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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 11 mai 1869

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1868-1869)

(Présidence de M. Dolezµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 863) M. de Moorµ fait l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Van Humbeeck lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Moorµ présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Perin demande que son fils soit indemnisé pour le temps qu'il a passé indûment sous les armes. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« La veuve Desmet demande la restitution d'une somme payée par feu son mari du chef d'une amende dont il a été ensuite gracié. »

- Même renvoi.


« Le sieur Wagenacre, capitaine en retraite, demande que le gouvernement rapporte l'article 12 de l'arrêté royal du 9 mai 1842 relatif aux conditions auxquelles les officiers pensionnés sont soumis pour se marier. »

- Même renvoi.


« Le sieur Amoris demande qu'il soit interdit aux chefs de la douane d'obliger leurs employés à s'abonner au docteur qu'ils désignent. »

- Même renvoi.


« Des propriétaires, cultivateurs et rouisseurs de lin, à Vive-Saint-Eloi, demandent qu'il soit pris des mesures pour prévenir les inondations de la Lys. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Honnay prient la Chambre d'autoriser la concession d'un chemin de fer de Givet à Jemelle par Beauraing, demandée par les sieurs Brassine et Nicaise.

« Même demande d'habitants de Winenne et Dion. »

- Même renvoi.


« L'administration communale de Bois-de-Villers demande la construction par l'Etat d'une route de Saint-Gérard à Namur, par Lesve et Bois-de-Villers. »

M. Lelièvreµ. - Une pétition ayant le même objet a déjà été soumise à la Chambre, qui l'a renvoyée à M. le ministre des travaux publics. Je demande que la même résolution soit prise sur la réclamation qui vient d'être analysée.

- La proposition de M. Lelièvre est adoptée.


« Les bourgmestres de diverses communes du Hainaut demandent des dispositions légales ou réglementaires sur la sonnerie des cloches. »

- Même renvoi.


« Des bourgmestres, industriels, propriétaires et autres habitants du canton de Louvegnez prient la Chambre d'autoriser la concession d'un chemin de fer industriel de Chanxhe au Trooz et de ne pas concéder définitivement le chemin de fer des plateaux de Herve sans avoir assuré la construction des lignes de Trooz à Micheroux et de ce point à Argenteau. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi de concession de chemins de fer.


« Les membres de l'administration communale de Sprimont prient la Chambre d'assurer la construction d'un chemin de fer de Micheroux au Trooz et d'autoriser la concession au sieur Charles de Macar d'une ligne de Trooz par Sprimont à Chanxhe. »

- Même renvoi.


« Des propriétaires et exploitants de carrières de Sprimont prient la Chambre d'autoriser la concession d'un chemin de fer industriel de la station de Trooz à celle de Chanxhe. »

- Même renvoi.


« Les sieurs Dumont et Jacqmain prient la Chambre d'adopter le projet de loi concernant l'abolition de la contrainte par corps, qui a été amendé par le Sénat. »

- Renvoi à la commission chargée d'examiner le projet.


« Des habitants de Longchamps réclament l'intervention de la Chambre pour que la société concessionnaire de la ligne de Namur à Ramillies soit mise en demeure de remplir ses engagements. »

- Renvoi au ministre des travaux publics.

« Des commerçants à Bruxelles présentent des observations concernant le projet de loi sur les protêts. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet.


« Des habitants de Liège demandent l'abolition de la conscription militaire et la transformation prompte et graduelle de l'armée permanente en une armée citoyenne. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur la milice.


« Le sieur Thiry demande la réduction du nombre des employés de la douane. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget des finances.


« Par dépêche du 1 mai, M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, la demande de naturalisation ordinaire du sieur M. Zimmer. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« M. David, forcé de faire un voyage urgent à l'étranger, demande, un congé de quinze, jours. »

- Accordé.


« M. Dethuin, obligé de s'absenter, demande un congé de cinq jours. »

- Accordé.


« M. Warocqué, devant s'absenter pendant quelque temps, demande un congé. »

- Accordé.


M. E. Vandenpeereboom, retenu par une affaire urgente, demande un congé. »

- Accordé.

Projet de loi sur la milice

Discussion générale

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Messieurs, j'ai demandé la parole au début de la discussion, parce que j'ai à vous soumettre quelques observations d'une nature générale, qui sembleraient peut-être inopportunes si la discussion étaient entrée dans les détails du projet de loi qui vous est soumis. Je me réserve, lorsque la discussion sera plus avancée, d'aborder l'examen plus précis de ce projet.

Et d'abord, messieurs, une observation générale : aucun pays libre n'a jamais admis dans ses lois la conscription forcée.

L'Angleterre, au milieu de ses luttes gigantesques contre la République et le premier Empire, n'a jamais admis qu'un seul de ses citoyens pût être forcé de s'enrôler. Elle a acheté des armées, elle a soudoyé des Etats, mais jamais elle n'a forcé personne d'entrer dans ses armées. Sans doute, elle a passé très légèrement sur les abus de la presse des matelots, sur les abus très grands et très criants des enrôlements dans les tavernes ; mais elle n'a jamais consenti à inscrire dans ses lois l'obligation de servir le pays contre son gré ; l’habeas corpus invoqué faisait mettre immédiatement en liberté les citoyens qui, par abus ou par erreur, avaient pu être enrôlés.

La Suisse, messieurs, admet le service légal de tous. Tous les citoyens sont appelés successivement à servir leur pays, à le défendre, à défendre ses institutions et ses lois ; aucun n'est forcé, soit par le sort, soit par tout, autre moyen, de le faire, à l'exclusion de ses voisins ; tous y concourent également, et quand je dis également, c'est que tous le font librement.

Aux Etats-Unis, nous avons vu pendant la guerre gigantesque qu'ils ont soutenue dans ces dernières années, nous y avons vu des armées comme le siècle n'en avait pas connu auparavant ; 1,100,000 hommes se sont trouvés sous les armes d'un seul côté, et cependant la conscription forcée n'a pas été inscrite dans la loi.

Le seul Etat qui ait voulu l'y inscrire, celui de New-York a vu sa population se soulever, et il a fallu y renoncer.

Pourquoi, messieurs, ce principe n'a-t-il pas été inscrit dans les lois des nations libres ? C'est qu'il est diamétralement opposé à la liberté individuelle, c'est qu'il est la négation la plus directe de cette liberté, qui est inscrite en tête des constitutions de tous les Etats libres, et nous-mêmes, messieurs, avons-nous accepté volontairement la conscription ?

Vous savez, messieurs, que quand la conquête est venue nous l'imposer, nous y avons opposé une résistance énergique, et ce n'est qu'en mettant en. œuvre tous les efforts de la République et de l'Empire qu'on y a soumis nos populations.

Le gouvernement hollandais lui-même a respecté notre sentiment national. Il n'a pas inscrit, dans la loi de 1813, le principe de la conscription forcée. Ce n'est que subsidiairement, après que l'on a épuisé les enrôlements volontaires, que la conscription a été appelée à remplir les cadres de l'armée. Mais encore, messieurs, n'était-ce là qu'un gouvernement étranger qui nous était imposé par l'Europe.

(page 854) Le gouvernement néerlandais n'était pas un gouvernement accepté librement par nous, et au bout de quinze ans, vous savez que nous l'avons renversé pour y substituer celui de notre choix.

