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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 17 décembre 1868

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1868-1869)

(Présidence de M. Dolezµ.

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 205) M. de Aloor, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Dethuin, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la précédente séance ; il est adopté.

Pièces adressées à la chambre

M. de Moorµ présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Les membres de l'administration communale de Waterland-Oudeman prient la Chambre de faire annuler l'installation du sieur De Schepper en qualité d'instituteur en chef de celte commune et de les autoriser à procéder à une nouvelle nomination. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Montenaeken, Corthys, Cras-Avernas, Trognée et Poncet se plaignent de l'état dans lequel se trouve l'accès, du côté du sud, de la station du chemin de fer à Gingelom. »

- Même renvoi.


« Les secrétaires communaux, membres du comité provincial de Liège, prient la Chambre de prendre des mesures pour améliorer la position des secrétaires communaux. »

M. Mouton. - Je prie la Chambre de renvoyer cette pétition à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.

M. Lelièvreµ. - Je me joins à l'honorable M. Mouton pour appuyer la même réclamation, que j'estime fondée sur les motifs les plus sérieux.


« Le conseil communal d'Izel demande que le raccordement des lignes du Grand-Luxembourg et de l'Est français se fasse par Marbehan, Belle-fontaine et Meix. »

« Même demande des conseils communaux de Termes, Les Bulles. »

M. Bouvierµ. - Ces pétitions se rapportent à celles dont la Chambre a ordonné le renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.

J'insiste donc que la Chambre prenne la même décision pour la pétition que vous venez d'entendre.

- Adopté.


« Le sieur Sevrin prie la Chambre d'améliorer la position des inspecteurs cantonaux de l’enseignement primaire. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget de l'intérieur.


« Par 23 messages en date du 15 décembre, le Sénat informe la Chambre qu'il a donné son adhésion à autant de projets de loi de naturalisation ordinaire. »

- Pris pour notification.


« MM. Reynaert et de Rossius demandent un congé. »

- Accordé.


M. le président. - Voici, messieurs, comment sont composées les commissions chargées d'examiner des projets de loi portant érection de nouvelles communes.

1* Pour le projet de loi relatif à l'érection de la commune de Linth (arrondissement d'Anvers) : MM. de Rongé, d'Hane, de Maere, Mouton et Lefebvre.

2° Pour le projet de loi rectifiant les limites entre les communes de Cornesse et de Wegnez (arrondissement de Verviers) : MM. Vander Maesen, Muller, de Naeyer, Tack et Dewandre.

3° Pour le projet de loi portant érection de la commune de Hofstade : MM. Van Humbeeck, Hymans, Delcour, Cartier et Thienpont.

Projet de loi approuvant le traité conclu entre la Belgique et le royaume de Siam

Rapport de la section centrale

M. Iseghemµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de la section centrale qui a examiné le traité conclu avec le royaume de Siam.

Projet de loi approuvant la convention du 16 novembre 1868 entre la Belgique et les Etats-Unis

Rapport de la section centrale

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport sur le projet de loi approuvant la convention du 16 novembre avec les Etats-Unis.

Projet de loi relatif aux frais des chambres de commerce

Rapport de la section centrale

M. Jonetµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale sur le projet de loi relatif aux frais des chambres de commerce.

- Ces rapports seront imprimés, distribués, et les objets qu'ils concernent mis à la suite de l'ordre du jour.

Nomination d’un membre de la commission de surveillance près de la caisse d'amortissement, des dépôts et consignations

Nombre de votants, 88.

Majorité absolue, 45.

M. de Brouckere obtient 51 voix.

M. de Naeyer, 36 voix.

M. Coomans, 1 voix.

En conséquence, M. de Brouckere est réélu membre de la commission de surveillance près de la caisse d'amortissement, des dépôts et consignations.

Rapport sur une pétition

Discussion du rapport sur la pétition des journalistes catholiques

M. Dumortier. - Voilà donc, messieurs, le vacher Vandeputte arrêté. Il est en aveu, et remarquez que cet aveu, il l'a confirmé récemment encore.

On fait venir dans la prison de Courtrai deux habitants de Saint-Genois, le sieur Ottevaire, huilier, et un cordonnier nommé Delcampe, devant lesquels Vandeputte a déclaré qu'il était coupable de tous les méfaits.

Et la justice, messieurs, a fait signer ces deux témoins, et elle a bien fait, afin d'avoir toutes les garanties en dehors du procès et de pouvoir affirmer sa déclaration.

Le fait ne peut donc pas être dénié.

D'ailleurs, un incident s'était passé, sur lequel j'appelle toute votre attention ; incident qui montrait que la déclaration faite était une vérité.

Lorsque le mandat de dépôt du vacher Vandeputte fut transformé en mandat d'arrestation, Vandeputte fut conduit à la prison de Courtrai.

Il dit alors aux gendarmes :

Soyez tranquilles ; vous n'aurez plus d'incendies à Saint-Genois : les incendies sont terminés, et les gendarmes pourront dormir tranquilles.

En effet, depuis lors, plus aucune apparence d'incendie à Saint-Genois. Les incendies ont cessé.

Ainsi, la déclaration et le fait coïncident ensemble.

Depuis son arrestation, plus d'incendie, et c'est la confirmation de la déclaration qui, récemment encore, a été donnée en présence de deux témoins, comme je viens de le dire.

J'ai eu l'honneur de vous montrer ce qu'était Vandeputte.

Ses rapports avec les catholiques n'existaient pas ; il avait servi presque constamment en qualité de vacher, chez des personnes appartenant au parti opposé.

Je signale les faits, messieurs, je les expose, je ne critique pas.

Il avait servi comme vacher chez des personnes du parti opposé ; l’estaminet qu'il fréquentait habituellement était celui de Demyttenaere, où se réunissent tous les accusateurs des catholiques.

Dès lors, le bon sens semblait indiquer que c'était d'un autre côté qu'il fallait faire les investigations.

On reste quelque temps dans celte situation, et pourtant, ni Vanoverschelde, ni Depoortèr ne furent relâchés.

On avait accusé Vanoverschelde, qui était tambour de la musique de Saint-Genois, d'avoir incendié une des meules ; on tenait l'incendiaire en aveu, et Vanoverschelde restait emprisonné.

Quant à Depoorter, je ne sais vraiment ce qu'on a eu à lui reprocher ; mais l'honorable ministre de la justice nous a dit qu'il avait été arrêté sur la déposition d'une servante.

Eh bien, nous allons voir ce que c'est que ces dépositions de servantes.

La maison de Depoorter n'était pas loin de celle de Devos. Entre la maison de Depoorter et celle de Devos se trouvent un ruisseau et une langue de terre.

(page 206) C'est la servante de Devos qui, par sa déposition, a fait mettre Depoorter en incarcération ; elle prétend que pendant que Devos était dans sa chambre à coucher avec sa femme, elle avait entendu certains propos.

il s'agissait de bois abattu que le notaire aurait payé.

Mais, d'une part, je ferai remarquer à l'assemblée que la distance est telle, qu'il faudrait que les voix de Depoorter et de sa femme eussent traversé trois appartements pour arriver à l'oreille de la servante.

Et supposons que Depoorter eût parlé d'arbres abattus, c'est son métier, il est sabotier. Peut-on faire des sabots sans arbres abattus ? Rien de plus naturel pour lui que de palier d'arbres.

Eh bien, on emprisonne Vanoverschelde ; on emprisonne Depoorter et l'on se garde bien de leur faire connaître le fait pour lequel ils sont arrêtés.

Le 21 septembre, on arrête les deux MM. Delplanque. C'est ici que l'on pose un des faits les plus criants, les plus audacieux, j'allais dire les plus scandaleux de toute cette procédure.

Ces MM. Delplanque sont deux jeunes gens des plus honorables, des plus excellents, mais ils étaient les adversaires politiques de Delbecque ; et vous avez vu que, depuis l'arrivée de la justice à Saint-Genois, le souffleur, l'instigateur de la justice était ce même Delbecque. En effet, huit jours avant l'arrestation des frères Delplanque, un frère de Delbecque annonçait à Tournai (et si la Chambre, ordonne une enquête, je le prouverai encore) que les MM. Delplanque allaient être arrêtés. La justice ne les arrêtait pas ; c'était l'instigateur, le souffleur qui annonçait huit jours d'avance qu'ils seraient arrêtés. Vous voyez là la main qui agit partout, et cette main agit toujours par esprit de vengeance.

Quand Delbecque avait été condamné sur la plainte des Delplanque, c'était Depoorter qui avait été le témoin principal pour le faire condamner : on arrête Depoorter. Les deux Delplanque avaient poursuivi Delbecque pour sévices ; ils avaient obtneu jugement contre lui ; on les arrête, on les emprisonne, et jusqu'aujourd'hui ils ne savent pas encore pourquoi ils sont emprisonnés.

Voilà trois mois pour les MM. Delplanque, quatre mois pour Depoorter que cet emprisonnement dure ; ils ne savent pas encore de quel chef ils sont emprisonnés.

Messieurs, cette détention préventive est un fait d'une gravité excessive. Lorsque, il y a quelques années, vous avez fait une loi pour empêcher cette odieuse détention préventive, j'ai encore à mon oreille la voix éloquente de mon honorable collègue, M. Orts, qui s'élevait de toute l'énergie de son âme contre cette véritable torture imposée aux prévenus. Je l’entends encore proposer à cette Chambre que le secret ne puisse durer que dix jours et qu'il ne puisse y avoir, au besoin, qu'une prolongation de dix autres jours. Eh bien, voilà trois mois que les MM. Delplanque ; voilà quatre mois que Depoorter sont arrêtés, et ils sont encore aujourd'hui au secret !

Que dit M. Bara ? Le secret a été levé. Le secret a été levé sur le papier, mais le secret continue à exister en fait. Il m'importe peu si vous avez un morceau de papier sur lequel vous avez écrit : Je lève le secret, alors que ce secret continue à exister en fait.

Quand Mme Delplanque, la mère, a voulu voir ses fils, on ne lui a permis de les voir qu'en présence du juge d'instruction et à la condition qu'elle ne dirait pas un mot du procès.

Quand Mlle Florine Delplanque a voulu voir ses frères, même condition, même prohibition, et quand leur frère a été les voir, il n'a pu les voir qu'à travers le grillage du guichet et en présence du gardien de la prison.

Et vous direz que ce n'est pas la continuation du secret ? Mais qu'est-ce donc que le secret, si ce n'est l'obstacle mis à toute conversation du détenu ? Il m'importe fort peu que sur un morceau de papier vous inscriviez que le secret est levé, alors que le secret subsiste en fait.

Il y a donc ici encore un fait arbitraire, c'est cette durée du secret, c'est cet emprisonnement cellulaire, pendant trois mois, de prévenus qui ne savent pas encore aujourd'hui pour quel motif ils sont arrêtés.

Il y a huit jours, j'ai demandé à M. le ministre de la justice : Dites-moi pour quel fait l'arrestation de MM. Delplanque a eu lieu ? Et que m'a-t-il répondu ? Ils sont arrêtés comme auteurs, coauteurs ou complices. Cette réponse, vous en avez tous fait justice. Comment ! auteurs, coauteurs ou complices, est-ce là un fait ? C'est une déclaration de culpabilité, rien autre chose. Dans un pays de liberté comme la Belgique, il n'est pas permis d'arrêter un citoyen en lui disant simplement : Je vous arrête comme auteur, coauteur ou complice.

II faut que le juge qualifie le fait pour lequel la personne est arrêtée, afin qu'elle puisse se justifier. La loi exige un interrogatoire et si cet interrogatoire se borne à une simple conversation : Où étiez-vous tel jour à telle heure, etc. ; il n'y a pas ce que la loi exige, et avec un pareil système on peut arrêter l'homme le plus honnête de la Belgique, en lui disant : Je vous arrête comme auteur, coauteur ou complice. Avec un pareil système il n'est pas un citoyen en Belgique qui puisse être sur de l'inviolabilité de sa personne, et le grand principe établi par la Constitution se trouve violé de la manière la plus scandaleuse.

Quand un homme est arrêté, la prévention doit reposer sur un fait, et ce fait, le premier devoir du magistral est de le faire connaître ; sans cela, c'est l'arbitraire et le pire de tous les arbitraires.

Mais vous l'avez vu, messieurs, depuis l'origine de cette affaire, c'est la complicité morale, et vous voyez encore ici la complicité morale.

