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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 15 février 1870

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1869-1870)

(Présidence de M. Moreau, premier vice-présidentµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 469) M. de Rossiusµ procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart ; il donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Reynaertµ présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Le conseil communal de Bellefontaine prie la Chambre d'autoriser le ministre des travaux publics à concéder au sieur Brassine la concession d'un chemin de fer d'Athus à la frontière française, dans la direction de Givet. »

« Même demande de l'administration d'une commune non dénommée. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Duvigneaux demande une loi réglant le travail des enfants dans les manufactures. »

- Même renvoi.


« Les membres du conseil communal d'Oizy prient la Chambre de statuer sur leur demande ayant pour objet l'autorisation de réduire le traitement du receveur communal au taux primitivement fixé et de contraindre ce fonctionnaire à restituer ce qu'il aurait indûment perçu. »

- Même renvoi.


« Les membres de l’administration communale de Fronville demandent la construction d'une route de l'Etat partant de Monteuvlllq pour se raccorder à la station de Melreux. «

- Même renvoi.


« Des habitants de Deurne-lez-Anvers prient la Chambre d'adopter l'amendement proposé par le gouvernement au projet de loi sur les servitudes militaires. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, la demande de naturalisation ordinaire du sieur Langohr. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« Le sieur Lodewyck demande une loi qui interdise aux administrations communales et autres de donner, aux frais des contribuables, des banquets et autres fêtes privées, et prie la Chambre d'interpeller M. le ministre des travaux publics au sujet du transport gratuit qui a été accordé à des étrangers. »

- Renvoi à la commission des pétitions. »

« MM. Vilain XIIII, de Maere et Schollaert, retenus par indisposition, demandent un congé. »

- Accordé.


MpMOreauµ. - J’ai reçu de M. Jouret la lettre suivante :

« Monsieur le président.

« J'ai vu avec étonnement à la séance de la Chambre d'hier, que j'avais été signalé comme absent sans congé.

« L'un des premiers jours de la rentrée, après les vacances de la nouvelle année, j'ai demandé un congé pour indisposition qui m'a été accordé. Il m'a été impossible depuis lors de me rendre la Chambre.

« Je vous serais reconnaissant, monsieur le président, de vouloir bien faire rectifier cette erreur en donnant communication de la présente à la Chambre et vous prie de daigner agréer l'expression de mes sentiments respectueux et de la plus haute considération.

« Jouret. »

Interpellation

M. Jacobsµ. - J'ai une interpellation à adresser au gouvernement.

Des journaux d'Anvers rapportent que, dans la nuit du 10 au 11 de ce mois, un soldat est mort de froid dans la salle de police d'un des fortins de la place d'Anvers. Ils différents détails sur l'événement.

Je désire savoir si le gouvernement, comme cela est naturel, s'est enquis de la réalité de ce fait et, dans l'affirmative, quels renseignements il a obtenus.

Dans le où ces renseignements seraient conformes à la version des journaux, je désirerais savoir du gouvernement quelles mesures il a prises que des faits pareils ne se produisent plus.

M. Bouvierµ. - Avez-vous prévenu M. le ministre de la guerre de l'interpellation que vous comptiez faire ?

MaeVSµ. - Mon collègue de la guerre a évidemment pris ses informations, mais l'honorable M. Jacobs n’ayant pas prévenu le gouvernement de l'interpellation qu'il avait l'intention de lui adresser, nous sommes obligés de déclarer, en l'absence de M. le ministre de la guerre, que nous ne sommes pas en mesure, pour le moment, de fournir le renseignement demandé.

D'ici à demain, il pourra être répondu à l'interpellation de M. Jacobs d'une manière précise.

Je ne puis donc qu'exprimer le regret que l'honorable membre n'ait pas cru devoir avertir le gouvernement de l'interpellation qu'il comptait faire.

Projet de loi révisant le code de commerce (titre III, livre premier : Des Sociétés)

Discussion des articles

Section IV. Des société anonymes

Paragraphe 2. De la constitution des sociétés anonymes
Article 29

MPMoreauµ. - Nous en sommes arrivés à l'article 29 ; il est ainsi conçu :

« La société peut être constituée par un ou plusieurs actes authentiques dans lesquels comparaissent tous les associés, et qui constatent l'existence des conditions indiquées en l'article précédent. »

M. Lelièvreµ. - Le paragraphe 3 de l'article 12 déclare non recevable, vis-à-vis des tiers, l'action de la société quand les formalités prescrites par les dispositions énoncées en ce paragraphe n'ont pas été observées.

Il s'agit là, à mon avis, d'une exception péremptoire de non-recevabilité qu'on peut faire valoir en tout état de cause, sans qu'on doive l'opposer avant toute défense au fond.

Je désire savoir s'il en est de même des formalités prescrites par les articles 29 et suivants.

La nullité résultant de leur inobservation pourra-t-elle être opposée par les tiers qui auront le droit de faire déclarer l'action de la société non recevable, ou bien la nullité ne concerne-t-elle que les associés ?

Je désire avoir quelques explications cet égard. Ces explications me semblent utiles pour l'interprétation de la loi.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - A l'article 29, il ne s'agit pas de nullités et je crois qu'il faut répondre à la question de l'honorable préopinant en s’en référant aux principes généraux qui concernent la matière.

M. Lelievreµ. - Je reproduirai mes observations à propos de l'article 32.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Puisque j'ai la parole, je demanderai par motion d'ordre que les membres qui auraient des amendements à présenter ou des questions à formuler veuillent bien le faire dès maintenant.

Il est difficile, dans une matière aussi importante, de se prononcer (page 470) immédiatement sur des amendements ou de répondre séance tenante à toutes sortes de questions.

- L'article 29 est mis aux voix adopté.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je demande que M. le président veuille bien consulter la Chambre sur la motion que je viens de présenter. Nous sommes, en ce moment, à la section relative aux sociétés anonymes ; il est évident que les honorables membres qui ont étudié la matière et qui comptent présenter des amendements doivent avoir ces amendements tout prêts.

Je comprends que, dans le cours de la discussion, on puisse présenter des observations de détail, mais pour les amendements il me semble qu'on pourrait les déposer dès maintenant ; on les imprimerait, et cela faciliterait singulièrement la discussion.

M. Dewandreµ. - J'ai un amendement à présenter à l'article 30. Mais comme nous sommes arrivés cet article, je ne crois pas qu'on puisse encore le faire imprimer.

Motion d’ordre

MaeVSµ. - Je demande la permission à la Chambre de répondre d'une manière plus précise à l’interpellation qui vient d'être faite par l'honorable M. Jacobs.

J’ai été aux renseignements auprès de mon collègue de la guerre qui se trouve au Sénat ; il a reçu une dépêche d'Anvers déclarant que la rumeur dont l'honorable M. Jacobs s'est fail l'écho est une pure invention.

M. Jacobsµ. - Messieurs, je suis heureux d'apprendre que la rumeur que les journaux d'Anvers avaient reproduite dès samedi, et qui n'avait pas été démentie jusqu'ici, n'a pas de base réelle ; j'en suis heureux, mais j'en profite pour recommander au gouvernement, autant qu'il est en moi, de diminuer autant que faire se peut le nombre des factionnaires pendant le temps rigoureux qui règne depuis quelque temps en Belgique.

M. Vleminckxµ. - Le Roi lui-même les a refusés.

- L'incident est clos.

Discussion des articles

Section IV. Des société anonymes

Paragraphe 2. De la constitution des sociétés anonymes
Article 30

« Art. 30. La société peut aussi être constituée au moyen de souscriptions.

« Les souscriptions doivent être faites en double et indiquer :

« La date de l'acte authentique de société et de sa publication ;

« L'objet de la société, le capital social et le nombre d'actions ou de parts ;

« Les apports et le prix pour lequel ils sont faits ;

« Les avantages particuliers attribués aux fondateurs ;

« Le versement d'un vingtième au moins de la souscription.

« Elles contiennent convocation des souscripteurs à une assemblée qui sera tenue dans le mois pour la constitution définitive de la société. »

M. de Macarµ. - Nous arrivons à l'article 30 qui contient une série de garanties demandées par le gouvernement pour assurer la constitution honnête et sincère des sociétés anonymes.

Mais auparavant, messieurs, je demande la permission de me reporter un peu en arrière et d'examiner quelles sont les conditions dans lesquelles se présente le projet de loi que nous avons à discuter.

Deux pensées ont évidemment présidé à l'élaboration de ce projet.

La première, c'est de faciliter la liberté de transaction, de donner un nouvel essor à l'esprit d'association, cette merveilleuse puissance qui, comme le dit très bien le rapport, est destinée à substituer la force collective aux forces individuelles pour accomplir les grands desseins auxquels celles-ci, prises isolément, ne peuvent atteindre.

La seconde est d'empêcher le retour des abus et des scandales qui ont pû se produire à l'occasion de la formation et de la gestion des sociétés anonymes.

Messieurs, le second but, je le crois complètement atteint ; je pense que le projet contient des dispositions de nature à sauvegarder pleinement les intérêts des associés des sociétés anonymes. Je crois qu'il en contient suffisamment ; je suis même convaincu qu'il en contient surabondamment.

L'honorable ministre, rapporteur du projet de loi, réunit une double qualité : celle de jurisconsulte éminent et celle d'industriel consommé. Selon moi, le jurisconsulte a trop pesé sur l'industriel ; je vois trop de méfaits possibles ; pas assez, à mon sens, de protection à donner à l'esprit d'association.

Nous aurions tort cependant de le méconnaître : c'est à l'association en grande partie que la Belgique industrielle doit d'être ce qu'elle est aujourd’hui.

Je distingue, messieurs, entre les garanties qui sont proposées par le gouvernement :

Il y a une catégorie de garanties sérieuses que j'approuve, publicité et responsabilité.

Il y en a une seconde, qui limite le droit des actionnaires dans la gestion de leur bien.

Autant je désire les premières, autant je m'élève contre les autres, et je demande à la Chambre la permission d'examiner le projet de loi dans cet ordre d'idées.

Je disais, messieurs, qu'il y a dans le projet de loi deux principes qui doivent complètement sauvegarder tous les intérêts. Le premier, c'est la publicité. Cette publicité détermine, dès le commencement de la société, quels sont les apports, les avantages des fondateurs ; les souscripteurs sauront, dès le début, d’une façon complète, dans quelles conditions ils vont engager leurs capitaux.

La publicité du bilan et des pièces à l'appui établira la bonne gestion de l'affaire ; les actionnaires pourront contrôler leurs mandataires.

