Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Documentation Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 17 juin 1869

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1868-1869)

(Présidence de M. Dolezµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1141) M. Van Humbeeck, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à deux heures et un quart.

M. Dethuin, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Van Humbeeck, secrétaireµ, présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Coppin demande que la commission fasse un prompt rapport sur la pétition concernant un abus de pouvoir commis à son égard par l'autorité judiciaire. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« L'administration communale de Beveren demande la prompte exécution des travaux d'amélioration du régime de l'Yser. »

- Renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.


« Des habitants de Durbuy demandent le vote définitif du projet de loi sur la milice. »

« Même demande d'habitants de Saint-Martin-Balâtre. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« Par messages, en daté du 16 juin, le Sénat informe la Chambre qu'il a donné son adhésion aux projets :

« 1° Contenant le budget dur ministère des travaux publics pour l'exercice 1870 ;

« 2° Qui proroge l'article premier de la loi du 12 avril 1835, concernant les péages sur les chemins de fer de l'Etat ;

« 3° Qui approuve la convention pour le rachat des embranchements du canal de Charleroi ;

« 4° Qui transfère une somme de 3,200 francs au budget du ministère de la guerre pour l'exercice 1868 ;

« 5° Qui assimile, quant aux droits à la pension, le .directeurs de pensionnats annexés aux établissements d'instruction moyenne, aux professeurs de ces établissements ;

« 6° Qui alloue au département des finances des crédits supplémentaires ;

« 7° Qui alloue au département des affaires étrangères un crédit supplémentaire, de 172,076 fr. 66 c. ;

« 8° Qui autorise le gouvernement à rectifier, de concert avec le gouvernement néerlandais la limite frontière dans le Zwin ;

« 9° Qui approuve la convention consulaire conclue, le 3 décembre 1868, entre la Belgique et les Etats-Unis ;

« Qu'il a pris en considération la demande de grande naturalisation du sieur X. Olin. »

- Pris pour notification.


« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, deux demandes de naturalisation. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« M. Broustin, obligé de s'absenter jusqu'à mardi, demande un congé. »

- Ce congé est accordé.

Rapports sur des demandes en naturalisation

M. Mouton. - J'ai l'honneur de déposer des rapports sur des demandes de naturalisation ordinaire.

Projet de loi modifiant la loi sur la caisse générale d’épargne et de retraite

M. Couvreurµ. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de. la section centrale qui a examiné le projet de loi apportant des modifications à la loi de 1868 sur la caisse générale d'épargne et de retraite.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ces rapports et met cet objet à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi sur la contrainte par corps

Motion d’ordre

M. Guillery. - Messieurs, la Chambre, dans une idée de conciliation bien évidente, a ordonné le renvoi aux sections du projet de loi sur la contrainte par corps, tel qu'il nous a été transmis par le Sénat.

Evidemment, ce projet doit être examiné avec un grand soin ; bien que cette question ait déjà fait l'objet de nos études, il importe néanmoins qu'un projet qui a reçu l'assentiment d'une des branches du corps législatif soit examiné mûrement par la Chambre ; qu'il fasse l'objet d'un examen en sections ; qu'il soit l'objet d'une discussion en section centrale ; que tous les moyens de transaction soient essayés, et que toutes et chacune des questions importantes soulevées par ce projet soient examinées par la Chambre.

Evidemment, notre session touche à son terme, et nous ne pourrons plus, d'ici au moment où nous nous séparerons, examiner en détail le projet de loi sur la contrainte par corps.

D'un autre côté, je crois être l'interprète des sentiments unanimes de la Chambre en disant que notre désir est de voir mettre en liberté ceux qui aujourd'hui sont détenus pour dettes.

Je. propose donc, à la Chambre, en différant l'examen du projet de loi actuellement soumis aux sections, de prendre une mesure provisoire qui ne préjugera rien et qui serait ainsi conçue :

« L'exercice de la contrainte par corps est suspendu jusqu'au 1er mars 1870.

« En conséquence, les détenus pour dettes seront immédiatement mis en liberté, et les jugements actuellement rendus ou qui seront rendus ne pourront être exécutés par la voie de la contrainte par corps avant la date ci-dessus fixée.

« Art. 2. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa promulgation. »

Par ce moyen, je le répète, nous ne tranchons aucune question ; nous menons en liberté les détenus et nous laissons aux deux Chambres le temps d'examiner les questions qui lui sont soumises.

M. Dumortier. - Messieurs, je trouve que la proposition de l’honorable député de Bruxelles tend purement et simplement à trancher la question comme l'a fait la Chambre.

Il y a deux choses dans la proposition : la première, c'est que la contrainte par corps ne sera plus exercée jusqu'à une époque qu'il détermine. Dès lors, jusqu'à cette époque, il supprime les lois actuelles de la contrainte par corps. En second lieu, c'est que les détenus actuels seront mis en liberté.

Hier, l'honorable membre a beaucoup parlé des détenus actuels, et j'ai vu dans un journal, qui m'a été envoyé ce matin et que sans doute beaucoup d'entre vous auront reçu, qu'il y avait trois citoyens belges qui détenaient en prison certains individus...

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il y en a trente-cinq.

M. Dumortier. - D'après les informations que j'avais reçues, il y en avait quatre.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il y en trente-cinq.

M. Dumortier. - Ces trente-cinq, je voudrais bien savoir à quelle catégorie ils appartiennent. Il en est qui sont détenus par suite de procès de presse et de condamnations pour calomnie ; les autres sont principalement détenus pour affaires commerciales ; eh bien, ceci est à prendre en considération sérieuse.

Il y a donc dans l'espèce deux catégories qui sont en jeu et l'honorable membre veut trancher la question d'une manière provisoire. Mais il y a un moyen bien plus simple d'atteindre ce but. L'honorable membre dit qu’il y a un conflit ; il n'y a aucune espèce de conflit ; chacune des deux Chambres a examiné le projet de loi, chacune a manifesté son opinion, chacune a émis son vote.

Il n'y a donc pas de conflit entre les deux Chambres. S'il existe un conflit, c'est entre le ministère et le Sénat. (Interruption.) Oh ! vous aimez beaucoup à ricaner, M. Frère, mais si vous ricanez, c'est parce que j'ai dit la vérité. Vous savez parfaitement que le conflit est entre vous et le* Sénat. Il y a, je le répète, un moyen bien plus simple que celui qui est indiqué par l'honorable M. Guillery : Que le ministère propose le retrait du projet de loi et à l'instant même il n'y a plus de conflit. (Interruption.)

Mais, mon Dieu ! qu'est-ce que ce projet de. loi ? Il faudra bien finir par le dire. C'est un expédient. Tout le monde sait que dans la session dernière il y avait un membre du cabinet qui était honni par la petite presse ; qu'a-t-on fait ? Pour se rendre la petite presse favorable, on a fait un projet de loi qui lui donne la liberté de la calomnie. Voilà tout le secret de cette affaire. Tout le monde le comprend.

MfFOµ. - Personne ne comprend. Parlez clairement.

M. Dumortier. - Voilà, messieurs, les motifs de ce projet de loi, dont il n'avait jamais été question, dont il n'a pas été question lorsqu'on faisait le code pénal et qu'on posait des principes tout à fait contraires.

(page 1142) Eh bien, messieurs, il y a deux moyens : que le gouvernement retire le projet de loi ou bien que le ministre propose à la couronne la dissolution du Sénat, ou bien encore que vous preniez les mesures que vous avez à prendre.

Croyez-le bien, messieurs, ce n'est pas en perpétuant cette lutte entre la Chambre et le Sénat que vous sauvegarderez les institutions. (Interruption.) Ce n'est pas en perpétuant ce différend, ce n'est pas en criant sur les toits qu'il y a lutte entre la Chambre et le Sénat que vous sauvegarderez la Constitution.

Je conçois très bien que dans les pays d'institutions différentes on puisse tenir un compte modéré de l'opinion de la Chambre qui correspond à notre Sénat, mais remarquez bien que le Sénat belge est le fruit de l'élection, qu'il émane des mêmes électeurs et qu'il représente la souveraineté nationale ; que dès lors les droits du Sénat sont les mêmes que les nôtres et qu'il faut s'incliner devant les résolutions du Sénat comme devant les nôtres.

Or, voilà deux fois que le Sénat exprime sa volonté formelle.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Et la Chambre aussi.

