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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 12 février 1870

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1869-1870)

(Présidence de M. Moreau, premier vice-présidentµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 458) M. de Rossiusµ fait l'appel nominal à heures et un quart.

Il donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

Il présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« La veuve Chapelle prie la Chambre de statuer sur sa demande tendante à obtenir un congé pour son fils André, milicien de 1869. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des secrétaires communaux du canton de Perwez prient la Chambre d'améliorer leur position. »

M. de Vrintsµ. - Ayant pris connaissance de la juste demande des secrétaires communaux du canton de Perwvez, je prie la commission des pétitions de faire un prompt rapport. La pétition en question est très intéressante et mérite toute notre sollicitude.

- Adopté.


« Le sieur Buls et plusieurs industriels demandent que le chemin de fer de ceinture à construire à l'ouest de Bruxelles soit relié par une voie de raccordement à l'abattoir et proposent le voûtement des deux biefs du canal de Charleroi qui séparent Bruxelles de Molenbeek-Saint-Jean. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les riverains de la route de Luxembourg, depuis Jambes jusqu'à Assesse, demandent l'abatage des arbres qui bordent cette route. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur des péti tions relatives au même sujet.


« Les sieurs Wiringer, Vervloet et autres membres de la société Dodonée, d'Uccle, proposent des mesures pour assurer la conservation des oiseaux insectivores. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi modifiant la loi sur la chasse.


« M. Lippens, obligé de s'absenter pour affaires administratives, demande un congé. «

- Accordé.


« M. Wouters, retenu par une indisposition, demande un congé. «

- Accordé.


M. le président. - Voici, messieurs, la composition des commissions que la Chambre a chargé le bureau de former pour l'examen de deux projets de loi déposés dans la séance du 9 février.

Pour le projet de loi délimitant la circonscription des deux cantons de justice de paix d’Anvers : MM. de Vrière, Dewandre, Thonissen, Lippens et Jacobs.

Pour le projet de loi qui distrait la commune de Bolland (Liége) du canton judiciaire de Dalhem et la réunit au canton judiciaire de Herve : MM. Vander Maesen, Delcour, Muller, Reynaert et De Lexhy.

Rapports sur des pétitions

M. Bouvier-Evenepoel, rapporteurµ. - Par pétition datée de Longueville, le 20 décembre 1869, des habitants de Longueville prient la Chambre d'accorder à la société Rosart la (page 459) concession d'un chemin fer de Hal à Maestricht, par Waterloo, Wavre, Jodoigne, Landen et Tongres.

Cette pétition est couverte d'un grand nombre de signatures, elle fait ressortir les immenses avantages que la concession de ce chemin de fer à la société Rosart procurerait aux communes, aujourd'hui dépourvues de ce puissant levier de prospérité et de bien-être.

Votre commission vous en propose le renvoi M. le ministre des travaux publics.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Cette pétition a rapport à une question qui offre un grand intérêt pour une partie de l’arrondissement qui m'a fait l'honneur de m'envoyer dans cette assemblée et notamment pour la ville de Wavre, qui depuis tant d'années se trouve privée d'une voie de communication directe vers la capitale, voie qui lui a été assurée non seulement par une loi votée par la législature, mais également par une convention advenue entre l'Etat et la compagnie du Luxembourg.

La construction de la ligne sollicitée par les pétitionnaires remédierait jusqu'à un certain point à l'injustice commise à l'égard d'une des localités les plus importantes de notre arrondissement, et en même temps elle ouvrirait une voie de communication très importante pour beaucoup de communes qui aujourd'hui se trouvent éloignées des chemins de fer.

J'appelle sur cette pétition toute l'attention de M. le ministre des travaux publics et je lui demanderai s'il n'a pas reçu jusqu'à présent des propositions sérieuses, des propositions qui nous permettent d'espérer une prochaine solution de la question qui a provoqué la pétition dont il s'agit.

MtpJµ. - Je serais très heureux de pouvoir prêter mon concours à toute combinaison qui pourrait aboutir à la construction d'un chemin de fer destiné à relier au réseau de nos voies ferrées les centres de population dont l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu s'est préoccupé.

Je n'ose point lui dire que la concession sollicitée par M. Rosart et sur laquelle l'honorable M. Bouvier vient de nous faire rapport m'offre un moyen pratique d'aboutir à ce résultat. En effet, messieurs, le département des travaux publics, depuis dix ou quinze ans, a été saisi de quarante à cinquante demandes analogues à celle de M. Rosart. Il suffirait à l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu, à qui les questions de chemins de fer sont si familières, de jeter un coup d'œil sur la carte de nos chemins de fer pour constater que le but du pétitionnaire, comme de tous les demandeurs en concession qui l'ont précédé, est de s'emparer du transit entre l'Allemagne et la France appartenant aujourd'hui, soit aux chemins de fer de l'Etat, soit aux lignes construites par d'autres compagnies.

Il n'y a aucun intérêt public à ce que les relations entre la France et l'Allemagne soient autrement desservies qu'elles ne le sont aujourd'hui.

Quoi qu'il en soit, je ne me refuse pas à examiner, avec toute la sollicitude que je porte à ces questions, les considérations que font valoir les pétitionnaires.

M. Julliot. - Messieurs, je viens appuyer les judicieuses observations de M. Le Hardy de Beaulieu. L'honorable ministre des travaux publics vient de nous dire deux choses que je me permettrai d'analyser. D'abord, M. le ministre nous dit qu'il a reçu cinquante demandes en concession pareilles à la demande du sieur Rosart ; c'cst possible, mais la quantité ne représente pas la qualité. Oui, il existe plusieurs demandes, mais le département des travaux publics a prescrit des travaux préparatoires à chaque demande en concession sous peine d'être envisagée comme non advenue.

Eh bien, si je suis bien renseigné, et je crois l'être, la demande du sieur Rosart seule est conforme à la prescription du gouvernement et doit être envisagée comme sérieuse ; aussi a-t-il dépensé 12,000 à 15,000 fr. pour présenter un travail complet, tandis que les autres demandes qu'on lui oppose consistent dans des lignes tracées sur des cartes et rien de plus ; sous ce rapport, il est en règle.

En second lieu, l'honorable ministre nous dit que la ligne projetée nuirait à la ligne de l'Etat. Mais, messieurs, parce que l'Etat a un chemin de fer, on devra refuser toute nouvelle concession sous prétexte de nuisance aux intérêts de l'Etat. et pour ce motif les populations resteront privées de ce moyen de transport indispensable !

Messieurs, cet argument de l'honorable ministre n'est pas nouveau, je ne suis pas ici depuis hier, j'ai quelque expérience, et de tout temps quand une demande de concession se présentait, on opposait la fin de non-recevoir de la perte du trafic pour l'Etat, mais après perdu deux ou trois ans, on finissait par accorder.

J'espère donc que l'honorable ministre des travaux publics ne nous fera pas perdre de temps et qu'il voudra bien examiner avec bienveillance la demande du sieur Rosart, car la partie du pays entre Maestricht par Tongres à Saint-Trond, qui ne demande ni subside ni garantie, a soif d'un chemin de fer et a des droits à l'étancher quand elle ne demande rien à personne.

Du reste, il viendra des pétitions en si grand nombre que les convictions du gouvernement s'établiront en notre faveur.

J'appuie donc ce renvoi.

MtpJµ. - Les renseignements de l'honorable M. Julliot ne sont pas exacts, car si dans les quarante ou cinquante demandes en concession, il s'en trouve dont les annexes sont sans valeur, il en est d'autres qui sont accompagnées d'études très complètes, de plans très sérieux qui ont coûté aux demandeurs des sommes beaucoup plus importantes que celle indiquée par M. Julliot.

L'honorable membre me reproche de refuser cette demande en concession parce que la construction de cette ligne compromettrait les intérêts du chemin de fer de l'Etat ou des lignes concédées dont le gouvernement est bien un peu le protecteur naturel.

Je crois, messieurs, que personne ne se joindra à l'honorable M. Julliot pour m'engager à déserter la défense de ces intérêts.

- Les conclusions sont adoptées.


M. Bouvier-Evenepoel, rapporteurµ. - Même demande du conseil communal de Jodoigne.

Cette pétition se rattachant à celle que nous venons d'analyser, votre commission vous propose le même renvoi.

- Adopté.


M. Vander Donckt, rapporteurµ. - Par pétition datée de Virton, le 14 décembre 1869, le sieur Huberty demande la prompte exécution du chemin de fer de Virton et la déchéance des droits du concessionnaire.

L'honorable M. Bouvier a demandé, il y a quelques jours, la remise de la discussion sur cette pétition, parce que, d'après les renseignements qu'il avait reçus, le concessionnaire devait mettre immédiatement la main à l'œuvre.

