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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 16 avril 1869

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1868-1869)

(Présidence de M. Dolezµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 707) M. Dethuin, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart ; il donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Moor, secrétaireµ, présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Armand, Antoine-Guillaume, sergent au 8ème régiment de ligne, né au Grand-Bourg (île de Marie-Galante, Guadeloupe), demande la naturalisation. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Le sieur Marquebreucq réclame l'intervention de la Chambre pour que justice soit rendue à son père dans une affaire soumise aux tribunaux. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Rausa, section de la commune d'Ombret, demandent l'érection de leur hameau en commune distincte et leur part des biens communaux. »

- Même renvoi.


« Des propriétaires, cultivateurs et blanchisseurs à Waeken et Vive-Saint-Bavon demandent qu'il soit pris des mesures pour faire cesser et prévenir les inondations occasionnées dans ces communes par suite de la retenue des eaux à l'écluse établie sur le canal de Deynze à Schipdonck. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget des travaux publics.


« Le conseil communal d'Achel demande une pension pour le milicien Lemkens, congédié du service, du chef d'infirmité. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« La commission administrative de la caisse de prévoyance établie, à Charleroi en faveur des ouvriers mineurs adresse à la Chambre 125 exemplaires du compte rendu de ses opérations pendant l'exercice dernier. »

- Distribution et dépôt.


« M. Thonissen, retenu pour des affaires urgentes, demande un congé de deux jours. »

- Accordé.


« M. de Montblanc, obligé de s'absenter pour des affaires urgentes, demande un congé de quelques jours. »

- Accordé.


« M. Tack, obligé de s'absenter pour affaires urgentes, demande un congé de quelques jours. »

- Accordé.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur de l’exercice 1870

Rapport de la section centrale

M. Hymans. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de la section centrale qui a examiné le budget du ministère de l'intérieur pour 1870.

- Impression et distribution et mise a la suite de l'ordre du jour.

Prompts rapports de pétitions

M. Vander Donckt, rapporteurµ. Messieurs, par pétition datée de Rochefort, le 12 février 1869, l'administration communale de Rochefort réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir la gestion des bourses Jacquet.

La question Jacquet n'est pas nouvelle. Les habitants de Rochefort sont en instances, depuis plusieurs années, pour obtenir le redressement de prétendus griefs au sujet de l'exécution du testament de feu Mgr Jacquet.

Les pétitionnaires, messieurs, auraient peut-être mieux fait, dans leur propre intérêt, de s'adresser directement à MM. les ministres de la justice et des affaires étrangères. C'est une question très compliquée et dont la Chambre ne peut pas par elle-même s'occuper. Elle doit, en effet, se borner au renvoi à M. le ministre de la justice, qui est chargé de l'exécution de la loi sur les bourses et qui aura à examiner jusqu'à quel point il pourra y donner suite.

II y a peu de temps, j'ai eu encore à faire rapport sur une pétition du même genre et la Chambre a voté, sans discussion, le renvoi à M. le ministre de la justice.

Votre commission, sans rien préjuger, a conclu au renvoi à M. le ministre de la justice.

M. de Moorµ. - Comme vient de le dire l'honorable rapporteur, ce n'est point la première fois que la Chambre est saisie d'une pétition émanant d'habitants de Rochefort, sur l'administration de la fondation Jacquet.

J'exprime le désir, messieurs, non seulement en mon nom, mais au nom de plusieurs de mes amis, que l'honorable rapporteur soit invité à donner lecture de la pétition dont il s'agit. Cette pièce a une importance réelle et je crois que les conclusions de la commission vous paraîtront de nature à être modifiées en ce sens que la pétition soit renvoyée à M. le ministre de la justice, avec demande d'explications.

Un de nos collègues, obligé de s'absenter, devait traiter cette question, et il avait en mains des documents qui auraient fort intéressé l'assemblée. Je regrette vivement son absence.

Je prie la Chambre de demander avec moi lecture de la pétition de l'administration communale de Rochefort, qui porte un nouveau jour sur l'administration de la fondation Jacquet.

M. Thibautµ. - Messieurs, je ne croyais pas que la question exposée par le collège échevinal de Rochefort dût donner lieu aujourd'hui à une discussion.

En effet, messieurs, cette pétition n'est que la reproduction ou, si l'on veut, le commentaire d'une autre pétition de la commission administrative de l'école moyenne de Rochefort, qui a été analysée il y a quelques mois et sur laquelle l'honorable M. de Moor avait demandé, je crois, un prompt rapport. Or, lorsque l'honorable M. Vander Donckt a présenté ses conclusions au mois de janvier, et elles se bornaient, comme aujourd'hui, au renvoi pur et simple à M. le ministre de. la justice, personne dans cette enceinte, pas même l'honorable M. de Moor, ne s'est levé pour demander des explications. Je pensais donc que la Chambre ne serait pas saisie d'une proposition nouvelle. Au reste, j'espère qu'elle maintiendra ce qu'elle a fait dans une séance précédente, en ordonnant le renvoi pur et simple à M. le ministre de la justice, comme le propose le rapporteur.

Je trouve même, permettez-moi de le dire, que cette demande d'explications de la part d'un membre de la majorité qui a voté la loi de 1864, est un procédé quelque peu blessant pour M. le ministre de la justice. (Interruption.)

Je vais vous dire pourquoi. M. le ministre de la justice a été le promoteur ardent de la loi de 1864. Ses adversaires comme ses amis doivent donc être bien convaincus qu'il ne négligera rien pour placer sous l'empire de cette loi de 1864 toutes les bourses auxquelles elle peut être appliquée. Demander des explications sur l'exécution de la loi, n'est-ce pas cependant accuser M. le ministre de la justice d'inertie, d'insouciance, de faiblesse...

M. de Moorµ. - Je demande la parole.

M. Thibautµ. - ... de faiblesse même, je le répète, dans l'application d'une loi qu'il a défendue avec amour ?

Je crois, en ce qui me concerne, que M. le ministre de la justice n'a pas besoin d'être stimulé ; je ne lui demande pas d'explications ; il en donnera lorsqu'il le jugera convenable ; je l'engage à ne pas se rallier à la proposition de l'honorable M. de Moor.

M. de Moorµ. - C'est son affaire.

M. Thibautµ. - C'est son affaire, dit-on, soit. Quant à moi, je ne m'oppose pas au renvoi de la pétition au ministre de la justice, mais je m'oppose, quant à présent, à une demande d'explications.

M. de Moor. — Permettez-moi, messieurs, de répondre quelques mots à l'honorable député de Dinant qui vient de parler. L'insistance qu'il met à combattre la demande d'explications formulée par moi, me prouve que j'ai quelque raison d'insister pour en réclamer. Ai-je besoin de dire que bien loin de moi est la pensée d'accuser le chef du département de la justice d'inertie dans l'application de la loi de 1864 ? Mais je crois qu'il n'est point inutile d'appeler son attention et celle du pays sur les griefs articulés par l'administration communale de Rochefort, par de nombreux pères de famille qui se croient lésés, frustrés par la gestion actuelle de la fondation Jacquet.

J'insiste donc, messieurs, pour que M. le rapporteur veuille bien donner lecture de la pétition sur laquelle j'ai cru devoir appeler votre plus sérieuse attention.

(page 708) M. le président. - Si la Chambre ne s'y oppose pas, j'invite M. le rapporteur à donner cette lecture.

M. Vander Donckt, rapporteurµ, donne lecture de la pétition suivante. - « Messieurs, dans la séance du 29 janvier dernier vous avez bien voulu vous occuper d'une pétition du bureau administratif de l'école moyenne de Rochefort et d'une pétition des habitants de Rochefort ayant rapport à la gestion illégale des bourses Jacquet de Rochefort.

« Nous trouvons dans le rapport de la commission des pétitions un passage dans lequel on dit : « que la réclamation n'est pas nouvelle ; que depuis longtemps les pétitionnaires ont réclamé leur participation aux bourses d'étude fondées par feu Mgr Jacquet », et on ajoute ensuite : « Ces droits leur sont contestés par les anciens administrateurs de la fondation Jacquet et ,parmi eux, les membres de la famille Jacquet ».

« La défense des intérêts communaux et des droits des habitants de Rochefort nous fait un devoir de vous exposer la situation regrettable dans laquelle se trouve la commune de Rochefort au sujet des bourses Jacquet et d'établir les causes réelles qui ont amené ce résultat.

« L'examen des testaments ci-joints du fondateur Jacquet vous fera connaître qu'il a d'abord fondé une école primaire gratuite, qu'il a dotée, pour en perpétuer autant que possible l'existence. La gestion de cette fondation est confiée depuis le 11 août 1850 à l'autorité communale.

« La fondation des bourses Jacquet est postérieure à celle de l'école. Le rapprochement des deux testaments démontre que le bienfaiteur Jacquet tenait, avant tout, à l'existence de l'école, puisque dans l'article 8 de son testament sur les bourses, il prévoit le cas d'insuffisance de la dot de l'école, ce qui existe aujourd'hui ; les revenus de l'école n'étant plus que de 454 fr. et il déclare qu'il vent qu'il soit pourvu à cette nécessité en prenant hors des bourses, l'école étant, dit-il, chose meilleure.

« Les immeubles de la fondation des bourses sont situés dans les Etats-Romains ; ils sont loués par emphytéose et ils rapportent annuellement 3,316 fr. 12 c.

« Le fondateur a appelé, en premier lieu à la jouissance des bourses les descendants de l'un de ses parents et en second et dernier lieu tous les jeunes gens mâles de bon naturel, d'un génie à faire attendre qu'ils feront des progrès dans l'étude des belles-lettres, nés et à naître du même endroit de Rochefort, à savoir des plus anciennes familles, etc. (Voir article 4 du testament.)

« Ces bourses sont laissées pour les humanités, l'étude de la philosophie, la théologie, les deux droits, la médecine, et dans le cas où il n'y aurait pas un nombre suffisant de jeunes gens capables de suivre l'étude des belles-lettres, le fondateur autorise subsidiairement les administrateurs a diviser en quarts de bourse deux desdits subsides pour apprendre quelque art ou métier.

« Depuis 1838 il n'existe plus d'institués parents du fondateur et depuis lors les jeunes gens de Rochefort sont appelés à la jouissance de ces bourses. L'administration de cette fondation fut confiée à plusieurs commissions. Celle qui géra en dernier lieu, c'est-à-dire depuis 1855 jusqu'à la mise en vigueur de la loi du 19 décembre 1864 était composée de trois membres de la famille du fondateur, du juge de paix de Rochefort, du curé doyen de cette localité, du bourgmestre, des deux échevins et du vicaire de ladite commune.

« Cette commission paya régulièrement à la commune les subsides dus à celle-ci pour parfaire, suivant le vœu du fondateur, aux frais de l'enseignement primaire et elle délivra des bourses aux jeunes gens de Rochefort. Jamais les droits de ceux-ci ne furent contestés, et à titre d'exemple, nous vous déclarons que les boursiers pouvaient suivre les cours de l'université libre de Bruxelles aussi bien que ceux de l'université catholique de Louvain.

« En exécution de la loi sur les bourses d'étude, cette fondation fut remise par le gouvernement à la commission provinciale des bourses de Namur et dès ce moment voici ce qui se passa :

« La commission provinciale chercha à se mettre en possession des biens de la fondation, mais il paraît, d'après ce qu'elle nous a écrit, qu'elle n'a pas encore pu y parvenir. Il résulte des renseignements qu'elle nous a donnés que pour parvenir à ce but elle a révoqué, par acte reçu par le notaire Richard, de Namur, les pouvoirs donnés par les anciens administrateurs de la fondation à M. Sacré, président du collège ecclésiastique belge à Rome, pour la gestion des biens de la fondation. Ce premier pas fait, on pouvait espérer que la fondation serait administrée au vœu de la loi, mais il résulte des renseignements que cette même commission nous a fait parvenir que le pape, à l'intervention de la congrégation des évêques réguliers et par un rescrit du 14 décembre 1866 a accordé à M. Dechamps, évêque de Namur et à ses successeurs, le pouvoir d'administrer les deux fondations Jacquet d'après les volontés du fondateur et comme ils le jugeront le plus opportun, nonobstant toute disposition contraire quelconque et, qu'en suite de ce rescrit, Mgr Dechamps délivra, au mois de janvier 1868, un mandat en due forme audit abbé Sacré pour la gestion des biens appartenant à cet établissement.

« Cela est évidemment en opposition avec la loi belge et voici les conséquences que la résolution du gouvernement romain a amenées :

« 1° Depuis 1865, la commune de Rochefort est privée des subsides auxquels elle a droit et qui lui étaient régulièrement payés pour l'instruction primaire par les anciens administrateurs ; elle supporte seule ces dépenses.

« Cependant, les écoles qui sont établies sont soumises au régime de l'inspection ecclésiastique établi par la loi du 23 septembre 1842 et, quant à l'école des filles, elle est dirigée par des dames diplômées de la corporation des sœurs de Sainte-Marie.

« 2° A partir de la même époque, si on délivre des bourses, ce ne peut être que secrètement, à l'abri de tout contrôle, sans faire un appel aux ayants droits et au préjudice des droits des habitants de Rochefort qui sont privés de ces subsides et qui réclament, à juste titre, une gestion conforme à la loi et plus en harmonie avec notre régime politique et social.

« 3° A en croire l'opinion publique, les revenus de cette fondation seraient versés dans les caisses des corporations religieuses, et le fait suivant paraît confirmer pleinement cette version : Au mois de mars 1867, au mépris des droits que notre collège a d'administrer l'école Jacquet, une école privée prit le titre suivant : Ecole Jacquet, dirigée par les frères des écoles chrétiennes, sous le patronage, de Mgr le révérendissime évêque de Namur. Ce fait n'a pas besoin de commentaire.

« Voilà, messieurs, la situation qui donne naissance aux réclamations qui vous ont été adressées.

« Dans cette situation, nous supplions la Chambre des représentants et le gouvernement de nous prêter leur appui, afin que justice soit rendue à la commune de Rochefort et à ses habitants. »

M. Thibautµ. - Je me proposais, lorsque j'ai réclamé la parole avant la lecture de la pétition, de présenter une dernière observation contre la demande d'explications ; la voici :

La question n'est pas nouvelle pour l'honorable ministre de la justice ; il l'a traitée pendant la discussion de la loi des bourses : il n'y a donc pas lieu de l'inviter à l'examiner et à faire part du résultat de ses études à la Chambre, pas plus qu'il n'est nécessaire de l'engager à apporter plus d'énergie dans l'application de la loi.

Mais enfin, d'après l'attitude de M. le ministre, j'ai pu me convaincre qu'il accepte le renvoi avec demande d'explications.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je demande la parole.

