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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 20 janvier 1869

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1868-1869)

(Présidence de M. Dolezµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 289) M. Dethuin, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 1/4 heures.

M. de Moor, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

Il présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre :

« Des employés patentés dans le Hainaut demandent la révision des lois des 21 mai 1819, 6 avril 1823, 18 juin et 13 décembre 1842, et la suppression de la patente applicable à leur profession. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les secrétaires communaux de la province de Namur demandent une amélioration de position. »

- Même renvoi.


« La chambre de commerce et des fabriques d'Arlon déclare appuyer le tracé demandé par les cantons de Bertrix, Florenville et Neufchâteau pour la ligne du chemin de fer à construire de Libramont à Sedan. »

- Même renvoi.


« Les conseillers communaux de Wandrez demandent la révision de la loi du 26 avril 1846, de l'instruction ministérielle du 24 mars et de l'arrêté royal du 27 avril 1846, concernant les espèces d'oiseaux qui ne peuvent être pris ni détruits. »

- Même renvoi.


« Les sieurs Dusart, Moll et autres membres de la Ligue de l’enseignement demandent une loi réglementant le travail des enfants dans l'industrie. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur des pétitions analogues.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur de l’exercice 1869

M. de Coninckµ. - Messieurs, je tiens à remercier M. le ministre de l'intérieur de l'enquête qu'il a bien voulu promettre dans la séance du 15 janvier dernier. Je veux faciliter cette enquête, en fournissant à l'honorable ministre quelques renseignements qui lui manquent. Je tiens également à constater que j'avais cru de mon devoir de le prévenir de mon intention d'appeler son attention sur l'affaire du notaire Proot, de Woumen, dès notre rentrée ; je n'ai donc pas pris M. le ministre, à l'improviste.

Si je suis venu accuser ici, pièces en main, un bourgmestre, un notaire, d'un faux, c'était non pour m'abriter derrière mon inviolabilité parlementaire, mais comme seul moyen d'obtenir la justice que les membres du bureau de bienfaisance de Woumen réclament en vain depuis un an.

Je tiens à déclarer, malgré les affirmations de M. le gouverneur de la Flandre occidentale, qui ne prouvent rien, que tout ce que j'ai dit dans la séance de jeudi dernier est la plus exacte, la plus rigoureuse vérité.

Voyons rapidement les arguments que M. le ministre fait valoir dans la réponse, qu'il a bien voulu me faire.

M. le ministre dit :

« D'après lui, la chambre du conseil aurait renvoyé le bourgmestre des poursuites, parce qu'elle le considérait comme trop incapable pour comprendre ce qu'il avait fait. La chambre des mises en accusation aurait adopté les mêmes motifs, en confirmant sa décision. Or, c'est là une erreur. »

Je n’ai pas dit que c'était la chambre des mises en accusation de Gand, mais bien la chambre du conseil du tribunal de Furnes, ne confondons pas, qui a déclaré le 7 mars 1868 « que le bourgmestre Proot a commis un faux matériel, mais que ce faux est excusable, vu l'absence de mauvaise intention et le peu d'intelligence du prévenu. »

Cette ordonnance de non-lieu a été confirmée le 8 avril suivant par la chambre des mises en accusation de Gand.

Je prie M. le ministre de l'intérieur de bien vouloir nous lire l'ordonnance de non-lieu rendue par la chambre du conseil du tribunal de Furnes, le 7 mars 1868, par deux voix contre une. Cette ordonnance déclare, je le garantis, et je défie M. le ministre de prouver le contraire : que M. le bourgmestre Proot a commis un faux matériel, mais que ce faux est excusable, vu l'absence de mauvaise intention et le peu d'intelligence du prévenu.

M. le gouverneur a eu tort de ne pas vous envoyer cette ordonnance par dépêche télégraphique ; il paraît qu'elle est fort curieuse, fort intéressante.

M. le ministre de l'intérieur continue :

« Il faut d'abord rappeler les faits. C'est dans une lettre écrite par le bureau de bienfaisance et le collège échevinal qu'on aurait ajouté à ces mots : « les biens seront vendus », ceux-ci : « par le ministère du notaire Proot ». Ces mots ont été réellement ajoutés après la signature de la pièce, du consentement du collège échevinal, mais à l'insu des membres du bureau de bienfaisance. »

Cela n'est pas exact.

Personne, je l'affirme, n'a connu l'intercalation des mots, si ce n'est M. Auguste Paret, secrétaire communal à' Woumen, que M. Proot a été obligé de prendre pour témoin. La demande d'autorisation ayant été copiée d'après l'original, rédigé et fourni par M. le notaire Proot lui-même, M. Proot était forcément obligé de faire écrire les mots ajoutés, de la même main ; agir autrement eût été l'enfance de l'art.

Il y a plus, M. Proot avait pris toutes ses précautions ; le 3 janvier 1868, le faux a été renouvelé, sur l'ordre formel du bourgmestre, par M. le secrétaire communal sur le registre des correspondances.

M. le ministre de l'intérieur ajoute :

« Or, antérieurement à cette intercalation et à l'envoi de la pièce, le conseil communal avait désigné M. Proot pour faire la vente, de sorte que lorsqu'il était écrit à la députation que les biens devaient être vendus par le ministère de M. Proot, l'allégation était vraie ; le conseil communal, à qui appartenait cette désignation du notaire, avait fait cette désignation. »

La procuration générale, et par conséquent non valable, sur laquelle s'appuie M. le ministre, ne justifie pas la conduite de M. Proot.

Cette procuration a été donnée le 7 mai 1867 par le conseil communal seul et non par le bureau de bienfaisance, ne confondons pas, qui avait seul le droit de nommer le notaire chargé de la vente, sous l'approbation du conseil communal. Cette procuration n'a été donnée qu'après la nomination de M. le notaire de Seck de Beerst, régulièrement nommé à l'unanimité des membres du bureau de bienfaisance et de ce même conseil communal le 19 décembre 1866.

Ni M. Proot, ni le collège échevinal n'avait le droit de modifier cette décision du bureau de bienfaisance.

El voyez l'adresse de M. le notaire !

Cette procuration était intercalée dans un acte d'une donation d'un terrain faite à la commune ; je doute, du reste, que cette procuration, qui était nulle, ait été approuvée par la députation permanente.

En admettant même que M. Proot ait ét. nommé, comment expliquez-vous alors l'intercalation, le faux fait par lui et la dénonciation faite par les membres du bureau de bienfaisance et par M. Louis Boommers, premier échevin de cette commune ?

Comment expliquez-vous aussi le renvoi de l'affaire devant la chambre du conseil du tribunal de Furnes et l'opposition faite à l'ordonnance de non-lieu par M. le procureur du roi ?

M. le ministre dit ensuite :

« Il n'y avait donc pas de préjudice possible. La députation permanente, n'étant pas appelée à approuver le choix du notaire, ne pouvait avoir à statuer sur cette énonciation. Elle ne pouvait qu'approuver la vente des biens ; l'indication du notaire transmise à la députation n'avait pas la moindre valeur. »

Il n'y a pas eu de préjudice causé, parce que le faux a été découvert, mais il est évident que. M. Proot voulait supplanter son confrère M. de Seck et lui enlever les bénéfices de la vente.

Quant à M. le notaire de Seck, le faux étant découvert et dénoncé, il devait être persuadé que M. Proot aurait été puni et n'avait plus aucun intérêt à porter plainte.

Si je n'ai pas lu en entier le réquisitoire de M. l'avocat général De Paepe, c'est par la raison bien simple que je ne l'avais pas au complet. Du reste, ce qu'en a lu M. le ministre n'a fait que confirmer la fraude de M. le notaire Proot.

Quant à ce réquisitoire même et à l'arrêt de non-lieu rendu par la chambre des mises en accusation de la cour d'appel de Gand, ainsi que je l'ai dit dans la séance du 14 janvier dernier, je n'ai pas à les juger, ni à les critiquer ici, je laisse ce soin à M. le ministre de l'intérieur.

M. le ministre dit en finissant :

« Vous voyez donc, messieurs, que la circonstance capitale qui a motivé l'arrêt de non-lieu était l'absence de préjudice, absence de préjudice reposant sur ce que l’énonciation était conforme à la vérité, puisqu'il y avait une délibération antérieure.

« Maintenant, messieurs, je ne dis pas qu'il n'y a pas dans le fait une indélicatesse à réprimer ; mais je constate que le fait n'a pas la gravité qu'on lui a assignée. »

(page 290) C'est une question d'appréciation. Le journal que je citais dans la séance du 14 avait été plus loin ; lui, du moins, niait carrément le tout et posait M. Proot en victime,

Mais cette affaire ne se borne pas à cette question de préjudice. Si M. Proot se savait régulièrement nommé :

Pourquoi a-t-il fait cette intercalation après et non avant la signature de la pièce ?

Pourquoi n'est-il plus question, dans la seconde demande d'autorisation, de la vente des terrains occupés par la veuve Ooghe et le vicaire ?

Pourquoi les anciens bâtiments d'école et la maison de l'instituteur, qui tombent en ruine faute d'entretien, ne sont-ils pas vendus ?

Il est évident que tous ces faits réunis indiquent que M. Proot avait, lui, un but qu'il voulait atteindre.

Mais lequel ? Voilà ce que je serais aussi curieux que M. le ministre de l'intérieur de connaître ; et c'est ce que l'enquête nous apprendra.

Si M. le notaire Proot avait réellement le consentement du collège échevinal, comment expliquez-vous alors la dénonciation faite par un membre de ce même collège échevinal, M. Louis Boommers, et quel intérêt M. Proot avait-il à nier l'intercalation ? Voyez l'arrêt de la chambre des mises en accusation de Gand :

« Attendu que le sieur Auguste Paret, secrétaire communal à Woumen, reconnaît avoir fait cette intercalation ;

« Attendu qu'il allègue, qu'en faisant cette intercalation il a suivi les instructions du bourgmestre Laurent Proot ;

« Attendu que cette allégation est contredite par ce dernier. »

Si M. Proot avait le droit de faire cette intercalation, pourquoi la nie-t-il ?

Si nous avons calomnié. M. Proot, si nous l'avons accusé d'un faux, alors qu'il n'est pas coupable, il ne devait pas lui suffire de jeter un voile sur cette affaire. Il devait poursuivre les membres du bureau de bienfaisance de Woumen et le premier échevin, d'après lui tous calomniateurs et faux témoins.

Nous attendons l'enquête avec confiance, certain de son résultat ; et puisque M. le ministre de l'intérieur a bien voulu promettre une. instruction sur cette affaire, il serait peut-être fort curieux de savoir ce qu'est devenue certaine note qui n'est pas signée et dont j'ai donné lecture dans la séance du 14 janvier, note qui, paraît-il, aurait disparu.

Cette note a été vue par MM. le gouverneur, Visart, Soudan et d'autres membres de la députation permanente. Son existence est, du reste, démontrée par une lettre qui doit être entre les mains de M. le juge d'instruction à Furnes.

MiPµ. - Messieurs, dans l'une des dernières séances, l'honorable M. de Coninck est venu dénoncer un bourgmestre de son arrondissement comme coupable d'un fait sinon juridiquement punissable, du moins moralement répréhensible.

Je ne connaissais pas l'affaire, mais j'ai reçu, immédiatement après le discours de l'honorable membre, une dépêche télégraphique du gouverneur de la Flandre occidentale, me signalant dans la Pasicrisie un arrêt de non-lieu de la chambre des mises en accusation.

