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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 19 février 1869

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1868-1869)

(Présidence de M. Dolezµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 437) M. Reynaert, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 1/4 heures et donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Moor, secrétaireµ, présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Des habitants d'une commune non dénommée demandent une loi qui règle les inhumations. »

- Renvoi a la commission des pétitions.


« Il est fait hommage à la Chambre, par la commission de l'Académie chargée de publier la collection des grands écrivains belges, du tome VII des Oeuvres complètes de Froissart. »

- Dépôt à la bibliothèque.


« M. Delaet, retenu pour affaires, demande un congé. »

- Ce congé est accordé.

Prompts rapports de pétitions

M. Vander Donckt, rapporteurµ. - Messieurs, vous avez renvoyé à la commission des pétitions deux pétitions qui vous ont été analysées comme suit :

Des habitants de Saint-Ghislain, Roussu, Baudnur, Hautrages, Chièvres et autres communes intéressées demandent que les concessionnaires du chemin de fer de Hainaut-Flandres soient tenus à l'exécution de leurs engagements et qu'ils ne puissent les modifier.

Des conseils communaux du canton de Quevaucamps demandent la prompte exécution du chemin de fer qui relie Saint-Ghislain à Ath, et présentent des observations sur la direction à donner à cette ligne.

Ces deux pétitions donneront probablement lieu à une discussion assez longue ; et afin d'éviter une double discussion, votre commission, à l'unanimité, vous en propose le renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget des travaux publics.

- Ce renvoi est ordonné.


M. Vander Donckt, rapporteurµ. - Par pétition datée de Lennick-Saint-Marlin, le 8 février 1869, des cultivateurs à Lennick-Saint-Martin attirent l'attention de la Chambre sur la prescription légale qui détermine le nombre des chevaux a atteler aux chariots, et demandent que, tout en maintenant le poids déterminé par la même loi, on leur laisse plus de latitude pour l'attelage.

Par pétition datée d'Izel, des habitants de la commune d'Izel demandent l'abrogation ou tout au moins la révision de. la loi du 7 ventôse an XII, sur la police du roulage.

Messieurs, la loi du 7 ventôse an XII est une loi qui aujourd'hui, en quelque sorte, est tombée, en désuétude, ou qui, tout au moins, est surannée.

Elle exige une révision, parce qu'elle donne souvent lieu à des mesures arbitraires, et il serait utile que cette révision eût lieu dans le plus bref délai possible. Le gouvernement, convaincu de cette nécessité, ainsi que la Chambre, a déjà nommé une commission au sein de cette assemblée, chargée d'étudier et de réviser la loi. Elle a fait son rapport. Mais, par suite de la dissolution de la Chambre, cette révision n'a pas eu de suite.

Votre commission a l'honneur de vous proposer le renvoi de ces deux pétitions à MM. les ministres de l'intérieur et des travaux publics.

- Ces conclusions sont adoptées.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur de l’exercice 1869

Discussion du tableau des crédits

Chapitre XVIII. Enseignement primaire

M. Vleminckxµ. - L'honorable baron de Vrière. vous conviait hier, messieurs, en commençant son discours, à descendre des hauteurs élevées où vous aviez été retenus jusqu'alors par la splendide, l'importante discussion sur les études classiques, importante, incontestablement, puisqu'il s'agissait de l'avenir intellectuel du pays.

J'ai, moi, une semblable prière à vous adresser, puisque je n'ai à vous entretenir que de choses qui ne font, pour ainsi dire, que d'un ordre exclusivement matériel.

Messieurs, vous le savez comme moi, dans l'organisation de l'enseignement public, il n'y a pas que les fonctions cérébrales, il n'y a pas que les facultés de l'entendement auxquelles il faut songer ; il y a autre chose ; il y a, je vous demande pardon de la vulgarité de l'expression (elle ne m'appartient pas, d'ailleurs), il y a la guenille, la chère guenille, comme l'appelait le grand poète comique, et je suppose qu'elle ne vous est pas moins chère qu'à moi : or, c'est d'elle, c'est de cette guenille que je me propose de vous dire quelques mots, et la discussion sur l’enseignement primaire m'en fournit tout naturellement l'occasion. Aussi bien ne m’écarterai-je pas trop de ce qui, pendant tant de séances, a fait l'objet de vos justes préoccupations.

Vous savez tous, en effet, que pour que les facultés cérébrales puissent s'exercer librement, convenablement, pour que l'esprit puisse se livrer à une gymnastique soutenue et appropriée, il faut que le corps soit dans un état complet de santé. Prima vivere, nous disait l'autre jour l'honorable ministre de. l'intérieur, dans la discussion de l'emploi des femmes et des filles dans les fosses, discussion qui n'est pas close, tant s'en faut. Et moi j'ajoute, toujours en latin, nous n'en sommes pas encore tout à fait sortis : Vivere non est vita, sed valere vita est. Commençons donc par le commencement, commençons à apprendre à nous porter bien.

Eh bien, messieurs, s'il faut que nous fassions cet utile, cet indispensable apprentissage, sous l'empire de l'organisai ion qui nous régit, je crains bien que nous ne saurons jamais ce qu'il est indispensable de savoir.

De toutes les choses qui s'enseignent en Belgique, et il s'en enseigne beaucoup, la plus négligée, la plus incomplètement enseignée, c'est l'hygiène publique et privée.

Il ne me sera pas difficile, de le prouver.

Et tout d'abord, qu'est-ce que l'hygiène, dans l'enseignement universitaire ? L'hygiène, messieurs, c'est un cours à certificat. Cours à certificat, une science qui non seulement apprend à connaître les moyens les plus efficaces, les plus salutaires dans le traitement des maladies, mais qui nous apprend encore comment on peut s'en préserver ! Or, tous vous savez ce que sont les cours à certificats. Ce sont des cours où le corps est présent, mais dont l'esprit (je parle de l'esprit des auditeurs) est absent. Aussi est-il déplorable de voir combien sont faibles en hygiène la plupart des élèves qui viennent se soumettre aux examens oraux.

Voilà pour l'enseignement supérieur.

Quant à l'enseignement moyen, à l'enseignement humanitaire, il n'y est pas seulement question d'hygiène. Je suis convaincu que. tous ceux qui en sortent n'en savent pas le moindre mot.

Dans l'enseignement primaire, celui dont nous nous occupons en ce moment, on ne parle pas d'hygiène dans les écoles du second degré ; on en parle seulement un peu, oh ! mon Dieu oui, beaucoup trop peu, dans celles du premier degré, ainsi que dans les écoles d'adultes.

Voilà, messieurs, tout l’enseignement hygiénique du pays. Et pourtant, messieurs, c'est en Belgique qu'ont été tenus deux congrès d'hygiène, deux réunions magnifiques dans lesquelles des hommes d'une incontestable valeur sont venus, de toutes les parties de l'Europe, nous apporter le tribut de leurs lumières et de leurs observations. L'honorable M. Rogier le sait bien, c'est dans ces congrès qu'a été conçu et rédigé ce que j'appellerai le Code de l'hygiène, qui sert aujourd'hui de guide à une foule d'administrations publiques tant du pays que de l'étranger.

Il y a, à mon avis, des modifications à apporter à l'état actuel des choses : il est indispensable de. vulgariser plus qu'elles ne le sont aujourd'hui, les connaissances hygiéniques. Et cette vulgarisation, on ne peut l'obtenir qu'à l'aide de l'enseignement.

Et tout d'abord, il faudrait, d'après moi, commencer à donner des notions d'hygiène, depuis l'entrée à l'école. Je sais bien ce qu'on va me répondre : « Comment ! vous voulez enseigner l'hygiène à des enfants qui sortent à peine de nourrice ? Mais c'est absurde ! » C'est vrai, messieurs, je serais absurde, en effet, si je vous proposais de faire donner un cours théorique d'hygiène à ces petits êtres. Mais il ne s'agit pas de cela ; les notions dont je parle peuvent se donner autrement que par un cours théorique.

Voyons.

On apprend tout d'abord aux enfants à lire et à écrire. Pour apprendre à écrire, il faut bien les placer devant des modèles d’écriture ; pour apprendre à lire, il faut leur donner quelques petits livres. Pourquoi donc ces modèles ne consisteraient-ils pas en préceptes hygiéniques ? Pourquoi les livres ne contiendraient-ils pas un grand nombre de ces préceptes ? Et les murs de l'école, ces murs blancs comme ceux de cette Chambre, pourquoi n'en présentent-ils pas, eux aussi, à leurs yeux ?

Pourquoi ces murs ne servent-ils pas à l'enseignement ? J'ai vu naguère, dans des écoles régimentaires, que les murs étaient parfaitement et fructueusement employés à cet usage ? V a-t-il quelque obstacle à ce que cela ait lieu dans nos écoles ?

(page 438) Et voyez, messieurs, quels seraient les avantages de cette manière d'infuser des connaissances hygiéniques aux enfants. Ils deviendraient eux-mêmes en quelque sorte les éducateurs d'hygiène de leurs parents, qui, en parcourant ces livres et ces exemplaires d'écritures, recueilleraient évidemment des notions auxquelles ils auraient été jusqu'alors complètement étrangers.

Dans les écoles du premier degré, les notions fixées dans le cerveau seraient ensuite expliquées, développées, commentées. Ce serait déjà un cours.

Voilà comment, d'après moi, il faudrait organiser, pour l'enfance, l’enseignement hygiénique. Et veuillez bien le remarquer, s'ils ne connaissent pas l'hygiène autant que possible, du moins, en quittant l'enseignement primaire, le plus grand nombre d'entre eux n'en apprendra plus rien du tout. Les sept huitièmes et plus, en effet, ne. vont pas au delà dudit enseignement.

Faites donc entrer dans leurs jeunes têtes le plus tôt et le plus longtemps possible les principes de l'hygiène ; faites-les entrer par les yeux, par les oreilles, par la parole, par tous les moyens, en un mot, qui peuvent les y faire parvenir et les y fixer.

Si je pouvais organiser ensuite, l'enseignement humanitaire à mon gré, l'hygiène en ferait très certainement partie ; c'est pendant les études humanitaires que le cours serait approfondi, pour être enfin scientifiquement complété dans les universités.

L'honorable ministre de l'intérieur nous disait hier qu'il faut apprendre l'économie politique, aux élèves en médecine, je n'y trouve, quant à moi, rien à redire, mais je le convie, moi, à faire donner un cours d'hygiène aux élèves en droit. Ils en retireront probablement plus de fruits et d'utilité réelle que les élèves en médecine, de l'économie politique.

Si j'insiste tant, messieurs, pour que les notions d'hygiène soient répandues, propagées, vulgarisées, c'est que j'ai l'intime conviction qu'elles doivent assurer au pays d'incontestables bienfaits.

Laissez-moi vous fournir quelques exemples, quelques preuves.