M. Thibautµ. - Si l'on veut fixer un jour pour ces explications, nous pourrons discuter la question d'une manière approfondie.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je vais donner à la Chambre les explications que je suis à même de lui fournir sur cette affaire. Tous les faits ne sont pas absolument présents à ma mémoire, mais voici, je pense, l'état de la question.

J'ai exécuté la loi en ce qui concerne la fondation Jacquet ; la gestion en a été remise à la commission provinciale de Namur ; mais tous les biens de cette fondation sont à Rome, et quand nous avons demandé à en toucher les revenus, le gouvernement papal nous a éconduits en prétendant qu'il avait le droit d'établir les règles qui doivent régir les fondations et qu'il n'avait pas à respecter la loi belge.

Nous avons présenté de très longues observations à l'appui de nos droits ; mais le gouvernement papal nous a répondu qu'il ne pouvait pas nous donner raison.

M. Guillery. - Cela se comprend.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Dès lors les explications que j'ai à donner seront très courtes. (Interruption.)

Mon collègue, M. le ministre des affaires étrangères, n'a pas été plus heureux que moi. C'est lui qui a mené les négociations sur les notes fournies par le département de la justice. L'argent est à Rome ; vient-il en Belgique ? Je n'en sais rien. Les pétitionnaires le prétendent ; ils prétendent que les fonds sont remis à un mandataire de l'évêque de Namur, qui les distribue à des boursiers qui fréquentent soit les écoles des petits frères, soit d'autres établissements religieux ; mais je n'en ai point la preuve. C'est une simple allégation.

Quant au gouvernement, il ne peut pas faire plus que d'envoyer la commission provinciale des bourses en possession. C'est à elle de faire, le nécessaire pour tâcher d'obtenir les fonds ; mais il est évident que, dans (page 709) l'état des choses, la commission provinciale des bourses n'aboutira à rien. Nous avons protesté, nous continuons à protester ; c'est tout ce que nous pouvons faire.

M. de Moorµ. - Je demanderai à MM. les ministres des affaires étrangères et de la justice, s'ils verraient quelque inconvénient à communiquer à la Chambre la correspondance échangée entre le gouvernement belge et la cour de Rome ; par exemple, à la remettre à la section centrale chargée d'examiner le prochain budget de la justice ?

MaeVSµ. - Je n'y vois aucun inconvénient.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Si la Chambre le désire, je suis prêt à livrer à l'impression toutes les pièces relatives à l'affaire Rochefort, ou à les communiquer à la section centrale du budget de la justice. On se convaincra ainsi que le gouvernement a fait tout ce qu'il pouvait pour faire respecter la loi.

M. Moncheurµ. - J'accepte avec plaisir l'annonce que nous fait M. le ministre de la justice de la communication des pièces diplomatiques et autres qui ont pu être échangées dans cette affaire.

Si je prends la parole, c'est uniquement pour déclarer à la Chambre que, dans ma conviction, les revenus de la fondation sont appliqués au bien-être des habitants de Rochefort en faveur desquels les fondations ont été faites. Sous ce rapport, je crois pouvoir rassurer complètement et M. le ministre de la justice et la Chambre elle-même.

M. le président. - M. de Moor insiste-t-il sur sa demande d'explications ?

M. de Moorµ. - Non, M. le président ; du moment que M. le ministre de la justice consent à nous fournir les renseignements demandés, c'est-à-dire la correspondance échangée entre le gouvernement belge et le gouvernement papal, je n'ai plus de motif de demander des explications aujourd'hui.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Puisque l'honorable M. Moncheur sait que les fonds sont convenablement distribués, il ne verra peut-être pas d'inconvénient a nous dire comment et par qui ils le sont. Comme, en définitive, il s'agit d'une fondation belge, créée pour des Belges, on voudra bien, je suppose, nous dire comment on applique un système contraire à la loi belge. Et, pour qu'il n'y ait pas l'ombre, d'un doute que les fonds sont réellement appliqués à leur destination, il est, ce me semble, du devoir de l'honorable membre, qui paraît parfaitement renseigné, de nous faire connaître qui reçoit les fonds et qui les distribue.

M. Moncheurµ. - Il y a, paraît-il, à Rochefort, trois personnes qui ne se lassent pas de pétitionner au sujet de la fondation de Mgr Jacquet. Je viens de dire que les revenus de cette fondation étaient appliqués dans l'intérêt de la localité de Rochefort. C'est là ma conviction ; et cette conviction, je la base sur des faits que tous ses habitants et les pétitionnaires comme les autres connaissent mieux que moi. L'honorable M. de Moor ne les ignore pas non plus, j'en suis persuadé.

Ainsi tout le monde sait que s'il y a à Rochefort un enseignement primaire complet et splendide, s'il y a une école de filles, à laquelle est annexé un pensionnat, s'il y a une école gardienne qui reçoit 150 à 160 jeunes enfants, s'il y a une école libre de garçons, qui s'intitule même : école de Mgr Jacquet, et qui est fréquentée journellement par le plus grand nombre des jeunes gens de Rochefort en âge d'école, et si enfin tout cela ne coûte qu'une somme insignifiante à la commune, tout le monde sait, dis-je, que ce sont les revenus de la fondation Jacquet qui pourvoient à la plus grande partie de ces dépenses. Je ne connais pas, quant à moi, d'autres ressources qui puissent être affectées à cette destination, et voilà le motif de ma conviction sur le bon emploi des revenus de la fondation. Je crois que cette conviction existe également dans l'esprit de tous les habitants de Rochefort.

Je vois les faits comme M. le ministre de la justice pourrait les voir lui-même, et dès lors, il aurait, comme moi, la certitude que l'enseignement primaire si complet qui existe à Rochefort est surtout le fruit de la double fondation de Mgr Jacquet.

Celle dont il est question dans la pétition, est celle dite des bourses ; mais elle est mixte, c'est-à-dire qu'elle doit d'abord assurer l'instruction primaire à Rochefort selon les intentions du vénérable fondateur, et ensuite, si, après qu'il a été pourvu à l'enseignement primaire, il reste encore des revenus disponibles, ceux-ci peuvent être employés à des bourses d'étude pour les hautes sciences ou en fractions de bourses pour l'apprentissage de métiers utiles.

Or, il est de notoriété publique, à Rochefort, qu'en ce moment même, des bourses sont encore conférées à des jeunes gens, non seulement pour étudier les hautes sciences, mais encore pour apprendre des métiers utiles.

Je dirai donc à M. le ministre de la justice que, quoique je ne sache pas plus que lui quelle est la main qui verse généreusement les revenus de la fondation de Mgr Jacquet à Rochefort, les faits y sont patents ; j'ai donc eu raison de dire que, dans ma conviction, les revenus de cette fondation ne sont pas perdus pour la commune de Rochefort, mais qu'ils y sont, au contraire, employés au profit de la généralité de ses habitants.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, je remercie beaucoup l'honorable membre des renseignements qu'il vient de me donner. Pour moi, il en résulte que la commission provinciale pourra, dans certaines limites, rentrer en possession de l'argent qui est distribué.

En effet, il y a deux distributions : distribution de subsides au profit d'établissements d'instruction et distribution de bourses.

Quant à la première distribution, nous ne connaissons pas la main qui donne ; mais d'après l'honorable membre, nous connaissons la main qui reçoit.

L'honorable membre prétend que l'argent est remis aux établissements de Rochefort ; nous verrons si, en justice, les chefs de ces établissements reconnaîtront avoir reçu des fonds de la fondation Jacquet, et, s'ils le déclarent, nous saurons s'ils l'ont reçu légalement.

Quant à la distribution des bourses, nous ne connaissons ni la main qui reçoit ni celle qui donne, et je regrette que l'honorable M. Moncheur soit dans l'impuissance de fournir des renseignements à cet égard.

M. Moncheurµ. - Messieurs, il est clair que la fondation des bourses de Mgr Jacquet, laquelle se compose uniquement de biens immeubles situés près de Rome, est une fondation romaine.

C'est, du reste, ce qui résulte virtuellement des paroles de M. le ministre de la justice lui-même, qui, tout à l'heure, a déclaré être impuissant à l'égard de cette fondation. Elle constitue un être moral étranger, mais qui peut encore accomplir en faveur des habitants de Rochefort la volonté du fondateur en donnant aux revenus la destination que, selon les intentions de celui-ci, ces revenus doivent avoir.

Aussi longtemps que la liberté d'enseignement existera en Belgique, l'être moral étranger qu'on appelle la fondation des bourses Jacquet, pourra exécuter la volonté du testateur et le fera sans doute ; mais du jour où cette liberté, n'existerait plus, et si, par conséquent, les intentions du testateur ne pouvaient plus être suivies, savez-vous ce qui arriverait ? C'est que les revenus de la fondation cesseraient d'être donnés à Rochefort.

Je le répète, vous avez affaire, en cette circonstance, à un être moral étranger.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - C'est une erreur.

M. Moncheurµ. - Ce n'est pas une erreur du tout. Ne professez-vous donc plus le principe qu'il n'y a que l'autorité souveraine d'un pays qui puisse frapper de mainmorte une portion quelconque du territoire de ce pays et donner l'être à une fondation ? Oui. Il n'y a donc que le pouvoir papal qui ait pu autoriser l'amortissement des biens formant la fondation Jacquet, et cela à certaines conditions conformes à la législation romaine.

Vous n'avez aucune juridiction sur ces biens, de même que. le gouvernement romain n'aurait, dans les mêmes circonstances, aucune juridiction sur des biens de fondation situés en Belgique.

En effet, est-ce que vous admettriez qu'un étranger, un habitant de Rome, par exemple, possédant des immeubles en Belgique, pût créer, au moyen de ces immeubles, une fondation qui serait romaine et régie par la législation romaine ? Non, sans doute. Eh bien, c'est justement, vice versa, le cas de la fondation des bourses de Mgr Jacquet.

Au reste je ne prolongerai pas davantage cette discussion, parce qu'en présence des communications promises, elle serait prématurée.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Sans entrer dans des détails sur cette question, je dois cependant rétablir les faits dans leur exactitude.

M. Moncheur vient de parler d'un être moral étranger. C'est une erreur. Il s'agit d'un être moral belge.

Mgr Jacquet a créé, en Belgique, une fondation pour des Belges, et a constitué, pour administrer cette fondation, une administration belge composée de personnes de Rochefort, du doyen de la localité et de parents du fondateur.

On nous a fait dans la Chambre une guerre incroyable parce qu'on avait substitué des commissions provinciales aux administrations spéciales.

Or, voici ce qui est arrivé. Par un simple rescrit de 1866, le pape a destitué les administrateurs de la fondation Jacquet, y compris le doyen de Rochefort et les parents du fondateur, et a remis la gestion des biens à l'évêque de Namur.

Dans ce rescrit, le pape dit même, si mes souvenirs sont exacts, que (page 710) l'évêque de Namur chargé de la gestion de la fondation peut en changer la destination s'il le juge convenable.

M. Moncheurµ. - Je demande la parole.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - M. Moncheur semble dénier le fait ; s'il le désire, je lui montrerai le rescrit. On verra si je me trompe.

Il s'agit donc ici d'une personne civile belge qui possède des immeubles à l'étranger.

Si le gouvernement romain interdisait aux fondations étrangères de posséder des biens sur son territoire, nous aurions à examiner la valeur de cette argumentation. Mais il s'agit ici de tout autre chose.

Le gouvernement romain s'empare des biens d'une fondation belge ; il dit : Cette fondation constitue une œuvre pie, j'ai, par conséquent, le droit de disposer comme je l'entends des biens qu'elle possède.

Ce droit, il l'exercerait également dans les mêmes conditions, à l'égard de nos bureaux de bienfaisance, de nos fabriques d'église si les biens de ces établissements se trouvaient dans les Etats-Romains.

Voilà donc véritablement la question, telle qu'elle a été traitée avec le gouvernement pontifical.

Vous comprenez, messieurs, que ce système est tout à fait contraire à notre législation ; mais nous sommes dans l'impuissance la plus absolue de faire respecter la loi.

Il s'agit d'une personne morale belge dépossédée de biens situés à l'étranger ; j'estime que les citoyens de notre pays ne devraient pas se prêter à la violation de la loi belge.

Ils savent si bien qu'ils sont complices d'une violation de la loi qu'ils ne se font pas connaître, parce que la loi les atteindrait. Aussi est-il impossible au gouvernement de savoir qui reçoit les revenus des biens de la fondation Jacquet et de connaître le nom des boursiers qui les touchent.

J'y vois une preuve évidente que ces personnes violent sciemment la loi belge ; sinon, elles n'auraient pas peur des tribunaux, elles agiraient au grand jour. Mais, pour le moment, nous ignorons leurs noms et c'était pour les connaître que je m'étais permis d'adresser une question à l'honorable M. Moncheur.

M. Wasseige. - Je ne crois pas que le moment de traiter à fond cette intéressante question soit arrivé. Je suis prêt cependant, mais je me bornerai à relever très succinctement quelques allégations de M. le ministre de la justice. L'honorable ministre aura beau dire, il ne changera pas la nature des faits. Il est question, il est vrai, d'une fondation au profit d'habitants de la Belgique, mais il s'agit bien d'une fondation romaine ayant été approuvée à Rome, là où seulement elle pouvait l'être, et composée d'immeubles situés à Rome.

Les fonds destinés à cette fondation ne se composaient pas d'abord d'immeubles, c'étaient des bons sur une banque romaine. L'autorisation nécessaire pour pouvoir convertir ces bons en immeubles fut demandée au gouvernement romain par un parent de Mgr Jacquet et le gouvernement romain seul a eu le droit d'autoriser cette conversion. Il a donc permis que ces bons fussent convertis en immeubles, mais en accordant cette autorisation, il y a mis la condition, que si la fondation ne recevait pas la destination que la volonté du fondateur lui attribuait, il conserverait toujours le droit de reprendre l'administration de cette fondation et de la remettre à la congrégation des évêques et réguliers qui est instituée à Rome pour faire ce que les administrations de fondations pieuses ne font pas. Cette condition est d'ailleurs de droit dans la législation romaine.

Voilà la vérité des faits.

Après la loi de 1864 sur les bourses d'étude, le gouvernement romain a pu croire que la fondation Jacquet ne serait plus administrée selon les intentions du fondateur et il a fait application de la condition qu'il avait imposée pour la mise en mainmorte d'une portion de son territoire ; il a déclaré qu'il ne permettrait plus que les revenus fussent remis aux nouveaux administrateurs, craignant probablement de les voir distribuer d'une manière peu conforme à la volonté du fondateur. Cette crainte était-elle fondée ? Ici les appréciations peuvent différer. Si l'on me demandait la mienne, je le déclare, j'aurais été de l'avis du saint-père.

