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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 12 mai 1870

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1869-1870)

(Présidence de M. Dolezµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 893) M. Dethuinµ procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart ; il donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Reynaertµ présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Joseph-Marie Romyn, capitaine de la marine marchande, à Ostende, né à Dunkerque (France), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi an ministre de la justice.


« Les sieurs Dulait et Slainier, vice-président et secrétaire de l'association charbonnière des bassins de Charleroi et de la vallée de la Sambre, présentent des observations en faveur de la demande en concession, déposée par le sieur Brassine, d'un chemin de fer d'Athus à Givet. »

- Dépôt sur le bureau. pendant la discussion du projet de loi relatif à la concession de divers chemins de fer.


« Le conseil communal de Spy demande que la convention relative la concession de chemins de fer comprenne l'exécution, dans un bref délai, de la ligne entière de chemin de fer de Gembloux à la Meuse. »

« Même demande des conseils communaux de Saint-Martin-Balâtre, Mazy, Dossières, Onoz et Jemeppe. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à la convention.


« Par message du 11 mai, le Sénat informe la Chambre qu'il a pris en considération la proposition d'accorder la grande naturalisation au sieur Jacques-Joseph Haus, professeur à l'université de Gand. »

- Pris pour notification.


« Le sieur Frédericq, cultivateur à Autreppe-Ormeignies, appelant l'attention de la Chambre sur le tableau de la classification générale de marchandises, approuvé par l'administration des chemins de fer, demande que tout ce qui est engrais soit taxé à la quatrième classe au lieu de l'être à la deuxième. »

M. Bricoultµ. - Je demande que cette pétition soit renvoyée à la commission des pétitions, avec prière de faire un prompt rapport.

Comme le rapport ne pourra apparemment être présenté dans cette session, j'appelle, sur la demande du pétitionnaire, la bienveillante attention de M. le ministre des travaux publics.

- Adopté.

Projet de loi révisant le code de commerce

Rapport de la commission

M. Van Iseghem. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau les rapports de la commission chargée d'examiner le projet de révision du code de commerce sur les titres IX et XI du livre II.

Le premier est relatif aux contrats à la grosse, le second aux avaries.

N. Van Humbeeckµ. - J’ai l'honneur de déposer sur le bureau trois rapports de la commission qui a été chargée d'examiner le projet de révision du code de commerce.

Ce sont : 1° les titres I à VIII du livre II ; 2° le titre X du même livre ; les titres XII, XIII et XIV.

Ces trois rapports, avec ceux qui viennent d'être déposés par M. Van Iseghem, comprennent l'ensemble des dispositions du projet relatif au droit commercial maritime.

Projet de loi allouant un crédit au budget du ministère de l’intérieur

Rapport de la commission

M. Kervyn de Lettenhove. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la commission spéciale qui a examiné le projet du crédit de 100,000 francs destiné à faire face aux dépenses de l'exposition internationale de Londres de 1871.

- Ces rapports seront imprimés et distribués, et les projets de loi qu'ils concernent mis à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi de naturalisation

M. de Brouckere. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau un projet de loi ayant pour objet d'accorder la grande naturalisation à M. le professeur Haus.

La Chambre et le Sénat ont pris la demande du sieur Haus en considération.

M. le président. - La Chambre est sans doute disposée à voter ce projet séance tenante ?

- De toutes parts. - Oui ! oui !

M. le président. - La discussion générale est ouverte.

- Personne ne demande la parole.

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'article unique ainsi conçu :

« La grande naturalisation est accordée au sieur Jacques-Joseph Haus. »

71 membres y prennent part.

Tous répondent oui.

En conséquence le projet de loi est adopté.

Ont pris part au vote :

MM. Watteeu, Allard, Beeckman, Beke, Bieswal, Bricoult, Castilhon, Coremans, Couvreur, Crombez, David, de Baillet-Latour, de Breyne-Dubois, de Brouckere, Declercq, De Fré, de Kerchove de Denterghem, E. de Kerckhove, d'Elhoungne, de Macar. de Maere, de Naeyer, de Rossius, Descamps, de Theux, Dethuin, de Vrints, Dewandre, de Zerezo de Tejada, Elias, Frère-Orban, Funck, Hagemans, Hayez, Hymans, Jacobs, Janssens, Jacquemyns, Jamar, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Lefebvre, Le Hardy de Beaulieu, Lesoinne, Liénart, Lippens, Mascart, Moreau, Mouton, Muller, Mulle de Terschueren, Notelteirs, Pirmez, Reynaert, Rogier, Schmitz, Thibaut, Thienpont, Thonissen, T’Serstevens, Van Cromphaut, A. Vandenpeereboom, Ernest Vandenpeereboom, Vander Maesen, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Visart, Vleminckx et Dolez.

Projet de loi relatif à la rémunération des miliciens

Discussion générale

M. le président. - La discussion générale continue. La parole est continuée à M. le ministre de l'intérieur.

MiPµ. - Messieurs, l'honorable M. Rogier a posé hier quelques questions sur le projet de loi qui est actuellement en discussion ; j'ai répondu à ces questions dans la séance d'hier.

En même temps, l'honorable membre est revenu sur un projet de loi qui est déjà voté, et sur les systèmes d'exonération qui ont été proposés lors de la discussion de ce projet.

(page 894) Je désire donner quelques explications sur ce point à l'honorable membre.

Je crois que ces explications le satisferont complètement. car tout ce qu’il désire a été réalisé par le projet de loi sur la milice que les deux Chambres ont déjà voté.

Le système d'exonération qui a été admis, non seulement réalise toutes les améliorations que l'honorable membre désire, quant au but qu'il poursuit, mais ce système est encore exempt des inconvénients que présentent les autres systèmes qu'il a préconisés.

M. le ministre des finances a signalé hier qu’il est plusieurs systèmes d’exonération et que, parmi ces systèmes, il en est un qui renferme une disposition fondamentale profondément inique. Ce système d'exonération est celui qui consisterait à retrancher du tirage au sort les miliciens qui auraient versé la somme exigée par la loi d'exonération. L'adoption d'un pareil système aurait pour conséquence de faire partir, au lieu des miliciens exonérés, les miliciens les moins favorisés par la fortune, ceux qui ne peuvent pas recourir à l'exonération.

L'honorable M. Rogier n'adopte pas non plus ce système, mais il pense cependant qu'il faudrait exiger, de ceux qui vont tirer au sort et qui ne veulent pas servir en personne, le versement d'une certaine somme et que cette somme devrait être assez élevée pour pourvoir au remplacement de ceux des exonérés qui seraient désignés par le sort pour le service et ensuite pour fournir une ressource pour la caisse de la rémunération.

M. Rogierµ. - Le versement préalable serait libre.

MiPµ. - Parfaitement. Je suis charmé de cette déclaration de l'honorable M. Rogier. Mais je lui fais remarquer que cette simple déclaration détruit complètement tout le système qu'il a présenté.

Le système de l'exonération peut être forcé ou libre.

Quand vous avez le système de l'exonération forcée, vous pouvez évidemment élever à un certain chiffre la somme à verser avant le tirage. Comme il n'y a pas d'autre voie pour ne pas servir soi-même en cas de désignation par le sort, on est bien forcé de subir les conditions que l’Etat pose à l’exonération.

On comprend donc que, dans le système de l’exonération forcée, on puisse, par l'élévation de la somme, créer une ressource que l'Etat pourra employer à l'un ou l'autre des services publics.

L'honorable M. Rogier repousse ce système, Je crois qu'il a raison. Car la liberté en cette matière favorise ceux qui doivent subir le sort, et l'on peut penser à un système qui consiste à diminuer les facilités de remplacement.

Il nous reste donc le système de l'exonération libre. c'est-à-dire la faculté pour les particuliers de verser une certaine somme avant le tirage et ainsi exonérés.

Ce système, nous l'avons consacré par le projet de loi sur la milice, mais il met l'Etat dans l'impossibilité de demander au milicien une somme supérieure celle qui est nécessaire au remplacement, car si on le faisait, les miliciens préféreraient s'adresser à une société particulière.

Il est évident que si l'Etat réclame 1,000 francs, somme indiquée par l'honorable membre, le milicien s'adressera à une société qui ne prend que 500 francs.

Ainsi le système qui consisterait à retirer 15 millions de la caisse d'exonération manque de base ; personne ne souscrira si vous demandez plus que les sociétés particulières et si nous autorisons les miliciens à s'adresser à elles.

Le projet de loi sur la milice a créé deux causes, une caisse tontinière et une caisse de remplacement ou, si vous le voulez, il accorde au ministère des finances le droit de créer une caisse tontinière et il accorde au ministère de la guerre le droit de pourvoir au remplacement militaire par tous les moyens qu’il jugera convenables.

Ces deux caisses sont séparées et elles doivent être séparées.

En effet, si l'Etat peut se charger de la gestion des fonds qui lui seront remis, pour que ceux qui seront désignés par le sort profitent des mises de ceux qui ne sont pas désignés, l'Etat ne peut prendre, à longue échéance, l'engagement de fournir tous les remplaçants qui seront demandés.

L’Etat ne peut savoir ce que coûtera un remplaçant dans 10, dans 15 ans ; il ne peut pas même affirmer qu'il pourra fournir tous les remplaçants nécessaires pour le tirage au sort qui va se faire.

Mais si l'Etat ne peut prendre un engagement aussi complet, il peul recevoir les fonds, à charge de les répartir entre ceux qui en ont besoin.

Voilà, messieurs, rôle de la caisse tontinière.

Mais le département de la guerre obtient. par le projet de loi voté, latitude complète de faire, sous toutes les formes possibles, les remplacements qui lui seront demandés.

L'honorable M. Rogier a signalé, avec beaucoup de raison, qu'aujourd'hui le département de la guerre ne peut prendre des remplaçants où il le juge convenable. Il est limité à ceux qui ont déjà servi.

Cette limite, messieurs, disparaît. Le département de la guerre pourra recruter des remplaçants dans tout le pays, et je crois qu'il en obtiendra un très grand nombre.

Je crois qu’il fera une concurrence ruineuse aux sociétés de remplacement.

Je pense que si l'on publie dans toutes les communes du pays que le département de la guerre donne, par exemple, une somme de 1,000 francs aux remplaçants, il en aura beaucoup, parce qu'il est constaté que les sommes payées par les sociétés sont de beaucoup inférieures ; on peut s'assurer par les statistiques faites par le département de la guerre que les sommes payées aux remplaçants ne dépassent guère la moitié de celles payées par les remplacés.

Une tentative va donc être faite. Je dis mon opinions sur les résultats qu’elle produira, je ne garantis rien.

L'honorable M. Rogier a demandé si le département de la guerre pourrait prendre tous les remplaçants qui se présenteront et s'il pourra avoir recours à différentes combinaisons en payant la prime immédiatement ou en plusieurs fois ou en constituant une rente.

L'affirmative n'est pas douteuse. Le département de la guerre aura le droit d'opérer les remplacements dans les conditions qu'il jugera les meilleures pour amener la réussite de l'entreprise. Il pourra engager au moyen de contrats faits avant le tirage pour le nombre de remplaçants dont il pourra disposer.

Si, par exemple, 1,000 remplaçants sont disponibles, il pourra faire pour ce nombre des contrats d'exonération avec deux ou trois mille miliciens.

S'il doit payer par exemple 1.000 francs à chacun des remplaçants, il pourra, en se contentant de demander 400 francs environ avant le tirage, garantir le remplacement.

Il pourra donc faire les contrats que les sociétés font aujourd'hui. Seulement, je le répète, nous ne pouvons garantir que ces contrats seront faits pour tout le monde. Ils seront limités par le nombre des remplaçants disponibles.

