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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 12 mai 1869

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1868-1869)

(Présidence de M. Dolezµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 860) M. Reynaert, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

Il donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Vrints, secrétaireµ, présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Des habitants de Focant prient la Chambre d'autoriser, la concession d'un chemin de fer de Givet à Jemelle-Rochefort, demandée par les sieurs Brassine et Nicaise. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Bruxelles demandent la croix de l'ordre de Léopold pour le sieur Cammerman, bourgmestre de Doel. »

- Même renvoi.


« M. le ministre de la justice transmet à la Chambre, avec les pièces de l'instruction, la demande de naturalisation du sieur Plein. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.

Projet de loi sur la milice

Discussion générale

(page 861) M. le président. - La discussion générale continue.

La parole est continuée à M. Coomans.

M. Coomans. - Messieurs, je crois avoir démontré, hier, que la conscription fut toujours impopulaire dans notre pays, qu'elle répugne à nos lois, à nos mœurs, à nos besoins et qu'elle serait bien vite abolie, si la grande majorité des Belges, privée aujourd'hui du premier et du plus efficace des droits politiques, avait un mot à dire dans les élections.

Cette dernière affirmation s'appuie sur des preuves officielles. En 1857 et en 1858, 73,000 citoyens belges, dont 2,500 bourgmestres et échevins, nous ont adressé 1,800 pétitions contre la servitude militaire. Depuis lors, des centaines de pétitions, conçues dans un sens analogue, nous sont encore parvenues, et je regrette que la section centrale n'ait pas daigné en faire l'analyse. Elle ne nous en donne ni la teneur ni le chiffre des signataires ; elle les regarde comme non avenues ; elle se borne à les empiler sur le bureau. Je remarque même qu'elles n'y sont pas, contrairement aux conclusions du rapport. Voilà le cas que l'on fait d'un des principaux droits civiques et politiques. (Interruption.)

Non, il n'y a pas de pétitions sur le bureau ; cependant j'affirme qu'il y en a eu des centaines. Messieurs, ce sont les vraies manifestations de la volonté nationale. Tenons-en sérieusement compte.

J'ai prouvé aussi que la conscription est et demeure non pas une charge personnelle, mais une charge financière, à cause de la faculté du remplacement dont le tiers des familles belges à peine peut profiter.

Ce n'est pas l'ordre de marche qui est mis en loterie ; c'est une grosse somme d'argent, la même pour toutes les familles ; c'est-à-dire qu'on viole, au détriment des classes laborieuses, le principe fondamental de la proportionnalité de l'impôt.

Pour que le remplacement ne soit pas un odieux privilège, inconciliable avec l'égalité des Belges devant la loi, il doit être accessible à tous, dans des conditions égales pour tous.

J'ai montré le citoyen pauvre, non seulement forcé de servir, de se ruiner, lui et sa famille, mais privé de toute indemnité.

J'ai signalé l'inconséquence que vous commettez en supprimant la contrainte par corps pour les dettes volontaires, alors que vous la maintenez pour les dettes involontaires, créées par votre loterie militaire, ou durant le service.

Voici une autre inconséquence, non moins grossière, que vous commettez, et c'est par là que je continue mon discours.

Vous vous récriez contre les loteries d'argent, que je ne trouve pas injustes, car elles sont volontaires ; on peut faire bien des objections contre les loteries d'argent, mais on ne peut pas les trouver injustes parce qu'elles sont toujours volontaires. J'aurai l'occasion bientôt de dire, de prouver que les loteries d'argent bien appliquées, en face de la loterie militaire, pourraient venir au secours des amis de l'humanité et de la justice et même au secours du gouvernement.

Par une loterie d'argent organisée en face de la loterie militaire, vous pourriez vous procurer bien des millions. Cela est démontré par une longue expérience à l'étranger. Vous savez que la loterie de Spa, espèce de loterie, jeu de hasard, vous rapporte un demi-million par an.

Vous savez ce que valent aux villes les loteries, les emprunts sous forme de loterie, qu'elles contractent ; vous savez aussi combien la loterie est souvent bienfaisante et vous l'autorisez vous-mêmes et vous avez raison, dans une foule de circonstances, alors qu'un intérêt d'humanité est en jeu ; mais vous avez tort de vous récrier tant contre les loteries d'argent. Si je vous proposais d'établir une loterie d'Etat, vous me déclareriez rétrograde, ennemi du peuple, que sais-je ?

Les loteries d'argent, elles sont abominables quand vous n'en profitez pas vous-mêmes, directement ou indirectement ; mais la loterie militaire, qui n'est pas volontaire, qui est injuste, vous la trouvez bonne et vous vous étonnez que nous osions l'attaquer.

D'après la législation actuelle, je ne pourrais pas mettre mes pantoufles en loterie, et vous y mettez, vous, le sort de vos compatriotes. Vous mettez en loterie la liberté, le corps, l'âme, pour ainsi dire, le bien d'une grande partie de vos compatriotes. Et les arrêts de cette loterie, ils sont terribles ! Ceux qui sortent de votre boite de Pandore, gardée et protégée par le gendarme Pandore, ces arrêts-là décident du sort de jeunes gens et de familles entières. Il s'agit de leur liberté, il s'agit de leur bien, il s'agit de leurs droits civils les plus intéressants.

Ces arrêts décident du sort des citoyens, de leur sort tout entier, vous l'avouez en appelant cette vilaine et sauvage opération le tirage au sort. C'est le tirage du sort que vous devriez dire.

En effet, il décide la grave question de savoir si un jeune homme sera soumis à la servitude militaire et à la privation de ses droits civils, non pas pendant huit ans, comme votre loi le dit faussement, mais pendant dix ans, pendant quinze ans, pendant vingt ans, car vous avez soin d'ajouter qu'il sera toujours libre au Roi, dans certaines circonstances, c'est-à-dire, à vous, d'appeler sous les armes, toutes les classes de milice que vous jugerez utile de convoquer.

Voilà une loterie autrement grave que celle contre laquelle il semble libéral de crier aujourd'hui !

On ose rarement justifier la loterie militaire. On dit : Il le faut. Fatalité ! Ananké ! Il faut savoir se sacrifier à la patrie ! Vous le reconnaissez, il y a des victimes ; il y en a même beaucoup, mais il faut des victimes, les Etats ne vivent pas sans victimes ! C'est une théorie renouvelée du paganisme sauvage et de l'histoire de nos premiers aïeux ; elle est bien rétrograde celle-là.

Alors aussi il y avait des victimes tirées au sort, il fallait apaiser les dieux païens, pas le Dieu des chrétiens, je l'en loue ; il fallait apaiser la colère des dieux païens et on fourrait des Belges dans un vaste panier, après les avoir tirés au sort et on y mettait le feu. C'était l'exagération de votre théorie, mais c'était bien votre théorie.

Cette loterie est quelque chose contre nature ; vous tendez vos filets devant toute la jeunesse belge, mais à rencontre des filets des pêcheurs où tous les gros poissons restent et d'où les petits sortent, vos filets sont odieusement combinés de manière que les gros poissons en sortent et que tous les petits y restent. (Interruption.)

Voilà votre loterie militaire ! (Interruption.)

Oui, les petits y restent et les gros s'esquivent. Je le répète : c'est contre nature et contre toute justice.

Les inconséquences se multiplient dans votre système. Vous dites que la conscription impose une charge personnelle ; vous niez, vous osez nier, mais vous ne prouverez rien, vous niez que des considérations financières figurent dans cette opération et vous en venez à vous contredire vous-mêmes.

Vous n'exemptez plus l'enfant unique s'il est riche, vous l'exemptez s'il est pauvre. Et, quant à vos dispenses, vous agissez de même. Il faudra désormais, pour obtenir une dispense, prouver qu'on n'est pas en état de payer un remplaçant.

Je suis sûr que la section centrale et le gouvernement, qui l'a visiblement inspirée, croient avoir imaginé là un merveilleux moyen d'apaiser les murmures de l'opinion publique ; elle se trompe. En prenant en considération la fortune des familles, le gouvernement et la section centrale ont bien montré qu'il s'agit d'une charge financière. En effet, si vous exemptez, soit l'enfant unique, soit l'étudiant en théologie, soit les candidats instituteurs, ou si vous les dispensez parce qu'ils ne sont pas en état de payer un remplaçant, mais vous déclarez, à moins de vous brouiller complètement avec la logique, qu'aucun pauvre ne peut être appelé de force sous les drapeaux.