M. le ministre disait tout à l'heure : Mais voyez ! le saint-père, par un simple rescrit, a destitué tous les fondateurs, y compris le curé-doyen de Rochefort et il a nommé d'autres administrateurs, auxquels n'avait pas pensé Mgr Jacquet. Mais le saint-père n'a fait cela qu'après que M. le ministre de la justice l'avait fait lui-même. Ce n'est que lorsque M. le ministre a remis l'administration des fondations à des commissions provinciale auxquelles Mgr Jacquet avait certes bien moins pensé encore qu'à l'évêque de Namur, que le saint-père a dû se croire autorisé, jugeant que cette administration ne disposerait pas des biens de la fondation Jacquet selon la volonté du fondateur, à en substituer une autre ayant sa confiance ainsi qu'il s'en était réservé le droit.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Cela prouve que mon exemple était bon ; sans cela il ne l'aurait pas suivi.

M. Wasseige. - Non, cela prouve au contraire qu'il était mauvais, puisqu'il fut le motif de l'acte que vous paraissez blâmer.

Voilà donc la situation. En présence de la condition qui avait été posée par le saint-père à l'autorisation qu'il avait donnée, et du droit romain qui y est parfaitement conforme, il a pu déclarer, dans la plénitude de son pouvoir souverain, que l'administration nouvelle n'avait pas sa confiance pour administrer une fondation romaine, selon la volonté de Mgr Jacquet, Il a appliqué cette condition et a remis à une corporation spécialement instituée à cet effet, à la congrégation des évêques et réguliers, l'administration de la fondation.

Quel usage cette congrégation fait-elle du revenu de la fondation ? Je l'ignore. J'aime à croire, comme mon honorable collègue M. Moncheur, que les habitants de Rochefort n'y perdent rien.

Mais qu'arriverait-il si, par des tracasseries et par les chicanes dont vous paraissiez tout à l'heure menacer mon honorable collègue, vous parveniez à saisir les revenus transmis en Belgique ? Vous en taririez très probablement la source, voilà tout.

Est-ce là le but que vous voulez atteindre ? Pour donner raison à votre triste loi, préféreriez-vous que personne ne profitât plus, en Belgique, de ces fonds ? Quant à moi, je ne suis pas de cet avis. Je n'en dirai pas davantage aujourd'hui, mais je suis prêt à suivre l'honorable ministre sur le terrain où il lui plaira de se placer, si cette affaire doit avoir une suite.

- La discussion est close.

M. le président. - M. le ministre a déclaré qu'il déposerait toutes les pièces qui pourront être imprimées.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, je. communiquerai les pièces à la section centrale de mon budget et elle les fera imprimer si elle le juge convenable.

M. Crombez. - Messieurs, la commission spéciale chargée d'examiner le budget de la justice pour 1870 a terminé son travail. Il me semble qu'il vaudrait mieux que le gouvernement se chargeât de choisir les pièces et de les faire imprimer.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il y a beaucoup de pièces et s'il fallait les publier toutes, ce serait considérable. La section centrale verra impartialement quelles sont les pièces qu'il est utile de publier.

M. de Brouckere. - Je demande tout simplement que les pièces soient renvoyées à la section centrale qui a examiné le budget de la justice pour 1870 ; elle apprécierait quelles sont les pièces à imprimer ; ces pièces seraient publiées comme annexe au rapport, de manière que la discussion viendrait naturellement à l'occasion du budget de la justice.

- La proposition de M. de Brouckere est mise aux voix et adoptée.


M. Vander Donckt, rapporteurµ. - Par pétition datée d'Eghezée, le 10 février 1869, des habitants d'Eghezée réclament l'intervention de la Chambre pour que la société concessionnaire soit contrainte à exploiter, pour les voyageurs au moins, la section de chemin de fer de Namur à Rumillies.

Messieurs, si mes renseignements sont exacts, il paraît que cette affaire est devenue sans objet, les difficultés et les griefs qui ont amené l'envoi de la pétition sont aplanis ou sur le point de l'être.

La commission a conclu au renvoi pur et simple à M. le ministre des travaux publics.

- Ces conclusions sont mises aux voix et adoptées.


M. Hagemansµ. - L'honorable M. Bouvier est chargé de faire rapport sur de nombreuses pétitions demandant la prompte et complète construction du chemin de fer de Frameries à Chimai avec embranchement sur Beaumont vers Thuin. L'honorable membre est très favorable aux justes réclamations des pétitionnaires et son rapport conclut au renvoi des pétitions à M. le ministre des travaux publics. Malheureusement l'honorable rapporteur est absent.

Comme nous aurons bientôt à discuter le budget des travaux publics, je me réserve de revenir alors sur cette question et je n'insisterai donc, pas en ce moment ; je demanderai seulement à la Chambre de vouloir bien, en attendant que les rapports puissent être présentés, ordonner le dépôt de ces pétitions sur le bureau pendant la discussion du budget des travaux publics.

- La proposition de M. Hagemans est mise aux voix et adoptée.

Projet de loi portant le budget du ministère des affaires étrangères de l’exercice 1869

Discussion générale

(page 711) - M. Moreauµ remplace M. Dolez au fauteuil de la présidence.

M. d'Hane-Steenhuyseµ. - Messieurs, je suis le membre de la section centrale qui a proposé la réorganisation du corps diplomatique et l'augmentation du corps consulaire.

Depuis plusieurs années déjà, j'ai fait des observations à cet égard ; mais il est difficile de se faire écouter avec fruit et d'avoir l'espoir d'aboutir, si l'on n'a pas un projet complet et pratique à soumettre aux délibérations de la Chambre.

Aussi me suis-je efforcé de faire, à ce sujet, un travail approfondi dont je vais prendre la liberté de vous donner connaissance.

Dans son dernier rapport au Roi, l'honorable M. Vanderstichelen dit :

« S'il est des nations à qui la prévoyance fait une loi de ne pas subordonner l'activité de leur travail à la possession des marchés les plus rapprochés, ce sont surtout, semble-t-il, celles qui, comme la Belgique, produisent beaucoup au delà de leurs besoins.

« Notre commerce avec les pays situés hors d'Europe n'est pas, il faut bien le reconnaître, en rapport avec notre situation industrielle.

« Les faits témoignent que, sans retirer à nos relations européennes la part prépondérante qui leur revient dans les préoccupations de notre politique commerciale, nous avons, dans d'autres directions, des efforts à faire, du terrain à gagner, un horizon à élargir. »

Ces paroles si vraies, et qui viennent à l'appui de mes propositions, m'ont décidé à présenter un plan d'organisation nouvelle, d'autant plus nécessaire, selon moi, que la Belgique compte dix-huit diplomates et seulement neuf consuls rétribués.

Je sais bien que j'aurai beaucoup de préjugés à combattre, beaucoup de résistances à vaincre, une foule d'idées fausses à redresser, mais je ne désespère pas tout à fait de réussir dans l'entreprise que j'ai commencée depuis mon entrée à la Chambre.

Je vous prie, messieurs, de vouloir bien me prêter votre bienveillante attention. Je tâcherai d'être aussi concis que possible ; et si je vous parais un peu long peut-être, veuillez ne pas vous en prendre à moi, mais bien à la question que je vais traiter, qui est des plus importantes pour le pays et qui a nécessité de ma part de longues et de laborieuses recherches.

Avant d'aborder l'objet que je veux discuter devant vous, messieurs, qu'il me soit permis de faire à M. le ministre des affaires étrangères une simple observation de détail, qu'il voudra bien accueillir, je l'espère, avec sa bienveillance habituelle. Il s'agit de la façon dont est dressé son budget.

Je trouve qu'il n'est pas suffisamment développé et que certains de ses articles, libellés avec trop de concision, ne permettent pas de se rendre un compte exact et détaillé des dépenses.

Ce manque d'explications, fort pénible déjà pour ceux qui s'occupent spécialement de ce budget, puisqu'il les met dans l'obligation de faire des recherches longues et parfois ennuyeuses, est plus désagréable encore pour ceux de nos collègues qui, tout en n'ayant pas l'intention de traiter les questions que peut soulever la discussion du budget des affaires étrangères, désirent pourtant en saisir d'un seul coup d'œil le mécanisme, et se rendre compte de la répartition détaillée des sommes qui y sont portées.

En rassemblant les éléments du travail que j'ai l'honneur de soumettre à la Chambre, j'ai parcouru plusieurs budgets étrangers, parmi lesquels il en est deux surtout qui m'ont frappé, par la clarté et l'extension de leurs développements ; ce sont les budgets français et anglais. Pas un seul consulat n'y est omis. Pour la France, il y en a cent, auxquels il faut joindre trente-cinq consulats généraux, trente et un ambassadeurs et ministres plénipotentiaires, soixante-deux secrétaires, quinze élèves-consuls, plus soixante et un drogmans, secrétaires-interprètes, drogmans-chanceliers, interprètes et autres agents, soit un personnel du service extérieur de trois cent quatre fonctionnaires. Le même système est suivi pour l'administration centrale, dont l'organisation est minutieusement expliquée. Le budget anglais compte vingt consuls généraux, cent quarante et un consuls, quatre-vingt-douze vice-consuls, non compris les ambassadeurs et ministres plénipotentiaires, ainsi qu'une foule d'autres employés des services intérieur et extérieur.

Je suis convaincu qu'il sera très facile à l'honorable M. Vanderstichelen d'adopter la même classification, qui allongera bien un peu son budget, je l'avoue, mais qui sera incontestablement d'un grand secours pour les membres de la Chambre.

Je compte, sous ce rapport, je. le répète, sur l'obligeance de l'honorable ministre.

La question que je veux traiter est celle de la diplomatie proprement dite et des consulats.

Depuis mon entrée à la Chambre, je n'ai laissé échapper aucune occasion d'engager le gouvernement à s'occuper sérieusement de la réorganisation de notre corps consulaire.

Dans tous les Etats de l'Europe et d'autres continents, cette question a paru tellement importante, que les hommes qui en dirigent les destinées se sont efforcés, par tous les moyens en leur pouvoir, d'étendre la précieuse et salutaire influence d'une institution dont l'industrie, le commerce et la navigation sont appelés à retirer tant d'avantages.

La Belgique, dont la neutralité est une cause permanente de sécurité, et qui, par là, est à même de restreindre ses relations purement diplomatiques, la Belgique, dis-je, devrait surtout, et sans tarder, augmenter dans de fortes proportions son corps consulaire et lui assurer un traitement qui permît à nos envoyés de rendre, dans leurs résidences à l'étranger, les services que le pays est en droit d'attendre d'eux.

Cette question de traitement, messieurs, est des plus importantes, et, bien qu'en France les agents diplomatiques et consulaires soient considérablement mieux traités qu'en Belgique, voici, à ce sujet, l'exposé des motifs dont le ministre des affaires étrangères de cette époque, le marquis de Moustier, a cru devoir faire précéder son budget pour 1869 :

« Exercice 1869. Augmentations.

« Depuis quelques années, le département a déjà fait ressortir plusieurs fois, dans ses propositions budgétaires, le désaccord chaque jour plus marqué, qui existe entre les traitements de la plupart de ses agents, surtout dans les postes consulaires, et la transformation qu'ont subie les conditions de la vie matérielle sur tous les points du globe.

« L'activité que la multiplicité des moyens de communication a imprimée de nos jours au mouvement des capitaux, exerce d'une manière à peu près uniforme, sur tous les marchés financiers, une influence si grande et amène une dépréciation progressive du numéraire telle, qu'on peut dire que la valeur des traitements de nos agents a diminué, depuis vingt ans, ici d'un tiers, là de moitié, ailleurs de plus encore. Il devient donc absolument indispensable d'augmenter peu à peu, dans une mesure proportionnelle, leurs émoluments, si l'on ne veut voir s'accuser de plus en plus la situation d'infériorité qui leur est faite par rapport au milieu dans lequel ils sont appelés à remplir leurs fonctions. En effet, les salaires, honoraires, bénéfices, en un mot tout ce qui constitue la rémunération de l'activité individuelle, participent à l'élévation des prix de toutes choses et croissent d'une manière régulière. Seuls, les émoluments de nos agents restent au même niveau. De là, des difficultés sérieuses qu'éprouve le département pour maintenir l'organisation de. ses services, que des réclamations trop souvent fondées et des demandes de changements de poste, menacent de constants remaniements.

« Contraint de limiter ses demandes aux cas où les plus graves intérêts du service sont compromis, le ministère des affaires étrangères se borne, cette fois encore, à proposer quelques améliorations qui ne sauraient plus être différées. Les raisons qui les justifient se ramènent toutes à l'impossibilité, pour les titulaires des postes, d'y vivre matériellement avec les ressources dont ils disposent. »

Et le ministre cite, à l'appui de sa thèse, l'exemple d'un agent à Ning-Po, qui, deux fois, a demandé son rappel, faute de pouvoir subvenir à ses besoins.

Cette situation est encore bien plus fâcheuse en Belgique ; on l'a souvent déplorée dans cette enceinte, et à différentes reprises, l'honorable M. Rogier a exprimé le désir qu'il y fût porté remède.

Je n'ai jamais compris, je l'avoue, que nous fissions à nos consuls rétribués une position à l'étranger si différente de celle des consuls d'autres nations.

La Belgique pourrait facilement et sans crainte restreindre quelques-uns de ses services publics, entre autres et surtout celui de la guerre, qui est pourtant celui que l'on augmente le plus avec une désespérante persistance.

Mais il en est un sur lequel aucune économie n'est permise, c'est celui de nos relations extérieures, au point de vue de l'extension de notre industrie, de notre commerce et de notre navigation.

N'est-il pas vraiment désolant de voir qu'en Belgique le budget de la guerre se monte à près de 10,000.000 fr., c'est-à-dire qu'il est le plus élevé de tous, et que celui dos affaires étrangères, l'un des plus importants, sans contredit, ne s'élève qu'à 5,422,312 fr. !

Ne vaudrait-il pas mieux augmenter l'armée de ces fonctionnaires si utiles, si courageux, et qui, pour nous ouvrir des débouchés, vont braver, après avoir traversé les mers, les climats les plus malsains et les plus grands dangers ? Aussi, appelé-je de tous mes vœux l'heureux moment où il sera possible de distraire un certain nombre de millions du budget de la (page 712) guerre, et de ces millions je voudrais que l'on en prît au moins cinq pour les ajouter au budget des affaires étrangères.

