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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 13 avril 1869

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1868-1869)

(Présidence de M. Dolezµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 677) M. Reynaert, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart ; il lit le procès-verbal de la séance du 19 mars dernier, dont la rédaction est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Moor, secrétaireµ, présente l'analyse des pièces qui ont été présentées à la Chambre :

« Le sieur Pairoux, ayant été débouté de ses réclamations en justice contre un entrepreneur de travaux publics, demande l'autorisation de recommencer ses poursuites. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Marx demande la révision de la Constitution et l'établissement immédiat du suffrage universel. »

- Même renvoi.


« Le sieur Durieux propose des mesures pour améliorer la position des gendarmes. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Tintigny prient la Chambre d'abroger ou du moins de modifier la loi du 7 ventôse an XII sur la police du roulage. »

- Même renvoi.


« La dame Dosogne, veuve du gendarme pensionné Hourdisse, demande une indemnité, à titre de secours. »

- Même renvoi.


« La veuve Limbourg se plaint de l'incorporation de son fils, milicien de 1865, et demande qu'il soit exempté du service. »

- Même renvoi.


« Le sieur Fellaës demande le concours pécuniaire du gouvernement pour la création d'une carte figurative du degré relatif d'instruction primaire des communes en Belgique. »

- Même renvoi.


« Le sieur Marquet, milicien de la classe de 1869, réclame contre son incorporation dans le service actif. »

- Même renvoi.


« Des commerçants, industriels et contribuables de la ville et de l'arrondissement d'Ypres prient la Chambre de porter uniformément à dix centimes la taxe pour le transport des lettres à l'intérieur du royaume. »

- Même renvoi.


« Les membres du conseil communal de Jemmapes demandent la prompte exécution du chemin de fer de Saint-Ghislain à Ath. »

M. Descampsµ. - Je demande le dépôt de cette pétition sur le bureau pendant la discussion du budget des travaux publics.

- Adopté.


« Le conseil communal de Marche demande la reprise par l'Etat du chemin de Marche à Havelange, avec son redressement et son empierrement sur tout le parcours. »

« Même demande des conseils communaux d'Heure, Porcheresse, Miécret, Jeneffe, Evelette, Havelange et d'habitants de Barvaux-Condroz. »

- Renvoi a la commission des pétitions.


« Le sieur Rosiers appelle l'attention de la Chambre sur les dangers des manipulations d'ingrédients chimiques sous les locaux destinés à la bibliothèque royale du Musée. »

- Même renvoi.


« Les bourgmestre, échevins, conseillers communaux et des négociants à Beernem réclament l'intervention de la Chambre pour obtenir l'agrandissement de la station à Bloemendael. »

« Même demande des bourgmestre, échevins, conseillers communaux et négociants de Ruddervoorde, Saint-Georges et Wyngene. »

M. de Clercqµ. - Je demande le dépôt de ces pétitions sur le bureau pendant la discussion du budget des travaux publics.

- Adopté.


« Par deux pétitions, des habitants de Liège demandent la suppression du cens comme base du droit de vote dans les élections, et par suite la révision de l'article 47 de la Constitution. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Van Hoorebeke transmet une nouvelle dissertation au sujet de la position dans laquelle il continue d'être maintenu. »

- Même renvoi.


« Les sieurs d'Andrimont et Del Marmol, président honoraire et secrétaire du comité permanent de l'association des charbonnages, mines et usines métallurgiques de la province de Liège, présentent des observations contre le projet de loi sur les livrets d'ouvriers. »

« Mêmes observations des directeurs de charbonnages du couchant de Mons, des exploitants du bassin houiller du Centre, du sieur Constant, des sieurs Goret et Stainier, président et secrétaire de l'association charbonnière du bassin de Charleroi et de la vallée de la Sambre. »

M. Lelièvreµ. - Je demande que la pétition soit renvoyée à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur le livret des ouvriers.

- Cette proposition est adoptée.


« Les sieurs Leclercq et Parisel, président et secrétaire du conseil administratif de la société agricole du Brabant, prient la Chambre d'augmenter les crédits demandés au budget de l'intérieur en faveur de l'agriculture. »

- Renvoi à la commission chargée d'examiner le budget de l'intérieur.


« Les sieurs Verhaeghe et de Clercq, président et secrétaire du cercle industriel et commercial de Gand, prient la Chambre de consacrer, dans la révision du titre VI du code de commerce, les principaux principes de la loi française du 23 mai 1865. »

- Renvoi à la commission pour la révision du code de commerce.


« Le sieur Jules-Théodore Lautenstrauch, négociant à Anvers, né à Cologne, demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« La dame Barbe Hachenburg, veuve de Joseph Hecht, rentière à Bruxelles, née à Manheim, demande la naturalisation ordinaire. »

- Même renvoi.


« M. le ministre de la justice adresse à la Chambre deux exemplaires des nouveaux volumes publiés par la commission royale des anciennes lois et ordonnances de. la Belgique. »

- Dépôt à la bibliothèque.


« M. le secrétaire-trésorier du comice agricole d'Arlon-Messancy adresse à la Chambre, au nom de M. le président, cinq exemplaires du compte rendu de la séance du comice, en date du 18 février 1869. »

- Même décision.


« Le collège des bourgmestre et échevins de la ville d'Anvers adresse à la Chambre 150 exemplaires d'une brochure intitulée : Examen fait par l'administration communale des nouveaux projets du département des travaux publics concernant les installations du chemin de fer dans les établissements maritimes. »


« M. le ministre de l'intérieur adresse à la Chambre un exemplaire des recueils des procès-verbaux de la Flandre occidentale, et du Hainaut, session de 1868, et un annexe à l'Exposé de la situation administrative de cette dernière province. »


« M. E. Bochart adresse à la Chambre 126 exemplaires de sa conférence à Liège et à Seraing. »

- Distribution aux membres et dépôt à la bibliothèque.


« Le sieur Van Hoorebeke adresse à la Chambre 121 exemplaires de son opuscule : Palamède et Procope. »

- Distribution aux membres de la Chambre.


« M. Bouvier, obligé de s'absenter, MM. Lange et Nothomb, retenus par une indisposition, demandent un congé. »

- Ces congés sont accordés.

Projet de loi portant le budget de la dette publique de l’exercice 1870

Rapport de la commission

M. Descampsµ. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer le rapport de la commission qui a été chargée d'examiner le budget de la dette publique pour l'exercice 1870.

- Impression, distribution et mise à la suite de l'ordre du jour après les autres budgets.

Projet de loi portant le budget du ministère de la guerre de l’exercice 1869

Discussion générale

M. le président. - La discussion générale est ouverte.

M. Hagemansµ. - Messieurs, lorsque dernièrement nous eûmes à examiner de nouveau le budget de la justice dans cette Chambre, l'honorable M. Coomans souleva une question importante, la question du port de l'arme par les militaires hors du temps de service.

Malheureusement le moment était peu opportun, et j'en suis certain, l'honorable M. Coomans le reconnaîtra lui-même, suivant en cela les conseils et l'exemple de son honorable ami M. Dumortier, il parlait quelque peu (page 678) pour parler, sans grand espoir de succès et n'ayant en vue que de prolonger la discussion.

La question soulevée en ce moment par M. Coomans ne pouvait en effet aboutir : M. le ministre de la guerre, retenu par une grave maladie, n'était pas au banc ministériel, et les esprits préoccupés d'autres pensées ne permirent pas à M. le ministre de l'intérieur de répondre en son lieu et place.

Aujourd'hui il n'en est plus de même, et je crois que la question mérite d'être sérieusement examinée.Il1 y a longtemps du reste que j'avais l'intention de la soumettre à la Chambre ; je l'aurais même fait beaucoup plus tôt, si je n'avais été retenu par certaines considérations.

Cette question, je l'avais soulevée déjà en effet en section lorsque nous eûmes à y examiner le budget de fa guerre. Je fis alors quelques observations sur le danger et l'inutilité de permettre aux militaires de se promener armés hors du temps de service. Je me souviens qu'un honorable collègue me fit même remarquer que, si justes que pouvaient être mes observations, elles avaient néanmoins peu de chance de succès.

Je ne désespère pas cependant et je veux à tout hasard tenter un nouvel effort afin d'obtenir de l'honorable ministre de la guerre des mesures que je crois indispensables pour la sécurité des citoyens.

Il n'y a pour ainsi dire pas de jour que les journaux n'aient à relater quelques excès nouveaux commis par des militaires armés. A chaque instant, nous apprenons que des soldats ont dégainé leur sabre et tailladé de paisibles bourgeois.

L'honorable ministre de la guerre me répondra, sans doute, que les journaux ont beaucoup exagéré. Je serai, en tous cas, heureux de lui avoir fourni l'occasion de le démontrer et de rassurer ainsi les esprits ; mais je crains fort qu'il ne lui soit très difficile de nier l'exactitude de tous les faits rapportés.

Au reste, n'y en eût-il eu qu'un seul, il me semblerait suffisant pour provoquer des mesures préventives.

Dans les musées on prend, pour sauvegarder les œuvres de nos grands maîtres, des précautions parfois même quelque peu vexatoires. On exige au vestiaire le dépôt de cannes inoffensives, de parapluies qui n'ont aucune intention coupable, d'innocentes et timides ombrelles. Là aussi, à ce que je crois, MM. les militaires sont obligés de déposer leurs armes.

M. Coomans. - Non, non.

M. Jacobsµ. - Cela devrait être.

M. Coomans. - Ils ont un privilège.

M. Hagemansµ. - J'ai dit simplement que je le croyais, sans en être toutefois certain.

M. Jacobsµ. - Les militaires sont privilégiés.

M. Hagemansµ. - Enfin n'importe, mais admettant que les mesures de précaution que l'on prend pour sauvegarder les œuvres de nos grands maîtres sont bonnes, il me semble que ce que l'on fait pour celles-ci on pourrait, à plus forte raison, le faire pour la sécurité des citoyens, exposés à recevoir des coups de sabre, sans pouvoir même se défendre, n'ayant pas le droit, eux, de porter des armes.

M. le ministre, de la guerre me répondra sans doute qu'enlever l'arme aux soldats hors du temps de service serait une mesure capable d'exciter de graves mécontentements dans l'armée et que ce serait enlever à celle-ci de son prestige.

Je ne pense pas que cette mesure doive provoquer ce mécontentement, mais si on ne la prend pas, on risque fort, je le crains, de provoquer un mécontentement bien plus grand, bien plus légitime de la part des citoyens qui ne font pas partie de l'armée. Et entre ces deux mécontentements il me semble que le choix n'est pas difficile, qu'on ne peut pas hésiter. La masse de la nation ne doit pas être sacrifiée au bon plaisir de quelques-uns.

Quant à ce qui est du prestige militaire, je ne vois pas ce qu'un sabre puisse y ajouter en plus ou en moins. D'autres insignes distinguent suffisamment le militaire du bourgeois, et je ne sache pas, par exemple, que les soldats d'infanterie perdent beaucoup du prestige qu'ils pourraient avoir en ne se promenant pas, hors du temps de service, avec leur fusil. Or, si le fusil n'est pas nécessaire, je ne vois pas que le sabre le soit davantage.

J'admettrais que MM. les officiers et sous-officiers pourraient être blessés dans le sentiment de leur dignité, si défense leur était faite de sortir armés. Mais ici cette défense est inutile.