Quel est le fait pour lequel les MM. Delplanque ont été arrêtés ? Vous allez être étonnés, tellement ce fait est ridicule. Deux mois avant les incendies, il y avait eu un festival au village de Moen et les musiciens de Saint-Genois y étaient allés. Arrivés là, les musiciens de Saint-Genois voulurent allumer leur tabac et ne purent se procurer du feu. MM. Delplanque. dirent à Vanoverschelde, tambour de la musique : « Va acheter une boîte d'alllumettes phosphoriques ; voilà cinq centimes. » Il va chercher des allumettes, il les apporte et quand les musiciens de Saint-Genois ont allumé leur tabac, MM. Delplanque disent au tambour : « Quant au reste, garde-le. » Cela se passait deux mois avant les incendies, et voilà le motif de leur arrestation, la prévention d'avoir fourni des allumettes phosphoriques à Vanoverschelde, deux mois avant l'incendie.

Peut-on imaginer rien de plus ridicule ?

Depoorter est arrêté, parce qu'une servante, la servante de Devos, son ennemi, est venu déclarer qu'elle a entendu, à travers trois appartements, Devos parler avec sa femme d'arbres abattus ou d'objets semblables.

Les deux frères Delplanque sont arrêtés à cause que, deux mois avant l'incendie, ils avaient acheté une boîte d'allumettes phosphoriques et en avaient laissé le reste au tambour qui se trouve en état d'arrestation.

Je signale ces faits au pays parce que M. le ministre a refusé de me dire le fait pour lequel l'arrestation avait eu lieu. C'est tellement ridicule, que je conçois le silence de M. le ministre.

Voilà donc les mandats d'arrestation lancés contre MM. Delplanque.

Camille Delplanque était clerc du notaire Vanderstappen à Berchem. Ce notaire avait voulu préalablement prendre des renseignements sur ce jeune homme, chez son beau-frère, M. Forges, notaire à Hussignies, dont les opinions sont libérales, et c'est son droit. Celui-ci s'était adressé au procureur du roi de Courtrai qui avait donné d'excellents renseignements, et le voici en état d'arrestation.

Je l'ai dit, huit jours auparavant M. Delbecque-Lezy, de Tournai, avait fait connaître que MM. Delplanque allaient être mis en état d'arrestation. Comme je viens de le dire, M. Camille Delplanque était employé chez le notaire de Berchem ; son frère était employé chez le notaire Opsomer.

Que fait-on ?

La gendarmerie se rend à Berchem, s'empare de M. Camille Delplanque. A Avelghem elle lui met des chaînes de fer aux mains et elle le conduit ainsi garrotté à la prison de Courtrai. Et on ne lui avait pas même dit pourquoi on l'arrêtait !

Que ferait-on de plus à un malfaiteur pris en flagrant délit ? Et cela a lieu quand vous avez sons la main le coupable qui est en aveu et qui n'a jamais été en relation avec MM. Delplanque !

Je dis, messieurs, que quand on voit des gens honorables être soumis à de pareilles tortures, à de pareilles infamies, c'est à rougir d'être Belge.

Permettez-moi, messieurs, de parler ici d'un fait qui moralisera singulièrement cette situation et qui vous prouvera quel degré de confiance méritaient les accusations de Delbecque.

Il y a quelques jours, ce monsieur a adressé à l’Echo du Parlement une lettre très violente contre mon honorable collègue et ami, M. Reynaert.

Dans cette lettre voici ce que je lis :

« Le notaire Opsomer a cependant eu le malheur d'avoir été accusé, le 5 février 1864, de concert avec les Delplanque, d'avoir porté, dans un guet-apens, des coups et fait des blessures très graves à l'allumeur de réverbères de Saint-Genois. Il est vrai que cette affaire n'a pu avoir de suites, faute de témoins. »

Voilà, messieurs, un fait bien grave, un fait qui, s'il était vrai, exposerait M. Opsomer à la haine, et au mépris de ses concitoyens et à une condamnation criminelle par la justice ; d'un autre, côté, si le fait n'est pas vrai, c'est une odieuse calomnie.

Que s'est-il passé lorsque le fait s'est produit ? Le notaire Opsomer procédait à une vente publique et toutes les personnes qui avaient assisté à cette vente sont venues constater l'alibi de M. le notaire Opsomer. Après que le tribunal eut rendu une ordonnance de non-lieu, le notaire Opsomer a intenté un procès en calomnie au sieur Constant Depoorter, allumeur de réverbérés, et le calomniateur a été condamné par le tribunal. (Interruption.)

(page 207) M. Delbecque ose chercher à dénigrer l'honorable M. Opsomer en affirmant comme vraie cette calomnie ! il se pose donc en calomniateur vis-à-vis de la société, vis-à-vis de cette Chambre et vis-à-vis du notaire Opsomer. et Delbecque est cependant l'homme qui a dirigé l'instruction ! Oui, messieurs, c'est chez cet homme que les officiers de police judiciaire sont descendus, qu'ils sont restés plusieurs jours pour leur enquête. Delbecque est un calomniateur pris en flagrant délit. Or, messieurs, je vous le demande, quand un juge a mal placé sa confiance et qu'il est trompé par un tel homme, quel malheur ne peut-il pas arriver dans les familles, à quels abus d'autorité n'est-on pas exposé ?

Messieurs, nous avons vu dans les visites domiciliaires le secret des familles exploité par les officiers de police judiciaire et cela sans aucune preuve de culpabilité réelle, uniquement au point de vue de la culpabilité morale. Car enfin aucune personne sensée ne peut croire que le curé, le vicaire, les petites religieuses, les demoiselles de la congrégation fussent complices réels du crime.

Tout ce qu'on pouvait invoquer contre eux, dans les conditions les plus mauvaises, c'était une complicité morale. Oui, messieurs, c'est la complicité morale qui domine l'instruction.

Pendant que toutes ces choses se passaient, je vous l'ai dit, Saint-Genois était en quelque sorte en état de siège ; les habitants ne pouvaient sortir de chez eux ou y rentrer sans rendre compte du lieu où ils allaient ou du lieu d'où ils venaient.

On a fait, plus : on a fait venir à Saint-Genois un mouchard, un agent provocateur ! C'était un commissaire de Gand qui peut être un homme très habile, mais qui, arrivé déguisé en marchand de bestiaux, allait de cabaret en cabaret cherchant à saisir un mot à droite, un mot à gauche pour bâtir son échafaudage. Des agents provocateurs, des mouchards, voilà ce que l'on voit dans l'affaire de Saint-Genois.

Ce n'est pas tout : Que devenait, dans cette situation, le secret des familles ? Chaque jour les porteurs de lettres devaient se rendre dans un endroit, déterminé, où les lettres étaient visitées.

M. Coomans. - Ah !

M. Dumortier. - Bien des lettres ne sont pas arrivées à leur destination, et il en est qui sont arrivées avec une adresse et une enveloppe, différentes de celles qui avaient été mises au départ, et si la Chambre ordonne une enquête, je prouverai encore ce fait.

M. Coomans. - Et la Constitution ?

M. Dumortier. - Oh ! la Constitution ! dit mon honorable ami, M. Coomans. Mais, messieurs, la Constitution vous dit que le domicile est inviolable, et vous voyez à Saint-Genois le domicile violé de la manière la plus odieuse, le secret des familles livré au juge d'instruction. La Constitution nous dit que nous ne pouvons être arrêtés que dans des conditions déterminées, et nous voyons à Saint-Genois des arrestations arbitraires. La loi vous dit que la détention préventive, que le secret ne peut pas se prolonger au delà d'un temps donné, et vous voyez d'honorables citoyens être trois mois au secret. Pouvait-il en être autrement du secret des lettres ?

Messieurs, permettez-moi de le dire, il règne dans le corps des officiers de police judiciaire une bien mauvaise et bien déplorable, tradition, c'est de se permettre de violer le secret des lettres des prévenus, comme si la Constitution n'existait pas.

Cette tradition existe dans tonte la Belgique, de manière que la Constitution est violée pour tous ceux qui sont mis en état d'arrestation.

Eh bien, cela n'est pas permis, cela est intolérable. Les juges d'instruction doivent faire leur devoir, mais ils doivent commencer par respecter la Constitution.

L'honorable ministre de la justice nous disait encore hier, en nous parlant d'un crime commis sur un enfant, que sans la visite domiciliaire, on n'aurait jamais découvert l'auteur du crime. Eh bien, je répondrai à cela que j'aime mieux voir un crime impuni que devoir commettre le crime de violer chaque jour la Constitution.

M. Coomans. - C'est aussi un crime.

M. Dumortier. - Ainsi donc rien n'est sacré pour les officiers de police judiciaire de Saint-Genois, rien n'est sacré, pas même la liberté de la presse, parce que, dès le début de l'affaire, il fallait trouver des prêtres incendiaires, qu'il fallait aussi mettre en cause le vénérable évêque de Bruges et tout le clergé de la Belgique. Et c'est alors que la dignité du sacerdoce est insultée que vous venez demander de respecter jusqu'aux abus de la magistrature !

Au sujet des sévices judiciaires contre la liberté de la presse dans l'affaire de Saint-Genois, j'ai l'honneur de vous présenter une première réflexion. En vertu d'une circulaire émanée du ministre de la justice, il y a plus de trente ans et renouvelée presque par chaque ministre du la justice, il est interdit à tous les parquets du royaume de Belgique, d'entamer un procès de presse sans l'autorisation du ministre de la justice.

Cette circulaire, destinée à arrêter l'ardeur de certains membres du parquet, est sage ; elle a été renouvelée vingt fois ; elle a toujours été respectée, et aucun parquet de la Belgique ne peut commencer une affaire de presse, sans y être préalablement autorisé par le ministre de la justice.

Evidemment dans cette affaire, messieurs, l'autorisation a dû être donnée, elle a dû être accordée d'abord.

Ainsi, voilà le ministre qui assume sur lui la responsabilité de toutes les affaires qui se sont passées à Bruges, au point de vue de la liberté de la presse.

Que porte, messieurs, le décret sur la presse ?

Le décret sur la presse est formel : Il faut qu'il y ait, par voie de la presse, provocation directe à un crime, pour qu'il puisse y avoir poursuite, et cela se conçoit.

La provocation indirecte pourrait ouvrir la porte aux plus extrêmes abus.

Comment ! voilà les événements de Charleroi qui se passent ; voilà les ouvriers en grève, se soulevant contre les exploitants ; voilà des crimes qui en sont la suite ; eh bien, un journaliste, peu importe lequel, le premier de la capitale, aura écrit quelques mots sur cette affaire, le voilà complice, d'après le système qu'on indique.

Le voilà complice et mis en cause, comme l'ont été les journalistes de Bruges.

Dans les questions de la cherté du grain, qui se présentent bien souvent, tout journaliste qui aura traité cette question sera mis en cause, si des émeutes arrivent. Il en sera de même de tous les délits qui peuvent arriver.

Le Congrès a donc agi avec une grande sagesse en exigeant qu'il y ait provocation de la part de la presse, pour qu'une poursuite puisse avoir lieu.

En 'effet, messieurs, en dehors de la provocation directe, vous arrivez encore toujours à cette complicité morale, à des procès de tendance, qui ne peuvent pas exister dans notre libre Belgique.

M. le ministre a donc autorisé des poursuites, sans cela elles n'auraient pu avoir lieu.

Eh bien, je demande à M. le ministre de la justice de justifier devant cette Chambre les poursuites qu'il a ordonnées des deux journaux de Bruges, en présence de la loi qui ordonne la provocation directe.

Je sais bien que dans le discours qu'il a prononcé, le ministre est venu nous dire que la phrase de cet article portant : « Nous irons au cimetière ; nous enlèverons les croix, » était une provocation aux incendies. Eh bien, je vous le demande, messieurs, cela est-il sérieux ?

Comment ! nous irons au cimetière ; nous enlèverons les croix, voilà, dit le ministre, la provocation à la dévastation et à l'incendie.

Mais cela n'est pas sérieux ; il n'est pas un écolier qui ne puisse comprendre qu'il n'y a là provocation ni directe, ni indirecte à l'incendie.

Il y a, direz-vous, l'article fantastique du Jaer 30, de l'écrivain abbé Van Eecke.

J'ai cet article sous la main, et je ne vous en donnerai pas lecture, parce que, pour ma part, cet article, mérite réellement une réprimande, il mérite un pensum et deux douzaines de mauvaises noies. Voilà ce qu'il mérite.

Mais pour le surplus, venir trouver dans cet article une provocation directe ou indirecte, cela est trop fort !

