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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 14 janvier 1869

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1868-1869)

(Présidence de M. Dolezµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 243) M. Dethuin, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 1/4 heures.

M. Van Humbeeck, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la précédente séance ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

Il présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Nelis demande que le notariat soit rendu libre. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Bogaert demande qu'il soit pourvu à la place de notaire vacante à Saint-Gilles. »

- Même renvoi.


« La députation permanente du conseil provincial d'Anvers transmettant le vœu émis par ce conseil, que toutes les mesures soient prises pour préserver l'agriculture d'une décadence complète, appelle sur ce vœu l'attention du gouvernement et des Chambres. »

- Même renvoi.


« Le sieur Birons, président de l'association des secrétaires communaux de la province de Luxembourg, demande qu'il soit pris des mesures pour améliorer la position des secrétaires communaux. »

- Même renvoi.


« Le sieur Freutz demande l'inscription obligatoire et jour par jour, au Moniteur belge, du nombre d'exemplaires de chaque journal déposés aux bureaux des postes de la Belgique. »

- Même renvoi.


« Les membres du conseil communal de Peissant demandent la prompte et complète exécution du chemin de fer de Frameries à Chimai avec embranchement de Beaumont vers Thuin. »

« Même demande des membres des conseils communaux de Rouveroy, La Buissière, Bersillies-1'Abbaye, Vergnies, Forges, Thirimont, Fourbechies et des habitants de Sivry. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur des pétitions relatives au même objet.


« D'anciens palefreniers du haras de l'Etat demandent qu'il leur soit accordé un traitement de disponibilité. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur.


« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, neuf demandes de naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« M. Quetelet adresse a la Chambre 126 exemplaires du tome premier de la Physique sociale ou Essai sur le développement des facultés de l'homme, qu'il vient de publier.

- Distribution aux membres de la Chambre et dépôt à la bibliothèque.


« Le sieur Vanhoorebeke, commis des postes en disponibilité, demande une. indemnité ou le payement de sommes qui lui seraient dues. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« M. Le Hardy de Beaulieu, obligé de s'absenter, demande un congé. »

- Accordé.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur de l’exercice 1869

Discussion générale

M. de Maere. - Messieurs, ce n'est pas sans éprouver un embarras réel que je me lève. J'ai à vous entretenir d'une question qui, à plus d'une reprise déjà, a été traitée devant cette Chambre, il est vrai presque toujours incidemment, et qui peut-être à cause de cela, et je vous prie d'excuser la présomption de mon langage, ne me semble pas avoir été exposée sous son véritable jour. Elle est pourtant de la plus haute importance ; elle se rapporte à la situation morale et intellectuelle des populations flamandes, et est connue communément en Belgique sous le nom de question flamande.

Sans les débats que les affaires de Saint-Genois ont fait naître dans cette enceinte, j'aurais peut-être hésité encore. Mais à la suite des discussions qui ont eu lieu ici, j'ai été amené à me demander si les faits constatés à Saint-Genois n'étaient pas des symptômes locaux d'une situation générale donnée ; je me suis demandé si, considérée dans son ensemble, la civilisation du peuple en Flandre se développait, et se développait harmoniquement.

Je me suis enquis de l'état intellectuel, moral et social des populations, et je suis arrivé, j'ai hâte de le dire, à des conclusions telles, que toute hésitation a disparu et que j'ai considéré comme un devoir impérieux de réclamer pendant quelques instants votre bienveillante attention.

Je me suis rappelé, au surplus, qu'un des hommes les plus éminents que cette Chambre ait possédés, l'honorable M. Devaux, a dit, dans une discussion qui remonte à quelques années déjà, que lorsque des hommes modérés et sensés voudront s'occuper de la question flamande, en mettant de côté.la passion et l'esprit de parti, ils s'entendront facilement.

Cette assurance m'a tenté et séduit, et c'est en quelque sorte sous le patronage du nom que j'ai invoqué que je veux, à mon tour, examiner, sans passion, sans parti pris, sans même formuler un seul grief, la question soulevée.

Cela dit, j'aborderai, sans autre préambule, le fond même du débat. La question, messieurs, a deux faces.

L'une, concerne la Belgique entière, l'autre intéresse les populations flamandes proprement dites. J'examinerai successivement ces deux faces.

J'entends par populations flamandes celles des quatre provinces : Limbourg, Anvers, Flandre orientale et Flandre occidentale ; elles constituent ce que j'appellerai le groupe flamand, par opposition au groupe wallon qui se composer a également de quatre provinces, à savoir : Liège, Luxembourg, Namur et Hainaut.

Je laisserai en dehors des considérations auxquelles je vais me livrer la province de Brabant, qui compte une population mi-wallonne, mi-flamande, et qui, à cause de sa ville principale, capitale du pays, se trouve dans une situation exceptionnelle et anormale. La marche de cette province, à tous les points de vue du mouvement social, doit être évidemment différente de celle de toutes les autres.

Cela dit, voyons quel a été le développement respectif des deux groupes qui composent la nationalité belge, depuis le jour de son émancipation. Je veux examiner ce développement au double point de vue de l’état intellectuel et de l'état social des populations, car ce sont ces deux états qui constituent la civilisation elle-même.

Je rechercherai d'abord les faits, que je recueillerai et mettrai en lumière, sans autre dessein que l'exactitude de tout ce qui s'est passé.

C'est évidemment une nécessité. Il faut prendre, dans l'étude des problèmes sociaux, les faits pour base et pour règle ; aucune idée générale, aucune théorie, ne peut avoir de valeur réelle si elle n'est sortie du sein des faits.

S'il résulte, de l'examen auquel nous allons nous livrer que rien dans le groupe flamand n'a fait obstacle à l'accroissement de la prospérité, à l'extension des idées ; si là, comme dans le groupe wallon, tout a concouru, tout a travaillé au riche développement de l'homme et de la société, si en un mot la marche vers le progrès des deux groupes a été égale, simultanée, parallèle, il n'y aura point lieu de prendre en considération les plaintes qui ont surgi, il n'y aura point lieu de modifier le système gouvernemental suivi jusqu'à ce jour.

Mais s'il est démontré, au contraire, que le mouvement ascendant intellectuel et social du groupe wallon a dépassé, et de beaucoup, celui du groupe flamand ; s'il est constaté qu'il y a eu enrichissement chez l'un, appauvrissement chez l'autre, en un mot que l'un a avancé alors que l'autre a reculé ou tout au moins est resté stationnaire, il y aura lieu de rechercher la cause d'un tel état de choses, et si cette cause est découverte et signalée, il est du devoir de l'Etat de la faire disparaître, car elle est un obstacle à la civilisation générale du pays, et, à la longue, elle minera sourdement la base même de notre nationalité.

Un des premiers faits dont il faut s'enquérir lorsqu'on étudie les conditions de l'existence d'un peuple, se rapporte à la marche d'e la population et aux phénomènes secondaires qui s'y rattachent.

La progression continue et énergique de la population est un symptôme fondamental d'un état social prospère ; une progression faible et lente indique une situation maladive et troublée.

En 1830, le chiffre de la population du groupe flamand était de 1,860,000 âmes ; il était en 1864 de 2,150,000.

En 1830, celui des habitants de groupe wallon était de 1,360,000, en 1864 de 1,950,000 ; d'où il résulte que durant cette période l'accroissement dans le groupe flamand a été de 15 p. c. et dans le groupe wallon de 43 p. c. ; c'est-à-dire que, depuis 1830, la marche de la population dans le groupe wallon a été trois fois plus rapide que celle du groupe flamand.

En 1856, ce dernier avait progressé de 9 p. c. ; le premier de 26 p. c., (page 244) ce qui donne encore la même proportion et démontre que l'écart que nous signalons est constant et persiste.

Le nombre des naissances est le même sensiblement pour les deux groupes (il ne varie que de 1 sur 33 à 1 sur 36) ; mais il n'en est pas ainsi de la mortalité, celle-ci offre une différence de 26 p. c. L'écart le plus considérable a lieu entre la Flandre occidentale, où il meurt 1 habitant sur 39, et la province de Namur, où il n'y a que 1 décès sur 36 habitants.

Fait important, messieurs, car, vous le savez, le caractère industriel ou agricole des peuples n'exerce pas d’action marquée sur la mortalité dans une population prise en bloc. C'est surtout dans l'état de civilisation qu'il faut chercher en grande partie la solution du problème de la mortalité, à ce point que sauf des circonstances locales et extraordinaires, il est peut-être possible de mesurer, par le chiffre de la mortalité, les progrès d'un peuple dans l'ordre des intérêts moraux et matériels. C'est ainsi que nous voyons l'Angleterre au sommet et la Russie au bas de l'échelle des mortalités européennes.

On admet généralement que la situation d'un pays est plus favorable à mesure que le rapport entre les hommes mariés et la population augmente.

Le mariage, par l'aiguillon de l'hérédité, développe puissamment le domaine individuel de l'homme, c’est le stimulant le plus salutaire et le plus efficace de la production des richesses.

Eh bien, à ce point de vue encore, les provinces wallonnes l'emportent sur les provinces flamandes dans une proportion appréciable ; l'écart, en particulier, entre la Flandre orientale et la province de Namur est de 5 p. c.

Si l'on s'attache à la position sociale des individus, si l'on suit les progrès réalisés dans cet ordre de faits, on constatera des différences non moins remarquables. Les listes électorales, celles qui contiennent les noms des électeurs pour les Chambres législatives, en fourniront la démonstration. En 1850, deux années après la réforme de 1848, qui avait réduit le cens électoral au minimum prévu par la Constitution, alors que les listes des électeurs pour les Chambres pouvaient être considérées comme définitivement établies, le nombre des électeurs pour le groupe flamand montait à 36,530 ; celui des électeurs du groupe wallon à 27,540. En 1865, ces chiffres étaient respectivement de 45,850 pour le groupe flamand, de 37,792 pour le groupe wallon, c'est-à-dire que, dans ces quinze années, l'augmentation du nombre des électeurs a été pour les provinces flamandes de 25 p. c. ; pour les provinces wallonnes de 40 p. c. ; écart, 60 p. c.

Voyons l'état intellectuel.

En 1860, les 892 communes du groupe flamand contenaient 2,207 écoles primaires, dont 936 écoles communales et 821 écoles entièrement libres. Les 1,308 communes des provinces wallonnes possédaient en tout 2,538 établissements, dont 1,798 écoles communales et seulement 570 écoles libres ; c'est-à-dire que, dans les Flandres, sur 100 écoles primaires il y avait 42 écoles communales, et que, dans les provinces wallonnes, ce rapport était de 71 p. c ; ce qui veut dire, en d'autres termes, que la valeur de l'instruction d'un groupe à l'autre est de 4 à 7, en chiffres ronds, du simple au double.

Par 1,000 habitants, le nombre total des écoles, toutes les catégories comprises, va de 10 à 15 ; il est en particulier, pour le Luxembourg, du double de ce qu'il est dans la Flandre orientale ; du triple de ce que possède la province d'Anvers.

Si l'on consulte une autre source de renseignements, si l'on s'adresse a la statistique fournie par les conseils de milice, on obtiendra des résultats encore plus concluants.

En effet, d'après un des derniers tableaux publiés, celui de 1864, le rapport du degré d'instruction, c'est-à-dire, le nombre de militaires incorporés qui ont pu signer la déclaration de lecture des lois militaires, était pour les provinces flamandes de 13 p. c., pour les provinces wallonnes de 70 p. c. ; de 17 p. c. seulement pour la Flandre occidentale, alors qu'il était de 86 p. c. pour le Luxembourg, c'est-à-dire du quintuple. La Flandre orientale donne 34 p. c, la province de Namur 82 p. c.

Ainsi, messieurs, en 1864, alors que la loi sur l'instruction primaire fonctionnait depuis bientôt un quart de siècle, il se trouvait encore en Belgique une province peuplée de 666,000 âmes, où, sur 100 hommes incorporés, 83 marquaient d'une croix la pièce qu'ils ne savaient ni lire, ni signer.

