(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1868-1869)
(Présidence de M. Dolezµ.)
(page 945) M. Dethuin, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.
M. Van Humbeeck, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.
Il présente ensuite l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« Des habitants de Lethem présentent des observations contre la demande ayant pour objet la séparation de ce hameau de la commune de Bilsen. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des habitants de. Finnevaux prient la Chambre d'autoriser la concession d'un chemin de fer de Givet à Jemelle demandée par les sieurs Brassine et Nicaise. »
- Même renvoi.
« M. le ministre de l'intérieur adresse à la Chambre un exemplaire du second volume du Mémorial administratif de la Flandre occidentale, année 1868. »
- Dépôt à la bibliothèque.
« MM. les bourgmestre et échevins de la ville de Louvain adressent à la Chambre, un exemplaire du Bulletin communal de cette ville pour l'année 1868. »
- Même décision.
« M. F. Flechet, membre du conseil administratif de la société agricole de l'Est de la Belgique, fait hommage à la Chambre de 126 exemplaires d'une brochure contenant un rapport qu'il a présenté à cette association sur la question de l'assurance obligatoire contre les pertes résultant de la mortalité du bétail. »
- Distribution aux membres de la Chambre et dépôt à la bibliothèque.
M. de Macarµ. - Messieurs, je me permets d'appeler toute l'attention de mes collègues sur la brochure dont il leur est fait hommage. Elle traite d'une question que j'ai eu l'honneur de soulever, il y a une couple d'années, devant la Chambre, et que je crois des plus intéressante pour l'agriculture, celle de la création d'un fonds d'agriculture destiné à parer aux pertes de bétail. Elle, émane d'un homme dont les connaissances agricoles ne peuvent être mises en doute et dont l'autorité dans cette matière a été souvent invoquée, notamment dans cette enceinte, par l'honorable M.de Vrière, lors de la discussion de la loi sur la révision cadastrale.
L'honorable M. Flechet est membre du conseil supérieur de la société de l'Est ; il s'est occupé très spécialement des intérêts des populations agricoles. Son opinion me paraît donc de nature à influer sur la solution que l'on devra donner à la question.
« M. de Moor, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé. »
- Accordé.
«M. Eug. de Kerckhove, retenu par une affaire, demande un congé. »
- Accordé.
M. le président. - La Chambre est arrivée a l'article 5.
« Art. 5 (projet de la section centrale). Le contingent annuel est divisé en deux parties : l'une active, l'autre de réserve, assignée à l'infanterie.
« Chacune des deux parties du contingent est répartie par le Roi entre les provinces, et par la députation permanente du conseil provincial entre des cantons de milice, composés soit d'une, soit de plusieurs communes voisines appartenant à un même arrondissement administratif.
« Les jeunes gens astreints par leur âge à l'inscription de la milice, qui ont contracté un engagement volontaire avant l'opération du tirage au sort, sont comptés numériquement dans le contingent de leur canton, lorsque leur numéro les appelle au service.
« La répartition est faite proportionnellement au nombre d'inscrits de la levée.
« Il est tenu compte, à chaque province et à chaque circonscription de tirage, des fractions favorables ou défavorables de la répartition de l'année précédente. »
M. Kervyn de Lettenhove. (pour une motion d'ordre). - Messieurs, je défère au vœu qui a été exprimé hier par la Chambre, en déposant sur le bureau un projet dans lequel j'ai formulé mon système d'exonération ; mais je tiens & faire remarquer que, pour le rendre plus clair et plus complet, j'ai été dans la nécessité d'y joindre certaines dispositions qui n'ont qu'un caractère accessoire.
M. le président. - Le projet sera imprimé et distribué ; M. Kervyn le développera quand la Chambre sera arrivée à l'article que la chose concerne.
Nous revenons à l'article 5, dont j'ai lu le texte.
Il est parvenu au bureau deux amendements à l'article 5.
L'un est signé, par M. De Fré, il est ainsi conçu :
« J'ai l'honneur de proposer la substitution du projet du gouvernement au projet de la section centrale. »
L'autre est signé par MM. Janssens, Kervyn, de Zerezo, Reynaert et Wasseige.
Il est ainsi conçu :
« Art. 5. Paragraphe nouveau à substituer au paragraphe 3 :
« Il sera tenu compte, en déduction du contingent à fournir par chaque canton, du nombre de volontaires appartenant à la même circonscription, qui auront contracté un engagement depuis la répartition précédente. »
Ces amendements seront ultérieurement développés dans l'ordre des inscriptions.
Messieurs, je suis d'accord avec l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu pour reconnaître que son projet vient à disparaître, par suite du vote émis hier sur l'article premier de ce projet ; l'auteur se réserve seulement de produire, à l'occasion des divers articles, tels amendements qu'il jugerait à propos de présenter.
Je donne maintenant la parole sur l'article 5.
M. Wasseige. - Le changement le plus important introduit par cet article à la législation ancienne est, sans contredit, la répartition du contingent par canton de milice, substituée à la répartition par commune.
Ce changement considérable est-il justifié par des avantages réels, crée-t-il une situation meilleure, est-il plus juste surtout ? Voila les questions que je me pose et dont la solution laisse une grande incertitude dans mon esprit.
Le gouvernement lui-même a commencé par ne pas l'admettre, et voici les motifs qu'il en donnait dans son exposé des motifs :
« Sous le régime actuel, chaque commune concourt à la formation du contingent proportionnellement à ses inscrits ; avec un tirage au sort par arrondissement, on arriverait à des inégalités choquantes : telles communes seraient écrasées sous le poids de leurs charges ; telles autres singulièrement avantagées par le hasard.
« Si le tirage avait lieu par arrondissement ou même par canton, beaucoup d'abus se produiraient dans la délivrance des certificats destinés à faire obtenir certaines exemptions ; on verrait disparaître ou tout au moins s'affaiblir le contrôle qu'exercent, à cet égard, les miliciens et leurs familles, contrôle dont nous avons constaté les effets utiles.
« Le droit d'appel contre les décisions des conseils de milice deviendrait illusoire, les miliciens d'un ressort si étendu ne se connaissant pas.
« La commission est d'opinion que cette proposition doit être rangée parmi celles qui se présentent à l'esprit sous l'apparence d'un progrès, et qu'un examen réfléchi fait condamner. »
Je désirerais savoir quelles ont été les raisons qui ont engagé le gouvernement à changer d'opinion, et ce qui a fait disparaître à ses yeux les graves objections qui lui avaient fait rejeter d'abord ce changement.
Quant à moi, je ne vois rien de bien plausible dans les motifs invoqués par la section centrale en faveur de son projet.
D'abord il est évident que la répartition par commune, d'après le nombre de miliciens inscrits, est la plus strictement juste.
D'après ce système, chaque commune fournit exactement le nombre d'hommes qu'elle doit fournir, ni plus ni moins, et rien n'est laissé au hasard.
Si parfois il se présente certaines anomalies, c'est-à-dire si quelques communes peu populeuses n'ont parfois rien à fournir au contingent, tandis que, d'autres années, elles doivent lui livrer tous leurs miliciens inscrits, c'est une chance favorable ou défavorable pour les miliciens appartenant à l'une ou l'autre année, mais c'est le résultat d'une loi juste dans son principe.
C'est une chance, comme le tirage au sort est toujours une chance dans tous les systèmes.
(page 946) Mais il n'en est pas moins vrai qu'en somme la commune ne fournit jamais que ce qu'elle doit et fournit tout ce qu'elle doit.
Il n'en sera jamais de même avec le système cantonal. Là, tout sera livré au hasard aveugle, et telle petite commune ne devant rien ou presque rien au contingent se verra enlever tous les jeunes gens valides, tandis que telle autre grande commune ne fournira pas de miliciens.
Eh bien, cette possibilité seule me paraît de nature à faire hésiter beaucoup sur la bonté du changement proposé.
Et puis les objections présentées d'abord par le gouvernement sur l'augmentation illicite des exemptions de soutiens de famille et sur la tentation irrésistible à laquelle seront soumises les administrations communales de délivrer trop légèrement, trop complaisamment ces certificats, comment sont-elles résolues ?
Et la difficulté pour les miliciens, ne se connaissant pas, d'exercer le droit d'appel.
Je dois avouer, quant à moi, que ces objections ne me paraissent pas résolues d'une façon satisfaisante dans le projet de la section centrale.
Quant aux certificats de complaisance, le nombre en augmentera évidemment, et l'administration communale, placée sans contre-poids entre son désir d'être agréable à ses administrés et la stricte légalité, faiblira souvent, cela est dans la nature des choses et ne fait aucun doute pour ceux qui ont quelque expérience de la façon dont elles se passent. Aussi, le rapport reconnaît le caractère sérieux de l'objection et ne trouve du remède au mal que dans un système de contrôle nouveau.
