Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1868-1869)
(Présidence de M. Dolezµ.)
(page 267) M. Dethuin, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 1 I/i heure.
M. Van Humbeeck, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.
Il présente ensuite l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre :
« Les membres du conseil communal de Villers-la-Tour demandent la prompte construction du chemin de fer de Frameries à Chimai avec embranchement de Beaumont vers Thuin. »
« Même demande des membres des conseils communaux de. Maron, Gozée, Saint-Remy, Beauwelz, Donstiennes, Monceau-Imbrechies, Salles, Fontaine-Valmont et d'habitants de Thirimont, Fourbechies, Forges, La Buissière, Rouveroy, Vergnies, Peissant, Bersillies-l'Abbaye. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Vankeerberghen demande que le notariat soit rendu libre. »
- Même renvoi.
« Le conseil communal de Bruxelles propose des dispositions pour régler le travail des enfants dans les manufactures, les usines et les ateliers. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur des pétitions relatives au même objet.
« Le sieur Bastin demande la révision des statuts des caisses de prévoyance des instituteurs primaires et prie la Chambre d'allouer les crédits nécessaires pour permettre à ces caisses de satisfaire à leurs nouvelles obligations. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur.
« Des habitants d'Anvers demandent. la réorganisation des corps de musique militaires et une amélioration de position pour le personnel de ces corps. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Yves présente, des observations en faveur de la réforme de la loi du 23 septembre 1842 sur l'enseignement primaire. »
- Même renvoi.
« Le sieur Suyserman se. plaint de la lenteur qui est mise à la distribution des Annales parlementaires et des Documents qui les complètent. »
- Même renvoi.
« M. le ministre de la justice fait hommage à la Chambre d'un exemplaire du cahier contenant les circulaires de son département pendant l'année 1867. »
- Dépôt à la bibliothèque.
« M. de Coninck, rappelé chez lui à cause d'une indisposition d'un de ses parents, demande un congé. »
- Accordé.
Bureaux des sections pour le mois de janvier 1869.
Première section
Président : M. de Macar
Vice-président : M. Vermeire
Secrétaire : M. Beke
Rapporteur de pétitions : M. Julliot
Deuxième section
Président : M. Magherman
Vice-président : M. Bouvier-Evenepoel
Secrétaire : M. Ansiau
Rapporteur de pétitions : M. de Clercq
Troisième section
Président : M. Le Hardy de Beaulieu
Vice-président : M. de Naeyer
Secrétaire : M. de Vrints
Rapporteur de pétitions : M. Lambert
Quatrième section
Président : M. Van Iseghem
Vice-président : M. Vleminckx
Secrétaire : M. de Rossius
Rapporteur de pétitions : M. T’Serstevens
Cinquième section
Président : M. de Zezero de Tejada
Vice-président : M. Delaet
Secrétaire : M. Bricoult
Rapporteur de pétitions : M. Dethuin
Sixième section
Président : M. Jouret
Vice-président : M. Jonet
Secrétaire : M. Van Merris
Rapporteur de pétitions : M. Vander Donckt
M. Kervyn de Lettenhove. - essieurs, j'ai demandé la parole au commencement de la séance d'hier, après avoir entendu et après avoir relu dans les Annales parlementaires le discours d'un honorable représentant de Gand. Il me semblait impossible de laisser passer sans contradiction, sans protestation, le sinistre tableau qu'il avait tracé de deux de nos provinces qui, par leur agriculture, par leur industrie, par les impôts mêmes qu'elles versent au trésor de l'Etat, occupent une grande place dans notre existence nationale.
Le discours de M. le ministre de l'intérieur m'a forcé de différer cette réponse, et en même temps il a agrandi dans une large mesure la tâche que je m'étais imposée, car je me sentirai entraîné malgré moi à aborder quelques-unes des graves questions dont il vous a entretenus.
La Chambre me permettra, en premier lieu, de vider le point spécial qui m'a engagé à intervenir dans cette discussion.
Un mot d'abord sur la question flamande.
Il y a, en Belgique, une population considérable, la plus considérable du pays, qui a eu longtemps ses mœurs et ses institutions propres et qui conserve encore aujourd'hui une langue qui la caractérise et qui, à ses yeux, est la tradition vivante de son histoire.
Cette population a le ferme désir de vivre dans la plus parfaite concorde et dans la plus loyale union. Elle ne repousse qu'une chose, c'est l’absorption.
Elle veut travailler avec toutes les autres à améliorer le présent et à féconder l'avenir ; mais elle demande aussi qu'on tienne compte de ce qu'elle a été, qu'on respecte cette langue qui est le monument de son passé, cette langue qui représente, pour elle, des luttes longues et persévérantes dans la carrière du travail, de grands succès dans l'industrie, de nobles efforts dans les arts, et avant tout, le zèle le plus généreux pour le développement de toutes les libertés.
El c'est cette population, cette population restée fidèle à de glorieux souvenirs, vivant sur un sol qui a été longtemps un foyer de. civilisation et de lumières, que l'honorable représentant de Gand, dans la séance d'avant-hier, vous a dépeinte comme étant aujourd'hui indigne de son passé, comme se trouvant dans un état d'infériorité complète, aussi bien au point de vue intellectuel qu'au point de vue moral, vis-à-vis des autres populations.
Certes, messieurs, il y a des circonstances où, lorsqu'on a devant soi une plaie béante, il faut avoir le courage de la découvrir pour en sonder la profondeur.
C'était le droit, c'était peut-être le devoir de l'honorable M. de Maere. Mais si les données sur lesquelles il s'est appuyé pouvaient être contestées, si elles pouvaient être victorieusement combattues, oh ! alors, je ne crains pas de le dire, l'honorable représentant de Gand, en dénonçant solennellement cette situation, du haut de cette tribune, devant le pays et devant l'Europe, se serait rendu coupable de quelque chose de plus que d'une inexactitude : il se serait rendu coupable d'une bien regrettable injustice.
M. Bouvierµ. - C'est un acte de courage.
M. Kervyn de Lettenhove. - Messieurs, si une grande enquête devait s'ouvrir, si elle devait avoir pour but de rechercher si nos populations flamandes n'ont pas toujours été morales et éclairées entre toutes les autres, je serais heureux d'y apporter le premier mon témoignage. Telles que je les ai vues en étudiant leur passé, telles je les vois encore aujourd'hui en vivant au milieu d'elles. Je comprends toutefois que cette affirmation isolée serait repoussée comme sans valeur, et je me trouve réduit à compter avant tout avec la science que l'honorable M. de Maere a principalement invoquée dans son discours, avec la statistique dont les chiffres sont dignes d'attention, mais à une condition : c'est qu'ils soient mûrement et sévèrement contrôlés.
Dans ses recherches statistiques, l'honorable M. de Maere a embrassé un grand nombre d'années. C'est le premier reproche que je dois lui faire.
En effet, en procédant ainsi il a compris dans ses investigations une période tout exceptionnelle où, par suite d'un fléau dont les ravages sont encore présents à votre mémoire, les populations flamandes se sont trouvées dans une situation qui les a à peu près réduites à mourir de faim. Et si je rappelle ici ce qui s'est passé, ce n'est pas pour les blâmer de leur misère, ce n'est pas pour leur reprocher ce qu'elles ont souffert ; c'est au contraire pour les louer ; car si l'on se souvient que dans certaines provinces la moindre réduction de salaire provoque des grèves et des émeutes, il faut bien rappeler que nos populations ont souffert presque sans se plaindre et qu'elles ont traversé une crise épouvantable sans que nous ayons vu le moindre désordre se produire.