Il y a deux ans à peine, le choléra avait fait invasion dans nos contrées. Eh bien, quel est l'enseignement que nous avons recueilli alors ? C'est que les pensionnats, les couvents, les séminaires et ces grandes agglomérations qu'on appelle prisons, en ont été complètement exempts, bien qu'il fît autour d'eux d'effroyables ravages. Et savez-vous pourquoi, messieurs ? Mais c'est fort simple, c'est que dans tous ces établissements les règles de l'hygiène étaient parfaitement observées.

Oh ! je le sais bien, il n'en est pas de même de toutes les épidémies ; mais cela tient à des raisons qu'il est impossible de développer devant cette Chambre ; encore peut-on dire en règle générale, que la préservation est au prix de la résistance, et la résistance, toutes choses égales d'ailleurs, au prix de l'observation, des préceptes hygiéniques, non pas transitoirement, pendant le règne de ces épidémies, mais avant, mais pendant, mais toujours.

Voici un autre exemple. Je lisais, il y a quelques mois, dans un journal français très répandu, ce qui suit :

« Dans la séance tenue à Paris par la société protectrice de l'enfance, le 31 janvier dernier, M. Dailly, rapporteur de la commission des prix à décerner aux auteurs des meilleurs mémoires sur l'éducation physique et morale de l'enfance depuis la naissance jusqu'à l'achèvement de la première dentition, évaluant la mortalité annuelle de l'enfance à plus de 120,000, émet l'avis que la moitié de ce chiffre effrayant pourrait être sauvé, si les enfants pouvaient se trouver dans de meilleures conditions hygiéniques. Les enfants, en effet, meurent en grande partie d'affections dont les causes pourraient être évitées : alimentation insuffisante ou excessive, refroidissements dus à la négligence ou à l'excès de chaleur artificielle, malpropreté favorable, à la contagion des épidémies, etc. Arracher 60,000 enfants à la mort, ajoute M. Dailly, voilà un but magnifique et ce qui ne se présente pas toujours dans les grands problèmes, un but défini, réalisable et même indispensable, si notre Occident doit subsister. »

Eh bien, que résulte-t-il de ce que je viens de vous lire ? C'est qu'il faut surtout enseigner l'hygiène, et le plus longtemps possible, aux jeunes filles destinées à devenir mères un jour, et qui, si elles n'ont pas appris cette science, s'exposent à des soucis nombreux et à d'irréparables malheurs.

-Voulez-vous me suivre un instant dans l'industrie agricole ? Il y a quelques jours à peine , nous avons voté 250,000 fr., je pense, pour indemnités aux propriétaires d'animaux abattus .J'affirme que si les principes de l'hygiène avaient pénétré dans les campagnes, si nos campagnards les comprenaient et les appliquaient, j'affirme qu'avant quelques années cette somme disparaîtrait en grande partie du budget.

Il faudrait tout simplement pour cela que les étables et les écuries fussent tenues dans un bon état de propreté et que de l'air pur fût respiré par les animaux.

Dans le Limbourg , vous avez vu souvent apparaître une maladie appelée pleuropneumonie, maladie des bêtes qu'on engraisse, maladie souvent mortelle qui a porté déjà une atteinte profonde à la fortune publique et à la fortune privée.

Or, messieurs, il est constant aujourd'hui que si l'on modifiait le mode d'engraissement en faisant régner dans ces étables les principes de l'hygiène, c'est à peine si cette maladie apparaîtrait encore de loin en loin, et je ne vous donne pas ici seulement mon opinion à moi, mais celle de la plupart des vétérinaires les plus éminents du pays.

II n'est pas un de vous qui n'ait visite de grands établissements destinés à réunir un grand nombre d'hommes.

Je pose en fait que ce n'est qu'exceptionnellement que vous en avez rencontré qui réunissent toutes les conditions d'hygiène.

- Des membres. - La Chambre elle-même.

M. Vleminckxµ. - Oui, la Chambre elle-même. Il en est de même de nos propres demeures, la plupart construites contrairement à ces règles. Et pourquoi ? C'est qu'il est peu d'architectes qui connaissent l'hygiène, qui connaissent les lois sur lesquelles les règles de cette science sont basées.

Je lisais l'an dernier, je crois, dans un discours d'un souverain aux délégués de son peuple, les mots suivants :

« Plus on se préoccupe d'hygiène publique, plus on contribue à l'accroissement et à la prospérité de la population. »

Et savez-vous, messieurs, quel est ce souverain ? C'est le vice-roi d'Egypte. Je ne crois pas qu'une semblable glorification de l'hygiène soit jamais partie d'aussi haut dans aucun de nos pays Occidentaux. n. Faisons-en notre profit.

Enseignons donc l'hygiène ; enseignons-la surtout aux enfants qui, pour la plupart, comme je vous le disais tout à l'heure, ne vont pas au delà de l'école primaire. Saturons-les d'hygiène, on n'en saurait jamais trop enseigner, si nous voulons, comme disait l'autre jour l'honorable M. Rogier, en étendre les bienfaits dans les demeures les plus pauvres. Enseignons-la à tous sans exception et enseignons-la bien.

Je ne sais si je me fais illusion, mais je nourris l'espoir que l'honorable ministre de l'intérieur voudra bien avoir quelque égard à mes recommandations. Il me semble impossible que sa grande perspicacité, que sa haute intelligence ne lui disent pas que j'ai raison. Quinze ans du régime que je préconise, et j'ose prédire que l'hygiène publique et l'hygiène privée auront subi une transformation complète dans le pays, et le peuple, dans sa reconnaissance, bénira le gouvernement qui lui aura procuré d'aussi grands bienfaits.

Je ne fais d'ailleurs que recommander à l'honorable ministre de persister dans les traditions, en les améliorant, de ses honorables prédécesseurs, et spécialement de l'éminent M. Rogier, qui a eu la bonne fortune, dans sa longue carrière administrative, de pouvoir associer son nom à tout ce qui s'est fait d'utile, de bon et de véritablement fécond en Belgique.

Permettez-moi, de vous citer, et c'est par là que je finis, quelques mots que cet honorable membre a prononcés dans un de ces congrès dont je parlais tout à l'heure. Les voici :

« Je suivrai vos travaux avec le plus vif intérêt. Je suis convaincu depuis longtemps qu'il n'est pas d'objet plus important pour l'administration, plus digne de fixer l'attention des hommes d'Etat, des hommes publics, des assemblées législatives, que celui dont vous vous occupez en ce moment.

« .. J'étudierai vos travaux avec sollicitude, et tout ce qu'il sera possible de faire dans les limites du budget, qui, je l'espère, contiendra, dans l'avenir, une dotation plus forte pour cet objet, nous le ferons. Toute l'action administrative sera mise à la disposition des administrations communales et de tous les hommes de bonne volonté. »

Ne craignez donc pas de faire des dépenses pour l’enseignement de l'hygiène, M. le ministre, dépensez, n'y regardez pas de trop près, et l'hygiène vous rendra au quintuple ce que vous aurez fait pour elle.

M. de Rossiusµ. - Messieurs, j'ai demandé la parole pour traiter un sujet dont, hier, l'honorable M. Bouvier vous a déjà parlé et sur lequel, dans la session dernière, j'avais eu l'honneur d'attirer votre attention. Je veux m'occuper de l'enseignement pédagogique primaire, de l'organisation qu'il a reçue. Dans la session dernière, j'ai exposé à la Chambre comment dans l'organisation des établissements normaux de l'Etat sont venus sombrer plusieurs des principes essentiels du droit public belge. J'ai rappelé que les jeunes gens appartenant à la religion catholique romaine sont seuls admis à franchir le seuil de nos écoles. J'ai montré que les dissidents sont écartés des études pédagogiques et (page 439) par l'examen d'admission, et par les programmes des cours, et par la composition du corps professoral et des jurys d'examen, et enfin par le régime intérieur. J'ai montré l'accès des écoles réservé aux seuls jeunes gens qui consentent à subir une épreuve sur la doctrine chrétienne et l'histoire sainte devant un jury qui compte dans son sein deux membres du clergé catholique ; la morale et le dogme confondus faisant l'objet d'un cours unique, obligatoire, confié à un prêtre catholique ; à Lierre, à Nivelles, un directeur appartenant également au clergé de l'Eglise de Rome, chef du corps professoral qu'il dirige, qu'il surveille, dont il apprécie le zèle et l'enseignement dans des rapports officiels adressés au ministre de l'intérieur.

Enfin, un régime intérieur qui, dans un pays de liberté de conscience, est l'expression de la prédominance d'un culte ; qui, comme l'a rappelé hier l'honorable M. Bouvier, est la manifestation excessive des pratiques et des devoirs de ce culte. Chose grave ! car semblable régime ne tolère pas même la tiédeur, et force ceux qui dont l'esprit y refuse une soumission librement consentie, à chercher un refuge dans les apparences mensongères.

Tout cela me paraissait nécessiter une réforme à la fois légitime et opportune ; car elle était l'une des conclusions les plus évidentes de la longue discussion dont la loi de 1842 venait d'être l'objet.

L'honorable ministre de l'intérieur me fit une réponse bienveillante. Il annonça qu'il avait l'intention d'examiner à fond les principes qui doivent servir de base à l'enseignement pédagogique primaire, à l'occasion de la création des quatre écoles nouvelles autorisées par la loi de 1866. Il déclare, de plus, qu'en attendant l'exécution de cette loi, il se proposait d'apporter des améliorations notables aux établissements existants, par la révision, alors projetée, de leurs règlements organiques et du programme des cours.

L'honorable ministre de l'intérieur a rempli une partie de sa tâche. Le Moniteur du 13 octobre 1868 nous a fait connaître un arrêté du 10 du même mois, qui remanie le plan des études.

Les matières obligatoires de l'enseignement pédagogique ont été énumérées dans un arrêté royal du 11 novembre 1843, qui a subi de légères modifications en 1860. Il divise le cours en trois années, auxquelles correspondent trois divisions.

Il charge le ministre de l'intérieur de régler le mode d'admission des élèves et de formuler des programmes détaillés pour chacune des trois divisions. C'est dans ces dispositions que M. le ministre de l'intérieur a puisé le droit de substituer des programmes nouveaux aux programmes antérieurs élaborés en 1854 et en 1860.

Le travail de l'honorable ministre de l'intérieur est complet. Il embrasse tout l'enseignement pédagogique primaire, celui de l'Etat et celui des établissements privés, de ces établissements qui acceptent le régime d'inspection établi par la loi de 1842, en vue de doter les instituteurs qu'ils forment des mêmes droits, des mêmes titres qui appartiennent aux élèves de Lierre et de Nivelles.

Le travail de l'honorable ministre est encore complet en ce qu'il s'occupe des études des élèves institutrices.

Enfin, il comble une lacune en détaillant le programme de l'épreuve préalable à l'admission dans l'école.

