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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 4 décembre 1869

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1869-1870)

(Présidence de M. Van Humbeeck, vice-présidentµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 159) M. de Vrintsµ fait l'appel nominal à 2 heures et un quart ; il donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Rossiusµ présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Les secrétaires communaux du canton de Puers demandent que l'avenir des secrétaires communaux soit assuré et que leur traitement soit mis en rapport avec l'importance de leur travail et des services qu'ils rendent aux administrations communales, provinciales et générale. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« M. d'Hane-Steenhuyse, retenu pour affaires, M. Delcour et M. Nothomb demandent un congé pour la séance de ce jour. »

« M. Eugène de Kerckhove, retenu par l'indisposition d'un de ses enfants, demande un congé. »

- Ces congés sont accordés.

Projet de loi modifiant le titre VIII, livre I, du code de commerce : De la Lettre de change

Discussion des articles

Article 100

M. Dupont, rapporteurµ. - Je viens insister auprès de la Chambre pour qu'elle passe au vote sur le premier paragraphe de l'article 100.

Je fais une distinction entre le paragraphe premier de cet article nouveau et les trois derniers paragraphes.

D'après les explications qui ont été échangées hier, il y a un certain dissentiment entre les membres de la Chambre partisans de l'opinion consacrée par l'article premier sur la question de savoir si l'on admettra les diverses causes de préférence consacrées dans les derniers paragraphes ou s'il y aura lieu d'ordonner le partage de la provision au marc le franc si elles sont toutes dans la même situation, toutes acceptées ou toutes non acceptées : on admet sans difficulté la préférence résultant de l'affectation spéciale et de l'acceptation.

Quant au principe consacré par le paragraphe premier, la question est suffisamment élucidée. Elle a été examinée par tous qui s'occupent ici de droit ; elle a été l'objet des arrêts des cours ; elle a été approfondie par les auteurs. Dès lors, tout le monde peut émettre une opinion en connaissance de cause. Il n'y a pas de question qui ait été plus discutée sous l'empire du code de commerce.

La Chambre me permettra de revenir en quelques mots sur les motifs qui ont déterminé la commission et le gouvernement à adopter l'opinion consacrée dans la rédaction qui vous est proposée.

MpVanHumbeeckµ. - La Chambre a décidé que l'article 100 serait réservé. Je dois lui demander d'abord si elle entend revenir sur cette décision et reprendre immédiatement la discussion de l'article 100.

M. Dupont, rapporteurµ. - L'article a été réservé jusqu'aujourd'hui.

MpVanHumbeeckµ. - Ce n'est pas ainsi que je l'ai entendu, et avant de vous permettre d'entrer dans les considérations que vous voulez présenter, je dois consulter la Chambre.

M. Jacobsµ. - Comme vient de le faire observer M. le président, en ajournant la décision sur cet article, nous ne nous attendions pas hier à ce que la discussion fût reprise au commencement de la séance de ce jour. Mon impression a été la même que celle de l'honorable président. Je ferai observer que nous nous exposerions, en le faisant, à empêcher des adversaires de cet article de prendre part au vote. C'est ainsi que l'honorable M. Watteeu, l'un des adversaires les plus énergiques de l'article, ne se trouve pas ici. Cet honorable membre, d'autres encore pourraient à juste titre se plaindre de ce procédé.

J'ajoute que l'honorable M. Thibaut a insisté, à la séance d'hier, sur la nécessité de relire la discussion dont on vient seulement de nous distribuer le compte rendu. On n'a pu le lire.

L'adoption de la proposition faite par l'honorable Thibaut exige qu'on ne reprenne pas immédiatement la discussion.

M. Dupont, rapporteurµ. - Je n'avais pas entendu ainsi la décision de la Chambre. Au surplus, l'honorable M. Watteeu est présent, de sorte que l'objection que vient de présenter l'honorable M. Jacobs n'a plus de raison d'être.

M. de Theuxµ. - Messieurs, je ferai remarquer que plusieurs de mes voisins n'ont pas compris, hier, tous les discours qui ont été prononcés. Je crois qu'il n'y a aucun inconvénient à ce que la discussion de l'article 100 soit remise à un autre jour.

- La 'proposition de M. Dupont est mise aux voix et adoptée. En conséquence, la discussion est ouverte sur l'article 100.

M. Dupont, rapporteurµ. - Il m'a semblé, hier, que la Chambre était sous l'impression d'une idée qui n'est pas vraie. Je suis convaincu que quelques-uns de nos honorables collègues, qui ne sont pas jurisconsultes, pensent qu'il s'agit d'un changement radical à apporter à la loi qui nous régit actuellement.

Eh bien, je veux rappeler à la Chambre que ce que nous proposons est en vigueur en France, non pas en vertu d'une loi nouvelle, mais en vertu des arrêts de la cour de cassation qui a interprété le code de commerce. Je veux rappeler que non seulement ces interprétations ont été données sous le code de commerce, mais que sous l'ancienne législation c'était déjà l'opinion de Dupuys de la Sena.

Ce n'est donc pas une nouveauté ; c'est, d'après nous, d'après la jurisprudence française, d'après une doctrine pour ainsi dire unanime, l'interprétation vraie, l'application pure et simple du code de commerce actuel.

Nous avons aujourd'hui une position pour ainsi dire isolée en Europe. Je viens de vous parler de la France. Quant à l'Allemagne, les principes consacrés par la loi générale qui y est en vigueur entraînent également un droit de préférence au profit du porteur. En effet, dans ce pays, où la science du droit a toujours été cultivée avec tant d'éclat, on en est arrivé à une conception plus vraie de la lettre de change que celle qui était adoptée lors de la rédaction du code de 1808.

Généralement, lorsqu'on s'occupe de la lettre de change, on se laisse induire en erreur par les anciennes idées qui ont cours sur la nature du contrat de change.

On semble croire que c'est toujours l'ancien contrat par lequel on faisait payer une certaine somme, dans un autre lieu.

Mais aujourd'hui, messieurs, la lettre de change est le véritable papier-monnaie du commerce. C'est une espèce de billet de banque, un signe transmissible d'une valeur.

Il est certain que, dans l'intention des parties, il n'est pas question de faire toucher une somme dans un lieu déterminé, mais de transférer une valeur, non par le chiffon de papier sur lequel se trouve inscrite la lettre de change, mais la provision, le droit auquel cette lettre de change correspond.

Ainsi l'intention des parties c'est, en définitive, de transmettre le droit à la provision. C'est là le caractère nouveau donné à la lettre de change ; les recherches des jurisconsultes allemands l'ont particulièrement mis en lumière.

On s'est beaucoup occupé en Allemagne de la lettre de change, et en 1848, à la suite des travaux importants qui avaient été publiés sur la matière, par plusieurs écrivains de grand mérite et notamment par M. Einert, un congrès de jurisconsultes délégués par les divers gouvernements allemands, s'est réuni à Leipzig ; ils ont examiné longuement, mûrement, dans de nombreuses réunions dont les procès-verbaux ont été (page 160) publiés, quels étaient, au point de vue du commerce, les éléments d'une bonne loi sur la lettre de change : l'on est arrivé ainsi à rédiger un projet qui a été, en quelque sorte, adopté en bloc par le parlement de Francfort. Cette loi régit aujourd'hui avec quelques légères modifications toute l'Allemagne de Hambourg à Trieste et de Francfort à Koenigsberg, c'est-à dire les places de commerce les plus importantes de l'Europe. C'est dans cette loi que l'on a admis, avec toutes ses conséquences, le principe que je signalais tout à l'heure, que la lettre de change n'est pas le mandat donné pour faire payer une somme dans un lieu déterminé, mais que c'est une monnaie fiduciaire du commerce.

A ce point de vue, l'interprétation que la cour de cassation de France a donnée à la loi est aujourd'hui en conformité parfaite avec les besoins actuels des négociants.

Il y a donc toute espèce de raisons pour se rallier à celle des deux opinions qui est en harmonie avec ces besoins.

Messieurs, ceux qui soutiennent l'opinion qui se place sous le patronage de la cour de cassation de Belgique ont été obligés de faire une concession, de reconnaître que toutes les fois qu'il y aura une convention entre le tireur, le porteur et le tiré, c'est-à-dire que toutes les fois que la provision aura été spécialement affectée au payement de la lettre de change, la provision appartiendra au porteur.

C'est précisément en parlant de cette idée que tous les auteurs successivement sont venus se rallier à l'opinion de la cour de cassation de France.

On a dit qu'il y avait lieu de mettre fin à une série de procès qui devaient nécessairement surgir de l'interprétation donnée par l'opinion adverse avec le tempérament qu'elle était obligée d'admettre.

En droit, messieurs, tous les auteurs enseignent que l'intention tacite doit produire les mêmes effets que l'intention expresse. S'il en est ainsi, lorsque l'affectation spéciale sera tacite, lorsqu'elle résultera évidemment des circonstances, le porteur devra également avoir un droit de préférence sur la provision.

On arrivera ainsi peu à peu et logiquement à une jurisprudence semblable à celle qui existe en France ; mais il y aura des difficultés sans cesse renaissantes sur le point de savoir si l'affectation spéciale existe.