Or ce contrôle nouveau consiste dans l'institution d'une commission composée d'un délégué de chacune des communes des cantons, présidée par le commissaire d'arrondissement, laquelle commission serait appelée à donner son avis sur la validité du certificat délivré.
Eh bien, ce. remède ne me satisfait pas ; ou bien cette commission composée d'individus ne connaissant pas suffisamment les faits sur lesquels elle sera appelée à donner son avis, devra s'en rapporter aux pièces et aux renseignements qui lui seront donnés par le délégué auteur ou coauteur du certificat, et le contrôle sera nul.
Ou bien cette commission subira l'influence de son président qui, par sa position, pèsera nécessairement beaucoup sur sa manière de voir, et alors ce sera en réalité le commissaire d'arrondissement, qui sera substitué aux administrations communales dans un acte des plus importants, c'est-à-dire que ce sera un personnage étranger à la commune, fonctionnaire du gouvernement, fonctionnaire essentiellement politique, que vous substituerez aux magistrats communaux, indépendants par position et investis de toute la confiance de leurs concitoyens.
Eh bien, ce résultat serait détestable, et le rapport déclare lui-même, qu'il ne le veut pas, qu'il veut, au contraire, conserver aux administrations communales leurs anciennes prérogatives. Que faire alors ?
Quant à la difficulté pour les intéressés d'exercer leur droit d'appel, le rapport en fait bon marché ; il se borne à dire qu'elle ne rebutera pas les campagnards dans la poursuite de leurs droits, qu'on les voit, en effet, ne ménager ni courses, ni peines, dans des affaires de moindre importance.
Mais ce ne sont pas là des raisons et c'est résoudre la question par la question.
Les courses et les peines, voilà ce qui est évident ; le reste est très problématique.
Mais, au moins, les avantages du système nouveau sont-ils assez grands pour en compenser les inconvénients ? Franchement, je ne le crois pas.
C'est, dit le rapport, un moyen préventif contre la simulation des changements de domicile.
Mais on pourra toujours, quoique dans une moindre proportion, je l'avoue, simuler des changements de domicile de canton à canton, selon la situation plus favorable de l'un ou de l'autre. D'ailleurs le projet établit sous ce rapport une notable amélioration à la législation ancienne, en substituant la résidence réelle au domicile et en exigeant, pour le déterminer, un an d'habitation continue.
Cela me paraît suffisant.
Quant à l'irritation que peuvent soulever dans les petites communes les demandes d'exemption de pourvoyants et que la nouvelle circonscription ferait disparaître, mais cette vivacité même est une garantie que les choses devront être scrupuleusement examinées, puisqu'elles le seront sous les yeux mêmes des principaux intéressés, et si malgré cela, les certificateurs étaient entraînés à dévier de l'impartialité et de la justice, le remède se trouvera dans les pouvoirs accordés aux députations de prononcer l'exemption lorsqu'elles reconnaissent que le certificat a été iniquement refusé.
Cela me paraît suffisant pour obvier autant que possible au mal que l'on redoute.
En résumé, le hasard de la loterie militaire pouvant frapper aveuglément les communes, substituer à la répartition basée sur la plus stricte justice, la bonne foi des certificateurs soumise à des tentations presque irrésistibles et sans contrôle sérieux, le droit d'appel rendu presque illusoire pour la plupart des intéressés : voilà les inconvénients certains de la législation nouvelle. Ce n'est pas le cas de dire avec l'exposé des motifs de la loi de 1864 :
« La commission est d'opinion que cette proposition doit être rangée parmi celles qui se présentent à l'esprit sous l'apparence d'un progrès et qu'un examen réfléchi fait condamner. »
J'attendrai, pour me décider, les explications que j'ai sollicitées en commençant.
M. De Fréµ. - Messieurs, je viens, comme l'honorable M. Wasseige, demander à la Chambre la substitution du projet du gouvernement à celui de la section centrale.
Le projet du gouvernement avait d'abord proposé le tirage par commune.
Le projet de la section centrale substitue à ce mode simple, qui a été pratiqué en Belgique depuis 1817, et contre lequel il n'y a eu aucune réclamation, un système tout nouveau qui existe, en France, mais qui y provoque les plaintes plus vives.
Le gouvernement s'est rallié à ce système, que je viens combattre. Je défends le projet primitif du gouvernement.
Il a été reconnu que le sort est le seul moyen, indépendamment des volontaires qui se présentent en petit nombre, de constituer une armée. Les hommes sont appelés à faire partie de l'armée par la voie du sort. Cela est fâcheux ; mais les hommes pratiques constatent qu'il n'y a que ce moyen pour constituer la force armée.
S'il en est ainsi, n'aggravons pas les chances fâcheuses de cette urne fatale. Quant à moi, je considère que le tirage par canton peut amener des situations déplorables. Il viole d'abord les principes de la justice distributive.
Chaque commune doit fournir sa part dans la charge générale, et les communes fournissent aujourd'hui cette part, chacune d'après le chiffre de sa population.
Eh bien, vous allez mêler les petites communes aux grandes communes. Vous allez mêler dans une même urne tous les numéros que devront tirer successivement les miliciens des diverses communes. Voilà le sort qui va décider quels sont les habitants de toutes ces communes qui doivent marcher. Or, voici ce qui peut arriver : c'est que le sort frappera tous les miliciens de la commune. Or, s'il est vrai, comme l'a dit M. le ministre de l'intérieur, que le service militaire est un impôt, vous créez un privilège en matière d'impôt et vous violez l'article 112 de la Constitution.
On vient dire qu'il n'est pas probable qu'une commune puisse ou bien être exemptée complètement ou être frappée exclusivement. Mais pouvez-vous garantir que le sort aveugle n'amènera pas une injustice pareille et pouvez-vous inscrire dans votre loi la possibilité d'une pareille injustice ? Pouvez-vous inscrire dans votre loi une disposition qui peut indirectement amener un privilège ?
Je suppose qu'un canton se trouve composé d'une commune où il y a 80 miliciens et, à côté de cette commune, de petites communes où il n'y en a que 15, 20, 30 ; et que le contingent à fournir par le canton à l'armée soit de 80 hommes ; il pourra arriver, par suite du tirage au sort, que cette commune, qui a 80 miliciens, fournisse les 80 hommes qui forment le contingent du canton.
Je dis que ce n'est pas là de la justice distributive ; chaque commune doit supporter sa part de charges ; les impôts doivent être également répartis ; il ne faut pas qu'une commune paye pour d'autres communes.
On viendra dire que l'année suivante cette commune, qui a été frappée par le sort, par ce sort aveugle, pourra avoir une chance heureuse et ne pas fournir un seul homme ; mais, messieurs, est-ce moins un privilège ? Dans le premier cas, le privilège existe au préjudice de la commune dont je parle ; dans le second cas, il existe au profit de cette commune.
Dans les deux hypothèses, il y a toujours une commune privilégiée. Ce n'est pas là de l'égalité.
Le rapport de la section centrale dit que ce n'est pas la commune qui est frappée, que ce sont les familles ; mais, messieurs, une agglomération communale se compose de familles, et si vous enlevez aux familles plus d'hommes qu'elles n'en devraient fournir, vous ne frappez pas seulement ces familles, mais vous frappez en même temps la commine, qui a besoin de bras pour l'agriculture.
(page 947) Il y a, messieurs, un lien étroit entre la prospérité des familles et la prospérité de la commune ; le bien-être des familles constitue le bien-être de la commune.
Je dis, messieurs, qu'il serait souverainement injuste d'admettre un système qui peut en aveugle frapper toute la population d'une commune, il peut arriver que pendant 8 ans une commune soit privée du secours de ses hommes les plus valides. Je dis que c'est la violation de la justice distributive ; c'ost le privilège en matière d'impôt.
On a invoque la loi française ; on a dit qu'en France le tirage par canton et la répartition par canton existent ; je ne sais pas, messieurs, si l'on doit aller chercher en France, où la commune est dans une tout autre situation qu'en Belgique, des modèles à suivre ; mais en France il y a des réclamations très vives contre ce système.
Mon honorable ami M. de Moor, qui n'a pu se rendre à la séance, m'écrit une lettre dans laquelle il parle des réclamations incessantes qui se produisent en France contre le système qu'on veut établir en Belgique, et voici, messieurs, un passage de cette lettre :
« Le système du tirage par canton est reconnu tellement vicieux en France, où il est en vigueur, que presque toutes les communes s'en plaignent amèrement. La commune d'Allondoudresse, en France et sur la frontière belge, lors de la guerre de Crimée, sur une vingtaine d'inscrits, a vu dix-huit de ses enfants désignés par le sort, incorporés dans le même régiment qui fut commandé pour l'attaque du Grand Bedan. Ces dix-huit jeunes gens tombèrent sur le sol étranger et la commune fut, pour un temps, dépeuplée et ruinée.