M. Dumortier. - Il faut qu'une loi ait été sanctionnée par les deux Chambres et il suffit qu'une des deux Chambres ne le veuille pas pour que la loi n'existe pas.

Ce que vous voulez faire, c'est forcer la main au Sénat.

Par conséquent, votre but est d'affaiblir, d'anéantir, d'avilir un des grands corps de l'Etat.

Eh bien, je respecte trop nos institutions pour prêter la main à un pareil manège.

Faites ce que vous voulez dans l'ordre de vos attributions, mais n'affaiblissez pas les grands pouvoirs de l'Etat ; ne jetez pas sur eux la déconsidération qui s'attacherait à un corps qui viendrait se déjuger par suite d'intrigue et de mouvements de toute espèce après avoir voté deux fois en sens inverse.

Vous auriez, messieurs, sauvé votre position, je le reconnais, mais vous auriez déconsidéré le premier corps de l'Etat.

M. Allard. - Le Sénat n'est pas le premier corps de l'Etat.

M. Dumortier. - Si vous voulez qu'on respecte vos prérogatives, respectez celles du Sénat ; mais vous faites tout le contraire, vous voulez anéantir les prérogatives du Sénat.

Je dois le dire, il n'est aucun homme sensé, raisonnable, honnête, dans le pays, qui ne voie avec infiniment de regrets et de mécontentement qu'on se joue ainsi des grands corps de l'Etat.

Je dis donc qu'il faut laisser la question où elle est. S'il y a quelques personnes emprisonnées par suite de jugements, elles continueront à rester en prison, il y en a beaucoup d'autres.

Je connais des victimes d'erreurs judiciaires qui gémissent en prison.

- Une voix. - Les victimes de Saint-Genois.

M. Dumortier. - Oui, de Saint-Genois. Il y a là des victimes d'une erreur judiciaire.

M. le président. - Vous n'avez pas le droit de traiter d'erreur judiciaire un arrêt de justice sans que l'erreur ait été constatée.

M. Dumortier. - J'ai ce droit comme député. Je représente ici la nation. Je n'attaque en rien la magistrature quand je qualifie ses arrêts d'erreurs.

M. le président. - C'est un droit qui n'appartient à personne.

M. Dumortier. - Je le maintiens et je le ferai respecter.

M. le président. - Je vous le conteste.

M. Dumortier. - M. le président, on a vingt fois dans cette Chambre signalé des erreurs judiciaires. L'honorable M. Verhaegen l'a fait mainte fois sans que le président lui ait fait la moindre observation.

M. le président. - Si j'avais eu l'honneur de présider la Chambre, j'aurais relevé de telles paroles, si tant est que le fait se soit présenté.

M. Dumortier. - Je respecte, la chose jugée ; mais je n'admets pas l’infaillibilité de la justice.

M. le président. - Vous n'avez pas le droit de qualifier d'erreur judiciaire ce qu'ont décidé le jury et une cour d'assises.

M. Dumortier. - Je maintiens mon droit.

M. le président. - Je déclare que c'est un abus.

M. Dumortier. - Je maintiens mon droit de député.

M. le président. - Vous avez tort, les abus sont toujours mauvais.

M. Dumortier. - Il n'y a pas d'abus à exercer son droit.

M. le président. - Continuez maintenant sur un autre terrain.

M. Dumortier. - Je veux donc dire qu'à côté des personnes qui sont emprisonnées pour délit de presse il y a, en Belgique, des cas d'erreur judiciaire qui n'ont pas vos sympathies.

Eh bien, il y a une question qui les prime toutes, c'est la question de la dignité et de l'honneur des grands pouvoirs politiques ; il ne faut pas qu'en Belgique les grands pouvoirs politiques soient amoindris.

La Constitution a créé trois grands pouvoirs : la Couronne, les Chambres et le pouvoir judiciaire. Or, que voyons-nous ? Nous voyons un pouvoir qui n'est pas écrit dans la Constitution chercher à absorber tous les autres : c'est le pouvoir ministériel. Eh bien, nous devons réagir contre cette tendante ; nous devons conserver l'intégrité des grands pouvoirs de l'Etat, si nous voulons que nos institutions continuent à être l'objet du respect du pays et de l'étranger.

Je dis donc que la question dont on parle est une question en dehors de nous, je dis donc qu'il n'y a pas de conflit entre la Chambre et le Sénat et que, par conséquent, ce n'est pas à nous à intervenir, mais que c'est au gouvernement qu'il appartient de prendre les mesures que réclament les circonstances.

M. Guillery. - Je ne demande pas mieux qu'il n'y ait pas de conflit entre la Chambre et le Sénat, et puisque M. Dumortier affirme qu'il n'y en a pas, je veux l'en croire, et j'en suis d'autant plus heureux qu'évidemment, s'il y avait un conflit, ce n'est pas le discours que vous venez d'entendre qui serait de nature à apaiser les passions.

Pour moi, je ne parlerai jamais du Sénat qu'avec respect, respect pour un grand corps de l'Etat et respect pour le talent des hommes qui le composent. A Dieu ne plaise que je lui adresse jamais des paroles semblables à celles que M. Dumortier adresse à la Chambre des représentants et à l'ordre judiciaire !

Je crois que chacune de nos grandes institutions a droit à nos respects et que nous servons mal notre pays lorsque nous venons lui dire que nos tribunaux ne sont pas dignes du respect de tous et que la Chambre des représentants, lorsqu'elle a pris une décision, n'a pas le droit de la maintenir.

Nous avons adopté un système en matière de contrainte par corps ; le Sénat en a un autre. Je respecte autant l'opinion du Sénat que celle de la Chambre à laquelle j'ai l'honneur d'appartenir, et à Dieu ne plaise que je dise jamais un mot qui puisse blesser l'un ou l'autre de ces deux corps ! Je n'examinerai donc pas si M. Dumortier a eu raison de vouloir appeler le Sénat le premier corps de l'Etat et s'il a oublié quelles sont les attributions qui appartiennent en propre à la Chambre des représentants, et à elle seule.

La proposition que j'ai l'honneur de faire a pour but d'ajourner le règlement du conflit, d'ajourner la discussion sur les points qui nous séparent, et je dis : Portons provisoirement une loi qui ne préjuge rien, qui, sans consacrer ni l'opinion de la Chambre ni celle du Sénat, mette provisoirement en liberté les détenus pour dettes et laisse toutes les questions entières. (Interruption.)

Si le 1er mars 1870, les deux Chambres ont vidé le conflit, et je suis convaincu qu'elles l'auront vidé, la question sera résolue par la loi qui aura été le résultat de nos mûres délibérations.

Si, au contraire, le conflit persiste, si l'expérience à laquelle nous nous serons livrés est déclarée malheureuse, la loi de 1859 reprendra son empire.

Ce que je propose n'est donc absolument qu'une mesure provisoire destinée à donner au Sénat et à la Chambre le temps d'examiner les questions qui lui sont soumises, une mesure qui ne préjuge rien, mais qui a l'avantage de mettre en liberté de malheureux détenus.

Si ce projet était examiné en sections, si, après un examen précipité, on résolvait dans un sens ou dans l'autre les questions soulevées, on pourrait dire que nous compromettons la conciliation qui est dans les vœux de tout le monde. Mais il ne s'agit de rien de semblable : ce serait sans préjuger et même sans examiner à nouveau aucune de ces questions que nous prendrions la mesure que je propose. C'est, me semble-t-il, le moyen le plus simple, le plus conforme à notre désir commun de conciliation entre les deux Chambres et à notre vœu de voir s'ouvrir les portes de la prison pour dette aux quelques malheureux qu'elle renferme actuellement.

M. le président. - La proposition de l'honorable membre est, en définitive, un projet de loi. D'après le règlement, un projet de loi émanant de l'initiative d'un de ses membres ne peut être lu à la Chambre qu'après que les sections y ont consenti, à moins que la Chambre tout entière n'autorise son président à déroger à cette prescription du règlement.

Je demande donc à la Chambre si elle autorise son président à la considérer comme saisie d'un projet de loi qui n'a pas été soumis aux formalités réglementaires. Je vais donc consulter la Chambre.

(page 1143) M. Dumortier. - Je demande la parole.