Je suis surpris d'entendre l'honorable membre s'étonner de ce que le gouverneur n'ait pas transmis immédiatement par dépêche télégraphique, sinon toutes les pièces de la procédure, du moins la décision de la chambre du conseil ; le dossier, pour être utile, doit être bien complet ; je dois dire que c'est la première fois que j'entends reprocher à un fonctionnaire public de ne pas envoyer des pièces par télégraphe.

Messieurs, je ne puis prendre dès aujourd'hui une position dans cette affaire. J'ai déclaré à l'honorable M. de Coninck que j'examinerais les faits et que si le bourgmestre est coupable, il sera puni.

Je ferai, au surplus, remarquer à la Chambre que je n'ai pas du tout entrepris de défendre le bourgmestre qui était mis en cause ; je me suis borné à donner lecture de l'arrêt de la chambre des mises en accusation, pour vous démontrer que certains faits signalés par l'honorable M. de Coninck n'offraient pas le degré de gravité qu'il leur avait attribué et je vous ai prouvé qu'il ressortait des termes mêmes de l'arrêt qu'il n'y avait pas eu de préjudice. L'honorable membre vient aujourd'hui faire une autre insinuation sur ce même objet.

Or, je dois lui déclarer que je ne puis admettre cette façon d'agir.

M. de Coninckµ. - Pardon ; je n’a pas fait d’insinuation ; j’ai cité des faits.

MiPµ. - Vous vous êtes servi de termes vagues sur lesquels il m'est impossible de faire justice ; vous alléguez qu'il existe certaine pièce compromettante que vous ne désignez pas, vous avez donc fait une insinuation.

Je demande que vous vous expliquiez plus clairement sur les faits reprochés à un fonctionnaire et j'examinerai de manière que justice soit faite.

M. Vleminckxµ. - L'honorable ministre de l'intérieur a cru devoir entretenir la Chambre, dans une de nos dernières séances, de l'emploi des femmes et des filles dans les travaux souterrains des mines. J'eusse désiré que l'honorable ministre eût attendu, pour saisir la Chambre de cette importante question, que l'Académie royale de médecine, dont la compétence en matière d'hygiène physique et d'hygiène morale n'est pas douteuse, eût accompli son œuvre, qu'elle eût soumis dans son sein au creuset d'un examen sévère, le remarquable rapport qui lui a été présenté et dont il a déjà été plusieurs fois question dans cette enceinte, qu'elle eût porté elle-même, en un mot, devant vous, avec un faisceau de faits et de considérations, le résultat de ses études, de ses recherches et de ses investigations.

C'était la marche logique, me semble-t-il.

L'honorable ministre n'a pas jugé convenable de la suivre ; c'était son droit assurément ; mais c'est le mien aussi de défendre, le rapport académique qu'à mon avis il a trop vivement attaqué, Je n'entre qu'à regret dans la discussion, quant à présent, car l'heure ne me semble pas venue ; mais attendre plus longtemps, c'eût été, à mes yeux, un manquement à mou devoir.

On peut, vous a dit l'honorable ministre, faire la réforme qui vous est demandée, c'est-à-dire supprimer les femmes et les filles dans les travaux des charbonnages, sans léser aucun intérêt ; mais il ne faut pas le faire, parce que c'est chose inutile, et pour prouver cette inutilité, c'est au rapport académique lui-même qu'il a jugé habile d'emprunter ses principaux arguments, déclarant d'ailleurs de la manière la plus nette qu'il n'y avait découvert aucune raison plausible pour opérer la grande réforme demandée depuis si longtemps.

C'est, me semble-t-il, se prononcer un peu lestement : il y a là une exagération évidente qu'il ne me sera pas difficile de démontrer.

Le rapport académique est entre vos mains à tous, messieurs. Si vous avez bien voulu le parcourir, vous avez pu constater qu'il établit ce principe indiscutable, suivant moi et suivant l'honorable ministre lui-même, que le pays le plus honnête serait incontestablement celui où nulle loi n'aurait besoin d'être édictée pour défendre aux femmes des travaux contraires à leur sexe. L'honorable ministre nous a dit, en effet, qu'il ne considérait pas comme une bonne chose que la femme descendit dans les charbonnages, et qu'il voudrait au contraire qu'elle n'y descendît pas.

Toutefois, l'honorable ministre ne veut pas que la loi le défende, il ne veut pas qu'il soit mis un terme à une situation qu'il trouve mauvaise ; il n'est pas exact, suivant lui, qu'il y ait une immoralité plus grande dans les charbonnages, une altération de santé plus considérable que dans les autres travaux industriels. « Si le travail des mines, dit l'honorable ministre, empêche la femme d'être apte aux travaux du ménage, de devenir bonne mère de famille, le travail de fabrique n'a-t-il pas absolument le même résultat ? » Voici précisément où commence l'erreur.

L'honorable ministre et, après lui, l'honorable M. d'Elhoungne ont perdu complètement de vue la pensée qui a guidé la commission académique dans ses recherches. Il faut bien que je la rétablisse.

Après avoir démontré et établi comme point de départ que l'assimilation des sexes vis-à-vis du travail est une utopie, elle a examiné si le genre d'occupations auquel les femmes sont préposées dans les mines n'est pas opposé à leur nature physique et morale, au rôle qu'elles doivent accomplir dans la société. Or, d'après la commission, toute la question est là ; si l'on perd de vue ce point si simple où elle a été ramenée par elle, on l'obscurcit, on la complique, et c'est précisément ce qu'a fait avec beaucoup d'habileté l'honorable ministre de l'intérieur.

Les auteurs du rapport ont suivi la femme au foyer domestique, comme fille, comme épouse, comme mère ; ils l'ont vue dans des localités charbonnières où elle n'est pas admise dans les houillères, dans des localités où, à côté d'une famille dont tous les membres sont mineurs, s'y rencontre une autre dans laquelle les femmes sont restées étrangères aux travaux. Ils ne se sont pas bornés là ; ils ont cherché à multiplier les éléments de comparaison, à saisir les causes qui dans certains ateliers ou manufactures permettent à la femme, malgré le mélange des sexes, de conserver sa dignité. Partout les contrastes ont été frappants. La commission académique est arrivée ainsi à cette conclusion, que, dans les ménages des houilleurs dont la femme ne pénètre pas dans les mines ou n'a pas pénétré, dans les mines, il y a plus de propreté, d'aisance, de moralité, de bonheur au foyer domestique que dans les conditions opposées.

(page 291) C'est le résultat de ses impressions qu'elle a consigné dans son rapport. Celles-ci, je n'hésite pas ù le déclarer a la Chambre, sont profondes ; elle n'a à retrancher ni un iota ni une virgule à ce qu'elle a dit à ce sujet.

« Ce qu'on reproche surtout aux travaux des mines, a dit l'honorable ministre, ce sont les accidents dans les accouchements. » Puis il s'étonne que des médecins des pays houillers ne se soient pas aperçus de ces cas de déformation de la femme qui ont été signalés dans le rapport.

Eh bien, messieurs, cela peut paraître étrange à l’honorable ministre, mais les membres de la commission ne s'en sont pas étonnés du tout, d'abord, pour les motifs qu'ils ont exposés dans leur rapport, puis ensuite parce que ces déformations n'ont qu'une fréquence relative, variant de nombre et de degré, suivant l'état des fosses ; puis, parce que l'homme de l'art ne s'enquiert pas toujours s'il est ou non en présence d'une femme qui est descendue dans la fosse, et enfin, parce que les déformations ne sont pas toujours arrivées à un point tel, qu'elles aient d'autres inconvénients que de ralentir la marche du travail et que, dans ce cas, la sage-femme agit souvent seule sans l'aide ou l'intervention du médecin.

Et pourtant, messieurs, la commission aurait bien pu être bien plus affirmative qu'elle ne l'a été, car l'opinion vers laquelle elle penchait a reçu, samedi dernier, au sein de l'Académie, de la bouche même d'un des orateurs, médecin distingué, qui pratique à Charleroi depuis 14 ou 15 ans, la plus éclatante confirmation ; il avait déjà lui-même signalé le fait en question il y a 7 à 8 ans. Il faudrait, en quelque sorte, nous disait-il, une loi spéciale, pour interdire le travail des hiercheuses.

Et pour en finir une bonne fois avec ce reproche d'exagération que l'honorable ministre a adressé au rapport de la commission, je lui dirai qu'hier encore, j'ai reçu d'un des membres de celle -ci (parfaitement connu de l'honorable ministre), pratiquant dans l'arrondissement de Charleroi depuis plus de quarante ans, et chargé, en outre, du service sanitaire de plusieurs charbonnages ; j'ai reçu, dis-je, de ce médecin une lettre dans laquelle, tout en exprimant une divergence d'opinion sur les mesures à prendre, ce qui se conçoit, il affirme une fois de plus que tous les faits exposés dans le rapport sont conformes à la vérité.

L'honorable ministre a insisté beaucoup sur les déformations de la femme des mines ; mais il n'a rien dit de la fréquence des avortements et des fausses couches, accidents cependant beaucoup plus graves et que nulle statistique, ne peut relever. Il croit pouvoir trouver dans le chiffre des mort-nés une mesure exacte pour les cas de dystocie.

Pour ceux d'entre vous, messieurs, qui ont besoin de connaître la signification du mot dystocie, je dirai qu'il s'applique aux accouchements contre nature ou laborieux. Et, à cette occasion, j'exprime encore une fois le regret d'être obligé de traiter toutes ces questions devant cette Chambre ; elles sont plus du domaine d'une académie de médecine, mais la Chambre reconnaîtra aussi que je m'y trouve pour ainsi dire contraint et forcé par le discours de l'honorable ministre de l'intérieur.

Je disais donc que l'honorable ministre croit pouvoir trouver dans le chiffre des mort-nés une mesure exacte pour les cas de dystocie ; c'est l'erreur la plus complète. La dystocie n'amène pas, la moitié du temps, la mort du produit ; puis cette mort résulte de bien d'autres causes. L'honorable ministre se trompe encore lorsqu'il pose en principe que les accidents spéciaux qui rendent la femme moins propre à avoir des accouchements heureux, doivent se traduire par des chiffres. Que l'honorable ministre me permette de le lui dire ; bien qu'il sache bien des choses, il en est beaucoup qu'il ne sait pas, et lorsque plus tard il connaîtra toute la discussion académique, il regrettera peut-être de s'être un peu trop pressé d'aborder, dans cette enceinte, des questions pour la solution desquelles les connaissances nécessaires lui font complètement défaut.

C'est pourtant sous l'empire de cette idée fausse, que les accidents spéciaux, qui rendent la femme moins propre à avoir des accouchements heureux, doivent se traduire par des chiffres, que l'honorable ministre a relevé le nombre des naissances pour un mort-né de 1851 à 1860. Le Hainaut, s'est-il écrié, ne vient qu'au troisième rang pour le petit nombre de mort-nés !

Qu'est-ce que cela prouve ? Qu'il y a plus de déformations dans les provinces de Liège, dans les deux Flandres, dans les provinces d'Anvers, du Limbourg et de Brabant que dans celles de Hainaut, de Namur et de Luxembourg, et que par conséquent les bassins des femmes du Hainaut, qui ont travaillé dans les mines, ne sont pas viciés ? Allons donc ! cela n'est pas sérieux. Je ne me crois pas même tenu à insister sur le vice de cette argumentation.

Pour juger de la moralité des populations, l'honorable ministre a comparé les naissances légitimes avec les illégitimes ; il a constaté ainsi que le Hainaut occupe le second rang, le Brabant tenant la tête de la liste avec un chiffre de 15 naissances illégitimes sur 100.

