires dont le projet s'occupe ; c'est lui, un directeur de la Société Générale, qui vient les défendre devant la Chambre. Je demande si, dans de pareilles conditions, nous pouvons approuver ces marchés. (Interruption.)
Je suis convaincu que la Chambre ne donnera pas son adhésion au projet qui lui est soumis. Il n'y a pas de nécessités impérieuses ; les ouvriers métallurgiques ne sont pas sur le pavé et le fussent-ils, il y a encore un grand nombre d'ouvriers, tout aussi dignes d'intérêt que les ouvriers métallurgiques, qui sont aussi sans travail : les Gantois, les Verviétois, les Tournaisiens, par exemple.
Je crois donc qu'il y a lieu de rejeter le projet de loi et d'en revenir aux véritables principes de l'économie politique, qui veut que l'on observe les lois de la libre concurrence.
M. Lelièvreµ. - J'avais demandé la parole pour demander la suppression des mots : « de mois en mois », que contient l'amendement de l'honorable M. Bouvier. Je voulais démontrer les inconvénients de pareille disposition.
M. Bouvier consentant à la suppression des énonciations ci-dessus indiquées, je me borne à constater qu'il est bien entendu que le (page 123) gouvernement devra rendre compte des marchés qu'il est autorisé à conclure en vertu du projet, conformément à la loi générale du 15 mai 1846 sur la comptabilité de l'Etat. L'amendement de M. Bouvier n'aura pas d'autre portée, C'est seulement l'obligation, telle qu'elle est spécifiée dans la loi de 1846, que nous entendons maintenir.
M. Houtartµ. - Je félicite le gouvernement de la sollicitude qu'il a montrée pour l'industrie métallurgique, et j'appellerai son attention sur une industrie qui n'a peut-être pas la même importance, mais qui mérite cependant d'être examinée avec bienveillance ; je veux parler de l'industrie de la pierre de taille.
Je prie le gouvernement d'étudier le point de savoir si l'on ne pourrait pas, dès maintenant, remettre aux carrières les commandes qu'on réservait pour le printemps prochain.
M. Malou, ministre d'Etatµ. - Je demande à la Chambre, malgré toute l'impatience qu'elle paraît avoir d'en finir, de me permettre de répondre quelques mots à l'honorable M. Bara.
J'élimine aussi la question personnelle ; l'intérêt que je puis avoir dans une ou deux sociétés métallurgiques est tellement microscopique que ce n'est pas la peine d'en parler. Et d'ailleurs nous avons tous ici, par la force des choses, des intérêts dans les affaires publiques et privées.
Je crois que dans ce pays où la probité publique et administrative est exemplaire, nous pouvons nous respecter les uns les autres ; je crois, en second lieu, que lorsque la Chambre est appelée à examiner dans tous ses détails les contrats qui auront été faits, il n'y a vraiment pas de motifs de récusation admissibles ni possibles.
J'accepte la décision que la Chambre portera sur les mesures qui seront prises en vertu de la présente loi.
Je reconnais qu'au point de vue des principes absolus, l'honorable membre a raison.
L'adjudication vaut généralement mieux.
Mais y a-t-il des raisons pour ajouter aux exceptions faites par la loi de comptabilité une exception nouvelle, temporaire et définitive ? Voilà le véritable objet du débat.
Depuis plusieurs jours, j'ai reçu, du pays de Charleroi notamment, des lettres dans lesquelles on réclame la mesure, non seulement pour l'avenir, mais comme urgente ; et on annonce déjà que les ouvriers devront être renvoyés et que les usines seront fermées.
On nous dit qu'il y a d'autres industries qui souffrent, qu'il y en a à Gand, à Verviers et peut-être à Tournai.
Messieurs, si le gouvernement, pouvait tout faire, dans ma pensée, il devrait le faire ; mais de ce qu'il est dans l'impossibilité de tout faire, doit-il se croiser les bras et ne pas faire ce qu'il est possible pour soulager dans un moment de crise certaines souffrances ? (Interruption.)