Toute la presse belge, tous les journaux catholiques, tous les journaux libéraux, les journaux de toutes les couleurs ont tous lu, relu, médité, compulsé cet article, et sont venus vous dire : Nous avons beau le lire, le disséquer, nous n'y voyons rien qui ressemble à la provocation directe.

Ainsi l'arbitraire se manifeste dès le début de cette affaire de presse et ici encore vous arrivez à ce résultat inouï, à ce résultat déplorable pour la Belgique, de la substitution de la complicité morale à la provocation directe. On intente des procès de presse, non pour provocation directe, mais pour complicité morale.

Eh bien, messieurs, je demande s'il y a un seul journaliste qui puisse encore écrire, quand la complicité morale vient remplacer une loi aussi sage que celle qui nous régit ? Je dis que tous les journalistes doivent briser leur plume, à moins de s'exposer à se voir le lendemain traîner devant les tribunaux, à subir des visites domiciliaires, à être incarcérés comme l'éditeur Vandenberghe, à subir les brutalités les plus graves, et cela parce qu'on substitue la complicité morale à la provocation directe.

Messieurs, l'on peut aller, dans ce système, aussi loin que l'on veut. Vous avez lu le sermon de l'abbé Van Eecke, qui parlait de Sodome et de Gomorrhe.

(page 208) Eh bien, je vous l'ai dit hier, toutes les personnes qui assistent aux sermons ont entendu vingt fois, trente fois, parler de Sodome et de Gomorrhe. Y avait-il là une menace d'incendie ? Bien évidemment c'est encore toujours ce même système de complicité morale.

Vous avez vu l'article de l'écrivain abbé Van Eecke. Vous l'avez tous lu dans les journaux et je vous éviterai le supplice de l'entendre. Mais cet article du Jaer 30, ce rêve bas et ridicule, est-ce donc là, en quoi que ce soit, un acte de provocation aux incendies ? Mais avec un peu de bonne foi, avec le dernier atome de bonne foi, on doit convenir qu'il n'y a rien de commun entre une provocation directe et l'article dont il s'agit.

Cependant on se transporte à Bruges. Et ici que voyez-vous ? Les magistrats de Courtrai vont faire leurs exploits à Bruges, en dehors de leur ressort, là où leur mandat n'existe pas, là où ils ne sont que de simples particuliers. Ils assistaient à l'instruction ; ils y prennent part.

Encore toujours une violation de la loi. Car, si je suis bien informé, la poursuite n'est permise aux officiers de police judiciaire hors de leur ressort que pour un seul et unique cas, celui de fausse monnaie.

Les voilà qui se transportent à Bruges.

Le 28 septembre, à onze heures du matin, la justice de Bruges et le procureur du roi de Courtrai se rendent au domicile de M. Tremery, éditeur du Katholyke Zondag. Là que voyez-vous ? On demande d'abord à M. Tremery s'il est l'éditeur du journal. On lui demande de citer les auteurs, et vous voyez M. le procureur du roi de Courtrai prendre la parole, interroger comme s'il était dans son ressort, ne se gênant pas plus que s'il n'y avait pas de loi qui limite les fonctions des officiers de police judiciaire.

Messieurs, ce fait seul n'est-il pas encore un fait blâmable ? Pouvez-vous tolérer que le juge d'instruction de tel ou tel endroit, que le procureur du roi de tel ou tel endroit vienne ici à Bruxelles, par exemple, faire des investigations.

Tout juge d'instruction, tout procureur du roi peut adresser une commission rogatoire aux magistrats d'un ressort étranger, mais il n'a pas le droit de venir lui-même. Son pouvoir s'arrête aux limites de l'arrondissement dans lequel il siège, et quand vous le voyez exercer son pouvoir en dehors de sa circonscription, il y a encore là un abus d'autorité.

On se rend chez M. Tremery, on visite tout ; on lui demande : « Vous tenez un registre de vos abonnés, nous désirons le voir. » Qu'est-ce que le registre d'abonnés d'un journal a de commun avec un délit ? Si j'avais été M. Tremery, j'aurais répondu : Monsieur, mon registre d'abonnés ne vous regarde pas.

Eh bien, on veut connaître ce registre des abonnés et s'en emparer. Voilà comment on traite les immunités de la presse et toujours au point de vue de la complicité morale. Car aucun fait ne saurait être articulé, contre le Katholyke Zondag. Les poursuites ont échoué au seuil de son domicile et cependant les visites domiciliaires ont eu lieu comme s'il avait été coupable de provocation directe.

M. Coomans. - On voulait savoir le nom des abonnes fonctionnaires.

M. Dumortier. - M. Coomans a raison, oui, on voulait connaître les noms des abonnés fonctionnaires, mais on voulait aussi connaître les noms des abonnés non fonctionnaires, pour ne jamais leur donner une place.

Ainsi, messieurs, voilà l'inquisition, l'inquisition véritable. On vient demander à un journaliste la liste de ses abonnés, comme si cela regardait la police judiciaire. Si un juge d'instruction à Bruxelles agissait de la sorte, j'engagerais les journalistes à prendre le juge d'instruction par les épaules et à le jeter à la porte.

M. Coomans. - Nous le ferions.

M. Dumortier. - Si M. le juge d'instruction ne savait pas remplir ses devoirs, moi je saurais remplir les miens. C'est ainsi qu'en Angleterre on a assuré le règne de la liberté.

Bientôt après la double police judiciaire de Courtrai et de Bruges s'en va chez le prévôt Van Becelaere et voici ce qu'il déclare lui-même.

On lui demande de faire connaître le nom de son correspondant, il répond que c'est son secret, qu'il ne le dira pas, M. le juge d'instruction se tourne vers le procureur du roi, celui-ci prend la parole et dit : J'ordonne la visite domiciliaire. Ainsi on ordonne la visite domiciliaire chez l'écrivain abbé Van Becelaere parce qu'il ne veut pas donner le nom de son correspondant !

On ordonne la visite domiciliaire et cela, messieurs, lorsque le journal n'est pas même incriminé. Et vous direz que ce n'est pas là de l'arbitraire, une véritable inquisition, que ce n'est pas là la violation de toutes les lois, que ce n'est pas là la violence poussée au plus haut degré !

Après avoir dit : J'ordonne la visite domiciliaire, M. le juge d'instruction ajoute ; Y consentez-vous, monsieur ?

M. Van Becelaere dit oui. Je le crois bien. Que vouliez-vous qu'il fit autrement, lorsque le juge avait commencé par ordonner la visite domiciliaire ?

Ainsi, parce que quelqu'un présumé ou reconnu rédacteur dans un journal ne veut pas faire connaître le nom de son correspondant, on fait la visite domiciliaire, et cela sans que le journal soit incriminé.

Eh bien, je demande si c'est ainsi que nos lois doivent être exécutées, si c'est ainsi que l'on entend sauvegarder la liberté de la presse !

Encore une fois, n'oubliez pas que ce journal n'est pas même poursuivi, que toutes ces démarches ont été purement arbitraires et en violation des lois les plus sacrées.

Ce qu'on voulait, c'était la liste des abonnés et les noms des correspondants, ce qui ne regardait pas la justice. Et tout cela afin de rendre des services au ministère, pour que l'on puisse obtenir des faveurs, des décorations ; de façon que les officiers du parquet ne sont pas ceux qui rendent des jugements, mais ceux qui rendent des services.

Je dis que ces prétendus services sont de véritables sévices et que la Chambre ne doit pas tolérer de pareils attentats, ne doit pas permettre que la liberté de la presse, une des bases de notre pacte social, soit ainsi foulée aux pieds par un officier de police judiciaire et cela, soit dans un intérêt de parti, soit dans un intérêt de faveur.

Arrive maintenant la visite chez M. Vandenberghe, rédacteur du Jaer 30.

Vous connaissez, messieurs, les faits qui se sont passés. Je pourrais encore vous répéter ce qui vient de se passer. On arrive chez lui. On lui demande le nom de l'éditeur des articles. Il refuse de le faire connaître. La Constitution est formelle, l'éditeur a le droit de conserver le secret quant aux auteurs des articles.

On pratique la visite domiciliaire.

On fouille tout depuis la cave jusqu'au grenier. Sa femme et ses enfants n'échappent pas aux investigations. Là aussi on saisit son registre d'abonnements. Enfin on arrête l'éditeur et on l'emmène à Courtrai. et tout cela parce qu'il a publié ce songe creux de l'écrivain abbé Van Eecke qui, aux yeux de personne, ne peut être considéré comme coupable de provocation directe, ni même de provocation indirecte. C'est une complicité morale, un véritable procès de tendance que l'on veut créer, et pour cela on viole la liberté de la presse, la liberté du domicile et la liberté d'un éditeur.

Messieurs, quand, il y a plus de trente ans, des officiers se sont transportés dans les bureaux d'un journal qui nous attaquait chaque jour, le Méphislophélès, pour briser les presses, un homme s'est levé dans cette enceinte pour protester contre ces dévastations et pour réclamer la punition des coupables, au nom de la liberté de la presse.

Cet homme est celui qui vous parle.

Ce que j'ai fait alors, je viens le faire aujourd'hui. J'ai soutenu alors un journal adversaire ; je viens aujourd'hui, quels que soient les écarts de la presse, soutenir les mêmes principes, parce que le droit est un, parce que si vous attaquez un journal aujourd'hui, demain vous pouvez en attaquer un autre.

Oh ! je n'entends certainement pas approuver la rédaction de ce journal, je ne la connais pas. Je ne veux qu'une chose, le droit ; le droit est le même pour tous, pour les rédacteurs du Méphistophélès comme pour ceux du Jaer 30, et ce droit, mon devoir est de le défendre.

On conduit donc le rédacteur du Jaer 30 à Courtrai, on l'emprisonne et écoutez ce qu'il raconte lui-même de son emprisonnement :

« J'ai été traité à Courtrai comme le plus grand des criminels. Des deux côtés de ma cellule, une cellule vide ; sur ma porte un écriteau prohibant tout accès quelconque sans la permission du nouveau directeur de la prison, nommé expressément, à ce qu'il paraît.

« Ayant demandé par écrit, dès le premier jour, d'avoir un lit convenable à mes frais, la réponse s'est fait attendre trois jours et trois nuits ; et j'ai dû coucher, vous devinez, dans un hamac.

« Chaque fois que je dus quitter la cellule soit pour être interrogé, soit autrement, j'ai été obligé de revêtir le capuchon, le masque ou n’importe comment on appelle cet objet-là, ce qui, vu l'état de ce capuchon, qui était sale de la sueur d'autrui et qui puait outre mesure, constituait un tourment insupportable.

« Pendant la nuit on m'a effrayé en ouvrant et fermant le judas de ma cellule, approchant des lanternes, etc.

« Quand je fus conduit devant le juge d'instruction, on paraissait vouloir me faire courir, et comme je m'arrêtais un jour en entendant une voix qui semblait exiger une réponse, on me dit brutalement : « Marche plus vite, il te faut un quart d'heure pour faire un pas. »

Voilà, messieurs, comme on traite la liberté de la presse ; voilà ce que (page 209) deviennent les immunités de la presse, en présence d'officiers ministériels qui ne respectent plus rien, et cela parce que vous avez proclamé leur omnipotence, parce que vous avez proclamé que ces officiers ministériels ne relevaient que de leur conscience et que personne n'avait le droit de les condamner, enfin, parce qu'ils agissent d'après vos ordres.

Eh. bien, je dis, pour mon compte, que je blâme de toutes les forces de mon âme une telle conduite vis-à-vis d'un éditeur, et en la blâmant je ne suis que l'écho affaibli de l'opinion publique tout entière.

Voilà donc où l'on arrive quand on est poussé par la passion, et par la pire des passions, la prêtrophobie.

J'ai eu l'honneur de vous le dire dès l'origine, il faut distinguer dans le juge d'instruction deux fonctions éminemment différentes : celle de juge, quand il siège sur les bancs, quand il est magistrature assise avec ses collègues, et celle de l'officier de police judiciaire. Eh bien, je dis, messieurs, que la conduite tenue dans cette affaire depuis l'origine jusqu'à la fin n'est qu'une suite non interrompue de violations de toutes nos libertés les plus chères.

Et qu'arriverait-il si les juges d'instruction étaient investis de pouvoirs aussi arbitraires, s'ils n'étaient responsables que devant eux-mêmes ? Ce qui arriverait, je vais vous le dire : c'est que les passions de l'officier de police judiciaire seraient la loi qui dicterait sa conduite, que s'il pouvait impunément les substituer à la loi, tenir dans ses mains la fortune, l'honneur, la vie des citoyens, c'en serait fait en Belgique de toutes les libertés.