Ce premier principe est sauvegardé lui-même par le principe de la responsabilité des administrateurs et des fondateurs, c'est sa sanction ; cette responsabilité est la garantie la plus sérieuse qu'on puisse désirer, elle est complète, et quant à moi, je l'accepte pleinement.

Et en effet, messieurs, lorsqu'on consent à être mandataire, il faut s'assurer qu'on peut n’être ni incapable, ni négligent, ni insoucieux des intérêts qui vous sont confiés.

Trop de gens ont trafiqué de leurs fonctions industrielles, financières, autocratiques ; politiques, même, pour accepter des positions qui constituaient pour eux de véritables sinécures, puisque parfois ils s'abstenaient même d'assister aux réunions du conseil.

Que la responsabilité solidaire qui pèse sur eux fasse cesser cet état de choses, c'est une excellente mesure.

Mais par là même, messieurs, que j'ai des garanties sérieuses, je repousse toutes ces mesures de détail, dispositions vexatoires et inutiles, de nature à empêcher l'esprit d'association de se produire.

Ce serait là, messieurs, une chose des plus fâcheuses. Les capitaux tendront à s'expatrier, et en jetant un regard en arrière, on pourrait se convaincre cependant que c'est hors de Belgique surtout que se sont produites les malheureuses affaires dont l'impression pèse trop vivement, à mon sens, en ce moment, sur les décisions que nous avons à prendre.

Je vous le demande, si vous enrayez l'esprit d'association en Belgique, si les capitaux se placent à l'étranger, aurez-vous plus de garanties pour eux que celles qui existent en Belgique, non seulement sous le régime nouveau que vous proposez, mais même sous celui qui existe ?

Je n'en doute pas, messieurs, vous êtes intimement persuadés du contraire.

Il me reste, messieurs, à jeter un coup d'œil très rapide sur les diverses dispositions que je crois entachées des vices que j'ai énoncés, que je ne pourrai donc adopter sans amendement.

Ainsi, le principe de publicité et de responsabilité admis, je me demande pourquoi vous empêcheriez les actionnaires de choisir leurs mandataires comme ils l'entendent.

L'article 43 prescrit que chaque administrateur doit être propriétaire d'un nombre d'actions représentant la cinquantième partie du capital social, sans que cette part doive s'élever au delà de 50,000 francs.

N'est-ce pas là une prime donnée à la richesse, inintelligente parfois, contre la pauvreté intelligente ? Vous allez placer une société dans cette situation de devoir, sauf les exceptions (et notez-le bien, ces exceptions placeront toujours celui qui en sera l'objet dans une situation gênante), da devoir, dis-je, prendre certains individus dénommés d'avance, d'en écarter d'autres capables, intelligents, et qui eussent pu conduire à bonne fin les affaires de la société.

Quelle garantie sérieuse trouvez-vous là ?

Et pourquoi enlever à une société la garantie plus sérieuse, la faculté de faire gérer ses affaires comme elle l'entend

L'article 44 va plus loin encore, il interdit aux administrateurs de prendre ou de conserver un intérêt direct ou indirect dans une opération quelconque faite pour la société ou pour son compte. Il se trouvera donc que ni un banquier, ni un charbonnier, ni un propriétaire ne pourront dans certains cas faire partie d'un conseil d'administration.

Le banquier peut avoir autant d'intérêt à voir ce qui se passe dans la société que la société à avoir le concours du banquier, Il y a là un avantage mutuel, de part et d'autre une assurance de crédit parfaitement honnête et légitime.

Un négociant en houille fait affaire avec une usine dont il est administrateur. Certain de la vitalité, de la bonne gestion de l'usine, il lui livre sa marchandise dans des conditions modérées. Pourquoi voulez-vous empêcher ces sortes d'affaires ?

Si les actionnaires trouvent qu'il y a un avantage manifeste pour eux à prendre ce banquier, ce marchand de charbon comme administrateur, (page 471) pourquoi voulez-vous les priver de cet avantage et les forcer à s’adresser à des personnes autres que celles qu'ils croient les meilleures pour défendre leurs intérêts ? A l'article 48...

M. le président. - M. de Macar, nous discutons l'article 50.

M. de Macarµ. - Je le sais bien, M. le président ; mais d'abord M. le ministre a demandé qu'on indiquât les amendements. C’est ce que j’ai commencé à faire. Ensuite, voici quel est mon thème : Je pars de deux idées : maintenir les garanties indispensables, écarter celles qui sont inutiles. Je voudrais que l'attention de la Chambre fût dès maintenant attirée sur les dispositions que je trouve surabondantes et indiquer ainsi la tendance fâcheuse, à mon sens, du code nouveau.

M. le président. - S'il n'y a pas d'opposition de la part de la Chambre, vous pouvez continuer. (Non ! non !)

M. de Macarµ. - Je reviens donc à l'article 48.

Cet article défend aux administrateurs de prendre part aux délibérations de l'assemblée générale.

Quant à la nomination des commissaires, certainement, à première vue, cela peut paraître assez juste.

Il est anomal que les surveillés nomment leurs surveillants. Mais en examinant les choses de plus près, on verra que l'article n'atteint nullement le but qu'on s'est proposé et qu'il pourra empêcher éventuellement la société de fonctionner convenablement.

Je dis que cet article n'atteint pas son but. En effet, de deux choses l’une ; ou l'administration sera prépondérante et alors peu importe que l'on nomme directement les commissaires ou qu'on les fasse nommer par la société ; seulement dans ce cas, vous les mettez bien plus complètement à la merci des administrateurs. En effet, on fixe les traitements tous les ans ; si les administrateurs veulent trouver des commissaires complaisants, qui les empêchera d'user de leur influence pour faire augmenter leurs traitements ? Dans le cas contraire, s'ils ont des commissaires exerçant leurs fonctions avec sévérité ou d'une façon désobligeante, ils diminueront ces émoluments, et à supposer que ce rôle de complaisant ou désagréable commissaire puisse se jouer sous un régime de publicité, vous augmentez l'action de l'administrateur.

Mais je suppose désaccord entre les deux conseils, deux fractions à peu près égales dans la société par la suppression du droit de vote pour les administrateurs, vous allez établir un état de discorde perpétuel dans la société.

Les commissaires auront le désir d'être nommés administrateurs, cela est tout naturel ; on désire gérer les affaires auxquelles on s'intéresse, surtout lorsqu'on les croit insuffisamment ou mal gérées. Ils peuvent avoir intérêt à maintenir la division.

Les administrateurs pouvant voter pour eux-mêmes seront réélus. Les commissaires nommés par une minorité resteront en fonctions. Deux pouvoirs légaux, mais hostiles, vont se trouver en présence. C'est la division permanente établie, c'est là ce qu'il y a de plus déplorable dans une affaire industrielle.

J'en appelle à tous ceux qui s'occupent de ces opérations ; ils diront qu'il vaut mieux parfois supporter même quelques inconvénients que de tomber dans l'anarchie.

J'arrive à l’article 53, d'après lequel le propriétaire d'une seule action a droit de vote ; c'est le suffrage universel. Vous aurez la représentation de tous les petits capitaux. J'y consens. Mais vous limitez en même temps l'action des grands industriels, de telle façon qu'un établissement qui aurait la majorité des actions pourrait se trouver en minorité dans les assemblées, dans la gestion, par conséquent, de la chose commune. C’est le règne de la minorité que vous proclamez.

Est-ce que c’est là ce que vous voulez ? Certainement non.

Il importe, pour bien apprécier la chose, de mettre l'article 53 en rapport avec l'article 84, qui porte : « Seront punis d'une amende de 50 francs à 10,000 flancs, ceux qui, se présentant comme propriétaires d'actions qui ne leur appartiennent pas, ont pris part au vote dans une assemblée générale. »

Jusqu’ici, à tort ou à raison, les sociétés anonymes et les particuliers divisaient leurs actions et arrivaient ainsi avec une représentation exacte de leurs capitaux. D'après la loi ils seront limités aux deux cinquièmes des voix représentées, c'est-à-dire en minorité souvent, alors qu'ils posséderaient plus de la moitié de l'avoir social.

L'article doit être mis aussi en rapport avec l'article suivant, qui est ainsi conçu : « Chaque année l'administration doit donner un inventaire contenant l'indication des valeurs mobilières et immobilières et de toutes les dettes actives et passives de la société, y compris (ceci mérite votre attention) tous les engagements de la société en cours d'exécution, tels qu'endossements sur traites négociées, contrats, cautionnements et autres engagements quelconques. »

C'est extrêmement large ; je crois que cela signifie que l'on peut ouvrir tous les livres de la société et que les commissaires auront le droit d'inspection complète sur tous les actes de la société. Je ne sais si un pareil droit accordé aux commissaires n'est pas déjà exorbitant, mais on va plus loin encore et l'article 55 propose de le donner non seulement aux commissaires, mais à tous les actionnaires.

Il s'ensuivrait que le propriétaire d'une seule action aura le droit de voir tout ce qui se passe dans les affaires.

Ainsi une maison de banque créée sous la forme anonyme sera obligée de déposer à l'inspection de tout le monde la situation financière d'une quantité d'individus. Je dis tout le monde, messieurs, car il suffira à un concurrent, au premier venu d'acheter une action pour une misérable somme de 500 francs, de 1,000 francs au plus, pour être initié aux secrets détails de vos entreprises commerciales. La conséquence de cette exigence, c'est la suppression des sociétés de banque anonymes ; les sociétés anonymes deviendraient impossibles, car personne ne se soucierait de confier le secret de ses affaires au premier venu ; plus de clients dans de pareilles conditions.

La disposition que je critique est exorbitante. Il est impossible qu'elle ne soit pas modifiée.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Que proposeriez-vous ?

M. de Macarµ. - Je propose qu'il n'y ait que les pièces comptables qui doivent être mises à la disposition des actionnaires. (Interruption.) Si l'article ne signifie pas ce que je crois, c'est parfait, mais que cela soit déclaré par le ministre. (Nouvelle interruption.) Vous avez la responsabilité des administrateurs ; si les bilans ne sont pas exacts, vous avez une action contre eux, mais vous ne pouvez pas, pour le minime profit d'instruire l'un ou l'autre actionnaire, peut-être un tiers qui voudrait se faire payer pour se taire, mettre à la disposition du public la connaissance de la position d'une quantité d'individus, compromettre leurs positions, porter une atteinte sensible à leur crédit ; vous ne pouvez pas non plus, sous ce prétexte, obliger un fabricant à produire à un concurrent ses secrets de fabrication.