Le principe est grave ; il vous mènera loin si vous êtes logiques, mais vous resterez en chemin, vous n'aurez garde d'avancer dans les voies de la logique.

On parle beaucoup, surtout l'honorable ministre de la guerre, de la dette des miliciens envers la patrie. Il faut, dit-il, que tous les citoyens s'acquittent envers la patrie, ils doivent lui payer leur dette !

On n'en croit rien. S'il y a dette du jeune homme de 20 ans envers la patrie, cette dette incomberait à tous les jeunes gens de cet âge. Vous trouvez bon d'en libérer les trois quarts ! Et puis la dette n'est pas personnelle. Vous le reconnaissez vous-mêmes, elle n'est pas attachée à l'individu puisque vous exemptez la moitié des fils d'une même famille. C'est donc la famille qui est endettée envers la patrie ; c'est encore votre système, nous verrons comment vous l'appliquez et dans quel gouffre d'iniquité vous vous complaisez.

Mais vous qui parlez tant de la dette des miliciens envers la patrie, pour-" quoi vous abstenez-vous de parler de votre dette envers les miliciens forcés ?

S'il y a dette quelque part, c'est bien le gouvernement qui la doit. Il le reconnaît, il daigne reconnaître que les miliciens sont forcément endettés envers leur régiment. Ananke. fatalité ! Il avoue que depuis 39 ans, depuis que nous sommes maîtres de nos destinées et que nous n'avons plus aucune excuse d'être injustes, il avoue que, depuis 39 ans, nous avons fait bien des victimes et que celles-ci auraient bien autant de droit à quelques (page 862) égards, a une certaine indemnité, que les vétérans de la république et de l'empire. Mais, tout en reconnaissant sa dette envers les miliciens, il la laisse protester. Depuis 39 ans, on le supplie, on le somme de reconnaître sa dette, et, après ces ajournements multipliés et scandaleux de l'exécution d'une prescription constitutionnelle, le gouvernement vient vous dire ; Il est vrai, nous devons depuis bien des années, surtout depuis 1862, au moins une faible indemnité au milicien ; mais nous trouvons bon de ne point l'accorder encore.

On lui demande pourquoi ? Il répond : Parce que. Et la section centrale s'incline. C'est un point que nous examinerons plus tard.

Je viens de dire que, dans le système ministériel, ce n'est pas l'individu, le milicien qui est endetté envers la patrie ; que c'est la famille. Cela me paraît indiscutable d'après la teneur du projet de loi, attendu qu'il exempte au moins la moitié des fils aptes au service. C'est bien avouer que c'est la famille qu'on veut frapper et non pas ses membres ; que c'est, en d'autres termes, la société et non pas quelques individus. Or, si l'on veut imposer la famille, il faut au moins le faire avec quelque équité, avec quelque apparence de justice. Mais on n'a garde ! Les familles sont très inégalement frappées : les unes ne payent rien, soit parce que le sort les a favorisées, soit parce qu'il n'y a que des filles, soit parce que les garçons sont malades ou estropiés.

D'autres familles fournissent trois fils, quatre fils, cinq fils, six fils ; j'ai vu ces cas, et puis les familles riches sans enfant ne payent rien.

Et pourtant, si l'on nous dote d'une nombreuse armée pour maintenir l'ordre public, avouons que les filles ont plus besoin d'armée que les garçons... (Interruption.) Même observation pour les riches que le sort épargne. C'est encore un point que nous examinerons de plus près.

Messieurs, quelques-uns d'entre vous m'ont paru sourire. Je constate ce fait que des familles où il n'y a que des personnes du sexe, des familles riches sont complètement affranchies de l'impôt-milice, du premier impôt militaire. Mais mon observation n'est-elle pas naturelle ? Est-ce que la moitié de la population belge, composée de femmes, ne contribue pas très largement à l'entretien de l'armée ? Est-ce que les femmes ne payent pas les épaulettes, la poudre, même la poudre à canon, les fusils et le reste ? Pourquoi ne contribueraient-elles pas aux charges du recrutement dans l'ordre d'idées que j'aurai l'honneur de vous exposer ? (Interruption.)

Mais, tout récemment, les femmes belges ont figuré dans la garde civique. (Interruption.) Le plus grand des étonnements éprouvés par ma grand'mère, qui en a éprouvé beaucoup puisqu'elle a atteint l'âge de 97 ans, le plus grand de ses étonnements a été de se voir un jour inscrite sur les registres de la garde civique, en vertu de la loi que l'honorable M. Rogier avait fait voter.

Cette loi, aujourd'hui modifiée, ne m'a pas paru mauvaise ; je la regrette presque, car elle me fournirait encore un argument pour obliger les familles sans garçons valides à contribuer aux dépenses du recrutement.

Permettez-moi de vous citer deux ou trois exemples de l'iniquité de votre chère loterie militaire.

Une famille vivant dans une large aisance a ou six fils exemptes par le sort. Une autre, plus riche, avait onze filles ; elle n'a rien payé dans votre système. Les deux familles ont été complètement libérées.

D'autres cas se sont présentés ; des familles pauvres et d'autres presque pauvres ont livré jusqu'à 3, 4 et 5 fils au minotaure de la loterie.

Si j'en veux tant à la conscription, faites-moi l'honneur de croire que ce n'est pas par rancune, à cause de souvenirs personnels. Je n'ai pas été maltraité par le sort.

Excusez, à titre d'argument, cette indiscrétion personnelle : un ami de ma famille m'a fait exempter définitivement en moins de dix minutes, à l'âge de vingt ans.

Trois de mes fils, les seuls qui aient tiré au sort, ont eu ce que le gouvernement appelle de bons numéros, les numéros supérieurs.

En sens contraire, pour ne pas sortir de ces souvenirs personnels, en voici un encore : mon frère, moins heureux, moins protégé que moi, tire (je ne sais pas assez le répéter, vous l'appelez vous-mêmes ainsi) un mauvais numéro.

Beau garçon, il est mis dans un régiment d'élite et il ne peut trouver un remplaçant que pour 1,700 francs.

Cette somme on la trouve, on l'acquitte presque tout entière. Les circonstances étaient défavorables, les remplaçants chers, l'autorité militaire exigeante.

Il fallait payer presque tout en une fois. Il paye tout. Il se croit libéré du service.

Point ; quinze jours après, son remplaçant quitte le pays et va criminellement visiter l'Allemagne. Oui, criminellement, parce qu'il était volontaire ; je n'en dirais pas autant du milicien forcé. Le remplaçant déserte criminellement le pays, et à quoi oblige-t-on mon frère, c'est-à-dire mon frère et mes parents ?

A procurer immédiatement à l'Etat un second remplaçant. On reçoit cet avertissement un jour et le surlendemain la gendarmerie vient arrêter mon frère, parfaitement innocent, selon moi, libéré envers l'Etat, et le conduit de Gand à Liège. Il fallut encore dépenser 1,700 fr. pour l'affranchir du servage. N'est-ce pas iniquement absurde ?

MiPµ. - Alors il faut voter la loi.

M. le président. - Monsieur le ministre, n'interrompez pas.

M. Coomans. - Je sais que votre projet de loi change cela. Il était temps, après 39 ans. Et encore ce n'est pas toujours le cas. Il n'est pas vrai que vous libériez complètement le milicien qui a loyalement procuré un remplaçant à l'Etat. Cela n'est pas vrai, vous le reconnaissez vous-mêmes dans votre loi. (Interruption.)

L'honorable M. Muller ne me contredira pas, lui qui connaît les questions de détail aussi bien et mieux qu'aucun de nous. Vous exceptez le cas où l'on a fait usage de pièces fausses, et si ce n'est pas le milicien qui a fait usage de pièces fausses, n'est-il pas irréprochable ? Vous n'en parlez pas, donc le payement ne libère pas toujours. (Interruption.)

Ah ! si c'est le remplaçant, je le conçois. Mais avouez au moins que vous ne libérez pas dans tous les cas le milicien de bonne foi. (Interruption.) Voulez-vous que je vous lise le passage du rapport ? Vous exceptez le cas de production de pièces fausses et je constate que le plus honnête homme peut être trompé de cette façon.