Il paraît, messieurs, que les travaux sont réellement commencés aujourd'hui.

Toutefois, messieurs, votre commission a conclu au renvoi de cette pétition à M. le ministre des travaux publics.

M. Bouvierµ. - Je demande le renvoi de cette pétition, non à M. le ministre des travaux publics, mais son dépôt au bureau des renseignements.

En voici le motif :

La concessionnaire du chemin de fer de Virton a entamé les travaux depuis que la Chambre s'est occupée de cette pétition, avec la promesse formelle d'atteindre le chef-lieu pour le mois de septembre de l'année prochaine, époque à laquelle nous espérons pouvoir inaugurer cette partie de son travail.

Nous saisirons cette occasion pour témoigner, avec les devoirs de l’hospitalité aux membres du gouvernement et de la Chambre, toute notre gratitude et toute notre reconnaissance.

Le renvoi de la pétition à M. le ministre des travaux publics devient en conséquence sans objet et j'en demande le dépôt au bureau des renseignements.

M. Mullerµ. - Nous prenons acte de votre offre.

- Le dépôt sur le bureau des renseignements est ordonné.


M. Vander Donckt, rapporteurµ. - Par pétition datée de Bruges, le 1er février 1870, le sieur Herreboudt demande que les charbons de terre soient ajoutés aux exceptions du paragraphe 3 du tableau n°14 de la loi sur les patentes.

Le pétitionnaire, messieurs, se base sur ce que le paragraphe 3 fait exception pour différents objets, entre autres le stockvisch, l'huile de poisson et le sel. Il demande que les négociants qui font entrer les charbons de terre de l'étranger soient également dispensés de la patente et il ajoute que lorsque la loi sur les patentes a été promulguée, il n’y avait pas lieu (page 460) d'y comprendre les charbons de terre, parce que, à cette époque, les charbons étrangers n'entraient pas dans le pays.

Votre commission, sans rien préjuger, a l'honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition à M. le ministre des finances.

M. de Clercqµ. - Je viens, messieurs, appuyer les conclusions du rapport en priant la Chambre de les compléter par une demande d'explications à M. le ministre des finances. La discussion du budget des voies et moyens sera, pour l'honorable chef du département, une occasion naturelle de nous faire connaître ses intentions sur le cas signalé par le pétitionnaire.

- Les conclusions de la commission, modifiées par M. de Clercq, sont adoptées.

Projet de loi révisant le code de commerce (titre III, livre premier : Des sociétés)

Discussion des articles

Section III. Des sociétés en commandite

Article 24

M. le président. - Nous en sommes restés à l'article 24, ainsi conçu :

« Art. 24. La société en commandite ne peut être divisée en capital des actions, qu'à la condition que les actions restent nominatives et que le transport s'effectue conformément aux dispositions de l'article 35. »

A cet article se rattache l'amendement proposé par M. le ministre de la justice.

Il est ainsi conçu :

« Le capital des sociétés en commandite peut être divisé en actions nominatives ; le transfert s'en effectue conformément à l'article 35.

« Il peut aussi divisé en actions au porteur ; les règles prescrites pour les sociétés anonymes, quant à la constitution de la société, aux actions, au conseil de surveillance, aux inventaires et aux bilans, aux assemblées générales tenues pour l’approbation des bilans et aux publications qui les suivent, sont applicables aux commandites par actions au porteur. »

M. Dupont a proposé d'ajouter après les mots : « aux publications qui les suivent », ceux-ci : « et aux dispositions pénales ».

M. Moncheur a modifié de la manière suivante l'amendement qu'il avait proposé de concert avec M. Reynaert :

« Les souscripteurs d'actions sont responsables du payement total des actions par eux souscrites.

« Toutefois, les statuts pourront établir qu'après libération de la moitié au moins du montant des actions nominatives, de nouveaux débiteurs commanditaires pourront être substitués aux souscripteurs primitifs, aux conditions suivantes :

« 1° Que le transfert soit opéré conformément à l'article 35 ;

« 2° Que les nouveaux débiteurs commanditaires soient acceptés comme tels et les souscripteurs primitifs expressément déchargés par l'assemblée générale des actionnaires régulièrement convoquée ;

« 3° Que trois années au moins se soient écoulées depuis la date de cette acceptation et de cette décharge ;

« 4° Que les noms des commanditaires agréés aient été inscrits à la suite du premier bilan qui sera dressé ou publié après cette date. »

M. Reynaert a proposé d'ajouter l'amendement de M. Moncheur la disposition suivante :

« La clause des statuts autorisant le transfert sera insérée dans l'extrait mentionné à l'article 8 et inscrite sur toutes les pièces émanant de la société. »

Je dois faire remarquer à la Chambre que l'article 24 a été discuté et que même la discussion a été close. Cependant, je dois donner la parole à M. Moncheur pour développer son sous-amendement.

M. Moncheurµ. - Je serai très bref. Je n'entends pas rentrer dans la discussion. Toutefois je dois à la Chambre des explications sur les motifs pour lesquels j'ai fait subir à mon sous-amendement une modification importante.

Vous savez, messieurs, que dans l'amendement que nous avons proposé, M. Reynaert et moi, nous disons, au paragraphe 2 de l'article 24, ceci :

« Les souscripteurs d'actions sont responsable du total des actions pour eux souscrites. »

Le principe donc, c'est la dette absolue de la part des souscripteurs primitifs envers la société ; mais cette dette, comme toutes les autres dettes, ne peut être éternelle, et elle doit pouvoir s'éteindre par la novation. Nous avons même pensé que dans les commandites, plus encore que dans les cas ordinaires, il serait souvent de l'intérêt des sociétés comme de l'intérêt des souscripteurs, que des commanditaires nouveaux pussent être substitués aux souscripteurs primitifs.

Cette substitution ne peut avoir lieu que par la novation, mais comme ici il s'agit d'une matière spéciale, nous avons pensé que la substitution par novation pouvait et devait même se faire au moyen de règles spéciales. C'est ainsi que nous avons pensé que l'acceptation de nouveaux débiteurs pouvait avoir lieu, sans inconvénient, par le gérant, en entourant, bien entendu, cette acceptation de garanties spéciales.

Ainsi, d'après notre proposition le gérant devait communiquer les noms des commanditaires agréés par lui à l'assemblée générale dans sa première réunion ; le cédant était encore tenu de la dette pendant trois années après le transfert effectué ; enfin, la substitution ne pouvait se faire avec décharge du souscripteur primitif qu'après que celui-ci aurait versé la moitié au moins du montant des actions.

Mais, messieurs, puisque l'acceptation de nouveaux commanditaires par le gérant a été l'objet de critiques ; puisque l'on a dit que, dans ce cas, la novation n'était pas parfaite, vu que le gérant investi du pouvoir d'accepter les débiteurs commanditaires et de décharger les anciens n'était pas le vrai créancier, mais que celui-ci est la société tout entière ; eh bien, pour faire tomber cette objection, nous sommes rentrés dans les principes absolus de la novation et par la nouvelle rédaction de mon sous amendement, nous exigeons, pour que le transfert ait lieu et que le souscripteur primitif soit déchargé de sa dette, nous exigeons, dis-je, que la débiteur nouveau soit accepté par la société elle-même, c'est-à-dire par l'assemblée générale des actionnaires, qui la représente.

Ainsi, messieurs, nous rentrons dans les principes plus rigoureux da la novation et en outre nous continuons à entourer cette novation da garanties toutes spéciales et toutes dans l'intérêt des tiers. Nous renchérissons donc de beaucoup sur les formes de la novation de droit commun telles qu'elles sont déterminées par les articles 1271 et 1273 du code civil.

Si je comprends bien l'objection qui se produit à ma droite, on dit : Et les tiers créanciers, interviendront-ils dans la novation ? Je ne concevrais pas cette objection, car jamais les tiers créanciers n'interviennent dans une novation. Cela serait tout à fait contraire la loi.

Le créancier qui accepte un nouveau débiteur au lieu de son ancien débiteur qu'il décharge ne fait qu'user de son droit. Il accepte, en remplacement de l'ancien débiteur, un débiteur nouveau qui lui offre, selon lui, autant de garanties et même plus de garanties que l'ancien. Il est juge de cet acte comme de tous les autres actes qu'il pose.

Quand un banquier, par exemple, échange une portion de son numéraire contre du papier ou bien lorsqu'il échange du papier contre des écus, il ne fait qu’un acte de commerce, il obtient une valeur pour une autre valeur, il ne fail qu'user de son droit et n'inflige de tort à personne et certainement ses créanciers à lui ne peuvent intervenir dans un acte semblable. Eh bien, l'échange d'un débiteur contre un autre débiteur avec décharge du premier est également un acte permis à tout le monde sans l'intervention de ses créanciers.

