(Annales parlementaires de Belgique, Chambre des représentants, session 1870 extraordinaire)
(Présidence de M. Vilain XIIIIµ.)
(page 49) M. Reynaertµ procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.
M. de Borchgraveµ donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.
M. Reynaertµ présente l'analyse des pièces suivantes adressées à la Chambre.
« Le sieur Mettier, commis au contrôle du chemin de fer du Luxembourg, ancien sergent au 2ème de ligne, réclame l'intervention de la Chambre pour rentrer dans l'armée avec son grade. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Marquebreuck, soldat du 6ème de ligne, ayant déserté, demande sa réintégration dans les rangs de l’armée. »
« Le sieur Libert prie la Chambre de statuer sur sa demaude ayant pour objet le payement des numéros gagnants sortis en 1828 de la loterie royale néerlandaise établie h Bruxelles. »
*- Même renvoi.
« Les sieurs Wytsman, Schellekens et autres membres de la Ligue de l'enseignement, à Termonde, demandent une loi réglementant le travail des enfants dans l'industrie. »
- Même renvoi.
« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, la demande de naturalisation ordinaire du sieur Marion (J). »
- Renvoi à la commission des naturalisations.
Il est fait hommage à la Chambre :
1° Par M. Leynen, d'un exemplaire de ses publications littéraires ;
2° Par M. Nypels, des livraisons 12 et 13 de la Législation criminelle de la Belgique.
- Dépôt à la bibliothèque.
M. Funck demande un congé d'un jour.
- Accordé,
MpXµ. - Je demanderai à la Chambre de se réunir lundi en séance publique.
M. Frère-Orbanµ. - Je prierai la Chambre de fixer sa prochaine réunion à mardi, comme à l'ordinaire.
Nous ne résidons pas tous à Bruxelles ; plusieurs d'entre nous doivent même se rendre au loin, et il sera peut-être impossible que chacun de nous se rende chez lui ce soir. Il faudrait donc partir dimanche pour revenir lundi.
M. Thibautµ. - Je crois, messieurs, qu'il serait convenable de ne pas prolonger trop tard la séance d'aujourd'hui, afin de permettre à tous les membres de la Chambre de rentrer ce soir chez eux. Il n'y aurait alors aucun inconvénient à fixer la prochaine séance à lundi.
Nous pourrions terminer notre séance aujourd'hui à 4 heures avec d'autant plus de raison que nous nous sommes réunis une heure plus tôt que les autres jours.
M. Frère-Orbanµ. - Messieurs, je crois que la Chambre ne tirerait aucun profit de la fixation de la séance à lundi ; nous sommes obligés de revenir la semaine prochaine et elle nous sera nécessaire pour les objets portés à l'ordre du jour.
- La Chambre consultée décide de se réunir mardi à deux heures.
M. Anspachµ. - Messieurs, la question qu'il m'a paru indispensable de soumettre à la Chambre est grave ; elle est relative à l'intervention du gouvernement dans les mesures de police qui ont été prises à Gand le 2 août dernier.
Cette question est, à mon sens, une, question de principe, elle est indépendante des faits ou plutôt elle est indépendante de la nature et de l'appréciation qu'on peut faire des faits qui se sont passés à Gand dans la journée des élections législatives.
Je compte donc traiter une question de droit, une question d'appréciation de la loi et cela me donne deux avantages : celui de ne devoir faire appel à votre attention que pendant de très courts instants et celui de ne devoir dire rien qui puisse éveiller des susceptibilités sur aucun des bancs de cette Chambre.
Dans la seconde partie de la journée du 2 août, une certaine effervescence se manifesta à Gand, et aussitôt l'honorable comte de Kerchove, bourgmestre de la ville, prit toutes les mesures nécessaires pour assurer non seulement la liberté des électeurs, mais encore pour prévenir les désordres qui pourraient se produire.
Les choses en étaient là, lorsque tout à coup, vers 7 heures du soir, M. le ministre de l'intérieur, avec ou sans l'avis de M. le gouverneur de la province, fait qui n'est pas clairement établi et qui importe peu à la thèse que je défends devant la Chambre, M. le ministre de l'intérieur, sans aucun concert préalable avec l'autorité locale donne brusquement l'ordre de faire intervenir l'armée.
Comme je le disais, messieurs, qu'on apprécie comme on veut les événements qui se sont passés à Gand, les désordres qui ont eu lieu, désordres qui, selon le rapport de M. le bourgmestre de Gand, semblent n'avoir eu qu'une médiocre importance, ce qu'il me suffit d'établir, c'est un fait qui est incontestable et incontesté, c'est que le 2 août, à 6 h. 54 du soir, M. le ministre de l'intérieur enjoignait par dépêche télégraphique à M. le gouverneur de requérir immédiatement l'armée et d'agir sévèrement pour le maintien de l'ordre, sans s'inquiéter le moins du monde ni de l'autorité communale ni de la garde civique.
Eh bien, messieurs, je dis qu'à mon sens le fait est éminemment regrettable.
Je pense qu'il est contraire à toutes nos traditions ; je pense qu'il est contraire, à l'esprit comme au texte de nos lois.
M. de Baetsµ. - Je demande la parole.
M. Anspachµ. - Je le répète, contraire à l'esprit comme au texte de nos lois.
Je pense qu'il est même la négation absolue des droits et des devoirs du chef de la commune en tant que chargé du maintien de l'ordre public.
Je sais bien que si l'article 105 de la loi communale donne au bourgmestre le droit de requérir l'armée et la garde civique, d'autres lois donnent au gouverneur et à l'autorité supérieure administrative des droits identiques.
Mais cela veut-il -dire qu'indifféremment, à n'importe quel moment, les réquisitions peuvent être faites par l'une ou l'autre de ces deux autorités ?
(page 50) Pas le moins du monde en aucune façon. Il a toujours été entendu et convenu que ce n'était qu'au défaut du bourgmestre, que ce n'était que lorsque le bourgmestre se trouvait empêché, qu'il ne pouvait ou qu'il ne voulait pas se rendre maître de l'émeute, que le rôle de l'autorité supérieure devait commencer.
Messieurs, si le principe de la priorité du droit du bourgmestre n'était inscrit dans aucune de nos lois, il dériverait encore de la force des choses et je dirai même du sens commun.
Le bourgmestre qui vit au milieu de ses administrés, qui les connaît, qui apprécie leur caractère, qui est chargé par la loi de la police de chaque jour, est mieux à même que personne, est seul à même, dirais-je, de distinguer le remède qu'il convient d'appliquer lorsque l’émeute éclate. (Interruption.)
C'est le seul qui soit parfaitement à même de distinguer quel remède il faut appliquer ; car, ne vous y trompez pas, messieurs, c'est une affaire d'une très grande importance, une affaire extrêmement délicate que de savoir jusqu'où doit s'étendre la répression, que de savoir jusqu'où il faut aller, où il faut s'arrêter. C'est une affaire qui demande un grand tact, une grande prudence, la parfaite connaissance de ce qui se passe ; car des moyens disproportionnées, une répression inintelligente, brutale, quand elle pouvait n'être que paternelle, peut, le cas échéant, créer des troubles infiniment plus graves que ceux qu'il s'agit de réprimer.
M. le ministre de l'intérieur a méconnu cette vérité de fait du principe de la priorité du droit de réquisition du bourgmestre, vérité que je lui démontrerai tout à l'heure être aussi une vérité légale.
Je dis qu'il était impossible à M. le ministre de l'intérieur à sept heures du soir, dans son cabinet à Bruxelles, de juger si, à cette heure-là même, M. le bourgmestre de Gand ne remplissait pas convenablement, complètement, comme il le fallait, les devoirs que la loi lui impose.
Mais si M. le ministre de l'intérieur voulait, à tout prix, user de son droit de réquisition, je lui demanderai pourquoi il ne commençait pas par requérir la garde civique.
Mais M. le ministre de l'intérieur ignore-t-il que, dans de pareilles circonstances, il est élémentaire, il est convenable, il est prudent de faire d'abord épuiser son rôle à la garde civique avant d'en venir à ce qui est toujours une déplorable extrémité, à faire descendre le soldat armé dans la rue ?
Je voudrais aussi demander à M. le ministre s'il est vrai qu'il a adressé en même temps, à tous les gouverneurs de province, des ordres identiques à ceux qui sont partis pour Gand. Je lui demanderai si, spécialement, cet ordre n'a pas été donné à M. le gouverneur du Brabant et si je ne risquais pas de trouver, comme mon collègue de Gand, dans la soirée du 2 août, des troupes sur les places publiques de Bruxelles, sans savoir comment ni pourquoi elles s'y trouvaient.
Messieurs, je disais tout à l'heure que n'y eût-il rien dans nos lois qui indiquât le droit de priorité, dans le chef du bourgmestre, lorsqu'il s'agit de la réquisition de la force armée, la nature de nos institutions, fa division des pouvoirs administratifs l'indiqueraient suffisamment, et j'ajoute que ce principe est inscrit dans une de nos lois, dans la loi du 8 mai 1848, sur la garde civique.
Voici l'article 79 de la loi du 8 mai 1818 ; il indique le rôle de la garde civique :
« Le service ordinaire consiste :
« ... ;
« La conservation des propriétés en général ;
« Le maintien du bon ordre et de la paix publique, »
L'article 82 parle de la réquisition : « Le droit de requérir la garde civique dans les cas déterminés par l'article 79 appartient au bourgmestre ou, à son défaut, à l'autorité supérieure administrative. »
A son défaut. Vous entendez qu'il ne s'agit pas, pour l'autorité supérieure, de requérir la garde civique à n'importe quel moment et quand elle le juge à propos ; il faut qu'il y ait défaut de la part du bourgmestre. Or, je défie de donner un sens juridique, un sens quelconque à cette disposition légale que je viens de rappeler, si ce n'est qu'il faut qu'il y ait des motifs d'insuffisance dans le fait du bourgmestre.
N'y a-t-il pas même analogie, même raison pour l'armée ? Je sais que les lois sont muettes à cet égard, mais, chaque fois qu'on a soulevé la question des conflits entre l'autorité civile et l'autorité militaire dans la répression des troubles, lorsqu'on parlait de l'autorité civile, c'était toujours le bourgmestre qu'on avait en vue. Je ne veux en donner qu'un seul exemple, c'est une circulaire du ministre de la guerre, en date du 9 septembre 1854.
Voici comment s’exprimait le ministre de la guerre de cette époque :
« Je suis informé que... des doutes se sont élevés sur la question de savoir à qui appartient le droit de constater la nécessité de faire appel a l'autorité militaire.
« J'ai l'honneur, général, de vous informer que ce droit appartient au bourgmestre et non à l'autorité militaire. »
C'est-à-dire que chaque fois qu'on parle et de l'autorité civile, d'une part, et de l'autorité militaire, de l'autre ; c'est toujours du bourgmestre qu'il s'agit.
Ainsi, messieurs, qu'on examine la question au point de vue de la tradition ou au point de vue des nécessités qui résultent de nos institutions ou des lois elles-mêmes, il est incontestable que le bourgmestre exerce la priorité du droit de requérir la garde civique et l'armée et c'est ce dont M. le ministre de l'intérieur n'a pas tenu compte le 2 août dernier.
II est évident, messieurs, que si le gouvernement se regarde comme pouvant à chaque instant, à son caprice, sous n'importe quel prétexte, quand il le juge convenable, intervenir dans la police de nos villes, c'en est fait de l'indépendance communale, c'en est fait de la loi communale même. Je demande ce que signifie le droit de police accordé par la loi communale au bourgmestre, et la responsabilité qui en découle, si, sans raison, sans motif, le gouvernement peut intervenir dans la police des villes sans qu'il ait à rendre compte à personne et substituer sa responsabilité à celle qui est établie par la loi communale.
Je termine par une considération qui me paraît être d'un ordre plus élevé.
Je crois qu'il faut non seulement tenir compte des traditions, de l'esprit des lois et de leur texte, mais qu'il faut surtout tenir compte du sentiment populaire ; je crois qu'il faut tenir compte de l'amour que portent les citoyens de ce pays, aujourd'hui comme à toutes les époques, à l'indépendance de la commune, à l'autonomie de la commune, indépendance qui est historiquement le berceau de toutes nos libertés.
On a parlé souvent, dans cette enceinte, de la décentralisation et on a eu raison de l'appliquer là où elle était possible ; les citoyens belges n'aiment pas à sentir la main du pouvoir central lorsque son action n'est pas absolument et incontestablement nécessaire, et je vous le prédis, tout ce que vous ferez dans le sens d'un pouvoir fort et qui veut intervenir à tout moment sera très mal accueilli par l'opinion publique.
MiKdLµ. - L'honorable M. Anspach n'a pas seulement usé, dans l'interpellation qu'il vient de m'adresser, d'un droit qui appartient à tous les membres de la Chambre. Comme magistrat d'une grande cité, il s'est aussi montré jaloux des attributions des autorités communales et de la légitime action qu'elles ont à exercer lorsque des désordres viennent à éclater. Loin de lui en faire un grief, je le remercie de me fournir l'occasion de répandre une pleine lumière sur des faits qui ont été étrangement dénaturés par certains organes de la presse.
Oui, messieurs, il y a dans cette question, comme vient de le dire l'honorable M. Anspach, des principes et des faits.
Il faut qu'il y ait des motifs précis, rigoureux, incontestables pour que le gouvernement engage sa responsabilité ; mais toutes les fois que cette responsabilité est engagée, il manquerait à tous ses devoirs, s'il pouvait hésiter un instant dans les mesures qu'elle lui prescrit.
La ligne de conduite que s'est tracée le gouvernement est assez connue.
Le jour où nous avons accepté le pouvoir, nous avons déclaré tout haut que nous voulons interroger franchement, loyalement le pays, sans exercer aucune pression officielle. (Interruption.)
J'ai déclaré, avec la même franchise et la même loyauté, que nous ne nous croirions dignes de. la confiance du Roi et du pays qu'autant que nous serions les interprètes de la volonté nationale, librement interrogée, librement exprimée.