Messieurs, à mes yeux, ce qui s'est passé à Saint-Genois est le plus grand scandale dont la Belgique ait été témoin depuis 1830. Quand j'envisage cette triste affaire, je suis profondément attristé de l'affaissement de la société en présence de pareils scandales.

En 1830, on proclamait tous les grands principes de liberté, la liberté individuelle, la liberté du domicile ; on opposait des limites à tous les abus de pouvoirs, on consacrait la liberté individuelle, l'inviolabilité du domicile, l'inviolabilité du secret des lettres, enfin on donnait aux citoyens toutes les garanties. Partout le frein était opposé à l'arbitraire. Que voyons-nous maintenant ? Nous voyons une seule chose, l'arbitraire, la complicité morale substituée à la prévention directe, les officiers de police judiciaire transformés en agents du plus violent absolutisme, d'un absolutisme sans frein et sans pudeur, se porter aux sévices les plus graves contre les citoyens.

Je répète que depuis 1830 il n'y a pas eu d'exemple de pareils faits. Et pourquoi tous ces abus ? Parce que l’on voulait trouver le parti catholique coupable, parce qu'il fallait pouvoir accuser depuis l'évêque jusqu'au dernier curé, depuis le dernier curé jusqu'au dernier représentant, depuis le dernier représentant jusqu'au dernier homme de l'opinion catholique, fouler aux pieds tout ce qui est sacré, par esprit de parti et dans le but inavouable de faire la traque aux prêtres afin de resserrer les liens disjoints du libéralisme.

Vous avez entendu dernièrement dans la bouche du ministre de la justice un discours qui, rappelant ceux des insulteurs publics, n'était autre chose qu'une suite de déclamations contre les catholiques.

Et la société peut subir un pareil outrage, et la société peut exister quand on vient ici, soit dans les actes, soit dans les discours, traîner dans la boue tout ce qui est sacré, tout ce qui maintient la société dans les limites du devoir, quand l'autorité ne s'arrête plus devant rien, lorsqu'il s'agit de satisfaire ses mauvaises passions ? Non, messieurs, lorsqu'une pareille situation se produit, je dis que le pays marche vers la décadence et qu'il est temps que cela finisse si l'on veut sauver la patrie.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je ne suivrai pas l'honorable M. Dumortier ; il s'est arrangé une histoire sur les événements de Saint-Genois ; il a recueilli ses renseignements ; il les a apportés à la Chambre ; il s'imagine que toutes ses allégations sont l'expression de la vérité.

Je ferais tous les efforts possibles pour le convaincre du contraire, que cela ne m'avancerait en rien. J'apporterais à l'honorable membre démenti sur démenti, je lui ouvrirais le dossier judiciaire, je lui fournirais preuve sur preuve, il n'en resterait pas moins convaincu que je suis dans le faux et qu'il est dans le vrai.

L'honorable membre a fait son siège : il y a peut-être eu des incendiaires à Saint-Genois, mais les incendiaires, en comparaison des magistrats, sont bien peu coupables ! Et quels sont ces incendiaires ? Peut-être des libéraux qui ont choisi leurs meules assurées pour y mettre le feu.

Une seule meule n'était pas assurée, voyez, les propriétaires n'ont presque pas subi de préjudice, et la conséquence c'est que ce sont probablement les libéraux qui ont brûlé leurs propriétés afin de pouvoir accuser les catholiques.

- Une voix. - C'est ce qu'on a dit.

M. le ministre de la justice (M. Bara). -- C'est ce qu'on 'a dit et ce qu'on dira indubitablement.

Si toutes les affaires de la justice devaient être traitées comme les traite l'honorable membre, je ne sais vraiment où nous irions.

L'honorable M. Dumortier arrive avec des témoignages qu'il a recueillis je ne sais où, car il ne nous indique pas la source de ses renseignements, et il veut que la Chambre se prononce. Quant à l'instruction judiciaire, qu'il ne connaît pas et qu'il déclare ne pas connaître, c'est un tissu de mensonges.

Eh bien, je vous le demande, messieurs, où allons-nous avec un pareil système. ?

Avais-je tort de reprocher à ce grand parti conservateur de se lancer dans l'anarchie, de vouloir tout renverser, de tout dénigrer ? Vous venez encore d'entendre l'honorable membre.

Après avoir attaqué nos institutions en d'autres circonstances, il a terminé son discours en avançant que le système que nous suivons nous mènera à la décadence la plus complète et que plutôt on en finira avec le régime actuel, mieux ce sera.

N'est-ce pas la confirmation la plus complète des reproches que j'adressais dernièrement à la droite ?

Mais, messieurs, je n'attache pas grande importance au discours de M. Dumortier et je suis convaincu que le pays et la Chambre n'en attachent pas davantage.

L'honorable M. Dumortier a souvent attaqué ici avec la plus grande violence les personnes les plus honorables et la Chambre se rappelle encore la philippique qu'il dirigea un jour contre un honorable fonctionnaire, le directeur de la poste de Bruxelles.

Les faits furent expliqués par l'honorable M. Vanderstichelen et il s'est trouvé qu'il n'y avait pas tin mot de fondé dans le réquisitoire de M. Dumortier.

L'honorable membre attaque les officiers du parquet ; il les accuse de violation du secret des lettres et de bien d'autres crimes encore.

Je réponds à l'honorable M. Dumortier qu'il est très facile de venir dénoncer des fonctionnaires devant cette Chambre ; il y est couvert par ses immunités parlementaires. Mais puisque vous avez les mains pleines de preuves, sortez de cette Chambre et, en bon citoyen, vous qui ne voulez pas la décadence de votre pays, allez porter plainte contre ces magistrats. (Interruption.)

Ah ! vous vous permettez, sous le manteau de vos immunités, de traîner la magistrature dans la boue !

M. Dumortier. - Je n'attaque pas la magistrature.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Comment ! vous n'attaquez pas la magistrature ; mais il n'y a pas un instant, vous accusiez le juge d'instruction d'avoir commis des infamies !

Eh bien, je vous dis : Si vous avez le courage de vos accusations, formulez-les en dehors de cette enceinte. Vous dénoncez ici la magistrature, parce que vous savez qu'il n'y a pas de répression à vos paroles et à vos attaques. Vous vous abritez sous vos immunités parlementaires.

Tout ce que vous avez affirmé est inexact ; ce sont des accusations gratuites à l'égard de la magistrature et pas un mot de ce que vous avez avancé, vous n'oseriez le répéter en dehors de cette Chambre, parce qu'il y aurait une justice qui saurait vous condamner. (Interruption.)

M. Dumortier. - J'ai demandé une enquête.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Vous ne connaissez donc plus rien de votre droit public : vous demandez des enquêtes sur des faits judiciaires.

Vous n'en avez pas le droit ; il n'y a que la justice qui puisse prononcer en pareille matière.

Je répète donc qu'il ne faut attacher aucune importance aux attaques de l'honorable membre ; il n'a eu qu'un but, c'est de détourner l'attention de ces déplorables événements de Saint-Genois que la justice instruit avec la plus grande impartialité et la plus grande patience. (Interruption.)

Qu'en savez-vous ? Vous ne connaissez pas un mot du dossier... (Interruption.) Je le sais, vous n'écoutez que vos passions et si vous aviez quelque sentiment de justice pour la magistrature, vous ne la soupçonneriez pas avant de savoir ce qu'elle a fait. Sa tâche est difficile. Messieurs, elle est entravée de toutes les manières, et il faut bien le dire, un courant, provenant de l'opinion catholique, se met entre elle et la vérité ; c'est aux bons citoyens à la soutenir.

Comment sauriez-vous expliquer l'intérêt spécial que vous prenez à cette affaire, s'il n'y avait pas de la passion ?

Mais regardez les autres causes. En combien d'affaires le parquet, les juges d'instruction, la chambre des mises en accusation ne conduisent-ils pas des accusés jusque sur les bancs de la cour d'assises, et des accusés dont le jury proclame l'innocence quelques instants après !

Soutenez-vous dans cette Chambre que le parquet et les magistrats ont manqué à leur devoir ?

(page 210) Est-ce que parce qu'il y a eu acquittement, vous dites qu'on a violé le domicile, la liberté individuelle, les droits que la Constitution garantit aux citoyens ?

Vous n'en faites rien.

La presse est respectable ; est-ce que les citoyens ne sont pas aussi respectables ?

Parce qu'un rédacteur de journal aurait été trois jours en prison, croyez-vous que les intérêts de ce rédacteur de journal soient plus respectables et plus grands que ceux d'un père de famille, d'un honorable citoyen qui subit quelquefois six mois de prison et qui, plus tard, est acquitté ? Et cependant vous ne criez pas à la violation de nos libertés, vous vous taisez, vous ne dites pas que les grands intérêts de la patrie sont en danger, et vous n'accusez pas le pays de tomber dans la décadence !

Pourquoi tenez-vous aujourd'hui une autre conduite ? Parce qu'il y a la passion politique qui vous guide, messieurs, et pas autre chose. (Interruption.)

Les faits de Saint-Genois ne sortent pas du cadre des instructions ordinaires ; et je dois le dire, messieurs, je regrette profondément pour votre parti, que vous soyez intervenu dans une cause aussi mauvaise.

En présence des malheurs qui ont frappé la commune de Saint-Genois, vous deviez laisser agir la justice. Vous ne deviez pas même laisser soupçonner (ce qui est injuste, je le reconnais) que vous puissiez avoir quelque indulgence pour les crimes commis par des fanatiques.

Vous deviez séparer votre cause de la leur, et attendre que la justice ait prononcé. C'est ce que vous n'avez pas su faire.

Cette faute que vous avez commise, est une nouvelle preuve de l'anarchie qui règne dans vos rangs. (Interruption.)

Tout ce que vous voyez faire, soit par le gouvernement, soit par la magistrature, vous le croyez dirigé contre vous.

Que faisaient les magistrats à Saint-Genois ?

Ils cherchaient à constater la vérité.

Et en supposant que le fanatisme ait inspiré les crimes de Saint-Genois, en quoi, s'il vous plaît, tout le clergé devrait-il en être responsable ?

Croyez-vous que parce qu'il y aurait dans une certaine partie du pays un clergé plus ou moins exalté, croyez-vous, dis-je, qu'il faille en conclure que tout le clergé partage ses idées ?

Non, messieurs, j'aime à le croire, il y a dans le clergé belge bien des membres qui s'élèveront contre le fanatisme. Je suis sûr que dans tous les diocèses on ne tolérerait pas la présence de prêtres tels que le rédacteur du Jaer 30.

Eh bien, messieurs, vous auriez dû vous désintéresser dans les crimes de Saint-Genois. La magistrature recherchait les coupables. Que ne l'avez-vous laissée paisiblement poursuivre son œuvre si délicate et si laborieuse ? Je regrette profondément pour votre parti que vous ayez perdu l'occasion de ne pas défendre une mauvaise cause.

Maintenant, messieurs, encore un mot, un seul.

L'honorable membre, rapportant un article du sieur Vandenberghe, est venu accuser le directeur de la prison de Courtrai.

Je croyais que personne n'aurait voulu, sans même les soumettre à un contrôle quelconque, se faire le garant des réclamations du sieur Vandenberghe ; je me suis trompé.

Eh bien, messieurs, je dois à la vérité de lire la réponse qu'a faite le directeur de la prison de Courtrai aux accusations du sieur Vandenberghe.

Car, quelle que soit la position des fonctionnaires, notre devoir est de les défendre lorsqu'ils sont injustement attaqués. (Interruption.)

Voici ce que le directeur de la prison de Courtrai a écrit à la commission administrative immédiatement après la publication de l'article dont M. Dumortier a donné lecture à la Chambre :

« En vous renvoyant la dépêche ministérielle du 28 courant, n°6 B, 2ème division, 1ère c, 1ère section, accompagnée d'un article extrait du Jaer 30 et reproduit par le journal la Belgique, que vous m'avez transmise pour explications au sujet des faits relatés dans cet article concernant le sieur Vandenberghe, éditeur, j'ai l'honneur de vous transmettre ci-après les réponses en regard de chaque paragraphe. »

Article publié.