Puisque la dîme militaire, la dîme nouvelle un million de fois plus odieuse que l'autre, doit être perçue, eh bien, soit, mais percevez-la avec une certaine justice ; faites-en une vraie dîme, demandez dix pour cent du revenu de toutes les familles, les pauvres y compris, et n'exemptez personne.

Voilà une dîme à laquelle je souscrirai, si je ne puis pas obtenir mieux.

Dans ce système, qu'à l'âge de 20 ans tout Belge valide soit appelé sous les armes, à moins qu'il ne paye 10 p. c. de son revenu ou de celui de ses parents, ce serait l'impôt proportionnel dont j'avais l'honneur de vous entretenir hier. Car votre impôt militaire est bien un impôt financier et un impôt direct et vous n'avez pas le droit de ne pas le différencier. L'impôt militaire, comme tous les autres, doit être prélevé selon la fortune des citoyens, surtout quand vous transformez l'impôt personnel, la prestation personnelle en une charge financière.

Oh ! je sais bien ce que l'on me dira : 10 p. c. du revenu des familles ; mais l'ouvrier, qui n'a qu'un revenu de 1,000 francs, ne payera que 100 fr. pour exempter son fils, et quelques-uns d'entre nous (ce n'est pas moi), qui avons un million, nous devrions payer 5,000 fr. pour exempter notre fils ! Il est vrai que nous le ferions ; oh ! évidemment nous ne voudrions pas pour 5,000 francs que notre fils sauvât la patrie, quand nous ne le jugeons pas convenable. Mais 5,000 francs, c'est trop cher.

Pourtant, messieurs, ce serait juste, et je vois d'honorables millionnaires me donner des signes d'assentiment. Je les en remercie. (Interruption.)

Pour fixer cette dîme, me dira-t-on, il faudrait connaître à peu près les revenus des familles, et c'est bien difficile. Je l'avoue. Mais vous sentez bien que ce n'est pas mon système que je vous présente ; je n'en veux pas non plus. Seulement, je me borne à soutenir qu'il serait bien moins injuste que le vôtre.

On m'objectera qu'il serait injuste, même dangereux quelquefois, surtout sous le règne de certains gouvernants, de leur donner les moyens de mesurer plus ou moins exactement les facultés financières des familles. Mais à ces gouvernants-là, je réponds : C'est vous qui introduisez ce système ; c'est vous qui, par ce projet de loi et dans d'autres circonstances, vous réservez le droit d'examiner si une famille a de quoi payer un remplaçant.

Eh bien, quelles sont vos bases d'appréciation ? Je ne les connais pas. La section centrale n'a eu garde de nous les indiquer ; elle en parle à peine, et le gouvernement a gardé sur ce sujet le même silence prudent. Mais je dis : Quelles que soient vos bases, je les adopte ; dressez l'échelle de toutes les fortunes belges, soit. J'aimerais mieux les inconvénients de ce système que ceux de la loterie militaire. Dressez l'échelle de toutes les fortunes et demandez à chacun la dîme, 10 p. c. de son revenu, soit !

Messieurs, j'arrive au chapitre des exemptions, au grave chapitre des exemptions et des dispenses. Le projet de loi les a singulièrement multipliées. J'en suis fâché et effrayé. Vous avez augmenté te nombre des exemptions et des dispenses, et cela de la pire façon, en ouvrant toutes larges les portes de l'arbitraire.

(page 863) Comme les exemptions, presque toutes, sont basées sur l’état de la fortune, il y aura une foule de cas où les appréciations seront difficiles, où l'erreur ou le favoritisme créeront des injustices. Je reconnais, avec l'honorable rapporteur, que, dans bien des circonstances, on pourra dire avec certitude si une famille a les moyens d’acheter un remplaçant.

Il y a, d'un côté, une famille très pauvre qui ne paye pas d'impôt ; il y en a beaucoup, hélas ! Celle-là, si elle a quelque protection, s'il n'y a pas quelque raison locale pour faire marcher le fils nécessaire, celle-là sera exemptée.

D'un autre côté, on n'exemptera pas l'enfant unique, candidat en théologie, candidat-professeur, d'une famille de millionnaire, je le reconnais.

Mais sur cette longue échelle des fortunes belges, il y a des points qui se confondent à peu près et il sera, je le déclare, impossible même à des honnêtes gens, aux hommes les mieux intentionnés, les plus éclairés, de décider avec quelque certitude si telle famille mérite l'exemption ou la dispense, si telle autre ne la mérite relativement pas, car enfin, vous le reconnaissez vous-mêmes, ce n'est pas l'impôt qui pourra vous fixer ; il y a des personnes payant des impôts directs qui sont moins riches, bien moins à l'aise que des personnes qui n'en payent pas. Il faut donc d'autres bases, ces bases vous ne les indiquez point, vous sentez votre impuissance.

Vous avez ici, je le répète, ouvert très large la porte de l'arbitraire.

J'ai quelque soupçon, permettez-moi de vous le dire, que, sous prétexte d'humanité, sous prétexte d'équité, vous n'ayez cherché encore à étendre beaucoup les prérogatives et l'influence d'un parti politique. (Interruption.)

Vous aurez beau dire, l'autre parti serait aux affaires, que je tiendrais exactement le même langage, ne vous en offensez donc pas.

Qui décidera de toutes ces questions ? Une réunion composée presque entièrement de fonctionnaires nommés par le gouvernement. (Interruption.)

Est-ce que les bourgmestres et les échevins ne sont pas des fonctionnaires nommés par le gouvernement ? Je l'ai toujours cru et je dois le croire encore, quoi qu'en dise M. le ministre de l'intérieur qui les nomme sans s'en douter.

MiPµ. - Vous n'avez pas lu la loi.

M. Coomans. - Je m'attendais bien à cela : je n'ai pas lu la loi ! Le reproche n'est pas pertinent ; il est impertinent, permettez-moi de vous le dire. Je sue de votre loi depuis que je la connais, et je la connais bien, je vous le prouverai au delà de vos désirs.

Attendez la discussion des articles et je prouverai que je connaissais nos lois de milice qui diffèrent très peu, longtemps avant que vous vous avisiez de vous en occuper, et, puisque vous me forcez à ouvrir cette parenthèse, je vous dirai que je m'en occupe activement et presque quotidiennement depuis 37 ans ; que mon premier article de journal, et c'est mon honneur, a été dirigé contre la conscription et que mon premier discours dans cette Chambre, le 26 juin 1848, a été une protestation contre la conscription.

Si vous voulez, M. le ministre, mettre votre bibliothèque privée sur cette matière en face de la mienne, nous compterons les brochures, les volumes et les manuscrits et nous verrons qui sera le plus riche en paperasses militaires.

Dites que je ne sais pas lire ; mais que je n'ai pas lu votre loi, c'est par trop fort et je considère cela comme une véritable injure.

Vous feriez bien mieux de me dire que vous m'indiquerez les moyens de mesurer la fortune des citoyens et d'empêcher les injustices et les actes de favoritisme auxquels je viens de faire allusion.

Il m'a toujours paru qu'il n'y avait que trop d'exemptions dans notre législation sur la milice. D'abord les 75 p. c. qui échappent à votre loterie et ensuite les autres favorisés, dont la nomenclature est nombreuse. Or, aujourd'hui vous venez encore augmenter le nombre des exemptions et des dispenses. Nous aurons occasion de voir dans quelles conditions vous avez imaginé ce prétendu progrès-là.

Je vous dirai aujourd'hui peu de chose des exemptions, du chef de parenté et d'infirmité. Il me semble toutefois que l'aîné de la famille ne devrait jamais lui être enlevé.

Nous avons vu, hier, que tel était l'avis du despote Louis XIV, avis que je trouve excellent.

Permettez-moi de vous donner l'avis d'un roi qui valait infiniment mieux que lui, du roi Léopold Ier.

Il y a une douzaine d'années et davantage, quand je fus souvent rapporteur des fortifications d'Anvers et des budgets de la guerre, j'eus l'honneur immérité d'avoir plusieurs entretiens avec le feu Roi.

Sa Majesté m'affirmait la nécessité d'une forte armée permanente et m'engageait, avec sa haute raison et son entraînant langage, à subir cette nécessité.