« Des pétitions venant des villes frontières ont été adressées à la Chambre, et parmi elles, une signée d'un ancien sénateur, M. Ozeray, bourgmestre de Bouillon, et qui font ressortir le déplorable résultat amené, en France, par le tirage cantonal..... »
Messieurs, il y a une autre observation à faire, c'est que, par le tirage au canton et par la répartition au canton, vous mêlez les populations rurales aux populations industrielles.
Or, la pratique constante, et tous ceux que leur position appelle à assister aux conseils de milice le savent, la pratique constante a prouvé combien les populations qui se livrent à l'industrie ont moins de vigueur que les populations qui se livrent à l'agriculture, combien on trouve parmi elles de miliciens qui ont une santé débile, et il arrive, par ce mélange de deux populations que le projet de loi veut consacrer, que ce sera l'ouvrier valide des champs qui devra remplacer l'ouvrier débile de la fabrique.
Eh bien, il y a encore ici une inégalité flagrante. Chaque commune doit supporter sa propre charge et fournir son propre contingent.
Il arrivera que la commune rurale, où l'agriculture se développe, verra encore une fois ses hommes enlevés aux travaux des champs au profit de ceux d'autres communes qui se livrent à l'industrie.
Messieurs, hier la Chambre a adopté l'amendement de l'honorable M. Kervyn et cet amendement a pour but de mettre les volontaires avant les miliciens.
Sous la loi de 1817, les communes pouvaient fournir des volontaires et les miliciens faisaient l'appoint, comblaient l'écart qui existe entre le chiffre des volontaires et le chiffre exigé comme quote-part dans la milice nationale.
L'amendement de M. Kervyn modifie l'article premier de la loi qui mettait les appels annuels avant les engagements volontaires. Comme conséquence, de cet amendement, nous rentrons dans le principe de la loi de 1817, de sorte que les communes pourront encore aujourd'hui, comme sous la loi de 1817, fournir des volontaires.
Le rapport de la section centrale constate que cette disposition de la loi de 1817 qui admettait comme principe l'engagement volontaire n'a pas eu d'heureuses conséquences ; mais je crois qu'il y a lieu de maintenir ce principe. Il se formera, soyez-en persuadés, dans des communes dirigées par une administration intelligente, une espèce d'exonération communale. Les volontaires, ainsi fournis, viendront en déduction du contingent.
Or, si vous admettez le système cantonal, si vous substituez la répartition par canton a la répartition par commune, aucune commune, aucune administration ne sera plus intéressée à produire des volontaires ; cela est évident.
Sous le système actuel, les communes savent que, bon an mal an, elles doivent fournir une moyenne d'autant d'hommes ; mais si le système de la section centrale est adopté, les administrations communales se trouveront devant l'inconnu ; elles ne sauront plus le chiffre approximatif d'hommes qu'elles devront fournir, ou si elles ne devront pas en fournir du tout, et nécessairement elles ne feront pas d'efforts pour créer des volontaires.
Nous nous trouvons en présente d'une pratique qui dure depuis la loi de 1817 et contre laquelle on n'a jamais protesté. Il est possible qu'elle donne lieu à certains inconvénients. Mais le système nouveau donne lieu à des inconvénients plus graves ; il viole la loi de l'équitable répartition ; il crée un privilège en matière d'impôt, ce qui est formellement défendu par la Constitution : il peut pendant une année priver une commune de sa population virile. (Interruption.)
Ceux qui ne savent pas jusqu'à quel point la retraite de la population virile d'une commune peut avoir de conséquences funestes tant pour les familles que pour la commune et pour l'Etat lui-même, ceux-là ne comprennent pas les alarmes dont je suis ici l'écho, alarmes fondées, alarmes justifiées ; et je déclare que j'ai la ferme conviction que si le projet de la section centrale passait ; il se produirait, d'ici à peu d'années, des protestations tellement vives qu'on sera obligé de revenir à l'ancien système pour rentrer dans la justice et dans une répartition équitable.
- L'amendement de M. De Fré est appuyé ; il fait partie de la discussion.
MiPµ. - L'honorable M. Wasseige pense que. le tirage par commune est préférable au tirage par canton. L'honorable M. De Fré a soutenu la même thèse, en l'accentuant par l'exagération des inconvénients que l'honorable M. Wasseige a découverts dans le tirage par canton.
On peut réduire à cinq les reproches que ces honorables membres font au projet de tirage par canton :
C'est créer l'inégalité entre les communes ;
C'est affaiblir le contrôle sur la délivrance, des certificats ;
C'est rendre illusoire l'appel des décisions des conseils de milice aux députations permanentes ;
C'est opérer le mélange des populations agricoles et industrielles ;
C'est rendre presque inutiles les précautions de la loi de 1817 pour permettre aux communes d'exonérer leurs habitants au moyen de volontaires.
Voilà les cinq reproches qu'on fait au tirage par canton.
Le premier, et c'est celui sur lequel on a le plus insisté, c'est qu'on va créer désormais une inégalité entre les communes. D'après l'honorable M. De Fré, il y aurait là une violation formelle de la Constitution, un privilège en matière d'impôt.
Mais, messieurs, le principe d'où l'on part est complètement imaginaire. Il ne s'agit pas dans la loi d'établir l'égalité de répartition entre les communes ; il s'agit d'établir l'égalité entre les citoyens, entre les familles, entre les inscrits. Voilà le but.
Il est extrêmement peu important qu'il y ait un milicien de plus ou de moins proportionnellement au nombre des inscrits des diverses communes. Mais il est extrêmement important que tous ceux qui se présentent devant l'urne y arrivent avec une parfaite égalité de chances.
Or, l'introduction du système du tirage par canton a précisément pour objet d'empêcher l'inégalité flagrante qui existe aujourd'hui, quant aux chances de ceux qui se présentent au tirage.
Il est possible qu'il arrive dorénavant quelquefois que, dans une commune, on ait un nombre de miliciens désignés par le sort plus considérable que celui qui serait la part de la commune elle-même. Mais tous ceux qui seront ainsi tombés auront tiré avec une parfaite égalité de chances et n'auront pas à se plaindre d'avoir vu le sort leur être contraire.
Dans le système actuel du tirage, les communes doivent fournir un nombre d'hommes proportionnel au nombre des inscrits, sans tenir compte des non-valeurs, ce qui rend les chances très différentes. Il y a des miliciens qui se présentent au tirage sans avoir aucune espèce de chances, qui sont désignés d'avance. Et, en effet, il y a un très grand nombre de petites communes où il ne faut qu'un conscrit sur trois ou quatre inscrits ; s'il n'y en a qu'un parmi ces inscrits qui n'ait pas de cause d'exemption, il est évident que le troisième va tirer uniquement pour la forme, et qu'il est certain de devoir partir.
Voilà l'inégalité ; et je demande s'il ne vaut pas mieux avoir l'inégalité par agglomération que par individus. Ce que la Constitution a voulu, c'est l'égalité des citoyens en matière d'impôts, et non pas l'égalité à l'être abstrait qui s'appelle la commune.
Si le système de l'honorable M. De Fré était vrai, il faudrait l'étendre non pas seulement aux communes ; il faudrait diviser les communes par quartiers et même par rues.
Il y a, en effet, telle rue de Bruxelles qui est plus peuplée que bien des villages. Or, je ne sache pas que l'on ait jamais songé à se plaindre de ce que la rue des Minimes ou la rue Haute ait fourni un nombre de miliciens supérieur à sa part, proportionnellement au nombre des inscrits.
Il n'y a dans le raisonnement de mes honorables contradicteurs qu'une véritable pétition de principe ; leur erreur provient de ce qu'ils prennent (page 948) pour point de départ, sans que rien les y autorise, l'être moral de la commune au lieu de prendre l'individu.
L'honorable M. De Fré me paraît avoir été plutôt bourgmestre que père de famille ; il a vu la commune comme l'unité de répartition nécessaire.
Il a supposé une commune comme celle d'Uccle se voyant affligée par un caprice du sort qui lui fait payer beaucoup plus qu'elle ne devrait dans le système du tirage communal. Il n'a regardé qu'une face des éventualités : sa commune peut, par l'effet du sort, payer aussi moins que sa part ; mais, dans tous les cas, ses habitants auront eu égalité de chance.
L'honorable M. Wasseige craint l'affaiblissement du contrôle en matière de délivrance de certificats.
Il est possible que le tirage par canton aura pour résultat de rendre moins âpres les luttes pour l'exemption d'un milicien. Mais il faut bien remarquer que s'il y aura un peu plus de facilité pour la délivrance des certificats, cette mesure aura pour effet de dégrever les classes inférieures de la société.