Je me suis souvent demandé pourquoi, dans un pays neutre comme le notre, dont l'existence doit être entièrement, et je dirai même exclusivement, consacrée à l'industrie et au commerce, il n'existe pas de ministère de l'agriculture et du commerce ? Aujourd'hui, les ministres de l'intérieur et des affaires étrangères ont, chacun dans son département, quelques bureaux qui s'occupent de ces branches importantes de la prospérité publique, alors qu'il faudrait les réunir dans une seule main ; de cette manière il y aurait unité d'action, et le. ministre de l'agriculture et du commerce aurait certes à diriger l'une des administrations les plus importantes, sinon la plus importante de toutes. Le système actuel est défectueux, parce qu'il ne permet pas de combiner, avantageusement pour le pays, ces importants rouages dont le jeu, soumis à une direction unique, aurait pour la Belgique les plus heureux résultats. Je voudrais voir le titulaire du département des affaires étrangères dirigeant en même, temps l'agriculture, l'industrie, le commerce et la navigation ; ce fonctionnaire aurait ainsi à surveiller, en les combinant, les divers éléments de la prospérité publique matérielle ; il favoriserait à la fois la production à tous les points de vue, et il préparerait au loin des débouchés où ils pourraient s'écouler ; le travail national à tous les degrés et sous toutes les formes aurait ainsi la régularité et l'unité qui lui font défaut aujourd'hui.

Ici, messieurs, vient naturellement se poser une question de principe, qui a déjà été débattue dans cette enceinte, dont la Chambre s'est occupée l'année dernière encore et au sujet de laquelle je me suis permis de vous soumettre ma manière de voir.

La Belgique doit-elle posséder un corps diplomatique ?

Quant à moi, je pense, et je ne suis pas seul de cet avis, que nous pourrions faire, de ce chef, de notables économies.

Lors de la discussion du budget des affaires étrangères de 1868, j'ai eu l'honneur de formuler, à ce sujet, une proposition que je reproduis aujourd'hui, en la recommandant à toute l'attention de la Chambre.

Je dirai même plus. Je demanderais à mes honorables collègues d'en faire l'objet d'une discussion approfondie et de prendre sur elle une décision, si mon avis pouvait trouver auprès d'eux un bienveillant appui.

Avouons-le, messieurs, si, en 1830, le Congrès national avait choisi comme forme de gouvernement la forme républicaine, il n'y a pas de doute que la Belgique n'eût possédé qu'un corps diplomatique fort restreint, à supposer qu'elle en eût eu un, et que ses représentants à l'étranger n'eussent eu un caractère plus consulaire, que politique (plus commercial que diplomatique).

Mais une monarchie exige ce que n'exigerait pas une république et l'on comprend aisément que, dans l'état actuel des choses, le chef de l'Etat belge soit soumis à de certaines règles qu'il lui serait difficile, pour ne pas dire impossible, de ne point respecter.

Je crois donc qu'il nous faut quelques agents diplomatiques, purement politiques ; seulement je ne les voudrais qu'au nombre de cinq, répartis comme suit :

Un envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire à Paris, Londres, Berlin, Vienne et Saint-Pétersbourg.

Il faudra évidemment remplacer par des consuls généraux et par des consuls rétribués, et bien rétribués, les envoyés diplomatiques supprimés. Mais la diminution de dépense résultant de cette suppression, d'une part, jointe à l'augmentation relativement faible que j'aurai l'honneur d'indiquer, d'autre part, permettra d'élever assez fortement le budget consulaire, qui d'ailleurs n'entraîne pas après lui des frais aussi considérables que celui des agents purement politiques.

A quelque point de vue que l'on se place, une pareille organisation me semble devoir réunir tous les suffrages.

Voyons d'abord le côté politique.

La neutralité belge, tant discutée, affirmée par les uns, niée par les autres, n'a pas empêché les Chambres belges de voter une organisation militaire que, d'après l'opinion de la grande majorité du pays, celui-ci ne comporte pas.

En sera-t-il de même pour la diplomatie, et prétendra-t-on que la Belgique, qui, malheureusement, s'efforce d'emboîter le pas des grandes puissances militaires, se trouve également dans l'obligation d'entretenir un nombre trop considérable de diplomates ?

Et cependant quelle est la nation européenne, après la Suisse, qui soit en meilleure position de se passer d'une grande armée et d'une nombreuse diplomatie ?

Je sais bien que les partisans d'une grande armée et d'une diplomatie nombreuse ont inventé, pour justifier leur opinion, un moyen qu'ils croient excellent, qui leur a réussi jusqu'à présent, mais qui est à la fois peu honnête et très dangereux. Ils accusent ceux qui ont foi dans la neutralité de la Belgique et qui, très sincèrement, prennent cette neutralité pour base de leur opposition au système de défense en vigueur, de vouloir la perte du pays et de faire bon marché de notre nationalité. Pourquoi cette accusation que je qualifierais volontiers d'absurde si elle n'était odieuse ? S'il est permis de nier l'efficacité de la position faite à la Belgique par la conférence de Londres en 1831, n'est-il donc pas permis aussi d'y croire ? Que signifient donc les articles 7 et 13 du traité du 15 novembre 1831, ainsi conçus :

Art. 7. La Belgique, dans les limites indiquées aux articles 1, 2 et l4 formera un Etat indépendant et perpétuellement neutre. Elle sera tenue d'observer cette même neutralité envers tous les autres Etats.

Art. 15. Le port d'Anvers, conformément aux stipulations de l'article 15 du traité de Paris, du 30 mai 1814, continuera d'être uniquement un port de commerce.

Or, de quelle neutralité parle-t-on ici ?

Est-ce la neutralité armée, dans laquelle la puissance qui reste neutre tient sur pied des troupes suffisantes pour faire respecter son territoire, son commerce, ses droits ?

Est-ce la neutralité accidentelle, qui résulte de la volonté individuelle du neutre ?

Est-ce enfin la neutralité permanente, c'est-à-dire celle qui est consacrée par le droit public des Etats ?

Il est impossible d'avoir le moindre doute à cet égard. C'est bien à la dernière de ces catégories qu'appartient la Belgique, et l'on ne peut nier que ce ne soit là le sens que la conférence de Londres a entendu donner aux mots « perpétuellement neutre ».

On peut donc soutenir, sans cesser d'être Belge et sans encourir le reproche de vouloir livrer la patrie à l'étranger, que la neutralité belge est réelle, qu'elle est garantie par les grandes puissances européennes, et qu'elle nous permet de réaliser sans danger de notables économies au point de vue militaire et d'affecter une partie de ces économies à l'extension de nos relations commerciales.

J'ai la conviction qu'en envoyant des légations purement politiques dans les cinq pays que j'ai cités plus haut, la Belgique monarchique ferait ce que ses relations internationales exigent d'elle.

Faire au delà, me paraît être une superfétation, et nous la subissons, au grand détriment des intérêts industriels, commerciaux et maritimes du pays.

D'après mon système, nous n'accréditerions plus d'agents purement diplomatiques qu'auprès des cinq grandes puissances qui ont constitué noire nationalité et qui ont juré de la défendre.

Pour ce qui me regarde, j'ai foi dans notre neutralité, parce que nos garants sont tous intéressés à la maintenir et à la faire respecter. Il n'y a qu'une guerre générale, suivie d'une profonde modification de la carte de l'Europe, qui puisse mettre en péril notre indépendance. Mais alors, ni notre armée, eussions-nous trois cent mille hommes sous les armes, ni notre diplomatie, fût-elle aussi nombreuse que celle de la France ou de l'Angleterre, ne nous sauveront du naufrage.

Il me semble utile de faire remarquer encore notre position exceptionnelle dans le monde politique, et d'appuyer sur la possibilité qui nous est offerte, à notre grand avantage, de nous éloigner de ces sphères politiques, tourmentées et dangereuses, dont l'accès nous est même interdit par les traités et par notre raison d'être. J'ai lieu de croire, d'ailleurs, que c'est ainsi que l'entendent la plupart de nos hommes d'Etat, et c'est évidemment dans ce sens qu'un membre de cette assemblée, un ancien ministre des affaires étrangères, l'honorable M. de Brouckere, disait, dans une discussion récente, que le rôle de la Belgique doit être un rôle modeste.

Je ferai remarquer, en passant, que c'est là précisément l'expression dont s'est servi l'honorable M. Frère, au Sénat, dans la séance du 20 février 1869.

On comprend des agents politiques nombreux dans des pays qui, à un moment donné, peuvent être entraînés dans de graves complications, auxquelles ils devront éventuellement prendre une part active.

A ces pays, il faut préparer des alliances et, pour arriver à ce but, il faut suivre attentivement, et de près, la marche des événements et ne négliger aucune influence.

Mais nous, avons-nous le droit de nous ménager des alliances, et une pareille recherche ne compromettrait-elle pas notre situation, notre existence et ne nous ferait-elle pas sortir du rôle modeste qui nous a été imposé ?

(page 713) Ce qui se passe autour de nous, sans nous, ne nous regarde pas. La guerre éclaterait dans le monde entier, en nous respectant, que nous n'aurions rien à y voir, rien à craindre.

Mais si l'on ne respecte pas nos frontières, alors, mais alors seulement, nous avons à examiner quelle est la conduite que nous aurons à tenir.

Si jamais, ce qu'à Dieu ne plaise, un fait de cette nature devait se produire (et c'est le seul qui nous menace), ce ne sera pas la diplomatie, mais bien les événements, impossibles à prévoir, qui nous indiqueront, au jour le jour, la marche que nous aurons à suivre.

Le corps consulaire que je propose est en mesure d'ailleurs de rendre sous ce rapport autant et peut-être plus de services que le corps purement diplomatique que nous possédons en ce moment.

Quant au côté commercial de mon organisation, le plus important pour la Belgique, peut-on douter un seul instant que l'établissement, sur un grand nombre de points du globe, d'agents belges ne soit un véritable bienfait pour le pays ?

Peut-on nier qu'il ne soit très important aussi que des comptoirs belges soient fondés partout à l'étranger ?

Peut-on nier enfin qu'il ne soit de l'intérêt du pays d'étudier sérieusement l'émigration et de favoriser la colonisation, dans des circonstances données et sous l'influence d'une direction énergique et expérimentée ?

L'essai infructueux, fait en 1844, dans l'Etat de Guatemala, à Santo-Tomas, d'une façon inintelligente et dans une des contrées les moins favorables à l'émigration belge, jeta le discrédit le plus complet sur les entreprises du même genre qui ont été tentées, bien rarement, il est vrai, depuis cette époque. Il faut dire aussi que le plus souvent elles ont été présentées et entamées par des hommes peu dignes de la confiance publique et dont l'unique but était d'exploiter la crédulité d'actionnaires peu à même, en général, de se faire une idée exacte de la question. Les esprits sont encore frappés et les idées fausses ainsi que les erreurs sans nombre que cette malheureuse tentative a répandues sur la colonisation, ont empêché la Belgique, de suivre, sous ce rapport, l'exemple d'autres nations. Le pays, prévenu, semble avoir conservé jusqu'à présent toutes ses appréhensions.

Ni la connaissance plus exacte des contrées étrangères, ni la multiplicité, ni la rapidité, ni la sécurité des moyens de transport, ni l'exemple de ceux qui, depuis longtemps, marchent avec profit dans la voie de l'émigration et de la colonisation, ni même l'appât du gain, n'ont été des motifs assez puissants pour dissiper les craintes que semble partager tout le pays au sujet des expéditions lointaines. Est-ce indifférence ? Est-ce manque d'énergie et d'initiative ? Ou bien serait-ce, comme d'aucuns le prétendent, à tort selon moi, que le Belge ne saurait convenir en aucune façon pour coloniser ?

Je pense plutôt, messieurs, que jusqu'ici aucune expérience décisive n'ayant été faite, on ne pourra se prononcer en connaissance de cause à cet égard, que lorsqu'un système, entouré de toutes les chances imaginables de succès, aura été sérieusement mis en pratique. Alors seulement, le résultat affirmatif ou négatif de l'entreprise sera également fondé et sérieux.

Et cependant, quelle utilité notre industrie, notre commerce et notre navigation n'auraient-ils pas déjà tirée, depuis de longues années, de l’établissement, à l'étranger, d'un nombre plus ou moins considérable de nos compatriotes ?

N'est-ce pas de cette manière que les Anglais, les Français, les Hollandais, les Espagnols, les Portugais, d'autres peuples encore, et jusqu'aux Suisses, se sont créé des débouches directs dans le monde entier ?

La réorganisation et l'extension de notre corps consulaire aideraient puissamment, je n'en doute pas, à ouvrir, sous ce rapport, à notre pays, de nouveaux et vastes horizons.

Je borne là, pour le moment, messieurs, mes considérations touchant ces différents points et je demande encore à la Chambre ce qui lui paraît être le plus utile pour la Belgique : une diplomatie uniquement préoccupée d'intérêts politiques, ou bien un corps consulaire, convenablement organisé, à la fois politique et commercial ?

Je viens de dire, messieurs, que notre corps consulaire, tel que je voudrais le voir établi, serait à la fois politique et commercial.

Ici je m'attends à une objection qui, tout d'abord, peut paraître fondée. Elle disparaît cependant lorsqu'on la considère attentivement.

Les consuls, me dira-t-on, ne sont pas ministres publics, et, par conséquent, ils ne peuvent avoir, dans les pays où ils résident, ni l'influence, ni les privilèges et les immunités dont jouissent les diplomates.

Notons bien, eu passant, messieurs, et ceci est fort important pour la thèse que je soutiens, qu'il s'agit, dans ma pensée, d'un corps consulaire composé d'agents envoyés, Belges, non commerçants et rétribués.

Comme je tiens à justifier ma manière de voir à ce sujet par l'opinion d'hommes compétents, j'aurai recours à des autorités dont personne ne contestera l'importance.

Voici l'avis que M. le baron Ferdinand de Cussy, ancien consul général de France, émet dans la préface de son bel ouvrage : « Des règlements consulaires de l'Europe ».

Il apprécie à la fois les ambassadeurs et les consuls, et n'oublions pas qu'il parle au point de vue de la France dont le corps consulaire est, sans contredit, l'un des mieux organisés :

« Les gouvernements attendent, généralement, beaucoup de leurs consuls.