Je crois que la disposition dont je m'occupe va directement à l'encontre des intérêts de l'industrie et que c'est l'une de celles sur lesquelles il sera le plus difficile de s'entendre, contre lesquelles il importe de s'inscrire le plus vivement.

J'ai dit tout l'heure qu'il y a une quantité de dispositions sur lesquelles j'aurais des observations à présenter.

Pour le moment, messieurs, je n'ai voulu qu'appeler l'attention de la Chambre sur la nécessité qu’il y aurait à n'accepter du projet de loi que les dispositions indispensables pour garantir contre la fraude, mais à ne rien édicter de plus. Ce que nous voulons, c'est favoriser la liberté des transactions et donner un nouvel essor à la liberté d'association ; or, je suis convaincu que si le projet est adopté tel qu'il est rédigé, loin de développer la liberté d'association, il viendra l'entraver de la façon la plus fâcheuse.

Ce n'est évidemment là ni la volonté de la Chambre ni celle du gouvernement et en acceptant les deus garanties réelles du projet de loi, la publicité, la responsabilité, nous pouvons sans crainte abandonner toute cette réglementation inutile, tracassière, qui n'a réellement d'autre but que de prémunir l'actionnaire contre lui-même, qui n'ajoute rien d'essentiel au projet de loi, mais qui entravera, je le crains, l'essor de l'esprit d'association.

M. Dewandreµ. - Messieurs, j'ai demandé la parole pour faire quelques observations de détail sur l'article 30.

Je crois qu'il vaut mieux ne pas scinder l'espèce de discussion générale qui commence sur les garanties à demander en matière de sociétés anonymes et attendre pour présenter mes observations que cette discussion soit terminée.

MjB. - Messieurs, je crois que les craintes qu'a manifestées l’honorable membre sont exagérées.

Les précautions que le projet de loi a prises ont non seulement en vue d'empêcher les sociétés anonymes de se constituer et de marcher régulièrement, mais même de faciliter la tâche d'administrateurs honnêtes.

Nous estimons que ces précautions sont indispensables pour la bonne administration des sociétés anonymes et que si elles sont utiles aux tiers, elles ne sont pas nuisibles aux administrateurs.

La première observation de l'honorable membre concerne l'article 45. Cet article stipule :

« Chaque administrateur doit être propriétaire d'un nombre d'actions (page 472) représentant la cinquantième partie du capital social, sans que cette part doive s’élever au delà de cinquante mille francs. »

L’honorable membre trouve que cette somme est exagérée.

Messieurs, le projet de loi prévoit les difficultés qu’indique l’honorable membre.

En effet, dans l'article 43bis, il est dit :

« L'assemblée générale pourra aussi dispenser des actionnaires de la garantie ci-dessus prescrite. »

Nous voulons donc que l'assemblée générale seule puisse donner cette dispense et que les statuts ne puissent l'accorder, car une fois les statuts faits, toute la marche de l'affaire est engagée.

Vous voulez la loyauté des affaires. Mais qu'y a-t-il de plus loyal que de demander à l’assemblée générale des intéressés de déclarer que tel ou tel administrateur ne doit pas satisfaire à telle obligation ?

M. de Macarµ. - La liberté exige que chacun puisse administrer ses affaires comme il l'entend.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Oui, quand vous gérez vos propres affaires, mais il s'agit ici de l'argent des autres.

Je dis que la dispense ne peut avoir lieu que par décision de l'assemblée générale ; je trouve, messieurs, que cela, est parfaitement loyal et je ne comprend pas comment on combat cette disposition.

Faites des affaires, mais faites-les loyalement. Si tous les administrateurs veulent dispenser un administrateur d'avoir 50,000 fr. dans la société, rien de plus facile, ils n'ont qu'à le décider en assemblée générale ; mais si les actionnaires ne le veulent point, pourquoi voulez-vous que l'administrateur ne présente point certaines garanties ?

Vous voyez donc que votre observation n'est pas fondée ; les sociétés anonymes doivent être l'expression de la volonté de tous les associés et le gouvernement, par son système, exige la manifestation de cette volonté en assemblée générale.

Voilà pour le premier grief.

Le second, si je ne me trompe, est relatif à l'article 44.

Cet article est ainsi conçu :

« Il leur est interdit de se livrer, au nom et pour le compte de la société, à des opérations étrangères à l'objet de son entreprise. »

Ce paragraphe a été supprimé par la commission, mais le resto de l'article subsiste et est ainsi conçu :

« Il leur également interdit de prendre ou de conserver un intérêt direct ou indirect dans une opération quelconque faite avec la société ou pour son compte, à moins qu'ils n'y soient autorisés par l'assemblée générale, pour certaines opérations spécialement déterminées. »

Eh bien, messieurs, je suis encore obligé de le dire : cet article très moral, cet article est très loyal.

M. Braconier. - Il n'est pas pratique.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - C'est ce que nous allons voir.

Je suppose qu'une société se constitue pour faire de la fonte.

Parmi les actionnaires de cette société, se trouve un marchand de charbon. La société pourra faire avec cet actionnaire des traités qui seront évidemment à l'avantage de ce dernier.

C'est là une question très importante.

Comment ! il y a dans la société un marchand de charbon qui est actionnaire et vous direz que, moi, administrateur, qui dépends de cet actionnaire, moi, qui ai un mandat révocable, vous direz que je suis obligé de subir son influence et sa pression pour lui vendre du charbon !

Cela n'est pas possible.

Aussi, qu'avons-nous fait, messieurs ? Nous avons soustrait la gérance à ces innflences, à ces pressions.

Nous ne nous opposons pas à ce qu'on achète le charbon à un des actionnaires, mais c'est l'assemblée générale qui en prendra la responsabilité.

La loi dit que les opérations pourront être faites, mais que l'assemblée générale devra les autoriser.

En quoi trouvez-vous que cela soit immoral ? Je trouve que c'est très moral et que c'est dans l’intérêt même de la société. (Interruption.)

Je prie les honorables membres de ne pas tant se récrier contre cette disposition ; non seulement elle est très morale, mais elle est encore très utile et pratique.

M. Braconier. - Démontrez qu'elle est pratique.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Voici ce qui va se présenter : un gros actionnaire pourra faire des affaires avec la société, et les honorables membres ne me convaincront jamais que cet actionnaire, qui doit voter en assemblée générale, n’est pas un homme important dont la position des gérants peut dépendre et qu'il n'a pas des avantages spéciaux pour entraîner l'administration à traiter avec lui. Cela est incontestable.

L'esprit humain est ainsi fait. L'honorable M. Lebeau, qui fait partie de plusieurs sociétés, me dit qu'il en est ainsi. Il est donc évident que l’actionnaire. qui est en même temps marchand de charbon, aura une grande influence sur l'administration.

Eh bien, messieurs, quel est le but du projet de loi ? Est-ce d'interdire l'opération ? En aucune manière.

Nous n'interdisons pas l'opération, mais nous voulons soustraire la gérance, l'administration et la société elle-même à ces pressions, à ces influences.

Maintenant si la société trouve un avantage évident à l'opération, nous lui disons ; Convoquez l'assemblée générale et si l’assemblée générale autorise l'administration à traiter avec cet actionnaire, eh bien, on traitera avec lui.

En quoi la liberté est-elle lésée ? Absolument en rien.

La seconde observation n'est donc pas plus admissible que la première. (Interruption) Pourquoi devrais-je passer par une commission ou par une banque déterminée...

- Un membre. - La question n'est pas là !

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Si la question n’est pas là, vous convoquerez l'assemblée générale.

- Un membre. - C’est la négation de toute société anonyme.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - C'est la négation de toute possibilité de fraude.

Maintenant, l'honorable M. de Macar a critiqué la partie de l'article 48 où il est disposé que les administrateurs ne peuvent prendre part au vote dans la délibération où l'on nomme les commissaires de la société.

Le principe admis par le projet de loi est inattaquable en droit.

Mais, dit l'honorable membre, vous allez jeter la perturbation au sein des sociétés anonymes ; vous allez y créer un antagonisme entre les membres du conseil de surveillance et les membres de l'administration.

Du tout. Nous voulons rendre, autant que possible, le conseil de surveillance indépendant des gérants. Je sais qu'en certains cas, si les administrateurs le veulent, ils pourront faire nommer un conseil de surveillance de leur choix. Mais cela ne sera pas toujours possible et, en tous cas, le refus du droit de voter pour le conseil de surveillance paralysera leur action.

L'honorable membre s'est occupé ensuite l'article 53.

Cet article dispose que les statuts déterminent le mode de délibération de l'assemblée générale et les formalités à remplir pour y admis ; que les propriétaires d'actions ont, nonobstant toute clause contraire, le droit de voter par eux-mêmes on par procuration ; que nul ne peul prendre part au vote pour un nombre d'actions dépassant la cinquième partie des actions émises, deux cinquièmes des actions représentées ; que les décisions sont prises à la majorité des actionnaires présents.

L'honorable membre pense que chaque actionnaire n'a qu'une voix, quel que soit le nombre de ses actions. C'est un point qui est douteux. Je me réserve de répondre dans une prochaine séance.

L'honorable membre s'est ensuite occupé des articles 54 à 58.

Chaque année, porte l'article 54, l'administration doit dresser un inventaire concernant l'indication des valeurs mobilières et immobilières et de toutes les dettes actives et passives de la société en cours d'exécution, tels qu'endossements sur traites négociées, contrats, cautionnements et autres engagements quelconques.

« L'administration forme le bilan et le compte des profits et pertes dans lesquels les amortissements nécessaires doivent être faits.

« Il est fait annuellement sur les bénéfices nets un prélèvement d'un vingtième au moins, affecté à la formation d'un fonds de réserve ; ce prélèvement cesse d'être obligatoire lorsque le fonds de réserve a atteint le dixième du capital social.

« L'administration remet les pièces avec un rapport sur les opérations de la société, un mois au moins avant l'assemblée ordinaire, aux commissaires, qui doivent faire un rapport contenant leurs propositions.

« Art. 55. Quinze jours avant l’assemblée générale, les pièces indiquées à l’article précédent sont au siège social à la disposition des actionnaires.

« Le bilan et le compte des profits et pertes, et le rapport des (page 473) commissaires, s’il ne conclut pas à l’approbation complète du bilan, seront adressés aux actionnaires en nom, en même temps que la convocation. »

L’honorable membre prétend que l’exécution de ces articles n’aura pour conséqence de mettre les actionnaires, de mettre même le propriétaire d’une seule action au courant de toutes les affaires de la société en notamment des brevets d’invention. Je n’y vois absolument rien de semble.