Certes, messieurs, c'est là le premier hommage que nous devons rendre à leur moralité.
Lorsque, laissant de côté ces temps déjà éloignés, j'arrive à des chiffres empruntés à une époque plus récente sur cette même question du paupérisme de nos provinces, j'ai bien le droit, me semble-t-il, d'opposer à M. de Maere les mêmes statistiques et de lui rappeler qu'en Flandre la population est plus dense qu'ailleurs et que là aussi l'aisance est plus répandue.
Et lorsque l'honorable M. de Maere invoque des chiffres tirés (page 268) des budgets des communes et des bureaux de bienfaisance pour démontrer que les dépenses causées par la misère sont plus élevées dans nos provinces qu'ailleurs, il perd de vue qu'en Flandre il n'y a pas de grandes propriétés appartenant soit aux communes, soit aux bureaux de bienfaisance, qui permettent de ne pas recourir à des taxes pécuniaires.
J'arrive, messieurs, à la question que l'honorable M. de Maere a traitée d'une manière plus spéciale, plus approfondie que toutes les autres ; je veux parler de l'instruction. Son point de départ a été la situation intellectuelle des miliciens. Je ne sais, messieurs, si les renseignements statistiques de cette catégorie ont une très grande valeur. Hier encore, l'honorable M. Pirmez, ministre de l'intérieur, disait que bien souvent les miliciens qui ne savaient ni lire ni écrire avaient fréquenté l'école, et qu'à une époque intermédiaire ils avaient oublié ce qu'ils avaient appris. M. le ministre de l'intérieur, si je l'ai bien compris, contestait la valeur des données statistiques à cet égard.
Je me souviens qu'à une époque antérieure, le prédécesseur de l'honorable M. Pirmez au ministère de l'intérieur, l'honorable M. Alphonse Vandenpeereboom, nous apprenait que, d'après une idée assez répandue en Flandre, le milicien qui ne déclarait point, par sa signature, connaître les lois militaires, croyait sa responsabilité moins engagée : ce qui le portait souvent à affirmer qu'il ne savait pas écrire.
J'écarte néanmoins ces deux objections, et je. vais au fond des choses.
L'honorable M. de Maere a eu sous les yeux un tableau de la levée de milice de 1864, qui a été inséré dans le tome X du recueil des renseignements statistiques, et c'est là qu'il a vu que, pour la Flandre occidentale, le nombre de miliciens sachant lire et écrire était, en 1864, de 114, et le nombre de miliciens ne sachant pas lire, de 755.
Tout à côté se trouvait consigné ce résultat, que la part de l'ignorance était de 85 pour cent, et c'est ce chiffre qui figure dans le discours de l'honorable représentant de Gand.
Mais, messieurs, ces chiffres ne sont pas exacts, ils ne peuvent pas l'être ; j'en donnerai, immédiatement la preuve : c'est qu'en remontant deux ans moins haut, en n'ouvrant pas le tome X des Documents statistiques, mais le tome XII qui a été publié en 1868 et qui est le dernier que nous ayons sous les yeux, nous constatons que, pour la Flandre occidentale, la part d'instruction parmi les soldats, n'était pas de 17 p. c, mais de 42 p. c. Et comme en Flandre, plus qu'ailleurs, le nombre des remplaçants et des substituants est très considérable et qu'on doit nécessairement en conclure que ceux qui se font remplacer ou substituer ont eux-mêmes une certaine instruction, on a pris soin d'ajouter que, pour préciser la véritable position des choses, il faut reconnaître que dans la Flandre occidentale (la province dont s'est occupé l'honorable M. de Maere), la situation est celle-ci : 65 p. c. de miliciens sachant lire et écrire et 35 p. c. seulement de miliciens dépourvus de ces connaissances.
Voilà la proportion des choses étrangement modifiée ; la part d'ignorance n'est plus de 85 p. c, mais de 35 p. c, ce qui est bien différent.
J'ai vainement cherché à la bibliothèque de la Chambre le dernier rapport triennal sur la situation de l'enseignement primaire. On n'a pu mettre sous mes yeux que celui qui a été publié en 1863. Je le regrette vivement, car c'est surtout depuis cette époque que, la prospérité étant revenue en Flandre, les écoles ont été plus fréquentées.
Mais même en remontant à cette époque, évidemment défavorable à ma démonstration, quel est le résultat que nous constatons ? C'est que, dans la Flandre orientale, le nombre de garçons et de filles fréquentant les écoles primaires était de 2,964.
Je prendrai pour terme de comparaison une province placée au centre du royaume, celle où réside le gouvernement, où il y a une capitale, où l'on fait, par conséquent, de nombreux efforts pour propager l'instruction ; je veux parler du Brabant, dont la population est plus forte que celle de la Flandre orientale.
Eh bien, messieurs, à cette époque inégalement choisie, j'arrive à ce résultat que les écoles primaires étaient plus fréquentées dans la Flandre orientale que dans le Brabant.
Il y avait, comme je viens de le dire, dans la Flandre orientale 2,964 garçons et jeunes filles fréquentant les écoles primaires, il n'y en avait que 2,901 dans le Brabant.
J'arrive, messieurs, à la statistique criminelle, et ici encore je ne puis m'entendre avec l'honorable M. de Maere. Je consulte un tableau qui nous a été distribué ces jours derniers et qui a été fourni par le département de la justice pour l'Annuaire de l'Observatoire. Ces renseignements sont tout récents ; ils se rapportent à l'année 1867. Nous y voyons que pendant cette année, devant les cours d'assises, les condamnations pour attentats contre les personnes ont été de 34 et qu'elles ont été de 111 en ce qui touche les délits commis contre les propriétés.
Or, si vous voulez bien remarquer que les deux Flandres représentent à peu près exactement le tiers de la population du royaume, il en résultera que si la moyenne de la criminalité était pour les Flandres la même que partout ailleurs, un devrait arriver à ce résultat qu'il y a eu 11 ou 12 condamnations pour délits commis contre les personnes ; les Flandres n'atteignent pas ce chiffre moyen, il n'y a eu que 10 condamnations. Et en ce qui touche les délits contre les propriétés, la situation est encore bien plus favorable ; sur 111 délits on n'en rencontre que 26 pour les deux Flandres, c'est-à-dire qu'au lieu du tiers on ne trouve pas même le quart.
Et si vous comparez la statistique sur les progrès de l’instruction, vous arrivez à un étrange résultat, c'est que dans la province qui est placée la première dans les fastes de l'enseignement primaire, dans le Luxembourg, on a dépassé la moyenne de la criminalité d'environ 30 p. c. Le chiffre est du reste extrêmement faible ; il s'agit seulement de 6 délits commis contre les propriétés, et je ne veux en tirer aucune conclusion ; mais il n'en est pas moins vrai que les Flandres, pour cette catégorie de délits, loin d'atteindre le chiffre moyen, sont placées infiniment au-dessous.
Ainsi en ce qui touche l'instruction et en ce qui touche la statistique criminelle, je crois avoir rencontré les considérations présentées par M. de Maere et démontré qu'elles ne reposent pas sur des données exactes.