N'est-il pas préférable d'adopter une opinion qui évite tous les procès et qui est d'accord avec les faits, avec l'intention des parties, puisque dans l'esprit de celle-ci il y a toujours affectation éventuelle de la provision au payement de la traite ?

Tous les auteurs, comme je viens de le dire, se sont ralliés à l'opinion de la cour de cassation de France et il n'est pour ainsi dire que trois auteurs, MM. Fremery, Horson, Delamarre et Le Poitvin, qui aient refusé de se rallier à cette doctrine.

Nous avons donc ici pour nous l'unanimité des auteurs, l'opinion de la cour de cassation de France, les usages et les besoins du commerce et enfin, la commune intention des parties.

Nous avons, dis-je, pour nous les usages et les besoins du commerce. Quoique cela ait été contesté hier, le commerce en général est vivement intéressé à ce que l'opinion soutenue par le gouvernement et par la commission soit consacrée par la Chambre.

Quand nous aurons donné plus de valeur à la lettre de change, ceux qui profiteront de cette réforme seront tout d'abord ceux qui font commerce de lettres de change, c'est-à-dire les banquiers puisque le commerce se fera avec plus de garanties.

Mais en profiteront-ils seuls ? Est-ce que la circonstance que le commerce de banque en profitera n'aura pas pour conséquence d'en faire profiter l'industrie et le commerce en général ? .

Voilà la question telle qu'on doit la poser. Eh bien, sur ce terrain il n'est pas possible de donner à la question deux solutions différentes.

Faites-vous une idée de la position.

Lorsqu'on vous présente un effet de commerce, si vous êtes certain que le tiré, s'il existe une provision entre ses mains à l'échéance, sera obligé de la payer au porteur, vous y apposerez votre signature avec plus de confiance, car il y aura pour vous une garantie du payement de l'effet et une chance de plus que vous ne serez pas obligé de payer l'effet au porteur qui n'aura pas été payé par le tiré.

Quelles sont maintenant les conséquences ultérieures de ce fait ? C'est que la lettre de change se garnira plus facilement d'un grand nombre de signatures et que dès lors elle circulera avec plus de facilité. Or, en matière de lettre de change, quel est le but à atteindre ? C'est de favoriser la transmission de la lettre de change.

Lorsque vous aurez rendu aisée et prompte la circulation de la lettre de change, vous aurez rendu au commerce un service signalé parce que vous aurez mis entre ses mains un moyen de se livrer avec sécurité à toutes ses opérations.

En un mot, j'insiste sur ce point : rendre plus sûre, plus certaine la position du porteur et, dans ce but, en cas de doute, se décider en faveur du porteur ; c'est la règle fondamentale dans la matière de la lettre de change ; assurer par tous les moyens possibles le payement de la lettre, accroître la confiance qu'elle inspire, provoquer dans ce but des endossements nombreux, tel est le but qu'il faut atteindre.

Vous arriverez à ce résultat en adoptant la proposition que nous vous soumettons.

La lettre de change, cet instrument si puissant dans les relations du commerce, circulera plus facilement, au grand avantage du crédit de tous.

La proposition de la commission, à laquelle le gouvernement a bien voulu se rallier, rendra donc service au commerce de banque et au commerce en général ; elle a en outre pour elle l'équité, puisque lorsque le porteur a délaissé une somme pour devenir propriétaire de la lettre, il est injuste que ce porteur se voie mis sur le même rang que les créanciers du tireur, qui trouvent déjà dans le patrimoine de ce dernier la valeur de la lettre.

J'insiste donc vivement sur la nécessité qu'il y a d'adopter le paragraphe premier de l'article 100.

Cependant une objection a été présentée hier et elle a produit une certaine impression sur quelques-uns de mes collègues. Cette objection a été faite par M. Watteeu. En l'entendant, je me disais que cette objection avait au moins le mérite d'être nouvelle. En matière juridique, il est rare qu'on trouve des choses nouvelles et les choses nouvelles doivent être suspectes. En effet l'objection n'était pas fondée, car elle conduit à ce résultat qu'on sacrifie le porteur et le tireur de bonne foi pour empêcher un abus auquel la loi porte remède. Je m'explique.

Voici l'objection. Elle consiste à soutenir que, dans les derniers moments de l'existence commerciale d'un négociant, il disposera de toutes les provisions qu'il pourra posséder chez différents autres négociants pour les partager outre quelques créanciers seulement ; de sorte que, en définitive, certaines personnes seront privilégiées aux dépens de la masse des créanciers.

Cette objection n'est pas fondée.

D'abord, elle sacrifie complètement le porteur et le tireur de bonne foi ; car l'honorable M. Watteeu ne fait pas de distinction, et il arrivera que lorsque j'aurai acheté une lettre de change, lorsque je l'aurai payée à deniers comptants, je serai considéré comme n'ayant aucun droit sur la provision, et je me trouverai complètement à découvert ; tandis que les créanciers du tireur se feront remettre la provision. Or, ce serait là, messieurs, un résultat complètement inique et auquel je dois croire qu'on n'aura pas songé.

On veut également frapper le tireur de bonne foi. Une personne peut se trouver momentanément dans une position gênée, ou peut avoir momentanément besoin de tous ses fonds ; on peut avoir besoin, soit de marchandises, soit d'effets, soit de valeurs quelconques qui se trouvent chez différents négociants avec lesquels on est en relation. Eh bien, par suite de l'opinion qu'on cherche à faire consacrer, vous empêcherez ce débiteur de bonne foi, qui est au-dessus de ses affaires, de tirer parti de tous les éléments de son avoir. Et pourquoi voulez-vous que ce tireur de bonne foi soit sacrifié ? Parce qu'il y a un abus possible, et cet abus, c'est que le porteur, au lieu d'être un simple acheteur, peut être un créancier qui se fait payer à l'aide d'un effet que vous lui remettez. Eh bien, la loi commerciale, messieurs, donne des moyens et des moyens très simples de prévenir cet abus. Ce remède se trouve dans les articles 455 et suivants du code de commerce.

En effet, s'il s'agit d'une dette qui n'est pas échue, c'est-à-dire d'un créancier qui a une dette non échue contre un tireur, ce créancier, s'il se fait remettre la lettre de change dans les conditions qui vous ont été indiquées, non seulement n'aura aucun droit de préférence sur la provision ; mais encore s'il vient à se mettre en possession de cette provision, il devra la restituer au curateur de la faillite du tireur. Ainsi en décide l'article 455 du code de commerce.

Si, au contraire, la dette est échue pourquoi voulez-vous que le créancier d'une dette échue ne puisse pas se faire payer ? Il est dans toutes les conditions de bonne foi : il est créancier ; il peut se faire payer sa créance en écus, c'est incontestable, et vous ne voulez pas qu'il puisse se faire payer à l'aide d'un effet de commerce !

Ainsi, dans les derniers temps qui précédent la faillite d'un négociant, un créancier se fait payer ; s'il se fait payer en écus et que la dette soit échue, on ne peut pas revenir sur ce payement ; mais s'il se fait payer au moyen (page 161) d'un effet, il devra restituer ce qu'il a reçu. Cela est-il juste, cela est-il raisonnable ?

En d'autres termes, je me trouve à Bruxelles et j'ai 10,000 francs déposés à la Banque de Belgique. Mon créancier me demande de lui payer une dette échue ; je puis lui donner mes 10,000 francs en écus. Eh bien, pourquoi ne pourrais-je pas remettre à mon créancier, au lieu d'écus, un effet de 10,000 francs sur la Banque de Belgique ? Pourquoi, dans ce cas, critiquez-vous l'opération, tandis qu'elle est parfaitement irréprochable dans le premier ?

Ainsi, la loi commerciale sur ce point est contraire à l'opinion que je combats ; et cette même loi commerciale donne aussi le moyen de parer à la fraude qui a été signalée.

En effet, la loi commerciale annule de plein droit et immédiatement sans qu'il y ait intention frauduleuse, les payements des dettes non échues et ceux de dettes échues autrement qu'en argent et en effets de commerce ; mais elle ne valide pas d'une façon absolue ces derniers payements ; elle permet de les annuler, et c'est le cas, lorsqu'il y a fraude.

Ainsi, en vertu de l'article 156 de la loi sur les faillites, s'il y a eu cessation de payement et si elle était connue du porteur de l'effet donné en payement, le tribunal de commerce peut annuler les payements qui ont eu lieu, au profit de la masse ; on peut donc revenir sur les payements qui sont fait dans les conditions de fraude qui ont été indiquées par M. Watteeu ; aussitôt qu'on prouvera que le porteur avait connaissance de la cessation des payements, le transport sera annulé. Les créanciers du tireur ne sont donc pas désarmés.

Je crois avoir prouvé ce que je disais tout à l'heure : pour un abus auquel la loi commerciale porte remède, on veut frapper le tireur et le porteur de bonne foi.

Voilà ce que j'avais à ajouter sur le premier paragraphe de l'article. Quant aux deux derniers paragraphes, les observations présentées hier par l'honorable M. Dolez, ont ébranlé quelque peu ma manière de voir.