Mettez en adjudication, me dit-on ; j'avais répondu d'avance à cette objection ; je faisais remarquer que lorsqu'on se préoccupait de l'intérêt des ouvriers, il fallait momentanément suspendre le principe de l'adjudication, parce que sans cela certaines usines travailleraient à toute vapeur et que d'autres chômeraient... (Interruption.)
Vous êtes dans l'erreur ; il y a beaucoup d'usines métallurgiques. La statistique en fournit la preuve...
M. Bouvieµ. - La statistique officielle.
M. Malou, ministre d'Etatµ. - Oui !
Voici d'après la publication officielle de 1867, qui est la dernière, ce qu'était l'industrie métallurgique à cette date.
Production de fonte 421 millions de kilogrammes :
Travail : Fonderies, 66 millions 257 mille ; usines, 340 millions 741 mille ; ateliers, 20 millions 944 mille.
Exportation : Fers, 149 millions 150 mille dont 80 millions 875 mille en rails ; fontes, 18 millions 694 mille ; ouvrages de fer, 6 millions 692 mille. Total de l'exportation, 174 millions.
Voilà ce qu'est aujourd'hui l'industrie métallurgique.
Si 1,500 ouvriers pouvaient faire ce travail, la génération actuelle serait beaucoup plus puissante que la génération des cyclopes de l'antiquité.
Messieurs, l'honorable membre suppose que le gouvernement a à sa disposition des crédits en quelque sorte illimités pour donner un grand développement à ces marchés ; il est dans l'erreur ; nous n'avons à notre disposition que les crédits du budget ordinaire et certains crédits spéciaux qui sont en grande partie épuisés.
(page 124) Ainsi, l’on demandait au gouvernement d'ouvrir de nouveaux crédits pour pouvoir commander, dès à présent, les rails du chemin de fer de Luttre à Bruxelles ; cela n'a pas été possible, parce que nous n'avons pas de crédits pour cela... (Interruption.)
Il me serait impossible de donner de mémoire le détail de tous les articles spéciaux.
Prochainement on devra demander de nouveaux crédits sur les fonds spéciaux et pour les travaux qui sont en cours d'exécution.
L'honorable membre suppose encore que les fonds qui seront payés par la société des Bassins houillers lorsqu'on aura repris les 600 kilomètres qui font l'objet de la convention du mois d'avril seront versés au trésor et que le gouvernement aura le droit de disposer de ces fonds pour commander des rails. C'est là une erreur ; il faudra, je pense, que la Chambre ouvre un crédit pour que le gouvernement puisse disposer de ces fonds, de sorte que l'objet de la loi est réellement défini et limité comme je l'ai indiqué tout à l'heure.
Messieurs, l'honorable M. Houtart a fait une autre observation. Dans ma conviction, la loi ne doit s'appliquer que lorsque l'exception faite au principe de l'adjudication ne nuit pas à des intérêts tiers, et le gouvernement aura à examiner si l'application peut en être faite aux carrières. A. première vue, je le pense et voici pourquoi : Le nombre des carrières dont les matériaux sont admis à ces fournitures est limité et connu. Par conséquent, à première vue et sans me prononcer d'une manière absolue, je crois que cette industrie rentre dans la possibilité du projet actuel.
Un dernier mot, messieurs. L'honorable M. Bara suppose encore qu'on veut traiter à tous prix et se laisser faire la loi.
Il n'en est rien. On doit débattre les prix et les débattre avec la plus grande sévérité ; on doit avoir égard aux circonstances et si les industriels n'acceptent pas les prix que le gouvernement déterminera, eh bien, le gouvernement recourra à l'adjudication. C'est là sa sanction ; c'est, là le moyen dont il usera pour obtenir des prix qui soient convenables au point de vue des intérêts du trésor public.
