(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1868-1869)
(Présidence de M. Dolezµ.)
(page 687) M. de Moor, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart ; il donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.
M. Reynaert, secrétaireµ, présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Des ouvriers à Lokeren prient la Chambre de rejeter le projet de lui concernant les livrets d'ouvriers. »
« Même demande de tisserands à Eyne, Velsicque, Asper et Renaix. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.
,« Le sieur Verheggen demande à être poursuivi pour calomnie s'il a énoncé le contraire de la vérité dans ses pétitions tendantes à obtenir la croix de l'ordre de Léopold, qu'il prétend lui avoir été conférée. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des officiers des anciens régiments de réserve demandent le remboursement des sommes qui leur ont été retenues en vertu de l'arrêté du 16 décembre 1839. » "
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de la guerre.
« Des habitants de Wichelen déclarent appuyer la pétition des habitants du hameau de Schoonaerde sous Wichelen, tendante à obtenir l'érection de leur paroisse en commune, et prient la Chambre de statuer sur cette pétition. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« M. Van Cromphaut demande un congé pour motif de santé. »
- Accordé.
Les bureaux des sections du mois d'avril ont été constitués ainsi qu'il suit :
Première section
Président : M. de Kerchove de Denterghem
Vice-président : M. Lefebvre
Secrétaire : M. de Rossius
Rapporteur de pétitions : M. Vander Donckt
Deuxième section
Président : M. Kervyn de Lettenhove
Vice-président : M. Descamps
Secrétaire : M. d’Hane-Steenhuyse
Rapporteur de pétitions : M. Funck
Troisième section
Président : M. Thonissen
Vice-président : M. Le Hardy de Beaulieu
Secrétaire : M. Thibaut
Rapporteur de pétitions : M. Julliot
Quatrième section
Président : M. Magherman
Vice-président : M. Beke
Secrétaire : M. Liénart
Rapporteur de pétitions : M. De Vrints
Cinquième section
Président : M. Lesoinne
Vice-président : M. de Macar
Secrétaire : M. Vander Maesen
Rapporteur de pétitions : M. Jonet
Sixième section
Président : M. Van Iseghem
Vice-président : M. Muller
Secrétaire : M. Dewandre
Rapporteur de pétitions : M. Elias
M. le président. - Messieurs, les sections ont ordonné la lecture de la proposition qui a été déposée, dans la séance d'hier par deux de nos collègues.
Voici la teneur de cette proposition :
« Les soussignés ont l'honneur de déposer la proposition suivante :
« Les jugements énoncés à l'article 65 de la loi du 22 frimaire an VII pourront être attaqués par la voie d'appel si la valeur du litige excède 2,000 fr. (erratum, page 706) en principal.
« L'appel sera jugé conformément à l'article 465 du code de procédure civile, les parties entendues à l'audience.
« Bruxelles, le 13 avril 1869.
« (Signé) J. Guillery, Lelièvre. »
M. Lelièvre, l'un des auteurs de la proposition, a demandé à être admis la développer à la séance de mardi.
Il en sera donc ainsi.
MgRµ. - Messieurs, j'ai l'intention de répondre aux différents orateurs qui ont pris la parole hier. Ils m'ont posé quelques questions que je rencontrerai dans l'ordre où elles m'ont été adressées.
M. Hagemans voudrait que nos soldats hors de service fussent privés de l'arme qu'ils portent d'ordinaire. « A chaque instant, dit-il, nous apprenons que des soldats ont dégainé leur sabre et tailladé de paisibles bourgeois. M. le ministre de la guerre me répondra sans doute que les journaux ont beaucoup exagéré. Je serai en tout cas heureux de lui avoir fourni l'occasion de le démontrer et de rassurer ainsi les esprits. »
Messieurs, l'exagération des journaux est manifeste. Je n'ai pas attendu jusqu'aujourd'hui pour faire une enquête sur les faits qu'où reproche à l'armée.
Au fur et à mesure que les journaux annonçaient une rixe, une enquête était faite immédiatement. On a constaté, pendant l'année 1868, quarante collisions entre bourgeois et militaires.
Mais, messieurs, ces collisions se décomposent de la manière suivante : dix-sept sont des attaques de la part de bourgeois contre des militaires, et, la plupart de ceux qui ont commis ces attaques ont été condamnés par les tribunaux ; sept sont imaginaires et ce sont les plus graves ; six sont tellement exagérées, qu'on les a complètement dénaturées ; enfin, dix sont vraies ; niais elles sont, en général, fort amplifiées. Trois d'entre elles seulement avaient de l'importance, et leurs auteurs ont été punis par les tribunaux militaires.
Voila, messieurs, les faits tels qu'ils sont en réalité.
Je dois faire remarquer que dès qu'un fait faux ou vrai est rapporté par un journal, immédiatement il est reproduit par tous les autres organes de la presse ; quant à la question du port de l'arme, on peut constater qu'elle reparaît périodiquement tous les deux ou trois ans, et pendant que l'attention publique est éveillée sur ce point on voit tous les journaux représenter les soldats tailladant les bourgeois, selon l'expression de l'honorable. M. Hagemans.
Qu'il me soit permis de rappeler une seule circonstance pour démontrer la légèreté de. certains journaux en cette matière. Une feuille du pays, que je ne citerai pas, avait reçu d'un de ses correspondants une lettre dont l'auteur affirmait avoir eu une collision entre deux militaires tenant contre un mur un brave homme que l'un d'eux s'apprêtait à transpercer de sa baïonnette.
Voici cete lettre :
« Un de nos abonnés. Deux braves fils de Mars, sous l'influence de Bacchus, avaient assailli un malheureux bourgeois : l'un deux le tenait à la gorge et, ma foi, mon individu risquait de passer un mauvais quart d'heure. J'arrivai juste au moment où le second de ces braves, ayant tiré sa baïonnette, s'apprêtait à l'enfiler de cet instrument, qu'un honneur mal compris force nos troupiers à porter.
« J'eus la chance de lui retenir le poignet assez à temps pour empêcher un accident ou peut-être un meurtre. Mais il faillit m'en cuire, car le soldat, un moment interdit, et croyant avoir affaire à un officier, se détacha de mon étreinte et fondit sur moi. Au même instant, je vis que mon bourgeois était parvenu à se dégager et détalait de son mieux. Je jugeai prudent d'en faire de même. »
Je ferai remarquer qu'en reproduisant les récits des rixes, les journaux ajoutaient presque toujours : « Nous avons trouvé ces détails dans tel journal ; nous les reproduisons » ; et ils s'offraient de bonne grâce à rectifier les faits, s'ils étaient erronés. Or, ici nous nous trouvions en présence d'une lettre, signée d'un abonné et nous étions certains d'arriver à la découverte de la vérité ; j'ordonnai immédiatement une enquête ; les officiers-commissaires se rendirent dans les bureaux de la rédaction où le directeur leur remet une déclaration dans laquelle il dit : « que la lettre reçue n'avait d'autre portée que celle d'une question de polémique et que la personne qui l'a envoyée ne pourrait donner des renseignements plus complets. Cette affaire n'exige pas d'autres recherches et elle est déjà oubliée. »
En présence de cette déclaration, la commission a jugé qu'il n'y avait pas lieu de poursuivre l'enquête ; la lettre lui a paru fausse ou tout au moins fort exagérée, attendu qu'il n'y a eu de plaintes ni de l'individu qui a été maltraité, ni de la police, ni du témoin auteur de la lettre en question.
Voici un autre exemple assez remarquable :
« Une bataille en règle a eu lieu sur le quai Luchet d'Antoing, dimanche dernier vers 10 1/2 heures du soir. On parle de coups de poignard et de sabre. On suppose qu'il y avait des militaires dans la mêlée des dix ou douze hommes qui ont été aux prises. »
Eh bien, la police locale fait une enquête et il est prouvé qu'aucun militaire n'assistait à la lutte ; seule la sentinelle placée au magasin sur l'autre rive de l'Escaut est citée comme témoin.
(page 688) Un journal d'Anvers raconte la scène suivante, reproduite par l'Economie de Tournai :
« Des militaires de la garnison d'Anvers se sont livrés dimanche à des excès qui coûteront probablement la vie à un de leurs camarades. Voici les renseignements que nous avons recueillis au sujet de cette déplorable affaire. » Suit alors le récit émouvant du drame, et l'article se termine ainsi : « L'infortuné Faubret perdant énormément de sang se traîna jusqu'au seuil d'une maison où on le recueillit et où il reçut les premiers soins. L'infortuné fut ensuite conduit à l'hôpital militaire ; A son arrivée, il a reçu les derniers sacrements. Ce matin Faubret n'était pas encore mort, mais son état laisse peu d'espoir de le ramener à la vie. »
Voilà l'article du journal.
Voici maintenant le résultat de l'enquête, telle qu'il m'a été transmis par le lieutenant général commandant la division territoriale.
« Trois militaires dont deux artilleurs du 2ème régiment, en état d'ivresse, ont parcouru vers huit heures du soir les rues d'Anvers le sabre au clair ; arrivés dans la rue Sainl-Roch ,un des artilleurs a porté au soldat Fabret un coup de sabre à la tête qui a nécessité son entrée immédiate à l'hôpital. Les artilleurs n'ont pu être découverts. La blessure de Fabret n'offre aucune gravité et l'affaire n'est pas sérieuse. »
Vous voyez par là, messieurs, qu'il faut en rabattre de ces grands conflits entre bourgeois et militaires, et que ces récits ne doivent être acceptés que sous bénéfice d'inventaire. En tous cas, y a-t-il lieu de s'appuyer sur ces faits pour imposer à l'armée une mesure qu'elle considérerait comme une injure véritable ?
Messieurs, l'esprit de l'armée est une chose délicate et peu discutable.
Certes, au point de vue philosophique, il doit importer peu de sortir avec ou sans ses armes, et la privation du port du sabre ne pourrait être considérée comme une offense.
Mais l'esprit du soldat est autre, il considère cette défense comme la punition la plus grave.
Ne croyez pas, cependant, messieurs, que cette punition ne soit pas infligée ; c'est au contraire un moyen puissant de répression.
Vous avez vu dans quelles limites il fallait restreindre les conflits entre bourgeois et militaires.
Eh bien, savez-vous combien on a privé de soldats du port de l'arme en 1868 ? Plus de mille ; c'est-à-dire que tout soldat qui encourt une grave punition, que tout homme qui s'enivre est immédiatement privé du port de l'arme.
M. d’Hane-Steenhuyseµ. - En Angleterre, les soldats sortent sans leurs armes.
MgRµ. - Lorsque nos soldats sortent en petite tenue, ils n'ont pas non plus leurs armes.
Je répète que la privation du port de l'arme est considérée comme la punition la plus grave qu'on puisse infliger au soldat. Ils préfèrent être mis au cachot plutôt que d'être désarmés.
L'honorable. M. Hagemans a parlé de la différence qu'on établit entre le soldat et le bourgeois à l'entrée des musées. On fait, dit-il, déposer les ombrelles innocentes tandis que le troupier peut entrer avec son arme.
Je ne sais si la chose existe réellement, mais dans tous les cas ce serait justice. Où irait-il prendre l'argent pour acquitter le prix du dépôt ?
Du reste, cette mesure en usage dans nos musées est purement fiscale ; elle procure une gratification aux employés chargés de la garde, des tableaux, mais elle n'est commandée par aucune nécessité sérieuse, et la preuve, c'est que dans tous les musées de France elle vient d'être abolie. Toutefois, le gouvernement français, pour indemniser les gardiens de l'argent qu'ils recevaient de cette façon, a augmenté leurs appointements.
Quelques faits regrettables sont signalés dans l'armée, mais n'en avez-vous pas dans le civil ? Vous voulez priver le soldat de sa baïonnette ou de son sabre ; l'empêcherez-vous de porter le couteau ? Les coups de couteau ne se distribuent-ils pas partout, sont-ils moins dangereux ?
J'ai vu à Anvers et dans d'autres villes tous les matelots porter le couteau sur la hanche. Pourquoi ne le leur défend-on pas ? Si dans la crainte de voir un sabre non aiguisé employé d'une manière malheureuse par un homme ivre, on privait le soldat de son arme, ii faudrait enlever, pour la même raison, la bêche au laboureur. Parce que des misérables se sont servis d'une manière abusive de leur bêche, priverez-vous le laboureur de cet instrument ?
Des chasseurs se sont servis d'une manière criminelle de leur arme. Enlèverez-vous le fusil au chasseur ?