Messieurs, en 1830, le Congrès national, armé de tous les pouvoirs de la nation, a fait notre Constitution. Y a-t-il inscrit l'obligation pour les citoyens, ou pour une partie d'entre eux, d'entrer dans l'année ? Voyons.

Je lis l'article 7.

« La liberté individuelle est garantie. »

Qu'est-ce que la liberté individuelle ? C'est la liberté de disposer de soi-même, de son temps, de son esprit, de son corps, comme de ses biens.

Mais, peut-être, plus loin, dans un autre passage, la Constitution limite-t-elle cette liberté.

Je lis le chapitre de la force publique, article 118 :

« Le mode de recrutement de l'armée est déterminé par la loi. »

Que signifie cet article ? Tout simplement que le Congrès n'a pas voulu laisser à l'arbitraire du pouvoir exécutif les moyens de recruter l'armée ; mais il ne diminue en aucune façon la garantie de la liberté individuelle inscrite dans l'article 7. Et, en effet, si cette liberté souffrait des exceptions, cette garantie disparaîtrait. Que serait-ce qu'une liberté qui pourrait être diminuée dans certains cas au gré des pouvoirs publics ? Ce ne serait plus une liberté garantie, ce ne serait plus qu'une liberté accidentelle, ce serait une liberté qu'on laisserait au bon vouloir, soit du gouvernement, soit de la législature ; ce ne serait plus la véritable liberté.

Mais je le sais, messieurs, une théorie s'est établie, parmi nous, c'est que la législature est omnipotente. La lettre de la Constitution n'est plus guère un obstacle, nous l'avons vu dans des circonstances toutes récentes ; c'est, d'après cette théorie, l'esprit de la Constitution qui doit nous gouverner. Prenons-y garde, messieurs, prenons garde de mettre trop d'esprit dans la Constitution, car elle ne conserverait bientôt plus de corps.

Quelle est la garantie que peut offrir une loi ou une constitution si ce n'est sa lettre ? Quelle garantie, surtout, peut-elle offrir à ceux qui n'ont aucune action sur la législature et qui chez nous forment l'immense majorité ? Mais la lettre de la Constitution, la lettre des lois est, pour la masse qui ne peut prendre part ni aux élections ni à la formation des corps électifs, la seule garantie sérieuse.

Si vous ne respectez pas la lettre des lois, où la classe exclue du vote pourra-t-elle se réfugier ? Mais l'esprit des lois peut changer avec ceux qui l'interprètent, cet esprit est extrêmement variable et n'offre par conséquent aucune espèce de garantie.

Au-dessus des constitutions, me dira-t-on, il y a une loi suprême : « Salus populi suprema les esto. » Ce qui revient à dire. : Les constitutions peuvent avoir des lacunes et le salut du peuple peut exiger certains sacrifices. Si le pouvoir de forcer les citoyens à consacrer une partie de leur temps à des exercices militaires n'est pas inscrit dans la Constitution, en vertu du salut du peuple, nous pouvons l'inscrire dans la loi.

Messieurs, je n'examinerai pas le principe du salut public. Pour rendre la discussion plus facile, je consens à l'accepter comme indiscutable. Mais si le salut du peuple peut exiger, dans certaines circonstances, que les citoyens s'enrôlent pour défendre la patrie, est-ce que cette loi suprême nous autorise à en excepter une partie ?

Pouvons-nous, en vertu de cette loi, créer en faveur des uns un privilège tandis que nous imposons toute la charge aux autres ? Il me semble, messieurs, que poser la question c'est la résoudre ; du moment que nous admettons que le salut public exige la formation d'armées, nous devons en même temps en imposer la charge également à tous. Et si, pour résoudre la question soulevée ici, j'ai encore recours à notre loi fondamentale, à la Constitution, j'y vois que les impôts doivent être également répartis sur tous les citoyens ; qu'il ne peut y avoir ni faveurs, ni exceptions pour personne.

Si donc nous admettons que le service militaire n'est pas seulement un service, mais aussi un impôt, une charge, il est évident .que nous devons y soumettre également tous les citoyens.

De quelque côté donc que nous examinions la question, soit au point de vue des principes généraux, soit au point de vue des principes constitutionnels, je trouve que nous sommes sans pouvoir pour forcer qui que ce soit à supporter une charge que ne supporteraient pas également tous nos concitoyens.

Mais, messieurs, si nous pouvions obliger une partie des citoyens à supporter des charges qui incombent à tous, l'injustice que nous commettrions serait d'autant plus grande, d'autant plus intolérable qu'elle viendrait frapper une partie de la population qui est privée du droit de se défendre par la voie des élections

Comme je le disais tantôt, la Constitution est et doit être surtout la garantie de ceux qui ne possèdent pas le droit électoral.

C'est en leur faveur principalement que ces garanties ont été inscrites ; car si elles n'existaient pas, cette partie de la population ne pourrait plus se dire ni se croire libre ; ce serait une population assujettie aux volontés ou aux intérêts d'une autre partie de la population.

Examinons maintenant, messieurs, quelles sont les charges auxquelles est soumise la partie la plus nombreuse de la population, celle qui, par sa pauvreté, est exclue du vote ; examinons l'effet économique que ces charges produisent sur son bien-être actuel et sur son avenir et, par ricochet, sur le bien-être et sur l'avenir du pays tout entier. Prenons une famille particulière ; descendons dans ce que je pourrais appeler les molécules qui composent l'Etat, et voyons quelles sont les conséquences que produira l'enrôlement forcé d'un de ses membres.

Un père de famille a 3, 4, 5 enfants, ou davantage ; à cause des charges de la milice qu'il a dû acquitter, il n'a pu se marier qu'à 28 ou à 29 ans ; quand son fils aîné atteint l'âge de la conscription, il atteint donc, lui, 49 ou 50 ans. Chargé de l'entretien d'une famille, cet homme s'est épuisé pour la nourrir. Généralement à l'âge de 50 ans les infirmités commencent à arriver. Ce père avait compté sur son fils pour l'aider à franchir le passage si difficile qui le sépare du moment où toute sa famille sera en âge de se subvenir à elle-même. Le tirage au sort arrive ; le fils est désigné ; il doit quitter la maison paternelle pour le régiment.

Tâchons de réduire en chiffres les conséquences de ce que je puis appeler ce malheur. Voyons ce que coûte ce malheur non seulement à l'individu même frappé par le sort, mais à tous les siens.

Je ne parlerai que pour mémoire de ce que je ne saurais réduire en chiffres : des soucis de la famille, des angoisses de la mère, des incertitudes qui ont plané pendant des mois entiers au sein de cette famille et qui ont arrêté tous ses plans d'avenir, des démarches qu'elle a dû faire, du temps que père et fils ont dû perdre pour remplir toutes les formalités préliminaires qui sont exigées.

Mais le fils part. Il doit servir, d'après la loi qui nous est soumise, pendant 2 ans et demi.

Qu'est-ce que cela lui coûtera ? Admettons un chiffre moyen, un chiffre de rémunération très peu élevé : Cinquante francs par mois de salaire.

Deux ans coûteront donc 1,200 fr., et 1,500 fr. pour deux ans et demi.