L'honorable M. de Maere s'est occupé également de la dépopulation de certaines parties de nos provinces. Je la regrette avec lui, elle peut s'expliquer de différentes manières et, avant tout, par ce mouvement des populations agricoles qui tendent à déserter leurs loyers pour chercher ailleurs un salaire plus élevé.
Ainsi, quand, dans les grandes villes, la population s'accroît de 20 p. c., elle est tout à fait stationnaire dans beaucoup de villages, et l'on voit en même temps dans le Hainaut la population des mines s'élever, en vingt ans, de 37,000 à 78,000 ouvriers. Parmi ces nouveau-venus, il est incontestable qu'il y avait un grand nombre de Flamands et sans doute ce qu'il y avait de plus mauvais parmi les Flamands.
Mais il y a dans cette question de la population, un autre élément dont l'honorable M. de Maere n'a pas tenu compte. Il fallait rechercher d'abord si le nombre des enfants légitimes n'était pas plus considérable en Flandre qu'ailleurs ; si, au contraire, celui des enfants nés hors mariage ne l'était pas moins. C'est ce que l'honorable M. de Maere. n'a pas fait, et cependant il y avait là un élément important pour la question de moralité.
Voici, messieurs, ce que nous apprend la statistique :
La moyenne des naissances par mariage légitime est en Belgique, de 3.9. Dans les deux provinces qui composent les Flandres, elle est de 4.2, c'est-à-dire que ces deux provinces l'emportent à cet égard de 3/10 sur les autres provinces du pays.
Maintenant, messieurs, si vous abordez la question si intéressante des naissances illégitimes et si vous ne considérez que les populations rurales dont l'honorable M. de Maere et l'honorable M. Funck se sont surtout occupés, vous arrivez à un résultat bien digne d'attention ; c'est qu'en Belgique, l'on atteint le chiffre effrayant d'une naissance illégitime sur 18, tandis que dans la Flandre occidentale il n'y en a qu'une sur 31, et dans la Flandre orientale, une sur 25.
Ainsi, messieurs, la situation morale de ces provinces est infiniment meilleure que celle du reste du pays.
Ne m'est-il pas permis de conclure, messieurs, en achevant cette discussion statistique, que rien ne justifie les accusations si graves formulées par l'honorable M. de. Maere ?
Ne m'est-il pas permis aussi de demander si ces populations flamandes dont on vous a peint l'infériorité intellectuelle, sont restées en arrière, dans le mouvement de notre nationalité ? Ne comptent-elles pas de toutes parts des hommes qui les honorent ? Au faîte du pouvoir, n'ont-elles pas placé des hommes d'Etat éminents ? N'ont-elles pas envoyé dans les Chambres législatives des orateurs éloquents et écoutés ? Ne sont-elles pas représentées au barreau d'une manière éclatante ? N'en est-il pas de même dans la magistrature, dans les universités, partout où la science se produit, partout où le mérite se révèle ?
Sont-elles, quelque part que. vous portiez vos yeux, inférieures à la population des autres provinces ? Et puisqu'il est convenu de considérer la littérature comme la forme extérieure d'une civilisation et d'une situation intellectuelle, ne puis-je pas l'appeler à la Chambre que lorsque récemment on a voulu placer à la tête de l'administration des musées royaux un homme dont le nom est justement célèbre en Europe, sa célébrité même était intimement liée à l'éclat de la littérature flamande ? Jamais la littérature flamande ne fut plus florissante, ni plus vivace. Des villes elle s'est répandue jusque dans les villages, et en aucun temps, je puis le dire, on (page 269) n'a vu un mouvement intellectuel plus actif que celui qui règne aujourd'hui dans nos provinces flamandes.
Au fond de cette situation, messieurs, je crois l'avoir indiqué tout à l'heure, il n'y a qu'un sujet d'amertume et de préoccupation ; c'est de voir les populations s'éloigner de l'agriculture, c'est de voir se multiplier les émigrations provoquées par ce vain appât de l'augmentation des salaires, qui les égare ; car bien souvent il leur fait déserter une modeste et honnête aisance pour les conduire à la pauvreté.
A ce point de vue, je regrette que l'honorable M. Funck, se préoccupant mais trop exclusivement de la question si intéressante de l'instruction populaire, ait cru devoir diriger ses critiques les plus vives contre les populations agricoles ; je ne pense pas qu'à ce point de vue le danger soit tel qu'il le représente ; je serais presque disposé à craindre davantage le remède.
Je crois que pour nos populations agricoles il y a quelque chose qui les porte trop souvent à dédaigner la profession qu'elles exercent ; on peut regretter que l'agriculteur n'envoie pas plus fréquemment son enfant à l'école, mais il faut craindre aussi que l'enfant, au sortir de l'école, ne retourne pas à la charrue et qu'il ne soit amené à chercher ailleurs une profession plus séduisante, peut-être, à coup sûr moins utile.
C'est pour nous, messieurs, un devoir impérieux, en toute occasion, de proclamer combien l'agriculture a un rôle patriotique à remplir ; car elle seule enseigne aux hommes l'attachement au sol que leur main féconde en échange de leurs sueurs.
C'est cet amour du sol natal, c'est l'agriculture, cette première de toutes les professions, qu'il faut chercher à mettre en honneur parmi nos populations, et, si parfois les travaux de la campagne empêchent les enfants de nos agriculteurs de fréquenter l'école, n'oubliez pas, messieurs, qu'il y a quelque chose qui vaut mieux que l'instruction, c'est l'éducation, l'éducation morale qu'on trouve au foyer de la famille ; et, certes, je placerai les fils de nos agriculteurs, alors même qu'ils ne fréquenteraient pas l'école, bien au-dessus de ces enfants des populations industrielles ou les fils ne trouvent, le plus souvent, autour d'eux, que des exemples fâcheux et des leçons funestes.
Pour l'honorable représentant de Bruxelles, la question se présente d'une manière plus générale.
Il s'agit à ses yeux de réglementer d'une manière complète l'intervention de l'Etat. Il la veut dans le travail industriel ; il la veut également dans l'enseignement.
A cet égard, messieurs, une distinction me semble nécessaire. Je comprends parfaitement que l'Etat ait le droit d'obliger à ne pas faire ; je ne comprends pas qu'il puisse obliger à faire.
Selon moi, l'Etat peut empêcher qu'on accomplisse certains actes parce qu'ils sont mauvais ; il ne peut point contraindre à poser d'autres actes, alors même qu'ils seraient bons.
Sa mission est d'apprécier ce que l'on fait et non pas ce que l'on devrait faire.
Il n'a à s'occuper que des faits positifs.
L'Etat a donc le droit de défendre, dans certaines hypothèses, le travail des femmes et des enfants ; mais je ne lui reconnais pas le droit de décréter l’enseignement obligatoire.
Ces questions sont importantes, messieurs ; je n’y toucherai que très rapidement aujourd'hui.
Messieurs, lorsqu'on étudie notre législation, on y trouve partout la tutelle de l'Etat en faveur des faibles. De là, dans le Code pénal, une foule de dispositions destinées à protéger les femmes et les mineurs.
II faut rechercher, messieurs, dans quelles limites doit s'exercer, en ce qui touche la question du travail, cette intervention, cette tutelle de l'Etat, car c'est ici que se présentent les plus sérieuses difficultés.
