(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants)
(Présidence de M. Dolezµ.)
(page 149) M. de Moor, secrétaireµ, fait l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Dethuin, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Moor, secrétaireµ, présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Les sieurs Tarlier, Buls et autres membres de la Ligue de l'enseignement prient la Chambre de réglementer le. travail des enfants dans l'industrie. »
M. Lelièvreµ. - Le conseil communal de Namur s'est adressé à la Chambre pour réclamer l'adoption de dispositions semblables à celles énoncées en la pétition. Comme de nombreuses réclamations ont été adressées dans le même sens aux Chambres législatives et qu'elles présentent, du reste, un caractère d'urgence, je demande que la pétition dont nous nous occupons soit renvoyée à la commission avec prière de faire un prompt rapport.
- Adopté.
« Des habitants de Waucomont-Battice déclarent protester contre la demande de séparer le hameau de Waucomont pour le réunir à Chaîneux, qui formerait une commune distincte de Battice. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à l'érection de la commune de Chaineux.
Discussion du rapport sur la pétition des journalistes
M. le président. - La parole est continuée à M. le ministre de la justice.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Avant de reprendre mon discours, permettez-moi de répondre quelques mots à M. Reynaert.
Je. suis à même d'affirmer à la Chambre que tous les faits signalés dans le discours de l'honorable membre sont complètement inexacts, et je vais le démontrer.
Je ne m'occuperai pas des théories de droit de l'honorable membre ; je m'attacherai uniquement aux faits matériels qu'il a signalés.
« Quand, a-t-il dit hier, la femme Morel et le vacher Vandeputte avaient été arrêtés, savez-vous ce que disait le juvénile substitut M. De Gamond à l'un de mes amis qui l'entretenait de cette double arrestation :
« J'ai la conviction qu'il y a du calotin là dedans ; vous verrez qu'avant quinze jours nous aurons découvert une main cléricale.
« C'est sous l'empire de ces funestes préoccupations, c'est grâce à cette néfaste et fatale impulsion que le parquet commença ses premières investigations et commit ses premiers abus. Le clergé avait été dénoncé par la presse ministérielle ; le clergé fut la première victime de l'arbitraire. »
Or, Vandeputte a été arrêté le 29 août et l'instruction a commencé le 14 juillet. Mais, avant Vandeputte il y avait eu d'autres personnes arrêtées. M. Reynaert le disait lui-même hier ; le 4 août on a arrêté le sieur Vanoverschelde et le 22 août le sieur Depoorter.
L'instruction était donc commencée depuis près de deux mois, lorsque eut lieu la conversation dont a parlé l'honorable membre.
On a parlé de l'espionnage auquel se livrerait la magistrature. Mais je demanderai comment il faut qualifier le rôle de l'ami de l'honorable membre qui vient rapporter une conversation privée ? Il y a plus : j'oppose, de la part de M. le substitut De Gamond, le démenti le plus formel aux propos que lui prête l'ami de M. Reynaert. Je me suis empressé ce matin d'interpeller M. De Gamond au sujet des paroles rapportées par M. Reynaert et il m'a répondu par le télégraphe que je pouvais dénier de la manière la plus formelle qu'il se soit servi de ces expressions grossières. (Interruption.)
M. Reynaertµ. - Ce n'est pas bien difficile.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Pas plus difficile que pour vous d'affirmer ce que vous ne savez pas. (Interruption) J'ai plus de confiance dans un fonctionnaire responsable de ses actes et de ses paroles que dans un anonyme...
M. Dumortier. - Oh !
M. le ministre de la justice (M. Bara). - ... et dans un anonyme qui, comme me le fait remarquer un de mes collègues, rapporte une conversation privée, c'est-à-dire, commet une espèce d'abus de confiance. (Interruption.)
Messieurs, dans ses attaques contre la magistrature, l'honorable membre a voulu faire une exception en faveur du juge d'instruction de Courtrai. Voici comment il s'est expliqué :
« Eh bien, messieurs, dans tout le cours de la procédure, c'est un fait notoire, un fait que toutes les dénégations du monde ne pourraient pas détruire : l'action du juge d'instruction a été totalement effacée par celle du ministère public ; le procureur du roi a joué un rôle tellement prépondérant qu'il y a eu une véritable confusion entre la poursuite et l'instruction. Le procureur du roi dominait, dirigeait l'enquête faite par le juge d'instruction. C'est une violation de la loi qui a été permanente et contre laquelle je proteste.
« Aussi le juge d'instruction, M. De Blauwe, a-t-il reçu sa démission au milieu même de l'instruction, ou bien d'office, ou bien sur sa demande, soit qu'il fût humilié du rôle nul auquel il se voyait réduit, soit que sa conscience ne lui permît plus de coopérer à des actes qu'il blâmait, soit enfin qu'il eût encouru la disgrâce du ministère pour trop de tiédeur. »
De qui tenez-vous ces renseignements ? Est-ce de M. le juge d'instruction De Blauwe ? Vous n'oseriez pas le dire ; et si ce n'est pas de M. le juge d'instruction De Blauwe, qui vous les a donnés, comment apportez-vous dos mensonges à cette tribune ?...
M. Dumortier. - Oh ! (Interruption.)
- Une voix. - Cela est-il parlementaire ?
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je répète : Comment apportez-vous des mensonges à cette tribune ?
M. Reynaertµ. - A qui attribuez-vous ce mensonge ?
M. le président. - Vous n'avez pas la parole, M. Reynaert.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je qualifie le fait.
M. le président. - Un mot, messieurs ; si M. le ministre de la justice avait attribué le mensonge à un membre de la Chambre, votre président l'eût arrêté. Mais telle n'a pas été la parole de M. le ministre. Maintenant, M. le ministre, veuillez continuer.
M. Dumortier. - Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je signale un fait et je le qualifie ; je dis que ce fait est un mensonge. Est-ce que tous les jours, dans cette Chambre, on ne qualifie pas ainsi des faits qui sont contraires à la vérité ?
M. le président. - C'est pour cela et parce que vous n'imputez le mensonge à aucun membre de cette Chambre, que je n'ai pas relevé ce que vous avez dit.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Et la preuve, que je n'ai pas attribué ce mensonge à l'honorable membre, c'est que je lui ai demandé de qui il tenait son renseignement (interruption), et j'ajoute que je suis heureux que l’auteur de ce mensonge ne soit pas l'honorable M. Reynaert.
M. Dumortier. - Vous avez beau dire que vous n'avez pas attribué à l'honorable M. Reynaert ce que vous appelez un mensonge ; il n'est pas moins vrai que vous l'incriminez par cela seul que vous lui reprochez d'avoir apporté un mensonge à cette tribune.
M. le président. - Je répète que si l'imputation s'était adressée à un membre de la Chambre, je l'eusse immédiatement relevée ; mais tel n'a pas été le caractère des paroles de M. le ministre. Il n'y a donc plus de doute maintenant.
