(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1868-1869)
(Présidence de M. Dolezµ.)
(page 383) M. Reynaert, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 1/4 heures, et donne lecture du procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.
Il présente ensuite l'analyse suivante, des pièces adressées à la Chambre.
« Des habitants de Garni prient la Chambre de réviser la loi sur les conseils de prud'hommes. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Ed. Decoster prie la Chambre de fixer par la loi une limite d'âge a laquelle, le fonctionnaire sera mis à la retraite. »
- Même renvoi.
« Le sieur de Noël renouvelle sa demande tendante a obtenir une récompense honorifique. »
- Même renvoi.
« Les exploitants du bassin houiller du Centre protestent contre les faveurs accordées au bassin de Charleroi par l'arrêté du 3 décembre 1868. »
- Même renvoi.
« Le collège des bourgmestre et échevins de la commune de Selzaete appuie la demande en concession d'un chemin de fer de Wondelgem à La Pinte, faite par le sieur Pissens. »
- Même renvoi.
« Des habitants de la commune d'Izel demandent l'abrogation ou, tout au moins, la révision de la loi du 7 ventôse an XII, sur la police du roulage. »
M. Lelièvreµ. - J'appuie cette pétition, qui est fondée, sur de justes motifs, et je demande qu'elle soit renvoyée à la commission des pétitions, avec prière de faire un prompt rapport.
M. Bouvierµ. - J'appuie la demande de l'honorable M. Lelièvre.
« Des fabricants d'huile et meuniers dans l'arrondissement de Coutrrai demandent une diminution de la patente sur les moulins à vent. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur une pétition analogue.
« Le sieur Colignon, cultivateur, demande l'abolition de l'impôt sur le sel. »
- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.
« M. Waelbroeck adresse il la Chambre cent vingt-six exemplaires de la brochure qu'il vient de publier sur l'abolition de. la contrainte par corps. »
- Distribution aux membres de l'assemblée et dépôt à la bibliothèque.
« MM. le comte de Baillet-Latour, Hayez et de Macar demandent un congé d'un jour. »
- Accordé.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport dont il a été question dans la discussion sur le titre des Sociétés du code de commerce et relatif aux sociétés coopératives. Je crois que la Chambre ordonnera l'impression de ce rapport, qui contient des renseignements utiles et intéressants pour la discussion.
M. le président. - La Chambre est-elle d'avis d'ordonner l'impression de ce rapport ? (Oui ! oui !)
- Le rapport sera imprimé et distribué.
M. Orts. — Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi concernant les cessions de concessions de chemins de fer.
- Plusieurs membres. - La lecture !
M. Coomans. - Je demande que ce rapport suive la filière ordinaire, c'est-à-dire qu'on l'imprime, qu'on le distribue et qu'on nous laisse le temps de l'examiner.
M. le président. - J'allais précisément proposer à la Chambre de décider de la sorte ; le rapport sera donc imprimé et distribué. Nous nous sommes assurés, messieurs, que cette distribution pouvait avoir lieu ce soir. Je vous proposerai donc de fixer à samedi la discussion de ce projet de loi.
M. Vilain XIIII. - Je demande la lecture du rapport.
M. le président. - La Chambre paraît désirer la lecture du rapport. Je prie donc M. le rapporteur de bien vouloir donner lecture de son rapport.
M. Orts, rapporteur. - Messieurs, la création des chemins de fer date d'un demi-siècle environ dans l'histoire économique des peuples.
Ce fait nouveau modifiait profondément les intérêts sociaux et privés. Il engendrait des droits et des devoirs jusqu'alors ignorés des pouvoirs publics comme des particuliers.
La loi devait organiser et régler ; mais la loi, prise à l'improviste, n'a pu tout prévoir. La sagesse du législateur dut se borner à réserver l'avenir, sans rien aliéner, sans rien compromettre. Telle fut la marche prudente suivie par la législature belge dans les lois de concession et de police qu'elle a votées, lois que le gouvernement convie la Chambre à compléter aujourd'hui.
Peut-il être permis à un concessionnaire de chemin de fer de céder à un tiers, directement ou indirectement, l'exploitation de la ligne concédée, sans approbation de la puissance publique ? Telle est la question de principe, et la seule question de principe soulevée par le projet soumis à notre examen.
Poser la question, c'est la résoudre.
« Les chemins de fer, comme tout ce qui constitue la voirie, font partie du domaine public. » Ainsi s'exprime avec raison l'exposé des motifs du projet, d'accord avec la législation de tous les pays civilisés.
Le domaine public, essentiellement destiné à l'utilité de tous, est essentiellement aussi, à raison de sa destination même, inaliénable et hors du commerce, pour parler la langue des juristes.
De là une conséquence simple et nette.
Lorsque la loi concède à une personne privée un droit sur une chose de domaine public destinée à demeurer telle après la concession, la loi ne crée point un droit de propriété privée sur cette chose, car ce serait aliéner ce qui est inaliénable par essence. Ce serait faire passer le domaine public dans le domaine privé.
La loi concède ce qu'elle déclare concéder et rien de plus. A l'inverse de ce qui se passe en matière de transmission de droits privés, aliénables, et dans le commerce, où tout ce qui n'est pas retenu par le cédant est transmis, ici tout ce qui n'est pas cédé est réservé.
Les conclusions à tirer de ces prémisses coulent de source. Partout où la loi de concession d'un chemin de fer n'aura pas accordé formellement au concessionnaire directement ou indirectement le droit d'aliéner sa concession, de la modifier par bail ou autrement, sans le concours de l'Etat, ce droit n'existe pas.
Le droit dont la loi n'a pas parlé est retenu.
La loi eût-elle parlé et concédé, ce que la loi ou le gouvernement concède n'affecte pas les droits imprescriptibles et incessibles de la souveraineté nationale sur les choses du domaine public, tout en respectant les éléments qui appartiennent à la propriété privée et qui trouvent, en tout cas, leur satisfaction dans de justes indemnités.
Le point de départ de la mesure proposée aux délibérations de la Chambre est donc à l'abri de toute critique sérieuse sur le terrain de la légalité stricte. Cette mesure heurterait-elle cependant l'équité et la justice ? Il n'en est rien.
Le projet sanctionne la prohibition de céder une concession sans le concours de l'Etat. Mais, dans la pensée de son auteur, toute cession antérieure à la loi actuelle approuvée ou sciemment tolérée par l'Etat, échappe à l'application de cette loi. Les situations acquises sont respectées.
Toutefois, il ne faut jamais confondre les droits acquis avec de simples facultés, avec de pures expectatives dont il n'a pas encore été usé et que, parlant, le législateur peut anéantir sans violer aucun droit, du jour où l'intérêt public le commande.
Nul n'est d'ailleurs surpris pat la proclamation de pareils principes dans la matière que nous réglementons. Ces principes sont ceux de la loi commune à tous les citoyens et gouvernent les conventions privées analogues. Bien plus, ils ont été inscrits explicitement dans presque toutes nos lois de concession. Ramenée des hauteurs de sa sphère naturelle, des hauteurs du droit public, au terre à terre du code civil, l'entreprise de construction et d'exploitation d'un chemin de fer n'est-elle pas tout au moins un contrat d'entreprise on de louage de services ? Or, pareil contrat est essentiellement personnel et incessible ; si bien qu'il se dissout par la mort de l'ouvrier ou de l'entrepreneur, et ne passe point aux héritiers, contrairement à ce qui se pratique pour toutes les conventions (article 1795 du code civil.)
(page 384) Les lois de concession autorisent d'ordinaire les concessionnaires dénommés à se substituer une société à former, et cette autorisation prouve, par cela même qu'on la donne et pour en user une seule fois, l'absence de tout droit d'aliénation chez les concessionnaires, dans le silence de la loi.
Le principe admis, reste à justifier la sanction que la loi apporte à la violation de ses prescriptions.
L'Etat est seul appréciateur constitutionnel de l'intérêt public, c'est-à-dire politique, qui permet de concéder, et justifie le droit d'exproprier les citoyens au profit de concessionnaires, simples individualités comme les expropriés.
Par voie de conséquence, l'Etat reste le maître de reconnaître et de déclarer toujours si l'utilité publique, source du droit de concession, subsiste ou si la concession accordée au nom de l'utilité publique ne se retourne pas contre elle.
La cause cessant, les effets doivent cesser.
C'est pourquoi le projet accorde au gouvernement le droit de se saisir de l'exploitation d'un chemin de fer qu'une cession contraire à l'intérêt général rendrait dangereuse.
A rigueur de droit et sauf la question d'indemnité, le législateur qui a concédé en vue de l'utilité publique, qui ne peut pas légitimement concéder sous la pression d'un autre mobile, a le droit et, éclairé par l'expérience, le devoir de retirer la concession nuisible au pays. Agir de la sorte, ce serait la rigueur du droit, on le répète, mais convenons-en, ce serait encore le droit.
Le projet ne va pas jusque-là.
Il tempère, il concilie.
Le gouvernement, délégué par la législature, constate que la loi est violée ou éludée au détriment de l'intérêt national.
Comme peine des engagements méconnus, il prend l'exploitation de la ligne, mais pour compte, des actionnaires. Il ne confisque pas : il met la concession sons une sorte de séquestre, au lieu de proclamer une déchéance qui serait son droit.
Le statu quo financier pour les intéressés est maintenu. L'avenir leur échappe ; car cet avenir serait illégal et violerait la foi contractuellement promise ; il est d'ailleurs purement hypothétique.
L'Etat se trompe-t-il en fait sur le point de savoir si la loi a été méconnue ? Le projet prévoit le cas et résout la difficulté conformément aux règles de la séparation des pouvoirs, conformément à l'esprit et à la lettre de notre Constitution.