Est-ce à dire que lorsque nous considérions l'intervention officielle comme illicite, comme inconstitutionnelle, nous voulions accorder une place quelconque à l'intimidation et à la terreur ?
Non, messieurs ; la part que nous entendions faire à la liberté, nous voulions la refuser à la violence.
Et lorsque, quelques jours avant le 2 août, j'ai appris que, dans quelques villes, il y avait lieu de craindre qu'on ne cherchât à intimider les électeurs avant le scrutin, ou à exercer des représailles après le scrutin, j'ai cru de mon devoir d'engager tous les gouverneurs à prendre des mesures non pas arbitraires, mais dans le vœu de la loi, dans les limites que l'honorable M. Anspach indiquait tout à l'heure, afin de prévenir ces désordres.
Voici comment je m'exprimais dans une circulaire du 29 juillet :
« Toutes les autorités, tous les bons citoyens comprendront combien il (page 51) importe, dans les circonstances actuelles, que la Belgique apporte, dans ses comices, le calme et la dignité d'un peuple plein de confiance dans ses institutions.
« Cependant, si, contre toute attente, quelques symptômes de nature à porter atteinte à l'ordre public et spécialement à la liberté des électeurs venaient à se manifester, je désirerais en être instruit immédiatement, soit par vous, M. le gouverneur, soit directement par MM. les commissaires d'arrondissement. Le gouvernement a, à cet égard, un devoir à remplir : Il n'y faillira point. »
Que s'est-il passé à Gand le 2 août ?
A 4 heures, une foule tumultueuse, envahissant le bureau principal, cherchait à s'emparer des urnes électorales et a détruire le résultat d'une élection qui venait de s'achever.
C'était là, messieurs, l'acte le plus grave, le plus violent, le plus blâmable qui pût se commettre dans un pays où la liberté électorale est le premier principe que nous devions sauvegarder.
A 5 heures, les attroupements se formaient et menaçaient le Cercle catholique.
A 6 heures, ces attroupements avaient pris un développement considérable et s'étendaient dans toute la ville.
Vers 7 heures, ces désordres allaient toujours s'aggravant et, malgré ma circulaire du 29 juillet qui demandait une communication immédiate, le gouvernement n'avait reçu aucun avis officiel, ni des désordres qui se prolongeaient, ni des attroupements qui grossissaient rapidement.
Et c'est dans ces circonstances, en présence des plaintes qui m'arrivaient de toutes parts et qui me signalaient l'une des grandes cités du royaume comme abandonnée sans protection... (interruption), que je pris les mesures que vous connaissez.
M. de Rossiusµ. - Citez-les, ces cités.
M. Baraµ. - Vous avez eu peur et pas autre chose.
M. de Baetsµ. - Nous n'avons pas peur et nous savons nous défendre.
MiKdLµ. - Vous niez les faits ; j'en donnerai immédiatement la preuve.
Le gouverneur de la Flandre orientale écrivait, le 2 août, à 6 heures trois quarts à M. le bourgmestre de Gand :
« Si vous ne faites pas exécuter les dispositions que vous m'avez déclaré avoir prises en présence des personnes officielles que j'ai réunies avec vous hier matin, je considère votre responsabilité, comme sérieusement engagée. »
C'est en ces termes qu'à 6 heures trois quarts le gouverneur de la Flandre orientale, qui n'est pas de mes amis politiques, s'adressait à M. le bourgmestre de Gand, le mettant en demeure d'agir.
Je reprends, messieurs, l'ordre des faits tels qu'ils se sont passés.
En présence de ces désordres, j'expédiai à 6 heures 54 minutes un télégramme qui a été reproduit par le bourgmestre de Gand dans la séance du conseil communal du 16 de ce mois. Mais est-ce en vertu de ce télégramme que les troupes sont intervenues ? et M. le gouverneur de la Flandre orientale qui se trouvait sur les lieux, qui, à 6 heures trois quarts, adressait à M. le bourgmestre de Gand la lettre dont je vous ai donné lecture, n'a-t-il pas été contraint par la situation la plus grave à prendre lui-même les mesures que je lui recommandais ? Cela sera aisé à démontrer.
Vers 6 heures et un quart, le gouverneur de la Flandre orientale envoya un messager chez le commandant de la place pour lui dire que la situation devenait de plus en plus sérieuse et que l'autorité militaire devrait nécessairement agir dans un bref délai.
Vers six heures et demie le commandant de la gendarmerie fit connaître de son côté que l'action de ce corps était insuffisante et qu'il était urgent que l'autorité militaire se préparât à intervenir. Enfin, à six heures trois quarts, M. le gouverneur adressait à la force militaire, dans la personne de M. le commandant Daufresne, le réquisitoire dont je vais avoir l'honneur de donner lecture. Cela se passait vingt ou vingt-cinq minutes avant que mon télégramme fût remis à M. le gouverneur :
« Nous soussigné, gouverneur de la Flandre orientale, requérons, en vertu de la loi, M. le commandant la place de Gand (à défaut d'autorités militaires supérieures) de prêter le secours des troupes nécessaires pour dissiper les attroupements et réprimer les désordres qui ont lieu actuellement dans la ville de Gand.
« Pour la garantie dudit commandant, nous apposons notre signature.
« (Signé) de Jaegher.
« Gand, le 2 août 1870 à six heures trois quarts de relevée. »
La date est importante, messieurs, puisque mon télégramme n'est arrivé qu'à 7 h. 4 m. et n'a pu être remis à M. le gouverneur qu'à 7 h. 10 m. ou à 7 h. 15 m.
Immédiatement après, le gouverneur m'adressa le télégramme suivant :
« Vu l'insuffisance des mesures de police, j'ai requis le commandant des troupes à 6 heures trois quarts. »
Ce n'est donc pas le gouvernement, ce n'est pas le ministre qui a constaté l'insuffisance des mesures de la police locale, c'est le gouverneur.
Si M. le bourgmestre de Gand a maintenu, dans la séance du conseil communal du 16 de cé mois, que c'était en vertu de mon ordre que les troupes étaient intervenues, c'est qu'il s'appuyait avec une entière confiance sur la déclaration qu'il avait reçue de M. le gouverneur que cet ordre émanait du département de l'intérieur et que, quant à lui, il s'était borné à une simple mesure de précaution.
Je regrette de le dire, M. le gouverneur de la Flandre orientale, en présence de désordres graves et sérieux, a rempli son devoir ; mais lorsqu'il s'est agi de revendiquer la responsabilité de ses actes, il n'y a pas mis la même énergie.
Lorsque, vers 7 heures et un quart, le bourgmestre de la ville de Gand se rendit chez M. le gouverneur de la Flandre orientale, ce fut sur le ministre de l'intérieur que ce haut fonctionnaire fit peser la responsabilité de la réquisition, et si je ne craignais d'abuser des moments de la Chambre (Non ! non ! parlez !), je constaterais ici que par le premier rapport que m'adressa M. le gouverneur, il allait jusqu'à affirmer que mon télégramme lui était parvenu à six heures trois quarts, avant qu'il eût transmis sa réquisition au commandant de la place. Et j'ai été réduit à faire constater officiellement que mon télégramme n'a été remis au bureau de Bruxelles qu'à G h. 54 m.
J'ai dit tout à l'heure que c'était vers quatre heure qu'avaient commencé les scènes de désordre au bureau principal, où l'on avait voulu s'emparer des urnes électorales.
« Peu de temps s'était écoulé, écrit M. le gouverneur, quand un grand attroupement faisait voler en éclats des vitres du Cercle catholique.
« Le bourgmestre s'est porté sur ce point avec des gendarmes au secours de ses agents de police insuffisants.
« Des membres du Cercle ne voulaient pas fermer les portes du local, et leur attitude exaspérait les agresseurs. » (Interruption.)
Il en est souvent ainsi des victimes : c'est sur elles qu'on fait retomber la responsabilité de ce qu'elles ont eu à subir.
« Pendant ce temps, une autre bande se grossissait dans sa course vers l'évêché, où des carreaux de vitre ont également été brisés, malgré les efforts d'un corps de sapeurs-pompiers posté pour l'empêcher. »
J'appelle, messieurs, toute votre attention sur le passage suivant, puisque l'honorable M. Anspach s'est occupé de la garde civique, point sur lequel je reviendrai tout à l'heure :
« Les gardes civiques, ayant dû être maintenus dans leurs droits électoraux, n'avaient pas pu être tenus sous les armes. L'échec des libéraux étant connu, les dispositions de ce corps sont devenues tellement mauvaises que l'appel des tambours est demeuré sans effet assez prompt et assez complet pour qu'il y eût un noyau imposant à mettre en ligne immédiatement.
« Les désordres ne s'étant pas aggravés jusque-là, le bourgmestre ne jugeait pas encore indispensable le recours à l'armée, d'ailleurs faible et sans cavalerie, et comptait obtenir de ses autres moyens la répression du mouvement populaire qui s'attaquait, non aux personnes, mais aux vitres, lorsqu'à 6 heures trois quarts, votre télégramme m'est parvenu. »
Vous l'entendez, messieurs, mon télégramme serait parvenu à 6 heures trois quarts à Gand, et il est officiellement constaté qu'il n'a été remis au bureau de Bruxelles qu'à 6 heures 54 minutes...
M. Pirmezµ. - On parle par à peu près. (Interruption.)
MiKdLµ. - Mon télégramme n'était donc pas parvenu à Gand quand la réquisition a eu lieu ; et vous allez voir quelle importance M. le gouverneur donne à cette date qui est le point de départ de son affirmation que la réquisition n'a eu lieu que sur l'ordre émané de Bruxelles.
« J'avais, dans l'intervalle, reçu une députation du Cercle catholique, à laquelle j'avais déclaré que si les dispositions de l'autorité locale restaient insuffisantes pour rétablir l'ordre, je requerrais la force armée dans la personne du commandant de place ; que j'allais m'en assurer, mais que, suivant accord avec les autorités, je ne pouvais pas m'éloigner de l'hôtel provincial, où j'attendais les communications pour y obtempérer. (page 52) J'écrivis de suite au bourgmestre, lui relatant les plaintes qui venaient de m'être exprimées.
« Un quart d'heure plus tard, le bourgmestre était chez moi, me rendant compte des situations qui avaient été exagérées, me disant que jusqu'ici, il n'y avait qu'une cinquantaine de carreaux de vitres brisés, et m'exprimant le regret que, sur votre ordre, j'eusse dû requérir la troupe. »
Voilà la conclusion ; voilà ce qui explique l'affirmation du bourgmestre de Gand au conseil communal d'après la déclaration du gouverneur de la Flandre orientale, que c'était sur mon ordre, arrivé 20 minutes après la réquisition, que l'autorité militaire était intervenue.
« Il (le bourgmestre) me dit en me quittant qu'il devait faire rentrer la garde civique et s'en reposer sur la troupe du soin ultérieur de la tranquillité. »
Je demande la permission de placer ici une parenthèse.
Vous voyez par la lettre du gouverneur que la garde civique était animée des plus mauvaises dispositions ; que c'était inutilement qu'on avait battu le rappel et qu'on n'avait pu réunir un noyau d'hommes suffisant. C'était en présence de cette situation qu'avait eu lieu la réquisition de la force militaire, et c'était alors aussi que le bourgmestre avait déclaré, de son côté, qu'il se trouvait réduit à faire rentrer la garde civique.
Ces détails, messieurs, sont complètement inexacts ; j'ai entre les mains l'acte de réquisition de la garde civique qui n'a eu lieu qu'à 7 heures et demie.
Il se passa plusieurs jours avant que le gouverneur de la Flandre orientale cessât d'affirmer que mon télégramme, arrivé à la station de Gand à 7 h. 54 m., lui avait été remis à 6 heures trois quarts.
Cependant, le texte de la réquisition de M. le gouverneur existait. Mais il affirma, et ceci se trouve répété dans le rapport du bourgmestre de Gand au conseil communal, que cet ordre ne devait pas être interprété comme on le faisait, qu'il avait été convenu avec le commandant de place que, lorsque cet ordre lui serait remis, il indiquerait simplement la nécessité de faire venir des renforts de Termonde et aucunement l'intervention immédiate de la force armée.
Cela est dit tout au long dans le rapport de M. le gouverneur du 6 août. Il y déclare que la réquisition a pour but de couvrir, vis-à-vis du commandant de place, l'appel d'un bataillon caserne à Termonde.
Il ajoute que si, dans une lettre adressée le 2 août à 6 heures trois quarts au bourgmestre, il n'a fait aucune mention de l'intervention militaire, c'est parce que « la mesure précitée de précaution n'avait pas cette portée. »
L'ordre de réquisition, dit-il ailleurs, était « une simple précaution préparatoire », et il ajoute, quelques lignes plus loin : « C'est ainsi que les choses avaient été convenues entre le commandant de place et moi. »
L'un des derniers paragraphes de cette même dépêche du 6 août est plus explicite encore.
« Vous confondez, dit-il, deux choses distinctes, une précaution prise par moi d'accord avec le commandant de place, précaution qui exigeait un appel de forces empruntées à une garnison voisine et qui, dès lors, devait être couverte par un ordre de l'autorité civile, vous confondez cette précaution, qui est mon œuvre, avec un ordre d'appel à l'action des forces militaires, ordre qui est votre œuvre... »
Le gouverneur insiste sur ce point dans une dépêche du 8 août :
« Vous confondez, je le répète encore, une mesure de précaution que j'avais prise, celle de faire venir de Termonde le bataillon dont le commandant de place avait reçu de son chef l'autorisation de disposer au besoin, mais qu'il ne pouvait faire venir que muni de mon réquisitoire préparé à l'avance pour le couvrir ; vous confondez cette précaution prise a 6 heures trois quarts, et qui est mon œuvre, avec l'ordre de requérir la force militaire, reçu de vous avant 7 heures et un quart, et qui est votre œuvre.
« Le bataillon appelé ne pouvait arriver de Termonde qu'entre 8 heures et demie et 9 heures.