L'honorable M. Hagemans dit que le port de l'arme est un privilège pour le soldat. Mais tout le monde, dans notre pays, a le droit de porter des armes, et si l'honorable membre voulait se promener demain avec une épée au côté, personne ne le lui défendrait.
A côté de ces quelques faits regrettables qu'on vous indique, il faut placer les services que les soldats rendent à la société. Il n'y pas un incendie, pas un sinistre dans une de nos villes sans qu'aussitôt on ne voie nos troupes accourir.
A Anvers, là où les attaques contre les soldats sont principalement dirigées, on devrait se rappeler quels sont les services que les compagnies de pontonniers rendent à chaque instant.
M. d'Hane-Steenhuyseµ. - Nous leur rendons justice.
M. Delaetµ. - Ces questions n'ont rien de commun...
MgRµ. - Eh bien, s'il arrive qu'un homme, dans un moment d'ivresse, commette un acte répréhensible, il me semble que le bien qu'il fait peut être considéré comme une compensation de la peccadille qu'il a pu commettre.
Enfin, messieurs, je crois devoir vous faire remarquer qu'alors même qu'il serait parfaitement prouvé que le retrait du port d'armes pourrait se faire, sans difficulté, le moment serait inopportun.
Il faut éviter aujourd'hui d'ébranler l'esprit militaire. Ce n'est pas lorsque des gens mal intentionnés cherchent par tous les moyens possibles à jeter la déconsidération sur l'armée et sur toutes les institutions militaires, ce n'est pas en présence des malheureux événements dont nous sommes témoins qu'il faut altérer l'esprit de l'armée.
L'honorable M. Hagemans a demandé s'il n'y aurait pas moyen de fixer à un autre temps qu'au mois de septembre la réunion des troupes au camp. Les premiers mois du printemps sont employés à l'instruction de détail. S'il convenait mieux de réunir les troupes au mois d'août, je le ferais volontiers, mais il me semble qu'on est alors en pleine moisson.
- Un membre. - Au mois de mai.
MgRµ. - Au mois de mai, l’instruction des soldats n'est pas achevée. Les camps ne peuvent avoir lieu à cette époque.
Je passe, messieurs, aux objections soulevées par M. Hayez.
L'honorable membre s'est plaint du nombre d'employés attachés au département de la guerre. Il a dit qu'au lieu de 23 officiers jugés suffisants en 1836, il y en avait maintenant 120, et il a ajouté que le nombre d'employés civils est beaucoup plus considérable.
Messieurs, les deux années que l'honorable membre, a prises comme points de comparaison, me semblent mal choisies. En effet, en 1836, l'armée était sur le pied de guerre ; dans ce cas, l'état-major général est formé, et presque tout le travail relatif à l'armée se fait par lui tandis que, pendant la paix, tous les travaux se centralisent au département, et le chef du département de la guerre remplit à la fois les fonctions de ministre et de chef de l'état-major général de l'armée.
Il en serait autrement si l'armée était mobilisée ; le ministre alors ne conserverait plus que des fonctions purement administratives.
Toutefois, messieurs, le nombre d'officiers employés au département de la guerre, au lieu de 23, est de 29. Tous les autres sont employés à la carte. Eh bien, je crois que ce travail est extrêmement utile ; vous le connaissez tous, c'est une œuvre qui fait le plus grand honneur au pays. Les officiers employés à la carte rendront d'immenses services quand ils seront rentrés à leurs régiments. C'est en faisant des levés réguliers qu'on apprend à faire de bons levés à vue, de bonnes reconnaissances du terrain, et dans un avenir prochain, tous les corps posséderont de ces officiers dont le concours sera précieux.
L'honorable membre se plaint surtout de la grande centralisation qui s'opère au département de la guerre.
On a enlevé, dit-il, toute initiative aux chefs de corps, c'est là un grand mal à ses yeux, et l'on en ressentirait les conséquences si l'armée faisait campagne.
Depuis mon arrivée au ministère, j'ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour rendre aux chefs de corps, et même aux simples capitaines, toute leur initiative et toute leur action.
Si l'honorable membre veut bien consulter les officiers, il verra que ce système a amené d'excellents résultats.
Quant aux indemnités dont l'honorable membre se plaint et qu'il voudrait voir supprimer, la plupart ont été accordés par des lois de budget. Il y a là un droit acquis auquel je n'aurais certainement pas voulu toucher.
J'ai cherché à me rendre compte de ce qui se faisait dans les autres armées, à savoir si les officiers détachés au département de la guerre, en France, en Prusse et dans d'autres pays, recevaient une indemnité.
Voici les résultats de cette enquête :
En France, les traitements des fonctionnaires militaires attachés au (page 689) département de la guerre ont été réglés par décret impérial du 7 janvier 1852.
L'article 3 de ce décret porte : « Les chefs pourvus d'un grade militaire dans les cadres d'activité continuent à recevoir sur le fonds de la solde le traitement de leur grade, si ce traitement est supérieur à celui qui leur serait attribué en vertu de ce décret. »
C'est-à-dire que les militaires employés au département de la guerre à Paris reçoivent une indemnité s'ils ne jouissent pas d'un certain traitement.
Voici quelques exemples :
Un lieutenant-colonel d'état-major, sous-chef de cabinet, a, comme traitement militaire 5,300 fr. Il touche au ministère 10,000 fr.
Un colonel d'artillerie, chef de bureau, a, comme traitement militaire, 6,250 fr. Il reçoit 9,000 fr.
Un général de division touche une solde de 15,000 fr. ; comme directeur de la 4ème division, on lui alloue 25,000 fr.
En Autriche, les directeurs au département de la guerre touchent une indemnité de 1,000 florins (2,500 fr.), et les chefs de bureau, une indemnité de 500 florins (1,250 fr.).
En Russie, tous les officiers attachés au département de la guerre reçoivent un traitement supérieur a celui de leur grade et de leur emploi dans l'armée.
En Prusse, ils ont un supplément de 23 thalers par mois ou 1,125 fr. par an.
En Angleterre, les suppléments existent. Il en est de même en Hollande. Dans ce pays, les officiers détachés au département de la guerre reçoivent une indemnité fixée à 300, à 400 et a 500 florins. La somme portée de ce chef dans un des derniers budgets s'élève à 52,985 florins.
De sorte que, si nous devions suivre les usages de ces armées, l'indemnité fixée au budget, au lieu d'être de 10,000 fr., s'élèverait à 30,000 fr. et devrait être majorée de 20,000 fr.
En présence de cette enquête, messieurs, il m'a été impossible de songer à enlever aux militaires employés au ministère de la guerre la somme qui leur est allouée.
L'honorable membre a reproché au département de la guerre d'avoir violé la loi de 1838 sur l'école militaire ; je reconnais que cette loi n'est pas en harmonie avec la situation actuelle du personnel de l'armée.
Jusqu'à présent j'ai dû m'occuper de l'organisation nouvelle de nos forces militaires et des travaux de mobilisation ; mon intention est d'étudier cette année la réorganisation de nos écoles, il y aura lieu à cette occasion de revoir la loi sur l'école militaire. Quant à la nécessité où l'on s'est trouvé de répartir entre un grand nombre d'officiers l'indemnité qui n'avait été accordée que pour quelques-uns, elle résulte de ce que l'on a introduit à l'école militaire un plus grand nombre d'élèves. Au lieu d'admettre, comme autrefois, 10 ou 12 candidats pour les armes spéciales, on en recevait 40 ou 50.
11 fallait donc un personnel plus nombreux et c'est pour cette raison que les indemnités ont été partagées et fixées au-dessous des prévisions de la loi. J'ai trouvé cet état de choses lors de mon arrivée au pouvoir, et comme mon intention est de présenter à la Chambre dans un temps qui, j'espère, sera rapproché, une loi nouvelle sur l'instruction, je n'ai pas voulu, jusque-là, toucher à ce qui existait.
Je m'élève avec force, messieurs, contre ce qu'a dit l'honorable membre de la manière dont on traite dans l'armée, les officiers qu'on qualifie de frondeurs, de récalcitrants.
J'ignore sur quel fait porte l'allusion de l'honorable membre et je ne chercherai pas à savoir ce qui s'est passé avant mon entrée au ministère ; je suis persuadé du reste que les différents ministres qui m'ont précédé partagent mes sentiments. Quand je vois un officier soutenir son droit avec loyauté et conviction, j'ai pour lui la plus grande bienveillance et je suis plus porté à lui donner de l'avancement qu'à celui qui se rend obséquieux, qui se fait frotteur de manche, comme on dit dans l'armée.
L'honorable membre a félicité le département de la guerre des efforts qu'il tente pour l'instruction de l'année ; cependant il ne veut pas que l'on transforme les officiers en savants et en hommes de cabinet ; ce sont là, dit-il, des gens dangereux dans les armées.
Je n'ai jamais cherché à créer des savants, au contraire ; je tâche d'écarter de nos écoles toutes les sciences inutiles pour n'y maintenir que celles qui peuvent avoir leur application dans l'art de la guerre. Aussi n'est-ce ni dans nos écoles de sous-officiers, ni dans nos cours scientifiques (nom légèrement pompeux), que l'on trouvera des savants ou des hommes de cabinet.
L'honorable membre se plaint qu'on ne donne pas de chevaux aux officiers des batteries de siège.
Messieurs. le budget de la guerre, tel qu'il a été formulé, ne contient véritablement que des dépenses indispensables. J'ai écarté tout ce qui n'était pas le strict nécessaire. Los officiers des batteries de siège n'ont qu'une seule raison pour avoir un cheval, c'est qu'ils peuvent à tout instant passer dans des halleries montées ; il est donc nécessaire qu'ils connaissent l'équitation. Mais nous avons établi un cours d'équitation à l'école militaire.
D'autre part, les officiers qui ont servi comme sous-officiers dans les batteries montées savent monter à cheval ; il n'y a donc qu'un petit nombre d'officiers qui ont besoin d'apprendre à monter à cheval ; ce sont ceux qui ont servi comme sous-officiers dans des batteries de siège. Or, ces derniers, auxquels on donnera néanmoins toutes les facilités désirables pour se perfectionner dans l'équitation, ont, par la nature même de leur origine, grande chance de faire leur carrière dans les halleries de siège.
L'honorable membre a beaucoup blâmé le tableau du budget relatif aux travaux du génie ; il voudrait qu'on fît pour chaque ville un article spécial. Mais, messieurs, si l'on procédait ainsi, je serais obligé chaque année de présenter à la Chambre une série de lois de virements de crédits. Les budgets, comme vous le savez, doivent être présentés dix mois au moins avant l'ouverture de l'exercice ; or, il est de toute impossibilité de prévoir si longtemps d'avance les dépenses à faire pour chaque place ; d'un autre côté, il est des circonstances imprévues qui surgissent et qui dérangent souvent les calculs les mieux établis.
C'est ainsi que cette année, les ouragans ont causé des dégâts considérables dans plusieurs de nos places et nécessité des dépenses de réparation qui s'élèvent jusqu'à plus de 40,000 francs. Si nous n'avions pu appliquer à ces frais extraordinaires les économies réalisées sur l'ensemble de l'allocation, nous aurions dû demander des crédits supplémentaires ou des transferts de crédits pour chaque place qui a nécessité ce surcroît de dépenses.
Du reste, je demanderai simplement à l'honorable membre de voir si parmi les dépenses faites par le département de la guerre sur les crédits qui lui ont été alloués, il y a eu quelque exagération répréhensible. Je m'empresserais de répondre à une critique de ce genre nettement formulée.
L'honorable membre croit que des 27,000 fr. demandés pour la place de Liège, 10,000 fr. sont destinés à la démolition de. la Chartreuse. Je ne sache pas qu'il soit question de démolir la Chartreuse ; par conséquent, son observation n'est pas fondée.
Il croit aussi qu'on a demandé 30,000 fr. pour les lunettes d'Hoboken et de Deurne. Messieurs, on a demandé 30,000 fr. pour constructions neuves d'une part et 40,000 fr. pour réparations d'autre part, non pas pour ces deux lunettes seulement, mais pour le vaste ensemble de la nouvelle enceinte d'Anvers.
Enfin, l'honorable membre a attire l'attention de la Chambre sur les officiers d'habillement ; il voudrait qu'ils fussent placés sur le même rang que les quartiers-maîtres. Cette modification n'est pas possible. D'abord les quartiers-maîtres déposent un cautionnement plus considérable. Ensuite, la position des premiers n'est qu'une transition, une sorte de passage, à la retraite. Il n'y a aucune assimilation possible entre ces deux catégories d'officiers, au point do, vue. de la responsabilité. Le, quartier-maître a toute l'administration du régiment et il a un immense maniement de fonds dont il doit rendre compte. L'officier d'habillement répond de valeurs considérables, il est vrai, mais ces valeurs consistent en drap, toiles et objets d'habillement qu'il n'est guère possible d'emporter. Du reste, la différence, quant au traitement, n'est que de 400 francs entre ces deux catégories d'officiers et certes ceux de la première catégorie ont une besogne plus ardue et plus difficile que ceux de la seconde.