M. Coomans. - Non, elle n'est pas inutile.

M. Hagemansµ. - L'éducation, l'instruction qu'ils ont reçue est, me paraît-il, un frein suffisant pour que cette arme ne soit pas un danger permanent entre leurs mains. D'ailleurs il est à remarquer que ces messieurs se débarrassent le plus souvent possible de cet insigne gênant, sans préjudice à leur dignité ; et M. le lieutenant général Renard lui-même ne perd rien de son prestige, me paraît-il, parce qu'il n'a pas toujours le sabre au côté.

Chez le simple soldat, le prestige ne sera ni plus ni moins grand, qu'il ait une arme ou qu'il n'en ait pas. Mais le danger sera plus grand, car lui qui n'a pas toujours reçu une éducation aussi soignée, et qui se grise parfois, peut dans quelque querelle de cabaret, provoquée par lui ou par d'autres, tirer son sabre et être cause de grands malheurs. Il est mauvais de donner au militaire cette grande tentation de se servir de l'arme que vous lui laissez.

Je le répète, je ne puis croire au mécontentement de l'armée : ce mécontentement ne serait pas légitime. Je ne crois pas non plus que la mesure puisse faire perdre de son prestige à l'armée.

Mais en tous cas il ne faut pas oublier que cette armée a beaucoup d'adversaires ; or, donner satisfaction à ceux qui se plaignent et réclament à juste titre, selon moi, serait une mesure qu'on verrait de bon œil et qui produirait un excellent effet.

Puisque j'ai la parole, qu'il me soit permis, messieurs, d'ajouter quelques observations sur un autre sujet.

J'ai l'honneur de représenter dans cette Chambre un arrondissement essentiellement agricole et où les bras manquent souvent. Je dois remercier l'honorable ministre de la guerre de la bienveillance qu'il ne cesse de montrer en accordant autant de congés qu'il le peut.

Malheureusement, il est un moment où ces congés il ne peut plus les accorder : au mois de septembre quand les troupes vont au camp. Or c'est précisément le moment où les campagnes ont le plus besoin de bras, puisque c'est le temps de la moisson. Dans l'intérêt de nos cantons, je demanderai donc à l'honorable ministre s'il n'y aurait pas moyen de fixer les exercices du camp à une autre époque. Ce serait d'ailleurs préférable pour la santé du soldat, car, au mois de septembre, ou il fait très chaud ou il pleut, deux choses nuisibles au point de vue hygiénique pour les troupes, tandis que durant ce même mois là présence des militaires serait très utile dans leurs familles.

M. Lelièvreµ. - A l'occasion de la discussion du budget de la guerre, je crois devoir signaler au gouvernement la nécessité de déposer un projet de loi sur la procédure en matière pénale militaire. Déjà l'on a fait droit aux légitimes réclamations en ce qui concerne le code pénal ; mais c'est surtout le mode d'instruction qui est vicieux en cette partie. C'est donc le code de procédure militaire qui doit être mis en harmonie avec nos institutions.

Aujourd'hui, l'auditeur militaire est tout à la fois procureur du roi, juge d'instruction et greffier ; il assiste aux délibérations du conseil de guerre.

Il rédige le jugement et exerce une influence considérable sur la décision.

Le code en vigueur remonte à 1799. Il a été porté pour la Hollande et a été rendu commun aux provinces méridionales, lors de la formation du royaume des Pays-Bas.

Il est donc évident que nous avons besoin d'un code nouveau, mieux approprié à nos mœurs et à notre législation.

D'un autre côté, les délits du droit commun, qui peuvent être commis par des militaires, réclament des dispositions nouvelles en harmonie avec les principes de notre législation.

Je signale, en conséquence, cet objet important à l'examen du gouvernement.

Je crois aussi devoir appeler de nouveau l'attention du ministre sur la position des officiers pensionnés qui, depuis si longtemps, réclament une amélioration de position. La situation qu'ils subissent n'est plus tolérable, et il est réellement pénible de voir de vieux serviteurs du pays réduits à une position voisine de l'indigence.

Il est temps de prendre à leur égard des dispositions dont personne ne méconnaîtra la justice. Cette question est agitée depuis longtemps. Il importe de la résoudre d'une manière définitive.

Je termine par une observation sur laquelle j'appelle la sollicitude de M. le ministre de la guerre. Les majors d'artillerie en résidence réclament, depuis une époque qui se reporte à plusieurs années, des dispositions qui améliorent leur position. Ils demandent à être assimilés aux autres majors de l'armée, sans qu'il en soit fait une catégorie à part.

Ils réclament les mêmes avantages.

La section centrale s'est exprimée en ce sens en 1868, mais le gouvernement n'a pas encore jugé convenable d'adopter une mesure qui est de toute équité.

Déjà précédemment notre honorable collègue, M. Vleminckx, a appelé sur ce point l'attention du gouvernement. J'unis avec plaisir mes efforts aux siens pour faire triompher un système conforme aux principes de justice.

(page 679) M. Hayezµ. - Messieurs, tous les projets de loi relatifs à l'armée, présentés à la Chambre l'année dernière, ayant été votés a une grande majorité, le budget de 1869 recevra sans aucun doute le même accueil ; il ne reste plus aujourd'hui qu'à laisser parler l'expérience ; elle fera apprécier l'opportunité qu'il y avait à augmenter, comme on l'a fait, nos charges militaires.

Je me bornerai, en conséquence, à rappeler, en peu de mots, les observations que j'ai faites sur les budgets antérieurs à celui-ci, et dont, chose facile à prévoir, il n'a été tenu aucun compte ; je les rappellerai parce que je les crois fondées et de nature à apporter des améliorations à l’état actuel des choses.

Mais auparavant je constaterai, d'accord avec la section centrale, que le chiffre de l'augmentation des dépenses pour 1869 n'est pas, comme le dit la note préliminaire du budget, (erratum, page 698) de 43,200 fr. mais bien de 102,388 fr. puisque l'année 1868 était bissextile. En 1868 l'armée a coûté 100,660 fr. par jour, elle en coûtera 101,054 en 1869, ce qui fait une augmentation d'environ 400 fr. par jour.

Ma première observation est relative au chiffre global du budget : je pense très sincèrement que, sans compromettre le moins du monde notre nationalité, il pourrait être réduit de 10 à 12 millions au moins. Ce n'est pas l'avis de la majorité ; l'avenir prouvera de quel côté sont les opinions les plus avantageuses au pays et l'on verra, peut-être avant peu, triompher une fois de plus celles de la minorité.

Une des premières économies à faire devrait porter sur le nombre des employés, tant civils que militaires, du département de la guerre. En 1836 il y avait 16 employés civils ; aujourd'hui il y en a 30 de plus. Alors 25 officiers étaient jugés suffisants pour le travail relatif à l'armée sur grand pied de guerre ; on en compte aujourd'hui 120 environ, dont une moitié, peut-être, est occupée par les travaux topographiques ; et dans cette moitié je ne compte ni des comptables et des gardes du génie, et de l'artillerie, ni les sous-officiers détachés des régiments.

Le plus grand inconvénient d'un nombreux personnel des bureaux ne réside pas dans la dépense qu'il occasionne, mais dans le surcroît de, travail inutile imposé, comme conséquence nécessaire, aux chefs de corps et à tous les officiers exerçant un commandement ; pour dissimuler son inutilité, chaque employé invente, au besoin, un petit état à envoyer par les chefs de service et à classer dans les cartons du ministère ; si bien que, d'état en état, il arrive que la meilleure partie du temps des officiers à compter du grade de capitaine est absorbée par un travail de bureau, A moins qu'ils n'abandonnent à leur sergent-major ce travail dont eux seuls sont responsables.

Depuis de longues années déjà, on s'élève contre les complications de notre comptabilité militaire et plusieurs de nos officiers généraux, qui partageaient cette opinion, sont arrivés à la direction du département de la guerre. Pourquoi n'ont-ils rien fait pour réduire la masse énorme des paperasses exigées ? Est-ce parce qu'ils ont reconnu qu'elles étaient nécessaires ? Nullement ; mais ils ont rencontré dans leurs chefs de service, ayant acquis presque tous leurs grades dans le même poste, incarnés depuis de longues années à leurs bureaux et trouvant plus commode de continuer leur routine établie, une résistance qu'ils n'ont pas eu la force de vaincre.

Et, les choses se perpétueront ainsi, aussi longtemps qu'on ne prendra pas la mesure générale et inflexible de replacer dans le service réellement actif, réellement militaire, les officiers recevant de l'avancement pendant qu'ils sont employés dans les bureaux. Ceux qui allégueraient des motifs de santé, pour rester dans leur position sédentaire, devraient faire le sacrifice de leur avancement, ou bien être mis en non-activité, comme il arrive pour les officiers de troupe.

Il y aurait plus d'un avantage à agir ainsi ; la justice distributive s'en trouverait bien et le chef du département s'affranchirait en partie et à la longue de l'espèce de tutelle que ses bureaux exercent sur lui.

D'un autre côté la multiplicité des employés a créé une centralisation excessive ; le ministre de la guerre pourrait à peine suffire à signer, sans les lire bien entendu, toutes les lettres expédiées chaque jour ; il en résulte, nécessairement, que tout est réglé, prescrit par le département de la guerre et que l'initiative des chefs de corps se trouve réduite à rien ; tous ont une grande crainte de mécontenter les bureaux, qu'ils savent tout-puissants, et dont ils invoquent les inspirations pour les moindres détails ; menés pour ainsi dire à la lisière, ils vont s'amoindrissant chaque jour davantage. C'est là un grand mal à mes yeux, un mal dont on ressentirait les graves conséquences si l'armée faisait campagne.

Cette centralisation excessive est-elle nécessaire dans un pays aussi petit que le nôtre, où les communications, aussi faciles que multipliées, donnent la faculté d'obtenir tous les renseignements désirables dans un très court idéal ? Je ne le pense pas.

Le moyen le plus efficace de rendre les chefs de corps à eux-mêmes, 'c'est de réduire, dans une notable proportion, le nombre des employés du ministère. Que pareille chose se fasse et l'on verra bientôt et du fait seul des employés maintenus, la suppression d'une quantité de paperasses inutiles ; ce sera un véritable bienfait.

Chaque employé désire augmenter le plus possible son importance, aussi la tyrannie que les bureaux exercent sur l'armée fait naître bien des mécontentements dont le chef du département est rendu responsable ; mais on se garde de murmurer tout haut ; l'expérience de tous les jours prouve que les observations les mieux fondées sont mal venues ; elle prouve que les bureaux ne reviennent jamais sur une décision prise ; un premier examen d'une affaire leur suffit, c'est le bon ; en revenir serait ce qu'ils appellent se déjuger, et porterait atteinte à l'infaillibilité qu'ils veulent bien se reconnaître.

Ils sont aujourd'hui maîtres au logis ; ceux qui composent ces bureaux croient, pour la plupart, que sans eux l'armée serait impossible ; de là leur morgue vis-à-vis de ceux qui viennent humblement exposer leurs réclamations. Et la manière dont les choses s'arrangent semble leur donner raison, car ils arrivent au ministère comme lieutenants ou capitaines, pour n'en sortir que généraux ou simplement colonels, s'ils n'ont pas d'ambition.

L'arrêté du 15 août 1848, pris pour les besoins du moment, et qui promettait la suppression prochaine des indemnités accordées aux officiers placés dans des positions spéciales, particulièrement au département de la guerre, cet arrêté n'a pas reçu son exécution ; bien plus, il a été rapporté par l'arrêté du 22 septembre 1853, formulé par ceux-là mêmes qui avaient un intérêt direct au maintien de l'ancien ordre des choses. Aujourd'hui, ils répondent à la section centrale que ces indemnités leur sont très légitimement dues, parce qu'ils ont des aptitudes toutes particulières et que leur travail est plus considérable que celui des autres officiers.