Il y a en France de grandes divergences d'opinion sur le point de savoir comment la provision insuffisante doit être répartie entre les porteurs de la lettre de change ; on est d'accord sur ce point, que lorsqu'il y a affectation spéciale, les traites au payement desquelles la provision a été affectée spécialement, doivent être payées les premières sur le montant de la provision.

Ce point une fois acquis, le doute commence ; les uns se décident d'après l'acceptation ; les autres pensent que c'est d'après la date de l'effet qu'il faut se régler ; d'autres, enfin, prétendent que les sommes doivent être réparties au marc le franc.

Je crois qu'on pourrait réserver le vote des deux derniers paragraphes ; d'ici à la fin de la discussion, il me sera peut-être possible, d'accord avec M. le ministre de la justice, de présenter à la Chambre une rédaction propre, à être accueillie par les diverses opinions.

M. Jacobsµ. - Messieurs, je me bornerai à quelques mots, pour ne pas éterniser cette discussion.

A en croire l'honorable rapporteur il s'agit de transformer l'ancien contrat de change ; il ne sera plus désormais le transport d'une somme d'un lieu à un autre. Jusqu'ici il est dans le vrai, mais il ajoute. : La transformation que. nous opérons a une portée infiniment plus étendue, elle fera de la lettre de change une monnaie commerciale qui représentera la provision, comme le billet de banque représente la somme d'argent qui y est inscrite. La lettre de change deviendrait une provision matérialisée, te litre de propriété de la provision.

S'il en était ainsi, messieurs, le projet n'est pas en rapport avec le programme qu'on prétend réaliser.

Il devrait exiger qu'il y ait toujours provision ; il devrait empêcher le tireur d'en disposer dès qu'il a fait traite.

Si la lettre de change représente la provision, si elle en constitue le transport, le porteur seul devrait pouvoir en disposer. Evidemment, c'est aller plus loin qu'on ne veut, qu'on ne peut aller.

La lettre de change est si peu la représentation de la provision, que le crédit consiste précisément dans la circulation d'effets qui n'ont pas de représentation matérielle. Si la lettre de change représentait toujours une provision, était un véritable titre de propriété, il n'y aurait plus de valeurs de crédit, il n'y aurait plus que des valeurs réelles. C'est la suppression du crédit.

Il est contraire à l'essence de la lettre de change, telle que nous la maintenons, d'être considérée comme la représentation d'un objet matériel, d'une somme d'argent.

La lettre de change, dans son essence, n'est qu'une obligation, prise par une personne, de payer une somme à une autre personne à un moment donné, abstraction faite de la question de savoir ce que la première possède, soit en général, soit entre les mains d'un tiers, le tiré.

En présence de cette notion de la lettre de change, qui nous guide en toutes les circonstances, qui nous fait ne pas exiger de provision, qui nous fait autoriser le tireur à retirer la provision des mains du tiré, jusqu'au moment de l'échéance, qui la laisse dans l'actif du tiré en faillite, comme gage de tous ses créanciers indistinctement, je me demande pourquoi l’on établit une disposition spéciale vis-à-vis des créanciers du tireur ?

On reconnaît qu'en général la lettre de change n'est qu'une opération de crédit absolument étrangère à la question de savoir s'il y a provision à un moment déterminé ; mais pour le cas spécial de faillite du tireur, on établit un lien plus étroit entre la lettre de change et la provision.

Pourquoi cette exception ? Nous ne sommes pas en présence d'une loi qui matérialise la lettre de change ; nous sommes en présence de la lettre de change comme, on l'a toujours entendue, mais on la matérialise pour un cas déterminé. Je reconnais que, s'il y avait un avantage considérable pour le commerce, on pourrait passer par dessus cette anomalie, mais cet avantage je ne le vois pas tant qu'est maintenu le droit du tireur de faire disparaître la provision jusqu'au dernier moment.

Je suis convaincu, pour ma part, que ce hasard, cette chance que pourra avoir le porteur de trouver une provision entre les mains du tiré au moment de l'échéance n'ajoutera absolument rien au crédit. Je suis convaincu que les banquiers continueront dans l'avenir comme par le passé à ne tenir compte que des signatures apposées sur la lettre de change et pas le moins du monde de l'éventualité de trouver au jour de l'échéance une provision entre les mains du tiré.

Je ne suis pas porté, jusqu'à présent, à accorder un privilège qui, comme tous les privilèges, ne se justifierait que par des raisons de nécessité.

On nous a répondu : Il y a des raisons d'équité. Est-il juste, que celui qui a payé une lettre de change n'ait pas la provision ? Mais, messieurs, poussez ce raisonnement à l'extrême ; soyez conséquents, et vous défendrez au tireur de disposer de la provision.

Il est juste que la provision appartienne au porteur, il faut défendre au tireur de disposer de la provision dès qu'il a fait une traite. Adoptez ce système si vous le voulez, allez jusqu'au bout, mais choisissez entre deux théories complètes et ne nous offrez pas une solution hybride qui n'est ni chair ni poisson.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, je crois qu'il est très dangereux de discuter en théorie sur la lettre de change et de venir dire : C'est un contrat de cession d'une créance, de cession d'une provision. Cela est complètement indifférent. Nous ne la définissons pas dans la loi ; nous laissons aux théoriciens le soin de décider ce que c'est que le contrat de change et la lettre de change. Ce que nous voulons régler, c'est une situation déterminée, celle de l'échéance. Nous ne nous occupons que d'une chose ; qu'arrivera-t-il à l'échéance ?

Eh bien, messieurs, nous sommes d'accord pour les traites acceptées. On reconnaît que celui qui a accepté doit être payé de préférence. Reste la difficulté des traites non acceptées.

On nous a dit : Mais vous allez avoir une quantité de fraudes, et vous allez être cause qu'au lieu d'avoir pris une mesure utile, le législateur aura rendu un mauvais service au commerce.

J'avais la naïveté de croire que ce serait là le cas exceptionnel. Les commerçants usant de fraude sont l'exception.

- Un membre. - Et ceux qui tomberont en faillite ?

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je veux bien admettre que quand il s'agira des négociants qui tomberont en faillite et qui seront de mauvaise foi, il pourra y avoir des abus. Mais parce que la loi donnera lieu à des abus, voulez-vous priver le commerce des avantages qui pourront en résulter dans les cas ordinaires ? Ceux qui s'opposent à la réforme décident d'une manière absolue qu'il ne pourra se trouver un débiteur honnête, en la parole de qui on pourra avoir confiance, qui dira à son créancier : J'ai là une provision et je vous donne ma première disposition. Or, je crois que cela pourra arriver dans un grand nombre de cas.

L'honorable M. Watteeu a dit : On n'aura pas confiance. Mais vous êtes beaucoup plus difficile que les commerçants eux-mêmes qui demandent la réforme et disent qu'ils auront confiance. Vous vous montrez dans cette affaire plus catholique que le pape. Les négociants et les chambres de commerce nous disent : Si le débiteur nous dit : une première disposition, nous sommes contentes. Pourquoi ? Parce que nous avons affaire à un honnête homme, nous le croyons. On sera trompé quelquefois. Mais cela arrive tous les jours dans le commerce. Quand vous vendez des marchandises à un individu qui se dit très bien dans ses affaires et qui est très (page 162) mal dans ses affaires, vous êtes trompé. Est-ce une raison de prohiber les transactions et est-ce un obstacle à ce qu'on en fasse ?

Enfin, il y a un autre objection beaucoup plus sérieuse : c'est qu’en France, depuis longtemps, est appliquée une législation qui dit que les effets seront payés selon la date de l'échéance. Eh bien, c'est évidemment un avantage. Car je ne sache pas qu'il y ait des réclamations en France contre cette disposition.

Elle a été introduite dans la législation à la suite des réclamations du commerce.

Eh bien, quand nous voyons, dans ce grand pays et en Allemagne, un système analogue appliqué, nous devons nous dire qu'il y a là un avantage pour le commerce, et j'avoue qu'il m'importe surtout, au point de vue de l'utilité de la réforme, d'avoir pour moi l'opinion des commerçants, plutôt que celle des avocats et des jurisconsultes. Je dois voir avant tout les intérêts du commerce.

Nous faisons une loi pour les commerçants.

Or, les commerçants demandent qu'on leur accorde un droit à la provision. Cela ne contrarie aucun principe. Au contraire, c'est la consécration de la véritable théorie de la lettre de change, qui est d'assurer la provision au porteur de l'effet. La crainte des procès me paraît exagérée ; et si, dans ce sujet aride, une plaisanterie m'est permise, elle ne doit pas du reste effrayer les avocats ; cela leur donnera occasion d'exercer leur sagacité. Mais quant au commerce, je crois devoir maintenir le vœu qu'il a formulé.

L'honorable M. Dolez a demandé que lorsque les traites ne sont pas acceptées, la provision soit partagée au prorata, Je n'y vois pas d'inconvénient. Si c'est le mezzo termine de la difficulté, on pourra rédiger un article pour dire qu'il n'y a pas lieu de tenir compte de la date de l'échéance et de l'émission, que toutes les traites non acceptées seront payées au prorata. Mais la provision sera toujours attribuée aux porteurs de lettres de change non acceptées.

En tout cas, on pourrait renvoyer cette disposition à la commission, qui aurait à examiner les objections et à faire un nouveau rapport.