Je le répète, je voudrais qu'on stipulât dans le projet une clause de nature à rendre cette opération excellente pour les finances du pays.
M. Bouvierµ. - Cela doit faire l'objet de la convention.
M. Malou, ministre d'Etatµ. - Sans nul doute.
M. Baraµ. - Messieurs, les raisons données par l'honorable M. Malou ne sont pas du tout décisives et je ne saurais les accepter.
La Chambre paraît très impatiente d'en finir ; cependant je lui ferai observer que le projet dont nous nous occupons est très important. En effet, messieurs, il s'agit de suspendre nos lois de comptabilité et de les suspendre pour l'emploi de sommes considérables. Le gouvernement, à cette occasion, n'a pas même pu nous dire quels étaient les différents crédits qu'il a encore à sa disposition.
Maintenant, messieurs, je dois demander à l'honorable M. Malou qu'il rédige autrement son article premier, pour le mettre en rapport avec l'exposé des motifs.
En effet, d'après l'exposé des motifs, il ne s'agit que de constructions de chemins de fer, tandis que, d'après l'article premier, il s'agit de tous les services ; même de celui des ponts et chaussées.
L'honorable M. Malou a dit qu'il était impossible qu'il y ait en Belgique 15,000 à 16,000 ouvriers métallurgistes. Ce chiffre, messieurs, je l'ai recueilli dans l'Annuaire de 1870, publié par le département de l'intérieur.
Dans les provinces de Hainaut et de Liège, il y a 15,000 à 16,000 ouvriers indiqués comme travaillant le fer.
Je crois, messieurs, que la Chambre ne doit pas donner son approbation aux mesures qui nous sont proposées, parce qu'elles ne sont nécessitées par rien et qu'il y a des milliers d'ouvriers qui se trouvent dans des conditions beaucoup plus mauvaises que ceux dont il s'agit.
Je sais, messieurs, que M. Malou m'a fait tout à l'heure cette objection : Ce n'est pas que raison, parce que nous ne pouvons pas venir en aide à tous les ouvriers, de ne pas prendre, pour les ouvriers métallurgistes, les mesures qui vous sont proposées.
Cette raison n'en est pas une.
Les marchés que vous allez faire avec les industries métallurgiques vous coûteront énormément d'argent.
Or, je dis que vous ne pouvez prendre l'argent aux contribuables et aux ouvriers qui sont dans le malheur pour faire des marchés avec les métallurgistes. Il est évident que vous n'aurez pas vos fournitures, par le moyen que vous proposez, au même prix que par adjudication. Vous aurez une entente, une coalition entre les Iivranciers. Or, qui payera ? Ce seront les contribuables ; ce seront les pauvres ouvriers des autres industries, et pour faire vivre la métallurgie, vous surchargerez les contribuables et les autres industries. Je dis que c'est là de la mauvaise économie politique et que ce n'est pas de la justice distributive.
Je dis donc qu'il n'y avait pas de raison pour présenter ce projet de loi spécial et je suis décidé à le repousser.
M. Ortsµ. - Deux mots pour motiver le vote négatif que je suis décidé à émettre, parce que les raisons qui ont été données ne sont pas les raisons déterminantes de mon opposition.
Je laisse de côté les avantages ou les inconvénients de notre système de comptabilité ou du système des adjudications publiques. Mais pour moi le projet consacre un principe très dangereux.
L'honorable M. Malou dit : Je ne veux pas de l'adjudication publique, parce qu'elle aurait pour résultat de donner à l’établissement qui soumissionnerait aux conditions les plus avantageuses la totalité du travail, au détriment de la classe ouvrière occupée dans les établissements qui ne pourraient obtenir des fournitures égales.