Je fais d'abord remarquer à la Chambre que sur 25,000 naissances dans le Brabant, Bruxelles seul en emporte un quart, sur lequel on compte 9 p. c. de naissances illégitimes. Bruxelles devrait donc être mis hors de cause, ainsi que ses faubourgs. La proportion des naissances illégitimes pour le Hainaut est de 9.44 sur 100.

Mais les résultats que l'honorable ministre a tirés de ces chiffres n'ont absolument aucune signification dans la circonstance présente. Il n'est pas exact, d'abord, qu'il faille considérer le nombre des naissances illégitimes dans une contrée comme la mesure absolue de son degré de moralité. Ce n'est là qu'un des éléments d'appréciation ; encore est-il discutable dans certains cas. Mais il y a autre chose. Dans la question qui nous occupe, le procédé de l'honorable ministre est essentiellement fautif.

Voici ce qui se trouve dans le rapport académique, au sujet de ces chiffres :

« Pour rendre nos données mathématiquement comparables, voici comment nous avons procédé. Les éléments qui interviennent dans la question pour les grandes villes sont trop complexes ; nous ne nous sommes pas occupés de celles-ci. D'un autre côté, les éléments statistiques officiels que nous avons sous les yeux ne concernent les communes rurales que pour autant qu'elles dépassent. 5,000 habitants. Nous avons donc été forcés de nous restreindre aux villes dont la population ne descend pas au-dessous de ce chiffre, et, pour être conséquents, de fixer comme point de départ, la plus forte commune charbonnière du royaume, en mettant en regard une ville d'importance égale. » (Il n'existe pas de commune rurale aussi forte.)

C'est ainsi que nous avons formé trois groupes comprenant une population de près d'un million, et comportant ensemble plus de cent communes.

1er groupe. Villes non charbonnières, 40. Population, 353,432 habitants.

2ème groupe. Communes non charbonnières, 50. Population, 380,115 habitants.

3ème groupe. Communes charbonnières, 28. Population, 233,448 habitants.

Nous avons ainsi établi que les communes rurales fournissent 16.8 naissances illégitimes pour 10,000, habitants (jumeaux non compris) ; les villes non charbonnières, 27.6, et les localités charbonnières correspondantes, 30.60, Seraing en fournit pour sa part 36 à lui seul.

Comme vous l'avez entendu, messieurs, l'honorable ministre, oubliant qu'il s'agit de comparer entre elles des communes charbonnières et non charbonnières, établit le parallèle entre les provinces, et aboutit à des résultats qui n'ont aucun rapport avec la question.

C'est de l'atténuation de sa part, mais où est, s'il vous plaît, l'exagération de la nôtre ?

Toutefois, l'honorable ministre, voulant fournir à la Chambre des chiffres plus précis, s'est rapproché de notre façon de procéder, en prenant cinq localités charbonnières et mettant, en regard de chacune d'elles, cinq autres localités non charbonnières de la même importance.

Voici ses chiffres :

Gilly 15,225 habitants 7 naissances illégitimes sur 100.

Châtelet 7,681 habitants, 11 sur 100.

Courcelles 7,881 habitants, 9 sur 100.

Dampremy 5,535 habitants, 8 1/2 sur 100.

Seraing 23,364 habitants, 9 1/2 sur 100.

Voilà pour les communes charbonnières d'un côté ; voici maintenant, de l'autre, pour les communes non charbonnières, que l'honorable ministre prend pour terme de comparaison :

Renaix 12,237 habitants, 7 naissances illégitimes sur 100.

Nivelles 9,385 habitants, 10 sur 100.

Heyst-op-den-Berg 5,741 habitants, 9 1/2 sur 100.

Braine-l'Alleud 5,562 habitants, 8 sur 100.

Namur 27,196 habitants, 13 sur 100.

A mon tour, messieurs, je vais reprendre les cinq communes charbonnières précitées, et me permettre, comme l'a fait l'honorable ministre, de choisir cinq communes non charbonnières et les mettre en regard :

Gilly 15,225 habitants 7 naissances illégitimes sur 100.

Châtelet 7,681 habitants, 11.2 sur 100.

Courcelles 7,881 habitants, 9.2 sur 100.

Dampremy 5,535 habitants, 7.7 sur 100.

Seraing 23,364 habitants, 9.4 sur 100.

Turnhout 13,505 habitants 3.4 sur 100.

(page 292) Hal 7,882 habitants, 6.2 sur 100.

Spa 5,787 habitants, 4.5 sur 100.

Alost 20,083 habitants, 3.5 sur 100.

Vous voyez donc bien, messieurs, qu'en me servant du procédé employé par l'honorable ministre, je pourrais, à volonté, faire exprimer à la statistique tout ce que je voudrais. L'honorable ministre me permettra donc de maintenir l'exactitude de nos chiffres et de préférer notre statistique à la sienne.

Cependant, messieurs, force nous a été de faire de la statistique restreinte, en ce qui concerne la taille des miliciens. Nous n'avons pas à notre disposition des éléments complets comme ceux que nous ont fournis les documents statistiques pour les naissances et qui concernent tout le royaume. Mais nous avons pu constater, en ne portant nos investigations que sur 22 communes, que le nombre des miliciens exemptés pour défaut de taille dans onze communes charbonnières est de 229, tandis que dans les onze communes non charbonnières, il n’est que de 102, ce qui établir vingt cas d’exemption pour défaut de taille dans celles-là, et 9.1 dans celles-ci pour 1,000 habitants.

Je ne sais pas, au surplus, ce que vient faire ici la question de la taille des miliciens. L'honorable ministre de l'intérieur n'a pas, à coup sûr, la prétention de faire passer les mineurs pour de beaux grenadiers, sinon je le renverrais à son collègue du département de la guerre. J'ai eu l'honneur de diriger pendant 34 ans le service sanitaire de l'armée, et j'affirme que les mineurs m'ont toujours été représentés comme péchant par défaut de taille.

Il est un élément important pour apprécier les faits de dégénérescence qui a manqué à la commission académique ; c'est la mortalité des enfants au-dessous d'un an. Nous eussions désiré pouvoir établir des points de comparaison entre les villes, les campagnes et les communes charbonnières. Nous avons seulement pu constater que pour Seraing, sur une moyenne de 9 années (1857 à 1860 inclusivement) sur 1,000 décès, il y en a eu 257 d'enfants au-dessous d'un an.

J'engage l'honorable ministre à réclamer des administrations communales les éléments de cette nouvelle statistique.

On peut contester les allégations les plus incontestables à l'aide de la statistique ; j'ai toutefois la conviction que tout parallèle établi entre des localités où les femmes sont employées dans les travaux et celles où elles restent au foyer domestique, sera à l'avantage de ces dernières. Ici, nous l'avons constaté, il y a plus de moralité, le mari quitte moins le toit conjugal. Aussi croyons-nous fermement que l'exclusion de la femme des travaux des mines amènerait, dans un temps assez rapproché, une certaine désertion du cabaret, cette plaie des communes charbonnières.

On se récrie, quand on parle de dégénérescence ! On s'imagine qu'elle ne progresse pas, parce que les éléments qui la caractérisent, échappent à l'œil superficiel, parce que le croisement, les unions entre les familles de charbonniers et les familles qui viennent s'établir dans les districts houillers, lui ont imprimé un temps d'arrêt ; mais, croyez-moi, M. le ministre, vous auriez tort de vous endormir dans une trompeuse sécurité ; les germes mauvais reprendront bientôt le dessus, si l'on ne se hâte d'obvier aux causes dégénératrices.

Vous avez qualifié de considérations étrangères à la question, les quelques accidents ou actes d'immoralité qui ont été consignés dans le rapport académique ; vous vous imaginez que nous avons voulu passionner l'opinion pour la cause que nous soutenons. Vous êtes dans l'erreur. Que l'opinion se passionne, nous le concevons ; il y a bien de quoi. Mais la commission académique a trop le sentiment de sa dignité pour recourir à de semblables moyens. En général, c'est vrai, il ne se commet pas d'actes d'immoralité dans les charbonnages. Cela n'empêche pas qu'à l'heure qu'il est, ainsi que me l'écrit, ce matin même, mon savant et laborieux confrère Kuborn, à propos d'un procès pour injures, pendant devant le tribunal de simple police de Seraing, trois jeunes filles, de 14, 16 et 18 ans, déposant comme témoins, ont révélé que la cause des injures provenait d'un acte d'immoralité commis au fond d'une mine.

En général, les femmes enceintes ne descendent plus dans les travaux ; c'est vrai, mais cela n'empêche pas non plus que, l'an dernier encore, (erratum, page 310) un enfant a failli voir le jour au chargeage. Ce sont là des faits isolés, dites-vous ; mais nous avons recueilli une grande quantité de faits isolés de cette nature. Un de mes collègues a dit à la séance académique de samedi dernier qu'il en avait un dossier plein.

C'est l'exception ! s'écrie-t-on. Eh bien soit, je le veux un instant, mais sur quoi se forment des convictions ? Sur la fréquente répétition de faits isolés. C'est bien là, je crois, un procédé scientifique et fort usité en sciences naturelles. Lorsque règne une épidémie, elle frappe un 40ème, un 15ème même de la population ; c'est énorme, mais tout le monde n'est pas atteint ; l'immunité est la règle, les attaques sont l'exception. Faut-il pour cela se croiser les bras et ne prendre aucune mesure, aucune précaution ?

On s'étonne des faits révélés. Plusieurs les nient. L'honorable ministre, plus poli, croit seulement à l'exagération de certaines allégations. Il croit que le mal n'est pas exceptionnellement flagrant, qu'on peut attendre avec calme le moment d'une solution mûrement étudiée. Mais la commission académique n'a pas révélé grand-chose de neuf ; elle n'a fait que confirmer par de récentes recherches tout ce qui avait été renseigné déjà par la commission médicale du Hainaut, le conseil de salubrité publique de la province de Liège, les chambres de commerce de Mons, de Charleroi, presque tous les médecins, les ingénieurs des mines, elle n'a fait que réclamer à son tour la seule solution possible, la suppression des femmes dans le travail des mines.

Laissez-moi vous rappeler notamment les conclusions de la commission médicale du Hainaut :

1° Limiter le travail aux ouvriers qui, sur l'avis d'un médecin, seraient reconnus capables de supporter les fatigues et de résister aux influences pernicieuses qui en sont, pour ainsi dire, inséparables ;

2° N'autoriser la descente dans les fosses, qu'après l'âge de 13 ans, pour les travaux qui ne demandent point d'efforts musculaires, et de 14 ans pour le service des waggons ;

3° Interdire strictement les travaux du fond aux femmes et aux jeunes filles.

Voilà ce que, il y a vingt ans déjà, demandait la commission médicale du Hainaut !

L'honorable ministre des finances nous disait hier que les diverses autorités consultées ne réclamaient pas la réglementation du travail dans les manufactures. Cette objection lui échappe assurément, en ce qui concerne la suppression de l'emploi des femmes dans les mines. Chambres de commerce, commissions médicales, commission de salubrité, ingénieurs des mines, médecins, chirurgiens, que sais-je ? tout le monde est d'accord pour demander cette suppression. Et pourtant, il semble qu'elle doive être éternellement repoussée.

Je m'arrête ici, messieurs, bien que je n'aie pas tout dit assurément. Des détails plus circonstanciés trouveront mieux leur place au sein de l'Académie de médecine. Qu'on le veuille ou non, la lumière se fera autour de cette question. Il faut qu'elle se fasse, et la Belgique décidera alors, en toute connaissance de cause, s'il lui convient de maintenir plus longtemps un état de choses que la France a proscrit, que l'Allemagne a proscrit, que la grande et libre Angleterre a proscrit, en dépit de protestations et de clameurs intéressées.