Or, une société en commandite est une individualité juridique qui peut faire tous les actes de commerce que peut faire un particulier. Elle peut donc opérer la novation dans tous les cas où un simple particulier pourrait l'opérer lui-même.

Je pense donc que les objections faites contre notre amendement primitif viennent à tomber et je livre la rédaction nouvelle à l'approbation de la Chambre.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, les objections qui ont été présentées contre le premier amendement des honorables MM. Reynaert et Moncheur subsistent contre le second.

On part de ce principe que les associés commanditaires peuvent se soustraire à leur obligation de payer toute leur mise, au moyen d'une novation par laquelle ils se déchargeraient sur un tiers.

Les souscripteurs ne sont pas tenus au delà de leur mise ; mais ils doivent payer toute leur mise. Ce qui est important dans la société en commandite, c'est que les tiers ne trouvent pas des insolvables.

Ils ont vu tels et tels noms inscrits sur les livres des sociétés. Il faut (page 461) qu’ils retrouvent ces noms jusqu'à ce que l'action en commandite soit complètement libérée.

En dehors de cette théorie, il n'y a pas de sécurité.

Je pense donc que l'amendement doit être repoussé.

M. Delcourµ. - Messieurs, je ne dirai qu’un mot pour répondre à l'honorable ministre de la justice.

Il est manifeste que, dans la pensée de l'honorable M. Moncheur, il ne s'agit pas de diminuer les garanties des créanciers.

En effet, l'honorable membre suppose que le cessionnaire est solvable, que sa solvabilité est si bien établie que l'assemblée générale n'hésitera pas à agréer la cession.

Voilà la véritable situation que l'honorable membre a en vue.

Il peut se présenter des circonstances où, dans un intérêt de famille, la retraite d'un commanditaire soit reconnue utile. Ce commanditaire présente à la société un cessionnaire parfaitement solvable : quel danger courent, dans ce cas, les créanciers de la société ?

L’honorable membre s'était contenté d'abord de faire agréer la cession par la gérance, il considérait cette garantie comme suffisante.

Je reconnais que cette agréation aurait pu, dans certaines circonstances, ne pas présenter une garantie complète et sérieuse. Trop de complaisance aurait pu compromettre les intérêts de la société.

Par son nouvel amendement, mon honorable ami prévient cette critique.

Il exige : 1° que les nouveaux débiteurs commanditaires seront responsables comme tels ;

2° Que les souscripteurs primitifs seront expressément déchargés par l'assemblée générale des actionnaires régulièrement convoqués ;

3° Il n’admet enfin la libération des souscripteurs qu'après trois années au moins depuis la date de l'acceptation.

Je vous demande, messieurs, si, en présence de ces conditions, les intérêts de la société peuvent jamais être compromis.

Je n'hésite pas à répondre négativement. Non, l'amendement de l'honorable M. Moncheur ne diminue, sous aucun rapport, la garantie des actionnaires et des tiers.

Dans bien des cas, le cessionnaire peut offrir à la société plus de garanties que l'actionnaire primitif. (Interruption.)

Je suis étonné de cette interruption ; est-ce que l'intervention de l'assemblée générale des actionnaires n'est pas la garantie la plus sérieuse que vous puissiez exiger ? Est-ce que l'honorable M. Moncheur ne cherche pas, par un concours de dispositions légales, à arrêter ces craintes que vous paraissez avoir ?

M. Moncheurµ. - C’est la loi.

M Delcourµ. - Comme le dit très bien l’honorable membre, c'est la loi. Veuillez remarquer encore que l'actionnaire primitif ne sera pas déchargé au moment même de la cession ; il ne le sera qu'après trois ans depuis la date de l'acceptation.

Si, pendant cette période, la société a des doutes sur la solvabilité du cessionnaire, l'assemblée des actionnaires pourra revenir sur sa décision et maintenir, dans toute sa rigueur, l'obligation entière du cédant.

Je termine, messieurs, en répétant que l'amendement de M. Moncheur, tel qu'il a été modifié et qu'il vous est présenté, répond aux principes de droit, et maintient, sans danger pour la société ni pour les sociaux, le principe de la liberté des conventions.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je ne comprends pas que M. Delcour puisse dire que c'est la loi du contrat. Ce ne sera pas la loi du contrat. Qu'est-ce que la société en commandite ? C'est une société dans laquelle les commanditaires sont obligés de verser toute leur mise.

Du moment que vous renversez ce principe, il n'y a plus de commandite. Il faut que vous soyez tenus de verser toute votre mise. (Interruption.) Non, toute votre mise ne sera pas versée. Je vais prendre votre propre hypothèse. Vous cédez votre action à une personne qui est solvable au moment de la cession, mais elle essuie des pertes et, trois ans après, elle n'est plus solvable. Est-ce que vous aurez versé votre mise ? (Interruption.)

- Une voix. - Le premier débiteur peut aussi devenir insolvable...

M. le ministre de la justice (M. Bara). - D'accord ; mais c'est tout autre chose. Quand on a traité avec le premier actionnaire, on a dû prévoir le cas où il deviendrait insolvable et on savait parfaitement que nul autre ne pouvait être tenu à sa place. Mais vous, vous pouvez remplir vos obligations et parce que vous avez cédé votre action, vous ne les rempliriez pas !

Vous parlez de novation. Il ne peut pas s'agir ici de novation, parce que dans la commandite le créancier a une action directe contre le commanditaire. Pour qu'il y ait novation, aux termes de l'article il faudrait que les créanciers intervinssent dans l'acte.

Or, ils n'interviennent pas ; nous avons voté l'article qui admet l'action directe du créancier contre le commanditaire. M. Delcour peut-il croire, dès lors, qu'il y a novation ? C'est impossible.

On nous dit : Avec votre système, vous allez empêcher les cessions. Mais en aucune manière. Voulez-vous céder votre action à une personne solvable, rien ne vous empêche ; seulement, vous resterez responsable jusqu'à la libération. Et cela est très naturel. Sans cela, vous détruisez complètement la société en commandite.

M. Moncheurµ. - A mon tour, je ne comprends pas comment M. le ministre de la justice peut dire qu'il serait contraire au droit que, dans un contrat de société en commandite, il fût stipulé que les souscripteurs primitifs contractent une obligation alternative. Quelle serait cette obligation dans notre système ? Ce serait l'obligation, ou bien de payer la totalité de l'action souscrite, ou bien d'offrir à la société créancière un autre commanditaire qui offrît à cette société au moins autant de garanties que lui-même.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - C'est là une simple supposition ; le contraire peut aussi arriver.

M. Moncheurµ. - Cela peut arriver dans toutes les novations. C'est le créancier qui est juge de son propre intérêt.

Que demandons-nous ? Que la loi que nous faisons permette que les statuts des sociétés en commandite puissent contenir semblable obligation alternative. Et en quoi serait-elle contraire à l'ordre public et aux bonnes mœurs ? Certes en rien. Donc elle pourrait, comme l'honorable M. Delcour l’a dit, former la loi du contrat.

Maintenant, vous me dites : Que deviennent les tiers ? Les tiers ont une action directe contre le commanditaire. Que faites-vous de cette action directe ? Voilà l'objection. Mais, messieurs, on oublie que la loi que nous faisons permet la retraite des souscripteurs primitifs.

Or, qu'est-ce que la retraite ? C'est un acte bien plus compromettant pour les tiers que la novation. Dans la retraite, un actionnaire dit à ses coassociés : Je voudrais bien m'en aller ; je voudrais bien être dégagé des obligations que j'ai souscrites ; rendez-moi mon argent ; déchargez-moi de toute obligation ultérieure ou bien dans une mesure quelconque à convenir entre nous.

Est-ce que vous exigez, pour faire semblable convention, l’intervention des tiers ? Pas du tout : cela se fait avec le seul concours des coassociés. Vous voyez donc qu'il y aurait une inconséquence de plus grandes à exiger l'intervention des tiers pour une substitution qui donne l'équivalent et sera même, sans doute, très favorable à la société, tandis qu'on avoue ne pas pouvoir l'exiger pour la retraite.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Mais en cas de retraite l'associé est obligé de verser toute sa mise ; il ne peut pas se soustraire à cette obligation-là ?

M. Moncheurµ. - Il le peut évidemment si ses coassociés l'en déchargent. Cela dépend d'eux.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il est tenu vis-à-vis des tiers.

M. Moncheurµ. - Il ne l'est plus si ses coassociés l'en déchargent. Dans tous les cas, vous voyez que les tiers, malgré leur action directe, ne sont pas consultés pour la retraite ; pourquoi donc voudriez-vous, contrairement à tous les principes, qu'ils intervinssent dans une novation ?