Passons maintenant à l'état moral et examinons la criminalité, la grande criminalité d'abord, et par là j'entends les onze espèces de crimes qui, sous l'empire de l'ancien code pénal, entraînaient la peine capitale. Eh bien, messieurs, ici encore les résultats sont déplorables et tout entiers au déshonneur du groupe flamand.

En effet de 1830 à 1860 il y a eu pour ce groupe 493 condamnations à mort, contre 168 condamnations de même nature pour le groupe wallon ; en chiffres ronds, trois fois plus. Si l'on décompose ces chiffres, l'on trouve que pour certains d'entre eux, ceux qui se rapportent aux crimes les plus odieux et qui supposent dès lors un état moral des plus dépravés, les assassinais et les incendies par exemple, la proportion augmente encore. Les assassins condamnés à mort sont trois fois plus nombreux. Les incendiaires condamnés à mort sont quatre fois plus nombreux dans le groupe flamand que dans le groupe wallon ; les deux Flandres seules ont produit six fois plus d'incendiaires condamnés à mort que les provinces de Hainaut et de Liège, et ce sans interruption aucune depuis 1850, sans que les choses même tendent à s'améliorer.

Elles s'aggravent au contraire ; dans la Flandre occidentale, la grande criminalité a doublé depuis 1832 ; elle était à cette époque de 1 accusé pour crime capital sur 107,000 habitants, elle est aujourd'hui (en 1860) de I sur 63,000.

Durant la période quinquennale de 1856 à 1860, il y a eu dans le groupe flamand 1 accusé traduit devant les assises sur 35,000 habitants, dans le groupe wallon 1 sur 80,000. Dans les deux Flandres, ce rapport est de 1 sur 20,000 ; dans la Flandre occidentale seule, de I sur 15,000. Ce qui veut dire que, pour un même nombre d'habitants, le groupe flamand fournit aux cours d'assises deux fois plus d'accusés que le groupe wallon ; et que si l'on compare les deux Flandres aux deux provinces de Hainaut et de Liège, on trouve que la Flandre orientale donne près de 4 fois, et la Flandre occidentale près de 6 fois, plus d'accusés en cours d'assises que le Hainaut ou la province de Liège.

Consultons maintenant les pénitenciers, et pour égaliser autant que possible les termes de notre comparaison, ne nous occupons que des seules populations rurales. Nous trouverons encore ici que le contingent flamand est double du contingent wallon. Les Flandres fournissent 1 jeune délinquant sur 40,000 âmes, les provinces wallonnes 1 sur 80,000. Liège est au haut de l'échelle avec. 1 délinquant sur 124,000 habitants, la Flandre occidentale est au bas avec 1 détenu sur 26,000 âmes, c'est-à-dire cinq fois autant.

Même résultat approximativement pour les récidivistes. Le nombre total des accusés en état de récidive était pour la période 1856-60, de 435 pour le groupe flamand, de 115 pour le groupe wallon, soit du quadruple environ.

Enfin, messieurs, et c'est par cette considération que je veux terminer cet exposé de faits, la statistique de la misère, de la misère officielle s'entend, jette encore une triste lueur sur l'étude que nous poursuivons en ce moment.

En 1858, année ordinaire, qu'aucune crise n'a signalée, les dépenses des bureaux de bienfaisance, dans le groupe flamand montèrent à 5 millions de francs ; elles furent seulement de 2,826,000 francs pour le groupe wallon. La Flandre occidentale seule dépense en moyenne 2 millions de francs par an, c'est-à-dire autant que les trois provinces de Hainaut, de Namur et de Luxembourg ensemble.

Je m'arrête, messieurs, j'ai cité assez de faits. Empruntés aux statistiques officielles, ils sont, sinon irrécusables dans tous leurs détails, au moins assez vrais dans leurs caractères généraux, pour que, conformément à ce que j'ai dit en commençant, il doive nous être permis d'en tirer l'enseignement qu'ils contiennent.

C'est ce que je vais tâcher de faire maintenant ; mais auparavant résumons-les.

En 1830 la Belgique conquiert son indépendance ; libre de toute domination étrangère, elle va vivre désormais de sa propre vie. Le peuple est souverain ; tous les pouvoirs émanent de la nation ; toutes les libertés publiques sont inscrites dans le pacte fondamental ; tous les Belges sont égaux devant la loi. Rien donc ne pourra entraver le libre développement du pays ; rien ne pourra faire obstacle au rapide essor qu'il va prendre. La prospérité sera complète ; elle sera générale et les bienfaits d'une civilisation avancée vont se répandre également sur tous les points de la commune patrie.

Trente-huit années se sont écoulées ; les générations nées avec la Belgique même sont arrivées à maturité ; bientôt même une seconde génération va se présenter, et déjà elle s'apprête à entrer dans la vie publique.

Eh bien, que voyons-nous ?

Que voyons-nous quand nous regardons au delà de la surface de cette prospérité dont la Belgique, à juste titre, s'enorgueillit, quand nous analysons et décomposons les éléments qui la constituent ?

Presque aussitôt qu'il y a lieu de faire deux parts.

Dans les quatre provinces méridionales, l'accroissement de la population, ce critérium de toute prospérité, a été triple de ce qu'il a été dans les quatre provinces septentrionales. Non seulement la densité de la (page 245) population a augmenté dans ce rapport considérable, mais avec elle tous les phénomènes qui s'y rattachent et qui indiquent un état social plus perfectionné.

L'écart entre l'instruction des deux masses n'est pas moins frappant, soit que l'on considère la quantité ou la qualité des écoles, le nombre des élèves qui les fréquentent, ou la somme d'instruction qu'ils y reçoivent.

Les chiffres que j'ai cités le démontrent à toute évidence.

Et quant à la moralité publique, n'est-il pas prouvé aussi que pour tous les degrés du délit et du crime, depuis le simple vol jusqu'à l'assassinat, qu'à tous les âges de l'homme depuis le jeune délinquant jusqu'au récidiviste endurci, la proportion des provinces flamandes aux provinces wallonnes varie du simple, au double, au triple, au quintuple !

Si l'on considère, enfin, l'état social des individus, si l'on consulte, d'une part, ce que j'appellerai les tableaux de la richesse individuelle, c'est-à-dire les listes électorales, et d'autre part, les tableaux de la misère officielle, à savoir les comptes des bureaux de bienfaisance, ne découvre-t-on pas qu'à ce point de vue encore l'infériorité du groupe flamand vis-à-vis du groupe wallon dépasse toute mesure ?

Voilà donc, messieurs, deux groupes d'hommes occupant un même territoire, vivant sous les mêmes lois, jouissant des mêmes privilèges. D'où vient donc que l'un reste stationnaire ou recule, quand l'autre progresse ? Quelle est la cause de cette dégénérescence physique et morale d'une part, de cette complète régénération d'autre part ; pourquoi faut-il qu'au sud du pays l'homme et la société se déploient, on peut le dire, avec éclat, quand, au nord, la décadence ou tout au moins l'immobilité intellectuelle et sociale se manifeste si visiblement ?

Quelle est la cause de ce double phénomène ? Evidemment, lorsque, les mêmes faits se reproduisent de la sorte, durant un laps de temps qui équivaut presque à deux générations d'hommes, d'une façon régulière et constante et comme obéissant à une loi fatale, il faut bien qu'ils résultent d'une cause générale.

Eh bien, messieurs, cette cause existe, et nous n'aurons pas de peine à la découvrir, car elle ressort clairement des faits mêmes que je viens d'exposer.

Il suffit, en effet, de constater que la ligne de démarcation entre les deux états de civilisation que je viens de décrire, est la ligne limite même qui sépare les quatre provinces du pays où la langue française est seule parlée, des quatre autres où la langue flamande est presque exclusivement usitée, pour être convaincu qu'elle gît tout entière dans l’état d'isolement et d'abandon intellectuels dans lequel, jusqu'à ce jour, nos populations flamandes ont vécu ; abandon et isolement doublement fatals, doublement désastreux, car ils s'étendent à la fois aux relations extérieures et intérieures de ces populations.

Je m'explique.

Il est évident que la Flandre, ou plutôt le groupe flamand, composé de moins de 3 millions d'hommes, dont les 7/8 appartiennent aux classes déshéritées, ne saurait jouir d'une vie intellectuelle propre.

Elle ne peut trouver dans son sein les éléments dont a besoin toute civilisation pour se maintenir ou pour se développer.

On conçoit à la rigueur un immense empire peuplé de centaines de millions d'habitants vivant et progressant en dehors de tout contact avec le reste du monde, on ne comprend pas un petit peuple s'isolant dans l'espace et dans le temps, s'enfermant dans les étroites limites de son existence matérielle.

Abandonnée à ses seules ressources, livrée à elle-même, la population flamande ne peut se suffire. Sa civilisation, stationnaire d'abord, subirait bientôt un mouvement de recul, et ce mouvement s'accentuerait en raison même de l'isolement de plus en plus grand dans lequel il se serait produit. Nous l'avons vu.

La nourriture intellectuelle dont elle a besoin doit donc nécessairement lui venir du dehors, et ici deux voies se présentent. L'une vient du sud et apporte la civilisation romane ; l'autre vient du nord et amène la civilisation germanique.

Au point de vue absolu, les deux civilisations se valent. Je ne pense pas, à considérer la pensée humaine dans ses manifestations les plus étendues, lettres, sciences ou arts, que l'une d'elles doive s'incliner devant l'autre. Au point de vue absolu donc, le choix serait indifférent. Mais il est ici un autre élément dont il faut tenir compte sous peine de manquer à une des lois les plus générales de toute la création.

Celle des affinités naturelles.

L'assimilation a lieu en raison des affinités naturelles, c'est un axiome dans le monde moral comme dans le monde physique.

Or, il est incontestable que la Flandre est une branche secondaire du vieux tronc germanique ; que l'esprit flamand procède de l'esprit allemand, que pour les deux non seulement la forme mais la genèse de la pensée sont les mêmes.

Dès lors, le choix ne saurait être douteux ; c'est aux sources germaniques qu'il faut puiser pour satisfaire aux besoins intellectuels des populations flamandes.

Mais comment ?

En premier lieu, en abaissant les barrières qui s'opposent à l'entrée de ce que nous avons appelé le courant germanique, qui seul peut vivifier les intelligences flamandes, et dont les éléments fertilisants, s'il m'est permis de me servir de cette image, reçoivent en passant et en séjournant dans les provinces septentrionales des Pays-Bas, c'est-à-dire en Hollande, la forme dernière qui les rend propres à une prompte et complète assimilation en Belgique.

En second lien, faciliter, par tous les moyens dont l'autorité publique dispose, ce travail d'assimilation à l'intérieur.

En d'autres termes, enlever les obstacles qui s'opposent à un rapprochement littéraire intime avec la Hollande ; généraliser l'emploi et fortifier l'étude du flamand en Belgique.

Quant au premier point, je n'hésite pas à le dire, il a été à peu près complètement résolu.

Le traité du 30 août 1858, qui garantit la propriété littéraire, abolit la contrefaçon et affranchit de. tout droit d'entrée les œuvres littéraires, a été le premier pas dans cette voie.

L'arrêté royal du 31 novembre 1864, qui introduit en Belgique l’orthographe hollandaise et la rend obligatoire pour toutes les publications officielles et tous les établissements soutenus et surveillés par l'Etat, a mis le sceau à ce rapprochement littéraire qui depuis longtemps était dans les vœux de tous les patriotes sincères, parce que seul il pouvait soustraire les Flandres à une décadence intellectuelle certaine.

Aujourd'hui le hollandais et le flamand en tant que langues distinctes ont cessé d'exister ; une seule langue, le néerlandais, règne des deux côtés du Moerdyck et dessert une agglomération de 7 millions d'habitants.

C'est là un immense bienfait pour nos Flandres, car, comme je viens de le dire, l'unification de la langue et la libre circulation des produits littéraires mettent la Belgique en rapport direct et intime avec la Hollande et, par elle, avec toute la civilisation germanique. Résultat considérable, messieurs, à un autre point de vue encore, car il peut seul faire tomber le préjugé et les répugnances que nous rencontrons, nous autres Flamands, toutes les fois que nous convions nos compatriotes des bords de la Meuse et de la Sambre à s'occuper du flamand.

