(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1869-1870)
(Présidence de M. Dolezµ.)
(page 717) M. Dethuinµ procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart ; il il donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.
M. de Vrintsµ présente l'analyse suivante des pièces adressées la Chambre.
« Le sieur Maquier prie la Chambre de le faire replacer dans un des établissements d'instruction publique de l'Etat. »
- Renvoi la commission des pétiti0ùS.
« Des habitants d'Isières demandent l'établissement d'une station dans cette commune sur la ligne d'Ath à Hal. »
M. Descampsµ. - Je prie la Chambre de vouloir bien ordonner le renvoi de cette pétition à la commission des pétitions avec demande d’un prompt rapport.
- Adopté.
« La veuve du sieur Christiaen, facteur des postes pensionné, demande la révision de sa pension. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des membres de la société colombophile l'Hirondelld, de Beveren Waes demandent que le projet de loi modifiant la loi sur la chasse contienne des dispositions protectrices en faveur des pigeons. »
« Même demande des membres des sociétés colombophiles à Ciney, Exaerde, Chapelle-lez-Herlaimont, Lodelinsart, Charneux, Marchienne-au pont. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.
« Le sieur Schaltin-Pierry demande l'établissement du drawback à l'exportation des liqueurs alcooliques sucrées. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi portant augmentation des droits sur les eaux-de-vie.
M. Van Iseghem. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi ouvrant des crédits supplémentaires au département des affaires étrangères.
- Impression et distribution et mise la suite de l'ordre du jour.
M. le président. - Nous en sommes arrivés à l'article 79 du projet de loi sur les sociétés coopératives. .
M. de Rossiusµ. - Je crois, M. le président, que l'article 78 n'a pas été voté.
M. le président. - Pardon, M. de Rossius.
M. de Rossiusµ. - Alors il y a erreur aux Annales, car il n'y est pas fait mention de ce vote.
M. le président. - Le procès-verbal constate que l’article a été voté.
M. le président. - Nous en sommes donc arrivés à l'article 79 ; la rédaction de la commission est ainsi conçue :
« Art. 79 (art. 76 du projet). La cession s'opère par la tradition du titre, sans qu'il puisse être dérogé aux formalités prescrites par les articles précédents.
« Les créanciers personnels d'un associé ne peuvent saisir que les intérêts et dividendes lui revenant et la part qui lui sera attribuée à la dissolution de la société. »
M Guillery, rapporteurµ. - Après en avoir conféré avec M. le ministre de l'intérieur, la commission retire son amendement et se rallie au projet du gouvernement.
M. le président. - L'article du projet du gouvernement est ainsi conçu :
« Les droits d’un associé dans l’actif d'une société coopérative ne peuvent être cédés que pour autant que le cédant remplisse les formalités prescrites pour pouvoir se retirer de la société et que le cessionnaire se soit fait admettre dans la société.
« Ses créanciers personnels ne peuvent saisir que les intérêts et dividendes lui revenant et la part qui lui sera attribuée à la dissolution de la société. »
M. Couvreurµ. - En vertu de cet article, les créanciers de l'associé ne peuvent saisir les intérêts et dividendes qui reviennent au sociétaire. leur débiteur, qu'à la dissolution de la société. Mais l'article 75, déjà adopté, dispose que l'associé démissionnaire ou exclu peut recevoir sa part avec les bénéfices y appartenant telle qu'elle résulte du dernier bilan, dans le délai fixé par les statuts, avant la dissolution par conséquent.
Pourquoi cette différence ? Pourquoi le créancier ne peut-il pas saisir et toucher les dividendes et intérêts à l'époque où le sociétaire peut les toucher lui-même ? Y a-t-il à cela un inconvénient ? Et comment le gouvernement concilie-t-il la disposition de l'article en discussion avec l'article 75, qui permet au sociétaire de retirer sa part, avec les bénéfices y afférents, lorsqu'il donne sa démission ?
Il me semble qu'il y a là une contradiction et qu'il conviendrait d'autoriser le créancier personnel à toucher les intérêts et dividendes au moment même où l'on dresse le bilan, de façon à lui donner les mêmes droits qu'à son débiteur.
Je comprends que la loi ne permette pas au créancier personnel de saisir la part avant la dissolution de la société, il se substituerait au sociétaire, ce qui ne doit pas être ; mais je ne vois pas de raison pour ajourner jusqu'à la même époque ses droits ce qui concerne les intérêts et les dividendes.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Cet article ne s'oppose pas à ce que le créancier saisisse les intérêts et dividendes d'un associé démissionnaire ; ce que la loi ne permet pas, c' est de prendre la part de l'associé pendant que la société subsiste.
- L'article 76 qui prend dans le projet le n°79 est mis aux voix et adopté.
M. le président. - Nous passons au paragraphe III : Des mesures dans l’intérêt des tiers.
La parole est Couvreur.
M. Couvreurµ. - Comme une circonstance indépendante de ma volonté ne m'a pas permis d'assister à la fin de la séance d'hier, je voudrais, à propos de ce chapitre, qui traite des intérêts que les tiers peuvent avoir dans la société coopérative, présenter quelques considérations générales. Mon intention n'est pas de revenir sur les dispositions déjà votées. Je désire seulement faire ressortir quelques-unes de leurs conséquences, soumettre à l'appréciation du gouvernement les observations qu'elles me suggèrent et lui laisser le temps d'y donner satisfaction s'il juge qu'elles le méritent. Il suffirait d'ajouter à la loi quelques disposition nouvelles, soit (page 718) à la suite du chapitre en discussion, soit dans la sixième section du projet de loi qui traite de la liquidation des sociétés.
Je dis que je n'ai pas l'intention de revenir sur les dispositions déjà votées parce que ces dispositions, saut quelques points de détail, ont mon approbation. Et sous ce rapport, je croirais manquer à un devoir que je suis heureux de remplir, au contraire, si je ne remerciais pas le gouvernement du bon accueil qu'il a fait, après réflexion, aux critiques que j'avais dirigées contre l'insuffisance du projet primitif en ce qui concerne les sociétés coopératives. Le problème qui d'abord, quoi qu'on en avait dit, était resté sans solution, en a reçu une aujourd'hui que je n'appelle pas parfaite, ce sera l'œuvre du temps et de l'expérience ; mais qui est certainement aussi satisfaisante que le permettent les difficultés qu’il présentait et le peu d'expérience pratique dont nous disposons jusqu'à présent.
Les propositions du gouvernement, à mes yeux, ont deux grands mérites : le premier, c'est de reconnaitre, comme je l'avais demandé, que les sociétés coopératives soient reconnues comme des sociétés d'un ordre particulier, qu'on ne peut confondre avec aucune des autres formes sociales admises jusqu'ici par le code de commerce ; l'autre mérite, c'est d'avoir basé la législation qui régit ces sociétés sur deux grands principes bien simples et trop souvent méconnus : la liberté des conventions entre parties ayant comme contrepartie une organisation efficace de la publicité destinée à sauvegarder les droits des tiers.
Cependant on peut se demander si cette liberté de stipulations n'a pas été poussée jusqu'à l'excès ; si elle n’est pas de nature à nuire non seulement aux tiers qui contractent avec les sociétés coopératives, mais à ces sociétés elles-mêmes et à l'idée qu'elles réalisent.
La Chambre, par ses votes d'hier, a tranché une des questions les plus controversées dans le domaine de la coopération : elle a décidé non seulement qu'une société coopérative peut exister sans solidarité absolue entre tous ses membres, mais même qu'elle a droit de se constituer et de commencer ses opérations avec une solidarité divisée et limitée sans qu'il y ait même un commencement de versement en espèces sur les engagements contractés. Une simple promesse peut suffire. Je ne connais aucune loi qui laisse aux associés une aussi grande latitude.
Cette disposition qui intéresse, au plus haut degré, les tiers, cette disposition est-elle un bien on un mal ? Si la question était posée au parlement de la Confédération du Nord, il n'est pas douteux qu'elle ne reçût une réponse unanimement défavorable. Et, en effet, la loi prussienne comme la loi de la Confédération du Nord édictent impérieusement la solidarité absolue de tous les associés.
M. Schultze-Delitsch, qui a été le promoteur des nombreuses sociétés coopératives qui couvrent l'Allemagne, puis le principal auteur de la loi prussienne et de la loi de la Confédération, insiste impérieusement, dans tous ses écrits, sur la nécessité, pour les sociétés coopératives, de ne pas sc constituer en dehors de la solidarité absolue.
Il va même plus loin, il conteste de la façon la plus absolue au législateur le droit de laisser aux associés la faculté de stipuler qu'ils pourront diviser et limiter leur responsabilité.
Les derniers écrits de cet illustre économiste ont été consacrés à examiner les législations des différents pays sur la coopération, à les comparer à la législation de la Confédération da Nord. Toutes celles qui se sont séparées de l'exemple donné par l'Allemagne du Nord sont l'objet de ses plus vives critiques. Sil fait une nouvelle édition de son ouvrage pour examiner la loi belge, celle-ci n'échappera certainement pas à une condamnation absolue.