Je dis à l'honorable M. Malou que c'est là une théorie dangereuse, que l'intervention du gouvernement pour assurer la répartition du travail entre tous les ateliers d'une même industrie, est une pensée éminemment dangereuse. C'est là une pensée socialiste ; une pensée qui conduit droit aux ateliers nationaux. Et je le demande à l'honorable M. Malou, si demain une crise semblable se manifestait dans l'industrie charbonnière, M. le ministre appellerait-il toutes les houillères du pays à concourir à la fourniture des charbons dont le gouvernement aurait besoin ?
Je dis que c'est là poser un principe des plus dangereux et je ne saurais lui donner mon assentiment,
M. Malou, ministre d'Etatµ. - Deux mots seulement. L'Etat s'est trouvé bien des fois en présence d'une coalition de tous les établissements intéressés. Ainsi lorsqu'il n'y a que huit industriels qui fabriquent des rails, il leur est bien facile de s'entendre et d'élever des prétentions que le gouvernement ne peut accepter. Cela s'est présenté notamment pour la fourniture de locomotives. Qu'a fait le gouvernement ? Il a refusé d'approuver les adjudications et il a traité de la main à la main avec l'un ou l'autre industriel.
MaedAµ. - On me dit que l'honorable M. Drion m'a adressé une interpellation relativement à l'insuffisance du matériel du chemin de fer. Des plaintes nombreuses ont été adressées au gouvernement relativement à ce sujet et je reconnais que, dans ce moment ces plaintes sont parfaitement fondées.
Cette insuffisance, plus grande aujourd'hui que d'habitude, est occasionnée par le fait de la Compagnie du chemin de fer du Nord et de la Compagnie du chemin de fer de l'Est, qui ne renvoient pas en Belgique les waggons qui sont partis pour la France chargés de houille el d'autres matériaux. Ces waggons ne nous étant pas renvoyés, comme c'est l'habitude, il en résulte qu'il y a un manque considérable de matériel et que l'industrie en souffre naturellement beaucoup.
Nous avons adressé les plus vives réclamations à ces deux compagnies et, d'après les assurances qui nous ont été données, les waggons seront renvoyés ; s'il en était autrement, nous insisterions avec plus de force et nous ferons en sorte de donner satisfaction à l'honorable M. Drion ; je lui donne l'assurance que je ne négligerai rien sous ce rapport.
J'ajoute qu'un nombre considérable de waggons est commandé par le gouvernement. L'adjudication a eu lieu il y a quelque temps et nous faisons tous nos efforts pour que la fourniture de ces waggons se fasse le plus promptement possible. J'espère que d'ici à peu de temps ils pourront être livrés et que le gouvernement sera ainsi à même de faire droit à la réclamation, si naturelle et si légitime, de mon honorable ami, M. Drion.
M. Eliasµ. - Messieurs, je désire savoir si le projet a pour but unique de permettre au gouvernement de traiter de gré à gré, ou bien s'il a en même temps pour but de lui permettre de conclure immédiatement des marchés pour 1870 et 1871 ? (Interruption.)
Alors, je proposerai de substituer aux mots : « contracter de gré à gré » ceux-ci : « mettre en adjudication. »
- Un membre. - C'est le rejet de la loi.
M. Eliasµ. - Le gouvernement demande l'autorisation pour le restant de cette année et pour l'année prochaine ; donc, la loi lui permettant de disposer anticipativement des crédits, aura encore son utilité.
M. Malou, ministre d'Etatµ. - Je crois que l'honorable membre ferait mieux de voter contre le projet. Il est évident que les 15,000 tonnes de rails, dont j'ai déjà parlé, comprennent des fournitures à faire en 1870 et en 1871, et si la loi est rejetée, le gouvernement aura parfaitement le droit (page 125) de faire, par adjudication, des marches pour 1871, Adopter l'amendement de l'honorable M. Elias, ce serait donc dire blanc et noir tout à la fois.
M. Eliasµ. - Si la loi était rejetée, vous n'auriez pas le droit de traiter pour 1871, mon amendement vous laisse ce droit et le projet atteint ainsi le premier but d'utilité que j'ai indiqué tout à l'heure.