M. Wasseige. - Je demande la parole.
M. le président. - Pourquoi ?
M. Wasseige. - Pour un rappel au règlement.
M. le président. - Vous avez la parole.
M. Wasseige. - L'explication donnée par notre honorable président des paroles du ministre pouvait, jusqu'à un certain point, innocenter le terme dont s'était servi M. le ministre. Mais il est évident qu'il vient de l'accentuer d'une manière très désagréable pour mon collègue et ami, en disant : « Je serais très heureux, si l'auteur de ce mensonge n'était pas M. Reynaert. » Ces paroles je les ai parfaitement entendues, et j'en appelle à tous mes voisins. (Oui ! oui ! à droite.) Eh bien, je déclare qu'attribuer, même sous la forme dubitative, un mensonge à un membre de cette Chambre est un acte positivement interdit par notre règlement, et j'en réclame l'application à l'égard du ministre qui s'est permis de le faire.
M. le président. - Je dois dire que je n'ai pas entendu la parole que M. Wasseige vient de citer. J'invite M. le ministre à vouloir bien expliquer ce qu'il a dit tout à l'heure.
(page 150) M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il me serait impossible, messieurs de venir dire à la Chambre, pour plaire à la droite, que ce que je viens de vous lire est une vérité. Il n'y a, dans ma pensée, qu'une manière de le qualifier : c'est un mensonge. Je n'ai nullement dît que l'honorable M. Reynaert en était l'auteur. J'ai même dit que j'étais heureux qu'il n'en fût pas l'auteur. (Interruption.) Ah ! vous espérez m'intimider par toutes sortes de chicanes... (Nouvelle interruption.) Vous avez grand tort de m'interrompre : vous ne perdrez pas un iota de ce que j'ai à vous dire. (Interruption.)
M. le président. - Il est donc bien entendu que cela ne s'appliquait pas à un membre de la Chambre. Dès lors, veuillez continuer, M. le ministre.
M. Dumortier. - M. le ministre a dit qu'on avait trompé avec l'intention de tromper.
M. le président. - Je crois avoir fait bonne justice en disant que le fait n'étant pas attribué à un membre de la Chambre, il n'y avait pas lieu de le relever.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je dis donc, que le fait est mensonger. M. le juge d'instruction De Blauwe avait été nommé l'année dernière pour continuer le mandat de M. le juge d'instruction De Neck.
Ce mandat devait être renouvelé, comme le mandat de tous les juges d'instruction, le 15 octobre de cette année ; et, durant le cours de l'année, M. De Blauwc, avant l'affaire de Saint-Genois, avait manifesté le désir de ne pas voir renouveler son mandat. Cela est consigné dans les rapports adressés au département de la justice aux dates des 7 et 10 août. (Interruption.)
M. Dumortier. - C'est donc pendant l'instruction ?
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il n'y avait alors presque rien de fait.
M. Jacobsµ. - Il y avait eu déjà des arrestations.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Et je maintiens que M. De Blauwe avait, dans le cours de l'année et peu de temps après sa nomination comme juge d'instruction, déclaré qu'il ne sollicitait pas le renouvellement de son mandat.
Cela se passait, avant les affaires de Saint-Genois.
Quel rôle attribue-t-on à ce magistrat ? On dit qu'il a subi la pression du procureur du roi.
Mais alors, messieurs, ce juge n'aurait pas rempli son devoir ! Quel magistrat serait-il ? Comment serait-il encore digne de porter la robe, s'il avait ordonné des visites domiciliaires, des saisies, des arrestations, pour faire plaisir au procureur du roi, sous le coup d'une pression illégitime, lui magistrat inamovible, lui qui a le devoir de délibérer sur les réquisitions du ministère public, lui qui ne doit faire droit à ces réquisitions que s'il les trouve justes ?
Je dis, messieurs, que les accusations qui s'ont lancées contre M. le juge De Blauwe par l'honorable membre sont injustes, injustifiables. Je dis que ce magistrat n'a pas mérité le blâme que M. Reynaert lui a infligé et qu'il a honorablement accompli son devoir.
Il y a plus : dès le mois d'août, M. De Blauwve a demandé à la chambre du conseil d'être momentanément remplacé ; la chambre du conseil a désigné un autre juge, mais M. De Blauwe, sachant qu'il y avait des actes d'instruction à faire, n'a pas voulu déserter son poste. Et croyez-vous que le procureur du roi l'en ait dissuadé ? Loin de là, le procureur du roi a approuvé sa conduite.
Voilà comment le parquet voulait se débarrasser de M. De Blauwe ; M. De Blauwe est resté en fonctions.
Plus tard il s'est adressé à M. Gondry, et celui-ci s'est mis à sa disposition à partir du 15 septembre.
Et le 15 septembre M. de De Blauwe a sollicité lui-même de la chambre du conseil son remplacement par M. Gondry ; il fut fait droit à sa demande, mais M. De Blau<e ne voulut pas abandonner immédiatement ses fonctions ; il dit : « Il y a des indices de culpabilité à l'égard du journal l'An trente ; je veux, avant de résigner mon mandat, prendre les mesures que les circonstances réclameront. Il se rendit à Bruges et il fit arrêter l'éditeur Vandenberghe.
Voilà le magistrat qu'on a osé attaquer, qu'on a dit incapable de faire son devoir. Eh bien, je le venge contre les attaques de ceux qui se disent ses amis. (Interruption.)
M. Reynaert en vient aux actes d'instruction qui ont été posés à Saint-Genois.
« Entourés d'un appareil militaire, accompagnés de gardes champêtres et de gendarmes, apostés devant la maison, soit dans le but d'en garder les issues, soit simplement dans le but d'intimider et de frapper les esprits, M. le procureur du roi, M. le juge d'instruction et le commis greffier, escortés du lieutenant de gendarmerie, se rendirent le même jour, à la date du 11 août, chez tous les prêtres de Saint-Genois et chez M. Opsomer, notaire et secrétaire de la fabrique d'église. »
Eh bien, messieurs, c'est encore complètement inexact, sauf le fait de la visite aux prêtres et au notaire Opsomer.
En supposant que le procureur du roi et le juge d'instruction se fussent entourés d'un appareil imposant, il n'y aurait là rien d'extraordinaire. On perd de vue qu'une série de crimes avaient été commis et qu'il fallait rassurer les populations.
Mais, messieurs, les choses ne se sont pas passées de la manière indiquée par M. Reynaert.
La visite chez les prêtres de Saint-Genois s'est faite sans appareil militaire. Le juge d'instruction et le procureur du roi étaient accompagnés du commis greffier, d'un officier de gendarmerie en bourgeois et d'un garde champêtre pour indiquer les maisons où la justice devait se rendre. Il n'y avait pas un seul gendarme en uniforme.
L'honorable membre dit ensuite :
« Chez chacune de ces personnes, perquisitions domiciliaires et interrogatoires ; chez plusieurs, saisies de papiers et de lettres.
« Chez M. le curé, on rechercha avec un soin spécial la correspondance avec ses supérieurs et on lui fit même un reproche de ne pas en avoir conservé la copie complète. Tout fut bouleversé dans sa maison ; tout fut fouillé, scruté. On ouvrit les armoires, les secrétaires et, malgré ses vives protestations, le coffre-fort de la fabrique. »
Oui, messieurs, on fit une visite chez le curé et on fit une perquisition.