L'honorable ministre des finances invoquait hier, à l'appui de sa thèse contre la réglementation du travail des femmes dans les manufactures, l'opinion d'un homme illustre entre tous, M. Jules Simon. Eh bien, en ce qui concerne la suppression de l'emploi des femmes dans les fosses, cette autorité, cette autorité imposante lui fait complètement défaut. Voici ce que M. Jules Simon m'écrivait, il y a à peine huit jours, au sujet du rapport de M. Kuborn. Sa lettre est très longue, messieurs ; je dois me borner à vous en lire quelques passages :

« Le rapport de M. Kuborn est si clair et si concluant qu'il emportera, je l'espère, l'assentiment des personnes les plus étrangères à la question. Il est hors de doute que le travail des femmes dans les houillères constitue pour elles, et par conséquent pour la société, un double danger physique et moral. Il n'est pas moins évident que l'Etat, en présence d'une nécessité si manifeste, a le droit de prononcer l'interdiction.

«... M. Kuborn a bien raison d'invoquer, outre l'humanité, qui pourtant crie si haut, les raisons de patriotisme... Si le travail national épuise les mères, prend les enfants trop jeunes et les retient chaque jour plus longtemps, cela peut, pour aujourd'hui, mettre à sa disposition une somme de forces plus considérable, mais à condition de diminuer, année par année, la production de la force. Cela s'appelle, en propres termes, vivre sur son capital...Même au point de vue de l'économie, au point de vue de l'intérêt argent, un peuple doit veiller sur sa première richesse, qui est la force humaine. Il y a comme une épidémie d'infanticides qui nous coûte plus cher, chaque année, qu'une bataille rangée, contre laquelle il faut réagir par la morale, en restaurant la famille par la loi, en restreignant le travail des femmes et des enfants. »

Voilà, messieurs, l'opinion de cet homme illustre sur la question qui s'agite aujourd'hui devant vous. Pesez-la, pesez-la mûrement, et puis après, décidez.

MiPµ. - Quelle que soit l'opinion que l'on ait sur la question qui nous occupe depuis plusieurs jours, on doit, reconnaître que la discussion de cette question est éminemment utile. Elle (page 293) est utile, d'abord, parce qu'elle éclaire les esprits et qu'elle apprend à considérer la question sous ses différentes faces ; elle est utile encore parce qu'elle appelle l'attention de ceux qui sont chargés de conduire les ouvriers, sur les améliorations qu'ils peuvent apporter dans leur industrie.

Ainsi, tant au point de vue de l'application des faits qu'à celui des progrès à réaliser, cette discussion est éminemment avantageuse et l'on ne peut que remercier tous ceux qui l'ont provoquée.

Nous devons, au même titre, des remerciements à M. Vleminckx, qui a pris part à l'enquête provoquée par l'Académie de médecine qu'il préside, ainsi qu'au rapporteur de la commission spéciale instituée par cette assemblée savante. Quel que soit le résultat auquel aboutiront les travaux de l'Académie, quelque opinion qu'on ait des appréciations consignées dans le rapport qui lui a été présenté, il faut reconnaître qu'il ne peut sortir que du bien de ces travaux, rendre justice à ceux qui y ont consacré leur temps, leurs soins et leur science, et les en remercier.

M. Vleminckx a trouvé que j'avais saisi trop tôt la Chambre de l'examen de la question du travail des femmes et des enfants. Mais qu'il me permette de lui faire remarquer que. dès l'année dernière j'avais pris l'engagement d'étudier la question et que j'avais été mis en demeure de le faire par une interpellation de l'honorable M. Funck.

Traitant de l'intervention de la loi en ce qui concerne les manufactures, je ne pouvais laisser dans l'ombre un des points les plus importants de cette question.

Rien ne s'oppose, du reste, à ce que l'Académie de médecine continue ses délibérations parallèlement avec les nôtres. Je ne vois pas en quoi nous pourrions nuire à ses décisions en discutant ici la question et en y apportant tout ce que nous avons de sollicitude.

M. Vleminckx pense aussi que les points à étudier devraient être scindés, et, ne considérant la question qu'à un point de vue spécial, celui des intérêts de l'hygiène, il se demande, s'il y a, dans le travail des mines, une cause de dégénérescence pour l'espèce humaine.

Messieurs, la question ainsi posée peut être complète pour l'Académie de médecine, mais elle ne l'est évidemment pas pour le parlement. Les médecins ont le droit, je dirai presque le devoir de ne considérer que ce qui est le plus avantageux pour le corps, ils peuvent se borner à discuter si le travail est favorable ou nuisible au développement des forces physiques, s'il favorise ou nuit, en certains points, à la constitution de l'homme ou de la femme ; l'examen des médecins, même ainsi circonscrit, sera complet. Mais le nôtre le serait-il si nous limitions la question à ces termes ?

Mais, messieurs, il y a dans le monde beaucoup de choses qui sont contraires aux lois de l'hygiène, Ne commettons-nous pas nous-mêmes bien des actes contraires à ces lois, actes que l'Académie de médecine, si elle était appelée à les apprécier, déclarerait, sans nul doute, nuisibles ? et cependant qui songerait a faire pour ces actes une loi prohibitive ?

Déjà pour les actes purement volontaires produits de notre fantaisie et de nos goûts, l'idée d'une semblable loi serait inadmissible. ^ Combien n'y a-t-il pas de raison d'hésiter à le faire, lorsqu'on considère les actes nécessaires pour le soutien de la vie ?

Croyez-vous que si l'on demandait à l'Académie de médecine : Ces ouvriers, à quelque catégorie qu'ils appartiennent, ne feraient-ils pas mieux de se lever de moins bonne heure, de se coucher plus tôt ; de ne pas se tenir à l'air quand il pleut ; de s'abriter pendant les grandes chaleurs et les grands froids ? L'Académie répondrait certainement que tout cela vaudrait mieux. Mais en résulterait-il que nous devrions faire des lois pour imposer à ces ouvriers par loi et justice d'observer les principes de l'hygiène ? Mais où irait-on ?

Avant de viser au mieux, au parfait dans la vie, il faut d'abord assurer la vie même : primo vivere ; or, pour tous ceux qui se livrent au travail, c'est là la grande question, la première de toutes. Ce qu'il faut obtenir, ce n'est pas de vivre bien, c'est, avant tout, de ne pas mourir. Or, lorsqu'on examine la question qui nous occupe, peut-on laisser dans l'ombre son côté le plus important ? Faut-il oublier que le travail est la condition de la vie pour presque tous les hommes ? Et en reconnaissant qu'il est utile de discuter son action sur les forces et la santé de celui qui s'y livre, peut-on ne pas se rappeler sa suprême nécessité ?

Je crois que si l'honorable M. Vleminckx cherche trop à resserrer la question, il la pose mal encore à un autre point de vue.

Il me dit que je n'ai rien prouvé, que mes statistiques ne sont pas décisives. Mais, que l'honorable membre me permette de le lui dire, je n'ai absolument rien à prouver, rien à produire ; c'est à lui, qui croit à la nécessité de prendre des mesures pour remédier au mal qu'il signale, à nous prouver que cette nécessité existe réellement, à nous montrer le mal.

M. Vleminckxµ - Je n'ai rien introduit de nouveau dans cette Chambre ; je me suis borné à invoquer vos propres statistiques. J'ai dit que je n'en aurais pas même parlé avant que l'Académie eût terminé l'examen de la question, si la question n'avait pas été soulevée dans cette enceinte.

MiPµ. - Laissons de côté, s'il vous plaît, le point de savoir si je suis parti avant ou après le commandement : la question a été soulevée ; il faut bien que je l'examine à mon tour ; et je la pose dans les tenies où elle me paraît devoir être posée pour que l'on apprécie comment elle doit être résolue.

Je dis donc que ce n'est pas à moi à prouver la nécessité d'une loi pour réprimer les abus que l'on prétend exister ; ce soin incombe naturellement à ceux qui soutiennent que cette nécessité est réelle. Or, cette démonstration je l'attends encore ; je réclame la production d'un ensemble de faits incontestables et concluants ; j'attends encore qu'on me prouve que les populations charbonnières sont soumises à des abus qu'on ne rencontre pas ailleurs.

Aussi longtemps que vous n'aurez pas démontré qu'il y a là un état de choses anomal, exceptionnellement grave, qui ne se présente pas ailleurs, vous n'aurez rien fait.

Pour vous répondre, il me suffît de vous montrer que ce qui vous paraît le résultat du travail des femmes dans les houillères, existe où il n'y a pas de houillères.

J'ai le droit, si j'établis ce point, de vous demander pourquoi vous ne proposez pas de réglementer aussi le travail parmi ces dernières populations.

La question ainsi posée, je discute les abus signalés. On a dit que dans les centres houillers des accidents graves se produisaient lors des accouchements ; en termes de médecine, qu'il y a des cas de dystocie, ce qui, soit dit entre parenthèse, signifie difficulté d'accoucher et dérive de. deux mots grecs ; ce qui prouve l'utilité du grec dans l’enseignement.

L'honorable M. Vleminckx a dit ici, en termes trop bienveillants pour moi, d'ailleurs, que je ne connais pas tout ; j'avoue qu'il me serait impossible, par exemple, de donner des renseignements complets sur le nombre des cas de dystocie. M. Vleminckx dit avec beaucoup de raison que la dystocie a d'autres résultats que des mort-nés. II cite les avortements, je suis incapable de discuter ces faits : la statistique du département de l'intérieur, bien que très vaste, n'a pas encore de chapitre sur cette matière.

M. Vleminckxµ. - Il faut s'adresser à ceux qui le savent,

MiPµ. - Evidemment, mais quand on interroge les médecins des localités charbonnières, ils répondent qu'ils n'ont jamais rien remarqué. (Interruption.) Voulez-vous que je vous relise le passage que je vous ai déjà lu ?

M. Vleminckxµ. - Ce rapport n'est qu'un élément de discussion ; ce n'est qu'une base de discussion. Avant de pouvoir décider si, oui ou non, les faits existent, il aurait fallu, je le répète, attendre que l'Académie eût Terminé la discussion qu'elle a entamée ; car, rien que dans sa séance de samedi dernier, un médecin de Charleroi, que vous connaissez comme moi, nous a assuré qu'il avait les mains pleines de faits et que (erratum, page 310) le rapport n'était en quelque sorte qu'un commencement d'étude de la question.

MiPµ. - Messieurs, ordinairement les rapports sont le résultat des enquêtes déjà faites, l'exposé ou les conclusions d'un examen ; voilà quant à la procédure : ensuite ce n'est pas à moi qu'il faut reprocher d'avoir trop tôt parlé de ce rapport, puisqu'il est antérieur à la discussion ; n'ayant que ce rapport comme élément de discussion, je ne puis pas discuter autre chose.

Je constate que, d'après ce rapport, la plupart des praticiens du pays n'ont rien remarqué.

Je pense que des gens qui ont de la science, de l'expérience, l'auraient remarqué, s'il y avait eu quelque chose de frappant.

Ma discussion se borne donc forcément à la discussion de l'un des effets de la dystocie, les mort-nés.

Y a-t-il plus de mort-nés dans les pays charbonniers qu'ailleurs ? Non, la statistique est là pour le prouver.