MpXµ. - Je vais mettre aux voix l'amendement de .M. Elias.
M. Eliasµ. - Je demande l'appel nominal.
- Des membres. - L'appel nominal n'est pas demandé par cinq membres.
MpXµ. - L'appel nominal est-il demandé par cinq membres ?
- Plusieurs membres se lèvent pour demander l'appel nominal.
- D'autres membres. – Non ! non !
M. Eliasµ. - Pour épargner le temps de la Chambre, je renonce à l'appel nominal.
- L'amendement est mis aux voix par assis et levé ; il n'est pas adopté.
« Art. 1er. Par dérogation à l'article 21 de la loi du 15 mai 1846, sur la comptabilité de l'Etat, le département des travaux publics est autorisé à contracter, de gré à gré, les marchés à passer pendant les années 1870 et 1871 pour les travaux et fournitures concernant les différents services ressortissant à ce département. »
- Adopté.
« Art. 2. Il pourra également procéder, pendant les mêmes années, à l'échange ou à la cession du vieux matériel du chemin de fer, soit contre livraison de matériel neuf, soit contre argent à verser au trésor pour être affecté au payement d'objets de matériel neuf. «
- Adopté.
« Art. 3. L'autorisation accordée par la présente loi cessera ses effets à partir du 1er mai 1871, en ce qui concerne les marchés à contracter à charge des crédits spéciaux alloués en dehors des budgets. »
- Adopté.
MpXµ. - Ici vient le nouvel article proposé par l'honorable M. Bouvier :
« Il sera rendu compte, trimestriellement, aux Chambres, des marchés contractés en vertu de la présente loi, avec communication des documents qui s'y rapportent. »
M. Lelièvreµ. - Il me semble que les mots de la disposition « avec les documents qui s'y rattachent » sont absolument inutiles. « Compte doit être rendu », eh bien, il va.de soi que l'on doit communiquer toutes les pièces relatives a l'objet dont il s'agit.
On peut donc se borner à énoncer l'obligation de rendre compte aux Chambres. Le surplus de la disposition peut être supprimé comme inutile.
M. Bouvierµ. - D'après la loi de comptabilité, on ne doit communiquer ces documents que tous les ans.
Puisque nous faisons aujourd'hui une loi tout à fait exceptionnelle, nous demandons que ces documents soient fournis tous les trois mois. Je crois, du reste, que l'honorable ministre des finances ne s'y oppose pas.
- Une voix. - Des travaux publics.
M. Bouvierµ. - L'un et l'autre.
M. Malou, ministre d’Etatµ. - L'honorable M. Bouvier n'a pas saisi l'observation de l'honorable M. Lelièvre.
M. Bouvierµ. - On ne l'entend pas.
M. Malou, ministre d'Etatµ. - Je constate un fait. Je n'en recherche pas la cause. Nous sommes d'accord sur ce point qu'il sera fait un rapport trimestriel.
Je conçois qu'il soit fait dans les termes de l'article 40, c'est-à-dire avec tous les éléments d'appréciation.
Lorsqu'un rapport vous est fait, si vous trouvez que les documents ne sont pas suffisants, vous avez le droit, d'en réclamer d'autres.
Je crois donc qu'il vaudrait mieux supprimer ces mots: « avec les documents qui s'y rapportent » qui ne sont pas du style législatif.
Je pense que le but de l'honorable M. Bouvier serait atteint.
M. Bouvierµ. - Je déclare me rallier à la rédaction proposée par l'honorable M. Malou.
MpXµ. - La proposition est donc conçue comme suit. Elle formera l'article 4 :
« « Il sera rendu compte trimestriellement aux Chambres, des marchés contractés en vertu de la présente loi. »
- La proposition ainsi rédigée est adoptée.
« Art. 4. La présente loi sera exécutoire le lendemain de sa publication. »
MpXµ. - Cet article devient l’article 5.