Le curé était impliqué dans l'affaire de l'incendie à raison d'un sermon qu'il avait prononcé, et il était, de plus, prévenu d'avoir critiqué en chaire l'arrêté du bourgmestre, délit prévu par le code pénal.
II fallait évidemment rechercher et instruire sur toutes les circonstances de ce crime, et de ce délit, et à moins que les membres du clergé ne soient pas des citoyens comme les autres, je ne sais pas pourquoi ils seraient plutôt que les autres citoyens à l'abri des recherches de la justice.
Mais, dit l'honorable membre, on ouvrit les armoires, les secrétaires et, malgré les vives protestations du curé, le coffre-fort de la fabrique.
Or, cela est complètement inexact.
La perquisition chez M. le curé se fit de son consentement ; M. le curé déclara lui-même que, dans sa conviction, c'était le conflit entre l'administration communale et l'évêché qui était la cause des incendies de Saint-Genois. Voilà ce qui est acté.
Quant au coffre-fort qu'on ouvrit « malgré ses vives protestations », la clef ne s'en trouvait pas même au presbytère et le coffre-fort ne fut pas ouvert.
Je demanderai à l'honorable membre qui lui a fourni ces renseignements ?
M. Reynaertµ. - Puisqu'on me le demande, je dirai que c'est le curé de Saint-Genois lui-même qui m'a raconté ces faits.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Tant pis pour M. le curé ! Je sais fort bien qu'en matière religieuse le curé doit être cru sur son affirmation ; mais en matière d'instruction criminelle, c'est un article qui ne se trouve pas encore dans le Code. (Interruption.)
M. Dumortier. - Il n'est pas dit non plus dans le code qu'il faille ouvrir les coffres-forts. (Interruption.)
M. le ministre de la justice (M. Bara). - On fit également des visites chez le vicaire Van Eecke, qui était impliqué dans l'affaire d'une manière beaucoup plus grave, chez le vicaire Verschueren et chez le directeur du couvent.
Chez le directeur du couvent, voici ce qui se serait passé, d'après M. Reynaert.
« Le procureur du roi lui dit : « Vous êtes considéré comme le correspondant du Katholyke Zondag. » Et quand le directeur eut la bonhomie de lui répondre que, loin d'être le correspondant de ce journal, il avait renoncé depuis quelque temps à son abonnement, il ajouta : « Connaissez-vous le Jaer 30 ? » Sur la réponse affirmative du directeur, même exclamation que chez le curé. « Comment ! vous lisez cet abominable journal ! » « ) Oui, lui répondit le directeur, et. je ne pense pas que vous soyez venu ici pour me le défendre ; ce serait peine inutile. »
A cette version M. le procureur du roi donne le démenti le plus formel.
« Le directeur, ajoute M. Reynaert, était occupé à écrire une lettre à un ami d'Anvers ; le procureur s'en approcha et en prit lecture ; sur l'observation du directeur qu'il croyait que le magistrat excédait les limites de son droit, celui-ci lui dit d'un ton emporté : « Sachez, monsieur, que nous avons le droit de tout savoir ! »
Le procureur du roi n'a pris lecture d'aucune lettre adressée à un ami d'Anvers. C'est du consentement du directeur que l'on a parcouru quelques papiers qui se trouvaient dans un secrétaire.
(page 151) « M. le notaire Opsomer, ajoute M. Reynaert, ne fut pas oublié. Il fut honoré d'une visite et d'un interrogatoire. M. le procureur entra en matière en lui disant : « Vous nous êtes signalé, M. le notaire, comme un nomme violent. » Le collègue de M. Maertens, M. le juge De Blauwe se hâta de contredire cette grossière apostrophe, et dit au procureur qu'il connaissait depuis de longues années M. Opsomer et que jamais il ne l'avait considéré comme un homme violent. Le notaire fut également accusé d'écrire dans les journaux catholiques.
« Tel fut le début, à Saint-Genois, de l'instruction judiciaire. »
- Une voix. - Il y a deux versions.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Ce sont deux versions, avec cette différence que, d'une part, il y a la responsabilité du fonctionnaire, dont les renseignements émanent, et de l'autre, il y a l'irresponsabilité du particulier qui a fourni des renseignements à M. Reynaert.
Eh bien, messieurs, cette pelite scène, qui se serait passée entre M. le juge d'instruction De Blauwe et M. le procureur du roi Maertens n'a pas eu lieu. Jamais chose pareille ne s'est produite, et j'ajoute qu'elle est invraisemblable. Car un juge d'instruction ne se permettra pas, en présence d'un tiers, de faire la leçon à un procureur du roi.
L'honorable membre passe ensuite à d'autres faits.
Il signale un article qui aurait paru dans un journal et qui aurait désigné les congréganistes à l'attention du parquet.
Voici comment il s'exprime :
« Ici encore, messieurs, ai-je besoin devons le dire ? l'action ne se fit pas longtemps attendre. Le ministère public se mit à l'œuvre et manda devant lui la préfète et un grand nombre de congréganistes. »
Ce fait n'est pas plus exact que les précédents. Jusques hier la préfète n'avait pas été entendue ; elle l'a été hier pour la première fois ; quant aux congréganistes, une seule a été citée comme témoin et elle l'a été à sa demande même, pour établir l'alibi d'un des prévenus.
On se demande, messieurs, où M. Reynaert a pu aller chercher toutes les inexactitudes dont il a formé son discours ; on l'a indignement mystifié. Je sais que l'honorable membre est d'une grande crédulité. Mais parce qu'il lit dans un journal catholique, que telle ou telle chose a eu lieu, ce n'est pas une raison pour qu'il le croie. (Interruption.)
Comment ! mais, voilà un fait matériellement faux. La préfète et un grand nombre de congréganistes auraient été entendues d'après M. Reynaert. Eh bien, je tiens de M. le procureur du roi, que je quitte à l'instant, que la préfète n'a été entendue qu'hier et que, quant aux congréganistes, une seule a été entendue, et elle s'est présentée elle-même pour venir déposer en faveur d'un des accusés. (Interruption.)
L'honorable membre reproche au ministre de la justice d'être intervenu dans l'affaire ; à l'en croire, c'est le ministre de la justice qui, du fond de son cabinet, a dirigé toute l'instruction. J'en suis désolé pour l'honorable membre, mais je n'ai rien dirigé du tout ; et il n'est pas dans les habitudes des ministres de la justice de s'occuper des instructions judiciaires. Je défie l'honorable membre de prouver, pat n'importe quel moyen, que j'aie pris une part, si minime qu'elle, soit, à l'instruction des crimes de Saint-Genois.
M. Dumortier. - C'est possible ; mais vous ne niez pas.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je nie positivement. Si je parle de preuve, c'est avec intention que je le fais, parce que les ministres pour vous sont des hommes qui ne sont pas dignes d'être crus. Voilà pourquoi je vous dis : Fournissez la preuve. Mais vous ne le pourrez pas.
J'ai laissé la liberté la plus entière et la plus complète à la justice. Elle a agi comme elle a voulu. L'honorable M. Reynaert paraît, du reste, avoir oublié complètement le code d'instruction criminelle ; je n'avais rien à faire. Dès qu'une affaire est entre les mains du juge d'instruction, c'est lui qui pose tous les actes de procédure soit d'office, soit sur les réquisitions du ministère public. Tous les actes que vous attaquez, il ne dépendait pas du pouvoir exécutif de les empêcher, eussent-ils été contraires à la loi.