« Jusqu'à son arrivée, le commandant de place n'avait pas à bouger suivant nos conventions ; j'avais donc près de deux heures d'intervalle disponible pour établir, si les situations en venaient à l'exiger, le concert préalable entre les autorités compétentes que prescrivent les circulaires du ministre de la guerre, en date du 6 décembre 1857, et du ministre de l'intérieur en date du 25 suivant (voir Bulletin administratif du ministère de l'intérieur 1857, tome II, pages 524 et 525), circulaires que je devais d'autant mieux connaître qu'elles avaient été provoquées par moi-même, pour lever des doutes auxquels avait donné lieu l'interprétation des lois et décrets relatifs à cette matière.
« Cette mesure de précaution bien convenue entre le commandant de place et moi, j'avais pu en laisser entrevoir le recours éventuel, dès la veille, en pleine réunion de fonctionnaires, mais j'avais jugé opportun, pour le motif que je vous en ai donné, de ne pas en prévenir le bourgmestre dès le moment que je l'avais prise à 6 heures trois quarts. Je ne lui ai dit qu'alors que votre ordre de faire agir la troupe était entre mes mains, en lui exhibant cet ordre télégraphié, et je devais le lui dire alors autant pour lui montrer cette ressource à attendre de l'extérieur, que pour faciliter l'accord et l'action simultanée de tous les moyens réunis, à défaut du concert préalable précité que votre ordre formel n'avait pas rendu possible.
« Si je n'avais eu à cœur de ne pas vous compromettre, M. le ministre, j'aurais immédiatement envoyé copie de votre télégramme au commandant de place.
« Je m'en suis soigneusement abstenu pour ne pas mettre cet honorable officier dans la plus fausse des positions en le forçant de se produire sans retard quoiqu'il n'eût encore à mettre sur pied qu'une simple compagnie d'artillerie de siège et 18 lanciers, au risque d'amener les plus fatales confusions.
« Il est au contraire resté sans bouger jusqu'à l'arrivée du bataillon, et il n'en a fait usage après cette arrivée vers 9 heures, que comme auxiliaire, ainsi que nous en étions convenus, et de concert avec l'autorité communale et la garde civique. »
Il y a lieu de remarquer ici que le gouverneur de la Flandre orientale ajoute à son assertion, comme en établissant la preuve formelle, la mention de ce fait : que l'armée n'a agi que vers 9 heures et un quart ou 9 heures et demie, lorsque des renforts lui étaient arrivés de Termonde. Cela est complètement inexact et j'ai à cet égard des déclarations du commandant de place, qui excluent tout doute.
D'abord voici un télégramme reçu à Bruxelles le 2 août à 7 h. 53 m. et remis à la station de Gand à 7 h. 55 m.
« D'après réquisition du gouverneur reçue à sept heures du soir, je pars avec les troupes disponibles à Gand pour réprimer des désordres au Cercle catholique, et je fais venir de Termonde le 4ème bataillon du 1er de ligne et ordonne au 4ème bataillon du 7èmede se tenir prêt. »
Ainsi, il est établi que la réquisition fut remise à 7 heures, avant l'arrivée de mon télégramme à Gand et que le commandant Daufresne a agi immédiatement à 7 heures et demie et non pas à 9 heures, comme l'a dit le gouverneur.
M. le commandant Daufresne ajoute dans son rapport du 5 août :
« M. le gouverneur m'envoya vers 7 heures le réquisitoire dont ci-joint, une copie.
« J'ordonnai immédiatement au 2ème de chasseurs à pied de se masser sur la plaine Saint-Pierre, et, quant au 4ème bataillon du premier de ligne, cantonné dans les environs de Termonde, il reçut l'ordre de se rendre à Gand.
« M'étant mis à la tête du 2ème de chasseurs à pied, je le dirigeai sur le point le plus menacé, l'église et le couvent des jésuites, rue d'Assaut. La foule fut refoulée sans effusion de sang.
« Un volet avait été enlevé et jeté dans la rivière, l'une des portes brisée et des pierres avaient été lancées dans les vitres. Il y avait eu là une véritable atteinte à la propriété. »
Dans un autre document, le colonel Daufresne insiste encore sur ce point : « Lors des élections dernières, j'ai reçu à sept heures du soir le réquisitoire de M. le gouverneur de la province qui me l'avait envoyé dé son hôtel à 6 heures trois quarts, comme le prouve la copie annexée à mon rapport du 3 courant.
« Ce réquisitoire qui avait pour but l'intervention de la troupe pour dissiper les attroupements et réprimer les désordres qui avaient lieu dans le moment même, a reçu et devait recevoir une exécution immédiate, car c'est de mon initiative seule, initiative qui m'appartenait, que j'ai télégraphié à Termonde, pour faire venir promptement le 4ème bataillon du 1er régiment de ligne.
« La troupe est sortie de la citadelle vers 7 heures et demie du soir et est arrivée sous ma direction vers 7 heures trois quarts à l'église des Jésuites, rue d'Assaut, où venait de se commettre un attentat à la propriété. »
J'ai ici encore un rapport de M. le commandant Daufresne qui s'exprime en ces termes :
« M. le gouverneur fait une omission, probablement involontaire, en disant que je n'avais à mettre sur pied, avant l'arrivée du bataillon de Termonde, qu'une simple compagnie d'artillerie de siège (elle gardait la (page 53) citadelle) et dix-huit lanciers. Je possédais surtout le 5ème bataillon du 4ème chasseurs à pied, composé d'un major, de 4 capitaines et de 280 sous-officiers et soldats (l'effectif de ce bataillon était beaucoup plus élevé, mais ce surcroît consistait en miliciens de la classe de 1870, etc., dont l'instruction n'était alors que commencée).
« M. le gouverneur verse dans une erreur singulière, inconcevable..., en ajoutant que je suis resté sans bouger jusqu'à l'arrivée du bataillon de Termonde, vers 9 heures. Il est à la connaissance de tout le monde à Gand, que je suis descendu, en toute hâte, de la plaine Saint-Pierre, vers 7 heures et demie, pour me rendre à l'endroit le plus menacé : à l'église et au couvent des jésuites, rue d'Assaut, puis de là sur les autres points que j'ai désignés dans mon rapport du 5 courant, en attendant l'arrivée du renfort de Termonde. »
Dans une autre note, toute récente, M. le commandant Daufresne dit à propos de la déclaration du gouverneur reproduite le 16 de ce mois par le bourgmestre de Gand, que la réquisition n'était qu'une mesure de précaution et non un ordre d'agir :
« Cette assertion est entièrement inexacte. En présence des termes formels du réquisitoire, je crois que tout le monde sera convaincu que si j'ai agi, c'est bien sur la réquisition de M. le gouverneur, réquisition qui n'avait aucun caractère conditionnel. »
Ainsi, si M. le bourgmestre de Gand a été, comme je n'en doute point, de bonne foi en déclarant au conseil communal ce qui se trouve consigné dans son rapport, il n'est pas moins incontestable, en présence des explications du commandant Daufresne, que les faits qui lui ont été communiqués, ne reposent sur aucune base solide.
Messieurs, je crains d'abuser des moments de la Chambre, mais je dois une réponse à M. Anspach sur un point spécial.
J'ai transmis les instructions du 2 août au gouverneur de la Flandre orientale, en présence d'une situation exceptionnelle. Je n'ai transmis d'instruction semblable à aucun des gouverneurs, ni au gouverneur du Brabant, ni au gouverneur d'aucune autre province, parce qu'il fallait pour moi une nécessité bien démontrée, la nécessité la plus grave, la plus urgente pour que je crusse devoir recourir à ces mesures.
Un mot maintenant, messieurs, sur la garde civique.
Je crois que dans un pays où la conservation de nos institutions importe à tous, il y a un devoir pour tous de s'associer à leur défense.
Il y a quelques jours à peine, je déposais sur le bureau de la Chambre, un projet de loi destiné à améliorer l'armement de la garde civique, et dans l'exposé des motifs, je rendais hommage à son zèle et à son dévouement.
La déclaration que j'ai faite, il y a quelques jours, je la reproduis aujourd'hui ; et en parlant de ce qui s'est passé à Gand, je puis invoquer hautement une nouvelle preuve de ces sentiments de vive sympathie que je porte à la garde civique.
Le 2 août, à dix heures du soir, dans ce rapport, dont j'ai donné lecture tout à l'heure, M. le gouverneur de la Flandre orientale accusait la garde civique d'avoir manqué à son devoir, d'avoir montré les plus mauvaises dispositions, à ce point qu'il avait été impossible de réunir un noyau d'hommes suffisant pour assurer le maintien de l'ordre. Eh bien, j'ai cru devoir m'informer immédiatement de la valeur de ce grief ; j'ai depuis longtemps des relations d'amitié avec M. le général comte du Chastel, dont tout le monde connaît la loyauté chevaleresque, et j'ai reçu immédiatement une déclaration du général du Chastel qui me donna la conviction que les faits que j'avais sous les yeux étaient inexactement rapportés et qu'alors qu'on représentait la garde civique comme manquant à son devoir, elle n'avait pas même été convoquée.
Que fis-je ? J'écrivis à M. le gouverneur de la Flandre orientale pour lui demander compte des accusations injustes qu'il avait dirigées contre la garde civique. Et que répondit alors M. le gouverneur ? Il faut que chacun prenne sa part de responsabilité. En butte à des accusations injustes qu'il eût dépendu de M. le gouverneur de faire cesser, je lirai sa réponse, qui touche à deux points : l'action de la police locale et l'action de la garde civique. La Chambre jugera.
« Je vous avais écrit que la garde civique se montrait mal disposée à obéir au premier appel du tambour, un peu avant sept heures ; mais qu'en certaine mesure elle s'est exécutée plus tard. Cela est incontestablement vrai, et le gouverneur de la province vous devait cette vérité.
« Cependant le bourgmestre dans son rapport, et le général comte du Chastel dans le sien, vous disent, l'un que la garde civique s'est très bien montrée ; l'autre qu'il répond des gardes sous ses ordres.
« Vous y voyez un thème de contradiction.
« Il est, M. le ministre, certaines considérations de position et d'intérêt politique dont il faut, avant tout, tenir compte :
« A ma place, ces messieurs vous auraient renseigné comme je l'ai fait ; à la leur, à moins de manquer d'intelligence et de prévoyance en face d'une institution qu'il faut ramener d'un moment d'écart par de bons procédés, et non froisser par de mauvais, j'aurais Indubitablement fait comme eux. »
Je ne saurais terminer ces explications sans rendre un public hommage à l'armée.
Quelques hommes à peine (et parmi eux quelques miliciens venaient d'arriver sous les drapeaux) ont suffi pour mettre un terme aux plus regrettables désordres, pour empêcher de criminels attentats contre la propriété, et il a suffi qu'ils s'inspirassent des sentiments de fermeté et de dévouement qui animaient leur commandant, pour qu'ils fissent disparaître en quelques minutes le flot tumultueux qui compromettait la tranquillité de la ville de Gand.
Je rends également hommage à la garde civique qui, quoi qu'on en ait dit, a répondu à l'appel dès qu'il lui a été adressé ; et si j'ai un blâme à exprimer, ce n'est pas contre elle que je le dirigerai, c'est contre les autorités qui, à 4 heures, lorsqu'on envahissait le bureau principal, à 5 heures, à 6 heures, lorsque le désordre s'étendait dans la ville de Gand, n'ont pas songé à requérir la garde civique et ont attendu, pour le faire, jusqu'à 7 heures et demie.
On a fait naître ainsi l'urgente nécessité de requérir la force militaire, alors que si la garde civique était intervenue deux heures plus tôt, l’intervention de la force militaire n'eût, je l'espère, pas été indispensable. Si l'on eût agi de cette manière, le désir de l'honorable M. Anspach eût été réalisé, et ni le ministre ni le gouverneur n'eussent été obligés de recourir à des mesures qu'imposait, je me suis efforcé de le démontrer, le devoir le plus impérieux.
Le gouvernement accepte la responsabilité de tout ce qu'il a fait ; mais il laisse aussi à tous les fonctionnaires la part de responsabilité qui leur incombe.
La Chambre, gardienne des libertés constitutionnelles, ne saurait oublier que nous nous sommes surtout préoccupés du devoir d'assurer au corps électoral la liberté la plus complète, et nous croyons, messieurs, qu'en nous efforçant de garantir dans sa source le mandat dont vous êtes revêtus, c'est votre dignité, c'est la dignité de la représentation nationale tout entière que nous avons eu à défendre et à protéger.
M. de Baetsµ. - Messieurs, l'exposé lucide et complet que vient de vous faire l'honorable ministre de l'intérieur me dispenserait peut-être de prendre part à ce débat ; mais j'estime qu'en présence des faits scandaleux qui se sont passés à Gand et qui se répètent trop souvent, il est du devoir de la députation gantoise de protester, du haut de la tribune nationale, contre des agissements qui paraissent calculés, qui finiraient par vicier nos institutions.
Je suis parfaitement d'accord avec l'honorable bourgmestre de Bruxelles qu'avant tout c'est l'autorité locale, l'autorité communale qui doit veiller au salut de tous ; mais lorsque ce devoir n'est pas rempli, lorsque ce mandat n'est pas exécuté, c'est l'autorité supérieure qui doit intervenir et je remercie le ministère d'avoir veillé sur nous dans cette circonstance, lorsque nous étions trahis par ses agents. Je l'engage en toute circonstance à agir avec la même prudence et avec la même fermeté.
Qu'on ne vienne donc pas discuter des théories. Il faut que le droit soit abrité par le fait, et quand cela n'existe pas, il est du devoir du gouvernement d'agir avec toute la vigueur nécessaire.