Je suis moins que personne, messieurs, partisan de l'intervention de l'Etat. Je souhaite qu'elle soit restreinte à un petit nombre de cas, mais j'ajoute que s'il existait des abus semblables à ceux dont nous avons trouvé le tableau dans un mémoire récemment distribué à tous les membres de la Chambre, je ne comprendrais pas que l'Etat pût complètement s'abstenir.
N'oubliez pas, messieurs, que le foyer domestique est la base de l'existence sociale. N'oubliez pas qu'il ne s'agit pas seulement de la dépravation et de la corruption d'une seule génération, mais qu'il s'agit aussi de la dégradation et de la corruption des générations futures dans leur source.
Dans la séance d'hier, l'honorable ministre de l'intérieur nous disait que, pendant longtemps, à Rome, les parricides n'avaient été l'objet d'aucune répression pénale, et que c'était là l'honneur des mœurs de la vieille Rome. Il aurait pu ajouter qu'une époque est venue où l'on reconnut que le silence de la loi était impossible et qu'il fallait opposer au plus atroce des crimes la plus énergique des répressions, et alors on ordonna de coudre dans un sac le parricide et de le jeter dans le Tibre, afin, disaient les jurisconsultes romains, que son cadavre ne souillât aucun élément, et de peur qu'en devenant la proie des bêtes féroces, il ne les rendît plus cruelles.
Dans la vieille Rome aussi, pendant longtemps l'autorité paternelle s'était exercée sans limite. Le père avait sur son fils droit de vie et de mort, et cependant il arriva un jour où l'on reconnut aussi que ce droit devait être sévèrement limité.
Dans nos sociétés modernes, nous ne rencontrons pas plus souvent qu'autrefois le crime du fils qui assassine son père ou celui du père qui donne la mort à son fils. Nous avons voulu cependant que dans notre législation pénale ce crime, quelque exceptionnel qu'il puisse être, fût sévèrement réprimé.
Eh bien, messieurs, en ce. qui touche la question spéciale qui nous occupe, je suis également persuadé que presque tous nos industriels sont assez sages et assez éclairés pour comprendre qu'on ne peut demander à l'homme plus de travail qu'il n'en peut donner ; qu'exiger davantage, c'est aboutir à ce triste résultat de le forcer à fournir un travail mal fait et à chercher à réparer d'une manière factice ses forces épuisées, par l'abus des boissons fortes, ce qui entraîne, après l'affaiblissement physique, l'affaiblissement moral.
Je suis convaincu que nos chefs d'industrie comprennent presque tous leur mission, leur devoir et les véritables intérêts du travail ; cependant je ne crois pas que la loi doive se taire et rester impuissante, tant qu'un seul abus peut se produire. Mais, sans toucher à la question du travail des adultes, la plus grave de toutes, il fout reconnaître que c'est surtout sur les êtres faibles, sur la femme et sur les enfants, que doit se porter la sollicitude, du législateur.
J'avoue du reste, messieurs, qu'il faut procéder avec la plus grande prudence ; il faut des enquêtes nombreuses ; il faut consulter ceux dont l'expérience peut le mieux nous guider vers la solution à donner à ces graves problèmes.
Quoi qu'il en soit, si les faits qu'on allègue sont établis, si les abus que l'on dénonce sont incontestables, c'est à l'intervention du gouvernement qu'il appartient d'y porter remède.
J'entends dire que. ce serait contrarier le grand principe, de la liberté de l'industrie. Mais l'Angleterre, la libre Angleterre a professé, à toutes les époques ce grand principe de la liberté, de l'industrie, et néanmoins elle s'est toujours préoccupée de la protection qu'elle, doit aux faibles, aux femmes, aux enfants, à tous ceux qui subissent la loi si dure du travail. (Interruption.)
Depuis 1802 à 1815, de 1833 à 1841, le parlement britannique n'a cessé de s'occuper de cette question, et jamais on ne lui a reproché de manquer à ce qu'il devait au grand principe de la liberté.
Je pense donc qu'en Belgique nous avons aussi une mission à remplir, mais qu'elle doit être circonscrite par les limites les plus étroites et par les règles d'une sévère prudence.
Ne l'oublions pas, messieurs, l'industrie, quel que soif son rôle utile dans la société, est inévitablement liée à des questions d'intérêt. Ces questions d'intérêt sont respectables en ce qu'elles tendent à élargir la carrière du travail ; mais, si ces intérêts pouvaient être compris d'une manière égoïste, si ce travail devait être exagéré, s'il devait avoir pour résultat d'amener la dégénérescence de l'enfant, de compromettre la chasteté de la jeune fille et la dignité de la mère de famille : dans ces cas extrêmes l'intervention de l'Etat serait, à coup sûr, légitime.
Un mot, messieurs, sur une. autre question soulevée par l'honorable M. Funck, sur la question de l'enseignement obligatoire.
Autant que personne, messieurs, je désirerais voir l'instruction se répandre ; je crois que le devoir du gouvernement est de la favoriser toujours, de ne l'imposer jamais.
Et lorsque l'honorable M. Funck cite comme exemple la législation prussienne, j'arrive aussitôt à me demander si la législation qui convient à la Prusse, conviendrait aussi à la Belgique ; et je n'hésite pas à dire qu'à coup sûr elle serait en opposition avec nos mœurs et avec toutes nos traditions. En Prusse, où la nation est organisée pour la guerre et la conquête, on prend l'homme au berceau ; il est dès lors dans les mains du gouvernement, qui le prépare, à la mission qu'il a à remplir. En Belgique, nos générations n'accepteraient point cette règle uniforme, et je puis rappeler ici ce que disait un honorable représentant de la gauche, il y a deux jours, lorsqu'il se plaignait dans cette enceinte d'un enseignement qui nous ferait marcher militairement et en rang comme si nous étions coulés tous dans le même moule.
Cet enseignement, messieurs, serait-il conforme à nos libertés constitutionnelles ? Evidemment non ; lorsque des jeunes gens entrent à l'école, (page 270) pour se préparer à la vie politique. Or serait-ce préparer efficacement à la vie politique, à la vie d'un pays libre, ceux sur le front desquels vous graveriez d'abord le sceau de la contrainte ?
Cet enseignement serait-il bon ? Je ne le crois pas davantage. L'enseignement, pour être bon, a besoin de l'action de la concurrence ; cela est nécessaire pour le maître ; et pour l'élève aussi, il faut qu'il puisse s'adresser librement à l'enseignement qui lui paraît le meilleur.
J'ai voulu, messieurs, rechercher l'histoire de l'enseignement obligatoire ; et j'ai constaté que, dans les époques reculées, il a toujours été l'instrument de la tyrannie, de quelque part qu'elle s'exerçât.
Dans nos provinces, sous Philippe II, on a essayé vis-à-vis des fils des proscrits l'enseignement obligatoire. Louis XIV a voulu l'imposer après la révocation de l'édit de Nantes. Et à une autre époque, lorsque surgit un despotisme mille fois plus affreux, quoique affectant une autre forme, aux plus mauvais jours de la révolution française, on songea également à décréter l'enseignement obligatoire ; c'est l'un des plus tristes souvenirs qui s'attachent à la mémoire de Robespierre.