Vous voyez, messieurs, que le système d’exonération préconisé par l'honorable M. Rogier obtient une réalisation complète par le projet que vous aurez voté.

Je m'étonne de voir l'honorable membre faire un signe de dénégation, car je ne sais ce qui manque de ce qu'il nous indique.

M. Rogierµ. - Je vous le dirai.

MiPµ. - Je dois du reste dire à l’honorable M. Rogier qui pense trouver dans le système qu’il défend une ressource considérable pour la caisse de pensions, qu'à cet égard il se trompe complètement.

Je viens de lui démontrer qu’avec le système de l’exonération libre il est impossible de procurer des ressources à l'Etat. Cela serait même impossible avec le système de l'exonération forcée, au moitis pour obtenir une somme considérable.

M. Rogier a supposé que l'on aurait, avant le tirage, 15,000 inscrits disposés à verser 1,000 francs. C'est une erreur.

Remarquez d'abord que 1,000 francs avant le tirage, c'est plus de 2,500 francs après le tirage.

Ce serait donc en réalité un impôt de 1,500 trafics que vous frapperiez sur ceux qui se font remplacer.

Eh bien, je dis qu'on ne sautait imaginer un impôt plus mal placé ; en effet, ceux qui se font remplacer subissent déjà une charge anomale, exceptionnelle et très lourde pour beaucoup d'entre eux.

On se plaint de ce que la charge de la milice ne soit pas également répartie et vous voudriez que ceux qui doivent la subir fussent encore surchargés d'une somme de 1,500 flancs.

Du reste, l'honorable M. Rogier se fait illusion lorsqu'il croit qu'on aurait 15,000 inscrits. Nous n'en aurions pas 7.000 ; et encore je ne tiens pas compte de la différence énorme qu'il y aurait dans le nombre des remplacements, si l'on en élevait le prix dans de pareilles proportions.

Les idées de M. Rogier ont été développées par MM. Kervyn et Thibaut, et je dois dire que quand j’ai commencé l’examen de cette question, j’avais le désir de marcher dans le même sens. Je trouvais quelque chose de très séduisant à faire payer par ceux qui sont favorisés du sort (page 985) quelque chose pour ceux qui ne le sont pas. Mais je n’ai pas tardé à me convaincre que ces idées n'avaient rien de pratique et que lorsqu'on opère sur un petit nombre de personnes pour obtenir une grosse somme, on doit nécessairement échouer.

J'ai déjà démontré que le système de MM. Kervyn et Thibaut ne pouvait pas produire de résultats efficaces ; je ne veux pas recommencer cette démonstration, je me bornerai à citer un chiffre pour prouver combien les systèmes qui reposent sur cette base sont irréalisables.

Il y a, chaque année, à peu près 15,000 miliciens qui ne sont pas désignés par le sort et qui n'ont pas de causes d'exemption.

Les miliciens désignés par le sort, qu'ils marchent en personne ou se fassent remplacer, ont déjà une si lourde charge, qu'il est impossible de leur demander un impôt. J'écarte donc ceux-là. Parmi le restant, il y a des exemptés ou parce qu'ils sont pourvoyants de leurs familles, ou parce qu'ils ont un frère au service, ou parce qu'ils ont des infirmités corporelles.

Les premiers n'ont rien, les deuxièmes appartiennent à des familles qui ont payé leur part du service militaire ; je ne pense pas qu'on veuille imposer ceux qui ont des infirmités corporelles. (Interruption.)

Il reste donc à peu près 15,000 miliciens, eh bien, je suppose que nous voulions tirer, de ces 15,000 miliciens, 300.000 francs. Savez-vous combien de fois vous devrez leur demander l'impôt personnel qu'ils payent en moyenne ? Vous devriez le leur demander dix fois à chacun et encore vous arriveriez à ce misérable résultat d'avoir obtenu pour la caisse des pensions moins de 1/6 des deux millions qu'Il nous faut !

Je demande si un pareil système est possible. De quelque manière qu'on s’y prenne. il faudra toujours arriver à tirer la somme d'un petit nombre de personnes. Voilà pourquoi ces tentatives d'exonération qui ont séduit beaucoup de bons esprits échouent complètement lorsqu’on essaye de les mettre pratique.

Du reste, on sait que ce n'est pas une simple appréciation que nous avons faite : on a essayé ce système en France, mais on y a renoncé.

Ne reprenons donc pas ici ce qu'on n'a pas réussi à faire ailleurs.

Telles sont, messieurs, les observations que j'ai à présenter à l'honorable M. Rogier.

M. Kervyn de Lettenhove. - Messieurs. je demande la permission de me défendre contre deux reproches qui m’ont été adressés par M. le ministre des finances ; j'expliquerai ensuite en quelques mots, aussi brièvement que possible, par quels motifs je persiste à repousser le projet du gouvernement.

Dans la séance d'hier, M. le ministre des finances, s'occupant du système d'exonération que j'ai soutenu dans cette enceinte, l’appelait inique. Je crois, messieurs, qu'après le discours de l'honorable M. Rogier, après les déclarations de M. le ministre de l'intérieur, qu'il a été lui-même séduit un instant par ce système, cette épithète ne saurait se justifier.

Je repousse aussi ce reproche que mon système conduit nécessairement à faire des miliciens des remplaçants forcés. En effet, s'il devait résulter du développement de la richesse publique que le prix du remplacement volontaire fût considérablement accru, il en résulterait également. comme conséquence de ce même développement de la richesse publique, que les exonérés pourraient payer davantage.

J'ajoute, de plus, que cette théorie de l’exonération n'a pas été appliquée en France comme je la concevais ; on n'est donc pas admis à tirer de ce qui s'est passé en France une conclusion logique.

Je reconnais du reste que le moment est passé de traiter cette question. et je ne suivrai pas M. le ministre de l’intérieur sur le terrain où il est revenu tout à l'heure. Je me borne à protester contre la qualification que M. le ministre des finances a attachée à un système que je persiste à croire juste, modéré et aussi propre à répondre à l'intérêt de l’armée qu'à l'intérêt de la population.

Il est encore un autre point sur lequel M. le ministre des finances m'a fait un reproche.

J'avais dit très rapidement dans cette enceinte que la rémunération existait dans la vieille Rome ; j'avais employé le mot « pécule » et M. le ministre des finances, dans la séance d'hier, m'a fait un grief d'avoir commis, ce sont ses expressions, une singulière erreur.

Messieurs, je ne prétends pas traiter cette matière avec tous ses développements, mais il m’est du moins permis de dire que le « peculium castrense » n'avait qu'un seul but dans son origine : c'était d'encourager le service militaire.

Les fils de famille qui ne pouvaient rien posséder devenaient aptes à posséder lorsqu’ils se rangeaient sous les drapeaux.

On partageait entre les soldats victorieux les dépouilles vaincus, et, en vertu d’un principe nouveau dans la législation, ils conservaient ce qu'ils avaient gagné. Ce fut là l'origine du « peculium castrense ». Il avait donc positivement le caractère de rémunération, puisqu’il avait pour but de laisser entre les mains du soldat ce qu’il avait reçu de la générosité de l’Etat après une victoire ou une conquête.

Il en résulta que lorsque la définition du pécule fut inscrite dans la loi romaine, on lui attribua ce double caractère : ou bien d’être le résultat d'une économie, ou bien d'être mérité par un service rendu. C'est là la définition du Digeste : « Peculium ex eo consistit quod parcimonia sua quis paraverit vel officio meruerit a quolibet sibi donari ».

Et peu à peu il arriva que, dans l'usage. le pécule prit une signification qui répond assez exactement à celle que nous lui attribuons encore aujourd'hui. D'après le jurisconsulte Proculus, le peuple entendait par « pécule » ce qu'on mettait de côté afin de pourvoir aux besoins de l'avenir, « peculium appellantes quod praesidii causa seponeretur ». C'était l'épargne du temps. Le pécule militaire n'avait d'autre but que de permettre à ceux qui avaient servi loyalement l'Etat de réunir ainsi, après leurs conquêtes. après leurs victoires, après leurs glorieux mais pénibles efforts, quelque chose qui les mit à même de s'assurer une position dans la société ou tout au moins de se dérober à l'indigence.

Je reviens au projet de loi dont nous nous occupons en ce moment, et je m'efforcerai, comme je l'ai promis, de faire connaître en quelques mots pourquoi je persiste à le repousser.

Je suis d'accord avec M. le ministre des finances sur quelques considérations fondamentales ; je crois, comme lui, que l'Etat représente la masse des contribuables et que demander trop à l'Etat, c'est imposer aux contribuables des charges que rien ne justifie. Mais cet argument ne s'applique pas à la question des officiers pensionnés, mais au projet de loi qui est en discussion.

Ce que je reproche au système du gouvernement, c'est d'inscrire au budget une charge nouvelle qui, d'après son propre aveu, ne sera pas inférieure à 10 ou 11 millions.

MfFOµ. - Deux millions chaque année,

M. Kervyn de Lettenhove. - Deux millions retirés chaque année de la circulation pour faire à une dépense qui ne se présentera que dans 30 ou 35 ans, représentent pour moi une charge aussi considérable que 12 millions qui seraient demandés en une seule fois lorsqu'on en aura besoin.

M. le ministre des finances a fait remarquer à ce sujet que cette somme de 10 à 12 millions, qui serait répartie chaque année, dépasse le revenu de tous les bureaux de bienfaisance, tel que l'a constitué la générosité de plusieurs siècles. It importe d'autant plus de ne pas perdre de vue combien il est grave de créer une catégorie de pensionnaires qui chaque année toucheront une somme de 10 à 12 millions.

Aujourd’hui les pensions de tout genre ne comportent que 7 millions. Vous augmenterez de 50 p. c. la charge des pensions qui pèsent sur le budget de l'Etat.

D'un autre coté, j'admets aussi, comme M. le ministre des finances, que le gouvernement ne peut pas faire de libéralités. Faire des libéralités, c'est enlever aux contribuables ce qu'il vaut mieux laisser dans leurs mains. L'Etat ne peut pas faire de libéralités, il ne peut faire autre chose que des actes de justice. Or, s'il y a ici un acte de justice, il faut qu'il soit soumis à des règles fixes et immuables.

Il peut dépendre des individus de se soumettre aux chances aléatoires d'une tontine. Comme le disait, il y a deux jours, mon honorable ami, M. Thibaut, si on laissait aux miliciens le choix entre le pécule et la rente viagère, ceux qui choisiraient la rente viagère n’auraient aucun grief à élever.

Mais ce qu’il y a de grave et d’irrationnel dans le projet de loi, c'est qu'on impose la chance aléatoire au milicien. c'est qu'en vertu de la loi, on ne lui permet pas d'opter, qu'on ne lui laisse qu'une espérance qui sera trop souvent déçue. Il s'agit, vous le reconnaissez vous-même, d’un acte de justice, et cet acte de justice, vous Je subordonnez à une chance aléatoire.

Evidemment, la pension a bien d'autres inconvénients. Elle a surtout cet inconvénient considérable de ne pas faire peser une seule fois une charge sur l'Etat, mais de répéter et de reproduire cette charge aussi longtemps que vit celui qui profite.

Et c’est là. messieurs, ce qui constitue cette inégalité sur laquelle je ne puis pas m’empêcher d’insister. C'est qu’en effet, à côté du milicien qui n'aura servi que vingt-sept mois et qui aura la chance de vivre jusqu’à 75 et peut-être 80 ans, qui arrivera ainsi obtenir en pensions (page 896) accumulées une somme qui ne sera pas inférieure à 4,000 ou 5,000 francs, vous rencontrerez un homme qui aura rendu un service, non pas de vingt-sept, mais de quarante-cinq mois, qui, mourant à 54 ans, n’aura obtenu aucune part de cette rémunération que vous voulez attacher au service militaire.