Comment ! avant les élections, on laisse courir des gens avinés dans les rues jusqu'à trois heures du malin, troublant tout le monde dans son repos, effrayant les électeurs de la ville, effrayant les électeurs des campagnes, et lorsque nous avons affirmé notre droit et notre force, vous venez nous dire :« Fermez bien vos portes et vos fenêtres, n'illuminez pas et prenez bien garde d'arborer le drapeau national. » Et cela se passe en Belgique, et on viendra nous reprocher d'avoir arboré le drapeau de la patrie et reprocher au gouvernement d'avoir osé le défendre quand il flotte sur nos édifices.
Voici, messieurs, ce que porte un rapport officiel :
« La foule était très animée contre les membres du cercle catholique. Je dois attribuer, en grande partie, cette attitude à la conduite de ses membres.
« En effet, dès trois heures de l'après-midi, et lorsque déjà le scrutin électoral était prévu, j'envoyai au cercle catholique le commissaire en chef de police pour prier, en mon nom, le président d'éviter toute démonstration à l'extérieur du local, dans le genre de celle qui avait eu lieu le 14 juin dernier, surtout de ne pas illuminer la façade, de n'allumer aucun feu de Bengale, de ne pas même arborer de drapeau, enfin de tenir, autant que possible, le local fermé.
(page 54) Il lui fut répondu par le vice-président, que celui-ci ferait tous ses efforts pour que cela n'eût pas lieu, mais qu'il ne pouvait cependant répondre de rien, surtout en ce qui regardait le placement du drapeau, vu que certainement plusieurs membres de la société l'exigeraient. Quand je me rendis à la place du Marais, la porte du cercle catholique était largement ouverte et l'entrée de la cour se trouvait barricadée.
« Un grand nombre de membres se tenaient à l'extérieur, sur le trottoir, narguant la foule tenue à distance par la force armée. J'eus beaucoup de peine a faire former la porte du local, qui s'ouvrit de nouveau quelques minutes plus tard. Il y avait là une intention évidente de résister à l'autorité, ce qui augmenta l'exaspération de la foule. »
Chaque fois que nous avons été battus à Gand - et cela est arrivé assez souvent - on illuminait, on faisait des démonstrations de toute espèce, drapeaux, musique et du champagne à flots. Seulement, il était bon pour les vaincus de se tenir un peu à l'écart.
Mais, maintenant que le parti est écrasé - et j'espère bien que c'est pour longtemps - on nous dit :
« D'éviter toute démonstration, de ne pas illuminer, pas de drapeau, pas de musique : au milieu de votre triomphe portez le deuil ! »
On nous engage à bien fermer les portes.
Le conseil était excellent, car celui qui se serait trouvé derrière de simples carreaux de vitres en aurait su quelque chose.
L'honorable M. Van Overloop pourrait certifier le fait.
M. Van Overloopµ. - L'honorable M. de Naeyer aussi. Dans la rue, a quelques pas de la police, M. Braekman a reçu une pierre à la tête.
M. de Baetsµ. - Il a été répondu par le vice-président qu'il ne pouvait de son autorité souscrire à toutes les injonctions, que nous pourrions appeler des humiliations, et que certainement plusieurs membres exigeraient que le drapeau national fût arboré. L'administration du cercle a eu un tort peut-être, c'est de céder sur trop de points.
Mais voyez donc quel crime le cercle a commis ! Il a ouvert sa porte, il a mis quelques poteaux et quelques planches pour empêcher les irruptions que l'on craignait, - on est tellement gardé par les théories développées tout à l'heure, tellement gardé par le droit, - que l'on a jugé convenable de se barricader, de façon qu'une seule personne pût entrer à la fois.
Et ce sont les membres du cercle catholique qui ont été les provocateurs ! Ils se sont tenus sur le trottoir. Il y avait là, en effet, le secrétaire du cercle et M. le procureur du roi. Il y a eu encore le vice-président, et peut-être quelques membres qui se sont glissés le long du mur pour échapper à l'état de siège. On avait affiché l'ordre de n'aller à aucune fenêtre quelconque, ordre qui a été parfaitement observé, mais il y a une certaine chose : ce sont les ricanements du cercle catholique.
Ce sont ces ricanements qui doivent avoir provoqué la foule.
Il y a peut-être là un manque de logique chez moi, mais je ne conçois pas que ce soient les ricanements du cercle catholique qui ont amené cette foule. Que venait faire cette foule ? Etait-ce pour applaudir ?
Ce qui est étrange, c'est qu'au même moment quarante maisons de la ville de Gand recevaient des volées de pierres.
Dans la rue Neuve Saint-Jacques, il y a quatorze maisons de bourgeois - je ne sais pas trop si ce sont des catholiques, j'en doute.
- Une voix à droite. - Ce sont des ricaneurs.
M. de Baetsµ. - Oui, des ricaneurs.
Mais il y a autre chose, car je n'accuse pas la partie intelligente de nos adversaires du fait de jeter des pierres. Ce sont des ouvriers que l'on a enivrés, ce jour comme auparavant, et qui savaient si peu ce qu'ils faisaient, qu'ils sont allés d'abord bombarder les maisons libérales.
Ils avaient été mal renseignés ; je vais le prouver :
Tout le monde connaît la maison historique où Louis XVIII a passé autrefois quelques jours.
C'est la maison de M. le comte d'Hane-Steenhuyse. Tout près se trouve la maison de M. le comte d'Alcantara. Etle se distingue par de petits carreaux de vitre.
Or, non loin de la maison de M. d'Hane-Steenhuyse se trouve une autre maison habitée par un libéral, mais qui a aussi de petits carreaux de vitre et c'est précisément chez ce monsieur-là que l'on a commencé à jeter les pierres avant de le faire chez les autres.
La police, messieurs, aurait dû connaître d'avance les inductions que nous tirons maintenant des faits.
Aux quai aux Oignons, il y a un établissement des sœurs de la Sainte-Enfance. Tout près se trouve la maison d'une personne qu'on me dit être un de vos plus chaleureux amis ; on m'a dit, mais je n'affirme pas, qu'on avait brisé les vitres chez lui ; les perturbateurs s'étaient trompés d'adresse. Ce fait, je ne l'affirme pas, car je n'ai pas vu les lieux, mais l'autre je l'affirme.
Messieurs, je pense que la motion d'ordre de M. le bourgmestre de Bruxelles se rattache un peu à une interpellation adressée au collège échevinal de Gand, mais qui est tombée dans l'eau, permettez-moi de me servir de cette expression triviale.
On avait convoqué le conseil à une double fin : ce ne fut pas le collège qui convoqua. Cependant, le collège aurait, en raison des circonstances, dû prendre l'initiative de la convocation et dire : Voilà ce que nous avons fait, voilà ce que nous n'avons pas fait.
Eh bien, on a suivi une voie détournée et on a envoyé une convocation à onze membres du conseil. L'ordre du jour portait : « 1° Explications à donner sur l'intervention de la troupe ; 2° Explications à donner sur le service de la garde civique. »
Ce qui est assez contradictoire, car, d'un côté, on exigeait l'intervention de la garde civique seule pour maintenir l'ordre dans la rue, de l'autre, on voulait protester contre l'intervention de la garde civique qui devait maintenir l'ordre ailleurs, à la prison notamment.
Lorsqu'on a été mieux renseigné sur les faits, on s'est dispensé de jeter des cris d'indignation, mais on a voté des félicitations à M. le bourgmestre sur le rapport très incomplet qu'il a présenté au conseil communal.
Contre ce rapport il y a une première protestation qui m'a été remise au moment où je parlais pour Bruxelles et dont je demande à la Chambre la permission de lui donner lecture.
« Les soussignés, président et membres du conseil d'administration du Cercle catholique à Gand, estiment qu'il est de leur devoir et de leur honneur de protester publiquement contre les imputations qui leur sont prodiguées dans un rapport adressé par M. le bourgmestre de la ville de Gand, chef de la police locale, à M. le gouverneur de la province, en date du 4 août 1870.
« Dans ce document, M. le bourgmestre, par une étrange interversion des rôles, affecte de rejeter sur les membres du Cercle catholique la responsabilité des scènes de désordres qui ont eu lieu, devant le local de notre société, pendant la soirée du 2 août.
« Ce seraient les membres du Cercle catholique qui, par des démonstrations imprudentes, auraient provoqué « l'exaspération de la foule ! »
« Ce seraient eux qui auraient manifesté « l'intention évidente de résister à l'autorité ! »
Ce seraient eux qui auraient manifesté l'intention de résister à l'autorité et on leur lançait des pavés ! (Interruption.) Laissez-moi aller jusqu'au bout ; il faut enfin que la vérité se fasse !!
« Ce seraient eux qui auraient nargué les perturbateurs tenus à distance par la force armée ! »
La force armée était absente. Et ceux qui avaient l'intention de résister à la force armée ont dû s'échapper par des propriétés particulières en escaladant les murs des voisins !!
« Il est impossible à des citoyens honnêtes, dévoués à l'ordre et qui ont donné maintes preuves de leur zèle pour la paix publique, de ne pas se défendre contre de telles dénonciations adressées au premier magistrat de la province et produites en séance publique du conseil communal.
« Si c'est une provocation que d'avoir défendu la cause de nos libertés civiles et religieuses, d'avoir voté contre la liste doctrinaire, oui, nous sommes des provocateurs !
« Si c'est une provocation que d'avoir usé paisiblement et légalement du droit de nous associer pour la défense de nos convictions communes, oui, nous sommes des provocateurs !
« Si c'est une provocation que d'avoir, après un triomphe éclatant, arboré le drapeau de la Belgique, oui, encore une fois, nous sommes des provocateurs !
« Mais qui donc, sur notre vieille terre de liberté, oserait nous contester le droit de dire ce que nous sommes, d'affirmer nos principes et de défendre notre foi ?
« Qui donc, sous un régime où tous les programmes peuvent se produire, toutes les bannières se déployer, oserait nous faire un crime de prendre pour signe de ralliement le symbole de nos traditions nationales ?
« Non ! nous ne sommes ni des perturbateurs, ni des séditieux !
« Nous osons même affirmer que, pendant toute la crise électorale, las catholiques de l'arrondissement de Gand ont fait preuve d'un calme et d'une modération que n'ont pas toujours imités leurs adversaires.
« Alors que ceux-ci se livraient, pendant la semaine qui a précédé l'élection, à des démonstrations nocturnes, tout au moins tapageuses, la (page 55) principale préoccupation des membres du conseil d'administration du Cercle catholique était de prévenir toutes les occasions de désordre et de conflit.
« Le dimanche avant l'élection, le conseil se réunissait et prenait deux décisions qui ont été ponctuellement exécutées le 2 août.
« La première avait pour but de maintenir à l'entrée du local de la Société une circulation paisible et régulière. Un double couloir, disposé de manière à ne livrer passage qu'a une seule personne à la fois, a été établi sous le porche du Cercle. De cette manière on évitait l'encombrement, les irruptions en masse, et les membres du conseil d'administration pouvaient, dans la mesure du possible, s'assurer des dispositions pacifiques des personnes qui pénétraient dans le local.
« Il avait été également décidé qu'en cas de manifestation hostile devant le Cercle, les membres seraient invités a. s'abstenir de paraître aux croisées. Cette décision a été rigoureusement exécutée. Dès qu'un attroupement s'est formé devant notre local, les contrevents ont été fermés. Il suffit, aujourd'hui encore, pour contrôler l'exactitude de cette affirmation, de venir inspecter la façade du Cercle. Plusieurs volets ont été défoncés à coups de pavés.
« Nous avions donc pris toutes les précautions que devaient suggérer les dispositions bien connues de certains de nos adversaires.
« M. Vander Waerheden, commissaire de police en chef, s'est présenté, vers trois heures de l'après-midi, à notre local, et a eu une entrevue avec notre vice-président, M. Cooreman. Nous affirmons, sans crainte d'être démentis, que ce fonctionnaire n'a pas eu à se plaindre de l'accueil qui lui a été fait.
« Il venait demander aux catholiques vainqueurs de s'abstenir d'illuminations et de sérénades. C'était leur droit cependant de fêter leur victoire ! Ce droit, ils y ont renoncé. Etait-ce de la provocation ? Et si le verdict du corps électoral eût été, contre toute attente, favorable au parti doctrinaire, nos adversaires eussent-ils poussé jusqu'à ce point la condescendance et l'esprit de conciliation ?
« Il est vrai, le conseil d'administration, après en avoir délibéré, a décidé d'arborer au balcon du Cercle le drapeau national. Nul ne pouvait voir dans une démonstration aussi pacifique l'ombre d'une excitation, et renoncer à un droit aussi évident, c'eût été pousser la conciliation jusqu'à l'abdication et à la faiblesse. Nous voulons bien être conciliants, mais nous n'entendons pas être dupes. Respectueux envers l'autorité, nous voulons aussi qu'elle nous respecte et qu'elle ne nous impose pas de gratuites et injustifiables humiliations.
« Ce qui s'est passé plus tard dans la soirée, devant le Cercle catholique, la ville entière le sait, et des milliers de témoins seraient prêts, au besoin, à démentir les outrageantes imputations de M. le bourgmestre.
« Cernés pendant deux heures dans leur local, où se trouvaient réunies plus de quinze cents personnes, les membres du Cercle, en butte à une grêle de pierres, n'eussent eu qu'à effectuer une vigoureuse sortie pour dissiper les perturbateurs. N'étant point efficacement protégés par la force publique n'avaient-ils pas le droit de se protéger eux-mêmes ? Un grand nombre d'entre eux le croyaient, et sans l'intervention du vice-président, du secrétaire et de plusieurs membres du conseil d'administration, ils eussent exercé avec énergie ce droit de légitime défense. Une collision s'en fût suivie et des luttes, sanglantes peut-être, seraient venues s'ajouter aux scènes de désordre qui, pendant la soirée du 2 août, ont attristé notre ville. Il est vraiment incroyable que les hommes dévoués qui, à l'entrée du Cercle, se sont évertués à prévenir cette mêlée, soient, dans le rapport de M. le bourgmestre, l'objet des plus indignes accusations !... Ils sont dépeints comme narguant la foule eux qui s'étaient précisément imposé la difficile mission de calmer la trop légitime irritation de leurs amis !... Sous la plume d'un témoin oculaire des événements du 2 août, de telles imputations ne sont pas seulement de flagrantes contre-vérités, elles constituent, nous osons le dire, un acte d'injustice et d'ingratitude...