L'honorable membre, et on devait s'y attendre, s'est élevé contre la loi de 1836. L'honorable M. Thonissen, à l'occasion des officiers mis en non-activité pour motifs de santé, en a demandé aussi la révision.
Le code pénal nouveau, messieurs, a presque complètement détruit la loi de 1836 ; il n'en reste presque plus rien et dès que ce code pénal sera voté, j'aurai l'honneur de soumettre à la Chambre une proposition tendante à abolir ce qui restera encore de la loi.
L'honorable M. Hayez a parlé des pensions militaires. Il semble, d'après lui, qu'on ait commis, dans la collation de ces pensions, des erreurs ou des injustices.
Messieurs, lorsqu'on se borne à examiner l'Annuaire pour juger les mutations qui ont lieu dans l'armée, et qu'on ignore les traditions et les errements du département de la guerre, on peut très bien se tromper dans ses appréciations. Ainsi, il est de règle que lorsqu'un officier atteint la limite d'âge dans la première partie du trimestre, il est pensionné ; mais s'il atteint la limite d'âge dans la dernière partie du trimestre, il n'est pensionné que trois mois plus tard.
(page 690) Ainsi, une différence de quelques jours entre l'âge de deux officiers de même grade peut faire qu'ils seront pensionnés a 3 mois de distance l'un de l'autre.
De plus, lorsqu'un officier atteint la limite d'âge dans la dixième année de son dernier grade, on le prolonge jusqu'à la lin de cette année pour le faire profiter du cinquième en plus accordé par la loi. Les pensions militaires ne sont pas très fortes, il est donc juste de faire obtenir aux officiers le bénéfice des exceptions posées en leur faveur.
L'honorable M. Hayez a prétendu qu'on avait violé la loi sur l'avancement en nommant lieutenants deux sous-lieutenants d'artillerie qui n'avaient que neuf mois de grade.
Il est vrai que ces officiers ne servaient dans l'artillerie que depuis neuf mois ; mais l'un était sous-lieutenant d'infanterie depuis le 17 décembre 1864, et l'autre depuis le 8 mai 1865. Or, la loi dispose que pour passer lieutenant, il faut avoir été sous-lieutenant pendant deux ans.
Qu'ils aient été sous-lieutenants dans l'artillerie ou dans l'infanterie, peu importe. Ces officiers d'infanterie, profitant de la loi que vous avez faite l'année dernière, ont demandé à passer dans l'artillerie, où ils ont pris leur rang d'ancienneté à la date du jour où ils ont fait le service dans l'arme. C'est ainsi qu'ils n'ont que neuf mois de service dans l'artillerie, tandis qu'ils avaient respectivement 4 et 5 ans de service d'officier dans l'infanterie. Du reste, ces deux officiers méritaient leur avancement ; il a eu lieu au choix, sur la demande de leurs chefs.
L'honorable membre a critiqué les essais auxquels le gouvernement se livre pour la détermination des gros calibres de l'artillerie. D'après lui, cette question aurait dû être résolue depuis longtemps.
Eh bien, messieurs, le pays doit se féliciter que la question n'ait pas été résolue.
Les progrès de la métallurgie dans ces dernières années ont été tels, que si l'on avait fabriqué à la hâte les pièces de gros calibre, on aurait aujourd'hui le regret de se trouver dans un état d'infériorité marquée.
Les cuirassements des navires se sont fortifiés de plus en plus, et la puissance de l'artillerie a dû progresser en conséquence. Quoi qu'il en soit, nous connaissons la limite des cuirassements des navires qui peuvent paraître dans l'Escaut ; nous connaissons les calibres qui doivent leur être opposés, et nous avons l'assurance aujourd'hui que les pièces que nous avons adoptées répondront pendant bien longtemps à leur destination.
M. Coomans. - Pour un an ou deux.
MgRµ. - Pourquoi ? (Interruption.) Les conditions imposées à la marine cuirassée n'étaient pas définies alors comme elles le sont aujourd'hui.
Il faut des bâtiments spéciaux pour naviguer dans des fleuves comme l'Escaut, où les passes sont étroites et souvent peu profondes ; plus les plaques que vous mettez à un navire sont fortes, plus il faut que le navire déplace d'eau en profondeur. Si le tirant d'eau est faible, ce déplacement ne peut se faire qu'au détriment de ses qualités nautiques, et un navire portant des plaques de 15 ou 16 pouces ne peut manœuvrer comme, des navires en bois ou en tôle ; la preuve, c'est que dans toutes les discussions sur l'attaque des fleuves, on déclare qu'on ne pourrait entrer avec des navires de guerre actuels, il faudrait des navires spéciaux à fond complètement plat, c'est-à-dire des bâtiments lourds et obéissant difficilement au gouvernail.
C'est une chance heureuse pour nous ; il est désirable, que les navires qui entrent dans l'Escaut évoluent lentement de cette manière ils resteront plus longtemps exposés au feu de nos canions.
M. Coomans. - Ils ne vous demanderont pas la permission.
MgRµ. - On a dit aussi que certains coups de canon reviennent à 1,785 fr. ; celui qui a donné ce chiffre a mal placé la virgule, au lieu de la mettre après le 5, elle aurait dû se trouver avant, c'est-à-dire qu'avec la fonte Palisser, dont nous avons l'intention de nous servir, le coup de canon coûte 175 fr., et avec l'acier de Krupp, que nous avons trouvé trop cher, le coup revient à 275 fr. De 175 à 1,785 fr., il y a de la marge.
L'honorable M. Kervyn de Lettenhove a attiré l'attention de la Chambre sur la durée du temps de service des grenadiers et des carabiniers.
L'année dernière, toute la discussion a porté sur le temps de service de l'infanterie de ligne. On n'a jamais entendu parler, me semble-t-il, ni des grenadiers, ni des carabiniers.
La preuve, c'est que le budget relatif à l'organisation de l'armée porte trois ans de service pour ces deux régiments.
L'honorable membre croit que si pour l'infanterie de ligne, 2 ans 7 mois sont suffisants, il doit en être de même pour les carabiniers et les grenadiers.
Je n'ai pas besoin de vous dire, messieurs, que les carabiniers sont chargés d'un service tout à fait spécial. Ils sont abandonnés pour ainsi dire à eux-mêmes. Ils sont fractionnés par petites parties. Leur éducation est bien plus difficile, ils doivent manier leur arme avec beaucoup d'habileté et leur tir doit être d'une grande précision. Il faut évidemment pour eux une instruction plus soignée et beaucoup plus longue que pour leurs camarades de l'armée.
Le régiment des carabiniers forme 8 bataillons en temps de guerre. Quatre bataillons sont destinés aux cadres de l'armée active ; les 4 autres forment avec les 4 bataillons de grenadiers une brigade d'élite, une brigade de réserve.
Les officiers qu'on met dans les rangs de ces deux régiments sont des officiers choisis dans l'armée, recommandés par leurs commandants et examinés par les inspecteurs généraux. Dans toutes les armées, on cherche à posséder en réserve, pour les moments suprêmes, une troupe spéciale sur laquelle on puisse compter. Est-ce trop de demander, pour obtenir cette troupe, sept mois de plus aux hommes qui la composeront ?
M. Coomans. - Et la justice ?
MgRµ. - Mon Dieu ! la justice, en fait d'armée, où est-elle ?
En définitive, c'est un devoir public que l'on réclame des citoyens. Il n'y a pas plus de justice à faire, servir un homme pendant 2 ans 7 mois que pendant 4 ans. Le cavalier reste 4 ans sous les armes, parce qu'il faut tout ce temps pour être un bon cavalier, tandis que pour être bon fantassin 2 ans 7 mois suffisent. Voilà la justice.
Mais si vous retenez les cavaliers et les fantassins au delà du temps nécessaire pour faire de bons cavaliers et de bons fantassins, là serait l'injustice.
M. Coomans. - Et l'égalité des Belges devant la loi !
MgRµ. - Voulez-vous qu'on retienne les fantassins sept mois de plus ?
M. Coomans. - Tous également. Je demande la parole.
MgRµ. - Messieurs, l'honorable M. Coomans a dit hier qu'il était indispensable, de prouver que, dans les troubles de Seraing, les soldats n'ont pas eu tort d'agir comme ils l'ont fait.
Si mes honorables collègues, M. le ministre de la justice et M. le ministre, de l'intérieur n'avaient pas établi les faits d'une manière triomphante, j'aurais lu à la Chambre deux rapports que j'ai reçus, l'un du commandant de la gendarmerie, l'autre du colonel Van Laethem.
Messieurs, vous auriez vu que s'il y a eu un tort de la part de la troupe, c'est d'avoir supporté si longtemps les huées et les pierres.
Là est peut-être le véritable danger. Si par la suite, ces mouvements se propagent, vous serez les premiers à demander qu'on en finisse plus tôt avec des individus qui méprisent les lois et se livrent au pillage.
Il est vrai que c'était la première fois depuis la création de l’Internationale que la troupe se trouvait en présence de l'émeute. Il fallait donner aux ouvriers égarés le temps de voir dans quel piège on les entraîne, je félicite donc les troupes envoyées à Seraing de la patience et de la modération qu'elles ont montrées.
Du reste, dans toutes les circonstances où nos soldats ont été appelés à agir, ils se sont montrés pleins de discipline et d'entrain, et le pays peut être persuadé que s'il a besoin d'eux, ils rempliront leur devoir comme de braves et honnêtes gens.
M. Hymans. - J'ai demandé la parole quand M. le ministre de la guerre a dit que la suppression du port d'armes hors le temps de service serait une injure pour l'armée.
Si j'ai bien entendu, M. le général Renard a été jusqu'à prétendre que si l'on mettait le soldat en demeure de choisir entre le cachot et la suppression du port d'armes, il préférerait le cachot. J'ai la faiblesse de croire que si vous lui donniez le choix il se prononcerait dans un sens tout opposé.
Messieurs, si la suppression du port d'armes hors du temps de service pouvait porter une atteinte sérieuse à l'esprit militaire, si elle pouvait diminuer le bon esprit de l'armée, je ne viendrais pas appuyer ceux qui demandent sa suppression.
Je rends hommage aux excellents sentiments qui animent nos soldats. A aucun prix je ne voudrais les affaiblir, mais je ne crois pas que ce qu'on vous demande soit de nature à les altérer. Je crois, au contraire, qu'il y a un danger sérieux à laisser se développer des germes de désaffection entre l'armée et la population civile.
Cette désaffectation serait le plus grand de tous les périls. Il me suffit du (page 691) soupçon d'une semblable situation pour combattre la thèse de M. le ministre de la guerre.
L'honorable général Renard nous dit que les abus qu'on aligne reposent sur des récits inexacts, exagérés, dénaturés. Et pour nous en convaincre, il ne nous a cité que ces faits inexacts, exagérés, dénaturés. Il en a cité jusqu'à trois sur le grand nombre qui ont été signalés à l'attention du pays. Encore les proclame-t-ils inexacts à la suite d'une enquête faite par l'autorité militaire sans contre-enquête de l'autorité civile. Il nous est donc fort difficile de nous former une opinion.
M. le ministre dénonce une tendance de la presse à accueillir trop facilement ces récits mensongers.
Pour ce qui me concerne, il m'arrive souvent qu'on vient me rapporter des faits de ce genre et j'apporte toujours une très grande réserve à les accueillir, à ce point que jamais on n'a eu occasion d'en démentir un parmi ceux que j'ai cru de mon devoir de faire connaître.
Mais qu'arrive.-t-il souvent ? Dénoncez un fait qui a été vu de plusieurs témoins, ceux-ci viennent raconter ce qui s'est passé sous leurs yeux. Ce sont des gens honorables, de la parole desquels on ne peut douter ; parfois ce sont les rédacteurs mêmes du journal.