La Chambre ne le pourrait pas davantage. Ils ont été posés par un pouvoir complètement indépendant, par le pouvoir judiciaire.
On me reproche, il est vrai, d'avoir permis au procureur général de disposer d'une somme de mille francs pour découvrir les coupables et d'avoir demandé des gendarmes à mon collègue, de la guerre. Est-ce que, par hasard, on me ferait un crime d'avoir permis aux fonctionnaires d'employer les moyens nécessaires pour arriver à la découverte de la vérité ? Est-ce que je devais laisser la population sans protection ? Valait-il mieux laisser accomplir l'œuvre des incendiaires ? Si la commune entière avait péri dans les flammes, on n'eût pas manqué d'attribuer les incendies au feu du ciel ; on eût crié au miracle ; cela eût pu profiter à certaines gens, mais c'est la première fois, je pense, qu'on ose, dans cette Chambre, reprocher au gouvernement d'avoir mis à la disposition de l'autorité publique les moyens nécessaires pour réprimer et prévenir des méfaits. (Interruption.) J'aime à déclarer que ce ne sont pas les gendarmes qui ont allumé les incendies, puisque dès qu'ils ont pu exercer une surveillance active, les incendies ont cessé. (Interruption.)
On a envoyé sur les lieux un commissaire de police de Gand. Quelle abomination ! Il y a, à Gand, un commissaire capable, instruit ; le procureur général l'envoie sur les lieux pour aider la justice dans ses recherches ; et l'on a mal agi ! II aurait fallu, pour plaire, à nos adversaires, plonger cette affaire dans les ténèbres les plus épaisses.
Quant aux faits de déguisements, de querelles suscitées, etc., dont on s'est plu à embellir le rôle de ce commissaire, ils sont inexacts ! (Interruption.)
Je l'affirme, M. Dumortier ! (Nouvelle interruption.)
Mais, si vous le savez mieux que moi, éclairez donc la Chambre !
Le commissaire de police n'a fait que son devoir ! Il est très difficile de découvrir les auteurs d'incendies : il fallait un homme habile et intelligent, habitué aux recherches judiciaires, et le commissaire de police de Gand réunissait ces qualités.
L'honorable M. Reynaert a mêlé la politique à l'affaire de Saint-Genois. Des incendies, il n'en parle pas ; mais lorsqu'il s'attaque aux actes d'instruction, il accuse l’échevin Delbecque d'être la cause de tout le mal.
A l'entendre, c'est un homme flétri par la justice, un misérable ; l'honorable membre l'attaque de la manière la plus violente ; eh bien, j'en suis au regret pour lui, il va devoir faire amende honorable : l’échevin Delbecque est un homme très honorable, et les faits qu'on lui impute sont inexacts ou plutôt sont mal rapportés.
Il est vrai qu'il y a 25 ans, M. Delbecqué, âgé de 17 ans, a été poursuivi pour bris d'arbres et il a été acquitté.
Est-ce qu'on est flétri parce qu'on est acquitté par un tribunal ? Il y a quelques mois à peine, l'honorable M. Van Wambeke était acquitté par la cour d'assises de la Flandre orientale ; a-t-il été flétri pour cela ?
Plus tard, l’échevin Delbecque fut, il est vrai, condamné à 30 fr. d'amende pour avoir donné un soufflet à un individu qui l'avait insulté.
Mais si l'honorable membre avait voulu reporter ses souvenirs en arrière, il n'aurait pas dû remonter bien haut pour voir un honorable représentant nommé par la ville archiépiscopale de Malines, condamné à l'amende pour avoir donné un soufflet à un prêtre. (Interruption.)
S'il voulait même passer en revue tous les membres de cette Chambre, il en trouverait peut-être plus d'un, même sur les bancs où il siège, qui ont encouru des pénalités plus élevées.
Et l'honorable membre de dire : « Eh bien, messieurs, c'est chez cet homme violent, connu par ses habitudes brutales ; qui avait été poursuivi pour destruction d'arbres, bien avant que furent brisés les arbres du nouveau cimetière de Saint-Genois ; qui avait donné l'exemple au vicaire Van Eecke d'une fuite qui devait le préserver de la détention préventive ; c'est chez cet homme flétri par la justice correctionnelle pour coups et injures... que le parquet s'installe ; c'est là que M. le procureur du roi interroge, reçoit et expédie les ordres nombreux que nécessite la mystérieuse affaire des incendies de Saint-Genois. » (Interruption de M. Dumortier.)
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je n'ai pas entendu dire que l'honorable M. Dumortier ait fait une contre-instruction et pourtant il prétend ne rien ignorer. Quant à moi, j'étudie l'affaire depuis quinze jours, et je n'oserais dire que je la connais dans tous ses détails.
Cet honorable échevin qui ne jouit pas, d'après l'honorable M. Reynaert, de la confiance publique a été réélu il y a deux ans et cela dans une commune toute dévouée à la religion catholique et il a eu le plus de voix.
Il a été proposé pour la place de bourgmestre par un homme qui ne partage pas nos opinions politiques, M. Conscience, alors commissaire d'arrondissement, et voici dans quels termes il le renseignait :
« M. Delbecque est instruit, il a de l'expérience et a donné des preuves d'un caractère indépendant. »
M. Delbecque apprend qu'il est proposé pour la place de. bourgmestre et lui qui aspire à tenir la commune de Saint-Genois sous sa domination, savez-vous ce qu'il fait ? Il refuse.
Voici la lettre qu'il écrit à M. le ministre de l'intérieur.
« Monsieur le ministre,
« Venant d'apprendre qu'il pourrait être question de m'appeler aux fonctions de bourgmestre de la commune de Saint-Genois, arrondissement de Courtrai, je prends la respectueuse liberté de vous prier de ne pas me nommer auxdites fonctions.
(page 152) « Ayant besoin de tout mon temps pour soigner ma profession de brasseur et les intérêts d'une jeune famille, j'espère que vous voudrez bien donner la charge et l'honneur en question à un autre que moi. »
Voilà l'homme que l'honorable membre représente comme flétri par la justice, comme un ambitieux voulant arriver au pouvoir dans le but d'accabler ses ennemis !
Sans doute la condamnation prononcée contre lui est un fait regrettable ; mais cette condamnation entache-t-elle son honneur ? Parce qu'il a été condamné à 30 francs d'amende pour avoir donné un soufflet dans un moment de vivacité, il ne pourrait plus, selon vous, déposer en justice ; il ne serait plus digne d'être cru des honnêtes gens ?
« Le quartier général du camp improvisé à Saint-Genois est installé chez M. l'échevin Delbecque, dit M. Reynaert ; c'est là qu'on faisait venir les témoins ; c'est là que les interrogatoires avaient lieu ; c'était Delbecque qui donnait les renseignements et indiquait les suspects. »
Eh bien, messieurs, le fait manque d'exactitude.
M. Dumortier. - Mais c'est par trop fort à la fin !
MfFOµ. - Vous avez bien raison.