Messieurs, je m'arrête sur ce point et je termine par quelques considérations générales sur lesquelles je ne dirai que quelques mots.

Oui, il y a dans cette question un grand intérêt social. Cet intérêt social, je ne puis pas le découvrir dans le projet du gouvernement.

Quel est aujourd'hui le grand intérêt social, intérêt que nous ne pouvons perdre de vue ! Car si jamais il nous arrivait de l'oublier, nous serions bien vite au bord des abîmes. Ce qu'il faut encourager, ce qu'il faut honorer, c'est le travail. Eh bien, le système que j'ai soutenu a précisément pour but d'encourager le travail. Il faut que, lorsque le milicien a traversé ce séjour des garnisons qui trop longtemps a été l'oisiveté et qui, lors même que M. le ministre de la guerre parviendrait à l'améliorer à quelque degré, sera néanmoins toujours la suspension des anciennes occupations ; il faut, dis-je, que quand ce milicien rentrera dans ses foyers, il y ait un stimulant qui l'engage, qui le pousse énergiquement à se livrer de nouveau au travail.

Un des plus illustres économistes de notre époque, M. Michel Chevalier, s'occupant spécialement de la question du service militaire, observe que l'ouvrier, arrivé à vingt ans, est enlevé à la profession qu'il a choisie, où il achève son apprentissage, qu'il y a là pour celui qui n'a aucun capital une véritable catastrophe, qu'il été détourné de sa profession, qu'il a oublié tout qu'il savait d'utile, que souvent même il a pris en dégoût le travail productif. E

Eh bien, c'est cette situation fâcheuse pour l'ordre social que je voudrais voir disparaître. Je voudrais que le gouvernement, je voudrais que l'Etat, plaçant, au retour du milicien dans ses foyers, le capital à côté du travail, lui enseignassent ainsi bien mieux que dans le système du gouvernement, ce qu'est la prévoyance. Il faudrait qu'il comprît que si ce capital lui est remis, c'est à charge de le faire fructifier et d'augmenter ainsi la richesse publique.

Je voudrais, je n'hésite pas à le dire, que cet homme n'eût jamais besoin de la pension que vous lui promettez à 55 ans. Je voudrais qu'à l'aide d'une somme moindre, il pût, par son activité constante, s'assurer lui-même les ressources dont il lui importe d'entourer sa vieillesse.

Je crains beaucoup que, par le système que le gouvernement introduit dans son projet, il n'enseigne l'imprévoyance et que cet homme qui comptera sur une pension à 53 ans ne comprenne plus que c'est à lui être prévoyant, que c'est à son travail qu'il doit demander les ressources dont un jour il pourra avoir besoin.

Messieurs, à côté de cet intérêt social il y a encore un autre intérêt dont je veux dire un mot, parce que je n'en ai point encore parlé.

Un général, ministre de. la guerre en France, déclarait que le plus grand malheur du service militaire, c'est que l'homme à qui est imposé le devoir de servir son pays, quitte sa famille et la laisse dans la misère, et que, lorsqu'il y rentre, il la trouve encore dans la misère.

Le pécule que je défends aujourd'hui aurait pour résultat de mettre un terme cette cruelle situation.

Cette position du milicien vis-à-vis de sa famille, je la considère à deux points de vue : rentrant dans ses foyers, il y trouve ses parents plus âgés, plus infirmes que lorsqu'il les a quittés ; il a une dette de reconnaissance, de piété filiale envers eux, et lorsque M. le ministre des finances représente le milicien rentré dans ses foyers, après avoir honorablement achevé son temps de service, comme tout prêt, selon son expression, à gaspiller son pécule, je dois protester contre cette appréciation.

J'ai vu bien des miliciens rentrer dans leur famille et je puis assurer que presque toujours ils se sont remis énergiquement au travail pour venir en aide à leurs parents ; il en sera ainsi, à plus forte raison, lorsqu'ils seront encouragés par le petit capital que vous mettrez entre leurs mains.

Mais, messieurs, au point de vue de la famille, il est encore une autre considération. Lorsque le milicien a achevé son temps de service, il se marie, il devient père, il forme une nouvelle famille, et vis-à-vis de cette nouvelle famille il a aussi des devoirs ; il a des enfants à élever, à instruire, à préparer également à l'activité honnête, à la vie laborieuse ; croyez-vous que pour s'acquitter de ces devoirs, il pourra attendre jusqu'à l'âge de 55 ans ? Non. ce sera à 30 ou à 35 ans, l'aide de son pécule, qu'après avoir fermé, avec respect, les yeux de son vieux père, il élèvera honorablement ses enfants.

Le pécule l'encouragera et le mettra dans une position meilleure que celle où il se trouverait s'il était dépourvu de tout secours ou s'il devait attendre sa rémunération jusqu’à l'âge de 55 ans. A cette époque, cette rémunération lui offrirait peut-être un soulagement dans ses souffrances, mais à coup sûr, elle serait inutile au milicien dans l'accomplissement de ses devoirs de famille comme fils et comme père ; elle ne serait pas moins inutile à la société, puisque à cet âge il ne pourrait plus prendre part aux progrès et au développement du bien-être social.

Voilà, messieurs, pourquoi je repousse le système du gouvernement ; c’est parce que, selon moi, il ne répond pas à l'intérêt social, à l'intérêt du travail, et, en même temps, parce qu'il ne répond à aucune pensée morale. C’est une pensée égoïste qui y domine. Le milicien, comptant sur cette pension, pourra se dire que, dans sa vieillesse, il sera bien nourri, bien vêtu, bien logé, mais elle ne lui rappellera ni ses devoirs envers ses ascendants dont la vie s'achève, ni ses devoirs vis-à-vis de ses enfants dont la vie commence.

Vous aurez adopté un système d'égoïsme, d'isolement individuel ; mais au point de vue social, au point de vue du travail, au point de vue de la famille. au point de vue de tout ce qui doit propager les nobles pensées et les généreux sentiments, à tous ces points de vue le système du gouvernement, en imposant des charges financières énormes, restera toujours condamné aux plus stériles résultats.

M. Rogierµ. - Je prie la Chambre de m'excuser si je prends la parole, malgré la tendance qui se manifeste, par certains mouvements d'impatience, à précipiter la discussion et le vote.

Lorsque j'ai soulevé hier la question de l'exonération, je n'étais pas en dehors du projet de loi.

En constatant l'accroissement considérable qui allait en résulter pour nos dépenses militaires, et tout en l'adoptant en principe, je voulais indiquer les moyens qui nous permettraient de procurer des ressources au trésor en même temps que le gouvernement serait investi d'une mission qui, suivant moi, lui revient tout entière.

Mon système qui n'est pas une pure théorie, qui s'explique en quelques mots et qui est parfaitement pratique, consiste en ceci :

Permettre aux miliciens de s'exonérer, préalablement au tirage, du service militaire, par le versement d'une somme déterminée dans les caisses de l'Etat.

Voilà la première partie du système.

La seconde partie consiste à remettre en principe au ministre de guerre le soin de procurer à l'armée des engagés volontaires en remplacement des miliciens qui, s'étant exonérés, auraient été désignés par le sort pour le service.

MiPµ. - Ce serait le système forcé.

M. Rogierµ. - Nullement. Le versement est facultatif, mais il est préalable au tirage. Si le sort vous désigne, le gouvernement vous remplace. Si le sort vous exempte, le gouvernement profite du versement et l’applique à la constitution de rentes en faveur de ceux qui n'ont pas pu se faire remplacer et qui doivent servir pour leur propre compte. En un mot, je voudrais faire servir autant que possible la rente par le fonds de la caisse d'exonération.

Qu'y a-t-il là d'exorbitant ?

MiPµ. - C'est le système d'exonération forcée.

M. Rogierµ. - Pas le moins du monde. Mais si même c'était le système d'exonération forcée, je ne reculerais pas. Mais cela n'est pas.

Comment procède-t-on aujourd'hui ?

Le milicien trouve des caisses particulières qui, au moyen d'un versement de 700 à 800 francs, l'exonèrent du service.

L'Etat ne peut-il faire ce que font les caisses particulières ?

MiPµ. - Nous acceptons cela.

MfFOµ. - Cela existe en vertu de la loi de milice.

M. Rogierµ. - Le milicien qui fait un versement dans la caisse de l'Etat avant le tirage, peut-il s'exonérer du service ?

MiPµ. - Oui, si l'Etat a des remplaçants.

M. Rogierµ. - Sil n'est pas désigné par le tirage, la somme versée reste-t-elle acquise au trésor ?

MiPµ - La chose est très simple.

Il y a deux caisses organisées : la caisse de tontine et la caisse de remplacement.

(page 897) Lorsqu'un milicien versera une somme dans la caisse tontinière, il aura, en cas de désignation par le sort, la part de ceux qui ne sont pas tombés au sort.

Les sommes versées seront donc entièrement aux mains de ceux qui voudront se faire remplacer.

Chacun peut avoir recours à cette caisse. L'autre caisse est tout à fait distincte.

Le département la guerre est autorisé à faire des remplacements dans les conditions les plus illimitées.

Il pourra, par conséquent, faire les contrats que vous indiquez et lorsqu'il aura suffisamment de remplaçants, il pourra dire à tout le monde : Donnez-moi telle somme avant le tirage et je vous fournirai un remplaçant. Les sommes versées par ceux qui ne seront pas désignés appartiendront à l'Etat, qui les fera servir à acheter des remplaçants ceux qui sont tombés au sort.

L'Etat fera, dans ce cas ce que font les sociétés particulières ; mais l’Etat n'a pas nécessairement des remplaçant ; quand il en a, il fera des contrats de remplacement ; mais nous ne pas prendre l'engagement d'avoir des remplaçants.

Il faudrait pour cela que nous eussions le moyen de prendre ces remplaçants par voie de conscription ; c'est ce qui a été proposé ; mais nous repoussons cette proposition comme une monstrueuse iniquité.

L'Etat a donc le droit de faire ce que demande M. Rogier, il sera limité seulement par les circonstances.

M. Rogierµ. - Il s'agit d'un fonds de réserve qui servira plus tard aux fils du milicien pour se faire remplacer. Quand ils auront reçu, à cet effet, l'argent de la caisse tontinière, qu'en feront-ils ?

Eh bien, ils en useront pour verser dans la caisse de l'Etat la somme fixée par le gouvernement pour leur procurer un remplaçant.

Indépendamment des effets utiles de la caisse d'exonération pour les miliciens, il y a là des bénéfices considérables pour le trésor.

MiPµ. - Pas du tout.

MfFOµ. - Pas un centime.

M. Rogierµ. - Voyons ; j’ai évalué à 15,000 le nombre des miliciens qui, sur les 45,000 inscrits, pourraient faire des versements pour leur exonération ; je descends à 10,000 ; sur ce nombre, un tiers sera désigné par le sort pour le service ; eh bien, les sommes versées par les 10,000 miliciens laisseront un boni considérable après que les trois ou quatre mille remplaçants auront été indemnisés.

M. le ministre de l'intérieur ne veut pas que l'Etat fasse des bénéfices ; eh bien, moi je veux que l'Etat profite des versements et que ces versements, à leur tour, profitent aux miliciens rentiers. Est-ce clair ?

MiPµ. - Non, ce n'est pas clair du tout.

M. Rogierµ. - Comment ! ce n'est pas clair ? Est-ce que les sociétés particulières ne donnent pas de bons résultats ?

MiPµ. - Voulez-vous me permettre encore une observation ?