M. le président. - Vous avez la parole, M. Dumortier ; mais je vous engage à ne pas trop prolonger cet incident.

M. Dumortier. - C'est bien mon intention ; maïs je dois un mot de réponse à l'honorable membre qui m'a représenté comme voulant amoindrir les pouvoirs de la Chambre. Les deux Chambres, messieurs, ne forment qu'un seul corps, et quand j'ai parlé du premier corps de l'Etat, j'ai évidemment entendu parler de la Chambre et du Sénat.

Maintenant, je n'ai point à répondre à ce que l'honorable membre m'a fait dire, que nos tribunaux n'étaient pas dignes de notre respect. Je n'ai rien dit de semblable et je proteste contre une telle interprétation de mes paroles. Quand je me suis levé tout à l'heure, c'était précisément pour faire a la Chambre l'observation qu'a faite M. le président. Le règlement est formel ; voici ce qu'il porte :

« Art. 34. Chaque membre a le droit de faire des propositions et de présenter des amendements.

« Art. 35. Chaque membre qui voudra faire une proposition, la signera et la déposera sur le bureau pour être communiqué immédiatement dans les sections de la Chambre.

u Si une section au moins est d'avis que la proposition doit être développée, elle sera lue à la séance qui suivra la communication dans les sections.

« Le président etc. »

Or, que fait l'honorable membre ? Comme vient de le dire M. le président, il nous soumet un véritable projet de loi.

Eh bien, je demande qu'on suive à l'égard de ce projet la marche tracée par le règlement, et j'insiste d'autant plus pour qu'on n'y déroge pas, qu'il s'agit, en fin de compte, d'établir une sorte de censure du vote du Sénat.

M. le président. - Je ne puis donc pas consulter la Chambre sur la proposition ; par cela même qu'elle n'a pas été faite, dans les formes prescrites par le règlement, je n'ai pas le droit de la mettre aux voix.

M. Guillery. - Evidemment, la Chambre peut, dans un cas d'urgence, prendre telle décision qu'elle juge convenable.

Je reconnais franchement que ma proposition, puisqu'elle constitue un projet de loi, aurait dû passer par les sections avant d'être lue à la Chambre. Mais enfin, puisque la Chambre la connaît, il lui reste à décider si elle veut la faire examiner par les sections ou par une commission. Quant à moi, j'en propose le renvoi à une commission spéciale qui pourrait l'examiner immédiatement, de sorte que nous pourrions délibérer encore avant de nous séparer.

M. Dumortier. - Cela est contraire au règlement.

M. Delcourµ. - La proposition de l'honorable M. Guillery renferme deux parties : l'une pourrait être acceptée, je pense, sans inconvénients ; l'autre partie doit être repoussée, à mon avis.

Il y a un principe sur lequel nous sommes tous d'accord. Cet accord est constaté, par les discussions qui ont eu lieu au Sénat et dans cette enceinte : Tous nous désirons que la contrainte par corps soit suspendue, lorsqu'il s'agit de dettes commerciales ainsi qu'à l'égard des étrangers. C'est ce que nous avons proposé dans la commission spéciale.

Afin de simplifier le débat, je prie l'honorable membre d'abandonner sa proposition générale qui aurait pour but de suspendre la loi de 1859 dans toutes ses dispositions, jusqu'à une époque déterminée.

Or, messieurs, le point sur lequel les Chambres ne sont pas d'accord, est celui qui se rapporte à des condamnations à des dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par un acte illicite commis méchamment ou de mauvaise foi ; selon la proposition de l'honorable membre, si je l'ai bien compris, la question serait préjugée,

Nous ne le pouvons pas, messieurs, en présence des circonstances qui vous sont connues. Si l'on veut faire un acte de conciliation, on doit éviter de mettre le Sénat en présence de ses votes précédents.

Je demande donc à l'honorable M. Guillery, je le supplie de ramener sa proposition à ces conditions, en en écartant tous les points litigieux.

J'engage l'honorable membre à y réfléchir sérieusement afin d'arriver à une solution sur les points qui ne sont pas contestés.

M. le président. - Y a-t-il de l'opposition à ce que la proposition de loi soit renvoyée à une commission ?

M. Dumortier. - Je demande l'exécution pure et simple du règlement.

M. Van Humbeeck. - Messieurs, dans les circonstances actuelles, demander l'exécution stricte du règlement, c'est quelque chose de puéril. Le règlement dit, il est vrai, que quand une proposition de loi est déposée sur le bureau, elle est renvoyée aux sections qui doivent décider si la lecture en sera autorisée. Mais nous nous trouvons en présence d'une proposition qui déjà a été lue en séance publique et dont la lecture n'a donné lieu à aucune objection. Il est donc tout à fait inutile de la renvoyer aux sections pour que la lecture en soit autorisée. Pourquoi demander l'accomplissement de cette formalité, qui n'a plus de but ?

Du reste, je ferai remarquer que le règlement, si mes souvenirs sont exacts, n'indique en aucune façon dans quel délai les propositions de loi doivent être renvoyées aux sections ; et si l'on insiste sur l'exécution stricte du règlement, je demanderai à la Chambre de se réunir immédiatement en sections, pour délibérer sur la question de savoir si la lecture de la proposition de loi sera autorisée ou non.

M. le président. - Il est certain que le règlement ne fixe aucun délai pour le renvoi d'une proposition de loi aux sections, à l'effet de savoir si elles en autorisent la lecture ; mais d'après le règlement, pour que la Chambre soit régulièrement saisie d'une proposition de loi, présentée par l'un de ses membres, il faut qu'elle ait été déposée sur le bureau et renvoyée aux sections, qui en autorisent la lecture, s'il y a lieu. Or, s'il y a la moindre opposition à cet égard, je ne puis considérer la Chambre comme régulièrement saisie de la proposition de loi présentée par M. Guillery. Jusqu'ici, il n'y a qu'une motion d'ordre.

Maintenant, après les paroles prononcées par M. Guillery, je pense qu'on pourrait, de l'assentiment de tous, déroger au règlement en renvoyant la proposition de loi à une commission, dans les termes indiqués par M. Delcour, c'est-à-dire à l'effet d'examiner s'il y a un moyen de s'entendre sur une mesure provisoire dictée par des sentiments d'humanité. En vérité, le renvoi fait dans de pareilles conditions ne me paraît pas pouvoir rencontrer une opposition sérieuse.

M. Dumortier. - Je continue à demander l'exécution du règlement.

Quand une proposition de loi est déposée sur le bureau de la Chambre, le président, qui est notre chef, n'en donne pas lecture ; il faut d'abord qu'elle soit renvoyée aux sections pour en autoriser la lecture, s'il y a lieu.

M. le président. - Je répète de nouveau que le règlement m'oblige à considérer que la Chambre n'a pas entendu la lecture d'un projet de loi, mais d'une simple motion d'ordre.

Le règlement porte que, pour que la lecture d'un projet de loi puisse avoir lieu devant la Chambre, elle doit avoir été autorisée par les sections. Mais il appartient à la Chambre d'autoriser, d'un assentiment unanime, une dérogation au règlement et il me semble qu'après ce qu'a dit l'honorable M. Delcour, cet assentiment devrait être accordé.

M. Dumortier. - S'il ne s'agissait pas d'une question aussi grave que celle qui est. présentée, et si je ne craignais pas de manquer au respect que l'on doit aux décisions du Sénat, je m'empresserais de souscrire à la proposition du président. Mais dans une question de cette gravité, je ne puis le faire.

Je demande donc que le règlement soit purement et simplement exécuté et j'insiste d'autant plus que tout à l'heure, lorsque M. Delcour invitait l'honorable M. Guillery à réduire sa proposition aux points sur lesquels tout le monde est d'accord, l'honorable membre a répondu : Nous verrons en sections.

Je ne puis, par égard pour la dignité de la Chambre, consentir à ce qu'on déroge au règlement.

M. Van Humbeeck. - L'honorable M. Dumortier persiste à demander l'application stricte du règlement ; je suis donc obligé de me tenir sur le terrain de ce règlement.

Eh bien, messieurs, je consulte ce règlement, et j'y trouve à l'article 35 : « Chaque membre qui voudra faire une proposition, la signera et la déposera sur le bureau pour être communiquée immédiatement dans les sections de la Chambre. »

L'honorable M. Guillery vient de déposer une proposition. Est-ce celle dont il a déjà donné lecture ? Je ne suis pas censé le savoir en ce moment. Mais je demande que la Chambre se réunisse immédiatement en sections pour décider si elle en autorise la lecture. (Interruption.)