M. Watteeuµ. - Messieurs, je ne sais pas jusqu'à quel point il est séant de la part de M. le ministre de la justice de ne tenir aucun compte des observations qui sont présentées dans cette Chambre par des représentants en raison de leur qualité d'avocat. (Interruption.) Je crois, au contraire, que dans certaines questions spéciales, comme celle dont nous nous occupons, il y a, à côté du député qui se préoccupe autant que n'importe qui de l'intérêt du commerce et n'a pas d'autre but que de le rendre prospère, il me semble qu'il ne faut pas dédaigner les connaissances que ses études spéciales ont pu lui donner.

Laissons donc de côté l'avocat, et ne voyons que le représentant, qui vient très consciencieusement indiquer les vices que le projet de loi renferme et qui doivent amener des résultats contraires à ceux que l'auteur de la loi a voulu obtenir.

Eh bien, messieurs, je vous l'ai dit hier, quelque bonnes que soient vos intentions, votre loi engendrera de nombreuses difficultés, et mes observations tendent précisément à atténuer ces difficultés.

Je sais bien qu'on m'a cité l'exemple de la France et de la Prusse, mais on oublie qu'il est dans les habitudes de la France d'accepter les traites tracées sur les détaillants ; ici, au contraire, le commerce intérieur éprouve une profonde répugnance à accepter les traites. Ces habitudes tendent à disparaître, des mesures ont été prises par nos grands établissements financiers, et l'un de nos honorables collègues qui est à la tête d'un de ces établissements me disait l'autre jour qu'il se faisait remarquer un certain revirement ; mais jusqu'à présent vous avez des habitudes véritablement enracinées et qui sont tout à fait défavorables à l'acceptation.

Puisque, j'ai la parole, je demanderai à l'honorable ministre de la justice de vouloir bien me donner deux renseignements.

Aujourd'hui la lettre de change, telle que la nouvelle loi la définit, n'exige plus qu'il y ait remise d'argent de place en place. On peut donc disposer de Bruxelles sur Bruxelles. Or, d'après la loi sur l'enregistrement, la lettre de change n'est point soumise à la formalité de l'enregistrement ; le billet à ordre, au contraire, est passible, d'un droit proportionnel.

Je demanderai à l'honorable ministre ce qui arrivera, à cet égard, sous l'empire de la nouvelle loi.

MjB. - C'est une question que nous aurons à examiner à l'occasion d'un amendement de M. Jacobs.

M. Watteeuµ. - Cette question est donc réservée. En voici une autre : le dernier paragraphe de l'article 100 porte : « Les traites non acceptées seront payées suivant l'ordre de leur émission ; si elles ont la même date, suivant l'ordre des échéances ; enfin, si toutes choses sont égales, au marc le franc. »

- Un membre. - Cela est renvoyé à la commission.

M. Watteeuµ. - Cela n'empêche pas de signaler une lacune sur laquelle l'attention de la commission pourra être attirée.

« Les traites non acceptées seront payées suivant l'ordre de leur émission ; si elles ont la même date suivant l'ordre des échéances. »

Je demandais hier comment on pourrait obvier aux nombreuses difficultés que ces dispositions engendreraient. Le gouvernement a répondu qu'on pourrait y obvier en exigeant que le tireur indique si c'est une première émission ou une deuxième émission ; en d'autres termes, si c'est la première fois que le tireur dispose d'une provision déterminée.

Si, le même jour, deux dispositions sont faites par le tireur, d'après ce paragraphe la question de savoir à qui des deux porteurs la préférence est accordée, ne se trouve plus déterminée par la date de l'émission, mais par l'échéance.

Or, voici ce qui peut arriver.

Un tireur fait une première disposition en faveur d'un de ses créanciers et fixe la date de l'échéance à un mois.

Le même jour, mais après le premier, un second créancier se présente et le tireur lui remet la seconde disposition.

Seulement, au lieu de fixer l'échéance à un mois, il la fixe à quinze jours.

Il en résultera, d'après ce paragraphe, que celui qui aura obtenu la seconde traite, par conséquent la seconde émission, sera privilégié sur celui qui aura obtenu la première.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - C'est évident, mais il ne s'agit pas de ce cas-là.

Il aura le droit de disposer de sa provision jusqu'à la fin ; par conséquent même le lendemain du jour où il a fait la traite, il pourra retirer son argent. L'échéance est donc à la même date.

M. Watteeuµ. - Mais quand il a fait usage de ce droit, qu'arrive-t-il ?

D'après ce que vous proposez, les traites non acceptées seront payées suivant l'ordre de leur émission ; si elles ont la même date, suivant l'ordre des échéances.

Il arrivera donc, comme je l'ai dit tout à l'heure, que c'est celui qui aura obtenu la seconde, mais à une échéance plus rapprochée, qui sera privilégié au détriment du premier.

Je signale cette anomalie à la commission parce qu'elle aura à s'occuper de nouveau de la question.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - L'honorable M. Watteeu a pu croire que je fais fi des lumières que des avocats expérimentés pouvaient apporter au débat.

Il n'en est rien et si j'avais attaqué les avocats, je me serais attaqué moi-même ; mais j'ai constaté un fait qui a une grande importance : c'est que les chambres de commerce ont réclamé la réforme.

On ne consulte évidemment pas les chambres de commerce pour ne pas tenir compte, dans certaines limites, de leurs avis.

M. Watteeuµ. - On peut les combattre.

M. Guillery. - Les chambres de commerce demandent aussi la réforme postale.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Les partisans de la réforme postale s'appuient-ils aussi volontiers sur l'opinion des chambres de commerce ?

M. Jacobsµ. - Mais cela ne leur sert à rien.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - C'est une autre question. Nous soutenons avec les chambres de commerce que nous avons raison.

Nous prétendons que notre théorie de la lettre de change est la meilleure.

Il ne reste donc que la question de savoir si elle est la plus utile. Or, les chambres de commerce prétendent qu'elle est utile.

Je ne vois pas pourquoi les commerçants demanderaient des réformes contraires à leurs intérêts et si la réforme qu'ils réclament est conforme à la théorie, je ne vois pas pourquoi on ne la leur accorderait pas.

Je dois faire remarquer à l'honorable M. Watteeu que le droit de disposer une deuxième fois le même jour constituera une fraude si le tireur dit que c'est la première disposition.

M. Watteeuµ. - Mais il dira que c'est une seconde.

(page 163) M. le ministre de la justice (M. Bara). - S'il dit que c'est une seconde, il a le droit de retirer sa provision.

Il ne s'agit du reste, messieurs, que des effets tirés les uns après les autres. S'ils ont été remis en même temps au même individu, il est évident qu'ils ont été reçus en même temps.

Voilà comment il peut y avoir deux dispositions avec des échéances différentes.

Je vous donne deux effets à échéances différentes sur la même provision.

M. Watteeuµ. - M. le ministre n'a pas saisi l'objection. La loi, jusqu'à présent, n'exige pas même cette émission de première et de deuxième.

Mais je comprends que l'on puisse introduire cette condition afin de rendre les fraudes plus difficiles.

Mais alors même que vous aurez prescrit au tireur d'indiquer sur le titre que c'est la première ou la seconde traite, vous n'échapperez pas au danger que j'ai signalé, et le voici : c'est que votre projet portent que lorsque deux traites sont tirées le même jour et portent par conséquent la même date, c'est l'échéance qui déterminera le privilège, c'est-à-dire le droit à la provision.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Dans le cas que vous me citez, il y aura fraude.

M. Watteeuµ. - Permettez ; sur la première traite, il mettra : première émission à un mois de date ; sur la seconde traite, il mettra, conformément à la vérité, seconde émission ; il aura donc satisfait à la loi, seulement la seconde traite sera d'une échéance plus rapprochée, de manière qu'elle primera la première.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il est inutile de mettre première ou seconde émission dans ce cas-là.

M. Watteeuµ. - Vous croyez donc que ce sont des garanties illusoires. Le commerce demande des réformes, mais des réformes pratiques.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Mon objection subsiste toujours. M. Watteeu imagine un cas frauduleux, car qu'est-ce, en définitive, qu'un tireur qui crée une lettre de change en disant que c'est une première émission qui donnera droit à la provision et qui, le même jour, fait une seconde disposition à une échéance plus rapprochée ?

Eh bien, pour les cas de fraude, vous voulez que je sacrifie le commerce honnête ! Mais on peut toujours user de fraudes, et les tribunaux sont là ; en matière de commerce on peut toujours, par tous les moyens de droit, faire la preuve de la fraude,.

D'ailleurs, comme le disait hier M. Dupont, dans le système de la commission, le banquier sur lequel on aura tiré deux fois préviendra ceux au profit de qui la lettre aura été tirée qu'il y a deux dispositions et avant le jour de l'échéance, les droits des parties seront réglés.

MpVanHumbeeckµ. - On paraît d'accord pour ne faire porter le vote que sur le premier paragraphe du projet du gouvernement et pour réserver les autres, que l'on renverrait à la commission.

