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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 15 janvier 1869

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1868-1869)

(Présidence de M. Dolezµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 255) M. Van Humbeeck, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 1/4 heures.

M. Dethuin, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Van Humbeeck présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Des habitants de Cherscamp se plaignent qu'on ne mette pas à la disposition de l'instituteur le nouveau bâtiment d'école construit dans cette commune. »

M. de Naeyerµ. - Je prierai la Chambre de. vouloir inviter la commission des pétitions à faire un prompt rapport sur cette pétition. Il est signalé des faits très extraordinaires.

- Cette proposition est adoptée.


« Des habitants de l'arrondissement de. Verviers demandent qu'il soit pris des mesures pour empêcher les membres des corporations religieuses expulsés d'Espagne de jouir en Belgique des droits d'association et de réunion qui sont garantis aux Belges. »

- Même renvoi.


« Les conseils communaux de Stockheim, Lanklaer et Dilsen demandent qu'on soumette à un nouvel examen la question du chemin de fer de Maeseyck. »

- Même renvoi.


« Les membres du conseil communal de Grand-Rieu demandent la prompte et complète exécution du chemin de fer de Frameries à Chimai, avec embranchement de Beaumont à Thuin. »

« Même demande des membres du conseil communal de Lompret, Solre-Saint-Gery, Seloignes, Sars-la-Buissière, Barbençon, Rièzes, Vaulx. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur des pétitions analogues.


« Les sieurs Putte, Clermont et autres membres du cercle Liégeois de la Ligue de l'enseignement demandent une loi réglant le travail des enfants dans les manufactures. »

« Même demande, des sieurs Havret, Brasseur et autres membres de la Ligue de l'enseignement à Verviers. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur des pétitions analogues.


« MM. Thienpont et Vleminckx demandent un congé. »

- Accordé.

Prompts rapports de pétitions

M. Bouvier, rapporteurµ. - Par pétition datée du 9 décembre 1868, les membres du conseil communal de Bailièvre demandent la prompte et complète exécution du chemin de fer de Frameries à Chimai, avec embranchement de Beaumont vers Thuin.

Même demande des membres du conseil communal de Rance, Merbes-le-Château, Leers-Fosteau, Montignies-Saint-Christophe, Grand-Reng, Renlies, Faurœulx, Virelles, Froidchappelle, Boussu-lez-Walcourt et d'habitants de Montignies-Saint-Christophe.

Les pétitionnaires font ressortir dans leur demande que la concession du chemin de fer de Frameries à Chimai avec embranchement de Beaumont vers Thuin a été accordée en vertu de la loi du 12 avril 1862 ; que cette concession se trouve entre les mains d'une des plus puissantes compagnies de notre pays, la compagnie des Bassins Houillers du Hainaut ; que, d'après le cahier des charges, les travaux de construction de la ligne devaient être terminés et le chemin livré à l'exploitation depuis plus de six mois ; que de toute cette ligne, une seule section, celle de Frameries à Bonne-Espérance, a été construite. Les pétitionnaires déclarent que, malgré leurs pressantes démarches auprès du gouvernement, ils n'ont pu triompher des lenteurs de la compagnie. Ils ajoutent que le moment est venu, et votre commission est de cet avis, de mettre fin à des retards que rien ne justifie et d'assurer l'exécution d'une loi que vous avez votée et le respect d'un engagement pris par la compagnie concessionnaire. En conséquence, votre commission a l'honneur de vous proposer le renvoi de la pétition, dont nous venons de faire l'analyse, à M. le ministre des travaux publics, avec demande d'explications.

M. Hagemansµ. - Messieurs, j'appuierai énergiquement les conclusions de l'honorable rapporteur.

Des explications sont en effet devenues indispensables.

Déjà, l'année dernière, lors de la discussion du budget des travaux publics, j'avais attiré l'attention de l'honorable ministre sur la nécessité d'activer les travaux de la ligne concédée de Frameries à Chimai. M. le ministre m'avait alors donné une réponse favorable, et j'avais eu grand espoir.

Un an s'est écoulé depuis, messieurs, et malheureusement, il y a eu bien peu de chose de fait, c'est à peine si quelques plans viennent d'être approuvés. M. le ministre des travaux publics sait le mécontentement qui existe dans nos cantons lésés ; chaque jour ce mécontentement grandit, et à juste titre ; ce mécontentement va trop loin, il est vrai, il va jusqu'à regarder les députés de l'arrondissement et le gouvernement lui-même comme complices des regrettables lenteurs de la compagnie concessionnaire. Tout cela ne serait pas arrivé si le gouvernement avait, dès le principe, montré plus d'énergie.

Je conçois que. la compagnie concessionnaire, la compagnie des Bassins Houillers ait préféré s'occuper des lignes immédiatement lucratives ; mais je n'admets pas que le département des travaux publics ait dû, malgré nos incessantes réclamations, lui accorder tant de facilités, au lieu d'exiger l'exécution rigoureuse de la loi.

M. le ministre, qui a reçu dernièrement une députation des cantons intéressés, sait combien la situation est tendue, combien les esprits sont excités, combien ils ont besoin d'être rassurés, et j'espère qu'il pourra les rassurer en effet.

M. le président. - La commission propose le renvoi à M. le ministre des travaux publics, avec demande d'explications.

MtpJµ. - Je ne m'oppose pas aux conclusions de la commission.

Les explications qu'elle désire seront données à la Chambre, lors de la discussion prochaine de mon budget.

Je dois seulement faire une observation, quant aux dernières paroles de l'honorable M. Hagemans.

Il me demande l'exécution rigoureuse de la loi ; je voudrais qu'il me donnât l'explication de ces paroles.

Veut-il que je prononce, la déchéance de la compagnie ? Ce serait rendre, à mon sens, le plus mauvais service à l'arrondissement représenté par l'honorable membre.

M. Hagemansµ. - Je n'exige pas maintenant cette mesure, mais je ne dis pas que je ne puisse être amené à cette extrémité et que je ne sois obligé de demander, de provoquer, un jour, cette déchéance.

- Les conclusions du rapport sont adoptées.

Rapport sur des demandes en naturalisation

M. Mouton. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport sur un projet de loi relatif à des demandes en naturalisation.

- Ce rapport sera imprimé, distribué et l'objet qu'il concerne mis à la suite, de l'ordre du jour.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur de l’exercice 1869

Discussion générale

MiPµ. - Messieurs, je dois naturellement débuter, dans les réponses que j'ai à faire aux différents orateurs qui ont pris la parole, en répondant à M. Le Hardy de Beaulieu, qui a fait le discours le plus général et le plus spécial tout à la fois qui ait jamais été prononcé dans la discussion du budget de l'intérieur.

L'honorable membre a commencé au traitement du ministre pour finir aux dépenses imprévues, sans faire grâce à la Chambre d'un seul des articles, d'un seul des alinéas dont se compose le budget. Il a été - totus in toto, et tolus in quolibet parte - comme une hypothèque.

Si je voulais répondre complètement à l'honorable membre, je devrais me livrer au même exercice et parcourir successivement tous les articles du budget.

Mais si l'honorable M. Le Hardy est parvenu à ne soulever aucun murmure de la part de ceux qui l'ont écouté, grâce à l'originalité de ses vues et à l'imprévu de ses considérations, je ne sais pas si je serais aussi heureux que lui.

(page 256) Je préfère donc me borner à quelques considérations générales en touchant seulement aux points principaux de son discours.

Tous les articles de dépenses ont donné lieu à certaines critiques de la part de l'honorable membre ; les uns parce qu'ils sont trop élevés, les autres parce qu'ils sont trop bas. Je n'en connais pas dont il ait trouvé le chiffre justifié.

Si M. Le Hardy voulait être pratique, il ne procéderait pas ainsi ; il proposerait, au moins, certaines modifications aux articles qu'il croit susceptibles d'en éprouver ; on saurait ce qu'il veut, et l'on aurait quelque base de discussion sérieuse.

La plupart de ses critiques portent sur l'élévation des chiffres : c'est là le fondement de sa théorie : les chiffres sont trop élevés.

Or, j'ai proposé de réduire les dépenses d'une des institutions qui figurent au budget de l'intérieur : le musée de l'industrie.

Par une inexplicable fatalité, il se trouve que la dépense que je voulais réduire est précisément celle que M. Le Hardy voulait maintenir.

Il faut avouer que c'est avoir du malheur et qu'il est difficile d'avoir moins de chance que je n'en ai eu dans cette occasion.

L'honorable membre a, du reste, une façon toute particulière d'examiner les chiffres.

Ainsi, il s'étonne que la garde civique ne coûte à l'Etat que 26,000 fr. par an, et il compare ce chiffre à celui que nous coûte chaque année l'armée.

Mais dans ses comparaisons, il perd de vue une quantité de choses ; d'abord, il oublie que l'Etat doit nourrir et habiller l'armée, tandis qu'il il ne doit ni nourrir ni habiller la garde civique ; il oublie également que le service de la garde civique est un service gratuit ; ce sont là des détails dont il n'a pas tenu compte. Il oublie, de plus que les munitions de l'armée sont fournies par le budget de la guerre et que les dépenses de la garde civique sont, de par la loi, mises à la charge des communes.

Tout le système de l'honorable membre repose sur cette idée fondamentale, qu'il a déjà développée lors du budget des voies et moyens, que l'impôt doit retourner à ceux qui le payent.

Telle catégorie de citoyens paye tel impôt ; combien doit-elle recevoir ?

Si elle reçoit plus qu'elle ne paye, la spéculation est excellente ; si elle reçoit moins, elle est mauvaise. Voilà, selon lui, toute la question, et voici comment il applique son système :

En ce qui concerne, l'agriculture, il nous dit : Depuis 1840, l'agriculture a reçu pour les chemins vicinaux, pour l'hygiène et autres matières qui figurent au budget de l'agriculture, 39 millions de francs. Combien a-t-elle payé ? Deux milliards et demi. En sorte que l'agriculture, pour 100 qu'elle a payé, a reçu 1,40 p. c ; donc elle a perdu 98,00 p. c.

Il faut avouer que, si ce raisonnement était exact, la situation serait réellement déplorable. Mais en réalité tout dépend de la manière de poser les chiffres. L'honorable M. Le Hardy de Beaulieu paraît croire que l'agriculture ne reçoit que. ce que lui alloue l'Etat pour les chemins vicinaux, pour les sociétés d'agriculture et pour l'amélioration des races d'animaux domestiques.

Il perd de vue que les agriculteurs, comme tous les autres citoyens, ont besoin d'être défendus par l'armée, de voir leurs propriétés garanties par la justice et par la police. Il oublie qu'il existe une administration nécessaire pour l'agriculture ; il oublie enfin qu'il y a des grands pouvoirs de l'Etat, qu'il y a la Royauté et les Chambres législatives, et il doit cependant bien savoir que les agriculteurs de l'arrondissement de Nivelles ont quelque chose à payer pour se faire représenter par l'honorable membre.

Mais, fait plus extraordinaire encore, l'honorable M. Le Hardy, qui trouve que les agriculteurs font aujourd'hui une si mauvaise spéculation, propose de supprimer le budget de l'agriculture, qu'il trouve complètement inutile. Mais si cette réforme était admise, au lieu de retirer 1.40 p. c, les agriculteurs ne retireraient plus même 1 p. c. La spéculation serait donc pour eux encore beaucoup plus mauvaise.

Il est cependant une dépense que l'honorable membre trouve exceptionnellement trop peu élevée ; c'est celle de l'enseignement primaire, dépense qui, vraisemblablement, profite un peu à l'agriculture, quoiqu'il n'en ait dit mot.

Eh bien, je suis heureux de pouvoir lui annoncer que lorsque nous arriverons au chapitre de l'instruction primaire, je proposerai là une augmentation d'environ 300,000 fr.

M. Le Hardy m'a demandé quelques renseignements.

Le premier est celui-ci : Combien faudra-t-il encore dépenser pour compléter la construction des écoles nécessaires pour que nous ayons une bonne organisation de la partie matérielle de l'enseignement primaire.

L'honorable membre a insisté d'une manière toute particulière sur cette question, et il invoque, pour obtenir une réponse, une raison que je n'avais jamais encore entendu donner. « Il me semble, dit-il, que nous payons assez largement le gouvernement pour obtenir des renseignements exacts sur ce point. » Vous comprenez, messieurs, qu'en présence d'un tel argument, j'ai dû me mettre en quatre pour satisfaire à la demande, et cependant, à mon grand regret, je dois déclarer qu'il m'est impossible d'y répondre.

On a fait, en 1845, une étude des besoins de l'enseignement primaire. On a cherché à savoir combien il y aurait encore à dépenser en bâtiments d'école pour que tous les besoins fussent satisfaits. Le résultat de cette enquête a été qu'à cette époque il fallait encore 8,000,000 fr.

Or, depuis que ce calcul a été fait, nous avons dépensé quarante millions et nous sommes encore très loin d'atteindre le but.