Je me plais à croire, messieurs, que notre armée compte un très grand nombre d'officiers capables de s'acquitter de toute espèce de travail qui leur serait imposé, et je me demande si les connaissances plus étendues et plus variées, les aptitudes spéciales sont bien le patrimoine à peu près exclusif des fils des généraux, ou des jeunes gens appartenant à des familles influentes de la capitale ?

Quant au travail extraordinaire qui leur est imposé à de très longs intervalles et dans des circonstances tout exceptionnelles, peut-il se comparer aux corvées périodiques qui poursuivent l'officier de troupe ?

Tandis que l'un se rend ààson bureau entre 9 et 10 heures, jour ou non et forme les faisceaux de midi A une heure, l'autre se trouve à la caserne à 6 heures du matin, quelquefois plus tôt ; tandis qu'il patauge dans la boue ou la neige, qu'il est obligé de rester dehors par tous les temps, son collègue est assis commodément dans un bureau bien chauffé en hiver, bien aéré en été. A 4 heures de relevée, l'officier du ministère est presque toujours entièrement libre ; l’officier de troupe continue son service toute la journée et on lui donne l'espoir que bientôt il trouvera l'emploi d'une partie de ses soirées dans la fréquentation de cours scientifiques. Est-il au moins certain de passer la nuit en repos ? Pas du tout ; survienne un incendie, une émeute, n'importe quoi ; l'autorité suppose-t-elle possible l'intervention de la troupe ; en avant troupier, courez à la caserne, préparez vos hommes à marcher et attendez patiemment les ordres qui vous seront donnés.

Je ne pousserai pas plus loin cette comparaison, toute à l'avantage des officiers sédentaires, et ils le savent parfaitement eux-mêmes, car ils se cramponnent à leur position. Tout le monde peut s'assurer de ce fait : un très grand nombre d'officiers de l'armée active ambitionnent une place dans les bureaux de la guerre ; aucun de ceux qui s'y trouvent ne sollicite que quand il y est absolument forcé, sa rentrée au régiment.

L'arrêté de 1853 est assez curieux à méditer et prouve une fois de plus la vérité de cet adage : quand on prend du galon on n'en saurait trop prendre. Cet arrêté, portant la date de fin de septembre, fait remonter la jouissance des indemnités au mois de janvier précédent ; il reconnaît, en outre, aux officiers employés au ministère un droit à l'avancement au choix, à cause des services spéciaux qu'ils rendent dans cette position.

Ainsi, gros appointements, avancement rapide, travail facile et réglé, garnison des plus agréables, voila les avantages qui leur sont accordés.

Lo département de la guerre apprend encore à la section centrale que les indemnités sont réglées de telle sorte que tous les officiers du même grade attachés à ses bureaux reçoivent les appointements attribués à l'état-major, selon le vœu de l'arrêté précité.

Y a-t-il justice en cela ? Tel n'est point mon avis ! D'après cette disposition, les officiers d'infanterie, qui paraissaient devoir arriver à composer (page 680) à eux seuls les bureaux, jouissent des appointements les plus élevés attribués à leur grade dans toutes les armes. Or, ils sortent de l'école militaire dans des conditions différentes, si on les compare aux officiers des armes spéciales ; leur avancement est plus rapide, c'est incontestable ; faut-il encore, lorsqu'ils parviennent à être employés au ministère, les gratifier d'un surcroît d'appointements ?

Ce système me paraît inventé pour dégoûter les élèves du désir d'être admis dans une arme spéciale, et pour éterniser, dans leur position, les officiers attachés au ministère de manière à les transformer, à la longue, en bourgeois revêtus d'un uniforme.

Que l'on dise à tous les officiers, n'importe leur arme, que leur traitement légal ne sera plus majoré, et je suis persuadé que pas un d'eux ne demandera à rentrer à son régiment.

Ceux qui convoitent les appointements les plus élevés n'ont qu'à piocher deux ans de plus comme ont. fait leurs camarades et non pas rechercher cet avantage en employant un détour.

Je voudrais, je le répète, la suppression de toute indemnité non justifiée par une dépense extraordinaire, obligée et constatée ; je le voudrais, parce que le prestige militaire est complètement détruit lorsqu'on permet a la spéculation d'envahir cette carrière ; et combien ne voit-on pas naître de vocations décidées pour tel ou tel emploi, du moment qu'une rémunération extraordinaire y est attachée ! Je le voudrais enfin, parce que l'octroi de ces indemnités constitue un véritable privilège, et que nous vivons à une époque et dans un pays où il ne doit pas y en avoir, c'est-à-dire, pour parler avec plus d'exactitude, où il ne devrait plus y en avoir, sous quelque forme qu'il se présente.

La loi d'organisation de l'école militaire alloue des indemnités à beaucoup de fonctionnaires de cet établissement ; cela n'a rien d'étonnant, car le promoteur de cette loi s'est toujours efforcé de placer ses sous-ordre dans une position tout exceptionnelle ; il lui fallait des serviteurs dévoués. Il me semble d'autant plus opportun d'apporter des modifications légales à cette loi, qu'elle n'est plus mise à exécution qu'avec des variantes soumises au bon plaisir du directeur, aussi bien pour la répartition des indemnités que pour le chiffre du personnel attaché à l'établissement.

La loi de 1838, fixant l'organisation de l'école militaire, est insuffisante pour les besoins actuels, est-il dit à la section centrale. Cette insuffisance prétendue ou réelle autorise-t-elle le département de la guerre à y apporter les modifications qu'il lui plaît ? Je ne le pense pas. Si la loi est surannée, qu'il propose d'y apporter des améliorations ; mais ces améliorations ne peuvent avoir force de loi qu'après l'approbation des Chambres, alors seulement. Qu'arriverait-il donc, messieurs, si l'un des officiers employés à l'école militaire avec le titre pompeux d'inspecteur des études, réclamait impérieusement l'indemnité intégrale de 600 fr. que la loi lui accorde d'une manière très positive, mais qui ne lui est plus payée, aujourd'hui, à cause de l'augmentation illégale du personnel ?

En bonne justice, il devrait être fait droit à cette réclamation ; mais elle n'est nullement à redouter ; d'abord, parce que les officiers se trouvent déjà très bien dotés avec l'indemnité réduite ; ensuite, parce que le réclamant serait, peu après le gain de sa cause, jugé n'avoir pas les connaissances assez étendues, assez variées, ni les aptitudes nécessaires au poste qu'il occupe ; il serait donc renvoyé à son régiment, signalé dans les états biographiques comme frondeur et récalcitrant, et devrait s'estimer fort heureux, si, après quelques années, il ne tombait pas sous l'application de la loi de 1836.

Quant à son avancement, il devrait en faire son deuil ; les qualifications : « frondeur » et « récalcitrant » le poursuivraient pendant toute sa carrière ; lorsqu'elles figurent une fois sur les états biographiques, elles y demeurent stéréotypées, c'est reconnu.

En vain l'on prétendra que les bons professeurs étant rares, il faut les attacher à leurs fonctions par des avantages pécuniaires. Les bons professeurs ne manqueront jamais, j'en suis assuré, et, en les tirant de l'armée, on se réserve une grande latitude dans le choix, par suite de la facilité que cette mesure offre de ne les prendre qu'à l'essai.

D'un autre côté, le grand nombre de nos officiers deviendra par la suite embarrassant, j'en ai la certitude, et il serait nécessaire de leur ménager dès à présent le plus de postes possible, pour n'être pas forcément amené à en envoyer un grand nombre en congé avec demi-solde, comme cela se pratique dans beaucoup d'armées.

Le renvoi à son régiment d'un officier, pris temporairement comme professeur, ne peut imprimer une marque de déconsidération à cet officier ; tous ceux qui ont étudié savent parfaitement qu'il ne suffit pas d'être savant pour constituer un bon professeur ; c'est la méthode d'enseignement qui fait les bons élèves et, par-dessus tout, l'art de leur inspirer le goût du travail.

Il y a encore d'autres indemnités dont j'ai parlé en 1867 et 1868 ; je résumerai cet article en émettant le vœu que toutes ces faveurs, car ce sont des faveurs, soient impitoyablement rayées des budgets ; elles sont toujours la suite d'autres avantages déjà considérables et très recherchés, ii ne faut qu'ouvrir les yeux pour en être convaincu.

Messieurs, les efforts du chef du département de la guerre semblent tendre à augmenter l'instruction scientifique de l'armée. J'applaudis à cette tendance, mais dans une certaine mesure seulement, car j'ai la conviction qu'une armée composée uniquement de savants, si la chose était réalisable, serait une fort mauvaise armée, en tant qu'armée.

Les hommes de cabinet ont, en général, peu d'aptitude pour les travaux et les fatigues physiques ; ils affectent un dédain peu déguisé pour les détails, souvent fort ingrats, dans lesquels doivent entrer les officiers commandant la troupe. Il ne faut pas que, dans une armée, l'activité physique soit sacrifiée ou absorbée par les travaux de cabinet. Et, enfin, l'homme doit-il s'asseoir toute sa vie sur les bancs de l'école ?

Il en est de même, au reste, pour l'ordre civil ; multipliez dans une trop grande mesure les fractions de savants qui se créent bien plus facilement que les savants véritables, surtout à une époque où il faut savoir tant de choses pour n'être pas un ignorant, et vous verrez bientôt une légion d'individus déclassés, s'estimant trop haut pour se livrer à des travaux qu'ils jugent indignes de leur savoir, et n'ayant cependant ni les connaissances ni les aptitudes nécessaires pour se faire un nom et, par conséquent, une position dans les lettres ou les sciences. De là, beaucoup de misères difficiles à soulager ; de là, beaucoup de mécontentements qui ne sont pas sans danger.

Quant à l'instruction primaire, c'est différent ; elle est un bienfait qu'on ne saurait trop répandre.

La suppression de l'école de cavalerie établie à Ypres constituerait une économie bien entendue. Cette école, qui coûte environ 300,000 francs, a été établie sous prétexte d'apporter de l'uniformité dans l'équitation ; il n'est pas difficile de s'assurer que ce but n'a pas été atteint et ne le sera jamais. Pour ma part, je pense que l'école n'est maintenue que pour maintenir son directeur et favoriser la ville où elle est établie ; serait-il donc si difficile d'obtenir le dernier résultat à moins de frais et sans nuire à l'armée ? Car je soutiens que cette école ne lui est d'aucune utilité, et, chacun le sait, tout ce qui n'est pas utile à l'armée lui est nuisible.

Puisque je parle chevaux, je rappellerai encore que, sans porter atteinte à aucun service, on pourrait supprimer un grand nombre de rations de fourrages à des officiers qui ont, au plus, besoin d'un seul cheval pour les fonctions sédentaires qu'ils remplissent.

On a trouvé bon de mettre à pied les officiers d'artillerie des batteries de siège, ou attachés à certains établissements ; serait-il injuste d'en faire autant pour beaucoup d'officiers qui en ont moins besoin qu'eux ? Cette réduction, que l'on a ébauchée en 1848 déjà, serait très avantageuse au trésor et offrirait le moyen le plus efficace de supprimer les rations de fourrages que l'on prétend n'être pas mangées par des chevaux. Il est certain que si des officiers ne possèdent pas les chevaux qu'ils pourraient nourrir aux dépens de l'Etat, c'est qu'ils jugent eux-mêmes n'en avoir pas besoin pour leur service ; donc supprimez les rations.