L'arrêté du 10 octobre 1808 fait partie d'un ensemble de réformes qui ne larderont pas à voir le jour, comme nous l'apprend une instruction générale adressée, sous la date du 12 octobre 1868, par M. le ministre de l'intérieur aux directeurs et aux directrices des écoles normales primaires :

« ... Il reste à régler plusieurs questions relatives notamment : à la formation des différents jurys chargés de l'examen d'admission et des deux autres espèces d'examens, aux procédés à suivre dans ces diverses épreuves, et à la fixation du minimum des points qu'un aspirant devra avoir réunis soit pour être admis à une école normale, soit pour passer d'une division à la division immédiatement supérieure, soit pour obtenir un diplôme de ici ou tel degré. Ces questions et d'autres qui s'y rattachent seront prochainement résolues dans le règlement organique qui demande à être mis en harmonie avec le nouveau système d'études normales. »

Messieurs, je demande a la Chambre la permission de ne pas attendre l'apparition de ce nouveau règlement organique, c'est-à-dire la réalisation de ce qu'il reste à faire pour apprécier l'œuvre que nous avons sous les yeux, pour porter un jugement sur ce qui est fait.

Pourquoi d'ailleurs postposer mes observations ? Le règlement organique reflétera la pensée qui a présidé à la rédaction du programme ; mis en harmonie avec ce programme, il ne pourra rien nous apprendre que nous ne connaissions aujourd'hui.

Ce qui me préoccupe, c'est le respect de la liberté de la conscience ; c'est le droit pour chacun, quelle que soit sa foi religieuse, de se vouer à la carrière de renseignement primaire, de recueillir le bénéfice des larges sacrifices que s'impose le trésor public pour former des fonctionnaires dignes de la confiance des pères de famille, c'est-à-dire aptes à développer l'intelligence, la raison, le cœur des enfants, que le dogme sépare ou qu'il pourrait séparer.

Je n'ai pas l'intention d'examiner le programme de l'honorable ministre de l'intérieur en me plaçant à un autre point de vue, de rechercher la valeur pédagogique de l'enseignement dont il détermine la nature, et dont il fixe les limites.

Peut-être m'opposerait-on justement une exception d'incompétence. La question constitutionnelle, d'une extrême gravité d'ailleurs, est la seule que je veuille examiner. Je me demande donc, si les programmes du 10 octobre 1868 lui donnent une solution dont le libéralisme puisse se contenter ; si ces programmes ouvrent l'école aux jeunes Belges sans distinction de croyances, c'est-à-dire qu'ils acceptent, soit en tout, soit en partie, ou qu'ils repoussent les vérités doctrinales de tel ou de tel culte positif, et s'ils leur assurent, le seuil franchi, un enseignement exempt de pression, exempt de propagande, quoique sans lacune.

Rappelons d'abord les dispositions de l'article 36 de la loi de 1842.

Cet article s'occupe des écoles normales. Il renferme trois paragraphes.

Le premier paragraphe étend aux écoles normales le mode de direction et d'inspection ecclésiastique établi par les articles 6, 7, 8 et 9 de la loi de 1842 pour les écoles primaires.

Vous savez, messieurs, ce que sont cette direction et cette inspection ecclésiastique. II serait superflu de résumer la teneur des dispositions visées dans ce premier paragraphe.

Le deuxième paragraphe réserve au gouvernement la nomination des professeurs des écoles normales.

Vient, enfin, un dernier paragraphe, ainsi conçu :

« Il y aura dans chaque école normale un ministre du culte, chargé de l'enseignement de la morale et de la religion. »

Ainsi, messieurs, le législateur de 1842 impose un cours qui comprend deux parties :

Première partie : le dogme, dont il croit la connaissance nécessaire, dont il ordonne au futur instituteur de continuer l'étude.

Deuxième partie : la morale. Voilà le cours. Qui en est chargé ? Un ministre du culte, c'est-à-dire un prêtre catholique ; car la majorité des élèves ont reçu le baptême romain.

Le prêtre catholique est chargé de l'enseignement du dogme et de la morale, les deux branches jugées également nécessaires d'un cours unique.

Telle est la loi, et assurément le mobile de ses auteurs n'a pas été un vif sentiment de sollicitude pour les dissidents, la volonté équitable de leur assurer dans l'école normale la même position qu'aux catholiques.

Nous connaissons la loi, voyons maintenant le programme de l'honorable ministre.

Ce programme suit l'ordre naturel. Il commence par l'examen d'admission. En tête figurent la religion et la morale, et l'examen porte sur la doctrine chrétienne et l'histoire sainte.

Ici, messieurs, nous trouvons une note où nous lisons que l'examen ne concerne que les élèves appartenant à la religion catholique romaine.

Ainsi pas d'examen sur la religion et la morale pour les dissidents. Le jury ne pourrait, en effet, les interroger que sur la doctrine chrétienne et l'histoire sainte interprétées par Rome.

MiPµ. - C'est une erreur.

M. de Rossiusµ - Ce n'est pas une erreur.

Je dis que le jury devrait suivre l'interprétation de l'Eglise catholique. Dès lors force est de supprimer l'épreuve.

Mais cette épreuve il faut bien, pour les disciples des autres cultes, la remplacer par un autre mode de constatation. La note nous le fait connaître : « S'il se présente des élèves appartenant à une autre communion, ils devront produire un certificat délivré parmi délégué du chef du culte auquel ils appartiennent, et constatant qu'ils présentent les garanties nécessaires sous le rapport religieux (arrêté ministériel du 21 juillet 1862). »

Ainsi la note nous apprend qu'il existe un arrêté de 1862 où l'honorable M. Pirmez a puisé l'expédient qui rend l'école d'un accès possible pour les dissidents.

Cet arrêté figure aux annexes de l'avant-dernier rapport triennal, à la page 152. Je lis :

« Le ministre de. l'intérieur,

« Considérant que le nouveau règlement des écoles normales (page 440) d'élèves-institutrices, en date du 25 octobre 1861, ne contient, en ce qui concerne l’enseignement religieux, que des dispositions applicables aux élèves appartenant à la communion catholique romaine ;

« Considérant qu'il y a lieu d'adopter des dispositions particulières applicables aux élèves des autres communions ;

« Arrête :

« Art. 1er.....

« Art. 2. Pour l'admission dans une école normale, toute récipiendaire qui n'est pas de la religion catholique romaine doit produire, à l'appui de sa demande, un certificat délivré par un délégué du chef du culte auquel elle appartient et constatant qu'elle présente les garanties nécessaires sous le rapport religieux. »

Voilà, messieurs, la disposition dont l'honorable ministre de l'intérieur élargit l'application. Edictée par les élèves institutrices, elle sera désormais la règle pour les écoles d'instituteurs, pour Lierre et Nivelles, pour les sections normales établies près de cinq de nos écoles moyennes, pour les écoles privées agréées.

Messieurs, je crains presque, qu'on ne m'accuse d'apporter à cette tribune un esprit de critique systématique. Je comprends que. je dois tenir compte à l'honorable ministre de l'intérieur des difficultés grandes que. présente la conciliation des deux choses aussi contraires que la Constitution belge et la loi de 1842, l'une qui proclame la liberté de conscience, l'autre, la loi de 1842, qui consacre la suprématie d'un culte.

Que l'on me permette cependant une observation ; à l'épreuve subie devant tout un jury dont les membres discutent et délibèrent avec des droits égaux, et exercent sur leurs tendances réciproques un contrôle efficace, l'arrêté de 1862 substitue la volonté ou le caprice d'un seul, le défaut d, publicité, l'absence de garantie contre la sévérité outrée ou l'excessive indulgence.

C'est une première inconséquence à laquelle vous être entraînés par la loi de 1842.

Mais nous ne sommes qu'au seuil de l'école ; muni de son certificat, le dissident va pouvoir pénétrer dans l'arche sainte. Suivons-le et voyons quelle position lui fait le programme de l'honorable ministre de l'intérieur.

Vous savez, messieurs, que cet élève, pendant un internement de trois, aimées, va se trouver en présence du prêtre catholique chargé, par l'article 36 de la loi de 1842, de l'enseignement de la morale et de la religion.

Qu'est-ce que le programme de l'honorable ministre de l'intérieur fait de cet enseignement de la morale et de la religion ?

« III. Religion et morale

« 1ère année d'études (3ème division). Histoire de la religion depuis la création jusqu'à la naissance du Sauveur, Exposition du dogme et de la morale.

« 2ème année d’études (2ème division). Histoire du Sauveur Continuation de l'exposition du dogme et de la morale.

« Exercices préparatoires de l'enseignement de la morale et de la religion dans les écoles primaires.

« 3ème année d'études (1ère division). Aperçu rapide de l'histoire de l'Eglise.

« Exercices préparatoires à l’enseignement de la religion et de la morale dans les écoles primaires. Récapitulation des cours précédents. »

Ce cours n'est pas fait pour les dissidents ; les élèves catholiques seuls peuvent accepter un enseignement de la morale qui se rattache à. l'enseignement du dogme catholique avec lequel, en quelque sorte, il se confond.

Aussi, trouvons-nous encore une note où nous lisons : « Pour les élèves appartenant à la communion catholique romaine. S'il se présente des élèves appartenant à une autre communion, le gouvernement avise au moyen de pourvoir à cette partie de leur instruction. »

M. Bouvierµ. - C'est une mauvaise note. (Interruption.)

M. de Rossiusµ. - Messieurs, le programme n'est donc pas fait pour les dissidents. Il ne s'occupe pas de dissidents ; à leur égard le gouvernement ne prend actuellement aucune mesure ; s'il s'en présente, il avisera.

Eh bien, je déclare qu'il m'est impossible de voir dans la déclaration gouvernementale autre chose qu'un véritable aveu d’impuissance.

M. le ministre de l'intérieur part de la loi de 1842, je le reconnais : l'article 36 de cette loi s'impose à l'honorable M. Pirmez. Mais c'est ce qui rend impossible une mesure en faveur des dissidents.

L'honorable ministre est impuissant parce que l'article 36 de la loi de 184, consacre l'intervention du prêtre catholique à titre d'autorité, dans l'école normale, en le chargeant seul de l'enseignement de la morale et de l'enseignement de la religion, déclaré cours unique et obligatoire.

En 1862, le gouvernement avait tenté cette impossible conciliation de deux dispositions qui s'excluent : la prescription constitutionnelle et l'article 36 de la loi de 1842. L'arrêté du 21 juillet 1862 ne s'est pas occupe seulement de l'épreuve d'admission des élèves institutrices dissidentes.IlH n'a pas borné sa sollicitude à la promulgation de cette mesure, qui consiste à remplacer les examens d'entrée par des certificats que délivrent les délégués des chefs des autres cultes.

L'arrêté de 1862 a généralisé l'expédient des certificats ; il les a substitués aux examens semestriels et de sortie. C'est l'objet du paragraphe 2 de l'article 2. Vous savez, messieurs, que les élèves des écoles normales sont soumis à une série d'épreuves : tous les six mois, ils subissent un examen, dont le dernier, à l'expiration de la troisième année d'étude, est qualifié d'examen de sortie, et donne droit à l'obtention d'un diplôme du premier, du second ou du troisième degré. Voici maintenant le paragraphe 2 de l'article 2 :

« Des certificats semblables sont fournis par les élèves institutrices non catholiques aux jurys chargés de procéder aux examens semestriels et de sortie. »

L'honorable ministre de l'intérieur n'a pas voulu aller aussi loin que son prédécesseur ; il n'a pas voulu étendre l'application de ce paragraphe 2 aux écoles d'instituteurs.