Ainsi, je trouve que l'honorable M. Vleminckx n'a rien démontré pour les faits que je n'ai pu constater par la statistique, et qu'il n'a rien constaté pour les faits que la statistique m'a permis de démontrer.

Maintenant, je passe à la moralité. Il ne prétend pas que, dans les populations charbonnières, il ne se passe pas des faits immoraux et qu'il ne se produise pas de naissances illégitimes. Seulement, en consultant la statistique, je constate deux points. Le premier, c'est que les populations, dans les provinces où il y a des exploitations houillères, ne sont pas plus immorales que les autres ; le second, c'est qu'il y a des localités non charbonnières n'ayant pas moins de bâtards, que des localités charbonnières de même importance.

(page 294) La grande activité amène le désordre des mœurs ; toujours la grande multiplicité des affaires, la concentration de la population produit des dérèglements. Cela est vrai pour les districts houillers comme pour les autres.

Ainsi dans le district de Charleroi, par exemple, qui est si industriel, il règne un plus grand dérèglement de mœurs que dans les campagnes du Brabant ou les bois des Ardennes.

Mais est-on en droit de rattacher cette conséquence au travail des femmes dans les mines ? Voilà la question ; je dis que non, parce que je démontre que, dans des localités d'une égale importance, se produisent les mêmes effets, quoique les unes soient charbonnières et que les autres ne le soient pas.

La cause est donc ailleurs : elle se trouve dans l'agglomération, dans le développement de la richesse, dans l'augmentation de l'activité.

J'ai cité, entre autres comparaisons que mon honorable ami néglige, le chiffre des naissances illégitimes dans le Brabant et le Hainaut : 15 p. c. d'un côté, 9 de l'autre.

M. Vleminckx dit : « Nous avons la ville de Bruxelles dans le Brabant ; Bruxelles doit être mise en dehors ; c'est le grand nombre de bâtards de celle ville qui augmente le chiffre du Brabant. »

Sans doute, mais il ne me paraît pas qu'il soit moins immoral d'avoir des bâtards à Bruxelles qu'ailleurs.

Si vous trouvez que l'immoralité de mon pays est assez grande pour rendre une mesure législative nécessaire, il faudra bien l'appliquer à Bruxelles, où le mal est bien plus grave.

J'arrive à la question de la taille ; vous allez voir si je n'ai pas ici bien suivi le rapport ; vous allez voir aussi comment on fait de la statistique pour démontrer que l'espèce dégénère.

Je demande d'abord si l'on a démontré, que la taille diminue dans les pays charbonniers, tandis qu'elle ne diminue pas ailleurs.

Voici comment on a procédé :

Je lis d'abord le rapport :

« Notre statistique, comprend les années 1862, 1863, 1864, 1865. Elle porte sur les communes de Seraing, Gilly, Jemmapes, Quaregnon, Pâturages, Dour, Frameries, Boussu, Châtelet, Hornu et Dampremy pour les districts charbonniers : population totale 114,721 habitants ; et pour les communes urbaines, sur Courtrai, Roulers, Huy, Grammont, Nivelles, Termonde, Ath, Hal, Diest, Andennes et Lessines, population : 111,921 habitants.

« Le nombre de miliciens exemptés pour défaut de taille dans les premières est de 229, dans les secondes de 102, ce qui établit, pour la période indiquée, 20 cas de réforme pour défaut de taille dans celles-là, 9.1 dans celles-ci, pour 10,000 habitants.

« Le chiffre de ceux qui n'atteignent pas la taille légale est donc au delà de deux fois plus considérable dans les communes charbonnières que dans les communes urbaines. »

Ainsi, la commission a formé, deux groupes de localités : d'un côté, des localités charbonnières (au choix !), d'un autre côté des localités quelconques (également au choix). Le résultat de la comparaison faite a été celui-ci :

Le nombre de miliciens exempts pour défaut de taille dans les premières est de 229, dans les secondes de 102. Ce qui établit, pour la période indiquée, 20 cas de réforme pour les premières localités et 9 1/10 pour les secondes, ou 5 par an pour les unes, 2 1/4 pour les autres.

Ainsi, d'après la commission, on en serait arrivé, dans les localités charbonnières, à ce déplorable résultat qu'il y aurait là deux fois autant d'exemptions pour défaut de taille que dans les localités non charbonnières. Ce résultat, s'il était exact, serait, je le répète, des plus déplorables ; mais heureusement, une inexactitude s'est glissée là, elle provient de ce que. la commission a pris pour tenue de comparaison, d'une part, les localités charbonnières où il y avait le plus de miliciens renvoyés pour défaut de taille et, d'une autre part, les localités non charbonnières où il y en avait le moins, (interruption.)

Il est clair qu'avec ce procédé, on vous démontrera ce qu'on voudra. Ainsi on n'aura qu'à prendre un mineur à Charleroi et le comparer à un géant qui s'exhibe dans une foire, pour faire considérer le mineur comme un nain. Pour être vrai, il faut évidemment comparer les localités houillères à la masse du pays.

Voici le résultat des exemptions pendant 10 ans (1851-1800) dans le pays tout entier ; il y a 39,000 exemptions pour défaut de taille, soit en moyenne 39,000 exemptions par an pour tout le pays.

« La population de 1855 qui est la moyenne entre 1850 et 1800 est de 4,600,000 âmes. Annuellement il y a donc 850 exemptions par million d'habitants ou 83 par cent mille, 8 1 2 par dix mille.

La moyenne étant de 85 exemptions par 100,000 habitants et par an ; pour 114,000 formant le groupe charbonnier de M. Kubom, nous devrons avoir 97 exemptions pour défaut de taille ; 83 pour 100,00, 97 pour 114,000, c'est la proportion, et pour quatre ans quatre fois autant, soit 388.

Ce chiffre indiquerait donc le nombre d'exemptions pour le groupe de localités charbonnières, si elles avaient la moyenne d'exemptions.

Or, au lieu de 388, elles n'en ont que 229 !

Ainsi, quand on prend les localités charbonnières choisies par la commission et qu'on les compare non pas à certaines autres localités également choisies, mais à la moyenne du pays tout entier, on arrive à cette conséquence que le nombre réel des exemptions est de 229 dans les localités charbonnières, alors que la moyenne du pays donnerait 338, c'est-à-dire que le rapport de M. Kuborn constate, pour ces localités, la proportion de 8 par 1.0,000 habitants et par an, alors qu'elle ne devrait être que de 5.

Voilà, messieurs, comment on arrive à trouver que tout est mauvais dans les pays charbonniers.

Je demande qu'on prenne pour type la moyenne du pays et qu'on ne fasse pas de choix pour arriver à prouver que les lieux où le chiffre des exemptions n'atteint pas cette moyenne ne sont peuplés que de pygmées.

C'est la démonstration que je réclame. M. Vleminckx veut-il une autre comparaison ? Comparez ce qui se passe dans les pays charbonniers avec ce qui se passe à Bruxelles, et voyez le résultat.

A Bruxelles, pendant les quatre années 1862-1865, vous avez eu 30 exemptions par 10,000 habitants, il y en a eu 20 dans les localités charbonnières choisies.

Voilà, messieurs, comment l'espèce dégénère là-bas et grandit ici. J'engage beaucoup l'honorable M. Vleminckx à voir ce qui se fait chez, lui, dans la capitale, et il trouvera peut-être qu'il y a bien plutôt lieu de prendre des mesures pour Bruxelles que pour les pays charbonniers. C'est le cas de lui dire. : Medice, cura te ipsum. (Interruption.)

Messieurs, quand on examine ces questions, comme, l'honorable membre, avec le désir ardent de faire le bien, lorsque, l'on voit qu'il y a des maux que l'on croit pouvoir faire disparaître, on est naturellement tenté de trouver que les faits correspondent à ses intentions. J'en ai encore une preuve dans la séance de ce jour.

L'honorable M. Vleminckx nous a cité ce fait que lui a transmis M. Kuborn, qu'il y avait eu au tribunal de police de Seraing un procès pour injures, et que ces injures avaient trait à un fait d'immoralité commis dans une mine. Et l'honorable, préopinant croit qu'il y a là un argument en faveur de sa thèse ! Mais il n'est pas un tribunal où des faits de cette nature ne se présentent ! Que mon honorable collègue prenne la peine de suivre quelque temps les audiences du tribunal de police de Bruxelles, il sera complètement édifié sur ce point, et verra nombre de faits pareils.

M. Vleminckxµ. - Il s'agit d'immoralités dans les fosses.

MiPµ. - Il s'agit à Bruxelles d'immoralités dans la rue. Allez-vous empêcher de passer dans les rues ?

Je cite cet exemple pour vous montrer que lorsqu'on est sous l'empire d'un système, par cela même qu'on a les aspirations les plus vives vers le bien, l'on se fait le plus souvent illusion, et l'on prend pour des preuves, pour des arguments décisifs, les faits les plus ordinaires qui se produisent tous les jours, sans qu'on les remarque, lorsqu'on n'est pas sous l'empire de ces préoccupations.

Quand on se trouve en présence du problème qui nous occupe, il faut considérer et les principes que l'on engage et les résultats des mesures à prendre.

Le danger est plus grand ici quant aux principes que quant aux conséquences immédiates d'une mesure prudemment appliquée ; mais le principe entamé, il faut bien voir où l'on peut être entraîné.

L'honorable M. d'Elhoungne, dans la séance d'hier, vous a dit que le travail était une propriété, et que par conséquent la loi avait le droit de le réglementer à ce titre comme toute autre propriété.

Mon honorable collègue, M. le ministre des finances, a déjà fait remarquer que cette théorie était un retour à l'ancien système des sociétés, où l'homme n'était pas toujours exclusivement considéré comme un individu doué de moralité et de liberté, mais où il avait le caractère de la chose. C'est ains que l'on voit dans le droit romain l'esclave être rangé parmi les choses.

Mais l'honorable député de Gand ne pense-t-il pas, si son principe est vrai, qu'il pourrait y avoir lieu de faire une loi non seulement pour ceux qui usent trop de cette propriété, mais pour ceux qui en usent trop peu.

Si la loi a le droit de déterminer comment on peut travailler, à quoi l'on (page 295) peut travailler et pendant combien de temps on peut travailler ; est-ce que la loi ne pourrait pas aussi, par une conséquence logique, fixer le nombre d'heures pendant lequel on doit travailler ?

Une autre observation : c'est que si le travail matériel est une force, une propriété, le travail intellectuel est aussi une force et une propriété, et si nous pouvons réglementer celui-là, nous pouvons aussi réglementer celui-ci, de sorte que l'on pourra dire à l'écrivain, par exemple : Vous n'écrirez pas telle chose, cela est inutile, votre intérêt est de faire autre chose.

Il est incontestable que parmi les écrits que nous voyons publier il en est beaucoup qui ne sont pas bons, qui sont peu moraux, qui enseignent des choses fausses. Pourquoi ne pas régler tout cela ? C'est qu'au-dessus de ces faits il y a un grand principe, c'est le principe de la liberté, et nous avons la conviction que les forces individuelles concourent plus utilement au bien, malgré leurs déviations quand elles sont libres, qu'elles ne pourraient le faire si elles étaient réglementées.

Nous avons le même sentiment en ce qui concerne l'ordre matériel, et remarquez que la Chambre a, par une série de lois, élargi le cercle des libertés individuelles. Primes, droits différentiels, droits prohibitifs, droits protecteurs, toutes mesures destinées à entraver le libre choix et qui ont sombré !

Combien d'années n'avons-nous pas eu la protection en matière de prêt à intérêt ! Et cependant l'on a reconnu, contrairement aux idées de réglementation qui reparaissent aujourd'hui, que la meilleure protection pour l'emprunteur était la liberté.