Je pense, dès lors, qu'il est inutile de faire une nouvelle enquête. Des besoins nouveaux se manifestent chaque jour ; il est matériellement impossible de prévoir combien il faudra dépenser d'ici à deux ou trois ans dans certaine commune ; telle localité peut avoir acquis, à cette époque, un développement qui y nécessite la création d'une nouvelle école, tandis que dans telle autre commune l'école que l'on aurait supposé devoir y construire peut devenir inutile, soit par le fait de l'établissement d'une école privée, soit par la diminution de la population ou par toute autre cause imprévue.

La seule règle à suivre est de satisfaire aux besoins lorsqu'ils se manifestent.

La Chambre a voté 5 millions il y a quelques années pour construction de maisons d'école. Chaque fois qu'une commune soit volontairement, soit contrainte par l'autorité supérieure, qui surveille cette matière avec sollicitude, construit une école, on lui donne un subside convenable. Celle règle, qui est évidemment la bonne et qui vaut mieux que des prévisions fort incertaines, continuera à être suivie.

L'honorable membre a posé deux autres questions : Quand les écoles normales prescrites par la loi de 1866 pourront-elles être établies ?

Messieurs, le gouvernement est en relation avec quatre des principales villes de la Belgique pour y ériger des écoles normales et je crois être sur le point d'aboutir avec l'une d'elles. Je tâcherai de conduire les négociations de manière à mener à bonne fin le plus tôt possible cette œuvre tuile.

L'honorable M. Le Hardy de Beaulieu aurait fait des critiques stériles, s'il n'était pas remonté à la cause du mal qu'il signale, l'immense extension des dépenses publiques, extension qui doit nous conduire un jour ou l'autre (la première fois que nous aurons une mauvaise récolte), à une banqueroute complète.

Il est toujours très heureux de connaître la cause du mal. L'honorable membre a ici trouvé la cause de cette dilapidation et je l'en félicite. Félix qui potuit rerum cognoscere causas ! Cette cause, messieurs, est toute nouvelle, personne, n'avait encore pensé à la signaler à l'attention du pays. L'honorable membre a un système constitutionnel spécial, il a des idées particulières dans la grande politique comme en matière d'économie sociale.

Son principe est celui-ci : en matière de budget, le gouvernement doit demander le plus possible et la Chambre accorder le moins possible. Avec cette règle, il serait difficile de s'entendre. Aussi je n'entends pas du tout l'appliquer, pour ma part, et j'espère que la Chambre s'en abstiendra aussi.

L'honorable membre dit, en outre, que le devoir de la Chambre est de garder une attitude ferme et énergique d'opposition. Je suppose qu'on réalise ce système ; chaque fois qu'un budget est présenté, le gouvernement sera renversé ; le nouveau gouvernement qui se constituera aura le même sort, et personne ne peut comprendre quand il y aura un gouvernement possible.

Le grand défaut, selon l'honorable membre, c'est que la majorité de la Chambre appuie le gouvernement ; la section centrale et le rapporteur lui-même appuient le gouvernement. Il faudrait donc que la majorité de la Chambre fût en opposition ou, en d'autres termes, que l'on prît toujours le gouvernement dans la minorité. Il est en effet impossible que le gouvernement ait pour adversaire la majorité de la Chambre si lui-même n'est pas pris dans la minorité.

C'est une théorie nouvelle en matière de gouvernement. Elle renverse toutes les idées que l'on se fait de la représentation nationale ; elle consiste à faire gouverner le pays non par la majorité, mais par la minorité.

C'est une idée neuve et, comme il y a beaucoup de lieux communs dans ce monde, c'est toujours une bonne chose que de les éviter. L'honorable membre y réussit, et je l'en félicite. Seulement, il lui restera à faire entrer ces idées dans les esprits, qui y sont peu disposés.

Messieurs, j'ai maintenant à répondre, avant d'aborder la question la plus grave qui ait été soulevée, celle indiquée par l'honorable M. Funck, à quelques observations présentes par les honorables. MM. Bouvier, Schmitz, de Coninck et de Maere.

(page 257) L'honorable M. Bouvier a demandé pourquoi la commission d'agriculture n'était pas le produit des élections, comme la plupart des corps qui fonctionnent dans notre pays.

.Je suis heureux de rassurer l'honorable membre à cet égard. Les commissions d'agriculture sont le produit de l'élection.

L'honorable M. Bouvier nous a demandé de soumettre les commissions d'agriculture au même système que les chambres de commerce.

Je lui dirai que le système est plus électif que pour les chambres de commerce.

Voici ce que porte l'article du règlement organique en date du 30 avril 1859 :

« Le conseil supérieur de l'agriculture, institué par l'arrêté royal du 31 mars 1843, se compose :

« a. De deux délégués choisis annuellement par chacune des commissions provinciales d'agriculture ;

« b. De membres nommés par Nous en dehors de ces collèges.

« Le nombre de ces derniers ne dépassera pas la moitié de ceux qui sont délégués par les commissions provinciales d'agriculture. »

Vous voyez donc que c'est un système complètement électif et que le choix du gouvernement est restreint aux plus strictes limites.

Quant à la commission centrale d'agriculture, on sait qu'elle est le produit des commissions provinciales d'agriculture et que si le gouvernement a le droit d'y ajouter un certain nombre de membres, ce nombre ne peut dépasser celui des membres électifs.

L'honorable M. Bouvier vous a demandé, messieurs, si l'on ne pourrait pas simplifier la procédure administrative prescrite quant aux foires et marchés ?

Messieurs, j'ai l'intention de soumettre à la Chambre un projet de loi portant des simplifications en cette matière.

L'honorable membre a comparé le système français avec le nôtre et il a semblé approuver le système français ; rien de plus simple, de plus facile et de plus exempt de formalités que ce système ; il ne s'agit, comme il l'a dit, que d'un petit arrêté du préfet.

Messieurs, je n'ai aucune espèce d'intention de soumettre les foires et marchés à un petit arrêté du gouverneur. Si j'introduisais ce système, j'irais à l’encontre des principes qui régissent notre organisation communale et provinciale.

Ce qui est possible, c'est de laisser au conseil provincial ou à la députation permanente le soin d'arrêter les dispositions qui régissent les foires et les marchés, mais je crois que l'intervention du Roi est inutile en cette matière.

Enfin, l'honorable M. Bouvier m'a interpellé sur des faits qui se sont passés aux écoles normales de Lierre et d'Herenthals. Ces faits ont été signalés par un article du Précurseur d'Anvers.

Dès que j'ai eu connaissance de, cet article, j'ai écrit, à l'inspecteur provincial pour avoir des renseignements.

Le fait signalé pour Lierre est celui-ci : Les élèves de l'école normale, vont à la procession de Saint-Gommaire par ordre, tous en surplis et un cierge à la main.

Or, voici les renseignements que transmet le directeur de l'école :

« Sur 100 normalistes.de l'école de Lierre, il y en a annuellement 30 à 40 qui, chantant volontiers et très bien, sollicitent la faveur de pouvoir chanter à la procession solennelle de Lierre. On choisit les 20 meilleurs, et ceux-ci, avec la plus grande liberté de conscience, comme avec la plus grande satisfaction, se joignent aux six chantres laïques du jubé. Ces 20 musiciens sont en soutanelle et surplis, pour l'uniformité du cortège. Ils ne portent ni cierge, ni rien qui y ressemble, mais tiennent un cahier de musique.

« Pendant, que la procession fait sa tournée, les 140 élèves-instituteurs font leur promenade ordinaire.

« Vous serez bien surpris, M. l'inspecteur, de ne trouver, en tout cela, ni le corps des élèves à la procession, ni le cierge à la main, ni l'ordre donné par personne, ni la moindre atteinte à la liberté de conscience.

« Je veux bien vous dire ici, M. l'inspecteur, ce que j'écrivis, il y a trois ans, à M. le ministre de l'intérieur, savoir : qu'au premier ordre du ministre, je refuserais à ces 20 élèves la faveur d'accompagner dorénavant la procession. Mais (ajoutai-je), jusqu'à ce que cet ordre me soit communiqué, je croirai pouvoir continuer à permettre que quelques élèves continuent à rehausser, par le talent de leur voix, une solennité publique qui, dans la petite ville de Lierre, jouit d'une grande popularité et d'une sympathie universelle. »

M. Coomans. - Il y a beaucoup de libéraux qui portent des cierges.

MiPµ. - Je rappellerai comment cette question a été introduite à la Chambre. Il y a trois ans, mon honorable collègue de la justice avait signalé ce fait que dans les écoles normales on consacrait une partie du temps à former des clercs de paroisse et des sacristains. Il a déjà été porté remède à cet état de choses par mon prédécesseur. Non seulement il n'existe plus dans les écoles normales rien de semblable, mais par une circulaire que j'ai adressée aux gouverneurs, j'ai déclaré les fonctions de clerc et de sacristain complètement incompatibles avec celles d'instituteur, en sorte que, sur ce point, il est impossible que des abus se produisent encore.

Quant au fait signalé comme s'étant produit à Lierre, je dois déclarer que je trouve inutile que des élèves revêtent le surplis pour assister à une procession, mais la Chambre trouvera comme moi qu'il n'y a rien là qui soit de nature à appeler son attention ni l'attention publique.

L'autre fait signalé consiste dans l'abus qu'on aurait fait à l'école d'Herenthals, qui est une école laïque adoptée, de certaines cérémonies religieuses à l'époque de Noël.

Voici ce que porte l'article :

« Il nous revient qu'à l'école normale d'IIerenthals, où ne se trouvent que des jeunes filles de 16 à 21 ans, les élèves sont conduites à 5 heures du matin dans une salle glaciale, pour y entendre, pendant trois heures, les sermons d'un jeune vicaire qui fait à haute voix, devant ces jeunes filles, l'examen de conscience. »

Le vicaire serait aussi à plaindre d'avoir à parler pendant trois heures que les jeunes filles d'avoir à l'écouter.

« Elles restent pendant ces différents exercices complètement à jeun. Ce n'est qu'à neuf heures qu'elles prennent leur repas. Ces macérations durent du 25 décembre au 2 janvier. Sont-elles bien dans le règlement de la maison, approuvé par le gouvernement ? La question nous paraît mériter l'attention de l'autorité supérieure. »

Voici ce que répond à ces allégations la directrice de l'école normale de Lierre, et je dois dire que cette lettre, comme la précédente, a été contrôlée par l'inspecteur provincial, qui déclare que tout ce qui y est contenu est conforme à la vérité.

« J'ai l'honneur de vous assurer que toutes les assertions de l'article du Précurseur sont fausses.

« J'affirme : 1° qu'en hiver, nos élèves ne descendent jamais du dortoir que vers six heures, le jour de Noël seul excepté, où elles assistent à l'office du matin et y font leurs dévotions ; 2° qu'elles se rendent alors dans une salle, bien chauffée ; 3° qu'aucun sermon, aucune conférence religieuse ne. dure jamais une heure entière ; 4° qu'aucun jeune vicaire ne vient faire l'examen de conscience ; 5° que nos élèves ne restent jamais à jeun jusqu'à neuf heures, mais qu'elles déjeunent toujours à sept heures ; 6° qu'elles ne sont soumises à aucune macération, ni du 25 décembre au 2 janvier, ni dans tout le cours de l'année.

« Voilà la vérité, et voici, M. l'inspecteur, ce qui a pu donner lieu aux faux bruits. Vers la Noël, il y a, comme vous le savez, plusieurs jours fériés. Feu ma sœur saisissait cette occasion pour demander quelques conférences à l'autorité ecclésiastique. C'est le curé du béguinage où nous demeurons, lui-même, homme de 55 ans, qui faisait ces conférences ou sermons, comme on veut les appeler.

« Vous connaissez ce respectable ecclésiastique, M. l'inspecteur, et vous savez qu'il est incapable de dire quelque chose d'inconvenant. Je vous l'affirme d'ailleurs, moi qui étais toujours présente.

« Laissez-moi ajouter, M. l'inspecteur, que ces calomnies sont bien propres à m'abattre, après tous les revers qui sont venus fondre sur moi en cette calamiteuse année ; je pardonne, toutefois, à l'ingrate qui a pu ainsi défigurer et dénaturer ce que feu ma sœur et moi nous avons fait pour son bonheur. »

La fin de la lettre a probablement rapport à ce que l'accusation émanerait d'une élève sortie de l'école ; mais je ne connais pas le fait auquel il est ici fait allusion.

Messieurs, voilà les faits qui ont été signalés et les explications qui me sont données. Vous y trouverez la preuve que ces faits très simples ont été complètement dénaturés.

J'arrive maintenant aux observations de l'honorable M. Schmitz. Il a indiqué d'abord la question de la protection des petits oiseaux. Cette question, messieurs, a préoccupé quatre de nos conseils provinciaux, ceux du Luxembourg, du Hainaut, de Liège et du Brabant.

L'attention du gouvernement a donc été attirée sur ce point et je reconnais qu'il y a là une question très intéressante et très grave pour l'agriculture.