Il a compris que l'internement absolu décrété par les règlements organiques ne permet de remplacer ni légalement, ni sérieusement, les examens intermédiaires et final par des affirmations de prêtres dissidents, qu'un soin jaloux écarte du sanctuaire. Interné, le temps des vacances excepté, toutes ses relations avec son pasteur se trouvant rompues, comment l'élève non catholique pourrait-il produire une attention loyalement, consciencieusement délivrée ?

Il faut le reconnaître, l'arrêté de 1862 n'est qu'un leurre, une déception pour les jeunes filles dissidentes ; il leur assure une égalité de position fallacieuse, et l'honorable M. Pirmez ne pouvait y puiser la solution demandée et qu'il ne trouvera pas tant qu'il persistera à la chercher en dehors de la révision de l'article 36 de la loi de 1842, de cet article qui veut que l'élève continue l'étude du dogme et ne tolère dans l'école que la présence du prêtre catholique chargé également de l'enseignement de la morale.

« S'il se présente des dissidents, dit la note, le gouvernement avisera. »

Messieurs, je suis convaincu que M. le ministre de l'intérieur forme le vœu qu'il ne s'en présente pas. (Interruption.)

Vous avez eu tort de ne pas y penser ; si vous aviez pensé, aux dissidents, vous auriez demandé la révision de l'article 36 de la loi de 1842. (Nouvelle interruption.) Je veux dire que vous n'y avez pas sérieusement pensé. Mais je répète que vous devez former le vœu qu'il ne se présente pas de dissidents.

En effet, je ne, pense point que la requête que lui adresserait un jeune homme non catholique puisse donner à l'honorable ministre l'inspiration qui lui a fait défaut lorsque dans le sein du cabinet, méditant sur les programmes,, il a vainement demandé à son imagination une solution transactionnelle acceptable.

L'honorable ministre peut d'ailleurs se rassurer. Aucun dissident ne frappera à la porte d'un établissement de l'Etat. Ignorant du sort qui lui sera réservé, comment pourrait-il se résoudre à se présenter devant le jury d'admission, à se préparer par le travail à l'épreuve que le programme exige ?

L'incertitude même dans laquelle il est laissé l'écarté nécessairement de l'enseignement pédagogique.

Je veux admettre qu'il ait confiance, une confiance bien méritée d'ailleurs, dans les intentions ministérielles. Est-ce qu'il peut ignorer l'influence et l'autorité du prêtre catholique, fort de la position privilégiée que lui assure la loi de 1842 ? Il sait que la défiance et l'hostilité, une hostilité sourde, la plus redoutable, l'accueilleront à son entrée.

Lierre et Nivelles où, à côté de professeurs ecclésiastiques, au-dessus des membres laïques du corps professoral, nous voyons deux directeurs également membres du clergé de l'Eglise romaine ; Lierre et Nivelles sont deux citadelles catholiques. Le dissident y sera soumis à l'incessante action d’un prosélytisme dont l'ardeur croît en raison directe de la foi qui l'inspire.

S'il résiste, il sera considéré et traité comme un ennemi qui aura pénétré dans la place. Avouons-le, un internement de trois années dans de semblables conditions, dans un tel milieu, est pour le dissident une perspective peu séduisante.

Le programme du 10 octobre 1868 nous prouve une chose, c'est qu'on (page 441) ne rencontre que difficultés ; c'est que forcément on greffe inconséquences sur inconséquences quand la législature sort de la voie constitutionnelle.

Oubliant qu'il n'y a pas, en Belgique, de religion d'Etat ; que tous les cultes sont égaux ; que tous les Belges ont les mêmes droits, on fait du dogme d'une Eglise déterminée l'objet d'un cours obligatoire ; on écarte de l'école les prêtres d'autres cultes et par conséquent leurs disciples.

A ceux qui n'ont pas été élevés dans la religion de la majorité et qui sont des croyants, on refuse la nourriture spirituelle jugée indispensable pour les catholiques et qu'à ceux-ci l'on prodigue.

On ne parvient même pas à cacher cette inégalité de traitement en décrétant quelque mesure qui sauve au moins les apparences. On avisera. Oubliant que c'est la foi qui accepte les vérités d'une religion et que nul ne peut être astreint à concourir aux cérémonies d'un culte déterminé, on impose l'étude et la connaissance des vérités, l'observation des pratiques de ce culte à tous les jeunes gens qui prennent place sur les bancs de nos écoles, et qui y prennent place, ne l'oublions pas, à un âge qui varie, entre 16 et 22 ans, dont la plupart sont des majeurs, des hommes faits et à qui on ne laisse d'autre alternative que de feindre une adhésion récompensée par la faveur, ou de subir, pour prix de leur franchise, une impitoyable exclusion qui brise leur carrière.

Messieurs, quand je me place, au point de vue de l’enseignement du dogme, je ne puis donc accepter le programme de l'honorable M. Pirmez ; ce programme, qui n'est pas et ne pouvait être une solution, qui, fût-il de nouveau modifié, ne pourrait encore, la loi restant debout, l'article 36 n'étant pas rapporté, être une solution.

Combien le programme est moins acceptable encore quand on se préoccupe de la seconde partie du cours, de l'enseignement de la morale !

Il est bien inutile d'insister sur l'extrême importance de cet enseignement. Elle ne sera contestée par personne dans cette enceinte. Il importe que l'élève instituteur en recherche, en constate les principes, qu'il en pénètre les lois ; il est essentiel que la méditation et le raisonnement fortifient en lui l'amour du bien et du devoir.

Que fait cependant le législateur ? Que fait l'article 36 de la loi de 1842 ? Que fait après lui le programme de l'honorable M. Pirmez ? L'étude de la morale , de cette branche capitale, reste le privilège des élèves catholiques.

Le paragraphe 3 de l'article 36 charge le prêtre catholique de Renseignement de la morale et de la religion ; le programme lui confie l'exposition du dogme et de la morale.

Et les dissidents ?

Et quel est le sort des dissidents ? Est-ce que pour les dissidents l’enseignement de la morale est de peu de prix ? Qui voudrait le soutenir ? Ils en sont privés cependant.

Je sais bien que M. le ministre de l'intérieur crée un nouveau cours, un cours dit d'éducation, dont le programme nous trace un cadre séduisant :

« Dignité personnelle et respect de soi-même ;

« Propreté et maintien ;

« Esprit d'ordre et de régularité ;

« Tempérance ;

« Réserve et modestie ;

« Conscience ;

« Sentiment du droit et du devoir ;

« Sentiment du juste et du vrai ;

« Droiture, charité ;

«. Conduite envers les inférieurs, les égaux et les supérieurs ;

« Désintéressement ; dévouement ; civisme ; caractère ; sentiment des convenances ;

« Usage et bienséance. »

Ce cours d'éducation comble-t-il la lacune que j'ai signalée ? Remarquez, messieurs, qu'on pourrait presque l'intituler : cours d'éducation et de morale, tant les mots de conscience, de droit, de devoir, de désintéressement (les plus beaux dans toutes les langues) y sont souvent prononcés !

Ce cours d'éducation donne-t-il toute satisfaction aux dissidents ?

Pour qu'il en fût ainsi, il faudrait qu'il consistât dans l'exposition et la démonstration sérieuse des lois de la morale et que le prêtre catholique n'en fût pas chargé. Or, ou votre cours n'aura pas cette ampleur, ou il ne sera pas abandonné au professeur laïque. Le prêtre catholique jouit d'un privilège ; c'est la loi qui le lui confère ; vous ne pouvez le lui enlever !

Si votre cours d'éducation est sérieux, le prêtre catholique dira : Votre étiquette est fausse ; le cours d'éducation cache un cours de morale. C'est une marchandise de contrebande ; je la confisque. Vous céderez, car dans ce conflit la légalité ne sera pas de votre côté. Autrement dit, vous ne pouvez convier les élèves non catholiques à votre cours d'éducation, qu'à la condition de l’enlever au professeur ecclésiastique, et vous ne pouvez l'enlever au ministre du culte que si vous lui refusez toute importance comme cours de morale, que si vous en faites une sorte de cours de civilité puérile et honnête.

Messieurs, j'ai tort peut-être d'employer cette expression, car la chose ne mérite aucun dédain : la civilité, c'est-à-dire le savoir-vivre, la politesse, l'aménité, l'affabilité, qualités exquises qui parfument nos relations sociales ; elles ne sont indifférentes pour personne, chez l'instituteur elles sont essentielles. Le cours manquait. L'honorable ministre a bien fait de l'établir. Mais son cadre magnifique est trop ambitieux. Le cours n'aura pas, il ne peut avoir ces proportions exagérées, qui dépassent d'ailleurs la pensée ministérielle. En veut-on la preuve ? Je la trouve dans l'instruction ministérielle dont j'ai parlé, dans cette instruction où se rencontrent beaucoup d'idées à la fois généreuses, utiles et pratiques.

Le ministre, dans un beau langage, y oppose le cours d'éducation dont il définit les caractères, aux branches qui ont pour objet le développement intellectuel et moral de l'instituteur.

« Une fâcheuse lacune à laquelle les programmes anciens ne permettaient pas de remédier, c'était la partie éducative de l'enseignement normal. Cependant, le prestige de l'instituteur est autant, peut-être plus encore, dans son caractère que dans sa science. Pour que les générations sortent saines et fortes de ses mains, il faut qu'il ait lui-même cette élévation d'esprit et cette trempe de caractère qui font la supériorité de l'homme moral. Son rôle est presque autant d'élever les enfants que de les instruire ; car c'est à l'école, cette seconde, famille, quand elle n'est pas tenue de remplacer la famille elle-même, que se puissent les premières impressions, les plus vives, les plus durables.

« On a donc jugé, utile d'inscrire au nouveau programme un cours spécial d'éducation, ii ne suffit pas de fortifier le jugement des jeunes gens, de donner à leur esprit une trempe sérieuse, de développer leur intelligence, d'éveiller en eux la conscience, de la rendre active et vigilante, de leur inspirer le sentiment du devoir en même temps que le sentiment du droit, l'un étant le corollaire de l'autre ; en un mot, de leur imprimer cette direction morale qui forme le caractère et commande l'estime et la considération des gens de bien ; il faut aussi les façonner comme hommes et les initier à ces devoirs du monde qui constituent le savoir-vivre, l'urbanité. Aussi bien c'est encore élever l'esprit que de le rendre aimable, et c'est compléter le futur éducateur que de lui faire contracter cette aménité et cette habitude des convenances qui font le charme des relations sociales. »

Ainsi, messieurs, façonner les élèves comme, hommes, les initier à ces devoirs du monde qui constituent le savoir-vivre, l'urbanité,, leur faire contracter cette aménité et cette habitude des convenances qui font le charme des relations sociales, voilà le cours d'éducation !