A différentes reprises j'ai appelé l'attention de la Chambre sur le tableau de la page 331 du budget, tableau indiquant, par ville, les dépenses jugées nécessaires pour l'entretien des bâtiments et fortifications existants, et les constructions nouvelles qu'on se propose d'y élever. En bonne administration chacune des places désignées devrait faire l'objet d'un article séparé, afin de fournir le moyen de contrôler la légitimité des dépenses faites. Au lieu de cela, le département de la guerre réunit en un seul article toutes ses demandes partielles et dispose ainsi d'une somme très ronde, 700,000 francs, sans les extraordinaires, absolument comme il le désire.

Il est évident pour tous ceux qui examinent l'article 21, qu'il contient des demandes pour des travaux incombant au crédit sollicité pour l'édification de la place d'Anvers ; une somme de 250,000 francs est demandée pour améliorations du casernement, etc. cette désignation manque d'exactitude, il faudrait dire construction de casernes dont la nécessité était reconnue, mais qui n'ont pas été comprises dans la demande du crédit global, et pour cause, ce serait plus franc.

Le crédit du 24 mille ou, pour être plus exact, de 30 mille francs, sollicité pour les lunettes de Deurne et de Hoboken, devrait également être pris sur les 48 millions alloués en 1859.

Si, avant de voter la loi, la Chambre avait exigé des plans détaillés et bien étudiés, les constructeurs auraient mieux connu le terrain sur lequel devaient s'élever les fortifications et, de cette manière, ils auraient évité les demandes supplémentaires de chaque année. Sans doute, on avait de (page 681) bonnes raisons pour agir ainsi, mais de tels moyens ne sont propres qu'à faire naître la défiance contre les gouvernants.

D'autres crédits sont demandés pour des travaux dont l'opportunité est tout au moins douteuse.

Ainsi :

Les fortifications de Liège réclament une dépense de 27,000 fr., dont 10,000 fr. environ sont destinés à la Chartreuse, qui sera démolie.

Une trentaine de mille francs sont demandés pour Termonde ; ne serait-il pas grand temps de faire connaître au pays les projets que l'on a relativement à cette place, et de lui rendre compte des centaines de mille francs qu'on y a dépensés, depuis quelques années, pour n'en faire, après tout, qu'une bicoque fort inutile, à laquelle on ne fera plus les honneurs d'un siège ?

En résumé, le crédit annuel de 700,000 fr., demandé dans ce chapitre, est porté, pour 1869, à 950,000 fr. ; et, en suivant attentivement les dépenses annuelles, il est facile de se convaincre que le crédit de 48 millions est majoré, chaque année, d'un demi-million au moins, du chef seul des ressources que fournit l'article 21. Il est évident pour tous ceux qui examinent le tableau dont il est question, qu'il ne signifie rien, du moment que l'on se donne la peine de tenir note des adjudications publiques insérées au Moniteur ; ces dernières ne sont nullement la conséquence de l'allocation des crédits réclamés dans les articles du tableau.

De son côté, la cour des comptes ne pourrait fournir les renseignements qui lui seraient réclamés sur cet objet, qu'après un travail assez long et assez fastidieux pour que les représentants ne fassent pas d'insistance pour les obtenir.

Il est temps de faire cesser cet abus et de rendre son renouvellement impossible, ou tout au moins plus difficile, en créant, comme je le disais, un article séparé pour chaque place. De cette manière, au moins, le contrôle sera possible et la dignité du ministère ne perdra rien en adoptant une marche plus franche. D'ailleurs, que risque-t-il ? N'est-il pas toujours assuré d'obtenir absolument tout ce qu'il demande ?

Une première justice a été rendue aux majors d'artillerie en résidence, et j'espère que M. le ministre de la guerre ne s'arrêtera pas dans la voie qu'il a prise. Il lui reste encore à attribuer à ces officiers la même solde que celle des majors attachés à la troupe et une ration de fourrages.

Un cheval est indispensable à ceux qui se trouvent à Anvers, parce que les magasins de cette place sont très dispersés et que les chemins qui y conduisent sont mauvais pendant une grande partie de l'année. D'un autre côté les lieutenants et sous-lieutenants détachés des batteries pour les aider dans leur service, sont montés ; est-il convenable qu'ils se trouvent dans des conditions meilleures que leurs chefs, lors des visites des magasins ?

Si tous les commandants d'artillerie ne sont pas dans les mêmes conditions que ceux de résidence, à Anvers, je doute qu'il paraisse, convenable à M. le ministre de la guerre de séparer en deux catégories les cinq majors revêtus de ces fonctions.

La dépense résultant de l'augmentation de la solde et de l'allocation d'une ration de fourrages aux officiers dont il est question sera très minime et la défaveur jetée sur eux cessera d'exister ; il ne faut pas perdre de vue, d'ailleurs, que cette défaveur d'abord personnelle, rejaillit sur les fonctions, ce qui est un grand mal, car ces fonctions ont en tout temps une importance considérable que les circonstances peuvent augmenter encore.

J'ai vu avec plaisir que l'annuaire de cette année les a classés, d'après leur ancienneté, parmi les majors de toute l'armée ; il y avait, en effet, une anomalie inexplicable à les ranger dans une catégorie distincte, tandis que l'on agissait d'une manière différente à l'égard de leurs supérieurs placés dans le même service, des directeurs d'établissement, des commandants du matériel d'artillerie et bien d'autres encore.

Il est une autre catégorie d'officiers sur laquelle je prie M. le ministre de la guerre de porter son attention ; je veux parler des officiers d'habillement.

Ils viennent, pour la plus grande partie, de la classe des officiers payeurs ; ces officiers peuvent devenir, par la suite, quartiers-maîtres, intendants ; tandis que le capitaine administrateur d'habillement a son bâton de maréchal et aucun espoir de voir améliorer sa position. Son traitement est inférieur à celui du quartier-maître ; cependant, il donne comme lui un cautionnement ; sa responsabilité est plus grande, puisque les objets qui lui sont confiés ont souvent une valeur s'élevant de 150,000 à 200,000 francs ; ses chances de perte beaucoup plus nombreuses ; car il doit avoir recours à un personnel, de hasard le plus souvent, qu'il ne peut surveiller suffisamment à cause du travail que réclame sa comptabilité.

Dans cet état de choses, je pense que l'équité exige une parité de traitement entre ces deux classes de fonctionnaires, les capitaines quartiers-maîtres et les capitaines administrateurs d'habillement ; aujourd'hui, les capitaines quartiers-maîtres reçoivent, suivant la classe à laquelle ils appartiennent, 3,400, 3,800 ou 4,200 francs : les administrateurs d'habillement, 3,000, 3,400 ou 3,800 francs, c'est-à-dire 400 francs de moins dans chacune des classes.

Je rappellerai, à cette occasion, à M. le ministre l'observation que j'ai faite en 1867 au sujet de la différence qui existe entre les appointements des employés d'une même catégorie, selon qu'ils se trouvent placés au département de la guerre ou dans les établissements d'artillerie. La faveur accordée aux premiers ne me paraît nullement justifiable.

Messieurs, si dans toutes les administrations il est important de traiter les employés de manière qu'ils n'aient pas lieu de se croire lésés ou victimes de la malveillance de leurs supérieurs, cette condition est de première nécessité dans l'armée ; je voudrais y voir supprimer toutes les positions qui bornent absolument la carrière d'un officier, ou, tout au moins, voir attribuer à ces positions, si leur maintien est nécessaire, des compensations suffisantes.

Les succès d'une armée dépendent de l'accord de tant de rouages, qu'il faut s'efforcer de diminuer le plus possible le nombre des mécontents, et le moyen le plus sûr d'y parvenir, c'est d'être d'une justice rigoureuse dans la répartition des grades et des appointements.

Je reviens encore et j'y reviendrai jusqu'à ce que justice soit faite, à la loi concernant les pensions militaires. A moins de nier l'évidence, il est impossible de ne pas reconnaître que les pensions civiles sont plus fortes que les pensions militaires ; le moindre receveur de contributions reçoit, et cela après avoir pu rester en activité dix ans de plus que l'officier, et avoir toujours joui de la faculté de vivre comme il l'entendait, il reçoit la pension du colonel le mieux traité et double, à peu près, de celle qui est allouée aux capitaines, c'est-à-dire à la très grande majorité des officiers pensionnés.

Cependant, un receveur n'a qu'une responsabilité matérielle de quelques milliers de francs, tandis qu'un capitaine a charge d'hommes ; chaque année le pays lui confie bon nombre de ses enfants, sur l'avenir desquels il peut exercer une très grande influence.

Le Moniteur du 9 décembre dernier prouve une fois encore ce que j'avance : Un major de cavalerie, au traitement de 6,300 fr., reçoit une pension de 2,100 fr. pour 41 ans de service. Un capitaine au traitement de 4,200 fr., pensionné pour infirmité incurable, après 32 ans de service, reçoit une pension de 1,360 fr. ; tandis que le Moniteur du 21 janvier de cette année attribue, une pension de 1,762 fr. à un huissier de salle du ministère de l'intérieur. Je pourrais multiplier les exemples si je ne craignais d'abuser des moments de la Chambre.

Pour les pensions civiles, on prend en considération les appointements du fonctionnaire ; pour les pensions militaires, on n'y a aucun égard, un seul taux est fixé pour toutes les armes indistinctement.

Les fonctionnaires civils jouissent encore de cet autre avantage : pour des raisons très diverses, on leur accorde parfois la disponibilité, avec jouissance de leur traitement intégral ; l'officier général et l'officier supérieur peuvent seuls jouir de la disponibilité, qui entraîne toujours une réduction de traitement ; tous les autres sont mis en non-activité avec, la moitié seulement des appointements les plus faibles attribués à son grade, lorsqu'il reste plus d'un an dans l'impossibilité de faire son service.

On a dit dernièrement dans cette enceinte que, pour augmenter les pensions militaires, il fallait réviser toutes les pensions accordées sur les caisses de l'Etat. Je n'en vois pas la nécessité ; mais y aurait-il réellement grand mal à cette révision, et à ne faire qu'une seule loi commune à tous les fonctionnaires de l'Etat ? Ne voyons-nous pas une inégalité choquante dans la répartition des pensions accordées aux fonctionnaires civils, exerçant une profession dite libérale ? Les uns continuent à toucher leur traitement d'activité, les autres ont à peine de quoi vivre et ce sont ceux qui ont été chargés de la besogne la plus ingrate, des travaux les plus rudes. Qu'il y ait une différence dans le chiffre des pensions, je le comprends, mais que ce chiffre soit du moins fixé de manière que les petits ne soient pas réduits à mourir dans la misère.

On a dit encore que l'état du trésor ne permet pas le surcroît de dépense qu'occasionnerait l'augmentation des pensions militaires.

Le trésor, vous le savez, messieurs, a toujours des ressources suffisantes pour toutes les dépenses qu'il plaît au gouvernement de faire, ou qu'il est de son intérêt personnel de faire. Si tous les pensionnés militaires pouvaient disposer chacun de quelques voix, lors des élections, il est probable que leur réclamation, dont la justice ne peut être méconnue, serait accueillie (page 682) plus favorablement. .Mais la plupart ont des parents, des fils dans les rangs de l'armée et usent d'une prudence extrême dans la crainte de nuire à l'avancement de ces parents.