« Hués, insultés, poursuivis de pierres, assiégés dans leur cercle, obligés de fuir dans des maisons voisines, les catholiques gantois ont montré, dans l'après-midi du 2 août, une modération à laquelle un adversaire même devrait savoir rendre justice. Ils ont fait ce que font bien rarement les partis vainqueurs : ils ont renoncé à l'exercice de leur droit. Devaient-ils s'attendre, après une telle attitude, à voir l'autorité communale les traiter de provocateurs et plaider les circonstances atténuantes d'une scandaleuse agression ?... Ils ne se plaignent pas de cette nouvelle injustice, mais, forts de leur droit, forts de l'incontestable réalité des faits, ils en appellent à la conscience publique d'une accusation qui, formulée, deux jours après les événements, dans un document officiel, par le premier magistrat de la commune, n'a plus même l'irréflexion ou le dépit pour excuse.
« Gand, le 19 août 1870.
« Van der Bruggen-De Naeyere, président ; V. Cooreman, vice-président ; C. Van de Weyere ; V. Soudan ; baron H. Dellafallle ; baron G. Dellafaille ; J. De Hemptime ; C. Colle ; J. Lammens : J. Casier-De Hemptinne ; A. Neut ; D. Casier-Legrand ; Alf.de Kerchove ; Th. Léger ; J. Vander Schelden ; P. Vanden Kerckhoven ; G. Verspeyen ; E. Schoorman ; chev. de Ghellinck d'Elseghem ; H. Vander Schelden. »
Je regrette beaucoup, pour ma part, de n'être pas entré au Cercle catholique ; je vous déclare que je m'y serais énergiquement défendu.
J'étais allé faire une promenade au faubourg. Je rentre chez mol et de toutes parts on se précipite chez moi pour me dire : Pour l'amour de Dieu, n'allez pas au Cercle catholique ! Vous risqueriez d'être assommé. J'ai répondu : Mon devoir est d'y aller. Et, prenant ma canne... (Interruption.) Malheureusement il y avait en ce moment impossibilité matérielle d'arriver jusqu'au local.
Certainement, messieurs ; et je vous assure bien que, le cas échéant, je saurais défendre mon droit. Quoi ! nous serons insultés, conspués, honnis et nous ne pourrons pas nous défendre ! Vaincus, nous sommes insultés, vainqueurs, nous le sommes encore ! On nous jettera des pavés à la tête. (Interruption.) Oui, messieurs, un de mes amis, ami de M. Drubbel et ami de l'honorable M. Van Overloop, - il pourra l'attester, - a reçu un pavé à la tête.
M. Van Overloopµ. - C'est parfaitement vrai : il a reçu un pavé qui lui a été jeté en pleine rue en présence de la police qui est restée inactive.
M. de Baetsµ. - Voilà comme quoi nous sommes des provocateurs. Oui, je suis d'accord avec l'honorable M. Anspach qu'il faut se retrancher derrière le droit communal quand ce droit est bien exercé. Mais je suis aussi d'avis que, quand la protection légale fait défaut au citoyen, le citoyen a le droit de se défendre lui-même et que l'autorité supérieure a le devoir de le protéger.
Je n'ai pas critiqué l'autorité militaire, - quoique je ne sois pas militariste, on le sait depuis longtemps, - quand elle a défendu l'ordre dans le Borinage, et il n'y a là que des intérêts matériels à protéger : à Verviers et à Charleroi, la même chose.
Je n'ai pas critiqué l'autorité militaire, parce que le droit c'est le droit. Il n'y avait que des intérêts matériels à protéger, mais lorsqu'on vient par la force des pavés combattre notre dignité de citoyen, notre liberté d'électeur, nous protesterons ; il ne sera pas dit que nous resterons éternellement des parias.
Je termine, messieurs, en déclarant qu'en théorie générale, je suis d'accord avec l'honorable bourgmestre de Bruxelles, mais, en fait, il est du devoir de l'autorité militaire d'intervenir quand l'autorité communale ne fait pas son devoir.
M. Anspachµ. - Je n'ai que quelques mots à dire. Je ferai remarquer à la Chambre que la discussion que j'ai soulevée a singulièrement dévié.
J'ai proclamé une question de principe et successivement le ministre de l'intérieur et le député de Gand qui vient de se rasseoir ont rendu hommage à ma manière de voir sur ce point.
La question a été examinée par M. le ministre de l'intérieur, au point de vue des faits qui se sont passés à Gand, faits que je ne connais pas. (Interruption.)
M. Van Wambekeµ. - N'en parlez pas alors.
M. Anspachµ. - Je vous demande pardon, il fallait en parler, parce qu'il y avait dans le chef du ministre de l'intérieur un manquement à ces principes que j'ai proclamés aux applaudissements de la Chambre. (Interruption.)
Laissez-moi dire et vous allez être de mon avis.
Il est avéré maintenant, la lettre du ministre de l'Intérieur est là pour vous prouver que, sans aucune communication officielle de Gand, il a envoyé, à 6 h. 54 m., un télégramme qui dit :
« Très urgent.
« Gouverneur Gand. Désordres signalés ; requérez force militaire. Maintenez sévèrement ordre. »
M. le ministre de l'intérieur, de son aveu, ne savait pas officiellement ce qui se passait à Gand ; il n'avait aucune espèce d'information.
M. Delaetµ. - Vous venez de dire que vous ne connaissiez pas les faits.
(page 56) M. Anspachµ. - J'ignorais ce que vient de lire le ministre de l'intérieur. (Interruption.) Je ne connaissais pas le dossier qu'on vient de nous lire ; je n'ai pas eu l'occasion de l’étudier, mais je dois tout d'abord vous faire part de l'étrange surprise que j'ai éprouvée en voyant le ministre de l'intérieur, d'une part envoyer, sans aucune information officielle, un télégramme pour requérir l'armée, et, d'autre part, s'en défendre absolument, en disant que c'est eo gouverneur de la province qui a pris cette mesure. (Interruption.)
M. le ministre se défend de toutes ses forces d'avoir requis l'armée, il nous dit : Ce n'est pas moi qui ai fait intervenir la force armée, c'est le gouverneur (Interruption.) et il a fait un très long raisonnement, basé sur des minutes et sur des secondes, pour démontrer que ce n'était pas lui qui avait fait venir l'armée. (Interruption.)
Je sais, messieurs, que vous êtes les plus nombreux et que, si vous le voulez, vous étoufferez ma voix quoiqu'elle soit assez forte, mais voici ce que j'ai l'honneur de faire remarquer à la Chambre : M. le ministre de l'intérieur a fait un calcul extrêmement compliqué, mélangé de la lecture de toutes espèces de dépêches, de lettres et d'autres pièces par lesquelles il établit ou veut établir que le gouverneur de la province a reçu un télégramme autant de minutes plus tôt ou autant de minutes plus tard, mais il est évident, et le bourgmestre de Gand dit une chose vraie quand il affirme que c'est sur les ordres du ministre de l'intérieur que les troupes ont été requises.
Qu'est-ce donc que j'ai demandé à la Chambre et qu'elle m'a facilement concédé ? C'est qu'en cette matière il faut que ce soit l'autorité communale qui soit d'abord investie du droit de priorité dans la réquisition de l'armée et que ce n'est qu'à son défaut, quand il y a insuffisance de mesures prises, que l'autorité supérieure peut agir.
Eh bien, je dis que M. le ministre de l'intérieur a envoyé de lui-même, de sa propre volonté, de chez lui, du fond de son cabinet de Bruxelles, à 6 heures 54 minutes, sans avoir reçu aucune espèce d'information officielle sur le point de savoir si le bourgmestre faisait ou ne faisait pas son devoir, a envoyé une dépêche ordonnant de requérir l'armée.
Voilà ce que j'ai dit : c'est tout ce qu'il m'importait d'établir.
Maintenance ne trouvez-vous pas que si l'on veut discuter, ce que je ne demande pas le moins du monde, les faits qui se sont passés à Gand, il serait assez honnête, assez loyal, de la part de la majorité, de nous permettre de prendre aussi nos investigations, de consulter aussi nos amis pour savoir si ce qu'on vient avancer ici...
M. Wasseigeµ. - Il fallait vous livrer à des investigations avant de faire votre interpellation.
M. Anspachµ. - Est-ce que j'ai fait une interpellation sur les faits qui se sont passés à Gand ? En aucune manière. Mon interpellation portait sur un point de droit ; je l'ai dit en commençant mon discours, je l'ai répété à toute la Chambre. J'ai dit que j'avais cette rare fortune de pouvoir parler à tous les partis, sans devoir éveiller la moindre susceptibilité puisqu'il ne s'agissait pas le moins du monde d'une chose que je ne connaissais pas ; qu'il s'agissait pour moi d'avoir la déclaration très précieuse de la Chambre sur laquelle je m'appuierai dorénavant, celle de savoir que c'est d'abord au bourgmestre et à lui seul de commencer à prendre toutes les mesures relatives au maintien de l'ordre public.
M. Van Wambekeµ. - Et quand il ne le fait pas ?
M. Anspachµ. - C'était là la seule question que j'avais soulevée.
On est venu alors avec toute espèce de pièces et de dossiers que nous ne connaissons pas, qu'on nous promet de mettre au Moniteur, que nous aurons peut-être l'occasion de lire ; mais je trouve qu'il serait injuste de venir faire l'historique des faits qui se sont passés à Gand sans nous donner le droit et les moyens de connaître ce qui s'est réellement passé.
Il est très facile d'avoir l'air d'avoir raison quand on vient entamer une question sur laquelle nous ne pouvons pas répondre. (Interruptions.)
Je dis donc deux choses : ou bien nous restons dans les termes de mon interpellation et alors je me déclare pleinement satisfait ; j'ai obtenu de la Chambre ce que je désirais obtenir.
Maintenant veut-on une seconde chose ? Veut-on ouvrir une discussion sérieuse sur des faits qui se sont passés à Gand ?
Alors je demande qu'on remette cette discussion à une autre séance, car moi aussi, j'ai des amis sur l'honnêteté et la loyauté desquels je puis compter et je ne permettrai jamais qu'on vienne les accuser dans cette enceinte. (Interruption.)
Il ne vous sera pas permis, croyez-le bien, de venir traîner ces hommes sur la claie... (Interruption) sans qu'il y ait au moins une voix pour vous répondre. (Interruption.) Ne venez donc pas nous provoquer ici à une discussion à laquelle nous ne pouvons pas être prêts en ce moment.
Je termine, messieurs ; je dis à la Chambre ceci : Moi, j'ai pleine satisfaction ; la question de droit que j'ai proposée est résolue, mais si l'on veut que nous ayons une discussion spéciale sur les faits qui ont accompagné les élections de Gand et même sur celles de Bruxelles, je ne demande pas mieux que de m'y prêter et je serai prêt à vous répondre.
M. Dumortierµ. - Relativement à ce qui s'est passé à Gand, le discours si lumineux, si clair, si évident de M. le ministre de l'intérieur a tranché définitivement la question, au point que l'honorable membre qui vient de se rasseoir a dû battre prudemment en retraite.
Mais l'honorable membre se rejette maintenant sur un autre point. Il vient prétendre que la Chambre lui a donné raison et qu'il sort victorieux du débat qui vient de s'engager. Je ne puis pas, pour mon compte, ni comme membre de la majorité ni comme ancien rapporteur de la loi communale, donner raison à l'honorable bourgmestre, parce que la thèse qu'il soutient serait une thèse déplorable dans un pays constitutionnel, une thèse qui ne peut exister nulle part et qui n'a jamais été en vigueur en Belgique.
Comment ! il serait admis en principe et comme une vérité que c'est d'abord au bourgmestre, et à lui seul, à requérir la force publique en cas d'émeute ! Mais, messieurs, y pensez-vous ? Et si le bourgmestre, dans un endroit quelconque, pactisait avec l'émeute, où serait donc la sécurité des citoyens ?
Je ne fais pas d'allusion ; je parle en principe. Si un bourgmestre, je le répète, pactisait avec l'émeute, ou serait la sécurité ?
Nous avons constitué en 1830 la liberté. Mais la liberté a un corollaire indispensable et qu'il faut y joindre : l'ordre. Sans ordre, il n'existe pas de liberté. Or, le jour où des désordres arrivent, c'est la liberté qui est en cause ; c'est elle-même qui est mise en question, et s'il en est ainsi dans toutes les circonstances, à plus forte raison cela est-il vrai lorsqu'il s'agit de la principale de nos libertés, lorsqu'il s'agit de l'exercice de la souveraineté nationale dans les comices assemblés pour nommer les Chambres.
Comment, depuis 1830, n'ayons-nous pas été témoins de saturnales, de troubles, en pareilles circonstances, parce que l'administration ne remplissait pas son devoir ? Je me souviens encore de ces élections de Louvain que j'ai eu à combattre lorsqu'on vit un journaliste menacé d'être pendu à un arbre, sur la grand-place de Louvain ? Je me rappelle ces élections que j'ai dû combattre, et dans lesquelles un jeune homme, un avocat, élève de l'Université de Louvain, a été traîné par les cheveux dans trois rues, et cela parce que la police ne remplissait pas son devoir, ne faisait rien. Ah ! si c'était ainsi, M. le bourgmestre, que l'on doit entendre la liberté communale, ce serait, je n'hésite pas à le dire, le pire des fléaux.
Le meilleur moyen d'assurer la liberté communale, c'est d'assurer l'ordre, et il faut que tout bourgmestre remplisse son devoir. S'il ne le remplit pas en cas de désordre, c'est à l'autorité supérieure à agir. Aussi je félicite hautement, et toute la droite félicitera certainement avec moi le gouvernement des mesures qu'il a prises pour réprimer les désordres qui ont eu lieu à Gand.
- Des membres. - La clôture !