M. le président. - Il y a maintenant, à côté de l'opposition persistante de M. Dumortier, la proposition de M. Van Humbeeck. Je dois la mettre aux voix. M. Van Humbeeck demande que la Chambre se réunisse immédiatement en sections pour autoriser la lecture du projet de loi qui vient d'être déposé sur le bureau.

M. Dumortier. - Messieurs, voilà trente-neuf ans que le règlement est fait et jamais il n'a été Interprété comme l'entend M. Van Humbeeck.

Si, chaque fois qu'une proposition est déposée sur le bureau, la Chambre doit suspendre sa séance et se réunir en sections pour examiner la proposition, il est évident que ce sera l'interruption des débats. Et cela pourquoi ?

(page 1144) Parce que vous voulez donner une leçon au Sénat !

Je demande, pour mon compte, que la Chambre continue son ordre du jour et que, conformément à ce qui se pratique depuis trente-neuf ans, les sections soient convoquées pour demain, pour entendre la lecture de la proposition de M. Guillery.

M. Kervyn de Lettenhove. - Messieurs, je viens appuyer les observations présentées par mon honorable ami, M. Delcour.

Il importe de savoir si l'honorable M. Guillery ne se rallie pas à ces observations qui me semblent complètement justifiées.

Tous nous voulons la mise en liberté des détenus en matière commerciale et civile, et si, pour obtenir ce résultat, on peut éviter toute prolongation de débats, nous serions coupables de ne pas le faire.

Sur ce terrain, il y a unanimité et c'est le plus sûr moyen d'atteindre le but qu'on se propose.

M. le président. - Je dois faire remarquer qu'on ne peut pas discuter une proposition dont la lecture n'est pas même autorisée.

J'exprime encore le regret qu'on ne consente pas unanimement à ce que cette proposition soit examinée immédiatement par une commission. Celle-ci examinerait les observations faites par M. Delcour et par M. Guillery, et l'on pourrait arriver peut-être à un résultat qui satisferait tout le monde. Mais puisqu'on persiste, je ne puis que mettre aux voix la proposition qui est faite à la Chambre de se réunir immédiatement en sections pour examiner s'il y a lieu d'autoriser la lecture de la proposition de loi déposée sur le bureau.

M. Hymans. - Je dois faire observer qu'il est impossible que le Sénat s'offense d'un procédé qui est dans ses propres traditions. Aux termes du règlement du Sénat, tout sénateur qui veut faire une proposition, la rédige sous forme de projet de loi, la dépose sur le bureau et il en est donné lecture par le secrétaire, sans délai.

Ce que le Sénat conservateur fait, nous pouvons le faire sans le blesser. Nous interprétons notre règlement en nous inspirant de l'esprit du sien.

M. le président. - Du moment qu'il y a opposition, nous ne pouvons que suivre les prescription de notre règlement. M. Dumortier persiste-t-il ?

M. Dumortier. - Oui, M. le. président.

M. Thibautµ. - Puisqu'on fait du règlement une interprétation judaïque...

M. Van Humbeeck. - A qui cela s'adresse-t-il ?

M. Thibautµ. - A vous, M. Van Humbeeck. En vous appuyant sur le mot « immédiatement » pour prétendre que la Chambre peut suspendre sa séance, se rendre en sections et examiner la proposition de M. Guillery, vous faites de ce mot une interprétation judaïque.

Eh bien, à cette interprétation judaïque, je dois répondre par le second paragraphe de l'article 55 :

« Si une section au moins est d'avis que la proposition doit être développée, elle sera lue à la séance qui suivra la communication dans les sections. »

Par conséquent, si vous suspendez la séance pour vous rendre en sections et prendre connaissance de la proposition, celle-ci ne pourra être lue dans la séance de ce jour ; elle ne pourra être lue que demain. Vous ne serez donc pas plus avancé par le moyen tout au moins insolite que vous voulez employer, qu'en renvoyant la proposition aux sections demain matin.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Vous êtes dans l'erreur quant a l'interprétation du règlement,

M. Thibautµ. - « Elle sera lue à la séance qui suivra la communication dans les sections. »

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Eh bien, cela est clair.

M. Thibautµ. - Si vous suspendez la séance, vous aurez beau vous réunir après vous être rendus en sections, ce sera la continuation de la même séance,

Je fais remarquer encore qu'il eût été extrêmement facile à M. Guillery de déposer hier sa proposition. Nous l'eussions examinée ce matin, M. Guillery l'aurait développée, au commencement de la séance, et le règlement eût été sauf. (Interruption.)

Je ne comprends réellement pas l'intérêt qu'on a à vouloir marcher a pieds joints sur les articles du règlement.

M. le président. - Si personne ne demande plus la parole, je déclare la discussion définitivement close et je consulte la Chambre sur le point de savoir si elle entend se réunir immédiatement en sections pour recevoir communication d'un projet de loi.

- La Chambre décide qu'elle se réunira immédiatement en sections.

La séance est suspendue à trois heures et un quart. Elle est reprise à 4 heures.

Proposition de loi suspendant provisoirement l’exercice de la contrainte par corps

Lecture

M. le président. - Les sections ont autorisé la lecture de la proposition de loi suivante, qui a été présentée par notre honorable collègue M. Guillery :

« Art. 1er. L'exercice de la contrainte par corps est suspendu jusqu'au 1er mars 1870.

« En conséquence, les détenus pour dettes seront immédiatement mis en liberté et les jugements actuellement rendus ou qui seront rendus ne pourront être exécutés par la voie de la contrainte par corps avant la date ci-dessus fixée.

« Art. 2. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa promulgation. »

M. Thibautµ. - Messieurs, je regrette beaucoup ce qui s'est passé dans cette séance. Je crois que la majorité a abusé de sa force et que le règlement n'a pas été respecté. Je désire, du reste, mettre le respect de la majorité pour le règlement à une épreuve nouvelle ; je demande l'exécution du paragraphe 2 de l'article 35.

M. le président. - La Chambre peut être certaine que si j'avais pu croire que le règlement dût être entendu comme l'entend l'honorable M. Thibaut, je me serais opposé à la marche qui a été suivie ; mais il m'est impossible d'admettre que l'article 35 du règlement ait la signification que l'honorable M. Thibaut lui donne.

M. Coomans. - Si nous le lisions !

M. le président. - Le voici : « Chaque membre qui voudra faire une proposition, la signera et la déposera sur le bureau pour être communiquée immédiatement dans les sections de la Chambre.

« Si une section au moins est d'avis que. la proposition doit être développée, elle sera lue à la séance qui suivra la communication dans les sections.

« Le président de chaque section transmettra l'avis de sa section au président de la Chambre. »

Il me paraît évident, messieurs, sauf erreur profonde de ma part, que quand le règlement a dit que la proposition sera communiquée immédiatement aux sections, il a laissé à la Chambre le soin de dire ce qu'il entendait par le mot « immédiatement » et que par conséquent la Chambre avait le droit de décider que la communication aurait lieu séance tenante. Il me paraît en outre que quand le règlement ajoute que la proposition sera lue dans la séance qui suivra la communication dans les sections, le règlement veut qu'il n'y ait pas de retard et que la lecture soit faite dès que la Chambre est en position de la recevoir, et c'est parce que j'ai pensé que la Chambre était en position de recevoir cette lecture, que j'ai cru qu'elle pouvait être donnée maintenant.

Y a-t-il encore quelque opposition à, ce que je donne lecture de la proposition ?

M. Thibautµ. - Je maintiens mon opposition ; la Chambre décidera.

M. le président. - Je consulte la Chambre, et je la consulte parce que j'ai la conviction que le règlement m'en impose le devoir.

- La Chambre décide que la lecture aura lieu immédiatement.

M. le président. - Voici donc la proposition :

« Art. 1er. L'exercice de la contrainte par corps est suspendu jusqu'au 1er mars 1870.

« En conséquence, les détenus pour dettes seront immédiatement mis en liberté et les jugements actuellement rendus ou qui seront rendus ne pourront être exécutés par la voie de la contrainte par corps avant la date ci-dessus fixée.