N'est-il pas déplorable que de pareilles craintes puissent exister sous un gouvernement qui se dit libéral ? N'est-il pas déplorable aussi que, malgré le taux déjà si minime des pensions militaires, la fixation de leur chiffre subisse les fluctuations du bon ou du mauvais vouloir des bureaux ; aux amis les interprétations les plus favorables des titres, aux autres toute la rigueur de la lettre des lois ?

Du reste, messieurs, rien ne s'opposerait, pour diminuer les charges de l'Etat, à ce qu'on opérât, sur le traitement des fonctionnaires, une retenue proportionnée aux appointements ; rien ne s'opposerait à ce que les fonctionnaires, désireux d'augmenter leur pension, fissent, à cet effet, des versements supplémentaires dans les caisses du trésor ; il faudrait même les y encourager, et l'on y parviendrait facilement, je crois, en supprimant des dépenses injustes, inutiles ou nuisibles, mais devenues presque obligatoires même pour ceux qui ont le plus besoin de s'y soustraire.

Ceux qui se refuseraient aux moyens mis à leur portée, pour augmenter leur bien-être dans leurs vieux jours, ceux-là ayant mis en oubli la maxime : Aide-toi, le trésor t'aidera, ne seraient plus en droit de faire entendre la moindre plainte.

La loi de 1836 sur la position des officiers est encore en vigueur et, de plus, elle fonctionne : je ne puis juger si ceux qu'elle atteint sont des victimes, puisque la sentence qui les frappe émane, pour ainsi dire, d'un tribunal secret et dépend du vouloir, bon ou mauvais, d'un seul homme. Cette loi est une véritable anachronisme et son maintien fait tache dans les institutions d'un pays qu'on ne laisse échapper aucune occasion de proclamer libre. N'est-ce pas en effet une dérision que de donner à tout militaire le droit de réclamer devant la cour militaire contre une punition de quatre jours d'arrêts et d'ôter à l'officier tout recours en justice contre une sentence prise à huis clos et confirmée par la volonté d’un seul lorsqu'il s'agit de l'arrêter court dans sa carrière, ou, mieux encore, de lui faire perdre le fruit de tous les services qu'il peut avoir rendus ?

Je désire que le projet de loi émanant de l'initiative de la Chambre et ayant pour objet d'apporter des modifications à cette loi de 1836, soit mis en discussion le plus tôt possible ; je le désire d'autant plus que si cette loi frappe parfois des coupables, elle en atteint beaucoup plus d'autres dont le seul tort est de ne pas jouir d'une bonne santé ; et, dans tous les cas, elle a un tort immense à mes yeux : celui de peser comme une menace, en quelque sorte mystérieuse, sur une classe nombreuse de citoyens éclairés, dont la franchise, la loyauté et l'honneur sont les plus beaux titres à l'estime des populations.

Un arrêté royal du 10 mars 1831 et un autre du 9 mai 1842 règlent les conditions auxquelles les officiers doivent se soumettre pour obtenir l'autorisation de contracter mariage. Parmi les conditions imposées, on lit celle-ci : l'un des futurs doit fournir la preuve qu'il possède un revenu de...

Celte, exigence, qui ne s'étend pas à l'officier revêtu d'un grade supérieur à celui de capitaine, peut s'expliquer lorsqu'ils s'agit d'officiers en activité de service ; mais devrait-elle être applicable encore à l'officier pensionné ? Je ne le crois pas. Il me semble que dans cette position un officier ne peut être privé d'un droit dont jouit le dernier des citoyens belges, celui de se choisir librement une compagne.

En épousant une femme n'ayant que peu ou point de fortune, l'officier pensionné, lorsqu'il opère les versements exigés, ne lèse pas les intérêts de la caisse des veuves et orphelins, dans une mesure plus grande que s'il était encore en activité de service. Il ne faut pas oublier, d'ailleurs, que le département de la guerre autorise parfois le mariage d'un officier en activité de service, bien que ni lui, ni sa future n'ait la fortune exigée ; sa tolérance va même parfois beaucoup plus loin.

Je prie M. le ministre de la guerre d'examiner cette question, A la solution de laquelle la justice, la morale et l'humanité me paraissent également intéressées.

J'ai déjà parlé de l'inutilité des trois classes de capitaines ; il me semble qu'il y aurait plus d'un avantage à revenir aux anciennes institutions. Plus il y a de grades, plus il y a de nominations ; et, ces nominations fréquentes, je les redoute, parce qu'elles donnent plus de latitude aux choix contre lesquels il s'élève de fréquents murmures et qui font naître bien des mécontentements.

Il serait équitable également et cette mesure préviendrait la possibilité de conflits d'autorité, de séparer bien clairement les deux classes de capitaines dans toutes les armes, comme cela se faisait autrefois dans l'annuaire et d'adopter pour tous les officiers un mode uniforme de fixer leur ancienneté ; il n'y aurait que justice en cela ; en effet, il ne peut exister aucune raison plausible de réduire l'ancienneté d'un capitaine en premier de cavalerie, par exemple, de tout le temps qu'il a servi avec le grade de capitaine en second, tandis que ce temps est octroyé aux capitaines d'infanterie.

Et, puisque je parle de l'annuaire, je dirai qu'il me semble susceptible d'améliorations ayant pour but de mieux renseigner ceux qui s'en servent et de leur épargner des recherches quelquefois assez longues.

Ainsi, à la suite des généraux qui sont plus ou moins en activité, pourquoi ne pas ajouter les généraux commandants les provinces ? Ils se trouvent à la page 60, dira-t-on ; c'est vrai, mais y aurait-il, à les faire figurer une première fois à la suite de leurs collègues de la page 29, un inconvénient plus grand que celui de montrer d'un coup d'œil combien il y a réellement de généraux dans l'armée ?

Autrefois on trouvait dans l'annuaire un tableau sur lequel figuraient tous les colonels de l'armée, par rang d'ancienneté, avec désignation de l'arme à laquelle ils appartenaient ; on l'a supprimé à l'époque où l'on pensait, au département de la guerre, que les colonels de l'infanterie, toujours, et de la cavalerie, quelquefois, étaient seuls aptes à manier des masses, c'est-à-dire à être promus au grade de général.

Pourquoi a-t-on supprimé sur la liste des officiers de santé et des pharmaciens, la mention du grade auquel ils sont assimilés ?

Pourquoi encore ne pas indiquer, comme en 1848, l'âge des officiers dans l'annuaire ? Ce renseignement a son utilité ; par exemple, il fait connaître les officiers qui sont maintenus en activité quoique ayant atteint la limite d'âge, prescrite en 1855, notoriété qui ne peut qu'être flatteuse pour eux, puisqu'il faut supposer que leur mérite seul leur vaut cette faveur.

Je sais bien qu'on supplée à l'absence de ce renseignement en consultant les annuaires de 1843 et 1848 dans lesquels la date de la naissance des officiers a été inscrite, et c'est ce que font la plupart des intéressés à chaque promotion. Ils ont malheureusement pu constater, dans la promotion du 2 avril, des préférences que les initiés expliquent sans doute ; mais la Chambre désire probablement apprendre pour quelle raison les uns sont pensionnés d'après les prescriptions de l'arrêté de 1855, tandis que d'autres, aussi âgés, plus âgés même sont maintenus en activité : ainsi pourquoi un médecin de garnison est-il pensionné à 60 ans et quelques mois, tandis qu'un médecin principal, son contemporain, à très peu près, est maintenu ? Et cette observation donne lieu à la question suivante : Pourquoi la durée du service actif des médecins est-elle supérieure à celle des officiers de l'armée à grade égal ?

Rien ne justifie cette faveur puisque, pensionnés, les médecins trouvent, dans leur état, des ressources qui manquent aux officiers mis dans cette position. Je ne connais aucune disposition légale qui autorise cette prolongation du service actif des officiers de santé.

Pourquoi encore deux sous-lieutenants d'artillerie peuvent-ils être promus au grade de lieutenant avant d'avoir servi deux ans comme sous-lieutenants ? D'après l'annuaire ils n'ont que neuf mois de grade.

On agite depuis quelque temps la question de la réorganisation des musiques militaires ; on en a parlé même dans les sections. A mon sens, les musiques ne sont que trop organisées aujourd'hui ; elles forment, dans chaque régiment, un petit bataillon très onéreux aussi bien au trésor qu'aux officiers et l'on a même eu la bonne idée de donner le grade de lieutenant aux directeurs, de sorte que tous les sous-lieutenants d'un régiment sont, hiérarchiquement, les inférieurs de leur chef d'orchestre.

On prétend, à la vérité, que la musique est une distraction pour le peuple. Si c'est réellement dans le but de contribuer aux plaisirs du peuple, de quelques villes seulement, ne l'oublions pas, que l'on travaille à l'amélioration des musiques militaires, ce but, on l'atteindra bien plus sûrement en supprimant du même coup toutes les musiques et une bonne partie des casernes.

Je termine, messieurs, par quelques remarques sur la rédaction du budget ; il me semble que ceux qui sont appelés à autoriser les dépenses devraient trouver dans ce document, sans se livrer à des recherches fastidieuses, tous les renseignements nécessaires pour bien apprécier ces dépenses. Je voudrais trouver au budget : 1° une liste nominative de tous les employés civils et militaires qui touchent une indemnité en sus de leur traitement, avec mention du chiffre de cette indemnité. Si l'indemnité est méritée, celui qui la reçoit ne doit pas rougir de l'avoir acceptée. Cette liste serait placée à la suite des chapitres auxquels elle se rapporterait.

2° Le chiffre du traitement des trois classes de capitaines dans (page 683) l'infanterie, et celui des deux classes de capitaines en second dans les autres armes.

3* Le coût réel et non tronqué de tous nos établissements militaires ; on pourrait inférer, de la manière dont cette dépense est mentionnée au budget, qu'elle n'est pas avouable, vu l’utilité qu'on en retire.

Il me semble que le gouvernement doit rendre impossible toute supposition de cette nature.

4° La séparation, en articles distincts, des différents postes du tableau de la page 331, chapitre XXI, afin que les crédits sollicités pour une destination n'en puissent recevoir une autre.

J'ai le regret de devoir constater de nouveau que le compte détaillé, rendu en exécution de l'article 4 de la loi allouant un crédit de 15 millions pour la transformation de l'artillerie, n'éclaire, pas plus que les précédents, la Chambre et le pays sur les résultats obtenus ; et, cependant, le crédit est à peu près absorbé. Nous ne savons ni quels calibres ont été adoptés, ni le nombre des bouches à feu fabriquées. Nous ne savons pas davantage si les anciens affûts sont utilisés, si nous continuons à être tributaires de l'étranger pour l'acier nécessaire à la fabrication, ni dans quelle mesure.

Ce fait n'est pas sans importance, cependant, puisque, dans la séance du 17 avril 1861 (Annales parlementaires, page 1136) le ministre de la guerre disait : « J'ai la presque certitude de pouvoir fabriquer nous-mêmes l'acier ; et quand même notre acier indigène n'aurait pas la ténacité surabondante de l'acier Krupp, nous pourrions nous contenter de canons ayant une ténacité un peu moindre. »

La note parle d'expériences en voie d'exécution ; le système adopté n'était donc pas arrêté, comme on le prétendait lorsque l'on voulait faire adopter la loi. Le gouvernement disait alors (séance du 17 avril 1861, p. 1136) :

« Ce système est le seul complet, c'est-à-dire le seul qui convienne à la fois aux petits calibres, aux calibres moyens et aux gros calibres ; aux canons de place, aux canons de siège, aux canons de côtes, aux canons de campagne et à ceux de la marine. C'est encore le seul qui puisse s'appliquer indifféremment au bronze, à la fonte et à l'acier. »

Vous le voyez, messieurs, ce système était, lorsqu'il s'agissait de le faire adopter, le nec plus ultra de la perfection, il répondait à toutes les exigences ; à toutes les objections qu'on lui présentait, le ministre avait la même réponse : Prenez mon ours.