Les souscripteurs primitifs, dites-vous, doivent être tenus Indéfiniment. C'est justement là ce que je veux éviter, et pourquoi ne le ferait-on pas si cela se peut sans dommage pour personne et même avec avantage pour tout le monde ?

Veuillez-le remarquer, messieurs, les habitudes sont telles aujourd'hui, que, dans les grandes commandites, on ne demande que le tiers ou le quart du capital souscrit et jamais, au grand jamais peut-être, le restant du capital (page 462) ne sera appelé ; ce système offre des avantages, mais donne lieu aussi à des inconvénients. Or, un de ces inconvénients évidents serait de tenir perpétuellement les souscripteurs primitifs obligés, eux et leurs héritiers, à l'infini.

Ainsi, qu’une société se perpétue indéfiniment en vertu des statuts et tous les descendants des souscripteurs primitifs seront tenus aussi indéfiniment et même sans en avoir la moindre idée, car les actions peuvent être passées depuis trente, quarante ans et plus dans d'autres mains.

Ainsi, comme on n'aura jamais la certitude qu'on n'a pas parmi ses auteurs quelque personne ayant été un souscripteur primitif d'actions dans commandite, on ne pourra jamais être sûr non plus d'être à l'abri quelque action.

Votre nom figure sur les livres d'une société ; depuis que ce nom y a été inscrit, un demi-siècle s'est écoulé, dix ou douze cessions successives des actions de votre auteur ont eu lieu ; vous-même n'en avez jamais entendu parler. Eh bien, n'importe ! c'est vous qu'on attaque, c'est vous qui êtes responsable pour votre auteur, et il a été impossible que celui-ci ait jamais été déchargé, ni ses héritiers non plus. C'est là le résultat que je voudrais éviter.

Est-ce que je le fais d'une manière compromettante pour la société ou pour les tiers ? Pas le moins du monde. Je dis : Vous société, représentée par vos assemblées générales, vous pouvez prendre un débiteur au lieu d'un autre, s'il vous convient ; mais s'il ne vous convient pas, refusez-le.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Prenez alors la commandite par actions.

M. Moncheurµ. - Mais si je ne veux pas de la commandite par actions pour plusieurs motifs et notamment parce qu'elle est soumise à une foule de formalités ; si je préfère la commandite pure, avec ses garanties et ses actions nominatives, pourquoi me priver de la faculté d'adopter cette forme en lui imposant des obligations anomales ? Pourquoi surtout le faire quand, ni juridiquement, ni moralement, cela n'est pas nécessaire ? J'estime que mon amendement établit une règle juste et équitable. Je persiste à le soutenir.

M. Reynaertµ. - Je demande à dire quelques mots pour répondre à une objection de l'honorable ministre de la justice et qui n'a été rencontrée ni par M. Moncheur ni par M. Delcour.

D'après l'honorable ministre, il n'y a aucune garantie sérieuse dans l'acceptation obligée du cessionnaire par l'assemblée générale des actionnaires.

L'honorable ministre croit que cette acceptation serait trop facilement accordée et que les actionnaires n'ont aucun intérêt à garder dans la société des commanditaires solvables.

Mais il est clair cependant que si la société venait tomber en faillite et si les créanciers mettaient en exercice l'action directe qui leur est accordée, les dettes des anciens commanditaires seraient augmentées précisément du montant des mises dont le payement ne serait pas fait par les commanditaires nouveaux.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Les actionnaires s'entendront entre eux pour se libérer successivement. Cela s'est vu ; on a vu des actionnaires prendre les mesures les plus désastreuses, même pour eux-mêmes, dans la commandite, parce qu'il y avait d'autres intérêts en jeu.

Vous ne vous occupez que des intérêts des actionnaires, mais il faut prendre aussi les intérêts des obligataires. Les actionnaires ont un intérêt beaucoup moins grand à ce que les commanditaires solvables soient conservés que les obligataires.

L'honorable M. Moncheur nous a dit : je ne veux pas prendre la commandite par actions. Mais si vous n'en voulez pas, supportez toutes les conséquences de la commandite Ordinaire ; l'honorable membre a beau dire, avec son système c'est le versement incomplet des obligations souscrites.

En définitive, nous ne faisons pas la toi pour certaines sociétés bien administrées, car dans les sociétés bien gérées, vous n'aurez aucune difficulté à faire ce que vous demandez, parce que vous trouverez toujours des cessionnaires très solvables et vous serez convaincu que jamais vous n'aurez plus à intervenir pour le payement de vos actions.

Combien d'actes ne se passent pas ainsi dans la vie sans qu'il faille garantir le résultat des opérations faites !

Mais il se peut très bien que, dans une société véreuse, des actionnaires qui ont des actions par paquets alors qu'ils n'ont pas versé un centime, actions qui sont des pots-de-vin, vont se décharger les uns et les autres, en vendant leurs paquet d'actions à des sommes déterminées.

M. Moucheurµ. - L'assemblée générale ne ratifiera pas cela.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Mais cette assemblée générale sera l'assemblée de ceux qui ont reçu des pots-de-vin. Messieurs. combien n'y a-t-il pas de sociétés de chemin de fer où l'on a construit les lignes uniquement avec l'argent provenant des obligations ?

M. Delcourµ. - C'est l'exception.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Mais je prie l'honorable membra de croire qu'il y a une quantité de sociétés où le capital en actions n'est rien du tout, où l'on n'a jamais rien versé. de telle sorte que le capital versé par actionnaires représente zéro.

Dans le cas qui nous occupe, que feront ces actionnaires ? Ils écouleront leurs actions en bourse, ils iront en assemblée générale, ils voteront les cessions et la libération sera opérée.

Nous mettons un frein à ces abus en disant que ceux qui seront inscrits dans une commandite seront tenus jusqu'au bout. C'est de cette façon seulement que vous aurez une société sérieuse.

Je crois donc que si vous admettiez l'amendement, vous iriez certainement contre le but de l'honorable M. Moncheur, qui veut empêcher les fraudes dans les sociétés en commandite.

M. Reynaertµ. - M. le ministre de la justice oublie une seule chose : c'est que le pot-de-vin consistant dans l'attribution de paquets d'actions est devenu impossible. D'après l'article 8, le nom des commanditaires doit être publié dans l'extrait de l'acte de société.

M. le ministre de la justice (M. Bara) ; - Qu'est-ce que cela fait ?

M. Reynaertµ. - C'est que le public sera parfaitement renseigné : c'est que les tiers ne seront plus trompés, comme vous le dites.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Ils sauront quels sont ceux qui ont reçu des pots-de-vin, et voilà tout.

M. Reynaertµ. - Si, après avoir été renseignés comme ils le seront d'après le projet, les tiers sont encore induits en dommages, je dis, moi, qu'ils ne sont pas dignes de notre sollicitude.

Mais l’intérêt des tiers, que l'on invoque constamment, n'est-il pas suffisamment garanti ?

Lorsque la société se constitue, ils connaissent les noms de tous les commanditaires ; l'article 8 en exige la publication.

Ce même article 8, d'après notre amendement, devrait contenir la clause des statuts qui autorise le dégagement.

De plus, les noms des nouveaux commanditaires, après cession, devraient être publiées à la suite du rapport sur le premier bilan. En présence de toutes ces garanties que nous accordons aux tiers, je le répète, s'ils ont à essuyer des pertes, c'est à leur négligence qu'ils auront en attribuer la dans ce cas, ils ne méritent pas, ce point, notre protection.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - M. Reynaert voit un remède dans la publication des noms des cessionnaires. Qu'est-ce que cela fera ? Est-ce que la dette sera exigible, parce qu'il y aura eu cession ? Si elle ne l'est pas, la publication ne sera, selon moi, d'aucune utilité. (Interruption.)

Si la dette n'est exigible que dans trois ans, je n'ai pas de droit acquis, c'est le cessionnaire qui prend la place de l'ancien actionnaire ; je na puis rien faire contre le nouvel actionnaire.

L’honorable membre ne nous donne aucune espèce de garantie par la publication qu'il propose.

M. Reynaertµ. - D'après M. le ministre de la justice, il n'y a aucune espèce de garantie dans la publication des noms des cessionnaires. M. le ministre se trompe. Il oublie que les actionnaires restent tenus pendant trois ans.

Vous devrez donc me concéder tout au moins que les tiers pourront cesser de traiter avec la société, et, pour qu'ils subissent quelque perte, il faudrait supposer que leurs créances ne seraient exigibles qu'après trois ans.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - C'est possible. S

(page 463) M. Reynaertµ. - C'est possible, me dites-vous, mais je conteste, quant à moi, que ce cas puisse souvent se présenter.