Les actionnaires connaîtront de tous les engagements de la société en cours d’exécution, tels qu’endossement sur traites négociées, contrats, cautionnements et autres engagements quelconques. Ainsi, on dira : Monsieur un tel doit un marché de charbon de tant, etc. Ce que l’on doit connaître, ce sont les dettes et les créances, les personnes à qui l’on doit ou qui doivent.

M. Jacquemynsµ. - Les dettes se trouvent indiquées dans le bilan.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Pas le moins du monde ; vous voyez les dettes indiquées au bilan ; mais sans aucun nom. Vous voyez au portefeuille, à l'actif de la société, des créances et l’on n'indique pas ceux qui doivent. Or, je dis que c’est tromper les actionnaires. Si vous avez pour débiteurs des individus qui sont insolvables, je vous prie de me dire quelle garantie vous avez ? Je dis que le plus grand moyen de fraude, ce sont les indications du portefeuille et que la seule garantie est de connaître ses débiteurs.

Si je voulais citer des faits, je vous citerais des portefeuilles qui indiquaient des millions dont pas un sou n'était recouvrable. Si l'on avait fait connaître aux actionnaires quelles étaient les personnes qui devaient, il est certain que la société n'aurait pas été poursuivie de longues années, comme s’est vu.

Je crois, quant à moi, que les actionnaires ont le droit de savoir quelles sont les personnes avec qui la société a traité. Qu'y a-t-il de plus important pour les actionnaires que de savoir ceux qui détiennent l'avoir social ? L'avoir de la société est aux mains de certains débiteurs, et vous voudriez ne pas les faire connaître ! La gérance pourrait traiter avec des insolvables et les actionnaires n'en devraient rien savoir !

Si vous veniez me dire que les pièces ne pourront être communiquées qu'à un certain nombre d'actionnaires, je le concevrais. Mais vouloir qu'elles ne soient connues que des administrateurs et du conseil de surveillance, je crois que c'est aller trop loin. Si l'on veut faire quelque chose de sérieux, il fait donner d’autres garanties.

M. Dewandreµ. - J'ai demandé la parole pour appuyer l’une des observations de M. Macaret et répondre sur ce point à M. le ministre de la justice.

D'après le premier paragraphe de l'article 55, quinze jours avant l’assemblée, les pièces indiquées à l’article précédent seront, au siège social, à la disposition des actionnaires.

Or, les pièces indiquées à l'article précédent sont celles qui doivent être remises aux commissaires, et qui sont mentionnées dans l'article 49, portant :

« Les commissaires sont investis du droit de prendre communication des livres, d'examiner les opérations de la société, de contrôler les comptes, les inventaires et les bilans. »

Doit-on entendre le projet en ce sens que les commissaires n'ont le droit d'examiner que les livres, les comptes, les inventaires et les bilans ?

M. Teschµ. - Lisez le premier paragraphe de l'article 54.

M. Dewandreµ. - Il ne répond pas à ma question. Mais si les commissaires ont un droit plus étendu que celui que je viens d’indiquer, je trouve, à plus forte raison, trop étendu le droit donné aux actionnaires, car d'après le projet, les actionnaires ont le droit de voir tout ce que peuvent voir les commissaires.

Il y a plus : l'article 61bis, paragraphe 2, s'exprime ainsi :

« Les porteurs d'obligations ont le droit de prendre connaissance des pièces déposées en conformité de l'article 55. Ils peuvent assister aux assemblées générales, mais avec voix consultative seulement. »

Il résulte donc de cet article que les porteurs d'obligations ont le même droit de prendre connaissance des pièces que les actionnaires et les commissaires.

Il me semble qu'il y a une distinction à faire entre le droit de contrôle des commissaires, celui des actionnaires et celui des porteurs d'obligations ; que celui des premiers doit être illimité, celui des derniers, au contraire, assez restreint.

Une autre question a été soulevée par M. de Macar : elle est relative à la manière dont les voix doivent être comptées. L’article 53 porte, au moins d’après l’un des projets imprimés qui nous ont été distribués :

« Les décisions sont prises à la majorité des actionnaires présents. »

D’après cette rédaction, l’on pourrait croire que c’est par tête que les votes sont comptés, mais le paragraphe précédent indique assez qu’il n’en est pas ainsi, que c’est par le nombre d’actions que les votes se comptent, puisque ce paragraphe indique que nul ne peut prendre part au vote pour un nombre d’actions dépassant une quotité déterminée.

Je propose, messieurs. de renvoyer le projet à la commission pour qu'elle examine spécialement la question des communications de pièces à faire aux commissaires, aux actionnaires et aux porteurs d’obligations.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Si l'honorable membre a des propositions à faire, nous les examinerons, mais quant à renvoyer le projet à la commission, c'est suspendre la discussion et nous rencontrerons encore bien d'autres articles qui donneront lieu à des critiques.

L’honorable membre est assez bon jurisconsulte pour rédiger sa pensée sous forme d'amendement.

M. Dewandreµ. - Je rédigerai une proposition lorsque nous arriverons à l’article qui concerne les communications de pièces ; elle consistera à donner aux commissaires le droit d'examiner toutes les pièces et à restreindre ce droit pour les actionnaires.

M. Braconier. - Messieurs, je ne suis pas jurisconsulte, et je ne discuterai pas avec l'honorable ministre de la justice les questions de droit ; je me bornerai examiner le coté pratique des dispositions proposées.

Comme lui, je m'élève contre les abus auxquels ont donné lieu certaines sociétés anonymes et je les condamne hautement, mais, d'un autre côté, je constate qu'en présence de quelques sociétés dont on a beaucoup parlé, il en est beaucoup d'autres dont on ne parle pas et qui marchent régulièrement et honnêtement. En somme, cette réglementation excessive dont parlait tantôt mon honorable collègue M. de Macar, a l'air d'avoir été faite en considérant ce qui s'est passé dans quelques sociétés où il y a eu des scandales.

Je tiens à le dire, la grande majorité des sociétés anonymes du pays sont administrées avec régularité et honnêteté et les sociétés malhonnêtes sont la grande exception. Evidemment toutes les sociétés ne rapportent pas de gros dividendes, mais il en est de cela comme des entreprises particulières, qui toutes ne réussissent pas.

M. le ministre de la justice, à différentes reprises depuis le commencement de cette discussion, a beaucoup parlé de l'intérêt des tiers, qu'il s'agissait de sauvegarder ; mais il me paraît que le projet de loi a un tout autre but, c’est celui de mettre des lisières aux actionnaires et, sous prétexte d'accorder la liberté aux sociétés de se constituer, de faire de la réglementation à outrance.

Ainsi, première liberté, la société ne peut pas choisir ses administrateurs comme elle l'entend.

L'honorable ministre me dit que l'assemblée générale peut nommer qui elle veut et qu’il ne s'agit que de la constitution primitive de la société. En ce cas nous sommes d’accord, mais énoncez-le clairement dans la loi.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Le doute ne me semble pas possible.

A l’article 43bis il est dit :

« L'assemblée générale pourra cependant autoriser des actionnaires nominativement désignés à faire ce dépôt et cette déclaration pour un administrateur, sans que la même personne puisse le faire pour plusieurs administrateurs ; elle pourra aussi dispenser un des administrateurs de la garantie ci-dessus prescrite. »

M. Braconier. - Du moment où il ne s'agit que des administrateurs nommés lors de la constitution de la société, nous sommes d'accord ; mais il faudrait le dire formellement.

Il est évident pour moi que le projet de loi tel qu'il est conçu portera un coup terrible à l'association et qu'il empêchera une masse de sociétés utiles de se former, sans pour cela mettre d'entraves aux entreprises des malhonnêtes gens.

Qui sait mieux que l'honorable ministre de la justice que les fripons ont toujours leurs papiers en règle ?

Ce sont d'ordinaire les honnêtes gens qui manquent de prévoyance.

Or, c'est ici le cas. Pour avoir négligé une formalité, des administrateurs honnêtes peuvent être rendus responsables. Je ne discuterai pas, en ce moment, toutes les dispositions du projet de loi qui ne me paraissent pas pratiques. Je me réserve de les examiner au fur et à mesure que l'on discutera les articles qui y ont rapport.

M. de Macarµ. - Messieurs. je ne veux pas entrer en ce moment dans la discussion approfondie des divers articles de la loi que j'ai indiqués. Mon seul but en prenant la parole, au commencement de cette séance, a été de faire un procès de tendance au projet de loi.

(page 474) Ce but, je le crois atteint. Dans le cours de la discussion, je maintiendrai mes arguments.

La réponse qu'a faite l'honorable ministre a démontré une chose essentielle pour le succès de ma thèse, c'est que sa grande préoccupation est de trouver partout des suspects, des coupables ; je constate cette tendance.

Eh bien, messieurs, je crois que ce n'est pas là l'esprit dans lequel nous devons examiner le projet. Nous devons l'examiner aussi et surtout au point de vue de l'extension à donner à la liberté d'association et je suis certain que je trouverai de l'appui dans la Chambre en m'opposant à tout ce qui est réglementation, à tout ce qui tend à mettre l'actionnaire en lisière, à tout ce qui l'empêche de gérer ses propres affaires et qui l'oblige à les gérer de telle ou telle façon, selon le gré du gouvernement. Nous devons nous efforcer de donner la liberté aussi large que possible. Lorsque l'entrave n'est pas indispensable, il importe de la supprimer.

M. Lelièvreµ. - Je pense qu'il est bien entendu que les fondateurs et souscripteurs pourront se faire représenter à l'assemblée par un fondé de pouvoirs, mais que ce mandataire devra se présenter en vertu d'une procuration authentique en minute ou brevet.

Comme le procès-verbal doit être authentique, j'estime qu'il doit en être de même des procurations relatives à ce procès-verbal et aux résolutions qu'il renferme. Si la Chambre voulait adopter un autre système, il serait essentiel d'énoncer à cet égard une disposition spéciale ; mais si notre article est maintenu tel qu'il existe, une procuration authentique me semble indispensable, par application des principes qui ont été sanctionnés par la loi du 16 décembre 1851 sur le régime hypothécaire. Les procurations doivent avoir le même caractère que l'acte auquel elles sont relatives.

M. Dewandreµ. - J'ai demandé la parole sur l'article 30 pour proposer de supprimer du paragraphe 4 de cet article les mots : « ou de parts » et pour proposer de remplacer dans le paragraphe 5 les mots : « le prix pour lequel ils sont faits par ceux : « le nombre des actions en échange desquelles ils sont faits ».