Les arguments sur lesquels M. Schultze-Delitsch se base sont, il faut l'avouer, d'une grande puissance. Comme la matière ne manque pas d'intérêt pour les coopérateurs belges, je vais, si la Chambre me le permet, en indiquer les lignes principales.
Partant de ce principe que la liberté doit toujours être limitée par le respect des droits d'autrui ; que nul ne peut s'emparer des biens de tiers pas plus par la fraude, la violence ou le dol que par des promesses faites de bonne foi mais d'une exécution impossible, l'illustre économiste allemand établit d'abord que, lorsque la loi concède un privilège, il lui incombe aussi le devoir de préciser la responsabilité de ceux auxquels le privilège profite.
Les intérêts des associés et les intérêts des tiers étant divergents, il ne peut pas appartenir aux premiers de se soustraire, par des conventions spéciales, à la limitation de leur liberté lorsque cette limitation ne découle pas de la nature des choses.
Or, quelle est ici la nature des choses ?
Le coopérateur est-il un capitaliste qui peut donner en garantie de ses engagements ou un capital déjà versé ou un capital qu'il est en mesure de réaliser à la réquisition ? Non, il ne peut exposer que sa personne, son honorabilité, sa santé, son travail, sa force productive, les épargnes qu'il espère de son affiliation à d'autres honorabilités, à d'autres forces, à d'autres épargnes. En d'autres termes, le crédit qu'on lui concède ne repose point sur les épargnes qu'il a effectuées déjà, mais sur un ensemble de garanties morales.
Or, de même qu'un industriel, un commerçant ne pourrait pas limiter ses chances de perte à une partie de sa fortune, stipuler, par exemple, dans un acte rendu public que s'il fait faillite il ne payera que jusqu'à concurrence d'une somme déterminée avec le droit de garder le surplus, de même les coopérateurs ne peuvent pas non plus limiter leur responsabilité. Il faut qu'ils répondent tous pour un et un pour tous. Agir autrement, laisser aux sociétaires le droit de diviser leurs risques et leurs engagements, c'est méconnaître la nature des sociétés coopératives, c'est aller à l'encontre de leur essence.
La division et la limitation de la responsabilité n'est admissible qua dans les sociétés capitaux, parce que là le capital répond. Elle doit être proscrite dans les sociétés coopératives au même titre que dans les sociétés en nom collectif.
A l'appui de son opinion, M. Schultze-Delitsch cite l'exemple des sociétés allemandes qui se sont développées avec une rapidité inouïe en Allemagne, qui ont surmonté la crise de 1866, grâce à cette forte organisation résultant de la responsabilité absolue.
Il cite également l'exemple très intéressant des sociétés constituées à Rochdale, en Angleterre, qui n'ont dû également leur grande prospérité qu’à ce principe de la responsabilité absolue et qui n'ont abandonné ce principe, pour prendre la forme nouvelle des sociétés à responsabilité limitée, que le jour où, ayant atteint leur but, elles ont pu, avec des capitaux accumulés, répondre de leurs engagements.
Je me hâte d'ajouter, messieurs, que ce point de vue si absolu n'est pas universellement partagé en Allemagne.
Le très intéressant rapport de la section centrale vous a déjà dit que la loi bavaroise admet la division et la limitation de la responsabilité. Des sociétés de consommation du midi de l'Allemagne malgré les observations ct les critiques du promoteur des associations coopératives du Nord en ont fait autant dans leurs contrats particuliers. Enfin, messieurs, ce qui est plus significatif, c'est qu'un de ces grands congrès, comme il en siège tous les ans en Allemagne, le congrès des jurisconsultes, saisi, l'année dernière, à Heidelberg, d'une proposition tendante à proclamer le principe de la solidarité absolue comme une règle indiscutable à imposer par la loi à toutes les sociétés coopératives, le congrès de Heidelberg, dis-je, a repoussé la proposition pour aboutir à des conclusions analogues à celles de la loi belge.
Je dis « analogues », messieurs, parce que les jurisconsultes réunis à Heidelberg ne vont pas aussi loin que les dispositions déjà votées par vous.
Il est intéressant à côté des arguments des partisans de la liberté absolue de constater les raisons qui ont déterminé le congrès des jurisconsultes à se séparer de la législation de l'Allemagne du Nord.
Après avoir établi que la loi a le droit d'attacher des conditions spéciales aux privilèges qu'elle confère et qu'elle ne peut pas proscrire a priori des formes de sociétés qui voudraient se constituer d'après le droit commun ou qui pourraient naître dans l'avenir, le congrès des jurisconsultes, par l'organe de son rapporteur, a opposé aux vues de M. Schulze-Delitsch la nature même de la responsabilité humaine. La responsabilité absolue n'est un principe naturel et moral que pour les actions individuelles, non pour les actions des tiers avec lesquels on agit pour atteindre un but commun. Le principe de la responsabilité absolue n'est légitime que jusqu'au point où s'étend l'action individuelle ou du moins une surveillance individuelle. Lorsque cette action ou surveillance sont exclus par les circonstances, il n'est ni immoral ni contre-nature que la responsabilité soit limitée.
D'après le droit commun, en cas d'obligation commune, chacun, en principe, n'est responsable que de ses propres faits et gestes, et si dans les rapports commerciaux on a introduit le principe de la solidarité, ce n'est là qu'une exception justifiée par des raisons d'utilité. C'est ainsi que, d'après le droit romain, le père de famille ne répond des faits et gestes de l'enfant et de l'esclave dotés d'un pécule en agissant pour leur compte que jusqu'à concurrence de sa fortune. L'armateur ne répond que de la fortune de mer pour les actes du capitaine et de l'équipage qui ne sont pas expressément stipulés ; l'associé commanditaire n'est responsable que de son capital mis à la disposition des commanditaires ; enfin dans la société anonyme tous les actionnaires ne répondent que pour le montant de leurs actions. Partout une part de responsabilité est soustraite à l'action du créancier
Là au contraire où existe la possibilité d’une action, d'une surveillance, (page 719) d’une direction personnelle, là il n'y a de raison de s'écarte du principe de la responsabilité illimitée, même pour les actions de tiers autorisés. Ainsi la responsabilité illimitée paraît une chose toute naturelle et légitime dans la société en nom collectif, parce que l’existence de la société se lie étroitement à leurs personnalités, parce que la société disparaît avec le décès ou la retraite d'un des associés. parce que tous ont le droit de gestion, parce que les résolutions impliquent le principe de l'unanimité ou d’un veto sans réserves. Dans ces conditions, la responsabilité illimitée se justifie d'elle-même.
Mais en est-il de même dans les sociétés coopératives ? Ce sont bien encore des associations de personnes, mais l'individualité des associés ne constitue plus l'élément essentiel, principal de l’association.
Les associés ne sont plus limités quant au nombre ; ils changent facilement ; leur sortie ne contrarie en rien l'existence de la société ; enfin, leur nombre peut devenir tellement grand, que chaque membre ne peut plus gérer les affaires communes, ni même exercer sur elles une surveillance directe. Dans ce ces, le principe de la responsabilité illimitée ne correspond plus à la nature des choses. Aussi, dans la loi fédérale, l'organisation intérieure des sociétés coopératives n'est pas calquée sur celle des sociétés en nom collectif, mais des sociétés par actions. Les coopérateurs ont un conseil d'administration, un conseil de surveillance, des assemblées générales, la majorité et non l'unanimité est requise pour les résolutions ; enfin, tout associé comme tel ne peut pas s'immiscer dans l'administration, et la répartition des pertes ou des bénéfices se fait d'après les parts des sociétaires. Il n'y a que le droit de vote qui se compte par tête.
La différence principale entre la société coopérative et les sociétés par actions, abstraction faite de la solidarité limitée ou illimité, consiste en ceci que le sociétaire reprend sa part en cas de mort, de sortie volontaire ou d'exclusion, tandis que, dans les sociétés par actions, celles-ci restent dans la société et ne peuvent être que transférées.
Il est clair qu'au sein de sociétés de cette espèce, le principe de la responsabilité illimitée des sociétaires, examiné au point de vue juridique, n'est plus un principe naturel, ressortant de l'organisation même de la société, mais une disposition supplémentaire introduite pour renforcer le crédit de la société et pour atteindre un but plus spécialement moralisateur. La responsabilité absolue des associés n'est plus ici pour eux une obligation primaire, à laquelle il leur est défendu de se soustraire, c'est une caution supplémentaire qu'ils donnent à la société.
Là gît aussi le côté faible de l'institution. Les malversations, la légèreté d'un gérant peuvent compromettre tout l'avoir des associés solidaires. Qu'un gérant achète, au lieu de 10 balles, 1,000 balles de café, délivrant des traites sur la société en payement de la créance, voilà chaque associé ruiné dans le présent et dans l'avenir sans avoir eu même la ressource d'intervenir en temps utile pour éviter le désastre. Pourquoi, en de telles circonstances, serait-il pas permis aux sociétaires de limiter leurs risques ? Pourquoi toute la personnalité doit-elle répondre dans des opérations aussi limitées de leur nature que le sont les opérations d'une société de consommation, d'achat en commun de matières premières ou même d'avances ?