Ce cours est indispensable, car, dit l'honorable ministre de l'intérieur, il ne suffit pas de développer l'intelligence et le jugement des jeunes gens. C'est le résultat que poursuit l'enseignement scientifique et littéraire. Ce cours d'éducation est indispensable, car, dit toujours l'honorable ministre de l'intérieur, il ne suffit pas d'éveiller la conscience, de leur inspirer le sentiment du droit, et du devoir, de leur imprimer cette direction morale qui forme le caractère et commande l'estime. Voilà le cours de morale.

Vôtre cours d'éducation n'est donc pas l'enseignement de la morale, pas plus qu'il n'est l'enseignement scientifique et littéraire.

Aussi, si nous consultons le tableau de l'emploi du temps qui est annexé à l'arrêté ministériel de 868, nous constatons que la part réservée au cours d'éducation proprement dit est bien minime : une heure par semaine et pendant la première année d'études seulement.

Je ne m'en plains pas.

En effet, en semblable matière, l'effet est petit des théories et des démonstrations ; il faut ici prêcher d'exemple. Le succès alors est certain. Les séductions de la sociabilité sont irrésistibles, elles s'emparent de l'âme de l'élève presque à son insu.

Aussi l'honorable ministre de l'intérieur fait-il très bien d'écrire que le cours d'éducation ne sera pas donné ex professo.

C'est par cette raison que dans un autre tableau, dans celui des points attribués à chacune des branches, dans les différents examens, le cours d'éducation ne figure que pour mémoire.

La religion et la morale sont portés pour 12 points dans l'examen semestriel et pour 75 dans l'examen final.

Le cours d'éducation n'est pas coté.

Messieurs, on voudrait en vain le méconnaître, le remaniement du programme n'a pas fait faire un pas à la question des dissidents.

L'organisation de notre enseignement pédagogique primaire autorise aujourd'hui les mêmes critiques qui furent émises pour la première fois, je pense, en 1864, par l'honorable M. Bara.

(page 442) La question subsiste tout entière, sans solution en dehors de la révision de l'article 36 de la loi qui fait de l’enseignement de la religion et de la morale la prérogative exclusive du prêtre catholique.

Je voudrais que la Chambre m'autorisât à préciser les modifications que cet article 36 devrait subir.

Parlons d'abord du dogme. Nécessaire pour les uns, la connaissance du dogme ne peut être inutile pour les autres.

Que tous les élèves puisse donc être initiés aux vérités de leur culte respectif et, puisque vous soumettez ces jeunes gens à un internement absolu, ouvrez l'école normale, non plus aux ministres du culte, mais aux ministres des cultes : c'est le système de l'article 8 de la loi de 1850. Je reconnais qu'il ne blesse aucun principe.

Messieurs, dans la session dernière, d'honorables membres de la droite ont vanté le système des écoles primaires confessionnelles.

L'honorable M. Delcour, notamment, préconisait, comme conforme d'ailleurs au vœu du législateur de 1842, la création d'écoles primaires catholiques, d'écoles primaires protestantes, d'écoles primaires israélites, d'écoles ayant une atmosphère religieuse particulière.

J'ai fait remarquer alors a l'honorable membre que les écoles primaires confessionnelles supposent nécessairement des instituteurs choisis dans les différentes communions, et j'en ai conclu que, d'accord avec moi, il devait déclarer illégale l'organisation actuelle, essentiellement intolérante, des écoles de l'Etat.

Je le convie de nouveau à joindre sa voix à la mienne, car, à moins d'accorder à chaque religion des écoles normales, ce que la raison et le bon sens de l'honorable membre condamneraient, comme une dilapidation insensée des deniers publics, il reconnaîtra qu'il n'y a de solution possible que dans l'application de l'article 8 de la loi de 1850.

Du dogme, passons à la morale.

Aujourd'hui le dogme absorbe la morale. Je demande la sécularisation de l'enseignement de la morale. Assurément le prêtre poursuivrait son œuvre éminemment utile : le perfectionnement de l'élève, par la religion. Son rôle ne serait pas amoindri. Il continuerait à affermir les préceptes de la morale, dont la démonstration rationnelle serait confiée à un professeur laïque groupant autour de sa chaire la population entière de l'école, sans distinction de croyance.

Vous voulez éveiller la conscience, de l'instituteur ? Pourquoi ne comptez-vous que sur la foi ? Certes la foi est et restera toujours, pour l'humanité, le plus puissant mobile. Elle sanctifie le renoncement et le sacrifice. Elle soulève les montagnes. Mais il ne dépend pas de vous, il ne dépend de personne de la river au cœur de l'homme ; la foi ne s'impose pas. Celui qu'elle inspire et qu'elle grandit peut-il se flatter de la retenir et la prière la plus ardente du croyant n'est-elle pas que le Ciel ne. permette point qu'il perde la foi ? Les liens qui l'attachent à l'âme sont donc fragiles ; ils sont intacts aujourd'hui, ils seront peut être rompus demain. Comment ? par quelle cause ? Qui pourra le dire ?

Or, il est une science qui démontre les lois de la morale. Comme la foi, elle fait de l'homme un esclave, un esclave éclairé du devoir. Elle fait appel à toute la vigueur de l'intelligence, à toute la force de la raison et nous conduit, par le syllogisme, à des convictions qui dans le naufrage de la foi deviennent notre boussole et nous ramènent au port.

Cette science, c'est la philosophie morale qui, prenant pour point de départ la psychologie ou l'étude de nos facultés, projette de vives clartés sur le problème de nos destinées et formule cette loi sublime de la solidarité et du désintéressement.

Créez donc un cours de philosophie morale ; il trempera l'âme de l'instituteur, désormais plus convaincue, plus énergique aussi, et moins sujette aux défaillances.

A qui ce cours pourrait-il porter ombrage ? Il ne s'agit pas, je l'ai dit, de dresser autel contre autel en vue d'établir un antagonisme funeste.

L'honorable ministre des finances nous disait dans la session dernière : L'homme par la seule force de sa raison, en dehors de toute révélation, peut s'élever jusqu'à la connaissance de la Divinité, de la spiritualité de l'âme, de la liberté humaine ; l'honorable ministre rappelait l'orthodoxie incontestable de cette proposition.

Dieu, l'immatérialité de l'âme, le libre arbitre, ce sont les notions fondamentales de la philosophie morale.

Les catholiques eux-mêmes ne pourraient pas contester le caractère profondément religieux d'un tel cours.

L'honorable ministre de l'intérieur a enrichi son programme de notions élémentaires, mais claires et précises de psychologie.

« Il importe, dit l'instruction, d'appeler l'attention des jeunes maîtres sur leurs facultés et sur l'usage qu'ils en doivent faire. »

Appeler l'attention de l'homme sur l'usage qu'il doit faire de ses facultés, lui démontrer qu'il doit chercher et connaître le vrai, qu'il doit aimer le beau, qu'il doit vouloir le bien, lui apprendre pourquoi il doit les chercher, les aimer et les vouloir, c'est l'objet de la philosophie morale. Complétez donc voire œuvre ; créez ce cours qui prend pour point de départ ces notions psychologiques que vous avez rattachées à votre cours de pédagogie.

Dans le dernier exposé de la situation de l’enseignement primaire, je trouve un rapport du chef du jury qui a siégé à Lierre et à Nivelles pendant la dernière période triennale. Ce document s'occupe des examens que subissent les jeunes gens qui, après avoir passé par l'école primaire, sollicitent leur admission dans l'une des écoles normales.

Le chef du jury déclare que ces examens n'ont pas toujours donné des résultats satisfaisants. II en cherche les causes, et c'est alors qu'il jette un véritable cri d'alarme.

Je ne puis, dit-il, repousser la conviction que beaucoup d'instituteurs se relâchent de leurs devoirs principaux et ne donnent plus à leurs écoles tous les soins qu'elles réclament.

Je m'empare de ce triste aveu comme d'un argument décisif en faveur de la thèse que je défends. Au mal indiqué, il faut un remède ; où le trouver, si ce n'est dans l'amélioration de cette partie de l'enseignement pédagogique qui se propose de fortifier la moralité de l'instituteur ? Que le raisonnement prête donc à la fois un concours utile. Qu'il apprenne au futur éducateur que l'accomplissement entier, complet du devoir, en même temps qu'il est la source de toute estime, et de toute considération, est aussi le seul chemin qui conduise à la paix de l'âme et au bonheur véritable.

Je crois donc, messieurs, que l'institution d'un bon cours de morale exercerait une influence salutaire sur les progrès de l'enseignement primaire, en stimulant énergiquement le zèle des maîtres. Nous lui serions redevables d'un autre bienfait : il élargirait l'horizon trop borné de leur pensée.

Il est un reproche que l'on peut faire à notre enseignement pédagogique et peut-être aussi à notre enseignement de tous les degrés. C'est de redouter chez l'élève toute manifestation d'initiative, de spontanéité, de vie intellectuelle propre. C'est ce qui fait de moi un adversaire convaincu de votre internement.

On a dit et répété : L'école normale c'est un cloître ; un régime de claustration y pèse sur les élèves. En s'exprimant ainsi, on dépasse la vérité, on force quelque peu la note, je le veux bien. Il est certain cependant que l'idéal du système paraît être de courber les aptitudes, les dons naturels sous un même niveau de médiocrité qui rassure les gens timorés.

On veut des intelligences qui ne sachent plus réagir, des intelligences sans ressort ; on interne pour mieux comprimer. Je ne comprends l'internement qu'en vue de faciliter et hâter l'épanouissement complet des facultés de l'élève.

Le dernier exposé triennal contient un autre document dont, hier, l'honorable M. Bouvier a détaché une page.

Il s'agit, vous le savez, d'un rapport qui est adressé par un inspecteur provincial à M. le ministre de l'intérieur, ou à la commission centrale, et qui précise le grand défaut de notre enseignement pédagogique.

Cet inspecteur déclare, qu'en interrogeant un jeune instituteur il a été fort étonné d'apprendre que ce normaliste, sujet excellent et d'une moralité parfaite, ne soupçonnait pas nos chefs-d'œuvre littéraires.

Sa surprise a été grande de constater que ce normaliste ne pouvait affirmer si, dans l'établissement par lui fréquenté, il existait une bibliothèque pour les élèves.

L'honorable inspecteur fait suivre son travail de l'indication du remède à une situation jugée par lui déplorable ; il recommande notamment une collection d'ouvrages littéraires qui serait mise à la disposition des jeunes gens, et qui serait comme un vaste champ où ils récolteraient une ample moisson d'idées fécondes.

Le rapport ne nous livre pas le nom de cet établissement, qui s'entend si merveilleusement à paralyser l'essor d'un jeune esprit. Je ne l'en blâme pas ; d'abord la discrétion en elle-même est louable ; ensuite je pense que cet établissement ne se différencie en rien des autres ; qu'il réalise le type rêvé par ceux qui, dans l'organisation de notre enseignement pédagogique, ont eu voix prépondérante au chapitre.