Un jour, après une longue entrevue, je finis par lui dire que je voterais tous les chiffres quelconques du budget de la guerre, tous, si l'on pouvait m'accorder la triple et modérée satisfaction que voici :

1° Ou l'on supprimerait les remplaçants ou on rendrait le remplacement accessible à tous les citoyens ;

2° On indemniserait le milicien forcé ;

3° On n'appellerait pas le fils aîné.

Sa Majesté me répondit beaucoup plus poliment, plus modérément, plus sagement, plus logiquement que ses représentants n'ont coutume de le faire. Elle me répondit : Je désire autant et plus que vous la suppression du remplacement ; travaillez-y, vous aurez toutes mes sympathies et mon appui. Mais je vous préviens, monsieur, que vous n'obtiendrez pas la suppression du remplacement dans un pays à suffrage restreint, où ce mode de libération est très favorable au corps électoral.

Sur le 2°, Sa Majesté eut la bonté de me dire qu'une indemnité pour le milicien était juste et nécessaire et qu'EIle en avait souvent parlé à ses ministres.

II paraît que tous les ministres ont toujours fait sur ce point la sourde oreille à Sa Majesté.

3° Le roi me dit qu'il n'y avait rien de plus raisonnable que d'exempter les fils aînés ; que j'avais raison de dire que les fils aînés étaient ordinairement l'appui, l'indispensable soutien de la famille et qu'il y avait cruauté et injustice à commencer la coupe militaire par 1 e fils aîné.

Avouez, messieurs, que j'eus bien raison de remercier, du plus profond du cœur, le Roi des Belges : il me donnait pleine satisfaction.

Eh bien, qu'est-il résulté de tout cela ? Hélas ! la preuve que tout grand roi qu'il était, il n'avait pas grand-chose à dire, car aucun de ses vœux n'a été exaucé. On ne fit rien dans le sens de son noble et généreux langage ; on ne fit rien sous aucun ministère.

Dès lors, j'ai repris la liberté de mon vote et j'en ai usé, sans en avoir abusé.

Permettez-moi d'ajouter un point essentiel. Je pousse un peu loin l'indiscrétion peut-être ; mais comme elle est très honorable pour le feu Roi, je suis sûr que vous m'en saurez gré.

Il faut, m'a-t-il dit, non pas une fois seulement, mais deux fois au moins ; il faut, m'a-t-il dit, indemniser le milicien forcé ; mais comment s'y prendre ? Nos dépenses sont considérables ; le public n'aime pas la conscription, c'est vrai ; mais il n'aime pas non plus les impôts, et il faudrait une forte augmentation d'impôts pour créer les voies et moyens nécessaires.

J'ai pris la liberté, très modestement, avec une certaine peur, je l'avoue, de dire au Roi qu'il me semblait qu'il y avait un excellent moyen d'indemniser très largement les miliciens forcés et même les autres, et même les officiers, sans ajouter la moindre fraction de franc au budget des recettes.

Le Roi me dit : Expliquez-vous ; cela est fort intéressant. - Sire, lui répondis-je, pourquoi ne pas organiser, à côté de la loterie militaire, une loterie d'argent à l'italienne, dont tous les bénéfices, qui pourraient s'élever de 15 à 20 millions par an, seraient réservés à l'armée au point de vue de la réparation que je demande ?

Eh bien, messieurs, le Roi me fit l'honneur d'accueillir cette idée comme très sérieuse ; il la développa, et finit par me dire qu'il était partisan de la loterie d'Etat, et que ce n'était pas sa faute si elle n'existait plus, ou si on ne l'avait pas rétablie dans le pays.

Il me fit cette observation fort juste, que la loterie financière, discréditée aujourd'hui à différents points de vue, serait complètement réhabilitée par l'application que l'on ferait des ressources obtenues. Et telle est aussi ma conviction.

Je suis généreux envers vous jusqu'à l'imprudence, messieurs les ministres, car mon but étant l'abolition complète de la loterie militaire, j'ai peut-être tort de vous indiquer le moyen de la garder impunément.

Eh bien, ce moyen, c'est d'établir des loteries du genre de celles qui existent en Italie, en Allemagne et qui ont existé en Hollande, et d'en affecter le produit tout entier à indemniser les victimes de l'impôt du sang. A mon sens, votre conscription serait sauvée ; peut-être même deviendrait-elle populaire ! Cela dépend des chiffres. Votre conscription serait sauvée, si vous accordiez à chaque militaire forcé, à chaque serf de la glèbe militaire, une indemnité de 300 ou 400 francs par an, pour lui et pour sa famille.

Je ne vous dis pas que, dans cette hypothèse, la conscription ne peut devenir populaire. Spectacle merveilleux dans notre histoire ! 300 ou (page 864) 400 francs par an donnés à chacune des victimes les tourneraient contre moi peut-être et vous feraient bénir.

Je parlais des exemptions et des dispenses. Messieurs, ne jouons pas sur les mots.

Il n'y a qu'une différence verbale entre l'exemption et la dispense. Je sais bien, e le constate pour ne pas fournir à l'honorable M. Pirmez l'occasion de m'accuser de n'avoir pas lu son projet de loi, je sais bien que l'exemption diffère de la dispense en ceci : c'est que la première crée une victime, tandis que la dispense n'en crée pas ; la dispense n'oblige pas un autre à servir à sa place. Mais au fond, je le répète, c'est peu de chose ; c'est une différence verbale ; car, quand il y aura trop de dispensés, on fera des deux choses l'une, peut-être les deux à la fois : on augmentera les contingents et l'on diminuera les congés, de manière qu'au point de vue du soulagement des classes populaires, l'exemption et la dispense sont bonnet blanc et blanc bonnet.

Page 80 du rapport... (Interruption.) Oh ! je l'ai lu ; page 80 du rapport, il est dit qu'il faut que la famille soit dans l'aisance pour obtenir cette faveur.

L'aisance !... Qu'est-ce que cela ? Vous seriez bien embarrassés de me répondre, si vous étiez obligés de me répondre. Le plus beau de vos privilèges, c'est de garder le silence sur les questions qui vous embarrassent.

Messieurs, j'aborde le remplacement.

Le remplacement n'est pas supprimé par votre œuvre nouvelle ; au contraire, il est facilité surtout au point de vue des familles qui vivent dans l'aisance et qui ont presque seules recours au remplacement.

Mais n'est-il pas étrange que le remplacement soit maintenu, remplacement contre lequel on a accumulé tous les reproches imaginables, au moment même où on supprime la substitution dont on a fait le plus grand éloge et dont on a voulu étendre naguère par une loi les inappréciables bienfaits ?

On supprime la substitution, on maintient le remplacement, et on le maintient contre toutes les autorités militaires consultées.

Je suis sûr que l'honorable général Renard qui a confirmé en moi cette vieille idée que le remplacement était mauvais à tous les points de vue : au point de vue de l'équité, de la justice, de la raison comme au point de vue militaire, dont je ne fais pas fi autant qu'on m'en accuse ; je suis bien sûr, dis-je, que l'honorable général Renard est mécontent et humilié d'avoir à subir ce qu'il a toujours réprouvé et flétri dans des termes éloquents que je regrette de ne pouvoir reproduire ici, ne fût-ce que pour varier un peu mon discours.

L'honorable général Renard m'a dit un jour, en bonne compagnie, que le remplacement était la lèpre de l'armée et qu'on n'aurait jamais une bonne armée avec des remplaçants.

Si ce n'étaient les termes exprès, c'était bien la pensée, et je crois même que ce sont les termes exprès.

Or, je vous ai déjà prouvé que le remplacement change l'impôt personnel en impôt d'argent. Il favorise le riche et cela au détriment des pauvres. En vain dit-on que la question est indifférente aux pauvres : il n'en est rien. A part la question de justice et d'équité qui touche tout le monde, le pauvre comme le riche, il y a ceci à considérer, c'est que si nos fils et nos neveux devaient marcher comme les autres, à côté desquels nous ne voulons pas qu'ils aillent servir la patrie, si nos fils, nos neveux et même nos cousins au 12ème degré devaient entrer dans l'armée, c'est que cela porterait bonheur aux autres miliciens qui seraient mieux traités qu'ils ne le sont aujourd'hui.

Il est donc évident que les pauvres sont intéressés à la suppression du remplacement.

Aussi j'abonde dans l'opinion de M. le ministre de la guerre et je dois dire que toutes les autorités militaires sont aussi de cet avis.