Les oiseaux n'appartiennent, d'après le droit, à personne ; cela revient à dire qu'ils appartiennent à tout le monde et que chacun a le droit, pour son (page 258) champ, de retirer de cet agent naturel les services que la nature a voulu qu'il rende à l'agriculture.

Je crois donc que le gouvernement a parfaitement le droit de réglementer cette matière et que peut-être il y a utilité à le faire. Je suis occupé à examiner la question, et, si la Chambre le voulait, je pourrais lui donner lecture d'une note qui m'a été adressée et qui contient des renseignements intéressants sur la question.

- De toutes parts. - Oui ! oui !

MiPµ. - Ce rapport a été rédigé par un naturaliste attaché au Musée d'histoire naturelle de Bruxelles, M. Dubois.

« Lorsqu'on examine la question d'une manière générale, on ne peut nier que tous les animaux ont un but important dans l'économie de la nature. Mais l'homme, par l'agriculture et les effets de la civilisation, a, dans beaucoup de points, modifié les lois des phénomènes. Il en est résulté un développement exubérant de certains animaux, qui tend à anéantir le produit du travail des cultivateurs. Il s'agit donc de rétablir l'équilibre, soit directement par la destruction des espèces nuisibles, soit directement par la protection de leurs ennemis.

« Il est évident que c'est dans la classe des insectes et dans la famille des muridés que l'agriculteur trouve ses plus dangereux ennemis, et que les espèces les plus infimes sont souvent les plus terribles destructeurs des récoltes.

« On cherche toujours à détruire ces espèces d'une manière violente, bien souvent sans résultat, et l'on ne songe que bien rarement à s'allier des auxiliaires puissants dans les autres classes du règne animal. C'est cependant par là qu'on devrait commencer.

« Dans quelle classe trouve-t-on les plus puissants destructeurs des insectes et des muridés ? Les naturalistes sont tous d'avis que c'est dans celle des oiseaux ; on doit donc chercher parmi ces derniers les protecteurs de nos plantations.

« En tête de la classe paraît l'ordre des oiseaux de proie. Ceux-ci pourraient tous être considérés comme utiles à l'agriculture, si plusieurs d'entre eux ne faisaient une guerre sans relâche aux pigeons et aux passereaux. Je condamne donc sans merci les aigles (d'ailleurs fort rares dans notre pays), les faucons, les autours, les éperviers et les busards, qui détruisent tous soit le gibier, soit des pigeons et des petits oiseaux dont ils font une grande consommation.

« Mais il est indispensable de réclamer la protection pour les buses, qui sont peut-être de tous les oiseaux ceux qui nous rendent le plus de services. »

M. Coomans. - Cela est vrai.

MiPµ. - « La buse se nourrit de rats, de souris, de campagnols, de mulots, de taupes, de grenouilles, de lézards, de serpents, de gros insectes et de vers. Les souris forment sa nourriture favorite ; cet oiseau se met en embuscade devant leurs trous, et aussitôt qu'elles apparaissent, en un bond, il se jette dessus. La buse s'approche assez volontiers des faucons et des éperviers afin de tâcher de leur enlever quelque chose de leur butin.

« M. Koltz estime qu'une buse, consomme par an 6,000 à 8,000 souris, ou bien 16 par jour. M. Tschudi évalue à 4,000 le nombre de campagnols qu'une buse mange annuellement. M. le baron de Sélys-Longchamps dit avoir disséqué beaucoup de buses et les avoir toujours trouvées repues de campagnols et de mulots, jamais d'oiseaux. M. Ch. F. Dubois a trouvé dans l'estomac d'un de ces oiseaux, les restes de cinq souris ou mulots, de deux taupes, d'un lézard et d'une grenouille. Ce dernier naturaliste a conseillé, il y a quelques années, de placer dans les champs des morceaux de troncs d'arbre ou des pieux, afin de faciliter aux buses la chasse aux muridés. Ce conseil, approuvé depuis par les hommes les plus compétents, a donné d'excellents résultats à ceux qui l'ont suivi.

« Il est regrettable de voir exposé à la campagne, dans certains estaminets, des buses empaillées avec un pigeon sous les pattes ; c'est probablement l'une des raisons pour lesquelles les campagnards détruisent ce rapace, sous prétexte qu'il attaque les pigeons.

« La bondrée est également un oiseau très utile à cause de la chasse qu'elle fait aux guêpes, bourdons et autres hyménoptères, dont elle trouve facilement les nids ; elle détruit aussi un grand nombre de chenilles et de larves de coléoptères.

« Les crécerelles se rendent également utiles à l'agriculture, parce qu'elles ne se nourrissent que de souris, de mulots, de petits reptiles et principalement d'insectes, tels que coléoptères et sauterelles.

« Les autres genres de rapaces diurnes qui se montrent encore en Belgique, sont trop rares pour qu'il soit nécessaire d'en faire mention.

« Quant aux oiseaux de proie nocturnes (chouettes, hiboux), ils réclament tous notre protection, car ils vivent uniquement de petits rongeurs, tels que mulots, souris, etc. On pourrait faire exception pour le grand-duc, s'il était moins rare dans notre pays, car il s'attaque à de plus grands mammifères, tels que lièvres, lapins, chevreaux, etc., tout en faisant une guerre acharnée aux rats, souris, etc.

« Il est inutile de demander la protection pour les engoulevents ou hirondelles nocturnes, les martinets, les hirondelles et les gobe-mouches, car elle leur a été accordée de tout temps.

« Les pies-grièches détruisent aussi beaucoup d'insectes et de larves, et montrent une grande prédilection pour les hannetons.

« Quant à la majeure partie des petits oiseaux, c'est-à-dire des rouges-gorges, rossignols, gorge-bleues, accenteurs, fauvettes, hoche-queues, troglodytes, roitelets, becs-fins, rousseroles, mésanges, sittelles, grimpereaux, alouettes, etc., ce sont tous des espèces très innocentes qui purgent nos jardins et nos champs des larves, des pucerons, des petits insectes et surtout des œufs de ces derniers.

« Suivant M. Koltz, une mésange consommerait par an 300,000 œufs d'insectes. M. Tschudi rapporte, qu'une mésange nonnette nettoya en quelques heures un rosier qui était infesté de plusieurs milliers de pucerons.

« Pour ce qui regarde les grives et les merles, on aurait beau plaider leur cause qu'on ne vous écouterait pas ; il vaut donc mieux se taire sur ce sujet délicat.

« Parlons maintenant des fringillidés (becs-croisés, bouvreuils, gros-becs, verdiers, tarins, linottes, bruants et moineaux). Ce sont ont tous des oiseaux qui vivent principalement de graines ; mais nous ne devons pas perdre de vue qu'ils recherchent la plupart du temps des graines de plantes sauvages ou d'arbres, et qu'ils font, surtout dans leur jeune âge, une consommation énorme de larves, d'œufs d'insectes et de vers. Pardonnons-leur donc le peu de dégâts qu'ils nous occasionnent, car ils les payent largement en purgeant nos potagers et nos champs des petits insectes et des larves. Le gros-bec, s'il se trouve en grande quantité, ce qui n'a pas lieu chez nous, devient réellement préjudiciable aux vergers ou plutôt aux fruits à noyau.

« Un fringillidé sur lequel on a beaucoup médit est le moineau. Il est vrai qu'il nous cause bien des dégâts en commettant ses rapines dans nos vergers, nos champs de petits pois et même de céréales ; mais il ne sera pas difficile de plaider en sa faveur et de lui trouver des circonstances atténuantes.

« Si le moineau est granivore, il est aussi insectivore, et le nombre d'insectes et de larves qu'il détruit par an est très considérable, car ses petits ne reçoivent pas d'autre nourriture.

« Suivant M. Tschudi, naturaliste de mérite, un couple de moineaux emploie chaque semaine environ 5,000 larves, chenilles, sauterelles et autres insectes pour la nourriture de sa couvée. M. Florent Prévost dit avoir trouvé près d'un seul nid de moineau, les débris de 700 hannetons dont s'étaient nourris les petits.

« Les dommages et les bienfaits que nous cause le moineau nous mettent en présence d'une question qu'il est important de résoudre. Cette question est celle-ci : Peut-on avec avantage se passer du moineau et doit-on le détruire ?

« On ne peut mieux répondre à cette question que par un fait bien connu, qui s'est passé en Allemagne à la fin du siècle dernier et dont on parle encore aujourd'hui.

« Frédéric le Grand aimait avec passion les cerises et, dans le but de protéger les cerisiers contre les déprédations incessantes des moineaux, il ordonna qu'on les exterminât. Afin d'assurer l'exécution de son dessein, il établit une prime par tête de moineau. Les habitants purent même payer les contributions avec des têtes de moineaux.

« Qu'arriva-t-il alors ? Au bout d'une couple d'années, le gouvernement prussien avait dépensé plusieurs milliers de thalers en capitations ; mais le mal, au lieu de disparaître, atteignit tous les arbres et tous les végétaux herbacés ; les cerisiers ne produisaient non seulement plus de fruits, mais encore ils n'avaient plus de feuilles : tout était dévoré par les chenilles !

« Le roi vit alors qu'on ne renverse pas impunément l'ordre mystérieux et harmonique qui règne dans la nature. Il fut forcé de suspendre sa croisade contre ces malheureux oiseaux, et il fut même obligé de faire venir des moineaux de l'étranger, pour repeupler les localités où il n'y en avait plus.

« Les mêmes effets se sont produits en Angleterre. Mais les Anglais ont (page 259) bientôt compris que le moineau est, dans nos contrées d'Europe, un oiseau indispensable ; ils l'ont même importé en Australie où, paraît-il, il n'existe aucun oiseau qui fasse aussi bien l’échenillage que notre moineau domestique. Les Américains l'ont également importé sur leur territoire. »

Le fait cité, messieurs, s'est présenté a New-York. Là aussi, les plantations publiques étaient chaque année dépouillées de leur feuillage. On y a importé d'Europe quelques couples de moineaux qui, au bout de quelques années, se sont développés au point de se rendre maîtres désormais des insectes destructeurs des magnifiques plantations de cette ville.

Je continue :

« Il ne s'agit donc pas de détruire le moineau, mais bien de chercher des moyens qui le tiennent éloigné des semailles ou des plantations qu'il peut endommager. On ne peut donc, assez blâmer cette société d'Anvers qui, de son propre chef, a ordonné la destruction des moineaux en accordant même des primes, afin d'en hâter l'extermination.

« On doit encore réclamer la protection des agriculteurs pour les étourneaux et les loriots, qui sont de grands consommateurs de chenilles, de vers et de limaçons, On peut donc leur pardonner les quelques cerises, fraises et framboises qu'ils nous prennent pour leur dessert.

« Les geais et les pies, tout en rendant de grands services par la guerre qu'ils font aux chenilles, larves, vers, etc., doivent cependant être considérés comme nuisibles, parce qu'ils détruisent une grande quantité d'œufs d'oiseaux, et qu'ils occasionnent des dégâts sensibles dans les vergers et les potagers.

« Le corbeau coacre est également préjudiciable, parce qu'il attrape pour sa nourriture tous les mammifères et les oiseaux qu'il peut maîtriser ; il montre une grande prédilection pour les fruits et surtout pour les œufs des petits oiseaux. La chasse que le corbeau fait aux souris, mulots, insectes et larves, ne compense que bien faiblement ses dégâts.

« Les corneilles sont bienfaisantes pour la campagne, car le peu d'oiseaux et d'œufs qu'elles mangent ne peuvent être mis en balance avec la multitude d'insectes nuisibles qu'elles exterminent. Des corneilles suivent souvent le laboureur aux champs, pour prendre et dévorer les insectes et les larves que la charrue met à découvert, entre autres les vers blancs ou larves de hannetons dont elles sont très friandes ; plus tard, lorsque la saison est plus avancée, elles s'acharnent après les hannetons mêmes. A cet effet, les corneilles volent sur un arbre où ces coléoptères sont nombreux, balancent les branches par les mouvements de leur corps et de leurs ailes, afin de faire tomber les insectes à terre, où elle vont ensuite les ramasser. Elles se nourrissent également de campagnols, de souris, d'escargots, de vers, etc.

« Les services que nous rend le choucas ou petite corneille à collier gris surpassent de beaucoup les dommages qu'il cause dans les jardins et dans les champs, en recherchant les légumes à gousses et les fruits. Il échenille rapidement les arbres et détruit un grand nombre de petits muridés.

« Deux oiseaux insectivores qui méritent toute notre attention sont la huppe et le coucou : ce dernier surtout rend des services signalés. Le coucou est, pour ainsi dire, le seul oiseau qui, dans notre pays, fasse la guerre aux grosses chenilles velues, dont il détruit journellement environ une couple de cents.

« Les pics sont des oiseaux très actifs : on les voit constamment en mouvement pour chercher, dans les crevasses de l'écorce des arbres, des insectes, des larves, des chenilles et des œufs de lépidoptères, qu'ils saisissent au moyen de leur langue extensible et gluante. Lorsqu'ils ne peuvent parvenir à saisir leur proie, ils entrouvrent l'écorce à coups de bec pour en faire sortir les fourmis et les autres insectes.