- Adopté.
MpXµ. - En vertu de la décision de lu Chambre, il est procédé immédiatement au second vote.
- La proposition de M. Bouvier est définitivement adoptée.
Il est procédé au vote, par appel nominal sur l'ensemble du projet.
88 membres y prennent part.
61 répondent oui.
27 répondent non.
En conséquence, le projet de loi est adopté.
Il sera transmis au Sénat.
Ont répondu oui :
MM. Bouvier-Evenepoel, Brasseur, Coomans, Coremans, Cornesse, Cruyt, de Borchgrave, de Clercq, de Haerne, de Kerckhove, Delaet, Delcour, De Le Haye, de Montblanc, de Muelenaere, de Naeyer, de Smet, de Theux, de Zerezo de Tejada, Drion, Drubbel, Hayez, Hermant, Houtart, Jacobs, Janssens, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, Lefebvre, Lelièvre, Liénart, Magherman, Moncheur, Mulle de Terschueren, Notelteirs, Pety de Thozée, Rembry, Reynaert, Santkin, Schollaert, Tack, Thienpont, Thonissen, Van Cromphaut, Vanden Steen, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Overloop, Van Renynghe, Van Wambeke, Vermeire, Verwilghen, Amédée Visart, Léon Visart, Wasseige, Wouters, Balisaux, Biebuyck et Vilain XIIII.
Ont répondu non :
MM. Bricoult, Couvreur, d'Andrimont, Dansaert, David, De Fré, de Lexhy, de Lhoneux, Demeur, de Rossius, Descamps, Dupont, Elias, Le Hardy de Beaulieu, Lescarts, Muller, Orts, Rogier, Sainctelette, Van Humbeeck, Van Iseghem, Vleminckx, Allard, Anspach, Bara, Beeckman et Bergé.
M. Bouvierµ. - Dans la seconde section, un membre a désiré connaître à quelle somme approximative s'élèveraient les produits postaux. Cette demande avait un but, celui de faire connaître au pays quels seraient les sacrifices que pourrait entraîner la garantie d'un minimum de 300.000 francs consacrée par le projet.
Je saisirai cette occasion pour demander à M. le ministre des travaux publics s'il pourrait nous donner quelques renseignements sur la lettre que j'ai eu l'honneur de lui adresser hier ?
MfJµ. - Deux mots seulement pour répondre à M. Bouvier et pour dissiper une équivoque qui aurait pu naître de la lecture de l'exposé des motifs et du rapport de la section centrale.
Le texte du projet est très clair ; les 300,000 francs ne sont pas le minimum postal ; ils sont le maximum des engagements annuels auxquels le gouvernement pourra être tenu. Ainsi, en supposant un minimum postal de 500,000 francs, le gouvernement ne serait jamais tenu que de payer 300,000 francs ; si le produit postal est inférieur à 200,000 francs, la perte est pour le concessionnaire de la ligne.
Il faut donc distinguer bien la garantie du gouvernement du minimum postal ; le minimum postal, nous ne le faisons pas connaître aujourd'hui ; c'est sur ce point que s'établira la concurrence ; c'est celui qui, à autres conditions égales, demandera le moindre minimum qui aura l'entreprise.
Ce serait, messieurs, se faire des illusions que d'espérer trouver concessionnaire sérieux pour une ligne de bateaux à vapeur d'Anvers à New-York avec la simple garantie d'un minimum postal de 300,000 francs. La ligne d'Anvers à La Plata a obtenu la garantie d'un minimum de 250,000 francs ; ne. donner que 50,000 francs de plus pour la ligne d'Anvers à New-York n'est pas admissible.
Ainsi donc, le minimum reste à fixer et il y aura lieu de le fixer différemment suivant que le service sera hebdomadaire ou bimensuel.
Il différera essentiellement, selon que nous obtiendrons l'un ou l'autre.