On publie le fait, puis le lendemain l'on reçoit la visite d'un officier supérieur, du colonel de l'un ou l'autre régiment, presque toujours un charmant homme, et qui vient vous dire de la façon la plus aimable :• « Si ce que vous rapportez était vrai, mon régiment serait composé de brigands. Mais il n'y a pas d'hommes plus paisibles que mes soldats, et quand ils ont le malheur de commettre la moindre faute, je les punis de la manière la plus sévère. Croyez-moi, l'honneur de l'armée exige que vous rectifiiez les faits qui vous ont été inexactement rapportés. S'il y a quelque chose d'exact dans votre récit, soyez persuadé que la plus grande partie est exagérée... »
Sur ces déclarations faites de la meilleure foi du monde, on rectifie, et le département de la guerre triomphe ; ii est acquis, de par l'aveu du journal lui-même, qu'il ne s'est rien passé de répréhensible.
MgRµ. - J'ai parlé d'enquêtes faîtes.
M. Hymans. - Oui d'enquêtes faites par l'autorité militaire, mais dans lesquelles on n'entend pas les témoins civils ni surtout les victimes.
Ce n'est pas du reste la première fois que cette question relative au port d'armes des militaires hors du temps de service est introduite dans cette enceinte, et, je regrette de devoir le dire, nous avons été, à une autre époque, plus près qu'aujourd'hui, de nous entendre avec le département de la guerre sur ce sujet délicat.
Permettez-moi de vous rappeler à ce propos un petit souvenir parlementaire.
Au mois de novembre 1862, le collège des bourgmestre et échevins d'Anvers, parlant au nom du conseil communal, adressa à cette Chambre une pétition tendante à obtenir la suppression du port d'armes des militaires hors du temps de service.
Le conseil communal d'Anvers avait à cette époque pour président l'un 'de nos amis, l'honorable M. Loos, que l'on n'accusera pas d'avoir agi dans un esprit d'opposition systématique à l'égard du cabinet.
Il s'exprimait en ces termes :
« Anvers, 3 novembre 1862.
« Le collège des bourgmestre et échevins à MM. les président et membres de In Chambre des représentants.
« Messieurs,
« Le port d'armes permis aux sous-officiers et soldats, hors du temps de service, a donné lieu, à diverses époques, à de déplorables et parfois trop funestes excès.
« Il n'est pas de ville de garnison qui n'en ait été maintes fois témoin, et la ville d’Anvers, plus qu'aucune autre, croyons-nous, en a fait la triste expérience.
« Les plaintes que ces excès provoquent se sont aussi fait jour jusqu'à vous, messieurs, et vous vous en êtes occupés incidemment dans votre dernière session.
« Les excès du port d'armes se sont multipliés, dans ces derniers temps, et tout récemment, dans nos murs, un honnête ouvrier inoffensif, père d'une nombreuse famille, est mort à la suite d'un coup de sabre reçu d'un artilleur.
« L'émotion bien naturelle que ce douloureux événement a fait naître au sein de notre population, ne pouvait manquer d'être partagée par le conseil communal, à qui incombe le devoir d'assurer à tous nos concitoyens la protection qui leur est due.
« Indigné et alarmé de ces excès, et en présence de l'insuccès des démarches tentés par l'administration pour y mettre un terme, par la défense du port d'armes aux soldats hors de service, le conseil communal nous a chargés de nous adresser à vous, messieurs, pour obtenir, par votre intermédiaire et au besoin par une mesure législative, cette garantie de la sécurité des citoyens.
« Vous penserez comme nous, messieurs, que la dignité et l'honneur du soldat ont bien plus à souffrir de ces excès que de la mesure générale que nous invoquons pour en empêcher le retour.
« Dans maint pays, la défense du port d'armes hors du temps de service existe, et nous ne savons pas qu'on y soit moins jaloux de l'honneur et de la dignité du soldat. Nous l'y rencontrons au contraire d'autant plus honoré et estimé que sa conduite y est plus irréprochable. : «
En faisant droit à notre juste demande, vous acquerrez, messieurs, de nouveaux titres à la reconnaissance de vos concitoyens.
« Veuillez agréer, messieurs, l'assurance de notre considération très distinguée.
« Le bourgmestre, J.-F. Loos.
« Par ordonnance, le secrétaire, J. de Craen. »
Le premier soin de la commission fut de s'adresser à M. le ministre de la guerre de cette époque, afin de savoir s'il avait pris des mesures pour prévenir le retour de semblables faits et quelles seraient, le cas échéant, ses intentions.
M. le ministre de la guerre, c'était alors l'honorable général Chazal, nous communiqua quatre circulaires datées des 21 août, 4, 11 et 23 octobre 1862.
Je vous demande la permission de vous lire ces pièces, afin de vous prouver que M. le général Chazal, sur ce point, était, comme je le disais tout à l'heure, plus près de s'entendre avec les pétitionnaires et avec la commission qui avait été chargée d'examiner leur requête, que ne l'est aujourd'hui le général Renard.
MgRµ. - Nous avons encore la même jurisprudence et elle est appliquée tous les jours.
M. Hymans. - Voici cette circulaire :
« Bruxelles, le. 21 août 1862.
« A toutes les autorités militaires.
« Messieurs,
« De graves excès ont été commis récemment, notamment à Bruxelles, par des militaires en état d'ivresse, qui ont fait usage de leurs armes contre les habitants, et on a constaté que ce sont surtout des substituants et des remplaçants qui se sont rendus coupables d'actes aussi répréhensibles.
« Le ministre de la guerre ne saurait trop blâmer de pareils excès qui peuvent avoir les plus funestes conséquences pour leurs auteurs et pour la tranquillité publique.
« Afin d'en prévenir le retour, il a décidé qu'à l'avenir, par dérogation à l'instruction ministérielle du 26 février 1840, 2ème division, n° 23/35, tout militaire qui aura fait usage de son arme sans y être contraint par la nécessité de se défendre, sera puni de la privation du port de l'arme, hors du service, pour un temps indéterminé, sans préjudice des autres peines qu'il aurait encourues, et que cette punition ne pourra être levée qu'après qu'il aura donné des preuves suffisantes d'amendement et sur l'autorisation préalable du département de la guerre, auquel il sera rendu compte de chaque punition infligée de ce chef.
« Quant aux hommes qui s'enivrent sans commettre d'excès, la retenue extraordinaire, à laquelle ils sont soumis en vertu du règlement, pourra comprendre, suivant la gravité des cas, la totalité des deniers de poche, qui seront versés à la masse d'habillement.
« Les chefs de corps tiendront la main à la rigoureuse observation de ces dispositions.
« Le ministre de la guerre,
« Baron Chazal. »
Cela ne suffit pas. Le 4 octobre 1862, M. le ministre de la guerre s'adressa de nouveau à toutes les autorités militaires et leur dit :
« Bruxelles, le 4 octobre 1862.
« A toutes les autorités militaires.
« Messieurs,
« Malgré l'ordre du jour du 21 août dernier, adressé à l'armée et (page 692) relatif à des excès graves commis par des militaires en état d'ivresse, j'ai remarqué avec une peine extrême que des scènes de désordre se renouvellent à tout moment dans diverses garnisons ; aussi, des rixes ont souvent lieu entre des bourgeois et des militaires, dans lesquelles ceux-ci font usage de leurs armes, et, tout récemment à Anvers, dans une affaire de ce genre, un bourgeois a reçu une blessure à la suite de laquelle il a succombé.
« Ces excès se commettant généralement par des militaires ivres, j'ai décidé qu'à l'avenir tout militaire qui sera vu en état d'ivresse, en quelque circonstance que ce soit, sans même commettre des désordres, sera immédiatement privé du port de l'arme, hors de service, pendant un temps indéterminé. Cette punition ne pourra être levée que sur l'autorisation du département de la guerre.
« Le présent ordre sera lu, à trois reprises différentes, devant le front des compagnies, escadrons et batteries.
« Le ministre de la guerre,
« Baron Chazal. »
L'honorable général Renard a dit tout à l'heure, en m'interrompant, que ces mesures continuent d'être appliquées.
Eh bien, elles n'ont pas été trouvées suffisantes ; dans une troisième circulaire du 11 octobre 1862, adressée cette fois aux généraux commandant les diverses divisions, le général Chazal s'exprimait comme suit :
« Bruxelles, le 11 octobre 1862.
« A MM. les généraux commandant les divisions d'infanterie et de cavalerie, le lieutenant général inspecteur général de l'artillerie et le général-major chargé du service de l'inspection générale des fortifications et du corps du génie.
« Messieurs,
« Depuis quelques temps, vous avez reçu communication de plusieurs dispositions tendantes à prévenir le renouvellement des excès que des soldats ont commis dans diverses garnisons. J'avais espéré que l'influence du bon esprit et du sentiment du devoir dont l'armée est pénétrée aurait contribué à contenir les penchants vicieux ou les mauvaises habitudes de quelques militaires oublieux de leurs devoirs, mais il m'est pénible d'avoir à constater aujourd'hui que des soldats, indignes de ce nom, ne tenant aucun compte des recommandations de leurs chefs et s'exposant avec indifférence aux punitions les plus sévères, se sont de nouveau livrés aux actes les plus coupables.
« En présence de ces excès, chaque jour plus fréquents, contre lesquels l'opinion publique s'élève à bon droit, mon devoir est de compléter les mesures qui sont actuellement en vigueur, et peut-être même de prononcer la suppression du port de l'arme hors de service pour les caporaux et soldats.
« J'hésite, je l'avoue, à prendre cette mesure, pour les motifs que je crois devoir vous communiquer... »
Voilà, messieurs, comment s'exprimait l'honorable général Chazal en 1862 :
« J'hésite, je l'avoue, disait-il, à prendre cette mesure pour des motifs que je crois devoir vous communiquer. »
Et il ajoutait : « Il est très possible que les soldats ne soient pas toujours les agresseurs ; on ne peut se dissimuler que, dans certaines villes de garnison, les soldats sont considérés moins comme des citoyens que comme des étrangers ; qu'à Anvers, par exemple, l'arme dont les soldats sont porteurs doit les protéger moralement contre les outrages dont ils peuvent être l'objet ; que si une certaine catégorie de soldats se conduisent mal, il est incontestable que le reste de l'armée n'a pas démérité de l'estime et de la considération du pays ; que lui enlever ses armes ce serait froisser ses sentiments d'honneur et l'humilier ; mais enfin, l'honorable général Chazal nous déclarait au moins que si ces excès se reproduisaient encore, il serait obligé, malgré toute la répugnance qu'il éprouvait, de supprimer le port de l'arme hors du temps de service.
Puis il demandait, avant de prendre une mesure aussi rigoureuse, qu'on lui permît de faire une enquête dans l'armée entière et d'envoyer aux chefs de corps une série de questions auxquelles ils eussent à répondre catégoriquement.
Voici quelles étaient ces questions :
« 1° Quelle influence morale peut exercer sur l'armée la mesure du désarmement ? »
C'était un doute qu'il exprimait ; il ne décidait pas d'avance que le port de l'arme devait être supprimé, mais il avait des doutes sur l'influence que cette mesure exercerait sur l'esprit militaire.
« 2° Cette mesure serait-elle de nature à porter atteinte à l’esprit militaire, à diminuer le nombre des engagements volontaires, à augmenter le chiffre des désertions et des autres délits prévus par les lois militaires ? »
Evidemment, voilà une question résolue d'avance.
« 3° Serait-il considéré comme infligeant aux soldats une humiliation ?
« 4° Quels seraient les moyens les plus efficaces, en dehors du désarmement absolu, de prévenir le renouvellement des rixes qui ont quelquefois lieu ?
« 5° Les soldats sont-ils plus souvent les agresseurs que les provoqués (citer des faits) ?
« 6° Y a-t-il habituellement exagération dans l'appréciation des faits signalés par la presse ?
« 7° Les soldats ne sont-ils pas souvent contraints à se servir de leur arme pour se défendre ?
« 8° N'y a-t-il pas eu des soldats assaillis et blessés par des bourgeois et des matelots (citer des faits) ?
« 9° N'a-t-on pas quelquefois été obligé d'envoyer aux hôpitaux des soldats blessés par des bourgeois ?
« 10° N'a-t-on pas retiré des fossés d'Anvers ou d'autres endroits des cadavres de soldats sans qu'on sût les causes de leur mort ? »
Ce questionnaire a été formulé le 11 octobre 1862, il y a près de sept ans. On ne se pressa guère de répondre aux questions du ministre, car, le 23 octobre, il fut obligé de. rappeler aux chefs de corps les demandes qu'il leur avait adressées.
Il leur écrivit qu'il était urgent que. l'on fût renseigné au département de la guerre sur des faits positifs qui pussent servir de base à une mesure définitive.
Cette promesse d'enquête, messieurs, décida la commission chargée d'examiner la pétition de l'administration communale d'Anvers à vous proposer d'attendre que l'enquête eût abouti à un résultat et que M. le ministre de la guerre eût fait connaître à la Chambre les réponses qu'il avait reçues, aux interrogatoires dont il avait dressé le formulaire. Jusqu'à cette heure ces réponses ne nous ont pas encore été communiquées.