A part les volontaires, il n'y a aujourd'hui dans l'armée que des soldats forcés et de purs mercenaires. Or, je ne crois pas que ce soient là de bons éléments militaires. Oui, si vous le voulez, pour faire des conquêtes, c'est possible, là où le pillage est la récompense de l'héroïsme militaire ; mais pour défendre son pays avec le dévouement et l'intelligence qui couronnent ces sortes de luîtes, pour défendre son pays, il ne faut ni soldats forcés, ni mercenaires : il faut une armée nationale.

Messieurs, je vous fatiguerais si j'énumérais toutes les condamnations parfaitement raisonnées que les hommes les plus compétents ont prononcées contre le remplacement, non seulement en Belgique, mais dans tous les pays.

Et puis, chose étrange ! le remplacement a été supprimé par une majorité considérable, par les autorités consultées, par les comités, par les commissions, et à quoi aboutit l'œuvre ministérielle ? Au maintien du point le plus universellement condamné.

Mais à quoi bon former des comités, des commissions, quand on est décidé d'avance à faire fi de leurs résolutions ?

Est-ce à dire que je veuille supprimer le remplacement de toutes façons ? Point. Mes objections portent contre ce mode de remplacement, que vous avez flétri et que vous nous sommez de voter aujourd'hui.

Il y a un remplacement dont je veux et que je trouverais parfaitement raisonnable : c'est le remplacement rendu vraiment facultatif, le remplacement accessible à toutes les familles, c'est-à-dire le remplacement opéré par l'Etat, au moyen d'un impôt différentiel acquitté par les familles. Mais établir le remplacement à un prix unique, le même pour le riche et le pauvre, c'est la plus cruelle des plaisanteries, c'est la plus mauvaise des ironies.

Un mot sur les congés.

On en a fait un étrange abus depuis 1830. Sous la législation du 8 janvier 1817, que vous avez trouvé moyen d'empirer dans presque toutes ses parties, les congés n'étaient pas arbitraires ; ils étaient tirés au sort et l'on ne pouvait refuser des congés qu'aux condamnés militaires.

Aujourd'hui nous savons, par une triste expérience, ce que sont les congés. Ce sont des marques de pure faveur. Les protégés obtiennent à peu près tous les congés qu'ils désirent ; les non-protégés n'en obtiennent pas, par l'excellente raison qu'il faut maintenir l'effectif à un chiffre suffisant.

Aussi, l'un des prédécesseurs de M. le général Renard m'a-t-il dégoûté des congés, le jour où il m'a dit que chaque homme qu'il renvoyait dans ses foyers à ma prière, coûtait la liberté d'un autre homme, attendu qu'il fallait que l'effectif restât à un certain chiffre. Ce jour-là, je n'ai plus voulu faire du bien à l'un pour faire du mal à l'autre, et je n'ai plus demandé que très rarement des congés. Comme on a fini par me refuser le peu de congés que je demandais, j'ai trouvé très simple de ne plus en solliciter du tout ; ma conscience et mes convenances ont été également satisfaites.

Je voudrais donc que les congés fussent obligatoires après un certain temps de service. On empêcherait ainsi une iniquité sur laquelle je pourrais faire de tristes réflexions, si j'osais.

Autre iniquité : on continuera à classer arbitrairement les miliciens, d'après leurs facultés physiques et intellectuelles, c'est-à-dire que le malheureux qui aura tiré un numéro souvent supérieur au numéro d'un autre malheureux, sera condamné à deux années d'encasernement de plus, parce qu'il sera plus bel homme et plus instruit. C'est là une iniquité révoltante, je le répète, je l'ai signalée plusieurs fois dans cette Chambre.

L'honorable ministre de la guerre et plusieurs autres ministres m'ont toujours répondu par ce mot d'une trivialité désespérante : Il n'y a pas moyen de faire autrement ; c'est une iniquité, mais il faut la subir. Messieurs, je proteste ; de même qu'aujourd'hui vous avez deux tirages au sort : l'un pour la milice ordinaire, l'autre pour la réserve, vous devriez avoir deux catégories de numéros, l'un pour les miliciens que vous ne condamnez qu'à quelques mois de service, l'autre pour ceux à qui vous imposez un service double.

Vous avez beau dire que je me place obstinément au point de vue de la justice ; je ne considère cela ni comme une réplique, ni comme un reproche. Je m'en vante.

Il y a l'article Mariage.

L'interdiction de se marier, qui résulte de notre loterie militaire, est encore une dure expropriation : c'est l'expropriation du premier des droits naturels et civils. Je voudrais donc que le mariage des miliciens fût autorisé après deux ans de service. Je ne parle pas des volontaires : avec les volontaires, vous ferez tous les contrats que vous jugerez les meilleurs ; je parle des miliciens forcés. Vous n'avez pas le droit de les exproprier des droits du code civil, des droits qu'ils tiennent de la Constitution. Vous n'avez pas ce droit pour les remplaçants mêmes.

Le remplacement est souvent avantageux à la famille, aux enfants et même à la femme ; il y a de mauvais ménages où le départ de l'homme sauve la femme et où le produit du remplacement peut sauver les enfants. Je ne trouve aucune raison d'empêcher le remplacement par un homme marié, quand il y a consentement de la femme.

Du reste, messieurs, pour dire toute ma pensée, je crois que les remplaçants ont été calomniés par ceux qui déclarent aujourd'hui ne pouvoir pas s'en passer. Je ne sais pas s'il convient à des chefs d'armée de flétrir une grande partie de l'effectif sous les armes. Je ne crois pas que les remplaçants soient aussi mauvais que vous le dites ; il y en a, mais aussi reconnaissez que vous les traitez bien mal et qu'on rend les chiens enragés (page 865) en les accusant de la rage. Traitez bien les remplaçants, traitez bien les volontaires, et ils se conduiront aussi bien que les miliciens.

VVous ne pouvez pas vous passer du remplacement ; eh ! votre corps électoral, pour qui seul vous le maintenez en dehors de toutes les considérations de justice et de nécessité militaire, votre corps électoral vous renverserait demain si vous proclamiez l'égalité des Belges pour le service militaire. Et cependant ce corps électoral, je sais ce que vous en avez fait.

Je finirai par quelques mots sur la rémunération.

Il y a ici un long déni de justice. Vous l'avez reconnu vous-mêmes lorsque, il y a quelques années, vous avez promis une sorte d'indemnité aux miliciens, promesse que vous avez retirée, non pas seulement parce que vous vous êtes aperçus qu'elle vous coûterait quelque chose, comme deux millions par an et que vous n'êtes plus en état d'en donner, mais parce que la section centrale, à l'unanimité, a repoussé l'idée de l'honorable M. Frère. Ne pouvant faire passer son système, à lui, M. Frère n'en accepte aucun.

J'avoue que cette idée méritait bien cet accueil-là. Elle était singulière. Promettre éventuellement, très éventuellement une rente de 150 francs au milicien qui aurait atteint honnêtement sa 55ème année, c'était si ridiculement impossible, à mon sens, que j'aurais été bien surpris qu'il se fût trouvé trois membres dans cette assemblée qui eussent osé s'y associer.

D'abord, était-ce une indemnité ? Offrir une bagatelle pour des services rendus 35 ans auparavant, était-ce sérieux ?

Je l'ai déjà dit, par cet appât-là vous ne trouveriez pas un seul fonctionnaire public. N'offrez au citoyen qui entre en fonctions à 20 ans qu'une pension, fût-elle forte, à l'âge de 55 ans, et vous verrez combien vous trouveriez soit de gardes champêtres, soit de receveurs, soit de douaniers, soit même de ministres.

Je serais fort étonné que vous en rencontriez, car chacun tient à une rémunération présente et certaine.

Les ministres se sont fait donner 6,000 fr. de pension pour deux ans de service !

Et puis, inconséquence inimaginable, vous reconnaissez que l'indemnité était due au milicien pour le service de deux ou trois ans qu'il aurait fait et, d'autre part, vous refusez cette indemnité à la famille de votre victime défunte. Un soldat mourait endéans les 55 ans, la famille n'avait rien. Etait-ce justice ?

Quand la loterie militaire ruine une famille, c'est immédiatement ou peu après le départ du milicien pour le casernement ; c'est alors que cette famille est ruinée et que plusieurs de ses membres sont morts peut-être, que leur donnez-vous ? Zéro ; vous les renvoyez au Moniteur qui leur dit : Dans 35 ans, l'un des vôtres recevra 150 fr. de rente.