Il ne pouvait s'agir ici d'expropriation pour cause d'utilité publique, puisque l'objet de la mesure, appartient déjà au domaine public. Toutefois, le système proposé se rapproche des principes admis en cette matière et s'approprie ce qu'ils ont d'équitable.
Au gouvernement le droit absolu et sans contrôle d'affirmer que l'intérêt public commande de reprendre l'exploitation de la ligne. Le pouvoir judiciaire ne peut compétemment se saisir de pareille question, pas plus qu'il ne peut, en matière d'expropriation précisément, décider qu'un travail déclare d'utilité publique par arrêté royal n'est pas utile.
Mais le concessionnaire conteste en fait l'existence des contraventions provoquant l'exercice du droit de l'Etat. Le pouvoir judiciaire devient alors, toujours comme en matière d'expropriation, juge du point de savoir si une indemnité est due ou ne l'est pas, c'est-à-dire qu'il juge un intérêt civil et privé, selon sa mission constitutionnelle.
L'article 3 règle l'indemnité d'une façon manifestement équitable pour le cas où le recours du concessionnaire serait accueilli.
La commission ne croit pas devoir insister sur les considérations économiques et financières qui commandent impérieusement l'adoption de la loi proposée.
L'exposé des motifs met ces considérations en éclatante lumière ; elles sont saisissantes, et l'opinion publique les a saisies. Il est dans la vie des peuples, comme dans la vie des individus, de ces choses qui se sentent sans qu'il soit besoin de les exprimer, et ce que l'on comprend le mieux alors est précisément ce qu'il est inutile de dire.
Devant un projet dont l'opinion publique proclame la nécessité et l'urgence, la commission n'avait qu'une mission à remplir. Il lui incombait de prouver que la loi est juste autant qu'elle est nécessaire.
La commission croit être parvenue au but, et c'est pourquoi elle vous propose, à l'unanimité de ses membres, l'adoption des propositions du gouvernement.
La commission nourrit l'espoir que la loi nouvelle suffira pour prévenir les abus sérieux que l'on redoute, et qu'il ne sera pas même nécessaire au gouvernement d'user du pouvoir de répression dont la législature va l'armer.
M. le président. - Il reste maintenant à statuer sur le jour où la discussion de ce projet de loi aura lieu.
M. Coomans a proposé de fixer cette discussion à mardi. (Interruption.)
M. Coomans. - J'insiste, messieurs, sur l'ajournement à mardi pour deux raisons :
D'abord, parce que le règlement exige deux jours francs depuis le dépôt imprimé du rapport et la distribution jusqu'au moment de la discussion, ce qui devrait déjà suffire ; mais ensuite, parce que le projet de loi est très important, que bien des membres ne l'ont pas lu et qu'il n'y a aucun péril en la demeure.
Il ne s'agit pas d'approuver certaines concessions que l'on dit contractées puisque le gouvernement a déclaré qu'il ne les approuve pas. Les armes dont il se dit nanti, il les garde en main ; je ne vois donc aucune espèce d'urgence, et c'est déjà déclarer l'urgence que de commencer la discussion mardi, puisqu'il était entendu naguère encore et proclamé par notre honorable président que le projet de loi sur la contrainte par corps garderait sa priorité.
Je maintiens donc, messieurs, le minimum de mardi ; il y va, selon moi, de la dignité et de la sincérité de nos débats.
M. le président. - Je vais consulter la Chambre sur le point de savoir à quel jour sera fixée la discussion de ce projet.
- La Chambre, consultée, fixe à samedi la discussion du projet de loi sur les cessions de concessions et décide, que ce projet figurera en tête de l'ordre du jour.
M. le président. - Nous avons à procéder à l'appel nominal sur l'amendement de MM. Kervyn et autres membres, ainsi conçu :
« Nous avons l'honneur de proposer de porter le chiffré de l'article 63, Voirie vicinale, à quinze cent mille francs. »
Le vote donne le résultat suivant :
89 membres répondent à l'appel nominal.
39 votent pour l'amendement.
49 votent contre.
1 (M. Thonissen) s'abstient.
En conséquence, l'amendement n'est pas adopté.
Ont voté l'adoption :
MM. Kervyn de Lettenhove, Landeloos, Lefebvre, Lelièvre, Liénart, Mascart, Moncheur, Mulle de Terschueren, Nothomb, Reynaert, Schollaert, Vander Donckt, Van Wambeke, Vermeire, Verwilghen, Visart, Wouters, Ansiau, Bieswal, Bricoult, Coomans, Coremans, de Clercq, de Haerne, Eugène, de Kerckhove, Delaet, Delcour, de Lexhy, de Liedekerke, de Montblanc, de Moor, de Muelenaere, de Terbecq, de Theux, de Vrints, de Zerezo de Tejada, Gerrits, Jacobs et Janssens.
Ont voté le rejet :
MM. Jamar, Jonet, Lange, Lesoinne, Lippens, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Orban, Orts, Pirmez, Rogier, Sabatier, T'Serstevens, E. Vandenpeereboom, Vander Maesen, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Vilain XIIII, Vleminckx, Warocqué, Allard, Anspach, Bara, Beke, Bouvier-Evenepoel, Broustin, Bruneau, Carlier, Couvreur, Crombez, David, De Fré, de Kerchove de Denterghem, de Maere, de Naeyer, de Rongé, de Vrière, Dupont, Elias, Frère-Orban, Funck, Guillery, Hagemans, Hymans et Dolez.
M. le président. - Le membre qui s'est abstenu est invité à faire connaître les motifs de son abstention.
M. Thonissenµ. - Je n'ai pas volé contre l'amendement, parce que je considère comme éminemment utiles les encouragements donnés à la voirie vicinale.
D'autre part, je n'ai pas voté pour, parce que, dans la situation actuelle du trésor, il ne m'a pas été démontré qu'on pouvait, sans inconvénient, lui imposer de nouveaux sacrifices.
Je me suis par conséquent abstenu.
- Le chiffre de 1,165,550 francs proposé par le gouvernement est adopté.
« Art. 64. Frais du conseil supérieur de l'industrie et du commerce ; traitements de l'inspecteur pour les affaires d'industrie et du secrétaire du conseil : fr. 12,500. »
- Adopté.
(page 385) « Art. 65. Enseignement professionnel : Ecoles industrielles, ateliers d'apprentissage : fr. 223,300. »
- Adopté.
« Art. 66. Encouragements pour des ouvrages utiles, traitant de questions de technologie, de droit ou d'économie industrielle ; voyages et missions ; frais relatifs aux caisses de prévoyance et aux sociétés de secours mutuels, et dépenses de la commission permanente instituée pour faciliter l'examen des affaires qui se rattachent à ces institutions ; frais résultant de la collation des décorations industrielles ; dépenses diverses ; traitement du secrétaire de la commission permanente pour les sociétés de secours mutuels : fr. 16,450. »
- Adopté.
« Art. 67. Indemnités des greffiers des conseils de prud'hommes : fr. 16,500. »
- Adopté.
« Art. 68. Frais de publication du Recueil officiel des brevets d'invention ; traitement du rédacteur du recueil : fr. 7,000. »
- Adopté.
« Art. 69. Musée de l'industrie. Traitements du personnel : fr. 20,650. »
- Adopté.
« Art. 70. Musée de l'industrie. Matériel et frais divers : fr. 16,450. »
- Adopté.
« Art. 71. Traitements des vérificateurs : fr. 53,800. »
- Adopté.
« Art. 72. Frais de bureau et de tournées et frais de la commission des poids et mesures : fr. 18,000. »
- Adopté.
« Art. 73. Matériel : fr. 3,000. »
- Adopté.
« Art. 74. Dépenses du conseil de perfectionnement de l’enseignement supérieur : fr. 4,000. »
- Adopté.
« Art. 75. Traitements des fonctionnaires et employés des deux universités de l'Etat : fr. 746,610. »
- Adopté.
« Art. 76. Bourses. Matériel des universités : fr. 143,210.
« Charge extraordinaire : fr. 3,400. »
- Adopté.
« Art. 77. Frais de route et de séjour, indemnités de séance des membres des jurys d'examen pour les grades académiques, pour le titre de gradué en lettres et pour le grade de professeur agrégé de l’enseignement moyen de l'un et de l'autre degré, et pour le diplôme de capacité, relatif à l'enseignement de la langue flamande, de la langue allemande et de la langue anglaise, et pour le diplôme de capacité à délivrer aux élèves de la première commerciale et industrielle des athénées ; salaire des huissiers des jurys et matériel : fr. 185,000. »
(page 387) M. Eliasµ. - Messieurs, je désire présenter quelques observations sur l'organisation actuelle de l'enseignement moyen. Je serai aussi nécessairement amené à répondre quelques mots à l'honorable M. Thonissen ; mais auparavant je voudrais, pour montrer au corps professoral toute la sympathie que j'ai pour lui, et pour éviter ainsi, s'il est possible, les mauvaises préventions que s'attirent ceux qui parlent de changer une situation admise.
Je voudrais demander la réparation d'une injustice commise actuellement à son préjudice.
Dans les athénées, les dernières classes de la section professionnelle sont souvent fréquentées par un très grand nombre d'élèves. On est forcé de les dédoubler, et le traitement du deuxième professeur est pris sur le minerval.
Il en résulte que la prospérité de l'établissement amène pour les professeurs une diminution de traitement. Cet état de choses a déjà été signalé dans cette Chambre par l'honorable M. Muller, dans la séance du 12 février 1863.