Mais à côté de ces 1,200 à 1,500 fr., il faut placer l'avenir compromis, l'apprentissage arrêté, les mœurs nouvelles acquises, la vie d'oisiveté relative dans laquelle ce travailleur est obligé de passer plusieurs mois. Tout cela pèse d'une façon considérable, pour ne pas dire irréparable, sur l'avenir du jeune homme. S'il veut s'établir, ce sera sans économies, sans avance, en s'endettant.

Mais d'un autre côté, la famille elle-même est frappée. Les enfants plus jeunes ont dû être envoyés au travail beaucoup plus tôt, au lieu d'être envoyés à l'école. Peut-être la nourriture qui était nécessaire à leur développement leur a-t-elle manqué, et vous voyez ainsi le sort frappant un seul membre d'une famille détruire non seulement l'avenir de celui qui est frappé, mais désorganiser, on peut le dire, jusque dans ses fondements les plus profonds, la famille tout entière. Les conséquences économiques de ce fait sont des plus désastreuses.

Et, en effet, chacun de vous peut s'en convaincre par l'expérience et par l'observation. Allez dans les villages, allez dans la campagne ; prenez le premier pauvre que vous rencontrez : interrogez-le et remontez à la source de sa pauvreté, et presque toujours vous irez en trouver la cause première dans la conscription ; presque toujours vous la trouvez dans la désorganisation apportée dans la famille par l'enrôlement forcé d'un de ses membres ou d'un ascendant.

Messieurs, je me suis demandé si nous sommes bien réellement armés du droit d'imposer ces charges à la population, surtout à ceux dont nous sommes les tuteurs et non les mandataires. Si je m'en rapporte au code civil, les pouvoirs des tuteurs ne vont pas jusque-là. Certes nous serions très puissants si nous étions les mandataires de tous, et encore je doute que notre puissance pût aller, même alors, jusqu'à la confiscation de la liberté individuelle que nous avons pour mission principale de garantir. Mais lorsque nous ne tenons pas notre mandat de tous, lorsque nous avons une grande partie de la population pour laquelle nous sommes chargés de faire ce qui lui est favorable, et de nous abstenir de tout ce qui peut lui être nuisible, je me demande si notre droit va jusqu'à lui imposer les charges qu'entraînera l'adoption du projet qui vous est soumis.

Messieurs, je dois avouer franchement que je ne le crois pas et que je ne me sens pas autorisé à voter cette loi.

Je sais tout ce qu'on peut dire à cet égard et je n'ai pour cela qu'à me rappeler tout ce qui a été dit dans cette enceinte l'année dernière : ce n'est (page 855) pas de notre plein pré que nous imposons ces charges à la population ; ce sont les circonstances, c'est la situation qui nous y forcent. Eh bien, en supposant qu'on concède toutes ces raisons, qu'on les admette par hypothèse, encore faudrait-il qu'il fût démontré d'une façon irréfutable que ces charges seront un jour utiles, pour que nous pussions nous permettre de prendre sur noire responsabilité de les imposer à la population.

Je ne veux pas rentrer dans la discussion de l'année dernière ; je crois qu'elle a été épuisée. Mais je dois déclarer ici une fois de plus que pour moi, non seulement il est plus démontré que jamais que les charges que l'on impose à la population pour organiser la défense du pays excèdent nos forces, mais que, comme je le disais, il n'est pas démontré qu'elles puissent jamais être utiles.

Au contraire, j'ai cité à plus d'une reprise, et je viens répéter encore, l'exemple du Danemark, d'une part, l'exemple de l'Autriche de l'autre, me démontrent que l'organisation d'une force militaire considérable ne peut avoir pour nous que des dangers ; ne peut être qu'un prétexte pour ceux qui pourraient avoir besoin de trouver l'occasion d'abuser de leur force et qui viendraient nous imposer la conquête sans que nous puissions nous appuyer sur le droit.

Si je reviens sur ce point, c'est pour vous démontrer, comme j'ai cherché à le faire, en abordant la question au point de vue constitutionnel, au point de vue des principes, qu'il est inutile, je dirai plus, qu'il est dangereux de s'écarter des principes de liberté individuelle inscrits dans la Constitution, pour atteindre un objet qui ne peut nous conduire, dans les cas le plus favorables, qu'à la ruine, des populations et principalement de cette partie de la population sur laquelle tombe de tout son poids l'organisation de l'armée par le système qui nous est proposé.

Messieurs, je dois appeler de nouveau votre attention sur les conséquences générales qui peut avoir et qu'aura infailliblement la loi que nous avons votée l'année dernière et dont on nous demande en quelque sorte aujourd'hui la consécration par la loi sur la milice. Je vous ai montré tantôt l'effet particulier, l'effet pour la famille ; mais cette famille n'est pas isolée : il y en a, chaque année, 11,000 dans le pays. Les effets, s'ils ne se produisent pas d'une façon aussi désastreuse sur tous, se produisent de cette façon sur un grand nombre ; j'oserais dire sur la majorité.

Au bout d'un certain nombre d'années, ces effets, qui ont pu être imperceptibles d'abord, s'étendent, et déjà maintenant nous pouvons, en voyant les listes des pauvres, juger de l'effet produit depuis une génération.

Environ 700,000 à 800,000 pauvres se trouvent déjà inscrits sur les listes des bureaux de bienfaisance. Ce nombre, loin de diminuer avec l'augmentation des richesses, tend plutôt à s'accroître.

Notez bien, messieurs, que nous avons joui jusqu'ici d'un bonheur extraordinaire.

Depuis 1830, nous n'avons eu, à proprement parler, aucune crise. Nous n'avons pas eu de famine. Nous avons eu des chertés relatives, nous avons eu des crises industrielles très graves et vous avez pu constater immédiatement les effets que ces crises ont produits sur les populations ; vous avez vu la mortalité s'élever à des chiffres effrayants.

Qu'arrivera-t-il, messieurs, si le paupérisme continuant à s'accroître dans une proportion plus forte que la population, il survenait une famine ?

Vous avez une dette inscrite de près de 50 millions que vous ne pourriez diminuer et vous avez un budget de la guerre de près de quarante millions.

Les autres dépenses sont également très élevées, et comme j'ai eu l'occasion de vous le dire dans une occasion récente, l'ensemble de nos budgets emporte presque la totalité de nos revenus.

Ne trouvez-vous pas, avec moi, messieurs, que cette position n'est pas rassurante ?

Qu'arrivera-t-il si nous persévérons dans cette voie tandis que l'Amérique cherche énergiquement à se débarrasser de sa dette et y parvient ?

Comment pourriez-vous soutenir la concurrence industrielle si vous continuiez à augmenter les charges publiques, tandis vos concurrents d'outre-mer cherchent à les diminuer sans cesse ? La lutte deviendra impossible.

Notez bien que les termes du problème se resserrent tous les jours davantage.

Le paupérisme augmente, la population augmente, les charges augmentent ; le territoire ne s'étend pas.

Il se présente là des questions dont la solution exige toute l'attention, non seulement des économistes, mais de tous les hommes d'Etat.

Voyez ce qui se passe en Angleterre. Toute l'attention du nouveau ministère a été concentrée sur la diminution des charges publiques.