MgRµ. - Voici l'enquête.
M. Jacobsµ. - Nous devrions au moins la connaître.
M. Hymans. - Et quand nous la connaîtrons, il nous restera encore à examiner s'il y a lieu d'en adopter les conclusions. Car enfin les considérations que nous fîmes valoir à cette époque devant la Chambre ont, je crois, une certaine valeur ; ce sont des arguments de pur bon sens. Il ne s'agit pas ici d'une question de droit qu'un jurisconsulte seul soit à même de discuter.
Il ne s'agit pas d'une question de tactique militaire qu'un général on un colonel est seul en mesure d'examiner ; c'est une question de pur sens commun, sur laquelle tout le monde est à même de se prononcer.
Eh bien, nous avons fait à cette époque à peu près les observations qu’a présentées hier l'honorable M. Hagemans. Nous disions alors comme aujourd'hui que nous n'étions pas animés de sentiments hostiles à l'armée ; mais nous faisions remarquer ce fait curieux que dans d'autres pays l'honneur militaire n'est point attaché au port de l'arme, et que les soldats y sont aussi respectés que dans les contrées où le port de l'arme est admis par l'usage.
Les soldats anglais ne portent pas d'armes dans les rues ; se sont-ils moins illustrés sur les champs de bataille ? Tout récemment dans les plaines de l'Abyssinie, ils ont déployé une héroïque persévérance en même temps que le plus admirable courage matériel. Ils ont conquis une gloire immortelle dans les campagnes de l'Inde et de la Crimée. Et pourtant on ne voit pas ces braves se promener dans les rues de Londres avec des armes ; si le temps est beau, ils se promènent avec une inoffensive badine ; ils portent un prosaïque parapluie, si le temps est mauvais, et ils n'en sont pas moins considérés.
Le châtiment du soldat en Angleterre réside dans la privation, non pas de l'arme, mais du ceinturon.
M. Coomans. - Voilà un argument serré. (Interruption.)
M. Hymans. - Et un insigne moins dangereux.
J'ai lu, il y a très peu de temps, dans le Moniteur français que le maréchal Niel venait d'interdire le port de l'arme à tout soldat qui aurait commis une peccadille.
M. de Brouckere. - C'est une punition.
M. Guillery. - Pourquoi dit-on aux soldats qu'ils sont déshonorés par cette interdiction ?
M. Hymans. - L'observation de l'honorable M. Guillery est parfaitement juste. Le soldat trouve que c'est une punition d'être obligé de sortir (page 693) sans arme parce qu'on lui a dit que son honneur est attaché à la possession de cet outil.
Mais apprenez-lui, c'est votre devoir, apprenez-lui qu'il sera aussi respecté, aussi honoré, aussi considéré, aussi digne, aussi patriote, lorsqu'il sortira sans avoir une baïonnette ou un sabre au côté, et qu'il n'est pas plus atteint par là dans son honneur militaire que M. le ministre de la guerre n'est humilié, parce qu'il vient en bourgeois occuper son siège parmi nous.
Du reste, en Belgique même, et c'est encore une observation que nous faisions il y a sept ans ; en Belgique même, le fantassin seul porte ses armes hors du temps de service. Le cavalier et l'artilleur en petite tenue ne sont pas armés ; ils ne portent le sabre que lorsqu'ils sont en grande tenue. Y a-t-il par hasard deux honneurs militaires, l'un pour les soldats qui vont à cheval ; l'autre pour les soldats qui vont à pied ? (Interruption.)
En vérité, messieurs, comment pouvons-nous confondre l'honneur militaire avec l'uniforme ?
Je citerai ici un fait qui est, sans doute, présenta vos esprits à tous.
Il fut un temps où les officiers sortaient en habit bourgeois. Un ministre de la guerre s'est rencontré qui prit un arrêté aux termes duquel tous les officiers furent obligés de sortir en uniforme.
Or, vous le savez, il y eut une explosion de mécontentement parmi les officiers de l'armée. Ceux-ci trouvaient l'habit bourgeois infiniment plus commode et plus agréable et ils ne se considéraient pas le moins du monde comme humiliés, ils ne croyaient pas que la considération de l'armée fût réduite en quoi que ce fût, parce qu'on les autorisait à sortir en bourgeois comme tous les officiers de la garnison de Paris sans exception.
Nos officiers ont été obligés de s'incliner ; mais l'honneur de l'armée ne joue aucun rôle dans cette question de costume.
Revenons au port de l'arme. Vous ne ferez pas comprendre aux populations qu'il soit indispensable d'autoriser le port d'une arme dont il est défendu de se servir. (Interruption.)
L'instruction n'est malheureusement pas assez répandue pour que ceux qui, du jour au lendemain, passent d'une ferme ou d'un atelier dans un régiment et quittent la blouse pour l'uniforme, se rendent un compte bien exact des devoirs que leur impose le caractère officiel dont ils sont revêtus, et si le châtiment suit toujours de près la faute, il semble toutefois plus juste et plus efficace de la prévenir.
Messieurs, la conclusion à laquelle nous arrivions en 1862, en attendant le résultat de l'enquête promise par M. le ministre de la guerre, me semble pratique ; c'était un moyen de conciliation, un moyen de ménager les susceptibilités des susceptibles. Nous disions ceci :
« Tout bien considéré, nous croyons qu'il est un moyen terme auquel on pourrait s'arrêter aisément, de manière à donner satisfaction aux griefs légitimes de l'opinion publique, sans toucher à la question si délicate de l'honneur militaire.
« Il est incontestable que les excès dont on se plaint sont commis presque toujours le soir et par des militaires en état d'ivresse.
« Ne serait-il pas possible de faire rentrer les fantassins à la caserne après une certaine heure, à cinq heures du soir, par exemple, afin d'y déposer leurs armes, et de ne permettre aux cavaliers et aux artilleurs de sortir après cette heure, qu'en petite tenue ? De cette façon, l'arme serait supprimée, sans qu'il fût nécessaire de prendre la mesure spéciale, à laquelle on trouve des inconvénients. »
Telle était la solution provisoire que la commission soumettait à M. le ministre de la guerre, en attendant qu'il eût terminé l'enquête dont malheureusement la Chambre n'a pas eu connaissance.
Messieurs, j'ai cru de mon devoir de faire ces observations, parce qu'il est incontestable, quel que soit le parti auquel on appartient, quelle que soit l'opinion politique que l'on professe, quelles que soient les sympathies que l'on ait pour tel ou tel ministre, que les faits qui se sont produits trop souvent dans ces dernières années sont excessivement regrettables et doivent nuire a la considération de l'armée, à la sympathie qui doit subsister à l'état permanent entre elle et la nation. M. le ministre de la guerre nous a dit tout à l'heure qu’il ne s'agissait en tout ceci que de bruits de gazette, qu'au fond il y avait beaucoup de bruit pour rien ; des exagérations et rien de plus. Mais cette exagération serait déjà un mal ; elle prouve une tendance regrettable contre laquelle il faudrait réagir, et contre laquelle la suppression de l'arme, la mise hors d'état de nuire, réagirait déjà d'une manière sérieuse et salutaire.
Du reste, l'honorable ministre s'est quelque peu contredit, lorsque après nous avoir déclaré que les cas de rixes et les abus étaient excessivement rares, il a ajouté, un instant après, qu'en 1868 seulement, mille soldais de l'armée avaient été privés de leurs armes.
MgRµ. - Pour ivresse.
M. Hymans. - Pour ivresse ! Pourriez-vous affirmer que sur ces mille individus en état d'ivresse, il n'en est pas qui aient abusé de l'arme qu'ils avaient entre les mains ?
Parmi ces 1,000 hommes à qui on a enlevé l'arme pour cause d'ivresse, n'y en a-t-il pas quelques-uns à qui vous l'avez enlevée pour d'autres causes ? Et que M. le ministre me permette de le dire, il ne peut pas connaître d'une manière exacte et détaillée tous les incidents fâcheux qui se produisent.
Je rends autant que personne hommage aux services sérieux que les soldats rendent aux citoyens, même dans les incendies, bien que je ne pense pas qu'ils les éteignent avec leur sabre, et la première chose que fait le soldat c'est de le déposer pour être plus libre, quand il est appelé à faire un travail de ce. genre.
Je suis d'avis, messieurs, qu'il y a quelque chose à faire et que si on le fait à titre d'essai, on aura l'occasion de constater bientôt que loin de nuire à l'esprit militaire, on aura puissamment contribué au prestige de l'armée, en augmentant la sympathie qui doit régner à tout prix entre la population civile et les militaires. La sécurité nationale est à ce prix.
M. Hagemansµ. - Après l'excellent discours de M. Hymans, que je remercie de m'avoir appuyé avec tant de talent, d'esprit et d'énergie, je n'aurai à ajouter que quelques mots. Il a mieux répondu que je n'aurais pu le faire à l'honorable ministre de la guerre, qui, je le crois, n'aura converti personne à ses idées quelque peu trop militaires.
Je ferai seulement remarquer à l'honorable général Renard que je n'ai eu nullement l'intention d'attaquer l'armée, que j'ai simplement voulu défendre les citoyens victimes de soldats ivres, indignes par leurs excès du nom militaire.
M. Coomans. - Messieurs, après le discours si sensé, qu'un membre de la majorité vient de vous faire et qui est de nature, sous tous les rapports, à vous impressionner, je n'aurai que de très courtes observations à présenter et je ne me propose pas de répéter celles qui vous ont déjà été soumises.
Je déclare que je ne parviens pas à comprendre une seule des objections qui nous sont faites, sauf une seule peut-être que je comprends, mais que je trouve détestable, c'est celle-ci : « On portera atteinte à l'esprit militaire. »
Je ne suis pas sûr que cette atteinte soit portée, mais si elle l'était, j'en serais charmé. Je ne tiens pas du tout à surexciter l'esprit militaire chez une nation qui n'en est naturellement que trop douée, et qui, je l'espère bien, n'aura pas de rôle militaire. A jouer. Quand je vois de grandes nations, qui ont besoin de surexciter l'esprit de leurs troupes, désarmer leurs soldats à la promenade, je ne vois pas pourquoi nous, qui avons la prétention de marcher à la tête de la civilisation pacifique, nous serions plus militaristes que l'Angleterre, la Suède, la Suisse, etc.
On portera atteinte à l'esprit militaire, pourquoi ? Parce qu'on désarmera le soldat à la promenade, parce qu'on sera simplement logique ! Que dit-on aux soldats quand ils sortent avec leurs armes ? Vous ne vous en servirez pas ; si vous vous en servez, vous serez punis.
Le meilleur moyen d'éviter cet abus, c'est de supprimer l'occasion de le commettre.
Le quasi-remède employé jusqu'ici n'en est pas un. Il est mauvais, il est flétrissant. Vous enlevez l'arme à quelques soldats pour des peccadilles, après tout, et vous les désignez ainsi au mépris public. Le soldat qui passe sans arme est un soldat flétri.
Vous dites qu'il est le défenseur de la patrie, et vous dites en même temps au public : défiez-vous de ce gaillard, c'est un ivrogne.
Cet homme est le représentant de l'autorité ; il n'est pas assez mauvais pour ne pas être soldat, mais il est trop mauvais pour porter l'arme.
Je dis que ce remède est mauvais, flétrissant. Quand vous aurez enlevé l'arme à tous vos militaires, aucun ne pourra se croire injurié.
El puis, on parle tant de l'honneur militaire. Mais l'honneur civil, ne faut-il pas en tenir quelque peu compte aussi ?
Est-il honorable pour des bourgeois, pour des représentants de la nation d'être désarmés de leurs cannes, de voir leurs femmes ou leurs sœurs désarmées de leurs pacifiques parasols dans les musées, alors que devant eux passent MM. les officiers, les sous-officiers et les soldats avec leurs armes ?
Je ne suis pas bien susceptible, je m'en vante, mais j'aurais eu le droit de l'être quelquefois dans ma vie. Je suis entré dans des musées, dans des collections d'art avec un petit bâton très inoffensif, je n'ai pas besoin de le dire, mais qui m'était nécessaire. On m'en a privé, non seulement pour gagner les dix centimes attachés à ce prétendu service qu'on me rendait malgré moi, mais uniquement pour faire valoir l'honneur militaire.