« J'ai été traité à Courtrai comme le plus grand des criminels. Des deux côtés de ma cellule, une cellule vide : sur ma porte un écriteau prohibant tout accès quelconque sans la permission du nouveau directeur de la prison, nommé expressément, à ce qu'il paraît. »

Réponse.

« Le sieur Vandenberghe, à son entrée à la prison, le dimanche 27 septembre 1808, vers 11 heures du matin, a été mis en cellule comme tous les prévenus compromis dans une affaire grave, en laissant de chaque côté une cellule vide, afin d'empêcher toute communication.

« En appliquant cette mesure au prévenu, je crois avoir agi avec précaution, car, en présence des faits relatés dans le paragraphe ci- contre, j'ai lieu de présumer qu'il a tenté de communiquer ; sinon, il ne serait pas à même d'en connaître l'exactitude. »

« Aucun écriteau ne se trouvait sur la porte de sa cellule, il y pendait simplement une demi-feuille de carton gris, sans aucun écrit quelconque, mode adopté pour tous les prévenus, par le gardien de première classe avant mon arrivée à la direction, et que j'ai approuvé afin de les distinguer des condamnés, dans l'intérêt du service.

Article publié.

« Ayant demandé par écrit, dès le premier jour, d'avoir un lit convenable à mes frais, la réponse s'est fait attendre trois jours et trois nuits ; et , vous j'ai dû coucher devinez comment, dans un hamac. »

Réponse.

« A son entrée dans l'établissement, le sieur Vandenberghe m'a demandé d'être admis à la pistole. Je lui ai dit que cette faveur était accordée par la commission, conformément au règlement, qu'il m'aurait adressé une demande, que je l'aurais appuyée et que sans aucun doute, dans un bref délai, cette faveur lui serait accordée ; que cependant, pour ce qui concernait la nourriture, me déclarant qu'il n'avait aucun parent en ville pour la lui procurer, je l'autorisais à me transmettre une note de ce qu'il désirait, que je me chargeais de le lui faire parvenir immédiatement, quoique le règlement exigeât la demande la veille pour le lendemain. Le sieur Vandenberghe m'ayant donc fait parvenir le même jour la lettre ci-jointe, je l'ai transmise à votre honorable président, et le lendemain lundi, sa demande a été approuvée. »

Ainsi, Vandenberghe affirme positivement qu'il a couché trois jours dans un horrible taudis, et il est prouvé que, dès le lendemain de son arrivée à la prison, il se trouvait à la pistole. Je poursuis :

« De manière que le sieur Vandenbergec a couché une seule nuit dans un hamac garni d'effets de coucher propres et en bon état, et non trois jours et trois nuits comme il allègue faussement.

« Pour preuve de conviction, je joins à la présente la déclaration délivrée par M. Baltus, comptable, auquel il a payé les literies de la pistole du 28 septembre au 3 octobre. »

Quelle confiance pouvez-vous accorder à un homme qui vient écrire dans un journal de pareilles accusations, alors qu'il est démontré, par des pièces comptables, qu'elles sont fausses ?

« Quant à la nourriture, j'ai reçu la note ci-annexée, je l'ai envoyée immédiatement, suivant ma promesse, au cantinier, et, vers les deux heures, le dîner demandé lui était servi.

Article publié.

« Chaque fois que je dus quitter la cellule, soit pour être interrogé, soit autrement, j'ai été obligé de revêtir le capuchon, le masque où n'importe comment on appelle cet objet-la, ce qui, vu l'état de ce capuchon, qui était sale de là sueur d'autrui, et qui puait outre mesure, constituait un tourment insupportable. »

Réponse.

« Au moment de sa mise en cellule, où je l'ai conduit personnellement, eu égard à sa position, il m'a demandé s'il devait mettre le capuchon ; je lui ai répondu que c'était suivant le règlement et les usages de la maison ; que la mise du capuchon était dans son propre intérêt, afin de rester inconnu ; que, dans tous les cas, cela n'était de rigueur que pour se rendre au cabinet du juge d'instruction et aux préaux. A quoi le sieur Vandenberghe m'a répondu qu'il ne s'y opposait pas.

« Quant au capuchon, qu'il était sale et qu'il tourment insupportable, puait outre mesure, je crois, messieurs, que c'est inutile de vous dire la fausseté de ce grief. Vous savez tous, messieurs, que le règlement est sévèrement observé pour ce qui concerne la propreté, non seulement pour les capuchons, mais pour tous les objets d'habillement et de coucher ; c'est-à-dire qu'aucun objet quelconque n'est remis à un entrant, sans qu'il ait été lavé et, au besoin, réparé. Il y aurait donc eu exception pour le sieur Vandcnberghe.

« Admettez même, messieurs, un instant, que le fait fût vrai, ses tourments insupportables ont dû être bien courts, car la distance du cabinet du juge d'instruction ainsi qu'aux préaux, de sa cellule, n'était au maximum que de deux minutes. »

(page 211) « Pendant la nuit on m'a effrayé en ouvrant et fermant le judas de ma cellule, approchant des lanternes, etc.

Réponse.

« Le service de nuit de la maison exige que toute cellule soit visitée ; cette mesure de surveillance n'est pas seulement introduite dans la prison pour la sécurité de la direction, mais également dans l'intérêt des détenus, afin que dans le cas où un détenu se trouverait indisposé, on pût lui procurer les soins nécessaires. Il n'a donc pas été fait exception pour le sieur Vandenberghe. »

Article publié.

« Quand je fus conduit devant le juge d'instruction, on paraissait vouloir me faire courir, et comme je m'arrêtais un jour en entendant une voix qui semblait exiger une réponse, on me dit brutalement : « Marche plus vite, il te faut un quart d'heure pour faire un pas. »

Réponse

« Le gardien Vermeersch, chargé de la surveillance de la section dans laquelle se trouvait le prévenu Vandenberghe, proteste formellement contre l'accusation mise à sa charge, et je crois sa protestation sincère ; c'est que ce gardien est un employé doux et poli dans ses manières envers les détenus ; dans les prisons depuis 1858, ayant été gardien dans les maisons de sûreté et d'arrêt de Liège, Bruges et Verviers, et, par conséquent, homme de trop d'expérience pour sévir brutalement envers un prévenu, soit par paroles, soit par action. Admettons que l'insolence exercée par le gardien serait réelle, pourquoi le sieur Vandenberghe n'a-t-il pas réclamé au juge d'instruction en rentrant dans son cabinet, ou à moi-même lorsque j'allais chez lui dans sa cellule ?

« Ma réponse a l'article, dont il s'agit étant terminée, je saisis l'occasion, messieurs, de vous donner en même temps, quelques renseignements concernant les considérations que j'ai employées ù l'égard du sieur Vandenberghe.

« A son entrée en prison, je l'ai reçu moi-même et conduit en cellule, ce qui se fait d'ordinaire par un gardien ; journellement j'allais le voir, lui remettant des livres de lecture et lui adressant quelques paroles de consolation, et toute faveur qu'il me demandait, je l'accordais dans les limites du règlement. C'est ainsi que m'ayant demandé du sirop de Vanier, en remplacement de l'huile de foie de morue, je me suis rendu dans sa cellule, avec le médecin, et immédiatement il a été satisfait à ses désirs, de même que ceux de pouvoir prendre du vin et de se rendre deux fois par jour aux préaux.

« Enfin, messieurs, j'ai procédé envers le sieur Vandenberghe avec tous les égards dus à sa position, et je m'étonne d'autant plus aujourd'hui des calomnies mises à charge de cette direction, c'est que le jour même de sa libération, dans la salle des réunions de votre commission, en présence de M. Berlemont, secrétaire de votre collège et commis greffier près le tribunal de première instance de cette ville, et le sieur Vermeersch, gardien, il m'a répondu, par les paroles suivantes, à la question ci-après que je lui ai adressée : M. Vandenberghe, n'avez-vous rien à réclamer ? - Non, monsieur le directeur, je vous remercie des égards que vous avez eus pour moi ainsi que les gardiens.

« En présence de cette réponse faite par le prévenu même, laquelle est confirmée par la déclaration ci-joinle, des sieurs Berlemont et Vermeersch, personnes très honorables, je crois qu'il est inutile de m'étendre davantage pour vous prouver que les calomnies mises à charge de cette direction sont fausses.

« Le directeur, « Signé : De Backer. »

Maintenant, messieurs, voici les pièces qui sont jointes :

« A MM. les membres de la prison civile et militaire de Courtrai.

« M. le directeur de la prison m'ayant appris qu'il ne peut pas m'accorder la pistole sans votre consentement, je prends la liberté pour vous prier de bien vouloir me l'accorder.

« Agréez, messieurs, mes salutations respectueuses.

« Signé : Vandenberghe-Denaux.

« Accordé par M. le président, le 28 septembre 1868. »

« Je prie le concierge de me livrer de la soupe, de la viande, des légumes, pain et accessoires, 1 fr. 33 c. Plus un litre de bière.

« Signé : Vandenberghe-Denaux. »

« Je soussigné, M. Baltus, commis comptable de la maison d'arrêt à Courtrai, déclare avoir reçu du sieur Vandenberghe Honoré, détenu préventivement a la maison susdite, la somme d'un franc vingt-cinq centimes (1 fr. 25 c.) pour cinq journées de pistole avec literies, du 28 septembre 1868 au 3 octobre dernier (la journée d'entrée comptant, celle de sortie ne comptant pas).

« Courtrai, le 30 octobre 1868.

« Signé : M. Baltus. »

« Los soussignés, Constant Berlemont, secrétaire de la commission administrative de la maison d'arrêt, et commis greffier près le tribui.al de première instance à Courtrai, et T.-J.-L. Vermeersch, gardien à la susdite maison d'arrêt, déclarent et affirment par la présente, qu'étant à la maison d'arrêt de Courtrai dans la salle des réunions de la commission administrative au moment de la mise en liberté du sieur Vandenberghe, éditeur, M. le directeur lui ayant posé la question suivante :

« M. Vandenberghe, n'avez-vous rien à réclamer.

« Ce dernier a répondu ce qui suit :

« Non. M. le directeur, je vous remercie des égards que vous avez eus pour moi ainsi que les gardiens.

« La présente déclaration a été délivrée pour servir où il appartiendra.

« Courtrai, le 29 octobre 1868.

« Signé : E. Berlemont. Vermeersch.

« Pour copies conformes :

« Le directeur de la maison d'arrêt de Courtrai, « J. De Backer. »

Messieurs, cela vous dit la confiance qu'il faut avoir dans les renseignements de l'honorable M. Dumortier.

M. Watteeuµ. - La Chambre assiste depuis plus de huit jours à une discussion que je considère comme profondément regrettable à divers points de vue. Elle est regrettable d'abord parce qu'il est impossible qu'elle aboutisse et que par conséquent elle nous fait perdre un temps que nous eussions pu consacrer beaucoup plus utilement à d'autres intérêts auxquels le pays attend impatiemment une solution. Elle est regrettable ensuite à cause des théories vraiment singulières, vraiment inconsidérées qui ont été développées dans cette Chambre par quelques honorables membres. On vous l'a dit, cette levée de boucliers de la droite est inspirée par l'esprit de parti ; cela doit être saillant, palpable, évident pour tout le monde, car, dans d'autres circonstances qui certainement étaient bien faites pour émouvoir la Chambre à un plus haut degré, nous avons vu la droite ne pas même se préoccuper de ce dont elle aurait pu se plaindre.

Mais on a voulu changer le caractère de cette discussion, et c'est M. D-mortier particulièrement qui a compris que cela était en quelque sorte indispensable pour expliquer cette singulière attitude prise par quelques-uns de ses amis,

L'honorable M. Dumortier a fréquemment invoqué les grands principes constitutionnels et il les a représentés comme ayant été foulés aux pieds, comme ayant été violés par les hommes les plus honorables et dont toute la conduite, dans l'accomplissement de leurs fonctions, commandait au contraire, je ne dirai pas seulement le respect de tous les citoyens, mais encore le respect de la Chambre qui en est l'émanation la plus résumée.

M. Dumortier. - Quand ils violent les lois ?

M. Watteeuµ. - Permettez-moi, M. Dumortier. Si vous voulez avoir un peu de patience, je prendrai à tâche d'examiner la théorie que vous avez développée et, dussiez-vous même donner, de temps à autre, un libre cours à vos habitudes d'interruption, je tâcherai cependant de ne pas perdre le fil de mes idées.

Je dis, messieurs, qu'on a voulu modifier, transporter en quelque sorte le terrain de la discussion, en faisant miroiter à nos yeux toutes ces libertés indignement outragées et violées.