Sur le budget de la guerre seul, ils ont économisé, cette année, 50 millions, autant sur la marine, et ils cherchent à réduire les charges publiques partout où il est possible de le faire. Tous les publicistes de l'Angleterre s'occupent même, en ce moment, de rechercher les moyens de diminuer les charges de la dette, afin de soulager l'industrie d'une partie des impôts qu'elle est encore obligée de payer. Et pourquoi ? Parce que la concurrence que l'industrie anglaise a rencontrée sur les marchés du monde entier devient tellement forte, qu'elle a dû reconnaître que si l'on ne parvient pas à diminuer les frais généraux, il lui serait impossible de la soutenir très longtemps.

Nous sommes exactement dans la même situation, nous sommes dans la situation de devoir diminuer nos frais généraux si nous voulons continuer à soutenir la concurrence sur les marchés du monde ; si nous persistons dans la voie où nous sommes aujourd'hui, la concurrence nous sera impossible, et alors les termes du problème que je vous ai posé tout à l'heure viendront se retourner de telle façon qu'il faudra bien, de gré ou de force, chercher à le résoudre.

Messieurs, vous me demanderez sans doute quel remède j'aurais à vous proposer pour rencontrer la situation que je viens de vous dépeindre.

Je suis d'avis que vous avez le droit de me poser cette question et je suis d'avis également que j'ai le devoir d'y répondre. Mais comme je l'ai dit en commençant ce discours, je me suis réservé la faculté de proposer le système qui me paraît le plus économique et le moins onéreux, lorsque la discussion sera plus avancée.

Je pense que le moment sera alors plus opportun par cela même que je serai en mesure de répondre à certaines objections, à certaines critiques qui, peut-être, seront soulevées dans le cours de la discussion.

Je vous demanderai donc, messieurs, la permission de reprendre la parole lorsque le nombre des orateurs inscrits sera épuisé.

M. Lelièvreµ. - Je dois d'abord rendre un légitime hommage au rapport remarquable de l'honorable M. Millier. Œuvre d'un homme spécial, connaissant jusque dans les moindres détails la matière en discussion, ce travail est digne, à tous égards, de l'attention de la Chambre, et porte le cachet d'un talent vraiment distingué.

Le projet renferme d'importantes améliorations qu'il est impossible de méconnaître. Il corrige plusieurs dispositions peu équitables que consacre la législation actuelle et introduit des changements dont le besoin s'est fait sentir depuis longtemps.

C'est ainsi que j'applaudis à la disposition qui, dérogeant à l'article 374 du code civil, n'admet l'engagement volontaire d'un mineur que dans le cas où il est contracté du consentement de ceux auxquels appartient l'autorité paternelle. Il est évident que semblable engagement est trop important pour ne pas être soumis au contrôle de ceux qui sont investis de cette autorité. Les circonstances qui avaient motivé une exception injustifiable ont d'ailleurs cessé, et le retour aux véritables principes est reconnu indispensable. Un mineur, qui ne pourrait contracter une obligation d'une valeur restreinte sans le consentement de son administrateur légal ou de son tuteur, ne peut évidemment s'engager, sans la même autorisation, pour le service de la milice, charge on ne peut plus onéreuse et devant exercer une influence considérable sur toute l'existence de celui qui se l'impose. Du reste, l'expérience a révélé les graves inconvénients de l'ordre de choses qu'a créé le code civil. Il convient donc de revenir à un régime plus conforme aux principes du droit naturel, que les lois civiles doivent confirmer en cette matière.

Je considère aussi comme réalisant de véritables améliorations les dispositions qui dispensent de l'incorporation, mais réputent au service, quant à la formation du contingent, les ministres des cultes, les élèves en théologie et ceux qui se préparent à l'enseignement primaire ou moyen du degré inférieur dans les écoles normales de l'Etat.

Sans doute, un intérêt social qui se rattache au service des cultes et de l'enseignement primaire justifie ces dispenses, mais au moins les conséquences ne rejailliront pas sur un autre milicien, et le sacrifice sera supporté par toutes les populations du pays, ce qui me paraît conforme aux principes de justice et d'équité.

Je pense toutefois qu'en abrogeant la loi de 1820 il faut obliger tous les miliciens à se présenter devant le conseil de milice.

Il est certain que la présence de tous les miliciens d'une commune est utile pour faire connaître immédiatement ceux qui sont propres au service, ceux qui ne le sont pas, et prévenir une foule de réclamations qu'en présence des intéressés et des individus à même de les apprécier, l'on n'osera pas produire.

Un intérêt général et puissant exige qu'on revienne, à cet égard, au principe de la loi de 1817, et nous pensons même que la non-comparution lorsqu'elle n'est pas justifiée, devrait être frappée de pénalité, parce que la comparution est prescrite dans un intérêt public qui doit être sauvegardé.

Quelques autres dispositions me semblent devoir être l'objet de (page 856) certaines observations critiques. J'estime que la loi doit statuer par dispositions générales et qu'on ne peut établir des catégories contraires à l'égalité de tous les citoyens devant la loi, base de nos institutions.

Ainsi, si l'on croit devoir maintenir l'exemption on faveur d'un enfant unique, je ne pense pas qu'on doive la restreindre au cas de gêne ou de médiocrité de fortune.

Ce serait pour la première fois que semblable distinction serait écrite dans nos lois. Celles-ci ont toujours disposé, d'une manière uniforme, à l'égard de tous les citoyens et jamais leur application n'a été subordonnée à la question de savoir si les individus qu'elles concernaient étaient ou non dans l'aisance.

Ajoutez que c'est donner lieu, dans l'exécution, à l'arbitraire le plus absolu et créer souvent un ordre de choses peu équitable. Dans les différentes parties de la législation, on n'a jamais voulu qu'on pût scruter la fortune privée. C'est pour ce motif qu'on a écarté l'impôt sur le revenu ou la fortune présumée. C'est, du reste, dans les campagnes surtout que le système du projet pourrait donner lieu a de sérieux inconvénients. Je pense donc que la disposition dont il s'agit doit être modifiée.

Je dois aussi faire remarquer qu'une erreur s'est évidemment glissée dans le rapport, en ce qui concerne l'exclusion du service militaire par suite de condamnations. Le rapport énonce que l'on ne peut être relevé de cette indignité que par une réhabilitation et non par le droit de grâce.

Cette partie du rapport a sans doute été écrite avant la publication du nouveau code pénal, dont l'article 87 confère au Roi le droit de faire remise des incapacités.

Cette disposition, applicable aux condamnations prononcées par le juge ordinaire, devrait, à mon avis, être étendue aux condamnations émanées des tribunaux militaires, afin d'établir l'uniformité dans la législation.

La réhabilitation judiciaire n'existe plus. Elle est remplacée par le droit de grâce décrété par l'article 87 ci-dessus énoncé ; mais une disposition nouvelle est nécessaire en ce qui concerne les décisions portées par le juge militaire, puisque le nouveau code pénal ne concerne pas les crimes et délits militaires.

Il importe donc qu'on inscrive dans le projet une disposition conférant au Roi le pouvoir de faire remise des incapacités résultant des condamnations prononcées par les tribunaux militaires.