Ce paragraphe est ainsi conçu :

« Le porteur a, vis-à-vis du créancier du tireur en faillite, un droit exclusif à la provision qui existe entre les mains du tiré, sans préjudice à l'application de l'article 445 de ce Code. »

C'est à ce paragraphe que se rapporte l'amendement de M. Jacobs qui est ainsi conçu :

« L'acceptation du tiré confère à celui-ci un droit exclusif à la provision qui existe entre ses mains, sans préjudice à l'application de l'article 445 de ce Code. »

- L'amendement de M. Jacobs est mis aux voix et rejeté.

Le paragraphe premier du projet du gouvernement est ensuite mis aux voix et adopté.

Article 101

« Art. 118 (101 du projet du gouvernement). Le tireur et les endosseurs d'une lettre de change sont garants solidaires de l'acceptation et du payement à l'échéance. »

- Adopté.

Article 102 (nouveau)

MpVanHumbeeckµ. - Vient maintenant un article 102 nouveau présenté par le gouvernement et ainsi conçu :

« Entre commerçants et pour dettes commerciales, le créancier a le droit, sauf convention contraire, de tirer sur son débiteur une lettre de change pour une somme qui n'excède pas le montant de la dette, et le tiré est tenu d'accepter. »

La commission avait proposé également un article 102 nouveau dans le même sens, mais autrement rédigé. M. le rapporteur se rallie-t-il à l'article présenté par le gouvernement ?

M. Dupont, rapporteurµ. - Oui, M. le président, sauf une modification.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je crois qu'il convient d'ajouter à l'article 102 la disposition suivante :

« Lorsque la somme excède le montant de la dette, le tiré ne doit accepter que pour la part de la somme dont il est débiteur. »

Le principe est l'obligation pour le débiteur d'accepter la créance ; or, s'il ne doit pas la créance entière, il faut que l'obligation existe pour la partie due.

M. Watteeuµ. - Je prends la parole uniquement pour prier M. le ministre de la justice de me dire quelle sera la sanction de cette disposition. Si le tiré n'accepte pas, quelle sera la sanction ?

M. le ministre de la justice (M. Bara). - On s'adressera à la justice pour obtenir une acceptation judiciaire.

MiPµ. - Ce sera comme aujourd'hui.

M. Watteeuµ. - Je vous demande pardon, le protêt permet d'exercer immédiatement un recours contre le tireur.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il est évident que, du moment où il y a une obligation, un fait imposé au débiteur, on applique les principes généraux du code civil. Que dit la loi ? Elle dit que vous devez accepter l'effet tiré sur vous sauf les conventions contraires. Eh bien, si vous n'exécutez pas cette obligation de faire, votre créancier vous assignera devant les tribunaux et vous en subirez les conséquences. Les tribunaux examineront le dommage que le tireur aura subi par suite de refus d'acceptation non fondé.

M. Watteeuµ. - Il était utile d'avoir ce commentaire.

M. Guillery. - J'ai reçu des réclamations au sujet de cet article nouveau, au nom de personnes intéressées dans le commerce et très versées dans les usages admis en matière de lettre de change.

Dans l'état actuel de nos usages commerciaux, l'acceptation constitue l'exception et l'on peut évaluer tout au plus à 10 p. c. le nombre des traites acceptées qui circulent dans le pays.

La Banque Nationale a essayé d'amener l'usage contraire, elle a essayé d'engager les négociants à accepter et elle leur a offert dans ce but une prime d'un demi pour cent sur l'escompte. Eh bien, malgré cet encouragement, l'usage persiste. Il peut y avoir une légère amélioration, comme vient de le constater l'honorable M. Watteeu, mais elle n'est pas considérable. Il est certain qu'il y a chez nous une répugnance à accepter, de la part du tiré et même de la part du tireur, qui l'un et l'autre considèrent l'acceptation comme un acte de défiance.

Je suis loin de dire que cet usage doive être encouragé, qu'il soit favorable au commerce ; mais je crois que nous devrions laisser aux parties le soin d'agir comme elles l'entendent. Elles sont libres lorsqu'elles font un contrat, lorsqu'elles font des opérations commerciales, de stipuler que le payement se fera de telle ou de telle façon, de convenir que celui qui se trouvera débiteur devra permettre à son créancier de tirer sur lui et s'engager à accepter.

Il faut respecter cette liberté. Mais forcer le commerce de recourir à un moyen qui lui répugne, ce serait, je ne dirai pas un acte de tyrannie (le mot serait trop fort), mais un acte qui jetterait dans le commerce une certaine inquiétude et soulèverait des réclamations. Il vaut mieux, me semble-t-il, laisser les parties libres d'agir comme elles l'entendent. Il faut admettre l'acceptation facultative et laisser les parties libres de faire les conventions qu'elles jugeront utiles.

Je sais qu'on me dira que l'acceptation est avantageuse au commerce ; mais je réponds que le commerce est le meilleur juge de ce qui lui convient. Laissons-lui cette liberté et laissons aussi la Banque Nationale encourager l'acceptation en attachant à cet encouragement les conditions qu'elle juge convenables pour plier le commerce à ce nouvel usage. Je n'en dirai pas davantage pour le moment. Je soumets ces observations à M. le ministre de la justice.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Tout le monde reconnaît, et l'honorable M. Guillery le reconnaît lui-même, que dans l'intérêt des commerçants, il faudrait généraliser les traites acceptées.

Mais l'honorable membre dit qu'il y a dans le pays des usages contraires et qu'il faut respecter.

Ces usages, nous en tenons compte. tporte que les traites doivent être acceptées sauf convention contraire. Libre donc au débiteur de ne pas autoriser de disposer sur lui par traites acceptables.

(page 164) Mais ces cas seront très peu nombreux. L'honorable M. Watteeu disait tout à l'heure que le nombre des traites acceptées augmentait considérablement dans le pays ; nous devons aider à ce mouvement progressif, surtout dans l'intérêt du commerce ; car il est évident que la valeur scia bien plus grande lorsque les traites seront acceptées.

M. Dupont, rapporteurµ. - Je n'ajouterai qu'un mot à ce que vient de dire M. le ministre de la justice ; c'est que la commission ayant à se prononcer sur une controverse, l'opinion qu'elle a adoptée lui a paru la plus conforme à la loi commune. Un débiteur, en effet, est obligé de payer entre les mains du mandataire de son créancier lorsqu'il se présente, muni du titre de la créance ; c'est un principe de droit commun qu'on applique à la matière de la lettre de change.

M. Watteeuµ. - Messieurs, la rédaction nouvelle qu'on nous présente est indubitablement favorable au haut commerce ; mais autant elle lui est favorable, autant elle va jeter la perturbation et le trouble dans le petit commerce ; l'acceptation ne devrait être obligatoire qu'autant qu'elle ne fût pas appliquée à une créance inférieure à 1,000 francs.

Le petit commerce a une série de petites dettes, qu'il ne peut pas payer à jour fixe ; il lui faut quelquefois huit, quinze jours de répit, pour acquitter les factures à leur échéance, tandis qu'une acceptation doit être acquittée à jour fixe.

Le débiteur embarrassé se trouvera en présence d'un tiers porteur, qui n'aura pas pour lui la moindre considération.

Il en résultera, je n'en doute pas, une véritable perturbation dans le petit commerce.

Je proposerai donc un amendement aux termes duquel cette obligation ne sera imposée que lorsque la dette excédera 1,000 francs ; si cet amendement est rejeté, je ne voterai contre l'article que lorsque la dette excède 1,000 francs parce que, dès ce moment, cela ne concerne plus que le haut commerce.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je ne comprends pas comment la disposition que nous proposons pourrait nuire aux petits commerçants.

L'un ou l'autre : ou ils sont débiteurs au jour de l'échéance de la traite ou ils ne le sont pas. S'ils le sont, pourquoi ne veulent-ils pas le reconnaître ?

M. Guillery. - Il renoncent au délai de grâce.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Mais, messieurs, sans doute ; les délais de grâce sont abrogés par le code, en matière de lettre de change.

Je demanderai à l'honorable membre s'il y a beaucoup de commerçants qui vont devant le tribunal de commerce demander un délai de grâce ; cela est très rare. Cela peut exister dans certains cas, mais c'est évidemment l'exception.

Je demande à l'honorable membre, quel inconvénient il y a à reconnaître qu'on est débiteur. Il y a dans le commerce une mauvaise habitude que nous devons combattre. Je ne sais pas pourquoi un débiteur honnête n'accepterait pas une lettre de change, et au surplus, s'il avait des raisons pour ne pas accepter, il pourrait faire une convention avec ses créanciers au moment où il traite. Il peut leur dire : Je veux bien traiter avec vous, mais vous ne disposerez pas sur moi par traites acceptables.

MpVanHumbeeckµ. - M. Watteeu propose la rédaction suivante :

« Entre commerçants et pour dettes commerciales excédant mille francs, le créancier a le droit... » Le reste comme à l'article du gouvernement.

Cet amendement a été développé, il est appuyé et fait partie de la discussion.

MiPµ. - Messieurs, il me paraît que l'honorable M. Watteeu constitue une appréciation inexacte de la nature des faits.

Il suppose que la rigueur du terme vient uniquement de l'acceptation, que le fait de ne pas devoir accepter permet au débiteur de retarder le payement pour payer sa dette petit à petit.