C'est le principe de cette liberté qu'il s'agit d'entamer et c'est le côté grave de la question.

Je disais, dans la dernière séance, qu'en fait le travail dans les charbonnages, interdit aux femmes mineures avec une transition convenable, n'entraînerait pas de grands inconvénients. Pourquoi ? Parce que, probablement, on arriverait à ce résultat que la femme travaillerait encore, aux charbonnages, mais au jour, au lieu de travailler au fond. Il se ferait une. substitution lente d'un sexe à l'autre dans une partie des travaux.

Mais si vous n'aboutissez qu'à cela, vous n'aurez absolument rien fait.

Ce que vous regrettez surtout, c'est que la femme des districts charbonniers n'ait pas les qualités qui conviennent à son sexe, qu'elle ne soit ni bonne épouse, ni bonne mère.

En supposant qu'il en soit ainsi, quel changement aurez-vous produit lorsque, au lieu de travailler dans les galeries souterraines, les femmes travailleront à la surface ?

Les dangers d'immoralité sont, on le reconnaît, les mêmes. Les femmes travaillant au jour ne sont-elles pas aussi éloignées du foyer domestique, ne restent-elles pas aussi étrangères à la conduite du ménage ?

Pensez-vous que ce travail à l'intérieur soit plus contraire à l'hygiène, soit plus fatal à la constitution que celui de l'extérieur de la houillère ? Mais il est le même ; des deux côtés transporter du charbon, pousser des waggons, parfois au rivage conduire une brouette. Je ne puis donc comprendre qu'il y ait une grande différence soit au point de vue moral, soit au point de vue matériel, entre les deux situations.

Mais je suppose même que vous arriviez à un autre résultat, que. vous soyez parvenu à interdire le travail non seulement dans le fond, mais encore à la surface, je le déclare, vous aurez fait un mal immense.

Que feront les femmes que vous aurez écartées de ce travail ? Evidemment elles se jetteront dans d'autres professions, elles feront d'autres travaux. Vous aurez poussé un très grand nombre d'entre elles dans des professions déjà encombrées aujourd'hui, la dentelle, la couture, que sais-je ! d'autres professions encore, et que deviendront-elles là ?

Est-il une situation plus dure que celle de ces malheureuses couturières qui commencent leur travail à six heures du matin pour ne le finir quelquefois que bien tard dans la soirée à la clarté d'une lampe, et qui à chaque instant, par suite de commandes pressantes, sont obligées de continuer encore ce pénible travail pendant toute la nuit et parfois même la journée suivante.

Et quel salaire misérable obtiennent-elles pour ce pénible travail ? Un franc par jour peut-être. Aussi quel est le résultat de cette position chez un grand nombre de femmes ? C'est que la misère les atteint et que pour y échapper il faudrait un travail tellement pénible, tellement au-dessus de leurs forces qu'elles recourent à la débauche pour compléter leurs ressources ; et n'est-il pas vrai que bien des ateliers de couture, de broderie alimentent la prostitution ?

Je ne prétends certainement pas dire que les femmes des houillères sont des modèles de toutes les vertus. Au contraire, je pense même qu'il y a là un triste relâchement de mœurs, mais au moins, ces femmes qui se livrent à ces rudes travaux ne se prostituent pas, elles se donnent et ne se vendent pas : mal pour mal, je préfère encore cette situation.

La question qui nous occupe se rattache à un des plus grands problèmes, le plus grand peut-être de l'économie sociale, la position de la femme dans notre société ; et quand on considère la position faite aux hommes et aux femmes par nos mœurs et nos institutions, on voit entre les deux sexes une immense disproportion de ressources. Il y a pour les hommes de nombreuses manières de gagner un salaire assez élevé ; l'homme peut largement se suffire à lui-même, tandis que la femme, exclue de nombreuses professions, se trouve souvent dans l'impossibilité d'en faire autant.

Si vous pouviez (ce que la loi ne peut pas) changer ce qui existe malheureusement aujourd'hui, il faudrait ouvrir aux femmes de nouvelles carrières, établir plus d'égalité entre leur salaire et celui des hommes.

S'il en était ainsi, les femmes recourraient moins aux moyens honteux que la misère leur conseille. Combien ne s'y sont livrées qu'après la lutte contre le besoin !

Je considère donc que le plus grand progrès serait d'ouvrir de nouvelles carrières aux femmes.

Je vois que le savant président de l'Académie de médecine partage mon opinion à cet égard.

M. Orts. - Nous partageons votre opinion sur ce point, mais nous ne la partageons pas sur l'incompétence du gouvernement.

MiPµ. - Sur...

M. Orts. - Sur les moyens d'arriver au résultat que vous cherchez.

MiPµ. - Si M. Orts possède des moyens d'arriver à un résultat, il voudra bien nous les indiquer ; nous les examinerons.

Je parle, en ce moment, du système qui consisterait, à interdire certains travaux aux femmes. Messieurs, si nous avons le désir d'améliorer la position de la femme par l'élévation de son salaire, ce que nous devons éviter avant tout, c'est de lui défendre de s'adonner à certains travaux. Plus vous lui ouvrirez la voie de. l'industrie, plus vous lui donnerez l'accès des professions, plus son salaire montera. Si vous empêchez les femmes de se livrer à certains travaux, vous les refoulez vers d'autres et vous produisez inévitablement l'abaissement de leurs salaires.

Les femmes manquent de force ; elles n'ont pas la vigueur qui caractérise l'homme ; vous laissez l'homme libre de travailler comme il le veut, n'aggravez pas l'infériorité déjà trop réelle de la femme, en lui opposant des entraves, en réglementant son travail. Agir autrement, serait mettre des entraves pour mieux faire courir !

C'est le grand danger des lois réglementaires, de refouler certaines catégories de personnes dans d'autres professions que celles qu'elles auraient embrassées librement.

Je suppose que nous interdisions le travail des femmes aux charbonnages, au fond et au jour, quel serait le résultat de cette mesure ? Evidemment un abaissement du salaire des femmes. Leur travail ne pouvant plus être demandé par cette industrie, sera moins demandé, et plus offert dans les autres voies restées ouvertes pour elles ; la conséquence nécessaire sera-une dépression de leur salaire et une aggravation de leur condition.

Voulez-vous la preuve en fait de cette suite nécessaire des prohibitions, voyez la marche des lois anglaises ; ce que je dis s'applique à la réglementation du travail des femmes comme des enfants.

Quand on a fait, en Angleterre, la première loi sur les manufactures, on a vu les maux existants et on a voulu y remédier. Mais qu'est-il arrivé ? C'est que lorsque la loi a été mise à exécution, un mal nouveau s'est produit où il n'en existait pas auparavant, et cela par la raison bien simple, que les enfants, qui ne pouvaient plus travailler dans les fabriques fermées pour eux, allaient offrir leur travail ailleurs.

Or là, affluant en plus grand nombre, ils travaillent à moindre prix et ils travaillent plus durement.

Au mal nouveau, nouvelle loi ; on a interdit les abus produits en dehors des premières prévisions du législateur, on a rejeté ces enfants dans une autre catégorie de travaux où des lois subséquentes sont venues les protéger... Et c'est ainsi qu'on a fait en Angleterre 19 lois, conséquence de la première ; et il paraît que l'on n'est pas à la dernière.

Messieurs, je ne veux pas revenir sur la question de principes : elle a été traitée hier avec trop de supériorité par mon honorable collègue des finances pour que je m'y tienne.

Cependant, messieurs, j'ai été sensible à un reproche que m'a fait l'honorable M. d'Elhoungne, reproche auquel je veux répondre. J'ai indiqué comme moyen à employer pour remédier aux abus du travail des femmes et des enfants dans l'industrie, l'établissement d'un impôt communal sur les industriels employant des enfants pendant un nombre d'heures dépassant six heures.

(page 296) Cette idée a soulevé l'indignation de l'honorable membre. Quoi ! s'est-il écrié, vous voulez mettre un impôt sur ces pauvres petits enfants ; vous voulez leur enlever encore une partie de leur faible salaire ; vous voulez diminuer encore ce salaire déjà insuffisant ! Quoi de plus odieux ! Quelle est la ville qui voudra mettre le produit d'un pareil impôt dans sa caisse ?

Cette critique, messieurs, nous révèle un des plus grands dangers de la réglementation du travail. Il ne sera pas difficile de prouver que ce que l'honorable M. d'Elhoungne trouve si odieux dans le système que j'ai indiqué, se trouve exactement dans le sien, qu'il y a, à cet égard, identité parfaite de conditions dans son système et dans le mien. Seulement, il le voit chez un autre, et il ne le voit pas chez lui. C'est ce qui arrive, du reste, assez fréquemment à nous tous.

Je reconnais parfaitement que si vous mettiez un impôt sur le travail des enfants, l'enfant vaudrait nécessairement d'autant moins pour le maître ; ce serait autant de moins qu'il gagnerait. Mais analysons les faits.

De deux choses l'une : ou bien l'impôt sera assez élevé pour être prohibitif, ou il ne le sera pas.

S'il est prohibitif, quelle différence y aura-t-il entre le système que j'ai indiqué et celui de l'honorable M. d'Elhoungne ? Si l'on met, par exemple, un impôt de cent francs sur chaque enfant travaillant plus de six heures ou si l'on inflige, une amende de cent francs à l'ouvrier qui aurait employé un enfant pendant plus de six heures, quelle différence y aurait-il ? Aucune ; ce sera exactement la même chose : on payera d'un côté à titre d'impôt, de l'autre à titre d'amende ; le résultat, au point de vue économique, sera identiquement le même. De sorte que si la chose que j'indiquais est odieuse, le système que l'honorable M. d'Elhoungne veut y substituer l'est tout autant.

Maintenant, je suppose que l'impôt ne soit pas assez élevé pour être prohibitif. Vous reconnaîtrez d'abord que le préjudice pour l'enfant ne peut pas être aussi grand ; l'impôt diminuant, le préjudice diminue. Mais qu'arrivera-t-il dans ce cas ? C'est que l'appât du gain étant diminué, il y aura moins d'enfants qui travailleront dans les manufactures imposées ; ils iront ailleurs à de moins bonnes conditions sans doute, mais à des conditions qui ne peuvent être plus mauvaises qu'avec le système d'une interdiction absolue.

Si les colons sont frappés d'un impôt de douane, c'est le consommateur qui le paye ; mais qu'ils soient frappés d'un impôt prohibitif, est-ce que le consommateur ne perdra pas encore davantage ? Si je fais perdre à l’enfant une partie de son salaire en frappant son travail d'un impôt, je le lèse sans doute ; mais je lui fais un tort bien autrement grave si, par le taux de l'impôt dont je le frappe, je l'empêche complètement de travailler, c'est-à-dire de gagner quoi que ce soit par son travail.

M. d'Elhoungneµ. - Le tort est moindre, car vous ne le martyrisez pas.

MiPµ. - Nous allons voir ! Je vais vous démontrer par vous-même que le martyre, si martyre il y a, ne sera pas moindre dans votre système que. dans celui que j'indiquais.

J'avais dit que les industriels pourraient s'entendre pour ne pas admettre d'enfants dans leurs usines avant un âge déterminé.

Très bien, m'a répondu l'honorable membre, mais si un seul ne veut pas s'entendre avec ses concurrents, aucun arrangement ne sera possible.