Il est aussi impossible, en présence de l'article 264 du codé pénal, de prononcer une amende aussi élevée que celle comminée par l'article 101 du. projet. L'on ne doit la maintenir que dans les limites déterminées par le code pénal.

Je pense que, relativement à la procédure en cassation, l'on pourrait adopter la voie rapide introduite par la loi du 5 mai 1869 en ce qui concerne la révision des listes électorales.

Il y a certains inconvénients à admettre la procédure tracée par le règlement général de 1815, qui est incompatible avec la célérité que requièrent les affaires de milice.

La loi de mai 1869 a tracé une procédure qu'on peut adopter avec fruit dans toutes les matières qui doivent être traitées d'urgence.

Telles sont les courtes observations que je me borne à proposer pour le moment. Je me réserve d'aborder d'autres questions que fait naître le projet, lorsque la discussion générale sera plus avancée.

(page 857) M. le président. - La parole est à M. Kervyn, mais il est retenu à l'Académie. Il n'y a plus d'inscrits. Quelqu'un demande-t-il la parole ?

M. Coomans. - Il me paraît impossible de clore maintenant la discussion générale.

M. le président. - Je me borne à faire connaître à la Chambre que M. Kervyn entend prendre la parole dans la discussion générale.

M. Coomans. - Si j'avais un discours écrit, quoique je ne me proposasse pas de parler aujourd'hui, je le prononcerais sur l'heure pour me rendre aux convenances de la Chambre. Mais je n'ai que des notes ; il sera difficile, pour vous et pour moi de nous en contenter. (Interruption.) Toutefois, pour ne pas faire perdre de temps à la Chambre, pour avoir un titre de plus à sa bienveillance et pour empêcher la clôture très prématurée de la discussion générale aujourd'hui, je commencerai immédiatement.

- Des membres. - Oui, oui, bien.

M. le président. - La parole est donc à M. Coomans.

M. Coomans. - Messieurs, il est tristement remarquable que le mouvement très prononcé de l'opinion publique contre le service forcé et contre les autres charges militaires, n'ait pas exercé sur notre monde officiel' l'influence ordinairement remarquée dans les pays libres ; et que ce mouvement n'ait pas empêché la présentation d'un projet qui maintient et souvent aggrave les injustices criantes des lois en vigueur, presque tous les abus dont on s'est si unanimement plaint.

Depuis 1817, toutes les innovations en cette matière ont augmenté ces charges, principalement imposées aux classes laborieuses.

Le projet de loi dont nous sommes saisis met le comble à ce système rétrograde. Aucun des grands abus n'est supprimé, aucun privilège n'est aboli, aucune mesure d'équité n'est proposée en faveur des victimes de l'impôt du sang.

C'est ce que je démontrerai en réunissant les principales parties du rapport, qui sont : le recrutement, les exemptions, le remplacement et la rémunération.

Dans le cours de l'examen des articles, je compléterai et je préciserai mes remarques.

Le recrutement d'abord :

Le recrutement forcé fut toujours impopulaire dans toutes nos provinces.

Avant le commencement du XVIIIème siècle où la conscription fut introduite chez nous par Louis XIV, au nom ou sous le nom de son petit-fils, le recrutement était général et presque volontaire. L'autorité centrale ne pouvait jamais l'ordonner. Les nobles et quelques vassaux devaient marcher à la réquisition du prince ; mais jamais la bourgeoisie, ni même le peuple. Nos aïeux ne se croyaient libres que lorsqu'ils étaient maîtres de leur corps, de leur travail, de leurs biens.

La conscription, œuvre de tyrannie et d'iniquité, nous fut apportée, il y a 165 ans par un despote étranger qui fit le malheur de la France et d'une grande partie de l'Europe, par Louis XIV, appelé le Grand, parce qu'il construisit Versailles avec le pain des infortunés et qu'il fit périr un million d'hommes.

Il organisa chez nous, sous le nom de Philippe V, la loterie militaire, malgré les protestations unanimes, malheureusement impuissantes, de nos populations,

Ce régime ne put durer que trois ans, pourtant il fut adouci dans la pratique, au point qu'il était moins impopulaire en 1705 qu'en 4702.

Oui, ce régime fut moins cruel, moins onéreux, moins vexatoire, que celui que le pays subit à présent.

Je vais le démontrer. Le sujet vaut peut-être la peine d'attirer votre attention.

La législation date de 1702 ; elle fut rédigée ou signée par le marquis de Bedmar, gouverneur général, au nom de l'Espagne.

La loi n'est pas longue ; elle est douze fois moins longue que la nôtre, et pourtant elle est aussi complète ; à coup sûr, elle est très curieuse, et, à mon sens, bien instructive. En voici le résumé :

Notons d'abord que le chiffre total de l'armée ne pouvait pas dépasser 18,000 hommes, et remarquons qu'au moment où la conscription fut décrétée il y avait déjà 12,000 hommes sous les armes ; il s'agissait donc d'obtenir 5,000 ou 6,000 hommes par le recrutement forcé. Observons en outre qu'il ne pouvait y avoir qu'un seul tirage et une seule levée. Tout calculé, le contingent ne fut que de 2,000 à 3,000 hommes par an, au lieu de 12,000 qu'on demande à cette heure.

Chaque village et chaque commune non privilégiée avait à livrer le nombre d'hommes déterminé par sa population.

Une fois ce nombre fourni, n'importe comment, la dette était payée et le tirage au sort n'avait pas lieu pour cette localité. Il était pratiqué dans les endroits qui n'avaient pas trouvé les volontaires requis. Quant aux communes à privilèges, elles se libéraient avec de l'argent et des vivres.

En fait, le tirage au sort fut l'exception dans toutes les provinces belges, car la plupart des villages se procurèrent facilement des soldats grâce aux divers avantages qui leur étaient assurés.

Ainsi l'article 1er exemple les villages et communautés qui auront livré leur quote-part avant le tirage au sort ouvert dans chaque village ou communauté, sous la direction de l'autorité civile.

L'article 2 soumet au tirage au sort tous les hommes célibataires âgés de 20à40ans.

L'article 3 y astreint les hommes mariés depuis le1er janvier de cette année parce que l'annonce de l'établissement de la loterie militaire avait précédé cette date et que beaucoup de mariages avaient été conclus dans l'éventualité de ce désastre.

L'article 4 déclare que ceux sur qui le sort sera tombé ne seront pas obligés de servir plus de trois ans : qu'il leur en sera donné une promesse écrite et qu'ils pourront librement retourner chez eux à l'expiration de ce terme, sans autre permission.

L'article 5 dit que les officiers tireront pour les absents.

Les articles 6 et 7 dispensent du tirage au sort et libèrent du service militaire les domestiques à livrée ; tous les chefs de famille, fermiers ou propriétaires travaillant pour eux-mêmes ; tous les fils aînés, tous les maîtres-ouvriers qui dirigent les métiers ou le ménage d'une veuve ou d'un vieillard infirme.

Que d'adoucissements en faveur du peuple laborieux !

Ecoutez encore.

D'après l'article 8, toutes les personnes exemptées, et il y en avait beaucoup, devaient payer, au profit des appelés, une taxe proportionnelle à leur fortune.

Naguère quand j'ai présenté ce système, on m'a objecté que c'était une idée communiste, socialiste.