Je le déclare, s'il était vrai que nos libertés fondamentales eussent été méconnues, violées, si une seule de nos libertés, la liberté de la presse surtout, avait été violée, l'honorable M. Dumortier ne serait pas seul à la défendre ; il trouverait à côté de lui, notamment dans les rangs de la gauche, des hommes qui défendraient avec lui la liberté de la presse et l'application la plus large de nos grands principes constitutionnels,

Mais, messieurs, laissons à l'écart ces invocations qui n'ont absolument rien à faire au débat, si ce n'est de faire office de manteau sous lequel on a dissimulé le véritable fond de la discussion.

D'abord, messieurs, je vous ai dit, et je tiendrai parole, je n'entends pas le moins du monde entrer dans l'examen des faits, il vous ont été expliqués de façon à ne laisser place à aucun doute ; mais je me plains du désordre que l'on cherche à jeter dans les idées, de la confusion qu'on cherche a répandre sur le véritable jeu de nos institutions constitutionnelles.

(page 212) Il est évident que quelques-uns de nos honorables collègues ont véritablement cherché à transformer la Chambre en cour d'assises, que l'on a fait ici le procès, que l'on a présenté une défense anticipée.

Mais avant de signaler quel a été le but, quelle a été l'intention de ces honorables orateurs, dans l'attitude qu'ils ont prise, je tiens à relever des erreurs d'autant plus inexcusables que ce n'est pas ici qu'on doit donner l'exemple d'un véritable désordre dans les idées et d'un oubli complet des principes les plus élémentaires en matière de législation criminelle.

J'ai entendu, messieurs, à ma grande surprise et avec un pénible étonnement dans la bouche d'un de nos honorables collègues qui a pour mission de demander tous les jours l'application de la loi, en qualité d'avocat, et dans celle d'un autre, dont l'autorité est plus imposante encore, puisqu'il est professeur dans une université, soutenir des thèses contraires à la loi.

L'honorable M. Dumortier a développé à son tour une théorie, mais je la trouve excusable chez lui ; ces écarts lui sont permis.

M. Dumortier. - Je n'ai pas l'honneur d'être avocat.

M. Watteeuµ. - Je m'en suis aperçu. Je n'ai pas eu, à cet égard, un seul instant de doute.

M. Dumortier. - Vous avez bien raison.

M. Watteeuµ. - On s'est évertué, messieurs, à mettre en présence des autorités. On a consulté dans un sens et dans l'autre l'opinion de Faustin-Hélie, pour prétendre qu'un juge d'instruction n'avait pas le droit de faire la moindre investigation, à moins qu'il y ait, non un crime ou un délit, cela ne suffit pas, mais un prévenu, un accusé, comme si le délit pouvait se commettre par lui-même !

Le plus souvent, le prévenu ou l'accusé est inconnu, et c'est précisément pour arriver à le découvrir que la justice confie à certains magistrats le soin de faire les recherches.

Je vous dirai tout à l'heure quels sont leurs droits et leur responsabilité, que vous avez complètement perdus de vue.

Je dis que c'est précisément pour découvrir l'auteur d'un crime ou d'un délit, alors que le fait du délit est patent, que les investigations du juge sont nécessaires.

On a dit : Un juge d'instruction est frappé d'impuissance s'il n'y a pas, avant tout, un prévenu.

M. Thonissenµ. - Je demande la parole.

M. Watteeuµ. - Permettez, M. Thonissen ; j'ai déclaré tantôt que je m'occuperais de vous et de deux autres collègues.

Vous devez vous rappeler parfaitement votre discours. Par conséquent, s'il y a dans ma réponse des choses qui ne vous concernent pas, vous devez admettre qu'elles ne s'adressent pas à vous...

Prétendre qu'un juge d'instruction serait frappé d'impuissance et ne pourrait pas rechercher le coupable, à moins de désigner au hasard un prévenu, ce serait, comme l'a fort bien déclaré l'honorable ministre de la justice, une législation tellement arriérée, qu'elle ne fonctionnerait pas pendant six mois sans que le pays ne provoquât la Chambre à prendre des dispositions qui mettraient en sécurité et l'honneur, et la fortune, et la vie des citoyens.

Mais, dit-on, c'est la théorie de Faustin-Hélie, et à l'instant on constate le contraire.

Mais il n'y a pas que. Faustin-Hélie qui ait écrit sur les règles à suivre en matière d'instruction criminelle.

Il y a l'opinion de Carnot et de Legraverend, qui confirment celle de Dalloz et qui condamnent les opinions émises en faveur des pétitionnaires.

Le premier de ces auteurs était conseiller à la cour de cassation ; l'autre était directeur des affaires criminelles en France.

Ce sont des hommes qui, non seulement par goût, mais par état, avaient à s'occuper et a traiter des questions criminelles.

Le pouvoir du juge d'instruction a pour premières limites celles qui lui sont tracées par sa conscience ; ensuite, il est rendu responsable par la loi pénale des abus d'autorité et peut être pris à partie. De plus, les cours d'appel ont autorité sur lui.

Si un jour, un membre de la Chambre veut proposer de modifier la législation et de donner des garanties nouvelles aux prévenus, je déclare à l'avance que je serais très disposé à lui prêter la main ; car je serai toujours enclin à restreindre la possibilité des abus. Mais nous n'en sommes pas là ; et si nous avions à discuter un projet de loi, je comprendrais qu'on eût exposé, comme on l'a fait, tontes les théories. Mais on ne discute pas des théories sous l'impression de certains faits et surtout de faits de la nature de ceux dont nous nous occupons.

En ce moment, il s'agit de savoir si, sous l'empire de la législation actuelle, les pétitionnaires ont raison ou tort de reprocher aux magistrats chargés de l'instruction d'avoir violé la loi.

Sous ce rapport, vous vous rappellerez que les orateurs qui ont appuyé la réclamation des pétitionnaires se sont divisés en deux groupes. Malgré le sentiment général qui domine cette sortie violente contre la magistrature, nous avons vu la droite se diviser. Il en est, parmi les orateurs entendus, qui ont reconnu que ce qui s'était fait l'avait été légalement, d'après le texte de la loi et conformément à ce qui est pratiqué par tous les parquets du pays. L'honorable M. Thonissen a eu bien soin de le déclarer et il ajoutait : Nous ne devons pas tant nous préoccuper de ce qui s'est fait ; préoccupons-nous davantage de ce qui devrait se faire. Ce raisonnement serait utile pour provoquer le changement de la législation existante.

Mais l'honorable M. Thonissen, et ce sont là des paroles que je regrette, c'est à cela que je faisais allusion tantôt, l'honorable M. Thonissen, faisant ici de l'importation française, nous a en quelque sorte vanté ce qui s'y pratique.

Il vous a dit qu'en France un préfet, qui n'est pas, comme chez nous, un magistrat indépendant et dont l'avancement est en dehors de l'action gouvernementale, pouvait ordonner toute espèce de perquisition. Et comment s'y prend-on ? On demande à la personne chez laquelle le juge d'instruction se présente si elle consent à la visite domiciliaire à opérer chez elle.

Si la personne s'y refusé, il surgit immédiatement un soupçon, et ce soupçon légitime une espèce de mise en prévention. Si je ne me trompe, si j'ai bien recueilli ses paroles, l'honorable M. Thonissen a ajouté que, dans ce cas, le fonctionnaire, pouvait avoir en poche une ordonnance ou un mandat qui mettait en prévention la personne se refusant à la visite domiciliaire.

M. Thonissenµ. - Si des soupçons sérieux s'élèvent contre cette personne.

M. Watteeuµ. - Votre rectification consiste en ceci : pas de mandat si le soupçon n'est pas sérieux ; mais si le soupçon est sérieux, mandat.

M. Thonissenµ. - S'il y a des soupçons sérieux, indépendamment du refus.

M. Watteeuµ. - Mais vous ajoutiez que les soupçons devenaient sérieux précisément par le refus de consentir à la visite.

Vous avez été assez embarrassés par l'exemple si frappant que vous avait donné l'honorable ministre de la justice en citant l'assassinat commis à Spa.

Mais je vais vous poser d'autres exemples, et je, voudrais bien savoir comment, en pareil cas, la société serait protégée avec votre théorie.

Je suppose un fils de famille qui a commis un crime, et qui se réfugie chez son père.

La justice constate le crime, mais elle n'a que des indices extrêmement vagues, des soupçons trop éloignés pour asseoir une prévention. Dans sa marche hésitante et incertaine, elle veut s'assurer si les indices les plus faibles ne la conduiront pas à des présomptions plus graves.

Le juge d'instruction, en acquit du grand devoir qui lui incombe, se présente chez le père à l'effet de faire une perquisition ; le père s'y refuse.

Il refusera surtout si son fils lui a confessé son crime ; il résistera à la perquisition et ajoutera qu'il la considère comme injurieuse pour lui.

Faudra-t-il que la justice soit désarmée et se retire devant le refus, ou faudra-t-il, comme le préconise l'honorable M. Thonissen, que le père, contre lequel ne s'élève pas l'ombre d'un soupçon, soit immédiatement mis en prévention ?

Second exemple : Un crime se commet dans un hôtel où il y a 400 à 500 personnes. On découvre un voyageur assassiné dans son lit.

Dans la chambre de la victime on trouve un objet quelconque, soit un chapeau, soit une canne, soit un gant, oublié par l'assassin dans la précipitation et dans l'espèce de délire auquel il sera en proie après avoir commis son crime.

Le juge d'instruction intervient, il saisit l'objet abandonné par l'auteur du crime et qui peut aider à le découvrir ; il voudra pénétrer dans les chambres occupées par d'autres voyageurs, et s'il en est parmi eux qui s'y refusent sous un prétexte quelconque, le magistrat devra se retirer, à moins de les mettre en prévention.

Eh bien, messieurs, cette prétendue amélioration de notre législation ne passerait pas chez nous ; ce serait là un véritable arbitraire, et le remède serait plus fâcheux que le mal signalé par M. Thonissen.

L'honorable M. Dumortier, travestissant les rôles, nous reproche d'avoir fait de la question une question cléricale afin de passionner les esprits.

(page 213) Ne dirait-on pas, messieurs, que c'est le gouvernement ou la gauche qui a provoqué la discussion ? Et qui donc s'est mis en campagne pendant huit ou neuf séances pour attaquer et pour dénigrer la magistrature ?

Mais, si je ne me trompe, moins le rapporteur, il n'y a pas un membre de la gauche qui ait pris la parole jusqu'à présent.

Nous avons vu, au contraire, plusieurs membres de la droite prendre la parole avec passion et, mus par le désir d'innocenter les crimes de Saint-Genois, émettre les théories les plus insoutenables.

On nous a dit, messieurs (et c'est encore l'honorable M. Dumortier), que tout ce qui avait été fait ne pouvait s'expliquer, si M. le ministre de la justice avait raison, que par la rivalité de deux fanatismes mis en présence.

Je vois, messieurs, d'une part un fanatisme qui est le résultat d'impressions subies par des gens crédules et simples, à qui l'on a prêché et enseigné de déplorables doctrines.

D'autre part, je vois des hommes honorables, des magistrats qui ont à répondre de leurs actes non seulement devant leurs supérieurs mais devant le pays et surtout devant leur conscience. Si ces gens-là ont un fanatisme, c'est le fanatisme du devoir, et celui-là commande le respect partout.

L'honorable M. Dumortier a fail devant vous un récit de fantaisie, les preuves en sont surabondantes.

Mais je me demande ce que signifie cette manière de discuter, d'appeler à notre barre la magistrature dans l'exercice de fonctions qui sont indépendantes et sur lesquelles vous n'avez aucune espèce de contrôle. Il a fallu que l'honorable M. Dumortier cédai à un bien vif désir d'expliquer les faits à sa façon pour que lui, toujours si fidèle observateur de la Constitution, toujours le premier à rappeler les respects qu'elle doit nous inspirer à tous, pour qu'il ait pu méconnaître à ce point toutes les dispositions constitutionnelles.

Oublie-t-il que tous les pouvoirs émanent de la nation ?

Le pouvoir judiciaire est donc une émanation de la nation au même titre que le pouvoir législatif ; son indépendance est aussi complète, aussi grande que la nôtre. Il ne nous appartient donc pas de nous ingérer dans les attributions qui lui sont dévolues.

L'article 30 de la Constitution porte : Le pouvoir judiciaire est exercé par les cours et tribunaux.