Ce n'est plus aujourd'hui, ainsi qu'ils le croient injustement, un idiome local, un patois qui varie de canton à canton, que nous offrons à leurs études, c'est une langue unique, parlée par plusieurs millions d'hommes, une langue faite, une langue polie et dont la richesse littéraire ne peut être contestée par personne.

Je ne regrette pas, dans ce moment, que l'homme à qui les Flandres sont redevables de cette grande mesure, ne soit plus assis au banc des ministres, afin de pouvoir le louer comme il le mérite, mais assurément l'honorable M. Alphonse Vandenpeereboom n'aurait posé que ce seul acte, que son passage aux affaires aurait laissé une trace qui ne s'effacera jamais.

J'arrive maintenant au deuxième point, au côté intérieur de la question.

Ici, messieurs, nous nous heurtons immédiatement, il faut le reconnaître, à un fait considérable et dont l'importance ne vous échappera pas : en Flandre, les classes supérieures ont abandonné la langue du peuple, elles se sont détachées du flamand et parlent le français.

Ce fait est à mes yeux, je le répète, tellement considérable, qu'il suffit à lui seul pour expliquer l'état d'infériorité intellectuelle et sociale dans lequel est tombée la population flamande.

Je n'aurai pas de peine à le démontrer.

En effet, messieurs, qu'est-ce que c'est que la civilisation, si ce n'est le résultat de l'action réciproque et continuelle des individus ? Reportez-vous à l'origine de toutes les civilisations ; prenez le régime patriarcal, prenez la tribu germanique ; assistez à la naissance de la société romaine, transportez-vous dans les bourgs de la Grèce, partout vous constaterez que la civilisation n'est née, n'a pu naître, que lorsque les hommes ont été assez rapprochés pour agir les uns sur les autres.

Sans une correspondance facile, habituelle, régulière entre les diverses classes, l'organisation sociale est attaquée, paralysée. Les membres ne tiennent plus les uns aux autres, les muscles ne jouent plus, le sang ne circule plus ni sûrement, ni librement dans les veines.

L'harmonie générale du corps social est entravée, troublée, la dissolution est certaine lorsque les hommes sont divisés en classes ; lorsque les classes inférieures, au lieu de remplir leur mission providentielle, qui (page 246) est de renouveler les classes supérieures et de les sauver de leur propre décadence, se détachent et retournent à une existence locale et isolée.

C'est ce qui a lieu en Flandre, car ne vous y trompez pas, messieurs, comme le dit Guizot avec une grande autorité :

« Dans la vie des peuples, l'unité extérieure visible, l'unité de nom et de gouvernement, bien qu'importante, n'est pas la première, la plus réelle, celle qui constitue vraiment une nation. Il y a une unité plus profonde, plus parfaite ; c'est celle qui résulte, non pas de l'identité de gouvernement et de destinée, mais de la similitude des mœurs, des idées, des sentiments, des langues ; l'unité qui réside dans les hommes mêmes que la société réunit, et non dans les formes de leur rapprochement ; l'unité morale enfin, très supérieure à l'unité politique et qui peut seule la fonder solidement.»

« La société ne subsiste, dit de son côté Lamennais, que sur les points et dans les limites où s'accomplit l'union des intelligences ; là où les intelligences n'ont rien de commun, la société n'est pas ; en d'autres termes : la société intellectuelle est la seule société, l'élément nécessaire, le fond de toutes ces associations extérieures et apparentes qu'on appelle des nations. »

Eh bien, messieurs, cette unité d'idées, de sentiments, de langue, cette unité morale qui, d'après Guizot, l'emporte sur l'unité politique ; cette union des intelligences que Lamennais considère comme l'élément constitutif de toute société, n'existent pas en Flandre.

En Flandre, les classes éclairées ne rayonnent pas, comme ailleurs, sur les classes obscures. Tournées tout entières vers une autre civilisation, s'inspirant d'autres idées, d'autres sentiments, éprouvant d'autres besoins intellectuels, parlant une autre langue enfin, elles se sont graduellement éloignées des classes populaires d'où elles sont sorties ; celles-ci n'ont pu suivre le mouvement ascendant ; elles n'ont pu entrer, dans un mouvement qui se produisait au-dessus de leurs têtes.

Le moteur de toute civilisation, d'ailleurs, est la langue, la langue parlée ou écrite. Comme langue écrite, le flamand, il est vrai, n'a jamais cessé d'exister, mais il devait rester sans influence sur des populations auxquelles on n'apprenait pas à lire ; comme langue parlée, il est resté : dans les campagnes, réservé aux seuls besoins de la vie matérielle et locale ; dans les villes, presque aux seuls usages de la domesticité. Il n'est plus depuis longtemps un instrument d'échange pour les idées, un véhicule pour le progrès, et voilà pourquoi, isolées dans leur propre territoire, abandonnées de ceux-là mêmes qui devraient être leurs guides et leurs tuteurs, les populations flamandes sont tombées dans cet état d'abaissement dont les chiffres que j'ai cités tout à l'heure ont fourni la rigoureuse et douloureuse démonstration.

Maintenant qu'y a-t-il à faire ? Evidemment réunir ce qui a été séparé, rétablir l'harmonie là où elle a été détruite, faire en sorte que chacun des éléments de la société troublée revienne à sa place et rentre dans sa route.

Et c'est là, messieurs, la question flamande, toute la question flamande. Celle-ci n'est donc pas, ainsi que quelques-uns le prétendent, une question de pur dilettantisme littéraire ; ou bien, comme d'autres le disent, une question de politique ; de politique coupable dont les rêves secrets et honteux ne tendraient à rien moins qu'au démembrement de la Belgique ; c'est une question sociale, essentiellement patriotique, exclusivement belge, car seule la Belgique pourra la résoudre, et voici comment :

Je suis de ceux qui croient que c'est un fait heureux pour la Belgique que de renfermer dans un espace étroit deux populations d'origine distincte ; parce que je crois qu'il est utile, qu'il est profitable que, dans le monde moral comme dans le monde physique, certains emprunts, certaines alliances, ou, si vous permettez le mot, certains croisements se fassent. Je crois que puisée, si l'on peut dire, à une double source, la pensée est plus juste, plus forte et plus vraie, comme le corps est plus sain et plus robuste lorsqu'il procède de deux natures différentes et qu'il participe à la fois aux qualités dominantes de deux races.

« Non seulement, la diversité des races et des langues dans ces sociétés organisées qu'on appelle une nation et un Etat, disait encore naguère Guizot, est un fait qui de tout temps s'est introduit et maintenu dans l'histoire, mais ce fait a puissamment contribué au développement moral et social des hommes, au progrès de la civilisation générale ; il entre évidemment dans le plan de la Providence divine sur le genre humain. »

C'est donc pour la Belgique, je puis le répéter après la grande autorité que je viens de citer, un fait heureux que de contenir dans son sein deux populations d'origine différente, car par là, sa civilisation aura ce caractère particulier de puiser aux deux sources de la civilisation européenne générale. En effet, notre pays est situé sur la limite de l'ancien monde romain et de l'ancien monde germanique. Les mœurs, les institutions, les influences, la langue romaines ont dominé dans le Midi ; les mœurs, les institutions, les influences, la langue germaniques se sont maintenues dans le Nord ; Il en résulte que la civilisation belge peut devenir l'image la plus complète, la plus fidèle delà civilisation européenne générale, à une condition toutefois, c'est que les deux groupes qui occupent notre sol se mêlent. C'est dans le mélange, dans la fusion de ses deux populations que. la Belgique trouvera sa force et son originalité, c'est-à-dire sa raison d'être.

Il ne faut pas que le pays, simple expression géographique ou nécessité politique, se compose de deux fractions juxtaposées, restant étrangères l'une à l'autre ; s'observant parfois avec méfiance ; criant à l'injustice lorsque dans certaines circonstances une part plus grande semble être faite à l'une qu'à l'autre. En dehors de l'unité politique et administrative, il faut chercher à établir cette autre unité, plus profonde et plus puissante, dont nous avons déjà parlé, et qui réside dans les hommes mêmes et non dans les formes gouvernementales qui les rapprochent ; il faut poursuivre, en un mot, l'union des intelligences, qui est la base fondamentale de toute société.

Je sais bien que beaucoup doit être laissé ici à l'initiative privée, au temps, aux intérêts, aux besoins qui naturellement rapprochent les hommes, mais de même que l'Etat, par l'établissement de ses voies ferrées, est intervenu efficacement et a organisé en quelque sorte le mouvement, c'est-à-dire. le mélange matériel des populations, il peut aussi s'occuper utilement du mouvement intellectuel, le diriger, hâter l'unification de la pensée nationale, créer enfin une Belgique homogène.

Il a pour cela à sa disposition deux leviers d'une puissance extrême : l'enseignement et l'administration.

Par l'enseignement il peut fortifier l'étude du flamand dans les Flandres et la généraliser dans les provinces wallonnes.

En la fortifiant dans les Flandres, il relèvera cette langue du discrédit dans lequel elle était tombée. Redevenue un instrument d'échange pour les idées littéraires et scientifiques, les classes supérieures ne la dédaigneront plus ; la sphère de son action, encore si restreinte et bornée pour les masses aux seuls usages journaliers, ira s'agrandissant rapidement. L'intervalle immense, qui sépare aujourd'hui en deux classes les populations flamandes sera bientôt comblé ; un seul mouvement ascendant poussera chaque classe et toutes les classes les unes par les autres, vers un plus grand développement social. Aucune n'y restera étrangère.

En généralisant l'étude du flamand dans les provinces wallonnes, on obtiendra un résultat non moins important.

La connaissance du flamand rendra les Wallons aptes à remplir en Flandre des fonctions publiques, et ce seul fait, ce fait en apparence d'un intérêt si secondaire renfermera en germe la solution du problème qui nous occupe.

Aujourd'hui, lorsqu'il s'agit de nominations de fonctionnaires à quelque ordre qu'ils appartiennent, le gouvernement met un soin extrême, je dirai presque jaloux, à réserver les Flandres aux Flamands, et les provinces wallonnes aux Wallons.

Il s'est prévalu, en plus d'une circonstance, comme d'un mérite de la scrupuleuse attention avec laquelle il procédait, à ce point de vue.

Il avait raison et il était logique, car il rendait hommage au principe d'élémentaire équité qui veut que l'administrateur parle la langue de l'administré ; mais par cela même il maintenait aussi la séparation des deux groupes qui occupent notre sol et il habituait les membres qui les composent, quoique Belges indistinctement, à ne considérer comme leur appartenant en propre, que la seule partie du territoire où leur langue est parlée.

Eh bien, messieurs, à cette logique ou à cette raison, qui fatalement divise, quelle que soit la pureté des intentions de ceux qui la suivent, je voudrais en substituer une autre qui réunit.

Je voudrais que tout fonctionnaire salarié par l'Etat dût connaître les deux langues du pays. Je voudrais que la connaissance du flamand, comme celle du français, fût la condition première, sine qua non, de toute nomination. Je voudrais que systématiquement, autant que la chose serait pratiquement faisable, le gouvernement plaçât les wallons sachant le flamand, en Flandre ; les Flamands sachant le français, dans les provinces wallonnes.

J'attache, en ce qui me regarde, à la mise en pratique de ce système l'importance la plus grande. Seul il pourra résoudre la grave question qui nous occupe, seul il pourra lui donner une solution complète. La solution sera complète, car, pour les Flandres, elle fera disparaître la cause qui divise aujourd'hui la population en deux classes ; et pour la Belgique elle effacera jusqu'à l'ombre d'un dualisme qui pourrait devenir fatal à notre nationalité.

Je finis, messieurs, et m'abstiens d'entrer dans les détails, et d'indiquer les mesures d'exécution à prendre.

Elles s'indiquent, au reste, d'elles-mêmes.

J'ai voulu aujourd'hui uniquement poser la question.