- La discussion est close.

M. le président. - M. le ministre de la justice se rallie-t-il au sous amendement de M. Dupont ?

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je me rallie au fond de cet amendement, mais ce n'est pas à l'article 24 qu’il faut ajouter ces mots. Quand nous arriverons aux dispositions relatives aux pénalités, nous étendrons les dispositions pénales à la commandite par actions au porteur.

- La rédaction proposée par M. le ministre de la justice est mise aux voix et adoptée.

M. le président. - Vient maintenant l'amendement de M. Moncheur, auquel M. Reynaert a proposé un sous-amendement.

M. Moncheur se rallie-t-il au sous-amendement de M. Reynaert ?

M. Moncheurµ. - Oui, M. le président.

- L'amendement de M. Moncheur, modifié par M. Reynaert, est mis aux voix ; il n'est pas adopté.

Section IV. Des sociétés anonymes

Paragraphe premier. De la nature et de la qualification des sociétés anonymes
Articles 25 et 26

« Art. 25. La société anonyme est celle dans laquelle les associés n'engagent qu'une mise déterminée. »

- Adopté.


« Art. 26. Elle n'existe point sous une raison sociale ; elle n'est désigné par le nom d'aucun des associés. »

- Adopté.

Article 27

« Art. 27. Elle est qualifiée par une dénomination particulière ou par la désignation de l'objet de son entreprise.

« Cette dénomination ou désignation doit être suffisamment différente de celle de toute autre société.

« Si elle est identique, ou si sa ressemblance peut induire en erreur, tout intéressé peut la faire modifier et réclamer des dommages et intérêts, s'il y a lieu. »

M. Delcourµ. - Je demande la suppression, dans le paragraphe 2, du mot « suffisamment », qui ne présente aucune utilité ; le paragraphe suivant indique à suffisance de droit les cas dans lesquels on pourrait réclamer contre une dénomination qui ne serait pas assez différente de celle adoptée par une autre société. C'est lorsque cette dénomination est identique ou si sa ressemblance peut induire en erreur.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je me rallie au retranchement proposé par M. Delcour.

- L'article 27 est mis aux voix et adopté avec la modification demandée par M. Delcour.

Paragraphe 2. De la constitution des sociétés anonymes
Article 28

« Art. 28. Une société anonyme n'est définitivement constituée que si le nombre des associés est de sept au moins, si le capital social est intégralement souscrit, et si le vingtième au moins du capital consistant en numéraire est fourni. »

M. Jacobsµ. - Messieurs, la nécessité de sept associés pour composer une société anonyme est une innovation dans nos lois ; innovation empruntée à la loi anglaise et à la loi française. Pour ma part, je ne me rends pas bien compte de l'utilité de cette disposition et m'est d'avis que sa suppression ne rendrait pas l'article moins bon.

Je me rappelle avoir lu naguère, dans la Revue des Deux-Mondes, un article remarquable d'un savant professeur au Collège de France, M. Batbie, où cette disposition était vivement critiquée.

Cette exigence nouvelle de la loi me paraît inutile. Dans la pratique, on ne constituera pas de sociétés anonymes sans qu'il y ait un nombre beaucoup plus considérable d'associés ; ordonner dans la loi que ce chiffre minimum soit toujours atteint dès le jour de la constitution, c’est donner inutilement lieu à des difficultés.

MiPµ. - Je reconnais que l'on peut critiquer le nombre sept, et qu'il serait assez difficile d'expliquer pourquoi ce nombre a été plutôt introduit dans le projet que le nombre six ou le nombre huit ; le chiffre sept n'a pas par lui-même une vertu particulière.

Comme l’honorable membre l'a fait observer avec raison, la disposition qui nous occupe est empruntée à la loi anglaise et à la loi française. Le motif qui l'a dictée est celui-ci ; comme il s'agit de créer un corps moral indépendant des personnes qui le composent, il faut raisonnablement exiger, pour que ce corps puisse être constitué, l'existence d'un certain nombre d'associés. Or, peut-on admettre que deux personnes, par exemple, se constituent en société anonyme ? Cela ne serait point naturel.

Il faut, pour qu'une telle société soit fondée selon son but réel, qu'elle se compose au moins d'un nombre de membres suffisant pour rendre son administration possible.

Or, d'après le projet de loi, il faut, dans la société anonyme, au moins trois administrateurs et un commissaire. Quatre personnes sont donc nécessaires pour constituer l’autorité ou, si vous le voulez, l'état-major de la société.

Il n'y a donc rien d'exagéré à exiger que les autres associés, les soldats de la société soient au nombre de trois. Tels sont les motifs qui nous ont portés à croire qu'un certain nombre d'associés est nécessaire pour que la société anonyme soit définitivement constituée, et comme ce nombre était fixé à sept dans la législation de deux pays considérables par leur industrie, nous avons pensé qu'il n'y avait aucun motif de ne pas l'adopter.

M. Reynaertµ. - Je voudrais demander à l'honorable ministre une explication sur un autre point que celui signalé tantôt par l'honorable M. Jacobs.

Le projet de loi exige le versement du vingtième au moins du capital souscrit. Est-ce le versement du vingtième du capital social opéré indifféremment par tel ou tel actionnaire, ou bien le versement par chaque souscripteur du vingtième des actions par lui souscrites ? Le projet de loi veut sans doute des associés sérieux, tous engagés par le premier versement.

Le signe affirmatif de l'honorable ministre me prouve que c'est dans ce dernier sens que doit être entendu l’article 28.

M. Saincteletteµ. - Messieurs, j'ai demandé la parole afin de poser une question à M. le ministre de la justice et à M. le ministre de l'intérieur, en sa qualité de rapporteur, sur un point sur lequel l'exposé des motifs et le rapport de la section centrale me paraissent laisser un doute.

L'article 28 exige que le capital soit intégralement souscrit. Si je rapproche cette expression « intégralement souscrit » des énonciations prescrites par l'article 30 et surtout de celle-ci : « Les souscriptions doivent indiquer les apports et le prix pour lequel ils sont faits. » et de la rédaction de l'article 33 : « Le capital des sociétés anonymes peut se diviser en actions d'une égale valeur », il me paraît que le projet proscrit dorénavant le payement des apports en actions.

C’est à mes yeux une innovation considérable.

Vous savez, messieurs, qu'aujourd'hui les apports se payent le plus souvent en actions.

Le propriétaire d'une concession de mines ou de chemin de fer, d'un établissement industriel, apporte sa concession ou son usine à la société et reçoit comme équivalent un certain nombre d'actions.

L'administration de l'enregistrement ne perçoit que le droit et non le droit proportionnel parce que l'associé continue à courir les risques sociaux.

La rédaction du projet de loi me paraît impliquer l'obligation pour tous les associés de prendre part à la souscription du capital, si, du moins, je comprends bien les mots : « intégralement souscrits » qui sont tout différents de ceux : « intégralement formés par apports en nature ou souscription ».

Il faudra donc dorénavant que celui qui voudra mettre en société anonyme une concession ou une usine, apporte concession ou cette usine pour un prix déterminé à recevoir en espèces, sauf à lui à prendre part à la souscription pour un nombre d'actions déterminé.

(page 464) Dans ce cas l’enregistrement percevra le droit proportionnel sur le prix de l'apport.

Je désire savoir si c'est bien dans ce sens que MM. les ministres entendent le projet.

MiPµ. - Je suis charmé que l’honorable membre ait soulevé cette question parce que si l'interprétation qu'il a indiquée avait prévalu par la suite, le projet de loi aurait pu donner lieu des difficultés.

Il n'est jamais entré dans l'intention des auteurs du projet de donner à l'article en discussion la portée laquelle il vient d'être fait allusion ; rien ne justifierait une pareille disposition, Il n'a point été innové à cet égard...

M. Saincteletteµ. - C'est l'interprétation de certains juristes français.

MiPµ. - ... et je crois que ce point résulte suffisamment du projet de loi tel qu'il est formulé,

Ce que l'honorable membre craint que l'on ne défende est, au contraire, permis. En effet, nous avons maintenu dans le projet le mot : « apport ». Or, il est incontestable que l'apport est une chose que l'on met en société moyennant une part sociale. Quand on cède une chose à une société moyennant une somme d'argent, il n'y a pas « apport », mais « cession » ; et l'honorable membre a fort justement fait remarquer que les lois sur l'enregistrement établissent une distinction à cet égard. Pour l’apport, il y a un droit fixe ; pour la cession, au contraire, il y a un droit proportionnel de mutation.

Or, par cela seul que le projet reconnaît qu'il peut y avoir des apports, il est clair qu'il autorise la remise d'une chose moyennant une part sociale.