M. Rogierµ. - Volontiers.

MiPµ. - Je vais citer un exemple qui expliquera la combinaison. Je suppose qu'un remplaçant coûte 1,200 fr. et que l'on compte un homme désigné pour le service sur trois inscrits. On demande à chaque milicien qui veut se faire remplacer de payer 400 fr. avant le tirage ; les trois miliciens auront ainsi ensemble versé 1,200 fr. ; eh bien, avec ces 1,200 fr., on prend un remplaçant. Aussi n'est-ce pas sur cette combinaison que les sociétés font des bénéfices, c'est sur l'achat de l'homme ; le bénéfice vient de ce que le prix qu'elles fixent pour le remplacement est supérieur à ce qu'elles déboursent ; cette différence existe pour le remplacement fait par convention postérieure au tirage, comme pour celui qui nous occupe.

M. Rogierµ. - Je ferai remarquer d'abord que M. le ministre de l'intérieur abaisse le montant du versement à 400 francs ; il est évident que de cette manière on n'obtiendra pas de bons résultats. Je veux, moi. que la combinaison soit telle, qu'il en résulte un profit pour la caisse.

Je ne vois donc pas en quoi la situation des classes pauvres sera compromise par mon système. Je n’ai pas même dit que j'interdisais l'exonération par l'intermédiaire des sociétés particulières.

C'est là une question à examiner, mais ce que je demande, c'est que le gouvernement seul soit admis à désigner les remplaçants qui deviennent par là même des enrôlés volontaires.

A ce point de vue, la question a une importance morale très grande.

Je l'ai dit hier, on se livre à beaucoup d'accusations plus ou moins fondées contre les remplaçants ; on dit qu'il faut les faire disparaitre de l'année.

Eh bien, je dis que le seul moyen d'arriver à ce résultat, c’est de remettre au gouvernement le soin de choisir lui-même les engagés volontaires et je prétends que, pour cela, il faut employer le système d'exonération préalable au tirage, système qui, d'ailleurs, se combine parfaitement avec votre système, et qui, selon moi, est très facile à organiser.

Si l'on exagère ma pensée, si on la dénature un peu, ce n'est pas ma faute : mais le système que je présente paraît très clair et très pratique et j'espère que le gouvernement organisera lui-même une caisse au moyen de laquelle, par des versements au tirage, on pourra s'exonérer.

MiPµ. - Cela se fait.

M. Rogierµ. - Non pas comme je t'entends. (Interruption.)

Je demande à l'honorable ministre de l'intérieur s'il compte organiser une caisse d'exonération dans laquelle tous les versements opérés resteront indistinctement acquis à l'Etat ?

Voilà ce que je dis, et je demande à être complètement édifié sur l'opinion définitive de M. le ministre de l'intérieur à cet égard.

M. Jacobsµ. - Messieurs, je ne veux que motiver mon vote en quelques courtes considérations : il sera favorable au projet de loi.

Le projet de loi consacre le principe de la rémunération. Dès l'année prochaine, les caisses de l'Etat recevront une somme affectée à cette rémunération. Plus tard il sera temps encore de changer le mode de distribution de cette somme et de substituer à la rente le payement anticipé.

Je crois donc que le vote du projet ne compromet rien et après avoir voté l'amendement de l'honorable M. Kervyn, je me rallierai, en ordre subsidiaire, au projet du gouvernement.

Je dois expliquer pourquoi je préfère l'amendement de l'honorable M. Kervyn modifié par un sous-amendement que je déposerai.

Le projet de loi contient deux parties distinctes ; la première, c'est un crédit de 2 millions voté chaque année au profit des miliciens ; la seconde partie, c'est l'emploi du crédit qui dans le projet est destiné à constituer des rentes viagères pour les survivants, à l'âge de 55 ans.

Pour ma part, je crois que la remise immédiate d'une somme plus ou moins forte vaut mieux qu'une rente viagère.

Je le pense, d'abord parce que ce système fait profiter de la rémunération un plus grand nombre de miliciens. Je le pense encore, par cette considération qu'a fait valoir l'honorable M. Kervyn, qu'on va bannir chez eux la prévoyance en leur assurant une rente viagère dans leurs vieux jours. Il n’y aura plus pour eux le même stimulant que s'ils n'ont pas cette garantie d'avenir.

Au sortir de l'armée, les miliciens embrassent une profession ; ils y réussissent ou n'y réussissent pas ; s'ils réussissent, cette rente de 150 francs à l'âge de 55 ans ne sera pas pour eux un grand surcroît de bien-être ; s'ils ne réussissent pas, ils tombent à la charge du bureau de bienfaisance. En réalité, le projet de loi est une loi de décharge au profit des bureaux de bienfaisance qui payeront 150 francs de moins par milicien, tandis que l'Etat payera 150 francs de plus qu'aujourd'hui.

Il y a un immense intérêt à ce que le milicien reçoive, peu après sa libération, une somme plus ou moins forte. Le milicien a été écarté de l'exercice de sa profession pendant plusieurs années ; durant ce temps d'arrêt, il a été devancé par ceux de ses concurrents qui ont échappé à la milice ; il faut lui donner le moyen de regagner ce temps perdu ; le moyen consiste à lui donner une somme plus ou moins considérable après sa libération ; cela lui permettra d'acheter des outils, un fonds de magasin, des bestiaux, ce qu'il lui faut enfin pour commencer, avec chances de succès, une petite industrie, une culture, un commerce.

Ce système est infiniment préférable pour le milicien. Mais il y a, selon moi, deux modifications à introduire dans l'amendement de l'honorable M. Kervyn. D'abord, cet amendement impose au trésor un sacrifice beaucoup moindre que le projet du gouvernement ; ce sacrifice n'est pas d'un million et demi, tandis que, d'après le projet da gouvernement, le sacrifice imposé à l'Etat serait d'environ deux millions ; en élevant le chiffre de M. Kervyn de 6 francs à 8 francs par mois, nous arriverions au même chiffre d'environ deux millions.

On a dirigé contre l'amendement de l'honorable M. Kervyn une autre critique jusqu'à un certain point fondée.

La remise du pécule, trois mois après l'envoi en congé illimité, pourrait faire craindre que, n'ayant pas encore embrassé une carrière, il ne soit tenté par l'oisiveté et ne gaspille son avoir.

En prenant un délai d'un an, au lieu de trois mois, nous n'aurons pas ces craintes ; pour le milicien, les facilités seront les mêmes, car il (page 898) aura du crédit, grâce à la somme qu'il recevra un an plus tard ; d'un autre coté, il ne pourra la gaspiller facilement ; il sera devenu un travailleur et la consacrera au développement de son travail.

En réalité, le gouvernement, en substituant la rente viagère à une somme une fois donnée après la libération. est parti de ce principe. L'Etat fera fructifier ce que le milicien gaspillerait ; ce qui confié aux mains de l'Etat prospère, ce qui est confié à l'individu se détériore, se gaspille, se perd.

Eh bien, messieurs, dans un pays comme le nôtre où la tutelle gouvernementale est déjà très réduite et doit l'être de plus en plus, un pareil système me paraît inadmissible. Il faut admettre, au contraire, que ce milicien, qui n'est plus mineur, qui a déjà 23 ans lorsqu'il quitte le service, ne gaspillera pas son avoir ; et en supposant même qu'il en gaspille une partie, je ne sais de quel droit le gouvernement retient ce qu'il lui doit pour ne le lui donner qu'au bout d'un certain temps.

Il y dans le projet deux dispositions : la première qui reconnait une dette ; vous devez une certaine somme au milicien à sa sortie du service ; payez-la.

Le projet en contient une seconde. Il dit : Je ne vous payerai pas ce que vous dois. Je le retiendrai jusqu'à ce que vous ayez 55 ans et je vous payerai si vous arrivez à cet âge,

Eh bien, je ne vois pas de raison sociale suffisante pour que le gouvernement retarde le payement de ce qu'il doit ; le diffère jusqu'à 55 ans, prive en réalité le milicien de ce qui lui revient, et use de son droit de haute tutelle pour mettre la main sur le pécule du milicien et le convertir en, rente viagère.

Telles sont les considérations qui me détermineront à ne voter qu'en ordre subsidiaire le projet du gouvernement et à adopter la proposition de l'honorable M, Kervyn, modifiée par le sous-amendement que j'emprunte à la commission qui de 1858 à 1860 a élaboré le projet de loi sur la milice.

L'idée de la commission était d'accorder au milicien, comme rémunération, une somme fixe à remettre au milicien un an après le renvoi en congé illimité.

C'est cette idée de la commission que je fais mienne et que je propose en la complétant par l'insertion d'un chiffre, que la commission avait laissé en blanc dans son projet. Ce chiffre ne peut être l'objet d'aucune critique, puisqu'il est celui du gouvernement.

M. Kervyn de Lettenhove. - Je me rallie à l'amendement de M. Jacobs.

M. le président. - Voici l’amendement que présente M. Jacobs et qui modifie la proposition de M. Kervyn :

« Le fonds spécial servira à payer aux miliciens une rémunération calculée à raison de huit francs par mois complet de présence sous les armes, qui leur sera remis un an après leur envoi en congé illimité par les soins de l'administration communale du domicile.

« Les rémunérations acquises, etc. » (Le reste comme à l'amendement de M. Kervyn.)

- Cet amendement est appuyé.

MfFOµ. - Messieurs, je prie la Chambre de bien vouloir se pénétrer de l'importance, de la gravité des propositions qui lui sont soumises.

J’estime que vous n'avez été appelés à vous prononcer, à aucune époque, sur une proposition plus favorable aux classes laborieuses que celle qui qui se trouve formulée dans le projet de loi. C'est, en réalité, une révolution dans leur condition. Il s'agit de substituer à une situation précaire, incertaine, n'offrant guère de sécurité, et laissant peu de place à l'espérance, une situation beaucoup plus favorable, au moins pour tous ceux qui auront servi l'Etat, en leur donnant une espérance dont la réalisation est certaine pour les jours de leur vieillesse, qui seront ainsi garantis des fâcheuses éventualités qui étaient presque inévitables autrefois.

La rémunération n'est pas, comme on l’a dit, comme on l'a répété avec une sorte d'obstination dans cette discussion, si éloignée, si vague en quelque sorte, qu'elle ne présente rien de satisfaisant ou de suffisamment satisfaisant à ceux à qui elle est offerte. D'abord, et ce point pas été mis en relief, quoiqu'il soit très important, une disposition du projet de loi déclare que tout milicien, ayant accompli son temps de service et, ayant ainsi droit à la rente viagère stipulée en sa faveur, peut l'obtenir par anticipation, immédiatement, sur-le-champ, si, dans l'exercice de sa profession, de sa profession civile, en dehors de l’état militaire, lorsqu'il est occupé des travaux ordinaires de son métier, il est mis dans l’impossibilité de travailler. Le droit à la pension lui est immédiatement acquis dans cette hypothèse.

C'est là, messieurs, une disposition du projet de loi qui a certainement une portée considérable pour les classes laborieuses.

Il en est une deuxième ; c'est la modification qui a été introduite en ce qui concerne la faculté de disposer en tout ou en partie du capital déposé, pour l'affecter à la caisse tontinière établie par le projet de loi sur la milice.

Que va-t-il résulter de cette combinaison ?

C'est que (et c'est le but que cherchent à atteindre un certain nombre d'honorables membres), c'est que le père de famille, qui aura disposé de cette somme pour l'exonération de l'un ou de plusieurs de ses fils (et il pourra en exonérer jusqu'à trois), c'est que ce père de famille, arrivé à l'époque du tirage au sort de ses enfants, aura la faculté de retirer immédiatement la somme qui restera pour lui dans la tontine, et qu'on lui remboursera tout à la fois le montant du versement effectué, accru des intérêts capitalisés à 5 p. c., et l'accroissement résultant des décès et des exemptions.