La question est très importante et je crois ne pouvoir mieux faire, pour vous la faire connaître complètement, que de rappeler les paroles prononcées par l'honorable membre :
« Je suis de l'avis de M. Hymans (disait M. Muller dans la séance du 12 février 1863), lorsqu'il désire que, s'il y a nécessité de créer une chaire de plus dans un athénée, par suite du nombre excessif d'élèves dans une classe, le traitement du professeur supplémentaire ne soit pas prélevé sur le minerval.
« Il n'est ni juste ni encourageant d'en agir autrement, car il en résulte cette anomalie choquante qu'un professeur, dont on reconnaît la classe trop nombreuse, et auquel on enlève une partie de ses élèves, éprouve, ainsi que ses collègues, un véritable préjudice ; et l'on peut dire avec raison, quand ce cas se présente, que les minervals des 80 élèves d'une classe dédoublée rapportent moins au corps professoral que les minervals de 50 élèves n'ayant qu'un professeur.
« Dans le premier cas, celui des 80 élèves, on va prélever le traitement du deuxième professeur sur la masse des minervals, dont le chiffre sera ainsi réduit.
« Plus les professeurs parviennent à donner du renom à leur établissement et à le faire prospérer, plus ils devraient eux-mêmes s'en ressentir d'une manière favorable au point de vue du casuel. Eh bien, il n'en est pas ainsi. »
L'honorable M. Vandenpcereboom répondit que c'était aux communes, aux grandes villes plutôt qu'à l'Etat qu'incombait l'obligation de porter remède à ce mal ; il promit, du reste, d'examiner la question. Cet examen doit être fait maintenant, et je prierai l'honorable ministre de l'intérieur, qui se montre si bienveillant pour l'instruction, d'apporter tous ses soins pour obtenir une bonne solution.
Pour l'athénée de Liège, la chose est plus urgente que pour d'autres institutions du pays. En effet, à Liège, le minerval n'est que de soixante francs augmenté de six francs pour les feux. Dans d'autres villes, il est de soixante-douze, de quatre-vingts et même de cent francs à Bruxelles. Nos professeurs sont donc dans une position relativement plus malheureuse.
La ville de Liège, du reste, se propose d'intervenir dans les frais résultant de la nomination d'un deuxième professeur ; elle se chargerait de donner la moitié du traitement.
Je crois que le gouvernement pourrait facilement faire l'autre moitié.
Les professeurs titulaires interviendraient en laissant les professeurs supplémentaires prendre une part proportionnelle dans la caisse du minerval.
La situation actuelle demande un prompt remède, surtout si l'on considère que le dédoublement des classes est amené par le grand nombre d'admissions gratuites accordées de l'avis conforme du gouvernement. Le grand nombre d'élèves ne prouve donc pas nécessairement l'augmentation du montant des minervals.
Aussi ai-je la confiance qu'il sera remédié à cet état de choses.
Maintenant, messieurs, permettez-moi de répondre quelques mots au discours qu'a prononcé l'honorable M. Thonissen dans une de nos précédentes séances. Je vais essayer de réfuter les idées émises par cet honorable membre.
Il trouve que tout changement proposé à l'organisation actuelle de l’enseignement moyen est dangereux : ceux qui proposent ces changements ont de nombreux imitateurs et ainsi l'organisation elle-même est continuellement remise en question.
Je ne reconnais pas ce danger ; lorsque, comme pour l'enseignement moyen, il n'a rien été fait pendant 18 ou 20 ans, il y a lieu, ce me semble, d'examiner si l'organisation existante est toujours à la hauteur des exigences de l'époque.
L'enseignement moyen, tel que nous le possédons depuis 1850, n'a pas subi le moindre changement. Si vous comparez cet enseignement avec l’enseignement primaire et l'enseignement supérieur, vous verrez qu'on s'est occupé continuellement des deux derniers et que, par les améliorations qui y eut été apportées, ils sont aujourd'hui dans un état infiniment supérieur à celui de l'enseignement moyen.
Je ne reconnais donc pas qu'il y ait danger à le discuter.
Cela dit, je dois répondre à ceux qui prétendent qu'on ne peut, sans diminuer la force des études, supprimer l'enseignement du grec dans les études humanitaires. Il est évident que notre but n'est pas d'amoindrir, mais au contraire de renforcer les études.
D'après nous, le grec doit être remplacé par une étude plus approfondie de la langue latine et de la langue étrangère que l'on étudie en même temps. Notre but, enfin, est de fortifier les autres études faites dans la section des humanités.
Messieurs, j'ai hésité, je dois le dire, à répondre a mon contradicteur ; helléniste profond, savant académicien, il était dans la meilleure position pour défendre sa thèse.
Des résultats trop minces obtenus par l'étude du grec expliquent seuls mon opinion contraire à la sienne. Il est vrai que beaucoup de personnes partagent ma conviction et c'est ce qui m'enhardit à entrer en lice contre un aussi redoutable adversaire.
L'honorable M. Thonissen a trouvé un excellent moyen pour diminuer le nombre, de ses contradicteurs.
Il ne leur a pas adressé par lui-même des paroles peu bienveillantes. Il a eu soin de les mettre dans la bouche d'un homme qui a laissé d'excellents souvenirs, de Jacotot.
L'anecdote qu'il a racontée tendrait à montrer que celui que nous étions accoutumés à regarder comme un ami de l'enfance sincère et dévoué, avait au contraire des sentiments que n'aurait pas désavoués le charlatan de la fable de La Fontaine.
Ce charlatan, vous le savez, s'était engagé sous peine de mort à apprendre à lire et à écrire à l'âne du Roi dans l'espace de dix années.
Comme on lui faisait remarquer le danger qu'il courait en prenant un pareil engagement, il répondit :
... Avant l'affaire, Le roi, l'une ou moi, nous mourrons.
C'est une réponse du même genre que fait Jacotot à celui qui lui faisait des objections sur son système. Et je dirai à l'honorable membre qu'il est dangereux d'ôter à la jeunesse le respect de ceux qu'elle regarde comme des bienfaiteurs.
Du reste il n'est plus temps de parler de prudence pour cette question.
Elle est ancienne et a déjà été soulevée dans cette enceinte. On ne se demandait pas, il est vrai, alors, si on abandonnerait l'étude du grec, mais bien si on en diminuerait l'importance, si on supprimerait des programmes les thèmes et la versification.
(page 388) M. Dumortier a dit sur cette question des choses très sensées que je m'empresse de vous rappeler. Voici ce qu'il disait :
« Mais je vous le demande, sur cent élèves qui sont sortis des athénées, en dehors du corps professoral, en compterez-vous un sur cent qui ait continué l'étude du grec ? Je dis que non. Dès lors, à quoi bon donner aux élèves des thèmes et de la prosodie grecques ?
« C'est un temps perdu dans lequel vous hébétez l'intelligence des jeunes gens ; vous leur donnez beaucoup trop de choses à étudier, et ils finissent par n'en retenir et par n'en savoir aucune.
« Je pense donc qu'il est indispensable de simplifier le programme des études, si vous voulez le progrès des études. Il faut apprendre à la jeunesse ce qui doit lui servir dans l'avenir. Or, messieurs, ce qui doit lui servir avant tout, dans l'avenir, c'est l'étude des langues vivantes. »
Ces paroles sont remarquables. Si, à cette époque, l'honorable M. Dumortier ne concluait pas avec la même rigueur que nous, toujours est-il qu'il posait les vrais principes en vertu desquels devrait se faire la réforme de l’enseignement moyen.
L'honorable M. Thonissen a tiré argument de ce qu'avait dit, en 1720 déjà, Rollin, dans son Traité des études. Observons d'abord qu'il serait étonnant que ce savant eût professé l'opinion contraire. A cette époque, tous ceux qui s'occupaient d'instruction devaient être persuadés de l'absolue nécessité des études classiques, Rollin disait donc : « Il faut que les professeurs luttent contre cet éloignement pour le grec, éloignement devenu fort commun. »
S'il faut tirer des paroles de Rollin une conclusion, c'est que dès cette époque l'étude des langues mortes n'exerçait pas sur les élèves une bien grande attraction.
Quoi qu'il en soit, à l'opinion de Rollin je puis opposer une opinion bien plus puissante ; c'est celle d'un peuple tout entier. Et de quel peuple ? D'un peuple dont vous ne contesterez pas la compétence, du peuple grec lui-même.
Les Grecs, en effet, étaient d'avis qu'il ne fallait enseigner aux jeunes gens aucune langue étrangère, attendu que ce n'était pas trop de. toute leur jeunesse pour apprendre convenablement le grec.
M. de Haerneµ. - Les Grecs étaient trop égoïstes et trop épris de leur supériorité.
M. Eliasµ. - Ils ont créé assez de chefs-d'œuvre pour que l'on puisse croire que leur système n'était pas mauvais.
M. de Haerneµ. - Ils n'avaient aucune idée de la linguistique.
M. Eliasµ. - Je puis invoquer aussi l'autorité d'un savant, de l'abbé Fleury, qui écrivait vers 1682, donc près d'un demi-siècle avant Rollin. Ce qu'on va lire est plus remarquable que ce que disait ce dernier, qui ne fait que rapporter les idées qui avaient cours chez tous les pédagogues d'alors.
Fleury, au contraire, s'est élevé sur ce point au-dessus des idées de son temps.
Voici ce qu'il disait :
« Il me semble que nous devons accommoder nos études à l'état présent de nos mœurs et étudier les choses qui sont d'usage dans le monde, puisqu'on ne peut changer cet usage et l'accommoder à l'ordre de nos études. »
Vous le voyez, les meilleurs esprits des temps passés ont recommandé de faire apprendre aux jeunes gens des choses qui leur seront utiles.
Les partisans du grec sentent, du reste, que c'est là le côté vraiment sérieux de la question.