MpXµ. - La parole est à M. Pirmez.
M. Guilleryµ. - Je demande la parole contre la clôture.
Des membres. - Elle n'est pas demandée par dix membres.
M. Guilleryµ. - Si la clôture n'est pas demandée, je renonce à la parole. Mais si elle était demandée, j'insisterais pour que la discussion continuât sur la motion de M. Anspach.
M. Coomansµ. - Parlons-en le plus longtemps possible.
M. Pirmezµ. - Je ne veux discuter ni la question de droit, ni la question de fait qui a été soulevée. Je crois que le trouble et le tumulte, quelle que soit l'occasion qui les provoque, doivent être souverainement blâmés.
M. de Naeyerµ. - Et réprimés.
M. Pirmezµ. - J'applaudis toujours à la répression qui en est faite et je suis peu disposé à discuter le mode de répression pour approuver plutôt le résultat.
Aussi ce n'est pas pour adresser un blâme au gouvernement de ce qui a été fait que j'ai demandé la parole. Mais j'ai éprouvé un vif regret de voir M. le ministre de l'intérieur saisir cette occasion pour venir ici accuser publiquement d'avoir altéré la vérité un fonctionnaire ancien et honorable.
M. le ministre de l'intérieur a invoqué une différence de 15 ou 20 minutes (page 57) pour prétendre que M. de Jaegher n'a pas dit ce qui est. Je demanderai à M. le ministre de l'intérieur si, avant d'apporter à la tribune nationale pareille accusation, il a demandé à M. de Jaegher de s'expliquer.
MiKdLµ. - Certainement.
M. Pirmezµ. - Je dis qu'on ne peut pas accuser un fonctionnaire de pareil fait parce qu'il y a une différence de quelques minutes dans une date donnée dans un moment de trouble, dans un moment où l'on a d'autres préoccupations que de voir si la pendule est bien réglée.
M. le ministre de l'intérieur nous dit qu'il a demandé à M. de Jaegher de s'expliquer ; mais est-ce sur cette accusation ici portée ? Je n'ai pas vu que M. de Jaegher ait reconnu avoir donné sa réquisition avant que le télégramme lui fût parvenu ; bien au contraire je vois dans toutes les pièces M. de Jaegher déclarer qu'il a fait sa réquisition après en avoir reçu l'ordre de M. le ministre de l'intérieur.
Or, j'aime mieux croire à une différence de quelques minutes dans les heures indiquées qu'à une affirmation maintenue contre la vérité.
Mon étonnement redouble encore quand je yois le fait qui est l'occasion de cette attaque contre le gouverneur de la Flandre orientale.
Comment ! vous trouvez, M. le ministre, qu'il y a lieu de requérir, vous trouvez cette mesure tellement urgente que vous envoyez une dépêche de votre cabinet. Dans ce même moment, votre subordonné donne le même ordre ?
Mais le gouverneur aurait donc bien agi, il a fait son devoir, il a fait la même chose que vous et dans le moment où vous reconnaissez qu'il a fait son devoir, vous lancez contre lui cette accusation que je relève ! (Interruption.)
Mais si vous reconnaissez qu'il a bien fait, ne saisissez donc pas cette occasion pour accuser.
Je suis ami de l'ordre ; j'ai soutenu, quand j'étais ministre, l'ordre à Mons, à Charleroi, à Liège ; je demande au ministère de faire de même et il aura, pour maintenir l'ordre, tout mon appui ; mais si des explications sur des faits, pour lesquels je ne lui adresse pas de reproches, sont un prétexte pour accuser un ancien et honorable fonctionnaire qui n'est pas ici pour se défendre, je n'hésite pas à blâmer ce mode de procéder.
MiKdLµ. - Messieurs, je répondrai quelques mois seulement à l'interpellation de M. Pirmez. J'ai engagé à trois ou quatre reprises différentes M. le gouverneur de la Flandre orientale à rétablir l'exactitude des faits. Tout récemment encore, je lui ai exposé que si le conseil communal de Gand avait à délibérer en présence d'assertions profondément erronées, il serait seul responsable de l'émotion qui en résulterait. Le gouverneur de la Flandre orientale a repoussé tous mes conseils, toutes mes remontrances. Il a maintenu d'abord qu'il avait reçu mon télégramme avant la réquisition. (Interruption.)
J'ai ici, messieurs, la déclaration de l'administration des télégraphes qui constate que mon télégramme n'a pu lui être remis que vers 7 heures 10 minutes. Or, la réquisition de M. le gouverneur porte 6 heures trois quarts.
J'ai d'ailleurs, je l'ai déjà dit, un télégramme de M. le gouverneur de la Flandre orientale remis à la station de Gand à 7 heures 4 minutes, c'est-à-dire avant que mon télégramme lui fût parvenu et qui m'annonce que la réquisition a eu lieu à 6 heures trois quarts. (Interruption.)
Ensuite, M. le gouverneur de la Flandre orientale a prétendu qu'il n'y avait qu'une réquisition conditionnelle, que cela était entendu avec le commandant de place.
Le commandant de place déclare formellement qu'il n'y a pas eu de réquisition conditionnelle, que la réquisition devait avoir un effet immédiat et que l'affirmation de M. le gouverneur est inexacte.
M. Vleminckxµ. - Qui des deux est croyable ?
MiKdLµ. - En ce qui touche la garde civique, le gouverneur déclare également, dans son rapport que j'ai ici, qu'elle a été convoquée avant 7 heures, mais, la réquisition du bourgmestre adressée à la garde civique porte 7 heures et demie.
Il y a là, messieurs, des faits matériels indiscutables.
Je répète donc que j'ai interpellé trois ou quatre fois M. le gouverneur pour l'inviter à reconnaître la vérité des faits en disant qu'en cas de refus de sa part, le gouvernement serait amené, malgré lui, à leur donner une publicité complète pour déterminer sa responsabilité et celle de M. le gouverneur.
Si, dans ces circonstances, j'ai dit à la Chambre toute la vérité, elle ne saurait m'en blâmer.
M. Guilleryµ. - Messieurs, on s'est plaint quelquefois que MM. les ministres défendissent avec trop d'acharnement les fonctionnaires. C'est un reproche que nous ne ferons pas à M. le ministre de l'intérieur.
Intervertissant les rôles, au lieu de défendre un fonctionnaire, qui ne peut avoir eu à ses yeux que le tort d'exécuter un quart d'heure trop tôt sa volonté, M. le ministre de l'intérieur...
MiKdLµ. - Au contraire, je l'en approuve. Ce que je lui reproche, c'est de ne pas avoir reconnu ce qu'il a fait de bien.
M. Guilleryµ. - J'espère que la Chambre voudra bien m'écouler.
Le ministère, dans un programme très vague, nous a promis la jouissance de toutes les libertés, mais je crois, depuis hier, que la majorité va en supprimer une, celle de la tribune. (Interruption.) Si je me trompe, vous me le prouverez, messieurs.
Je dis donc que M. le gouverneur n'a eu qu'un tort, c'est d'avoir exécuté à 6 heures trois quarts les ordres que M. le ministre de l'intérieur lui a donnés à 7 heures dix minutes. Il a devancé d'un quart d'heure la volonté du pouvoir exécutif.
On reproche maintenant à M. le gouverneur de ne pas avoir reconnu que l'initiative était venue de lui, et c'est ici que je ne puis approuver la conduite de l'honorable ministre à l'égard de son subordonné.
M. le gouverneur n'est pas ici pour se défendre. Aucun de nous n'a pu se mettre en rapport avec lui pour connaître les faits.
Nous nous trouvons devant les affirmations d'un fonctionnaire dont l'honorabilité n'avait jamais été attaquée jusqu'à ce jour.
Que signifient ces indications de 7 h. 4 m. sur une dépêche et de 6 heures trois quarts sur une réquisition.
Ne peut-on se tromper d'un quart d'heure en écrivant une lettre ?
Est-ce que toutes les pendules étaient réglées sur l'horloge de la station du chemin de fer ?
N'est-il pas facile de se tromper sur de pareils points ?
Vous voyez, messieurs, la loyauté de M. le gouverneur qui a soin d'indiquer, sur la réquisition de l'autorité militaire, l'heure qu'il croyait exacte, afin de prendre la responsabilité qui lui incombe. Il faudrait donc, pour douter de sa véracité, d'autres preuves que celles que l'on nous apporte.
Je trouve que l'accusation de M. le ministre de l'intérieur n'est pas justifiée, je trouve de plus qu'elle est contraire à toutes les traditions gouvernementales.
Quand un des chefs du pouvoir exécutif a à se plaindra de ses subordonnés, il peut exercer à son égard les droits qui lui appartiennent ; il peut le blâmer, le destituer même, mais il ne vient pas à la Chambre dénoncer des faits pour se venger d'un adversaire politique. (Interruption.)
Mais M. le gouverneur n'est pas seul en cause. Un de nos anciens collègues qui, pendant qu'il faisait partie de cette Chambre, n'a jamais été l'objet d'aucune attaque et dont on a toujours respecté l'administration lorsqu'il était parmi nous, se trouve aujourd'hui en butte aux attaques les plus passionnées et les plus injustes...
- Une voix à droite. - Injustes !
M. Guilleryµ. - ... les plus injustes et les moins justifiées. Il n'est pas de bourgmestre qui jouisse, dans la ville qu'il administre, de plus de considération et d'estime que M. de Kerchove ; il n'en est pas qui la mérite à un plus haut degré ; il n'en est pas qui jouisse dans la population de plus de crédit ; et vous aviez tort, M. le ministre de l'intérieur, de télégraphier de votre cabinet, fût-ce à 7 heures, fût-ce à 8 heures, de requérir la force armée avant d'avoir demandé à M. le bourgmestre s'il répondait de la sécurité.
M. de Kerchove est l'homme de la ville de Gand ; pourquoi ? Parce qu'il a montré dans l'administration de la ville de Gand un dévouement, une loyauté à laquelle chacun doit rendre hommage à moins d'être aveuglé par les passions politiques ; parce que lorsqu'une épidémie sévissait dans la ville de Gand, lorsque tout le monde tremblait, il a risqué cent fois sa vie ; parce que partout il était au chevet du pauvre, lui apportant non seulement le secours de sa fortune, mais encore ces consolations qu'un homme de cœur seul peut donner.
Voilà ce qui parle au cœur du peuple, voilà ce qui fait dans la population ce dévouement que vous ne lui enlèverez ni par vos accusations ni par vos vociférations.
J'ai dit que les attaques dont M. de Kerchove a été l'objet ne sont pas justifiées et je me fonde pour le prouver sur la déclaration d'un homme dont vous ne récuserez pas l'autorité, M. Kervyn de Lettenhove. (page 58) L'honorable ministre de l'intérieur écrivait, le 6 août 1870, à M. le bourgmestre de .Gand, je ne sais pas l'heure à laquelle la lettre est arrivée, mais elle est authentique :
« M. le bourgmestre,
« M. le gouverneur, par une dépêche en date de ce jour, a mis sous mes yeux le rapport que vous lui avez adressé sur les troubles qui ont eu lieu a Gand le 2 de ce mois.
« Ce rapport comprend à la fois le compte rendu de certains actes regrettables qui ont accompagné la proclamation du résultat du scrutin et celui des scènes de désordre qui en ont été la suite.
« Sur le premier point, je suis heureux de vous féliciter, M. le bourgmestre de l'énergie avec laquelle vous avez assuré la liberté des opérations électorales. »
Ainsi donc voilà un bourgmestre se trouvant appelé à maintenir par son autorité la liberté des opérations électorales, qui le fait avec l'énergie et l'autorité qui lui appartiennent. Il n'a pas pu empêcher des désordres, mais je demande qui peut le faire d'une manière absolue ? La force armée, même sous le régime du sabre, ne peut pas toujours empêcher les désordres.
Ce qui est vrai, ce qui ressort des faits, ce qui ressort du caractère de l'honorable bourgmestre, c'est qu'il a fait dans cette journée tout ce qu'il a pu pour maintenir la tranquillité publique à Gand et qu'il a droit à la reconnaissance publique et non pas au blâme de l'autorité supérieure.
MiKdLµ. - Il est dans mes habitudes de rendre hommage surtout à mes adversaires politiques. (Interruption.) Ecrivant quatre jours après les élections, au bourgmestre de Gand, une lettre qui devait nécessairement être rendue publique, j'ai commencé par le féliciter du courage qu'il avait montré en assurant la proclamation du résultat électoral de Gand. Lorsque la foule tumultueuse dont je parlais tout à l'heure a envahi le bureau principal, M. le comte de Kerchove a montré beaucoup de courage, il a fait preuve de toute l'énergie qu'on pouvait attendre de lui pour empêcher qu'on ne s'emparât de l'urne électorale et qu'on n'anéantît le résultat de l'élection.
Mais j'ai, avec la même franchise, déclaré que, lorsque quelques heures plus tard il y avait eu nécessité pour l'autorité communale de maintenir l'ordre public, elle n'avait pas montré la même énergie. Pendant deux heures, on a vu devant le Cercle catholique des commissaires de police se montrer et disparaître, des agents de police essayer de rétablir l'ordre et puis s'effacer aussitôt. L'action de l'autorité communale a été molle, incertaine, indécise, sauf à quelques rares intervalles (car je tiens à être toujours juste envers mes adversaires politiques), et les choses en sont arrivées à ce point qu'à 6 heures trois quarts M. le gouverneur lui-même a dû mettre M. le bourgmestre en demeure de prendre des mesures pour maintenir l'ordre public, et c'est en ce même moment que, sans tarder davantage, il a requis l'autorité militaire.
- Plusieurs membres : La clôture !
- L'incident est clos.
M. Vleminckxµ. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi relatif aux cadres de l'armée sur pied de guerre.
- Le rapport sera imprimé et distribué el le projet de loi mis à la suite de l'ordre du jour.