(page 247) J'ai voulu démontrer, en prenant les faits seuls pour base, que le développement du pays n'était pas harmonique ; que l'infériorité intellectuelle et sociale du groupe flamand, à tous les points de vue de la civilisation, était évidente et que la cause de cette infériorité gisait dans l’état d'isolement et d'abandon intellectuel dans lequel vivaient les populations flamandes.

J'ai voulu démontrer qu'il importait, dans l'intérêt de notre nationalité, de rattacher ces populations au mouvement général du pays et que l'unique lien dont on pût se servir était la langue.

On ne substitue pas, dans une population de plusieurs millions d'hommes, une langue à une autre ; on ne civilise pas un peuple au moyen d'une langue étrangère. L'existence du flamand est un fait indestructible : il faut s'incliner devant ce fait.

Quoi qu'il en soit, messieurs, et quelle que soit la valeur des considérations que je viens d'émettre, je tiens à vous le dire, je n'ai qu'un but, c'est de travailler à émanciper et à relever moralement et matériellement toutes les classes de la société belge.

Je serais heureux de pouvoir assister au développement, laborieux, s'il le faut, mais puissant de ma patrie ; de la voir grandir et briller à travers les obstacles et les efforts.

M. Thonissenµ. - Dans les dernières séances du conseil de perfectionnement de l’enseignement moyen, l'honorable ministre, de l'intérieur, marchant sur les traces de son collègue de Paris, a soulevé la question de savoir s'il ne convenait pas de modifier l'enseignement du grec et du latin dans les écoles de l'Etat.

Les paroles de l'honorable ministre, accueillies et commentées par la presse, ont fait surgir une foule de plans, de projets et de systèmes qui ne sont pas tous à l'abri de la critique.

J'ai pu constater que M. le ministre de l'intérieur, sans le vouloir assurément, a fait naître un courant d'idées hostile aux études classiques et qui, dès son début, mérite d'être signalé à l'attention du gouvernement, de la Chambre et du pays.

Que l'honorable ministre de l'intérieur examine s'il ne convient pas d'améliorer l’enseignement donné aux frais de l'Etat, c'est incontestablement son droit ; c'est même son devoir. Mais, à mon tour, je crois aussi user d'un droit et remplir un devoir en lui recommandant la prudence, la modération et même, dans les limites de la raison, le respect des traditions consacrées par une longue expérience.

En effet, messieurs, c'est en matière d'enseignement surtout que le gouvernement doit procéder avec la plus grande, avec la plus extrême circonspection.

Au début, rien ne semble plus facile et surtout rien n'est plus populaire. Elevez la voix contre les méthodes reçues, attaquez le programme des études, critiquez ceux qui enseignent, et, à l'instant même, des centaines, des milliers de bouches vous crieront que vous avez raison. De toutes les parties du pays, un écho flatteur viendra caresser vos oreilles. Cela s'est toujours vu et cela se verra toujours dans l'histoire de l'enseignement public. Pourquoi ?

Une anecdote assez curieuse, messieurs, et dont je puis garantir l'authenticité, vous expliquera ce phénomène quinze ou vingt fois historique.

Dans les dernières années du royaume des Pays-Bas, un professeur de Louvain, Jacotot, avait acquis une grande, une immense popularité. Il avait trouvé, lui aussi, le moyen de simplifier considérablement le programme arriéré, suranné, des études moyennes. Il voulait que le jeune homme apprît les langues modernes et les langues anciennes, y compris les langues orientales, aussi rapidement et aussi facilement que l'enfant qui apprend sa langue maternelle sur les genoux de sa mère.

Le public applaudit, le gouvernement encouragea fortement le réformateur, et, peu de temps avant la révolution de 1830, le roi Guillaume Ier poussa la complaisance au point de mettre à la disposition de Jacotot toute une escouade de jeunes officiers de cavalerie pour servir de démonstration vivante de l'excellence de son système.

Un vieux professeur, observateur fin et sagace, dit à Jacotot : « Tout ceci est très beau, mais êtes-vous bien sûr de réussir ? » Jacotot lui répondit en souriant : « Mon cher collègue, vous n'êtes pas de votre siècle ; j'espère réussir, mais je suis tout à fait certain de me rendre immensément populaire. En criant contre toutes les méthodes reçues, je suis assuré d'avoir pour moi tous ceux auxquels ces méthodes n'ont rien appris ; et vous savez, ajouta-t-il, combien le nombre des paresseux et des crétins est incalculable. »

Il y a, messieurs, au fond de cette anecdote quelque chose de très sérieux et même, à certains égards, quelque chose de triste. Tous ceux qui s'occupent d'enseignement savent qu'il y a une tendance générale, même chez les hommes les plus intelligents, a imputer à la méthode, au programme, en un mot, à l'enseignement lui-même, l'insuccès qui est, en réalité, le résultat de la paresse, de la nonchalance et de l'incapacité de l'élève.

Il ne faut donc pas que l'honorable ministre de l'intérieur se laisse enivrer par les applaudissements qui ont accueilli ses paroles.

Il faut surtout qu'il se mette en garde, je le lui recommande vivement, contre une foule de critiques auxquelles l'enseignement actuel se trouve en butte et que l'opinion publique accueille avec une confiance qui est, tout au moins, coupable de légèreté.

En réalité, les méthodes actuelles ne méritent pas tout le mal qu'on en dit, et parmi les attaques que l'on dirige contre elles, il y en a un grand nombre qui sont complètement dénuées de base.

Permettez-moi de citer un exemple emprunté à la controverse actuelle.

Un jeune homme quitte les bancs du collège et se destine au-barreau. Il connaît passablement le grec ; mais, une fois l'examen de gradué en lettres passé, il laisse le grec entièrement de côté. Il étudie le droit, il devient avocat et industriel. Il se jette dans le. tourbillon des affaires et de la politique. Il dépense, vingt années, les meilleures de sa vie, à se faire une position plus ou moins brillante dans le monde ; puis, un beau jour, il se place devant sa bibliothèque ; il prend un des auteurs grecs les plus faciles à comprendre, Xénophon par exemple, et, à sa grande surprise, il s'aperçoit qu'il a tout oublié : il ne sait plus le grec !

Mais, messieurs, si, après vingt ans, il avait retenu cette langue si belle, si harmonieuse, mais en même temps si riche, c'eût été un miracle. Comment ! laisser de côté pendant vingt années sans la parler une seule fois, sans en lire une seule ligne, une langue qui s'écarte si considérablement des langues modernes, de la langue française surtout, et s'étonner ensuite qu'on ait oublié cette langue, en vérité, c'est par trop naïf !

Et cependant, que fait cet homme ? Se dit-il que, s'il avait consacré une demi-heure par semaine à lire et à méditer l'un des immortels chefs-d'œuvre de l'antiquité grecque, il eût parfaitement retenu tout le grec qu'on lui avait si péniblement inculqué sur les bancs de l'école ? Oh non ! il ne fait pas cet aveu, pénible à son amour-propre. Sa première parole est celle-ci, et il fait répéter cette parole par les journaux : « Voilà ce que. m'a valu l'étude du grec ! Je n'en sais plus rien. L'enseignement actuel est détestable. » et aussitôt un chœur immense lui répond : « Vous avez raison, cent fois raison ; nous aussi nous avons oublié le grec ! »

Mais les hommes qui tiennent ce langage et qui adressent cette belle découverte aux journaux, ne savent pas que ceci est excessivement vieux ; ils ne savent qu'ils mettent en avant un langage qui a été cent fois tenu et cent fois réfuté. Je pourrais en fournir une foule de preuves. Je nie contenterai d'en citer une seule, qui remonte cependant déjà à l'année 1726.

Dans un ouvrage que beaucoup d'entre nous connaissent certainement, que même beaucoup d'entre nous ont lu, dans le Traité des études de Rollin, publié en 1726, on trouve les lignes suivantes, à la fin d'une espèce de dissertation sur les avantages que présente l'élude de la langue et de la littérature grecques :

« Je me suis un peu étendu sur cet article, parce, qu'il me paraît d'une extrême importance, pour les maîtres et pour les écoliers. La plupart des pères regardent comme absolument perdu le temps qu'on oblige leurs enfants de donner à cette étude, et ils sont bien aises de leur épargner un travail qu'ils croient également pénible et infructueux. Ils ont, disent-ils, appris le grec dans leur jeunesse, et ils n'en ont rien retenu... Il faut que les professeurs luttent contre ce mauvais goût devenu fort commun, et qu'ils fassent de continuels efforts pour ne pas céder à ce torrent, qui a déjà presque tout entraîné. »

Eh bien, messieurs, Rollin avait parfaitement raison.

Aujourd'hui, on entame le grec ; demain, on entamera le latin, et, sous ce rapport encore, je vous citerai un nouvel exemple emprunté à la polémique actuelle qui, quoi qu'on en dise, préoccupe vivement l'opinion publique.

Un jeune homme quitte le collège ; il connaît bien le latin, mais, une fois lancé dans le monde, il abandonne complètement la sphère des études classiques. Il fait de la littérature contemporaine, sans se préoccuper des langues et des littératures du monde ancien. Il s'occupe d'économie politique, science née d'hier, que j'estime beaucoup, mais qui ne demande pas qu'on ait recours à cette immense, à cette effrayante collection de livres latins que nous ont légués les siècles passés ; à ses études de littérature contemporaine et d'économie politique, il joint des études de politique contemporaine, mais, quant au latin, il ne s'en inquiète plus le moins du monde ; et enfin, après vingt années, lui aussi déclare, par la voie des journaux, que l'étude du latin ne lui a jamais servi à rien ! Et aussitôt des milliers de lecteurs de s'écrier comme leur journal ; A quoi sert le latin ?

(page 248) Nous avons donc, messieurs, deux hommes qui ont oublié l'un le grec, l'autre le latin, deux hommes qui critiquent les méthodes reçues et qui affirment que l'étude des langues anciennes ne leur a absolument servi à rien.

Voyons ce qui en est.

Mettons d'abord de côté la question de méthode ; avec toutes les méthodes imaginables le résultat eût été absolument le même. J'ai rencontré à Londres un tailleur limbourgeois, qui avait quitté la Belgique après sa majorité et qui, après un séjour de vingt-trois années dans un atelier anglais, avait complètement oublié sa langue maternelle, le flamand.

Parlons de la question d'utilité. Je n'hésite pas à dire que ces messieurs se trompent complètement quand ils affirment qu'ils n'ont retiré aucun profit de l'étude du latin et du grec. Il est impossible que de nombreux fragments d'auteurs grecs et latins, que tant de pensées si belles, si grandes et si noblement exprimées, qu'on leur a longuement expliquées sur les bancs du collège, n'aient pas exercé sur leur intelligence l'influence la plus heureuse. Je prétends, messieurs, que l'étude même du mécanisme si parfait et si pur de ces admirables langues a été pour leur esprit une gymnastique intellectuelle des plus utiles. Je soutiens, sans crainte de me tromper, que cet enseignement classique a influé, considérablement influé sur la lucidité de leurs idées, sur la rectitude de leur jugement, sur la formation et le développement de leur goût littéraire. L'histoire des trois derniers siècles atteste à la dernière évidence, l'influence heureuse de l'enseignement des langues et des littératures d'Athènes et de Rome. Comme je parle dans une assemblée parlementaire, je citerai seulement ce fait que, dans cette grande assemblée constituante, de 1789, qui a commis beaucoup d'erreurs, mais qui, en définitive, a renversé la féodalité et ouvert l'ère des libellés modernes, tous les hommes éminçais, depuis Mirabeau jusqu'au cardinal Maury, depuis Bailly jusqu'à Cazalès, avaient fait d'excellentes études classiques.

Est-ce que, aujourd'hui même, les hommes d'Etat les plus distingués de l'Angleterre, les Gladstone, les Russell et tant d'autres ne font pas leurs délices de la lecture des chefs-d'œuvre de l'antiquité, non pas à l'aide d'une traduction toujours insuffisante, mais dans le texte original ?