Quoi ! m'a-t-on dit, faire payer tout le monde et faire payer proportionnellement à la fortune !

Mais c'est affreux ! c'est du socialisme de la couleur la plus foncée.

Eh bien, qui a fait cela ? Louis XIV, non suspecté de démagogie, lui !

En outre (article 9), les hommes atteints par le sort recevaient une indemnité de 50 patacons, en une fois payée, soit environ 135 francs, soit 500 francs, selon la valeur actuelle de l'argent.

Les articles suivants sont réglementaires. Voilà toute la loi.

Un peu plus tard le gouvernement ordonna aux communes qui s'étaient procuré des volontaires de leur payer à tous 40 écus par an, c'est-à-dire dix patacons encore une fois.

Les enrôlements forcés étaient sévèrement interdits ; toute fraude fortement punie.

Messieurs, ce gouvernement absolutiste, on peut le dire, et suffisamment militariste, fit une loi que notre honorable ministre de la guerre n'hésiterait pas à qualifier d'abominable, si je la proposais, moi ; il décréta que les officiers devaient indemniser sur leurs biens propres tous les dommages causés par leurs subordonnés.

Avouons que, pour dater de 1705, cette disposition-là ne manquerait pas d'un certain caractère d'opportunité en 1869.

Je vous lis l'ordonnance-loi pour le comté de Flandre. J'ai toutes les autres ; mais pour les autres provinces, les ordonnances étaient généralement les mêmes ; elles n'en différaient que par des détails secondaires.

Je note toutefois que, dans le Brabant les soldats déjà enrégimentés pouvaient se faire remplacer. C'est la seule trace de remplacement que je trouve à cette époque.

Voilà les origines de la conscription.

Certes, je n'aime pas la conscription ; il ne dépendra pas de moi qu'elle ne disparaisse entièrement avec tout son cortège d'iniquités. Mais si je dois pactiser avec le gouvernement et avec la Chambre, je fais cette offre-ci : j'accepte la conscription de Louis XIV, telle que nos pères l'ont subie pendant trois ans. Mais il me la faut tout entière ; je vous permettrai seulement d'en changer les détails selon les nécessités du moment... (interruption) oui, j'accepte ces principes-là, faute de mieux et crainte de pire.

(page 858) Vous ne le voudriez pas ; Louis XIV est trop libéral pour les doctrinaires.

Cette législation fut, je dois le dire, pratiquée avec une sorte de mansuétude ; mais elle répugnait si profondément à nos aïeux, habitués aux charmes et aux bénéfices de la liberté réelle, que dès que le despotisme de Louis XIV eut disparu de nos provinces, ils en exigèrent le retrait ; et l'administration autrichienne, quoique ayant besoin de soldats, n'eut rien de plus pressé que d'abolir la conscription.

Voici un trait d'histoire digne de notre attention et qui fait, selon moi, le plus grand honneur à nos pères. On calomnie si souvent nos pères qu'il n'est que simplement juste de leur rendre hommage quand l'occasion s'en présente.

Peu de temps après l'abolition de la loterie militaire à la française, le bruit court dans nos provinces, Liège excepté, que l'intention du gouvernement est de la rétablir.

Les autorités constituées s'adressent au gouverneur-général, qui s'empresse de leur répondre qu'il n'en est pas question ; on écrit à Vienne, les ministres de l'Empereur répondent qu'on ne songe pas à rétablir la conscription dans les Pays-Bas. Le bruit persiste. Les états de Brabant s'entendent avec d'autres autorités et même avec quelques citoyens non officiels et forment une députation chargée d'aller s'enquérir à Vienne de l'état réel des choses et, éventuellement, de protester haut et ferme contre la remise en vigueur de l'odieux impôt du sang.

La députation part ; elle est assez bien reçue dans les couches secondaires du monde officiel ; mais l'Empereur-duc, soit qu'il eût des arrière-pensées, soit que mal conseillé par ses ministres, ce qui arrive quelquefois, il n'eût pas le désir de s'expliquer clairement, l'Empereur-duc ne reçut pas d'abord la députation ; elle fit déclarer aux officiers de l'empereur qu'elle ne quitterait pas Vienne sans avoir vu Sa Majesté, et avoir reçu une réponse ; elle resta encore quelque temps à Vienne ; elle y resta le plus honorablement du monde.

Enfin, l'Empereur reçoit les députés ; ils tiennent le langage que la Joyeuse entrée les. autorisait à tenir ; l'Empereur répond qu'il ne s'agit pas de rétablir la conscription. Merci, sire, disent les délégués, c'est très heureux pour nous et même pour vous ; mais si vous aviez la bonté de nous donner là dessus une déclaration officielle ? - Je le veux bien, dit l'Empereur, et il écrit une belle lettre à ces messieurs avec duplicata pour le gouvernement brabançon, lettre portant que non seulement l'Empereur-duc ne rétablira pas la conscription, mais que ses successeurs ne la rétabliront pas non plus, et qu'ils défendront même qu'on en parle jamais.

Cette défense de parler de la conscription, n'était-ce pas beau ? Ici c'est, presque le contraire ; il y a quasi-défense de parler contre ! Et nous calomnions nos pères ! Nous les traitons d'humbles sujets, tyrannisés par l'étranger !

Voilà des hommes qui avaient le sentiment de la liberté et de la justice !

Sous Marie-Thérèse nos populations, quoique très attachées à cette souveraine et très hostiles à tous ses ennemis, nos populations ne songèrent pas un instant à établir la milice forcée. On fit bien quelques tentatives dans ce sens, mais elles ne furent suivies d'aucune exécution officielle ni même quasi-officielle. Non seulement les empereurs, même l'impératrice Marie-Thérèse, n'avaient que des volontaires, mais ils ne pouvaient former aucune garnison sans l'assentiment des autorités élues, provinciales ou locales.

Que dirait l'honorable ministre de la guerre si, pour établir une garnison quelque part, il lui fallait aujourd'hui l'autorisation d'un conseil communal, non pas nommé par le gouvernement, mais par le peuple et seulement par lui ?

C'est là notre régime militaire et civil du XVIIIème siècle et avant.

Donc pas de conscription sous le régime autrichien.

Pas même de conscription sous notre république de 1790.

Pourtant il s'agissait alors non seulement de défendre, mais de conquérir notre indépendance. Eh bien, jamais nos gouvernants de 1789 et 1790 ne songèrent à établir la conscription chez nous. Ils se bornèrent à avoir des volontaires, volontaires qui firent convenablement et suffisamment leur devoir à Turnhout et ailleurs. En septembre 1790, nous avions sous les armes 32,000 volontaires ; pas un seul soldat forcé.

Ces 32,000 volontaires pour une population qui ne constituait que la moitié du chiffre actuel, n'était-ce pas beaucoup ?

Et croyez-vous la Belgique assez dégénérée aujourd'hui pour qu'elle ne puisse, quand ce sera nécessaire, lever 61,000 hommes de bonne volonté ? Ce serait la proportion établie par ces patriotes de 1790 que vous méprisez trop.

Arrivent les successeurs de Louis XIV, les sans-culottes, successeurs directs sous un autre drapeau et sous un autre masque.

Ils nous reprennent en 1794 ; l'œuvre d'iniquité est accomplie.