Aussi disent-ils que son utilité est incontestable. Ici ils distinguent, ils affirment que cette utilité est tantôt directe, tantôt indirecte. Elle est directe, disent-ils, pour les avocats, les prêtres, les savants ; elle est directe également en ce qu'elle permet de saisir facilement le sens des mots scientifiques par la connaissance des racines.
L'étude du grec a encore une utilité indirecte, en ce qu'elle développe le goût et est pour l'esprit une gymnastique nécessaire.
Pour les avocats, je crois qu'ils se passeraient fort bien de l'étude du grec ; nous en comptons beaucoup dans cette Chambre, et je doute fort qu'aucun d'eux ait jamais dû recourir au grec pour élucider une question de droit quelconque.
Le grec ne devrait, dans leur système, servir que pour l'étude des sources du droit romain.
Or, il est à remarquer que l'utilité pratique du droit romain diminue de jour en jour.
Je ne veux certes pas en condamner l'étude, notre droit moderne en dérive. Mais, obliger les jeunes gens à étudier, non seulement la source immédiate, mais encore la source médiate de notre droit, c'est, je pense, aller un peu loin.
M. Delcourµ. - Je demande la parole.
M. Eliasµ. - Les prêtres, dit-on, ont besoin de la connaissance du grec pour pouvoir étudier les textes des Ecritures. Mais, messieurs, nous n'avons pas à nous occuper du programme des études qui se font dans les séminaires grands ou petits. Celui-ci est réglé par l'épiscopat, qui reste parfaitement maître de faire enseigner le grec autant et si peu qu'il le voudra.
Les savants, les archéologues ! mais, messieurs, ils ont besoin de bien autres connaissances que de celle du grec ; ils peuvent, du reste, l'apprendre en dehors des athénées. Ensuite, veuillez-le remarquer, je n'entends nullement proscrire d'une manière absolue l'étude du grec ; je demande simplement l'adoption de quelques mesures qui permettraient aux amateurs du grec de satisfaire leurs goûts sans contraindre tous les autres élèves à une étude longue et infructueuse pour eux.
Enfin, d'après mes honorable contradicteurs, le grec est utile en ce qu'il permet de connaître le sens scientifique des mots ; il permet de découvrir le sens de chaque partie dont se composent ces mots. Je ne nierai certainement pas l'utilité du grec à ce point de vue ; cependant je crois qu'à l'aide d'études philologiques on peut parfaitement arriver au même résultat. Au surplus, il n'est pas inutile de faire remarquer l'abus des mots composés de racines grecques, abus qui se propage tous les jours. Ainsi un des professeurs de notre université me déclarait récemment encore que depuis 1842 cet abus avait pris un développement dont on n'avait jamais eu d'idée autrefois.
Pendant bien longtemps on s'est contenté, du mot « pléthore » pour désigner un état déterminé ; de nos jours on a trouvé que cela ne suffisait pas et on a composé un mot nouveau de quatre ou cinq syllabes, que je ne suis pas même parvenu à retenir. Consultez un médecin si vous avez mal à la tête, il vous dira que vous êtes atteint d'une céphalalgie, mot que vous ne comprendrez pas si vous n'avez pas étudié le grec.
M. Bouvierµ. - Et ce docteur passera pour un savant distingué.
M. Eliasµ. - Messieurs, ceux qui ne sont pas partisans des études grecques auront contre eux, je le sais, non seulement les membres de l'Académie, des belles-lettres qui disent :
« Sans grec, tous les hommes »
« Deviendraient crétins. »
Mais encore les membres de l'Académie de médecine qui disent, mais plus bas et entre eux seulement :
« Par le grec, nous sommes »
« De grands médecins. »
Mais on peut se demander si l'intérêt du public est le même, s'il a intérêt à ce que les sciences soient ainsi rendues mystérieuses et souvent ténébreuses.
Evidemment non ; l'intérêt du public commande que les sciences soient accessibles au plus grand nombre et par conséquent il n'exige nullement qu'en faveur des personnes qui s'en occupent plus spécialement, on les rende impénétrables aux yeux du vulgaire.
Mais, nous dit-on, si le grec n'a plus une utilité directe, il a au moins une utilité indirecte ; il épure le goût par l'étude des chefs-d'œuvre que nous a laissés un peuple sans rival dans tous les arts.
Messieurs, je ne sais si l'étude de la langue grecque permet à beaucoup de personnes de lire les auteurs dans le texte même ; je crois que presque tous nous devons avoir recours aux traductions ; ceux qui sont forts lisent en même temps le texte, mais le plus grand nombre se contentent de la traduction seule qui suffit pour donner une idée de l'ensemble de l'ouvrage et des beautés qu'il renferme. (Interruption.)
Je sais fort bien, M. Thonissen, ce qui en est ; je ne parle pas des quelques élèves privilégiés qui parviennent à lire couramment le grec ; mais je parle de la généralité, et parce que, d'après le calcul de l'honorable M. Dumortier, un élève sur 100 parviendra à lire le grec, faut-il que vous obligiez les 99 autres à se martyriser, sans fruit, pendant de longues années dans l'étude de cette langue ?
Une conséquence directe de cette contrainte, c'est de leur donner une espèce d'aversion pour tout ce qui provient de cette source.
Je lisais dernièrement un auteur français qui a raconté les sensations que lui a fait éprouver cette étude forcée du grec. Il avoue qu'il est resté de longues années avant de pouvoir retourner à l'étude de la littérature grecque, littérature qui, bien plus que la langue, aide si puissamment à former le goût.
On dit, il est vrai, que l'étude de la langue grecque forme pour l'esprit une gymnastique intellectuelle nécessaire,
Pour moi, je pense que le cercle de nos connaissances n'est pas tellement restreint que nous ne puissions pas trouver cette gymnastique intellectuelle dans des matières qui resteront utiles à l’élève, après qu’il a eu (page 389) terminé ses études. Ainsi, l'étude de l'allemand, langue assez rude, il est vrai, mais savante, compliquée, fournira à l'élève le moyen de s'exercer ; plus tard, s'il parvient à connaître parfaitement cette langue vivante, il pourra en tirer des services réels.
La principale crainte que nos honorables adversaires expriment, c'est que l'abandon de l'étude du grec me fasse renoncer à l'étude du latin, Je crois que cette crainte est chimérique. Le latin a été une langue, non pas parlée dans ce pays, mais écrite. Tous les anciens contrats étaient rédigés en latin, tous les vieux auteurs ont écrit en latin, toutes les ordonnances étaient en latin. La connaissance de cette langue sera toujours nécessaire pour ceux qui veulent faire des études plus approfondies. Je crois donc que le latin sera maintenu malgré tout.
Enfin, messieurs, pour étayer son opinion, l'honorable M. Thonissen nous a cité l'exemple de l'Allemagne qui a conservé l'étude du grec dans toute sa puissance, qui ne s'est pas lancée dans les recherches, dans les innovations.
Je crois que l'honorable membre a trop exalté l'Allemagne sous ce rapport. Depuis le commencement de ce siècle, il n'est pas une réforme dans l'enseignement moyen que l'Allemagne n'ait tentée ou réalisée. Depuis les jardins d'enfants, jusqu'à ces magnifiques institutions moyennes appelés Real-Schülen, qui ont la prétention de doter les élèves de connaissances littéraires et scientifiques complètes, sans les faire passer par les humanités, tout a été essayé ou organisé chez ce peuple.
La France, pays que l'honorable membre semble dédaigner ; la France, jusqu'en 1865, a conservé les études classiques pour toutes les carrières, libérales et non libérales ; en France, jusqu'en 1865, on ne pouvait devenir ingénieur ou marin, sans avoir passé par l'étude du grec.
Le système actuel qui consiste à faire apprendre le grec à un nombre d'élèves trop grand, produit des résultats désavantageux au point de vue social.
L'importance accordée aux études classiques fait déserter les études professionnelles, les études qui ont pour but l'acquisition de connaissances immédiatement pratiques.
Il en résulte que les carrières libérales sont encombrées. Un autre mauvais résultat de l'organisation actuelle, c'est de pousser les petites villes à établir, non pas des écoles moyennes, mais des collèges, des collèges qui, n'ayant pas l'importance suffisante pour avoir des professeurs d'un premier mérite, ont poussé à l'abaissement des études.
Ainsi donc, une trop grande importance accordée aux études classiques a eu ce résultat d'amener un abaissement sensible dans les études humanitaires elles-mêmes.
Cette situation, messieurs, demande une réforme. L'honorable ministre de l'intérieur montre la meilleure volonté : il s'entourera de toutes les lumières et il fera, sous ce rapport, tout ce qui sera possible, j'en ai la conviction.
Cependant je voudrais apporter mon contingent à cette œuvre et vous parler d'autres réformes, qu'il me semble possible d'introduire dès maintenant dans l'organisation de notre enseignement moyen. Avant cela, je voudrais vous montrer ce qu'est actuellement cette organisation dans les pays voisins, notamment en Prusse, en France.
La comparaison de ces organisations avec celle que nous possédons fera voir ce qui nous manque encore et fera connaître les changements dont elle pourrait être susceptible.
Quant à l'organisation belge, elle est excessivement simple : elle a été formulée, par une loi ; en vertu de cette loi, le gouvernement possède 10 athénées et 50 écoles moyennes du deuxième degré. Les athénées ont une section d'humanités, où les études durent six ou sept ans, selon qu'on compte ou qu'on ne compte pas la classe préparatoire, et une section professionnelle, où les études durent cinq ou six ans, selon le même calcul.
Dans les 50 écoles moyennes, les études, d'après la loi, ne devraient durer que trois ans. Mais dans le programme de ces écoles, on a tellement étendu les matières, que dans presque toutes les villes on a été obligé d'y joindre une, deux et jusqu'à trois classes préparatoires.