Les lois de l'économie sont applicables aussi la garantie. A un but limité, doivent correspondre des moyens d'action limités. De même que dans les sociétés par actions les grands capitalistes peuvent limiter leurs risques ; de même dans les sociétés coopératives les plus dépourvues, les plus pauvres, des sociétaires doivent pouvoir dire : Pour acheter mon pain meilleur marché, pour me procurer des matières premières dans de meilleures conditions, pour augmenter mon outillage par une demande de crédit, je consens à engager une partie de mes épargnes ou des épargnes que je pourrai me constituer en entrant dans la société : que le créancier vérifie ce que vaut, dans cette mesure, ma solvabilité.
Tout en précisant ainsi le caractère de la responsabilité dans les sociétés coopératives, le congrès des jurisconsultes a cependant mis une réserve aux droits des sociétés basées sur la solidarité limitée et divisée.
Il a demandé que, dans ce cas, une partie du capital fût réalisée, qu'un versement fût effectué sur les engagements contractés par les associés, parce qu'il est parti de cette donnée que lorsque les organisateurs des sociétés coopératives du nord soutiennent que la société coopérative est une association sans capitaux, basée uniquement sur l'honneur des associés, ils forcent le principe, qu'en réalité la société coopérative n'est pas une société se constituant sans capitaux, mais avec un capital excessivement faible.
Le congrès de Heidelberg demande que, lorsque les sociétés coopératives admettent la responsabilité limitée et divisée, une part, si minime qu'elle soit, du capital souscrit soit versée avant l'ouverture des opérations.
Il résulte de là que le projet de loi dont nous avons sanctionné la principale disposition sera condamné en Allemagne par les légistes du Nord et par ceux du Midi ; par les premiers, parce que nous n'imposons pas le système de la solidarité absolue, par les autres, parce qu'en admettant la responsabilité divisée, nous n’y ajoutons pas la condition d'un versement en espèces.
Est-ce à dire que, pour ma part, je condamne les dispositions déjà votées ? Nullement, je rends hommage, au contraire, à la hardiesse et l'esprit libéral qui a présidé à la rédaction de la loi.
En définitive, c'est une expérience que nous tentons en faveur de la liberté. J'estime, quant à moi, que lorsque en matière législative il y a doute sur les avantages de la liberté ou de la réglementation, le doute doit profiler à la liberté, au moins jusqu'au jour il est prouvé, par des faits, que ses abus vont jusqu'à compromettre l'existence des institutions qu'elle voulait vivifier. En outre, nous ne devons pas perdre de vue que dans notre pays, notre organisation sociale, l'état de nos industries, le développement intellectuel de nos ouvriers inférieurs ne nous permettent pas de leur appliquer des règles auxquelles les ouvriers de l'Allemagne du Nord se sont soumis sans résistance.
C’est donc, je le répète, une expérience que nous allons tenter. Seulement, et c'cst surtout dans ce but que j'ai demandé la parole à propos de ce chapitre, je voudrais que l'expérience pût se faire sans causer trop de dommages ni aux tiers qui s'engageront avec la société coopérative, ni à ces sociétés elles-mêmes. Je voudrais que si une faveur devait être accordée par la législation à l'une ou à l'autre de ces combinaisons, soit de la responsabilité absolue, soit de la responsabilité divisée, la faveur de la loi fût réservée aux sociétés fondées sur la base de la responsabilité absolue. Je crois que c'est surtout cette forme que nous devons chercher à développer.
En effet, messieurs, quelque opinion que l'on professe sur l'une ou l'autre combinaison, qu'on préfère la responsabilité limitée ou qu'on aime mieux la responsabilité absolue, il est incontestable qu'au point de vue économique comme au point de vue de la moralisation des classes laborieuses, la responsabilité absolue est bien préférable.
Au point de vue économique, il est évident que l'on aura plus de confiance dans les sociétés dont tous les membres seront étroitement liés entre eux, qu'on leur accordera plus de crédit qu'aux sociétés dont les membres auront commencé par déclarer qu'ils n'ont pas une confiance absolue les uns dans les autres. Les coopérateurs qui préfèrent cette dernière forme à cause de ses dangers moindres, seront comme un homme qui échangerait un couteau bien tranchant pouvant lui rendre de bons services, mais difficile à manier, contre un couteau émoussé.
Au point de vue de la moralité, également, la question n’est pas douteuse. Il est incontestable que dans une société coopérative dont tous les membres sont solidaires, ceux-ci exerceront les uns sur les autres une surveillance beaucoup plus active que dans une société où la responsabilité est limitée et divisée. On y sera beaucoup plus prudent dans l'admission de nouveaux sociétaires, beaucoup plus empressé d'exclure les éléments véreux. L'inconduite de l'associé, de sa femme ou de ses enfants, le désordre se mettant dans son ménage, le goût da plaisir s'emparant de lui, ses compagnons le repousseront pour diminuer leurs risques. De même le corps social exercera sur les gérants une surveillance plus assidue, les opérations seront conduites avec plus d'intelligence de circonspection.
Au point de vue économique, comme au point de vue de la moralisation des coopérateurs, le législateur doit donc accorder toutes ses préférences aux sociétés qui auront recours à la responsabilité absolue.
Enfin, messieurs, et je n'ai pas besoin d'insister sur ce point, les intérêts des tiers seront beaucoup mieux sauvegardés dans ces sociétés.
Je dis donc qu'il faudrait, non pas imposer cette forme de la responsabilité absolue, mais l'encourager, la faciliter, en ajoutant à la loi quelques dispositions qui lui manquent encore, et qui ne feraient plus reculer les coopérateurs devant les risques auxquels les expose la responsabilité absolue.
Les sociétés de coopération qui existent déjà en Belgique sont animées, sous ce rapport, d’un excellent esprit. La majorité d'entre elles, se modelant sur la législation allemande, ont adopté la responsabilité absolue. La banque populaire qui fonctionne à Liége repose, je crois, sur ce principe. Il en est de même des banques établies à Verviers et à Gand, ce sont les plus solides et les plus prospères.
De plus, dans un congrès de coopérateurs qui s'est tenu au mois de septembre à Liége, l'assemblée s'est prononcée en faveur de la responsabilité absolue.
(page 720) Mais je crains qu'avec la législation que nous discutons aujourd'hui, les sociétaires, à raison des dangers qu'ils peuvent courir, ne soient entraînés à préférer la responsabilité limitée. L'homme peut bien reconnaître en théorie que telle forme est meilleure que telle autre ; mais lorsqu'il se trouve en présence de risques plus ou moins grands, il peut être tenté de préférer la forme qui les diminue le plus.
D'ailleurs, il y a, dans la loi, des dispositions qui rendent cette responsabilité très lourde.
Ainsi, hier, il a été décidé qu'elle se prolongera pendant un terme de cinq années après la retraite du sociétaire.
L'honorable M. de Rossius a fait observer, avec raison, que c'était là un terme fort long. M. le ministre de la justice lui a répondu, avec non moins de vérité, que c'était une des conséquences des grands privilèges concédés aux sociétés coopératives.
J'aurais moi-même proposé un amendement ayant pour objet de réduire la durée de la responsabilité à deux années, limite admise par la législation de l'Allemagne du Nord, si je n'avais pas été retenu par l’esprit libéral qui préside à d'autres dispositions de la loi.
La loi fédérale de l'Allemagne du Nord a trouvé un moyen ingénieux d'atténuer ce que la responsabilité absolue peut avoir de trop dangereux pour les associés.
C'est ce moyen que je voudrais recommander à l’examen du gouvernement de la section centrale.
Il consiste à déterminer d'une façon précise comment, en cas de liquidation ou de faillite, le principe de la solidarité devra fonctionner.
L'honorable M. Guillery a eu l'excellente idée d'ajouter à son rapport la législation prussienne.
Si je ne fatigue pas la Chambre, je lui demanderai de pouvoir compléter cette communication par une analyse sommaire des articles que la législation fédérale a ajoutés à la législation prussienne après que celle-ci eut fonctionné pendant trois ans et révélé ces lacunes.
Voici quelles sont, par rapport aux conditions de liquidation de la société coopérative, les dispositions imaginées par la loi fédérale. Elle dispose, dans ses articles 52 et suivants, que lorsqu'il y a lieu de procéder à la liquidation d'une société coopérative, soit à cause de faillite, soit autrement, le conseil d'administration ou les liquidateurs doivent établir l’état de répartition de la part contributive due par chaque associé à raison du passif de la société.
En cas de refus de retard de payement des quotes-parts dues par les sociétaires, le conseil d'administration ou les liquidateurs obtiennent, pour cet état de répartition, force exécutoire, en vertu d’un jugement.
Suivent alors certaines opérations de procédure sur lesquelles je passe pour ne pas prolonger cet exposé. Elles ont pour but d'activer le recouvrement si l'appel du conseil ou des liquidateurs reste sans effet ou de sauvegarder les droits des associés qui auraient été lésés par l'état de répartition.
Lorsque les administrateurs ou liquidateurs ne sont pas en mesure de remplir leurs obligations, ce sont des personnes spéciales, sociétaires ou non, qui sont appointées par la justice pour remplir leur mandat.