« On croit généralement à la campagne que les pies sont préjudiciables, mais leur régime purement insectivore en fait plutôt des conservateurs de nos forêts.

« Les pigeons sauvages ne sont jamais assez nombreux pour nuire aux semailles.

« Les perdrix et les cailles rendent des services en détruisant, surtout pendant leur jeune âge, une grande quantité de mouches, de larves, de chenilles et de limaçons.

« Quant aux oiseaux aquatiques, ils ne se nourrissent que d'herbages, de mollusques, de vers, de reptiles, d'insectes et de petits poissons, et ils n'offrent, pour cette raison, que peu d'intérêt au point de vue agricole ; on doit cependant les considérer en général comme utiles. Ceux qui, comme les oies sauvages, sont réellement préjudiciables aux champs, ne font que, passer par notre pays sans s'arrêter longtemps ; ce passage a lieu en hiver, alors que la terre est généralement couverte de neige.

« Il résulte de ce qui précède, que le nombre des espèces d'oiseaux nuisibles est insignifiant : les faucons, les autours, les éperviers, le grand-duc, la pic, le geai et le corbeau coacre sont les seuls dont nous ne devons pas désirer la trop grande multiplication. Il est inutile de mentionner les aigles et les busards, vu que leur présence n'est qu'accidentelle en Belgique.

« Toutes les espèces qui viennent d'être nommées sont principalement considérées comme nuisibles à cause de la chasse qu'elles font aux autres oiseaux, ou parce qu'elles détruisent un grand nombre d'œufs de ces derniers. »

J'ai cru bien faire de donner ces détails ; ils appelleront l'attention sur la question, et le gouvernement pourra recevoir des renseignements, qui seraient utiles, s'il y avait quelque chose à faire en cette matière.

M. Schmitz a demandé si le gouvernement ne serait pas disposé à présenter un projet de révision de la loi sur l'enseignement moyen afin d'augmenter le nombre des écoles moyennes.

Je crois devoir indiquer à l'honorable membre, qui veut doter Bastogne d'une école moyenne, un chemin plus court à prendre ; ce serait d'établir une école moyenne communale.

La ville de Bastogne obtiendrait un subside à peu près équivalent à celui qu'elle aurait si l'école était un établissement de l'Etat. (Interruption.)

M. de Coninck a signalé à la Chambre un fait grave, selon lui, qui se serait passé dans son arrondissement.

L'honorable membre a dénoncé un bourgmestre qu'il considère, comme coupable d'un faux, sinon légalement punissable, au moins moralement blâmable. (Interruption.)

Je n'ai pas de renseignements sur l'affaire, j'en ai entendu parler, pour la première fois, par l'honorable membre.

Mais le. gouverneur de la Flandre occidentale m'a télégraphié, ce matin, qu'il y a des inexactitudes dans l'exposé qui a été fait par l'honorable membre.

Evidemment, la dépêche ne peut me donner des renseignements complets, mais elle m'a signalé le volume de la Pasicrisie qui contient en entier le réquisitoire de M. le procureur général Wurth, adopté par la chambre des mises en accusation, et dont l'honorable membre avait seulement donné un extrait.

Il résulte, messieurs, de la lecture de cet arrêt que M. de Coninck ne nous a fait connaître que ce qu'il contient de plus défavorable pour le bourgmestre inculpé.

D'après lui, la chambre du conseil aurait renvoyé le bourgmestre des poursuites, parce qu'elle le considérait comme trop incapable pour comprendre ce qu'il avait fait. La chambre des mises en accusation aurait adopte les mêmes motifs, en confirmant sa décision.

Or, c'est là une erreur. Il faut d'abord rappeler les faits.

C'est dans une lettre écrite par le bureau de bienfaisance, et le collège échevinal qu'on aurait ajouté à ces mots : « les biens seront vendus », ceux-ci : « par le ministère du notaire Proot ».

Ces mots ont été réellement ajoutés après la signature de la pièce, du consentement du collège échevinal, mais à l'insu des membres du bureau <d bienfaisance. Or, antérieurement à cette intercalation et à l'envoi de la pièce, le conseil communal avait désigné M. Proot pour faire la vente, de sorte que lorsqu'il était écrit à la députation que les biens devaient être vendus par le ministère de M. Proot, l'allégation était vraie ; le conseil communal, à qui appartenait cette désignation du notaire, avait fait cette désignation ; il n'y avait donc pas de préjudice possible. La députation permanente, n'étant pas appelée à approuver le choix du notaire, ne pouvait avoir à statuer sur cette énonciation.

Elle ne pouvait qu'approuver la vente des biens ; l'indication du notaire transmise à la députation n'avait pas la moindre valeur.

De plus, avant que cette énonciation fût ajoutée, elle était devenue une vérité par les délibérations du conseil communal.

Vous voyez, messieurs, qu'il y a là une circonstance extrêmement importante et qu'on ne peut passer sous silence ; voici ce que dit l'arrêt de la chambre des mises en accusation :

« Attendu que la députation permanente du conseil provincial de la Flandre occidentale étant sans droit pour commettre un notaire, l'intercalation des mots « door den notaris P...., te W... », ne pouvait ni faire écarter tout autre notaire, ni tromper la députation permanente dans l'exercice d'aucun de ses droits ;

« Attendu qu'antérieurement à la lettre où se trouve cette intercalation, le 7 mai 1867, le conseil communal de W... avait décidé de charger le (page 260) bourgmestre L. P... , en sa qualité de notaire, de la vente de l'ancienne école et de tous les autres actes concernant les biens de la commune, du bureau de bienfaisance et de la fabrique d'église ;

« Attendu que cette intercalation était donc conforme à cette déclaration ;

« Attendu que le seul tort imputable à ceux qui ont concerté et fait cette intercalation, tort grave et qui entache leur conduite de fraude, c'est d'avoir voulu soustraire, l'insertion des mots : « door den notaris P..., te W... » à la connaissance des signataires de la lettre du 21 novembre 1867, comme s'ils avaient craint que la décision ci-dessus rappelée du conseil communal ne fût pas respectée ;

« Attendu qu'à défaut d'un préjudice au moins possible, soit à l'ordre public, soit à des intérêts individuels, le fait incriminé ne constitue pas un faux ;

« Que le principe : Non punitur falsitas in scriptua quae non solum non nocuit, sed nec erat apta nocere, emprunté à la loi romaine, a toujours été considéré comme fondamental par la doctrine et la jurisprudence. »

Vous voyez donc, messieurs, que la circonstance capitale qui a motivé l'arrêt de non-lieu était l'absence de préjudice, absence de préjudice reposant sur ce que l’énonciation était conforme à la vérité, puisqu'il y avait une délibération antérieure.

Maintenant, messieurs, je ne dis pas qu'il n'y a pas dans le fait une indélicatesse à réprimer ; mais je constate que le fait n'a pas la gravité, qu'on lui a assignée.

Quant au point de savoir si le bourgmestre, mérite une punition disciplinaire pour la conduite qu'il a tenue, je ne puis pas me prononcer avant d'avoir fait une instruction et d'avoir les renseignements complets sur l'affaire. Si le bourgmestre est coupable, moralement, il portera la peine de sa faute.

M. de Maere nous a fait le parallèle, en termes très éloquents, de la situation des Flandres et de la situation du pays wallon.

Je n'ai aucune décision à prendre sur les considérations très élevées qu'a fait valoir l'honorable membre et qui sont purement spéculatives ; je n'aurais à me prononcer que sur les mesures qu'il proposerait comme en étant la conséquence.

M. de Maere n'a rien précisé à cet égard, et je dois me tenir avec lui dans les généralités.

De ce que les Flandres, d'après l'honorable membre, se trouvent, à cause de leur langue, dans une position d'infériorité très marquée vis-à-vis du pays wallon où l'on parle une autre langue, notre collègue conclut qu'il faut faire apprendre le flamand aux Wallons ; je. doute que cette conclusion soit renfermée dans les prémisses.

Je doute qu'on fasse réussir l'enseignement du flamand dans le pays wallon et que la transplantation des Wallons dans les Flandres pour en faire des fonctionnaires ait des résultats.

En effet, M. de Maere nous a fait connaître que les classes aisées de la Flandre cessent de parler le flamand pour parler le français.

Il sera très difficile de faire comprendre aux Wallons transportés dans les Flandres que c'est à eux de parler le flamand alors que ceux dont ils seront entourés parleront français ; ils y seront d'autant moins disposés que leur accent sera toujours fort défectueux.

Je constate cependant qu'il a été fait beaucoup pour la langue flamande sous le ministère de mon honorable prédécesseur ; qu'on a étendu l'enseignement du flamand d'une manière considérable dans le pays wallon.

J'aborde maintenant la question principale.

L'honorable M. Funck a soulevé une des questions les plus graves qui puissent être soumises aux délibérations de. la législature, une question qui a été discutée dans les parlements de tous les pays, une question qui a préoccupé le gouvernement et les Chambres depuis plus de vingt ans : la question du travail des femmes et des enfants dans l'industrie ; et je dois reconnaître que l'honorable membre l'a fait avec une modération qui n'est pas toujours imitée, mais que certainement la Chambre aura hautement appréciée.

Dans cette question, tout le monde est d'accord sur le but à poursuivre.

Tous, nous voudrions voir les enfants soustraits, aussi longtemps que possible, aux fatigues du travail, bien nourris, bien habillés, fréquentant de bonnes écoles, et dans les conditions pour atteindre ainsi tout le développement physique et moral dont l'homme est capable.

Tous nous voudrions voir la femme éloignée des travaux violents, élevée, dans son enfance et dans sa jeunesse, chastement, au sein de la famille, écartée des réunions où elle peut perdre une partie de sa pudeur, être entraînée à ces fautes qui, chez elle, sont des taches pour la vie ; nous voudrions que jusqu'à l'âge des grands devoirs |pour elle, elle fût préparée à être une vertueuse épouse et une bonne mère de famille.

Si tous nous poursuivons le même but, nous regrettons tous encore les mêmes faits.

Ce qui nous préoccupe et ce qui nous afflige, c'est de voir de pauvres enfants, employés dans une fabrique, ne recevant pas d'instruction, n'ayant qu'une nourriture insuffisante, astreints parfois à un travail trop long, trop fort pour leurs forces, qui les épuise, qui les énerve, qui empêche qu'ils ne deviennent des hommes forts, robustes, qu'ils ne deviennent des citoyens éclairés qui comprennent leurs devoirs.

Ce qui nous afflige, c'est de voir dans nos établissements industriels un grand nombre de filles astreintes à des travaux qui ne sont pas ceux que réclame leur sexe, se trouvant, au milieu d'ateliers où, confondues avec les hommes, leur vertu subit souvent de bien fâcheuses atteintes ; c'est de les voir, lorsque l'âge du mariage est arrivé, ne pas avoir les dispositions que la mère de famille doit prendre pour conduire son ménage, pour y disposer tout avec économie et pour faire du foyer domestique un lieu attrayant, où son mari aimera toujours mieux se trouver que partout ailleurs.

Ce sont ces faits que nous voudrions voir disparaître et remplacer par ceux que nous énumérions tout à l'heure.

Mais, messieurs, si le but à atteindre dans ce qui doit être établi et dans ce qui doit disparaître est le même pour tous, que de diversités sur les moyens à employer !

Pour les uns, il y a un remède simple, le. remède que l'on invoque toujours dans les circonstances difficiles ; c'est l'intervention de l'Etat. L'Etat a le pouvoir ; il a la force ; par la loi il peut commander ; par la justice il peut punir. Pourquoi l'Etat n'intervient-il pas pour changer cet état déplorable, en un état qui réalise tous nos vœux ?

Messieurs, on a bien souvent appelé l'intervention de l'Etat, lorsqu'on se trouve en face de ce problème. le plus redoutable de tous ceux en face desquels l'homme d'Etat peut se trouver : le problème de la misère !

On a fait des tentatives de toute espèce, on a fondé des institutions de tout genre, souvent richement dotées, on a établi des taxes pour subvenir aux nécessités des classes inférieures ; et cependant on a pu constater presque toujours, si pas toujours, que partout où ces remèdes ont été essayés, ils ont aggravé le mal, et on pourrait presque affirmer en cette matière que plus l'autorité veut faire de bien, moins elle réussit. Je ne nie pas les exceptions, mais si l'on veut parcourir tout ce qui a été fait pour améliorer d'autorité le sort des classes souffrantes, on constate, que presque toujours on a misérablement échoué. Il ne faut pas se dissimuler que la question du travail des femmes et des enfants n'est qu'un point de ce vaste problème.

Je sais combien il est difficile pour l'homme d'Etat de refuser son intervention. Il aura beau protester de ses intentions, s'il ne fait rien on attribuera toujours à de la sécheresse de cœur, à de l'indifférence son défaut d'intervention. Celui qui s'agite, celui qui fait quelque, chose quand même il s'agiterait à tort, quand même son action serait pernicieuse, sera toujours considéré comme ayant un désir plus ardent de faire le bien que si, niant l'efficacité des remèdes, il propose de laisser agir les lois naturelles.