(page 694) Un Jour, je me permis, devant deux officiers, de faire très poliment cette remarque, de me plaindre de ce qu'on me croyait plus iconoclaste qu'eux, et savez-vous quelle a été la réponse peu polie que l'un de ces messieurs a faite ? « La comparaison cloche, vous êtes bourgeois, nous sommes militaires. »
Mais, messieurs, il ne s'agit pas ici de militarisme. Pourquoi enlève-t-on dans les musées les cannes des hommes et les parasols même repliés sous les châles des dames ?
C'est parce qu'on craint que ces visiteurs pékins, bourgeois, ne transpercent les chefs-d'œuvre avec leurs cannes ou leurs ombrelles. Eh ! il me paraît que les sabres de 4 ou 5 pieds qui traînent très inutilement à la gauche des prétendus défenseurs de la patrie, sont beaucoup plus dangereux que nos badines. (Interruption.)
Je ne vois pas en quoi l'argument pèche.
- Une voix. - C'est le mot « prétendus » qui choque.
M. Coomans. - Il est évident qu'ils défendraient la patrie si elle devait être défendue, mais elle n'est pas en danger, c'est ma conviction. D'ailleurs tous les Belges sont défenseurs de la patrie. L'armée n'a pas cet honorable monopole. (Interruption.)
Certes, l'armée nous défendra ; mais cela n'est pas nécessaire : c'est ma conviction.
Je constate donc que la pensée secrète de nos adversaires est de maintenir cette dangereuse différence entre les Belges. On veut diviser la nation non seulement en cléricaux et libéraux, ce qui est déjà très mauvais, mais en militaires et bourgeois, ce qui est plus mauvais encore. (Interruption.) Si vous n'avez pas cette raison-là, vous n'en avez pas, car les faits ont parlé assez haut. Et vraiment j'admire l'audace de M. le ministre de la guerre... (Interruption.)
Il y a d'autres choses encore que j'admire en lui, mais en ce moment j'admire surtout celle-là ; j'admire donc l'audace de M. le ministre de la guerre qui vient affirmer (d'après ce qu'on m'a dit, car je n'assistais pas au commencement de son discours), qui vient affirmer que tout ce que les journaux ont dit est exagéré et que rien de tout cela ne fait aucune impression sur son esprit.
En vérité, c'est trop fort ! Journaliste depuis trente-six ans, actif et attentif, j'ai eu des milliers d'occasions de constater que l'honorable ministre se trompe.
C'est étrange, de sa part, car il est aussi vieux que moi. Il y a eu, en Belgique, depuis 1830, des milliers de crânes fêlés et très inutilement fêlés par des soldats plus ou moins ivres. Je dis des milliers ; pour ma part, j'ai assisté, cinq ou six fois, depuis quarante ans, à ces scènes de sauvagerie. Et quand même, il n'y en aurait eu que des centaines, serait-ce une raison de ne pas nous écouter ?
En vérité, votre opposition à nos justes demandes n'a pas le moindre fondement et, je le répète, si vous nous refusez la simple justice que nous vous demandons, vous avez dangereusement tort.
Je reproduirai ici une remarque que j'ai déjà eu l'honneur de vous faire, c'est que sur cette question la presse belge est unanime ; il y a trois cents journaux en Belgique, flamands, français, allemands ; eh bien, je crois qu'il n'y en a pas un seul, je n'en connais au moins pas un seul qui ne vous blâme. Vos propres journaux vous condamnent à l'unanimité et demandent ce que demande la nation vraie, la nation presque unanime, c'est-à-dire qu'on cesse d'armer les soldats dans les occasions où non seulement ils n'ont pas intérêt à se servir de leurs armes, mais où on leur défend de s'en servir.
La presse est unanime ; on a dit souvent que quand le Pape et Voltaire étaient d'accord, on tenait une vérité incontestable ; eh bien, quand dans un pays trois cents journaux sont d'accord, on peut affirmer aussi que l'on tient une vérité politique ou civile.
J'avais demandé la parole pour relever un gros mot prononcé par l'honorable ministre de la guerre.
Amené à prouver militairement qu'il est nécessaire que certains corps d'élite aient des soldats plus exercés que d'autres, en d'autres termes, qu'il est nécessaire que les militaires d'élite soient soumis plus longtemps que les autres à la servitude militaire, variété de l'esclavage antique, l'honorable ministre a cru que sa tâche était finie. Là-dessus, je lui ai dit : Mais que devient la justice ? - Oh ! a répliqué immédiatement, et de plein cœur, l'honorable ministre, où est la justice en fait d'armée ? J'ai recueilli le mot pour qu'on ne l'efface pas du Moniteur de demain.
Le mot est excellent, il est vrai, il est parti du cœur et de l'esprit de M. le ministre.
M. Guillery. - Il en a expliqué le sens.
M. Van Humbeeck.µ. - Donnez au moins le mot au complet ?
M. Coomans. - Où est la justice en fait d'année ? voilà ce qu'a dit M. le ministre.
M. le président. - Le Moniteur contiendra, en même temps que le mot, l'explication qui en a été donnée.
M. Coomans. - Je pense que l'honorable ministre expliquera mieux la chose que mes honorables interrupteurs.
Ce n'est pas une vaine querelle que je cherche à M. le ministre ; je crois, au contraire, qu'il a raison ; c'est-à-dire qu'il est impossible de concilier le service forcé avec la justice. Je ne dis pas qu'il ne soit pas nécessaire que les soldats des corps d'élite servent plus longtemps que les autres ; mais, je le répète : Où est la justice ? Pour forcer nos adversaires à reconnaître que j'ai raison, que moi du moins je suis dans la justice, je ne cesse de demander la suppression de la servitude militaire. Du reste, vous pourriez également atteindre ce but dans une certaine mesure, ce but suprême de la justice qu'il vous est défendu de ne point poursuivre.
L'honorable M. Kervyn vous l'a dit hier : l'indemnité dont vous parlez comme d'une chose désirable, mais que vous écartez toujours de nos débats parlementaires, l'indemnité à accorder à nos miliciens devrait être calculée en raison de la corvée que vous leur infligez ; et, je le répète, il est foncièrement inique d'obliger certains Belges à servir 4 et 5 ans quand d'autres ne doivent servir que 2 ans.
Et cela est d'autant plus inique que cela est tout à fait arbitraire ; c'est-à-dire que c'est un seul homme qui décide de cette différence de sort. Vos 12,000 miliciens sont soumis aux mêmes mauvaises chances, mais vous choisissez parmi vos victimes celles qui devrait supporter une plus grande part de sacrifice, et c'est vous, colonel, général, ministre, qui décidez de cette grave question.
Ce n'est plus le sort qui fait servir 4 à 5 ans ; c'est la bonne figure du soldat, c'est son plus haut degré d'instruction ; de manière que vous punissez ce qui est respectable, le mérite moral et physique : le jeune soldat né de parents honnêtes, qui lui-même s'est honnêtement conduit pendant vingt ans et qui a une taille supérieure à d'autres, vous le punissez de son honnêteté et de celle de ses parents en l'obligeant à servir dans l'armée deux ans de plus que les autres, Après cela, vous avez beau me dire : Il le faut ; c'est une nécessité militaire ! Je nie formellement. D'abord, il ne faut jamais être injuste ; il n'est jamais permis de l'être, surtout quand vous pouvez ne pas l'être ; et il ne suffit pas de prouver qu'une iniquité est nécessaire pour que nous soyons obligés de la maintenir.
Messieurs, un mot encore. Je crois que l'honorable ministre n'a pas répondu à la question sommaire, que j'ai pris la liberté de lui adresser, à savoir s'il fera rétablir les sentinelles qu'on avait supprimées dans toutes les garnisons de Belgique. J'ai eu souvent occasion de le dire : c'est une vaine fantasmagorie et vous en faites une injustice, lorsque vous imposez ce devoir-là à des soldats forcés.
Je regrette vivement de voir, en plein hiver, des citoyens qui devraient avoir les mêmes droits que nous, faire le pied de grue devant des maisons nullement menacées, à la sécurité desquelles, on tout cas, devrait veiller la police locale.
Quant à moi, j'estimerais beaucoup plus le chef de corps qui demanderait la suppression de sa sentinelle que celui qui s'adresserait au ministre pour en obtenir deux ou trois. Ces sentinelles sont de vaines décorations qui n'ont pas plus de valeur que les autres.
M. Vleminckxµ. - L'honorable ministre de la guerre a répondu, dans les limites du possible, aux diverses observations qui se sont produites hier à l'occasion de son budget. Il est cependant un fait sur lequel l'honorable ministre a gardé le silence. Il s'agit dos officiers pensionnés qui, à diverses reprises, ont adressé des pétitions à cette Chambre. L'honorable M. Lelièvre cet après lui l'honorable M. Hayez ont appelé l'attention de M. le ministre de la guerre sur la condition de ces officiers.
L'honorable ministre n'y a répondu qu'un mot, et dans le discours qu'il vient de prononcer, il a reconnu que les pensions militaires n'étaient pas assez élevées. Messieurs, il y a bientôt dix ans que ce même langage nous est tenu, et aucun remède n'a été porté à cette situation que tous les ministres de la guerre, sans aucune exception, ont trouvée mauvaise.
L'honorable ministre des finances, que l'accomplissement d'autres devoirs empêche d'être à son banc en ce moment, l'honorable ministre des finances, dis-je, a prononcé à cet égard, à plusieurs reprises, des paroles que je crois devoir vous rappeler.
Dans la séance du 19 novembre 1864, il vous tenait le langage suivant :
« Pour être juste, il faudrait appliquer d’une manière générale et uniforme, à toutes les pensions militaires, les règles suivies pour la collation des pensions civiles. »
(page 695) Et, dans celle du 22 novembre suivant, il reconnaissait l'insuffisance des pensions militaires et la nécessité d'en augmenter le taux.
Est-ce donc, je vous le demande, messieurs, une prétention si exagérée que nous élevons, en émettant le vœu que les militaires soient placés, quant à la pension, sur la même ligne que les fonctionnaires civils ?
C'est la réforme que nous poursuivons, et quant aux pensionnés actuels, ce que nous demandons pour eux, c'est que vous donniez des secours a plusieurs d'entre eux, secours indispensables, car j'en connais plusieurs qui meurent pour ainsi dire de faim.
Messieurs, on a fait, pendant ces deux derniers jours, un grand éloge de nos soldats, de leur bravoure, de leur courage, de leur résignation. Il n'y a pas un membre de cette Chambre qui ne s'associe à ces éloges. Mais il faudrait bien un peu penser aussi, ce me semble, au bien-être de ces soldats qui rendent tant de services au pays.
Eh bien, je regrette de devoir le dire, l'état de choses actuel sous ce rapport laisse beaucoup à désirer. Les casernes dans lesquelles on colloque nos soldats sont généralement de mauvaises masures, de tristes bâtiments, où les conditions de salubrité sont loin d'être réunies.
Je sais bien que ce n'est pas tout à fait la faute du gouvernement ; je sais que la plupart de ces bâtiments appartiennent aux communes ; je sais qu'ils ont été donnés aux communes a charge d'entretien, d'une part, et d'affectation déterminée, de l'autre. L'entretien est peu de chose ; mais c'est peut-être encore trop pour les villes qui ne sont pas riches et ne peuvent pas faire ce qu'elles devraient pour le bien-être du soldat. Qu'en résulte-t-il ? C'est que, malgré toutes les recommandations du département de la guerre, la plupart des casernes sont bien loin de répondre à leur destination.
Il y aurait un moyen de remédier à cette situation, et ce moyen, je prie le gouvernement de bien vouloir l'examiner. Les casernes sont, dans notre pays, une charge, une véritable charge pour les communes. Pourquoi le gouvernement ne s'entendrait-il pas avec elles pour tâcher d'en obtenir la rétrocession ? Si ces casernes étaient rendues au gouvernement, nous trouverions alors des ministres auxquels nous pourrions reprocher et reprocher vivement l'état d'insalubrité dans lequel la plupart d'entre elles pourraient se trouver.
Messieurs, nous venons, vous le savez, de passer par une épidémie terrible. Je ne dirai pas, vous ne l'ignorez pas, du reste, combien la garnison de Bruxelles en a souffert. Ce n'est pas moi qui prétendrai que la cause de cette épidémie se trouvait dans les casernes ; non, mais il est certain que plus les conditions de salubrité sont nombreuses dans des lieux habités, plus on a chance de résister aux causes épidémiques.