A côté de ces écoles du gouvernement, on trouve 26 écoles communales subventionnées par le gouvernement.
De ces 26 écoles communales, 15 sont des collèges ou petits athénées et 9 seulement sont des écoles du deuxième degré. Il existe en outre deux écoles moyennes du second degré établies par la ville de Bruxelles.
Ces deux écoles n'exigent que trois années d'études pour parcourir tout le programme. A côté de cela, et en vertu de l'article 32 de la même loi, nous rencontrons 17 établissements patronnés par les communes.
De ces 17 établissements, 11 appartiennent aux évêques ; deux sont dirigés par des congrégations ; un seul par des laïques.
De ces 17 établissements, 10 sont du premier degré, c'est-à-dire de petits athénées ; 7 seulement sont du deuxième degré.
Enfin, en consultant le dernier rapport, on trouve que les évêques possèdent 26 collèges ou petits séminaires et que, d'après le programme de ces institutions, on peut presque toutes les classer dans le premier degré.
Les jésuites possèdent en outre 11 grands établissements : 10 du premier degré, c'est-à-dire pouvant se rattacher à nos athénées ; un seulement est une école moyenne, pouvant se rattacher au deuxième degré.
Je ne crois pas qu'il existe encore actuellement un seul établissement privé laïque, tous ont disparu.
Pour nous résumer, disons que nous rencontrons en tout 35 établissements du premier degré appartenant à l'Etat ou subventionnés par lui, ou patronnés par les communes ; que nous trouvons seulement 66 établissements du deuxième degré, c'est-à-dire des écoles moyennes ; et que si, à ces 35 établissements du premier degré, nous ajoutons les établissements libres, les établissements privés, nous pouvons conclure qu'on trouve en Belgique autant d'établissements du premier degré que d'établissements» du deuxième degré.
L'organisation prussienne ne ressemble nullement à la nôtre. Je choisis la Prusse de préférence aux autres puissances de l'Allemagne, parce que son organisation a servi de modèle aux autres.
Vous connaissez parfaitement quel est l'état de son instruction primaire. L'instruction primaire y est répandue partout ; elle est générale, elle est solide.
L'instruction moyenne vient s'y superposer immédiatement. Dans toute localité d'une importance de 1,500 à 1,800 habitants, la loi veut qu'il y ait une école bourgeoise dite Burger-Schüle, c'est-à-dire une école pour la petite bourgeoisie. Ainsi partout le fils de l'artisan, le fils de l'ouvrier, le fils du plus petit bourgeois trouve à terminer ses études.
Le programme de ces écoles est tellement simple, qu'il peut être parcouru en quatre ou cinq ans par un élève ordinaire sorti des écoles primaires de village. Il y a un programme commun à toutes les écoles et un programme spécial fait pour satisfaire les exigences locales.
Au-dessus de ces écoles moyennes du degré tout à fait inférieur, vous rencontrez une variété infinie d'écoles de toute espèce. Elles ont été instituées par les communes. Leur programme a été rédigé par elles, au point de vue des nécessités sociales, et ces écoles ont été plus tard subsidiées par le gouvernement, lorsqu'elles ont admis dans leur programme un minimum de connaissances exigé par le gouvernement.
Par ce minimum de programme, on parvient à classer quelque peu les institutions d'enseignement moyen supérieur.
Ainsi, au-dessus des écoles du premier degré que j'ai signalées tout a l'heure, on rencontre, dans les localités plus importantes, une école bourgeoise supérieure. Au-dessus ou à côté de ces écoles bourgeoises, vous trouvez 350 écoles moyennes du deuxième degré. Enfin au-dessus de ces écoles des Real-Schülen.
Les Real-Schülen sont des établissements remarquables, elles ont pour but de former, par l'étude des langues vivantes, par l'étude des sciences, des hommes ayant des connaissances littéraires et scientifiques étendues, variées. Ces écoles, dans l'opinion de leurs fondateurs, peuvent lutter avec celles où se font les études humanitaires, avec les gymnases.
Il existe des Real-Schülen du premier et du deuxième degré ; on compte 63 Real-Schülen du premier degré.
M. Thonissenµ. - 65.
M. Eliasµ. - Le chiffre est nouveau. Mes renseignements sont puisés dans un rapport publié en 1865. En Allemagne, on marche tous les jours. Depuis lors, on aura institué deux nouvelles écoles. Je vous remercie de votre renseignement.
Dans ces Real-Schülen, les études durent 9 ans, du moins dans l'école de Berlin ; dans les autres, elles peuvent ne durer que 7 à 8 ans. Ces Real-Schülen jouissent de grands avantages. Le certificat qu'elles délivrent à la suite d'un examen donne à celui qui le possède des droits d'un grand prix, sous différents rapports.
Enfin, messieurs, pour les études classiques, pour les études humanitaires, il y a 25 gymnases préparatoires et 141 grands gymnases. Là, les études durent 9 ans ; elles sont fortes et il sort de ces établissements des hommes d'une grande supériorité. Je n'ai pas la volonté de soutenir que tous les élèves qui en sortent sont plus forts que les nôtres, mais tout le monde reconnaît qu'il en sort un nombre relativement plus grand d'élèves capables que de nos athénées.
Enfin, messieurs, à côté de ces établissements si nombreux pour les garçons, l'Allemagne a songé aussi à l'enseignement des filles, Il y a 370 écoles moyennes de demoiselles et 70 écoles supérieures. L'enseignement (page 390) y est très développé. L'histoire, la morale et la religion y sont enseignées d'une manière très approfondie et sans soulever les plaintes de personne.
Ce qui distingue donc l'enseignement allemand, c'est une immense diffusion de lumières, une infinie variété d'institutions. C'est la satisfaction donnée à toutes les aspirations de notre époque. En Allemagne, dans une foule d'établissements, les études sont dirigées dans un sens pratique, utilitaire. Quels que soient le temps et l'argent que vous voulez consacrer aux études, vous trouvez un établissement conforme à votre désir.
Aussi l'Allemagne a-t-elle actuellement une bourgeoisie instruite plus nombreuse que n'en possède aucun autre pays. Elle fournit des commis à toutes nos maisons de banque, elle en fournit à la Hollande, et l'honorable M. Gladstone rappelait, il y a quelque temps, qu'il existe en Angleterre plus de 10,000 Allemands employés dans les grandes maisons de banque, de commerce ou d'industrie. Je pense, messieurs, qu'un système qui forme une telle bourgeoisie doit être l'objet de nos méditations constantes.
Le système français est infiniment plus simple. Jusqu'en 1865, jusqu'à l'organisation des écoles, les études classiques, les études humanitaires étaient seules officiellement enseignées dans un assez grand nombre de lycées impériaux. Les villes avaient en outre érigé 251 collèges communaux on l'enseignement était le même. Ainsi que le disait M. Duruy, en 1866, il existait un abîme entre l'enseignement primaire et l'enseignement moyen. Depuis, on a fait un pas dans le sens de l'organisation allemande : à côté des études classiques, l'enseignement moyen a été organisé.
La loi du 31 juin 1865 a permis la création d'écoles qui ressemblent assez à nos écoles moyennes. L'enseignement de l'histoire y est même, mieux organisé.
Telles sont, messieurs, décrites rapidement, ces trois organisations. Si nous les comparons entre elles, nous constatons les différences suivantes :
1° L'Allemagne possède une école intermédiaire entre l'école moyenne proprement dite et l'école primaire. Cette école intermédiaire, nous ne la possédons pas.
Nous trouvons, en second lieu, dans les Real-Schülen, que les matières d'enseignement sont réparties en deux sections. La première section comprend trois classes d'un an, la deuxième trois classes, également d'un ou deux ans, ordinairement deux de deux ans, la première seule d'un an. L'élève qui quitte après les trois premières années a acquis des connaissances dont il peut déjà tirer profit.
3° En France, un cours de morale est donné pendant la dernière année des écoles spéciales. En Allemagne, le cours de religion se termine par un cours de philosophie morale. Rien de semblable n'existe dans nos écoles. L'histoire et les langues étrangères sont enseignées d'une manière autre qu'ici. Notre section des humanités pourrait aussi être modifiée quelque peu. Je me propose de dire quelques mots de ces différents points aussi brièvement que je le pourrai.
Je vous parlerai d'abord du point le plus important, des écoles moyennes tout à fait inférieures, que je voudrais voir introduire en Belgique.
Dans la situation actuelle, vous l'avez vu, il existe autant d'écoles moyennes du premier degré, c'est-à-dire d'athénées, que d'écoles moyennes du second degré.
Cette situation n'est pas en rapport avec les exigences de la population.
Il est de la dernière évidence qu'il y a un bien plus grand nombre de gens aspirant à faire des études moyennes restreintes, pratiques, qui n'exigent que 3 ou 4 ans, que de gens qui sont disposés à consacrer 5 ou 6 années ii des études qui, d'après nos programmes actuels, semblent surtout préparatoires aux études supérieures.
Cette classe de citoyens intermédiaire entre celle qui fait des études primaires et celle qui fréquente nos collèges et nos écoles moyennes se compose d'artisans, de petits détaillants, de petits entrepreneurs, de contre-maîtres et même de bons ouvriers de métier.
Moi, qui habite une partie de l'année la campagne, je sais quels efforts font les fils de ceux dont la position est un peu au-dessus de celle de l'ouvrier, pour aller, dans une localité voisine, puiser quelques notions un peu supérieures à celles qu'ils ont acquises à l'école primaire.