Mais, messieurs, faisons un pas de plus. Supposons un instant que, pour un grand nombre de nos concitoyens, qui fréquentent les écoles de l'Etat, l'étude du grec, et du latin, tels qu'on les enseigne aujourd'hui, soit complètement inutile, en résultera-t-il qu'il faille réduire l'enseignement de ces langues dans les écoles de l'Etat ?

Remarquez d'abord, messieurs, que nul n'est forcé d'étudier le grec et le latin ; remarquez ensuite que, pour une foule de catégories d'hommes utiles, l'étude des langues anciennes est indispensable. Il en est ainsi notamment pour les membres du clergé, pour les professeurs de l'enseignement supérieur et de l'enseignement moyen, pour les archéologues, pour les historiens, pour les jurisconsultes, et même pour les littérateurs modernes qui comprennent la nécessité de remonter le cours des siècles. Voilà ce qu'on ne devrait pas oublier ! Mais qu'est-ce qu'on n'oublie pas dans le débat qui nous occupe ? On demande la réduction de l'enseignement des langues anciennes pour donner plus de place à l'enseignement des langues modernes, et l'on ne daigne pas même se souvenir que le latin est un instrument admirablement utile pour l'étude, d'un grand nombre de langues modernes, pour le français, l'italien, l'espagnol, le portugais, le roumain, toutes langues issues en partie de la langue latine !

El puis, le grec même, auquel on consacre un si petit nombre d'heures dans les athénées et les collèges de l'État, est-il perdu pour les langues modernes ? Oui, peut-être, pour les langues vulgaires ; mais assurément il ne l'est pas pour la langue scientifique, langue qui devient chaque jour plus importante et plus riche. La langue de la chimie, la langue de l'histoire naturelle, la langue des arts techniques ; la langue, de toutes les sciences modernes, celle de la médecine même, se compose d'une multitude de mots composés de racines grecques.

Il est vrai que quelques adversaires de l'enseignement des langues anciennes se placent sur un autre terrain. Ceux-là disent qu'il ne faut pas seulement restreindre ou même supprimer l'enseignement du grec et du latin dans l'intérêt des langues modernes. Ils demandent cette prétendue réforme afin que l'on puisse donner une étendue plus grande aux branches scientifiques proprement dites et surtout aux sciences naturelles.

Ici, messieurs, je rencontre une erreur profonde, contre laquelle on ne saurait trop prémunir le gouvernement et l'opinion publique.

Le but de l'enseignement moyen n'est pas de faire des savants. C'est un rêve impossible à réaliser.

Faire une encyclopédie vivante d'une tête de seize ou de dix-sept ans, est une absurdité. En tombant dans cet excès, vous obtiendriez une génération à laquelle on aurait expliqué une foule de choses, mais qui, en réalité, ne connaîtrait rien, absolument rien d'une manière approfondie. Vous créeriez une classe de jeunes présomptueux qui se croiraient très savants, mais dont toute la science, serait au fond celle de perroquets bien dressés.

Le véritable but de l'enseignement moyen consiste à diriger, à épurer l'intelligence de l'élève, à former son goût, à mettre à sa portée les notions littéraires et scientifiques nécessaires pour qu'il puisse plus tard, en parfaite connaissance de cause, choisir et parcourir avec honneur une carrière appropriée à ses aptitudes naturelles.

Voilà le but réel de l'enseignement moyen et, sous ce rapport, j'ai lu avec un vif intérêt quelques lignes communiquées, par un savant professeur de l'université de Gand, M. Gantrel, à un recueil spécialement destiné à la défense de l'enseignement public.

« Le principal but des études moyennes, dit M. Gantrel, n'est pas de lire de grandes parties d'auteurs, mais d'apprendre à lire avec fruit, de discipliner l'esprit, de développer l'intelligence, de rendre enfin l'élève capable de bien travailler par lui-même. Pour que ces études restent cette admirable gymnastique de l'intelligence dont on parle tant, il ne faut pas qu'elles perdent en profondeur ce qu'elles gagneraient en étendue, il ne faut pas qu'elles deviennent superficielles et qu'au lieu d'apprendre à lutter avec les difficultés et à les vaincre, elles habituent les jeunes gens à les tourner ou à ne pas les apercevoir,

« Nous ne sommes pas à cet égard dans une. mauvaise voie ; pour nous y raffermir, regardons du côté de l'Allemagne, où l’enseignement moyen est si solide, et non du côté de la France, où de bons esprits trouvent beaucoup à critiquer. »

Là est la vérité.

Je rencontre maintenant, messieurs, une autre catégorie de critiques.

Il y en a qui disent qu'après tout l'enseignement du grec et du latin est fort utile, mais que les méthodes actuelles sont vicieuses, que l'enseignement est trop aride, trop peu fructueux, trop long, qu'on pourrait faire beaucoup mieux en allant beaucoup plus vite.

Cette thèse, messieurs, est discutable. Je ne prétends pas que l'enseignement moyen soit arrivé à son dernier degré de perfection. Mais encore devrait-on nous indiquer un remède raisonnable et pratique. Or, le seul moyen que les défenseurs de cette thèse aient mis en avant, c'est la liberté absolue des méthodes. Laissez, disent-ils, les méthodes entièrement libres, et la meilleure l'emportera sur les autres.

Eh bien, messieurs, c'est encore là une illusion très belle en théorie, mais très chimérique et très décevante en réalité. Je suis fâché de devoir le dire, mais, en pratique, la liberté des méthodes et des programmes serait, pour les trois quarts des professeurs, la liberté de ne rien faire !

Assurément, si la liberté des méthodes est bonne quelque part, c'est dans l'enseignement supérieur. Cela est incontestable. Eh bien, voici ce que. nous avons vu dans notre pays.

A la suite d'une réforme malheureuse opérée par le Gouvernement provisoire, il y eut, à la suite de la révolution, une sorte d'abandon de l'enseignement, supérieur à ses propres forces.

Sans vouloir blesser personne, je. puis affirmer que, de 1830 à 1834, l'enseignement supérieur était tombé dans un état de véritable décadence. Le gouvernement ne. s'occupait plus de ses universités que pour payer leurs professeurs. Il y avait liberté absolue de méthode ; on faisait ce qu'on voulait, et vous allez voir les conséquences qui en résultèrent.

Dans une université que je ne nommerai pas, deux professeurs, formant à peu près toute une faculté, enseignaient les matières suivantes : psychologie, logique, métaphysique, morale, histoire de la philosophie, théorie des beaux-arts, histoire ancienne, histoire du moyen âge, histoire moderne, histoire nationale, antiquités grecques, antiquités romaines, archéologie, mythologie, langues orientales, langue grecque, littérature grecque, langue latine, littérature latine, langue française, littérature française, propédeutique générale et spéciale ; en un mot, vingt-deux cours pour deux professeurs !

Le fait est incroyable, mais ceux qui en doutent peuvent aller à la bibliothèque royale consulter le n°27,200 du fonds de la ville de Bruxelles. Ils y verront la preuve authentique de ce que j'avance.

Voilà ce qui s'est passé en Belgique. Je pourrais citer aussi des exemples fournis par plusieurs pays étrangers, où existe la liberté des méthodes, mais je rappellerai seulement qu'un jurisconsulte hollandais a publié, il y a quelque temps, un livre dans lequel il soutient que, pour obtenir un enseignement universitaire complet, il est indispensable d'établir, comme en Belgique, un jury d'examen.

Je ne l'ignore pas, messieurs, pour les hommes d'élite qui ont le double (page 249) amour du travail et de la science, qui se dévouent corps et âme à la tache qu'ils assument, qui ont l'intelligence élevée, le jugement droit et, avec tout cela, l'expérience de l'enseignement, les programmes sont inutiles. Mais, remarquez-le bien, ces hommes forment partout une rare exception, et on ne fait pas de lois pour des exceptions.

Pour la plupart des professeurs, pour les professeurs de l'enseignement moyen surtout, il faut des méthodes imposées et des programmes obligatoires. L'humanité est ainsi faite, et vous ne la changerez pas.

Cependant, dit-on, vous ne nierez pas que le résultat actuellement obtenu ne soit un résultat insuffisant,

Messieurs, je me place sur le terrain des faits, et je soutiens que l'enseignement actuel produit réellement tous les résultats qu'il peut produire.

Que fait-on en Belgique ? Prenons l'enseignement du latin. En France, en Autriche et en Bavière, l'enseignement moyen dure huit ans ; dans d'autres parties de l'Allemagne, il dure même neuf et dix ans. En Belgique, il dure six ans. Or, je vous le demande, peut-on exiger qu'un enseignement de six ans produise les mêmes résultats qu'un enseignement qui dure huit, neuf et même dix ans ? Cela est entièrement impossible !

Le conseil de perfectionnement de l'enseignement moyen a demandé à M. le ministre de l'intérieur de porter la durée de l'enseignement moyen de six à sept ans, et j'espère qu'il accueillera cette proposition. Au lieu d'arriver à l'université à dix-sept ou à dix-huit ans, on y arriverait à dix-huit ou à dix-neuf ans, et je ne vois pas où serait l'inconvénient.

Maintenant prenons le grec. On sera bien surpris d'apprendre combien d'heures on consacre à l'étude du grec dans les athénées de l'Etat.

Eh bien, messieurs, voici ce qu'on fait :

On enseigne le grec, seulement pendant quatre ans, de la quatrième à la rhétorique. (Interruption.) Oui, je le sais, on commence en cinquième après les vacances de Pâques ; mais que produit cet enseignement de deux à trois mois ? Consultez les professeurs, ils vous diront tous que ce commencement d'étude du grec est très peu sérieux et que, lors de la réouverture des cours après les grandes vacances, tout est à recommencer.

De la quatrième à la rhétorique, on consacra à l'étude du grec douze heures par semaine pour toutes les classes réunies, c'est-à-dire trois heures par classe, et par semaine ! C'est bien peu de chose sans doute, et cependant on obtient des résultats qui ne sont pas à dédaigner. Qu'on assiste aux séances des jurys d'examen, et l'on en sera bientôt convaincu. Dira-t-on que ces résultats sont trop chèrement achetés par trois heures de leçon par semaine ?

Je voudrais d'ailleurs savoir pourquoi l'on se montre si exigeant pour les langues anciennes et si indulgent pour l’enseignement des langues modernes.

Dans les sections industrielles des athénées du pays wallon, on consacre par semaine 17 heures à l'enseignement de l'allemand.

J'ai interrogé beaucoup de jeunes gens wallons sortant de ces sections, et je n'en al pas trouvé un seul parlant couramment l'allemand. Je me trompe, un seul faisait exception ; mais il est à remarquer que sa mère était Allemande et que, dans sa première jeunesse, il avait eu une bonne allemande.

Ce n'est cependant pas à dire, messieurs, qu'à mon avis il n'y ait rien à faire. On peut certainement améliorer les méthodes, perfectionner l’enseignement ; mais je prie instamment M. le ministre de l'intérieur d'écouter, non les clameurs de la presse, mais les avis d'hommes expérimentés qui connaissent parfaitement les besoins et les ressources de l'enseignement moyen. La théorie ne suffit pas en cette matière, il faut y joindre l'expérience, et avant tout l'expérience.

C'est ce qu'on ne comprend pas assez chez nous : on croit que, pour bien juger des exigences de l’enseignement, il suffît qu'on soit avocat, publiciste, magistrat ou journaliste. Messieurs, c'est une grave erreur. On ne fait pas de l'intelligence du jeune homme tout ce qu'on veut. Que les pères de famille qui ont des méthodes à eux les appliquent à leurs propres enfants. La preuve sera bientôt faite.

Je dis qu'en Belgique, on ne comprend pas assez cette nécessité de consulter les hommes d'expérience, et j'en trouve la preuve dans l'organisation même du conseil de perfectionnement de l'enseignement moyen. On y trouve des magistrats, des professeurs d'université, un ancien représentant, un général pensionné, un colonel d'état-major. On leur a adjoint, il est vrai, quatre professeurs d'enseignement moyen, mais ceux-ci n'ont que voix consultative, tandis que les membres étrangers à l'enseignement ont voix délibérative. A mes yeux, c'est le monde renversé.