Il aura donc à cette époque. si c’est ce mode qu'il a adopté, c'est-à-dire vers l’âge de 45 ans vraisemblablement, une somme de 1,000 à 1,2000 francs à sa disposition. Il aura la libre jouissance de cette somme à une époque plus rapprochée que celle à laquelle il pourrait entrer en possession de la rente.

Enfin. une troisième disposition de la plus haute importance au point de vue des liens de famille, c'est l'association de la femme à la participation du bienfait de la rente ; c'est pour elle aussi un gage de sécurité au moment où elle contracte mariage avec l'ouvrier ; c'est la certitude que dans ses vieux jours. quels que soient les événements qui peuvent venir la frapper dans le chef de son mari, elle obtiendra également une rente viagère qui la mettra à l'abri de la misère.

Cette situation, messieurs, dont je viens de retracer rapidement les principaux avantages, ne va-t-elle pas avoir pour conséquence de transformer ce qui est considéré aujourd'hui comme les mauvais numéros, quand on tire au sort, en bons numéros ? (Interruption.)

Comment ! messieurs, vous croyez qu'il sera indifférent aux classes laborieuses d'avoir la condition actuelle, c'est-à-dire de devoir servir dans les rangs de l'armée sans aucune compensation et en voyant d'autres individus exemptés sans autre motif que le caprice du hasard, ou bien d'avoir la situation que nous préparons aux inscrits pour la milice, s'ils sont obligés de servir, en leur assurant par cela même une rente viagère à l'âge de 55 ans ?

Vous croyez que beaucoup de gens seront indifférents à ce changement des conditions du service de la milice ? (Interruption.) Beaucoup, au contraire, ne préféreront-ils pas, eu égard à ces avantages, le service militaire à l'exemption ? Ne préféreront-ils pas pour 2, pour 3, pour 4 ans de service, obtenir cette rente viagère ? (Interruption.) L'avenir nous le dira. Mais, si vous supposez aux classes laborieuses une si grande prévoyance, elles doivent désirer et appeler cette situation !

Je l'ai dit déjà, et je le répète, parce qu'Il y a là un moyen d'appréciation des plus saisissables : si, dans lès établissements industriels, on accordait celui qui aura travaillé, non pas 30 ans, mais 3, 4 ou 5 ans, le droit immédiat à une rente viagère dont l'entrée en jouissance commencerait à l'âge de 55 ans, ne se précipiterait-on pas vers ces établissements ? (Interruption.) Pourquoi donc voulez-vous qu'une pareille situation soit moins désirée lorsqu'il s'agit du service militaire ?

Il existe, messieurs, des établissements industriels où l'on accorde, non pas après deux ans. non pas après cinq ans de travail, mais après trente années de travail, une pension qui n'est pas plus élevée que celle du projet de loi. (Interruption.) Ce n'est pas une rente acquise par les ouvriers à l'aide d'une retenue sur le salaire. C'est une rémunération donnée en sus par l'industriel.

M. Jacobsµ. - Ici c'est une majoration de salaire encore insuffisante.

MfFOµ. - Là est l'erreur. Et, pour répondre à l'interruption, je vous demanderai : Que représente la solde ? On peut trouver qu'elle est suffisante ou insuffisante, mais elle représente l'équivalent de ce que l'ouvrier peut se procurer à l'aide de son travail. Elle représente ce que le salaire permet d'ordinaire à l'individu d’obtenir dans la vie civile : le vêtement, l'abri et la nourriture.

M. Kervyn de Lettenhove. - Et quelque chose de plus.

MfFOµ. - Si ce que vous prétendez était exact, les classes laborieuses seraient dans une situation moins précaire et moins malheureuse que celle où elles se trouvent aujourd'hui.

Si, comme vous le dites, il y avait des excédants, il faut bien admettre (page 899) que les classes ouvrières feraient des économies. Or, je vous le demande, où sont les économies des classes ouvrières prises dans leur ensemble ? Elles n'existent pas malheureusement !

Je dis donc que la solde représente l'équivalent du salaire. Et, sous ce rapport, le milicien, il faut le reconnaitre hautement. est dans des conditions beaucoup meilleures que celles que procure le travail civil. Il est mieux logé, mieux nourri, mieux vêtu que dans les conditions ordinaires, et son amélioration physique s'en ressent beaucoup, sans parler des avantages intellectuels qu'il peut retirer de son passage dans l'armée.

Il est notoire qu'après avoir vécu quelques années sous les drapeaux, les individus qui en sortent sont dans de meilleures conditions physiques que quand ils sont entrés au service. (Interruption.)

En présence des avantages incontestables du système qui fait l'objet de la loi qui est soumise à vos délibérations, pensez-vous, messieurs, qu'il soit nécessaire ou seulement utile de détruire l'ensemble de ce système à l'aide des amendements proposés par l'honorable M. Kervyn et défendus par l'honorable M. Jacobs ?

Où vient aboutir l'amendement, modifié par le sous-amendement ? A distribuer annuellement deux millions, somme énorme dans son total, par fractions minimes et insignifiantes de 8 francs par mois de service, somme qui disparaitra inévitablement sans aucun résultat social ou individuel (Interruption.) Vous ne le croyez pas ?

M. de Naeyerµ. - En aucune manière ; nous sommes convaincus du contraire.

MfFOµ. - Eh bien, je suis tout aussi convaincu de la parfaite vérité de mon assertion, et cette assertion ne repose pas sur des désirs, sur des suppositions, ce qui est, je pense, le cas pour la vôtre ; elle repose sur une longue expérience de faits que j'ai pu constater moi-même. J'ai souvent porté mon attention sur la condition des classes ouvrières ; je me suis trouvé et je me trouve encore, quoique indirectement, en contact avec elle.

Eh bien. j'ai acquis ainsi la certitude absolue que c'est l'imprévoyance qui fait principalement son malheur. Aujourd'hui, à l'heure présente, dans un grand nombre d'industries, lorsque les ouvriers, grâce à un salaire élevé, sont arrivés à pouvoir en cinq jours gagner de quoi vivre pendant sept jours, ils refusent de travailler les autres jours.

- Voix à gauche. - C'est très vrai !

MfFOµ. - Voilà ce que je sais ; voilà ce qui m'a été conformé souvent par des personnes qui sont en rapport journalier avec les ouvriers.

M. de Naeyerµ. - Tous les miliciens ne sont pas des ouvriers de fabrique.

MfFOµ. - Je m'étonne que l'on conteste une chose aussi avérée que celle-là. Tous ceux qui se sont occupés des classes ouvrières ont émis l'opinion que, si elles se montraient plus prévoyantes, leur condition serait infiniment meilleure.

On nous dit : Vous faites de la prévoyance pour elles ; vous voulez vous substituer aux individus dans l'accomplissement de leurs devoirs envers eux-mêmes et envers leur famille. Entendons-nous.

Lorsque nous donnons sans être obligés à donner, lorsque nous donnons non pas à titre d’obligation stricte, mais par équité, nous avons le droit d'imposer la condition à laquelle nous voulons subordonner les libéralités que nous faisons. (Interruption.)

Permettez, messieurs ; prenons un exemple : Qu'avez-vous fait, que persister-vous à faire et que faites-vous tous les jours 'à l'égard des fonctionnaires publics ?

Vous stipulez en leur faveur une pension, Vous faites deux parts de la rémunération que vous leur attribuez : l'une, c’est le traitement, l'autre, la pension. Eh bien, que ne leur donnez-vous la somme que représente cette pension, sauf à eux à pourvoir comme ils l'entendraient à leurs besoins ? Vous ne l'avez pas voulu, et vous avez eu raison. Vous vous êtes dit : Nous serons prévoyants pour eux ; ils auront un salaire moindre, mais ils auront une pension.

M. Thibautµ. - Ils consentent à cette condition.

MfFOµ. - Qu'ils y consentent ou non, vous la leur imposez ! D'ailleurs, qu’importe, au point de vue où vous vous placez ? Il s'agit de savoir si le principe de prévoyance qui vous inspire est sage et légitime. Vous allez même plus loin : vous dites aux fonctionnaires publics : participerez, vous êtes obligés de participer à des caisses de veuves et d'orphelins ; nous vous imposons l’obligation de pourvoir à l'avenir de votre femme et de vous enfants. Et ce que vous avez cru devoir faire par prudence et par prévoyance l'égard des fonctionnaires publies. qui sont cependant dans une situation intellectuelle plus élevée que les ouvriers, qui sont ainsi à même de comprendre et d'apprécier les avantages de l'épargne, vous ne vous croiriez pas en droit de le faire à l'égard des miliciens que vous voulez rémunérer ! (Interruption.)

Remarquez encore, messieurs, que vous ne vous êtes pas bornés à attribuer aux fonctionnaires publics une pension. à leur imposer la participation à des caisses de veuves et orphelins ; vous avez été plus loin : vous avez déclaré cette pension incessible et insaisissable. C’est leur bien, c'est leur propriété, c'est le prix de services rendus et, par prévoyance, vous y avez mis pour condition qu'ils ne pourraient pas en disposer. Voilà votre législation dont nul ne conteste la légitimité.

Et ce que vous avez fait pour cette catégorie de citoyens, il vous serait interdit de le faire pour des miliciens ? Est-ce sérieux ?

Mais, dit-on, il serait préférable d'accorder immédiatement aux miliciens la rémunération de leurs services ; il y aurait une certaine compensation pour le métier qu'ils ont perdu, pour l'apprentissage qu'ils n'ont pu continuer, il y aurait un dommage réparé.

Eh bien, messieurs, j'ai voulu me rendre compte de cette situation en ce qui touche les miliciens. J'ai donc prié le département de la guerre de faire établir une statistique des miliciens qui se trouvaient actuellement sous les armes, pour connaître à quelles catégories de personnes nous avions affaire et quelle était la classe dominante parmi les miliciens, J'ai voulu savoir aussi quelle était la moyenne des salaires.

Voici, messieurs, le résumé de cette statistique, qui s'applique 14,598 miliciens qui font actuellemen partie de l'armée.

Nous y trouvons 3,031 ouvriers adonnés aux travaux de l'agriculture ; 1,840 journaliers, 1,029 charbonniers, mineurs, houilleurs, 976 domestiques ; 902 maréchaux, serruriers, mécaniciens, ajusteurs ; 776 bobineurs, fileurs, tisserands, drapiers ; 687 ouvriers de fabrique et d'usine ; 677 bourreliers, chapeliers, cordonniers, gantiers, pelletiers ; 615 charpentiers, menuisiers, scieurs, carrossiers ; 541 maçons ; 522 briquetiers, carriers, marbriers, paveurs ; 222 cloutiers, plombiers, zingueurs, etc.

Les salaires qui ont été déclarés par ces miliciens interpelés étaient tous ou presque tous d'un chiffre assez élevé. Les officiers de l'un des régiments appelés à faire cette statistique, ont même crû qu'il y avait une sorte de vanité de la part des hommes à surélever la taux des salaires dont ils jouissaient au moment de leur incorporation. Quoi qu'il en soit, comparés aux salaires qui avaient été constatés dans la statistique générale de 1846, et autant qu'on a pu le faire au moyen de faits postérieurement établis et notamment de l'enquête qui a été faite par le département des travaux publics très récemment pour les usines métallurgiques et les charbonnages, nous avons constaté un accroissement de salaires extraordinairement remarquable depuis cette époque.

Il y a des augmentations qui vont jusqu'à 250 p. c. sur la constatation faite en 1846. Beaucoup sont de plus de 100 p. c., beaucoup de 50 p, c.