Ainsi, messieurs, on suppose qu'un seul industriel, refusant de s'entendre avec ses concurrents, admettrait chez lui tous les enfants qui ne pourraient pas être reçus dans les autres usines ou ateliers. Mais, si cette supposition, inadmissible d'ailleurs, est fondée, ces enfants n'obtiendront qu'un salaire de beaucoup inférieur à celui qu'ils recevraient dans de bonnes conditions, puisque l'offre du travail des enfants sera infiniment plus considérable chez le fabricant qui n'aura pas voulu s'entendre avec ses concurrents.

Vous croyez que vous empêcherez tout en fermant l'entrée de la manufacture du récalcitrant ? Mais vous oubliez qu'il y a, à côté des industries auxquelles vous appliquerez la mesure, quantité de petits ateliers que vous ne voulez pas réglementer. Or, le mal que vous redoutez pour le cas où tous les fabricants ne sont pas d'accord, se présentera pour ces petits ateliers. Vous y rejetez un nombre surabondant d'enfants. A raison de ce fait même, leur martyre sera aggravé, et pour compensation, ils seront moins payés !

La restriction, qu'elle provienne de l'impôt ou de la prohibition, conduira au même résultat.

Je signale ce point à toute l'attention de la Chambre, c'est là le danger qu'il faut examiner pour ne marcher que si l'on est sur de l'avoir écarté.

Messieurs, je termine par une dernière considération. Nous nous occupons, et je crois que nous avons raison, de la grande question du travail des femmes et des enfants dans l'industrie, au point de vue du progrès matériel et moral des classes laborieuses ; mais cependant il ne faut pas oublier, même dans cet ordre d'idées, le dommage que la solution de la question peut causer à l'industriel, parce que ce dommage peut jaillirer avec intensité sur l'ouvrier même.

Si le travail est diminué, ce sera une dépense moins grande pour l’industriel.

Je n'y verrais pas un grand mal, si cela se réduisait là ; niais il ne faut pas oublier que l'industrie étrangère vient lutter avec la nôtre. Si, avec 13 heures de travail par jour, par exemple, nous pouvons lutter avec l'Angleterre, pourrons-nous encore lutter avec 12 heures, avec 11 heures ? Les avantages que ce pays possède peuvent être tels, que la réglementation lui laisse assez de force pour soutenir la concurrence ; cette réglementation ne peut-elle, dans notre pays, nuire à la production ?

Si l'industriel est placé dans des conditions de production moins avantageuses, ce n'est pas seulement sur lui que l'effet se fera sentir, mais encore et surtout sur ses ouvriers.

Une diminution de production diminue la demande du travail, et fait baisser celui-ci dans une proportion très considérable. Tout ce qui diminuera les forces productives du pays, son activité commerciale, atteindra les travailleurs avant tous les autres.

Je signale cette considération, parce que, dans le problème que nous examinons, il y a des aperçus très variés, très multiples, qu'il faut nécessairement combiner les uns avec les autres, et ce n'est qu'après un examen très approfondi de tous les côtés de la question qu'on pourra arriver à une conclusion.

Messieurs, je disais dans une de nos dernières séances que presque tout ce qu'on avait fait en matière de bienfaisance avait été, non seulement inutile, mais même funeste, à ceux qu'on voulait favoriser par ces mesures. Le résultat de l'expérience, c'est qu'en général, dans cette matière, les remèdes sont dangereux ; ceux qui paraissaient s'attaquer le plus directement au mal, l'ont souvent aggravé.

Ce n'est pas une raison pour ne pas étudier à fond ce problème important, mais c'en est une pour user de la plus extrême prudence dans la décision des mesures à prendre.

M. le président. - La parole est à M. Funck.

M. Funckµ. - J'y renonce pour le moment.

M. Van Humbeeck (pour une motion d’ordre). - Messieurs, la discussion de la réglementation du travail des femmes et des enfants dans l'industrie a surgi d'une façon inopinée dans la discussion générale du budget de l'intérieur.

Personne ne s'en plaindra, après les éloquents discours auxquels elle a donné lieu ; mais dans quelques jours cette question doit nous revenir. Des pétitions relatives à cet objet nous avaient été transmises, et l'honorable M. T'Serstevens a rédigé un rapport sur ces pétitions.

Si ce rapport ne doit être lu qu'après que le débat actuel aura été terminé, il s'ensuivra qu'aujourd'hui nous aurons eu un débat sans conclusions et que dans quelques jours nous aurons une conclusion sans débat.

Je crois que l'ordre de nos travaux gagnerait à ce que ce débat et la conclusion fussent rapprochés et à ce que l'honorable M. T'Serstevens donnât immédiatement lecture de son rapport. L'honorable membre est prêt ; ce n'est pas de. sa part que viendra une objection, et je ne pense pas, du reste, qu'il puisse en venir d'ailleurs.

M. le président. - La Chambre est-elle d'avis d'accorder la parole à M. T'Serstevens pour donner lecture du rapport de la commission ? Il n'y a pas d'opposition. M. T'Serstevens, je vous invite à monter à la tribune où le rapport doit être lu, d'après le règlement.

Rapport sur une pétition

M. T'Serstevens, rapporteurµ. - Le 23 mars 1868, le conseil communal de Gand a présenté aux Chambres une pétition tendante à obtenir une loi réglant le travail des enfants dans les manufactures, conçue dans le sens du projet ci-après :

« Art. 1er. Nul enfant de moins de 10 ans ne peut être employé dans une manufacture de coton, de lin, d'étoupes, de soie, de laine ou de dentelles.

« Art. 2. Nul enfant de 10 à 14 ans ne peut être employé dans les manufactures spécifiées à l'article précédent, pendant plus de six heures par jour, et pendant plus de trois jours par semaine, chaque jour de travail alternant avec au moins un jour de repos.

« Art. 3. Dans ces manufactures, la journée de travail effectif ne peut pas, pour les ouvriers de 10 à 18 ans, dépasser la limite de douze heures.

« Art. 4. Les chefs de ces manufactures sont tenus d'avoir des registres (page 297) où seront inscrits régulièrement les noms et l'âge ainsi que la date de l'entrée à la fabrique de tous les ouvriers âgés de moins de 18 ans. Dans ce registre seront indiqués les jours et heures de travail assignés à chaque jeune ouvrier de 10 à 14 ans.

« Art. 5. Le gouvernement organisera un service d'inspecteurs salariés pour assurer l'exécution de la présente loi.

« Art. 6. Les inspecteurs nommés par le gouvernement pourront, à toute heure de nuit et de jour, pénétrer dans les manufactures spécifiées à l'article premier.

« Ils auront le droit d'interroger indistinctement toutes les personnes qu'ils y rencontreront.

« Les chefs d'industrie devront, à la réquisition des inspecteurs, leur montrer les registres mentionnés à l'article 4.

« Art. 7. Une amende de 25 à 100 fr. sera appliquée par le tribunal de simple police aux chefs d'industrie qui seront convaincus d'avoir contrevenu aux articles 1,2, 3, 4, 6 et 8 de la présente loi.

« Art. 8. Les chefs d'industrie veilleront à ce qu'un exemplaire de la présente loi, imprimé ou écrit en caractères lisibles, soit affiché dans les manufactures précitées et placé à un endroit apparent.

« Art. 9. Des arrêtés royaux pourront étendre à d'autres industries les stipulations contenues dans la présente loi.

« Art. 10 (transitoire). Pendant deux ans, à partir de la promulgation de la présente loi, les articles 1 et 2 ne seront pas applicables aux ouvriers employés dans les manufactures précitées au moment de cette promulgation. »

Depuis, des ouvriers et habitants de Gand, M. Rooses, secrétaire de la division gantoise du Willemsfond, le conseil communal de Malines, celui d'Anvers, tout récemment ceux de Louvain et. de Namur, et enfin depuis le 9 de ce mois plusieurs membres de la Ligue de l'enseignement, MM. Jules Tarlier, Ch. Buls et autres ont présenté diverses pétitions tendantes également à obtenir une loi réglant le travail des enfants dans les manufactures.

Si en quelques points les pétitionnaires s'écartent des bases proposées par la ville de Gand, ils sont d'accord pour atteindre le même but : mettre l'industrie dans l'impossibilité d'abuser des forces humaines à un âge et pendant un temps qui citent aux jeunes ouvriers la possibilité d'acquérir une instruction suffisante.

M. Wagener, échevin de la ville de Gand et professeur à l'université de cette ville, a présenté sur cette question un rapport, le 20 mai 1867, rapport dont les conclusions ont été adoptées, le 16 mars 1868, par le conseil communal de Gand.

Ce travail joint à la pétition adressée aux Chambres a frappé votre commission des pétitions à différents titres.

C'est le travail d'un homme vivant dans un centre manufacturier, appelé par ses fondions échevinales à constater chaque jour le. nombre et l'âge des enfants qui sortent de l'école pour entrer sans instruction dans les fabriques.

Par l'article premier, l'entrée des enfants dans les manufactures est autorisée dès l'âge de 10 ans, âge proposé en 1844 par le conseil de salubrité publique, et par le projet de loi de 1848.

Cependant 12 ans était l'âge d'admission demandé en 1860 par 14 chambres de commerce du royaume, par les députations permanentes de 4 provinces. Toutes les députations, tontes les chambres de commerce, celle de Termonde exceptée, admettaient la réglementation du travail dans les manufactures.

12 ans était encore l'âge demandé par une pétition adressée aux Chambres en 1853, portant les noms les plus honorables de l'industrie gauloise, par une commission nommée en 1858 par le Cercle commercial et industriel de Gand, en 1860 par le conseil supérieur de l'industrie et du commerce, et par les pétitions que nous envoient chaque jour les membres de la Ligue de l'enseignement. Le conseil communal de Bruxelles a, le 4 décembre 1868, décidé de nous envoyer une pétition fixant également l'âge de 12 ans pour l'entrée dans les ateliers.

« Mais, dit M. Wagener, il fallait une transaction qui, tout en sauvegardant le droit de l'enfance à une instruction sérieuse, ne devienne pas pour les parents une cause de misère et n'enlève pas à l'industrie les ouvriers dont elle a besoin. »

Voici un argument puisé dans le rapport de M. Wagener, pour montrer que prohiber l'entrée de l'atelier jusqu'à 12 ans n'aurait peut-être pas été considéré comme une transaction.

Pendant le premier semestre de l'année 1864-1865, sur 484 enfants sortant des écoles communales de Gand, 69 quittent avant l'âge de 10 ans, 271 à 10, 11 ou 12 ans.

Un rapport de Mgr l'évêque de Gand affirme que sur 530 élèves fréquentant une école gratuite de Gand, il n'en a trouvé que 22 qui eussent atteint leur douzième année.

D'après un tableau du mouvement des écoles de la même ville, de 1864 à 1866, il ressort que 36 p. c. des enfants de 10 ans, et 54 p. c. des enfants de 11 ans qui ont abandonné les classes, sont entrés dans les fabriques et les écoles dentellières.

En 1836, 165 écoles manufacturières de la Flandre orientale occupaient 19,785 ouvrières condamnées au travail dès l'âge de 6 ans.

Enfin, l'enquête .sur la condition des classes ouvrières établit que sur 34,181 ouvrières, le 1/18 n'avait pas atteint sa douzième année.

Priver totalement certaines industries d'une main-d'œuvre aussi importante que celle fournie par tous les enfants de 10 à 12 ans, eût peut-être occasionné au projet de loi une certaine opposition et un nouvel ajournement, comme la ville de Gand en exprime la crainte.

Par l'article 2, le travail de l'enfant de 10 à 14 ans étant limité à 6 heures par jour, les parents sont mis dans l'impossibilité de mettre à profit sa journée entière.