M. Dumortier. - Oui, c'est trop fort de dénier des faits qui sont évidents.
M. le président. - J'engage M. Dumortier à ne pas interrompre (interruption), et je prie tous mes honorables collègues de faire silence ; vous avez écouté le discours de M. Reynaert, écoutez celui de M. le ministre.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Oui, messieurs, c'est réellement trop fort ; il est incroyable de voir tant de renseignements erronés accumulés dans un seul discours. Je ne puis comprendre que M. Reynaert se soit laissé mystifier de cette manière. (Interruption.)
Voici ce qui s'est passé : Le procureur du roi, le juge d'instruction M. de Blauwe, et le greffier sont arrivés à Saint-Genois pour faire l'instruction. Saint-Genois est une petite commune qui ne possède pas de nombreux hôtels ; il y en a un seul qui porte pour enseigne : « A la Cloche », et où il n'y avait qu'une seule chambre disponible ; le greffier s'y installa.
On demanda au bourgmestre, de vouloir bien fournir des logements pour le juge d'instruction et le procureur du roi ; le juge d'instruction fut placé chez le secrétaire communal, et comme le bourgmestre demeure, dans un hameau à un quart de lieue du centre de la commune, le procureur du roi fut placé chez le premier échevin. Voilà tout ! (Interruption.) Il fallait bien que ces messieurs logeassent quelque part.
Ainsi donc les trois fonctionnaires qui se sont rendus à Saint-Genois ont été logés dans trois endroits différents.
Et où s'est faite l'enquête ? A la maison communale ; mais bientôt on s'aperçut que, grâce à l'affluence des personnes qui s'y rendaient chaque jour, il était impossible d'y continuer paisiblement l'instruction ; l'on demanda un local à l'administration communale et, provisoirement, M. l'échevin Delbecque. mit une des salles de sa maison à la disposition des magistrats. Cela dura deux ou trois jours. Puis on appropria, à la caserne de gendarmerie, un local convenable, et c'est là que l'instruction s'est poursuivie. (Interruption.) Donc pendant deux ou trois jours, dans une commune où il n'y a pas de locaux, l'instruction s'est faite chez M. Delbecque.
Voilà le fait grave qui a été signalé. Il est vrai qu'un journal libéral a affirmé les faits contraires, mais il suffit qu'un journal passe pour avoir des rapports avec le ministère, et signale un fait, pour qu'aussitôt on s'empare de ce fait et qu'on le représente comme établi. La meilleure preuve que ces rapports n'existent pas, c'est la réponse que je fais aujourd'hui aux assertions qui ont été émises.
La plupart des faits relatés par M. Reynaert, on les trouve dans les journaux catholiques. C'est là que j'ai vu, pour la première fois, l'histoire de M. De Blauwe, que nous a commentée hier M. Reynaert.
Nous avions entre les mains la preuve de la fausseté de cette histoire ; si nous avions eu des rapports avec la Vérité, avec l'Echo du Parlement, avec le Journal de Gand, avec l'Economie, si nous communiquions nos dossiers à ces journaux, il nous eût été facile de leur envoyer une réfutation. Mais nous nous sommes dit : Laissons faire et attendons le jour des explications.
De plus, la magistrature a fait son devoir : elle n'a pas communiqué l'instruction, elle n'a pas laissé voir ce qu'il y avait dans les dossiers judiciaires ; et quoique indignement outragée, quoique ayant dans les mains la preuve de son honorabilité et de la sincérité de ses actes, elle s'est tue ; elle n'a pas même écrit aux journaux ; elle ne s'est pas défendue. Elle a préféré subir l'outrage, attendant que la vérité puisse luire à tous les yeux. Cela prouve, messieurs, que la prétendue connivence qu'on veut établir entre certains journaux et les magistrats instructeurs n'existe pas.
Si ces relations existaient, les explications que je donne aujourd'hui auraient depuis longtemps paru dans la presse. (Interruption.)
Messieurs, j'ai relevé les inexactitudes amoncelées par l'honorable M. Reynaert ; il me reste à parler de deux fails, l'un relatif à la durée de l'instruction et l'autre à la mise au secret des frères Delplanque.
L'honorable membre se plaint des lenteurs de l'instruction. Oui, messieurs, l'instruction a duré longtemps, je suis le premier à le regretter. Mais n'oubliez pas qu'il y a eu huit incendies et sept dévastations. Or, vous n'ignorez pas que l'instruction des crimes d'incendie est excessivement difficile.
Dans le cas actuel, elle a été entravée de toutes les manières, et on ne peut en faire un reproche à la magistrature, car elle a fait tout ce qu'il était possible pour la terminer. J'espère, du reste, que, dans très peu de temps, l'instruction arrivera à son terme et qu'une solution pourra être donnée,
L'honorable membre a avancé, mais il s'est immédiatement rétracté, que l'arrestation de De Poorter avait eu lieu sur la dénonciation de M. Delbecque.
Ici encore M. Reynaert s'est trompé. L'instruction constate que c'est à la suite de la déposition d'un autre témoin, qui avait élevé des charges contre le nommé Depoorter, que l'arrestation de ce dernier a été opérée. Mais je l'ai dit, l'honorable membre après cette petite insinuation contre M. Delbecque, a dû se rétracter immédiatement, car il ajoute :
« J'incline, au contraire, à reconnaître, qu'il existait à charge de Depoorter et des frères Delplanquc d'autres griefs, ou tout au moins des indices, des présomptions d'un caractère sérieux, qui avaient été signalés par le correspondant de l'Echo du Parlement et sur lesquels la justice ne pouvait certainement pas continuer à fermer les yeux. »
Eh bien, si la justice ne pouvait fermer les yeux plus longtemps, pourquoi venez-vous attaquer l'échevin Delbecque et dire que le parquet a agi sur sa dénonciation ?
L'honorable membre a parlé aussi de la détention préventive des frères Delplanque, de leur mise au secret, etc. Il prétend que les frères Delplanque ont été mis au secret pendant six semaines. Ceci encore est complètement inexact : la mise au secret n'a duré que vingt jours.
M. Dumortier. - Comment ! Mais ils sont encore au secret.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Si l'honorable M. Dumortier prétend qu'ils sont encore au secret et si moi j'affirme le contraire, c'est évidemment que je suis trompé par mes fonctionnaires. Personne ne l'admettra.
Mais je m'en réfère aux renseignements officiels que j'ai reçus : le procureur du roi et le juge d'instruction ne sont pas seuls responsables de cette mise au secret ; la chambre du conseil est leur complice. En effet, on s'est adressé à la chambre du conseil pour faire lever l'ordonnance de mise au secret ; la chambre du conseil l'a maintenue en déclarant que les nécessités de l'instruction l'exigeaient. Les prévenus n'ont été au secret que vingt jours, et ils l'ont été conformément à la loi.
L'honorable M. Orts, dans le discours qu'a cité l'honorable M. Reynaert, indiquait effectivement que, dans les circonstances graves et exceptionnelles (et certes jamais circonstances n'ont été plus graves et plus exceptionnelles), le secret pouvait être renouvelé pour dix jours !
On a refusé de communiquer le registre d'écrou à un avocat qui s'est présenté au greffe de la prison.