Il est bien entendu que cette procédure préalable ne détruit en rien les droits des créanciers de la société à attaquer les sociétaires solidaires pour le déficit social.
Ces dispositions de la loi fédérale reposent sur trois principes importants, le premier, c'est que la société est discutée avant qu’on discute les associés, ou l'un d'entre eux. Les sociétaires deviennent en quelque sorte les garants, la caution de la société elle-même.
En second lieu, ce sont les liquidateurs les administrateurs qui agissent, c'est-à-dire la société elle-même, mode bien préférable à celui qui autorise et oblige le tiers à s’attaquer au premier sociétaire venu, sauf à celui-ci à exercer ses droits de répétition contre tel ou tel de ses associés ; enfin le droit pour les tiers d’agir contre les sociétaires reste debout et sert de stimulant à l'action des conseils d'administration ou des liquidateurs pour la rentrée des sommes dues par les sociétaires.
Ces dispositions, qui font défaut dans la loi qui nous est présentée, ont ce grand avantage d'empêcher les procès de s'accumuler et de se greffer les uns sur les autres ; elles mettent aussi les sociétaires les plus honnêtes et les plus dévoués à l'œuvre commune à l'abri des poursuites de créanciers malintentionnés, à l'abri de réclamations qui pourraient les mettre dans une situation exceptionnellement critique, surtout si à l'heure où le danger éclate ils n'ont plus qu'une action individuelle contre des associés disposés à s'éparpiller.
Ces complications se sont présentées en Allemagne à différentes reprises et c'est pour y obvier que la législature a cru devoir indiquer la procédure à suivre en cas de faillite ou de liquidation.
Les mêmes inconvénients peuvent se produire chez nous.
Les sociétés coopératives qui existent à Liége et à Gand sont présidées ou dirigées par des personnes qui offrent des garanties fortunes spéciales. Si ces associations venaient à faire de mauvaises affaires, les créanciers s'adresseraient à ces personnes qui ont agi par bienveillance, par amour du progrès, dans l'intérêt des ouvriers, leurs associés.
Après avoir consacré leur temps et leur argent à l’œuvre commune, serait-il juste qu'elles fussent exposées à des risques exceptionnels ? Si des modifications ne sont pas introduites sous ce rapport dans la loi, vous arriveriez à cette conséquence, ou bien qu'aucun homme d’une valeur soit morale soit matérielle ne consentira plus à entrer dans une société coopérative à responsabilité illimitée, à moins d’avoir en main la présidence et la gestion à perpétuité ou bien qu'ayant la faculté de choisir l'une ou l'autre forme de responsabilité, il sera tenté de donner la préférence à la société coopérative solidarité limitée et divisée. Sa conscience et sa raison lui diront que l'autre forme est préférable, mais son intérêt sera en opposition avec sa raison. N'est-il pas à craindre que dans ce cas son intérêt ne fasse fléchir sa raison ?
Je n'hésite pas à le dire, si nous avons bien fait de laisser aux associés la latitude de prendre l'une ou l'autre forme de responsabilité, si nous avons bien fait de ne pas leur imposer la forme de la responsabilité absolue, celle-ci est cependant préférable à l’autre et si, à raison même de la législation, la responsabilité divisée devait prévaloir, le mouvement coopératif en Belgique ne produirait rien, ou ne produirait que des résultats désastreux.
Pour le moment, je n'ai pas de proposition à présenter. La question n'a pas été suffisamment étudiée. pour qu'un amendement ait chance d’être adopté. Puis je voudrais que le gouvernement eût examiné la valeur de mes observations. Tout ce que je désire, c'est qu'il réfléchisse à la lacune que je lui signale et qu'il me donne la satisfaction que je demande soit à l’occasion de la sixième section qui traite de la liquidation des sociétés, soit par une disposition spéciale à ajouter ultérieurement à la loi. Jusqu'à un certain point, M. le ministre de la justice est déjà entré dans mes vues.
Ainsi, je trouve, dans les amendements supplémentaires qu'il a présentés, un article 16, qui dit : « Les jugements rendus contre un associé ne pourront être exécutés que par les créanciers qui auront obtenu une condamnation contre l'associé. » C'est un commencement, mais cela ne me satisfait pas encore. il ne suffit pas d'indiquer dans la législation qu'il faudra avoir obtenu une condamnation contre la société pour pouvoir prendre l'associé à partie ; il faudrait aussi que la législation traçât les lignes générales de la procédure à suivre pour le recouvrement des créances.
Il faudrait d'abord imposer à la société elle-même l'obligation de poursuivre les sociétaires en exécution de leurs engagements et des dettes de la société. Ce n'est qu'après épuisement de cette procédure et après un délai déterminé que le créancier devrait pouvoir exercer ses droits contre l'associé.
Ainsi complétée, notre législation deviendrait une des plus libérales et des plus efficaces qui existent sur la matière.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - L'honorable membre n'a pas attaqué le projet de loi ; au contraire, il a rendu hommage aux idées libérales qui avaient inspiré sa rédaction. Sous ce rapport, je remercie l'honorable membre des éloges qu'il a adressés au projet de loi.
Mais, messieurs, vous me permettrez de présenter quelques observations en réponse aux remarques de l'honorable membre, lesquelles n'avaient pas échappé à l'attention du gouvernement.
L'honorable M. Couvreur a défendu le système en vigueur dans l’Allemagne du Nord, et qui a été introduit par M. Schultze-Delisch, c'est-à-dire te système de la solidarité absolue entre tous les associés dans les sociétés coopératives.
Mais l'honorable membra n'a pas fait connaître à l'assemblée quelles sont les conditions spéciales dans lesquelles se trouve l'Allemagne da Nord, et qui font que les sociétés dont les membres sont solidaires ont réussi préférablement aux sociétés à responsabilité limitée.
Ce n'est qu'à partir de 1860 que les petites industries n'ont plus été autorisées à se constituer en corporations closes, c'est-à-dire avec jouissance du monopole, La grande révolution que les corporations ont subie chez nous n'a été faite que très tardivement en Allemagne et il est arrivé que quand le mouvement coopératif y a pris naissance, il y a trouvé un terrain où il pouvait semer en toute sécurité. Les corporations closes avaient été remplacées par les corporations libres, dans lesquelles l'esprit de confraternité et de solidarité régnait entre tous les membres.
Mais, messieurs, aujourd'hui, en France et en Belgique, il n'y a plus de lien entre les ouvriers, entre les petits artisans. Sous le régime de la (page 721) corporation, les ouvriers se tiennent ; on ne peut pas en admettre dans la corporation appartenant à d'autres professions ; ils font cause commune pour arriver à un but déterminé.
Voilà ce qui fait que les sociétés avec la solidarité ont pu parfaitement prospérer en Allemagne, tandis qu'elles n'ont pas réussi ailleurs. Et c'est pour avoir méconnu ce fait historique, que M. Schultze•Delitsch et ses partisans se sont montrés exclusifs.
Le contrat de société qu'ils ont imaginé a un caractère local, particulier aux besoins de l'Allemagne du Nord, et il est évident que si la cohésion, la confraternité qui existe entre tous les ouvriers de l'Allemagne du Nord venait à cesser, on serait obligé de prendre de nouvelles dispositions.
Ce mouvement déjà s'opère, l'honorable membre vous a signalé que le Congrès des jurisconsultes avait admis un autre système et il existe un grand nombre de sociétés qui n'ont pas le système de la solidarité, nota ment en Saxe, en Bavière, en Wurtemberg ; il y en a aussi en Prusse qui veulent se constituer dans ce sens, mais elles ne sont pas admises et la législation sera obligée de leur faire des concessions.
Cc que je viens de dire explique le grand mouvement coopératif dans l'Allemagne du Nord. On s’étonne que nous n'ayons pas en Belgique ni en France plus de sociétés coopératives, mais cela résulte de ce que les sociétés coopératives allemandes sont en quelque sorte des corporations ouvrières avec un développement résultant de l'extension de l’esprit commercial et industriel, et aussi de ce que les systèmes de banque sont mieux compris ; la cause véritable du grand succès des sociétés coopératives en Allemagne, c'est précisément parce que le système des corporations, des monopoles a été supprimé. Il y avait 2,600 sociétés coopératives en 1868.
Savez-vous quel est le chiffre d'affaires auquel ces sociétés sont arrivées ? Ce chiffre d'affaires s'est élevé à deux cent dix millions de thalers, soit sept cent quatre-vingt-sept millions et demi de francs, bien près d'un milliard.
Je dois dire, messieurs, que le plus grand nombre de ces sociétés sont des banques populaires. Ces banques ne sont pas faites pour les ouvriers, mais pour les artisans qui exercent une petite industrie ; elles s'étendent même à des gens de professions libérales, qui viennent apporter leur argent et faire des emprunts. Souvent ces banques populaires se sont converties en banques de dépôts dans beaucoup de parties de l'Allemagne.
Après cela, messieurs, il y a encore d'autres formes de société, qu'il serait peut-être désirable de voir s'introduire en Belgique ; il y a notamment des sociétés de magasins.