Dans tout le projet de loi, je ne trouve le mot « parts » à coté du mot « actions » que dans l'article 30 qui nous occupe, et si je comprends bien le sens de ce mot « parts », il sert à indiquer les intérêts que les associés possèdent dans une société anonyme, lorsque ces intérêts n'ont pas été évalués en argent dans l'acte constitutif de la société, mais ont été indiqués comme une quotité de l'avoir social sans indication de valeur.

Mais je vois partout ailleurs dans le projet et spécialement dans l'article 33 le mot « actions » employé pour indiquer l'intérêt que l'associé a dans la société, que cet intérêt se compose de parts évaluées en argent au moment de sa constitution ou qu'il se compose de quotités de l'avoir social sans détermination de valeur.

Ainsi, l'article 33 le dit positivement :

« Le capital des sociétés anonymes peut se diviser en actions d'une égale valeur ou d'une égale quotité de l'avoir social... »

Le mot « actions » sert donc bien ici pour indiquer les deux choses. Dès lors je ne vois pas pourquoi on fait une distinction dans le paragraphe de l'article 30 et pourquoi on y parle, indépendamment d'un nombre d'actions, d'un nombre de parts.

Je propose donc de borner ce paragraphe à sa première partie et de dire :

L'objet de la société, le capital social et le nombre d'actions.

Au paragraphe suivant, je propose de dire au lieu de : l »es apports et le prix pour lequel ils sont faits », « les apports et le nombre des actions en échange desquelles ils sont faits. »

Cette rédaction me paraît plus correcte, plus juridique que celle du projet.

En effet, les apports ne sont pas faits pour un prix ; ils sont faits en échange d'un nombre d'actions déterminé ; il peut même se faire que la valeur de ces actions n'ait pas été fixée dans l'acte de société ; comment alors indiquer un prix, comme semble le vouloir le paragraphe dont il s'agit ?

Ce que veut le projet, c'est que les tiers, à qui des actions sont offertes par souscription, puissent savoir quels intérêts dans la société sont donnés, en échange des apports, aux personnes qui les font ; la rédaction que je propose atteint ce but.

- L'amendement de M. Dewandre est appuyé ; il fait partie de la discussion.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Le premier amendement de l'honorable M. Dewandre me paraît fondé. Du moment ou, dans le restant du projet, le mot « actions » est admis comme représentant un tantième, le mot « part » dans l'article dont nous nous occupons est superflu.

Quant au second amendement, je crois qu'il n'est pas admissible ; l'honorable membre propose de dire : « les apports, ou le nombre d’actions en échange desquelles ils sont faits ».

Les apports peuvent ne pas constituer des actions.

Je crois donc que la correction, qui, pour moi, ne touche pas au fond, n'est pas admissible, et qu’il vaut mieux conserver le paragraphe tel qu'il rédigé.

M. Dewandreµ. - Un apport n'est jamais fait pour un prix.

Un prix, c'est la somme d'argent que le vendeur reçoit pour la chose vendue, mais ce n'est pas l'équivalent d'un apport social ; en échange d'un apport social on reçoit des actions, un intérêt dans la société.

Cet intérêt peut même n'être pas évalué dans l'acte de société, car l'article 33 permet, lors de la constitution de la société anonyme, de ne pas évaluer les apports, mais de les diviser en un certain nombre de parts et de dire que les actions consisteront en une quotité déterminée de l'avoir social.

Encore une fois, comment concilier cette disposition avec celle qui, dans l'article, obligerait à indiquer le prix des apports ?

Je reprends l'exemple que j'indiquais à une de nos dernières séances : la fusion de deux sociétés anonymes, qui apportent toutes deux dans une nouvelle société tout leur avoir social et qui reçoivent en échange, les deux tiers des actions et l'autre le tiers.

Dans ce cas aucune évaluation des apports n'a besoin d'être faite, et cependant si vous maintenez le mot « prix » dans l'article 30, il faudra l'estimation ; or, c'est précisément ce qu'on a permis de ne pas faire par l'article 33.

Mais toujours il y aura un nombre déterminé d'actions donné en échange des apports, et c’est ce nombre qui, d'après mon amendement, devra être indiqué lors des souscriptions d'actions.

Ce moyen me paraît seul pratique ; il est en tout cas plus pratique que celui indiqué par le texte du projet de loi qui est présenté.

M. Reynaertµ. - Messieurs, le projet de loi exige que les souscripteurs connaissent les avantages attribués aux fondateurs avant l'acte de constitution définitive de la société.

Je voudrais savoir quel est le sens exact qu’il faut attacher à ce mot « avantages ».

Doit-on entendre par ce mot les primes et les gratifications qui seraient accordées aux fondateurs pour services rendus antérieurement à la constitution de la société ? Ou bien faut-il donner un sens plus large à ce terme et entendre par là également les traitements, sous quelque forme que ce soit, alloués soit aux administrateurs, soit aux commissaires de la société ?

Une autre observation, messieurs, concerne le paragraphe 4 du même article ; d'après ce paragraphe, le bulletin de souscription doit indiquer la date la publication de l'acte de fondation de la société.

Dans la société dont il s'agit, c'est-à-dire par souscription publique, il y aura deux actes différents : il y aura d'abord un acte de fondation, qui ne sera qu'un simple projet, il y aura ensuite un acte de constitution définitive qui sera le procès-verbal de la réunion générale des souscripteurs.

Aux termes de l'article 10, les différents actes authentiques de la société anonyme doivent être publiés.

La date de l'acte de fondation devant être indiquée sur le bulletin de souscription, il en résulte que la publication de ces divers actes est successive, au lieu d'être simultanée.

Je pense, messieurs, qu'il vaudrait mieux publier l'acte de fondation en même temps que l'acte définitif' car, comme j'ai eu l'honneur de le dire, l'acte de fondation n'est qu'un projet, une ébauche ; il se pourra fort bien que la société projetée vienne à tomber plus tard par la volonté de la majorité des souscripteurs.

On éviterait de cette manière une publication inutile et les frais frustratoires qu'elle entraînerait.

M. Lebeau. - Messieurs, je crois que les apports sont faits généralement contre des actions ; mais il peut arriver aussi que les apports soient faits à la fois contre des actions et de l'argent ; il y a donc lieu de maintenir le paragraphe 5 de l'article 30 que l'honorable Dewandre veut modifier.

M. Dewandreµ. - Messieurs, il me paraît évident que 1'apport contre lequel on verserait de l'argent ne serait pas un apport, mais une vente faite la société.

Celui qui livre une chose société en échange d'un prix, d'une somme d'argent, fait une vente à cette société, mais non un apport. Il est, par ce fait, vendeur et non pas actionnaire, puisqu'il ne prend pas, en échange de sa chose, un intérêt dans la société.

M. Teschµ. - On pourrait faire droit aux observations qui viennent (page 475) présentées, en rédigeant le paragraphe 5 de l'article 30, de la manière suivante :

« Les apports et les conditions auxquelles ils sont faits »

- Cet amendement est appuyé. Il fera partie de la discussion.

M. Dewandreµ. - Je me rallie à l'amendement de M. Tesch.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - L'honorable M. Reynaert a demandé quels avantages seraient accordés par l'article 30 aux fondateurs. Evidemment, ce sont tous les avantages particuliers qui sont stipulés dans le contrat en faveur des personnes qui ont créé la société et qui ont fait certains apports. Quant aux administrateurs, ils auront les avantages qui leur seront accordés par l'assemblée générale.

L'honorable membre a demandé si la publication ne peut pas être faite en même temps que les souscriptions.

Je crois qu'il n'y a aucun inconvénient à faire cette publication avant les souscriptions.

Je ne vois pas pourquoi l'on voudrait forcer à ne faire cette publication que postérieurement. Dès que la publication sera faite, ne devra pas la recommencer. Dans le système de l'honorable M. Reynaert, il faudrait la faire après la souscription. Nous ne l'exigeons plus après la souscription, lorsqu'elle a été faite d'avance.

M. Reynaertµ. - Elle doit être faite deux fois.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Elle doit être faite deux fois, si le contrat voté à l'assemblée générale est modifié.

M. de Macarµ. - Je demanderai s'il est bien nécessaire de déterminer le délai d'un mois pour la convocation des souscripteurs. Il pourrait se faire que la souscription ne fût pas parfaite en un mois, mais qu'elle se fît en deux ou en trois mois.

Je proposerai de substituer aux mots : « Une assemblée qui sera tenue dans le mois », ceux-ci : « Une assemblée qui sera tenue dans les trois mois pour la constitution définitive de la société ».

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je crois même inutile de dire : « Dans les trois mois ». Laissez la société fixer l'époque.

M. de Macarµ. - Je crois, au contraire, qu'il faut fixer une date. On ne peut laisser une souscription indéfiniment ouverte. J'admets la pensée qui a présidé à la confection de l'article. Mais, en proposant trois mois, je crois répondre aux deux pensées qui ont été émises : je ne laisse pas la souscription ouverte pendant un temps indéterminé et je laisse à la société le temps nécessaire et désirable pour se constituer.

- La discussion est close.

M. le président. - Je mets l'article aux voix par paragraphe.

« Art. 30. La société peut aussi être constituée au moyen de souscriptions. »

- Adopté.

« Les souscriptions doivent être faites en double et indiquer :

« La date de l'acte authentique de société et de sa publication ; »

- Adopté.

« L'objet de la société, le capital social le nombre d'actions ou de parts. »

M. le président. - M. Dewandre a proposé de supprimer les mots ; « ou de parts. »

- Le paragraphe, ainsi modifié, est adopté.

« Les apports et le prix pour lequel ils sont faits. »

M. le président. - M. Tesch a proposé de rédiger ce paragraphe comme suit :

« Les apports et les conditions auxquels ils sont faits. »

- Le paragraphe, ainsi rédigé, est adopté.

« Les avantages particuliers attribués aux fondateurs. »

- Adopté.

« Le versement d'un vingtième au moins de la souscription. »

- Adopté .

« Elles contiennent convocation des souscripteurs à une assemblée qui est tenue dans le mois pour la constitution définitive de la société. »

M. le président. - M. de Macar a proposé de dire : « qui sera tenue dans les trois mois ».

- Le paragraphe, ainsi modifié. est adopté.

Article 30bis

« Art. 30bis. Au jour fixé les fondateurs présenteront à l’assemblée, qui sera tenue devant notaire, la justification de l'existence des conditions requises par l'article 28 avec les pièces à l'appui.

« Si la majorité des souscripteurs présents, autres que les fondateurs, ne s'oppose pas la constitution de la société, les fondateurs déclareront qu'elle est définitivement constituée.