Il ne peut y avoir à cet égard aucune difficulté. Il est donc bien entendu que quand nous disons : « On indiquera dans la souscription les apports, » nous comprenons les apports faits contre une certaine part dans la société, contre un certain nombre d'actions.

Et il n'est pas même nécessaire que le prix de l'apport soit déterminé en chiffres sur l'action, car l'article 33 indique formellement qu'il peut y avoir des actions sans valeur fixe, consistant dans une quotité de l'avoir social.

Ainsi, non seulement l’on pourra apporter en société un immeuble, une usine moyennant des actions ayant une valeur inscrite sur le titre même, mais moyennant des actions n'ayant pas une valeur fixe.

Je pense que cette explication est de nature à satisfaire complètement l'honorable membre.

Quant à la question soulevée par l'honorable M. Reynaert, je pense que la solution qu'il a indiquée est la vraie.

M. de Macarµ. - L'explication donnée par le ministre de l'intérieur au sujet de la question posée par M. Reynaert ne me paraît pas pouvoir être admise.

Une société se constitue de deux façons : par un apport ou par souscriptions. Eh bien, il faudrait distinguer ; les souscripteurs seuls devraient être tenus de verser le vingtième.

Je suppose l'apport d'une usine d'une valeur de 400,000 francs ; celui qui apporte cette usine devra-t-il, en outre, donner le vingtième en numéraire ? Il me semble que ce n'est que sur les actions souscrites que l'on devrait laisser le vingtième en numéraire.

MiPµ. - Le cas indiqué par l'honorable M. de Macar ne présente aucune difficulté ; quelques mots d'explication suffiront pour le lui prouver.

Je prends l'exemple même qu'il a proposé : Une société est constituée au capital de 200,000 francs ; On y apporte, pour 100,000 francs, une usine. Eh bien, 100,000 francs d'actions représentant le prix de l'usine seront attribués à ceux qui ont fait l'apport ; voilà des actions libérées, nous sommes d'accord sur ce point. Restent ensuite 100,000 francs à verser en argent. Eh bien, c'est à ce capital que s'appliquera la disposition.

Les observations de l'honorable M. Reynaert ont uniquement porté sur les actions souscrites en numéraire. Il n'y a donc aucune contradiction entre les opinions émises par les deux honorables membres, et je pense qu'ils ont tous les deux raisons.

M. Jacobsµ. - M. le ministre de l'intérieur, pour répondre aux critiques que j’avais élevées quant au nombre des sociétaires a esquissé la mise en scène d'une assemblée générale : trois administrateurs, un commissaire au bureau, trois actionnaires au moins en face d'eux pour former le public.

Or, ce nombre de sept personnes n'est exigé par le projet de loi que pour la constitution de la société ; l'on n'exige pas qu’au court de société sept personnes continuent à en faire partie. (Interruption.)

S’il y a une disposition plus loin à cet égard, je serais charmé qu'on me l'indiquât.

Je ferai remarquer, du reste, que l'existence de ce nombre de sept ne peut être contrôlée qu'au commencement de la société, attendu que les actions sont au porteur.

L'assemblée générale n'est pas un contrôle du nombre des actionnaires : du moment qu'il y a trois personnes remplissant les fonctions d'administrateur, un commissaire, il est impossible de constater si le nombre des actionnaires est de sept.

Je pense donc que cette disposition devrait être complétée, à moins qu'elle ne soit abandonnée, ce que, pour ma part, je préférerais.

MiPµ. - L'article 65 nouveau (article 56 du premier projet) prévoit le cas indiqué par l'honorable M. Jacobs. Voici ce qu'il porte :

« La dissolution doit être prononcée sur la demande de tout intéressé. lorsque six mois se sont écoulés depuis l'époque où le nombre des associés a été réduit à moins de sept. »

Il n’y a donc pas de difficulté. Si un associé est en mesure de prouver qu'il n'y a plus sept associés, il pourra demander la dissolution de la société ; si cette preuve n'est pas faite, la société continuera. La loi n'exige pas d'une manière absolue que le nombre des associés soit de sept au moins, mais donne aux intéressés la faculté que je viens d’indiquer.

M. Jacobsµ. - De sorte qu'il est constant que si les associés sont satisfaits de cette position, ils pourront continuer leur société, fussent-ils moins de sept.

MiPµ. - Un créancier pourrait demander la nullité de la société.

M. Jacobsµ. - S'il y a intérêt, s'il a à craindre de n'être pas payé.

M. Saincteletteµ. - D'après la législation anglaise, le nombre des associés doit rester de sept pendant toute la durée de la société. Le gouvernement entend bien, n'est-ce pas, maintenir pendant toute la durée de la société l'obligation d'être au nombre de sept ?

MiPµ. - Evidemment ; seulement la nullité ici n'est pas une nullité de plein droit. D'après l'article 56 (65 nouveau), la nullité doit être prononcée si elle est demandée par un intéressé.

M. Saincteletteµ. - Puisque j'ai la parole, je voudrais appeler l’attention du gouvernement sur le cas où les fondateurs d'une société anonyme sont, non pas des personnes naturelles, mais des personnes morales.

Plusieurs sociétés de différentes catégories ont été fondées par le concours de diverses sociétés anonymes préexistantes. Je citerai d'abord le plus grand établissement financier du pays. La Banque Nationale a été fondée par le concours de la Société Générale et de la Banque de Belgique. En matière d'assurances, il arrive fréquemment que plusieurs sociétés fondent entre elles une société de réassurance. En matière de chemins de fer, plusieurs sociétés concessionnaires de chemins de fer s'unissent pour former une seule société d'exploitation. Ainsi, la société générale d'exploitation a été tout récemment fondée par la compagnie des Bassins Houillers d'une part et la société anonyme d'exploitation d'autre part.

Il est évident que dans ce cas-là, exiger que le nombre des associés fondateurs soit de sept, c'est exiger l'intervention de sept personnes morales, parce que les comparants, dans ce cas-là, sont non pas les mandataires des personnes morales, mais les personnes morales elles-mêmes. Le gouvernement ne voit-il pas dans cette exigence, lorsque la société sera fondée par des personnes morales, une entrave très sérieuse au développement de l'esprit d'association ?

(page 465° MiPµ. - Je pense, messieurs, que les dispositions du projet de loi peuvent se prêter aux différentes combinaisons indiquées par M. Sainctelette. Dans la pratique, il ne peut avoir de difficultés à maintenir les dispositions du projet, même en présence des hypothèses qui ont été indiquées.

Il arrive quelquefois que différentes sociétés se réunissent pour une opération, sans pour cela constituer une nouvelle société anonyme ; et, pour ne citer qu'un exemple qui est présent à la mémoire de tous, je parlerai de sociétés de chemins de fer qui se réunissent pour exploiter en commun diverses lignes.

Il n’y a pas là formation d'une société, les sociétés contractantes conservent leur individualité, mais partagent, d'après certaines règles, les bénéfices résulter de leur exploitation commune.

Quant aux sociétés d'assurances, dont a parlé M. Sainctelette, des combinaisons analogues se réalisent souvent.

Je reconnais que d'autres cas peuvent se présenter, que deux sociétés

anonymes peuvent s'unir pour la création d'une troisième. On a cité

l'exemple de la Société Générale et de la Banque de Belgique constituant à

elles seules la Banque Nationale en souscrivant toutes les actions du nouvel établissement.

La même chose pourrait encore se faire à peu près de la même manière, sous l'empire du projet, c'est-à-dire que les deux sociétés dont nous venons de parler pourraient encore s'entendre pour la formation d'une troisième société ; seulement ce ne serait pas par la passation d'un acte que la nouvelle société serait définitivement constituée ; il faut aussi que le nombre des sept souscripteurs soit constaté, ce n'est qu'alors que la société est définitivement constituée.

Remarquez que lorsque la Société Générale et la Banque de Belgique se sont réunies pour former la Banque Nationale, il a fallu former le collège des administrateurs et celui des commissaires, qui se composent ensemble d'une douzaine de personnes, lesquelles devraient nécessairement avoir un certain nombre d’actions à déposer à titre de garantie.

Il a donc fallu que les deux banques cédassent un certain nombre d'actions pour attribuer aux personnes chargées de gérer la nouvelle banque.

Il était déjà vrai de dire alors qu'une société anonyme requérait un certain nombre d'actionnaires.

Il n'y a donc, d'après la loi projetée, aucune difficulté nouvelle pour les hypothèses présentées par M. Sainctelette ; les difficultés d'aujourd'hui ne seraient pas plus grandes que celles qui se présentaient précédemment.