Ainsi, les ouvriers travaillant chez n'ont pas toujours les moyens de vendre leurs produits, et c'est dans ces magasins où les ouvriers peuvent déposer leurs ouvrages que le public peut venir les visiter, ce qui constitue évidemment un débit convenable et sérieux pour l'ouvrier, qui aujourd'hui est obligé de céder ses ouvrages à des intermédiaires à très bas prix, tandis que s'il existait ici des magasins comme il y en a Mayence et à Berlin, l'ouvrier posséderait un moyen de vendre ses produits des prix convenables.
Tous les objets sont déposés dans un magasin à l'inspection du public ; une commission est chargée de fixer et de déterminer la valeur des objets, elle prélève un tantième sur le prix de vente, afin de couvrir les frais d'administration.
Il y a encore d'autres sociétés de coopération très utiles, ce sont celles qui ont pour but l'achat d'outils de travail et qui les louent moyennant une somme minime. Ces sociétés ont rendu de grands services ; on leur doit notamment une part des progrès de l'agriculture. Elles louent aux fermiers des machines à battre le blé, etc.
Il ne faut pas, messieurs, trop vanter le système de la solidarité ; il sera toujours très difficile à faire admettre en dehors des groupes d'ouvriers exerçant la même industrie, qui ont les mêmes besoins, qui sont à peu près sûrs d'avoir le monopole du marché. Là, la solidarité est possible, parce que tous se connaissent, tous savent ce qu'ils peuvent gagner et à quoi ils peuvent s'engager.
Mais là où la solidarité est destructive de la société, c'est la société de consommation. Les sociétés de consommation se composent d'une foule d'ouvriers appartenant à toutes sortes d'industries, qui sont inconnus les uns aux autres et qui veulent acheter des denrées au meilleur marché possible.
Il y a, messieurs, deux espèces de sociétés de consommation.
Il y a celles qui achètent elles-mêmes les produits et qui les revendent un prix déterminé et il y a les sociétés de consommation qui traitent avec des commerçants. Elles donnent des marques à leurs associés pour aller acheter des denrées chez certains commerçants qui vendent un prix inférieur au prix courant.
Il est certain que dans de pareilles sociétés le système de la solidarité n’est pas admissible ; personne ne voudra s'engager solidairement à supporter les dépenses de pareils achats faits par des inconnus, tandis que dans les sociétés formées dans le même croupe d'ouvriers, où l'on se connaît, il est certain que la solidarité pourra exister.
M. Couvreurµ. - C’est pour cela que vous avez très bien fait de décréter la liberté !
M. le ministre de la justice (M. Bara). - C'est pour cela que l'Allemagne a très mal fait, selon moi, et elle n'a pu le faire qu’en raison de conditions spéciales, de prescrire le système de la responsabilité limitée. C'est pour vous prouver une fois de plus qu'on a tort de s'imaginer, au point de vue économique, que ce sont toujours les systèmes déterminés et exclusifs qui sont les meilleurs.
Il faut, messieurs, empêcher la fraude, il faut empêcher qu'à l'aide de la loi on ne puisse tromper les actionnaires, on ne puisse tromper les tiers.
L'honorable membre a appelé ensuite l'attention du gouvernement sur la liquidation qui a été admise par la loi dans l'Allemagne du Nord. Nous connaissons ce système et nous ne pouvons pas l'admettre.
L'honorable membre comprendra très vite que ce système n'est pas possible pour la Belgique.
D'abord, messieurs, le système de l'Allemagne, si ce n'était la grande honorabilité, le grand crédit de ses corporations d'ouvriers, réduirait à fort peu de chose la solidarité.
En effet, la responsabilité n'existe que pour deux ans : les associés ne sont responsables que pour deux ans.
Et comment va s'exercer cette solidarité ? Le juge, quand ce n'est pas quelquefois l'administration elle-même, dresse un tableau de répartition, et il indique qu'un tel et un tel sont solvables et qu'un tel et un tel ne le sont pas. Ce tableau est exécutoire.
Si maintenant l'on trouve des insolvables, il faut encore qu'on prenne leur part et qu'on la divise entre les solvables.
Quelle est alors la position des intéressés ? C'est de devoir intenter un grand procès contre les actionnaires déclarés insolvables ou contre la décision décrétant le tableau.
Aussi j'aime beaucoup mieux notre système nous qui permet à tous les sociétaires de prendre leur recours contre la société et contre les associés dans la limite de leurs engagements.
D'ailleurs, je suis convaincu que si l'on voulait implanter ce système en Belgique, nous aurions demain une foule de réclamations.
Je crois donc, messieurs, qu'il vaut mieux, pour le moment, s'en tenir aux dispositions qui ont été présentées par le gouvernement et attendre les résultats de l'expérience qui sera faite.
S'il y a des difficultés que l'exécution de la loi révèlera, la législature pourra prendre des mesures ultérieures.
Nous ne nous faisons pas illusion sur le projet de loi ; nous n'osons pas espérer qu'il développera considérablement, en Belgique, les sociétés coopératives.
Il n'y avait aucune difficulté pour former des sociétés coopératives à la façon de M. Schulte-Delitsch ; seulement, la responsabilité était un peu plus longue. Eh bien, vous n'avez pas vu se former de ces sociétés. et je dois le dire, les sociétés coopératives, si elles devaient faire faillite, ne donneraient pas grand-chose aux créanciers. Qu'est-ce que la solidarité exercée contre 2,000 à 3,000 ouvriers ? C'est une affaire très difficile ; ce serait une action qui coûterait plus cher que ce que vous pourriez retirer.
Je pense donc que si la société coopérative n'a pas pris plus de développements qu’elle n'en a eus, c'est parce que les mœurs du pays s’y opposent. La preuve de ce fait, c'est qu’en France la société coopérative ne s'est pas développée. Elle n'y prospère pas du tout.
Mais je vais donner à l'honorable M. Couvreur une preuve de plus : c'est ce qui existe en Allemagne. Les sociétés de production y sont complètement tombées. Il n'en existe plus que quatre ou cinq dans toute l'Allemagne du Nord. Et cependant les socialistes, les gens qui rêvaient la réforme de la société en associant les ouvriers aux bénéfices du capital, disaient : Formons des sociétés de production. Eh bien, je le répète, dans toute l'Allemagne du Nord, il n'en existe plus que quatre ou cinq, et dans chacune de ces sociétés, on ne compte pas plus de trois ou quatre personnes. Ce ne sont plus de véritables sociétés ouvrières de production, ce sont des maîtres-ouvriers, qui ont fait une certaine fortune, qui ont amassé de petits capitaux et qui se sont unis pour former une société. Mais celles qui demandaient à associer l'ouvrier au capital n'existent pas. Il y en a quelques-unes en France ; il n'en existe plus en Allemagne.
(page 722) On n'a pu faire réussir les sociétés coopératives qu’en matière de banques populaires, de sociétés de consommation. de sociétés de magasin et de travail, c'est-à-dire pour ces dernières, les sociétés agricoles pour achats d'outils, etc.. mais pour les sociétés de production, celles qu'on considérait comme la solution du grand problème social, qui devaient associer l’ouvrier avec le maître, qui devaient faire que le travail prendrait une part égale à celle du capital dans les bénéfices de l'industrie, celles-là sont restées lettre morte.
Si l'assemblé m'y autorise, je ferai imprimer un travail très remarquable, qui a été fait par un professeur de Gand, M. Waelbroeck, envoyé expressément par moi en Allemagne pour étudier la situation de ces diverses sociétés, et vous verrez quelle est cette situation. Je suppose que la Chambre m'autorisera à publier ce travail ?
- Des membres. - Oui ! oui !
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je crois donc, tout en remerciant l'honorable membre des Observations qu'il a bien voulu faire, qu’il n'y a pas lieu de changer le projet, et que le mieux est de ne pas en arrêter le vote.
M. Vermeireµ. - Messieurs, mon intention n'est pas non plus de discuter le projet de loi qui nous est soumis.
Le gouvernement remplit toujours un grand devoir quand il soumet à nos délibérations des projets qui ont pour but de soulager, dans la mesure du possible, les maux et les souffrances de la société. Cependant, messieurs, le projet de loi que nous discutons n'a-t-il pas, en quelque sorte, pour effet de rétablir les anciennes corporations, les anciennes gildes où la solidarité entre ouvriers avait pour but la production industrielle ? N'est-ce pas rétablir cette solidarité qui, comparée à la liberté individuelle, est plutôt nuisible qu'utile aux Etats ?
Aussi, messieurs, contre ces associations d'autrefois, la révolution de 1789 est venue réagir ; toutes les sociétés, toutes les corporations de métiers ont été abolies ; leurs privilèges leur ont été enlevés pour rendre hommage à l'activité individuelle.
Certes, il serait beau si, au moyen de l'association, les intérêts combinés de ceux dont Ile projet de loi s'occupe tout particulièrement pouvaient atteindre à une plus grande prospérité ; de même que ceux de l'industrie et du commerce ont grandi par l'association des capitaux et des efforts individuels.