C'est partout le même vice ; on s'effraye des audaces de la pensée ; on n'invite pas les élèves à débattre et à peser des idées ; la parole du professeur est la vérité, par cela seul qu'elle est la parole du professeur ; aucun contrôle n'est toléré. Aussi nulle part une bibliothèque sérieuse n'est-elle largement ouverte aux élèves.

Messieurs, je pense que cette tendance à éteindre tout élan, toute vigueur intellectuelle, toute initiative, est plus dangereuse qu'on ne le croit. Il y a (page 443) des imaginations qui ne se laissent pas appauvrir, qui résistent, qui demandent à des lectures secrètes la satisfaction légitime de ce besoin de connaître, si vif, si ardent, si impétueux dans les esprits en sève.

On craint les livres ; les livres s'introduisent dans l'école en dépit qu'on en ait ; seulement, comme cela arrive toujours, la proscription des bons livres profite aux mauvais, à ceux qui prêchent et les méchantes mœurs, et les fausses théories, et les doctrines sociales chimériques. Le contre-poison des mauvais livres est la lecture des bons livres ; l'invasion des premiers n'est pas à craindre, quand un ostracisme irréfléchi ne vient pas frapper les seconds.

Livres littéraires qui forment le goût ; livres d'histoire et de science qui meublent l'intelligence et arment la raison ; placez donc ces trésors à la portée de la main du normaliste.

Messieurs, je ne rendrais pas à M. le ministre de l'intérieur la justice qui lui est due si je ne reconnaissais qu'une pensée large semble avoir présidé au remaniement du programme, remaniement commencé par son honorable prédécesseur, qui n'a pas hésité à insérer dans le dernier rapport triennal, dont il est le signataire, les deux documents révélateurs dont j'ai parlé.

« En un mot, lit-on dans l'instruction générale, que le programme entier soit compris et exécuté de manière que, par chacune de ses parties, il concoure au but de tout véritable enseignement normal, qui est de fortifier la raison et le cœur des élèves, d'enrichir leur esprit, d'aiguiser leur intelligence et de les rendre aptes, par la solidité de leur instruction autant que par la fermeté de leurs principes et par leur habileté pédagogique, à l'importante mission qu'ils sont appelés à remplir un jour. Mettre les futurs instituteurs à même de former des générations de citoyens qui, fiers de leur pays, prendront à cœur de rendre, un jour le pays tiers d'eux-mêmes, ici doit être le mobile de tous les efforts du corps enseignant. »

Messieurs, ce sont là de magnifiques paroles ; mais elles resteront de vains mots si vous ne modifiez pas l'organisation actuelle de nos écoles normales. Toute votre énergie viendra se briser contre la tradition, ce mur de granit.

Vous dites que votre enseignement pédagogique doit atteindre un triple but ; qu'il doit former l'élève comme homme, comme citoyen, comme instituteur.

Vous voulez le former comme citoyen. Que l'on commence par respecter en lui les droits du citoyen ; qu'on cesse de lui ravir le bénéfice de nos libertés les plus belles : la liberté de conscience, la liberté des opinions, le droit d'accepter la pratique d'un culte qu'il aura choisi dans toute la plénitude de son initiative.

En même temps qu'il lit dans la Constitution le principe de l'égalité de tous les citoyens devant la loi, il apprend par vos règlements et par votre loi de 1842 confinent on a pu violer ces principes.

Révisez donc l'article 36 de la loi de 1842. Révisez les règlements des écoles normales. Mieux que par vos leçons vous lui ferez comprendre toute la valeur de ce beau titre de citoyen belge.

Vous voulez le former comme homme, mais pour cela que faut-il ? Assurément, il faut faire disparaître les tendances qui dominent dans nos établissements.

L'intelligence de l'homme a besoin d'expansion, et on la comprime.

Vous reconnaîtrez qu'il importe de fortifier le jugement, d'aiguiser l'esprit des futurs instituteurs ; il ne suffit pas de l'écrire ; votre programme restera lettre morte si vous n'en finissez pas avec les vues étroites qu'avouent vos fonctionnaires.

.le dis donc en terminant : Révisez l'article 36 de la loi de 1842 ; anéantissez les traditions qui règnent en maîtresses dans vos établissements ; placez à la tête de ceux-ci non plus des représentants du passé, mais des chefs qui aiment leur siècle, qui en connaissent les nécessités, qui en apprécient les besoins.

Alors seulement vous pourrez écrire avec vérité que l'enseignement pédagogique de l'Etat formera l'élève comme instituteur, parce qu'il sera vrai de dire qu'il le formera comme homme et comme citoyen.

M. De Fréµ. - Après le remarquable discours que vous venez d'entendre, je me bornerai à recommander au gouvernement trois questions.

Je voudrais parler d'abord du traitement des instituteurs, en second lieu de l'admission des enfants pauvres dans les écoles primaires et en troisième lieu de la loi de 1866 qui a créé quatre écoles normales.

Messieurs, depuis vingt ans, tous ceux qui exercent en Belgique une fonction publique ont vu leur traitement augmenté. Il n'y a que les instituteurs de l’enseignement primaire dont les traitements sont restés à un taux inférieur.

M. Bouvierµ. - C'est une erreur.

M. De Fréµ. - Les instituteurs ont un maximum de 800 fr. et les sous-instituteurs un maximum de traitement de 600 fr. Ce n'est pas assez.

Voici de quoi se composent les avantages dont jouit l'instituteur. II reçoit d'abord, à titre de traitement, une somme de 800 fr. ; il reçoit la rétribution des enfants solvables, et il en reçoit, en outre, pour les enfants pauvres une rétribution qui lui est payée, à tant par tête, par l'Etat, la province et la commune : ces trois chiffres doivent être augmentés.

Messieurs, je crois qu'il y aurait lieu d'établir des catégories d'instituteurs. Voyez dans les fonctions administratives, voyez dans les fonctions judiciaires. Chaque fonctionnaire arrive, avec, le temps, à une meilleure position que celle qu'il a eue en commençant. C'est la récompense de son travail ; c'est la récompense de son zèle et des services qu'il a rendus à la société.

Lorsqu'il s'agit des instituteurs de l'enseignement primaire, il n'en est pas ainsi. Il y aurait lieu, me paraît-il, lorsqu'un instituteur a enseigné, pendant dix ans, pendant quinze ans, de le mettre dans une catégorie différente de celle où se trouve l'instituteur qui débute. Aujourd'hui il n'est pas fait de distinction pour les traitements et pour les avantages attachés à la place d'instituteur, entre un instituteur qui a trente années de service et un instituteur qui entre en fonctions.

Cela n'est pas juste. Il faut faire une distinction. Il faut rémunérer en raison des services rendus. Dans cette uniformité de traitement, il y a quelque chose de décourageant et j'appelle sur ce point l'attention sérieuse du gouvernement.

Je crois que, sous ce rapport, il faudrait faire ce qui est fait pour l'enseignement supérieur, où le traitement est varié en raison de la position différente des professeurs. Vous avez des professeurs ordinaires, des professeurs extraordinaires, et ces titres sont donnés en raison de la valeur de l'homme, et a ces titres sont attachés des avantages différents. Je crois que l'application de ce principe, qui existe pour l'enseignement supérieur, faite à l'enseignement primaire, aurait un effet fécond en heureux résultats.

En deuxième lieu, j'appelle l'attention de l'honorable ministre de l'intérieur sur un autre point.

D'après l'arrêté royal du 26 mai 1843, l'école primaire, est ouverte aux enfants depuis l'âge de 7 ans jusqu'il 14 ans. Tous les ans, au mois de juillet, les administrations communales dressent la liste des enfants pauvres qui ont plus de 7 ans et moins de 14 ans ; la province et le gouvernement payent une rétribution pour chaque enfant pauvre.

Il y a des communes où l'instituteur reçoit 10 fr., il en est où il reçoit 14 fr. par enfant pauvre. Tous les ans, des enfants de moins de 7 ans se présentent pour entrer à l'école, eh bien, chaque fois que l'âge de 7 ans n'est pas atteint, la députation permanente raye les noms de ces enfants. Je crois qu'il y aurait lieu de modifier, sous ce rapport, l'arrêté royal du 26 mai 1843 et d'admettre les enfants pauvres à l'école primaire dès l'âge de 6 ans. Il est pénible de voir fermer l'école aux enfants que les parents désirent faire instruire.

M. Bouvierµ. - La commune peut les admettre.

M. De Fréµ. - La commune peut les admettre, mais quand la commune les admet il faut qu'elle paye et elle est souvent trop pauvre pour le faire, ou bien si elle ne paye pas, l'instituteur a une besogne pour laquelle il n'est pas rétribué. Il serait donc juste que l'arrêté royal du 26 mai 1843 fût modifié en ce sens. L'honorable ministre de l'intérieur a reçu à cet égard différents rapports des inspecteurs provinciaux et cantonaux pour démontrer qu, cet arrêté du 26 mai 1843 n'est plus en rapport avec les besoins de la situation présente.

En troisième lieu, je demanderai à M. Je ministre de l'intérieur quelle exécution a été donnée à la loi du 29 mai 1866 qui crée quatre écoles normales : deux pour les filles et deux pour les garçons. Tous ceux qui s'occupent d'enseignement communal savent que quand une place d'instituteur ou de sous-instituteur est vacante, on a la plus grande peine, à trouver des candidats.

Il y a dans ce moment plus de 200 places vacantes pour l'enseignement primaire, parce qu'on ne trouve pas de sous-instituteurs.

La loi de 1866 est venue combler cette lacune. On a senti qu'il fallait, pour faire fleurir et développer l'enseignement primaire dans le pays, commencer par créer des professeurs, et on l'a si bien senti, que la loi porte que les quatre écoles normales seront créées immédiatement.

Je demande à M. le ministre de l'intérieur quelle exécution a été donnée à cette loi ?

On parle souvent, messieurs, d'enseignement obligatoire. J'en suis partisan. J'ai le premier, dans cette Chambre, soulevé la question, mais pour rendre l'enseignement obligatoire ou pour enseigner seulement, sous le régime actuel, il faut commencer par avoir des personnes qui puissent enseigner.

(page 444) Or, si les individus manquent, il y a, sous ce rapport, une regrettable lacune à combler.

Les administrations communales qui veulent augmenter leur personnel enseignant ne peuvent le faire, et la faute en est au gouvernement, parce qu'il n'exécute pas la loi, parce qu'il n'organise pas ces écoles normales. Il ne suffit pas qu'une loi soit votée, il faut qu'elle soit exécutée. .le fais appel à toutes les personnes qui connaissent la situation, qui peuvent apprécier l'utilité de cette application immédiate. Toutes, j'en suis certain, diront qu'il y a nécessité d'arriver sans retard à la création des nouvelles écoles normales,

MiPµ. - Messieurs, l'honorable M. de Rossius est un antagoniste convaincu de la loi de 1812.