« Ils ont raison, en principe : par suite des attributions variées de la charge dont il est revêtu, il n'esr, en effet, aucun agent politique qui puisse, de nos jours, rendre de plus utiles, de plus réels services à son pays, qu'un consul instruit, consciencieux, expérimenté. La pensée de M. de Chateaubriand, la trouvât-on même exagérée en ce qui concerne les ambassadeurs, est, dans sa seconde partie, une pensée vraie : « Le temps des ambassadeurs est passé, celui des consuls est revenu. » Les progrès qu'ont faits l'industrie et le commerce, qui ont besoin de trouver des débouchés et de former des relations au dehors ; le développement qu'a pris, partout, la marine commerciale ; les communications devenues plus faciles et plus promptes entre les peuples ; les intérêts engagés entre les commerçants de tous les pays. etc., toutes ces circonstances ont contribué à donner plus de relief à l'institution consulaire et à mieux faire comprendre son utilité réelle, les services qu'elle rend, les avantages qu'elle procure aux gouvernements qui possèdent des consuls instruits, zélés, expérimentés et qui ont le sentiment de leurs devoirs.

« Les consuls, agents politiques et diplomatiques, sont chargés de surveiller l'exécution des traités ; ils doivent porter à la connaissance de leur gouvernement les mouvements des forces navales de toutes les nations, sur les côtes de leur arrondissement consulaire ; les armements qui s'effectuent ; les expéditions militaires qui se préparent ; les ressources que présentent les arsenaux de l'armée et de la marine, en approvisionnements de toute nature ; l'état et les variations de l'esprit public, etc. C'est aux consuls encore qu'il appartient de faire respecter, dans l'arrondissement commis à leur surveillance, la dignité de leur pays et de leur souverain, en maintenant les droits du pavillon militaire et les égards qui lui sont dus.

« Protecteurs du commerce, les consuls doivent, d'une part, dans le port de leur résidence, accorder aide, conseils et assistance aux capitaines de la marine commerciale de leur pays ; et, d'autre part, dans leur correspondance avec leur gouvernement, indiquer tous les événements concernant le commerce et la navigation, les découvertes et les publications utiles au progrès des différentes parties de l'art nautique, les résultats généraux du commerce des pays étrangers avec le pays où ils résident, et les opérations du commerce spécial de leur nation avec les ports de leur arrondissement consulaire.

« Ils doivent aussi faire connaître l'état et les progrès des manufactures, l'établissement de nouvelles branches d'industrie, ainsi que le décroissement (et ses causes) des branches industrielles existantes, les sources de la richesse publique et les motifs de sa décadence, les traités en voie de négociation entre le gouvernement du pays où ils résident et d'autres gouvernements ; ils doivent, enfin, suggérer les moyens qui, dans leur opinion, sont les plus propres à étendre le commerce maritime de leurs nationaux, en s'appuyant sur des données statistiques certaines, et sur des faits recueillis auprès de personnes dont l'opinion mérite toute confiance. »

Plus loin, le même, auteur dit encore :

« Mais c'est précisément parce que les gouvernements peuvent et doivent beaucoup attendre, dans l'intérêt du pays, de l'institution consulaire, qu'ils ont eu tort de ne lui avoir pas donné plus d'éclat, de n'avoir pas entouré les consuls de la considération qu'ils ont attribuée à la carrière des légations, de n'avoir pas déterminé leur position politique, et défini leurs droits, leurs prérogatives et immunités d'une manière positive.

« La conviction que nous avons de l'utilité immense pour les gouvernements de l'institution consulaire, mieux comprise, et de la nécessité, en vue même de cette utilité pratique, de l'adoption de mesures propres à donner plus de développement à la considération qui doit appartenir à cette institution, résulte, pour nous, de l'expérience acquise pendant une carrière de plus de trente années écoulées dans les ambassades, à l'administration centrale des affaires étrangères et dans les consulats, en qualité de second et premier secrétaire, de sous-directeur, de consul et de consul général dans les îles Ioniennes, en Hollande, en Irlande, ca Prusse, en Sicile, en Autriche et en Toscane.

(page 174) « C'est cette expérience acquise dans l'exercice des fonctions consulaires dans un grand nombre de pays, qui nous donne le droit de parler comme nous le faisons : nous connaissons, par la pratique, les devoirs et les attributions des consuls, et nous avons été en mesure d'apercevoir les imperfections, et, des lors, les améliorations que réclame l'institution. Si les gouvernements veulent retirer de cette institution tous les avantages qu'elle est appelée à produire, ils doivent créer pour les consuls envoyés, au moyen de traités publics, une position plus convenable que celle qu'ils ont aujourd'hui ; ils doivent abandonner l'usage déplorable de choisir leurs consuls et consuls généraux parmi les négociants établis dans le pays ; ils doivent, enfin, munir les consuls d'instructions complètes qui deviennent, en toutes circonstances, la règle certaine de leur conduite dans l'exercice de leurs fonctions si variées. Nous aurons à nous expliquer sur les deux premiers points. Les considérations que nous développerons démontreront, nous osons l'espérer, d'une part, qu'il y a nécessité, convenance, utilité a ce que les gouvernements définissent à l'avenir, dans les traités, d'une manière précise, la position politique des consuls, si mal définie et si mal appréciée par un grand nombre de publicistes ;

« D'autre part,

« Qu'il y a nécessité tout aussi réelle à ce que les fonctions de consul et de consul général soient confiées, désormais, uniquement, à des hommes spéciaux, ayant fait des études spéciales, appartenant à la carrière consulaire, envoyés et entretenus par leur gouvernement ; et jamais à des négociants ; ceux-ci, d'ailleurs, pourront, par exception, être employés, sous le titre de vice-consuls honoraires ou d'agents consulaires dans les ports de peu d'importance, comme correspondants en quelque, sorte du consul qui les a institués ; dans ce cas, les fonctions de ces agents, choisis et nommés par les consuls, seraient bornées au visa des papiers de bord, aux conseils à donner aux individus de la nation, au rôle d'intermédiaire, en certaines circonstances, entre ces individus et les autorités locales de douane et de police ; enfin, à la correspondance d'information avec le consul, chef de l'arrondissement consulaire.

« Il faut donc, dans l'intérêt du service, que les gouvernements se décident à assimiler, par les traités, les consuls généraux et les consuls, en ce qui concerne leur caractère public et leurs prérogatives et immunités, aux fonctionnaires et employés diplomatiques qui forment le personnel des légations, et que, dès lors, les traités ne présentent plus à l'avenir les stipulations banales et en quelque sorte stéréotypées qu'on rencontre, à ce sujet, dans le plus grand nombre de ces actes publics ; il n'existe que trois ou quatre conventions diplomatiques qui, sortant de l'ornière dans laquelle les négociateurs se sont traînés trop longtemps, aient établi des règles d'une certaine étendue touchant les attributions et les prérogatives consulaires ; et combien ces conventions laissent-elles encore à désirer ! »

Messieurs, je m'efforcerai tantôt de vous prouver que les consuls rétribués sont à la fois des agents politiques et diplomatiques et des ministres publics, et qu'à ce titre ils peuvent parfaitement, en Belgique surtout, remplacer, à tous les points de vue, les agents exclusivement diplomatiques.

Mais avant d'en venir à cette démonstration, je désire déterminer exactement la nature et le caractère des pouvoirs qui sont confiés à tous ces agents.

Tout le monde sait que les chefs de légation sont munis de lettres de créance qu'ils remettent au chef de l'Etat auprès duquel ils sont accrédités.

Ces lettres de créance, sont signées par le souverain qui les envoie, et les fonctions dont ils sont chargés commencent à l'étranger, lorsqu'ils ont été reçus en audience solennelle. Cette audience constitue l’exequatur du chef de mission.

Pour les consuls, il n'y a pas, ordinairement, d'audience solennelle, et l’exequatur leur est généralement accordé après qu'ils ont fait connaître leur nomination au ministre des affaires étrangères du pays où ils sont appelés à exercer leurs fonctions.

Cette ordonnance d'autorisation est ordinairement annexée aux provisions du consul, ou inscrite même sur le revers de cette pièce.

Mais les consuls, comme les chefs de mission, ont des provisions ou lettres patentes, signées par le chef de leur gouvernement, roi ou président de république ; or, d'après l'avis des publicistes les plus distingués et au point de vue de la raison et de la logique, cette signature doit avoir la même valeur.

Dans la pratique, il n'en est pas ainsi, et elle offre même, à ce sujet, une curieuse anomalie, que je tiens à signaler.

Quand il s'agit d'un simple chargé d'affaires, incontestablement agent politique, il n'est pas d'usage que ce fonctionnaire diplomatique présente des lettres de créance, signées par son souverain. C'est ordinairement affaire de ministre des affaires étrangères à ministre des affaires étrangères qui remettent purement et simplement a l'envoyé des lettres d'introduction. Or, on refuse au consul, ayant des lettres patentes de son souverain, les avantages accordés aux chargés d'affaires qui ne sont accrédités que par le ministre des affaires étrangères !

C'est par les traités internationaux qu'il faut rendre aux agents consulaires la valeur et le prestige qui leur sont dus. Il faut aussi, pour arriver à ce but, posséder un corps consulaire composé d'agents belges rétribués et bien rétribués et en faire de véritables fonctionnaires à la fois diplomatiques et commerciaux.

Dans cette hypothèse, je soutiens que. les consuls sont agents politiques et diplomatiques et qu'ils sont aussi ministres publics.

Ecoutons ce que dit, à ce sujet, le baron de Cussy :

« La nature de leur service dans leurs rapports avec le gouvernement qui les institue, et diverses attributions de leur charge, démontrent, d'une manière positive, qu'on ne saurait, en effet, refuser aux consuls envoyés la double qualité d'agent politique et d'agent diplomatique.

« Nous démontrerons qu'ils sont également ministres publics.

« Agents politiques et diplomatiques, les consuls sont chargés de surveiller l'exécution des traités qui existent entre, leur gouvernement et l'Etat sur le territoire duquel ils résident ;

« Ce droit et ce devoir ne dérivent pas, uniquement, des règlements consulaires, mais aussi des traités publics eux-mêmes. En cas de non-observation des traités, il appartient aux consuls de faire les représentations nécessaires aux autorités locales, et, s'ils éprouvent quelque résistance de la part de celles-ci, de réclamer, immédiatement, l'intervention de la légation de leur souverain, dans le but d'obtenir du ministère du gouvernement local des ordres qui brisent cette résistance.

« Les consuls doivent faire respecter la dignité de leur pays et de leur souverain, et maintenir, dans toutes les circonstances, les égards qui leur sont dus.

« Dans certains cas prévus par les règlements, ils peuvent faire appel aux forces navales de leur pays qui se trouvent dans les parages de la contrée où ils résident. »

J'appelle toute l'attention de la Chambre sur le dernier paragraphe que je viens de lire, et qui prouve qu'il est d'autant plus nécessaire pour la Belgique de nommer des agents qui soient à la fois consulaires et diplomatiques.

La France, l'Angleterre et d'autres pays où il existe une marine militaire et qui ont de grandes stations navales, peuvent au besoin prêter leur appui matériel à leurs agents. Les consuls de ces nations peuvent d'autant mieux faire respecter leurs droits qu'ils peuvent au besoin faire appuyer leurs réclamations par les canons d'une frégate ou de tout autre navire de guerre ; la Belgique n'a pas ces moyens à sa disposition. C'est pour cela qu'elle doit donner d'autant plus de prestige et de force morale à ses envoyés.

« Leur correspondance avec le ministre des affaires étrangères, sous les ordres directs et immédiats duquel ils sont placés (dans presque tous les pays), doit faire, connaître à leur souverain l'état et les variations de l'opinion publique ; les nouvelles politiques qu'ils ont été dans le cas de recueillir ; les mouvements des forces navales de tous les pays sur les côtes de leur arrondissement consulaire ; tous les faits concernant l'armée, de nature à intéresser leur gouvernement (l'organisation, le recrutement, l'accroissement, l'instruction, la force physique et la force d'énergie, l'administration, l'armement, les places fortes, etc.) ; l'état des approvisionnements des arsenaux de l'armée et de la marine.

« Leur correspondance avec la légation de leur souverain, dans le pays où ils résident, doit également renfermer, sur tous ces points, les détails qui leur semblent être de nature à intéresser le service.

« Dans certaines circonstances et dans certaines localités, les consuls généraux peuvent accorder, au nom de leur souverain, des dispenses d'âge pour pouvoir contracter mariage. Les consuls généraux et les consuls délivrent des passeports à leurs nationaux pour voyager a l'étranger ;

« Ils peuvent même en délivrer à des étrangers pour se rendre dans les possessions du souverain au nom duquel ils exercent leur charge, si les lois du pays où ils résident ne s'y opposent pas.

« En temps de guerre, ils peuvent autoriser des armements en course.

« Enfin, c'est au nom de leur souverain que les consuls réclament, en (page 715) faveur de ses sujets, la protection du droit des gens et des lois territoriales.

« Dans le cours de notre longue carrière, continue M. de Cussy, nous avons rencontré un grand nombre de collègues, consuls et consuls généraux de diverses puissances, qui étaient négociants ; nous avons entretenu avec, tous d'excellentes relations ; nous avons été et nous sommes resté l'ami de plusieurs : tous étaient, d'ailleurs, des hommes honorables avec lesquels nous nous estimions heureux d'avoir des rapports quotidiens ; malgré toutes ces considérations, dérivant uniquement de la personnalité de ces divers individus, nous déclarons encore, dans notre conviction intime, qu'en raison des affaires commerciales, objet de leur première et légitime préoccupation, nous regardons, pour les motifs que nous aurons à mettre sous les yeux du lecteur en reproduisant l'opinion d'un grand nombre, d'hommes, juges parfaitement compétents en cette matière, comme un inconvénient réel pour le service de l'Etat, et pour l'institution consulaire, que les consulats soient confiés à des négociants, fussent-ils même de la nation qui les leur confie.

« Les règlements français interdisent aux consuls généraux, consuls, élèves-consuls, drogmans et chanceliers de première classe, de faire le commerce, soit directement, soit indirectement, sous peine de révocation : d'autres règlements portent également la même défense.

« La France donne quelquefois le titre de consul honoraire et de vice-consul honoraire à des négociants auxquels elle confie des fonctions d'agents consulaires ; mais c'est uniquement dans des ports secondaires : ces agents consulaires, non rétribués, ne font point partie de la carrière, ils n'ont point de chancellerie, n'exercent aucune juridiction, et restent entièrement placés sous la direction et la surveillance du consul, chef de l'arrondissement consulaire.

« Pardessus, Martens, Bord, Warden, Miltitz, Mac-Culloch, Mascarenhas, le commandeur Ribeiro dos Santos, tous hommes pratiques et expérimentés, ont, dans les écrits qu'ils ont publiés sur les institutions et les fonctions consulaires, engagé leur gouvernement à défendre le commerce à ses consuls.

« Pour qu'un consul, écrivait Warden, consul général des Etats-Unis à Paris, soit utile à son pays dans les arts, les sciences et les manufactures, il faut qu'il ne se mêle pas de faire le commerce : de tels services ne peuvent pas être rendus par celui dont l'esprit est absorbé par la soif du gain.