C'est le directeur de la prison qui a refusé, de faire cette communication, et il s'y est refusé en vertu des dispositions réglementaires ; le registre d'écrou est une pièce administrative ; quant au mandat d'arrestation, il a été signifié aux frères Delplanque, conformément à la loi. Que veut-on de plus ?
Le juge d'instruction, dit-on encore, a assisté aux entrevues qui ont eu lieu entre les frères Delplanque et leur mère ! Voyons ce grief. Aux termes du règlement des prisons cellulaires, et la prison de Coudrai en est une, les détenus ne peuvent communiquer avec des tiers qu'en présence d'un gardien.
Or, comme il pouvait être pénible pour les frères Delplanque de ne voir leur mère qu'en présence d'un gardien, le juge d'instruction, M. Gondry, a décidé qu'il assisterait lui-même aux entrevues. Il a été convenu que les frères Delplanque n'entretiendraient leur mère que d'affaires de famille. Et cela étonne M. Reynaert !
Tant que l'instruction n'est pas terminée, il en est toujours ainsi. Les détenus ne peuvent conférer avec des tiers que sur les objets étrangers à leur procès.
« Enfin, il paraît, messieurs, ce fait, M. Reynaert ne l'affirme pas avec certitude, il paraît que les frères Delplanque étaient depuis une huitaine de jours en prison lorsqu'ils ont vu le juge d'instruction pour la première fois. »
(page 153) La loi aurait donc été violée ; je me hâte de rassurer l'honorable membre, les magistrats de Courtrai n'ont pas commis d'illégalité.
Il résulte des procès-verbaux qu'un des frères Delplanque a été interrogé le jour même de son arrestation et que l'autre a été interrogé dès le lendemain matin.
Messieurs, il n'y a plus rien. Pas un fait ne reste debout, et je me demande encore une fois comment il est possible d'avoir accumulé dans quatre colonnes des Annales parlementaires autant d'erreurs, d'avoir imaginé un pareil roman ; je me demande comment l'honorable membre a pu croire un seul instant au bien fondé de tous les griefs, de toutes les accusations qu'il a formulés contre des magistrats honorables.
Cela vous donne une idée de la manière dont certaine presse s'est occupée de l'affaire de Saint-Genois ; on a répandu des bruits absurdes ; on a mis en circulation les accusations les plus odieuses contre la magistrature et maintenant on apporte le tout devant cette assemblée ! Voilà comment les choses se sont passées.
Eh bien, je crois que c'est une leçon pour la droite ; je crois que M. Reynaert en profitera et qu'une autre fois avant de croire à toutes les sornettes que débitent certains journaux, il examinera les choses de plus près et qu'il se dira que la magistrature belge, si honnête, si indépendante, est incapable de commettre les infamies dont l'accuse la presse cléricale ! (Interruption.)
Maintenant, messieurs, je. reprends mon discours.
Nous avons vu qu'après le 12 juin les cérémonies religieuses n'ont plus été accomplies sur les corps des catholiques décédés à Saint-Genois.
Immédiatement des fails graves furent posés.
Le 16 juin, on lut en chaire la lettre de l'évêque et on l'accompagna de commentaires.
Deux sermons furent prêchés, l'un par le vicaire Verschueren et l'autre par le vicaire Van Eecke. Leurs sermons roulèrent sur l'établissement du nouveau cimetière.
Dans le premier sermon, au milieu de critiques amères adressées à l'autorité communale, il fut dit : « Il existe encore à Saint-Genois bon nombre de catholiques : qu'ils s'unissent ; l'union fait la force ; vouloir c'est pouvoir. »
Dans le second sermon, le vicaire Van Eecke prédit, à Saint-Genois le sort de Sodome et de Gomorrhe ; ce prêtre, exprima l'espoir que Dieu lui enverrait, comme à Loth, un ange pour le conduire hors de la commune.
Messieurs, ce fut une lamentation générale dans l'église, toutes les personnes se retirèrent en pleurant.
A la même époque, alors que l'agitation et la crainte étaient extrêmes, que les consciences étaient troublées, une retraite fut ouverte au couvent des orphelines. Deux rédemptoristes vinrent y prêcher jusqu'à quatre fois par jour, probablement pour pacifier les esprits.
Et pendant que les prêtres excitaient les fidèles et que le fanatisme bouillonnait à Saint-Genois, la presse venait apporter de nouveaux éléments de discorde.
Cette presse, personne ne la connaissait. Il fallait que les événements de Saint-Genois vinssent la révéler, et mieux eût valu ne pas faire sa connaissance !
Il est certain, messieurs, qu'on ne peut concevoir la création de pareils journaux qu'au sein de populations arriérées, de populations fanatiques, complètement privées de toute communication avec les centres de lumière.
Il est certain qu'une telle presse ne trouverait aucun appui et ne jouirait d'aucune considération ailleurs que dans les campagnes flamandes.
Cette presse, s'adressant aux passions les plus tristes, attira le feu dans la commune de Saint-Genois.
Le 20 juin, la feuille, portant pour titre t' Jaer 30, annonce le premier enterrement, celui de Delenere, et termine son article par ces mots prophétiques : Malheureuse paroisse ! malheureuse administration !
Le 27 juin, nouvel article. Le Jaer 30 critique l'arrêté pris par le bourgmestre, arrêté en vertu duquel les catholiques doivent, dit-il, être enfouis dans la terre non bénite comme un cheval ou une vache morte de maladie. Il déclare que cette conduite a excité dans tous les cœurs la plus vive indignation et produira les conséquences les plus déplorables.
Puis il annonce l'arrivée d'une mission composée de personnages de la localité. Dans le numéro du 1 juillet, il raconte que la lecture de l'article sur l'arrivée de la mission lui a causé un rêve, qu'il est impossible de comprendre sans connaître les personnages et la localité. Dans cet article l'auteur a vu éclater un incendie au « Vier-Abeele », hameau de Saint-Genois où demeure le bourgmestre de la commune, et quelques jours plus tard, le rêve se réalise ; le feu est mis à des propriétés privées.
Dans le même numéro, le Jaer 30 publie un second article dans lequel il déverse l'injure et l'outrage sur l'ancien bourgmestre, M. Désiré Glorieux, « l'inventeur du nouveau cimetière » et sur les membres du collège échevinal qu'il accuse de ressusciter le temps de la Terreur, et il rappelle l'histoire d'un fou de l'antiquité nommé Erostrate qui, pour se rendre célèbre, mit le feu au temple de Diane, etc.
Le même numéro contient un troisième article, dans lequel le journaliste nomme les principaux personnages qu'il a mis en scène sur le théâtre du nouveau cimetière, les accuse d'avoir fait entrer une paroisse chrétienne dans les voies de la franc-maçonnerie libérale et d'y avoir implanté la religion et la morale libérale, et finit par les menacer de la colère du peuple. « Ah ! hommes du progrès, dit-il, craignez ce brave peuple, que vous avez aveuglé et voulu abâtardir ! »
Huit jours après, la grange de M. Désiré Glorieux brûle !
Enfin dans le numéro du 11 juillet, le Jaer 30 contient un article qu'il importe de vous lire.
« A Saint-Denis.