On prit l'ours et après les sept années qui se sont écoulées depuis le vote de la loi, nous en sommes encore aux expériences.

On répondra sans doute que la science marche toujours, qu'il faut suivre les progrès réalisés. S'il en est ainsi, on a évidemment commis une faute grave en 1861 en adoptant, de confiance, un système encore dans l'enfance, et en rejetant l'avis très sensé de ceux qui conseillaient de ne consacrer qu'un demi-million à une transformation suffisante pour plusieurs années et qui aurait permis de faire des études approfondies, au moyen desquelles nous aurions évité bien des écoles ; je ne crains pas de le dire, ces écoles ont absorbé des sommes plus fortes que celles que l'on demandait pour une transformation provisoire.

On mentionne, dans quelques journaux, des expériences faites à Brasschaet avec des canons tels, qu'un seul coup tiré revient à 1,785 francs. Je crois ce chiffre exagéré, mais, fût-il réduit de moitié, comment pourrait-on songer à l'introduction d'une pareille bouche à feu dans notre artillerie, lorsqu'il a été affirmé, dans cette Chambre même, que les bombardements n'avaient plus lieu parce qu'ils coûtaient trop cher ? Et cependant, combien de bombes de 29 ne lancerait-on pas avec 800 fr., chiffre probablement inférieur à celui du coût d'un coup tiré avec la bouche à feu dont il est ici question ?

La Chambre avait, sans aucun doute, de bonnes raisons pour introduire l'amendement qui fait aujourd'hui l'article 4 de la loi de 1861, elle désirait être largement renseignée sur l'emploi du crédit qu'elle votait ; ce but est-il atteint ? Nullement à mon avis et cependant le département de la guerre ne peut avoir aucun désir de se soustraire aux conséquences de cet article 4, puisque, d'après les paroles mêmes du ministre de cette époque, le vote du projet de loi était réclamé de la Chambre « au nom de la vérité et de la raison ». (Annales parlementaires, séance du 17 avril 1861, p. 1136.)

M. Kervyn de Lettenhove. - Messieurs, je me renfermerai, et très succinctement, dans deux ordres d'idées différents. En premier lieu, j'ai des remerciements à adresser à M. le ministre de la guerre ; je désire aussi réclamer de lui quelques explications sur une question très importante.

J'aborde le premier point. J'ai été heureux d'apprendre que deux jeunes officiers de notre armée, distingués par leur zèle et par leur instruction, ont reçu des encouragements du département de la guerre pour rédiger en langue flamande une explication de l'emploi des nouvelles armes, et une école du soldat. C'est là, à mon avis, une chose excellente et dont je remercie le gouvernement. Je désirerais seulement savoir jusqu'à quel point l'emploi de ces manuels, si utiles, si indispensables, est généralisé dans notre armée, et si on en fait usage dans la plupart des régiments où se trouvent en grand nombre des miliciens appartenant à nos provinces flamandes.

Je ne compte pas, messieurs, m'occuper aujourd'hui de la grande question de l'organisation de la réserve, parce que je suis persuadé que M. le ministre de la guerre ne manquera pas de nous faire connaître ses vues à cet égard.

Mais la seconde question à laquelle je faisais allusion tout à l'heure et qui présente également un sérieux intérêt, c'est celle de la durée du service militaire, et c'est sur ce point que je réclame quelques explications de M. le ministre de la guerre.

La Chambre voudra bien se souvenir que lorsque sa section centrale s'est occupée de l'organisation de l'armée, différentes opinions s'y sont produites. Mais tout le monde a été d'accord pour souhaiter que l'on hâtât le plus possible les progrès de l'instruction, et qu'en même temps, par ce moyen, on arrivât à réduire également le plus possible la durée du service militaire. La Chambre me permettra de lui rappeler qu'au sein de la section centrale cinq voix contre une, si je ne me trompe, adoptèrent une proposition qui était formulée en ces termes :

« 22 mois consécutifs de service et 3 rappels d'un mois, soit d'année en année, soit de 2 ans en 2 ans. »

Peu de temps après, le gouvernement désira consulter la Chambre sur cette question, et, par suite d'un accord qui s'établit entre le gouvernement et la section centrale, la durée du service fut portée de 22 à 24 mois sous réserve de rappel d'un mois pendant trois années.

Je ne sais pas exactement si, dans l'opinion de la section centrale et dans l'opinion de la Chambre cette modification de rédaction indiquait que le rappel d'un mois aurait lieu pendant trois années consécutives, ou bien si le gouvernement conservait le droit de le fixer de deux ans en deux ans.

Mais je remarque que M. le ministre de la guerre, par une circulaire imprimée dans le Journal militaire officiel du mois de juillet 1608, a tranché la question en ce sens que les trois rappels se feraient de deux en deux ans.

La question sur laquelle je désire surtout appeler l'attention de la Chambre et obtenir une explication du gouvernement, me paraît des plus graves et des plus sérieuses. L'honorable M. Van Humbeeck, organe de la section centrale, insistait dans son rapport sur ce point qu'en limitant la durée du service militaire, elle n'avait voulu s'occuper d'une manière précise que de l'infanterie.

En dehors de ce cadre, se sentant moins éclairée, elle se bornait à émettre un vœu, et notamment elle appelait l'attention du gouvernement sur l'utilité, sur la possibilité qu'il y avait, dans son esprit, de réduire également la durée du service militaire pour les artilleurs qui appartiendraient à des batteries de siège. Mais lorsqu'elle fixait la durée du service militaire à 22 ou à 24 mois, il s'agissait de l'infanterie, et le vœu de la section centrale revêtit, bientôt après, toute l'importance, toute l'autorité d'une disposition législative, lorsqu'une grande majorité dans cette enceinte, d'accord avec le gouvernement, régla dans ces limites la durée du service de l'infanterie.

Ce n'est donc pas sans quelque étonnement que je trouve dans le Journal militaire officiel une circulaire de M. le ministre de la guerre qui porte que pour les régiments des grenadiers et des carabiniers, le temps de service sera fixé à trois ans pleins. Ce sont les termes de la circulaire.

Comment expliquer cette disposition qui est en contradiction avec le vote de la législature ? Cela me paraît très difficile. Je ne crois pas que, dans les régiments des carabiniers et des grenadiers, l'instruction soit plus lente et plus compliquée qu'ailleurs ; et parce que ces régiments forment des corps d'élite, je ne vois pas non plus qu'il y ait là un motif sérieux de retenir plus longtemps les militaires sous les armes.

La Chambre ne peut pas perdre de vue que par suite de cette disposition de la circulaire ministérielle, et d'un autre côté par la conséquence de l'accroissement de l'arme de l'artillerie, un grand nombre de miliciens (environ 35 à 40 p. c.) seront obligés de faire un service exceptionnellement plus long que les autres miliciens appartenant aux mêmes classes. S'il doit en être ainsi, il est incontestable que le gouvernement et la Chambre ne peuvent ajourner une mesure fréquemment réclamée ; je veux parler de l'indemnité due à ceux qui ont fait un service plus long.

Ce n'est pas seulement sur les bancs de l'opposition que nous avons réclamé ceci à diverses reprises comme un acte de justice ; il me sera (page 684) permis de rappeler que M. le ministre des finances, l'honorable M. Frère-Orban, dans la séance du 14 mars 1868, s'exprimait lui-même en ces termes :

« Ignorez-vous que nous avons proposé une compensation pour les militaires dont le service aura été prolongé au delà du terme assigné à ceux d'une autre catégorie ? La rémunération doit s'appliquer proportionnellement à la durée du service. »

Il y a là, messieurs, je le répète, un principe d'une incontestable équité, et j'espère que l'application ne tardera pas longtemps à en être inscrite dans nos lois.

Quelle que soit la diversité d'opinions sur les crédits du budget de la guerre, nous ressentons tous la même sympathie pour le soldat qui s'arrache à ses foyers au nom d'un grand intérêt public. Aujourd'hui plus que jamais, je me sens tenu de lui rendre hommage, alors que, non sans péril, il présente sa poitrine comme un rempart pour protéger non pas exclusivement la propriété de l'industriel, mais aussi les éléments mêmes de l'industrie, sa liberté, sa prospérité, ce qui est le bien commun de l'industriel et de l'ouvrier dont il ne faut jamais séparer la cause, ni les intérêts.

Que la Chambre me permette seulement de renouveler un vœu que j'ai déjà souvent exprimé, c'est que lorsque l'heure de la répression sera passée, le gouvernement s'occupe sérieusement à chercher un remède à cette douloureuse et inquiétante situation, remède que je résumerai en deux mots : moraliser les classes industrielles par un enseignement qui leur apprenne leurs devoirs, et auquel s'attache toujours cette sanction supérieure qui soutient et ennoblit le plus rude travail, et en même temps éloigner de leurs lèvres cette coupe empoisonnée des boissons alcooliques qui les prédisposent à écouter les plus perfides conseils et. qui de nouveau les subjuguent, les surexcitent et les égarent, quand elles s'abandonnent aux plus mauvaises passions.

M. Thonissenµ. - Messieurs, je viens dénoncer, pour la cinquième fois, une véritable injustice consacrée par noire législation militaire. Cinq fois les honorables chefs du département de la guerre m'ont promis le redressement de ce grief, et cinq fois, absorbés par d'autres travaux, ils ont oublié d'accomplir cette promesse. Les honorables généraux Chazal, Goethals et Renard m'ont successivement déclaré que j'avais raison, mille fois raison ; mais en dehors de cette déclaration très flatteuse, je n'ai rien obtenu. Je dois donc renouveler mes instances. Voici de quoi il s'agit.

Suivant la loi existante, les officiers mis en non-activité appartiennent à deux catégories essentiellement distinctes.

Les uns se trouvent dans cette position par mesure d'ordre, c'est-à-dire, pour cause d'indiscipline ou d'inconduite. Les autres, au contraire, s'y trouvent pour cause d'infirmités, c'est-à-dire pour des faits entièrement indépendants de leur volonté.

Or, aux uns et aux autres la loi n'accorde que la moitié de la solde d'infanterie afférente à leur grade. L'officier, victime d'un accident survenu pendant le service, par exemple une chute de cheval pendant les manœuvres, est mis sur la même ligne que l'individu qui, par son indiscipline, par son inconduite, par sa débauche peut-être, a terni l'éclat de l'épaulette. Le malheur et le vice sont traités de la même manière ! Il est évident qu'une telle situation ne saurait durer indéfiniment.

L'officier honnête, irréprochable, dévoué à tous ses devoirs, qu'un malheur vient arrêter dans sa carrière, doit être mieux traité que l'individu qui, par son inconduite, a compromis l'uniforme qu'il a l'honneur de porter. Si le dernier mérite de recevoir la moitié de la solde d'infanterie, le premier doit recevoir au moins les trois quarts de cette solde.

Je prie donc l'honorable ministre de la guerre de me faire cette fois une réponse définitive. Je déclare que si cette réponse n'est pas favorable, j'userai de mon droit d'initiative parlementaire pour demander moi-même la modification immédiate de cette partie de la loi du 16 juin 1836.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Messieurs, je me proposais d'entrer cette année dans l'examen détaillé du budget de la guerre, de voir avec vous comment ce budget s'était successivement développé, de passer en revue les chapitres qui ont successivement été l'objet d'augmentations et des articles qui ont pris le plus d'extension ; en un mot, de voir si le budget peut se justifier par les chiffres mieux que par le raisonnement.