Le pouvoir judiciaire agit donc dans sa sphère avec une liberté aussi grande que celle avec laquelle nous agissons dans la nôtre ; son indépendance est au moins égale à la nôtre, nous pourrions dire : supérieure, car nous dépendons du corps électoral, tandis qu'aucune autorité, le pouvoir législatif lui-même, ne peut porter atteinte à la position du pouvoir judiciaire.

Que fait ensuite l'honorable M. Dumortier ? Il dit : Nous devons respecter la chose jugée. Mais il commence par la flétrir avant même qu'elle existe. Est-ce là respecter la Constitution ? Non, messieurs, car une discussion théorique sur l'interprétation de la loi n'appartient pas à la Chambre. La Chambre peut interpréter la loi par voie d'autorité, mais non par voie d'interprétation sur des faits spéciaux.

Quand il s'agit d'appliquer la loi à un fait déterminé, il n'appartient pas à la Chambre d'usurper le pouvoir de la magistrature.

Mais que signifie ce prétendu respect pour la chose jugée, alors qu'avant même que le jugement soit prononcé, on s'est livré ici à la discussion la plus approfondie, non seulement des faits de la cause, mais des témoignages, de la prévention, de tous les détails de l'affaire et cela, je ne dirai pas en dépit de toutes les règles, de toutes les dispositions législatives, mais j'ajouterai en dépit de toute raison.

Je ne comprends pas comment on peut discuter des faits, pénétrer dans tous les détails d'une instruction criminelle, alors que le dossier est secret pour tout le monde, alors que l'honorable M. Dumortier, pas plus qu'aucun d'entre nous, n'a le droit de prendre connaissance de cette instruction criminelle.

Et c’est après avoir discuté cette instruction, après avoir jeté la suspicion sur la magistrature qu'on est venu plaider non seulement que les faits n'étaient pas constatés, mais qu'il n'y avait ni crime ni délit.

Mais que deviendra le respect de la chose jugée, professé par l'honorable M. Dumortier, si les personnes actuellement prévenues, après avoir subi toutes les épreuves judiciaires, sont frappées d'une condamnation ? A quoi servira à l'honorable membre d'avoir jeté, par anticipation, le discrédit sur cette magistrature que le jury viendra peut-être réhabiliter, ce qu'à Dieu ne plaise pour les accusés.

L'attitude que vient de prendre ici l'honorable M. Dumortier est le renversement de toutes les idées constitutionnelles, de toutes les prérogatives de la magistrature et j'ajouterai des justiciables, car sa théorie peut se produire demain en sens inverse.

On a dit, messieurs, que toutes les lois avaient été violées et l'on a ajouté : Quelle garantie y a-t-il dans le juge d'instruction ? Il est sous la férule du procureur général.

L'article 57 du code d'instruction criminelle place le juge d'instruction sous la surveillance du procureur général. Celui-ci relève du ministre de la justice, il est son très humble serviteur. Le ministre de la justice relève de la Chambre. Donc, par cascade, le juge d'instruction est un fonctionnaire qui est directement sous le contrôle de toutes les autorités placées au-dessus de lui. Donc, au lieu d'avoir un caractère d'indépendance et de liberté entière, le voilà assimilé à un fonctionnaire du parquet dont la position et l'avancement sont soumis au caprice de ses chefs.

Eh bien, messieurs, rien n'est moins exact. Il a fallu ne pas tenir compte des autres dispositions du code d'instruction criminelle pour présenter une pareille argumentation.

Oui, le juge d'instruction est placé, comme officier de police judiciaire, sous la surveillance du procureur général. Mais, messieurs, à quoi se réduit le pouvoir du procureur général et quelle est l'étendue de l'autorité que sa surveillance lui donne sur le juge d'instruction ? Elle se borne, comme l'enseignent les articles 280 et 281 du code d'instruction criminelle, à l'avertir en cas de négligence, et à la dénoncer à la cour d'appel en cas de récidive.

- Des voix. - A demain !

M. Watteeuµ. - Je ne veux pas abuser de la patience de la Chambre... (Interruption.)

M. le président. - Un peu de silence, messieurs. M. Watteeu n'en a plus pour longtemps. Continuez, M. Watteeu.

M. Watteeuµ. - Je disais donc que le droit de surveillance que le procureur général peut exercer sur le juge se réduit à ceci qu'il peut signaler à l'autorité judiciaire supérieure, c'est-à-dire à la cour d'appel, les juges d'instruction qui se montrent négligents dans l'accomplissement de leurs fonctions.

La surveillance du procureur général ne va pas jusqu'à lui donner un droit de répression ou même, un droit de discipline sur le juge d'instruction. Celui-ci ne relève que de sa conscience et de la cour d'appel.

Tous les auteurs de droit criminel proclament, d'accord avec le texte, la complète indépendance du juge d'instruction, et le droit d'obéir ou de ne pas obéir aux réquisitions du parquet.

Quel a été, messieurs, le résultat de cette discussion ?

La Chambre transformée en arène judiciaire, de véritables débats dans lesquels des affirmations et des dénégations se sont croisées, dans lesquels une instruction s'est faite à l'aide d'écrits dépourvus de toutes les garanties judiciaires, et qui n'a pu tenir aucun compte des faits consignés dans l'instruction régulière, puisque aucun de nous ne les connaît.

Nous avons d'une part M. Reynaert et M. Dumortier qui viennent donner lecture à la Chambre de pièces qui n'ont aucun caractère de foi, qui ne seraient pas même reçues en justice, et d'autre part des fonctionnaires mis dans la position de devoir défendre leur honneur et leur considération en transmettant à leur chef immédiat le démenti le plus énergique contre les accusations dont ils sont l'objet.

- Voix nombreuses. - A demain !

M. Watteeuµ. - J'aurais eu de nombreuses observations à présenter encore ; je suis convaincu cependant que la Chambre doit être suffisamment édifiée, et désireuse de clore la discussion aujourd'hui, malgré l'heure avancée.

Je termine en déclarant que malgré la longueur de la discussion, j'avais à cœur de protester contre les incroyables attaques dirigées contre la magistrature et surtout contre la singulière tendance qui s'est manifestée d'absorber les pouvoirs et de traduire à la barre de cette Chambre l'autorité judiciaire au mépris de son indépendance et de la Constitution.

- Des voix. - La clôture !

M. Thonissenµ. - Je demande la parole.

M. le président. - Permettez, messieurs, il vient de parvenir au bureau une proposition que je dois faire connaître à la Chambre ; elle est ainsi conçue :

« Le soussigné, ayant entendu les explications sur les poursuites relatives à l'affaire de Saint-Genois ; considérant que le mode de procédure qui y a été suivi a donné lieu à des rigueurs excessives dans les arrestations, les visites domiciliaires et les saisies qui se sont étendues jusqu'aux registres d'abonnement ;

« Considérant que ces rigueurs, fussent-elles justifiées par les dispositions de droit commun, ne se concilieraient pas avec les principes consacrés par la Constitution en matière de presse ;

« Qu'il est dès lors urgent d'aviser afin de porter remède à cet état de choses ;

(page 214)

« A l'honneur de proposer à la Chambre d'ordonner le renvoi de la pétition des journalistes à M. le ministre de la justice et de l'inviter à rechercher les moyens de parer à la situation qui s'est révélée, soit par la voie d'instructions administratives aux parquets, soit par la voie d'un projet de loi nouvelle destinée à mettre la législation en harmonie avec les principes de liberté proclamés par la Constitution en matière de presse.

« Signé : Alphonse Nothomb. »

La parole est à M. Nothomb pour développer sa proposition.

M. Nothomb. - Il importe, messieurs, que ce débat reçoive une solution pratique ; il ne serait conforme ni à la dignité de cette assemblée, ni à l'importance des questions qui ont été soulevées, de se borner à un dédaigneux ordre du jour. Il ne faut pas que cette discussion, restant stérile, n'ait été qu'une brillante passe d'armes entre ces deux vieux champions qu'on nomme le clérical et le libéral. Ce n'est pas non plus sur ce terrain que je veux me placer. Accordez-moi donc, messieurs, malgré l'heure avancée, quelques minutes d'attention : elles me suffiront pour motiver ma proposition, Je n'ai, en effet, qu'à me demander quelle est la question sur laquelle la Chambre est appelée à se prononcer ? S'agit-il de savoir si les cimetières peuvent appartenir aux fabriques d'église ? Assurément non, bien que l'on ait prétendu que c'était le côté important du débat. Je n'en veux dire qu'un mot en passant. M. le ministre de la justice m'a fait l'honneur, dans le cours de la discussion, de citer souvent mes actes et mes opinions comme ministre, dans des termes dont je n'ai d'ailleurs pas à me plaindre. Il me permettra dès lors de constater que si j'ai résisté à ce qu'il appelle les prétentions épiscopales, je l'ai fait parce que je croyais et que je crois encore avoir exécuté la loi. Dans des circonstances pareilles, je ferais encore la même chose.

Mais il me sera permis aussi de faire remarquer que lorsque l'honorable M. Bara articule contre moi un reproche injuste, contre lequel je me borne à protester en ce moment, lorsqu'il vient m'accuser, comme il l'a fait indirectement hier, d'avoir cédé, dans d'autres occasions, à ces mêmes prétentions, il se contredit lui-même.

Comment supposer, comment admettre, en effet, que le même ministre qui, de votre propre aveu, dans une matière importante, proclamée si importante, par l'honorable M. Bara lui-même, celle de la propriété des cimetières, a énergiquement résisté et maintenu le droit des communes, ait pu, presque en même temps et dans d'autres matières, se résigner à être l'instrument servile ou complaisant d'exigences épiscopales que l'on suppose ? Ce reproche n'a donc rien de sérieux et je prouverai, quand on le voudra, combien il tombe à faux.

Maintenant s'agit-il de savoir si les inculpés de Saint-Genois sont coupables ? Certes, la Chambre n'est pas saisie de cette question et n'a pas compétence pour la juger. De quoi donc s'agit-il ?

Uniquement de la question soulevée par la pétition des journalistes et qui est de savoir si, dans l'instruction de l'affaire, on a usé ou abusé à l'égard de la presse des moyens d'enquête dont la police judiciaire dispose en général ?

Voilà la seule question qui nous est soumise. Il n'y en a pas d'autre, je le répète. Les agents de la police judiciaire ont-ils usé convenablement des procédés d'instruction vis-à-vis de la presse, à propos des méfaits commis ou prétendument commis à Saint-Genois ?

Je ne veux pas revenir sur les faits, cela me mènerait trop loin, et je ne veux pas manquer à la parole que j'ai donnée à la Chambre, de ne parler que pendant quelques minutes. On les a, d'ailleurs, exposés des deux côtés, dans tous leurs détails. Ce qui en ressort, suivant moi, à toute évidence, c'est que nous avons rencontré, dans les poursuites de Saint-Genois, des rigueurs insolites et excessives.

Nous avons trouvé des perquisitions judiciaires à domicile, un éditeur de journal emprisonné et d'autres arrestations nombreuses, des mises au secret prolongées au delà de toute mesure, des saisies de correspondances, de registres d'abonnement, et enfin nous avons vu, ce qui était au fond le point culminant du débat, considérer comme étant une provocation directe à des crimes, des articles de journaux, fâcheux, regrettables, ridicules, si l'on veut, mais qui à coup sûr, pour aucun esprit impartial, ne peuvent constituer une provocation directe aux crimes d'incendie qui ont été commis.

Cette provocation directe, la seule qui puisse justifier ces rigueurs, on ne parviendra pas à la tirer de ces misérables articles incriminés. Tels sont les faits dans leur ensemble.

Eh bien, je me le demande : Si tout ce qui s'est fait à cet égard dans l'instruction de Saint-Genois est légal, régulier, normal, la liberté de la presse ne court-elle aucun danger sérieux ? Si de pareils errements de procédure devaient être érigés à l'état de système, les immunités de la presse ne seraient-elles pas, en Belgique, sérieusement menacées ?

Pour quiconque a suivi attentivement ces débats, la réponse affirmative ne peut être douteuse.

- Un membre. - Très bien.

M. Nothomb. - Ce n'est pas d'aujourd'hui que j'ai cette opinion. Je l'ai soutenue dans cette Chambre en 1859 et en 1861, lors de la discussion du code pénal.

Je suis obligé, messieurs, de vous prier de me permettre, de lire ce que j'ai dit en 1859, à propos de la visite domiciliaire et de la saisie opérée dans le bureau d'un journaliste de Louvain.