Quoi qu'il en soit, il reste un contrôle suffisant pour qu'on n'ait pas à craindre d'abus ; et, d'un autre côté, la mesure parera à des abus très réels qui existent aujourd'hui.
En effet, lorsque le tirage sera fait, lorsqu'on saura quel est celui qui doit partir à la place de l'exempté discuté, celui qui devra remplacer celui-ci saura bien s'entourer de tous les renseignements, aller les recueillir au lieu où demeure celui dont il devrait prendre la place, et les transmettre à la députation permanente qui doit statuer en dernier ressort.
Il y aura d'autres garanties d'impartialité, que dans la délivrance des certificats par les administrations communales. Et, en effet, les conseils sont composés des bourgmestres de toutes les communes ; chacun remplira peut-être pour ses hommes le rôle d'avocat ; mais à côté de celui qui jugera l'exemption ou l'opposition de son administré, il y aura d'autres bourgmestres complètement impartiaux, n'ayant aucune raison de décider en faveur des parties litigantes.
Il y aura donc des garanties. Avez-vous aujourd'hui des garanties dans les petites communes ? (Interruption.)
L'honorable M. De Fré, qui m'interrompt, doit avoir constaté qu'il y a des difficultés ; et s'il n'en a pas constaté, c'est qu'il est à la tête d'une grande commune.
Mais il n'en est pas de même des petites communes, où tout le monde se connaît, où les bourgmestre et échevins sont en rapport quotidien avec les personnes qui sont en litige, et nécessairement plus en rapport avec l'une qu'avec l'autre ; il est presque impossible que ces relations de chaque jour conduisent à une impartiale appréciation ; je crois, messieurs, qu'en parlant de la délivrance de ces certificats dans les petites communes, devoir qui est presque une fonction judiciaire, on peut appliquer cet adage : Petite justice, mauvaise justice.
Vous craignez que l'appel à la députation permanente ne devienne illusoire.
J'ai dit tout à l'heure qu'on n'aurait plus sans doute ces luttes si vives aujourd'hui entre personnes qui se connaissent ; mais lorsque le tirage aura eu lieu, quand on saura quel est le milicien qui doit partir à la place d'un autre qu'il s'agira d'exempter, croit-on que celui qui est exposé à marcher négligera d'aller en appel ? Son intérêt ne sera-t-il pas, à cet égard, exactement le même qu'aujourd'hui ?
Ne réclamera-t-il pas contre l'exemption qui le forcerait, lui, de partir ? Je ne vois rien qui fasse penser que l'appel devant la députation devienne illusoire.
Mais, dit l'honorable M. De Fré, vous opérez un mélange de populations entre les communes industrielles et les communes agricoles, mélange injuste, parce que, dans les communes industrielles, il y a beaucoup plus de réformés que dans les communes agricoles ; les communes agricoles vont donc être victimes de ce mélange de populations. Elles vont avoir à fournir plus d'hommes qu'elles n'en fournissent aujourd'hui.
Je dirai d'abord que je ne crois guère à ce mélange de populations, parce que les communes industrielles, pour la plupart, sont très considérables et fourniront à elles seules des cantons de milice. Mais ces mélanges eussent-ils lieu, je ne regretterais qu'une chose, c'est qu'ils ne fussent pas complets et absolus.
Les objections viennent toujours de cette fausse idée qui fait préférer l'abstraction de la commune a la réalité des individus. Il y a, je suppose, dans une commune agricole, grâce à la bonne constitution des individus et au petit nombre de réformés, une chance sur quatre de partir. Dans la commune voisine, qui est une commune industrielle, je suppose, contrairement à la vérité (car on exagère beaucoup a cet égard), une chance sur deux, par suite d’un grand nombre d'exemptions.
Mais quelle sera la position des miliciens valides, bien conformés, qui se présenteront au tirage au sort ? C'est que la chance de partir, dans la commune agricole, est, pour les hommes bien conformés, moitié de ce qu'elle sera dans la commune industrielle. Croyez-vous que ce soit là l'idéal qu'il faille poursuivre ? Quant à moi, je trouve le contraire. Je trouve très regrettable qu'un homme valide d'une commune industrielle ait plus des chances de partir, parce qu'il a à côté de lui plus de gens mal conformés. Je trouve qu'il n'y a aucune raison pour donner ce surcroît de charge aux habitants de la commune industrielle sur les habitants de l'autre commune, et je trouve que si, en mélangeant les miliciens des deux communes, vous arrivez à ce résultat que les uns n'aient plus 1 chance sur 4 et les autres 1 chance sur 2 de partir, mais que tous aient 1 chance sur 3, vous aurez dans la législation un très grand progrès. Vous aurez rétabli ainsi l'égalité non entre les communes, si vous le voulez, mais entre les individus.
J'ajouterai cette considération : la difficulté de répartition est aujourd'hui très grandes ; il en résulte de très grandes injustices ; mais cette répartition du contingent devient pour ainsi dire impossible avec le système de la réserve. Je vais vous citer un fait.
Avec le système du tirage au sort par commune, il y a des communes qui fourniront un homme à la réserve tous les vingt-deux ans. Voyez-vous ce malheureux qui arrive alors pour payer la dette de tous ceux qui ont atteint l'âge de 10 ans pendant les vingt et une années qui précèdent ?
J'aborde la dernière raison qu'a donnée l'honorable M. De Fré ; je crois avoir rencontre toutes celles de M. Wasseige. C'est la raison tirée de ce que les communes ne pourront plus faire ce que la loi de 1817 permettait de faire ; elles ne pourront plus fournir des volontaires pour remplacer les miliciens.
Je dis d'abord qu'il ne faut pas s'effrayer beaucoup de la suppression de cette faculté. Savez-vous ce que produit aujourd'hui le système de la loi de 1817 dans l'armée ? Un seul individu a été fourni de cette manière ! On pourrait le considérer évidemment comme une curiosité. Eh bien, je ne crois pas que nous devions beaucoup nous préoccuper de la nécessité de conserver ainsi un homme comme spécimen dans l'armée.
En supposant que ce système produise dans l'avenir ce qu'il n'a jamais produit dans le passé, il n'y aurait nul inconvénient à ce que les communes, même avec le système du tirage par canton, recherchent ce résultat poursuivi.
Seulement, au lieu d'avoir des inscrits comme volontaires avant le tirage au sort, elles fourniront les hommes par voie de remplacement après le tirage. Les communes qui voudront recourir à ce moyen n'auront qu'à traiter avec un certain nombre d'hommes qui viendront remplacer ceux qui devraient marcher.
Mais, je le répète, c'est là une considération qui ne doit pas nous préoccuper dans ce débat. Les résultats du passé nous sont un sûr garant que nous n'avons pas besoin de nous en occuper pour l'avenir.
M. le président. - La parole est à M. Janssens.
M. Janssensµ. - J'ai à présenter des arguments de la nature de ceux que vous avez déjà entendus. Je crois que, pour la clarté du débat, il serait bon d'entendre d'abord l'honorable rapporteur.
M. Coomans. - Messieurs, j'aime à voir les partisans de la loterie militaire se diviser et démontrer les uns aux autres que ce système est plein d'injustices, de quelque manière qu'on l'applique.
J'ai écoute très attentivement les trois honorables préopinants et, sous certaines réserves que j'indiquerai tout à l'heure, je trouve qu'ils ont parfaitement raison les uns contre les autres.
En effet, messieurs, les honorables MM. Wasseige et De Fré. ont très bien raisonné, et ont parfaitement démontré qu'il y a de criantes injustices dans le système de la section centrale.
D'un autre côté, l'honorable ministre de l'intérieur, avec son habileté ordinaire, a indiqué la plupart des inconvénients du système primitif du gouvernement, système qu'il trouvait bon autrefois et qu'il trouve détestable aujourd'hui. Soit, il a encore raison sur ce point. (Interruption.)
M. le ministre a raison lorsqu'il déclare qu'il importe plutôt d'établir une certaine justice distributive entre les citoyens que de l'établir entre les communes.
En effet, la commune est un être abstrait ; c'est pour les individus qu'il faut être juste ; la justice n'est pas communale, l'équité n'est pas provinciale, elle est universelle. Il est évident qu'il m'importe fort peu, à moi, que trois individus d'une commune soient frappés par le sort, tandis que trois individus d'une autre commune sont épargnés ; non seulement je préfère (page 949) la loterie cantonale à la loterie communale, mais, pour être moins injuste, je voudrais faire une loterie nationale.
J'avoue qu'alors les injustices que l'on signale seraient amoindries, car, je le répète, la justice est plutôt faite pour les individus que pour la famille, plutôt pour les familles que pour la commune, plutôt pour les communes que pour la province.