« En 1833, le secrétaire d'Etat de l'Union disait au congrès, en lui présentant le résultat de l'enquête consulaire à laquelle il venait d'être procédé : « Je ne puis m'empêcher d'exprimer l'opinion que, non seulement les consuls, comme tout autre officier de l'Etat, devraient être rétribués par des salaires suffisants, mais qu'on devrait leur défendre de faire le commerce... ; marchands, désireux d'accroître leurs affaires et d'obtenir les consignations, ils ne recherchent ordinairement une place consulaire qu'en vue de l'influence qu'elle procure, et afin d'étendre leurs affaires commerciales... S'il y a rivalité entre la maison de commerce du consul et d'autres maisons commerciales, la dignité de l'officier public en souffrira et son influence auprès des autorités locales sera bientôt détruite... ; avec des consuls non négociants, les chancelleries consulaires ne seraient plus tenues dans des comptoirs, le consul ne serait plus empêché, par la nécessité d'aller livrer une caisse de sucre ou de signer ses lettres de change, de se livrer à la défense des intérêts d'un Américain injustement traité... ; ces places seraient alors, ainsi qu'elles devraient l'être, remplies par des hommes de talent, d'éducation et d'un caractère respectable, qui sauraient commander le respect des fonctionnaires de leur résidence, faire honneur au caractère national, et consacrer tout leur temps aux devoirs de leur charge.

« D'après l'organisation consulaire anglaise de feu M. Canning en 1825, ce n'était que dans de rares exceptions qu'un négociant pouvait être choisi pour remplir les fonctions de consul. Lorsque, en 1835, le parlement, obéissant au sentiment d'une économie malentendue, voulut que des modifications fussent apportées à cette organisation, une enquête fut ordonnée : on demanda l'avis d'un grand nombre de consuls en exercice ou retirés des affaires publiques : tous furent opposés à l'admission de négociants aux fonctions consulaires, si ce n'est dans quelques ports entièrement secondaires. »

M. Bidwell, surintendant du service consulaire, fut d'avis « qu'on ne permît pas aux consuls de faire le commerce » ; M. Thomas Wood, employé du Lloyd ; Alexandre Ferrier, consul à Rotterdam, pendant vingt et une années, et ancien négociant ; M. Keer Brwvn, ancien vice-consul à Gênes, etc., etc., énoncèrent l'opinion que les consuls ne doivent point être négociants.

M. James Wenderson, consul général à Bogota, déposa que plusieurs négociants lui avaient dit qu'ils préféraient contribuer à la formation d'un fonds qui serait destiné à rétribuer les consuls, plutôt que de continuer a être exposés aux collisions qui s'élèvent toujours entre les simples marchands et les consuls-marchands ; il attribuait, d'ailleurs, une grande partie de l'accroissement du commerce anglais, dans les derniers temps, à l'indépendance et au relief donnés, par le système de M. Canning, au caractère et à la condition des consuls anglais ; M. John Parkinson, consul, depuis l’année 1814, en Prusse, à Fernambouc, à Bahia, déclara que s'il n'y avait pas un inconvénient sérieux résultant de l'union du double caractère de consul et de négociant dans les petits ports, il en existait de très réels pour les grands consulats... les consuls-marchands ne jouissant pas, disait-il, de la considération qui entoure les consuls qui ne sont pas négociants.

M. Francis-Coleman Mac-Gregor, consul, depuis l'année 1814, dans les villes hanséatiques et en Danemark, s'exprima dans les termes suivants : « Le service public serait mieux fait par des consuls envoyés que par des consuls marchands. Les autorités locales traitent les premiers avec plus de respect et de courtoisie : ils peuvent donc être plus influents, et, par là, plus utiles ; ils ont non seulement plus de temps à consacrer au service, mais aussi plus d'indépendance que les consuls marchands, lesquels ont, plus que les autres encore, besoin d'être, à tout prix, agréables aux autorités locales qui peuvent les tracasser dans les affaires de leur maison. Toutefois, par économie, on peut permettre le commerce dans les petits ports. »

M. Thomas Grenier de Fonblanque, qui avait exercé les fonctions de consul pendant seize années, en France et en Prusse, énonça à peu près comme il suit son opinion : « Des connaissances commerciales théoriques sont désirables : celles qu'on apprend dans un comptoir ne le sont pas : le négociant dont la pensée est sans cesse tournée vers la spéculation et le gain qui doit en résulter pour lui, n'aurait peut-être pas, s'il s'agissait d'intérêts étrangers, la même perspicacité... Il importe que la position sociale du consul lui permette de vivre dans le cercle des autorités supérieures de sa résidence : les rapports intimes qui existent avec celles-ci rendent les subordonnés plus soigneux pour toutes les affaires que le consul leur recommande. Quand le consul est négociant, .es compatriotes hésitent à s'adresser à lui dans leurs différends ; s'ils le font, toutefois, il peut arriver que les autorités qui auront à s'occuper elles-mêmes de l'objet du différend sur lequel le consul aura eu à s'expliquer, n'accordent pas la même attention à un homme qu'ont pu guider des motifs d'intérêt particulier ou de partialité, qu'à celui dont le désintéressement dans l'affaire ne peut être mis en doute. Le consul négociant étant dans le cas d'avoir à réclamer quelques faveurs ou facilités de la part des autorités, dans l'intérêt de sa maison, craindra d'user son crédit, de fatiguer la bonne volonté des fonctionnaires supérieurs en intervenant dans l'intérêt du tiers, etc. »

M. John Macpherson Brackenbury, consul à Cadix depuis l'année 1822, répondit aux commissaires du parlement « que les devoirs des consuls sont mieux accomplis par les hommes qui ne sont pas négociants, étant plus désintéressés que ceux-ci, et plus indépendants ; que le consul envoyé est plus respecté et que l'on prête plus d'attention aux réclamations qu'il présente ;... il a connu, dit-il, des consuls négociants qui ont fait faillite, et ont perdu, avec l'estime publique, toute espèce d'influence auprès des autorités. »

Le commandeur Ribeiro dos Santos, consul général de Portugal, se montre, dans son « Traité du consulat », publié en 1839, opposé à l'admission des négociants aux fonctions consulaires ; nous nous bornerons à extraire quelques phrases de sa lumineuse dissertation :

« Le consul négociant partage l'emploi de son temps entre les intérêts de sa nation et ceux de sa maison :... le consul non-négociant consacre exclusivement son temps à l'exercice de ses fonctions, et, s'il veut dignement les remplir, tous ses moments sont pris.

« Le négociant a trop d'indépendance (à l'égard du gouvernement qui l'a revêtu d'un titre purement honorifique, lequel ne l'attache pas à l'Etat par les liens d'une carrière ;) ... il procède à sa fantaisie... ; l'intérêt du commerce national peut être différent de l'intérêt privé du négociant, et même en opposition avec lui...

« Bien s'en faut que le consul négociant jouisse d'une aussi grande estime auprès du public et des autorités que le consul non-marchand ; sa présence continuelle à la Bourse, dans les magasins, fait naître entre lui et certaines personnes une familiarité nuisible à sa considération.

(page 716) « Le consul négociant qui voudrait abuser de sa place pour son avantage particulier, serait à même de le faire très aisément.

«... Lorsqu'un consul non-négociant s'adresse a un fonctionnaire ou à un marchand, il y a toute probabilité qu'il obtiendra les éclaircissements qu'on refuserait peut-être au négociant consul : les investigations de l'un n'excitent pas la méfiance comme celles de l’autre. On ne croit le premier poussé que par un sentiment de curiosité libérale, ou par l'ambition de bien remplir son devoir ; mais on suppose au dernier des sentiments d'égoïsme. Le consul négociant est l'objet des soupçons de ses compatriotes et des habitants du pays : au lieu d'un employé indépendant, il devient un des ressorts des intrigues qu'il serait plutôt de son devoir d'étouffer...

« Qui sait si le négociant élevé au consulat ne se mêlera pas de quelque commerce honteux pour la nation ? Qui sait s'il ne fera pas la contrebande ? Qui sait si, mettant en œuvre le prestige de sa place, il n'offrira pas au public des marchandises inférieures à celles du pays (qu'il représente), comme en étant les produits, et perdant ainsi la réputation méritée de ces articles ?

« ... Le négociant, avec la meilleure foi du monde, est exposé à une faillite ou à tout autre événement malheureux, par suite de l'oscillation et des éventualités du commerce ;

«... S'il est consul, il compromet donc, bien qu'involontairement, la dignité de son pays, de son emploi, et, tout à la fois, les intérêts des négociants du pays qui l'a institué en qualité de consul. »

A ces considérations diverses, nous ajouterons qu'un consul négociant est en mesure, par le fait même de sa position officielle, d'obliger, en quelque sorte, les capitaines de la nation qui l'a institué en qualité de consul, à le choisir pour consignataire, lorsqu'ils arrivent sans avoir, à l'avance, un consignataire déterminé par la charte partie, ou par les ordres des armateurs ou des chargeurs ; au moyen de retards calculés, de difficultés soulevées par lui, sans motifs fondés, il peut vouloir chercher à punir les capitaines qui ne l'auraient pas pris pour cosignataire : pour se soustraire a ces embarras possibles, les capitaines, libres de faire un choix, s'adressent au consul de leur nation.

Il y a encore, pour étayer cette manière de voir, l'opinion du gouvernement prussien qui établit avec raison une distinction entre les consuls nés Prussiens, sujets perpétuels de la Prusse (subditi perpetui), qui demeurent soumis, tant à la juridiction ordinaire prussienne, qu'aux charges directes et indirectes, soit communales, soit publiques, à l'instar des autres sujets prussiens. Et les consuls envoyés, sujets perpétuels d'une puissance étrangère, et. seulement sujets temporaires (subditi temporarii) de la Prusse, tels que ceux d'Angleterre, de Russie, de France, etc., lesquels sont exempts des logements militaires et des charges communales et publiques directes, et sont, pour la juridiction, placés au rang des privilégiés.

Vattel déclare que le consul étant chargé d'une commission de son souverain, et reçu en cette qualité par celui chez qui il réside, doit jouir de la protection du droit des gens. Que le souverain qui le reçoit s'engage strictement à lui donner toute la liberté et toute la protection nécessaires pour qu'il puisse remplir ses fonctions d'une manière convenable. Que le consul doit être indépendant de la justice criminelle du lieu de sa résidence. Enfin que l'Etat qui reçoit un consul sans des conditions expresses ou particulières, ne peut entendre le recevoir que d'après les conditions consacrées par l'usage.

Bouchaud partage l'avis de Vattel et ajoute, pour bien déterminer, selon lui, les fonctions consulaires que, si les titulaires de ces fonctions tombent en faute, les égards dus à leur souverain exigent qu'ils soient renvoyés pour être punis par lui.

Moser et de Martens trouvent qu'on peut considérer les consuls, en sens général, comme ministres publics.

Le commandeur Pinheiro-Ferrera, Steck et Teulet soutiennent que les consuls sont des ministres publics, et le dernier de ces publicistes démontre, d'une part : Que le ministre, chef d'une légation, et le consul, chef de service consulaire d'un arrondissement, ont la même origine ; pour le premier, des lettres de créance, pour le second, des lettres patentes, signées les unes et les autres par le souverain qui constitue le ministre, chef de légation, et le consul, chef de service dans son arrondissement, ou chef de tout l’établissement consulaire, dans le pays ou il est appelé à exercer ses fonctions ; d'autre part, que l'audience accordée par le souverain auprès duquel le ministre, chef de légation, est envoyé, pour recevoir des mains de ce ministre les lettres originales de créance que celui-ci doit lui présenter, avant d'entrer en fonctions ; et l’exequatur accordé au consul à la suite de la communication officielle qui a été faite au souverain territorial, des lettres patentes, signées par le souverain qui constitue cet agent, sont actes identiques, bien que revêtus de formes différentes.

Voici la définition qu'un jurisconsulte habile, un savant professeur de droit, Pardessus, a faite des consuls :

Pour protéger ceux de leurs sujets qui, sans renoncer à leur patrie, ont formé des établissements en pays étranger, et ceux que le goût des voyages ou le désir de s'instruire y conduisent, les souverains établissent dans les diverses villes étrangères des agents diplomatiques, connus sous le nom de consuls.

C'était aussi l'opinion des états généraux de Hollande dans le siècle dernier, et l'article 34 du traité de 1647, entre l'Espagne, et l'Angleterre, reproduit plusieurs fois l'expression : le consul ou autre ministre public du roi de la Grande-Bretagne.

L'article 24 du traité de l'année 1714, entre l'Espagne et les Provinces-Unies des Pays-Bas, présente la même expression.

Le ministre de la marine de France, dans une circulaire, adressée dans le mois de décembre 1814, aux autorités administratives dans les ports, définit ainsi l'établissement des consuls :

« L'établissement des consuls n'a eu d'autre but que l'avantage, l'agrandissement, la sûreté et la police du commerce des nations, les unes chez les autres.

« Les consuls sont les tuteurs de leurs compatriotes contre les vexations, les injustices des citoyens de la cité qu'ils habitent, et ils ont la police sur tous les individus de leur nation... ;

« Les fonctions consulaires sont donc diplomatiques : elles ont un air de dignité qui suppose, dans le sujet élu d'un côté et accueilli de l'autre, un mérite particulier, et son caractère public commande l'estime et la considération. »

En 1810, l'administration de l'enregistrement de l'empire français voulut exercer les droits de mutation sur le mobilier dépendant de la succession de madame Labensky. Son mari, consul général de Russie, attaqua l'administration devant le tribunal civil du département de la Seine, lequel prononça, le 11 mai 1813, la restitution des droits perçus sur le mobilier et sur l'argent comptant inventoriés à l'hôtel de M. Labensky, attendu, est-il dit dans l'arrêt du tribunal, qu'en qualité de consul de Russie, M. Labensky avait droit de jouir des avantages des ministres d'une puissance étrangère ; que les ministres d'une puissance étrangère sont, dans leurs hôtels, près les cours qui les reçoivent et par une fiction de la loi, comme s'ils étaient dans les Etats du gouvernement qui les accrédite ; que dès lors leur personne, leur mobilier et l'argent comptant qui sont dans leurs hôtels, ne peuvent être soumis aux lois françaises.

Voici enfin en quels termes le comte Portalis s'expliqua devant le conseil des prises, chargé de décider si un consul pourrait être pris à partie pour un acte accompli dans l'exercice de ses fonctions.

« Les agents des relations commerciales existent depuis que les nations ont entre elles un commerce réglé.