« Art. 2. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa promulgation. »

Développements et prise en considération

M. le président. - Quand M. Guillery veut-il présenter les développements de sa proposition ?

M. Guillery. - Je m'en réfère, M. le président, aux observations que j'ai présentées tantôt.

- La proposition est appuyée par cinq membres.

M. le président. - Quelqu'un s'oppose-t-il à la prise en considération ?

M. Coomans. - Je ne m'oppose pas à la prise en considération, mais je voudrais que la proposition fût scindée, que l'on maintînt...

M. le président. - C'est le fond, M. Coomans.

M. Dumortier. - Messieurs, je ne puis pas admettre la prise en considération de cette proposition. Le motif en est simple.

C'est que c'est, sauf quelques légères modifications de rédaction, précisément la même proposition qui a été faite au Sénat dans la dernière discussion et qui n'a point été acceptée.

(page 1145) D’ordinaire, messieurs, dans les gouvernements représentatifs, quand un projet de loi n'est point admis, il ne peut être reproduit dans la même session parlementaire.

C'est un usage constant dans tous les pays constitutionnels.

Ici, que voyons-nous ? Nous voyons une proposition remise sous des formes différentes cinq fois, et tout à l'heure six fois, devant le parlement.

Nous voyons une proposition écartée par le Sénat revenir d'abord à la Chambre et retourner au Sénat ; revenir une seconde fois à la Chambre pour être renvoyée au Sénat, qui l'écarté de nouveau. Je pense que ce régime est contraire aux traditions constitutionnelles, et aux formes parlementaires et qu'il substitue la violence à l'action légitime et régulière des institutions de liberté.

On veut ici l'emporter per fas et nefas.

Par une mesure que je ne veux pas qualifier parce qu'elle émane d'un collègue pour lequel je professe une profonde estime, on veut encore forcer la main du Sénat.

Dans une pareille situation, il m'est impossible de voter la prise en considération de la proposition qui nous est soumise (Interruption.)

Nous savons bien comment vous voterez. Vous l'avez montré par les deux votes, qui ont déjà eu lieu.

C'est un régime de violence que de se jouer des grands corps de l'Etat, que de ballotter un projet de loi d'une assemblée à l'autre en le modifiant dans les termes, mais en le maintenant au fond.

Il n'est pas permis à la Chambre des représentants de manquer d'égards au Sénat, de le blesser, de l'opprimer en quelque sorte.

Le rôle que vous prenez est mauvais. Il n'a pas de précédent dans les institutions parlementaires, à moins qu'on n'aille le chercher sous le ministère Walpole et l'on a vu ce qu'était une commission entre ses mains.

Comment pourrait-on venir voter la prise en considération d'une telle proposition ?

Pour moi, je croirais me jouer des institutions du pays si j'agissais de la sorte. Je croirais me jouer d'un grand corps de l'Etat qui est le Sénat et qui certes est aussi respectable, aussi honorable et aussi important que la Chambre, car dans la Constitution les Chambres forment un tout et nous ne pouvons porter atteinte à la prérogative du Sénat sans nous exposer à porter atteinte à notre propre prérogative.

Si l'honorable M. Guillery s'était borné à la première partie de son projet, s'il était venu proposer, comme il le disait, dans ses développements, de mettre en loi ce qui a été admis dans les deux Chambres, je le concevrais ; mais ce que fait l'honorable membre ne se borne pas là.

Mais à cette proposition qui avait un côté rationnel, il en ajoutait une autre qui est la suppression momentanée de la loi sur la contrainte par corps. En un mot, c'est un projet écarté deux fois par le Sénat qu'on reproduit sous une forme différente.

Deux fois la majorité a voté purement et simplement la suppression de la contrainte par corps ; deux fois le Sénat l'a rejetée. Et aujourd'hui que fait l'honorable M. Guillery ? II propose cette même suppression en limitant sa durée à six mois.

Eh bien, je dis que présenter un tel projet, c'est en définitive se jouer de nos institutions.

Dans aucun gouvernement constitutionnel, on ne reproduit deux fois coup sur coup à une assemblée un projet qu'elle a rejeté. Et dans quel but reproduit-on ce projet ? Dans le but de forcer la main au Sénat.

M. Coomans. - Pour maintenir le ministère.

M. Dumortier. - Pour maintenir le ministère, comme le dit M. Coomans,

On n'a qu'un seul but, c'est de forcer la main au Sénat. Eh bien, je le demande, est-ce qu'il sied à une assemblée de forcer la main à une autre assemblée, égale en droit ?

Si vous êtes une émanation de la souveraineté nationale, le Sénat l'est également ; il a les mêmes droits. les mêmes pouvoirs que vous. Et vouloir exercer sur lui une pression, vouloir amener dans son sein des défections, c'est un acte malhonnête que je ne saurais assez blâmer.

Laissons chaque assemblée dans son rôle. Nous avons de magnifiques prérogatives : nous représentons le pays, et nous avons une initiative que le Sénat n'a pas ; mais le Sénat, de son côté, est un corps conservateur ; il a, entre autres prérogatives, l'âge et le cens. Ce corps est institué pour empêcher la Chambre de devenir dominatrice absolue.

Or, ce que l'on vent en réalité aujourd'hui, c'est supprimer le Sénat. (Interruption.) Vous voulez supprimer le Sénat ? Eh bien, si c'est là votre but, soyez plus logiques...

M. le ministre de la justice (M. Bara). -Vous supprimez la Chambre.

M. Dumortier. - Ce qui supprime la Chambre, c'est le servilisme parlementaire.

M. le président. - Cette expression ne peut être admise, M. Dumortier.

M. Dumortier. - Si je l'appliquais à l'assemblée, vous auriez raison, M. le président ; mais je parle ici de la théorie constitutionnelle.

M. le président. - Il est évident que vous faisiez allusion à la Chambre, et dans cet ordre d’idées, je ne puis pas vous permettre les paroles que vous avez prononcées.

M. Dumortier. - Je dis que ce qui supprime le parlement, ce qui l'avilit, c'est le servilisme parlementaire.

M. le président. - Je vous invite à retirer ces paroles.

M. Dumortier. - Quand j'ai dit la vérité, je n'ai rien à retirer.

M. le président. - Je vous rappelle à l'ordre.

M. Dumortier. - Si mon expression vous égratigne, c'est qu'elle est vraie.

M. le président. - Je répète que je vous rappelle à l'ordre !

M. Dumortier. - J'ai répondu à l'interruption de M. Bara et j'ai dit que rien n'affaiblit la force et le. prestige d'une assemblée législative comme le servilisme parlementaire.

M. le président. - La Chambre n'est pas entachée de servilisme ; elle agit dans toute son indépendance et quand la majorité se prononce, elle ne fait pas preuve de servilisme ; elle fait acte légitime d'autorité.

M. Wasseige. - Je demande à M. le président si un rappel à l'ordre est prononcé ?

M. le président. - Oui !

M. Wasseige. - En ce cas, j'en appelle à la Chambre en vertu da l'article 71 du règlement. Je désire qu'elle décide elle-même si elle s'applique le mot de M. Dumortier.

M. Dumortier. - J'en appelle à la Chambre et lui laisse le soin de déclarer qu'elle est atteinte de servilisme parlementaire. (Interruption.)

M. le président. - J'ai été dans l'obligation de prononcer le rappel à l'ordre parce que l'honorable M. Dumortier n'a pas voulu déférer à mon invitation de retirer une expression offensante pour une partie de la Chambre. (Interruption.) Veuillez ne pas interrompre et me permettre de m'expliquer.

Si M. Dumortier veut retirer son expression, je serai fort heureux, quant à moi, de retirer le rappel à l'ordre que j'ai eu le devoir de lui appliquer.

M. Dumortier. - Je n'ai rien à retirer : ce que j'ai dit est une vérité incontestable en matière d'institutions politiques. J'ai dit et je répète que les assemblées parlementaires se perdent par le servilisme.

M. le président. - Comme expression d'une thèse purement théorique, cela est incontestable, mais vous êtes sorti de la théorie et la manière dont vous vous êtes exprimé était une offense adressée à vos collègues. Si telle n'a pas été votre pensée, veuillez-le déclarer.

M. Dumortier. - J'en appelle à la Chambre de votre rappel à l'ordre ; il faut qu'elle décide si elle est atteinte de servilisme.

M. le président. - Si la Chambre maintient le rappel à l'ordre, c'est qu'elle est d'avis que vous avez offensé une partie de nos collègues. Maintenez-vous votre expression ?