Vous savez, messieurs, que la constitution de l'an III, qui avait interprété d'une manière très large les principes de 1789, portait que tous les citoyens avaient le droit de former des établissements particuliers d'éducation et d'instruction.
Et c'est au sujet de cette constitution qu'un savant illustre, Daunou, qui avait pris une grande part à la révolution, caractérisant l'essai qui avait été tenté par Robespierre, lui reprochait d'avoir imprimé le sceau de sa tyrannie sur des dispositions barbares qui enlevaient aux parents, sous peine de prison et d'amende, le droit d'exercer le premier et le plus saint de leurs droits et de leurs devoirs.
Et lorsque, quarante ans plus tard, une autre révolution se fit en France, lorsque la charte de 1830 chercha à raviver les principes de 1789,1a liberté de l'enseignement y fut de nouveau inscrite, et M. Guizot, dont le nom a été cité par M. de Maere dans cette discussion, développait en ces termes, à la chambre des députés, en 1816, le principe de la liberté d'enseignement :
« En matière d'instruction, tous les droits n'appartiennent pas à l'Etat ; il y en a qui sont, je ne veux pas dire supérieurs, mais antérieurs, et qui coexistent avec les siens. Ce sont d'abord les droits de la famille. Les enfants appartiennent à la famille avant d'appartenir à l'Etat. L'Etat a le droit de distribuer l'enseignement, de le diriger dans ses propres établissements, de le surveiller partout ; il n'a pas le droit de l'imposer arbitrairement et exclusivement aux familles sans leur consentement et peut-être contre leur vœu. »
Et lorsque M. Guizot, longtemps après, écrivit ses mémoires, il eut soin d'ajouter à cette citation :
« Je ne changerai rien, aujourd'hui, au langage que je tenais en 1816. »
Mais si ce témoignage de M. Guizot peut être suspect, pour quelques-uns de vous, messieurs, j'en invoquerai un autre, c'est celui que je. demanderai à un membre de l'Institut de France, qui siège parmi les partisans les plus avancés des idées libérales, à M. Laboulaye.
Voici ce que dit, à ce. sujet, M. Laboulaye :
« Pourquoi la liberté de l'enseignement est-elle juste et nécessaire ? C'est que notre âme n'appartient qu'à nous. Le citoyen doit à l'Etat l'obéissance civile jusqu'au sacrifice de sa conscience et de sa raison... S'emparer des générations nouvelles pour façonner leur esprit au gré de la mode, ou des passions du jour, c'est violer la loi des intelligences, qui est la diversité ; c'est arrêter court le progrès et donner un démenti à Dieu même.
« C'est de plus un abominable despotisme. Il y a dans toute la vie humaine une part qui ne concerne que l'individu, un élément dont il dispose à ses risques et périls ; cet élément, c'est la pensée. Confisquer cette, liberté, qui fait la grandeur de l'homme, c'est le dépouiller du premier et du plus saint de ses droits.
« L'Etat peut offrir l'enseignement, il n'a pas le droit de l'imposer....
« Quand il serait prouvé que l'Etat ou la commune a raison d'offrir gratuitement à tous ses membres un enseignement richement doté, il n’en resterait pas moins vrai que chacun est libre d'instruire ses enfants ou de s'instruire soi-même comme il l'entend.
« L'utilité de l'éducation, l'intérêt même de la société, ne peuvent l'emporter sur le droit du père de famille et de l'individu. »
Laissons donc la jeunesse respirer le grand air de la liberté. Ce n'est pas impunément qu'on l'étiolerait sous la contrainte ; vous auriez des générations plus instruites peut-être, mais qui à coup sûr n'auraient puisé dans l'instruction, ni les sentiments élevés, ni les inspirations généreuses.
Je termine, messieurs, par une dernière considération. La question de l’enseignement obligatoire peut être envisagée sous trois points de vue différents : le père de famille, l'enfant, la société.
Le père de famille, qui donne la vie physique à l'enfant, est aussi tenu de lui donner la vie intellectuelle et morale. C'est là sa responsabilité, c'est là son devoir. Trop souvent, aujourd'hui,, le père de famille se dégrade ; il ne faut rien faire qui puisse affaiblir, chez lui, le sentiment de sa responsabilité et de son devoir.
L'enfant, lui aussi, messieurs, met trop vite de côté les liens qui l'attachent à la famille ; trop vite, il abdique les sentiments d'obéissance et de respect. N'apprenez pas à l'enfant qu'il est une autorité qui peut se substituer à celle du père de famille.
La société aurait la première à souffrir de tout ce que vous enlèveriez à la responsabilité du père de famille et au respect de l'enfant. Dans l'intérêt même de la société, il faut présenter l'instruction comme un bienfait que l'on recherche, mais jamais comme une obligation que. l'on subit.
Quant à moi, messieurs, je crois que la liberté est seule, féconde, en ce qui touche le développement de l'intelligence ; je la veux au sein de la société, pour les hommes qui la composent aujourd'hui ; je la veux aussi au seuil de la société, pour les enfants qui seront les hommes qui la composeront demain.
M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Messieurs, je jouis d'un singulier et rare privilège.
Si je démontre au ministre des finances que les charges de la nation belge ont presque doublé depuis vingt-cinq ans, il me répond : Roman.
Si je prouve que les faits que j'ai énoncés sont exacts et que les dépenses sont inutiles, on me dit : Drame, et la réponse est complète.
Si, abordant le budget de l'intérieur, je démontre, par la citation successive de tous les articles, que la dépense pour tout a progressé, l'honorable ministre de l'intérieur répond que mes vues sont originales.
Je dois cependant faire remarquer à M. le ministre que toute idée commence par être originale, et je serai très heureux un jour si l'originalité de mes idées peut nous conduire au but que nous poursuivons par la diminution des dépenses depuis que nous sommes assis sur ces bancs.
L'honorable ministre prétend que je n'ai pas laissé un seul article de son budget sans le critiquer ; je ne suis, dit-il, content de rien. Je prierai l'honorable ministre de bien méditer ses réponses, car je pourrais, si je voulais employer le langage classique, qu'il affectionne tout particulièrement dire habemus reum confitentem.
En effet, si la simple constatation des faits est une critique, il n'y en a pas, me semble-t-il, de meilleure à faire, car elle est irréfutable. Mais, dit l'honorable ministre, vous êtes un singulier ami de l'industrie. Comment ! le gouvernement a dépensé, en 25 ans, 23 millions de francs en faveur de l'agriculture et vous conseillez à celle-ci de refuser même cette faible allocation ! Heureusement pour moi, un peu plus loin dans son discours, l'honorable ministre a fait lui-même la réponse la plus juste à sa critique ; et je ne saurais mieux faire, pour lui répondre, que de répéter ses propres paroles. Il nous a fait la comparaison d'un docteur prescrivant à ses malades des fioles d'eau rougie.
Eh bien, ai-je dit autre chose à l'agriculture ? Vous avez un docteur, l'Etat, qui vous a prescrit, depuis vingt-cinq ans, pour 23 millions de fioles d'eau rougie.
M. Bouvierµ. - Si elles sont bonnes !
M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Peut-être si vous vous les étiez procurées vous-même chez de bons fournisseurs, ne vous auraient-elles pas coûté plus de 7 à 8 millions. Mais quand, après l'apothicaire, le docteur Etat vous a présenté sa note, c'est 23 cents millions qu'il vous a demandés pour lui. Voilà pourquoi j'ai trouvé que l'agriculture a raison de se plaindre, et je voudrais qu'en refusant les remèdes, elle pût aussi refuser en grande partie la note du docteur.