Messieurs, il faut donner satisfaction à ce désir d'instruction qui anime cette classe nombreuse qui, heureusement pour nous, s'augmente tous les jours. Il faut que la classe intermédiaire entre la haute bourgeoisie et la classe ouvrière puisse acquérir les connaissances qu'elle réclame. Il y a aujourd'hui une trop grande distance entre ceux qui ont fait des études primaires et ceux qui ont fréquenté nos collèges.
L'unité de la nation s'en fortifiera.
Le but du législateur de 1850, lorsqu'il a décrété l'article 26, était du reste d'avoir des écoles moyennes du second degré plus facilement accessibles à la grande majorité des citoyens.
Le programme pris en vertu de cet article a augmenté ses exigences. Je ne m'en plains pas. Cela a été fait par nécessité réelle. Nous manquions même d'écoles moyennes pour la bonne bourgeoisie.
C'est là un motif de plus pour qu'aujourd'hui on crée des écoles inférieures pour la petite bourgeoisie.
Je voudrais, messieurs, vous montrer les augmentations considérables contenues dans le programme décrété en vertu de l'article 23. Cet accroissement est tel qu'il est presque impossible aux élèves qui sortent des écoles ordinaires, des écoles de village, de le parcourir dans le délai fixé. Cette démonstration ressortira pour vous de la seule inspection du programme, et je me dispenserai volontiers de la faire.
Il suffirait, pour réaliser l'idée que je vous soumets, que M. le ministre adoptât un nouveau programme infiniment plus simple que celui qui existe aujourd'hui.
Dans les matières qui demandent un peu d'études sérieuses, l'enseignement serait donné, non en vue d'une démonstration scientifique, mais en vue d'une application pratique.
L'algèbre, la géométrie surtout seraient données ainsi. De l'histoire et de la géographie, on ne donnerait que les parties les plus utiles à l'élève.
Un programme, ainsi entendu existe, en Prusse. Je crois pouvoir me dispenser de vous en donner connaissance.
Celte simplicité me paraît avoir été dans les vœux du législateur de 1850. L'article 27 de la loi voulait en effet que les études pussent être faites dans le cours de deux ou trois années.
Je crois, en outre, que ces écoles permettraient à un grand nombre de jeunes gens de conserver les connaissances qu'ils ont acquises à l'école primaire et de les perfectionner.
Pour réaliser ce projet, après le programme dont je viens de vous parler, il suffirait d'inscrire au budget de l'intérieur une somme faible d'abord, qui serait distribuée en subsides aux communes qui institueraient ces sortes d'écoles. En effet, je voudrais que ces écoles restassent communales.
Il est un autre remède, qui pourrait être apporté immédiatement à l'organisation actuelle, pour donner satisfaction à cette petite bourgeoisie.
Actuellement les enfants appartenant à cette classe fréquentent la section professionnelle de nos athénées. Comme ils ne peuvent consacrer 6 années à l'étude des sciences qui s'y enseignent, vous les voyez quitter ces établissements après 3 ou 4 années d'études.
Tel est le fait qui explique la grande disproportion qui existe entre le nombre d'élèves de la 5ème et de la 6ème classes et celui des classes supérieures.
Malheureusement le programme de nos sections professionnelles est fait de telle sorte, que l'élève qui sort au bout de 2 ou 3 ans n'emporte que des connaissances imparfaites qui, au bout de peu de temps, se sont totalement effacées.
L'examen du programme va vous le prouver immédiatement. Nous y voyons que l'histoire sainte est enseignée dans la classe préparatoire et l'histoire ancienne et du moyen âge, jusqu'à l'histoire moderne, dans les deux années suivantes, au moyen de 37 biographies, principalement des biographies de grands conquérants.
Ils ne connaissent pas un mot de l'histoire de la Belgique ni de l'histoire moderne.
En ce qui concerne les langues, on leur fait apprendre l'allemand, l'anglais, le flamand ; mais avouez qu'en quittant l'école après trois ans, il leur en restera bien peu de choses dans l'esprit.
L'Allemagne a réalisé un progrès en divisant les études, dans ses Real-Schülen, en deux parties distinctes.
La première partie, qui comporte 3 années d'études, comprend des matières qui doivent être utiles à l'élève, alors même qu'il quitterait l'école après ce temps.
En France, M. Duruy organisant, il y a quelques jours, l'enseignement moyen, a tâché également de réaliser cette idée.
Permettez-moi de vous reproduire les paroles qu'il prononçait, le 1er septembre 1866, à une distribution des prix d'une école spéciale ; le principe de la division des études y est démontré avec cette clarté, cet heureux choix d'expressions qui distinguent tous les écrits de cet homme d'Etat.
Voici ce qu'il disait :
« J'ai poussé le principe de la variété jusqu'à répartir les diverses matières de l'enseignement dans les cinq années d'études, de telle sorte que l'enfant contraint de s'arrêter après la 1ère, la 2ème ou la 3ème année, emportera cependant de l'école spéciale des connaissances immédiatement utiles. Je l'ai déjà dit, c'est un ensemble de cercles concentriques, mais d'un (page 391) diamètre toujours plus grand, que l'élève parcourt successivement en trouvant d'abord les leçons qui lui sont le plus indispensables. »
Conformément h ces données, je voudrais que le programme de la section professionnelle de nos athénées subît les transformations suivantes : Au lieu d'enseigner à l'enfant des biographies de 37 conquérants, je voudrais qu'on lui fît apprendre l'histoire de son pays, l'histoire de la Belgique d'abord ; qu'ensuite, on lui fit connaître les grandes divisions des temps historiques ; puis, s'il restait du temps disponible, qu'on lui enseignât l'histoire moderne, celle dont la connaissance lui sera le plus utile quand il sortira de l'établissement.
Quant aux langues étrangères, je crois qu'il faudrait, autant que possible, enseigner le flamand, cette langue dont nos artisans peuvent avoir souvent besoin et sans laquelle, devenus employés de l'Etat, ils ne peuvent occuper aucun emploi, même inférieur, dans la partie flamande du pays. Je voudrais aussi que la tenue des livres fût également enseignée d'une façon complète, dans cette section.
Au moyen de ces diverses réformes, je crois que nous donnerions satisfaction a un vœu qui est très généralement manifesté.
Messieurs, je viens de vous parler de l'histoire ; je vous ai dit comment elle était enseignée aujourd'hui dans la section professionnelle.
Je voudrais que l'enseignement de l'histoire fût également réformé dans ses parties générales. Je ne trouve pas utile d'enseigner l'histoire ancienne, l'histoire du moyen âge, l'histoire moderne au moyen de biographies, et ensuite de recommencer ce même enseignement par l'étude des faits. Cette division ne me semble pas logique et je crois qu'elle ne peut produire aucun bon résultat.
D'après ce que je viens.de dire, on devrait enseigner dans les classes inférieures l'histoire de Belgique et l'histoire moderne ; puis, il serait facile d'enseigner à l'élève tout ce qui, dans l'histoire ancienne, peut être utile à un citoyen belge.
Par ce système, on pourrait, en moins de quatre ans, donner un cours à peu près complet d'histoire. La dernière année pourrait être consacrée à une autre étude, dont je parlerai tantôt.
Je voudrais aussi que l'on apportât quelques réformes à l'enseignement des langues étrangères.
Dans le discours qu'il a prononcé, il y a quelques jours, l'honorable M. Thonissen nous disait que l'élève, au moment où il quitte l'athénée, ne savait pas assez d'allemand pour pouvoir se servir de cette langue ; qu'au bout de quelque temps, il avait complètement oublié ce qu'on lui avait appris.
Ici, on ne peut pas faire ce que M. le ministre de l'intérieur propose de faire pour le grec ; on ne peut pas abandonner l'étude de l'allemand. Il faut nécessairement corriger l'enseignement de l'allemand, de telle sorte qu'il devienne tout à fait profitable à l'élève.
Le défaut de l'enseignement de l'allemand, tel que je l'ai connu il y a une quinzaine d'années, et je crois qu'il n'est pas changé aujourd'hui, c'est d'être donné par des professeurs étrangers. Ces professeurs n'ont pas tous la même méthode d'enseignement, et lorsqu'on les choisit, on n'y a nul égard.
Il en résulte un manque complet d'uniformité dans cet enseignement. Ensuite, ces professeurs (je parle de ce qui existait autrefois, je ne sais s'il en est encore ainsi aujourd'hui) parlent mal le français, ce qui fait qu'ils n'ont aucune autorité sur leurs élèves. Le désordre s'introduit presque toujours dans la classe. Les élèves ne font guère de progrès dans les classes inférieures, et quand ils arrivent dans les classes supérieures, où l'enseignement devrait être donné en langue étrangère, ils sont mal préparés et ne peuvent pas comprendre l'enseignement du professeur. Aussi les résultats obtenus ne sont-ils pas en proportion des efforts.
Dans certains pays, l'enseignement des langues étrangères a fait de grands progrès. Je désirerais qu'on formât en Belgique des hommes capables de donner cet enseignement d'après la méthode qui est aujourd'hui généralement admise ; je voudrais que nos professeurs suivissent la méthode dite maternelle.
Pendant les premières années, un professeur belge, connaissant une langue étrangère, enseignerait aux élèves les premiers éléments ; plus tard, lorsque l'élève comprendrait déjà, lorsque lui-même saurait s'exprimer, un professeur, qui pourrait être étranger, leur donnerait des leçons dans sa propre langue, leur ferait connaître les règles de la syntaxe, et en même temps les initierait à la littérature étrangère. Les élèves acquerraient le dictionnaire de cette langue et pourraient la parler et la lire sans effort. Ils n'oublieraient pas ce qu'ils auraient appris.
Je voudrais enfin que, dans la dernière année, on pût donner un cours de morale. Le temps qui y serait consacré pourrait, ainsi que nous l'avons vu, être pris sur le temps donné à l'histoire.