Cependant, messieurs, ici les sociétés. et je parle principalement des sociétés qui ont pour but d'acheter des denrées pour les revendre aux sociétaires à des prix moins élevés que ne les vend le commerce, le résultat utile peut être difficilement obtenu, à cause des frais et des commissions dont ces marchandises sont chargées.
Il reste, dès lors, à examiner si ces commissions et ces frais réunis ne sont pas plus élevés que le bénéfice que prend le commerce particulier.
Je crois donc qu'il faut laisser à l'individualité toute la liberté possible et que le gouvernement, pas plus dans cette affaire que dans les autres, ne doit intervenir.
S'il y a bénéfice pour les ouvriers à s'associer, il faut qu'ils puissent faire comme ils l'entendent, puisqu'ils y sont les premiers intéressés ; il faut qu'ils puissent examiner par eux-mêmes où est leur intérêt.
Messieurs, dans une fabrique que je connais plus particulièrement, on avait, en 1816 et en 1817, époque de grande calamité, acheté du grain ; on avait fait du pain et on le donnait aux ouvriers au prix de revient.
La famine ayant disparu en 1818 et en 1819, et le grain étant revenu au prix normal, aucun ouvrier n'alla plus à la société, précisément parce que l'industrie particulière pouvait alors donner le pain à meilleur compte que la boulangerie économique des ouvriers.
En 1847, nous avons fondé dans ma commune une société économique, nous avons fait cuire du pain, nous avons acheté du bétail, nous ayons fait des soupes économiques. Pour couvrir les frais, nous avions fait une collecte qui avait produit une somme de 10,000 francs. Avec ces 10,000 fr., nous pouvions opérer et nous revendions encore à prix réduit les soupes économiques, la viande, le pain et les pommes de terre. Nous avions commencé nos opérations au mois de novembre et les avions terminées au mois de juillet suivant.
Lorsque les nouvelles récoltes sont arrivées, lorsque les denrées ont été vendues à leur prix normal, quoique nous vendions à prix réduit, on n'est plus venu à notre boutique.
Pourquoi ? Précisément parce que l'intérêt individuel agissait alors et que les particuliers donnaient à meilleur prix que nous, toujours, quoique nous perdions de l'argent.
Je ne veux pas exagérer les effets que produira la coopération.
Je crois que ces effets seront nuls dans l’avenir, comme ils l'ont été dans le passé et comme ils le sont dans le présent.
Ce n'est pas cependant un motif pour que je vote contre le projet. Je rends hommage aux tentatives nouvelles que font le gouvernement et la Chambre pour améliorer le sort de la classe ouvrière et nécessiteuse.
Je voudrais même quelque chose de plus. Je désirerais qu'à côté de ce que nous faisons dans leur intérêt matériel, nous fissions quelque chose de plus dans leur intérêt intellectuel et moral ; et, qu'au lieu de toujours leur prêcher leurs droits et d'augmenter leurs exigences souvent exagérées, on leur apprit un peu plus à connaître les devoirs qu'ils ont à remplir envers eux-mêmes, envers la société, envers l'industrie et le commerce, qu'ils doivent dans leur propre intérêt aider à faire prospérer.
Par de malheureuses exagérations nous ne voyons que trop souvent naître des coalitions et de tristes grèves si obstatives à toute prospérité.
Le premier devoir du gouvernement est de moraliser les ouvriers. Il doit surtout leur enseigner les devoirs qu'ils ont à remplir au lieu de leur dépeindre toujours leurs droits sous des proportions exagérées. Cette manière d'agir n'a d'autre résultat que d'engendrer des crimes et de graves méfaits contre la société.
Il faut leur dire ce qu'ils sont dans la société, comme chrétiens, comme citoyens, et quels sont les devoirs qu'ils ont remplir sous ce double rapport.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, je ne me lève pas pour combattre l'honorable membre. Il n'a, du reste, pas attaqué le projet de loi. Au contraire, il a promis de l'appuyer de son vote.
Mais l'honorable membre se trompe lorsqu'il s'imagine que les sociétés coopératives ont pour but de rétablir les anciennes gildes et les corporations.
C'est là un argument par lequel on a attaqué les sociétés coopératives et qui doit être repoussé.
Les gildes et les corporations étaient closes, c'est-à-dire qu'on ne pouvait y entrer que moyennant une admission subordonnée à certaines conditions.
Actuellement, messieurs, chacun est libre de travailler comme il l’entend, et en instituant le contrat pour sociétés coopératives, nous ne faisons que ce qui a été fait au XIIIème siècle pour les sociétés en commandite et plus tard pour les sociétés anonymes.
Mais cela est exclusif de toute idée de privilège et de monopole.
C’est un moyen de plus donné à l'ouvrier de faire fructifier ses épargnes et ses ressources professionnelles, et ce moyen doit être accueilli d'autant plus favorablement, qu'il désabuse l’ouvrier de certaines idées dont il était pénétré.
On lui avait fait trop répéter qu'il devait demander aide et protection au gouvernement ; que c'était une charité qu'on lui donnait, eh bien, notre projet tient un autre langage.
Il dit à l'ouvrier : Vous ne devez rien demander à l'aumône, vous ne devez rien demander au gouvernement ; vous devez former des sociétés avec votre argent, par votre travail et votre initiative ; et le personnel de vos sociétés, depuis le directeur jusqu'au dernier commis, doit être rémunéré de ses travaux ; il faut, en un mot, que les sociétés coopératives que vous voulez créer soient constituées d'après les règles du travail et avec la rémunération qu'on doit accorder au travail. Ainsi l'ouvrier n'obtiendra rien ni de la faveur gouvernementale ni du patronage de telle ou telle personne riche ; c'est par son travail et son activité qu'il devra constituer et faire vivre ses sociétés. Seulement ainsi, elles réussiront.
Je crois qu'en tenant ce langage à l'ouvrier, en lui mettant en mains les moyens de réaliser de telles idées, on élève son intelligence et son âme et on lui fait comprendre ses droits en même temps que ses devoirs. L'ouvrier qui entrera dans de pareilles sociétés apprendra combien l'ordre est indispensable pour réussir.
L'honorable préopinant vous a dit que ces sociétés ne se développeront pas. Je crois qu'il n'est pas bon de faire de ces prophéties. Si les sociétés coopératives peuvent se développer, ce dont on peut douter en présence de ce qui s'est passé, mais ce dont il ne faut pas désespérer, il faut les aider et engager à en créer.
Ces sociétés peuvent se développer ; je n'en veux pour preuve que ce qui s'est passé en Allemagne à propos de sociétés de consommation.
En 1864, avant la loi prussienne et la loi fédérale, il n'y avait que 97 sociétés de consommation ; en 1868 il y en avait 350. C'est là un mouvement dont nous devons tenir compte et qui doit encourager les personnes qui ont l'intention de former de pareilles sociétés.
Je ne puis partager l'opinion de l'honorable préopinant qu'il n'est pas possible de former des sociétés où les consommations se vendraient à meilleur marché que chez le commerçant. Si les boutiquiers vendaient à meilleur marché que les sociétés de consommation, quel serait l'ouvrier assez (page 723) peu soucieux de ses intérêts pour aller se fournir à cette société plutôt qu’ailleurs ?
En France, on a créé des sociétés de consommation où l’on vendait, non seulement aux sociétaires, mais encore à des non-associés ; eh bien, ces sociétés font d’excellentes affaires, même en vendant à des tiers.
Messieurs, je crois que, sous le rapport matériel, nous avons fait une chose utile en présentant notre projet.
Sous le rapport moral, le gouvernement n'a pas non plus négligé sa tâche ; le budget de l'instruction publique est considérablement augmenté, chaque année on vote de nouveaux subsides pour l'enseignement. On crée de écoles ; on a créé des écoles d'adultes, où l'ouvrier pourra apprendre à devenir un citoyen et à connaître ses droits et ses devoirs.
Il faut tenir compte de tout cela au gouvernement et reconnaitre que si, dans l'ordre matériel, il fait ce qu’il peut pour développer le bien-être de l'ouvrier, dans l’ordre moral il s’efforce de le mettre à même de s'élever et de supporter avec résignation la situation qui lui est faite dans la société et avec l'espérance fondée d'un avenir meilleur.
« Art. 80. Chaque année, à l'époque fixée par les statuts, l'administration dresse un inventaire dans la forme prescrite par l'article 54.
« Un fonds de réserve sera formé de la manière déterminée par ledit article. »
- Adopté.
« Art. 81. Dans tous les actes, factures, annonces, publications et autres pièces émanées des sociétés coopératives, on doit trouver la dénomination sociale précédée suivie immédiatement de ces mots, écrits lisiblement et en toutes lettres : Société coopérative. »
- Adopté.
« Art. 82. Toute personne qui interviendra, pour une société coopérative, dans un acte où la prescription de l'article précédent ne sera pas remplie pourra, suivant les circonstances, être déclarée personnellement responsable des engagements qui y sont pris par la société. »
- Adopté.
« Art. 83. Le bilan sera déposé, dans les quinze jours sa date, aux greffes du tribunal civil et du tribunal de commerce du siège de la société. »
M. de Rossiusµ. - Je demanderai à M. le ministre s'il verrait quelque inconvénient à accorder un délai de trente jours au lieu de quinze pour le dépôt du bilan. L'article est applicable aux unions de crédit et pour ces sociétés il serait bien difficile d'établir leur bilan dans un délai de quinze jours.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - On a admis le même délai pour les sociétés anonymes.