« Le procès-verbal authentique de cette assemblée, qui contiendra la liste des souscripteurs et l'état des versements faits, constituera définitivement la société. »

M. Reynaertµ. - Messieurs, le second paragraphe de l'article 30bis soulève une question d'une certaine gravité.

Je suppose qu'au jour de la réunion de l'assemblée générale des souscripteurs, le capital social indiqué dans l'acte de fondation ne soit pas entièrement souscrit.

Une chose certaine, c’est que ce déficit du capital social sera un obstacle à la constitution définitive de la société, car parmi les conditions exigées par l'article 28 figure la souscription intégrale du capital social.

Un pareil état de choses produirait cependant un inconvénient très sérieux.

D'après projet de loi amendé par l'honorable M. de Macar, l'assemblée générale des souscripteurs doit avoir lieu dans les trois mois de l'acte primitif ; s'il s'agit d'une grande entreprise, si le capital à réunir est considérable, il se pourrait qu'au bout de ce temps la souscription, quoique ayant parfaitement réussi, ne soit pas entièrement achevée.

Dans ce cas, on aurait empêché, tout au moins. entravé la création d'une société qui pouvait être appelée à un grand avenir.

Je me demande, messieurs, s'il serait pas possible de remédier à cet inconvénient éventuel en stipulant dans les statuts que la majorité des souscripteurs aurait le pouvoir de réduire le capital social.

M. Dupontµ. - Non.

M. Reynaertµ. - Et pourquoi pas ? Y a-t-il un texte du projet de loi ou un principe général qui s'y oppose ?

Il est évident que dans cette hypothèse la majorité, agissant comme mandataire de la minorité, pourrait valablement engager celle-ci.

J'entends dire qu'il faudrait l'unanimité ; mais encore une fois pourquoi les statuts ne pourraient-ils pas contenir une pareille stipulation ?

Je poserai la même question relativement aux apports.

Le pouvoir de la majorité se trouve-t-il rigoureusement circonscrit par les évaluations indiquées au bulletin de souscription ? Si les fondateurs diminuaient leurs prétentions dans la réunion même de l’assemblée générale, cette diminution pourrait-elle être acceptée par la majorité ?

En France, ce point est controversé.

Pour que cette acceptation soit possible, ne faudrait-il pas que les statuts aient autorisé d'avance la majorité de l'assemblée à accepter la diminution sur les évaluations contenues dans l'acte social ?

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, dès qu'il y a opposition de la part d'un souscripteur, la majorité est liée aux termes de la souscription ; s'il n'y a pas d'opposition, vous pouvez faire un nouveau contrat.

M. Reynaertµ. - Si les statuts ont prévu le cas.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Les statuts n'existent qu'après l'assemblée générale dans laquelle la société a été définitivement constituée.

- L'article 30bls est mis aux voix et adopté.

Article 31

« Art. 31. Lorsqu'une émission d'actions est faite soit en vertu d'une disposition des statuts, soit par une modification aux statuts, les souscriptions devront être faites en double et contenir les énonciations indiquées en l'article 30. »

- Adopté.

Article 32

« Art. 32. Les fondateurs sont solidairement responsables envers les intéressés soit de l'absence ou de la fausseté des énonciations prescrites pour les actes de souscription, soit de la nullité d'une société constituée par eux et dérivant du défaut d'acte authentique ou d'une des conditions requises par l'article 28. »

M. Lelièvreµ. - Le moment est venu de présenter l'observation que j'ai proposée relativement à l'article 29.

Je désire connaître si les tiers pourront se prévaloir des nullités qui sont prononcées par notre article et faire déclarer non recevable l'action de la société, dans le cas où les formalités dont s'occupe notre section n'auraient pas été observées, ou bien les associés auront-ils seuls le droit de faire valoir les nullités dont il est question en notre disposition ?

Je désire donc qu'on veuille me dire si les tiers pourront opposer une exception péremptoire contre toute action qu'exercerait la société, ainsi qu'il est statué dans une autre hypothèse par l'article 12.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il s'agit de toute personne qui a un intérêt dans la société. La disposition s'applique donc aux tiers comme aux associés.

- Adopté.

Paragraphe 3. Des actions et de leur transmission
Articles 33 et 34

« Art. 33. Le capital des sociétés anonymes peut se diviser en actions d’une égale valeur ou d’une égal quotité de l’avoir social, portant chacun un numéro d’ordre.

« Une action peut être divisée en plusieurs coupures numérotées. »

- Adopté.


« Art. 34. Il sera tenu, au siège social, un registre d'actionnaires, dont tout intéressé pourra prendre connaissance.

« Ce registre contiendra, pour chaque action :

« L'indication des versements effectués ;

« La désignation précise du propriétaire ;

« Les transferts avec leur date, ou la conversion en titre au porteur, si les statuts l'autorisent. »

- Adopté.

Article 35

« Art. 35. La propriété de l'action nominative s'établit par inscription sur le registre prescrit par l'article précédent ; un certificat de cette inscription sera délivré à l'actionnaire.

« La cession s’opère par une déclaration de transfert inscrite sur le même registre, datée et signée par le cédant et le cessionnaire, si l'action n’est pas entièrement libérée.

« La mutation, en cas de décès, est valablement faite à l'égard de la société s’il n’y a opposition, sur la production de l’acte de décès, du certificat d’inscription, et d’un acte de notoriété reçu par le juge de paix ou par un notaire.

« S’il y a plusieurs propriétaires de l'action. la société a le droit de suspendre l'exercice des droits y afférents, jusqu'à ce qu'une seule personne soit désignée comme étant, à son égard, propriétaire de l'action. »

M. Van Iseghem. - Le paragraphe 2 de l'article 35 dit que la cession d’une action s’opère par une déclaration de transfert à inscrire sur le registre mentionné à l’article 34 et qui doit être datée et signée par le cédant et le cessionnaire.

Je désire savoir de M. le ministre de la justice si le propriétaire d'une action sera tenu d’aller en personne au siège de la société pour faire la cession, ou bien, comme je le pense, si le transfert pour se faire par procuration.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Nous ne changeons rien aux règles du mandat. Il n’est pas dit que les associés ne pourront pas se faire représenter par des mandataires.

M. Reynaertµ - A propos de l'article 35, je voudrais demander à l’honorable ministre une explication sur une question d’une importance très grande.

Je voudrais savoir quel sera l'effet de la cession de l'action nominative opérée avec les formalités de l'article 35, soit vis-à-vis de la société, soit vis-à-vis des tiers.

Un exemple.

Je suis propriétaire d'une action non libérée ; est-ce que le transfert réglé par le projet de loi aura pour effet de me dégager des versements ultérieurs ?

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je demande à examiner la question que vient de poser l'honorable membre avant de lui répondre.

M. Dewandreµ. - Je désire faire une observation sur la l'article 33. Cet article porte, dans son paragraphe premier que la propriété de l'action nominative s'établit par une inscription sur le registre prescrit par l'article précédent.

Le paragraphe suivant prévoit le cas de transfert des actions, mais ne parle plus du certificat à délivrer au cessionnaire de l'action

Il est entendu cependant que, lors de la cession de l’action, un certificat d’inscription du transfert sera remis au nouvel actionnaire ; que ce n’est pas le premier certificat qui lui sera transmis.

Le texte pouvant laisser un doute à cet égard, je propose de terminer le premier paragraphe au mot « précédent » et d’ajouter au paragraphe 2 la rédaction suivante : « Des certificats constatant les inscriptions seront délivrés aux actionnaires. »

M. le ministre de la justice (M. Bara). - L’action nominative ne peut être cédée que lorsqu’elle est libérée.

L’article 35 prévoit toutes les formalités nécessaires pour que l’on reconnaisse toujours le cédant et le cessionnaire. Il est évident que la responsabilité du cédant exxiste. Je ne sais s’il y a une disposition à cet égard, mais au point de vue des principes il n’y a point de doute que le souscripteur d’une action doit être responsable jusqu’au complet versement.

M. le président. - M. Dewandre propose de supprimer, à la fin du premier paragraphe de l’article 33, les mots « un certificat de cette inscription sera délivré à l’actionnaire », et d’ajouter à la fin du paragraphe 2 la phrase suivante : « Les certificats constatant les inscriptions seront délivrés aux actionnaires. »

- L’amendement de M. Dewandre est appuyé ; il fait partie de la discussion.

M. Reynaertµ. - La déclaration de M. le ministre me paraît en contradiction avec le doctrine exposée dans le rapport de la commission.

Voici notamment ce que je lis à la page 52 de ce rapport :

« Les nouveaux textes que vous soumet votre commission rendent obligatoire la tenue du registre des actionnaires ; ils imposent la publication annuelle des noms des associés débiteurs de leur mise, et ils permettent par là de décharger les souscripteurs de leur responsabilité en donnant les moyens d'atteindre leurs cessionnaires. »

Et plus loin, à la page 53 :

« La manière dont la mutation se fait est empruntée au code actuel, pour le cas ou l'action est libérée ; il n'y a, dans ce cas, aucune utilité à exiger la signature du cessionnaire. Il en est autrement lorsque l’action n’est pas libérée ; le livre doit contenir la preuve que le cessionnaire accepte la charge des versements à faire. »

Ne résulte-t-il pas toute évidence de ces passages du rapport que l'honorable ministre donne au projet de loi une interprétation qu'il ne peut pas recevoir ? Comment comprendre ces textes, sinon dans le sens d'une société s'il n'y a libération opérée par la cession de l'action nominative ?

Quant à moi, je n'ai pas le moindre doute à égard.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Le rapport dit que le projet de loi fournit les moyens de poursuivre les cessionnaires, mais il ne me semble pas que les cédants ne seront pas responsables dans le cas où l'on

Ne résulte-t-il pas toute évidence de ces passages du rapport que l'honorable ministre donne au projet de loi une interprétation qu'il ne peut pas recevoir ? Comment comprendre ces textes, sinon dans le sens d'une société s'il n'y a libération opérée par la cession de l'action nominative ?

Quant à moi, je n'ai pas le moindre doute à égard.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Le rapport dit que le projet de loi fournit les moyens de poursuivre les cessionnaires, mais il ne me semble pas que les cédants ne seront pas responsables dans le cas où l'on ne peut atteindre le cessionnaire. Sans cela, je demande à quoi serviraient ces registres, où l'on doit consigner le nom du cédant et celui du cessionnaire. Mais c'est précisément pour être certain que la mise sociale sera versée toute entière qu'on tient des noms des cédants et des cessionnaires.