Le chiffre de 300,000 francs n'est que le maximum des engagements annuels que le gouvernement assume.
Si le minimum postal est fixé à un chiffre élevé, nous serons peut-être amenés à payer complètement les 300,000 francs : si, au contraire, il est fixé à un chiffre assez bas, nous pourrons récupérer tout à partir de cette somme.
Jusqu'ici les soumissions présentées n'ont pas été ouvertes, nous avons voulu laisser quelques jours encore aux soumissionnaires pour se produire ; mais je déclare que, dès que la loi sera publiée au Moniteur, les soumissions seront ouvertes, et nous nous empresserons de traiter immédiatement.
(page 126) Maintenant quel sera le produit postal de la ligne ? Il nous est impossible de le dire, et voici pourquoi :
Au commencement de 1870, la taxe de mer entre les Etats-Unis et l'Europe a été abaissée de 75 p. c ; cette taxe était de 8 cents américains, 41 centimes ; elle n'est plus aujourd'hui que de 2 cents, un peu plus de 10 centimes par lettre.
il est impossible de calculer aujourd'hui en présence d'une réforme postale aussi radicale, ce que produira dans l'avenir la taxe maritime.
Mais je puis donner à la Chambre quelques renseignements sur ce qu'elle a produit pour l'année financière 1868-1869 ; l'année financière américaine se termine au 1er juillet.
D'Europe en Amérique, on a transporté 3,545,000 lettres et d'Amérique en Europe, 3,920,000, en tout, 11 millions de lettres et une fraction, transportées sous l'empire de l'ancien tarif.
Cinq lignes auront désormais à partager le produit postal ; ce sont deux lignes allemandes, Brême et Hambourg, deux lignes anglaises, Cunard et Inman, la ligne belge ; je parle pas de la ligne française, qui transporte peu de lettres.
Supposons que la ligne belge ait le cinquième du produit, et c'est beaucoup pour une ligne qui commence ; cela nous donne deux ou trois millions de lettres. Viennent ensuite les journaux et les imprimés qui entrent dans le produit pour une part plus minime ; en calculant à raison de dix centimes sur deux millions de lettres, non compris les journaux et les imprimés, nous atteignons déjà 200,000 francs.
Quelle sera l'augmentation du nombre des lettres, conséquence de l'abaissement de la taxe ? Quel sera le résultat de l'interruption des deux lignes allemandes ?
Il est impossible de le prévoir, tout nous fait espérer que nous aurons, avec un service hebdomadaire, un produit postal d'au moins 300,000 francs ; avec un service de quinze en quinze jours, un produit postal de 150,000 fr.
Cela peut être beaucoup plus considérable, car le nombre des lettres entre l'Europe et l'Amérique progressait déjà de 20 p. c. par an avec l'ancienne taxe.
Je bornerai là mes observations qui me paraissent de nature à faire disparaître toute équivoque, et à satisfaire l'honorable membre.
M. Lelièvreµ. - Je désire que le gouvernement veuille nous dire dans quel délai on peut espérer de voir inaugurer la ligne de navigation dont il s'agit. J'espère que le gouvernement ne négligera rien pour obtenir le plus tôt possible ce résultat.
MfJµ. - L'honorable M. Lelièvre me demande dans quel délai on peut espérer voir inaugurer la ligne de New-York à Anvers.
Il me serait impossible, messieurs, d'indiquer une date fixe : les soumissions n'ayant pas encore été ouvertes ; mais le gouvernement comprend que, s'il veut établir la ligne avec des chances de succès, il faut qu'il ne tarde pas à le faire.
Je déclare donc, et je le déclare pour que ce soit répété par tous les organes de la presse, qu'aussitôt que la loi sera au Moniteur, le gouvernement ne tardera plus un instant à ouvrir les soumissions et à prendre un parti.
MaedAµ. - Je ne sais si la Chambre désire que je réponde maintenant à l'interpellation qui m'a été adressée par M. Bouvier, mais qui ne se rapporte pas au service des paquebots à vapeur.