Or, messieurs, il n'en est rien ; par cela seul qu'il y a une disposition, le débiteur doit payer à l'échéance et s'il ne paye pas il encourt tous les inconvénients résultant du non-paiement ; il y a un protêt.

A ce point de vue, il est donc indifférent qu'il ait le droit d'accepter ou de ne pas accepter.

Maintenant, messieurs, est-il à craindre que le haut commerce, pour employer l'expression de l'honorable membre, fasse abus de notre article vis-à-vis du petit commerce ? Maïs, ce serait encore méconnaître les faits les plus certains de la pratique commerciale.

Quand un négociant a de petits clients, il se garde généralement de disposer sur eux s'il ne sait pas qu'ils peuvent payer à jour fixe.

Et cela pour deux raisons excellentes.

La première, c'est qu'un fabricant, par exemple, qui fournit une certaine quantité de marchandises à un petit détaillant s'abstient de le vexer, et de perdre ainsi leur pratique ; or, c'est ce qui serait le résultat de toute traite acceptable que l'acheteur repousserait.

C'est la première raison ; elle me paraît à elle seule tout à fait décisive.

Mais il en est encore une autre.

Un négociant ne mettra pas habituellement des effets de commerce en circulation s'il croit que ces effets ne pourront pas être payés à l'échéance. Son crédit est intéressé à ne pas mettre en circulation des effets qui seront impayés, car un négociant qui a l'habitude d'émettre du papier qui n'est pas régulièrement payé à l'échéance, compromet non seulement le crédit de celui qui doit payer, mais encore son propre crédit et il est réputé, comme on dit vulgairement, avoir de mauvais papiers.

M. Mullerµ. - Et il est obligé de faire les fonds.

MiPµ. - Il est obligé de faire les fonds, de payer le protêt et les frais de retour. Et tout cela pour vexer sa clientèle et nuire à son propre crédit. Les abus signalés par l'honorable M. Watteeu ne sont donc pas à craindre, et l'on peut parfaitement s'en tenir à l'intérêt même de ceux qui disposent.

Je crois donc que si la Chambre veut avoir égard aux deux considérations tout à fait décisives, d'après moi, que je viens d'avoir l'honneur d'indiquer, elle se convaincra qu'il n'y a pas le moindre danger dans la disposition dont il s'agit, plutôt pour le petit commerce que pour le haut commerce. Il n'y a pas là opposition d'intérêts et ce qui pourrait nuire à l'un serait nécessairement nuisible à l'autre.

Maintenant je demande à la Chambre s'il est possible de déterminer dans une loi des droits différents, selon que la créance excède ou n'excède pas 1,000 francs.

L'article est conforme au droit ou il ne l'est pas. Comme le droit est le même pour toutes les créances commerciales, quel que soit leur import, il faut les régir de la même manière.

M. Watteeuµ. Messieurs, l'honorable ministre de l'intérieur pense d'abord qu'il n'y a pas de motifs plausibles pour faire une distinction entre une grosse et une petite dette. Cependant nos codes actuels nous présentent plusieurs exemples où l'importance de la somme détermine des dispositions législatives toutes différentes.

Ce n'est donc pas un argument qui aille à l’encontre de ma proposition.

L'erreur de l'honorable ministre me paraît grave, quant aux résultats de la disposition qu'on nous propose ; il pense qu'il est peu de négociants qui disposeront sur un de leurs clients sans avoir la certitude qu'il fera honneur à sa traite.

MiPµ. - Malgré lui.

M. Watteeuµ. - Malgré lui ; or, le petit commerçant, qui ne nage pas généralement dans une grande abondance d'argent, se fait assez facilement illusion et lorsqu'on viendra lui présenter une traite payable dans un, dans deux, dans trois mois, il espérera pouvoir y faire face et n'hésitera pas à accepter. Arrivera le jour de l'échéance et il ne sera pas en mesure.

Mais, dira-t-on, que se passe-t-il, quand un négociant fait une traite sur un client et que cette traite n'est pas payée ? Mais la plupart du temps c'est un simple mandat qui porte cette mention : « Retour sans frais. »

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Cela sera encore permis.

M. Watteeuµ. - Permettez. Quand c'est une disposition qui n'est pas acceptée et qui porte la mention : retour sans frais, il n'y a pas grand inconvénient à ce que le billet retourne. Mais si le billet est accepté, s'il n'est pas payé à son échéance, et qu'il y ait un acte qui marque la défection du débiteur, cela porte une telle atteinte à son crédit, que, d'après la loi sur les faillites, il faut immédiatement que le protêt soit affiché. Tout le monde sait immédiatement que la signature est restée en souffrance et dès ce moment ce petit négociant se trouve frappé de discrédit et dans l'impossibilité de continuer ses affaires.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je ne vois pas de raison pour ne pas voter cet article.

On dit : le petit commerçant se fait facilement illusion ; il pourra arriver qu'il croira qu'il aura de l'argent à l'échéance. Il ne s'agit pas de cela. S'il n'est pas débiteur, il ne doit pas accepter. Qu'est-ce que l'acceptation ? C'est une reconnaissance de la dette.

M. Watteeuµ. - Il doit.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Alors, qu'il signe. Quel avantage trouvez-vous à ce qu'il ne signe pas ? Voulez-vous me dire le bienfait que peut retirer le petit négociant de la non-signature ?

(page 165) M. Watteeuµ. - Si vous me le permettez, je répondrai immédiatement à votre interpellation.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Bien volontiers.

M. Watteeuµ - La différence est sensible. Quand le petit commerçant doit une somme au négociant qui lui a fourni de la marchandise, il est débiteur en vertu d'une facture. Cette facture n'a pas une échéance fatale, une échéance qui n'admet ni merci ni grâce. Il peut payer trois, quatre, huit jours après, et comme vous l'a dit M. le ministre de l'intérieur, le négociant a intérêt à ménager ses clients.

Eh bien, c'est en raison de cet intérêt que le négociant, lorsqu'il ne s'agit que d'une simple facture, accorde un délai de quelques jours ; quand, au contraire, le petit négociant a accepté une traite, ce n'est plus à son négociant qu'il doit, c'est à un tiers porteur, un étranger qui n'a aucun motif de le ménager.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il me semble que l'honorable membre a des idées tout à fait erronées sur la matière qui nous occupe en ce moment. Quand un commerçant est débiteur d'un autre commerçant, le créancier a le droit de tirer sur lui ; eh bien, quand on a le droit de tirer, on a le droit de faire protester. Si la théorie de l'honorable membre était admise, le créancier ne pourrait plus tirer sur son débiteur et s'il le faisait, il serait exposé à ce qu'au jour de l'échéance le tiré répondit qu'il n'admet pas ce mode de payement. C'est ce que le législateur n'a pas voulu, et le créancier a toujours le droit de tirer sur son débiteur commercial. Or, s'il en est ainsi, vous devez en tirer la conséquence que le débiteur commercial doit accepter.

M. Guillery. - Messieurs, il y a deux choses dans l'article : le droit pour le créancier de tirer et l'obligation pour le débiteur d'accepter la traite.

« Entre commerçants et pour dettes commerciales, le créancier a le droit, sauf convention contraire, de tirer sur son débiteur une lettre de change pour une somme qui n'excède pas le montant de la dette, et le tiré est tenu d'accepter. »

Voilà donc établi d'une façon irrévocable, sauf convention contraire bien entendu, le droit du créancier de tirer sur son débiteur, c'est-à-dire que vous substituez un contrat d'une nature nouvelle au premier contrat ; vous substituez le payement d'une lettre de change, qui doit se faire à jour fixe, au payement d'une facture qui comporte certains retards.

Il y a, en second lieu, l'obligation d'accepter. L'honorable ministre de la justice nous dit qu'il a prouvé que c'est à tort que nous avons dit que l'accepteur renonce au bénéfice du terme de grâce. Mais c'est dans le rapport de la commission, rapport auquel on ne reprochera pas de ne pas être fait avec beaucoup de maturité et de science. Que dit le rapport :

« On s'est demandé si le tiré, débiteur du tireur, était tenu d'accepter la lettre : point de difficultés, si le tiré n'est pas commerçant ou s'il ne s'agit pas d'une dette commerciale. Il n'y est évidemment pas obligé. Mais cette solution doit-elle être également adoptée s'il s'agissait d'un engagement commercial entre négociants ? Sans doute, le tiré perd le droit, en acceptant, d'obtenir un délai de grâce, et le défaut de payement de la lettre peut le distraire de ses juges naturels et lui imposer des frais de protêt. Or, dit-on, une convention entre le tireur et le preneur, convention à laquelle il est resté étranger, ne peut modifier sa position malgré lui et à son détriment.

« Cela est vrai, sans doute, mais l'usage commercial vient modifier ce résultat, par l'application d'autres principes. Déjà, du temps de Pothier, le créancier avait le droit de se rembourser par une traite, et cet usage est conforme à l'intérêt respectif des commerçants. Si l'on en souffre comme débiteur, on en profitera comme créancier, et l'intérêt général du commerce exige que l'on ait le droit de faire usage de ce mode de payement et de recouvrement. L'usage forme ici une convention à laquelle on est censé s'être référé du moment où l'on n'a pas manifesté l'intention d'y déroger.