« L'objet de leur mission, surtout dans les ports de mer, est d'y veiller à la conservation des droits et privilèges de leur nation, et d'y terminer les contestations qui naissent entre leurs compatriotes résidant dans les pays étrangers.

« On voit que, par les attributions que leur donnent les lois anciennes et nouvelles, les agents des relations commerciales peuvent joindre au caractère d'agent politique, celui de juge... ;

« D'après le principe du droit des gens, les agents des relations commerciales, sans avoir la plénitude des prérogatives attachées aux ambassadeurs et autres ministres publics, doivent jouir, dans un rang moins élevé, et pour des fonctions moins éclatantes, de l'inviolabilité et de l'indépendance dont les ambassadeurs et les autres ministres publics jouissent entre eux.

« Tout agent politique est la parole du gouvernement, et le gouvernement ne doit agir ni parler par le ministère d'un homme qui aurait à craindre. Il faut donc, à l'égard des agents du gouvernement, suivre les raisons tirées de leur caractère représentatif, et non pas celles qui dérivent des rapports ordinaires des choses.

« Si ces agents abusent de leur caractère, on les fait cesser ; mais, pour les faire cesser, l'étranger (souverain ou particulier) doit s'adresser au gouvernement lui-même, qui désavoue ou maintient son mandataire et peut seul faire disparaître le caractère d'inviolabilité dont il l'a revêtu. »

L'arrêté du conseil des prises confirma les conclusions de M. Portalis.

Après avoir soumis à la Chambre les différentes opinions que je viens de citer, et qui émanent des publicistes les plus éminents, de plusieurs ministres chargés de la haute administration de leur pays, de tribunaux (page 717) et, enfin, d'une autorité aussi considérable que le comte Portails ; je terminerai ce sujet en y joignant l'appréciation, si importante aussi, de M. de Cussy.

« Nous n'hésitons pas à le dire :

« Les consuls envoyés sont ministres publics ;

« Continuer de leur refuser le caractère et les immunités qui y sont inhérents, c'est vouloir sciemment se refuser à reconnaître la vérité, c'est méconnaître sciemment l'équité, c'est nier la raison.

« Pourquoi les traités conclus entre les Etats n'ont-ils pas établi, d'une manière certaine, le caractère public des consuls envoyés, en stipulant, en leur faveur, la jouissance des immunités et prérogatives qui sont accordées aux envoyés extraordinaires, aux ministres résidents. aux chargés d'affaires, lesquels, ainsi que nous l'avons fait remarquer, ne sont pas, comme les consuls, accrédités au moyen de lettres patentes signées par le souverain, mais, uniquement, au moyen de lettres ministérielles ?

« Pourquoi les gouvernements qui ont reconnu la convenance et la nécessité d'assimiler les grades consulaires aux grades élevés de l'armée et de la marine d'Etat, en donnant, par exemple, le rang de contre-amiral, de capitaine de vaisseau et de capitaine de frégate aux consuls généraux et aux consuls de première et de seconde classe, et en ordonnant, d'ailleurs, que des honneurs militaires leur fussent rendus ; pourquoi ces gouvernements ont-ils négligé, jusqu'à ce jour, de définir et de fixer, par leurs traités, le caractère public de leurs consuls envoyés ?

« Nous avons déjà répondu à ces questions : il faut chercher la cause du silence qu'ont gardé les traités dans le fait même de la prodigalité avec laquelle divers gouvernements ont distribué les titres de consul général et de consul à des hommes, honorables sans doute, mais qui, en raison des opérations commerciales auxquelles ils sont livrés, sont exposés à toutes les chances désastreuses du commerce, poursuites, jugements, saisie, amendes, faillite, prise de corps, etc. Cette circonstance a suffi, seule, pour retenir les grands gouvernements et les empêcher de prendre l'initiative dans le but de régler la position de fonctionnaires qui se trouvent dans des conditions si diverses.

« Une situation aussi fâcheuse ne saurait se prolonger : dans l'intérêt du service, dans l'intérêt de l'institution consulaire et de son avenir, — il est indispensable que les Etats maritimes les plus puissants, donnant l'exemple et établissant le principe par les traités qu'ils signeront désormais, arrêtent, comme règle fixe, non assujettie à la durée limitée des traités dans lesquels elle sera inscrite, que les consuls envoyés, non-commerçants, auront le caractère de ministres publics en leur qualité d'agents politiques et diplomatiques ;

« Et que les consuls non envoyés, qu'ils soient ou non commerçants, mais formant, dès lors, une catégorie tout à fait distincte, ne seront plus reconnus et admis que sous la qualification d'agent général ou d'agent de commerce maritime, ou sous toute autre qualification analogue ! Enfin, qu'ils ne recevront leur brevet d'agent consulaire, à quelque titre que ce soit, que des ministres, chefs de légation, et des consuls généraux ou consuls, chefs de service.

« Une fois ces deux catégories établies, il serait décidé, comme conséquence logique et nécessaire, que les attributions des agents non envoyés ou négociants seraient moins étendues que celles des consuls envoyés : leurs fonctions devraient, même, être bornées en quelque sorte à ce que sont, aujourd'hui, les fonctions des simples agents consulaires correspondants des consuls. »

Enfin, messieurs, et comme dernière preuve du caractère politique dont les consuls sont revêtus, je citerai encore ces quelques lignes, tirées du « Guide des consulats », par MM. de Clercq et de Vallat :

« ... Parce que les consuls suit chargés de communiquer au gouvernement tous les renseignements qu'ils peuvent recueillir sur le commerce et la navigation du pays qu'ils habitent, tant avec la France qu'avec les autres Etats, et de protéger les opérations commerciales de nos nationaux ainsi que nos navigateurs, s'ensuit-il pour cela que ces fonctionnaires doivent dépendre du ministère du commerce ? Evidemment, non ; car le caractère urgent diplomatique que les consuls tiennent, soit des conventions écrites, soit des principes du droit public général, et en vertu duquel ils agissent et parlent au nom de leur gouvernement, soit pour arguer de ses intentions, soit pour poursuivre l'exécution des traités conclus avec lui, ne peut pas tirer son origine d'une source autre que celle de l'ambassadeur qui peut, dans certaines occasions, leur imprimer une direction conforme aux instructions qu'il a lui-même reçues, parce qu'il importe qu'en politique l'impulsion soit uniforme pour éviter les fâcheuses conséquences de toute incertitude, ce qui ne manquerait pas de résulter des instructions contradictoires qui émaneraient de deux ministères différents.

« Cette vérité que les intérêts politiques et commerciaux ont entre eux une liaison plus ou moins étroite, mais constante, a été reconnue par les gouvernements étrangers les plus importants qui font relever directement les consuls du ministère des affaires étrangères, tels que ceux d'Angleterre, de Hollande, de Russie, d'Espagne, de Prusse, etc. En remontant à l'époque du développement des établissements consulaires chez les peuples les plus commerçants, nous voyons que ce fait existait dans les républiques de Gênes et de Venise.

« Les consuls ne peuvent relever que du ministère des affaires étrangères, car c'est comme agents de ce département qu'ils protègent efficacement nos négociants et nos navigateurs, administrent les prises, dirigent les sauvetages, obtiennent l'extradition des marins déserteurs ; en un mot, ces fonctionnaires ne pourraient faire aucun acte de juridiction sans cette qualité, puisque les autorités locales, dont ils sont obligé de réclamer le concours ou l'assentiment, ne peuvent naturellement consentir à traiter soit directement, soit indirectement, qu'avec le ministère des affaires étrangères. »

Messieurs, je crois avoir prouvé surabondamment que les consuls envoyés pouvant être assimilés aux ambassadeurs ou autres agents purement politiques, et pouvant comme ceux-ci, mais d'une façon moins éclatante, pour me servir des termes employés par le comte Portalis, et plus en rapport avec le rôle modeste imposé à la Belgique, jouir des privilèges et immunités diplomatiques, la Belgique pourrait fort bien se passer d'une partie de. ses envoyés extraordinaires, ministres plénipotentiaires et ministres résidents et les remplacer avantageusement par des consuls généraux et des consuls, auxquels les traités et le droit de réciprocité attribueraient, d'une manière bien officielle, le caractère de ministres publics.

Il faut surtout que la Chambre soit persuadée que le système des agents consulaires non rétribués, et pour la plupart étrangers, est déplorable, ainsi que le fait très justement remarquer M. de Cussy.

Si chez les autres nations, et surtout en France et en Angleterre, on s'est efforcé de donner aux consulats toute l'importance qu'ils méritent, peut-on dire qu'en Belgique on a agi de même ?

Alors que partout ailleurs, on sentait qu'il était indispensable d'avoir des agents nationaux largement rétribués, et de ne plus avoir recours, par un déplorable sentiment d'économie, à des étrangers, la Belgique, au contraire, semblait vouloir étendre et fortifier le système opposé.

De plus et comme conséquence de ce principe, elle adoptait également le système de quelques rares consulats généraux rétribués, mais nomades, alors que les autres pays établissent des postes fixes.

Cette dernière question, messieurs, est également des plus importantes.

En effet, l'influence, politique et commerciale d'un agent ne peut s'établir d'une manière efficace qu'à la condition d'être permanente, et la nécessité où se sont trouvés tous nos ministres des affaires étrangères, faute d'un personnel suffisant, de modifier à chaque instant les juridictions consulaires en attribuant à nos consuls généraux des résidences qui n'ont aucune stabilité, cette triste nécessité, dis-je, est un obstacle presque insurmontable à l'obtention des résultats que le pays a le droit d'exiger d'une pareille institution.

Juridictions trop étendues ; manque de fixité dans l'établissement des résidences, voilà les conséquences du régime actuel.

Messieurs, je ne veux pas fatiguer la Chambre, et je crois parfaitement inutile d'entrer dans de grands développements au sujet des consulats, dans les temps anciens.

Il est possible, probable même que dès ces époques reculées il existât déjà des consuls dans les différents ports de la Méditerranée, chargés d'y défendre les intérêts de leurs nationaux.

Mais on sait de source certaine que les Marseillais et les Catalans furent les premiers peuples ayant officiellement des consuls à l'étranger.

Les premiers privilèges obtenus en Syrie par les Marseillais datent de 1117 et 1136.

D’après les capitulations, traités conclus en 1555, entre François Ier et le sultan Soliman II, les consuls de France protégeaient non seulement leurs nationaux, mais encore tous les étrangers dont la nation n'entretenait pas de consuls. Ils avaient en outre la protection du culte catholique et leur mission avait un caractère éminemment politique.

Dès 1187, le marquis de Montferrat, seigneur de Tyr, permit aux marchands marseillais dans cette ville, d'y avoir un consul pour maintenir la justice.

Au XIVème siècle, les Catalans avaient, en Europe seulement, cinquante-cinq consuls.

Les immunités et les privilèges dont jouissaient ces agents en faisaient évidemment de véritables ministres publics.

(page 718) Cependant, l’usage d'établir des consulats ne devint général qu'au XVIIème siècle, et, en 1609, Colbert fut leur véritable organisateur.

Puis vint l'ordonnance fondamentale de 1061, assurant au commerce français une protection sûre et efficace.

Cette ordonnance, avec l'édit de 1778, l'ordonnance de 1781 et les instructions réglementaires qui en étaient les conséquences, forma la législation des établissements consulaires français jusqu'en 1833.

Dix ordonnances de 1833, complétées en 1836, 1842, 1843, 1845, 1847, 1852 et 1854, ont réglementé complètement l'organisation des consulats en France.

J'ai fait voir clairement les inconvénients des fonctions consulaires confiées à des négociants étrangers, voire même à des négociants belges ; je n'y reviendrai donc pas, mais ce qui est aussi à la fois curieux et déplorable, c'est que la plupart de nos consuls ne connaissent ni le ministre des affaires étrangères, ni même le consul général dans la juridiction duquel ils se trouvent éventuellement placés.

Et cependant, aux termes de l'article 3 de la loi organique du 31 décembre 1851, il faut que les agents consulaires prêtent serment.

Or,, le serment, qui devrait, tout au moins, être prêté entre les mains d'un consul général, peut, d'après l'art. 5 de la même loi, être consigné dans un écrit signé et daté, et transmis au ministre des affaires étrangères.

Voilà donc un homme qui souvent ignore notre langue et que nous chargeons d'intérêts aussi graves, dont l'engagement solennel, réduit à une formule banale, se borne à l'envoi d'un morceau de papier sans valeur, puisqu'il a été rédigé sans témoins !

Pour obvier quelque peu, au moins en apparence, à cet inconvénient, l'article 1 de la loi du 27 septembre 1831 porte que le consul renouvellera ce serment quand il aura l'occasion de se trouver dans la capitale.

Avouons-le, messieurs, dans de pareilles conditions, quelles garanties peut offrir un étranger, quelque honorable qu'il soit d'ailleurs, lorsqu'il est appelé à protéger et à défendre nos intérêts les plus importants, au point de vue de notre commerce, de notre industrie et de notre navigation ?

Je l'ai déjà dit dans une autre circonstance, beaucoup d'entre eux ne connaissent de la Belgique que son pavillon qu'ils hissent sur leur demeure les dimanches et les jours de fête.

Chez eux ne peut donc pas vibrer la fibre nationale ; ils nous sont généralement indifférents, lorsque parfois leurs intérêts particuliers ne les font pas hostiles aux efforts que nous tentons pour nous ouvrir de nouveaux débouchés.

Des consuls généraux et des consuls rétribués, et en nombre suffisant, peuvent seuls remédier à un pareil état de choses.

Voici maintenant quelle est la situation de la Belgique quant à sa législation consulaire.

La loi et les règlements français y restèrent en vigueur jusqu'en septembre 1831, époque à laquelle le ministre des affaires étrangères d'alors, M. de Muelenaere, y apporta quelques modifications.

La loi du 27 septembre 1831 disparaît à son tour pour faire place à la loi organique du 31 décembre 1851, contresignée par MM. Tesch et d'Hoffschmidt, ministres de la justice et des affaires étrangères.

Le 23 février 1857, M. le vicomte Charles Vilain XIIII soumit à la signature du Roi un arrêté relatif au personnel des consulats.

Dans son rapport à Sa Majesté, l'honorable vicomte Vilain XIIII regrettait qu'il y eût si peu de consuls généraux rétribués.

Voici ce qu'il disait à ce sujet :

« Mais nous ne possédons point, tant s'en faut, de missions diplomatiques partout.