Aujourd'hui, nous formons des hommes instruits ; nous leur faisons connaître leurs droits ; l'enseignement du droit constitutionnel se donne ou doit se donner dans tous les athénées ; mais a côté de cet enseignement des droits, ne devrait-on pas enseigner les devoirs ; nous faisons tout pour étendre les connaissances ; nous ne faisons rien pour former des hommes de caractère.
Un cours de morale se donnerait dans la dernière année des écoles moyennes et de la section professionnelle des athénées.
Ce cours, du reste, se donne dans presque tous les pays voisins. En France, un cours de morale est institué dans les écoles spéciales. En Allemagne, le cours de religion est tellement développé, que la dernière année est consacrée à l'étude de la philosophie morale.
Au surplus, ce cours se donne sans difficulté dans nos universités ; et je pense qu'il est possible, même dans nos collèges.
Telles sont, messieurs, les modifications que je voudrais voir introduire dans l'enseignement moyen ; je vous ai signalé surtout celles dont serait susceptible la section professionnelle ; j'ai fait connaître la méthode qu'on devrait employer pour l'enseignement des langues étrangères ; je vous ai dit également comment on devait enseigner l'histoire. Ces idées, je vous les soumets avec confiance et crois qu'elles méritent examen.
Si on supprime le grec dans l'enseignement de plusieurs de nos écoles, je voudrais qu'on réservât un athénée ou peut-être deux où les études classiques seraient développées d'une manière très complète. Le grec y serait maintenu et appris de telle sorte que l'élève pourrait facilement en tirer profit.
Le nombre d'années d'études serait augmenté en proportion. Les études y acquerraient la force qui distingue les études allemandes, et les résultats obtenus ne seraient, on peut l'affirmer, nullement inférieurs à ceux que l'Allemagne obtient. Sous le rapport de l'intelligence et des aptitudes, nos étudiants ne sont pas inférieurs aux Allemands, lorsqu'ils sont mis dans les mêmes conditions. On ne peut prétendre obtenir les mêmes résultats avec deux années de moins.
D'après ce système, le grec deviendrait facultatif et pour la médecine et pour le droit.
Il pourrait cependant être déclaré obligatoire pour toutes les personnes qui se destinent au professorat, même pour celles qui se destinent au professorat dans les facultés de droit et de médecine.
L'étude du grec serait nécessairement obligatoire pour ceux qui veulent faire des langues mortes une étude spéciale, pour ceux qui veulent devenir docteurs en philosophie et lettres.
Par ce moyen, les personnes qui ont une aptitude toute particulière trouveraient satisfaction, et nous n'aurions plus un nombre considérable de jeunes gens contraints à l'étude du grec, n'y ayant aucun goût et qui perdent un temps et des peines qui devraient être employés plus utilement.
(page 385) MpVµ. - Je dois faire observer que l'honorable M. Elias, à l'occasion du chapitre de l’enseignement supérieur, a traité la question de l’enseignement moyen. Il y a toute une série d'orateurs inscrits pour traiter cette même question. Je crois qu'il serait convenable d'aborder dès maintenant la discussion du chapitre « enseignement supérieur » et de continuer au chapitre suivant la discussion commencée par M. Elias.
M. Thonissenµ. - Je voudrais cependant répondre quelques mots à l'honorable M. Elias, qui m'a mis directement en cause.
MPDµ. - Il n'y a pas eu là de fait personnel M. Thonissen.
L'honorable M. Elias a demandé la parole à propos de l'article 77 du budget qui est ainsi libellé :
« Art. 77. Frais de route et de séjour, indemnités de séance des membres des jurys d'examen pour les grades académiques, pour le titre de gradué en lettres et pour le grade de professeur agrégé de l’enseignement moyen de l'un et de l'autre degré, et pour le diplôme de capacité relatif à l'enseignement de la langue flamande, de la langue allemande et de la langue anglaise, et pour le diplôme à délivrer aux élèves de la première commerciale et industrielle des athénées ; salaires des huissiers des jurys et matériel : fr. 185,000. »
C'est sur cet objet qu'il y a plusieurs orateurs inscrits.
M. de Vrièreµ. - J'ai demandé la parole pour présenter des observations relativement aux trois branches de l'enseignement. Il s'agit de matières à y introduire. Si la Chambre voulait me permettre de présenter mes observations à propos du chapitre de l'enseignement supérieur, elle m'éviterait la peine de faire trois fois le même discours ; une, fois à propos de l'enseignement supérieur, une fois à propos de l'enseignement moyen et une fois à propos de l'enseignement primaire.
M. Coomans. - J'allais précisément proposer à la Chambre de réunir toutes les matières qui concernent l'enseignement, pour laisser plus de liberté aux orateurs et en même temps pour qu'on ne scinde pas des questions qui sont étroitement liées.
J'appuie donc la proposition de M. de Vrière.
M. le président. - Dans ce cas, nous devons encore reprendre l'ordre des inscriptions.
La parole est à M. Rogier.
M. Rogierµ. - Je dois prévenir la Chambre que mon discours sera un peu long.
Si d'autres orateurs se trouvaient inscrits et désiraient prendre la parole, je demanderais à ne parler que demain.
M. de Theuxµ. - L'honorable M. Coomans a proposé de réunir les trois enseignements dans la discussion, il en résultera, je crois, beaucoup de confusion. Je demande qu'on s'en tienne au dernier article relatif à l'enseignement supérieur, qui concerne les frais de. voyage, et à l'enseignement moyen, mais qu'on n'aborde pas, en ce moment, l'enseignement primaire. (Adhésion.)
M. Coomans. - Soit.
M. le président. - S'il n'y a pas d'opposition, nous suivrons cet ordre de discussion. Mais je répète que je dois maintenir l'ordre des inscriptions et si M. Rogier désire ne parler que demain, la parole est à M. de Haerne sur l’enseignement supérieur et sur l'enseignement moyen.
M. Rogierµ. - J'ai dit les motifs qui m'engageaient a ne parler que demain. Si cependant l'honorable M. de Haerne devait traiter la même question que moi, j'aimerais mieux parler avant lui.
M. de Haerneµ. - Je veux traiter la même question et dans le même sens que vous.
M. le président. - En ce cas, la parole est à M. Rogier.
M. Rogierµ. - Messieurs, la discussion générale du budget de l'intérieur a été, cette année, une arène ouverte, où grand nombre d'idées, de principes, de systèmes sont venus se heurter et se combattre, où beaucoup de questions difficiles se sont produites et sont restées sans solution.
Il en est une qui avait également surgi dans la discussion générale et qu'on a renvoyée au chapitre de l'enseignement public. Celle-ci a aussi son importance.
A nies yeux, elle en a une grande au point de vue de l'éducation publique, et de la civilisation générale du pays. C'est ce qu'on est convenu d'appeler la question grecque.
Du jour où le bruit s'est répandu qu'un ministre, connu d'ailleurs par ses connaissances littéraires et, je crois aussi, par son érudition, songeait, sinon à supprimer le grec, au moins à en diminuer l'importance dans le programme des études, il s'est produit, dans certaines régions du pays, une émotion assez forte, et pour ma part, j'en ai été charmé. J'ai été heureux de voir que d'autres questions encore que des questions d'intérêt purement matériel intéressaient le pays et émouvaient les esprits. C’était un bon signe.
M. le ministre de l'intérieur a soumis au conseil supérieur de perfectionnement, et là il a recueilli, j'en suis encore très charmé, l'avis unanime de tous les membres présents, contre l'idée de supprimer ou de diminuer l'étude du grec. Rien plus, nous voyons que le conseil de perfectionnement a insisté pour qu'on la renforçât. Cette opinion a été exposée et défendue, il faut le dire, avec un talent remarquable, par plusieurs membres du conseil. Mais les considérations très élevées, très pratiques, très littéraires, de ces honorables membres, ne paraissent pas avoir produit sur M. le ministre de l'intérieur une influence décisive.
Il est resté dans une, position purement passive et ne s'est prononcé sur aucune question. Voilà, d'après les documents officiels, l'attitude prise (page 386) l'honorable ministre de l'inférieur qui paraît aimer généralement les positions tranchées. (Interruption.)
Je serais désolé, M. le ministre, qu'un esprit aussi distingué que vous l'êtes persistât à vouloir rayer de nos programmes l'étude du grec et par suite, et pourquoi pas ? celle du latin, car c'est la même question ; qui vent supprimer le grec doit, à plus forte raison, vouloir supprimer le latin ; mais j'espère que ni l'un ni l'autre ne sera ni supprimé ni amoindri.
Messieurs, le conseil de perfectionnement n'était pas composé de simples professeurs qui, quoique très compétents, auraient pu être suspectés de partialité. Non, il comprenait dans son sein quatre de nos plus éminents magistrats et deux officiers supérieurs appartenant aux armes spéciales ; tous ont été d'accord, par des raisons en quelque sorte irrésistibles, non seulement pour maintenir, mais pour fortifier l’enseignement du grec.
Messieurs, je viens me ranger à cette opinion très ouvertement, et avec un entraînement qu'il me serait difficile de modérer, je viens m'associer de tout cœur aux défenseurs du grec ; non pas, ai-je besoin de le dire ? que je veuille ici faire étalage d'une érudition que je ne possède point ; je n'ai pas la prétention d'être un profond helléniste ; j'ai été initié dans mon temps aux beautés ou, si l'on veut, aux mystères de la langue grecque, mais depuis 18 ans diverses circonstances m'ont empêché de me livrer, comme je l'aurais voulu, à la culture de cette magnifique langue ; mais ce qui m'en reste suffit pour me la faire aimer de plus en plus à mesure que je vieillis.