Comme vous le remarquez, messieurs. dans cette statistique les ouvriers de fabrique et d'usine entrent pour le nombre moindre. Les ouvriers agricoles, les simples journaliers et les domestiques sont en majorité. et les dommages qui résultent pour eux de l'absence de la pratique du métier pendant qu'ils sont sous les armes ne sont pas considérables. Ils rentrent ensuite chez eux dans les conditions où ils se trouvaient quand ils sont partis, et même souvent dans des conditions bien meilleures. Au surplus, l'expérience prouve que, dans les cas les plus ordinaires, l’interruption résultant du service militaire n'exerce pas d'influence fâcheuse sur la carrière des ouvriers.

L'honorable M. Kervyn, qui ne voit pas de difficulté à sacrifier 1,4000,000 francs et qui vient même de se rallier au sacrifice de deux millions pour être distribués par petites somme de 200 à 300 francs à des jeunes hommes de 25 à 30 ans ; l'honorable M. Kervyn s'effraye des sacrifices que nous voulons imposer au trésor.

L’honorable membre ne s'aperçoit pas qu’ils sont identiquement les mêmes dans les deux systèmes.

L'honorable membre suppose que nous créons pour l'avenir une chargé annuelle de 10 à 11 millions pour le trésor publie. Il se trompe, et je pense que la Chambre l'a parfaitement compris ; nous créons une charge de 2 millions et pas autre chose. Le système de l'honorable M. Kervyn se traduit également par un sacrifice de 2 millions par an.

M. Kervyn de Lettenhove. - Avec affectation immédiate.

MfFOµ. - Qu'importe, quant à la charge qui doit en résulter pour l'Etat ! Seulement, quant aux résultats, (page 900) ce serait, à mon sens, un véritable gaspillage que d'employer les fonds du trésor de cette façon ; j'en suis profondément convaincu.

L'honorable M. Kervyn n'a pas remarqué que les deux millions que nous proposons annuellement sont destinés à acheter des valeurs productives, capables de former, par l'accumulation des intérêts, un capital suffisant pour payer des annuités dont le total normal sera de 10 à 11 millions de francs.

L'honorable M. Jacobs, qui s'associe au reproche qui nous a été fait de vouloir substituer l'Etat à la ramille, à l'individu, le chargeant de prendre soin des personnes, au lieu de laisser ces personnes prendre soin d'elles-mêmes ; l'honorable M. Jacobs, qui s'associe à ce reproche dont je viens de faire justice, tombe avec M. Kervyn dans une singulière inconséquence. Que vous propose-t-il, en effet, en adhérant à l'amendement de l'honorable M. Kervyn ? Il vous propose d'introduire un droit civil nouveau mélangé d'une intervention politique qui frise singulièrement le socialisme.

Voici ce que porte l'amendement de l'honorable membre : « Dans le cas où le milicien a des ascendants sexagénaires ou des frères et sœurs orphelins et mineurs, une somme qui ne dépassera point la moitié de la rémunération acquise, pourra, chaque année, leur être remise à la demande du milicien et sur l'avis conforme de l'autorité communale du lieu où habitent les ascendants ou les frères et sœurs du milicien. »

Ainsi les honorables membres qui soutiennent, contre nous, que l'on ne peut mettre de condition à la rémunération, qui considèrent celle-ci comme un droit absolu, comme une propriété dont le milicien doit pouvoir disposer à son gré, proposent que ce milicien puisse disposer d'une partie de son bien, non seulement au profit d'ascendants, mais de frères et sœurs orphelins et mineurs, si l'autorité communale le permet !

Je demande, messieurs, si l'on peut être reçu à critiquer les dispositions insérées dans le projet de loi que je viens de justifier en les rapprochant des dispositions semblables qui existent pour les fonctionnaires publics, lorsqu'on soumet la Chambre de pareilles propositions.

Messieurs, j'ai fini.

Je convie la Chambre à voter le projet de loi que nous avons eu l'honneur de lui soumettre, et qui, avec les amendements qui ont rallié les opinions divergentes qui s'étaient formées sur ces propositions, sera un véritable bienfait pour une partie notable des classes laborieuses, et qui aura ainsi un grand résultat social.

- Des membres. - La clôture !

M. Coremansµ. - Messieurs, quand on voit l'honorable M. Frère, se laissant emporter par la fougue de son éloquence, chercher à entraîner la Chambre par la passion, c'est alors surtout, me semble-t-il, qu'il faut se défier des arguments produits et les examiner au point de vue de la froide raison.

A entendre l'honorable ministre des finances, il semblerait que le projet présenté par le gouvernement constitue en quelque sorte la solution de la question sociale, l'idéal à atteindre quant à l'amélioration du sort des classes ouvrières.

Revenons. messieurs, à la réalité et voyons le chiffre dont il question en faveur des rares miliciens qui atteindront l'âge de 55 ans. Ce chiffre est de moins de quarante centimes par jour et par milicien pensionné, rien de plus.

Mais, dit M. le ministre des finances, dans le projet il est dit que l'ouvrier pourra jouir de la rente par anticipation avant l'âge de 55 ans révolus, lorsque, par un accident survenu dans l'exercice de sa profession, il se trouve dans l'impossibilité de continuer son métier, de pourvoir à ses besoins.

Certes, c'est quelque chose. Mais bien peu de chose. Combien de miliciens se trouveront dans cette position ? It n'y en aura pas un sur 100, peut-être pas 5 sur mile !

Cette disposition n'a donc pas l'importance que veut y attacher M. le ministre des finances.

Une autre disposition que l'honorable M. Frère veut faire considérer par la Chambre comme ayant une importance majeure est celle qui décide que le milicien pourra encore, par anticipation, disposer de la somme portée à son crédit, pour exempter ses fils de la milice.

Mais c'est là en quelque façon reprendre d'une main ce que vous donnez de l'autre. Oit reste l'amélioration de la position du père ?

Enfin, une troisième disposition, sur laquelle insiste plus particulièrement M. le ministre des finances, est celle qui permet au mari de faire porter sur la tête de sa femme une partie de la rente. Mais, encore une fois, voyons les chiffres. La rente du milicien étant de trente et quelques centimes, une partie de cette rente sera bien peu de chose ; et, certes, il faut beaucoup de bon vouloir, une grande complaisance pour attacher à ces dispositions une influence quelconque sur le sort des classes ouvrières !

Je ne puis admettre que ces trois dispositions aient paru tellement importantes aux yeux de la section centrale, qu'elles aient entraîné l'adoption d'un système rejeté jusque-là par elle à l'unanimité.

Je n'admets pas non plus la comparaison faite par M. le ministre entre les miliciens et les fonctionnaires. Les fonctionnaires se présentent volontairement à l'Etat et en plus grand nombre qu'il n'en faut. Le milicien, au contraire, est forcé de servir. C'est malgré lui, à son corps défendant, qu'il est tenu au service militaire.

Je comprends que vis-à-vis des fonctionnaires vous dictiez vos conditions ; libre à eux de les refuser, et tout est dit.

Mais le milicien, s'il refuse votre service, vous le contraignez de force.

L'analogie que prétend établir M. Frère n'existe donc pas.

Vous n'êtes pas injustes vis-à-vis de vos fonctionnaires : la preuve, c'est que quand il vous en faut un, il s'en présente dix. Mais vous êtes injustes vis-à-vis des miliciens et le tort que vous leur infligez, votre projet de loi ne le répare en aucune façon.

Je voterai l'amendement proposé par l'honorable M. Jacobs. En ordre très subsidiaire, je voterai cependant le projet du gouvernement. parce qu'il consacre tout au moins le principe de l'indemnité, s'il n'en fait pas encore une juste application.

- La discussion générale est close.

Discussion des articles

Articles 1 et 2

« Art. 1er. Il est créé un fonds spécial destiné à la rémunération des miliciens.

« Ce fonds pourra être rattaché, soit à la caisse des dépôts et consignations, soit à la Caisse générale d'épargne et de retraite, instituée par la loi du 16 mars 1865. »

- Adopté.


« Art. 2. Le fonds spécial est formé par une subvention annuelle du trésor. Il pourra être employé à l'acquisition des titres ou obligations mentionnés dans les lois des 16 mars 1865 et 1er juillet 1869. »

- Adopté.

Article 3

« Art. 3. Tout milicien qui aura accompli, soit en cette qualité et par lui-même, soit comme remplaçant de son frère, son temps de service dans l'armée active, et qui comptera au moins un an de présence réelle au corps, a droit à une somme fixe de 150 francs, et, en outre, une somme de 12 centimes par jour de présence pour toute la durée du service ordinaire et du service fait par suite de rappel en temps de paix.

« Le réfractaire n'a droit la rémunération que s'il est assimilé au milicien sous le rapport des congés.

« La rémunération peut être réduite de 50 centimes au plus pour toute journée passée en état de punition. Un arrêté royal détermine quelles sont les punitions qui doivent donner lieu à cette retenue, et fixe la quotité de celle-ci.

« La rémunération de 12 centimes par jour peut être accordée dans les cas de congés justifiés par cause de maladie contractée au service, et dans les conditions déterminer par arrêté royal. »

M. le président. - M. Kervyn a présenté, à cet article, un amendement qui a été sous- amendé par M. Jacobs de la manière suivante :

« Le fonds spécial servira à payer aux miliciens une rémunération calculée à raison de huit francs par mois complet de présence sous les armes, qui leur sera remise un an après leur envoi en congé illimité, par les soins de l'administration communale de leur domicile.

« Les rémunérations acquises par des miliciens décédés sous les drapeaux, qui ne laissent ni femme, ni descendants légitimes, ni ascendants, ni frères, ni sœurs, et celles qui ne sont pas réclamées dans l'année qui suit l'envoi en congé illimité, seront attribuées au fonds spécial et réparties entre les miliciens de la classe à laquelle appartenaient ceux qui seront décédés sous les drapeaux ou qui n'auront pas touché la rémunération.

« Dans le cas où le milicien a des ascendants sexagénaires ou des frères et sœurs, orphelins et mineurs, une somme qui ne dépassera la moitié de la rémunération acquise, pourra chaque année leur être remise à la demande du milicien et l'avis conforme de l'autorité communale du lieu où habitent les ascendants, ou les frères et sœurs du milicien. »

M. Kervyn s'est rallié au sous-amendement de M. Jacobs.

- La proposition de MM. Kervyn et Jacobs est mise aux voix par appel nominal.

88 membres sont présents.

25 adoptent.

63 rejettent.

En conséquence la proposition n'est pas adoptée.

(page 901) Ont voté l'adoption :

MM. Wasseige, Wouters, Beeckman, Coomans, Declercq, Delaet, de Liedekerke, Montblanc, de Muelenaere, de Naeyer, de Theux, de Zerezo de Tejada, Hayez, Jacobs, Janssens, Kervyn de Lettenhove, Lefebvre, Liénart, Moncheur, Mulle de Terschueren, Notelteirs, Reynaert, Thibaut, Van Cromphaut et Visart.

Ont voté le rejet :

MM. Watteeu, Allard, Anspach, Bara, Beke, Bieswal, Bricoult, Broustin, Castilhon, Crombez, de Baillet-Latour, de Borchgrave. de Breyne-Dubois, de Brouckere, De Fré, de Kerchove de Denterghem, De Lexhy, d'Elhoungne, de Macar, de Maere, de Rongé, de Rossius, Descamps, Dethuin, de Vrints, Dewandre, Dumortier, Elias, Frère-Orban, Funck, Guillery, Hagemans, Hymans, Jacquemyns, Jamar, Julliot, Lesoinne, Lippens, Mascart, Moreau, Mouton, Muller, Orban, Pirmez, Rogier, Sabatier, Sainctelette, Schmitz, Schollaert, Tack, Thienpont, Thonissen, T'Serstevens, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vander Maesen, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Vermeire.