En vain l'honorable M. De Fré nous montre-l-il l'iniquité qui résulterait des arrêts prononcés au hasard par la loterie militaire, notamment dans le cas où une commune verrait partir à peu près tous ses miliciens aptes au service, tandis qu'une autre commune les verrait échapper tous. Messieurs, si cet argument est vrai, il l'est beaucoup plus que ne se l'imagine l'honorable membre, et il aurait à rétracter son vote, en faveur de la loterie militaire, a se prononcer contre la conscription ; car le seul reproche qu'on lui adresse, c'est d'être aveugle et de répartir l'impôt au hasard.
N'arrive-t-il pas que la loterie frappe au hasard ; qu'elle ne frappe que les pauvres et qu'elle favorise les riches ?
Donc si l'argument de l'honorable membre est vrai, il doit l'étendre et faire amende honorable de son vote.
Pourtant, je reconnais avec les honorables MM. Wasseige et De Fré qu'il y aurait une certaine injustice, toujours relative, à mêler les populations rurales aux populations urbaines.
Dans ce cas, vous établissez et aggravez des charges locales ou vous créez les privilèges du hasard. Il pourrait arriver que les miliciens ruraux fussent iniquement frappés au profit de miliciens urbains.
Si vous mêlez une commune industrielle qui voit aujourd'hui absorber tout son personnel disponible à une commune rurale qui jouit de l'avantage de conserver un certain nombre de jeunes gens, vous aurez créé un amalgame qui sera tout à fait défavorable à la population rurale.
D'autre part, il me semble que l’établissement de ces amalgames, ces fusions de population, en d'autres termes, cette extension du chiffre soumis à la loterie, peut favoriser les fraudes.
Je reconnais encore avec l'honorable ministre de l'intérieur que l'état actuel des choses est détestable, et que des fraudes criminelles se commettent devant la toute « petite justice » qui fonctionne aujourd'hui en matière de certificats. Je tiens note de l'aveu de l'honorable ministre, aveu très hostile aux chefs des conseils communaux, pour lui demander, quand nous arriverons au chapitre des exemptions, s'il ne craint pas que les bourgmestres ne continuent à abuser du droit de délivrer des certificats de complaisance.
De quelque manière que l'on entame ce sujet, on est épouvanté des inconvénients qui se présentent. Je le suis au point que je ne sais vraiment trop vers quel côté pencher. Il y a des avantages et des inconvénients dans les deux systèmes.
Aussi n'ai-je pris la parole que pour ajouter un argument de plus à ceux que j'espère vous avoir soumis contre la loterie militaire.
Un point sur lequel je suis complètement d'accord avec les honorables MM. Wasseige et De Fré, c'est qu'il importe de faire décompter les volontaires pour le contingent. S'il en était autrement, vous commettriez une grave inconséquence en ne donnant pas cet encouragement à la formation d'une troupe de volontaires.
Il faut que le canton ou la commune ait un certain intérêt à envoyer des volontaires à l'armée.
Si vous ne décomptiez pas les volontaires pour le tirage au sort, vous auriez été à l’encontre du but que l'on veut atteindre ou que l'on dit vouloir atteindre, car, quant à moi, on ne me fera pas facilement croire que le désir du gouvernement est de voir augmenter le nombre des volontaires. Je crois que c'est le contraire qui est vrai, et je pourrais dire pourquoi, mais je crains d'allonger cette discussion.
Ainsi, messieurs, j'insisterai sur le maintien du régime actuel ou tout au moins du régime de la loi de 1817 en ce qui concerne les volontaires.
(page 953 M. Muller, rapporteurµ. - Si des griefs des plus graves n'avaient pas été soulevés contre le système de répartition exclusive par commune, évidement la section centrale n'aurait pas attaché à cette question une importance capitale, ni proposé un nouveau régime.
On a parlé des inconvénients qui résulteraient d'une association de tirage à laquelle participeraient des inscrits de plusieurs communes, confondus sous le rapport des chances du sort ; l'argument principal, c'est qu'un hasard, improbable et tout a fait exceptionnel, selon nous, pourrait assigner de mauvais numéros à tous les jeunes gens d'une même localité, et que, ce hasard se répétant, les hommes valides y manqueraient. Mais, à ces inconvénients purement hypothétiques, nous avons à opposer un fait positif ; c'est que, sous le système du tirage exclusivement communal, il n'est pas rare, dans les petites localités, de voir tous les inscrits valides condamnés au service, en dépit des hauts numéros qu'ils ont tirés.
Permettez-moi, messieurs, de rappeler d'autres abus, d'autres injustices qu'a mis en évidence la pratique de la législation actuelle, et de vous citer, d'abord, quelques chiffres qui se trouvent dans le rapport de la section centrale, et dont les conclusions seront applicables à toute levée de milice qu'on voudra choisir, parce que le tirage par petites communes doit inévitablement amener des résultats analogues.
« Dans la province de Liège, en 1862, 14 communes n'ont qu'un inscrit : Yernée est la seule qui ait à fournir un homme, les 13 autres sont affranchies. 23 communes ont 2 inscrits : 9 fournissent chacune un homme, les 14 autres sont exemptes. 20 communes ont 3 inscrits : 12 fournissent chacune un homme, on ne demande rien aux 8 autres. 28 communes ont 4 inscrits : 26 fournissent un homme ; deux, celles de Bierset et de Remicourt, sont sans contingent.
« Voila donc, dans une seule province, 85 communes pour lesquelles la proportionnalité du contingent est illusoire. L'une qui n'a qu'un inscrit, doit fournir un homme ; 57, au contraire, comprenant ensemble 73 inscrits, sont exemptes de tout contingent ; les autres flottent entre les deux extrêmes.
« Ces inégalités ne se bornent pas à la catégorie des petites communes : nous voyons, par exemple, Gôé, Fallais et Pousset, qui chacune ont 8 inscrits, ne fournir qu'un homme, tandis que Neuville-en-Condroz, avec 5 inscrits en fournit 2, et Strée avec 9 inscrits, en livre 3. »
Eh bien, messieurs, quelle est la conséquence injuste de ce système ? C'est que ce sont les levées postérieures comprenant des jeunes gens non encore parvenus à l'âge de la milice, qui sont lésées ou avantagées, par suite des fractions défavorables ou favorables résultant des tirages précédents, tandis qu'il serait de toute justice que les inscrits de chaque levée eussent des chances de sort indépendantes des résultats antérieurs.
Dans notre conviction, c'est là un reproche très grave et très fondé que l'on doit faire à la répartition exclusivement communale ; mais il en est encore d'autres qu'elle encourt à juste titre. Il y a, dans la nécessité où l'on se trouve de compléter chaque année le contingent, l'appel forcé dans les petites communes, des inscrits des 2ème, 3ème et 4ème classes, que le sort avait favorisés, et qu'on enlève à leurs familles, qui devaient les croire libérés de toute dette militaire. L'armée les prend pour pourvoir au déficit de la classe courante ; le rapport de la section centrale donne à cet égard des chiffres officiels.
Est-ce là un état de choses que l'on puisse équitablement maintenir ? Evidemment non, et notre système le fait disparaître.
Un mot maintenant des fraudes qui se commettent en matière d'inscription à la milice, et que, par sa nature même, le tirage circonscrit dans chaque commune tend à favoriser, là où l'on peut d'avance supputer les chances du sort. Les commissaires d'arrondissement et les gouverneurs sont saisis assez fréquemment de plaintes à cet égard. On sait positivement dans telle petite commune qu'il n'y aura presque pas de bons numéros à tirer, attendu que le nombre des inscrits n'est que d'autant, et que tels et tels ont des motifs d'exemption à faire valoir, et l'on émigre, en remplissant les formalités voulues, vers une localité sur laquelle on a obtenu de bons renseignements.
Dans le système de notre répartition cantonale, qu'il ne faut pas confondre avec la circonscription des justices de paix, ni même avec le tirage des cantons de milice actuels, il n'y aura plus de motifs de fraude en matière d'inscription, parce que chaque association de tirage renfermera un nombre d'inscrits assez considérable pour déjouer toute espèce de spéculation sur les bons et les mauvais numéros.
En ce qui concerne les certificats de pourvoyance, il semblerait vraiment, d'après l'honorable M. Wasseige, que le régime actuel soit bon alors que, dans la discussion de la loi du 8 mai 1817, il y a eu un tollé général contre les abus qui en découlaient, surtout dans les petites communes, et cela s'explique : il n'est pas toujours facile que dans ces dernières les certificateurs et les administrations communales échappant à des préoccupations qui sont parfaitement étrangères à la position même de l'individu qui réclame le certificat.