M. Orts. - Les membres effectifs du conseil de perfectionnement se sont prononcés à l'unanimité dans votre sens.

M. Thonissenµ. - Vous ne m'apprenez rien de nouveau ; j'allais le dire ; mais ce n'est pas une raison pour ne pas suivre en pareille matière les bonnes traditions.

Du moment que l'on compose un conseil chargé d'émettre son avis sur les questions d'enseignement, il faut prendre des hommes du métier. Qu'on en prenne d'autres aussi, c'est parfaitement bien ; mais je ne trouve pas raisonnable que les hommes d'expérience n'aient que voix consultative, tandis que les autres ont voix délibérative.

Le conseil de perfectionnement a fonctionné jusqu'à présent d'une manière très satisfaisante ; il s'est prononcé récemment dans le sens de mes idées ; mais, je le répète, ce n'est pas une raison pour qu'en Belgique les commissions d'enseignement soient constituées d'une manière illogique.

Je voudrais que l'honorable ministre de l'intérieur, avant de donner une suite quelconque aux réformes sur lesquelles il a appelé l'attention du conseil de perfectionnement, ouvrît une enquête spéciale, étendue, dans laquelle tous les hommes d'expérience seraient entendus. La question est assez grave pour que toutes les lumières se fassent jour et que tous les dévouements soient mis à profit.

Je l'engage surtout à tourner ses yeux, non pas vers la France, mais vers l'Allemagne. En France, on est beaucoup trop prompt à réformer, et il en résulte qu'on doit souvent défaire, le lendemain, ce qu'on a péniblement édifié la veille. A la distribution solennelle des prix du Lycée Napoléon, M. Artaud, vice-recteur de l'Académie de Paris, n'a pas craint de dire : « Nous ne connaissons que trop le danger des expérimentations aventureuses dans ce qui touche l'éducation de la jeunesse. Depuis quelques années, nous n'avons guère fait que travailler à relever des ruines et à restaurer ce qu'on avait essayé de détruire. »

Je signale ces paroles à l'attention de l'honorable ministre de l'intérieur. Il n'oubliera jamais, j'en suis convaincu, que des changements intempestifs dans l'enseignement public pourraient compromettre l'avenir intellectuel du pays.

Messieurs, permettez-moi une comparaison. Que dirait-on de quelqu'un qui voudrait anéantir en tout ou en partie les chefs-d'œuvre de la sculpture antique qui ont échappé aux ravages des siècles ?

Eh bien, les lettres aussi ont des chefs-d'œuvre qui leur ont été légués par l'antiquité grecque et romaine. Les lettres aussi ont des modèles éternels, inimitables, où la grâce de la pensée, la pureté de la forme et la délicatesse, exquise du langage dénotent le souffle d'une inspiration littéraire qui ne sera jamais dépassée.

Malheureusement la vue ne suffit pas pour en apercevoir les beautés et en goûter le charme. Leur appréciation exige, des études longues et opiniâtres. Affaiblir l'étude des langues classiques, ce serait diminuer le nombre de ceux qui sont capables d'apprécier ces nobles modèles ; ce serait, au point de vue de l'intérêt général, adopter une mesure équivalant à leur suppression partielle. A une époque où, pour tant d'hommes, les seules jouissances littéraires consistent dans la lecture des romans et des journaux, où tant d'esprits bien doués prennent pour toute science la science facile, mais souvent frelatée des Revues, il faut augmenter et non pas diminuer la phalange de ceux qui savent remonter le cours des âges, pour aller puiser aux sources vides des lettres grecques et latines.

Les petits peuples, comme nous, ne jouent qu'un rôle très modeste sur le théâtre de la politique générale. Nous ne pouvons pas avoir ce qu'on appelle encore aujourd'hui la gloire des armes, la gloire des conquêtes. Mais il est deux gloires légitimes et pures que nous pouvons ambitionner et que. nous pouvons atteindre : c'est la gloire des arts et la gloire des lettres. Nous avons la gloire des arts ; nous avons eu la gloire des lettres. Au XVIème siècle, les humanistes belges brillaient au premier rang dans l'admirable épanouissement intellectuel de. cette époque.

Aujourd'hui nous possédons des publicistes et des savants dont le nom est prononcé avec respect dans les pays étrangers ; mais nous avons encore immensément à faire pour nous mettre sur la même ligne qu'une foule d'autres pays de deuxième et de troisième ordre.

Messieurs, réduire l'enseignement des langues classiques, ce ne serait pas nous faire avancer ; ce serait nous faire reculer jusqu'à des limites que mon patriotisme se refuse à entrevoir.

Que l'honorable ministre de l'intérieur, dont je connais les bonnes intentions, y songe bien ; qu'il consulte, qu'il médite longtemps, qu'il soit prudent au suprême degré, qu'il s'entoure de toutes les lumières, avant de livrer l'enseignement public à de périlleuses expérimentations.

M. de Coninckµ. - Messieurs, je voudrais, à propos de la discussion générale de ce budget, appeler l'attention de la Chambre et particulièrement celle de M. le ministre de l'intérieur, sur des faits graves qui se sont passés dans l'arrondissement de Dixmude.

(page 250) Voici ce dont il s'agit :

Par suite de la construction de nouveaux bâtiments d'école communale et d'une maison d'instituteur, le bureau de bienfaisance de concert avec l'administration communale de Woumen avait demandé à la députation permanente de la Flandre occidentale, en 1866, l'autorisation de vendre les anciens bâtiments d'école devenus vacants, ainsi que deux terrains, l'un occupé par la veuve Ooglie, l'autre par M. le vicaire.

M. le notaire de Seek, de Beerst, fut nommé, à l'unanimité des membres du bureau de bienfaisance et du conseil communal, dans la séance du 19 décembre 1866, pour faire cette vente.

Le 2i mars 1807, par suite d'élection, M. Laurent Proot, notaire à Woumen, fut nommé bourgmestre de cette commune. Contrarié probablement de voir les bénéfices de cette vente lui échapper, M. Proot envoya, peu de mois après son installation comme bourgmestre, le 21 novembre 1867, envoya, dis-je, par son garde champêtre et à domicile la lettre suivante à signer par les membres du bureau de bienfaisance.

Voici la traduction de cette pièce, qui est en flamand telle qu'elle était lorsqu'elle fut signée par les membres du bureau de bienfaisance.

M. Coomans. - Lisez-la en flamand.

- Un membre à gauche. - Vous en avez le droit.

M. de Coninckµ. - Evidemment, mais en voici une traduction que M. le ministre pourra contrôler avec l'original, s'il le désire.

« Monsieur le gouverneur,

« Nous prenons la liberté de vous exposer que la réception définitive de notre nouveau bâtiment d'école et de la maison de l'instituteur a été faite depuis plusieurs mois par MM. l'architecte et l'inspecteur provincial de renseignement primaire, lesquels bâtiments sont occupés, depuis le 7 octobre dernier, par l'instituteur de cette commune ; que l'ancienne habitation de l'instituteur et la salle d'école sont inhabitées et fermées, ce qui cause un grand dommage à ces bâtiments ; et qu'il est dans l'intérêt de la commune et du bureau de bienfaisance que, dans un bref délai, lesdits bâtiments soient vendus.

« Par conséquent, nous osons vous prier de nous accorder l'autorisation nécessaire à l'effet de procéder à cette vente.

« Dans cet espoir, M. le gouverneur, nous avons l'honneur de nous nommer avec considération,

« Le collège des bourgmestre et échevins,

« Le secrétaire, Auguste Paret

« L. Proot, bourgmestre,

« D. Vlamynck.

« « Les membres du bureau de bienfaisance, L. De Bevere, L. Bommers, Ph. Castelein, L. Blomme, L. Proot, B. »

Vous remarquerez, messieurs, que dans cette pièce il n'est plus question des terrains occupés par Ooghe et le vicaire, qu'il n'y est pas fait mention de la première demande d'autorisation. Je vous ferai remarquer aussi que les mots « soient vendus » se trouvaient au commencement de la ligne, de manière à laisser un assez grand espace en blanc ; puis plus bas et à la ligne : « Par conséquent, nous vous prions, etc. »

Tous les membres du bureau de bienfaisance signèrent cette pièce, à l'exception d'un seul qui trouva irrégulier de signer à domicile une demande d'autorisation qui, d'après l'usage et les instructions, aurait dû être discutée et votée en séance du bureau de bienfaisance.

Cette pièce fut envoyée à M. le gouverneur de la Flandre occidentale, mais avec un petit changement ; le point était devenu une virgule et après les mots « soient vendus » on avait ajouté « par le notaire Proot à Woumen. » Pour ne laisser aucun doute sur le but à atteindre, on avait eu soin de joindre à cette lettre une note qui n'est pas signée, mais qui paraît être écrite de la main du notaire Proot.

Voici cette note :

« Par la demande ci-jointe, faite à M. le gouverneur, il est clairement démontré :

« 1° Que le notaire Proot est nommé pour faire ladite vente ;

« 2° Que le bureau de bienfaisance renonce à la vente des terrains occupés par Ooghe, M. le vicaire, etc,, etc. »

Un membre de la députation permanente fut étonné de voir une administration changer en si peu de temps de notaire et sans motif ; il demanda des renseignements aux membres du bureau de bienfaisance de Woumen et ceux-ci déclarèrent tous que les mots : « par le notaire Proot, » avaient été intercalés dans le texte après la signature de la pièce. Ils déclarèrent en outre que leur intention formelle était que M. le notaire de Seck fît cette vente dans l'intérêt même du bureau de bienfaisance.

C’était donc un faux qui avait été fait au profit du notaire, bourgmestre de Woumen ; du reste M. Proot avait seul intérêt à faire ce faux pour avoir les bénéfices de la vente.

l'ne dénonciation fut adressée le 30 décembre 1867 au procureur du roi de Furnes par les membres du bureau de bienfaisance.

Il résulte de l'instruction que les mois ajoutés l'avaient été, après la signature de la pièce en question, par le secrétaire communal sur l'ordre formel du bourgmestre.

Peu de temps après, si mes renseignements sont exacts, la chambre du conseil du tribunal de Furnes rendit une ordonnance de non-lieu. Cette décision porte que le bourgmestre Proot a commis un faux matériel, mais que ce faux est excusable, vu l'absence de mauvaise intention et le peu d'intelligence du prévenu.

Le procureur du roi de Furnes fit opposition à cette ordonnance de non-lieu et les pièces furent envoyées, si je ne me trompe, au procureur général près la cour d'appel de Gand.

Voici, si mes renseignements sont toujours exacts, ce qui se trouve dans le réquisitoire du 8 avril 1868 de M. l'avocat général de Paepe dans l'affaire du faux du notaire Proot, à Woumen.

« Attendu que le collège des bourgmestre et échevins de Woumen conjointement avec le bureau de bienfaisance de cette commune, a adressé le 21 novembre 1867 une lettre à M. le gouverneur de la Flandre occidentale pour obtenir l'autorisation de vendre l'ancienne habitation de l'instituteur, l'ancienne école communale ;

« Attendu que les mots « door den notaris Proot te Woumen » ont été intercalés dans cette lettre après qu'elle eut été signée par les membres de ce collège et du bureau de bienfaisance ;

« Attendu que le sieur Auguste Paret, secrétaire communal à Woumen, reconnaît avoir fait cette intercalation ;

« Attendu qu'il allègue qu'en faisant cette intercalation il a suivi les instructions du bourgmestre Laurent Proot ;

« Attendu que cette allégation est contredite par ce dernier ;

« Attendu que, malgré cette dénégation, elle paraît vraisemblable, puisque le bourgmestre Laurent Proot avait seul intérêt comme notaire à faire insérer dans la lettre les mots intercalés ;

« Attendu que la vraisemblance en est corroborée par les démarches qu'il avait faites auparavant pour empêcher la nomination d'un autre notaire, etc. ;

« Attendu que le seul tort imputable à ceux qui ont concerté et fait cette intercalation, fort grave et qui entache leur conduite de fraude, c'est d'avoir voulu soustraire l'insertion des mots « door den notaris Proot », à la connaissance des signataires de la lettre du 21 novembre 1867, etc. ;

« La cour, adoptant les motifs du ministère public dans le réquisitoire ci-avant transcrit, etc., confirme. »

Ainsi voilà un bourgmestre, un notaire, convaincu d'avoir fait un faux, mais non poursuivi grâce à un certificat d'imbécillité que lui délivre la chambre du conseil du tribunal de Furnes, certificat que la chambre des mises en accusation de la cour d'appel de Gand confirme en ajoutant « que ceux qui ont concerté et fait cette intercalation, ont eu un tort grave et qui entache leur conduite de fraude.