« Il nous paraît donc utile de modifier dans ce sens la loi actuelle : la valeur qui s'attache à la lettre y gagnera encore. »

Vous voyez bien que c'est une aggravation de position par suite d'une sorte d'innovation et par suite de la suppression du délai de grâce ; vous imposez une obligation là où il y avait une simple faculté. Pour le haut commerce il n'y a pas d'inconvénients, parce que chaque grand établissement a ses règles et les établit à sa manière.

Ainsi je pourrais citer tel établissement industriel qui n'entend pas qu'on tire sur lui. Il suffit qu'il pose ses règles générales, ses correspondants les connaissent et il impose ses lois.

Mais le petit commerce n'a pas de principes personnels auxquels on soit obligé de se soumettre et il va se trouver, en définitive, en cette matière comme en beaucoup d'autres, régi par le droit commun et non par des conventions spéciales. De même, les personnes de cette condition ont le régime matrimonial régi par le code civil et non par un contrat de mariage passé devant notaire.

Mais M. le ministre de l'intérieur, répondant, au nom de la pratique, à une observation très pratique cependant de l'honorable M. Watteeu, vous dit : Jamais les négociants importants ne tireront sur un débiteur s'ils ne sont sûrs de sa solvabilité.

Mais, messieurs, je demanderai alors d'où proviennent les protêts. Le malheur du commerce, c'est précisément cette condition fatale de payer à jour fixe.

Dans les 9/10 des cas, le petit commerçant a la valeur qu'il faut payer ; mais c'est l'obligation de payer à jour fixe qui pèse lourdement sur lui. Il se défendra donc, autant qu'il le pourra, contre la substitution de la lettre de change à une obligation pour laquelle il pouvait obtenir un délai de grâce.

Si le haut commerce ne faisait pas de traites sur des petits commerçants dont la solvabilité est douteuse, nous n'aurions évidemment pas, dans les comptes rendus de la Banque Nationale, un chiffre de 9,439,000 francs représentant les effets protestés.

Les effets escomptés par la Banque Nationale représentent ce qu'il y a de plus solvable. Ne fait pas escompter qui veut à la Banque Nationale. Ceux qui ont cette faculté, constituent ce que j'appellerai l'aristocratie financière.

Eh bien, vous voyez que dans cette aristocratie qui a la confiance de la Banque Nationale il y a, en une seule année, pour 9,349,000 francs de protêts.

MiPµ. - Sur quel chiffre total ?

M. Guillery. - Il y en a quatre millions à Bruxelles seulement.

Messieurs, nous avons fait une loi très équitable pour les petits commerçants en diminuant les frais de protêt.

Je suis convaincu que nous n'atteindrions pas le même but en adoptant l'article qui nous est proposé en ce moment.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, l'honorable. M. Guillery ne voit plus qu'un seul inconvénient, c'est le délai de grâce.

M. Guillery. - Je n'ai pas dit qu'il n'y en avait qu'un seul.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - C'est du moins le seul sur lequel il ait insisté.

Je vais démontrer à l'honorable membre que ce n'est pas un bien grand avantage pour le petit commerçant. Qu'arrivera-t-il ?

Supposons un débiteur ayant une facture payable à telle date.

Si elle n'est pas payée, que devra faire le créancier ? Il devra commencer par faire une sommation de payer et par assigner.

Le débiteur doit demander le délai de grâce devant le tribunal. L'affaire suivra son cours. Le tribunal accordera le délai de grâce dans les cas déterminés par la jurisprudence, cas qui sont très peu nombreux.

Avec le projet de loi, qu'arrivera-t-il ?

Si le débiteur ne peut payer, il sera assigné et l'affaire durera un certain temps.

La seule différence sera celle-ci :

C'est qu'aujourd'hui, dans le cas de lettre de change, le juge ne peut accorder de délai de grâce après le délai que le débiteur aura déterminé lui-même.

Je crois que c'est là un état de choses satisfaisant. Il ne faut pas encourager les procès.

Au surplus, quand il y aura un débiteur se trouvant dans ces circonstances malheureuses qui doivent donner lieu à un délai de grâce, le tireur fera la provision pour ne pas avoir à payer les frais de justice, et l'affaire deviendra une affaire ordinaire, comme dans le cas d'une simple facture.

Voilà la vérité. Mais il y aura un avantage, c'est qu'on sera assuré de la réalité de l'opération du contrat de change. Aujourd'hui on fait des traites en l'air, des opérations fallacieuses de toutes sortes, c'est là une des plaies du commerce, parce qu'on trouve ainsi le moyen d'escroquer de l'argent à une foule de gens.

Quand l'habitude de la traite acceptée aura prévalu, la traite sur des noms en l'air ou non sérieux disparaîtra, notre système est donc le meilleur moyen de faire disparaître les abus.

M. Dolezµ. - Je ne veux faire qu'une simple observation.

J'appuie, pour mon compte, le système qui nous est présenté par le gouvernement et qui a été adopté par la commission.

Tout à l'heure notre honorable collègue, M. Watteeu, s'inspirant des intérêts du petit commerce, rappelait qu'il était pratique d'émettre des dispositions avec la mention : « retour sans frais.3 Eh bien, on pourra, à l’avenir, (page 166) émettre les mêmes dispositions avec la mention ; dispensé d'acceptation, même sans qu'il y ait une convention.

Je crois donc que, sous ce rapport, les appréhensions de mon honorable collègue peuvent être calmées. Mais le système qu'il nous propose présenterait, suivant moi et suivant un ami qui siège a mes côtés et qui a eu l'initiative de cette remarque, un inconvénient très grave.

Ainsi, un négociant est débiteur de 1,100 francs ; aujourd'hui, dans son intérêt, pour lui donner des facilités plus grandes, on divise en plusieurs dispositions l'import de sa dette, on émettra trois, quatre ou cinq traites. Mais si vous n'admettez pas que dans ce cas il puisse être contraint à accepter, on n'usera plus de ce moyen et vous aurez amené des rigueurs plus grandes au lieu de créer des facilités.

M. Watteeuµ. - C'est une erreur.

M. Dolezµ. - J'ajoute que je n'ai pas, pour mon compte, très grande sympathie pour ces débiteurs qui parviennent à gagner du temps en contestant une dette réelle et légitime. (Interruption.)

Je ne parle pas ici du délai de grâce, je parle de ces délais que la pratique de certains agents multiplie avec tant d'habileté. Les débiteurs qui pour gagner du temps contestent une dette légitime, je le répète, méritent peu de sympathie. La confiance qui doit entourer tous les actes du commerce souffre de leur trafic.

Eh bien l'acceptation y coupe court. Je pense donc qu'il est dans l'intérêt du crédit que l'acceptation soit de rigueur, qu'elle soit imposée à moins de dispense.

MpVanHumbeeckµ. - L'article 102 nouveau est ainsi conçu :

« Entre commerçants et pour dettes commerciales, le créancier a le droit, sauf convention contraire, de tirer sur son débiteur une lettre de change pour une somme qui n'excède pas le montant de la dette, et le tiré est tenu d'accepter. »

M. le ministre de la justice, propose, à cet article un paragraphe additionnel ainsi conçu :

« Lorsque la somme excède le montant de la dette, le tiré ne doit accepter que pour la partie de la somme dont il est débiteur. »

M. Watteeu a proposé également un amendement.

M. Watteeuµ. - Je le retire, monsieur le président.

MpVanHumbeeckµ. - Il ne reste donc plus que l'article primitif et le paragraphe additionnel dont je viens de donner lecture.

M. de Rongé. - Je désirerais obtenir un renseignement de M. le ministre des finances.

Je voudrais savoir quels seront les droits d'enregistrement quand le tiré se reconnaîtra débiteur d'une partie seulement d'une lettre de change. Le cas s'est présenté l'année dernière : une lettre de change de 3,300 francs avait été tirée sur un individu de Gand, si j'ai bonne mémoire. Il y avait désaccord a concurrence de 60 francs entre le tireur et le tiré. Il y a eu protêt, dans lequel le tiré s'est reconnu débiteur du montant de la traite moins 60 francs et l'effet est revenu avec cent et des francs de frais d'enregistrement.

Je demande à M. le ministre des finances quels seront désormais, dans ce cas, les droits d'enregistrement.

MfFOµ. - La question sera examinée.

MpVanHumbeeckµ. - Je mets aux voix les deux paragraphes dont je viens de donner lecture.

- Ces paragraphes sont adoptés.

Article 102

« Art. 119 (102 du projet du gouvernement). Le refus d'acceptation est constaté par un acte que l'on nomme protêt faute d'acceptation. »

- Adopté.

Article 103

« Art. 103. Sur la notification du protêt faute d'acceptation, les endosseurs et le tireur sont respectivement tenus de donner une caution pour assurer le payement de la lettre de change à son échéance, Ou d'en effectuer le remboursement avec les frais de protêt et de rechange.

« Il en est de même du donneur d'aval. Cette caution est solidaire, mais ne garantit que les engagements de celui qui l'a fournie. »

MI. Dupont, rapporteurµ. - Le gouvernement avait proposé de supprimer, au commencement du second paragraphe, les mots : « Il en est de même du donneur d'aval. » Mais il a renoncé à cette modification. Nous sommes d'accord.