« Flamand en Flandre ! Tout le pays flamand se lève, le lion flamand secoue ses chaînes et rugit contre la racaille libérale.
« Les Chambres sont ouvertes et on y parle pour le flamand contre le libéralisme ; les états provinciaux sont commencés et on y a envoyé des hommes dont le cœur est flamand, dont la bouche parle flamand et dont les ennemis sont des libéraux. Tout ce qui est flamand est dans l'espoir que bientôt toule la Belgique sera flamande et catholique. On tend même une-main amicale à nos frères Wallons, pour combattre ensemble la tyrannie et la franc-maçonnerie afin de rétablir l'ancienne devise de la Belgique : L'Union fait la force.
« Et toi, Saint-Denis, enfant de la flamande Flandre, qui veille et prie aussi sous la croix, qui avait des pères qui sentaient dans le cœur la liberté et la piété, qui furent toujours chrétiens et flamands, pourquoi es-tu aujourd'hui l'esclave de tout ce qui est faux, de tout ce qui est maçonnique et vicieux ?
« Ne sais-tu pas que ceux qui sont à ta tête sont si orgueilleux qu'ils refusent d'obéir à notre mère, la sainte Eglise ; qu'ils veulent être eux-mêmes l'Eglise et diriger l'Eglise et que plutôt que d'être l'enfant libre et franc de l'Eglise, ils veulent être esclaves des francs-maçons ?
« Lorsqu'on viola ton cimetière bénit et qu'on le transféra afin de laisser rouler d'autant plus facilement à travers la commune les voitures libérales et maçonniques, tu ne parlas pas, et c'était une persécution contre tout ce qui était chrétien et flamand !
« Lorsque sur ton cimetière bénit, au bord de la tombe d'un des principaux membres de ta commune, on laissa insulter le révérend curé par cet étranger des environs, en présence de centaines de personnes, du conseil communal et de différents prêtres, tu ne parlas pas, et c'était la persécution contre tout ce qui était chrétien et flamand !
« Lorsque, le bourgmestre, cette grande lumière du siècle, disant qu'il avait plus d'humanité que l'Eglise et venant déranger les prêtres dans leur saint ministère, fit défense d'enterrer dans le cimetière bénit et ordonna d'enfouir dans le champ des mécréants à Saint-Denis, non seulement les gueux, mais aussi tous les vrais catholiques romains, justement comme ce paysan qui enterre ou enfouit une bête crevée derrière sa maison, tu ne parlas pas, et c'était la persécution contre tout ce qui était chrétien et flamand !
« Lorsqu'il vous annonça qu'il y avait ordre du roi pour ouvrir ce jour le cimetière des gueux, sans vous montrer toutefois cette ordonnance, tu ne parlas pas, et c'était la persécution contre tout ce qui était chrétien et flamand !
« Lorsque ces chefs vendus corps et âme à la franc-maçonnerie (conservant cependant un léger sentiment de pudeur, envoyèrent leurs enfants dans une paroisse étrangère, afin qu'ils ne fussent pas témoins du mauvais exemple donné par leurs mères), attelèrent leurs femmes au char funèbre pour traîner au cimetière le corps de cette pauvre femme ; lorsqu'ils déshonoraient et humiliaient ainsi leurs femmes, tu ne parlas pas, et c'était la persécution contre tout ce qui était chrétien et flamand !
« Lorsque, défense étant venue de l'évêque de sonner la cloche de la fin, ils ouvrirent avec bris le clocher, et se mirent à sonner la cloche, non pour des affaires communales, mais contre toutes les lois et les droits des services ecclésiastiques, tu ne parlas pas, et c'était la persécution contre tout ce qui était chrétien et flamand !
« Lorsque ce charpentier que tu connais de nom, de prénom, de réputation, d'honneur et de renommée, te disait qu'on allait ouvrir violemment l'église, que les leviers étaient préparés dans la maison communale, que les hommes étaient prêts, tu le levas enfin et tu parlas et j'ai le ferme espoir que tu continueras de parler. Nous irons tirer nos frères du cimetière non bénit, nous en enlèverons la croix et nous y élèverons, en (page 154) commémoration éternelle de la grande action des chefs de Saint-Denis, une aiguille de granit sur laquelle figurera le signe des francs-maçons : le triangle et la truelle. Sur les quatre cotés plans de cette aiguille, on taillera dans la pierre, du premier côté : « La racaille maçonnique a régné à Saint-Denis pendant trois semaines. »
Ainsi, messieurs, on provoque cette population à aller au cimetière enlever les cadavres, arracher la croix, c'est-à-dire à commettre le crime prévu par l'article 125 du code pénal.
Je continue la lecture de l'article du Jaer 30 :
« Sur le deuxième côté : Vouloir c'est pouvoir. » C’est-à-dire les paroles prononcées en chaire, le 20 juin, par le vicaire Verschueren.
« Sur le troisième : « Flamand en Flandre. » Et sur le quatrième : « Aux enfants obéissants du ministère libéral. » Au pied de l'obélisque, il y aura quatre statues de pierre, enchaînées à l'aiguille comme ceux de ces hommes qu'elles représentent sont enchaînés à la maçonnerie. Ce seront les statues des trois dominés et du grand Orient de Bruxelles.
« A l'entrée du cimetière, il y aura encore deux piliers pour y graver les noms du bourgmestre et des échevins de Saint-Denis, qui ont fait de la paroisse la plus heureuse du diocèse, la paroisse la plus malheureuse. Donc ce n'est pas assez de parler, nous devons, en outre, avoir de l'argent pour élever ce souvenir.
« Les maîtres de l'hôtel de ville sont venus jusque dans la chaire pour en chasser les prêtres, ils sont venus jusque dans nos cimetières pour interdire la terre bénie aux gens honnêtes et chrétiens, et bientôt ils seront dans notre sacristie pour administrer à leur gré les biens de l'église. A bas donc tous ceux qui insultent le Flamand et qui oppriment la religion chrétienne ! Debout, enfants de la Flandre afin de vivre et de mourir comme des Flamands ! Avec courage et avec piété ! »
Le soir même, l'incendie, était allumé dans la commune de Saint-Genois. Et savez-vous, messieurs, quelle a été l'influence, de ces articles ?
Un accusé en aveu déclare qu'on lui a donné lecture des articles publiés par le journal Jaer 30 et qu'ils ont mis dans son esprit l'idée de mettre le feu aux propriétés des libéraux !
M. Reynaertµ. - Quel est ce prévenu ?
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Si vous y tenez absolument, je vous le nommerai : c'est l'accusé Vandeputte.
Et vous vous étonnez, après cela, qu'il y ait connexité entre les sermons, les articles du Jaer 30 et les incendies ! N'oublions pas que l’auteur du sermon sur Sodome était en même temps le correspondant du Jaer 30.
Le Katholyke Zondag qui, lui aussi, est rédigé par un prêtre, publia toute une série d'articles. Dans son numéro du 4 juillet, il excite à la haine contre M. Glorieux, l'ancien bourgmestre, celui dont la grange a été incendiée, et le représente comme la cause de tous les malheurs qui affligent la commune de Saint-Genois. Puis il s'attaque au bourgmestre actuel, et à l'arrêté qu'il a rendu, et il ajoute :
« Les enterrements hérétiques se suivent. M. Mullie-Derrevaux veut donc tomber écrasé sous l'indignation de ses subordonnés ! Cela ne tardera pas longtemps. »
Voilà la menace !