A Anvers, l'honorable ministre de la guerre le sait aussi bien que moi, l'es locaux destinés au logement de nos soldats laissent énormément à désirer. On est obligé de vous demander, au budget de cette année, des fonds pour faire en quelque sorte une caserne nouvelle en remplacement de celle qui se trouve dans la citadelle du Sud. On sait combien la garnison d'Anvers a à souffrir tous les ans des fièvres paludéennes qui y règnent. Le germe de ces fièvres ne réside certainement pas dans ces casernes ; mais celles-ci fournissent une cause occasionnelle ; elles sont loin de présenter les conditions de salubrité indispensables. Je puis le dire, pour les avoir visitées plusieurs fois.
J'engage donc le gouvernement à aviser aux moyens de se faire rétrocéder les casernes par les villes ; il pourrait les utiliser beaucoup mieux que celles-ci, parce qu'elles n'ont pas les moyens suffisants pour en faire des établissements convenables.
Messieurs, puisque j'en suis à vous parler d'Anvers, j'ai une autre observation à faire à l'honorable général Renard.
La Chambre se rappellera qu'à plusieurs reprises, l'honorable M. Van Overloop et moi, nous avons demandé au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour l'assainissement de notre littoral. Je reconnais que le département des travaux publics a ordonné les études nécessaires pour que cet assainissement puisse être opéré. Mais une question relative à cet assainissement a été adressée à l'honorable ministre de la guerre par la section centrale du budget de son département, et j'avoue que rien ne m'a plus surpris que la réponse qui a été faite à cette question.
La section centrale avait demandé à l'honorable ministre quelles mesures il comptait prendre pour l'assainissement du littoral, en ce qui concerne spécialement la garnison d'Anvers, et voici quelle a été la réponse de M. le ministre de la guerre :
« Quant à l'assainissement de notre littoral,, il ne pourrait être obtenu que par un relèvement considérable des polders, au prix de dépenses incalculables ; il faut donc le remettre à l'œuvre continue des ans et des générations successives. »
Messieurs, si cela est, je plains Anvers, et j'avoue que vous-mêmes vous aurez à vous repentir quelque peu des énormes dépenses que vous avez votées pour les fortifications de cette place.
Mais l'honorable ministre des travaux publics n'a pas répondu, lui, à cette question de la même manière. Voici comment il s'est exprimé dans une lettre à son collègue de l'intérieur. (Voir le rapport de la section centrale du budget des travaux publics.)
« Bruxelles, le 15 novembre 1868.
« A Monsieur le ministre de l'intérieur.
« Monsieur le ministre,
« A différentes reprises on a, au nom de la Chambre des représentants, appelé l'attention du gouvernement sur l'opportunité de prendre des mesures pour assainir les localités où règnent encore les fièvres paludéennes.
« Ce vœu ne s'applique spécialement qu'aux cantons formant le littoral maritime du royaume.
« Cette étude avait d'abord été entamée dans une limite restreinte.
« Mais plus tard, eu présence de l'importance de la question, au point de vue de l'hygiène publique et de l'agriculture, il a paru à mon département qu'il y avait lieu de se livrer à un travail d'ensemble, embrassant tout le pays.
« En conséquence, MM. les ingénieurs en chef directeurs des ponts et chaussées dans les provinces ont été invités à rechercher quelles sont, dans toute l'étendue de leur province, les parties de terres basses et marécageuses, qu'il serait utile d'assainir, et à rendre compte à mon département du résultat de leurs investigations, en indiquant, en même temps, les moyens qu'ils jugeraient convenables pour arriver au résultat à atteindre.
« Ces fonctionnaires se sont conformés à mes instructions.
« Vous trouverez ci-joint, M. le ministre, avec les trois tableaux auxquels elle se réfère, une note résumant les renseignements et les propositions consignées dans leurs travaux.
« L'exécution des travaux dont l'utilité est signalée n'incombe pas à mon département. Il appartient aux administrations provinciales ou communales, aux directions des polders et des wateringues, ou aux particuliers intéressés d'y pourvoir.
« Les mesures à prendre ne consistent, en effet, généralement que dans l'augmentation du débouché de certains ouvrages d'art ressortissant à un autre service que celui des travaux publics, dans l'approfondissement, l'élargissement ou seulement l'entretien des cours d'eau ordinaires, dans le creusement de fossés d'écoulement destinés à relier ces cours d'eau aux terrains bas qu'il s'agit d'assécher, en tout ou en partie, et enfin dans de simples indemnités d'expropriation, etc. »
Voilà les véritables moyens d'assainir les polders et je ne puis attribuer qu'à une insuffisance d'étude de la question la réponse que nous a faite l'honorable ministre de la guerre.
Pour moi, il est indispensable qu'on s'occupe avec le plus grand soin de cet assainissement, spécialement de la partie de notre littoral qui avoisine Anvers.
Comment ! vous avez fait d'Anvers le boulevard de notre nationalité. C'est là que la plus grande partie de l'armée devra se réfugier en cas d'invasion. Vous voulez que la défense soit vigoureuse et bien soutenue. Mais que ferez-vous si la moitié de votre armée se trouve atteinte de fièvre intermittente ? J'ai vu ce fait se produire à plusieurs époques, sous l'empire de certaines conditions météorologiques.
Je conjure donc le gouvernement de porter sa sérieuse attention sur le fait que je lui signale.
Ce n'est pas, comme l'a dit l'honorable ministre de la guerre, en exhaussant le terrain des polders qu'on portera remède à la situation, c'est en le drainant et en éliminant les matières organiques qui s'y trouvent accumulées, au moyen de canaux à grande section qui se rendront à la mer.
Il est possible que cela coûte beaucoup, mais il faut prendre en considération l'état sanitaire de nos soldats qui, à un moment donné, seront chargés de défendre la nationalité dans cette forteresse que vous n'avez créée qu'au prix de sacrifices considérables et dont nous n'avons peut-être pas encore vu la fin.
M. Jacobsµ. - J'avais l'intention d'entretenir la Chambre, comme mes honorables collègues, MM. Hagemans et Hymans, de la question du port d'armes des militaires ; mais ce malheureux port d'armes a été tellement battu en brèche aujourd'hui, que réellement il y aurait cruauté à l'accabler davantage.
Du reste, M. le ministre de la guerre vient de nous faire entendre que l'enquête annoncée en 1862 existe entre ses mains. Il ne fera, je pense, aucune difficulté de la déposer sur le bureau de la Chambre.
(page 696) Je doute qu'elle contienne des raisons bien déterminantes à l’encontre de notre opinion ; elle sera cependant de nature à nous éclairer sous certains rapports et, jusqu'à ce que je l'aie parcourue, je veux me borner à de très courtes observations.
L'honorable ministre de la guerre prétend que l'interdiction du port d'armes est pour le militaire une peine extrême, humiliante, une véritable flétrissure, et cependant il nous fait connaître que sur 20,000 simples soldats qui, en moyenne, composent l'armée belge, 1,000, par an, subissent cette peine !
Je déduis de ce chiffre la conséquence que ce n'est pas la une punition flétrissante et de nature à produire un effet indicible sur le soldat. La multiplicité des cas où elle est appliquée démontre qu'elle n'est pas prise au sérieux.
Un autre argument de l'honorable ministre de la guerre consiste à opposer au soldat le marin qui, à Anvers, sort un couteau au côté. Comment, dit-il, le soldat se défendra-t-il contre les agressions du marin armé d'un couteau, s'il n'a pas son sabre ? L'argument repose sur une erreur. Les marins n'ont pas de couteau au côté. La dague est une arme prohibée. La police d'Anvers, qui est bien faite, (M. le ministre des travaux publics en sait quelque chose).... (interruption), la police d'Anvers veille à ce que les marins n'aient pas de couteaux au côté ; il se peut qu'ils en aient en poche, les militaires et les bourgeois peuvent en avoir aussi, la police n'a pas à fouiller les poches et à rechercher les armes non apparentes.
J'ai une dernière remarque à faire. On a constaté l'hostilité unanime qui se manifeste contre le port d'armes des militaires en dehors du service ; le port de l'arme nuit plus à l'armée qu'il ne sert aux soldats ; aussi, à mon avis, M. Coomans, adversaire des armées permanentes, a le plus grand tort de le combattre, car le port de l'arme est le plus grand auxiliaire sur lequel il puisse compter pour coopérer au succès de la thèse qu'il défend.
Les adversaires des armées permanentes ne feront que s'accroître aussi longtemps que les militaires porteront leurs armes en dehors du service.
Je n'en dirai pas davantage sur ce point en ce moment, je me réserve d'examiner l'enquête, et j'espère que l'opinion de l'honorable général Renard n'est pas définitive et que, comme le général Chazal, il comprendra que c'est une question qui mérite examen, qui mérite l'expérience que proposait la commission de 1862.
Il est un autre point dont brièvement je désire entretenir la Chambre.
Au mois de janvier dernier, lors de l'entrée du général Renard aux affaires, il nous a apporté, à nous Anversois, comme don de joyeux avènement, l'annonce de la démolition de la citadelle du Sud, ainsi que de la transformation de la citadelle du Nord.
Il y a un an, à la fin de la session dernière, M. le ministre des finances nous a annoncé qu'une commission, composée de délégués des divers départements, était instituée pour examiner la question de l'appropriation des terrains occupés par la citadelle du Sud, comme conséquence de son remplacement par des fortifications sur la rive gauche.
J'ai demandé alors à M. le ministre des finances de vouloir bien joindre à l'examen des questions qu'étudieraient lui et son collègue de la guerre celle de savoir si le fameux mur crénelé qui, dans l'opinion de M. le général Renard, devait remplacer les fronts intérieurs de la citadelle du Nord, ne pouvait être supprimé lui-même, comme le seront ces fronts.
M. le ministre des finances (il était ce jour-là dans d'excellentes dispositions) a promis d'examiner cette dernière question avec les autres. Aujourd'hui que j'en entretiens de nouveau la Chambre, j'espère que les dispositions n'auront pas changé.
Lors de l'examen du budget de la guerre en section centrale, des questions ont été posées au chef de ce département qui y a répondu ; questions et réponses remontent au mois de décembre dernier.
M. le ministre de la guerre répondait à cette époque que l'appropriation de la citadelle du Sud et les fortifications à étendre sur la rive gauche étaient toujours à l'étude.
Quant à la citadelle du Nord, on ne lui avait pas posé de question.
Je profite de la discussion de son budget pour lui demander si pendant les trois ou quatre mois qui se sont écoulés depuis le dépôt du rapport de la section centrale, il n'a pu aboutir ; si les plans des travaux de la rive gauche et de l'appropriation de la citadelle du Sud ne sont pas terminés en ce moment et si, d'un autre côté, les questions relatives à la citadelle du Nord, suppression des fronts intérieurs, remplacement ou non-remplacement de ces fronts par un mur crénelé, ne sont pas décidées dans l'esprit de l'honorable ministre de la guerre.
MgRµ. - J'ai trop de respect pour la Chambre et pour l'opinion publique pour ne pas m'efforcer, autant qu'il est en mon pouvoir, de ramener à l'armée la bienveillance qu'on semble vouloir lui enlever après les récits dont les journaux ont retenti à propos de faits qui se seraient passés entre bourgeois et militaires.
L'honorable M. Hymans vous a fait connaître les dispositions que M. le général Chazal avait prises pour empêcher le mal qu'on signalait à cette époque.
Eh bien, toutes les circulaires qu'il vous a lues, ajoutées à d'autres de 1863, toutes ces circulaires, dis-je, sont encore en vigueur ; non seulement les hommes sont privés de l'arme pour ivresse alors même qu'ils n'ont pas commis de violences, mais on leur refuse toute permission.
Le port de l'arme leur est interdit pour un temps illimité et le département de la guerre seul a le droit de les relever de cette punition.
Cette défense d'accorder des permissions aux militaires qui ont été privés du port de l'arme a encore été maintenue par une circulaire du 16 novembre 1865.
En faisant le relevé des faits reprochés à l'armée, on remarquera que le nombre en diminue chaque année.
On a dit avec raison que, tant qu'il y aurait des actes répréhensibles, il fallait les réprimer, et moi-même, messieurs, je suis prêt à prendre toutes les dispositions possibles pour y arriver.
J'examinerai donc avec beaucoup d'attention les objections qui viennent d'être présentées ; mais je dois dire à la Chambre qu'à tort ou à raison tous les chefs de l'armée sont unanimes à reconnaître que la suppression du port de l'arme d'une manière générale aurait le plus fâcheux effet si elle était ordonnée, à la suite de réclamations évidemment empreintes d'une extrême exagération, et pour lesquelles la presse montre trop de condescendance.
C'est ce qui ressort de l'enquête qui a été faite, enquête que je suis prêt à déposer sur le bureau de la Chambre si on le désire. (Oui ! oui !)
Dès à présent toutefois je demande la permission d'en citer quelques extraits.