S'il s'était borné à émettre des critiques contre les dispositions de cette loi, je n'aurais pas à me plaindre.

Mais ce dont je me plains, c'est qu'il ait accusé le programme des études dans les écoles normales d'avoir seul créé la situation ; c'est que, en examinant ce document qui est très considérable, il ait passé sous silence tout ou à peu près tout ce que j'y ai introduit, pour me reprocher uniquement ce que je n'y ai pas mis, ce qui est dans la loi, ce que mes prédécesseurs ont maintenu, ce que je n'ai pas changé.

Ce programme contient une exécution loyale et libérale de la loi.

L'honorable membre a-t-il un système plus convenable pour exécuter la loi de 1842 ? Mais à cet égard il n'a absolument rien indiqué.

Je laisse, de côté toutes les suppositions qu'il a faites sur mes vœux, sur mes tendances, sur ce que j'ai voulu éviter, sur ce que j'ai cherché à dissimuler. Je puis lui déclarer seulement qu'il n'y a pas une seule de ces suppositions qui soit exacte.

En. faisant ce nouveau programme, j'ai eu pour but d'améliorer l'enseignement normal dans toutes les parties civiles de l'enseignement ; j'ai laissé intacte la situation créée par la loi, indiquée dans les programmes antérieurs, quant à l'enseignement religieux, et que je ne pouvais même changer. Pourquoi aurais-je eu toutes les préoccupations qu'on me prête ?

Quel est le système, non pas imaginé par le règlement dont il s'agit, mais maintenu par lui, sans aucun changement ? Ce système, le voici :

Le règlement s'occupe d'abord des examens d'admission ; si les élèves appartiennent à la religion catholique, on procède d'après le programme déterminé par les chefs des cultes, conformément à la loi. Mais s'il, se présente un dissident, que faut-il faire ?

Ce candidat devra être examiné, non par le clergé catholique, mais par les ministres du culte auquel il appartient.

C'est là, je pense, l'interprétation la plus large, la plus libérale qu'il soit possible de donner à la loi ; celle que le programme consacre.

On me dit : Mais vous n'indiquez pas exactement en quoi consistera ce dernier examen» tandis que vous le faites pour les élèves catholiques, puisque vous déclarez que leur examen portera sur la doctrine chrétienne et l'histoire sainte. Pourquoi, ajoute-t-on, ne stipulez-vous pas aussi pour les dissidents ?

Mais, messieurs, parce que cela est impossible ; parce qu'il est impossible de prévoir la religion de tous les élèves qui pourraient se présenter. Dans le protestantisme il y a des sectes très nombreuses, faudra-t-il donc élaborer des programmes pour chacune de ces sectes, faudra-t-il en élaborer pour toutes les religions possibles ?

Il est bien plus libéral de dire que s'il se présente un dissident, on l'examinera d'après le programme que déterminera le ministre de son culte.

Mais, ajoute l'honorable M. de Rossius, voilà l'élève à l'école ; dans votre programme, vous déterminez, à la vérité, en quoi consiste le cours de morale et de religion, mais ce programme ne s'applique qu'à la religion catholique. Aux termes de la loi de 1842, on donne dans les écoles normales, comme dans les écoles primaires, l'enseignement de la religion à laquelle appartient la majorité des élèves. Mais en résulte-t-il que ce programme soit imposé aux dissidents ?

Evidemment non ; en vertu des principes de la loi même, les élèves dissidents ne suivraient pas ce cours.

Est-il raisonnable de soutenir que par cela seul qu'il est possible qu'un dissident se présente dans les écoles normales, et sans savoir à quelle secte il appartiendra, il faille déterminer par voie réglementaire quel sera l’enseignement religieux donné à telles ou telles catégories de dissidents ?

Soyons pratiques, messieurs, ne nous jetons pas dans des hypothèses ; ne nous efforçons pas surtout de prévoir des éventualités qui peut-être ne se réaliseront pas.

Comment ! j'irais déterminer aujourd'hui quel sera le programme de toutes les sectes du protestantisme, j'irais le déterminer pour l'école de Lierre et pour celle de Nivelles ; comment ! on organisera à ce point de vue tout l'enseignement religieux ; alors que peut-être le dissident qui se présentera sera d'une autre secte que celle que j'aurai indiquée ?

Mais, messieurs, cela serait impossible. Si un dissident se présente, par exemple, à l'école de Nivelles, que ferai-je ? Je verrai d'abord à quelle secte il appartient, à quel ministre des cultes je dois m'adresser pour le faire examiner et comment je dois régler son enseignement religieux. Peut-être ne trouverai-je pas même un ministre pour lui faire donner cet enseignement. Quelle est donc, je le demande, la solution que l'honorable membre préférerait à celle-là ? Il faut que le gouvernement prenne, dans le cas que j'indique, les mesures qui se concilieront le mieux avec la liberté absolue, de conscience de l'élève dissident.

Voilà l'engagement que nous pouvons prendre ; il est impossible d'en prendre d'autres à l'avance.

On parle des examens, mais est-il un régime plus libéral que celui qu'introduit le programme d'admission ? On se contente, quant à la partie religieuse, d'un certificat du ministre du culte auquel appartient le dissident ; donc l'examen pour celui-ci est beaucoup plus facile que pour l'élève catholique. Lorsque viendra l'examen de sortie, on prendra également une mesure qui assurera à l'élève les mêmes garanties qu'à ceux de ses condisciples qui professent la religion catholique.

M. Orts. - Faites la même chose pour les catholiques, et tout sera dit. Bornez-vous à exiger de tous les élèves un simple certificat et n'enseignez plus rien.

MiPµ. - Ceci est le renversement de la loi de 1842 qui est en vigueur et que je dois exécuter. Pour le moment, je cherche à démontrer une seule chose, c'est que la solution admise par les honorables MM. Rogier et Vandenpeereboom est inattaquable.

Une élève protestante s'est présentée à Bruxelles ; c'est le seul cas qui se soit produit. Cette élève a subi un examen ; elle l'a parfaitement passé ; elle est devenue institutrice exactement comme une catholique serait devenue institutrice dans le même cas.

Vous nous dites encore : Mais voyez l'inégalité ! Vous faites enseigner dans les écoles normales la religion de la majorité des élèves ; et vous ne faites rien pour les élèves dissidents. Et d'abord, n'ayant pas d'élèves dissidents, je n'ai pas à organiser cet enseignement ; quand le cas se présentera, j'aviserai et je réussirai mieux en connaissant le fait qu'en agissant à l'avance sans rien savoir. Pourrai-je le faire sur le même pied que pour les catholiques, je l'ignore.

Il y a toujours certains désavantages pour les minorités.

Ainsi, par exemple, je suppose une commune, dans laquelle tous les habitants, un seul excepté, soient catholiques. L'Etat paye le. ministre du culte de la majorité ou plutôt de la presque unanimité des habitants. Il est évident qu'on n'exigera pas que j'aille installer un ministre du culte protestant dans cette commune en vue d'une seule personne professant ce culte. Prétendrez-vous donc que, pour établir l'égalité, il faut supprimer et le ministre et le culte catholique ?

Il est vrai que dans les écoles normales on a, conformément à la loi de 1842, organisé l’enseignement.de la religion catholique ; mais le gouvernement a introduit les dispositions les plus larges en faveur des dissidents ; ne concluez pas, je vous prie, à une suppression de tout enseignement religieux sous prétexte de respect pour l'égalité. Exigez, ce qui est juste et ce que l'on s'engage à faire, que le dissident ait les mêmes facilités pour obtenir son diplôme.

L'honorable M. de Rossius a examiné les cours d'éducation qui ont été introduits dans le programme des écoles normales. Mais il a vu tantôt beaucoup plus et tantôt beaucoup moins que ce qu'il y a en réalité.

Il y a vu beaucoup plus quand il a pensé qu'en organisant les cours d'éducation, j'ai voulu introduire un cours complet de morale. J'avoue que je n'y ai point pensé. La loi ayant réglé ce point, je n'avais plus à m'en occuper. Mais l'honorable ministre a, d'une autre part, singulièrement amoindri l'importance du cours d'éducation s'il n'y a vu qu'un cours de civilité puérile et honnête.

Ce que nous avons voulu, messieurs, c'est créer un cours dans lequel on n'enseignât pas seulement ces formes que l'usage a introduites dans la société ; mais dans lequel on donnât aussi des notions élevées sur la manière de vivre dignement, de comprendre ses devoirs et ses droits, et dose conduire dans les relations sociales.

Voilà quel a été notre but en instituant le cours qui ne comprend qu'une heure de leçon par semaine, pendant la première année d'étude seulement, et qui sera approuvé de tous ceux qui le jugeront dans sa vérité et qui veulent relever la dignité de l'instituteur.

A cet égard, le nouveau règlement reproduit les termes des règlements intérieurs qui eux-mêmes, reproduisent ceux de la loi.

(page 445) On a critiqué la réunion de renseignement de la morale et de celui du dogme.

Mais, messieurs, pour que le cours de morale, joint au dogme, soit bien donné, il ne faut pas seulement que les idées morales reposent sur les principes religieux, il faut encore qu'elles s'appuient sur la loi naturelle ; et même si le cours de morale devait être donné séparément, en dehors de toute idée religieuse, croyez-vous que vous ne seriez pas en présence d'autres difficultés ? Il va divers systèmes sur les bases philosophiques de la morale : les uns l'appuient sur l'intérêt, d'autres sur la crainte. A quel système faudra-l-il arrêter son choix ?

Mais, je le répète, la plupart des points que l'on a critiqués dérivent de la loi que, je suppose, la Chambre n'a pas l'intention de discuter.

Je l'ai dit en commençant, à côté de ces dispositions qui n'ont aucune portée par elles-mêmes parce qu'elles ne font que reproduire la loi, il y a dans le programme des dispositions qui, j'en ai la conviction, amélioreront l'enseignement normal ; le projet de ce programme a été préparé par une commission nommée par mon prédécesseur ; j'ai ensuite apporté le plus grand soin à l'étudier avant de le publier.

Messieurs, je reconnais que l'honorable M. de Rossius a critiqué avec raison l'absence de bibliothèque dans les écoles normales, à l'usage des normalistes. J'ai constaté cette lacune lors d'une visite que j'ai faite dans l'une de nos écoles normales. Cette lacune sera comblée ; déjà j'ai ordonné que l'on dressât la liste des ouvrages nécessaires. L'établissement auquel j'ai fait allusion possède une bibliothèque destinée aux professeurs, mais qui n'est pas en rapport avec ce qui peut convenir aux élèves ; peut-être contient-elle quelques ouvrages qui pourront être mis également à la disposition des élèves.

Ce point sera examiné. Quoi qu'il en soit, j'ai ordonné, je le répète, de préparer une liste d'ouvrages à mettre entre les mains des élèves, et mon intention est d'instituer une bibliothèque dans chacune des écoles normales.