J'ai été charmé de voir que l'indépendance de la section centrale allât jusqu'à repousser à l'unanimité l'inadmissible projet de M. le ministre des finances. Vous le reconnaissez, tout au moins en théorie (et en fait de justice la théorie doit être la loi), le milicien forcé doit être indemnisé. Selon moi, il doit l'être par ceux qui ne servent pas et par tous les contribuables ; dans une proportion un peu plus forte, si vous le voulez, par ceux qui ne servent pas. Mais comme un impôt sur ceux-là serait insuffisant, je voudrais que l'Etat suppléât au déficit ; ce ne serait que justice, l'armée étant un service public comme tous les autres.

Le ministère, par l'organe de M. Pirmez, a averti la section centrale qu'il ne fallait pas s'occuper d'un système de rémunération, qu'il était impossible de s'en occuper aujourd'hui ; la raison qu'il en donne me paraît bien insuffisante. Nous n'avons pas encore organisé le service de la garde civique ! Quand nous aurons organisé ce service, nous verrons ce qui est dû au milicien.

Mais qui vous empêche de décréter dès à présent le principe d'où naîtraient des droits ? Rien ; rien ne vous empêche de déclarer par exemple que vingt francs seront alloués par mois à tous les miliciens. Votre système quelconque, au sujet de la garde civique, si toutefois vous en avez un, ce dont je doute fort, votre système ne vous empêcherait pas d'appliquer le principe de l'indemnité ; et quand vous refusez dès à présent de déclarer que le milicien a droit à l'indemnité et qu'il l'aura à partir de la promulgation de la loi, je suis autorisé à conclure que vous ne voulez pas de l'indemnité.

Il n'y a donc pas de raison d'ajourner cette partie du projet de loi ministériel.

C'est une chose encore bien remarquable que les miliciens, qui sont les plus méritants et les plus estimables de nos fonctionnaires, soient les seuls qui servent gratis et forcément.

Au sujet des exemptions et des dispenses, j'ai oublié un détail assez intéressant.

Le ministère et la section centrale exemptent les étudiants en théologie et les futurs professeurs de l'enseignement primaire du premier degré et de l’enseignement moyen du degré inférieur.

Comme je m'applique à prouver que votre projet est plein d'inconséquences, vous me permettrez de vous donner une preuve nouvelle de mon accusation. D'après le rapport de la section centrale, il faut dispenser du service, c'est-à-dire exempter, car cela revient au même, les étudiants en théologie, parce qu'il n'y a pas assez de prêtres en Belgique (interruption), et qu'il ne faut pas exempter les élèves universitaires ni d'autres catégories d'étudiants laïques, parce qu'il y a trop d'avocats, de médecins et d'ingénieurs, et que, dans tous les cas, il y en aura toujours assez.

C'est uniquement au point de vue de la logique que je présente cette observation ; mais j'avoue que j'ai été vraiment étonné de voir ce qu'on appelle le parti libéral soutenir qu'il y a en Belgique trop ou assez de médecins, d'avocats, d'ingénieurs, tandis qu'il n'y a pas assez de prêtres et voire de capucins et de jésuites. (Interruption.) Et quand j'ai vu le gouvernement se rallier à ce magnifique raisonnement, je vous avoue que je me suis demandé ce que devient la logique, même la logique politique.

Je vois bien que le ministère et la section centrale voudraient faire croire qu'on n'exempte que les curés et les vicaires, le clergé séculier ; mais il n'en est rien.

Si j'ai bien lu le rapport, dans le cas contraire M. Pirmez voudra bien me donner les explications que réclamera peut-être mon infirmité ; si, dis-je, j'ai bien lu le rapport, ce sont tous les étudiants en théologie qui seront exemptés, définitivement dispensés le jour où ils seront revêtus de l'ordre de la prêtrise. C'est bien là la pensée du projet de loi, car je vois M. le président de la section centrale me faire un signe affirmatif.

M. Mullerµ. - Je n'ai fait aucun signe.

M. Coomans. - Je parle de M. Moreau, président de la section centrale. Ainsi, vous exemptez tous les prêtres.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Pas du tout.

M. Coomans. - Quoi ! pas du tout ! Je serais bien curieux de savoir comment M. le ministre pourra justifier son interruption. Quoi qu'en dise l'honorable M. Bara, tous les théologiens sont définitivement exemptés du jour où ils sont revêtus de l'ordre de la prêtrise ; or les capucins et les jésuites sont compris dans cette catégorie d'exemptés. (Interruption.) Je vois l'honorable M. Bara me faire un signe négatif ; mais il est évidemment seul de son avis. Vous dites non, M. le ministre, mais M. le président et tous les membres de la section centrale répondent oui.

M. Mullerµ. - Pour ma part, je ne dis rien du tout.

M. le président. - Pas d'interruption, je vous prie.

M. Crombez. - M. Coomans n'a pas le droit d'interpeller les membres de la section centrale.

M. Coomans. - J'ai celui de juger leurs actes et leur langage.

- Des membres. - C'est clair.

M. Coomans. - L'interruption de M. le ministre est singulière.

M. le président. - Je demande qu'on s'abstienne de toute interruption.

M. Coomans ; - Vous dispensez du service militaire, même gratuitement, si la famille de l'étudiant en théologie n'est pas dans l'aisance ; vous dispensez du service militaire tous les étudiants en théologie, non pas seulement ceux qui deviennent curés, vicaires, chanoines, etc., mais encore tous les membres des ordres religieux. La qualité de prêtre suffit, comme de raison. Eh bien, permettez-moi de vous demander comment vous qui criez si haut, si fort et si injustement contre les capucins et les jésuites ; comment vous venez nous déclarer, je tiens note de ce langage, que les capucins et les jésuites sont plus nécessaires en Belgique que les avocats et les médecins. (Interruption.)

Ah ! M. Bara, peut-être est-ce vous qui n'avez pas lu le projet de loi ? Voilà ce que je crois.

Remarquez-le bien, mon intention n'est certes pas de vous demander de soumettre au service militaire les étudiants en théologie, pas plus que tous les autres Belges ; mais ce que j'ose dire, parce que je suis impartial et que je n'ai qu'une cause à défendre, celle de la justice et de la vérité ; ce que j'ose dire, c'est qu'il n'y a pas plus de raison de dispenser les prêtres d'une part d'impôt pour l'entretien de l'armée, que d'en dispenser les autres citoyens ; je dis qu'il n'y a pas plus de raison de dispenser l'élève capucin, que j'honore et que je respecte, de payer une quote-part pour les frais de votre recrutement, que d'en dispenser l'élève médecin, l'élève ingénieur, l'élève avocat.

Je dis que quand vous accordez exceptionnellement cet avantage au clergé et à vos instituteurs, car le clergé n'est là que comme un prétexte, je dis que vous êtes à la fois injustes et illogiques. (Interruption.)

- Un membre. - Proposez un amendement.

(page 866) M. Coomans. - J'attends que vous le proposiez, et je le voterai s'il est juste ; je veux permettre à tout le monde de se faire remplacer. Je veux que le remplacement soit facultatif, possible pour tout le monde ; mais je veux que les futurs prêtres participent à cette charge, comme tous les autres citoyens, en proportion de leur fortune. (Interruption.)

Ai-je besoin, messieurs, de repousser une assertion qu'on m'a prêtée, savoir que je veux faire marcher les séminaristes, accusation qui a été dirigée contre moi par les journaux ministériels, qui n'ont pas lu mes discours. C'est par charité que je fais cette dernière supposition.

Au fond, vous voudriez bien forcer les séminaristes à s'enrégimenter ; je crois que vous avez là-dessus les mêmes idées que Napoléon Ier, qui envoyait tyranniquement les séminaristes se promener à Wezel, le fusil sur l'épaule.

Mais c'est principalement M. le ministre de la guerre qui ne le veut pas ; et pourquoi ? Parce que le jour où vous feriez marcher les séminaristes belges, ce jour-là n'aurait pas de lendemain pour la conscription ; et comme vous tenez à votre conscription, comme c'est là votre but, votre objectif, votre grand trésor, vous accordez un privilège au clergé ; oh bien, ce privilège, moi clérical, je n'en veux pas tel que vous le formulez.