L'article 3 est mis aux voix par assis et levé. Il est adopté.

Article 4

« Art. 4. La somme allouée au milicien est affectée à la création d'une rente viagère, prenant cours le 1er janvier qui suit l'âge de 55 ans révolus.

« La rente viagère est égale aux cinq neuvièmes de la somme portée au crédit du milicien. »

M. le président. - A cet article se rattache un amendement de l'honorable M. de Theux.

M. de Theuxµ. - Je le retire.

- L'article est adopté.

Articles 5 et 6

« Art. 5. Le milicien définitivement libéré du service, dont l'existence dépend de son travail, et qui, avant l'âge de cinquante-cinq ans accomplis, se trouverait, par la perte d'un membre, d'un organe, par une infirmité permanente résultant d'un accident survenu dans l'exercice ou l'occasion de l'exercice de sa profession, incapable de pourvoir à sa subsistance, aura droit au payement de la renie à partir du premier du mois qui suivra la constatation de l'incapacité.

« La jouissance anticipée de la rente cessera si l'une ou l'autre des conditions énoncées au paragraphe qui précède vient à disparaître. »

- Adopté.


« Art. 6. Tous les actes, toutes les pièces nécessaires à l'exécution des dispositions de la présente loi sont délivrés gratis et exempts des droits de timbre, d'enregistrement et de greffe.

« Les rentes sont incessibles et insaisissables. »

MfFOµ. - Je demande le retranchement des derniers mots de cet article : « Les rentes sont incessibles et insaisissables. » Je ferai tout à l’heure, à l'article 11, une proposition qui comprendra cette disposition.

- Cette suppression est adoptée.

L’article, ainsi amendé, est adopté.

Article 7

« Art. 7. Le milicien peut, pour s'assurer le moyen de remplacer ses enfants légitimes, retirer tout ou partie de la somme portée à son crédit et augmentée des intérêts composés à 5 p. c., calculée à partir du 1er janvier suivant l'expiration de la seconde année après l'incorporation.

« Si le milicien est dans le cas d'user de cette faculté avant l'expiration du temps de service, il est néanmoins autorisé à faire opérer le transfert ; mais ce transfert ne produira ses effets que si le milicien accomplit son temps de service, est décédé au service, ou n’est empêché d'y rester que par des causes indépendantes de sa volonté ou de sa faute. »

M. Rogierµ. - Messieurs, hier, j'ai présenté à la Chambre de courtes observations à l'occasion de cet article qui donne au milicien la faculté de s'occuper de bonne heure du soin de trouver des remplaçants pour ses fils.

J'ai exprimé l'opinion que, si louable que puisse être le but de cet article, il n'était pas bon de pénétrer l'esprit du soldat de cette espèce de dégoût anticipé pour l'état militaire. Il me semble que le soldat doit, au contraire, tendre à entretenir dans l'esprit de ses enfants le goût du métier.

Je préférerais donc que cette disposition ne figurât pas dans le projet de loi.

On dit que ces cas seront très rares où le milicien fera usage de la faculté que lui donne la loi.

Si cela est vrai, l’article n’aura pas en fait une grande portée, mais s'il doit être d'une application fréquente. si un grand nombre de soldats se préoccupent de l'idée de soustraire leurs enfants au service militaire, je dis que la disposition est mauvaise.

Mais, puisque l'on a en vue de répandre l'esprit de prévoyance chez les miliciens, je demanderai à MM. les ministres s'ils verraient des inconvénients à substituer à cette faculté de ménager des remplaçants pour ses enfants celle de leur assurer les moyens de fréquenter l'école militaire ou tout autre établissement d'enseignement supérieur. Il y aurait alors, dans la loi, un côté moral de plus.

Je ne sais pas si ces idées ont chance d'être acceptées par la Chambre, mais il me semble que si l'on créait une sorte de bourse de famille en faveur des enfants qui promettraient de devenir des sujets distingués, il y aurait une notable amélioration dans cette partie de la loi. Il y a beaucoup d'enfants des classes ouvrières qui peuvent devenir des hommes distingués non seulement dans la carrière militaire, mais dans les carrières civiles ou dans les beaux-arts et dans les arts industriels.

Verrait-on des inconvénients à modifier l'article dans le sens ces idées et à dire, par exemple :

« Le milicien peut, pour s'assurer le moyen de remplacer ses enfants légitimes ou favoriser leurs éludes, soit à l'école militaire, soit dans tout autre établissement d'instruction supérieure, retirer tout ou partie, etc. »

Je ne proposerai cet amendement que si le ministère s'y rallie.

M. Mullerµ. - Je crois pouvoir donner à M. Rogier une explication de nature à le satisfaire.

La section centrale a attaché à l'introduction de cet article une importance bien plus grande que celle que M. Rogier vient d'y donner lui- même.

L'honorable préopinant craint que cet article n'engage tous les miliciens à ne pas laisser servir leurs fils dans l'armée ; mais je ferai remarquer que s'il est fait mention expresse d'un moyen de pourvoir au remplacement des fils du milicien, c'est qu'une caisse tontinière doit être établie par le gouvernement pour cette destination, et que c'est dans cette caisse que devra être versé tout ou partie de la rémunération, lorsqu'on ne s’en tiendra pas exclusivement à la rente viagère.

Mais il ne résulte pas le moins du monde de cet article que le milicien sera obligé de consacrer cette somme au remplacement de son fils. Le père pourra toujours, s'il le juge convenable, lui donner une autre destination dans l'intérêt de sa famille, à moins qu'il n'ait stipulé formellement le contraire.

Généralement donc, ce n'est pas au profit personnel du fils que se fera la participation à la tontine du remplacement militaire, mais au profit des parents. Si le fils vit encore à l'âge de la milice, et s'il est désigné pour le service, le père usera de la part qui lui revient de cette tontine, soit pour fournir un remplaçant, soit pour une tout autre destination. Ainsi, rien n'empêche que le père, s'il a le désir que lui suppose M. Rogier, d'affecter à le réaliser le capital auquel il aura un droit acquis.

M. Rogierµ. - L'article me paraît ne pas aller jusqu'où l'honorable Muller semble le supposer. L'article dit que le milicien peut, pour s'assurer les moyens de remplacer ses enfants légitimes, retirer tout ou partie de la somme portée à son crédit. Par conséquent, le milicien est en quelque sorte engagé à n'employer ce qui lui revient de la tontine qu'à fournir des remplaçants à ses enfants. S'il peut l'employer à tout autre usage, il n'y a pas d'inconvénient à introduire dans l'article la modification que je propose.

Elle donnera même un cachet plus moral encore à la loi : il y aura là un encouragement donné aux miliciens pères de famille d'étendre et d'élever l'éducation de leurs enfants et de les mettre à même de favoriser des dispositions qui restent stériles parce qu'ils n'ont pas les moyens d'envoyer leurs enfants dans un établissement où ils pourraient développer ces dispositions.

MiPµ. - Deux mots, messieurs, de réponse à l'honorable M. Rogier. D'abord, je lui ferai remarquer qu'on examine la question du remplacement sous deux points de vue très différents. L'honorable M. Rogier, au commencement de cette séance, a déclaré considérer comme un grand bienfait les facilités qu'on donne aux miliciens de s'exonérer.

Ici, l'honorable membre voit la loi sous un autre aspect et il trouve regrettable qu'on ne favorise le remplacement militaire que pour les enfants de ceux qui ont servi.

Je crois, messieurs, que sa première idée était plus juste et qu'elle se justifiait d'une manière toute spéciale.

Que faisons-nous par le projet de loi ? Nous répondons à une objection qui prétend que les charges militaires ne sont pas égales. Nous disons : Si nous avons demandé trop à une génération, ne demanderons plus rien (page 902) à la génération suivante, et celui qui aura acquitté sa dette en servant lui-même pourra exempter ses enfants. Il n’y a rien que de très naturel dans cette disposition que nous présentons.

Maintenant peut-on y faire l'addition que propose M. Rogier ? Je ne le pense pas. Il est certain qu'il y a dans le monde une quantité de destinations excellentes pour l'argent : celle indiquée par l'honorable M. Rogier est certainement bonne, je ne puis même dire combien je la trouve excellente, mais il y en a d'autres aussi bonnes que celle-là. Ainsi faire donner une éducation à ses filles, les doter à leur mariage, sont toutes d'excellentes destinations de fonds.

Adopter l'addition proposée par M. Rogier conduirait à en admettre une foule d'autres ; et l'on arriverait à autoriser le milicien à retirer la somme qui est portée à son crédit sans que nous conservions aucune espèce de moyen de contrôle. Si nous permettons aux miliciens de verser à la caisse tontinière, c'est parce que cet argent a une destination spéciale et qu'il ne peut être retiré pour être gaspillé, résultat inévitable, comme l'a parfaitement démontré mon honorable collègue des finances.

Maintenant, messieurs, de quelle somme s'agit-il ? Il s'agit d'une somme qui pourra être de quelques centaines de francs et tout fait insuffisante pour la destination qu'indique M. Rogier.

Si nous parvenons à exempter trois enfants avec la rémunération, c'est parce que les sommes versées à la tontine au moment de la naissance des enfants deviennent considérables pour ceux qui sont désignés par le sort par suite du décès d'une partie des enfants du même âge, par suite des chances favorable qu'offre le tirage au sort et par la capitalisation des intérêts.

Je pense donc qu'il est impossible d'admettre cette disposition qui n'aurait, du reste, aucune espèce de résultat pratique.

A la suite du paragraphe premier de l'article 7 du projet de la section centrale, il faut rétablir la phrase ci-après du projet du gouvernement, qui doit terminer le premier paragraphe :

« Le capital retiré est versé directement à la caisse tontinière de remplacement sur la tête de l'enfant désigné par le milicien. »

L'omission de ce paragraphe est une erreur d'impression.

- L'article 7, avec le paragraphe indiqué ci-dessus, est mis aux voix et adopté.

Article 8

« Art. 8. Le milicien peut, dans l'année de son mariage, pourvu qu'il n’ait pas quarante-cinq ans révolus, convertir sa rente en une rente reposant sur sa tête et sur celle de sa femme et devant être payée jusqu'au décès du survivant ; la conversion ne produit ses effets que si les époux sont tous deux vivants lorsque la rente doit s'ouvrir. »

M. Notelteirsµ. - L’article 8 prescrit deux conditions pour permettre au milicien marié de convertir sa rente une rente reposant sur sa tète et sur celle de sa femme ; la première, c'est que la conversion soit faite dans l'année du mariage ; la seconde, c'est qu'elle soit faite avant que le milicien ait accompli l'âge de 45 ans.

Je comprends parfaitement l'utilité de cette seconde condition ; il faut, en effet, que la conversion soit faite une dizaine d'années avant le commencement de la jouissance de la rente vi gère. Mais quel est le motif pour lequel cette conversion doit se faire dans la première année du mariage ?

MiPµ. - Nous consentons au retranchement des mots : « dans l'aunée de son mariage ».

M. Notelteirsµ. - Alors il faut commencer l'article par ces mots : « Le milicien marié », parce que je n'entends pas accorder la faculté pour un futur mariage.

MiPµ. - Je me rallie également à cette seconde modification.

- L'article 8, avec les deux modifications indiquées ci-dessus, est mis aux voix et adopté.

Articles 9 et 10

« Art. 9. Le milicien peut augmenter par des versements la rente à laquelle il a droit ; il peut en différer l'ouverture. »

- Adopté.


« Art. 10. Le gouvernement détermine les conditions des changements qui précèdent et les réserves auxquelles ils sont subordonnés. »

- Adopté.