Il est troisième cas, c'est celui où deux sociétés anonymes viendraient se fusionner d'une manière telle, que les anciennes actions des sociétés fussent absorbées par la nouvelle société, et que de nouvelles actions fussent distribuées aux actionnaires en remplacement des anciennes. Par cela seul que les actionnaires des sociétés anciennes prendraient des actions nouvelles, la société aurait certainement plus que le nombre d'actionnaires exigé par la loi.

Je pense que ces explications satisferont l'honorable membre et qu'il reconnaîtra que ce qui pouvait se faire d'après la loi ancienne pourra encore se faire d'après la loi nouvelle.

M. Dewandreµ. - Il me semble se trouvera dans un cercle vicieux si l'on maintient les articles 28 et 29 du projet tels qu'ils sont.

L'article 28 dit : « Une société anonyme n'est définitivement constituée que si le nombre des associés est de sept an moins, etc. »

L'article 38 dit : « Les cessions d'actions ne sont valables qu'après la constitution de la société. »

Or, le moyen que vient d'indiquer l'honorable ministre de l'intérieur, c'est une cession d'actions avant la constitution définitive de la société.

Je demande comment il serait possible de sortir du cercle vicieux dans lequel nous nous trouverons si les articles 28 et 38 sont maintenus, sans aucune modification.

M. Saincteletteµ. - Je voulais faire observer à l'honorable ministre de l'intérieur que, dans son système, la responsabilité si grave des fondateurs est déplacée. Nous sommes bien d'accord sur ce point que la fondation d’une société anonyme devient, d’après le projet, une œuvre qui expose ceux qui s'y livrent à une responsabilité considérable.

Eh bien, je désirerais, moi, que lorsque plusieurs personnes morales fondent une nouvelle société anonyme, la responsabilité de la fondation pesât uniquement sur les personnes morales, tandis que le système de l'honorable ministre de l'intérieur tend à faire peser la responsabilité de la fondation sur les délégués, sur les mandataires, sur les représentants dos personnes morales.

MiPµ. - Je ne comprends pas bien.

M. Saincteletteµ. - Supposons une société anonyme d'exploitation fondée par deux ou trois autres sociétés anonymes concessionnaires de chemins de fer. Si le nombre sept n'était pas prescrit par la loi, la société anonyme fondatrice pourrait comparaître elle-même à l'acte, elle assumerait la responsabilité de la fondation sous les dommages et intérêts qui peuvent être encourus pour inexactitude ou pour omission dans les énonciations prescrites par la loi dans l'acte de souscription ; tous les dommages et intérêts seraient à la charge de la société fondatrice.

Dans le système du projet de loi, au contraire, les fondateurs responsables sont les personnes qui interviennent pour régulariser la situation, car ce sont elles qui comparaissent dans l’acte définitif constituant la société.

Or, ces personnes ne seront, la plupart du temps, que des mandataires, des administrateurs des sociétés fondatrices. Elles auront donc à supporter personnellement la responsabilité d'un acte qu'elles ne posent en réalité que comme mandataires, qu'au nom et pour le compte des sociétés fondatrices.

Voilà l'inconvénient, très grave selon moi, du système qui consiste à exiger sept membres pour la constitution de la société anonyme.

MiPµ. - Il est très aisé de démontrer que l'inconvénient signalé par l'honorable Sainctelette ne se réalisera pas.

Le projet de loi contient deux systèmes de fondation de la société anonyme :

La fondation complète par un ou plusieurs actes authentiques qui la constituent définitivement, et la fondation par un acte suivi de souscriptions/

Dans le premier cas, les souscripteurs de l'acte sont tous fondateurs. Si tous interviennent dans l'acte de constitution comme fondateurs, tous sont responsables de la fondation.

Si deux banques forment une société anonyme, ou, pour parler plus exactement, jettent les bases d’une société anonyme, pour ensuite appeler des actionnaires par souscription, il est clair que les souscripteurs sont pas des fondateurs.

M. Saincteletteµ. - Mais si je comprends bien le projet, il faut que l'acte de souscription énonce l'acte public. Or, pour que public soit réalisé, ne faut-il pas que sept personnes y aient comparu ?

MiPµ. - Je demande pardon à l'honorable membre. S'il veut me permettre de lire le projet, il verra qu'il y a deux dispositions très différentes.

L'article 29 dit :

« La société peut être constituée par un ou plusieurs actes authentiques, dans lesquels comparaissent tous les associés, et qui constatent l'existence des conditions indiquées en l'article précédent. »

Voilà le premier dont nous parlons, tout est constitué par los fondateurs comparant à des actes authentiques.

Nous arrivons maintenant au second que j'appelle fondation par souscriptions.

« Art. 30. La société peut aussi être constituée au moyen de souscriptions.

« Les souscriptions doivent être faites en double et indiquer :

« La date de l'acte authentique de société et de sa publication ;

« L'objet de la société, le capital social et le nombre d’actions ou de parts ;

« Les apports et le prix pour ils sont faits ;

« Les avantages particuliers attribués aux fondateurs ;

« Le versement d'un vingtième au moins de la souscription. »

Ainsi, voyons bien comment les choses se passeront dans ce cas.

D'abord, un acte authentique contient les statuts de la société ; le nombre des associés exigé peut ne pas exister. Ainsi, les deux Banques dont nous parlons interviennent par acte authentique et déclarent jeter les bases d'une nouvelle société. Elles déclarent ensuite mettre en souscription les actions de la nouvelle société qu'elles n'ont pas souscrites. L'article indique les conditions que doivent réunir les souscriptions. Les souscripteurs se présentent ; les actions sont émises d'après les conditions indiquées ; on constate alors que les conditions sont accomplies. La société est définitivement constituée.

Les souscripteurs ne sont pas les fondateurs. Il est vrai qu'ils sont venus compléter le nombre de personnes nécessaires pour former la société. Mais nulle part, il n'est dit que les souscripteurs doivent être les fondateurs. Ceux-ci sont ceux qui prennent l'initiative de la société. Les deux banques fondent la société ; les souscripteurs viennent constituer la société au moyen de leurs souscriptions. Ceux-ci n'auront pas la responsabilité de la fondation de la société ; ils l'auront d'autant moins que les (page 466) garanties sont établies au profit des souscripteurs contre les fondateurs la société.

J'espère que ces explications prouveront à l'honorable membre que le projet ne s’oppose pas à l'hypothèse qu'il a posée.

J'arrive à l'objection qu'a faite l'honorable M. Dewandre.

Il est évident que, dans la pensée du projet, les souscriptions qui sont faites avec les formalités indiquées à l'article 30 peuvent être faites lorsque la société n'est pas définitivement constituée par un ou plusieurs actes authentiques.

Le but de la loi est qu'on puisse par un acte authentique indiquer les statuts de la société, la condition des apports, tout ce qui est nécessaire à la constitution de la société, offrir ensuite des actions en souscription et constituer enfin définitivement la société. Il n'y a là rien que de légitime.

L'honorable membre dit : Mais vous avez un article qui défend les cessions d'actions, lorsque la société n'est pas définitivement constituée. Il est évident qu'il ne s'agit ici que d’une cession qui n'est pas faite en terme de souscription, comme l'indique l'article 30. Sinon, il y aurait contradiction évidente dans le projet.

Il y a une différence essentielle entre la souscription et la cession. La souscription est la prise d'actions n'appartenant encore à personne, d'actions émises pour constituer la société ; la cession suppose un propriétaire qui a déjà acquis l'action et la transmet à un tiers.

Si, après les explications que je viens de donner, il existait des doutes, je serais tout disposé, lorsque nous arriverons à l'article 38, à introduire un changement qui fera cesser toute équivoque à cet égard. .

M. Dewandreµ. - Pour rendre mon objection plus précise, je vais faire une supposition que saisira immédiatement M. le ministre de l’intérieur.

Je suppose deux concessions de charbonnages voisines, appartenant chacune à une société anonyme. Ces deux sociétés anonymes veulent réunir les deux concessions et décident de se fusionner en une seule société anonyme.

Il n'y a, dans cette hypothèse, que deux contractants. Comment sera.t-il possible de constituer la société anonyme ?

L'honorable ministre suppose que l'on fera des souscriptions d'actions. Mais j'indique un cas qui ne nécessite pas cette souscription d'actions. Les deux sociétés possèdent tout ce qui est nécessaire pour fonder la nouvelle société. Elles n'ont pas besoin de capital complémentaire. Il faudra donc, pour constituer la société, décider qu'indépendamment des deux charbonnages il y aura un apport de 5, 6, 7 mille francs pour avoir le nombre de souscripteurs nécessaire pour former le nombre de sept personnes exigé pour constituer la société ?

MiPµ. - J'ai déjà résolu la question que vient de me soumettre l'honorable M. Dewandre.