Il y a eu, à cet égard, des plaintes on ne peut plus nombreuses ; les abus ont été, en partie, corrigés par une loi qui permet aux députations, après enquête administrative, d'accorder l'exemption en cas de refus, reconnu illégitime, de certificats ; mais, malgré ce correctif, le système des certificats de pourvoyants, tel qu'il existe aujourd'hui, offre, à coup sûr, des inconvénients plus graves et échappe moins à des reproches fondés que celui que propose la section centrale, et qu'elle n'a pas la prétention de considérer comme n'étant pas susceptible d'amélioration, à la suite de l'examen qu'en fera la Chambre,
On a parlé de réclamations qui se seraient élevées en France contre le tirage par cantons, concordant avec ceux des justices de paix, ce que nous ne proposons pas ; et on a lu, à ce propos, une lettre adressée à notre collègue M. de Moor par un ancien honorable sénateur. Il est impossible de discuter des faits énoncés dans une simple correspondance et dont on ne connaît pas les détails précis.
Je dois cependant constater que, dans toute la discussion qui a eu lieu récemment en France a propos de la révision des lois de milice, on a critiqué assez vivement plusieurs dispositions, tandis que le système de tirage cantonal a échappé à toute espèce de reproche. Et puisqu'on parle de lettres, je puis dire avoir eu sous les yeux des renseignements émanés da hauts fonctionnaires et d'un sous-préfet appartenant à l'un des départements limitrophes de la Belgique, déclarant qu'aucun grief sérieux n'était soulevé à cet égard par les populations, et que ceux qui s'étaient fait jour se rapportaient à des dispositions législatives d'un ordre tout différent.
L'honorable M. De Fré a parlé de l'article 112 de la Constitution dont nous aurions été, à coup sûr, bien malgré nous, les violateurs. Mais, messieurs, cet article 112 parle de l'égalité des impôts entre les citoyens et nullement d'égalité d'impôts par commune.
La charge de la milice incombe aux citoyens, aux familles ; elle est tout à fait indépendante des circonscriptions administratives ou politiques que vous pourriez établir, et, sous ce rapport, l'égalité des chances doit recherchée autant que possible entre les familles, et non pas entre les communes, ce qui ne donnerait qu'une satisfaction illusoire.
Quant à la possibilité des appels que l'honorable M. Wasseige considère comme étant amoindrie dans le tirage par cantons, il m'est impossible de partager ses craintes à cet égard ; il résulte du contexte des autres articles de notre projet, que les exemptions, pour chaque circonscription cantonale, devront être publiées dans chacune des communes qui la composent ; elles seront, par conséquent, portées à la connaissance de tous, et les déplacements dans le but de se renseigner, s'il en est besoin, ne seront guère considérables, puisque les communes associées seront voisines.
D'autre part, il ne faut pas admettre que tous les inscrits que le sort aura désigné appartiendront à la même commune et qu'il n'existera pas, en général, un intérêt direct de surveillance de la part d'inscrits appartenant aux différentes communes. Ils exerceront leur droit d'appel dans toute leur liberté et avec facilité.
Un autre point dont l'honorable ministre de l'intérieur a déjà dit quelques mots, ne doit pas être perdu de vue. Il serait de toute impossibilité, au point de vue de la justice, de faire fonctionner la nouvelle loi militaire qui a été votée, c'est-à-dire un contingent actif d'une part, et un contingent de réserve, avec le tirage exclusivement communal. Si vous mainteniez ce système, vous auriez, vous législateurs, déclare implicitement, il y a un an, que 1,000 ou 1,500 petites commune ne fourniraient des miliciens à la réserve qu'à telle époque plus ou moins éloignée, et que pendant un certain nombre des premières années, la nouvelle charge pèserait exclusivement sur les familles des localités populeuses.
Si vous en voulez la preuve, je la puiserai dans la répartition du contingent de la réserve de la levée de 1869, et mon exemple sera pris dans la province de l'honorable M. Wasseige, en citant les chiffres officiels. Il y a le canton d'Eghezée qui compte 219 inscrits ; il se compose de 27 communes ; 4 des communes, comprenant ensemble 63 inscrits, ont fourni chacune un homme à la réserve ; les 23 autres communes, comptant 136 inscrits, (page 954) n'ont pas eu un seul milicien à livrer à cette réserve : elles n'en auront probablement pas davantage l'année prochaine, et ainsi de suite, jusqu'à ce qu'une période plus ou moins longue soit révolue ; et selon les années de tirage auxquelles les individus appartiendront.
Ne serait-ce pas là, je le répète, un privilège exorbitant, ne dérivant pas du sort, mais préparé et consacré par la loi même ? En un mot, elle aurait dit (ce que tous vous repoussez) que le contingent de la réserve, pendant un certain nombre d'années, serait exclusivement supporté par les inscrits des communes populeuses. C'est ici que l'article 112 de la Constitution pourrait être invoqué !
(page 949) HI. Wasseige. — Je serai extrêmement bref. Je répondrai très succinctement aux observations qui ont été fournies.
Je ne doute pas que la section centrale et son savant et expérimenté rapporteur n'aient agi très consciencieusement et dans une opinion bien réfléchie, lorsqu'ils ont préféré la répartition cantonale à la répartition communale.
Je suis bien plus étonné, je l'avoue, de l'attitude du gouvernement et je m'explique assez peu que lorsque, dans l'exposé des motifs, il dit que cette proposition doit être rangée parmi celles qui se présentent à l'esprit sous l'apparence d'un progrès, mais qu'un examen réfléchi doit faire condamner, il ait changé si subitement et si catégoriquement d'opinion.
MiPµ. - En quelle année ?
M. Wasseige. - Je ne parle pas du ministre, je parle du gouvernement. J'ai fait la distinction.
M. Coomans. - Vous êtes solidaires.
M. Wasseige. - On dit que vous êtes solidaires, dans la bonne acception du mot. (Interruption.)
Le grand argument de M. le ministre de l'intérieur, c'est qu'il faut considérer les inscrits et non les communes. Eh bien, qui prouve trop ne prouve rien. Si l'objection était réelle, s'il ne fallait voir que les inscrits, ce ne serait pas une circonscription cantonale, ou même une circonscription provinciale qu'il faudrait admettre, ce serait un tirage au sort s’appliquant a tout le royaume. Alors seulement, si votre argument était fondé, vous seriez dans la vérité vraie.
Mais tel n'est pas mon avis : Je dis que les habitants de chaque commune trouvent une garantie dans le système actuel, tandis qu'avec le système cantonal les habitants d'une seule commune peuvent être frappés. Elles sont certaines aujourd'hui qu'une partie d'entre elles seulement, correspondant au nombre des inscrits, sera frappée.
Quand l'appel, on me dit toujours : Ceux qui devront marcher, si un certificat est donné trop facilement et si une exemption a été accordée illégalement, sauront bien ce qu'ils auront à faire !
Mais c'est répondre à la question par la question. Je dis qu'ils ne sauront pas aussi bien qu'aujourd'hui ce qu'ils auront à faire. Ils iront prendre des renseignements, dit l'honorable M. Pirmez ; mais où devront-ils aller prendre, leurs renseignements ? Précisément dans la commune hostile, là où ils ne trouveront personne pour leur donner les indications qui leur seront nécessaires.
Pour l'appel, dit-on, on en connaîtra facilement les motifs. Mais encore une fois, on ne leur fournira pas les motifs sur lesquels ils pourront fonder leur appel. Tandis que les appels se faisant aujourd'hui dans la commune, les miliciens connaissent parfaitement les raisons de l'appel, comme ils connaissent ceux qui sont appelés à décider.
L'honorable M. Muller nous a cité des chiffres s'appliquant à certaines communes de la province de Liège, et d'où il résulte que, pendant une année, un certain nombre de communes ne doivent pas fournir de miliciens. Mais il ne faut pas voir les résultats d'une seule année. Si ces communes n'ont pas fourni de miliciens une année, c'est qu'elles n'avaient pas de dette de ce chef. Il faut voir le résultat de plusieurs années et alors ces communes acquittent exactement leur dette.
Si vous prenez une année seulement, et si, cette année-là, la dette n'existe pas, pourquoi voulez-vous que la commune la paye ? Ce serait une injustice de la lui faire payer. Attendez un nombre d'années suffisant pour que la dette subsiste, et il y sera complètement satisfait.
M. Mullerµ. - Par d'autres.
M. Wasseige. - Par les habitants de la commune.
Quant au rappel sur les classes antérieures, c'est là une chose tout à fait exceptionnelle. C'est une de ces exceptions qui ne doivent pas primer la généralité des faits. D'ailleurs, on pourrait peut-être obvier à cet inconvénient en déclarant que, pour ce rappel, il y aura, pour y pourvoir, une association entre toutes les communes de la même province ; c'est même là une idée qui doit avoir été soumise au gouvernement par l'administration provinciale de Namur.