Il en est de l'homme d'Etat comme du médecin ; si le médecin conseille d'attendre des ressources constitutionnelles du corps, une. guérison qu'il ne pourrait que compromettre, dans presque toutes les classes de la société, il sera considéré comme indifférent, sinon comme ignorant. Aussi que font les médecins quand ils n'ont rien à prescrire ? Ils donnent un peu d'eau gommée ou rougie ; le malade et ceux qui s'intéressent au malade se félicitent d'avoir un médecin qui ordonne toujours quelque chose.

Il y a du danger, dans les matières sociales, à suivre ce système, à faire croire que l'Etat peut beaucoup, que son action peut produire de très grands effets. Je ne repousse pas, comme je le dirai tantôt, toute intervention de l'Etat, mais je constate que si l'on ne veut pas accréditer ces idées trop généralement admises que l'Etat peut tout, qu'il peut régler la production et la distribution des richesses, il ne faut jamais accorder cette intervention uniquement pour satisfaire à des désirs inconsidérés.

On ne doit rien faire pour contenter l'opinion publique si elle est égarée, parce qu'on contribuerait à l'égarer davantage ; l'action doit être réservée pour le cas où elle se justifie par l'observation sérieuse des faits, où l'on a l'espoir fondé, d'aboutir à des résultats favorables. Agir autrement, serait conduire à des interventions inutiles ou nuisibles.

On dit quelquefois que ce serait un titre d'honneur pour notre pays de faire une loi réglant le travail des enfants et des femmes dans les mines.

Je ne puis accepter cette appréciation.

(page 261) Le vrai titre d'honneur serait de pouvoir se passer d'une pareille loi. Le vrai titre d'honneur serait de pouvoir résoudre ici par la liberté la question qu'ailleurs peut-être on aura résolue par l'intervention de l'autorité.

Voilà ce dont je serais plus fier que d'avoir à inscrire dans nos lois des pénalités pour empêcher les pères d'abuser des forces de leurs enfants.

On lit dans les livres classiques (on peut bien parler un peu classiques par anticipation) qu'à Rome, pendant des siècles, il n'y eut pas de loi sur le parricide.

Elles furent longtemps inutiles ; croit-on que ce fut un titre de gloire pour la société romaine que de faire cette loi ?

Je n'ai jamais pu comprendre qu'une loi pénale pût être considérée comme un témoignage honorable pour une nation, et je crois qu'elle est plus à louer quand la répression est moins nécessaire.

Prenons donc garde, messieurs, et je voulais, en commençant, vous mettre en garde contre ces considérations étrangères...

M. d’Elhoungneµ. - Aux petits oiseaux.

MiPµ. - Vous faites un jeu de mots. La Chambre eût-elle été plus satisfaite si j'avais fait deux discours au lieu d'un ? Je crois que l'interruption n'est pas digne de notre éloquent collègue.

M. d'Elhoungneµ. - Je trouve que l'exorde n'est pas digne du discours et que vous avez plus de sollicitude pour les petits oiseaux que pour les enfants qui travaillent dans les manufactures.

MiPµ. - Je m'attendais à l'observation et je l'avais notée d'avance.

L'honorable M. d'Elhoungne devrait bien songer que, lorsqu'il s'agit d'oiseaux, il s'agit d'une espèce de propriété commune que la loi peut régler d'après des principes d'utilité matérielle.

Il n'y a dans cette petite question rien qui touchera aux grands principes de liberté, de moralité et d'humanité dont je m'occupe maintenant.

J'engage au surplus l'honorable M. d'Elhoungne à ne pas préjuger les conclusions que je présenterai.

Mon intention n'est pas de présenter à la Chambre des conclusions formelles ; je ne parle ni pour écarter toute intervention législative, ni pour la faire décréter dès maintenant, mais pour appeler l'attention sur tous les éléments de la question. Mon but principal est de montrer comment on égare l'opinion publique par des assertions fausses, par des exagérations inimaginables qui feraient croire que. notre pays, au lieu d'être à la tête, est à la queue de la civilisation, qu'au lieu de marcher vers le progrès il est en pleine décadence.

Je remplis avec modération l'engagement que j'ai pris l'an dernier d'apporter à la Chambre le résultat d'un examen sérieux d'un problème social de la plus haute importance.

Je voulais donc en commençant et j'en reviens où j'en étais lorsque l'interruption de l'honorable M. d'Elhoungne est venue m'arrêter, dire qu'il se faut prémunir contre des considérations étrangères à la matière.

Je dis donc que, en premier lieu, nous poursuivons tous le même but, et qu'il faut, en discutant les moyens de l'atteindre, se bien pénétrer de cette idée que ceux qui ne font rien peuvent avoir des sentiments aussi ardents pour le bien du peuple que ceux qui proposent des mesures.

Je réclame une mutuelle justice rendue aux aspirations de chacun.

Je dis, en second lieu, que lorsqu'on traite une maladie sociale comme lorsqu'on traite une maladie corporelle, ce n'est pas toujours en proposant des remèdes qu'on arrive le mieux à la guérison, qu'il n'y a pas plus de mérite à proposer le remède qu'à le prescrire, que tout gît dans la sage appréciation des moyens qui conduisent vers le but.

Je réclame un froid et mûr examen de tous les systèmes. Je n'ai rien préjugé. J'ai laissé la question entière.

Je veux maintenant en aborder l'exposé, dans cette seule pensée, que j'indiquais tantôt, de l'éclairer, en montrant quels sont les éléments de solution et en écartant surtout ceux qui sont introduits dans le débat, pour le fausser ou pour le passionner.

Nous avons une double question à examiner : Pouvons-nous intervenir ? Devons-nous intervenir ? Pouvons-nous intervenir ? Je dis : oui, nous pouvons intervenir pour les mineurs, nous en avons le droit, mais je n'admets pas notre droit d'intervention pour les majeurs, je ne l'admets pas même pour les femmes majeures. Je crois que l'Etat n'a pas le droit de dire à un majeur : Vous travaillerez peu ou beaucoup à telle besogne ou telle autre. Je crois qu'il n'a pas même le droit de dire cela à la femme majeure.

Mais je dis que pour les mineurs nous avons le droit d'intervenir, car la société a le droit, elle a le devoir de donner protection à ceux qui ne peuvent pas se défendre par eux-mêmes, qui n'ont pas encore la force de résister à tout ce qu'on peut injustement demander d'eux.

Le droit de l'Etat dans la réglementation du travail des enfants est incontestable. Mais cela posé, vient la seconde question : Devons-nous intervenir ?

Je dis que nous devons intervenir si deux conditions se réalisent : d'abord, si notre intervention est indispensable, nécessaire, s'il n'y a pas d'autre moyen d'atteindre le but ; ensuite, si notre intervention doit être efficace, c'est-à-dire si par cette intervention nous pouvons atteindre le but.

En dehors de ces deux conditions, nous devons nous abstenir et laisser faire la liberté.

Je dis qu'il faut que notre intervention soit nécessaire ; la raison en est simple : c'est que, quoi qu'on en dise, l'intervention est sinon un attentat, au moins une atteinte à la liberté du père de famille. Le père de famille a, de droit naturel, la faculté de déterminer ce que ses enfants doivent faire. S'il y a abus, sans doute l'Etat peut intervenir, mais ce ne doit être que pour de graves motifs, si les autres moyens manquent. Il est de la plus haute gravité de ravir au père de famille un droit naturel, je dirai même le droit le plus naturel qu'il ait, celui de diriger son enfant.

Nous ne devons pas intervenir, si nous n'avons pas la conviction que notre action sera efficace, et pour constater si notre intervention est efficace, il faut que nous ayons la certitude que dans les pays où l'on est intervenu on a fait marcher le progrès d'un pas plus rapide que dans les autres ; il faut qu'on nous démontre, que dans les pays où l'on a fait des séries de lois sur le travail des enfants dans les manufactures, on a atteint des résultats qui marquent plus que ceux que nous avons atteints ici en laissant à la liberté sa plénitude.

Messieurs, quand j'examine notre situation à ce double point de vue, je trouve réellement des exagérations incroyables et je dois dire que si un étranger n'ayant jamais vu de près nos institutions voulait se rendre compte de notre situation par ce qu'on écrit, il devrait avoir une idée aussi déplorable que fausse de ce qui se passe en Belgique.

En matière politique, il croirait que la Belgique est divisée en deux camps qui sont prêts à se dévorer.

En matière industrielle, que trouverait-il ? La triste peinture que nous a faite hier M. de Maere de la situation des Flandres.

Mais c'est peu ; voici ce que dit la pétition adressée à la Chambre par la Ligue de l'enseignement :

« Les protestations ne manquent pas en faveur de l'enseignement primaire, nous faisons même pour lui des dépenses croissantes. Cependant l'ignorance ne diminue pas, ni l'ivrognerie, et la misère augmente. Les trois quarts de nos ouvriers sont inscrits aux livres des indigents. Les jeunes gens arrivent à la milice plus frêles, plus déformés que jamais, l'agriculture est désertée. »

M. Bouvierµ. - Ce sont des exagérations.

MiPµ. - Sans doute, ce sont des exagérations ; mais c'est avec cela que l'on trompe le pays et qu'on égare l'opinion publique.

« Nos dentellières des Flandres continuent à être décimées par la phtisie, et nos houilleurs font des grèves inutiles. La vigueur physique va décroissant et la rectitude du jugement ne vient pas. Les ouvriers ne sont pas aptes à comprendre les conditions économiques du travail. Leur mérite ou leurs erreurs, résultats de leur ignorance, sont souvent le plus grand obstacle aux progrès sociaux tentés pour eux. »

Voilà, ce qu'on écrit et ce qu'on adresse à la Chambre !

Messieurs, je vois que vous êtes déjà convaincus de l'exagération de ces assertions. Cependant je me permettrai de chercher à vous démontrer par des chiffres jusqu'où vont ces exagérations et de vous présenter un tableau vrai d'une situation qu'on dénature si étrangement.

Voyons d'abord s'il est vrai que l'ignorance ne diminue pas. Voyons ce que nous avons fait pour l'enseignement depuis 1842 et quels résultats nous avons obtenus.

Savez-vous, messieurs, combien nous dépensions en 1842 pour le service ordinaire de l'instruction primaire ? Moins de deux millions. Nous dépensons aujourd'hui 7 1/2 millions pour le même service. La dépense totale s'élevait alors, constructions comprises, à 2 1/2 millions ; elle atteint aujourd'hui le chiffre de 13 millions.

M. Bricoultµ. - Mais quels résultats avez-vous obtenus de cet accroissement de dépenses ?

MiPµ. - Je vais y venir.

Nous avions, en 1843, 2,236 écoles soumises à l'inspection ; nous en avons aujourd'hui 4,168 : voilà un premier résultat ; il y avait, en 1843, 1,089 écoles libres, il y en a aujourd'hui 1,492.

(page 262° M. Bricoultµ. - Les enfants ne fréquentent l'école que pendant trois mois de l'année.

M. de Brouckere. - Est-ce qu'ils la fréquentaient davantage avant 1843 ?

MiPµ. - Ne vous pressez pas. Je vous montre d'abord ce que nous avons fait. Voyons ce que nous avons obtenu.

En 1843, les écoles inspectées avaient 273,000 élèves ; elles en ont, en 1866, 456,000 ; les écoles libres avaient 91,000 élèves ; elles en ont 107,000.

De 364,000, le nombre des élèves a donc été porté à 562,000. 200,000 de plus. N'est-ce rien ?

Et c'est en présence d'un pareil résultat qu'on ose venir affirmer que l'ignorance ne diminue pas !

Je regrette, messieurs, que l'honorable M. Bricoult paraisse partager de pareilles idées. Quand je vois un membre de la législature se récrier contre la démonstration que je fais, je dois me dire qu'il était bien nécessaire que je fournisse ces chiffres.

M. Bouvierµ. - Voilà l'effet de l'intervention de l'Etat.

M. Rogierµ. - Ce qui prouve que cette intervention n'est pas toujours nuisible.

MiPµ. - L'honorable M. Rogier confond deux choses : Je n'ai pas parlé tantôt de l'intervention comme encouragement, mais comme réglementation. (Interruption.)

Je demanderai à l'honorable M. Rogier si j'ai jamais voté contre une dépense pour l'enseignement primaire ?

Ainsi, nous avons obtenu depuis vingt-cinq ans une augmentation énorme dans la population des écoles.

J'arrive maintenant aux résultats acquis.

II importe de remarquer que le système de vérification que l'on a adopté pour constater les progrès de l'enseignement primaire est le plus désavantageux possible : c'est la constatation au moment du tirage pour la milice.

II est un fait, messieurs, c'est que les femmes conservent plus longtemps la mémoire des leçons de l'enseignement primaire que les hommes.