- L'article de la commission est adopté.

Article 104

« Art. 121 (104 du projet du gouvernement). Celui qui accepte une lettre de change contracte l'obligation d'en payer le montant.

« L'accepteur n'est pas restituable contre son acceptation, quand même le tireur aurait failli à son insu avant qu'il eût accepté. »

La commission propose l'article suivant :

« Celui qui accepte une lettre de change contracte l'obligation d'en payer le montant.

« L'accepteur n'est pas restituable contre son acceptation, quand même le tireur aurait failli à son insu avant qu'il est accepté.

« Le tiré peut, s'il ne s'est pas dessaisi du titre, biffer son acceptation aussi longtemps que le délai de vingt-quatre heures, qui lui est accordé par l'article 125, n'est pas expiré. »

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je me rallie à la rédaction de la commission. Je demande seulement d'y ajouter le paragraphe suivant :

« Si le tiré ne donne pas connaissance de la biffure dans le délai pré-indiqué, la biffure est nulle. »

La commission reconnaît au tiré le droit de biffer sa signature dans le délai de vingt-quatre heures ; mais un doute pouvait s'élever sur le point de savoir quand la biffure de la signature aurait eu lieu. Evidemment, il faut agir dans ce cas en faveur du porteur et c'est à celui qui biffe sa signature et qui se prévaut de ce fait à le faire connaître dans les vingt-quatre heures à peine de nullité.

M. Dupont, rapporteurµ. - Nous sommes d'accord avec M. le ministre de la justice.

M. Guillery. - L'addition proposée par M. le ministre de la justice me paraît extrêmement importante ; car il pourra bien souvent en résulter des contestations. En effet le tiré peut effacer sa signature tant que l'effet est en sa possession.

Je soulève cette question qui m'est dictée à l'improviste par la proposition de M. le ministre de la justice ; je la soumets à l'honorable ministre, ainsi qu'à la commission spéciale : quelle différence y a-t-il entre un effet non accepté et un effet accepté dont la signature est effacée ?

Si vous soumettez ce droit d'effacer à la nécessité de faire connaître au porteur que la signature est effacée, la plupart du temps le tiré sera pris à l'improviste.

C'est dans la loi ; mais les usages du commerce sont là et le commerçant ne connaît pas toujours la loi. Il ne la soupçonne même pas quand elle est contraire à la logique.

M. Dupont, rapporteurµ. - Messieurs, lorsqu'un effet est présenté à l'acceptation, celui qui doit prendre une résolution doit le faire d'une manière éclairée : il doit s'entourer de renseignements et ne pas signer à la légère. S'il le fait, il est en faute. Quand donc il appose sa signature sur l'effet, en principe cette signature devrait être irrévocable.

Au surplus, c'est la règle qui a été admise dans la législation allemande et dans le code hollandais. On a voulu éviter les fraudes ; on a eu pour but d'empêcher qu'un accepteur entre les mains duquel le porteur laisserait l'effet plus de vingt-quatre heures par l'effet d'une tolérance, n'abusât de la confiance du porteur pour biffer sa signature après que son acceptation est devenue définitive par suite de l'expiration du délai. La commission a cru que cette rigueur était excessive et que le délai de vingt-quatre heures devait être laissé à l'accepteur pour revenir sur sa résolution, du moment, bien entendu, où il n'a pas remis la lettre au porteur avant là fin de ce délai.

Mais une difficulté surgit alors pour savoir à qui incombera le fardeau de la preuve que la biffure a été opérée dans les vingt-quatre heures de la remise de l'effet. Le porteur devra-t-il le faire ? Ce sera souvent très difficile. Est-ce, au contraire, à l'accepteur qui revient sur son acceptation à ne pas laisser expirer le délai sans signifier au porteur qu'il relire une acceptation donnée par inadvertance ?

La commission a pensé que, puisque l'accepteur était en faute, le fardeau de la preuve devait retomber sur lui.

Il devra, s'il conserve la lettre plus de vingt-quatre heures, et s'il a biffé son acceptation, se hâter d'informer le porteur, et il devra prouver, par tous moyens de droit, qu'il a rempli cette formalité. De cette manière, la situation est parfaitement nette ; et la difficulté disparaît, sans qu'on soit obligé d'édicter la disposition rigoureuse de la loi allemande.

- La discussion est close.

L'article, avec le paragraphe additionnel proposé par M. le ministre de la justice, est mis aux voix et adopté.

Article 106

« Art. 106. L'acceptation doit être écrite sur la lettre de change. Elle s'exprime par le mot accepté, ou par d'autres termes équivalents.

« La simple signature du tiré vaut acceptation à moins qu'il né soit prouvé qu'elle a été apposée dans un autre but. »

MpVanHumbeeckµ. - La commission propose la rédaction suivante :

« L'acceptation doit être écrite sur la lettre de change.

« La simple signature du tiré vaut acceptation ; si elle est précédée d’énonciations, la volonté d'accepter doit être clairement exprimée. »

(page 167) M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, je propose à la Chambre de remplacer les mots : « à moins qu'il ne soit prouvé... » par ce qui suit :

« Si la signature est précédée d’énonciations, elle vaut comme acceptation, à moins que les énonciations expriment clairement la volonté de ne pas accepter. »

MpVanHumbeeckµ. - M. le rapporteur se rallie-t il à la nouvelle proposition de M. le ministre de la justice ?

M. Dupont, rapporteurµ. - Oui, M. le président.

M. le président. - L'article serait donc rédigé comme suit :

« L'acceptation doit être écrite sur la lettre de change. Elle s'exprime par le mot accepté, ou par d'autres termes équivalents.

« La simple signature du tiré vaut acceptation si la signature est précédée d’énonciations ; elle vaut l'acceptation, à moins que les énonciations expriment clairement la volonté de ne pas accepter. »

Je mets cet article aux voix.

- L'article est adopté.

Articles 107 à 111

« Art. 107. L'acceptation d'une lettre de change payable dans un autre lieu que celui de la résidence de l'accepteur indique le domicile où le payement doit être effectué ou les diligences faites. »

- Adopté.


« Art. 108. Cette acceptation doit être demandée au domicile du tiré. »

- Adopté.


« Art. 109. L'acceptation ne peut être continuelle, mais elle peut être restreinte quant à la somme acceptée.

« Dans ce cas, le porteur est tenu de faire protester la lettre de change pour le surplus. »

- Adopté.


« Art. 110. Une lettre de change doit être acceptée à sa présentation, ou, au plus tard dans les vingt-quatre heures de la présentation.

« Après les vingt-quatre heures, si elle n'est pas rendus acceptée ou non acceptée, celui qui l'a retenue est passible de dommages-intérêts envers le porteur. »

- Adopté.


« Art. 111. Lors du protêt faute d'acceptation, la lettre de change peut être acceptée par un tiers intervenant pour le tireur ou pour l'un des endosseurs.

« L'acceptation par intervention se fait dans la même forme que l'acceptation du tiré ; elle en est outre mentionnée dans l'acte de protêt, ou à la suite de cet acte. »

MpVanHumbeeckµ. - La commission proposait de rédiger le second paragraphe comme suit :

« L'intervention est mentionnée dans l'acte de protêt ; elle est signée par l'intervenant sur la lettre de change. »

M. Dupont, rapporteurµ. - Je me rallie à la rédaction du gouvernement.

- L'article est adopté.

Article 112 (nouveau)

MpVanHumbeeckµ. - La commission a proposé un article 112 nouveau ainsi conçu :

« Si plusieurs personnes se présentent pour intervenir, celle dont l'acceptation garantit le plus d'engagés doit l'emporter sur toutes les autres ; si elles veulent intervenir en faveur de la même personne, celle qui a un mandat est préférée à celle qui n'en a point.

« Le porteur a le choix dans tout autre cas. »

M. le ministre de la justice demande la suppression de cet article.

M. Dupont, rapporteurµ. - Je me rallie à la suppression.

- L'article est supprimé.

Articles 113 et 114

« Art. 113. L'intervenant est tenu de notifier sans délai son intervention à celui pour qui il est intervenu. »

- Adopté.


« Art. 114. Le porteur de la lettre de change conserve tous ses droits contre le tireur et les endosseurs, à raison du défaut d'acceptation par celui sur qui la lettre était tirée, nonobstant toute acceptation par intervention. »

- Adopté.

Ordre des travaux de la chambre

- Des membres. - A mardi !

MfFOµ. - Je propose de continuer mardi la discussion sur la lettre de change. (Adhésion.)

M. Jacobsµ. - N'avait-il pas été convenu que l'on s'occuperait mardi du vote définitif de la loi sur la milice ?

M. le président. - La Chambre avait d'abord décidé qu'elle ne s'occuperait du second vote de la loi sur la milice qu'après la discussion du projet sur la lettre de change. C'est à cette décision prise d'abord que l'on demande de revenir aujourd'hui.

M. Jacobsµ. - On avait émis le vœu qu'il y eût un jour fixe pour le second vote de la loi sur la milice.

M. le président. - Cela a été entendu sur l'observation de M. de Theux et ce jour sera ultérieurement fixé.

- La séance est levée à 4 heures et demie.