Tout de suite les gouvernants de Paris écrivent à ceux de Bruxelles qu'il est temps de décréter l'établissement de la conscription.

Que répondent toutes les autorités, non seulement ce qui restait d'autorités belges, mais les autorités françaises, elles qui ne connaissaient pour ainsi dire par la Belgique ; que répondent-elles unanimement pendant deux ans ?

Si vous voulez éviter un soulèvement général du pays belge, il ne faut pas songer à établir la conscription, parce que ce peuple est tellement imbu de mauvais préjugés qu'il ne consentira pas au recrutement forcé.

Les lettres officielles sont unanimes. Mais deux ans après, on était ému à Paris de ce scandale d'une population belge jouissant de cette grande liberté d'aller et de venir dont les purs républicains de France étaient privés, on décréta l'établissement de la conscription dans nos provinces. Cette page de notre histoire est très curieuse à lire et je l'ai relue avec plaisir dans un livre très véridique et très intéressant de notre honorable collègue M. Orts.

La répulsion fut unanime et les dangers prédits par les autorités françaises elles-mêmes ne tardèrent pas à se produire.

Il y eut émeute, après des réclamations reconnues inutiles, puis résistance ouverte, puis désertion en masse, puis soulèvement en règle. La plupart des Belges militaristes de ce temps, animés du désir de cueillir n'importe où des lauriers rouges, la plupart des militaires de vocation, se rangèrent sous le drapeau français et ils s'y conduisirent, je le sais, avec une bravoure héroïque et un sentiment d'honneur parfait.

L'honorable ministre de la guerre faisait l'autre jour un grand éloge, éloge selon moi fort exagéré, des Belges qui combattirent sous les drapeaux de leurs oppresseurs et qui contribuèrent si largement à faire peser l'épée de Napoléon sur l'Europe et sur leur propre patrie.

D'après l'honorable ministre, cette conduite était des plus glorieuses. Je proteste derechef.

En même temps que beaucoup de nos militaires allaient servir leurs maîtres illégitimes, quelques milliers de paysans, la plupart illettrés, qualifiés de brigands, gardèrent, eux, le drapeau belge, le vieux drapeau de Cortenberg, le vieux drapeau du commencement du XIVème siècle, quand on rédigea notre magnifique Joyeuse Entrée ; ils arborèrent ce drapeau et ils allèrent le défendre où ils purent, aux extrémités du pays.

Ces honorables brigands, je les qualifie ainsi, c'étaient eux les vrais Belges... (Interruption.) Oui, c'étaient eux les vrais Belges, à moins que vous ne disiez que le fait accompli de la conquête légitime tout et change les devoirs comme les esprits et les cœurs. Je ne le crois pas, et toutes mes sympathies sont pour les brigands de la Campine de 1797, et en cela je me montre plus Belge et plus homme de progrès et plus libéral dans le sens honnête du mot que de prétendus libéraux qui calomnient nos pères de 1797 comme ceux de 1705 et ceux des autres siècles.

Voilà les vrais Belges ; ce sont ceux qu'on ne jugeait pas dignes d'être fusillés et qu'on faisait pendre çà et là comme des malfaiteurs. Mais malheur à la Belgique, si elle n'adhère pas à l'arrêt que je formule ici !

Messieurs, ces héroïques paysans de la Campine furent battus. Ils étaient bien sept mille, assez nombreux, après tout, pour avoir le droit de n'être pas appelés brigands ; car on a vu d'illustres brigands acclamés dans l'histoire, moins nombreux que la petite armée campinoise.

Ils furent battus et abattus et, j'ai le regret de le dire, pas seulement par des mains étrangères : beaucoup de Belges et quelques officiers belges qui avaient obtenu de l'avancement de l'étranger, ne se montrèrent pas les moins cruels contre leurs admirables frères du pays flamand.

Enfin, les effroyables abus de la conscription avaient dégoûté à peu près tout le monde, quand, en 1814, la Belgique, reprise par les alliés, obtint comme cadeau de joyeux avènement, la suppression de la loterie, militaire. Cette disposition légale date de 1814 ; le roi Guillaume Ier la renouvela. La conscription fut officiellement abolie ; non seulement en Belgique, mais en France même : Louis XVIII abolit, lui aussi, la conscription.

Ce fut peut-être une de ces roueries injustifiables que mettent souvent en œuvre les pouvoirs qui veulent arriver, ou qui ne veulent pas partir, ou enfin qui désirent revenir. Je constate que la conscription fut abolie en Belgique et en France à la même époque ; je note cet hommage rendu à la justice et au sentiment public.

En 1830, que fait-on ? Après les journées de juillet, on abolit la conscription en France : l'article 11 de la Charte du 7 août porte ces simples mots ; simples, mais éloquents : « La conscription est abolie. »

Chez nous, en 1830, on s'en tint à des promesses ; on s'engagea à diminuer toutes les charges militaires quand notre différend avec la Hollande serait réglé, quand nous aurions assuré l'avenir de notre indépendance.

(page 859) Et c'est parce que le premier besoin de la Belgique de 1830 était d'accomplir son œuvre de séparation d'avec la Hollande que le Congrès s'abstint d'abolir la conscription ; car, je dois le dire, d'accord en ces points comme en d'autres avec l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu, la non-inscription de l'abolition du service forcé dans la Constitution belge est un non-sens ; c'est un oubli, ou du moins c'est un répit donné au progrès.

Mais qu'il soit entré dans les intentions du Congrès, soit d'abolir la conscription, soit d'en atténuer successivement l'application, cela est démontré par l'ensemble des mesures libérales qu'il ordonna et aussi par l'ordre qu'il intima aux législatures de venir réviser, dans un prochain délai, toute notre organisation militaire, la milice y compris : cela va de soi, car la milice est la base de tonte organisation militaire.

Et remarquez que le Congrès, en décrétant l'urgence de la révision de nos lois de milice, se trouvait devant la législation de 1817 qui est infiniment plus douce que celle dont le ministère actuel veut nous doter. Le Congrès était mécontent de cette législation qui lui paraissait déjà trop dure et qui l'était en effet dans une foule de ses dispositions, et il en ordonnait la révision dans un bref délai, ordre du Congrès que nous n'avons guère respecté : nous avons attendu 39 ans pour nous y soumettre, et c'est parce qu'on n'a pas pu faire autrement qu'on a aujourd'hui l'air de réviser quelque chose.

Messieurs, l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu vous a indiqué quelques injustices de la loterie militaire. Permettez-moi de compléter cette tâche et de vous signaler quelques-unes des iniquités qui m’ont frappé depuis que je connais ce régime.

Pour masquer ces iniquités, on a recours à des sophismes, parfois à des mensonges ; on dénature les choses ; on ment devant la loi. Que dit-on, par exemple ? « La loterie, est une mesure nécessaire qui frappe également tout le monde et qui n'a d'autre but que de régler l'ordre de marche. »

Régler l'ordre de marche... ! C'est le grand argument des partisans de la conscription. Or, messieurs, cela est tout simplement faux : la loterie ne règle pas l'ordre de marche. Elle faisait cela du temps de Napoléon. Oui, alors que tout le monde était soldat, alors que toutes les classes étaient appelées et épuisées, alors on réglait l'ordre de marche ; et comme naturellement on ne pouvait pas faire marcher en même temps toutes les classes, on tirait au sort. Les plus favorisés pouvaient attendre quelques mois, parfois six mois ou un an ; mais ils marchaient tous.