Article 11 (nouveau)

MfFOµ. - Ici vient se placer l’article 10 nouveau, que j’ai annoncé l'heure. Cet article est ainsi conçu :

« Art. 11 (nouveau). Les droits à la rémunération, les rentes viagères soit au profit du mari, soit au profit de la femme, ainsi que les sommes ducs par la caisse tontinière par suite de versements effectués au moyen de la rémunération, sont incessibles et insaisissables.

« Les livrets, certificats ou autres titres délivrés aux ayants droit ne peuvent être retenus pour aucune cause ; les tiers qui les auraient retenus seront condamnés envers eux à une indemnité au moins égale à moitié de la valeur du droit.

« Les rentes ne sont payées qu'à ceux au profit desquels elles sont inscrites. »

M. Hymans. - Je crois que l'on pourrait ajouter le mot « inaliénable ». On dit qu'il est compris dans le mot « incessible ». Mais tout le monde n'est pas d'accord sur ce point, et je voudrais qu'il fût bien établi que non seulement la rente est incessible, mais qu'aucune espèce de spéculation ni de traite sur la rente ou sur le droit à la rente, ne peut être admise.

MiPµ. - Je crois inutile d'ajouter ce mot ; nous sommes parfaitement d'accord sur la chose. En déclarant que la rente est incessible, on prohibe toute espèce de cession, celle à titre gratuit comme celle à titre onéreux. It est évident que le mot « inaliénable » n'y ajoute rien.

Veuillez remarquer, d'ailleurs, que le terme proposé est celui qu'emploient la loi sur la caisse de retraite, la loi des pensions et même la loi de milice.

- L'article, rédigé comme le propose le gouvernement, est mis aux voix et adopté.

Article 12

« Art. 11 (ancien 12). Le droit à la rémunération et aux rentes viagères même ouvert se perd :

« 1° Par la désertion ;

« 2° Par le renvoi de l'armée pour inconduite habituelle ;

« 4° Par une condamnation qui entraîne la déchéance du rang militaire ;

« 5° Par une condamnation à une peine criminelle.

« Le Roi peut, d'une manière absolue ou conditionnelle, relever les miliciens de la perte de leurs droits à l'obtention des rentes ».

M. Vleminckxµ. - Messieurs, je suppose que la Chambre aura pris connaissance d'un passage du rapport de la section centrale relatif au 2° de l'article qui permet que la rente ne soit point payée lorsque le milicien aura été renvoyé de l'armée pour inconduite habituelle.

Je tiens à relire à la Chambre ce passage du rapport de la section centrale.

« Vérification faite, la section centrale a dû reconnaître que la promulgation du code militaire, qui est actuellement soumis au vote du Sénat, ne fera pas disparaitre la peine du renvoi de l'armée pour inconduite, peine dont l'application irrégulière, parce qu'elle est toute administrative, est loin d'être favorable à la moralisation de l'armée. Le règlement de discipline a été, en effet, voté par les états généraux des Provinces-Unies, le 15 mars 1815, et mis en vigueur en Belgique par arrêté royal du 17 avril de la même année ; mais nous exprimons unanimement le vœu d'une révision, qui doit être considérée comme urgente et indispensable. »

L'honorable ministre de la guerre n’est pas présent à la séance ; il ne peut donc répondre à la demande que je ferais de la présentation d'un projet de loi relatif à la révision du code de discipline. Mais je pense que l'honorable ministre de l'intérieur pourra nous donner, cet égard, quelques renseignements.

Il est impossible de ne pas considérer le renvoi de l'armée comme une peine d'une certaine gravité, alors qu'elle peut avoir pour résultat de priver de la pension celui qui en est l'objet. C'est là, me semble-t-il, plus qu'une peine administrative, et je crois qu'elle devrait être prononcée par les tribunaux. Du reste, comme vous venez de le voir, la section centrale insiste pour que le code de discipline soit révisé sur ce point, comme il devrait l'être sur plusieurs autres.

MiPµ. - La disposition à laquelle M. Vleminckx vient de faire allusion a peu d'applications. On comprend que M. le ministre de la guerre ne se soucie guère de renvoyer des hommes de l'armée. Aussi, je crois que ce renvoi ne s’applique pas à plus de cinq ou six hommes par an.

Il est évident encore qu'on ne peut pas accorder la rémunération du service militaire à celui qui a été renvoyé de l'armée pour inconduite.

Reste la question de savoir s'il faut maintenir cette peine ; mon collègue de la guerre verra au Moniteur l'observation de M. Vleminckx et il pourra examiner cette question.

- L'article est adopté.

Article 13 à 16

« Art 13 (ancien 12). Les titulaires de rentes peuvent en jouir indépendamment de (page 903- tout traitement, de toute pension ou de toute autre rente acquise en vertu de la loi du 16 mars 1865. »

- Adopté.


« Art. 14 (ancien 13). Dès la libération du milicien du service. il lui est remis un livret dans lequel sont inscrits les versements opérés à son profit et la rente viagère à laquelle il a droit. »

- Adopté.


« Art. 15 (ancien 14). Les dispositions ci-dessus seront appliquées aux miliciens qui tireront au sort après la promulgation de la loi. »

- Adopté.


« Art. 16 (ancien 15). Un crédit spécial de cinquante mille francs (fr. 50,000) est ouvert au ministère des finances pour couvrir les frais de premier établissement de la caisse de la milice, ainsi que de la caisse de remplacement.

« Ce crédit sera imputé sur les ressources ordinaires du trésor. »

- Adopté.

Second vote des articles et vote sur l’ensemble

La Chambre décide qu'elle procédera immédiatement au vote définitif.

Les articles adoptés au premier vote sont successivement mis aux voix définitivement adoptés.


Il est procédé au vole par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi qui est adopté par 80 voix contre 2 abstentions.

Ont voté l'adoption : MM. Watteeu, Wouters, Allard, Anspach, Bara, Beeckman, Beke, Bieswal, Bricoult, Broustin, Castilhon, Coremans, Crombez, de Baillet-Latour, de Borchgrave, de Breyne-Dubois, de Brouckere, Declercq, De Fré, de Kerchove de Denterghem, De Lexhy, d'Elhoungne, de Liedekerke, de Macar, de Maere, de Montblanc, de Muelenaere, de Rossius, Descamps, de Theux, Dethuin, de Vrints, Dewandre, de Zerezo de Tejada, Dumortier, Elias, Funck, Guillery, Hagemans, Hayez, Hymans, Jacobs, Janssens, Jacquemyns, Jamar, Julliot, Lefebvre, Lesoinne, Lippens, Mascart, Moncheur, Moreau, Mouton, Muller, Mulle de Terschueren, Notelteirs, Orban, Pirmez, Reynaert, Rogier, Sabatier, Sainctelette, Tack, Thibaut, Thienpont, Thonissen, T'Serstevens, Van Cromphaut, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vander Maesen, Visart, Vleminckx et Dolez.

MM. Wasseige et de Naeyer se sont abstenus.

M. Wasseige. - Je n'ai pas voté contre le projet de loi, parce que j'approuve le principe de la rémunération, et je l'ai prouvé en votant en faveur de l'amendement qui a été déposé par mon honorable ami, M. Kervyn.

Je n'ai pas voté pour le projet, parce que je n’admets pas l'application qui en est faite par le gouvernement.

M. de Naeyerµ. - Je n'ai pas voté contre le projet parce que je suis grand partisan du principe de la libération qui est pour moi un principe de justice et non de libéralité, car je n'admets pas que l'on fasse des libéralités avec l'argent des contribuables.

D'un autre côté, il m'a été tout à fait impossible de me rallier aux dispositions proposées par le gouvernement parce que je les trouve injustes, humiliantes pour les miliciens et contraires aux saines idées d'économie sociale, ainsi que l'honorable M. Kervyn l'a parfaitement démontré. J'ajouterai que j'y trouve comme inconvénient la création d'un nouveau rouage administratif et je crois que nous avons déjà trop de rouages administratifs.

MfFOµ. - Je n'en créerai vas davantage. La caisse de retraite est là.

Projet de loi portant le budget du ministère des travaux publics de l’exercice 1871

Rapport de la section centrale

M. Descampsµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale qui a examiné le budget du département des travaux publics pour l'exercice 1871.

- Le rapport sera imprimé et distribué et son objet mis à la suite de l'ordre du jour.

Ordre des travaux de la chambre

M. le président. - Nous avons à voter encore le projet de loi sue les extraditions, mais auparavant j'ai l'honneur de vous proposer de tenir aujourd'hui une séance du soir.

- Voix nombreuses. - Demain !

M. le président. - Nous examinerions aujourd’hui tous les projets autres que ceux relatifs aux chemins de fer et nous nous occuperions de ces derniers dans la séance de demain.

MiPµ. - Je crois que si l'on fixe une séance à ce soir pour l'examen des petits projets, nous ne serons pas en nombre, tandis que si nous commençons demain dans le jour la discussion des projets concernant les chemins de fer, nous pourrons avoir une séance du soir fructueuse pour continuer l'examen de ce projet.

M. le président. - Nous remettrons donc à demain la séance du soir.

M. Crombez. - Je demande que demain on commence la séance par le vote des petits projets de loi, parce que nous serons sûrs alors d'être en nombre, tandis que si l'on votait, au contraire, ces projets à la fin de la séance, nous pourrions ne plus être en nombre.

M. le président. - J'espère que nous serons en nombre, mais je propose également de commencer demain par les petits projets.

L'ordre du jour serait réglé comme suit :

Aliénation de biens domaniaux.

Prorogation de l'article premier de la loi 12 avril 1835, concernant les péages sur les chemins de fer de l'Etat.

Convention relative à l'assistance judiciaire, conclue avec la France.

Convention au sujet de la cession de la citadelle de Gand.

Crédit supplémentaire de 128,550 fr. 67 c. au ministère des travaux publics.

Acquisition du Jardin Botanique de Bruxelles.

Erection de la commune de Flénu.

Feuilleton de naturalisation, n°3.

Dommages-intérêts et visites domiciliaires en matière de presse.

Projet de loi relatif aux extraditions

Vote de l’article unique

La discussion générale est ouverte.

Personne ne demandant la parole, il est procédé au vote par appel nominal sur l'article unique ainsi conçu :

« Il est ajouté à l'article de la loi du 5 août 1868 sur les extraditions, la disposition suivante :

« 30° Pour recèlement des objets obtenus à l'aide d'un des crimes ou délits prévus par la présente loi. »

73 membres y prennent part.

Tous répondent oui.

En conséquence, le projet de loi est adopté.

Il sera transmis au Sénat.

Ont pris part au vote : MM. Wasseige, Wouters, Allard, Anspach, Bara, Beke, Bieswal, Bricoult, Broustin, Castilhon, Coremans, Crombez, de Borchgrave, Declercq, De Fré, de Kerchove de Denterghem, De Lexhy, d'Elhoungne, de Liedekerke, de Macar, de Maere, de Montblanc, de Muelenaere, de Naeyer, de Rossius, Descamps, de Theux, Dethuin, de Vrints, Dewandre, de Zerezo de Tejada, Dumortier, Elias, Frère-Orban, Funck, Guillery, Hagemans, Hayez, Hymans, Jacobs, Janssens, Jacquemyns, Jamar, Julliot, Lefebvre, Lesoinne, Lippens, Mascart, Moreau, Mouton, Muller, Mulle de Terschueren, Notelteirs, Orban, Pirmez, Reynaert, Rogier, Sabatier, Sainctelette, Tack. Thibaut, Thienpont, Thonissen, T’Serstevens, Van Cromphaut, Vleminckx et Dolez.

- La séance est levée à 5 heures et demie.