Toute cette affaire avait transpiré et causé une grande indignation dans le public. M. Proot, ou un de ses amis, se crut obligé de tâcher d'effacer cette mauvaise impression en payant d'audace. Un journal de Dixmude eut l'aplomb de publier l'article suivant :

« Monsieur l'éditeur,

« Je prends la liberté de vous prier d'insérer quelques lignes dans votre journal concernant un acte de calomnie que tout honnête homme désapprouvera et qui en rend les auteurs et instigateurs méprisables.

« Il y a quelques mois, un des plus honorables habitants, bourgmestre et notaire d'une commune située dans les environs de la ville de Dixmude, fut accusé injustement d'avoir commis un délit en sa qualité de bourgmestre. Les calomniateurs ne pouvant satisfaire leur malveillance à l'égard de ce bourgmestre en le blâmant et en le méprisant, ajoutèrent à leur diffamation le mot« notaire » pour mieux réussir dans leur vexation et l'humilier en sa qualité de notaire, et, s'il était en leur pouvoir, le rendre odieux par leurs paroles et lui faire perdre toute confiance, non seulement auprès des habitants de sa commune, mais partout où ils pourraient lui faire tort dans ses fonctions publiques.

« Or, il y a preuve évidente qu'il n'existe rien à la charge de ce fonctionnaire public, soit en sa qualité de bourgmestre, soit en sa qualité de notaire ; au contraire, il est très estimé et aimé de ses concitoyens et considéré comme le père de ses administrés, excepté de ses quatre délateurs et de quelques-uns de leurs partisans.

« Nous remarquons avec plaisir que dans, tout le canton de Dixmude et (page 251) autres lieux, il est constaté que ce notaire jouit de la confiance de tous et que les familles les plus respectables le chargent de la gestion de leurs affaires, et que, comme citoyen et fonctionnaire public, il mérite le respect de chacun ; de plus, les affaires privées jointes aux nombreuses ventes publiques qui se font depuis quelques années par son ministère, font voir que sa manière d'agir est irréprochable et que, comme bourgmestre et notaire, il est, malgré les calomniateurs, d'autant plus respecté et aimé de tous ceux qui rendent justice a qui de droit.

« Nous apprenons que les calomniateurs et autres seront poursuivis en justice. »

Cet article n'avait qu'un but : disculper le notaire, nier le faux, la poursuite, l'instruction, et intimider les membres du bureau de bienfaisance ; le dernier paragraphe est une réclame en faveur du notaire, pour lui rendre la confiance des familles respectables auxquelles il fait allusion, confiance qu'il craignait probablement d'avoir perdue.

Voici la réponse qu'on fit a cette lettre :

« On nous prie d'insérer ces quelques lignes dans notre journal en réponse au Weekblad de dimanche dernier.

« Le Weekblad annonce qu'un notaire, bourgmestre d'une commune des environs de Dixmude, ayant été l'objet d'une accusation, aujourd'hui démontrée fausse, ceux qui ont porté plainte à sa charge vont être poursuivis en justice.

« Cette poursuite aura l'avantage de faire connaître les pièces de cette affaire, l'ordonnance de non-lieu rendue par la chambre du conseil du tribunal de Fumes et l'arrêt de non-lieu de la chambre des mises en accusation de la cour d'appel de Gand, intervenu sur l'appel du procureur du roi de Furnes, pièces qui permettent de juger de l'intelligence et de l'honorabilité du notaire-bourgmestre en question, mieux que toutes les lettres élogieuses que pourrait insérer le Weekblad.

« Nous joignons donc nos instances à celles du Weekblad pour que M. le notaire-bourgmestre poursuive les auteurs de la plainte. On nous assure que ceux-ci ne le désirent pas moins que nous. Il ne dépend donc que de M. le bourgmestre de satisfaire tout le monde.

« Voilà trois mois que nous attendons la poursuite annoncée par le journal le Weekblad.

« Tout le monde pourra juger ainsi qui a dit la vérité. »

C'était une mise en demeure de poursuivre les soi-disant calomniateurs ; mais on eut la prudence, de ne plus souffler mot ; l'article reparut de temps en temps dans le journal ; mais pas de réponse.

Je n'ai pas à juger ici ni à critiquer les arrêts rendus dans cette affaire par la chambre du conseil du tribunal de Furnes et par la chambre des mises en accusation de la cour d'appel de Gand ; je demanderai seulement à M. le ministre de l'intérieur s'il ne croit pas qu'il y ait là un acte coupable, à punir administrativement.

Vous n'ignorez pas, messieurs, quel pouvoir omnipotent un notaire, qui est en même temps bourgmestre, peut exercer dans certaines de nos communes rurales, soit par les affaires d'intérêt privé, soit par les affaires d'intérêt communal ; il a donc fallu un grand courage à de braves et simples fermiers pour dénoncer un homme assez puissant pour oser faire un faux dans un acte public, afin de faire triompher ses propres intérêts au détriment de ceux des pauvres, de ceux du bureau de bienfaisance. M. le notaire Proot poussa même l'audace jusqu'à menacer ses victimes de poursuites judiciaires ; il voulait s'assurer l'impunité par l'intimidation. Ce sont des remercîments et non des menaces qui sont dus aux membres du bureau de bienfaisance de Woumen. Ils ont fait leur devoir.

Voilà 5 ans que la maison de l'instituteur est inhabitée ; on évalue à plus de 3,000 fr. les dommages causés à cette propriété par le mauvais vouloir du bourgmestre ; les bâtiments tombent en ruine faute d'entretien, et tout cela parce que M. le notaire ne fait pas la vente.

M. le ministre de l'inférieur conviendra avec moi qu'il est temps que cela finisse.

Je poserai, en terminant, le dilemme suivant : le faux étant bien constaté, bien prouvé, ou M. Proot est coupable ou il est incapable. S'il est coupable, blâmez-le, suspendez-le ; s'il est incapable, s'il a assez peu d'intelligence pour que son imbécillité lui serve d'excuse quand il fait un faux, révoquez-le.

M. Bouvierµ. - La loi du 1er juin 1850 a créé 50 écoles moyennes de l'Etat. Ce chiffre n'est plus en rapport avec la population, dont l'accroissement est considérable depuis la mise en vigueur de cette loi. Les conseils provinciaux et notamment celui du Luxembourg ont exprimé des vœux pour que le nombre en fût augmenté, et que de nouvelles écoles moyennes fussent établies. Il y a des chefs-lieux d'arrondissement qui en sont totalement dépourvus. Bastogne, par exemple, pour ne pas sortir de la province de Luxembourg. Pour satisfaire à ce désir, il y a lieu, comme le dit fort bien le rapporteur de. la section, de modifier la loi de 1850 sur l'enseignement moyen, C'est là, ajoute-t-il, une question délicate, mais on ne peut nier que les besoins de l'instruction moyenne aient grandi depuis dix-huit ans, qu'on a dû souvent y pourvoir indirectement par la loi du budget, sous forme d'encouragements et de suppléments, et qu'il serait plus régulier d'aborder de front les difficultés reconnues et de les résoudre par la voie de changements à la loi organique.

L'enseignement moyen se trouve dans une position spéciale, borné en quelque sorte par des crédits limitatifs, et ce serait une œuvre utile au pays d'en élargir la sphère et l'influence, si éminemment utile.

Cette œuvre serait d'autant plus utile que les forces vives, celles que j'appellerai les forces de la nation qui fournissent les législateurs, les magistrats, les écrivains, les conseillers provinciaux et communaux, se recrutent dans les écoles moyennes et les athénées et qu'un peuple se trouverait bientôt sur la pente de la décadence s'il ne prenait un soin minutieux pour développer et agrandir ce qui constitue ce premier besoin.

Je n'insisterai pas, sachant la vive sollicitude que porte l'honorable ministre à tout ce qui touche ce grand intérêt social.

A plusieurs reprises, on a demandé dans cette enceinte la rédaction d'un nouveau code rural, qui n'est plus en rapport avec le progrès de l'agriculture, surtout en ce qui touche le régime des eaux et de la police rurale.

L'honorable ministre pourrait-il fournir quelques renseignements sur ce point ?

Les chambres de commerce sont le produit de l'élection. Pourquoi n'en est-il pas de même quand il s'agit de l'agriculture ? Aujourd'hui le conseil d'agriculture est nommé par le gouvernement. Pourquoi ce mode de nomination ?

L'enseignement primaire devrait recevoir une direction plus agricole. Quelques notions très élémentaires d'agriculture et d'horticulture donneraient aux jeunes populations un avant-goût pour la science agricole et diminueraient l'émigration regrettable de ces populations vers les grands centres, où souvent elles se perdent et se corrompent.

On sait ou plutôt on ne sait pas de combien de formalités puériles est entourée en Belgique l'autorisation, pour la moindre de nos communes, d'établir chez elle une foire, un marché périodique. La grande et la petite bureaucratie est en émoi, enquêtes, contre-enquêtes, procès-verbaux de commodo et incommodo, rapport du commissaire d'arrondissement, les conseils communaux à plusieurs lieues à la ronde prennent délibération sur délibération pour attester ou contester l'utilité de l'établissement de cette foire ou de ce marché.

Ce n'est pas tout, les conseils provinciaux sont non seulement consultés mais délibèrent gravement sur un si important objet.

Rapport, discussion, délibération, décision, tout constate la vive sollicitude de ces assemblées pour l'enfantement de ces créations.

Si jamais vous assistez à une de ces séances, vous entendrez le développement d'un rapport toujours consciencieusement fait ; une discussion souvent vive, quelquefois passionnée, s'établit à l'occasion de ce travail.

Une décision intervient et, à une voix de majorité, décide du sort d'un acte si gravement solennel.

Mais ce n'est pas tout, le pouvoir central est consulté sur cette importante affaire, et quand elle a pesé le pour et le contre, il intervient un arrêté royal.

En France, on a compris tout le ridicule de cette mise en scène. Il fallait autrefois, pour établir une foire, un décret impérial après délibération du conseil d'Etat, et pour un simple marché une décision ministérielle. Aujourd'hui ces formalités, qui ne sont qu'une entrave à la liberté des transactions ont disparu, un simple petit arrêté du préfet suffit, et c'est déjà trop.

Pourquoi un arrêté du collège communal n'autoriserait-il pas ces créations ? De deux choses l'une : ou la foire est utile et elle prospérera, ou elle ne l'est pas et elle disparaîtra, et toutes ces formalités, qui sont un abus d'un autre âges, ne la sauveront pas. Mais, va me répondre l'honorable ministre de l'intérieur, vous oubliez donc l'article 32 de la loi provinciale, qui porte la disposition suivante :

« Le conseil provincial prononce sur les demandes des conseils communaux ayant pour objet l’établissement, la suppression, le changement des foires et marchés dans la province. »

L'honorable ministre doit s'apercevoir déjà que je n'ai pas perdu de vue cet article. Mais je lui répondrai que cette disposition appartient à un autre âge, où la liberté des transactions était encore soumise à des entraves sans nombre où les idées de centralisation et d'administration à. outrance étaient à leur apogée. Je pense qu'il serait bon d'imiter l'exemple de la France, où ont disparu ces formalités surannées et qui font tache chez (page 252) nous. Il est urgent de donner la liberté aux communes et d'abroger l'article 32 de la loi provinciale.