Répondant à mes observations relatives à l'instruction publique, l'honorable ministre a trouvé très impertinent de ma part que j'eusse dit que nous payions le gouvernement assez cher pour que je me crusse en droit d'espérer qu'il pourrait me renseigner sur certains faits.
Je crois n'avoir commis aucune impertinence en m'exprimant ainsi. Je n'ai même commis aucune indiscrétion en constatant que le gouvernement nous coûte pas mal d'argent, et je dois dire que la déclaration de M. le ministre qu'il ne pouvait pas me répondre ne m'a nullement satisfait. Puisque le gouvernement qui, je le répète, ne nous coûte pas mal de millions, ne peut pas trouver la réponse à ma question, je me fais fort de la trouver moi-même, et je garantis que d'ici au prochain budget, je saurai combien il nous manque de bâtiments d'école, et combien de communes sont sans instituteurs.
Et je n'aurai pas besoin, pour cela, de demander le moindre million à l'Etat.
(page 271) Je félicite l'honorable ministre de l'espoir qu'il nous a donné de voir bientôt couronnées de succès les négociations entamées avec certaines localités pour l'organisation de nouvelles écoles normales. J'espère que s'il y a quelque difficulté à vaincre, il nous en fera part et que si nous pouvons l'aider à les surmonter, il nous permettra devenir à son aide. Souvent la publicité dans ces questions est un remède très efficace et très énergique.
A la courte réponse que m'a faite l'honorable ministre, je ne crois pas devoir faire une réplique plus longue.
Mais je ne puis me rasseoir sans dire un mot sur la question qui a été soulevée, dans une séance précédente, par l'honorable M. Funck et sur laquelle l'honorable ministre de l'intérieur a aussi exprimé hier son opinion.
Je dois lui dire que je partage complètement son avis sur l'impuissance radicale de l'Etat à soulager les misères qui accablent les classes les plus nombreuses de la société ; mais autant il a dû être, je ne dirai pas parlementaire, mais plus ou moins diplomate dans sa réponse, autant je demanderai à la Chambre la permission de dire franchement et sérieusement ma pensée et d'essayer en quelques mots d'en prouver la réalité.
L'Etat est incapable, radicalement incapable de soulager les misères des masses par son intervention, a quelque degré que ce puisse être, dans aucune des branches de l'activité humaine. Je pense que c'est bien là la théorie à laquelle l'honorable ministre s'est rallié dans la séance d'hier. Mais serons-nous encore d'accord lorsque je dirai les causes qui exigent, ou plutôt semblent exiger l'intervention de la société dans les conditions économiques des classes laborieuses ? Ne voyez-vous pas qu'en enlevant au travail la partie la plus jeune et la plus virile des populations et en l'envoyant aux camps ou dans les casernes, il faut bien que les femmes, les jeunes filles et les enfants travaillent ?
Il faut bien que femmes et filles descendent dans les mines quand vous envoyez les hommes au régiment. Et, messieurs, dans cette situation, qui payera l'impôt, qui nourrira la famille si les femmes et les enfants ne travaillent pas ? Quoi ! vous enlevez au travail la partie la plus forte des populations, vous la condamnez à l'inaction, vous obligez l'autre partie à la nourrir, à la vêtir, à la loger et vous voudriez en même temps que le nombre des autres travailleurs diminue, et vous ne voyez pas, au contraire, qu'il faut bien, pour soutenir cet état de choses, que l'on demande jusqu'aux enfants a fournir leur part du travail. Que l'on aille encore un peu plus loin dans cette voie, et l'enfant au sortir du berceau sera obligé de travailler s'il veut vivre.
Je n'ai fait, messieurs, depuis que je suis assis sur ces bancs qu'essayer de vous démontrer le danger, pour la société, de l'Etat exigeant des populations, des sacrifices chaque jour plus grands, plus nombreux, et vous vous étonnez que ces populations finissent par succomber en quelque sorte a la tâche et qu'elles soient obligées, pour vivre et pour payer les charges publiques, de s'excéder de travail, et d'appeler à leur aide jusqu'aux femmes et aux enfants !
Messieurs, la cause du mal étant connue, le remède est facile, à trouver ; c'est ce remède que je n'ai cessé de vous indiquer depuis que je suis sur ces bancs, et j'espère que l'action des faits et du temps aidant, il ne se passera plus un grand nombre d'années avant que la Chambre m'ait donné complètement raison sur ce point.
M. de Maere. - La Chambre comprendra qu'il me serait impossible de répondre, en ce moment, d'une façon complète au discours de l'honorable M. Kervyn. Il a mis près de deux jours à examiner les chiffres que j'ai produits, il me donnera bien un jour pour examiner les siens.
Je puis cependant déclarer que je ne rétracte rien, absolument rien, de ce que j'ai avancé dans mon discours.
Dès maintenant je suis parfaitement à même, sinon de vérifier les chiffres de M. Kervyn, au moins de justifier les miens. C'est ce que je vais faire.
En examinant la criminalité, j'ai constaté que, de 1850 à 1860, il y avait eu, pour le groupe flamand, 493 condamnations a mort contre 168 condamnations de même nature pour le groupe wallon.
Voici sur quels éléments je me suis basé :
J'ai trouvé dans le dernier Exposé décennal du royaume, tome II, pages 138 à 145, un grand tableau duquel j'ai extrait ce qui suit :
Condamnations à mort de 1831 à 1860 :
Province de Flandre orientale 203, de Liège 36, de Flandre occidentale 206, de Luxembourg 29, d’Anvers 68, de Hainaut 78, de Limbourg 16, de Namur 25.
Ce qui fait bien un total de condamnations à mort pour ces 50 années, de 493 pour le groupe flamand et de 168 pour le groupe wallon ; il n'y a pas d'erreur dans l'addition, je pense.
J'ai continué à dire que si l'on examinait de plus près ces chiffres et si on les décomposait, on aurait trouvé que pour certains d'entre eux, ceux qui se rapportent aux crimes les plus odieux et supposent un état moral plus dépravé, les assassinats et les incendies, on aurait trouvé un résultat plus concluant encore. Les assassins condamnés à mort, ai-je dit, sont trois fois plus nombreux dans le groupe flamand que dans le groupe wallon.
Je le prouve : vous trouverez dans le même tableau qu'il y a eu :
Dans la province d'Anvers 33 incendiaires, de Hainaut 12, de Flandre orientale 55, de Liège 7, de Flandre occidentale 51, de Luxembourg 8, de Limbourg 1, de Namur 8.
Ce qui fait encore un total pour le groupe flamand de 106 incendiaires condamnés à mort contre 35 dans le groupe wallon, et ce qui constitue bien, ainsi que je l'ai dit, l'écart approximatif de 4 à 1.
Donc, il y a bien eu dans le groupe flamand, et on ne peut le contester, quatre fois plus d'incendiaires condamnés à mort que dans le groupe wallon.
Quant aux assassinats, on trouve que la province d'Anvers en a donné 48 dans cette période contre 21 dans le Hainaut, la Flandre orientale 48 contre 11 dans la province de Liège ; la Flandre occidentale 37 contre 9 dans le Luxembourg, et enfin le Limbourg 3 contre 4 dans la province de Namur. Ce qui constitue deux totaux, l'un de 136 pour le groupe flamand, l'autre de 45 pour le groupe wallon, c'est-à-dire, une proportion de 3 pour 1.