La première question était celle-ci :
« Quelle influence morale pourrait exercer sur l'armée la mesure du désarmement ? »
Voici les réponses que les différents chefs de corps ont faites à cette question.
Premier régiment de ligne : « Funeste, décourageante, surtout parce que c'est une large satisfaction donnée aux réclames de la presse. »
M. Coomans. - Mais c'est un langage turc cela !
MgRµ. - On me demande l'enquête ; je la donne telle qu'elle est. Elle date de 1862. C'est un langage turc, dites-vous. Non, c'est l'expression fidèle de la pensée, du colonel du 1er régiment de ligne.
M. Rogierµ. - Il avait parfaitement le droit de dire ce qu'il pensait de la mesure.
MgRµ. - Voici l'opinion du colonel du 9ème de ligne :
« Regrettable ; affaiblirait les sentiments de légitime orgueil que le soldat a de sa position. »
Voulez-vous que je vous lise d'autres réponses encore ?
- Quelques voix. - Non ! non !
M. Coomans. - Il me semble que c'est très intéressant.
MgRµ. - Vous voyez donc, messieurs, que la question est très délicate. Il est de toute impossibilité, en présence du sentiment qui règne dans l'armée, de venir, pour quelques faits isolés et en très petit nombre, frapper d'honnêtes gens qui se croiraient humiliés si on leur enlevait leur arme.
Tâchons d'y arriver progressivement, mais ne prenons pas brusquement une pareille mesure qui serait considérée actuellement comme un déshonneur pour ceux qui en seraient l'objet.
L'honorable M. Coomans a trop d'esprit pour n'avoir pas compris ce que j'ai entendu dire quant à la justice dans l'armée. On parlait de l'inégalité du sort, et comme l'honorable membre invoquait la justice, je lui ai répondu : Où est la justice dans l'armée ; c'est-à-dire où est l'égalité ? Et, en effet, messieurs, comment voulez-vous que l'égalité existe entre des militaires dont on exige des aptitudes différentes ? Il est évident qu'on ne peut pas former un cavalier, un artilleur en aussi peu de temps qu'un fantassin. Dans ma pensée donc, le mot « justice » signifiait égalité. Personne, je crois, n'a pu s'y tromper.
Il s'agissait ici du temps de service. (Interruption.) il faut une armée, et il a été parfaitement démontré qu'une armée de volontaires est (page 697) impossible. Si vous voulez établir l'égalité dans l'impôt, enrôlez tout le monde et donnez la même durée au service dans les différentes armes.
L'honorable M. Vleminckx a parlé de la nécessité d'augmenter les pensions militaires.
L'honorable membre sait très bien que, soldat moi-même, mon plus grand bonheur serait de voir améliorer le sort de mes anciens camarades ; mais la solution de cette question ne dépend pas de moi seul.
Quant aux casernes, il est très vrai que dans certaines villes nos troupes sont pitoyablement logées. Ici encore le remède qu'indique l'honorable M. Vleminckx est un remède utile ; il voudrait que les casernes fussent construites et entretenues par l'Etat.
Mais cela occasionnerait des dépenses considérables. Cependant, je ne perds aucune occasion pour tâcher d'améliorer la situation. Ainsi, à Tournai, le démantèlement de la citadelle me fournira probablement le moyen de faire des arrangements qui auront pour résultat d'améliorer sensiblement le casernement de la garnison.
Toutes les villes qui possèdent des garnisons ne devraient négliger aucun effort pour bien loger les soldats qui dépensent chez elles leur argent et qui sont utiles à leurs intérêts.
L'honorable M. Vleminckx s'est beaucoup étendu sur la réponse faite par le département de la guerre au sujet de l'assainissement de notre littoral. Franchement, je n'avais pas bien compris la question. D'après l'explication qu'il vient d'en donner, il s'agirait ainsi du littoral tout entier. A ce compte, je n'apercevrais pas ce que le département aurait à faire ; nous avons cru qu'il ne s'agissait que de l'assainissement des environs de nos casernes, et nous trouvions que le moyen d'y parvenir, c'était de rehausser le sol qui les entoure.
L’honorable M. Jacobs a pensé qu'on devait punir les soldats, non en les privant du port d'armes, mais en leur infligeant d'autres punitions, la prison, le cachot, etc. Messieurs, nous avons déjà dans notre armée 2,000 punitions de cachot ou de prison ; eh bien, ce nombre s'augmenterait encore, si l'on appliquait le système de l'honorable membre.
Je l'ai déjà dit, beaucoup de soldats se sentent humiliés de ne pas avoir leur arme à leur côté, et préféreraient le cachot à la privation du port d'arme.
Quant à la citadelle du Sud et à la citadelle du Nord, le gouvernement maintient les déclarations qu'il a faites l'année dernière à la Chambre : il maintient les projets relatifs à la rive gauche, les projets relatifs aux forts de l'Escaut ; tous ces projets sont faits ; l'exécution dépend d'une seule chose : la vente de la citadelle du Sud.
M. Mullerµ. - Messieurs, l'honorable ministre de la guerre a fait, à une demande d'explication de M. Kervyn de Lettenhove, une réponse qui, dans mon opinion, ne doit être acceptée qu'avec des réserves formelles. Mon honorable collègue avait signalé une circulaire du département de la guerre, dans laquelle on a cru pouvoir assimiler au temps de service de certains corps spéciaux la durée du service actif des carabiniers et des grenadiers.
Mais il ne résulte, en quoi que ce soit, du rapport fait par l'honorable M. Van Humbeeck sur les lois du 6 avril 1868, que les carabiniers et les grenadiers, qui sont confondus dans le budget parmi les troupes ordinaires d'infanterie, puissent être, quant à la durée de présence sous les armes, mis sur la même ligne que certains corps spéciaux, et qu'ils soient légalement tenus de rester trois ans au régiment.
Dans ma conviction, la circulaire de M. le ministre de la guerre a été tout à fait au delà des explications qui avaient été données à la Chambre lors du vote des lois que je viens de rappeler ; et ce qu'il y a de singulier, c'est que dernièrement, il y a à peu près trois mois, la section centrale chargée de l'examen du projet de loi sur la milice a demandé au gouvernement s'il ne serait pas possible d'indemniser d'une manière spéciale les militaires dont la durée de service est plus longue que celle des fantassins ordinaires. Nous avons soumis alors, pour l'évaluation de la dépense, des calculs que M. le ministre de la guerre a trouvés très insuffisants, et dont il s'est attaché à rectifier les omissions.
Or, ce qui résulte de la note détaillée qui a été transmise à la section centrale, c'est que la cavalerie, les batteries à cheval, les batteries montées et la division du train doivent servir quatre années ; l'artillerie de siège, les pontonniers, les artificiers et le génie, trois années. Dans cette note on ne fait aucune distinction entre les grenadiers et carabiniers et les autres soldais de l'infanterie.
MgRµ. - C'est une erreur de ma part.
M. Mullerµ. - C'est une erreur de votre part ! Elle est un peu tardivement reconnue, et il vaudrait mieux qu'il n'y eût pas erreur,
MgRµ. - Cela se trouve dans toutes les circulaires.
M. Mullerµ. - Vos circulaires ne s'appuient pas sur la loi, telle qu'elle avait été expliquée avant le vote de la Chambre. Vous allez beaucoup plus loin, selon moi, que la décision prise par la majorité, lorsqu'elle vous a accordé ce que vous lui demandiez. Et remarquez cette conséquence : c'est que, d'après l'opinion qu'exprime aujourd'hui M. le ministre de la guerre, nous aurions deux régiments de plus, celui des carabiniers et celui des grenadiers, qui seraient astreints à un service beaucoup plus long que celui de l'infanterie.
Or, telle n'a pu être la pensée de la section centrale dont l'honorable M. Van Humbeeck a été rapporteur, ni celle de la législature ; je dois combattre également cette interprétation abusive, au nom de la section centrale qui a examiné le projet de loi sur la milice. C'est à ce dernier point de vue que j'ai pris la parole, pour que les explications qui ont été données par M. le ministre de la guerre ne parussent pas rencontrer une adhésion non contredite sur les bancs de la Chambre.
- Des membres. - A demain !
M. Hayezµ. - Je n'ai que quelques mois à répondre.
Je n'ai pas dit, comme le prétend M. le ministre, que les officiers instruits fussent dangereux pour l'armée. Jamais cette pensée ne m'est venue. J'ai dit seulement, et je répète, que si, dans une armée, on n’'avait que des savants pour officiers, cette armée ne serait pas une bonne armée en tant qu'armée. cette opinion est peut-être fausse ; mais elle est consciencieuse.
Je suis heureux d'apprendre de la bouche même de M. le. ministre de la guerre que le mot « frondeur » sonne mal à ses oreilles, et j'espère que la déclaration qu'il a faite à la Chambre ouvrira une ère nouvelle pour le corps des officiers.
Je ne me suis pas plaint de la suppression des chevaux pour les officiers des batteries de siège. J'ai constaté un fait écrit dans le budget de la guerre ; et j'ai ajouté que, si l'on avait pu supprimer les chevaux des officiers des batteries de siège, on pourrait à plus forte raison supprimer ceux accordés à d'autres officiers qui en ont moins besoin qu'eux. Il est facile de se convaincre que des officiers n'ont de chevaux que pour la promenade.
Quant au crédit de l'article 21, alloué pour l'entretien et les menues constructions nouvelles des places fortifiées, je reconnais parfaitement avec M. le ministre que des cas fortuits peuvent se présenter qui nécessiteraient la demande de nouveaux crédits, pour réparer, par exemple, des désastres causés par des ouragans ; mais il ne s'agit pas de ces accidents qu'on ne peut prévoir. On a dépensé parfois pour une place 50,000 ou 60,000 fr. de plus qu'on ne demandait au budget ; le fait a en lieu pour Termonde, et voilà ce qu'il faudrait éviter. Quand il s'agit de sommes de cette importance, je voudrais qu'on déclarât franchement : Je fais à cette place tel et tel travail.
J'ai parlé, messieurs, des anomalies qui se présentent dans la mise à la pension des officiers ; M. le ministre me répond qu'on prolonge quelque fois le temps de service d'un officier pour lui permettre d'atteindre le maximum. Certes, ce n'est pas moi qui me plaindrai de cette petite douceur ; mais toutes les faveurs de cette nature que l'on accorde à l'un ne se donnent qu'au détriment des autres ; ainsi, lorsque vous accordez six mois de prolongation à un officier, celui qui doit le remplacer peut avoir besoin lui-même de ces six mois pour atteindre ses dix ans de grade, et on l'en prive. C'est pourquoi je voudrais que l'on fût inflexible ; l'heure fatale sonnée, l'officier doit être mis à la pension.
J'ai sous les yeux l'annuaire dans lequel j'ai annoté l'âge des officiers placés en tête des catégories auxquelles ils appartiennent par leur grade, et j'ai vu des anomalies très grandes, que je ne m'explique pas. Parmi les officiers du même grade, il y en a que l'on pensionne rigoureusement lorsqu'ils sont arrivés à la limite d'âge prescrite, tandis que d'autres, plus âgés, sont maintenus en activité, et, cependant, je ne les ai vus figurer dans aucun arrêté royal, comme le prescrit l'arrêté de 1855.
Je suis donc en droit de dire que ces officiers sont maintenus illégalement.
Il a été question aussi de deux officiers d'artillerie qui n'ont, d'après l'Annuaire, que neuf mois de service dans l'artillerie. Ces officiers ont servi dans l'infanterie ; je ne trouverais pas mauvais qu'on leur comptât leur service, dans cette arme, mais deux objections se présentent : la première, c'est que l'arrêté qui admet les officiers d'autres armes dans l'artillerie prescrit positivement que leur ancienneté comptera à dater du jour de leur admission dans cette arme.
La seconde, c'est que l'on ne suit pas la même règle dans toutes les (page 698) admissions ; ainsi huit officiers d'infanterie admis à l’ école pour l'artillerie au mois de mai, je crois, ne comptent leur ancienneté qu'à partir du mois d'octobre et se trouvent ainsi classés après une promotion d'élèves de l'école.
Ainsi donc il paraît que pour les uns on tient compte des services dans l'infanterie, pour les autres on en fait abstraction, en partie du moins.
Je désirerais être renseigné et ne demande pas mieux que d'être convaincu de la justice des actes posés.
Je termine, messieurs, en demandant à M. le ministre de la guerre s'il ne pourrait pas communiquer à la Chambre les plans arrêtés pour la transformation de la place d'Anvers.
- La discussion générale est close.
La séance est levée à 5 heures.