M. de Rossiusµ. - Le délai de quinze jours est évidemment trop court. Le bilan doit porter la date de la clôture de l'exercice ; or, il serait impossible de dresser le bilan et de le déposer dans les quinze jours de sa date ; c'est pourquoi je demande que le délai soit porté à trente jours.
Je dois dire que cette observation été faite par un des administrateurs de l'Union du crédit de Liége.
Je demanderai aussi la suppression de l'obligation de faire le dépôt du bilan au greffe du tribunal civil. J
Je ne sais pas ce que le tribunal civil peut avoir à faire ici.
Je propose donc de rédiger comme suit l'article 83 :
« Le bilan sera déposé, dans les trente jours de sa date, au greffe du tribunal de commerce du siège de la société. »
- Cet amendement est appuyé.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Le véritable sens de cet article, c'est d'exiger le dépôt du bilan dans les quinze jours de la date de son approbation. Pour les sociétés anonymes, le bilan et le compte doivent être déposés au local du siège de la société quinze jours avant l'assemblée générale. Je crois donc qu'on ferait droit à l'observation de l'honorable membre en disant : le bilan sera déposé dans les quinze jours de la date de son approbation.
M. Guillery, rapporteur. - Comme à l’article 61, où il est dit :
« Le bilan et le compte des profits et pertes doivent, dans la quinzaine après leur approbation, être publiés, etc. »
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je crois que les mots « de son approbation » ont été oubliés.
Quant à la suppression de l'obligation da dépôt au greffe du tribunal civil, je rallie.
On dirait donc :
« Le bilan sera déposé, dans les quinze jours de la date de son approbation, au greffe du tribunal de commerce. »
- Cette rédaction est adoptée.
« Art. 84. Celui ou ceux qui gèrent la société devront déposer tous les six mois, aux mêmes greffes, une liste indiquant, par ordre alphabétique, les noms, professions et demeures de tous les associés, datée et certifiée véritable par les signataires.
« Ceux-ci seront responsables de toute fausse énonciation dans lesdites listes. »
M. Couvreurµ. - La rédaction de cet article n'est pas claire.
« Ceux-ci seront responsables de toute fausse énonciation dans lesdites listes ». Cette phrase se rapporte aux signataires.
Or, ce n'est pas l'esprit de la loi ; ce sont bien ceux qui gèrent la société qui doivent responsables.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Ce sont les mêmes signataires.
M. Couvreurµ. - Bien. Mais j'ai encore une autre observation à présenter. Je demanderai au gouvernement s'il juge nécessaire de faire déposer la liste complète par les gérants. Il peut se faire que les sociétaires soient restés les mêmes, à moins cependant que l'on permette l’impression des listes. Sil fallait les écrire, ce serait un travail considérable pour certaines sociétés.
Ne pourrait-on pas se borner à déposer les variations que la liste des membres subirait ? Je ne vois pas la nécessité de faire déposer chaque fois une liste qui sera la même que les précédentes.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je ne puis adhérer à la demande de l'honorable membre et cela dans l'intérêt même des sociétés coopératives. Il faut évidemment leur donner quelque base solide et pour cela il faut connaître quels sont les membres des sociétés coopératives ; or, s'il faut s'en référer à des listes publiées deux ou trois ans auparavant, cela n'est plus possible.
Du reste, le travail sera excessivement simple et facile à obtenir, car il suffira de biffer sur une liste précédente imprimée les noms des membres qui cessent de faire partie de la société et d'y ajouter les noms des membres nouveaux.
Je ferai encore remarquer que, dans l'article en discussion, le mot « greffes », qui se trouve au pluriel, doit être mis au singulier.
M. de Rossiusµ. - Je crois qu'il est entendu que l'article 84 ne doit être appliqué qu'aux sociétés à personnel variable.
Pour les autres, je ne pense pas qu'il soit nécessaire d'exiger la publication de la liste des membres tous les six mois, et si vous exigez par la publication la reproduction de la liste précédente, je n'ai plus d'observation à faire.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Dans les sociétés à personnel invariable, ce qui sera l'exception très rare, il peut y avoir des décès, des déconfitures, des exclusions, etc. ; il faut donc exiger le dépôt de la liste.
M. le président. - Si personne ne demande plus la parole, Je vais mettre l'article aux voix.
- L'article 84 est adopté.
« Art. 85 (nouveau). Les noms des gérants doivent être, aussitôt après leur nomination, remis aux greffes du tribunal civil et du tribunal de commerce. Leurs pouvoirs doivent ure joints.
« Les gérants doivent donner leur signature en présence du greffier ou la faire parvenir au greffe dans la forme authentique. »
M. le président. - Il faut évidemment supprimer, dans cet article, les mots : « civil ».
M. Rogierµ. - S'il n'existe pas de tribunal de commerce dans la localité où siège la société ?
M. le président. - Le tribunal civil en fait les fonctions.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, l'article 85 nouveau ne dit pas par qui doit être fait le dépôt ; de plus, il est un peu long. Je crois donc qu'il vaudrait mieux le rédiger de la manière suivante : « Dans les huit jours de leur nomination, les gérants doivent déposer au greffe du tribunal de commerce un extrait de l'acte constatant leurs pouvoirs. Ils doivent donner leur signature en présence du greffier ou la faire parvenir au greffe dans la forme authentique. »
- L'article 85 nouveau, ainsi modifié, est adopté.
M. le président. - Nous arrivons maintenant à l'article 85 primitif qui devient l'article 86, par suite de l'adjonction de l'article 85 nouveau.
Il est ainsi conçu :
« Le publie est admis à prendre gratuitement connaissance des actes de société coopérative, des listes des membres et des bilans. Chacun peut en demander copie sur papier libre, moyennant payement des frais de greffe. »
M. de Rossiusµ. - Messieurs, cet article porte : « Chacun peut en demander copie sur papier libre, etc. »
(page 724) Est-il bien entendu que l'on pourra soi-même copier les actes de société et les listes des membres et des bilans ?
Il arrive parfois que les greffiers refusent de laisser prendre ces copies.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je crois, messieurs, qu'on peut prendre certaines annotations, mais je ne pense pas qu'on puisse envoyer des commis pour copier tous les actes du greffe. C'est là d'ailleurs une matière qui doit se régler avec le greffier.
M. Couvreurµ. - L'article 85 dit que le public est admis à prendre connaissance des actes de société et des listes des membres.
Or, à l'article 74 il est dit que le procès-verbal relate les faits établissant que l'exclusion a été prononcée conformément aux statuts ; et il ajoute que ce procès-verbal est transcrit sur le registre des membres de la société.
Il semble résulter de la combinaison des deux articles 74 et 85 que le public, en prenant connaissance de la liste des membres de la société, pourra aussi prendre connaissance des faits graves, qui peuvent avoir motivé l'exclusion des sociétaires.
Je ne pense pas que la loi doive être entendue de cette manière ; l'article 85 ne doit évidemment pas s'appliquer à une copie du registre contenant les motifs de l'exclusion qui pourrait être portée contre l’un ou l'autre sociétaire.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je ferai observer à l'honorable. M. Couvreur que ce n'est pas le registre qui est déposé au greffe, que ce n'est que la liste des membres. Le registre contient une foule d'autres choses, les versements, etc.
M. Couvreurµ. - C'est une copie alors.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - C'est une liste que l'administration doit faire et qui comprend tous les membres.
Les membres exclus ne doivent pas s'y trouver.
- L'article est adopté.
M. le président. - Nous avons terminé l'examen des dispositions relatives aux sociétés coopératives.
M. le président. - Nous passons au vote définitif du titre III du livre premier.
« Art. 1er. Les sociétés commerciales sont celles qui ont pour objet des actes de commerce.
« Elles se règlent par les conventions des parties, par les lois particulières au commerce et par le droit civil. »
- Cet article est définitivement adopté.
« Art. 2. La loi reconnaît quatre espèces de sociétés commerciales :
« La société en nom collectif ;
« La société en commandite ;
« La société anonyme ;
« La société coopérative.
« Chacune d'elles constitue une individualité juridique distincte de celle des associés. »
- Adopté.
« Art. 3. Il y a des associations commerciales momentanées et des associations commerciales en participation, auxquelles la loi ne reconnaît aucune individualité juridique. »
M. le président. - M. le ministre de la justice propose de dire :
« Il y a, en outre, des associations commerciales... »
M. de Brouckere. - Je propose de modifier la rédaction. Je crois qu'elle serait meilleure en faisant une interversion et en rédigeant l'article de la manière suivante :
« La loi ne reconnaît aucune individualité juridique ni aux associations commerciales momentanées, ni aux associations commerciales en participation. »
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, la rédaction de l'honorable membre est certainement plus correcte, mais il reste à savoir si, au point de vue juridique, elle est suffisante. L'honorable membre se borne à contester aux associations commerciales momentanées et aux sociétés commerciales en participation l'individualité juridique ; mais dans la jurisprudence on admet ces sociétés comme emportant certaines conséquences juridiques et l'honorable membre leur refuse un caractère déterminé, mais sans les reconnaitre.