Ensuite, j'ai dit que si l'on considérait ce qui s'était passé dans les deux Flandres seules, on trouvait ce résultat déplorable que ces deux provinces ont produit, durant 30 années, de 1831 jusqu'à 1860, six fois plus d'incendiaires condamnés à mort que le Hainaut ou Liège, et je maintiens ces chiffres.
Tout cela, ai-je ajouté, s'est produit sans interruption aucune, depuis 1830, sans que les choses même tendent à s'améliorer. Elles s'aggravent au contraire. Dans la Flandre occidentale, la grande criminalité a doublé depuis 1832. Elle était, à cette époque, cela est constaté à la page 114 de l'Exposé décennal, de 1 accusé pour crime capital sur 107,000 habitants. Elle est aujourd'hui (en 1860) de 1 sur 63,000. Durant la période quinquennale de 1856 à 1800, il y a eu, dans le groupe flamand, 1 accusé traduit devant les assises sur 35,000 habitants, dans le groupe wallon 1 sur 80,000. Dans les deux Flandres, ce rapport est de 1 sur 20,000 ; dans la Flandre occidentale seule, de 1 sur 15,000, ce qui veut dire que pour un même nombre d'habitants, le groupe flamand fournit aux cours d'assises deux fois plus d'accusés que le groupe wallon ; et que si l'on compare les deux Flandres aux deux provinces de Hainaut et de Liège, on trouve que la Flandre orientale donne près de quatre fois, et la Flandre occidentale près de six fois plus d'accusés en cour d'assises que le Hainaut ou la province de Liège.
Tous ces renseignements, messieurs, se trouvent consignés, je le répète, au même tome II de l'Exposé décennal du royaume, page 153 ; et puisqu'on m'y force, en voici le détail :
La Flandre, orientale, a, eu un accusé traduit devant la cour d'assises sur une population de 24,368 habitants ; la Flandre, occidentale, un sur 15,737 ; soit pour les deux Flandres, la moyenne, un sur 20,000 ; la province d'Anvers, un sur 38,737 ; le Limbourg, un sur 60,363 ; la province de Liège, un sur 85,047 ; le Luxembourg, un sur 65,618 ; le Hainaut, un sur 83,047 et la province de Namur, un sur 80,856. Ce qui fait la moyenne, que j'ai indiquée comme vraie, d'un accusé en cour d'assises sur 35,000 dans le groupe flamand et d'un sur 80,000 dans le groupe wallon.
Ce sont ces chiffres que l'honorable M. Kervyn conteste.
M. Bouvierµ. - Ils sont tristement éloquents.
M. de Maere. - J'ai laissé le Brabant de côté, parce qu'il a une population mi-flamande, mi-wallonne et surtout parce que, à cause de Bruxelles, qui est la capitale du pays, il se trouve dans une position anomale.
Je maintiens de même, tous les autres chiffres que j'ai cités, et si la Chambre veut bien m'accorder quelques instants d'attention mardi prochain, je n'aurai pas de peine à réfuter ceux de l'honorable M. Kervyn, car les statistiques gouvernementales doivent être unes et il est impossible que l'on en tire des conclusions diamétralement opposées.
(page 272) Je ne réfracte donc rien de tout ce que j'ai avancé et je tiens debout mon discours, chiffres et déductions, tel que je l'ai prononcé dans la séance d'avant-hier.
M. Kervyn de Lettenhove. - Messieurs, en ce qui touche la statistique criminelle, j'ai fait usage des renseignements qui ont été communiqués par le département de la justice à M. Quetelet, directeur de l'Observatoire et qui sont consignés dans l'Annuaire de 1868, dont la publication a eu lieu ces jours derniers.
Comme j'ai déjà eu l'honneur de le dire, il présente le tableau de la criminalité pour 1867. Je suppose, que ce sont les renseignements les plus récents, dont dispose le département de la justice. Si la Chambre veut bien le permettre, je les insérerai en note dans les Annales parlementaires. Ce tableau compare la criminalité pour toutes les provinces en 1867. (Ce tableau, inséré en note de bas de page, n’est pas repris dans la présente version numérisée)
M. de Haerneµ. - Messieurs, les paroles que vient de prononcer notre honorable collègue me rappellent une circonstance qui me semble devoir jeter un certain jour sur la question qui a été soulevée par l'honorable M. de Maere, et qui a fait, je dois le dire, sur moi comme, sur la plupart de nos collègues des Flandres, une pénible impression.
Il est évident, messieurs, et cela résulte clairement du discours de l'honorable M. Kervyn, qu'il y a un progrès remarquable dans les Flandres. Or, c'est ce progrès qu'il fallait constater ; et c'est ce progrès que l'on a perdu de vue. La véritable question est là, car ce. progrès répond aux efforts qui ont été faits en faveur de. l'instruction, de la civilisation, de la diminution de la criminalité, non seulement par le gouvernement, auquel, sous ce rapport, je me plais à rendre ici un solennel hommage, mais, j'ose le dire, par toutes les classes de la société.
Et, messieurs, cette même idée du progrès me rappelle d'autres souvenirs que je crois pouvoir évoquer devant la Chambre et qui, comme je le disais tout à l'heure, jettent un certain jour sur la question. Je veux parler, messieurs, d'un point de. vue qui a été complètement négligé par l'honorable M. de Maere et qui cependant domine toute la situation des Flandres. C'est la longue, l'immense, la profonde crise qui a pesé sur ces provinces pendant tant d'années, à partir précisément de 1835.
Or, vous comprenez dans vos statistiques toute cette pénible période ou il a fallu recourir à des moyens de toute espèce pour sauver les populations flamandes de la misère et de la mort. Que s'en est-il suivi, messieurs ? Une immense expatriation vers la France, expatriation que nous avons souvent déplorée dans cette Chambre, que nous avons considérée comme très fâcheuse, non seulement au point de vue politique et industriel, mais encore au point de. vue de l'instruction et surtout de la moralité.
Car, messieurs, nos ouvriers qui vont en France pour y trouver un salaire tant soit peu plus élevé que celui qu'ils reçoivent ici, croupissent là-bas dans la plus profonde ignorance, faute d'écoles où l'instruction se donne dans leur langue, faute d'un enseignement qu'ils ne trouvent parfois qu'à l'église lorsque par hasard ils ont le bonheur d'y rencontrer un prêtre flamand, comme à Paris, où il n'y en a qu'un ou deux pour 50,000 individus.
Voilà, messieurs, quelle a été la situation des Flandres, quant aux conséquences de la crise que vous connaissez, et la situation n'est pas encore devenue tout à fait normale.
Non, l'équilibre n'est pas encore rétabli ; l'émigration vers la France est encore considérable, et il en résulte une autre conséquence bien plus fâcheuse encore et qui donne le secret de l'ignorance et surtout de l'immoralité et de la misère qui, jusqu'à un certain point, je l'admets, existent dans les Flandres, mais pas, au point que l'honorable M. de Maere vous l’a fait voir.