Aussi la loterie napoléonienne était juste : despotique, certes, mais juste parce qu'elle frappait tout le monde à la fois et presque également.

Il y a dans l'injustice une certaine justice lorsque l'injustice atteint tous les citoyens. Mais l'injustice du privilège, l'injustice du hasard, l'injustice des traitements divers, celle-là est insupportable et c'est celle-là que vous maintenez.

Sous Napoléon Ier, le tirage au sort était juste, quoique despotique et détestable. Aujourd'hui un quart seulement de la classe marche et les trois autres quarts ne. marchent pas et pour d'excellentes raisons.

Mais l'un des quarts qui devrait marcher aussi bien que le quart appelé ne supporte aucune charge. Je parle du quart qui ne figure pas dans les exemptions pour causes de parenté, de maladie, ou d'infirmités.

Donc, ne nous y trompons pas.

L'impôt milice n'est plus un impôt personnel ; l'impôt milice est un impôt d'argent. Vous ne mettez pas dans le tambour de la loterie militaire la question de savoir qui marchera d'abord, vous y mettez celle de savoir qui payera la somme suffisante pour fournir un remplaçant. C'est une vraie loterie d'argent que vous avez organisée sous le nom de tirage au sort ; le remplacement a complètement transformé le caractère de la loterie militaire.

Le remplacement en a fait une charge financière, simplement financière, car il est clair, cela est su de tout le monde, que la loterie décide seulement du point de savoir qui payera une somme de douze à quinze cents francs.

Seulement comme il faut un moyen de faire percevoir ces 1,500 fr. ou l'équivalent par ceux qui les possèdent, vous avez la contrainte par corps qui est l'emprisonnement dans les casernes.

Vous abolissez la contrainte par corps pour des débiteurs volontaires, pour ceux qui très souvent l'ont méritée ; vous la trouvez mauvaise et je suis assez de votre avis, vous le savez bien ; mais tous ces cris de paon que j'entends éclater contre la contrainte par corps, tous ces cris poussés par les partisans fanatiques de la plus odieuse des contraintes par corps qui est celle de l'encasernement, tous ces cris ne me touchent guère.

Et remarquez quel abus singulier vous faites de la contrainte par corps.

La contrainte par corps vous paraît odieuse quand elle est appliquée à des hommes qui en ont couru volontairement la chance, qui se sont résignés à la subir dans certaines éventualités.

Cette contrainte vous n'en voulez pas, vous la flétrissez outre mesure ; mais l'autre contrainte par corps, celle à laquelle personne n'a voulu se soumettre, celle qui résulte d'un impôt forcé, d'une simple loterie tirée par les gendarmes (car elle n'aurait pas de succès sans cela votre loterie militaire), cette contrainte-là vous la trouvez bonne et vous la maintenez. (Interruption.)

Oh ! messieurs les ministres, je vous déclare que ce ne sont pas des haussements d'épaules qui réfuteront ce que je viens d'avoir l'honneur de vous dire.

Messieurs, j'appelle toute votre attention sur ceci : le privilège accordé à ce que vous appelez vous-mêmes les bons numéros et la faculté du remplacement transformant le service personnel en prestation en argent. Vous n'avez plus la prestation personnelle, que je comprends ; vous avez un impôt d'argent tiré au sort. El, chose étrange, cet impôt est très inégal ; car il n'est acquitté que par une partie de la population ; car il est le même pour le riche et le pauvre, cet impôt de 1,500 francs environ. Cet impôt est inégal, parce qu'il est égal ; il est une simple charge financière. Or, je serais étonné qu'un ministre des finances ne convînt pas de ceci : Que les charges financières doivent être acquittées par la nation entière dans la proportion des facultés de fortune des citoyens.

La proportionnalité est le caractère nécessaire, indispensable de l'impôt. Vous ne pouvez pas demander à tons les citoyens le même impôt, surtout' quand l'impôt est forcé, quand l'impôt n'est pas volontaire. Je conçois que vous demandiez à tous les citoyens le même impôt sur le sel, par exemple, sur la bière ; mais cet impôt est volontaire, car on le paye d'après la consommation, d'après les besoins ou les goûts du consommateur. Là l'impôt est égal ; il doit l'être pour les charges indirectes ; mais quant à l'impôt direct, il doit être inégal ; il doit être appliqué dans la mesure de la fortune des citoyens, (Interruption.)

Et puis, impossible, comme on me le fait observer avec raison, de différencier l'impôt indirect. Je sais bien que vous et moi, nous serions désireux de pouvoir donner la bière à meilleur marché au pauvre qu'au riche ; c'est, à coup sûr, votre désir ; mais vous ne le pouvez pas ; il y a impossibilité de différencier l'impôt indirect, Quant à tous les impôts directs, vous les différenciez, vous demandez à chacun dans la proportion de son revenu réel ou approximativement supposé.

La loterie militaire sera toujours injuste, parce qu'elle laisse le hasard répartir l'impôt. Mais la loterie le serait moins dans ces deux hypothèses-ci : la première : les appelés servant tous indistinctement ; la seconde, tous les appelés pouvant se libérer. Je dis se libérer : mais pas en vertu de cette loi hypocrite que vous lancez au pauvre en lui disant : Vous êtes libres de vous libérer ; je ne vous empêche pas de payer les 1,500 francs d'impôt ; vous êtes libres, payez ! Cruelle ironie !

C» n'est pas ainsi que j'entends la liberté de la libération. Je veux que cette liberté soit réelle, c'est-à-dire que quiconque ne vent pas être soldat, puisse s'affranchir de cet impôt en payant la même part de son revenu qui serait imposée aux autres citoyens.

Donc, il faut le remplacement proportionnel.

Ceci est un impôt direct : Demander à quelqu'un une certaine somme c'est bien prélever un impôt direct ; dire à un jeune homme : Vous allez me payer, à moi ou à d'autres, 1,500 francs ou bien je vous prends corps et âme pour quelques années, c'est bien un impôt aussi direct que celui que vous demandez aux cabaretiers pour qu'ils le récupèrent sur les consommateurs.

Voilà donc un impôt direct. Mais si vous mettiez les impôts directs en loterie, si l'honorable M. Frère appliquait la belle théorie qu'il préconise aujourd'hui dans le projet de loi de milice, et s'il organisait entre le million de familles belges une grande loterie où il y aurait de bons et de mauvais numéros, mais après laquelle tous les mauvais numéros devraient payer une même somme de 1,000 fr., je suis persuadé que cette nouvelle législation financière rapporterait gros ; ce serait l'impôt direct à chiffre égal ; mais vous trouveriez excessivement odieux de demander la même somme, pour le service de la patrie, au pauvre diable qui n'a pas le sou et à la famille riche qui a des millions. Et pourtant c'est le même système, sauf toujours l'aggravation de la contrainte par corps.

Messieurs, je me sens fatigué.

- Plusieurs membres. - A demain !

M. Coomans. - Je ne demande pas mieux que de remettre la suite de mon discours à demain.

(page 856) - La séance est levée a quatre heures et demie.