Je crois, messieurs, que l'honorable membre a été injuste lorsqu'il a prétendu que c'est pour rapetisser l'esprit des élèves qu'on ne leur fournit pas des livres de lecture ; cela tient à des idées beaucoup plus générales, idées qui ne se rencontrent pas seulement dans les écoles normales, mais encore dans tout notre enseignement. Je réagirai contre cette tendance.

On pense assez généralement que, pour que l'enseignement produise le plus de résultats possible, il faut astreindre les élèves à des exercices déterminés, obligatoires. Dans les écoles normales, tout leur temps est absorbé, d'abord par les cours très nombreux qui s'y donnent, ensuite par les devoirs que les professeurs imposent.

Cela n'existe pas seulement pour les écoles normales, cela existe encore pour les athénées, pour les collèges et pour les écoles moyennes, où les élèves consacrent tout leur temps à suivre les cours et à faire des devoirs. La chose se passe également ainsi dans l'enseignement primaire, où jamais le professeur ne sort d'un cadre déterminé.

Eh bien, messieurs, je crois qu'il faut introduire à cet égard, dans toutes les catégories d'enseignement, un peu plus de liberté, et donner quelquefois aux élèves un aliment intellectuel en dehors de celui qu'ils reçoivent dans les classes.

J'ai dit ce que je me proposais de faire pour les écoles primaires. Dans ces écoles, outre les cours ordinaires qu'ils sont tenus de suivre, on devrait donner aux élèves des conférences attrayantes dirigées par les professeurs, conférences dans lesquelles des notions d'hygiène, par exemple, pourraient être données.

Sous ce rapport, je crois pouvoir dire que l'honorable M. Vleminckx aura toute satisfaction. Il ne faut évidemment pas instituer dans les écoles primaires un cours d'hygiène ex professo. Il faut y donner des conseils, et je crois que si les professeurs sacrifiaient de temps en temps une demi-heure ou une heure, soit pour exposer aux élèves quelques notions d'hygiène et d'économie sociale, soit pour leur raconter ou leur lire un fait historique, je crois, dis-je, que ce temps serait beaucoup mieux employé qu'il ne l'est par une besogne matérielle de tous les instants.

Messieurs, je pense qu'il faut introduire exactement le même système dans les écoles normales. J'y créerai des bibliothèques, et je ferai en sorte qu'on réserve aux enfants le temps nécessaire pour qu'ils puissent lire ceux des ouvrages de cette bibliothèque qui leur conviendront.

A propos des notions d'hygiène, je dois faire connaître à M. Vleminckx que dans le nouveau programme des écoles normales on avait introduit les notions d'hygiène, afin de mettre les élèves à même de répandre ces notions, lorsqu'ils auront plus tard la mission d'instruire les autres.

Messieurs, l'honorable M. Bouvier nous a parlé hier de différents faits : il a d'abord dit que dans les écoles normales on faisait des bedeaux et des chantres.

M. Bouvierµ. - Dans beaucoup d'écoles.

MiPµ. - Je demanderai à M. Bouvier ce que nous devons faire de plus que ce qui a été fait. Déjà nous avons fait disparaître les notions de plain-chant et d'orgue. Tout cela n'existe plus. M. Bouvier nous a parlé d'un programme qui date de quinze ou vingt ans. (Interruption.)

Aujourd'hui le mal a disparu, il est coupé non seulement dans sa source, mais il est coupé dans ses effets par la circulaire que j'ai adressée aux gouverneurs et qui défend le cumul des fonctions d'instituteur et de clerc.

L'honorable M. Bouvier nous a dit que la situation de notre enseignement laisse beaucoup à désirer, puisque sur 750,000 enfants qui sont en âge d'école, il y en a 185,000 qui ne reçoivent pas d'instruction. Cette assertion est complètement erronée.

Il y a en Belgique 750,000 enfants de l'âge de 7 à 14 ans. Si 365,000 d'entre eux allaient à l'école et y restaient pendant sept ans, il en résulterait très exactement, en effet, que 185,000 enfants ne reçoivent pas les bienfaits de l'enseignement. Mais il n'en est pas du tout ainsi. Il y a très peu d'enfants qui continuent pendant 7 ans à suivre les leçons du maître.

Or, c'est cette supposition qui est la base de l'argumentation erronée de M. Bouvier.

La plupart des enfants cessent de fréquenter l'école à 12 ans.

M. Bouvierµ. - Malheureusement.

MiPµ. - Sans doute, mais je vous signale le. fait. Ils quittent généralement à l'âge de la première communion qui se fait presque toujours à 12 ans.

Or si vous appliquez vos calculs aux enfants de 7 à 12 ans au lieu de l'appliquer à ceux de 7 à 11 ans, tout votre raisonnement tombe.

Remarquez bien, messieurs, que la proportion de 750,000 à 565,000 est à peu près celle de 3 à 4 ; d'après M. Bouvier les 3/4 des enfants de 7 à 14 ans vont à l'école.

Si maintenant vous supposez, comme cela est généralement, que les enfants ne suivent les cours de l'instituteur que les trois quarts du temps indiqué, soit cinq ans environ, vous trouverez que le chiffre de 565,000 représente exactement la totalité des enfants, d'où cette conséquence que tous les enfants iraient à l'école.

M. Funckµ. - C'est donc la perfection, et nous vivons donc dans le meilleur des mondes possible.

MiPµ. - Remarquez que je me borne à poser des chiffres.

M/ Funckµ. - Ou voire raisonnement est, juste, et alors les chiffres sont faux ou les chiffres sont exacts et votre raisonnement n'est pas applicable. A moins que vous ne prétendiez que tous les enfants vont à l'école, ce qui serait très hardi.

MiPµ. - Je ne prétends pas cela. Je fais simplement un calcul d'approximation, dans le but d'écarter les erreurs. Il n'est impossible de déterminer exactement le nombre des enfants qui vont à l'école. Mais je démontre à l'honorable M. Bouvier que ses chiffres n'ont pas la portée qu'il leur donne.

M. De Fréµ. - Ils sont extraits du rapport triennal.

MiPµ. - Je raisonne sur vos chiffres. Je les suppose exacts, mais je m'applique à vous prouver que vous n'arrivez à démontrer que 180,000 enfants restent sans instruction qu'en supposant que les 565,000 autres fréquentent tous l'école pendant sept ans.

Dans ce but, je vous oppose un autre calcul et je dis que si vos 565,000 enfants allaient à l'école seulement pendant les trois quarts du temps qui sépare l'âge de 7 ans de celui de 14 ans, nous arriverions à ce résultat que tous les enfants vont pendant un certain temps à l'école.

Je ne prétends pas que cela soit ; il est même certain que cela n'est pas. Mais je vous donne les moyens d'apprécier les conséquences de l'une et l'autre hypothèse. Si vous supposez que les enfants vont à l'école pendant plus longtemps, c'est qu'il v en a un plus grand nombre qui ne vont pas à l'école.

Si vous supposez que les enfants fréquentent moins de temps l'école, c'est qu'il y en a un plus grand nombre qui s'y rendent. Il est impossible de fixer exactement le temps moyen que les enfants passent à l'école, et, par cela même, de trouver combien d'enfants manquent d'instruction. Mais je prouve à l'évidence que le chiffre de 180,000 est d'une inadmissible exagération.

M. Bouvierµ. - II y a 27 p. c. d'ignorance.

(page 446) MiPµ. - C'est une autre question. J'ai discuté, il y a trois ou quatre semaines, la question du tantième d'ignorance. Je crois que vous ne tenez pas à prolonger la discussion du budget de l'intérieur... ni moi non plus. (Interruption.)

Aussi, je suppose que la Chambre ne désire pas que je recommence cette démonstration peu agréable.

M. Coomans. - N'insistons pas sur les pour cent.

MiPµ. - L'honorable M. De Fré a dit que les traitements des instituteurs n'avaient pas été augmentés.

M. De Fréµ. - Ou avaient été insuffisamment augmentés.

MiPµ. - Je regrette de ne pas avoir sous la main les chiffres. Mais la Chambre doit se rappeler que les traitements des instituteurs ont été notablement augmentés.

Tout le monde sait que leur position a été améliorée non seulement quant au traitement, mais aussi quant au casuel. Elle a été améliorée encore d une manière assez considérable par la création des cours d'adultes qui augmentent les ressources de l'instituteur.

Quant à l'admission des enfants pauvres, je n'ai pas bien compris ce que veut l'honorable M. De Fré. Les communes peuvent toujours admettre les enfants pauvres à l'école, mais il est naturel qu'elles doivent payer, de ce chef, une rétribution a l'instituteur.

Quant à la création de nouvelles écoles normales, j'ai déjà eu occasion de m'expliquer sur ce point.

J'ai trouvé, en entrant au ministère, une loi décrétant l'institution de quatre écoles normales, mais je n'ai pas trouvé d'organisation préparée et je, n'ai pas surtout trouvé les 4 millions nécessaires pour la création de ces écoles.

J'ai cependant fait des efforts pour en activer autant que possible l’établissement. J'espère que les négociations ouvertes à ce sujet avec la ville de Gand aboutiront prochainement ; pour en arriver à un résultat plus prompt, j'ai renoncé à l'idée de construire des bâtiments nouveaux ; et il n'est pas impossible qu'on en arrive à installer à Gand l'école normale dans un bâtiment qui n'est pas complet sans doute, mais qui peut cependant devenir Je siège d'une école normale très convenable.

J'ai cherché, à Bruges un local provisoire ; je n'en ai pas trouvé ; sinon j'y aurais organisé provisoirement une école normale.

A Mons, je crois qu'on pourra aboutir bientôt à un résultat.

Quant à Liège, je crois qu'il faudra se résigner à bâtir, si l'on veut un établissement convenable.

Telles sont les explications que j'avais à donner aux différentes observations qui ont été présentées.

- La discussion est close.

Articles 94 à 99

« Art. 94. Traitements de, l'inspecteur général des écoles normales d'instituteurs et d'institutrices, de. l'inspectrice des écoles normales d'institutrices et des inspecteurs provinciaux de l'enseignement primaire : fr. 58,200. »

- Adopté.


« Art. 95. Frais de bureau de l'inspecteur général des écoles normales et des inspecteurs provinciaux de l'enseignement primaire : fr. 19,000. »

- Adopté.


« Art. 96. Indemnités aux inspecteurs diocésains et aux inspecteurs cantonaux ecclésiastiques des écoles primaires : fr. 54,000. »

- Adopté.


« Art. 97. Personnel des écoles normales de l'Etat et des sections normales primaires établies près des écoles moyennes ; traitements et indemnités : fr. 114,000. »

- Adopté.


« Art. 98. Traitements de disponibilité pour des professeurs des établissements normaux de l'Etat ; charge extraordinaire : fr. 3,170. »

- Adopté.


« Art. 99. Subventions des écoles normales agréées pour la formation d'institutrices : fr. 45,000. »

- Adopté.

La séance est levée à 4 heures trois quarts.