M. Bouvierµ. - C'est dans l'intérêt des classes ouvrières et pour que mon arrondissement soit doté le plus tôt possible d'une voie ferrée si impatiemment attendue par nos populations.
MaedAµ. - M. Bouvier me demande des renseignements sur l'achèvement des travaux du chemin de fer de Virton.
- Voix nombreuses. - Non ! non !
M. Bouvierµ. - Comment ! mais c'est très important pour mon arrondissement.
MaedAµ. - Messieurs, le chemin de fer de Virton est composé de deux sections. Le tracé de la première section a seul été approuvé jusqu'ici. Cette section se compose de 7,700 mètres et on y travaille en ce moment.
Pour la seconde section, deux tracés ont été proposés par le concessionnaire. Un examen a été fait et se continue. L'administration, quoique à peu près décidée, attend pour prendre une décision définitive un dernier rapport des fonctionnaires des travaux publics et d'ici à très peu de jours, le tracé de la seconde section sera donc approuvé. Si la Chambre le permet, je vais donner à l'honorable M. Bouvier le renseignement qu'il désire obtenir. (Interruption... Non ! non !) Si la Chambre m'y autorise, je le ferai insérer aux Annales parlementaires. (Oui ! oui !)
M. Bouvierµ. - Puisque la Chambre paraît si désireuse de se séparer, donnez la fin de votre réponse au Moniteur.
MaeDAµ. - e mettrai donc la fin de ma réponse au Moniteur ; elle sera rédigée, je l'espère, de façon à satisfaire l'honorable membre.
MpXµ. - Le projet ne contenant qu'un article, il va en être donné lecture et il sera procédé immédiatement à l'appel nominal.
Cet article est ainsi conçu :
« Article unique. Dans le cas où le service de paquebots-poste, à établir entre Anvers et New-York, ne serait soumissionné qu'à la condition qu'un minimum de produits postaux fût garanti à l'entreprise, le gouvernement pourra parfaire la somme garantie, sans toutefois engager le trésor, de ce chef, au delà de trois cent mille francs par an. »
Il est procédé à l'appel nominal sur l'ensemble du projet.
78 membres y prennent part.
77 répondent oui.
1 répond non.
En conséquence le projet de loi est adopté ; il sera transmis au Sénat.
Ont répondu oui :
MM. Bouvier-Evenepoel, Brasseur, Coomans, Coremans, Cornesse, Cruyt, d'Andrimont, Dansaert, David, de Borchgrave, de Clercq, De Fré, de Haerne, de Kerckhove, Delaet, Delcour, De Le Haye, de Montblanc, de Muelenaere, de Naeyer, Descamps, de Smet, de Theux, de Zerezo de Tejada, Drion, Drubbel, Dumortier, Hagemans, Hayez, Hermant, Houtart, Jacobs, Janssens, Jottrand, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Lefebvre, Le Hardy de Beaulieu, Lelièvre, Lescarts, Liénart, Moncheur, Mulle de Terschueren, Muller, Notelteirs, Orts, Pety de Thozée, Rembry, Reynaert, Rogier, Sainctelette, Santkin, Tack, Thienpont, Van Cromphaut, Vanden Steen, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Overloop, Van Renynghe, Van Wambeke, Vermeire, Verwilghen, Amédée Visart, Léon Visart, Wasseige, Wouters, Allard, Anspach, Balisaux, Bara, Berge, Biebuyck et Vilain XIIII.
A répondu non : M. Demeur.
MfJµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau la situation du Trésor à la date d'aujourd'hui.
- Pris pour notification.
MpXµ. - J'ai l'honneur de proposer à la Chambre de s'ajourner et de laisser au président le soin de la convoquer lorsqu'il y aura lieu.
- Cette proposition est adoptée.
La séance est levée à cinq heures et demie.