M. Dumortier. - Certainement.

M. le président. - Eh bien, je maintiens le rappel à l'ordre.

M. Coomans. - Il est évident que M. le président aurait raison, si l'honorable M. Dumortier avait dit que la majorité actuelle et présente a fait preuve de, servilisme parlementaire. C'est là une chose qu'on peut penser, mais qu'on ne peut jamais dire. (Interruption.)

- Voix à gauche. - C'est une nouvelle offense ! A l'ordre !

M. Coomans. - Je dis que notre honorable président aurait bien fait de rappeler l'orateur à l'ordre, si telles avaient été ses paroles ; mais quand l'honorable M. Dumortier se borne à déclarer, sous forme d'aphorisme politique, social, parlementaire, que ce qui perd les institutions représentatives, c'est le servilisme, il a mille fois raison, et s'il doit être rappelé à l'ordre pour cela, je prie M. le président de vouloir bien m'y rappeler aussi.

M. le président. - Je maintiens que l'honorable M. Dumortier, par la manière dont il s'est exprimé, s'est adressé à une partie de la Chambre. Si je me trompe à cet égard, qu'il le déclare, et le rappel à l'ordre sera retiré. S'il ne fait pas cette déclaration, il est évident qne le rappel à l'ordre devra être maintenu.

J'invite donc l'honorable M. Dumortier à déclarer qu'il s'est borné à une thèse purement théorique et qu'il n'a entendu faire allusion à aucun de ses collègues.

(page 1146° M. Dumortier. - Je me réfère a la sténographie.

M. le président. - Veuillez-vous expliquer.

M. Dumortier. - Mon explication est bien facile. Je soutenais que nous devons respecter les prérogatives du Sénat et que ce serait les affaiblir que de voter la prise en considération de l'honorable M. Guillery. L'honorable M. Bara m'a interrompu à ce moment pour me dire : « Et vous, vous voulez supprimer la Chambre » ou quelque chose d'équivalent.

Que l'on consulte la sténographie, et on constatera le fait ; je ne changerai pas un mot à la copie.

Eh bien, j'ai dit que ce qui affaiblit les assemblées délibérantes, c'est le servilisme parlementaire ; j'ai dit ce mot et je le répète.

Maintenant, si vous vous croyez atteints par le servilisme parlementaire, eh bien, vous prendrez le mot pour vous, vous vous le serez appliqué vous-mêmes.

M. le président. - Encore une fois, je demande à M. Dumortier s'il a entendu faire ou ne pas faire allusion à une partie de ses collègues.

M. Dumortier. - Ma pensée, je ne la livre à personne. Ainsi que le disait l'honorable M. Coomans, ce sont des choses qu'on pense et qu'on ne dit pas.

M. le président. - S'il en est ainsi, je maintiens le rappel à l'ordre.

Messieurs, je suis réellement désolé de cet incident ; je ne comprends pas comment M. Dumortier, en réponse à mon interpellation, hésite à déclarer qu'il n'a pas entendu faire allusion à une partie de ses collègues.

M. Dumortier. - Je ne veux pas faire d'excuses.

M. le président. - Le rappel a l'ordre est donc maintenu.

- Plusieurs membres demandent que la Chambre se prononce sur le rappel à l'ordre.

M. le président. - Je consulte la Chambre sur le point de savoir si elle maintient le rappel à l'ordre que M. Dumortier m'a mis dans la triste nécessité de prononcer à son égard.

- Il est procédé à l'appel nominal.

82 membres y prennent part.

47 membres répondent oui.

34 membres répondent non.

1 membre (M. Dolez) s'abstient.

En conséquence, le rappel à l'ordre est maintenu par la Chambre, et, conformément à l'art.icle31 du règlement, il en sera fait mention au procès-verbal.

M. Wasseige. - Ainsi donc je constate que les membres de la gauche, à l'unanimité, se sont déclarés atteints par les paroles de M. Dumortier.

- Ont répondu oui :

MM. E. Vandenpeereboom, Vander Maesen, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Merris, Vleminckx, Warocqué, Watteeu, Allard, Bara, Beke, Bieswal, Couvreur, de Baillet-Latour, de Brouckere, De Fré, de Kerchove de Denterghem, de Macar, de Maere, de Rossius, Descamps, Dethuin, de Vrints, Dewandre, Elias, Frère-Orban, Funck, Guillery, Hymans, Jacquemyns, Jamar, Le Hardy de Beaulieu, Lesoinne, Lippens, Mascart, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Orban, Orts, Pirmez, Preud'homme, Rogier, Sabatier et A. Vandenpeereboom.

Ont répondu non :

MM. Vander Donckt, Van Wambeke, Vermeire, Verwilghen, Visart, Wasseige, Wouters, Coomans, de Borchgrave, de Clercq, de Coninck, E. de Kerckhove, Delcour, de Liedekerke, de Montblanc, de Muelenaere, de Naeyer, de Terbecq, de Zerezo de Tejada, Dumortier, Jacobs, Janssens, Kervyn de Lettenhove, Lefebvre, Lelièvre, Liénart, Magherman, Moncheur, Mulle de Terschueren, Notelteirs, Tack, Thibaut, Thienpont et Thonissen.

S'est abstenu : M. Dolez.

M. le président. - Messieurs, d'après le règlement, je dois faire connaître à la Chambre les motifs de mon abstention ; vous les avez déjà pressentis ; la Chambre était constituée en juge d'appel d'une décision que j'avais été dans la douloureuse nécessité de prendre à l'égard d'un de ses membres. Comme j'étais en cause, il était de mon devoir de m'abstenir.

M. Lelièvreµ. - Je pense, messieurs, qu'il convient de prendre la proposition en considération. Les motifs qui ont été développés par l'honorable M. Delcour démontrent qu'il existe une partie du projet sur laquelle tout le monde est d'accord. Or, il y a une question d'humanité qui doit engager la législature à adopter la partie de la proposition sur laquelle il n'y a pas de dissentiment. Il est impossible de maintenir en état de détention des individus qui, avec l'assentiment des deux Chambres, doivent être mis immédiatement en liberté. Cet état de choses serait injustifiable. Il est donc tout naturel de porter une loi provisoire qui fasse droit à de légitimes réclamations. Du reste, il est possible d'améliorer la proposition de M. Guillery en y apportant des changements qui restreignent le projet aux dispositions sur lesquelles les deux Chambres sont d'accord. N'est-il pas évident, par exemple, qu'on pourrait adopter un projet conçu de la manière suivante :

« Art. 1er. La contrainte par corps est suspendue jusqu'au 1er mars 1870, sauf les exceptions qui suivent.

« Art. 2. La disposition qui précède n'est pas applicable en matière criminelle, correctionnelle ou de police et spécialement à l'égard des témoins défaillants dans toute instruction judiciaire.

« Art. 3. Pareillement elle ne reçoit pas application aux jugements et arrêts portant condamnation à des restitutions ou dommages-intérêts en réparation du préjudice causé méchamment ou de mauvaise fois par des méfaits ou actes illicites pour les sommes excédant trois cents francs.

« Art. 4. En dehors des exceptions établies par les art. 2 et 3, les jugements déjà rendus ne seront plus exécutés en ce qui concerne la contrainte par corps. Toute exécution déjà pratiquée sera abandonnée et la liberté rendue immédiatement aux débiteurs incarcérés.

« Art. 5. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa publication. »

Il est donc clair qu'on peut édicter des dispositions conciliatrices qui satisfassent à de légitimes intérêts ainsi qu'aux exigences de l'humanité et cela sans porter atteinte ni à notre dignité, ni à celle du Sénat, et c'est précisément parce que nous pouvons atteindre ce résultat que j'appuie la prise en considération de la proposition de M. Guillery. Ce que je propose laissera intactes les questions sur lesquelles le dissentiment existe et rien ne sera préjugé à cet égard. C'est le meilleur moyen de faire cesser le conflit existant.

M. Dumortier. - Je continue mon discours.

Je développerai tout à l'heure cette pensée que le régime de la violence a toujours été fatal aux assemblées délibérantes.

Si vous voulez, par le régime de la violence, affermir vos opinions, mais croyez-vous que vous vous fortifiez vis-à-vis du parlement ? Pensez-vous que vous vous fortifiez vis-à-vis du pays ? Pensez-vous, lorsque vous aurez fait violence au Sénat, que vous aurez grandi en considération devant le pays ?