M. de Theuxµ (pour une motion d’ordre). - Messieurs, le gouvernement nous a convoqués d'urgence, après les élections, pour examiner divers projets de lois d'une haute gravité. Nous avons promis notre concours pour l'examen de ce projet, dans notre adresse au Roi. Le pays, autant que le gouvernement, doit attendre, de son côté, que nous soyons conséquents avec nous-mêmes et que nous remplissions, avant tout, notre devoir de pourvoir à la sûreté du pays.
Des réserves ont été faites dans la discussion de l'adresse ; mais j'adjure ceux de mes honorables collègues qui ont à faire des interpellations qui peuvent faire naître des incidents, à les ajourner jusqu'après le vote des projets de lois déposés ; j'adjure également le gouvernement de maintenir l'ordre de discussion qui a été adopté, et j'adjure enfin la Chambre de seconder le gouvernement, de lui donner cette marque de confiance et d'attachement à nos libertés nationales, à nos grandes institutions.
Je demande donc que, sans s'occuper de nouvelles interpellations, la Chambre passe à l'examen des projets de lois. Le pays attend de nous d'autres discussions que celles que nous avons eues jusqu'à présent.
MpXµ. - La Chambre est toujours maîtresse d'autoriser on de ne pas autoriser des interpellations.
M. Guilleryµ. - Le droit d'interpellation est absolu.
MpXµ. - Ce droit est absolu de la part de la Chambre, mais non de la part de l'un ou l'autre de ses membres. Il faut que l'interpellation soit autorisée par la Chambre pour qu'elle puisse avoir lieu. A la Chambre seule appartient ce droit d'une manière absolue.
M. Guilleryµ. - Il s'agit, messieurs, d'une des plus grandes prérogatives parlementaires. (Interruption.)
J'avais envie de prendre la parole lorsque M. le président parlait ; je croyais qu'il donnait un conseil à la Chambre, et il était autorisé à le faire ; mais je ne puis admettre qu'il dise que la Chambre seule a le droit d'adresser des interpellations. Tous les membres de la Chambre doivent avoir ce droit. Cela existe aussi en Angleterre ; cela existait aussi en France sous le règne de Louis-Philippe.
Le droit d'interpellation n'a jamais été contesté aux membres de la Chambre.
MpXµ. - Je n'ai pas sous les yeux le texte du règlement, mais je maintiens qu'il n'y a que la Chambre qui ait le droit absolu d'interpellation.
Il est impossible qu'un membre impose sa volonté à la Chambre malgré elle.
M. Guilleryµ. - Cela ne s'est jamais fait.
M. de Rossiusµ. - C'est la garantie de la minorité aujourd'hui, M. le président.
M. Guilleryµ. - C'est probablement la première liberté que le ministère nous donnera. (Interruption.) Il paraît que cela marche bien. (Interruption.)
C'est la première fois qu'une chose semblable se présente dans un parlement.
M. Davidµ. - J'avais prévu que M. le ministre de la guerre avait besoin de prendre des renseignements sur les lieux, c'est pour cela que j'ai demandé hier à ne faire mon interpellation que mardi.
Je prierai donc la Chambre de vouloir bien postposer mon interpellation jusqu'à mardi.
- Adhésion.
MfJµ. - Le gouvernement se rallie au projet de la section centrale, à part un point :
A l'article 1er se trouvent insérés en lettres italiques les mots suivants :
« La prohibition à la sortie n'en sera décrétée que dans le cas de la plus grande nécessité. »
C'est là un commentaire sur lequel se trouvent d'accord le gouvernement et la section centrale ; mais cela ne doit pas figurer dans le texte du projet de loi.
M. Frère-Orbanµ. - Je me demande pourquoi on réclame l'autorisation de pouvoir prohiber l'exportation et le transit de l'avoine, de la paille et des fourrages.
Je ne comprends pas le but de ces dispositions ; je ne suppose pas que ce soient là des munitions de guerre dont le transit et l'exportation pourraient compromettre notre neutralité.
Quel est le motif de ces dispositions ? Est-ce pour réserver ces fourrages pour les besoins de notre armée ? Cela ne pourrait justifier une mesure de ce genre.
Notre armée aura nécessairement son foin, sa paille, ses fourrages, elle pourra facilement se les procurer.
Je conçois que l'on interdise l'exportation des armes, des munitions de guerre, etc. Mais je ne comprends pas plus qu'on interdise l'exportation des fourrages, que je ne comprendrais l'interdiction ou l'exportation des vins.
MfJµ. - Ce qui caractérise le projet de loi, c'est que nous ne demandons que des autorisations d'agir éventuellement, autorisations dont il ne sera fait usage qu'en cas de nécessité absolue.
Dans quels cas prohibera-t-on l'exportation des fourrages, des avoines ?
Je sais que des auteurs ont été jusqu'à enseigner que c'est là de la contrebande de guerre, mais cette partie du projet de loi soumis en ce moment à la Chambre ne se base pas sur cette considération ; elle n'a (page 59) d'autre but que de pourvoir aux nécessites de nos approvisionnements. C'est une idée de conservation qui nous a guidés ; elle ne nous préoccupe pas seulement pour les avoines et les fourrages, elle nous a préoccupés pour les chevaux.
Pour les chevaux, c'est également une idée de conservation, d'approvisionnement pour notre propre armée qui nous a guidés. Ce n'est pas la première fois que cette mesure est prise ; la loi du 20 mai 1859 a déjà interdit dans le même but l'exportation des chevaux.
Pourquoi retendons - nous aujourd'hui aux avoines ? Vous aurez remarqué peut-être, messieurs, que la France a interdit l'exportation des céréales et des fourrages.
La Hollande elle-même, par une loi du 24 juillet dernier, a autorisé le gouvernement à prohiber la sortie des fourrages.
Le gouvernement hollandais n'a pas usé de cette prohibition, mais il peut en user dès demain. J'espère qu'il ne fera pas, car voyez les conditions qui seraient faites à la Belgique si tous ses voisins venaient à interdire l'exportation des fourrages et des avoines et si la Belgique, ne pouvant plus se ravitailler à l'étranger, se trouvait encore privée des approvisionnements qu'elle possède en ce moment.
Il faut bien se rendre compte de la situation qui nous est faite à ce point de vue. Nous sommes, sous le rapport des avoines et des fourrages, tributaires et largement tributaires de l'étranger.
En 1868, les importations de fourrages se sont élevées à 26 millions de kilogrammes et les exportations n'ont atteint que le chiffre de 11 millions. Or, parmi les importations, les Pays-Bas et la France entrent presque pour la totalité. Les Pays-Bas nous donnent 18 millions de kilogrammes et la France 7 millions.
Dans ces circonstances, après avoir complété l'effectif des chevaux de notre armée, si la Hollande usait de la prohibition dont la loi du 21 juillet l'autorise à se servir, la France ayant déjà interdit l'exportation des fourrages, dans quelle situation nous trouverions-nous ? Nous aurions une armée pourvue de chevaux et nous n'aurions pas d'approvisionnements suffisants pour les nourrir.
J'ai cependant tout lieu d'espérer, messieurs, que la Hollande ne prendra pas cette mesure et si elle ne la prend pas, comme nous avons tout avantage à conserver la frontière ouverte, nous ne la prendrons pas non plus. Mais si tous nos voisins la prennent, nous pourrions, dans un but de conservation personnelle, être dans la nécessité de la prendre également ; mais je le répète, ce ne sera qu'à la dernière extrémité que nous interdirons l'exportation*des objets dont il s'agit au paragraphe 5.
M. Frère-Orbanµ. - C'est, messieurs, une mesure grave que celle qu'on nous propose et qui consiste à exproprier les gens de leur bien sans leur accorder de ce chef une indemnité.
Et que dit-on pour justifier cette mesure ? C'est que la France et la Hollande peuvent, à un moment donné, prohiber l'exportation de certains produits et que, dans ce cas, nous serions dans une fâcheuse position. Mais en quoi et comment ? Nous aurions, dans toutes les hypothèses, les produits que nous possédons, et la mesure proposée n'a pas d'autre but que de les conserver.
Or, du moment que vous payerez la valeur réelle des produits, vous aurez tout ce dont vous aurez besoin.
On ne les exportera que dans le cas où il sera possible d'en obtenir un prix plus élevé dans le pays où la prohibition existera.
Je comprends la mesure que l'on a prise récemment pour empêcher la sortie des chevaux nécessaires à la remonte de la cavalerie et de l'artillerie. Cette mesure était justifiée et je l'approuve ; mais, pour les objets dont nous nous occupons, je ne vois pas la nécessité de la disposition proposée.
MfJµ. - Je crois que je pourrai donner tous ses apaisements à l'honorable M. Frère-Orban. Nous ne prendrons pas la mesure dans le but de nous procurer des fourrages à meilleur marché.
Nous ne la prendrons que lorsque en cette matière, comme pour les chevaux, la nécessité nous y forcera, c'est-à-dire lorsque les approvisionnement de fourrages existant dans le pays ne seront plus que strictement suffisants et que nous n'aurons plus l'espoir de les compléter par l'importation.
Ce n'est donc que dans le cas où la conservation de nos chevaux nous y forcera d'une façon absolue que cette mesure sera prise.
Nous ne voulons pas spéculer au détriment des détenteurs de fourrages el d'avoine. Nous voulons conserver le moyen, si la nécessité s'en présente, de pourvoir à l'alimentation des animaux qui nous sont indispensables.
M. Vleminckxµ. - Les observations que vient de faire l'honorable M. Frère n'ont pas échappé aux membres de la cinquième section.
En parcourant le rapport de l'honorable M. Vermeire, vous remarquerez que la cinquième section, à une grande majorité, a rejeté la proposition qui était faite en ce qui concerne les foins, avoines, pailles et autres fourrages.
Celui qui s'est montré le plus opposant au projet du gouvernement, c'est l'honorable rapporteur lui-même et j'avoue que j'ai été étonné, après les déclarations qu'il a faites à la cinquième section, dont il faisait partie avec nous, de lui voir donner son adhésion à des mesures qu'il a combattues plus que tout autre membre de la section.
M. Rogierµ. - Je désire appeler l'attention de M. le ministre des finances sur le transit que l'on demande aussi de pouvoir empêcher.
Je demande dans quel but on empêcherait le transit des objets dont on veut empêcher l'exportation. Si l'on veut empêcher l'exportation de certains produits, c'est que ces produits nous sont nécessaires ; c'est en cas qu'ils nous manqueraient pour l'approvisionnement du pays. Eh bien, en empêchant le transit, on nuit à l'approvisionnement du pays, on détruit une source de commerce. Le commerce qui importe se réserve la faculté de pouvoir transiter, s'il ne trouve pas à placer avantageusement ses produits dans le pays. Si vous ne lui permettez pas de transiter, il viendra moins el il entrera moins de produits dans le pays.
Je demande si l'on peut me donner une bonne raison pour expliquer pourquoi il faut interdire le transit.
Quant à moi, non seulement je n'en vois pas la nécessité, mais je crois que c'est une entrave au commerce. Car le commerce qui peut importer et transiter à la fois, viendra bien plus dans le pays que s'il a la perspective de devoir laisser sa marchandise en entrepôt ou de devoir la placer avec désavantage. Je crois que c'est là un principe élémentaire que l’on ne peut combattre.
M. Vermeireµ. - Messieurs, ce que vient de dire l'honorable M. Vleminckx est parfaitement exact.
Lorsque le projet de loi a été discuté dans la 5ème section, je m'en suis montré l'adversaire le plus implacable. Mais j'ai eu la singulière chance d'être nommé rapporteur à la section centrale.
A la section centrale, je me suis encore opposé à l'adoption du projet de loi et encore une fois j'ai eu la chance d'en être nommé le rapporteur.
Je dois donc dire que, dans le rapport que j'ai fait, ce n'est pas mon opinion que j'ai constatée, c'est l'opinion de la section centrale., et cela est si vrai que, des membres de la section centrale, je suis le seul qui se soit abstenu sur le projet de loi. En section, j'avais voté contre, à la section centrale je me suis abstenu et je me suis abstenu après les déclarations qui nous ont été faites par le gouvernement, c'est que le projet ne sera éventuellement mis à exécution que dans le cas de la plus stricte nécessité.
Nous avons encore demandé si les avoines et fourrages devaient être prohibés cumulativement ou s'ils pouvaient l'être partiellement. On nous a répondu qu'on pouvait prohiber les uns sans prohiber les autres.
Je me suis surtout opposé au projet par les motifs que vient d'indiquer l'honorable M. Frère-Orban et, en effet, lorsque le gouvernement, par la prohibition, diminue le prix des marchandises, c'est un tort qu'il fait aux détenteurs.
Or, comme les frais de la guerre sont faits dans l'intérêt de tout le pays et non pas dans l'intérêt d'une classe seule, il importe que le pays paye le prix normal et ne s'attribue pas, au moyen de la prohibition, les marchandises dont il a besoin, à un prix inférieur à celui qui résulte de l'offre et de la demande agissant en toute liberté.
C'est pour ces motifs, messieurs, que, dans la section centrale, je me suis abstenu sur le projet de loi comme je compte encore m'abstenir lorsqu'on le mettra aux voix dans cette enceinte.
MfJµ. - L'honorable M. Rogier a fait une observation très juste au sujet des fourrages et des avoines. Il ne sera jamais question d'en prohiber le transit, mais nous avons fait comme la Hollande, qui ne songe pas le moins du monde à prohiber le transit des fourrages et des avoines, nous nous sommes servis d'une formule générale, applicable et aux marchandises dont on peut interdire le transit et l'exportation, et à celles dont l'exportation seule pourra être interdite.