Faites payer les séminaristes, faites payer les instituteurs, faites payer tout le monde. Voilà mon système ; ou bien, ne faites payer personne : ce qui vaudrait mieux. Voilà ce que je dis aujourd'hui et ce que j'ai dit nettement en d'autres temps.

Mais pourquoi ne favorisez-vous que l’enseignement officiel ?

Est-ce que vos instituteurs officiels sont les seuls qui soient utiles, qui rendent des services ? Mais je vous déclare que c'est là une nouvelle atteinte portée à la Constitution. Je suis très convaincu que l'enseignement officiel ne devrait être tout au plus qu'un appoint, d'après les idées du Congrès, et que c'est l'enseignement libre qui devrait former la règle. Et si vous étiez sages, prévoyants et amis du contribuable, vous encourageriez l'enseignement libre, parce qu'il peut rendre les mêmes services que l’enseignement officiel et qu'il ne coûte rien. De plus, ne favoriser que l'enseignement officiel, c'est une injustice criante envers l’enseignement libre ; c'est marcher à la suppression de l’enseignement libre, à la suppression de fait de l'enseignement libre, suppression qui est bien votre pensée.

Où je vous ai admiré toujours, à l'envers, où je vous admire toujours, c'est dans les arguments que vous produisez à l'appui des choses étranges que vous formulez dans vos lois.

Vous nous dites : Nous ne pouvons dispenser que les élèves instituteurs des écoles normales officielles ou patronnées ; nous ne pouvons dispenser que ceux-là, parce que ce sont les seules écoles que nous puissions juger, sur lesquelles nous ayons de l'action et dont nous puissions diriger le programme et les idées.

Voilà votre thème que je réduis à l'état de chiffon en vous disant : Est-ce que vous avez l'inspection dans les séminaires ? Est-ce que vous inspectez les couvents où l'on forme ou reçoit des prêtres en Belgique ? Non. Si vous teniez à être conséquents, il ne faudrait dispenser que les séminaristes officiels et le clergé séculier, pour les mêmes raisons que vous ne dispensez que les instituteurs officiels. Mais non, vous dispensez les capucins. Je sais que cela gêne M. Bara, je le vois bien, mais c'est comme cela. (Interruption.)

Eh bien, si vous dispensez les capucins, et j'en parle avec respect car je les aime, si vous dispensez les capucins, vous devez dispenser l'élève des écoles libres et tous les instituteurs libres qui remplissent convenablement leurs devoirs.

On me disait tout à l'heure, je crois que c'est M. Vleminckx : mais présentez un amendement au sujet des étudiants en théologie.

Qu'est-ce à dire ? Si je le faisais, mais il serait repoussé à la presque unanimité, repoussé par la droite presque tout entière qui n'en voudrait naturellement pas et repoussé par vous, qui le désirez mais qui n'oseriez pas le voter parce que ce serait la mort de la conscription.

M. Vleminckxµ. - Cela n'est pas sûr.

M. Coomans. - C'est parfaitement sûr.

M. le président. - N'interrompez donc pas, messieurs, je vous prie. Laissez marcher le débat régulièrement.

M. Coomans. - Messieurs, je vous disais tantôt que je voudrais voir exempter le fils aîné. J'ajoute que je regrette que cette question ait été à peine touchée dans le rapport de la section centrale.

Autre point : je ne vois pas pourquoi vous exemptez pour défaut de taille, définitivement dans certains cas, le fils du riche. Vous n'exemptez pas l'enfant unique du riche sans frais, mais vous exemptez son fils, sans frais, sans sacrifice, pour défaut de taille. Il me paraît que c'est encore là une inconséquence.

Du reste, je suis d'accord avec l'honorable M. Lelièvre ; je n'aime pas toutes ces exemptions, surtout basées sur l'état de fortune. Quant à moi, je n'en voudrais pas du tout. Je me place, il est vrai, au point de vue démocratique ; je crois que c'est le bon. Mais je veux qu'il soit toujours d'accord avec le point de vue de la justice ; or, je trouve inique de parquer les Belges en riches et en pauvres et d'imposer aux riches des charges exceptionnelles qu'on n'impose pas aux pauvres. Si la dette envers la patrie existe, comme vous le prétendez, elle existe pour tout le monde et pas dans une proportion plus forte pour l'une famille que pour l'autre. Par conséquent, je trouve injuste que vous infligiez à certaines familles une charge exceptionnelle que vous ne demandez pas aux autres. Je réclame le droit commun.

Au chapitre des exemptions, je voudrais voir figurer à côté de l'exemption, assez naturelle (mais générale), de l'enfant unique légitime, je voudrais voir figurer l'exemption de l'enfant unique naturel qui est le soutien de sa mère. Il y a là même raison de décider.

Tout est inconséquence dans votre fatal système de conscription : Vous exemptez l'enfant unique, et pourtant il est bien des cas où l'enfant unique est moins indispensable à la famille que le fils unique avec sœurs ou même que le fils valide ayant des frères incapables de travailler sans être infirmes, frères dont il est le soutien.

Il peut y avoir plus de raisons d'exempter un fils qui a des frères dont il est le soutien, plus de raisons puisées dans l'humanité, qu'il n'y en a d'exempter l'enfant unique. Car le fils qui a des sœurs et des frères non infirmes, mais incapables de travailler, peut être l'indispensable soutien de cette partie de sa famille, tandis que l'enfant unique n'est pas toujours le soutien de sa famille, et en est rarement le soutien.

L'enfant unique, après tout, est mieux favorisé par la fortune que les enfants multiples.

Voyez ce que vous faites. Un jeune homme est le soutien de ses sœurs et frères non infirmes, l'indispensable soutien. Il est frappé par votre loi ; tandis que l'enfant unique, qui n'a pas de charges pareilles, jouit d'un énorme privilège. En sorte que vous frappez celui qui peut rendre le plus de service à sa famille, et vous le frappez par la raison même qui devrait vous empêcher de l'atteindre ; c'est-à-dire à cause de l'existence de frères et sœurs qui ont besoin de son appui.

J'ai déjà dit un mot des pétitions que je vois enfin figurer au bureau ; je prierai la section centrale d'en faire un court rapport. Je me suis donné celle peine en 1858 alors qu'il y avait 1,800 pétitions, sur lesquelles j'ai compté 75,000 signatures.

M. Muller, rapporteurµ. - Elles ont été comptées au greffe.

M. Coomans. - Je les ai comptées moi-même ; si elles ont été comptées également au greffe, c'est une garantie de plus, dans tous les cas on ne contestera pas mes chiffres.

En résumé, messieurs, il n'y a de rationnel qu'une armée de volontaires, noyau, si vous le voulez, d'une armée nationale et générale. Les nécessités militaires ne justifient ni n'excusent les iniquités de la loterie, car l'expérience et la raison prouvent qu'on peut créer de grandes et belles armées sans loterie ; les Etats-Unis, l'Angleterre, la Prusse et la Suisse en offrent des preuves suffisantes et parfois redoutables.

Je crois qu'après avoir organisé une bonne milice, vraiment nationale, sans trop de charges pour le public on pourrait se contenter d'une armée permanente de 10,000 hommes ; ce serait assez pour maintenir l'ordre public, car si ces 10,000 hommes venaient à ne pas suffire, l'ordre public serait perdu.

L'égalité est la grande loi des temps modernes et elle a pour base la justice. Malheur aux peuples qui méconnaissent ces vérités ! il n'y a de légitime que la justice, le droit de mal faire n'appartient pas plus à l'Etat qu'à l'individu.

Je m'associe au doute exprimé par l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu sur la légitimité du droit que nous nous arrogeons de faire marcher des milliers d'hommes qui ne nous ont donné aucune mission.

Ce droit est d'autant plus contestable que nous nous éloignons davantage des nécessités réelles ; mais, je le répète, si nous avions un système de vraie représentation nationale, si la majorité des Belges avait à se prononcer, l'impôt du sang, prélevé au moyen de la loterie militaire, serait supprimé avant la convocation d'une nouvelle législature, car la Belgique est presque unanime à le repousser et à le flétrir.