Il parle de la fusion de deux sociétés. Or, chacune de ces sociétés à plusieurs actionnaires. Deux sociétés de charbonnage se réunissent et ne forment qu'une seule société.

Mais il y a vingt-cinq actionnaires dans chaque société de charbonnage ; les deux sociétés interviennent pour leurs actionnaires, et on a, dès le principe, cinquante associés.

M. Dewandreµ. - Je crois que M. le ministre est dans l'erreur : dans le cas que je cite, il n'y a que deux personnes morales ; ce ne sont pas les actionnaires individuellement qui forment la nouvelle société ; ils ne le pourraient pas, ils ne sont pas, individuellement, propriétaires de l'apport ; l'apport est la propriété des deux sociétés anonymes qui veulent en constituer une nouvelle.

MiPµ. - Dans la supposition que j'ai faite, il s'agit évidemment de partager les actions ; or, chacune des deux sociétés de charbonnage a ordinairement cinq administrateurs. Voilà déjà plus que le nombre requis pour constituer la nouvelle société.

M. Dewandreµ. - Vous ne permettez pas la cession des actions avant la constitution définitive de la société, il sera donc impossible aux deux sociétés contractantes de partager les actions entre leurs actionnaires ou entre leurs administrateurs, au moment même où elles fonderont la nouvelle société.

Comme je l'ai dit, c'est un véritable cercle vicieux.

MiPµ. - La différence n'existe pas ; au lieu de faire constituer la société par les deux personnes morales seulement, un certain nombre d'actionnaires viendront la constituer au moyen de leurs actions. Voilà un premier moyen.

En voici un second. Les deux sociétés feront la cession de leurs apports contre des actions distribuer à leurs actionnaires et par ce simple fait, vous aurez dès la répartition une cinquantaine d’associés.

M. Dewandre. - L'article 38 interdit toute cession d’actions avant la constitution définitive de la société.

MiPµ. - Il ne faut pas confondre la souscription d'actions pour constituer la société avec la cession d'actions. Je dis que les deux sociétés peuvent apporter les deux charbonnages contre toutes les actions de la société nouvelle, qu'elles déclareront appartenir aux anciens actionnaires contre échange de leurs anciennes actions.

Tout est maintenant dans le texte de l'article.

Je crois que les explications que je viens de donner en combinant le texte relatif aux souscriptions avec celui qui concerne les cessions doit vous donner satisfaction.

Si l'on trouve que ce n'est pas assez clair, je ne demande pas mieux que de lever tout doute à cet égard et si l'honorable membre veut bien nous prêter son concours, lorsque nous aurons à nous occuper de l'article 38, nous arriverons à une rédaction qui dissipera toutes les incertitudes.

M. Jacobsµ. - Si l'on pouvait tenir compte non pas exclusivement da la personne civile, la société anonyme mère comparant à l'acte de constitution de la société nouvelle, mais encore des actionnaires de la société ancienne, on n'aurait pas eu à prévoir le cas dont parlait tout à l'heure l'honorable M. Sainctelette. La solution en serait par trop simple : la société anonyme fondatrice d'une société ne devrait jamais s'adjoindre personne parce que le nombre de ses actionnaires sera toujours supérieur à sept.

Jusqu'ici l'on s'est passé d'une pareille disposition, parce qu'en fait il y a toujours, dès que la société fonctionne, beaucoup plus de sept associés, parce que les choses qui doivent inévitablement se réaliser ne doivent pas être exigées par la loi.

La prescription, si elle a lieu, ne conduira donc qu'à des complications dont quelques-unes seulement ont été prévues dans la discussion actuelle. La mise en pratique d'une disposition pareille en révélerait peut-être d'inextricables.

J'engage donc le gouvernement à ne pas insister en faveur du maintien de cette disposition. Au besoin, je demande la division de l’article.

M. le président. - L'honorable M. Jacobs propose la suppression des mots : « si le nombre des associés est de sept au moins ».

MiPµ. - Je voudrais savoir de l'honorable membre s'il exige au moins quatre membres, car on exige trois administrateurs et un commissaire. S'il en exige quatre, il n'y a qu'un changement de chiffres et je ne vois pas la nécessité de remplacer sept par quatre.

M. Jacobsµ. - Je crois tout chiffre absolument inutile. En effet, le nombre des associés peut n'être que de deux au jour de la naissance de la société, mais il sera infiniment plus considérable le lendemain. Il pourra n’être que de deux dans l'hypothèse dont parlait l'honorable M. Dewandre, mais le jour oh les actions seront réparties, il y en aura deux cents.

Je n'exige donc pas de chiffre, certain que le chiffre réel dépassera, dès le lendemain de la constitution de la société, le chiffre qua contiendrait la loi.

MiPµ. - Je voudrais faire encore une observation.

Remarquez bien, messieurs, que les sociétés anonymes, telles que nous les voyons fonctionner aujourd'hui, ne s’appliquent qu'à de grandes affaires, par la raison bien simple que le gouvernement a toujours refusé l'autorisation lorsque l'affaire n'était pas considérée comme devant dépasser les forces des individus isolés. On exigeait, je crois, en pratique. que le capital fût d'un million au moins.

Il fallait, par conséquent, un certain nombre d'actionnaires.

Telle n'est pas la situation que crée le projet de loi et j'engage la Chambre à y réfléchir.

Nous permettons aujourd'hui la constitution de sociétés anonymes sans préoccupation da chiffre du capital. C'est une innovation extrêmement considérable. On verra donc des sociétés anonymes se constituer avec des actions de 10 francs, de 20 francs et avec un très petit nombre d'actions.

Or, est-il possible de permettre des individus faisant un commerce très peu étendu de se constituer en société anonyme pour éviter la responsabilité solidaire ?

Voilà la question : Il est incontestable qu'il faut prendre garde que l'on n'abuse des facilités que donne le projet pour se soustraire au droit commun.

Je pense que la limitation du nombre ou plutôt l'exigence d'un certain nombre d'actionnaires est nécessaire pour maintenir à la société anonyme son véritable caractère.

J'engage l'honorable membre à y réfléchir : je croix qu'il reconnaîtra (page 467) qu’il y a aujourd’hui un certain danger et qu'il y lieu de maintenir la formalité qui est la seule garantie contre l'abus de l'anonymat.

M. Jacobsµ. - Ce ne sont pas les plus petites sociétés anonymes qui ont le plus petit nombre d'associés. C’est ainsi qu'à Anvers il existe maintes sociétés d'assurances dont le capital nominal est à peine d'un demi-million, dont le capital souscrit ne dépasse pas 150,000 francs et dont les actions sont réparties entre un grand nombre de mains, tandis qu'au contraire on voit des sociétés anonymes considérables dont les actions sont en un très petit nombre de mains ; je citerai la Société Immobilière de Belgique dont presque toutes les actions sont en mains la Société Générale.

Ce ne sont donc pas les plus petites sociétés qui ont le moins d'associés. ; et, pour ma part, je ne partage pas les craintes de M. le ministre de l'intérieur. Je pense qu'en présence des formalités exigées. de la publicité, des assemblées générales, des conseils d'administrateurs et de commissaires, il ne viendra jamais à l'idée de deux ou trois personnes de se constituer en société anonyme pour y rester en petit nombre.

La crainte qui peut se présenter pour deux peut se présenter pour sept ; sept membres d'une même famille peuvent se constituer en société anonyme et réaliser ainsi l'inconvénient que semble craindre le ministre et qui est réel pour sept s'il l'est pour deux.

Il y a deux périodes à envisager : la période de la constitution, où le nombre des associés est minime et la période qui suit la constitution, la période d’activité, où le nombre des associés est considérable ; c’est pour cela qu’il y a des inconvénients à exiger toujours et dès l’origine le chiffre fixe de sept associés.

- L’amendement de M. Jacobs est mis aux voix et adopté.

L’article amendé est ensuite mis aux voix et adopté.

Projet de loi réglant définitivement le budget de 1866

Dépôt

MfFOµ. - J'ai l’honneur de dépecer sur le bureau de la Chambre :

1° Un projet de loi portant règlement définitif du budget de 1866.

Projet de loi allouant des crédits aux budgets des ministères des travaux publics et de l’intérieur

2° Un projet de loi allouant au département des travaux publics des crédits supplémentaires à concurrence de 222,856 fr. 32 c.

3° Un projet de loi allouant an département de l'intérieur des crédits extraordinaires à concurrence de 138,481 fr. 79 c.

MpMOreauµ. - Il est donné acte à M. le ministre des finances de la présentation de ces projets de lois qui seront renvoyés, le premier à la commission permanente des finances et les deux autres aux sections.

-La séance est levée à 4 heures et demie.