Ce travail très long, très fastidieux, je n'ai pu l'achever. Je me bornerai donc, pour cette année, à faire une simple constatation.

Mais, avant de faire cette constatation, je dois signaler la logique singulière qui préside à nos délibérations.

Aujourd'hui nous discutons le budget de la guerre. Pour justifier cette charge qui pèse si lourdement sur toutes nos populations et principalement sur les populations agricoles, on doit nous représenter les nations voisines comme toujours sur le point d'attenter, soit à nos droits ou à notre indépendance, soit même à notre nationalité.

Demain ou après viendra la discussion du budget des affaires étrangères et l'honorable ministre qui gère ce département viendra nous montrer toutes les nations comme sympathiques à la Belgique et animées envers elle des meilleurs sentiments.

Et la Chambre votera, sur des données aussi diamétralement contraires, tous les crédits sollicités.

Je reviens à ma constatation.

Depuis que nous avons voté un accroissement considérable de dépenses militaires, il semble que notre sécurité, qui, au dire des promoteurs de ces dépenses, devait s'accroître, devient de plus en plus incertaine. Le gouvernement, qui aurait dû puiser dans le vote des Chambres une tranquillité plus grande, semble être devenu plus nerveux sur les questions étrangères.

D'où cela vient-il ?

Ne serait-ce pas de ce que le gouvernement commence probablement à comprendre la double faute, et faute capitale qu'il a commise en nous faisant voter, d'une part, en 1859, les fortifications d'Anvers, et, de l'autre, l'année dernière, l'accroissement de l'armée ?

En effet, messieurs, en accumulant sur un seul point du pays toutes nos forces défensives, tous nos moyens de résistance, le gouvernement a exposé le pays en cas de malheur, en cas d'un de ces mille accidents de guerre qui déjouent les combinaisons les mieux mûries, a exposé, dis-je, le pays à se voir dominer, subjuguer, par les fortifications mêmes qu'il a établies.

Il suffirait pour cela que, par un de ces hasards auxquels je viens de faire allusion, l'ennemi s'emparât de la forteresse d'Anvers sans coup férir, pour que nous fussions dans l'impossibilité matérielle de la reprendre et de réparer le malheur auquel nous nous sommes volontairement exposés. Et peut-être alors l'Europe, sur laquelle nous avons compté pour nous soutenir, renoncerait-elle, en présence de la grandeur de l'entreprise, à tenter de se porter à notre secours.

La Suisse, que nous avons souvent citée comme exemple dans la discussion de l'année dernière, la Suisse n'a jamais commis cette faute ; jamais elle n'a concentré tous ses moyens de défense sur un seul point, mais jamais non plus, il ne serait possible à un envahisseur de la Suisse d'y trouver un point fortifié qui lui permettrait, d'un seul coup, de dominer tout le pays.

La seconde faute qui a été commise et que je considère comme plus grave encore que celle que je viens de signaler, c'est celle qu'on nous a fait commettre l'année dernière.

En suivant les grandes nations militaires dans l'accroissement de leurs forces, nous avons implicitement reconnu les droits de la force, au lieu de nous appuyer sur la force du droit.

Nous avons implicitement déclaré alors que nous étions prêts à nous soumettre à toutes les conséquences d'une lutte que nous avons voulu rendre possible.

Or, c'est précisément contre cette induction que je veux protester par mon vote, et que j'ai toujours protesté en votant contre le budget de la guerre.

Je n'admets pas le droit de la force ; je n'admets pas que l'Europe, fût-elle unanime, puisse forcer une nation, quelque petite et faible qu'elle puisse être, à vivre autrement qu'elle ne veut vivre, sous d'autres lois que celles qu'elle a librement acceptées ; pas plus que je n'admets le droit de la majorité ou même de l'unanimité d'une nation de créer un seul esclave parmi ses citoyens. Le droit des nationalités est au-dessus du droit de la force. Nous n'avons pu poser aucun acte qui semble admettre que, par la force, on puisse détruire le droit des nationalités. C'est pour consacrer une fois de plus cette doctrine, c'est pour l'appuyer de nouveau par mon vote que j'ai pris la parole et que je voterai encore contre le budget de la guerre.

M. le président. - Quelqu'un demande-l-il encore la parole ?

M. Coomans. - M. le ministre de la guerre n'a-t-il pas l'intention de donner des explications sur les différents points qui viennent d'être traités.

MgRµ. - Les questions dont les honorables préopinants viennent d'entretenir la Chambre sont si nombreuses qu'il me serait impossible de les rencontrer toutes aujourd'hui. Je désirerais donc ajourner ma réponse à demain.

M. Coomans. - J'espère que dans sa réponse M. le ministre voudra bien nous dire si, oui ou non, il a l'intention d'interdire le port d'armes en dehors du temps de service. J'espère aussi que M. le ministre ne justifiera pas les précisions émises dans plusieurs journaux ministériels au sujet du rétablissement des sentinelles supprimées naguère. A mon sens, on a bien fait de supprimer beaucoup de sentinelles ; on aurait pu en supprimer encore davantage et on aurait grandement tort d'en rétablir une seule.

(page 685) Je prierai M. le ministre d'insister avec moi auprès de la section centrale chargée de l'examen du projet de loi réformant la législation sur la milice et, au besoin, auprès de nos collègues du bureau et de la questure qui ont un mot à dire, afin que le rapport attendu depuis tant d'années voie enfin le jour. Il a été déposé, il y a quelques semaines, sur le bureau et nous ne l'avons pas encore reçu ; et on m'a assuré que nous ne l'aurons pas encore de sitôt. (Interruption.) On corrige les épreuves, me dit-on ; oui, mais cette correction menace, paraît-il, de durer fort longtemps. Et puis, en fait d'épreuves, il y en a de bien plus difficiles que celles-là.

Enfin, j'ai lieu de croire que M. le ministre de la guerre a reçu des rapports sur les événements si déplorables qui viennent de s'accomplir dans une partie de la vallée de la Meuse. Je prierai M. le ministre de vouloir bien nous dire ce qu'il en pense.

M. Mullerµ. - Il m'est assez pénible d'avoir à supporter les observations de l'honorable M. Coomans et je ne puis accepter une responsabilité qui ne doit en aucune façon retomber sur moi.

Voici ce qui s'est passé. J'ai déposé mon rapport dans la séance de samedi 6 mars. Immédiatement après cette séance, je suis parti pour Liège. Du travail d'impression a été remis à l'imprimeur le mardi suivant 9 mars et j'ai eu la première épreuve le 26 mars. Depuis lors, je n'ai guère gardé une épreuve plus de 48 heures.

Aujourd'hui même, je me suis occupé d'en corriger ; et quand l'honorable M. Coomans dit qu'on ne sait pas quand le rapport paraîtra, je lui réponds que cela dépend exclusivement de l'imprimerie sur laquelle je n'ai pas d'action à exercer.

Si cela avait dépendu de moi, mon travail serait publié. J'ai appris, au surplus, qu'on avait confié à la même imprimerie des rapports sur des objets réputés plus urgents, qui devaient être discutés avant le projet sur la milice.

M. le président. - Je tiens à dire que pendant les vacances je me suis préoccupé moi-même de cet objet, et j'ai fait faire des démarches pour que l'impression du rapport fût activée le plus possible ; mais il y a des obstacles matériels d'imprimerie qui ont été la cause du retard. Je tiens à faire cette déclaration.

M. Coomans. - Quels obstacles ?

M. le président. - Je ne suis pas imprimeur, M. Coomans ; je ne puis vous répondre.

M. Mullerµ. - Je répète que. je suis absolument étranger au retard qu'a éprouvé l'impression du rapport et ce n'est pas après le travail pénible auquel je me suis livré, que je pouvais m'attendre aux reproches dont je suis l'objet de la part de M. Coomans.

M. Coomans. - Je n'ai pas adressé de reproches personnels à l'honorable M. Muller ; j'ai engagé seulement M. le ministre de la guerre à se joindre aux membres très nombreux de cette Chambre qui désirent voir enfin terminée l'impression de ce travail. J'ai nommé l'honorable M. Muller, parce qu'il est le rapporteur, et en même temps, paraît-il, le réviseur, ce que j'approuve.

Mais on parle d'obstacles ; je ne demande pas mieux que de connaître l'auteur de ces obstacles.

L'honorable M. Muller vient de faire une révélation grave : il a déposé son rapport le 6 mars, et il n'a reçu la première épreuve que le 26 du même. mois. Voilà donc 20 jours. Or, il n'y a pas à Bruxelles et dans toute la Belgique de si misérable imprimerie qui n'eût pu en deux jours fournir la première feuille.

Mais il faut de la bonne volonté, et je déclare qu'il n'y a pas de bonne volonté pour ce rapport, qui est le plus urgent de tous.

M. le président. - On ne peut imputer de la mauvaise volonté à personne dans cette Chambre.

MiPµ. - Messieurs, je ne comprends réellement pas ce que veut l'honorable M. Coomans. Nous avons à discuter le budget de la guerre, puis deux budgets des affaires étrangères, ensuite le budget des travaux publics ; voilà des discussions qui doivent nécessairement avoir lieu. Il est donc absolument indifférent que le rapport sur la milice ait été distribué hier ou qu'il le soit seulement demain ou après-demain. Je pense que, dans tous les cas, les membres de la Chambre pourront recevoir le rapport sur la milice avant la fin de la semaine.

Eh bien, je le demande, peut-il y avoir là de quoi justifier les clameurs de l'honorable membre, et l'engager à faire de cela une grosse affaire ? Je le comprends d'autant moins de sa part que bien certainement l'honorable membre n'étudiera pas la loi sur la milice, et qu'au lieu de chercher à améliorer cette loi, il se bornera à la combattre par ses déclamations ordinaires. (Interruption.)

Voilà ce qu'il fera, et je ne crains pas d'être mauvais prophète. Je dis que l'honorable membre aura toujours le rapport assez à temps, pour qu'il puisse revoir les attaques auxquelles il s'est livré de tout temps contre le gouvernement, du chef de la loi sur la milice.

L'honorable membre a adressé à M. le ministre de la guerre une question qui rentre plus dans mes attributions que dans celles de mon honorable collègue. L'honorable M. Coomans a demandé quelle était la situation des choses dans le conflit regrettable qui vient d'avoir lieu à Seraing.

Le gouvernement n'a pas reçu jusqu'ici de rapport complet et détaillé sur cet incident. Il a été tenu par le télégraphe, heure par heure, au courant des faits qui se sont passés ; mais un rapport d'ensemble, comprenant tous les faits particuliers, les résultats exacts du conflit, ne lui est pas parvenu.

On comprend parfaitement que. les fonctionnaires qui se trouvaient dans ces localités ont eu autre chose à faire pendant ces jours de trouble que de rédiger des rapports.

Quoi qu'il en soit, je puis dire à la Chambre que. la situation paraît parfaitement calmée à l'heure qu'il est. Je dois ajouter que d'après ce que nous en connaissons, il doit y avoir dans certains récits des exagérations. Je puis en citer un exemple ; on vient d'annoncer une grève importante à Ensival près de Verviers, j'ai reçu des détails sur ce point. Voici en quoi la chose consistait : 22 ouvriers, un matin, ont déclaré ne plus vouloir travailler. Ils se sont présentés pour travailler dans l'après-midi ; 19 sont rentrés, 3 n'ont pas été admis.