D'une autre part, quand on recherche parmi les miliciens le. nombre d'individus sachant lire et écrire, on trouve que la plupart de ceux qui ne peuvent justifier de ces connaissances ne sont pas des jeunes gens n'ayant jamais appris à lire et à écrire, mais d'anciens élèves ayant oublié ce qu'ils avaient appris.

De sorte que parmi les miliciens ignorants, il s'en trouve une forte fraction ayant reçu l'instruction première dans l'école, mais l'ayant perdue par la suite.

- Des membres. - Cela est évident.

MiPµ. - Et à ce propos, je ferai remarquer que la, conséquence de ceci (elle est très importante), c'est que si nous réglementions le travail des enfants dans les manufactures, à moins de les obliger à suivre les leçons de l'école jusqu'à l'âge de vingt ans, nous continuerions à avoir la même perte d'instruction que nous constatons aujourd'hui. En sorte que l'enseignement donné dans le premier âge resterait complètement sans influence sur cette partie des résultats.

J'avais donc eu raison de dire que la constatation de l'état de l'enseignement primaire donne des résultats moindres que ce qui existe en réalité.

Nous allons voir maintenant quelle a été la progression.

En 1843, nous avions 44 pour cent de miliciens ne sachant ni lire ni écrire.

En 1850, 36 pour cent.

En 1860, 31 pour cent.

En 1866, 26 pour cent. N'est-ce pas un magnifique résultat que d'être arrivé à ce que les miliciens, au lieu de révéler 44 pour cent d'ignorance, n'en révèlent plus que 26 ? et si l'on ajoute à cela ce que les femmes ont appris et retenu, on reconnaîtra à l'évidence que notre enseignement primaire est extrêmement brillant.

Mais, messieurs, il y a une autre considération. Non seulement notre enseignement primaire est plus développé quant au nombre, mais il est plus développé quant à la qualité. Et ici je répondrai à l'interruption d'un honorable membre qui disait : On ne va à l'école que pendant quelques mois. Cela était vrai peut-être à l'époque qu'il a en vue, mais à cet égard, messieurs, il y a une amélioration.

Mais voici une autre statistique, qui prouve que nous sommes maintenant dans une meilleure situation.

On vérifie au moment du tirage au sort non seulement le nombre des jeunes gens qui savent lire et écrire, mais encore le nombre de ceux, qui ont des connaissances plus étendues. Eh bien, messieurs, il n'y avait en 1843 que 23 p. c. de miliciens de cette catégorie, nous en avons aujourd'hui 35 p. c. Ainsi la proportion d'ignorance est tombée de 44 p. c. à 26 p. c. et la proportion de science est montée de 23 p. c. à 35 p. c.

Croyez-vous que ce soit là un résultat indifférent ? Au lieu d'un ignorant sur deux, nous en avons un sur quatre et au lieu de deux jeunes hommes plus instruits nous en avons trois. C’est énorme, c'est un progrès considérable.

Loin de s'alarmer, loin de se plaindre et de dénoncer le pays comme marchant à la décadence, il faut dire que des progrès immenses se réalisent dans le pays. Maintenant, messieurs, savez-vous quelle est la proportion de la population qui fréquente l'école ? Nous avons 12 p. c.

Je dirai donc, messieurs, que le grand mal c'est l'oubli de l'instruction. Mais quel est le moyen de le prévenir ?

Je crois que personne ne pensera à soumettre les jeunes gens de 15 à 20 ans à l'instruction obligatoire ; la contrainte n'est pas possible. Je ne vois qu'un moyen de porter remède à ce mal : c'est, d'un côté, d'établir des écoles d'adultes, de l'autre, de rendre ces écoles aussi attrayantes que possible.

On néglige peut-être trop, dans notre enseignement en général, de développer chez les enfants le goût de se servir de ce qu'ils ont appris. On donne les moyens ; on apprend à lire, on apprend à écrire ; mais l'on ne fait goûter aux enfants aucun des plaisirs que peut donner la lecture.

En effet, tout se borne à l'exercice. L'enfant ne sort pas de son livre de classe, qu'il connaît bientôt par cœur et qu'il finit toujours par trouver ennuyeux. En sortant de l'école, le souvenir de l'ennui que lui a causé ce livre le poursuit, et l'on comprend très bien qu'il s'abstienne de faire ce qu'il a toujours considéré comme une chose pénible.

Ce serait donc un point très important de pouvoir donner quelque attrait à la lecture. Nos instituteurs sont devenus beaucoup plus instruits qu'ils ne l'étaient jadis ; dans beaucoup d'écoles, nous avons des instituteurs réellement capables.

On prend beaucoup de temps pour enseigner aux enfants les raffinements de la grammaire : il est inutile que les ouvriers connaissent toutes les subtilités des participes, car en supposant que l'ouvrier fasse des fautes de cette nature dans ses écritures, où serait le grand mal ?

Si, au lieu de leur remplir l'esprit de ces règles de grammaire, contre lesquelles nous-mêmes pourrions pécher, on leur lisait quelquefois un passage, d'un livre intéressant, si d'autres fois on leur donnait une conférence sur des objets qui sont à leur portée, qui rentrent dans les choses qu'ils voient souvent, si on leur donnait des explications sur les phénomènes naturels qu'ils peuvent constater, je crois qu'on développerait davantage chez eux le goût et le désir d'apprendre.

Quoi qu'il en soit, la contrainte est impossible après l'enfance, et il faut chercher ailleurs les remèdes au mal de l'oubli de l'enseignement.

Voilà donc pour ce qui concerne l'enseignement, et je crois que la Chambre pourra constater, par la progression que je viens d'indiquer, que notre liberté suffit, en matière d'enseignement, à nos besoins et que la contrainte n'est pas réclamée par les faits qu'on a imaginés.

Je ne me dissimule pas, messieurs, qu'il y a encore beaucoup à faire, en matière d'enseignement, et le gouvernement est décidé à faire tout ce qui est en son pouvoir, mais il a besoin d'avoir le concours de tous dans cette question. Les bureaux de bienfaisance, par exemple, ne font pas tout ce qu'ils doivent faire, ne dépensent pas assez pour l'enseignement, car je suis convaincu que c'est là un des meilleurs emplois qu'ils pussent faire de leurs revenus. Ils n'agissent pas assez énergiquement pour engager les parents à envoyer leurs enfants à l'école. Il faut que tous interviennent dans cette grande œuvre de l'instruction populaire.

J'ai donné pour instruction aux inspecteurs, de signaler, dans toutes les localités, les circonstances, quelles qu'elles soient, qui peuvent favoriser la fréquentation des écoles, les moyens d'action, directs ou indirects, qu'on peut avoir sur les individus pour atteindre le but.

Messieurs, j'aborde plus spécialement la question du travail des femmes et des enfants dans les manufactures.

La question du travail des femmes et la question du travail des enfants se séparent.

On demande la réglementation du travail des femmes pour le Hainaut, pour les femmes employées dans les charbonnages. On demande la limitation du travail des enfants pour les Flandres, pour la ville de Gand spécialement.

Je me propose d'indiquer à la Chambre comment on peut résoudre la question en intervenant. Je lui indiquerai, pour les deux cas, comment, si une loi doit être faite, on peut la faire. J'ai promis de donner des (page 263) renseignements, d'étudier la question. Je prouverai que je l'ai étudiée jusqu'au point de pouvoir rédiger un projet de loi. Mon exposé sera complet, en indiquant quels sont les inconvénients, quelles sont les objections qui se présentent et qui font hésiter.

J'ai dit que pour les femmes il ne s'agissait que du Hainaut (très peu de la province de Liège), où existent les exploitations de charbonnages.

On peut faire une loi qui ne donne aucune difficulté dans la pratique, qui sera acceptée par les industriels comme par les ouvriers, qui ne produira pas plus de secousse dans le travail que dans le ménage de l'ouvrier,

Il faut évidemment, pour arriver à un résultat, faire une réforme en pente douce ; ce sont les seules qui réussissent.

Or, il suffit de défendre aux jeunes filles qui sont nées après le 1er janvier 1857 ou 1856, qui donc sont âgées de douze ans, de descendre dans les charbonnages.

Le résultat sera celui-ci : le recrutement sera empêché ; chaque année le nombre des femmes diminuera ; comme les femmes ne descendent guère dans les mines après un certain âge, on arrivera a une suppression complète du travail des femmes. Successivement les filles seront remplacées par des garçons.

Je crois qu'au point de vue pratique, ce système est à l'abri de toute objection. Pas une plainte ne s'élèvera.

Mais voici les objections.

Je me demande d'abord : Réaliserons-nous un bien ? allons-nous atteindre par cette mesure ce que j'indiquais tantôt comme l'idéal ?

Si nous pouvions penser que les jeunes filles que nous allons écarter des puits, des mines, vont aller à l'école, rester ensuite dans leur famille, devenir de bonnes ménagères, ce, serait certes un progrès immense, et je dirais : Agissez immédiatement, n'attendez pas vingt-quatre heures.

Mais en sera-t-il ainsi ? Quand vous aurez dit à ces jeunes filles : « Vous ne descendrez plus dans les mines, » ne travailleront-elles pas dans les ateliers de la surface ? Il y a plus de femmes qui travaillent à la surface que de femmes qui travaillent dans les mines. Les salaires sont les mêmes.

Les désordres qu'on signalait dans les mœurs sont les mêmes pour celles qui travaillent au jour que pour celles qui travaillent au fond, et le rapport fait à l'Académie de médecine par une commission spéciale constate que les désordres ne se commettent presque jamais à l'intérieur, parce que les mineurs ont la conviction que la malédiction divine frapperait les auteurs de ces désordres, s'ils les commettaient dans les mines. Ce. qu'on regrette, c'est que dans les mines on convient des lieux où l'on se rencontrera ; or, on convient parfaitement d'un rendez-vous sans être dans un puits de charbonnage.

Vous voyez donc que vous n'aurez pas fait un grand pas si vous vous bornez à défendre aux femmes de descendre dans les charbonnages.

Mais je. suppose qu'allant plus loin, vous disiez : Nous allons défendre aux femmes non seulement de travailler dans le fond, mais de travailler aux travaux miniers de la surface. La mesure deviendrait très grave, et je ne vois pas pourquoi l'on ne défendrait pas alors aux femmes de travailler dans les hauts fourneaux, dans les filatures.

Dans ces usines, les sexes ne sont pas séparés, ils ne sont pas séparés a la sortie, et l'on peut très bien convenir d'un rendez-vous dans le haut fourneau ou la filature. Il y a moins de salubrité dans les filatures qu'au fond des mines. Je sais bien que dans les Flandres, où il n'y a pas de mines, on se figure, qu'un charbonnage à 600 mètres sous terre, c'est quelque chose d'horrible ; mais on doit bien se persuader que pour les populations charbonnières, l'entrée dans une filature est tout aussi pénible, et si les ouvrières des mines étaient placées dans une filature, elles réclameraient avec larmes de pouvoir descendre dans les charbonnages.

Au point de vue de l'éducation de la femme, si le travail des mines l'empêche d'être apte aux soins du ménage, de devenir bonne mère de famille, le travail des fabriques n'amène-t-il pas absolument le même résultat ?

Où vous arrêterez-vous dans cette voie ? Je suppose que vous défendiez aux femmes toute espèce de travail en commun, proscrirez-vous aussi la dentelle à domicile ? Mais la dentelle à domicile est quelque chose d'aussi nuisible au développement de la femme que le travail dans les mines. Une fois que vous serez sur cette pente, vous serez amenés a tout réglementer à tout proscrire, à dire à la femme : Vous soignerez le ménage et vous ne ferez pas autre chose. Quelle police faudra-t-il pour arriver à ce résultat ?

Maintenant, messieurs, pour arriver à cette proscription, il faudrait que nous eussions des faits spéciaux. Y a-t-il une immoralité, plus grande dans les charbonnages, une altération de la santé plus considérable que dans les autres travaux industriels ? Voilà la question.

La commission médicale a fait une enquête sur la santé des femmes qui travaillent dans les mines. Je rends un éclatant hommage aux intentions, au zèle et aux connaissances de cette commission ; mais elle me permettra de discuter quelques-unes de ses appréciations. Je crois que parfois le désir du bien l'a fait sortir des limites du vrai.

La commission n'est-elle pas arrivée avec la conviction que la santé des femmes devait être mauvaise et avec le désir de constater qu'elle était mauvaise ?

Voici ce que je lis dans son rapport :

« La commission a entendu bon nombre de praticiens et de sage-femmes, mais les uns n'avaient pas eu l'attention fixée sur les points en question, c'est le plus grand nombre, les autres ne fournirent que des réponses ambiguës. On avait prévenu les membres de la commission qu'ils auraient quelque peine à découvrir la vérité, si elle était mauvaise. Ils s'en aperçurent aisément dans les interrogatoires auxquels ils procédèrent. Ils comprirent le mobile de la réserve des praticiens, en voyant avec quelle insistance ceux qui consentaient à fournir des éclaircissements écrits, demandaient qu'on ne publiât pas leurs noms. »

Voilà des praticiens qui sont dans un pays houiller, et la plupart d'entre eux ne se sont pas aperçus qu'il y avait là une déformation du bassin ou un autre vice organique !