M. de Maere. - Pas moi, la statistique.
M. de Haerneµ. - Mais vous n'avez pas tenu compte du progrès ; voilà votre grande erreur. Je dis que la situation actuelle n'est plus celle d’autrefois ; quoique le mal n'ait pas entièrement cessé, il tend à disparaître.
Eh bien, messieurs, l'émigration continue et s'élève encore tous les ans environ à 2,000 individus pour un millier environ qui rentrent dans le pays. Et quels sont ceux qui nous reviennent ? Des malades, des infirmes, parce que, en France, ils n'ont pas de domicile de secours.
Voilà la population ignare, démoralisée qui nous revient, qui donne lieu à ces accusations, à ces crimes qui ont été portés devant les tribunaux, et qui sont signalés ici à la Chambre. Il est fort difficile de moraliser et surtout d'instruire ceux qui rentrent en Belgique dans les conditions dont je viens de parler.
Voilà la véritable source de ce mal ; et si l'on en veut avoir une preuve plus forte, il suffit de comparer les provinces les unes aux autres ; vous verrez, messieurs, par cette comparaison, que la vérité de tout ce que je viens d'avancer sautera aux yeux.
M. de Maere disait que la Flandre occidentale est dans une position plus pénible, que la Flandre orientale ; c'est parfaitement vrai. Oui, les faits que je viens d'indiquer se produisent surtout dans la Flandre occidentale, parce que cette province touche par toute sa frontière du midi à la France, ce qui facilite l'émigration, et dès lors le mal s'explique ; cela devient rationnel, logique.
Messieurs, on a fait, il y a des années, des reproches semblables à la population irlandaise. Les Anglais faisaient passer les Irlandais pour des crétins, et il y avait là-dessous une intention que l'on ne pouvait se dissimuler ; c'était la politique protestante qui cherchait à dénigrer les Irlandais, dont elle comprimait le génie et l'esprit national. Sans doute, les Irlandais étaient dans une extrême misère ; il y avait parmi eux une grande ignorance ; il y avait aussi de l'immoralité, de la criminalité.
Comment les Irlandais ont-ils répondu à ce reproche ? Par l'expatriation, par l'exode, comme ils l'appellent, et un million et demi d'Irlandais sont allés prouver, au delà de l'Atlantique, qu'ils n'étaient pas une nation dégénérée.
Les Flamands qui vont en France nous donnent par le fait une réponse semblable. Interrogez les Français compétents, et ils vous diront que les Flamands sont les meilleurs ouvriers. J'ai posé la question aujourd'hui même à des industriels français, à des hommes qui sont attachés à des fabriques importantes du département du Nord. lis m'ont dit que les Flamands sont de bons travailleurs, qu'ils sont les plus accommodants en matière de salaire, les moins exigeants envers les maîtres ; ces Français m'ont assuré que les ouvriers flamands sont signalés comme faisant moins craindre les grèves que. les ouvriers français. Cependant ils restent forcément sans instruction ; de là les fâcheuses conséquences, que je suis le premier à reconnaître. Encore une fois, il n'y a pas d'écoles flamandes en France, bien qu'on ait érigé une chaire néerlandaise à la Sorbonne.
Voilà, messieurs, les attestations qui m'ont été faites aujourd'hui par une rencontre que j'ai eue avec des amis du département du Nord.
Il ne faut donc pas s'étonner de ce qui arrive, car il y a en France une population flamande qui dépasse celle de plusieurs de nos provinces. Il y a environ 250 mille Flamands en France ; il y en a 50 mille à Paris ; il y en a 180 mille dans le département du Nord et un bon nombre dans d'autres départements. Il y a deux de nos provinces qui, prises chacune à part, n'atteignent pas ce chiffre.
Messieurs, voilà des considérations de la crise flamande, que vous ne devez pas perdre de vue.
Je vous l'assure, je n'entends pas accuser les intentions ; je me. borne à discuter ici les opinions qu'on a émises et que je regarde comme erronées. Je n'en veux aucunement à l'honorable membre qui, en les produisant, a parlé, d'une manière consciencieuse, j'en suis convaincu ; il a voulu remédier au mal, mais qu'il me permette de le lui dire, je crois qu'il a touché une question fort délicate, et qu'il aurait mieux fait, avant de parler dans ce sens, d'interroger les faits, de tenir compte non seulement des statistiques, mais aussi des questions sociales les plus compliquées, qui touchent à l'industrie, à l'agriculture, à l'instruction publique, à la moralité, à la religion.
Il aurait dû examiner la situation des Flandres à tous les points de vue, sous le rapport du progrès surtout. Et je crois que s'il avait étudié la question à ces divers points de vue, il serait arrivé à d'autres déductions et n'aurait pas été si absolu, si malheureusement affirmatif, dans les idées qu'il a émises ; car, je dois le dire, il a abouti à ses conclusions que je dois regarder comme fâcheuses, comme injustes, et comme devant produire une mauvaise impression dans le pays et surtout parmi les populations flamandes.
M. Kervyn de Lettenhove. - Messieurs, je reçois à l'instant même l'Annuaire dont j'ai parlé tout à l'heure ; et sans mettre tous les chiffres sous les yeux de la Chambre, il me semble qu'il suffira d'en extraire deux ou trois pour répondre d'avance à l'argumentation de (page 273) l'honorable M. de Maere. Ces chiffres me paraissent irrécusables. Je comparerai nos Flandres au Hainaut. En 1867, il y a eu dans le Hainaut, en ce qui touche les crimes contre les propriétés, 46 accusés ; il y en a eu 14 seulement dans chacune de nos provinces.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il ne faut pas calculer sur une seule année.
M. Kervyn de Lettenhove. - Je m'occupe de la situation actuelle des choses.
Pour ce qui a rapport aux condamnations relatives aux délits commis contre les propriétés, il y en a 32 dans le Hainaut et 13 seulement dans chacune des Flandres.
M. Lebeau. - Ce sont probablement, des Flamands qui se sont rendus coupables des crimes commis dans le Hainaut.
M. Kervyn de Lettenhove. - Des Flamands naturalisés habitants du Hainaut.
Ainsi, messieurs, la différence est dans une proportion très notable. : en ce qui touche les accusés, 46 à 14 ; en ce qui touche les condamnés, 32 à 13, toujours pour les délits commis contre les propriétés.
M. de Maere. - Une seule observation.
L'honorable M. Kervyn, dans les éléments qu'il fournit à la Chambre, ne parle que d'une seule année. Mais, évidemment, une statistique, pour avoir un peu de valeur, doit s'étendre sur un nombre d'années plus ou moins considérable.
Je suis constamment resté, pour les faits que j'ai énoncés dans la période qui commence avec notre émancipation nationale et qui s'étend, dès lors, de 1830 à 1865 ; cette dernière année était celle avec laquelle les statistiques officielles finissent.
Je suis donc certainement plus dans le vrai que M. Kervyn de Lettenhove,
M. Kervyn de Lettenhove. - Lorsqu'on a recours à la statistique, il faut, selon moi, prendre pour base une époque normale.
Or évidemment, cette, longue suite de calamités dont parlait tout à l'heure l'honorable, chanoine de Haerne, ne constituait pas la période normale. En 1867, nous nous y trouvions rentrés, et c'est précisément par ce motif que j'ai emprunté mes chiffres à la statistique de cette année. Ce sont les chiffres de la situation présente.
- Des voix. A mardi !
- La séance est levée à 3 1/2 heures.