Les bienfaits de l'instruction primaire étant réclamés par nos classes ouvrières jusqu'au moment, où les forces de l'enfant peuvent être utilisées dans les manufactures, il est probable que la loi limitant l'emploi de cette force et fixant l'époque où elle pourra être employée, les enfants continueront à s'instruire jusqu'à cette époque et pendant le temps dont la loi leur assure la libre disposition.

L'article 2 et l'article 3, ce dernier fixant à douze heures par jour le travail de l'ouvrier de 14 à 18 ans, ont un autre effet utile, je dirai nécessaire. Ils arrêtent les ravages que fait actuellement l'industrie sur la santé de nos jeunes ouvriers tenus à la tâche, n'importe leur âge, 12 heures par jour, ainsi que le constatent, les réponses faites par plusieurs chambres de commerce au gouvernement ayant posé la question.

Parfois même, lorsqu'une industrie prospère, les machines sont mises en activité nuit et jour, et le travail des enfants dure 15 à 16 heures par jour (congrès de Malines). De pareilles épreuves paralysent les développements de l'enfant et le prédisposent au rachitisme et à toutes les infirmités qui en sont la conséquence.

Reste à examiner les articles destinés à assurer l'exécution de la loi. Par les articles 5 et 6, les pétitionnaires proposent un service d'inspection salarié par le gouvernement et accordant aux inspecteurs le droit d'entrée à toute heure dans les ateliers, le droit complet d'investigation pour découvrir les contraventions à la loi ; ces articles ont préoccupé les conseillers communaux, tant de Gand que d'Anvers. En lisant le compte rendu de leurs séances, on reconnaît aisément que plusieurs d'entre eux auraient désiré effacer les articles 5 et 6 du projet de loi qu'ils appuient, s'ils avaient trouvé un autre moyen aussi efficace d'en assurer le respect.

C'est du reste l'une des mesures proposées par le projet de loi du gouvernement, en 1848, qui ont été vivement combattues à cette époque par les chambres de commerce ; il leur répugnait de laisser ainsi le gouvernement exercer une surveillance dans les établissements mêmes.

Du reste, il n'est plus question de cette inspection dans les bases proposées en 1859 pour régler le travail dans les manufactures, inspection que le conseil communal de Namur rejette des bases admises par la ville de Gand et appuyées par lui dans sa pétition. Cependant il est à remarquer que, dans l'intérêt du fisc, moins précieux que celui de la société, le législateur ne craint pas d'ouvrir aux délégués de l'Etat les portes des établissements soumis aux droits d'accise, et même les portes des habitations particulières pour en expertiser la valeur.

Enfin pour réduire, autant que possible les réclamations qui pourraient s'élever, les pétitionnaires restreignent les effets de la loi à certaines industries, à celles qui l'ont, pour ainsi dire, sollicitée, et laissent au gouvernement le droit d'en étendre les effets à d'autres industries par arrêté royal (article 9).

Ils ont la certitude que les bons effets de cette loi seront promptement appréciés par les ouvriers, dont les enfants, plus robustes et plus instruits, deviendront pour les familles d'un secours plus puissant et fourniront à l'industrie une main-d'œuvre dont la valeur sera mieux appréciée, et qu'à l'exemple des pays qui sont entrés dans cette voie, la Belgique ne tardera pas non seulement à réclamer les bénéfices de l'article 9 pour d'autres industries, mais à établir de nouvelles lois protégeant de plus en plus les jeunes générations contre les abus qui pourraient exister ou surgir à leurs dépens.

Ainsi agit l'Angleterre, qui règle le travail des enfants dans les manufactures par des dispositions particulières à chaque industrie, évite de froisser trop vivement les intérêts qu'elle place sous la surveillance de la loi, et proportionne la durée du travail à la fatigue, à la peine qu'il exige dans chaque industrie.

(page 298) Cependant, M. Tarlier et autres membres de la Ligue de l’enseignement sont d'un avis opposé ; ils pensent que la prohibition doit être générale ou tout au moins que l'exception ne doit être qu'une transaction d'une durée limitée par la loi ; en conséquence ils proposent d'interdire :

a. D'employer l'enfant d'autrui à un travail permanent quelconque, s'il n'est âgé de 13 ans accomplis.

b. D'employer l'enfant d'autrui âgé de 12 à 14 ans pendant plus d'une demi-journée par jour, soit depuis le matin jusqu'à midi, soit depuis midi jusqu'au soir.

Si la loi ne s'appliquait pas d'une manière générale, elle réduirait le prix de la main-d'œuvre au profit des industries autorisées à employer les enfants, qui, au lieu de continuer à suivre leurs classes, les abandonneraient peut-être pour un salaire de quelques centimes.

Plus les industries privilégiées emploieraient d'enfants, plus elles s'imagineraient en avoir besoin, plus elles seraient ardentes à défendre leurs privilèges, et ainsi, disent les membres de la Ligue de l'enseignement, le travail précoce continuerait à engendrer l'ignorance, la démoralisation, la faiblesse organique du corps, au détriment de nos jeunes ouvriers pour en faire, à 45 ans, des vieillards incapables et malheureux, un danger et une charge pour la société. Et pendant de longues années encore, au nom de l'intérêt et de la liberté, le père conservera le droit de vendre, pour quelques centimes par jour, les germes de l'intelligence et de la force de son enfant, les seules richesses de l'indigent, bien que la loi sauvegarde et protège la fortune, le bien des enfants, sans s'inquiéter de l'intérêt et de la liberté du père.

La commission des pétitions considère la question soulevée par les pétitionnaires comme résolue au point de vue humanitaire aux yeux du pays. Car projets de loi, pétitions, enquêtes, ont depuis 1843, c'est-à-dire depuis vingt-cinq ans, mis la nation, les Chambres et le gouvernement dans la nécessité de la connaître. Elle vous propose de renvoyer toutes ces pétitions et celles que nous pourrions encore recevoir, à la commission de. l'industrie, pour qu'elle examine si un projet de loi réglant le travail des enfants dans les conditions énoncées par les pétitionnaires serait encore considéré comme pouvant avoir quelques conséquences fâcheuses soit pour l'ouvrier, soit pour le fabricant.

Sinon, votre commission des pétitions espère que le gouvernement, encouragé par les considérations que font valoir les pétitionnaires et la commission de l'industrie elle-même, se décidera à soumettre à vos délibérations un projet de loi réglant le travail des enfants dans les manufactures, loi que réclame la chambre de commerce de Verviers par un vœu émis à la suite de son rapport de 1867.

M. le président. - La commission propose le renvoi de la question à M. le ministre de l'intérieur. Je crois, messieurs, qu'il n'y aura lieu de prononcer sur ce renvoi qu'à la fin de la discussion.

Je pense que c'est ainsi que la Chambre l'entend. La discussion continuera donc et, comme conclusion, la proposition de la commission sera mise aux voix.

Il est entendu que le rapport sera imprimé comme document de la Chambre. La parole est à M. Funck.

- Plusieurs voix. - A demain !

M. Funckµ. - Je désirerais prendre communication du document qui vient d'être lu avant de prendre une seconde fois la parole et je demande que la continuation de la discussion soit remise à demain.

M. le président. - M. Funck demande la remise de la discussion à demain. La Chambre est-elle d'avis de lever la séance ?

M. Coomans. - Sans vouloir être désagréable, le moins du monde, à ntire honorable collègue, M. Funck, je crois devoir présenter une observation, c'est que nos séances commencent tard très souvent ; toujours, je puis le dire, après l'heure réglementaire qui est devenue un mensonge inscrit quotidiennement sur notre bulletin de convocation.

Nos finances... (Interruption.)

Je pourrais également présenter des observations sur nos finances, mais j'attendrai un autre moment.

Nos séances, voulais-je dire, commencent tard et finissent tôt. Messieurs, vous le savez tous, je n'ai pas à vous l'apprendre, notre ordre de travaux de la session, notre programme est tellement chargé qu'il sera impossible d'en discuter la moitié ou le quart.

Pourtant ce programme contient des projets de loi très importants.

Je n'ai pas besoin d'ajouter que plusieurs d'entre eux nous touchent tous. Il est clair que si nous continuons à ne siéger que deux heures et moins par jour et pendant cinq jours de la semaine seulement, nous nous trouverons, à la fin de la session, devant un arriéré bien plus fâcheux, bien plus regrettable que celui que nous avons à constater aujourd'hui.

Il faut, en conséquence, que nos séances commencent plus tôt et finissent plus tard ; et je propose formellement, non pas de continuer la séance d'aujourd'hui, si les orateurs inscrits y répugnent, mais de commencer à une heure, et même à midi, nos séances à partir de demain. (Interruptions.)

Messieurs, on se récrie. On a tort. L'heure de midi a été celle qu'ont adoptée presque tous nos devanciers. Il n'y a que quelques années que nous avons pris la mauvaise habitude d'avoir nos séances à deux heures et quart, à deux heures et demie, quelquefois à trois heures moins le quart et de les finir à quatre heures et demie.

Il n'y avait qu'une excuse à invoquer pour ce changement de règlement ; c'est que le travail des sections était souvent considérable, surtout au commencement de la session et qu'il ne fallait pas surcharger de besogne les membres de la Chambre, en les obligeant à faire ce que faisaient nos devanciers ; que nous forcer avenir en section à dix heures et à siéger en séance publique de midi à cinq heures, comme ils faisaient, c'eut été nous imposer un fardeau absolument trop lourd.

Messieurs, je m'intéresse certes autant que. qui que ce soit aux classes laborieuses ; mais je crois que nous ne devrions pas commencer par nous décharger nous-mêmes d'un travail qui n'est pas excessif ; à coup sûr, ce n'est pas le nôtre qui est excessif.

Je propose donc que nos séances, quand il n'y a pas de travail général des sections, commencent à une heure au plus tard et de préférence à midi. Quatre heures de séance par jour ne surchargeront pas trop lourdement les membres qui veulent bien faire travailler le peuple douze, à quinze heures par jour.

M. le président. - Je ferai remarquer à M.. Coomans que sa proposition, avec le caractère général qu'il lui donne, serait une modification au règlement. Le règlement fixe l'ouverture de nos séances à 2 heures, sauf décision contraire pour chaque séance. Je comprends donc que, M. Coomans puisse proposer de commencer la séance de demain à une heure ; il sera parfaitement dans son droit, mais une proposition générale comme celle qu'il vient d'émettre et qui serait une modification au règlement, ne peut être introduite incidemment.

Y a-t-il une proposition de commencer demain la séance à une heure ?

M. Coomans. - Ne pourrais-je, M. le président, faire cette proposition pour trois ou quatre jours ? Ce serait un essai.

M. le président. - C'est impossible, M. Coomans.

M. Coomans. - Eh bien, je prends le moins, faute de mieux, et je propose que la séance de demain commence à une heure.

M. Crombez. - Et le travail des sections, quand le fera-t-on ?

M. le président. - On me fait observer que plusieurs sections centrales se réunissent demain. Je fais aussi remarquer que le travail des sections centrales se fait en général dans la matinée.

- La proposition de M. Coomans est mise aux voix ; elle n'est pas adoptée.

M. le président. - L'heure du règlement est donc maintenue ; mais je me permets d'émettre le vœu que chacun de vous se trouve ici à l'heure réglementaire, car il est vrai que souvent nous devons attendre plusieurs minutes pour nous trouver en nombre. Je fais donc appel à votre zèle et à votre dévouement pour que nos séances puissent toujours s'ouvrir à l'heure du règlement.

- La séance est levée à 4 heures et demie.