Voilà l'affaire dont on faisait un complément des faits de Seraing et qu'on signalait comme une grève importante.

Quant aux faits de Seraing, d'après les renseignements qui sont parvenus au gouvernement soit officiellement soit officieusement, il est incontestable que la gendarmerie et l'armée ont fait preuve, dans cette circonstance, d'une modération exemplaire, de cette modération qui n'est pas la faiblesse, mais la force contenue. Il a fallu non seulement les excitations les plus violentes, mais les voies de fait les plus regrettables, pour qu'on eût recours aux armes, et cet emploi de la force a été limité à ce qui était strictement indispensable pour assurer le maintien de l'ordre et pour assurer force à la loi.

Le gouvernement est parfaitement décidé à faire tout ce qui est nécessaire pour que, quoi qu'il arrive et dans toutes les circonstances possibles, l'autorité ait le dessus. Toujours il prescrira la modération la plus grande ! Il n'agira que lorsqu'il le faudra absolument ; mais lorsque la nécessité se présentera, il ne reculera devant aucun moyen pour rétablir la tranquillité et assurer à ceux qui ont besoin de liberté, maîtres et ouvriers, cette liberté complète, contre tous les attentats qu'on pourrait commettre.

Messieurs, la classe ouvrière, dans plusieurs parties de la Belgique, traverse une période que j'appellerais volontiers une période d'éducation. Elle est travaillée de toutes les manières possibles ; on exploite ses préjugés pour l'engager dans une voie déplorable.

Peut-être faudra-t-il quelque temps pour que l'instruction complète des classes ouvrières se fasse. Mais j'ai la confiance qu'elle se fera.

Elle se fera d'abord contre ceux qui, sans s'exposer eux-mêmes, cherchent à faire commettre aux ouvriers de regrettables excès, excès dont ils voudraient profiter, mais dont ils ne courent pas les risques.

Je suis convaincu qu'à Liége comme à Charleroi la classe ouvrière comprendra que c'est une tentative vaine que celle de vouloir par la force obtenir quelque chose. Elle comprendra qu'elle s'expose sans aucun résultat possible et je crois que ces expériences lui feront reconnaître qu'elle doit se méfier des meneurs qui la poussent dans cette voie.

Il faut que les ouvriers apprennent que tous les projets qu'on leur promet de faire réussir, que les résultats qu'on leur promet de coalitions de grèves, de contributions à une société qui joue aujourd'hui un grand rôle parmi eux, sont purement chimériques et ne sont pour eux que duperie.

On voudrait faire croire qu'on va changer la situation de la classe ouvrière par une vaste association à laquelle on les invite à contribuer soit hebdomadairement soit mensuellement. Il y a là quelque chose qui paraît attrayant à ceux qui n'ont pas réfléchi aux phénomènes économiques. On promet aux ouvriers, par exemple, des secours importants, des ressources abondantes, pour les soutenir pendant des grèves qui doivent triompher des maîtres,

Les ouvriers finiront par comprendre que le plus clair de cet argent n'est pas destiné à soutenir des grèves ; qu'il est impossible que l'argent se multiplie et que les fonds qu'on leur promet en Belgique devoir faire venir d'Angleterre ou de Suisse, on promet en Angleterre et en Suisse de les faire venir de Belgique.

(page 686) Ils comprendront certainement qu'il est impossible que chacun reçoive plus d'argent qu'il n'en donne. Je pense que lorsque l'attention des ouvriers sera appelée sur ce côté financier de l'affaire, que lorsqu'ils voudront voir clair, il y aura de nombreuses conversions et que la société dont je parle aura perdu un grand nombre de ses adhérents. Ils sauront que dans aucun pays du monde jamais les grèves et les coalitions n'ont produit le moindre résultat et que toujours les seules victimes en ont été ceux qui s'y livrent. Ce sont des vérités très simples, j'espère qu'elles descendront dans les classes ouvrières, mais pour cela il faut quelques déceptions encore, qui seront un enseignement salutaire.

M. Coomans. - Messieurs, je ne relèverai pas autant que j'aurais le droit de le faire, l'étrange reproche qui m'est lancé par M. le ministre, de me livrer à des clameurs et a des déclamations ; c'est sur les bancs ministériels qu'on se livre plus souvent que sur les nôtres a des clameurs et à des déclamations.

J'ai demandé que le projet de loi sur la milice, déposé, la première fois en 1852, la deuxième en 1862 et la troisième en 1864, que ce projet de loi déclaré urgent en 1831 par le législateur constituant, fût enfin examiné par la Chambre.

Ce n'est pas à dire que je l'approuve, j'ai lieu de craindre, que je ne puisse pas l'approuver, je ne le connais guère, je n'ai à ce sujet que des renseignements très vagues, mais très vraisemblablement, il ne répondra pas à mes idées ; mais est-ce une raison pour me faire désirer qu'on ne le communique pas à la Chambre le plus tôt possible ?

J'ai demandé la prompte impression du rapport et vainement depuis longtemps je l'ai demandée pour que nous eussions laissée la faculté au gouvernement et à la section centrale d'étudier à tête reposée les très graves questions qui s'y rattachent. J'avoue que je crains que l'impression du rapport ne soit tant retardée qu'il devienne impossible de le discuter dans cette session. (Interruption.)

Nous aurons le rapport, mais je crains que nous n'ayons que cela et je veux autre chose, je veux au moins avoir l'occasion de prouver que l'indemnité accordée aux miliciens est très insuffisante.

MiPµ. - Vous ne la connaissez pas.

M. Coomans. - Je connais au moins les propositions du ministère. Vous ne les avez pas abandonnées et si vous les maintenez, elles sont très insuffisantes, je dirai plus, elles sont dérisoires. Elles se bornent à donner une indemnité au milicien à l'âge de 56 ans révolus !

Un mot sur les affaires de Serang, que je ne connais que par la lecture des journaux : M. le ministre affirme que l'autorité à usé d'une grande modération ; j'aime à espérer que cela nous sera bientôt démontré. Je remarque une chose, et je me bornerai à cette observation, c'est que plusieurs journaux s'accordent à déclarer qu'il y à beaucoup de victimes innocentes parmi les personnes atteintes.

M. de Moorµ. - Des curieux.

M. Coomans. - Il n'était pas nécessaire de me faire cette objection. Mais il résulte de ces faits qu'il faut éviter autant que possible l'emploi des armes...

M. de Moorµ. - Et des pierres aussi.

M. Coomans. - ... dans les émeutes ; qu'il faut retarder, autant que possible, la mise en présence de l'armée et du peuple.

Je connais les nécessités de la discipline, les entraînements de l'esprit militaire ; je sais combien il est difficile à un régiment, à un bataillon, à un simple peloton de résister à de mauvaises menaces, à de mauvais traitements de la part dès émeutiers.

Je sais tout cela et c'est parce qu'il importe que force reste à la loi qu'il faut éviter le plus longtemps possible de mettre l'armée et le peuple en présence. Je constate que telles étaient vos idées pendant le mois de mai 1857 alors que vous trouviez mauvais qu'on employât dans nos grandes villes les armes contre les gens qui faisaient pis que de porter atteinte aux propriétés et qui allaient même jusqu'à renverser le pouvoir législatif.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, il m'est impossible de ne pas protester contré les paroles de l'honorable membre. Il a dit tout à l'heure qu'il espérait bien que l'on démontrerait que l’emploi de la force n'avait pas eu lieu à tort. Je crois que c'est tout démontré. Je n'ai pas besoin d'invoquer pour cela les rapports officiels que mon honorable collègue de l'intérieur vous a dit attendre. Pas un journal, à ma connaissance, n'a constaté que l'emploi des armes ait été abusif. L'ensemble de la presse, les journaux de Liège surtout, constatent que l'on n'a usé de la force qu'à la dernière extrémité.

L'honorable membre se plaint que des personnes inoffensives aient été atteintes. Mais il oublie que c'est la nuit, dans l'obscurité, que des désordres graves ont été commis et que la gendarmerie a dû faire son devoir.

Maintenant, quand et comment la gendarmerie a-t-elle agi ?

C'est lorsque des pierres avaient été lancées, lorsque plusieurs gendarmes avaient été blessés. Et l'honorable membre viendra dire qu'il faut démontrer que la gendarmerie n'a pas abusé de ses armes !

Mais si la force publique doit se laisser outrager et violenter sans se défendre, que deviendra la société ?

Je dis que l'honorable membre commet une faute grave en venant suspecter, dans de pareilles circonstances, les défenseurs de l'ordre et de la loi de n'avoir pas fait leur devoir.

M. Coomans. - Je n'accepte pas votre reproche.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - J'oppose, moi, aux critiques de l'honorable membre l'approbation la plus complète et la plus générale de la presse et de l'opinion publique pour la conduite de la gendarmerie et de l'armée.

Il dit qu'il ne faut pas, dans des moments de troubles, mettre immédiatement en présence la troupe et le peuple. C'est ce qu'on a fait, mais vous allez voir ce qui arriverait si l'on suivait jusqu'au bout la théorie de l'honorable membre.

Les pouvoirs publics ont donné la liberté des coalitions et des grèves. Mais en quoi consiste cette liberté ? Dans le droit de ne pas travailler, dans le droit, pour les ouvriers, d'opposer leurs prétentions à celles de leurs patrons. Mais l'ouvrier abuse de la liberté, et il n'a plus droit à la protection de la société lorsqu'il attente à la liberté de ses camarades et lorsqu'il s'attaque aux instruments du travail et aux défenseurs de l'ordre.

Ces ouvriers qui s'insurgent contre la société qui lui garantit la liberté de la coalition, la liberté de la grève, que font-ils ? Egarés par des gens qui ne comprennent rien à la liberté, par des partisans de la force brutale, ils se livrent à des excès et veulent empêcher leurs frères de gagner leur pain. (Interruption.) Oui, des ouvriers se jettent sur les instruments de travail pour les détruire, veulent démolir des usines et forcent leurs camarades à abandonner leurs travaux.

Eh bien, je dis qu'en agissant ainsi, ils se montrent indignes de la liberté qu'on leur accorde et qu'il n'y aura qu'une seule voix dans le parlement pour blâmer leur conduite. Que les ouvriers fassent tout ce qu'ils peuvent pour obtenir l'élévation de leurs salaires, c'est leur droit et s'ils croient que leur salaire n'est pas rémunérateur. Mais ce qu'ils n'ont pas le droit de faire, c'est d'empêcher leurs camarades de travailler et de se livrer à des violences.

Dans la crise qui vient d'éclater, il n'y avait qu'une poignée de gendarmes pour résister à la foule des perturbateurs ; ceux-ci étaient au moins 1,500. Si l'on avait écouté les conseils de l'expérience, on n'aurait pas fait comme à Marcinelle, on n'aurait pas risqué 17 gendarmes contre 1,500 émeutiers ; mais j'espère que pareille imprudence ne se renouvellera plus.

Lorsque les citoyens abusent de la liberté, il faut leur faire comprendre que rien ne sera négligé pour que force reste à la loi et à l'autorité, (Interruption.)

- Des voix. - A demain !

Proposition de loi

Dépôt

M. le président. - Il est parvenu au bureau un projet de loi signé de deux de nos collègues. Les sections seront convoquées pour examiner s'il y a lieu d'en autoriser la lecture.

- Il est procédé au tirage au sort des sections pour le mois d'avril,

La séance est levée à 4 heures trois quarts.