M. Teschµ. - Cette question me paraît très grave et je désirerais que l’article 35 fût tenu en suspens pour permettre à la Chambre d'y réfléchir. Le doute surgit surtout quand on lit l’article 38.

Il y est déclaré que les versements au-delà de la moitié ne peuvent être exigés ; ce qui indiquerait qu'une fois l'action libérée de moitié, le souscripteur primitif n'est plus tenu au delà.

C'est, je crois, là, la pensée de la loi ; dans tous les cas, c’est ainsi que je l’ai comprise. Je désire donc que M. le ministre de la justice veuille bien examiner cettequestion qui a une importance majeure.

Il importe que nous soyons fixés sur le sens de la disposition.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - C'est encore un autre cas.

M. Teschµ. - C'est possible ; mais cela prouve que nous avons tous des doutes sur la question.

Quant à l'article 35, je ferai deux autres observations : l'une relative au second paragraphe qui n’exige l'intervention du cessionnaire pour le transfert de l'action que quand celle-ci n'est pas entièrement libérée. Je crois qu'il faut rendre l'intervention du cessionnaire obligatoire, même quand l'action est libérée.

Il suffirait pour cela de supprimer le finale du paragraphe, c'est-à-dire les mots : « si l'action n’est pas entièrement libérée. »

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Le projet de loi admet un autre principe ; le projet de loi dit que les actions nominatives, à partir de leur libération, deviennent des actions au porteur...

M. Teschµ. - Un mot, s'il vous plait.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Volontiers.

M. Teschµ. - Dans toutes les sociétés anonymes, il y a des actions nominatives qui deviennent des actions au porteur, alors qu'elles sont complètement libérées. Mais, voici, je pense, l'idée qui a présidé à la rédaction du code de commerce actuel ; c'est que quand l'action est entièrement libérée, il n'est pas besoin de l'intervention du cessionnaire, parce que celui-ci n’est plus engagé à rien ; mais je pense qu'il faut exiger l'intervention du cessionnaire, alors même que l'action est entièrement libérée.

C'est pourquoi je demande la suppression de la phrase finale du paragraphe 2 de l'article 35.

Maintenant je ferai une observation relative au paragraphe 3 du même article. Ce paragraphe porte :

« La mutation, en cas de décès, est valablement faite à l'égard de la société, s’il n’y a opposition, sur la production de l'acte de décès, du certificat d'inscription, et d'un acte de notoriété reçu par le juge de paix ou par un notaire. »

Je me demande si ce paragraphe ne pourrait pas être supprimé, pour (page 477) laisser les sociétés dans le droit commun ; il n'y pas de raison de prescrire vis-à-vis d’elles des moyens de preuve autres que ceux qui sont employés à l'égard des particuliers ; les sociétés doivent avoir le droit de faire justifier complètement de la propriété des actions comme les particuliers.

Je le répète, les sociétés me paraissent devoir rester, comme les personnes naturelles, dans le droit commun.

Je demanderai donc la suppression du paragraphe 3 de l'article 35.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Le cas posé par l'honorable M. Tesch, est un cas différent ; c'est le cas où la société stipule qu'une action peut être mise en circulation, alors que la moitié de la somme a été versée, après la libération de moitié.

Je n'ai pas répondu à ce cas ; la question est de savoir si, quand la cession est faite, le cédant est complètement libéré.

Je ne m'oppose pas à la suppression, dans le deuxième paragraphe, des mots : « si l'action n'est pas entièrement libérée. »

Quant au troisième paragraphe, il y a une controverse sur la question de savoir comment la société doit admettre la mutation en cas de décès. C'est pour la trancher que la disposition est proposée.

M. le président. - M. Tesch propose de supprimer dans le paragraphe 2 de l'article les mots : « si l'action n'est pas entièrement libérée ».

- L'amendement est appuyé. Il fera partie de la discussion.

M. Reynaertµ. - Messieurs, une preuve incontestable de l’interprétation erronée que l'honorable ministre donne à l'article en discussion, c'est un autre passage du rapport de la commission, dont j'aurai l'honneur de vous donner lecture.

Voici ce que l'honorable M. Pirmez dit à la page 28 de ce rapport :

« La difficulté ne se présente pas seulement pour les sociétés en commandite, mais aussi pour les sociétés anonymes.

« Quelle que soit l'analogie de ces deux sociétés, votre commission vous propose de décider la question en sens opposé, suivant qu'elle se présente dans la société en commandite ou dans la société anonyme.

« Elle croit qu'il faut maintenir l'obligation du souscripteur primitif dans la commandite, et qu'il faut lui permettre, à certaines conditions, de se dégager par une cession dans la société anonyme.

« Ces solutions opposées concordent avec le but que poursuit le projet d'écarter de la commandite le mouvement des actions, pour concentrer dans la société anonyme les opérations de bourse ; cette différence lui a permis de laisser à la commandite les allures des affaires privées qui se soustraient aux regards du public, pendant qu'elle impose aux sociétés anonymes de nombreuses mesures de garantie. »

Permettez-moi, messieurs, d'ajouter un mot de réponse à ce que l'honorable ministre a dit tantôt.

D'après l'honorable M. Bara les formalités prescrites par les articles 34 et 35 n'auraient pas pour but de dégager le cédant ; leur seul effet serait de permettre à la société de découvrir le cessionnaire et de lui fournir le moyen de le poursuivre.

Cet argument ne prouve rien, car c'est surtout en cas de dégagement que la société aurait intérêt à conserver sur ces registres le nom du cessionnaire.

Le tiers aurait évidemment le même intérêt, et voilà pourquoi l'article dispose que « tout intéressé pourra prendre connaissance du registre des actionnaires ». Parmi les intéressés, il faut certainement compter les tiers.

M. Lelièvreµ. - On parle d'acte de notoriété reçu par le juge de paix ; il s'agit sans doute du juge de paix dans le canton duquel le défunt avait son domicile. C’est ainsi que je pense qu'il faut entendre la disposition.

M. Teschµ. - J'ai demandé tantôt la suppression du troisième paragraphe de l'article 35. M. le ministre de la justice me répond que ce paragraphe est applicable au cas de cession. C'est une erreur. Il est applicable au cas de mutation par décès.

Je me demande pourquoi, dans ces cas, les sociétés sont mises dans une situation toute particulière, dans une situation exceptionnelle. Une société doit, dans ces cas, avoir le droit, comme tout individu à qui on vient demander quelque chose, d'exiger la justification complète du droit qu'on invoque contre lui. Pourquoi la société serait-elle dans une autre situation ? Je n'en vois pas la raison.

Vous parlez d'acte de notoriété. Mais qu’est-ce qu'un acte de notoriété ? Je ne le sais pas encore aujourd'hui. Deux ou trois individus viennent devant un notaire ou le juge de paix et attestent tel ou tel fait. Le plus souvent, ce n'est ni le notaire, ni le juge de paix qui atteste le fait, ce sont souvent des individus insolvables, et alors où est la garantie de la société ?

Je crois qu'il faut supprimer ce paragraphe et laisser les sociétés dans le droit commun.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - L'honorable M. Tesch oublie une chose : c'est que, pour tout ce qui constitue les cessions d'actions, on établi un mode spécial. La cession des actions dans la société ne se fait pas conformément au droit commun. Vous avez, je le répète, établi un droit spécial. Or, vous n'êtes pas fondé à venir demander pour la mutation, en cas de décès, des règles plus sévères.

L'honorable membre dit : Laissez faire la société. Mais il faut faire des procès aux sociétés pour obtenir une mutation en cas de décès ; c'est une procédure coûteuse.

On a voulu trancher la controverse et dire simplement que, sur la production de l'acte de décès et d'un acte de notoriété constatant que les individus sont bien propriétaires de l'action, la société doit opérer la mutation.

Maintenant la société ne sera pas, pour cela, atteinte dans ses droits. (Interruption.) C'est un avantage pour elle ; dès qu'il y a un acte de décès et un acte de notoriété elle est déchargée. Je crois, du reste, que cette disposition, qui a été admise dans la pratique, tranche la difficulté.

M. Lebeau. - En ce qui concerne l'acte de notoriété dont il s'agit en l'article en discussion, il me paraît que dès l'instant qu'il serait exigé des personnes qui attestent le fait, qu'elles répondent leurs attestations... (Interruption.) Si ces personnes comparaissent devant le notaire, qui connaît leur solvabilité et qu'elles attestent le fait à constater sous leur responsabilité... (Interruption.) Evidemment si des personnes comparaissent devant le notaire pour faire un acte de complaisance, frauduleusement, elles sont responsables de leur fraude.

Si l'acte de notoriété est fait par des personnes connues du notaire et que ces personnes répondent de leur déclarations, cela doit suffire. (Interruption.)

Comment ! vous viendrez attester un fait faux et vous ne serez pas responsable ?

- Un membre. - Il peut y avoir simplement erreur.

M. Lebeau. - Les personnes qui attestent un fait sous leur responsabilité sont responsables d’après le droit commun, si elles affirment comme vrais des faits faux.

Maintenant, messieurs, puisque j’ai la parole. Je dirai deux mots de la question soulevée par l'honorable M. Reynaert.

Il demande si celui qui a souscrit une action nominative pourra, après l'avoir cédée, être encore tenu payer la partie non versée. Evidemment il demeure responsable. S'il n'était pas responsable, la société aurait été constituée avec un capital fictif. Ainsi, je suppose qu'on constitue une société au capital d'un million et qu'on ne verse qu'un sixième. Je traite avec cette société comptant sur le capital d’un million, mais les actionnaires cèdent leurs actions à des personnes insolvables et je n'aurais pas mon recours contre les souscripteurs qui se sont engagés à verser le montant de leurs actions !

Je dis qu'une disposition comme celle-là serait une disposition immorale, et que, si elle se trouvait dans un contrat, celui-ci devrait être annulé.

L'article 40 du projet touche indirectement à cette question.

Il porte, en effet :

« Après la dissolution de la société, toute personne qui a été propriétaire d'une action depuis l'avant-dernière publication du capital social, peut être réputée en avoir encore la propriété, quant aux versements à faire.

« L'ancien propriétaire, qui a paye la dette d'autrui, aura un recours solidaire contre celui auquel il a cédé son titre et contre les cessionnaires ultérieurs. »

Cela indique bien que l'ancien propriétaire d'action peut être contraint de payer à la société le montant intégral de ses actions, mais qu'il a son recours contre son cessionnaire.

De même il doit être décidé que le souscripteur reste obligé envers la société, être moral, et vis-à-vis de ses créanciers, qui peuvent exercer ses droits.