Dans la séance du 3 mai 1866, un projet de loi a été déposé, ouvrant au département de l'intérieur un crédit d'un million de francs pour être employé, avec le produit de la souscription publique, à l'érection d'un monument en témoignage de la reconnaissance de la nation belge envers notre regretté souverain Léopold Ier. Ce projet a été voté dans la séance du 8 suivant. Qu'est-il avenu de ce crédit ?

Est-ce ce que le temps aurait attiédi la reconnaissance, même envers un bon Roi, et faudra-t-il, pour élever un monument à sa mémoire, autant d'années qu'il en fallu pour l'érection de l'église de Laeken, consacrée à perpétuer le souvenir de la Reine bien aimée, église qui n'est pas même achevée à l'heure actuelle ?

Je désirerais que M. le ministre pût nous fournir quelques explications sur l'usage de ce crédit.

Enfin, je demanderai également des renseignements sur les faits odieux révélés par le journal le Précurseur, qui contient, dans un de ses numéros de décembre dernier, l'article suivant :

« Nous racontions dernièrement que les élèves de l'école normale de l'Etat établie à Lierre, c'est-à-dire les futurs instituteurs communaux de la Belgique, figuraient, par ordre, vêtus de surplis et le cierge à la main, dans la procession de Saint-Gommaire.

« Il paraît que ces pratiques religieuses font décidément partie de l'enseignement de l'Etat, si contraire qu'elles soient à la liberté des consciences. Il nous revient qu'à l'école normale d'Herenthals, où ne se trouvent que des jeunes filles de 16 à 21 ans, les élèves sont conduites à cinq heures du matin, dans une salle glaciale pour y entendre pendant trois heures, les sermons d'un jeune vicaire qui fait à haute voix, devant ces jeunes filles, l'examen de conscience. Elles restent pendant ces édifiants exercices complètement à jeun. Ce n'est qu'à neuf heures qu'elles prennent leur repas. Ces macérations durent du 25 décembre au 2 janvier. Sont-elles bien dans le règlement de la maison approuvé par le gouvernement ? La question nous paraît mériter l'attention de l'autorité supérieure. »

Eh bien, je me permets de la lui poser.

M. Rogierµ. - L'honorable M. Thonissen a traité une question sur laquelle je me proposais aussi de dire quelques mots ; mais il ne me paraît guère possible d'introduire une pareille question dans une discussion générale où l'on passe d'Athènes à Woumen et d'Homère au notaire Proot.

Il en résulte une confusion telle, que je me mis scrupule de prendre part à une pareille discussion. Je demanderai donc à M. le ministre de l'intérieur s'il compte faire, en ce moment, une réponse à l'honorable M. Thonissen ou s'il ne croit pas devoir ajourner sa réponse au chapitre de l'Enseignement public.

MiPµ. - Je crois aussi que cela vaudrait mieux.

M. Rogierµ. - Je me réserve donc de prendre la parole quand nous discuterons cette partie du budget.

M. Schmitzµ. - L'honorable M. Bouvier, mon collègue du Luxembourg, vient, messieurs, de vous entretenir incidemment du code rural. Je viens, à mon tour, demander à MM. les ministres de l'intérieur et de la justice ce qu'est devenu le projet de révision de ce Code, dont il a été si souvent question dans cette enceinte et que nos cultivateurs luxembourgeois attendent avec tant d'impatience.

En 1862 déjà, l'honorable M. Tesch, alors ministre de la justice, répondant à une interpellation de feu M. Henri Dumortier, informait la Chambre que des commissions provinciales avaient été instituées pour réviser le code rural ; que le travail de six de ces commissions était arrivé au département de la justice ; qu'on n'attendait plus que le travail des trois autres pour coordonner le tout et formuler un projet de loi qui, après avoir été soumis à l'examen d'une commission spéciale, serait présenté ensuite à la législature. M. le ministre ajoutait que la présentation de ce projet de loi ne pourrait probablement pas avoir lieu pendant la session de 1862, attendu qu'elle était trop avancée. C'était en quelque sorte promettre que la Chambre serait mise à même de discuter le nouveau code rural pendant la session de 1863.

Or, nous voilà arrivés en 1869 et rien ne nous fait prévoir que la question ait fait le moindre pas, depuis que MM. Dumortier et Tesch en ont entretenu la Chambre.

Nous ne pouvons cependant nous ne le dissimuler, messieurs, cette question du code rural a une importance réelle au point de vue de l'agriculture et surtout au point de vue de l'agriculture luxembourgeoise. Le Luxembourg, en effet, avec ses grandes plaines de bruyères et ses immenses terres en friche, est le pays par excellence du parcours et de la vaine pâture ; et l'exercice de ces droits y donne lieu, chaque année, à de très grands abus et à de longs et nombreux procès, souvent difficiles à juger. Je pourrais en citer une infinité d'exemples, je me bornerai à un ou deux seulement.

En ce qui concerne, par exemple, la vaine pâture, vous savez, messieurs, que la loi de 1790 n'a pas fixé l'époque annuelle de l'ouverture de ce droit ; elle s'en rapporte, à cet égard, aux usages locaux établis de temps immémorial. Or, cette époque diffère de commune à commune et même de section à section. Ici elle est fixée au 10 août, là au 15, ailleurs au 1er septembre, etc.

Lors donc qu'un cultivateur est poursuivi pour avoir devancé l'époque fixée pour l'exercice du droit de vaine pâture sur les terrains situés dans la section qu'il habite, le tribunal appelé à juger la contestation doit s'en rapporter aux dires de témoins qui sont presque toujours les voisins de l'inculpé, qui ont, par conséquent, les mêmes intérêts que lui et qui, se trouvant placés entre ces intérêts et leur conscience, font trop souvent bon marché de celle-ci pour ne s'occuper que. de ceux-là.

Vous rencontrez aussi des cultivateurs qui, imbus d'anciens préjugés, enracinés dans de vieilles routines, rejettent toute espèce d'améliorations agricoles. C'est ainsi, par exemple, qu'ils refuseront de dépenser un sou pour la création de prairies artificielles ; ce qui ne les empêche pas, en automne, lorsque s'exerce le droit de vaine pâture, de conduire leurs troupeaux sur les prairies artificielles formées par leurs voisins, plus intelligents qu'eux. Et qu'arrive-t-il ? C'est que ces voisins, fatigués de dépenser de l'argent pour la formation de prairies dont ils ne profitent pas exclusivement, finissent par abandonner ce système d'amélioration et cela au grand détriment de leur culture.

Je bornerai là mes observations ; elles suffiront, je. pense, pour attirer sur la révision du code rural l'attention de MM. les ministres de l'intérieur et de la justice, qui nous ont donné trop de preuves d'activité et d'intelligence pour ne pas faire sortir enfin des cartons ministériels le projet de loi qui doit y être enfoui depuis si longtemps.

Messieurs, puisque la Chambre veut bien m’accorder quelques instants de bienveillante attention, j'en profiterai pour recommander à M. le ministre de l'intérieur l'examen d'une autre question qui se rapporte aussi à l'agriculture. Il s'agit de la conservation des oiseaux insectivores. Cette question a été traitée, à diverses reprises, par plusieurs assemblées délibérantes et notamment par le Sénat, dans sa session de l'année dernière ; si je vous en parle, messieurs, c'est qu'elle a fait l'objet d'un vote spécial et unanime du conseil provincial du Luxembourg, auquel j'avais l'honneur d'appartenir, avant de venir m'asseoir sur les bancs de la législature.

Cette assemblée, en 1863 déjà, avait porté un règlement sur la matière, règlement qui n'a pas reçu la sanction royale, parce que, d'après M. le ministre de l'intérieur de l'époque, il faisait double emploi avec la loi de 1846 sur la chasse.

Le conseil provincial du Luxembourg, en présence du refus d'approbation du gouvernement, s'est donc borné cette année à émettre ce qu'on est convenu d'appeler un vœu en faveur du vote d'une, loi protectrice des petits oiseaux. C'est ce vœu que je viens recommander à M. le ministre de l'intérieur.

Cette question des petits oiseaux a aussi son importance. Je ne chercherai pas à vous apitoyer sur le sort malheureux que certains oiseleurs plus ou moins cruels font aux chantres ailés de nos bois ; je me bornerai à examiner la question au point de vue de l'agriculture, qui en est, à mon avis, le côté le plus important.

Il est parfaitement reconnu aujourd'hui par tous ceux qui s'occupent d'agriculture et d'arboriculture que les limaces, les chenilles et les insectes nous causent, chaque année, un préjudice tellement considérable, qu'il se chiffre, non par des milliers, mais par des millions de francs.

Eh bien, messieurs, à côté du mal nous avons le remède et un remède efficace. La Providence, qui a si bien fait toutes choses, à côté de la chenille et de l'insecte a placé l'oiseau, qui en est le destructeur le plus acharné. Comment concevoir que nous laissions manger nos récoltes et détruire nos arbres par les chenilles et les insectes et que nous ne prenions pas même le soin de veiller à la conservation des petits oiseaux, qui ne se nourrissent pour ainsi dire que d'insectes ? Il y a là non seulement de l'incurie, messieurs, mais même de l'ingratitude !

J'ose donc espérer que l'honorable ministre de l'intérieur prendra en sérieuse considération le vœu émis à cet égard par le conseil provincial du Luxembourg.

M. Orts. - Et par celui du Brabant.

- Une voix. - Et par le conseil de Liège.

M. Schmitzµ. - Je constate avec plaisir que presque tous les (page 253) conseils provinciaux du royaume ont formulé des vœux analogues à celui qui a été émis par le conseil du Luxembourg.

Mon honorable ami, M. Bouvier, vous a parlé aussi des écoles moyennes.

Cette question des écoles moyennes a été également soulevée cette année dans le sein du conseil provincial du Luxembourg, et je me proposais de la traiter à l'occasion de la discussion du chapitre du budget relatif à l'enseignement moyen.

Le conseil provincial du Luxembourg a émis, à l'unanimité, le vœu de voir réviser l'article 3 de la loi de 1850, qui fixe à cinquante le nombre des écoles moyennes ù créer et à subsidier par le gouvernement.

Et voici pourquoi : c'est que sur quarante et un arrondissements administratifs dont se compose la Belgique, celui de Bastogne, que j'ai l'honneur de représenter dans cette enceinte, est peut-être le seul qui ne possède pas un établissement de ce genre dans sa circonscription.

Ceux donc de nos cultivateurs qui veulent procurer un peu d'instruction à leurs enfants sont obligés ou de les envoyer au loin ou de les confier au petit séminaire, de Bastogne, qui est un excellent établissement, mais qui a surtout pour but de former des prêtres et nullement, des bourgmestres, des échevins, etc.

Je demanderai donc à l'honorable ministre de l'intérieur de vouloir examiner sérieusement la question et, s'il y a lieu, de nous proposer la révision de l'article 3 de la loi de 1850.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - L'examen du code rural est terminé ; il pourrait être présenté d'ici à peu de temps. Mais la Chambre est chargée de tant de travaux qu'il n'y a pas grand avantage a le présenter actuellement.

M. Bouvierµ. - On pourrait l'étudier.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Evidemment ce ne sera pas avant deux ou trois ans que la Chambre pourra s'occuper de ce projet ; elle a en ce moment des travaux plus importants. Toutefois puisque l'honorable membre le désire, je ferai en sorte de déposer ce projet le plus tôt possible.

M. Vleminckxµ. - Et le code pénal militaire ?

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Le code pénal militaire est terminé, j'espère pouvoir le déposer dans quelques jours.

M. Schmitzµ. Au nom des cultivateurs du Luxembourg, je remercie l'honorable ministre de la justice de la promesse qu'il a bien voulu nous faire.

La révision du code rural est un travail tout spécial. Si le projet est déposé immédiatement, les journaux agricoles et les sociétés d'agriculture s'empareront de la question, la discuteront et nous fourniront peut-être de bonnes idées, pour le moment où nous devrons, à notre tour, en aborder l'examen.

Rapport sur une demande en naturalisation

M. Bouvierµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport sur une demande en naturalisation.

- Ce rapport sera imprimé, distribué et l'objet qu'il concerne mis à l'ordre du jour.

La séance est levée à quatre heures et demie.