Ne vous faites pas illusion. Le pays tient à ses institutions. S'il tient à la Chambre, il tient au Sénat, et le pays comprend que chaque Chambre doit avoir l'exercice plein et entier de ses prérogatives.

Ici c'est la prérogative du Sénat que vous voulez atteindre ; c'est de cette prérogative que vous voulez avoir raison.

Encore une fois, si vous vous étiez bornés, dans votre proposition, aux points sur lesquels tout le monde, comme vous le dites, est d'accord, la prérogative du Sénat ne serait pas intéressée. Mais quand vous venez pour la troisième fois présenter, devant le Sénat, la contrainte par corps, alors que, par deux fois, cette grande assemblée l'a rejetée, je dis que c'est le régime de la violence, rien que le régime de la violence. Je dis qu'il ne vous appartient pas, à vous Chambre des représentants, de chercher à faire violence à une autre assemblée. Eh, messieurs, que diriez-vous si le Sénat agissait ainsi vis-à-vis de nous ?

Si le Sénat, dans l'exercice de ses attributions, vous renvoyait une loi partie de votre propre initiative, s'il voulait, par exemple, vous forcer la main pour ajouter des dépenses à un budget déjà voté par vous, vous n'auriez pas assez d'expressions pour le blâmer.

Eh bien, soyez conséquents avec vous-mêmes. Respectez les prérogatives des autres si vous voulez qu'on respecte les vôtres.

Vous pouvez prendre des résolutions à la majorité ; vous pouvez vous appliquer ce que j'ai dit tout à l'heure d'une manière générale. C'est votre droit, je ne vous le conteste pas.

Mais ce que vous ne pouvez pas, c'est forcer la main à un corps qui est votre égal et en droit constitutionnel, et par le fait de ses électeurs, puisqu'il représente, comme vous, la majorité du pays.

Quand il y a un conflit entre le ministère et le Sénat, il y a, comme je vous le disais tout à l'heure, un moyen bien simple de résoudre la difficulté.

Vous pouvez demander au Roi la dissolution du Sénat ; c'est votre droit.

Eh bien, vous ne le voulez pas...

M. Wasseige. - Vous ne l'osez pas.

M. Dumortier. - Vous ne voulez pas. Vous aimez mieux l'affaiblir ; vous voulez le fouler aux pieds, le pressurer, l'opprimer et dire, comme jadis Louis XIV : « L'Etat, c'est moi. »

Dans un pareil état de choses, je ne puis pas donner ma voix à la prise en considération du projet de loi.

- La discussion est close.

(page 1147) La Chambre consultée se prononce pour la prise en considération de la proposition,

M. le président. - La Chambre entend-elle renvoyer la proposition aux sections ou à une commission ?

- Voix nombreuses. - Aux sections !

M. Lelièvreµ. - Je demande le renvoi de la proposition à une commission.

- La question du renvoi est mise aux voix. L'épreuve étant douteuse, elle est renouvelée.

La Chambre ordonne le renvoi de la proposition à une commission.

M. le président. - Par qui la Chambre entend-elle que cette commission soit nommée ?

- Voix nombreuses. - Par le bureau !

M. le président. - Voilà la composition de la commission ; MM. Watteeu, Guillery, Delcour, Dewandre, de Kerchove de Denterghem, Visart et Dolez.

La commission se réunira après la séance.

Ordre des travaux de la chambre

M. le président. - Nous reprenons la discussion du projet de loi sur la milice.

- Des membres : A demain !

MtpJµ. - Si la Chambre ne voulait pas reprendre aujourd'hui le projet de loi sur la milice ; elle pourrait utilement voter les deux derniers objets à l'ordre du jour qui sont le projet de loi relatif à l'érection de la commune de Linth et le projet de loi allouant un crédit de 1,500,000 francs au département des travaux publics.

- Des membres. - Oui ! oui !

M. le président. - S'il n'y a pas d'opposition, il en sera ainsi.

Projet de loi érigeant la commune de Linth

Discussion générale

M. le président. - La discussion générale est ouverte.

M. Lefebvreµ. - Messieurs, j'ai eu l'honneur de faire partie de la commission chargée d'examiner le projet de loi relatif à la séparation du hameau de Linth, de la commune de Contich. Je n'ai pu me rallier au rapport de la commission et je prie la Chambre de me permettre, en quelques mots, de lui en soumettre les motifs.

La belle et grande commune de Contich, arrondissement d'Anvers, possède, à environ 4 kilomètres du centre du village, un hameau connu sous le nom de Linth.

Erigé, il y a environ 50 ans, en paroisse, cette agglomération d'habitants possède, à son autonomie près, tout ce qui constitue une commune, église, presbytère, cimetière, école et bientôt, grâce à la généreuse intervention d'une bienfaitrice, un hôpital-hospice. Aussi son érection en commune distincte de Contich ne rencontre aucune opposition. Les dissentiments se sont élevés seulement à propos de la délimitation à donner à la nouvelle commune.

Les habitants de Linth voulaient rester réunis et demandaient, pour limites civiles, les limites de la paroisse ecclésiastique. Contich réclamait, pour sa délimitation, la ligne droite du chemin de fer de Bruxelles à Anvers. C'est cette dernière délimitation qui est proposée par le projet de loi.

Mais le conseil provincial saisi de la question, par 38 voix contre 8, et parmi les 38 votants tous les conseillers du canton de Contich et des deux cantons environnants de Lierre et Duffel, adopta une nouvelle limite ; cédant à Contich la station et une certaine partie du territoire de Linth, il laissait à celle-ci en deçà du chemin de fer une agglomération d'habitations connue sous le nom de Duyvelshoek.

S'il est vrai que le tracé du chemin de fer forme en effet pour les plans la plus belle ligne de séparation entre deux communes, cette considération ne doit pas porter préjudice aux habitants sacrifiés à la ligne droite.

Les habitants de la localité qu'on veut séparer du hameau de Linth ont intérêt à rester unis à lui. Indépendamment de ce qu'ils sont bien plus rapprochés de Linth que de Contich, des difficultés vont naître pour eux, d'être placés sous une juridiction religieuse appartenant à une autre commune que la leur, difficultés qui se présentent lors des naissances et surtout, pour les inhumations, lorsqu'il faudra faire, peut-être, malheureusement en temps d'épidémie, un trajet de 8 à 9 kilomètres pour se rendre à l'église de Linth et de là retourner au cimetière communal de Contich.

Pour l'instruction les difficultés se présentent aussi. L'école de Contich est à environ un kilomètre plus éloignée de cette agglomération que celle de Linth. Les chemins vers cette dernière école sont meilleurs. Déjà il y a dans la partie qu'on veut distraire de Linth plusieurs familles qui ont droit à l'instruction gratuite.

Les inconvénients de l'école appartenant à une paroisse différente de la commune, inconvénients signalés à la page 28 du dernier rapport sur l'instruction primaire en Belgique, se présentent dans toutes leurs conséquences dans ce cas présent.

Enfin, lorsque les intérêts communs demandent la création d'une nouvelle commune, il faut qu'une existence aisée lui soit assurée, surtout et avant tout lorsque cette aisance ne préjudicie pas sérieusement à la commune mère.

D'après le projet du conseil provincial, la commune nouvelle aurait eu une population de 900 habitants et 680 hectares, tandis que d'après le projet de loi elle ne conserve que 550 hectares et environ 740 habitants. Le revenu de la commune de Linth qui, d'après le conseil provincial, se serait élevé à un peu plus de 5,000 francs, tomberait à environ 4,000 fr. ; et ici je signale l'erreur de l'exposé des motifs du projet de loi, qui parle bien, en effet, d'un revenu de 5,000 francs pour le hameau de Linth, mais qui ne fait pas attention que c'est le revenu de tout le hameau et que le projet de délimitation le réduit d'un cinquième en étendue et par conséquent aussi en ressources. Cet excédant de population et de revenu serait un grand bien-être pour Linth, tandis que la riche et belle commune de Contich n'y trouvera guère de bénéfice.