Messieurs, on parle souvent de la nécessité de s'occuper de l'instruction du peuple, d'élever le niveau de l'éducation des classes inférieures, cela est très bien ; mais je suis étonné de voir les mêmes hommes qui proclament ces beaux principes, auxquels je m'associe complètement, de voir les mêmes hommes venir vous parler d'abaisser le niveau de l'instruction des classes supérieures. (Interruption.)
Je ne sais pas si l'honorable M. Pirmez prend ce reproche, pour lui ; non, je ne le mets pas personnellement en cause ; je m'adresse, aux hommes soi-disant pratiques qui, préoccupés exclusivement de questions d'intérêt matériel, ou ne regardant la société que d'un seul côté, viennent nous parler d'élever le niveau de l'instruction du peuple et nous proposent de faire descendre le niveau de l'instruction des classes supérieures.
Or, messieurs, ami que je suis de tous les progrès, ce serait, à mes yeux, un malheur et une honte pour le pays si l'enseignement classique venait à s'abaisser et à être considéré comme une perte de temps et un luxe inutile ; si les classes supérieures n'étaient plus préoccupées que de besoins matériels et de plaisirs superficiels ; si l'on se contentait d'aller étudier la belle et grande histoire grecque dans je ne sais quel théâtre où l'on bafoue les héros d'Homère et ceux de tous les temps, en attendant qu'on aille, plus tard, assister aussi à des attaques bien autrement redoutables contre d'autres personnages, les prophètes de la Bible, les martyrs, les apôtres de l'Eglise : cela peut arriver, cela peut-être arrivera, j'en préviens, messieurs, ceux qui ne comprendraient pas la nécessité de maintenir aussi haut que possible l'éducation et l'instruction des classes supérieures.
Cette dernière idée, messieurs, je n'entends pas la revendiquer pour moi-même. Je la puise à une autre source. Je l’emprunte, à une lettre qui m'a été adressée par un ancien professeur, comme nous les aimions de notre temps, un de ces pédants, si l'on veut, qui aiment leurs auteurs, qui les savourent, qui se passionnent pour les beautés des auteurs qu'ils expliquent et cherchent à faire passer leur enthousiasme dans le cœur de leurs jeunes élèves.
J'ai ici d'anciens condisciples. Sans doute ils ont connu de pareils professeurs.
Je vois, non sans regret, qu'aujourd'hui cette race utile, qu'on appelle les pédants, commence à disparaître.
J'ai donc reçu une lettre d'un ancien professeur qui prend la défense du grec et qui me supplie d'en donner lecture à la Chambre, si elle veut bien le permettre.
Je me proposais, messieurs, de diviser mon discours, qui cependant ne sera pas un sermon, en quatre points.
. Dans la première partie, je traite la question au point de vue de l'utilité générale ; dans la deuxième, je la considère au point de vue de l'utilité littéraire (écrivains et orateurs) ; dans la troisième, je me place au point de vue scientifique et enfin dans la quatrième et dernière, je me renferme dans le cercle de l'utilité pratique et pour ainsi dire de l'usage ordinaire du langage.
Eh bien, messieurs, mon correspondant se place à ce point de vue restreint : on inflige, on dédaigne le grec, dit-il, parce qu’on prétend que c'est une langue morte, qu'on ne parle plus.
Il s'étonne et il s'indigne : il trouve que cette langue qu'on dit morte est encore très vivante et parlante ; qu'on la parle beaucoup et surtout à la Chambre (c'est un auditeur assidu de nos discussions) et il fait un tableau complet et tout bourré de grec de la Chambre et de ses travaux.
Si la Chambre désirait prendre connaissance de cette lettre je dirais dès maintenant ce que j'avais l'intention de dire. La Chambre me permettrait peut-être alors de reprendre et d'achever demain le reste de mon discours.
J'avertis que la letttre de mon professeur renferme un grand nombre de mots empruntés au grec ; ils sont soulignés dans la copie, et je prierai MM. les sténographes de recommander aux typographes (vous le voyez, je me mets aussi à parler grec) ; je prierai donc MM. les sténographes de recommander à MM. les calligraphes leur travail afin que MM. les typographes du Moniteur rendent d'une manière exacte tous les mois qui sont soulignés dans la copie. (Note de bas de page : Les mots imprimés en caractères italiques sont d’origine grecque.)
C'est une lettre adressée à MM. les représentants, la voici :
« Messieurs les représentants,
« Permettez à un vieux philhellène fanatique devenir protester, dans l'hypothèse où elle viendrait à se produire, contre une thèse antichrétienne, antiphilosophique, antipoétique, antiphilologique, antipédagogique, anti-scientifique et antipolitique enfin.
« Je verrais avec peine M. le ministre Eudore Pirmez, ainsi baptisé, sans doute, par son homonyme, helléniste enthousiaste qui a voix au Sénat, se poser comme l'antagoniste de la langue d'Homère, de Démosthène et de Platon.
« L'objection vulgaire, que l'on oppose à l'étude du grec, c'est son inutilité, étant une langue morte qu'on ne parle plus. C'est le raisonnement pratique de feu le. marquis de la Jeannotière, dont la progéniture trouve charmant d'aller étudier l'histoire grecque et turlupiner ses héros au théâtre de la Belle-Hélène, en attendant que vienne, le tour des prophètes de la Bible, des Apôtres et des Martyrs de l'Eglise.
« Je veux, sans sortir des limites de la Chambre, démontrer que la langue grecque, loin d'être morte, est toujours pleine de vie.
« Spectateur assidu et sympathique de vos séances, j'arrive au moment où l'horloge électrique marque deux heures ; je salue en passant les statues symboliques et allégoriques. Placé à l'amphithéâtre, j'admire l'hémicycle, la tribune diplomatique, le lion belge et son écusson, la symétrie, le dôme, l’acoustique, les lampes, les tapis, mais. moins l'éclat monotone des murs que je voudrais voir adouci par une légère teinte polychrome.
« La séance s'ouvre : le président assisté de ses dignes acolytes, vulgairement dits secrétaires, fait procéder à l'appel nominal par ordre alphabétique. Le greffier, les sténographes, les organes de la publicité éphémère, périodique, hebdomadaire, sont a leur poste. Le procès-verbal est lu et dûment parafé ; on fait l'analyse des pétitions et autres papiers dont le dépôt est ordonné au greffe, à la bibliothèque et aux archives. MM. les questeurs s'assurent que les thermomètres, baromètres, foyers et verres d'eau imités des Grecs (voir Aristophane) et alcoolisés vu l'épidémie, sont en règle, et veillent à ce que les zéphyrs maintiennent les zones à l'état tempéré.
« Telle est la physionomie extérieure.
« Une discussion générale quelconque est ouverte ; une harmonie délicieuse vient charmer mon ouïe : système, théorème, problème, thèse, antithèse, hypothèse, analogie, anomalie, antinomie, pasinomie, utopie, paradoxe, économie politique, démocratie, démagogie, anarchie, tyrannie, philanthropie, etc., etc.
« Si de la discussion générale l'on en vient à la discussion politique, entre la gauche et l'opposition catholique, alors je vois apparaître le syllabus, l'encyclique, le concile œcuménique, dogmes, bulles, papes, évêques, archevêques, moines, cathédrales, presbytères, cimetières, tactique, stratégie, stratagème, ministère homogène, ministère éclectique, ministère anachronisme, ministère anti-prêtres. Suite de dialogues et monologues que j'écoule toujours avec une extase nouvelle.
« Mais rentrons dans la question à l'ordre du jour (le budget de l'intérieur) comme le disait excellemment le sarcastique rapporteur de la section centrale. C'est ici que le grec déborde à chaque article et presque à chaque paragraphe. Glissons légèrement sur les budgets économiques des provinces ; la statistique, l'hygiène, les épidémies, les poids et mesures, grammes, kilogrammes, hectolitres, kilomètres, etc., etc., pour nous arrêter un moment à l'agronomie. Ici nous passons en revue les races bovine, hippique, porcine ; nous émancipons taureaux et génisses laitières. Puis les machines, les amendements des terres argileuses, schisteuses, humides.
(page 387) « On ne parle plus pour le quart d'heure de la question linière ni des mélasses. A l'agronomie vient s'annexer, par analogie moins que par antithèse, les arts plastiques, graphiques, l'esthétique, la poésie, les muses, les musées, la musique, les sociétés d'harmonie, de philharmonie, de mélodie, les chroniques, l'art dramatique, les documents historiques, les douze mille biographies nationales, les bibliothèques, les archives et leurs catalogues, la carte géologique, etc., etc.
« L'instruction publique, je n'ai pas besoin de le dire, ouvre un champ fertile à l'exploitation des racines grecques. Faut-il parler monopole, écoles, athénées, méthodes, pédagogie, philologie, programme (voir, entre autres, celui des études universitaires), gymnastique, arithmétique, géométrie, chimie, physique ?... J'arrive à l'Académie de médecine et chirurgie, et ici je dois, à mon grand regret, abandonner la partie. L'opération anatomique à laquelle je me livre serait trop longue. Il est impossible de faire un pas dans une science quelconque sans se heurter contre l'un ou l'autre mot grec. II faudrait être atteint, je ne dirai pas de myopie, mais de photo-phobophthalmie volontaire pour le nier.
« Je termine ici ma trop longue litanie en réclamant une amnistie en faveur de cette pétition fantaisiste d'un géronte, pédagogue classique qui, voulant garder l'anonyme, vous prie d'accepter pour cette fois sa signature pseudonyme, sans imprimer à son humble supplique le stigmate d'un renvoi aux catacombes ou nécropoles, dites en français bureau des renseignements.
« Philalète. »
- La séance est levée à 4 heures et demie.