Voilà, messieurs, l'observation que je soumets à l'honorable M. de Brouckere.
M. de Brouckere. - Je crois toujours que la rédaction que je présente est plus correcte que celle qui se trouve dans le texte que nous avons sous les yeux.
Quant à l'observation de l’honorable ministre de la justice, je ne la crois pas fondée ; je reconnais les sociétés mentionnées dans l'article, puisque je dis qu'elles n’ont aucune individualité juridique.
M. Jacobsµ. - L'honorable M. de Brouckere oublie, je crois, ce dont s'occupent les deux premiers articles ; nous ne déterminons pas les caractères des sociétés, nous faisons une énumération ; nous avons énuméré dans l'article premier trois genres de sociétés qui ont l'individualité juridique ; dans l'article 2 nous énumérons deux espèces de sociétés qui n'ont pas cette individualité.
Je crois, messieurs, qu'il serait plus correct encore de prendre la rédaction de l'article précédent et de dire :
« La loi reconnait, en outre, des associations, etc. »
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Vous avez le mot « reconnaît » plus loin : « ... auxquelles la loi ne reconnaît aucune individualité juridique. »
M. Jacobsµ. - On pourrait dire : « ... auxquelles la loi n’accorde aucun caractère, etc. »
M. le président. - M. de Brouckere insiste-t-il sur sa proposition ?
M. de Brouckere. - Je n'attache aucune importance à ma rédaction. Je la relire bien volontiers si l'on veut s'en tenir à la rédaction primitive.
- L'article est définitivement adopté.
M. le président. - L'article 4 n'a pas été amendé, mais M. de Brouckere propose une modification que je crois pouvoir soumettre à la Chambre.
L'article 4 ainsi conçu :
« Les sociétés nom collectif et les sociétés en commandite doivent, à peine de nullité, être formées par des actes spéciaux, publics ou sous signature privée, en se conformant, dans ce dernier cas, à l'article 1325 du code civil.
« Les sociétés anonymes doivent, à peine de nullité, être formées par des actes publics.
« Toutefois ces nullités ne peuvent être opposées aux tiers par les associés. »
L'honorable M. de Brouckere propose un amendement ayant pour objet de supprimer, dans les deux premiers paragraphes, le verbe « doivent », et de dire : « sont à peine de nullité formées, etc. »
L'honorable membre a la parole pour développer son amendement.
M. de Brouckere. - Cela ne demande pas de développements. C'est plus correct.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - J’admets parfaitement l’amendement de l'honorable M. de Brouckere. Mais je vois que l’on dit dans le paragraphe 2 que les actes de société seront dressés conformément à l'article 1325 du code civil.
Or, cet article 1325 ne s'occupe que du nombre d'expéditions qui doivent être faites de l'acte. Le mot « dresse » n'est donc pas convenablement employé.
M. le président. - Je ferai remarquer que la rédaction de l’article 4 primitif était conforme à ce que vient de dire M. le ministre. Il y était dit : « Les sociétés en nom collectif et les sociétés en commandite doivent, à peine de nullité, être formées par des actes spéciaux, publics ou sous signature privée, en se conformant, dans ce dernier cas, à l'article 1325 du code civil.
La rédaction qui a été adoptée hier porte : « Dans ce dernier cas, les actes de société en nom collectif et en commandite seront dresses conformément à l'article 1325 de code civil. »
M. Guillery. - L'observation de M. le ministre en ce qui concerne l'expression « seront dressés », est parfaitement juste. Cela a échappé à notre attention. L'article pourrait être réservé.
M. le président. - On pourrait reprendre la rédaction primitive et dire : « en se conformant, etc. » M. le ministre de la justice y voit-il quelque inconvénient ?
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Non, M. le président.
M. le président. - Cette rédaction est donc reprise. Je mets aux voix l'article avec cette modification et l'amendement de M. de Brouckere.
- L'article, ainsi rédigé, est adopté.
« Art. 6. Les actes de société en nom collectif et de société en commandite doivent être publiés, par extrait, aux frais des intéressés. »
M. le président. - M. de Brouckere propose de supprimer le mot « doivent » et de dire « sont publiés ».
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Nous imposons l'obligation, tandis que l'honorable membre en disant : « sont publiés » semble laisser une faculté.
- La rédaction de M. de Brouckere est mise aux voix et adoptée.
M. Reynaertµ. - Je voudrais présenter un amendement à l'article 10 ; Il consiste à ajouter à cet article un paragraphe nouveau conçu comme suit :
« Les extraits des actes de sociétés en commandite constituées au moyen de souscriptions ne devront être déposés que dans les trois mois de leur date. »
Lors de la première discussion, j'ai formulé une critique sur cet objet ; j'ai prétendu que les sociétés en commandite à capital considérable seraient désormais sinon empêchées, au moins entravées dans leur formation. C’est pour moi une chose évidente.
D’après l'article 8, l'extrait qui doit être publié doit indiquer le capital social souscrit ; il doit contenir aussi les noms des personnes qui ont fourni ou s'obligent à fournir le capital social ; ensuite les articles 10 et 11 prescrivent des délais pour la publication ; le dépôt doit se faire dans les quinze jours et la publication doit avoir lieu dans les trois semaines.
Il en résulte que les souscriptions postérieures au contrat seraient impossibles à moins d'être considérées comme des modifications apportées au contrat primitif, devant comme telles être également publiées dans la quinzaine de leur date.
Je pense que l'amendement que j'ai l'honneur de proposer remédierait en partie à l'inconvénient que je viens de signaler et qui est très réel.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - L'observation de l'honorable membre ne me paraît pas fondée ; il s'agit des souscriptions préalables à l'acte définitif de la société. Or, l'article 10 ne parle que des actes définitifs.
« Les actes ou extraits d'actes dont les articles précédents prescrivent la publication seront, dans la quinzaine de la date des actes définitifs, déposés entre les mains des fonctionnaires préposés à cet effet, etc. » (Interruption.)
C'est comme pour les sociétés anonymes ; on émet des souscriptions et après cela on fait l'acte définitif et c'est cet acte qui doit être publié.
Maintenant une observation générale dans l'intérêt des travaux de la Chambre ; il est impossible de se prononcer, à la seule lecture, sur des amendements présentés à l'improviste dans une matière aussi importante que celle que nous discutons.
Si nous ne voulons pas nous exposer à voter des articles qui n'auront pas été bien compris, nous devons décider que les amendements seront déposés à l'avance, imprimés et distribués.
M. le président. - C'est entendu ; M. Reynaert voudra bien déposer son amendement aujourd'hui.
M. Reynaertµ. - Oui, M. président.
J’en ai un second qui concerne l'article 23 et que je pourrais développer en peu de mots.
Lors du premier vote, une question importante a été débattue dans cette Chambre ; il s'agissait de savoir quelle serait la responsabilité du souscripteur d'actions.
La Chambre s'est trouvée en présence de deux systèmes, celui de la commission et celui présenté par M. Moncheur et par moi.
Je n’ai pas besoin de vous le rappeler, messieurs, c'est le système de la responsabilité indéfinie qui a prévalu.
Dans la société anonyme, la même question a été soulevée et a reçu une solution identique.
Mais dans la société anonyme•, le principe de la responsabilité illimitée est formulé de manière nette et précise, de telle sorte qu'à première vue le souscripteur peut voir à quelles obligations il s'astreint.
L'article 40 dit :
« Les souscripteurs sont, nonobstant toute stipulation contraire, responsables du montant total des actions par souscrites. »
Il n'en est pas de même dans la société en commandite ; aucun texte semblable n'y existe.
Je pense que c'est une lacune et, pour la combler, je propose d'ajouter à l’article 23 les mots suivants :
« Et les souscripteurs en sont responsables, conformément à l’article 40. »
- Ces amendements sont appuyés ; ils seront imprimés et distribués.
M. le président. - M. de Brouckere a fait une observation que la Chambre a accueillie à propos des articles 7, 9 et 12 ; elle avait pour objet dc remplacer le mot « doivent » par « sont » ou « seront ».
Il est entendu que cette rectification sera faite partout où elle sera nécessaire. (Assentiment.)
MiPµ. - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre :
1°Un projet de loi qui sépare le hameau du Flénu d'avec la commune de Jemmapes ;
2° Un projet de loi qui sépare les hameaux de Ruykhoven, de Reek et de Ronselen d'avec la commune de Bilsen (Limbourg) et les érige en communes distinctes ;
3° Un projet de loi qui sépare le hameau de Sart-Bernard d'avec la commune de Wierde (Namur) et l'érige en commune distincte ;
4° Un projet de loi qui détermine la limite séparative entre la ville d'Antoing et les communes de Calonne et de Bruyelle.
M. le président. - Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ces projets de loi, qui seront imprimés et distribués. Comment la Chambre entend-elle les faire examiner ?
- Plusieurs membres. - Par des commissions.
M. le président. - Il en sera ainsi.
- La séance est levée à 4 heures et demie.