Voyons si la santé est si déplorable dans le Hainaut.

Ce que l'on reproche surtout, messieurs, aux travaux des mines, ce sont les accidents dans les accouchements.

Voici la statistique des mort-nés, qui n'a pas été faite pour les besoins de la cause.

Evidemment, s'il y a là une lésion organique, nous devons trouver un nombre plus considérable de mort-nés dans les pays charbonniers que dans les autres.

Voici ce que nous trouvons dans la statistique décennale : «

Le nombre des naissances pour un mort-né, pendant la période de 1821-1800, est le suivant : Liège 20.10, les deux Flandres 20.40, Anvers 21.40, Limbourg 21.60, Brabant 21.80, Hainaut 24.80, Namur 29.40 et Luxembourg 29.90.

Ainsi, le Hainaut vient en troisième rang pour le petit nombre des mort-nés.

Mais si toutes les femmes qui travaillent dans les houillères avaient des accidents spéciaux qui les rendent moins propres à avoir des accouchements normaux, cet état de choses ne se traduirait-il pas par des chiffres ?

Je passe, messieurs, à la moralité. Il s'agit de comparer les naissances légitimes avec les naissances illégitimes.

Brabant 15 naissances illégitimes pour 100 légitimes, Hainaut 9.44, Anvers 8.85, Flandre orientale 7,98, Liège 7,21, Namur 5.21.

Les autres ont des chiffres moindres.

Ainsi, la province qui donne le plus grand nombre de naissances illégitimes c'est le Brabant, et le Hainaut reste, à pou de chose près, sur la même ligne que la province d'Anvers.

Voici d'autres chiffres bien plus précis. Je compare des localités essentiellement charbonnières avec des localités de même importance, car, il faut bien le, remarquer, ce qui donne lieu au plus grand nombre de naissances illégitimes, c'est l'agglomération plus grande. Plus une ville est grande, plus il y a d'immoralité.

Gilly (5,220 habitants en 1866) donne 7 p. c. de naissances illégitimes, Renaix (12,237 habitants) également 7 p. c.

Châtelet (7,681 habit.), 11 p. c, et Nivelles (9,385 habit.), 10 p. c.

Courcelles (7,881 habit.), 9 p. c, et Heyst-op-den-Berg (5,741 habit.), 9 1/2 p. c.

Dampremy (5,535 habit.), 8 1/2 p. c, et Braine-l'Alleud (5,562 habit.), 8 p. c.

Seraing (25,364 habit.), 9 1/2 p. c, et Namur (27,196 habit.), 13 p. c.

Voilà la situation.

Eh bien, messieurs, quand on voit ces chiffres, on doit se dire que dans la déclaration qu'on mit à cet égard il y une exagération complète.

Messieurs, notez que je ne prétends pas que ce soit une bonne chose que la femme descende dans les charbonnages. Loin de là, je désirerais au (page 264) contraire qu'elle n'y descende pas. Mais je veux démontrer qu'il n'y a pas là urgence, qu'il n'y a pas un mal exceptionnellement flagrant, et que si quelque chose peut être fait, on ne doit pas procéder comme s'il s'agissait d'extirper un fléau public.

On a aussi parlé de la dégénérescence de l'espèce humaine et de la mortalité.

Voyons ce qu'il en est : je prends les décès ; les chiffres que je vais vous citer sont le nombre d'habitants pour un décès :

Province de Namur 53, de Luxembourg 51, de Hainaut 49, de Liège 46, de Limbourg 45, d'Anvers 44, de Brabant 43, de Flandre orientale 43, de Flandre occidentale 39.

La situation est-elle donc si mauvaise, et les charbonnages exercent-ils une si fâcheuse influence ?

Je passe à la milice. C'est là, si vous vous le rappelez, que la Ligue de l’enseignement voit surtout le mal : Les miliciens de plus en plus frêles et déformés !

Voici la situation à cet égard :

Depuis 1843, les exemptions provisoires pour défaut de taille sont tombées de 7,000 à 2,000. Ainsi le nombre des miliciens exemptés pour défaut de taille n'est plus que le tiers de ce qu'il était il y a vingt-cinq ans.

Et l'on nous dit que les populations deviennent de plus en plus frêles !

Pour les infirmités corporelles, les exemptions définitives sont tombées de 3,000 à 1,700, les exemptions provisoires de 2,800 à 1,400.

Voilà les faits, voilà les chiffres de la statistique. Quand ils constatent de pareils résultats, on peut déclarer que la situation est. aussi bonne qu'on le désire et repousser les téméraires allégations qui se sont produites dans cette question.

Maintenant, permettez-moi de vous citer quelques indications du rapport de l'Académie de médecine, et vous allez voir comment on peut passionner les esprits par des choses étrangères à la question.

Je tiens à le dire :

Nous cherchons à faire ce que nous pensons être le mieux. Qu'on nous démontre qu'il y a quelque chose à faire d'utile et nous le ferons, car nous sommes animés des mêmes sentiments que les plus ardents adversaires du travail des enfants et des femmes.

Mais nous devons demander qu'on examine la question avec calme et non qu'on fasse des déclamations.

Ainsi je lis à la page 49 :

« La femme du houilleur est-elle attirée au dehors par un motif quelconque, elle confiera la garde de ses enfants à un enfant plus âgé, à quelque vieille femme, moyennant une certaine rétribution, les laissant ainsi exposés aux périls d'une surveillance insuffisante. C'est en de telles circonstances que nous avons vu récemment une mère rentrant au logis y trouver son enfant expirant, consumé par le feu ; le mois dernier, un petit garçon de trois ans fut écrasé par une locomotive au passage à niveau de Marihaye, à Seraing ; quelques jours plus tard, un autre faillit se noyer dans la Meuse. »

Voilà donc qu'on nous cite trois accidents. Mais n'y en a-t-il donc jamais dans les Flandres, où l'on ne trouve pas de charbonnages ; est-ce que jamais aucun enfant n'y est brûlé ; est-ce qu'on n'en voit jamais, non pas qui manquent de se noyer, mais qui se noient ?

Vraiment, messieurs, ne sont-ce pas là des considérations étrangères à la question ?

Mais ce n'est pas tout : on constate encore un fait d'une immoralité épouvantable commis dans un charbonnage. Je ne puis pas citer tout ce passage, car le médecin est comme le latin : dans les mots, il brave l'honnêteté.

Un viol a été commis dans un charbonnage ! Qu'est-ce que cela prouve ? Est-ce que jamais on n'a commis de viol ailleurs que dans des charbonnages et faut-il en conclure qu'il faut défendre aux femmes de descendre dans les mines ? Voilà cependant un des arguments de la thèse que je discute ; c'est un fait isolé, mais qui est de nature à faire impression, parce qu'on est presque toujours tenté de généraliser.

Les savants rédacteurs de ce rapport savent aussi bien que moi que ce n'est pas un procédé scientifique.

Voici d'autres faits encore :

« Ainsi, dit-on, on voit la femme s'attabler au cabaret ou culotter des pipes sur le seuil de sa porte et ne différer des hommes que par des détails de structure anatomique. »

Eh bien, messieurs, j'ai habité un pays charbonnier pendant bien des années ; je m'y rends très fréquemment encore, et je dois dire que jamais je n'y ai vu ni une femme de travailleur, ni une autre, culotter des pipes sur le seuil de sa porte, ni ailleurs.

M. Coomans. - A Bruxelles, cela se voit. (Interruption.)

MiPµ. - Et après tout, cela fût-il, j'avoue que je n'y verrais pas grand mal ; je ne crois pas, d'ailleurs, que si la femme fumait, nous aurions bien le droit, nous qui nous donnons généralement ce plaisir, de faire une loi pour l'en empêcher.

Dans tous les cas, messieurs, ce n'est pas du tout le travail des charbonnages qui peut développer le goût de la pipe chez la femme, puisqu'il est défendu de fumer dans les fosses, et cela par la raison bien simple que si l'on y fumait on s'exposerait à mettre le feu au grisou et à causer les plus graves accidents.

Maintenant, messieurs, voici quelque chose de plus poétique, encore.

« Il nous suffit d'avoir constaté l'influence des travaux des mines sur la nature physique de la femme dans ce qu'ils ont de propre et de manifeste ; nous verrons bientôt les conséquences qui en découlent. Suivons maintenant la femme au sein de la famille, comme être moral et intellectuel. L'être abstrait, isolé, va disparaître ; il s'agit de saisir l'épouse, la mère, la fille, la sœur. Son histoire comprend celle de toute sa race.

« La cloche a donné le signal. Le cuffat s'arrête dans son ascension ; il en sort un groupe de travailleurs dont la tâche est finie. D'autres vont les remplacer. Quelques-uns s'acheminent vers le logis. Entrons avec ceux-ci dans cette partie de la houillère à laquelle on donne le nom d'aise. C'est une chambre de repos où pétille un bon feu de houille, car il fait frais en dehors. Là sont couchés pêle-mêle des hommes, des femmes, des jeunes gens, des filles, des enfants, qui ne trouveraient encore chez eux ni eau chaude, ni feu, ni café : ils attendent l'heure où l'on sera découché au logis. Ils se lèvent enfin et s'en vont par groupes. Ils cheminent joyeusement, animant leur marche par des refrains et de gais propos. Toutes les licences, toutes les privautés sont permises. Pendant ce retour, au crépuscule, bien souvent la fille des houillères s'écarte un peu de la bande pour se livrer, sans honte ni pudeur, presque sous les yeux de ses compagnons de travail.

« Enfin, elle rentre au logis, monte à son étroite chambre. Elle y cherche du regard le matelas où se trouve une place vide. En voilà une que vient de quitter un logeur pour aller à son travail. Qui repose à l'autre ? C'est son frère, son père, son oncle, son cousin, un étranger peut-être ! A-t-elle le temps de s'en préoccuper ? Elle est fatiguée ! Elle prend la première place venue, sans que son imprudente mère s'inquiète des conséquences qui peuvent résulter de cette insouciance. »

Je vous le demande, messieurs, n'est-ce pas un véritable roman ?

Ainsi, toutes les maisons sont occupées par des logeurs, ce qui ferait croire que les jeunes houilleurs sont dépourvus de famille.

« Fait-elle sa toilette, elle agit comme si elle était seule ; tout près, pourtant, des hommes se lavent, à moitié nus comme elle.

« Pourquoi rougirait-elle ? Ses sœurs sont à côté qui en font autant ; le fait est passé dans les habitudes.

« Sa mère, qui tient la poêle où frit une tranche de lard, est là aussi, simplement vêtue d'une chemise et d'un jupon, la gorge découverte. »

La gorge découverte ! Voilà une terrible affaire ! messieurs, j'aime beaucoup la pudeur ; mais je me demande où les honorables signataires de cette pièce mettent leurs yeux quand ils sont dans un bal !

« Le repas terminé, il est une heure : la mère n'a pas de bas aux pieds ; ceux des enfants sont troués : il y aurait une pièce à mettre à la camisole du père, mais il faudrait pour cela savoir tricoter, coudre. La femme ne le sait point, parce que la jeune fille ne l'a jamais appris. Son enfant, aussi ignorante qu'elle, attend désœuvrée avec impatience l'heure qui rappelle au travail ; elle la devancerait, si elle pouvait, car dimanche c'est la kermesse, et une double tâche permettrait d'acheter un bonnet enrubanné, un jupon et des bas blancs pour aller au bal. Si l'on n'a pas encore assez d'argent, on payera le commerçant à la quinzaine ! »

Voilà donc, messieurs, la jeune fille qui est rentrée le matin et la voilà, à une heure, impatiente au travail. Il y a de la vigueur dans la population de ce pays, puisqu'on y a le courage d'aller travailler après une nuit pareille.

Maintenant, je trouve encore :

« Nous dégénérons tous dans nos pays de fiévreuse activité, dégénérescence physique indéniable dans la masse, dégénérescence morale démontrée (page 265) par l'augmentation progressive de l'aliénation mentale et l'abaissement des caractères. »

Vous avez vu la statistique, quant à la dégénérescence physique ; je n'ai pas, messieurs, de statistique morale.

Mais est-il sérieux de croire que si la femme descend dans un charbonnage, les caractères s'abaissent en même temps ?

J'ai terminé ce que j'avais à dire sur le travail des femmes dans les mines.

J'ai indiqué les solutions possibles et les objections qui s'élèvent contre elles.

La question est à l'étude : l'Académie s'en occupera, le travail de sa commission sera discuté.

Je crois avoir démontré qu'on peut attendre avec calme le moment d'une solution mûrement étudiée.

J'arrive au travail des enfants.

Je veux indiquer, en commençant, ce que la réforme devrait être à cet égard, si on voulait la tenter ; quelles sont les dispositions qui pourraient être insérées dans la loi en restant dans de justes bornes.