Si vous voulez une bonne et nombreuse armée, payez-la ; on fera queue au ministère de la guerre pour obtenir une place de guerrier, comme on fait queue au ministère des finances pour obtenir une place de douanier. (page 867) La preuve, c'est que nous avons encore environ 7,000 volontaires dans l'armée, volontaires que nous payons très insuffisamment, tandis qu'il n'y a pas une pareille catégorie de fonctionnaires dans aucune administration publique.

Que M. Frère essaye d'avoir des douaniers de la façon dont il se procure des militaires, et le fisc sera étrangement volé !

L'armée permanente, dont je parle, pourrait être composée de volontaires, de régiments spéciaux ou modèles.

Le système anglais est celui que je préfère, et si, par ce moyen, la Belgique ne peut pas se sauver, je déclare qu'elle n'est pas sauvable.

Et puis, une grande armée est un danger permanent, car elle crée à l'étranger l'envie de s'en servir ou la crainte d'avoir à la combattre.

C'est ma conviction profonde qu'on a compromis les destinées du pays, qu'on a compromis notre indépendance et notre nationalité en offrant à l'étranger l'appât d'une belle et courageuse armée.

Voulez-vous être fort contre l'étranger ? C'est mon souhait, aussi vif, peut-être plus ardent que le vôtre : Que tous officiers et volontaires s'engagent à ne jamais servir l'ennemi devenu notre maître ; que tous nos fonctionnaires en fassent autant ; qu'on demande le même engagement public à tous les citoyens pour eux et leurs enfants, qu'on ouvre des registres, qu'on en fasse hommage au Roi et vous aurez créé quelque chose de plus fort contre l'étranger que les fortifications d'Anvers.

Une telle manifestation ferait réfléchir l'étranger, empêcherait la conquête ou la rendrait moins durable. Mais telle n'est pas l'intention des fonctionnaires civils et militaires.

Et puis la plus grande des forces que nous pourrions nous créer aujourd'hui contre nos voisins, ce serait la suppression de la conscription, car on saurait bien que les Belges se lèveraient en masse le jour où l'on essayerait de la rétablir.

Finalement, quand j'observe la marche des choses en Belgique et dans le reste du monde, je constate deux faits qui me frappent d'heure en heure davantage.

Deux idées poussent et grandissent, sans vous, malgré vous, contre vous, deux idées qui triompheront tôt ou tard, j'espère que ce sera tôt ; la première, c'est la pratique du suffrage universel.

Le suffrage universel me ferait réussir dès ce soir si j'avais le bonheur de pouvoir le consulter ; vous l'aurez, le suffrage universel, non seulement en Belgique, mais dans toute l'Europe, dans tout le monde civilisé.

Il est impossible que les Belges consentent longtemps à vous en croire quand vous leur déclarez, à chaque instant, qu'ils sont inférieurs pour la moralité, pour l'intelligence, pour le sens politique, pour l'amour de la liberté, à tous leurs voisins, aux Anglais, aux Allemands, aux Français, même aux Espagnols !

Voilà votre thèse ! Eh bien, vous n'amènerez jamais les Belges, les Belges qui méritent ce nom, à y souscrire.

Un second fait me paraît indéniable, c'est qu'il y a, en dépit d'apparences contraires, c'est qu'il y a en Belgique, dans toute l'Europe, une réaction formidable contre le militarisme.

Or, cette réaction triomphera aussi un jour, et si vous vous obstinez dangereusement et déraisonnablement à élever des digues contre le double torrent qui se forme et qui approche, contre le suffrage universel et contre le discrédit des armées ; si vous persévérez dans cette politique-là, vous perdrez la patrie.

Projet de loi relatif au remboursement des titre de l’emprunt de 30 millions et à l’amortissement de l’emprunt à 4 1/2 p. c.

Dépôt

Projets de loi ouvrant des crédits au budget des ministère des travaux publics, de la guerre, des affaires étrangères et de l’intérieur

Dépôt

(page 860) MfFOµ. - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre un projet de loi qui autorise le gouvernement à rembourser les titres de l'emprunt de 30 millions, à 4 p. c, et qui modifie le régime relatif à l'amortissement des dettes à 4 1/2 p. c.

Messieurs, ce projet de loi doit avoir pour résultat d'améliorer notablement notre situation financière. Nous avons pensé que. la conversion de la dette devait être écartée, que d'autres mesures offrant des avantages à peu près équivalents étaient suffisantes pour assurer complètement les services publics.

Le remboursement de la dette à 4 p. c. constituera une réduction immédiate de 1,200,000 fr. sur le budget de la dette publique.

La mesure relative au 4 1/2 p. c, dont l'objet principal est de ramener l'amortissement au taux uniforme d'un demi pour cent, tandis qu'il est actuellement à ce taux pour une partie de la dette et d'un pour cent pour le reste, aura pour résultat une diminution de plusieurs millions de francs du budget de la dette publique, Ces deux mesures diminueront nos dépenses de plus de 5,500,000 fr. annuellement ; elles nous procureront, dès 1869, une ressource de 2,000,000 de fr.

En y ajoutant 5,500,000 fr. par chacune des années 1870 et 1871, nous pourrons disposer de 13,000,000 de francs. Les bonis très probables des exercices 1870 et 1871, estimés au chiffre le plus bas, en supposant que nous n'ayons pas d'événements graves, donneront également 10 millions de francs.

Ainsi, nous pouvons, dès à présent, avec quelque raison, compter sur une somme disponible de 25 millions de francs.

Ces ressources permettront tout à la fois de pourvoir aux 8,250,000 fr. formant l'insuffisance de nos recettes extraordinaires sur les dépenses de même nature qui ont été décrétées par la Chambre, et de proposer l'exécution de divers travaux publics urgents ; elles nous mettront en même temps en mesure de faire face à d'autres dépenses également indispensables.

J'ai, en conséquence, l'honneur de soumettre à la Chambre des projets de lois ayant pour objet d'ouvrir :

Au département des travaux publics, des crédits à concurrence de 6,685,000 fr. ;

Au département de la guerre, pour renforcer et compléter les défenses de l'Escaut sous Anvers, de 1,500,000 fr.

Au département des affaires étrangères, pour construction d'un steamer, de 625,000 fr.

« Au département de l'intérieur :

« A. Construction de maisons d'école, 1,000,000 fr. ;

« B. Etablissement d'écoles normales, 500,000 fr. ;

« C. Continuation des travaux du palais du Roi et ameublement, 700,000 fr.

Ces divers crédits qui s'élèvent à la somme de 11,010,000 fr. ajoutés à l'insuffisance de 8,250,000 dont j'ai parlé tout à l'heure, forment ensemble un total de 19,260,000 fr.

La différence, soit 3,650,000 francs, servira a réduire d'autant la dette flottante qui s'élèvera à 7,250,000 francs par le remboursement de la dette à 4 p. c.

M. le président. - Il est donné acte à M. le ministre des finances de la présentation de ces projets qui seront imprimés, distribués et renvoyés à l'examen des sections.

Projet de loi prorogeant le mode de nomination des jurys d’examen universitaires

Dépôt

MiPµ. - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre :

Un projet de loi portant prorogation pour les années 1870 et 1871 du mode de nomination des jurys et du système d'examen établis par la loi du 1er mai 1837 ;

Projet de loi assimilant, quant au droit à la pension, les directeurs des pensionnats de l’instruction moyenne aux professeurs attachés à ces établissements

Dépôt

Un projet de loi ayant pour objet d'assimiler, quant au droit à la pension, les directeurs des pensionnats annexés aux établissements d'instruction moyenne et les professeurs attachés à ces établissements ;

Projet de loi modifiant les limites entre les provinces du Brabant et de la Flandre orientale

Dépôt

Un projet de loi qui modifie la limite séparative entre les provinces de Brabant et de Flandre orientale.

M. le président. - Il est donné acte à M. le ministre de l'intérieur du dépôt de ces projets de loi qui seront imprimés et distribués.

Ils sont renvoyés : le premier, à la section centrale du budget de l'intérieur ; le second, à l'examen des sections ; le troisième, à l'examen d'une commission spéciale.

Projet de loi modifiant les limites entre la délimitation de la frontière entre la Belgique et les Pays-Bas

Dépôt

MaeVSµ. - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau un projet de loi relatif à une délimitation de frontière entre les Pays-Bas et la Belgique,

M. le président. - Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi, qui sera imprimé, distribué et renvoyé (erratum, page 876) à une commission à nommer par le bureau.

- La séance est levée à cinq heures.