M. Lelièvreµ. - L'acte de notoriété a pour objet de simplifier les formalités. Lorsqu'il existe un grand nombre d'héritiers, il n'y a véritablement moyen de terminer l'affaire qu'à l'aide d'un acte de notoriété. Sans cela, il peut s'élever des difficultés inextricables, auxquelles on ne peut obvier qu'au moyen d'un acte de la nature de celui dont il s'agit. L'expérience de tous les jours démontre ce que c'est surtout dans la matière dont nous nous occupons qu'il faut simplifier les choses.

L'acte de notoriété a pour conséquence d'attribuer aux individus présentés comme héritiers la qualité d'héritiers apparents, qualité qui autorisera les tiers les considérer comme propriétaires réels, ce qui autorisera aussi les héritiers à se mettre en possession de l'action, à jouir des fruits, (page 478) à percevoir les sommes en qualité de possesseurs de bonne roi. Sans pareil acte, il s'élèverait souvent des embarras très graves et l'on ne pourrait connaître, surtout quand il existe un grand nombre d'héritiers, à qui on devrait attribuer la jouissance.

J’estime donc qu’il faut maintenir l’acte de notoriété consacré par l’usage et des besoins reconnus.

M. Watteeuµ. - Messieurs, le paragraphe que nous discutons n’a été indiqué comme nuisible ou dangereux par personne. Beaucoup de personnes, au contraire, le considèrent comme utile. C'est là, me semble-t-il, une raison suffisante pour le maintenir.

Dans la pratique, comme l'a dit l'honorable ministre de la justice, il est d'usage de transférer les actions d'une personne à une autre au moyen d'un certificat.

Non seulement cette marche est très simple et très rapide, mais elle est surtout utile pour les héritiers de l'actionnaire décédé.

L'héritier de l'actionnaire, ne sachant comment s'y prendre pour faire transférer les actions qu'il tient de son auteur, consulte immédiatement les statuts et c'est là qu'il trouve indiquée la marche à suivre.

Les étrangers qui ignorent la législation générale du pays peuvent savoir ainsi, à l'instant même, quelles sont les formalités à l’aide desquelles ils peuvent obtenir le transfert en leur nom.

L'honorable M. Tesch commet une erreur, je pense, quand il dit que l'acte de notoriété n'entraîne aucune responsabilité. Les lois prévoient plusieurs cas où ces actes engagent la responsabilité de ceux qui les souscrivent.

Mais il est un autre principe qui doit mettre à l'abri l'associé qui a opéré un transfert, c'est que celui qui est nanti d'un acte de notoriété a tout au moins la qualité d'héritier apparent et que le payement qui lui est fait est valable.

Sans doute le véritable héritier aura un recours à exercer contre celui qui s'est emparé de son bien.

Mais si ce dernier est tombé dans un état d’insolvabilité, la perte sera pour l'héritier qui se sera laissé précéder par un usurpateur de ses droits.

Loin donc de supprimer ce paragraphe, comme quelques membres le proposent, je crois qu'il est essentiel de le maintenir.

M. de Rossiusµ. - Messieurs, j'ai demandé la parole non pour m'occuper de la question dont vient de parler l'honorable M. Watteeu, mais

pour dire quelques mots de la responsabilité du cédant d'une action nominative non libérée, et répondre à l'interrogation de l'honorable M. Reynaert.

Je rappellerai d'abord à la Chambre que dans la discussion qui, à propos de la société en commandite, a eu lieu sur les amendements présentés par les honorables MM. Moncheur et Reynaert, M. le ministre de l'intérieur a affirmé avec énergie la nécessité juridique d'imposer au commanditaire qui a cédé son titre l'obligation de faire les versements que son cessionnaire est impuissant à effectuer. Aujourd'hui, nous sommes dans la matière des sociétés anonymes (Interruption.)

L’honorable M. Reynaert vous a demandé si le cédant d'une action nominative non libérée peut être recherché quand son cessionnaire se trouve dans l'impossibilité de compléter les versements dus. (Interruption.)

Je dis qu'en matière de commandite, l'honorable ministre de l'intérieur a donné à cette question une solution affirmative.

Le cédant peut être recherché dans la commandite. Y a-t-il lieu de changer le système dans la société anonyme ? Y a-t-il lieu de renoncer au droit de rechercher le cédant de l'action nominative ? Voilà la question.

Commençons par constater que la solution affirmative était admise par le premier projet du gouvernement. L'article 42, in fine du projet primitif, disait : :

« Les souscripteurs sont, nonobstant toute stipulation contraire, responsables du montant total des actions par eux souscrites. »

Donc la solution affirmative était consacrée par le projet primitif. A mon avis, cette solution est bonne. Du moment l'on s'est engagé à parfaire des versements, ces versements doivent être faits.

M. le ministre de l'intérieur actuel, rapporteur de la commission spéciale, a cru nécessaire de déroger à ce principe pour la société anonyme. Il a constaté que la loi anglaise ne permet pas de poursuivre le cédant, qu'elle n'autorise les créanciers et les actionnaires qu'à réclamer du seul cessionnaire les versements en retard. En conséquence, il a refusé de faire entrer dans le projet de la commission la disposition dont je vous ai donné lecture.

Il l'a fait, messieurs, d'une double façon : d'une manière explicite, dans son rapport, où se rencontre une déclaration précise ; d'une manière implicite dans son projet, et en vertu d’un argument a contrario qui s'imposera aux tribunaux chargés de vider les contestations qui naîtront.

Cet argument a contrario se tire de l'article 40.

J’ai à vous lire la disposition de cet article 40 ; mais, auparavant, veuillez remarquer que dans l'imprimé qui vous a été distribué comme supplément au n°28 de la session dernière, et où se trouvent placés en regard les dispositions du code de commerce, celles du projet primitif du gouvernement, les articles de la commission et, enfin, la rédaction de M. le ministre de la justice, l'article 42 que je vous ai fait connaître se trouve en face de l'article 40 que vous allez entendre.

Le premier est le système de M. Tesch, l'autre est le système nouveau tiré de la loi anglaise.

Il est ainsi conçu :

« Après la dissolution de la société, toute personne qui a été propriétaire d'une action depuis l'avant-dernière publication annuelle du capital social, peut être réputée en avoir encore la propriété, quant aux versements à faire.

« L'ancien propriétaire, qui a payé la dette d'autrui, aura un recours solidaire contre celui auquel il a cédé son titre et contre les cessionnaires ultérieurs. »

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Cela ne prouve rien contre le cédant.

M. de Rossius. — Voulez-vous me permettre de vous donner une nouvelle lecture du paragraphe premier de cet article ?

« Après la dissolution de la société, toute personne qui a été propriétaire d'une action depuis l'avant-dernière publication annuelle du capital social peut être réputée en avoir encore la propriété, quant aux versements à faire. »

Est-ce clair et est-il possible d'hésiter ? Qui peut être recherché par les liquidateurs ? Qui peut-être par eux contraint de verser ? Celui qui a été propriétaire de l’action depuis l'avant-dernière publication du bilan, celui-là seul.

Supposez-le également insolvable, son cédant, c'est-à-dire celui qui était propriétaire avant l'avant-dernière publication, ne peut être poursuivi.

Et le paragraphe 2 ajoute que le cédant qui aura été contraint de verser, aura un recours solidaire contre ses cessionnaires, parce qu'il aura payé la dette d'autrui.

Voici, dans le système de l'honorable ministre de l'intérieur et de la commission spéciale, la différence de ce qui est admis pour les commandites. Le projet dans ses dispositions sur la société anonyme affranchit le cédant de l'obligation de faire les versements. Assurément c'est très grave, aussi l'honorable ministre de l'intérieur ne l'a admis qu'en y dérogeant comme vous l'avez vu pour le cas de faillite et de dissolution de la société.

Pour ma part, je ne crois pas heureuse l'innovation de l'honorable M. Pirmez. Je la crois peu pratique et peu favorable au crédit des sociétés anonymes.

Je serais très disposé à reprendre la rédaction de l'article 42 primitif qui veut que « les souscripteurs soient, nonobstant tontes stipulations contraires, responsables du montant total des actions par eux souscrites. »

C'est aux souscripteurs, en définitive, à ne pas céder leurs actions à des cessionnaires insolvables qui ne pourraient pas faire les versements en leur lieu et place.

- Voix nombreuses. - A demain !

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, comme la question ne se présente qu'à l'article 44, on pourrait, ce me semble, voter l'article 35, sauf à examiner les difficultés qui peuvent se présenter lorsque nous serons parvenus à l'article 44, et à présenter un amendement s'il y a lieu.

M. le président. - Je vais mettre aux voix l'article 35. A cet article se rapportent plusieurs amendements ; je vais les mettre successivement aux voix.

M. Dewandre propose de transférer les mots : « un certificat de cette inscription sera délivré à l'actionnaire », qui se trouvent à la fin du paragraphe premier et la fin du paragraphe 2, et de dire : « La cession s'opère par une déclaration de transfert inscrite sur le même registre, datée et signée par le cédant et le cessionnaire, si l'action n'est pas entièrement libérée ; un certificat de cette inscription sera délivré à l'actionnaire. »

Il n'y a pas d'opposition à l'adoption de cet amendement ?

- Adopté.

M. le président. - M. Tesch a présenté un premier amendement qui consiste à supprimer, dans le paragraphe 2, les mots : « si l'action n'est pas entièrement libérée ». M. le ministre s'est rallié à cet amendement.

- Adopté.

(page 479) M. le président. - Le second amendement de M. Tesch a pour but la suppression du paragraphe 3 ; je le mets aux voix.

- L'amendement de M. Tesch n'est pas adopté ; le paragraphe 3 est maintenu.

« Paragraphe 4 et dernier. S'il y a plusieurs propriétaires de l'action, la société a le droit de suspendre l'exercice des droits y afférents jusqu'à ce qu'une seule personne soit désignée comme étant à son égard propriétaire de l'action. »

- Adopté.

L'ensemble de l'article 35, qu'il vient d'être modifié, est ensuite mis aux voix et adopté.


M. Dewandreµ. - J’ai l’honneur de déposer sur le bureau des amendements aux articles 49 et 55.

- Ces amendements seront imprimés et distribués.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - J'ai l'honneur de présenter à la Chambre des amendements sur les sociétés coopératives.

- Ces amendements seront imprimés et distribués.

M. Lelièvreµ. - Je propose le renvoi des amendements à la mission.

- Ce renvoi est prononcé.


M. le président. - M. Visart demande un congé.

- Ce congé est accordé.

La séance est levée à 4 heures trois quarts.