Dans la séance du 15 juillet 1859 (Annales parlementaires, p. 20), je me suis exprimé ainsi :

« Le sieur Coppin... a dû se demander si, en matière de presse, on peut aller jusqu'à la visite domiciliaire. C'est une question que beaucoup de bons esprits se font. On doit se demander si, en présence de la Constitution, il est permis encore de faire des visites domiciliaires en matière de presse. Remarquez que je ne tranche pas la question, je ne la discute pas, je la signale.

« La législation de 1831 sur la presse est une législation toute de faveur. Le décret de 1831 est une réaction au profit de la presse contre le régime qui avait précédé. C'est une législation qui traite la presse et les écrivains d'une manière favorable. Ainsi, par exemple, elle soustrait l'écrivain à l'emprisonnement préventif, elle le renvoie devant la plus haute expression de la justice nationale : devant le jury ; l'imprimeur couvre souvent le coupable véritable, l'auteur. En un mot, il y a une législation tolérante, de protection, non de suspicion, une législation qui doit donner à la presse, cette gardienne des institutions libres, toute sa force, tout son développement.

« Je me le demande, messieurs : si l'on avait posé en 1831 aux auteurs du décret du 20 juillet qui est la charte de la liberté de la presse, si on lui avait posé cette question-ci : « Entendez-vous maintenir, à propos des poursuites de délits de presse, l'application du régime de la visite domiciliaire, » quelle eût été la réponse ? J'ose dire que la majorité (tous, me dit-on, et l'on a peut-être raison) aurait répondu : Nous ne sommes pas les tyrans de la presse, nous ne la tracassons pas, nous l'émancipons. Telle eût dû être la réponse, car ce décret de 1831 ne date-t-il pas de cette époque de grandes, de généreuses aspirations, où l'idée d'aller fouiller dans le secret des familles ne serait pas venue à ceux, je le répète, qui voulaient protéger la presse ?

« Mais enfin, messieurs, je veux accorder que cette question soit tranchée dans le sens de la légalité de la visite domiciliaire à propos de la poursuite d'un délit de presse, j'admets que cet acte puisse être posé, ne voit-on pas qu'il constitue au fond un acte préventif ? Cependant quand on dit : liberté de la presse, on exclut par là même toute mesure préventive, etc., etc. »

J'abrège, pour ne pas fatiguer la Chambre.

J'ai été appuyé, à cette époque, par l'honorable M. Orts, qui a soutenu avec moi qu'en règle générale il importait, pour les délits de presse de n'avoir pas recours à la visite domiciliaire, que ce moyen pouvait être légal, mais qu'il fallait n'en faire que l'usage le plus discret, le plus restreint.

Et en 1861, l'honorable M. Orts et moi nous avons repris cette thèse, en l'accentuant davantage.

Messieurs, ce que j'ai pensé en 1859, je le pense aujourd'hui avec bien plus d'énergie et de conviction, quand je vois ce qui s'est fait à Saint-Genois, quand je me représente ce déploiement de mesures rigoureuses qui ont été prises et qu'on vous a exposées. Devant ce spectacle, il m'est impossible de croire qu'on n'a pas exagéré les moyens que le décret de 1831 et le droit commun mettent à la disposition de la justice. On m'objectera, sans doute, que sous mon administration il s'est pratiqué des visites domiciliaires de l'espèce.

Je ferai remarquer que, pendant mon ministère, en matière de poursuites relatives à des délits de presse, je ne suis pas plus intervenu que l'honorable ministre de la justice ne prétend être intervenu lui même dans l'affaire de Saint-Genois ; j'ai laissé, en toute occasion, à la justice son libre cours.

Je n'ai usé de mon initiative personnelle que dans un seul cas, à propos de poursuites dirigées contre deux journaux de Namur et dans les circonstances suivantes :

L'armée venait d'accomplir un grand et douloureux devoir ; elle avait réprimé, et je le reconnais, principalement sous mon influence directe, des troubles dans le bassin de la Sambre, qui menaçaient de devenir des plus graves. Quelques victimes étaient tombées ; mais j'ai la conviction que (page 215) cet acte de rigueur intervenu au début de l'émeute a préservé de plus grands malheurs.

A cette occasion, l'armée avait été odieusement outragée et indignement calomniée. J'ai ordonné des poursuites contre les journaux de Namur, l'un d'eux a été condamné. Aujourd'hui j'agirais encore de même.

Une autre fois, on avait saisi des caractères d'imprimerie. L'imprimeur réclama auprès du gouvernement. Je dus le renvoyer a se pourvoir devant la justice. Je ne pouvais que donner cette réponse.

Qu'en résulte-t-il ? C'est que j'ai reconnu en principe que la visite domiciliaire est, sous la législation actuelle, un moyen légal d'instruction, même en matière de presse.

Mais aujourd'hui que des faits nous démontrent l'abus que l'on pourrait faire de ce principe, s'il était érigé en système, je puis et je dois chercher à prévenir l'abus.

Une situation nouvelle s'est révélée à propos de poursuites contre la presse ; elle pourrait devenir grave. C'est pour y chercher un remède que j'ai proposé l'ordre du jour que M. le président vient de lire. Je l'ai rédigé dans des termes que je me suis attaché à rendre acceptables pour tous. J'invite le gouvernement à porter sa sollicitude de ce côté ; je le convie à rechercher les moyens de concilier les exigences de l'ordre public avec les franchises de la presse et à ne pas laisser faire à cette institution essentielle des pays vraiment libres une condition amoindrie que chacun de nous devrait regretter.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, s'il est un membre de la Chambre qui ne devait pas faire la proposition que vous venez d'entendre, c'est bien l'honorable M. Nothomb. C'est sous son ministère que se sont posés les actes les plus graves.

Mais ce qui est le plus curieux, c'est la demande de renvoi au ministre de la justice pour qu'il fasse une circulaire ou qu'il présente une loi nouvelle.

Vous vous l'appelez encore ce qui s'est passé sous l'administration de l'honorable M. Nothomb ; vous vous rappelez ce pharmacien mis en état d'arrestation pour un écrit publié un an avant les faits auxquels on voulait le rattacher, la visite faite en son domicile, puis l'ordonnance de non-lieu mettant le prévenu en liberté ! Pourquoi n'avez-vous pas alors proposé de modifier la législation ? Pourquoi n'avez-vous pas lancé une circulaire ? (Interruption.)

La première fois que vous vous êtes occupé de cette matière, c'est en 1859, parce, que vous étiez dans l'opposition. L'honorable M. Nothomb, je le répète, était le dernier qui devait faire la proposition sur laquelle la Chambre va statuer.

Maintenant cette proposition est-elle admissible ? De quoi les journalistes se plaignent-ils ? Ils se plaignent d'irrégularités, d'illégalités commises. Ils prétendent que les mesures prises par les magistrats instructeurs sont légalement injustifiables ; ils demandent l'application du droit commun. Or, comment pourriez-vous renvoyer leur pétition au ministre de la justice ? Les journalistes ne se plaignent pas des vices de la législation, ils se plaignent d'illégalités commises.

« Il importe donc, dit leur pétition, d'arrêter à ses débuts cette tentative de restauration du régime Van Maanen, à laquelle on a affecté de donner un éclat particulier par un appareil vraiment théâtral et par un déploiement inusité de force publique. »

Selon les journalistes, la loi a été violée et c'est un blâme qu'ils demandent d'infliger à la magistrature !

Pour moi je demande à la Chambre de passer à l'ordre du jour ; ce sera la réponse de la Chambre aux attaques injustes dont la magistrature a été l'objet dans cette enceinte et au dehors.

- La clôture est demandée.

M. Thonissenµ (contre la clôture). - Messieurs, j'en appelle à votre loyauté, l'honorable M. Watteeu m'a attribué la doctrine la plus ridicule, la plus absurde ; il m'a accusé de fouler aux pieds les principes élémentaires du code d'instruction criminelle. Eh bien, je vous prouverai en deux minutes...

M. le président. - M. Thonissen, vous n'avez la parole que sur la clôture.

M. Thonissenµ. - Je voudrais simplement que l'on m'accordât la parole pour prouver que, dans tout ce que m'a attribué l'honorable M. Watteeu, il n'y a pas un seul mot que j'aie proféré.

M. Coomans (contre la clôture). - Messieurs, je n'ai pas encore pris la parole dans cette discussion et d'après la logique de M. le ministre de la justice, si je garde le silence, je serai accusé bientôt de n'avoir rien dit en faveur de la liberté de la presse qui a été, selon moi, indignement violée a Bruges.

Je demande que la discussion soit remise à demain.

J'ai demandé la parole, il y a plusieurs jours ; l'honorable M. Watteeu vient de la prendre, je désire l'obtenir aussi pendant 10 ou 15 minutes. Je suis prêt maintenant ; mais, si vos convenances s'y opposent, ajournez à demain la continuation de la discussion.

Je démontrerai qu'il est juste, raisonnable d'accueillir la protestation, ou plutôt la pétition, si vous le voulez, des journalistes représentant non seulement la presse dite cléricale, mais, j'ose le dire, toute la presse de Belgique, moins les journaux soumis directement au ministère.

Beaucoup de feuilles libérales, les plus considérables en tête, l'Indépendance, l’Etoile, le Précurseur d'Anvers, ont soutenu que la liberté de la presse a été violée.

Eh bien, messieurs, passer à l'ordre du jour sur une proposition aussi fondée, aussi raisonnable, établie avec tant de modération... (interruption) par mon honorable ami M. Nothomb, c'est une insulte à la presse et une nouvelle atteinte à la Constitution.

- La clôture est mise au vote par assis et levé.

Elle est prononcée.

M. le président. - D'après le règlement, la proposition d'ordre du jour a la priorité. Je vais la mettre aux voix.

M. Dumortier. - M. le président, il y a deux propositions d'ordre du jour.

La proposition de l'honorable M. Nothomb conclut également à l'ordre du jour, mais comme elle amende la proposition de la commission, elle doit avoir la priorité.

M. le président. - C'est une erreur, M. Dumortier ; la proposition de l'honorable M. Nothomb ne tend pas à l'ordre du jour.

M. Coomans. - C'est un amendement.

M. le président. - Oui, mais d'après le règlement, l'ordre du jour a la priorité et je vais le mettre aux voix.

- Plusieurs membres. - L'appel nominal !

- 11 est procédé au vote par appel nominal.

97 membres y prennent part.

58 membres répondent oui.

39 membres répondent non.

En conséquence, l'ordre du jour est prononcé.

Ont répondu oui :

MM. de Baillet-Latour, de Brouckere, De Fré, de Kerchove de Denterghem, d'Elhoungne, de Maere, de Moor, de Rongé, Descamps, Dethuin, de Vrière, de Vrints, Dewandre, Elias, Frère-Orban, Funck, Hagemans, Jacquemyns, Jamar, Jonet, Jouret, Lebeau, Le Hardy de Beaulieu, Lelièvre, Lesoinne, Lippens, Mascart, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Orts, Pirmez, Preud'homme, Rogier, Sabatier, T'Serstevens, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Merris, Vleminckx, Warocqué, Watteeu, Allard, Anspach, Bara, Beke, Bieswal, Bouvier, Braconier, Bricoult, Broustin, Cartier, David et Dolez.

Ont répondu non :

MM. de Clercq, Eugène de Kerckhove, Delaet, Delcour, de Liedekerke, de Montblanc, de Muelenaere, de Naeyer, de Terbecq, de Theux, de Zerezo de Tejada, Dumortier, Gerrits, Hayez, Jacobs, Janssens, Kervyn de Lettenhove, Lefebvre, Liénart, Magherman, Moncheur, Mulle de Terschueren, Notelteirs, Nothomb, Royer de Behr, Schollaert, Tack, Thibaut, Thonissen, Van Cromphaut, Vander Donckt, Van Overloop, Van Wambeke, Visart, Wasseige, Wouters, Beeckman, Coomans et Coremans.

Projets de loi ratifiant des conventions entre la Belgique, d’une part, et les Etats-Unis et les Pays-Bas, d’autre part

Dépôt

MaeVSµ. - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau : 1° un projet de loi qui ratifie la convention consulaire conclue entre la Belgique et les Etats-Unis, le 5 décembre 1868 ; 2° un projet de loi portant ratification du traité conclu avec les Pays-Bas pour l'exercice de l'art de guérir dans les communes limitrophes des frontières.

- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ces projets de loi qui seront imprimés, distribués et renvoyés à l'examen des sections,

La séance est levée à 5 1/2 heures.