Si la Chambre aimait mieux diviser l'article, nous ne nous opposerions pas à ce que le transit des fourrages et des avoines ne fût pas prohibé : Je n'hésite pas à déclarer que ce transit ne sera jamais prohibé,
M. Anspachµ. - A propos des machines, etc., propres à la navigation, je lis dans le rapport de la section centrale :
« Le gouvernement ajoute, à ce sujet qu'il pourra non seulement (page 60) comme le porte l'arrêté royal du 5 août 1870, autoriser l'exportation et le transit, lorsqu'il est constaté par des justifications officielles qu'elles ont lieu pour compte et à destination d'un gouvernement étranger, mais encore lorsque, par exemple, un gouvernement neutre donnera au gouvernement belge la certitude que son national, à qui la commande est destinée, n'est point le prête-nom d'un belligérant. C'est un point à examiner. »
Voici, messieurs, pourquoi je viens lire à la Chambre ce passage du rapport, c'est parce que je désire avoir une explication de M. le ministre des finances sur le paragraphe 3 de l'article premier qui porte :
« Effets d'habillement, de campement, d'équipement et de harnachement militaires. »
Je sais qu'il y a une maison de Bruxelles qui a fait un contrat avec un gouvernement étranger et neutre, le gouvernement du Brésil, pour la confection d'habillements militaires et je crois qu'il est intéressant que le gouvernement déclare quelles sont ses intentions à cet égard et s'il ne croit pas, comme moi-même, qu'il n'y a aucune espèce d'inconvénient à permettre au commerce de notre pays, moyennant la production de contrats authentiques faits avec des gouvernements neutres, de jouir des avantages de marchés conclus avant la guerre.
MfJµ. - Messieurs, les mesures que nous proposons à la Chambre, à notre corps défendant, nous sommes décidés à en adoucir l'application autant que possible.
Lors donc que les articles passant pour contrebande de guerre seront destinés à d'autres Etats qu'aux belligérants, nous les laisserons exporter.
Cela est déjà indiqué dans l'arrêté royal relatif aux armes de guerre et aux munitions, mais l'article additionnel proposé par la section centrale a pour objet de permettre au gouvernement d'aller plus loin et d'autoriser l'exportation de ces articles alors même qu'ils ne sont pas destinés à des gouvernements neutres, pourvu que le gouvernement belge ait la certitude qu'ils ne sont pas destinés aux belligérants.
C'est dans ce but que la section centrale, d'accord avec le gouvernement, a fait insérer dans le projet la disposition d'après laquelle l'exportation et le transit des objets désignés à l'article premier pourront être autorisés aux conditions que le gouvernement déterminera.
En thèse générale, les armes de guerre, les munitions de toute espèce, les effets d'habillement, de campement, d'équipement et de harnachement militaires ne sont destinés qu'à des gouvernements.
Nous pourrons donc déjà faire droit à la plus grande partie des réclamations justifiées.
Il se présente d'autres cas : l'armement des navires de commerce exige un certains nombre de fusils, parfois même des canons et d'autres objets de matériel militaire.
Si nous pouvons obtenir tous nos apaisements au sujet de la destination de ces armes de guerre, de ce matériel militaire, nous en permettrons l'exportation.
Nous sommes donc décidés, chaque fois qu'il sera évident que ces armes ne sont pas destinées à des belligérants, à en autoriser l'exportation comme le transit.
- La discussion générale est close.
« Art. 1er. Le gouvernement est autorisé, jusqu'à la fin de l'année 1870, a prohiber l'exportation et le transit des marchandises suivantes :
« 1° Armes de guerre de toute espèce ;
« 2" Munitions de guerre de toute espèce ;
« 3° Effets d'habillement, de campement, d'équipement et de harnachement militaires.
« 4° Chevaux autres que poulains ;
« 5° Avoine, foin, paille et autres fourrages ;
« 6° Bâtiments à voile et à vapeur, machines et parties de machines destinées à la navigation, agrès et apparaux de navires et tous autres objets de matériel naval et militaire. »
MpXµ. - Il y a un amendement de la section centrale auquel le gouvernement ne se rallie pas :
« La prohibition à la sortie n'en sera décrétée que dans le cas de la plus grande nécessité. »
MfJµ. - Je proposerai un amendement à l'article premier dans le sens de la réponse que j'ai faite à l'honorable M. Rogier.
Supprimer le 5° et ajouter, à la fin de l'article 1er, un paragraphe ainsi conçu :
« Le gouvernement est autorisé à prohiber jusqu'à la fin de l'année 1870, l'exportation' de l'avoine, du foin, de la paille et des autres fourrages. »
Je fais donc disparaître pour ces articles la prohibition du transit.
- La proposition de la section centrale est mise aux voix ; elle n'est pas adoptée.
M. Frère-Orbanµ. - Je demande le retranchement de la dernière disposition que vient de proposer M. le ministre des finances.
MpXµ. - Je le mettrai aux voix à part.
Voici l'amendement de M. le ministre des finances :
« Supprimer le n°5 et mettre à la fin de l'article : Le gouvernement est autorisé à prohiber jusqu'à la fin de l'année 1870, l'exportation des avoines, foins, pailles et autres fourrages. »
M. Mullerµ. - Est-ce que nous voterons alors sur l'autre paragraphe ?
MpXµ. - Non ; si l'amendement n'est pas adopté, on votera sur le n°5°, mais si, au contraire, l'amendement est adopté, le n°5° tombe.
M. Mullerµ. - Permettez-moi une observation sur la position de la question.
Les membres qui veulent non seulement la prohibition du transit, mais la prohibition de l'exportation, doivent pouvoir voter librement ; il faut donc que ceux qui ne veulent pas de l'exportation puissent voter d'abord ; si la prohibition de l'exportation est adoptée par la majorité, nous pourrons nous rallier à l'amendement de M. le ministre des finances.
MpXµ. - Vous voudriez qu'on votât d'abord le n°5° ?
M. Mullerµ. - Oui, M. le président.
MpXµ. - L'amendement doit précéder.
M. Frère-Orbanµ. - Cela revient au même.
M. Rogierµ. - J'aimerais mieux rejeter le tout.
M. Frère-Orbanµ. - En rejetant la proposition de M, le ministre des finances, nous aurons rejeté l'interdiction de l'exportation et l'interdiction du transit.
MpXµ. - En votant contre l'amendement, vous rejetez en même temps le n°5.
M. Mullerµ. - Les choses ainsi entendues, je n'ai plus d'observations à faire.
M. Rogierµ. - J'ai fait tout à l'heure une observation, quant au transit, mais je suis pour la suppression de l'article.
M. le ministre des finances ne propose d'accorder le droit au gouvernement d'empêcher l'exportation que pour quelque mois seulement ; s'il renonçait à ce droit, il y aurait, dans la loi, une disposition illibérale de moins.
MjBµ. - L'honorable M. Rogier m'engage à abandonner l'article relatif aux avoines.
Je n'ai aucun désir d'entraver le commerce ou l'industrie belge et je déclare que je ne prohiberai l'exportation des fourrages que s'ils devenaient indispensables pour l'alimentation de nos chevaux.
M. Mullerµ. - Vous alarmez le commerce.
MfJµ. - Si la Chambre veut garantir que nous n'aurons pas besoin de recourir à cette mesure, elle est libre de le faire par son vote ; ma responsabilité sera à couvert, mais je pense que dès que l'éventualité où nous aurions besoin de garder nos fourrages n'est pas impossible, je dois saisir la Chambre de cette mesure ; à elle de se prononcer.
MpXµ. - Je mets aux voix la disposition proposée ; elle est ainsi conçue :
« Le gouvernement est autorisé à prohiber jusqu'à la fin de l'année 1870, l'exportation des avoines, foins, pailles et autres fourrages. »
- Plusieurs membres. - L'appel nominal !
- Il est procédé à l'appel nominal.
102 membres y prennent part.
63 répondent oui.
39 répondent non.
En conséquence, la Chambre adopte.
Ont répondu oui :
MM. Biebuyck, Cornesse, Cruyt, de Baets, de Borchgrave, de Clercq, de Dorlodot, de Haerne, de Kerckhove, Delaet, Delcour, de Le Haye, de Lhoneux, de Liedekerke, de Muelenaere, de Naeyer, de Smet, de Theux, de Zerezo de Tejada, d'Hane-Steenhuyse, Drion, Drubbel, Dumortier, Gerrits, Hayez, Hermant, Jacobs, Janssens, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, Lefebvre, Liénart, Magherman, Moncheur, Mulle de Terschueren, Notelteirs, Pely de Thozée, Rembry, Reynaert, Santkin, Schollaert, Simonis, Snoy, Tack, Thibaut, Thienpont, Thonissen, Van Cromphaut, Vanden Steen, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Outryve, (page 61) Van Overloop, Van Renynghe, Van Wambeke, Verwilghen, Amédée Visart, Léon Visart, Wasseige, Wouters, Beeckman et Vilain XIIII.
Ont répondu non : MM. Berge, Boucquéau, Boulenger, Coomans, Coremans, Couvreur, d'Andrimont, Dansaert, David, De Fré, Defuisseaux, de Macar, Demeur, Descamps, Dethuin, de Vrints, Elias, Frère-Orban, Guillery, Hagemans, Houtart, Jamar, Jottrand, Julliot, Lescarts, Mascart, Mouton, Muller, Pirmez, Puissant, Rogier, Tesch, Van Humbeeck, Van Iseghem, Vermeire, Vleminckx, Allard, Anspach et Bara.
- L'article premier est mis aux voix et adopté.
« Art. 2. L'exportation et le transit des objets désignés à l'article premier pourront être autorisés aux conditions que le gouvernement déterminera. »
- Adopté.
« Art. 3. Les dispositions prises en vertu de l'article premier seront soumises à l'approbation des Chambres législatives, avant la fin de la session, si elles sont réunies ; sinon dans la session suivante. » »
- Adopté.
« Art. 4. Sont approuvés :
« 1° L'arrêté royal du 17 juillet dernier, qui a prohibé provisoirement l'exportation des chevaux autres que poulains ;
« 2° L'arrêté royal du 5 août dernier qui a prohibé, provisoirement, l'exportation et le transit des armes et des munitions de guerre de toute espèce. »
- Adopté.
« Art. 5. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa publication. »
- Adopté.
Le changement de rédaction, apporté par M. le ministre des finances à l'article premier, est soumis à un second vote et définitivement adopté.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi.
92 membres prennent part au vote.
68 répondent oui.
11 répondent non.
13 s'abstiennent.
En conséquence, le projet de loi est adopté ; il sera transmis au Sénat.
Ont répondu oui :
MM. Biebuyck, Boucquéau, Coremans, Cornesse, Couvreur, Cruyt, David, de Baets, de Borchgrave, de Clercq, de Dorlodot, De Fré, de Haerne, Delaet, Delcour, De Le Haye, de Lhoneux, de Liedekerke, Demeur, de Muelenaere, de Naeyer, Descamps, de Smet, de Theux, de. Zerezo de Tejada, d'Hane-Steenhuyse, Drion, Drubbel, Dumortier,Gerrits, Guillery, Hayez, Hermant, Jacobs, Janssens, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, Lefebvre, Liénart, Magherman, Mulle de Terschueren, Notelteirs, Rembry, Reynaert, Sainctelette, Schollaert, Simonis, Snoy, Tack, Thienpont, Thonissen, Van Cromphaut, Vanden Steen, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Humbeeck, Van Outryve, Van Overloop, Van Renynghe, Van Wambeke, Verwilghen, Léon Visart, Wouters, Anspach, Beeckman et Vilain XIIII.
Ont répondu non :
MM. Berge, Dansaert, Defuisseaux, de Macar, Dethuin, de Vrints, Houtart, Lescarts, Puissant, Van Iseghem et. Allard.
Se sont abstenus :
MM. Coomans, Elias, Frère-Orban, Hagemans, Jamar, Jottrand, Mouton, Muller, Pirmez, Rogier, Vermeire, Vleminckx et Bara.
M. Coomansµ. - J'admets, exceptionnellement, la défense d'exporter les articles de guerre, mais non celle d'exporter les marchandises très inoffensives que produit l'agriculture.
Sur ce point comme sur tout autre, je veux être toujours fidèle à mes principes. Quand mes amis politiques étaient au pouvoir, il y a treize ou quatorze ans, j'ai, malgré leurs instances, voté contre l'interdiction de la sortie des pommes de terre. Toute prohibition est une expropriation ; celle-ci implique une juste indemnité, refusée à l'agriculture.
Alors qu'il s'agissait d'assurer des aliments à nos semblables, à nos compatriotes, j'ai refusé de m'écarter des principes ; je puis y rester fidèle quand il ne s'agit que de chevaux.
M. Eliasµ. - Je me suis abstenu parce qu'il y a (erratum, page 73) certaines interdictions d’exportation que je puis admettre pour les armes, notamment, mais II y en a d'autres que je ne puis admettre, par exemple en ce qui concerne les avoines, les foins, etc.
M. Frère-Orbanµ, M. Hagemans, M. Jamarµ, M. Jottrandµ, M. Moutonµ et M. Mullerµ déclarent s'abstenir pour les mêmes motifs.
M. Pirmezµ. - Je n'ai pas voté contre la loi, parce qu'elle contient des dispositions nécessaires ; je n'ai pas voté pour la loi, parce qu'elle contient aussi des dispositions qui sont l'application des doctrines les plus anti-économistes et qui auront pour effet d'atteindre au but diamétralement opposé à celui que l'on a en vue, et de plus parce que, si l'on édicte de semblables dispositions pour ce qui concerne la nourriture des chevaux, il faut faire la même chose pour la nourriture des hommes
M. Rogierµ, M. Vermeireµ, M. Vleminckx, M. Allardµ et M. Baraµ déclarent s'abstenir pour les mêmes motifs.
MaedAµ. - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre un projet de loi relatif à un service de paquebots à vapeur à établir entre Anvers et New-York.
- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi.
MfJµ. - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre divers projets de lois portant les budgets des ministères de l'intérieur, des affaires étrangères, des travaux publics, des finances, le budget des voies et moyens et celui des recettes et des dépenses pour ordre pour l'exercice 1871 ; un projet de loi allouant un crédit de deux millions au budget de la dette publique pour l'exercice 1871 sous la rubrique : « Subvention au fonds spécial de rémunération des miliciens » ; et enfin un projet de loi contenant règlement définitif de l'exercice 18G6.
- Renvoi aux sections.
- La séance est levée a 4 heures et demie.