Voilà, messieurs, les motifs qui m'ont empêché d'accepter les conclusions du rapport. J'aurais voulu voir adopter pour délimitation les limites proposées par le conseil provincial. Je ne présenterai cependant pas d'amendements à ce sujet. Je sais, messieurs, que dans une question spéciale de limite, il est bien difficile à la Chambre de se mettre en opposition avec les conclusions de sa commission. Je regretterai que M. le ministre et MM. les membres de la commission n'aient pas cru devoir se ranger à l'avis du conseil provincial, que je crois être le meilleur juge et le plus compétent dans ces matières.

M. Jacobs. - Messieurs, j'avais demandé la parole avant même l'ouverture de la discussion générale. Malheureusement ma voix n'est pas arrivée jusqu'à M. le président, car je voulais faire une motion d'ordre.

M. le président. - Je le regrette.

M. Jacobsµ. - J'en suis convaincu, M. le président.

Je pense, messieurs, que l'on pourrait, sans aucun inconvénient, ajourner ce projet de loi à la session prochaine.

Pour la première fois, peut-être, nous nous trouvons devant une proposition du gouvernement qui a contre elle la presque unanimité du conseil provincial d'Anvers.

C'est là une situation unique et qui indique qu'il y a là un conflit sérieux.

Je ne veux pas élever ce conflit à la hauteur de celui qui s'est produit entre la Chambre et le Sénat, mais je crois qu'il est regrettable de voir une divergence d'opinion aussi profonde se manifester entre le gouvernement et le conseil provincial.

Cette question est assez obscure, j'ai cherché à m'éclairer. J'ai entendu le pour et le contre et je ne suis pas parvenu à me former une opinion complète.

Je déclare cependant que l'opinion du conseil provincial, l'opinion presque unanime des députés du canton de Contich et des cantons voisins a pour moi une très grande valeur.

Le conseil provincial étant à la veille de se réunir de nouveau, je demande que l'on veuille bien le saisir de la proposition du gouvernement et, au commencement de la session prochaine, il aura peut-être donné au gouvernement des éclaircissements suffisants pour qu'il revienne de son opinion et peut-être alors pourrons-nous voter cette séparation en présence d'un accord entre le conseil provincial et le département de l'intérieur.

Je ferai remarquer que la question présente des difficultés telles, que la commission elle-même, tout en adoptant l'avis du gouvernement, a été d'opinion qu'il y avait des mesures spéciales à prendre dans tous les cas, et que, puisque la séparation paroissiale n'était pas la même que la séparation administrative et civile, il fallait que la commune mère, Contich, intervînt dans les frais du culte de la commune séparée, pour une certaine part.

En présence de cet état de choses, il s'est trouvé que des habitants de Linth préfèrent ne pas être séparés plutôt que d'être séparés de cette manière.

Je propose donc, quant à moi, l'ajournement à la session prochaine.

MiPµ. - Je ne puis en rien me rallier à la proposition de l'honorable M. Jacobs.

Les habitants de Linth demandent la séparation de ce hameau de la commune de Contich et celle-ci consent à la séparation.

(page 1148) Il ne s'est présenté qu'une difficulté tout a fait insignifiante. Il s'agit de savoir quelle sera la limite entre les deux communes.

Le hameau de Linth et la commune de Contich sont séparés par le chemin de fer, qui forme une démarcation simple et naturelle entre les deux futures communes.

La seule objection à cette séparation, c'est que la paroisse de Linth, car Linth est déjà érigé en paroisse, n'a pas pour limite le chemin de fer. La paroisse de Linth va au delà du chemin de fer vers Contich.

Cette objection est facile à faire disparaître. Il suffit de modifier la limite des paroisses.

Mon collègue de la justice sera tout prêt à consentir à cette délimitation et je ne doute pas que l'autorité ecclésiastique, de son côté, ne reconnaisse aussi qu'il vaut mieux avoir entre les deux communes le chemin de fer pour limite.

On a parlé de l'instruction. Il y a des enfants qui sont plus près de l'école de Linth que de celle de Contich. Mais ils ont à traverser le chemin de fer. Il est certain qu'il vaut mieux qu'ils aient à parcourir 150 mètres de plus que d'avoir à traverser la voie ferrée, surtout une ligne aussi fréquentée que celle de Bruxelles à Anvers.

Il y a urgence, messieurs, à séparer les deux communes parce qu'il doit y avoir, au mois d'octobre, des élections communales et que les deux parties ont des tendances et des intérêts divergents.

J'insiste donc pour que la Chambre vote le projet de loi.

M. Jacobsµ. - Certainement si un changement de délimitation paroissiale pouvait mettre tout le monde d'accord ce serait un moyen tout aussi simple que celui que j'indique.

Mais ce n'est évidemment pas cette considération qui a dicté le vote du conseil provincial d'Anvers.

Ce conseil a été mû par l'appréciation des circonstances, la situation des lieux d'où il résulte que la partie qui existe le long du chemin de fer a des rapports continuels avec Linth et n'a pas les mêmes rapports avec Contich.

C'est pour respecter la situation existante que le conseil provincial d'Anvers s'est prononcé comme il l'a fait.

Eh bien, je demande qu'on donne à cette assemblée cette marque de déférence de ne pas passer outre immédiatement et d'attendre une session suivante, où il sera permis peut-être, d'obtenir une espèce d'accord.

Je dois le déclarer, ce serait, je pense, la première fois qu'en Belgique on prononce une séparation de communes contre l'avis presque unanime du conseil provincial.

- La proposition d'ajournement de M.. Jacobs est mise aux voix par assis et levé ; elle n'est pas adoptée.

La discussion générale est close ; l'assemblée passe aux articles.

Discussion des articles

Articles 1 et 2

« Art. 1er. Le hameau de Linth, tel qu'il est figuré par une teinte verte au plan annexé à la présente loi, est séparé de la commune de Contich, province d'Anvers, et érigé en commune distincte sous le nom de Linth.

« La limite séparative est déterminée par le. chemin de fer d'Anvers à Malines. »

- Adopté.


« Art. 2. Le cens électoral et le nombre de conseillers à élire dans ces communes seront fixés par l'arrêté royal déterminant le chiffre da leur population. »

- Adopté.

Vote sur l’ensemble

Il est procédé à l'appel nominal sur l'ensemble du projet.

79 membres y prennent part.

63 membres répondent oui.

13 membres répondent non.

3 membres s'abstiennent.

En conséquence, le projet de loi est adopté. Il sera transmis au Sénat.

Ont répondu oui.

MM. Ernest Vandenpeereboom, Vander Maesen, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Merris, Van Wambeke, Visart, Vleminckx, Warocqué, Wasseige, Watteeu, Wcuters, Allard, Bara, Beke, Bieswal, de Coninck, De Fré, de Kerchove de Denterghem, Delcour, de Macar, de Maere, de Montblanc, de Muelenaere, de Rossius, Descamps, Dethuin, de. Vrints, Dewandre, Dumortier, Dupont, Elias, Frère-Orban, Funck, Guillery, Hymans, Jacquemyns, Jamar, Kervyn de Lettenhove, Lelièvre, Lesoinne, Liénart, Lippens, Magherman, Mascart, Moncheur, Moreau, Mouton, Muller, Mulle de Terschueren, Nélis, Notelteirs, Orban, Orts, Pirmez,- Preud'homme, Rogier, Sabatier, Tack, Thibaut, Alphonse Vandenpeereboom et Dolez.

Ont répondu non :

MM. Vander Donckt, Vermeire, Verwilghen, de Borchgrave, de Clercq, Eugène de Kerckhove, de Liedekerke, de Terbecq, de Zerezo de Tejada, Jacobs, Janssens, Thienpont et Thonissen.

Se sont abstenus :

MM. Coomans, de Naeyer et Lefebvre.

M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont priés d'en faire connaître les motifs.

M. Coomans. - Je me suis abstenu parce que je ne connais rien à la question.

M. de Naeyerµ. -J'aurais désiré que l'on consultât de nouveau le conseil provincial ; c'est pourquoi je me suis abstenu.

M. Lefebvreµ. - La séparation étant demandée par les intéressés, je n'ai pas voulu m'y opposer ; mais d'autre part, je n'ai pas pu me. rallier au projet de délimitation tel qu'il est présenté.

M. le président. - M. Van Overloop demande un congé pour demain.

- Ce congé est accordé.

(erratum, page 1164) M. le président. - M. de Montblanc a demandé à la Chambre un congé.

- Ce congé est accordé.

La séance est levée à 5 heures.