« Il serait donc grandement désirable qu'à défaut de légation, nous eussions tout au moins, des consulats généraux rétribués dans les contrées lointaines qui, isolément ou en groupe, offrent à nos transactions un champ qui ne demande qu'à être exploité. Nous en comptons bien quelques-uns, mais, je l'ai déjà fait remarquer, ils sont en petit nombre. Quoi qu'il en soit, le rôle assigné plus haut aux chefs de missions diplomatiques dans leurs relations avec les consuls, c'est aux consuls généraux rétribués qu'il reviendra là où il n'y a pas de légation belge. Toutefois si, à l'exemple des ministres du Roi, les consuls généraux rétribués ont à surveiller et à diriger les consulats compris dans leur ressort, leur mandat les appelle à explorer, et à étudier, avec plus de soin encore que ne peuvent le faire les agents diplomatiques, les ressources générales et spéciales du pays où ils résident. Ils descendront jusque dans les moindres pratiques des opérations commerciales. Aucun secret des marchés étrangers ne doit leur échapper. »

Et plus loin l'honorable ministre ajoutait :

« En résumé, il y a donc, au fond de toutes ces dispositions, un système déterminé : dans les principaux centres de commerce et de la navigation de chaque pays étranger, des agents non rétribués, mais sévèrement choisis, convenablement dirigés et stimulés, agents capables d'exercer les devoirs journaliers des consulats, de soigner l'expédition des navires et de procurer au commerce belge des renseignements détaillés et pratiques que, plus que d'autres peut-être, ils sont en état de fournir avec précision parce qu'ils sont eux-mêmes du métier.

« Dans les principaux pays ou dans les groupes de pays étrangers, des agents diplomatiques on des agents consulaires de haut grade, préparés par des études spéciales, chargés d'une sorte de direction supérieure et mieux placés soit pour embrasser les situations économiques dans des aperçus généraux, soit pour défendre auprès des autorités centrales les droits ou les intérêts de nos nationaux et de notre commerce.

« C'est le concours de ces deux éléments qui constituera l'organisation projetée. »

Vous le voyez, messieurs, l'honorable vicomte Vilain XIIII obligé de se renfermer dans un budget très restreint, partage cependant l'idée de ceux qui voudraient voir augmenter le nombre des consuls généraux.

II reconnaissait combien il serait utile pour la Belgique de posséder des agents consulaires de haut grade et convenablement rétribués, dont l'indépendance, dans le pays de leur résidence, vis-à-vis des gouvernements étrangers, pût assurer une protection efficace à nos nationaux et une intervention fructueuse au point de vue de nos intérêts commerciaux.

Il est également à remarquer que l'honorable ministre attribuait exactement aux consuls généraux les rôles que remplissent d'ordinaire les chefs de légation. Il est donc évident, comme le soutiennent MM.de Cussy, Portalis et d'autres autorités, que les consuls envoyés et rétribués sont bien des ministres publics et remplissent parfaitement des fonctions diplomatiques. C'est évidemment là, aussi, une mission que de simples agents consulaires ne peuvent pas remplir.

Enfin, le 21 juillet 1853, l'honorable M. Henri de Brouckere présenta à son tour un rapport au Roi, sur l'organisation des consulats.

Dans ce travail, cet honorable ministre s'est écarté quelque peu de la marche préconisée par l'honorable vicomte Vilain XIIII.

Dans le rapport que je viens de citer, en date du 21 juillet 1853, il rappelait qu'on avait supprimé déjà les consulats généraux de Saint-Pétersbourg et de Naples ainsi que ceux de Smyrne, d'Alexandrie, de Tunis, d'Alger, et il proposait de supprimer également celui de New-York, tous ces postes pouvant, d'après l'honorable M. de Brouckere, être tout aussi bien remplis par de simples agents consulaires. Mettant d'ailleurs ce système en pratique, des agences consulaires furent créées à Oran, à Beirout, à Tripoli, dans les îles Ioniennes, à Madère, au Cap Vert, à Gorée, aux Canaries et à Saint-Vincent.

Aujourd'hui, l'honorable M. Vanderstichelen nous a fait, à son tour, connaître sa manière de voir dans un rapport récemment adressé au Roi.

Je ne puis la partager entièrement, et je pense avoir suffisamment établi la différence d'opinion qui nous sépare.

Cependant pour qu'on ne puisse pas m'accuser d'être absolument systématique, je tiens à déclarer que, tout en partageant sans réserve l'opinion de M. de Cussy au sujet des agences consulaires confiées à des étrangers et bien que je persiste à déclarer ce système déplorable au point de vue des intérêts belges, je reconnais volontiers que parmi nos consuls étrangers, il en est quelques-uns qui ont rendu des services réels au pays ; mais, disons-le franchement, le nombre en est si petit, qu'il ne peut servir d'argument sérieux contre le système que j'ai l'honneur de défendre devant la Chambre.

Je ne saurais assez le répéter ; le principe de l'organisation actuelle est mauvais, faux à tous les points de vue, et il ne peut produire que des résultats négatifs, si pas désastreux.

Voici, messieurs, de quelle manière je propose d'organiser notre personnel diplomatique et consulaire et quelles sont, sauf rectification, les conséquences financières qu'entraîne le système que j'ai eu l'honneur de vous développer

J'ai dressé un tableau qui comprend les chapitres II, III, IV, V et VI du budget, lesquels contiennent actuellement 22 articles. Mon projet en comporte 42.

Comme ce tableau sera joint à mon discours dans les Annales, et pour ne abuser de votre bienveillance, je n'en donnerai pas lecture, priant mes honorables collègues de vouloir bien en prendre connaissance (Ce tableau, non repris dans la présente version numérisée, a été inséré aux pages 721 et suivants des Annales parlementaires.)

(page 719) Quant au résultat financier, le voici :

Le montant de ces chapitres, au budget de 1869, est de 1,071,970 fr.

Le montant desdits chapitres, dans mon projet, est de 1,521,970 fr.

Augmentation nécessitée par ma proposition : 450,000 fr.

Dans l'état actuel des choses, notre diplomatie compte 19 chefs de mission, tandis que notre corps consulaire rétribué possède à peine 9 agents.

Dans mon projet, il n'y a plus que cinq diplomates, mais par contre il établit 28 consulats généraux et consulats rétribués.

Cette différence est radicale, je l'avoue, mais j'estime qu'elle est tout à fait a l'avantage de la Belgique, au point de vue de ses relations avec l'étranger. Je ne doute pas, d'ailleurs, que mon système ne soit approuvé et soutenu par tous ceux qui se rendent un compte exact de la situation de notre pays, comme puissance neutre, ainsi que du profit qu'il retirerait de l'établissement d'un grand nombre d'agents a la fois commerciaux et politiques, convenablement rétribués et jouissant en outre de privilèges et d'immunités 'diplomatiques.

Afin de ne pas abuser des moments de la Chambre, je lui demande qu'elle veuille bien m'accorder l'autorisation de joindre au Moniteur les deux tableaux que voici et qui contiennent l'indication très détaillée des consulats rétribués, en France et en Angleterre. L'inspection de ces tableaux ne sera pas sans importance pour ceux de mes honorables collègues que ces questions intéressent.

Je vais formuler succinctement et d'une manière catégorique les propositions que j'ai l'honneur de vous soumettre.

Propositions :

Le corps diplomatique, proprement dit, se composera :

A. D'un envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire, à Berlin.

B. D'un idem, à Londres.

C. D'un idem, à Paris.

D. D'un idem, à Saint-Pétersbourg.

E. D'un idem, à Vienne.

Le corps consulaire, rétribué, sera notablement augmenté. Des consuls généraux de première et de deuxième classe et des consuls seront envoyés à l'étranger, remplaçant partout les agents purement diplomatiques, dont ils auront d'ailleurs les privilèges et les immunités que le gouvernement belge obtiendra facilement des autres gouvernements, en stipulant avec eux le droit de réciprocité.

Le corps consulaire se composera de :

11 consuls généraux de première classe (Europe, Etats-Unis, Brésil).

9 consuls généraux de deuxième classe (Afrique, Asie, Amérique, Océanie).

8 consuls (Afrique, Asie, Amérique, Océanie).

21 secrétaires chanceliers.

N'approuvant pas le système en vigueur, en vertu duquel les postes consulaires ne sont pas fixes, je propose d'assigner désormais au corps consulaire rétribué des résidences permanentes.

Le système suivi aujourd'hui ne peut se justifier que par l'insuffisance du budget actuel qui ne permet pas d'augmenter le personnel.

Comme, d'après mon projet, les agents sont plus nombreux, leur juridiction sera moins étendue et leurs inspections se feront plus aisément et plus sérieusement.

Le traitement des consuls généraux et des consuls sera assez élevé pour qu'ils puissent tenir dignement leur rang et pour que leur position à l'étranger se rapproche autant que possible de celle des agents de même grade des autres pays. Leur influence dépend en grande partie de la position qui leur est faite.

Les simples agents consulaires seront nommés désormais par les consuls généraux et consuls ; chefs de mission, qui assumeront vis-à-vis du gouvernement belge la responsabilité de ces. nominations.

Ils sont mieux à même que l'administration centrale de faire des choix convenables, quels que soient d'ailleurs les renseignements dont celle-ci parvienne à s'entourer.

Les simples agents seront choisis de préférence parmi les Belges établis à l'étranger, et, à défaut de Belges, parmi les étrangers les plus recommandâmes.

Les chefs de mission feront connaître dans le plus bref délai au ministre des affaires étrangères de Belgique les nominations ou les révocations d'agents consulaires, avec les motifs à l'appui des décisions qu'ils auront prises.

Les simples agents consulaires prendront désormais le titre de vice-Consul de Belgique.

Le budget des affaires étrangères sera augmenté de la somme nécessaire à l'exécution du système proposé.

Cette somme ne s'élève qu'à quatre cent cinquante mille francs (450,000 francs), grâce aux modifications apportées à quelques missions, actuellement exclusivement politiques.

Mode de recrutement, et d'avancement. Dos examens, à déterminer par le ministre des affaires étrangères, seront exigés de ceux qui voudront embrasser la carrière diplomatique et consulaire.

Ils prendront rang dans le corps consulaire avec le titre de secrétaire chancelier.

Les élèves de l'Institut commercial d'Anvers qui, leurs études terminées, ont sollicité et obtenu le titre d'élève consul, auront droit, lorsqu'il y aura des vacatures, à la position de secrétaire chancelier.

A défaut de vacatures, ils seront attachés à l'une ou l'autre des missions en conservant leur titre d'élève consul.

Les candidats dans l'un et dans l'autre mode de recrutement, devront avoir vingt ans au moins et trente ans au plus.

L'avancement aura lieu par ancienneté et au choix, en restreignant toutefois ce dernier mode aux exigences parfaitement justifiées du service.

Les consuls se recruteront parmi les secrétaires chanceliers. Les consuls généraux de deuxième classe, parmi les consuls. Les consuls généraux de première classe, parmi les consuls généraux de deuxième classe.

Enfin, sauf les exceptions qui peuvent rendre indispensables les exigences du service purement diplomatique, les envoyés extraordinaires et ministres plénipotentiaires seront choisis parmi les consuls généraux de première classe.

N. B. Les chefs actuels des missions portées aux articles 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15 et 16 du chapitre III de mon projet de budget, conserveront leur rang, à titre personnel, en y ajoutant celui de consul général, le seul officiel désormais pour ces postes.

Il en sera de même pour les simples agents consulaires qui ont aujourd'hui le titre de consul. Dorénavant, pour les agents nouvellement nommés, le titre de vice-consul seul sera conféré.

Je maintiens que l'augmentation que je propose est loin d'être exagérée, et qu'elle est incontestablement utile. Remarquons, messieurs, que l'Angleterre et la France joignent aux dépenses nécessitées par leurs relations extérieures, si profitables déjà à leur commerce, des subsides accordés à leurs services de paquebots-poste, services qui ont tant favorisé à l'étranger l'extension de l'influence commerciale de ces deux nations.

L'Angleterre consacrait en 1867 au Post office packet service 817,248 liv. sterl. (20,431,200 fr.)

La France, de son côté, affecte au même service, (exercice 1869) 23,582,464 fr. Il serait à désirer que la Belgique fît, elle aussi, des sacrifices dans ce sens ; le pays tout entier y gagnerait considérablement.

Messieurs, la question que. je viens de traiter est des plus importantes au point de vue de l'industrie, du commerce et de la navigation belges. On peut s'en convaincre encore plus, en lisant le Recueil consulaire, ainsi qu'un passage très intéressant à ce sujet, de l'ouvrage publié, en 1863, par M. Auguste Parent, secrétaire de légation de S. M. le roi des Belges.

Je remercie la Chambre de. la bienveillance avec laquelle elle a bien voulu écouter les développements de ma proposition.

Je viens de faire connaître le résultat d'études faites avec soin et avec une profonde conviction. Je serais heureux que la Chambre voulût la partager, et je me croirai largement récompensé de mes efforts, quelque faibles qu'ils soient, s'ils peuvent aider au développement de nos relations commerciales directes à l'étranger.

Je tiens à terminer mon discours, messieurs, en citant les paroles prononcées dans une autre enceinte par un orateur dont l'expérience et les idées pratiques dans cette matière ne seront contestées par personne.

Voici ce que disait, au Sénat, S. A. R. Monseigneur le duc de Brabant, le 17 février 1860 :

« Aujourd'hui, assurés de notre base, forts de nos progrès, nous devons chercher à nous étendre au dehors, à suivre, dans la proportion de nos forces, l'exemple de nos voisins et à profiter des enseignements de l'histoire.

« Dès maintenant, il faut multiplier autant que possible nos marchés. C'est le seul moyen de conjurer ces crises industrielles dont les funestes effets se feraient sentir, en raison directe du développement des parties atteintes. Nous devons stimuler aussi notre activité commerciale et mettre le producteur belge, à même de transporter par des voies belges et de consigner à des Belges des marchandises dont l'expédition au loin gagnera, je l'espère, (page 720) rapidement en importance, grâce à la perfection et à la modicité relative de nos prix.

« Jusqu'ici, messieurs, permettez cette franchise de langage à un collègue qui ne connaît pas d'autre passion que celle du bien public, et ne voit, dans notre prospérité actuelle, que le point de départ de notre prospérité future, la Belgique ne s'est pas assez souvenue que la mer baigne une de ses frontières.

« Les comptoirs et les colonies, messieurs, n'ont pas seulement toujours bien servi les intérêts commerciaux des peuples, mais c'est encore à ces établissements que la plupart d'entre eux ont été redevables de leur grandeur passée ou présente. »

Ces paroles adressées au pays, il y a 9 ans, par le roi Léopold II, vous paraîtront comme à moi, je n'en doute pas, messieurs, la justification la plus complète du système et des propositions que je viens d'avoir l'honneur de soumettre à la Chambre.

- La séance est levée à 4 3/4 heures.