Il faut distinguer le travail des enfants en deux catégories : le travail principal et le travail auxiliaire.

Le travail principal des enfants est celui qui se fait directement par eux, sans que le travail d'adultes soit lié au leur. La fabrication des dentelles, par exemple, est dans ce cas.

Dans le travail accessoire, au contraire, l'enfant est attaché à un ouvrier fait ; il lui sert d'aide ou, tout au moins, son action est subordonnée à celle de ce dernier.

Il en est ainsi dans les filatures, où le travail des enfants est tellement lié à celui des ouvriers faits, que l'on ne pourrait faire marcher le travail des uns sans celui des autres.

S'il faut prendre des mesures dans l'intérêt des enfants qui ne sont qu'auxiliaires, quand ils sont employés dans une grande fabrique de filature, par exemple, il n'y a, selon moi, qu'un seul système à adopter, c'est le système du demi-temps, qui consiste à faire travailler l'enfant pendant une première partie de la journée et à le faire remplacer par un autre enfant pour la deuxième partie.

C'est le système du demi-temps ou celui des deux brigades ; c'est celui, du reste, qui a été préconisé par les conseils communaux de Gand et de Bruxelles, et c'est le système qui est adopté en Angleterre.

Pour les autres industries, le système du demi-temps n'est pas nécessaire ; on peut limiter le travail dans d'autres mesures, en le réduisant, par exemple, à 5, 7 ou 8 heures par jour, selon les âges.

Il y a donc là une distinction à faire, mais la loi peut comprendre les deux cas.

Je crois qu'il est inutile de limiter le minimum d'âge de l'enfant. Si le demi-temps est employé, l'enfant ne sera pas épuisé. ; six heures de travail n'est pas excessif pour l'enfant qui a la force d'accomplir ce travail.

Il n'y aurait pas lieu non plus de limiter l'âge des enfants pour les industries autres que celles auxquelles j'ai fait allusion. Car là le travail est encore moins fatigant ; pour les petites filles, par exemple, la fabrication de la dentelle, limitée à un petit nombre d'heures, peut être commencée très tôt.

Ainsi, dans les deux cas il n'y aurait pas lieu de fixer un minimum d'âge. Mais il serait nécessaire de déterminer l'âge auquel la loi s'appliquerait, et à cet égard je crois qu'il faudrait être très circonspect et qu'on ne pourrait, dans aucun cas, jamais dépasser 12 ou 13 ans.

Ainsi, pour le système du demi-temps appliqué aux grandes industries, on irait jusqu'à 12 ou 13 ans ; pour les autres industries, on aurait une limitation qui varierait d'après la nature du travail et qui devrait être réglée pour chaque industrie en particulier.

Voilà, messieurs, dans quelles limites on pourrait restreindre le travail.

Je suppose que nous appliquions le système, qu'il soit admis dans la pratique, que nous n'ayons pas ce qui est arrivé dans d'autres pays : une loi sur le papier pendant bien des années.

Ce qui me préoccupe, c'est de savoir si nous produirons un bien quelconque.

C'est là la question. Si le bien doit exister, faisons la loi. Mais le principe fondamental de toute question sociale est celui-ci : c'est qu'il ne faut pas seulement considérer ce qu'on voit, mais surtout ce qu'on ne voit pas. C'est, si je me le rappelle bien, l'intitulé d'un chapitre de Bastiat.

C'est là le fondement de toutes les questions économiques ; c'est faute d'avoir toujours tenu compte de ce principe fondamental que tant d'erreurs économiques ont été commises.

Je vais en donner un exemple : S'il est quelque chose de bien condamné aujourd'hui, c'est le système protectionniste.

Nous savons qu'il n'est plus qu'un seul membre de cette Chambre qui soutienne encore ce système, mais avec une énergie toujours croissante qui nous étonne autant que nous réjouit sa verdeur croissante d'esprit ci de corps.

Qu'est-ce qui avait induit en erreur en matière de protection ?

C'est que, au moyen d'une douane quelconque, on conservait ou faisait surgir un établissement d'industrie ; avec une douane, messieurs, on peut provoquer en un an, en Belgique, toute espèce de fabrications ; supposons que nous n'ayons pas de coutelleries ; d'ici à un an, avec une douane, je créerai de magnifiques établissements de coutellerie ; je pourrai vous les montrer d'un air triomphant et vous dire : Voilà ce que. j'ai fait avec ma protection ; voilà mille ouvriers auxquels j'ai donné du travail. (Interruption.)

Je n'entends pas discuter en ce moment la question de la protection ; j'en ai déjà assez d'autres à examiner ; mais je veux vous montrer que ce qui a induit en erreur en matière de protection, c'est qu'on voyait des fabriques se soutenir grâce à ce système.

Mais ce que nous ne voyions pas et ce que nous avons été des années à ne pas voir, c'est que, par ce moyen, nous empêchions une quantité d'autres industries de se développer, que nous avions d'autres établissements qui font des produits qu'on ira échanger à l'étranger contre ceux dont on a besoin.

Je suis convaincu que vous réussiriez à purger les filatures de coton de Gand de tous les petits enfants qu'on y emploie. Les faits que l'on signale comme révoltants ne se produiraient plus. Mais où iraient- les enfants ? Voilà la grave question.

- Un membre. - Ils iront à l'école.

MiPµ. - Vous l'ignorez. Quand» vous les aurez exclus de ces grands établissements, où il y a des abus, je veux bien le reconnaître, où il se passe des choses profondément regrettables et que je regrette autant que vous, n'iront-ils pas dans les petites fabriques, dans, les petits ateliers, qui sont le domicile de citoyens ?

Et savez-vous ce qui se passe dans ces petits ateliers ? Mais c'est là que les abus les plus graves se produisent.

Voici ce que dit la Ligue de l'enseignement. Je puis bien invoquer une de ces phrases, après en avoir attaqué d'autres :

« On demanda la définition de l'établissement industriel, et l'on fit observer avec raison que les petits ateliers des artisans sont souvent plus funestes à l'enfant que les manufactures. »

Voilà le danger.

Remarquez, en effet, que dans les grandes fabriques, malgré les abus, il y a encore un certain contrôle de publicité. La publicité est partout une grande garantie. Elle en est une dans les établissements où il y a beaucoup d'ouvriers.

Mais si les petits enfants, qui ne sont plus admis dans les grandes manufactures, vont dans ces petits ateliers, au lieu d'avoir fait un bien, n'aurez-vous pas fait un mal ? Vous vous serez privés de tout contrôle, car vous ne pouvez penser à entrer dans les petits ateliers, à violer, pour ainsi dire, le foyer domestique. Ecoutez ce que l'on a dit à ce propos en France.

« La surveillance, dit M. Dupin, dans son rapport en 1847, descendrait jusque dans l'intimité du foyer de famille. Elle ne punit pas le père qui fait travailler ses enfants au dehors un plus long temps que. la loi ne le permet, et désormais elle le punirait pour le faire travailler chez lui, sous ses yeux, plus que ne le voudrait la loi.

« Quels seraient les moyens de conviction ? Irait-on interroger, contre le père de famille, ses enfants, sa femme, ses compagnons, son serviteur et sa servante ? Un sentiment moral impérieux repousserait ces délations dénaturées et quotidiennes : elles pervertiraient les mœurs du peuple.

« Les manufacturiers que nous avons entendus, désireux de voir élargir le cercle des établissements soumis à la loi, ont tous pensé qu'il fallait cependant s'arrêter à la porte de l'atelier de famille et ne pas la franchir. »

Il y a donc une chose que vous ne franchirez pas, c'est le seuil du foyer domestique. Vous n'y entrerez pas.

Eh bien, craignez qu'en voulant trop bien faire pour les choses que vous voyez, vous n'ameniez des choses que vous n'entrevoyez pas pour le moment. C'est ce qui m'arrête, c'est pour moi la considération la plus forte, parce que je ne vois pas de garantie contre ces abus.

Messieurs, a-t-on réussi dans les pays étrangers ? Mais, en France, vous savez que la loi n'est qu'une lettre morte et, par un décret tout récent, on vient d'y réorganiser l'inspection, parce que depuis 1841 elle n'avait produit aucun effet. Voyez les discussions, elles vous donneront la preuve que, dans des départements entiers, la loi n'a rien fait, absolument rien fait.

En Angleterre, savez-vous ce qui est arrivé ? On a diminué le nombre (page 266à des enfants, même avec l'introduction du système du demi-temps dans les fabriques. Eh bien, l'introduction de ce système, s'il avait agi comme nous pensons qu'il agira, augmentera le nombre des enfants dans les fabriques. Le but que nous devons poursuivre est celui-ci : c'est de doubler le nombre des enfants dans les grandes fabriques en employant deux brigades au lieu d'une. Je reconnais que le résultat serait excellent, magnifique ; mais peut-on y compter ?

On a signalé, en Angleterre, des faits monstrueux ; si la législature est intervenue, c'est parce qu'il y avait des scandales effrayants, tout ce qu'on peut imaginer de plus odieux ; mais il faut bien rendre cette justice à notre pays, nous n'avons jamais eu ces énormités qui ont provoqué les mesures prises en Angleterre, et je trouve que c'est un honneur plus grand que celui d'avoir senti la nécessité d'une loi.

Maintenant, supposons qu'il y ait quelque chose, à faire. Avons-nous tenté tous les moyens auxquels il faut recourir avant d'en venir à la réglementation légale ? La Ligue de l'enseignement a fait une circulaire pour engager ses membres à réunir tous leurs efforts pour empêcher ces abus, serait-il bien difficile aux industriels de s'entendre à cet égard ? (Interruption.)

L'honorable échevin de. Bruxelles disait qu'à Bruxelles même on ne connaissait pas d'abus, qu'il n'y avait rien à constater dans la capitale.

M. Funckµ. - J'ai dit que moi, personnellement, je n'avais rien à signaler.

MiPµ. - Mais l'honorable M. Funck a étudié la question avec un soin tout particulier, sa position le met à même d'être bien renseigné, et l'on a le droit d'admettre que si l'on ne connaît aucun abus, c'est qu'il n'en existe pas beaucoup. Je ne nie pas qu'il y ait des abus ; je reconnais même qu'il en existe, mais quelle en est l'importance ?

Sont-ils tels, que les particuliers ne puissent les extirper ?

Ils se produisent dans les filatures de Gand ; mais quel est le nombre de ces établissements ?

Il y a, je crois, trois établissements liniers à Gand ; il y en a six ou sept dans le pays.

Les directeurs ne pourraient-ils s'entendre pour régler le travail des enfants ?

Ne serait-ce pas plus simple que de recourir à notre intervention législative ?

M. d'Elhoungneµ. - Ils n'ont pas la naïveté d'attendre, comme vous, que tout le monde soit d'accord. Il suffit d'un seul dissident pour empêcher des mesures quelconques.

MiPµ. - Erreur incontestable !

Ce qui est arrivé à Liège prouve que l'unanimité est inutile ; des charbonnages ont supprimé le travail des femmes, tandis que d'autres l'ont conservé.

Pourquoi certaines filatures ne pourraient-elles adopter le système du demi-temps, qui ne nuit pas à l'industriel, sans attendre l'unanimité des intéressés ?

Les filateurs de coton ne sont pas bien nombreux non plus. Peut-être sont-ils tous signataires des pétitions. Pourquoi ne s'entendent-ils pas, au lieu, encore une fois, de demander au gouvernement des verges ? Je suppose que, sur dix filateurs, il y en ait huit qui consentent, croyez-vous que les deux autres puissent résister ?

Ils ne l'oseraient pas. L'opinion publique les contraindrait à suivre le courant de la majorité.

Il est fort important de remarquer que les abus signalés se localisent surtout à Gand. L'administration communale n'est pas désarmée à cet égard, elle pourrait par un moyen très simple résoudre la question.

Qu'est-ce qui empêche la ville de mettre un impôt sur les enfants qui travaillent plus de six heures par jour dans les fabriques ?

Vous demandez que l'on commine une amende ; les mêmes mesures seront nécessaires, et les résultats seront les mêmes.

Cette mesure locale serait le plus utile des enseignements : nous pourrions étudier sur le vif les effets de la mesure ; et l'on saurait, par la plus instructive des expériences, si l'action de l'autorité produit de salutaires effets.

J'ai remplis ma tâche ; je voulais vous apporter les considérations qui doivent être méditées ; j'ai écarté, à ce que je crois, des allégations inexactes ; j'ai signale la prudence qu'il faut mettre à entrer dans une voie où la logique pourrait conduire plus loin qu'on ne veut ; mais j'ai laissé la question entière, et. la porte ouverte à toutes les solutions.

Je crois avoir rempli un devoir en prémunissant le pays contre des exagérations et en montrant que, loin de marcher a la décadence, nous marchons vers le progrès, en le. mettant en garde contre les entraînements de sentiments généreux qui ne conduisent au bien que quand ils se soumettent à là direction de la raison..

C'est par un froid et mûr examen que vous réaliserez l'objet de vos aspirations.

- La séance est levée à 5 heures.