On a parlé de la fraude, on a dit que les miliciens connaîtront parfaitement quelle est la commune du canton où ils ont le plus de chances d'échapper et que cela engagera des individus à venir se domicilier dans cette commune ; mais, messieurs, de semblables changements de domicile pourraient parfaitement modifier l'état de choses en vue duquel ils auraient eu lieu et cela au détriment même de ceux qui en seraient les auteurs ; il y a, du reste, dans le projet même, un remède efficace contre cette fraude, c'est la disposition qui exige une année de résidence.
Quant aux certificats, ne dirait-on pas qu'ils n'offrent aucune garantie ? Mais s'il en est ainsi, pourquoi donc les confiez-vous encore aux administrations communales ? Sous le régime actuel, les certificats doivent être délivrés par le bourgmestre et deux membres du conseil communal ; mais par le projet vous les confiez au bourgmestre et aux échevins, c'est-à-dire à des agents du gouvernement ! C'est là une innovation malheureuse ! Tout le projet tend, du reste, à renforcer d'une manière exagérée l'action des fonctionnaires publics en matière de milice. Je crois que le système de la délivrance des certificats par les agents directs du gouvernement n'offrira pas les mêmes garanties contre la possibilité de manœuvres électorales que l’état actuel des choses. A cet égard, je signale le système du projet comme une innovation détestable.
Quant à la réserve, je reconnais, messieurs, qu'il y a là un inconvénient ; mais veuillez remarquer que le contingent actif est de 11,000 (page 950) hommes, tandis que le contingent de la réserve n'est que de 1,000 hommes ; or, faut-il sacrifier un système juste pour le contingent des 11,000 hommes de l'armée active, pour éviter l'inconvénient qui pourrait atteindre celui des 1,000 hommes de la réserve ? Non sans doute.
Je suis tellement convaincu des inconvénients du changement qu'on voudrait introduire, que je serais disposé à faire un tirage spécial pour la réserve, dans lequel j'agglomérerais un certain nombre de communes, et j'accepterais peut-être, pour ce tirage spécial, le système cantonal, parce que je me dirais que si ce système présente, un certain inconvénient, il n'atteindra du moins que la douzième partie du contingent.
M. Van Humbeeck. - Messieurs, mon intention n'est pas d'entrer dans le fond du débat ; une seule circonstance m'engage à prendre la parole : M. le ministre de l'intérieur et M. De Fré, l'un partisan, l'autre adversaire du tirage par canton, m'ont paru d'accord pour admettre que le tirage cantonal entraînera l'abolition de la faculté de fournir tout ou partie du contingent au moyen de volontaires de milice, qu'il faut distinguer soigneusement des volontaires engagés directement dans l'armée.
C'est une conséquence qu'il ne me paraît pas possible, d'admettre. Je crois que, quel que soit le vote qui aura lieu sur l'article 5, cette faculté pourra être conservée dans la loi.
Cette discussion, messieurs, ne peut venir utilement qu'a propos du chapitre XIV. Je ne veux pas l'entamer d'une manière prématurée, mais je n'ai pas voulu que la question pût être dès à présent considérée comme, définitivement résolue par suite d'explications échangées.
- Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix !
M. De Fréµ. - Messieurs, l'honorable ministre de l'intérieur n'a pas réfuté cette conséquence possible du système qui vous est soumis, c'est que tous les hommes d'une commune peuvent être désignés par la voie du sort pour fournir le contingent d u canton.
On me répond, pour justifier le nouveau système, que les bourgmestres délivraient des certificats sous l'influence de l'esprit de localité.
Mais changez la loi sur ce rapport et n'allez pas substituer à un mal un mal plus grand.
Je ne comprends pas réellement que l'honorable ministre de l'intérieur ne saisisse pas l'importance de l'observation.
Il est reconnu que la milice est un mal nécessaire ; que, dans la société transitoire où nous vivons, nous sommes obligés d'avoir des armées pour nous défendre et qu'il faut une armée permanente.
Voulez-vous faire accepter ce mal nécessaire, divisez-le le plus possible ; étendez-le partout, qu'il pèse un peu dans chaque commune ; mais qu'il ne pèse pas trop lourdement sur une seule ; qu'il ne l'écrase pas au profit des autres.
Le jour ou il arrivera que quatre communes dans le pays fourniront le contingent du canton tout entier, votre loi sera violemment attaquée. Votre répartition par canton est une arme que vous mettez aux mains des ennemis des armées permanentes. C est un avis d ami que je vous donne, le conseil d un partisan de la loi et qui vous montre, les conséquences fâcheuses qui peuvent la rendre impopulaire.
J’ai déjà répondu à cette distinction entre les communes et les familles ; comme si une commune ne se composait pas dc familles ! On aura beau raisonner sur cette prétendue abstraction de la commune, il est certain que si toutes les familles d'une commune se trouvaient privées, la même année, de leurs enfants en âge de servir, vous auriez appauvri cette commune et constitué à son détriment une situation privilégiée pour les autres.
C'est contre cette situation déplorable que j'ai voulu protester.
L'honorable ministre me parle de ma qualité de bourgmestre. Il n'y a pas dc bourgmestre ici ; mais enfin s'il l'était, et surtout bourgmestre de paysans il serait de mon avis.
Je voudrais bien savoir de lui si les gouverneurs ont été consultés sur ce point et quel avis ils ont exprimé.
M. Janssensµ. - Messieurs, le paragraphe 3 de l'article 5 du projet de la section centrale porte :
« Les jeunes gens astreints par leur âge à l'inscription de la milice, qui ont contracté un engagement volontaire avant l'opération du tirage au sort, sont comptés numériquement dans le contingent de leur canton, lorsque leur numéro les appelle au service.
Le rapport de la section centrale justifie cette disposition par des considérations d'équité très judicieuses, mais qui devraient, ce me semble, nous engager à aller beaucoup plus loin.
Pourquoi ne tenir compte au canton de milice que du nombre de volontaires enrôlés avant l’âge et dans le cas seulement où ils sont désignés par le sort pour le service ? Pourquoi ne pas déduire du contingent à fournir par tel groupe tout ce qui a déjà été donné volontairement par ce même groupe ?
Le principe de la loi est la répartition des charges militaires entre les différents cantons de milice dans la proportion du nombre de jeunes gens en âge de servir. II semble équitable d'appliquer ce principe en faisant, autant que possible, à chaque canton une position analogue à celle qui est faite au pays dans son ensemble.
Le pays doit, chaque année, fournir un certain nombre d'hommes ; on lui demande par la loterie le contingent qui n'a pas été fourni volontairement. Plus il y a d'engagements volontaires, moins il faudra recruter d'hommes. Si les engagements se faisaient en nombre suffisant, la conscription cesserait d'opérer.
Ce qui est vrai pour le pays, le deviendrait pour chaque canton si l'on déduisait du contingent à fournir par chaque canton le nombre de volontaires appartenant à cette même circonscription et qui auraient contracté un engagement dans le courant de l'année.
Cette manière de fixer le contingent me paraît équitable ; elle aurait l'avantage de favoriser les enrôlements volontaires. Le dégrèvement qui résulte de ceux-ci se ferait plus immédiatement sentir aux populations et aux administrations publiques.
L'honorable rapporteur de la section centrale me dit avec infiniment de raison que le canton qui fournit des volontaires ne doit pas être moins bien traité que tout autre. Cela est incontestable ; mais c'est bien au-dessous de la vérité.
Ne peut-on pas dire qu'il a droit d'être d'autant mieux traité dans lu répartition du service obligatoire qu'il a plus largement contribué au service volontaire ?
Tels sont les motifs, messieurs, qui m'ont engagé à vous proposer, avec mes honorables collègues, un amendement ainsi conçu :
« Il sera tenu compte, en déduction du contingent à fournir par chaque canton, du nombre de volontaires appartenant à la même circonscription et qui auront contracté un engagement depuis la répartition précédente. »
Veuillez remarquer que la loi néerlandaise du 19 août 1861 contient une disposition à peu près analogue. L'article 14 de cette loi est ainsi conçu :
« De vrijwilligers strekken in mindering van hel aandeel in de ligting te dragen door de gemeente voor welke zij optreden.”
Disposition dont voici à peu près la traduction :
« Les volontaires viennent en décompte de la quote-part à fournir dans la levée par la commune pour laquelle ils marchent. »
Ces considérations suffisent, je pense, pour démontrer la justice et l'utilité de l'amendement que j'ai eu l'honneur de vous proposer.
J’ai inséré le mot « canton » dans l’amendement. Ce n’est pas à dire que je préfère la circonscription cantonale à la circonscription communale, je suis au contraire partisan de cette dernière, mais c’est pour rester dans la rédaction du projet que nous discutons.
Ce mot devrait être changé si l Chambre prenait une autre décision sur le premier point.
- L’amendement de M. Janssens est appuyé ; il fait partie de la discussion.
MgRµ. - Sous l'empire de la loi dc 1817, les communes étaient autorisées à présenter des volontaires en remplacement des miliciens qu'elles devaient fournir.
C'est à cette faculté que s'applique le texte que vient de lire M. Janssens, c'est-à-dire que lorsque les communes fournissent un certain nombre de volontaires, elles sont dispensées de fournir le même nombre de miliciens.
Mais il y a une différence très grande entre ces volontaires communaux et les engagés volontaires qui composent, en grande partie, les cadres inférieurs de notre armée.
M. le ministre de l’intérieur vous a dit tout à l’heure qu’il n’y avait qu'une seule commune qui eût trouvé un volontaire en déduction de son contingent de milice.
Si l'on appliquait, comme le demande l'honorable M. Janssens, le principe de la loi néerlandaise aux volontaires actuels de l'armée, il en résulterait une diminution de près de 6,000 hommes sur la totalité des contingents de milice. Nous serions loin d'atteindre l'effectif de 100,000 hommes que nous avons voulu obtenir en élevant à 12,000 hommes le contingent annuel de milice.
On voit donc que, en réalité, le système de l'honorable membre conduirait a une notable diminution de l'effectif admis en principe l'année dernière.
Le projet de loi soumis à vos délibérations autorise à s’engager avant (page 951) 19 ans, mais il ne prescrit pas que tous les jeunes gens ainsi engagés feront diminuer le chiffre du contingent assigné à leur commune.
Les jeunes volontaires participent au tirage avec les miliciens de leur classe. Ceux qui ont un bon numéro continuent de servir et restent, par conséquent, un bénéfice pour l'année. Ceux qui ont un mauvais numéro viennent en déduction du contingent de leur commune et n'ont des lors aucune influence sur l'effectif général.
On se figure que nous avons beaucoup de volontaires qui s'engagent au-dessus de l'âge de la milice ; c'est une erreur, sur les 7,153 volontaires que nous avons, 5,364 se sont engagés avant 19 ans ; ce sont, en général, des jeunes gens qui désirent obtenir un grade dans l'armée.
En supposant que ces chiffres représentent une situation normale et en admettant, avec la section centrale, qu'un tiers des jeunes volontaires tirent un mauvais numéro, on voit que l'effectif général de l'armée subira une diminution d'environ 1,800 hommes, puisqu'ils exempteront un nombre égal de miliciens.
Je n'ai consenti a cette diminution que parce qu'il m'a paru que le principe sur lequel elle est basée est d'une rigoureuse équité. Je ne pourrais aller plus loin sans grave inconvénient, car, je le répète, l'adoption de la proposition de M. Janssens porterait le déficit à 6,000 hommes.
M. Janssensµ. Mon intention n'est aucunement de réduire le contingent de l'armée, et il serait facile d'empêcher que mon amendement eût cette conséquence.
Voici par quelle opération on éviterait l'inconvénient que vous redoutez.
Vous devriez ajouter au chiffre du contingent fixé par la loi annuelle, celui des volontaires enrôlés depuis la répartition précédente.
La somme de ces deux chiffres devrait être répartie entre différentes circonscriptions d'après la manière indiquée par les deux premiers paragraphes de l'article 5 et alors vous pourriez à chaque commune déduire le nombre de volontaires qu'elle aurait fournis, sans affecter la totalité du contingent. Le nombre des volontaires aurait été ainsi ajouté en total au contingent général et déduit en détail aux contingents cantonaux.
M. le ministre nous dit que le nombre de volontaires qui s'engagent aujourd'hui au-dessus de l'âge d'inscription pour la milice est très considérable.
J'espère qu'il n'en sera pas toujours ainsi et que l'amélioration du sort du soldat, que nous parviendrons à obtenir, engagera un plus grand nombre de jeunes gens à embrasser la carrière militaire, et je désire qu'il en résulte pour nos populations une diminution des charges que leur impose la loterie.
M. Coomans. - Si j'ai bien compris M. le ministre de la guerre, il vient de commettre une erreur. Je crois que, d'après la législation hollandaise, qui fonctionne encore aujourd'hui, les volontaires sont décomptés en faveur de la commune à laquelle ils appartiennent, que ces volontaires aient été fournis par leur commune ou que ce soient des volontaires dans le sens absolu du mot. (Non ! non !)
Le volontaire qui a agi de sa propre volonté, et qui n'a pas été particulièrement fourni par la commune, est décompté du contingent de cette commune.
M. Van Humbeeck et M. Mullerµ. - C'est une erreur.
M. Coomans. - Ne confondons pas, je parle de la législation en vigueur aujourd'hui. (Oui ! oui !) Eh bien, je crois ne pas me tromper en disant que les volontaires sont décomptés du contingent de la commune. Voici, au surplus, le texte de l'article 14 de la loi du 19 août 1861, que j'emprunte à l'honorable M. Janssens et qui est conforme à mes souvenirs :
« De vrijwilligers strekken in mindering van het aandeel in de ligting te dragen door de gemeente, voor welke zij optreden. » (Interruption.)
Je reconnais que les derniers mots sont amphibologiques ; mais on m'a assuré que tous les volontaires sont, la première fois, décomptés du contingent. (Non ! Non ! C'est une erreur.) Eh bien, je regrette que ce soit une erreur. Je voudrais que mon interprétation fût consacrée par la législation ; car il ne serait que simplement juste que le jeune homme qui s'est engagé avant le tirage au sort fût compté dam le contingent. Je pensais qu'il en était ainsi en Hollande où, du reste, l'on a eu soin de maintenir la circonscription communale.
M. Teschµ. - L'article 5 parle de la répartition par canton de milice. Je désirerais savoir si les cantons actuels seront maintenus ou s'il en sera créé de nouveaux, et si, ceux-ci étant établis, ils pourront être modifiés par le gouvernement ?
MiPµ. - Le projet de loi laisse au gouvernement le soin de réorganiser les cantons de milice ; il n'y a rien de déterminé a cet égard.
Je voudrais appeler l'attention de la Chambre sur le changement important que l'article que nous discutons apporte à la législation actuelle. Aujourd'hui les volontaires comptent pour le contingent du la commune, c'est-à-dire que lors de la formation du contingent d'une commune, on ne tient pas compte de cette circonstance que des jeunes gens de cette commune se sont engagés ; mais lorsqu'ils tirent au sort, on tire de l’oubli la circonstance qu'ils sont à l'armée, et on en fait partir d'autres à leur place.
Ils ne sont pas volontaires quand il s'agit du contingent, ils le sont quand il s'agit de fournir les hommes. C'est évidemment inique.
D'après le projet, les volontaires ne feront subir aucun préjudice et ne procureront aucun avantage aux miliciens ; la situation restera exactement la même, qu'il y ait des volontaires ou qu'il n'y en ait pas ; par ce système, l'armée ne perdra donc pas les hommes qu'elle ne doit pas perdre, et les miliciens ne verront leurs chances ni augmenter ni diminuer.
M. Kervyn de Lettenhove. - Messieurs, nous nous trouvons en présence de deux principes ; d'une part, toutes les communes doivent contribuer à l'armement national ; d'autre part, on doit chercher à ne pas enlever un trop grand nombre de bras au travail industriel et au travail agricole.
La section centrale est déjà entrée dans cet ordre d'idées ; il me semble que l'amendement de l'honorable M. Janssens est un pas de plus dans cette voie rationnelle.
- La discussion est close sur l'article 5 et les amendements qui s'y rapportent.
M. le président. - Nous avons deux amendements ; il y a d'abord celui de M. De Fré, qui n'est en réalité qu'une modification au premier paragraphe de l'article 5 du projet de la section centrale, en ce sens que la sous-répartition par commune serait substituée à la sous-répartition cantonale.
Le second amendement qui a été présenté, par M. Janssens et collègues, se rattache au paragraphe 3 de l'article.
Je mets aux voix l'amendement de M. De Fré.
M. De Fréµ. - Il y a des collègues qui m'ont prié de demander à la Chambre qu'elle voulût bien ne voter sur cet amendement que mardi prochain. (Non ! Non !)
- L'amendement de M. De Fré est mis aux voix et n'est pas adopté.
Le premier paragraphe de l'article 5 du projet de la section centrale est mis aux voix et adopté.
La Chambre adopte ensuite le deuxième paragraphe du même article.
M. le président. - Au paragraphe 3 se rattache l'amendement de MM. Janssens et autres membres.
Je mets cet amendement aux voix.
- L'amendement n'est pas adopté.
Le paragraphe 3, rédigé comme le propose la section centrale, est adopté.
Les deux derniers paragraphes de l'article sont adoptes.
- La séance est levée à trois heures et demie.