Dans le numéro du 18 juillet, sous le titre : « La responsabilité à Saint-Genois », alors qu'il aurait fallu calmer les esprits excités, il écrit que l'administration libérale de cette commune est responsable de tous les excès qui se commettent à l'occasion des enterrements hérétiques, et il dit « que si des maux plus graves surviennent, les administrateurs libéraux en seront encore la cause, parce qu'ils résistent avec opiniâtreté à leur supérieur, à leur évêque. »
Ainsi donc les incendies qui avaient éclaté ne suffisaient pas. On espérait, des maux plus graves : Qui vivra en verra la fin, nous craignons qu'elle ne soit déplorable !
Plus loin il annonce les incendies commis au préjudice de MM. Glorieux et Vanderghinste, et ajoute : Puisse la justice mettre la main sur les coupables, « s’il y en a », laissant ainsi entendre que les incendies pouvaient bien être l'effet d'une vengeance céleste.
Dans le numéro du 8 août, il écrit « que les libéraux continuent à résister à l'autorité religieuse, mais Dieu, dit-il, les attend, son tour viendra. » Plus loin, il outrage quelques dames de Saint-Genois qui ont assisté à un enterrement et il ajoute. « Qui vivra verra les conséquences de tout cela ; mais je crains que ce ne soit pas très brillant. Je souhaite que ce ne soit pas trop funeste. »
Et quand des articles de ce genre se publient, vous voulez que la justice reste impassible et qu'elle ne recherche pas les ramifications qu'ils dénotent ? Ce serait aller à l’encontre des principes du droit, et personne de vous ne le soutiendra.
Ce dernier article, dans lequel le Katholyke Zondag injurie les femmes, doit vous être lu. On vous représente toujours cette presse comme digne et comme faisant le bien. Vous allez voir comment elle s'en acquitte. C’étaient, selon le Katholyke Zondag, les libéraux victimes des incendies qui étaient cause de tous ces désastres.
« Ils sont donc, dit le Katholyke Zondag, la cause de toutes les douleurs et de tous les malheurs qui attristent Saint-Denis, et avec eux... quelques femmes libérales.
« Oui, quelques femmes, oubliant la mission réparatrice et modératrice de la femme dans la société, attisent le feu de ce libéralisme impie, et vont ensuite à l'église allumer une chandelle au diable.
« L'aubergiste là-bas, qui porte l'eau et le feu dans sa main, qui souffle le froid et le chaud, qui en paroles désire de pouvoir le refaire, fût-ce même au prix de mille francs et qui sous main pousse au mal ; cette boutiquière à deux faces, l'une pour admirer son bonhomme libéral et pour rehausser ses actions et l'autre pour aller louer le Seigneur et tromper ainsi les gens ; et puis cette petite dame hypocrite, qui pense qu'elle fait une œuvre de miséricorde, lorsque au milieu de singeries qui insultent à Dieu, elle aide à traîner à l'enfouisseur le corps d'une catholique. Qui vivra verra à quoi tout cela aboutira, mais je crois que ce ne sera pas très brillant. Puisse-t-il ne pas être triste ! » (Interruption.)
Il est à noter que tout cela s'adresse à des personnes parfaitement connues.
Voilà les moyens dont on use. On injurie l'autorité communale, on la menace de la colère de Dieu, on brûle les propriétés des libéraux.
Et quant aux femmes, on révèle, leur vie, on les insulte, on les outrage, et tout cela sort de la plume d'un homme qui exerce des fonctions sacerdotales. (Interruption.)
M. le président. - Nous pourrions interrompre la séance pendant quelques instants, pour donner à M. le ministre le temps de se reposer un peu.
M. le ministre de la justice (M. Bara) reprend la parole en ces termes. - Messieurs, il n'y a rien d'étonnant qu'après ces excitations descendues de la chaire, après ces articles, après ces missions, l'état du fanatisme devint tel, que de nombreux méfaits furent commis.
Il n'y a pas à s'y tromper, personne ne s'y est trompé, et l'instruction l'atteste : c'est le fanatisme qui est la cause des méfaits, des incendies de Saint-Genois.
Voici, messieurs, le relevé des crimes et délits commis à Saint-Genois depuis l'ouverture du nouveau cimetière :
« Nuit du 11 au 12 juillet. Incendie de deux meules de paille de froment au préjudice de Désiré Glorieux, ancien bourgmestre de Saint-Genois, sous l'administration duquel l'érection du nouveau cimetière a été décrétée. Incendie d'une meule de colza au préjudice de Henri Vanderghinste, ancien échevin, qui a coopéré à l'établissement du nouveau cimetière.
« Nuit du 14 au 15 juillet. Tentative d'incendie de la grange et de la brasserie de l'échevin Delbecque, un des chefs du parti libéral.
« Nuit du 26 au 27 juillet. Dévastation de 370 plantes de tabac au préjudice de Louis Ruyschaert, de 157 plantes de tabac au préjudice de Charles Viaene et de 104 plantes de tabac au préjudice de Brunon Duquesne, tous les trois membres du parti libéral. Destruction de trois arbres au nouveau cimetière.
« Nuit du 2 au 3 août. Incendie d'une moule d'avoine au préjudice d'Emile Seynaeve, fils d'un échevin décédé, qui, sous l'administration de M. Glorieux, a participé à l'érection du nouveau cimetière. La ferme, la grange et les étables faillirent devenir la proie des flammes. Dévastation de 336 plantes de tabac au préjudice de Jean Duprez, libéral. Destruction de trois arbres plantés au nouveau cimetière.
« Nuit du 11 au 12 août. Incendie d'une meule de colza au préjudice de Pierre Samain, conseiller communal, qui a voté l'établissement du nouveau cimetière. »
« Nuit du 17 au 18 août. Incendie d'une meule de foin au préjudice d'Ange Vanden Driessche, cabaretier, appartenant au parti libéral, garde-chasse de Vanderghinste et d'autres libéraux.
« Nuit du 21 au 22 août. Incendie d'une meule de paille au préjudice de la veuve Everaert, sœur de Désiré Glorieux et tante de Henri Vanderghinste.
« 22 août, à cinq heures du matin, incendie d’une meule de froment et d'une meule de paille au préjudice de Louis Seynaeve, libéral, second fils de l'ancien échevin. »
Voilà, messieurs, la série des crimes ; n'est-ce pas épouvantable ? Huit incendies et sept dévastations parce qu'un conseil communal n'a pas voulu donner la propriété du cimetière à la fabrique d'église ! Voilà la vérité. (Interruption). (page 155) C'est toute la vérité ; sans ce conflit, il n'y aurait pas eu le moindre attentat, et la torche n'eût pas été mise en mains des incendiaires.
- Une voix. - Rien ne le prouve.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Comment pourrait-on en douter ? Ce sont ceux qui ont participé à la création du cimetière, ce sont ceux qui sont désignés dans les journaux catholiques, qui sont les victimes ; pas un catholique n'est lésé et en même temps que l'on commet ces incendies, on va dévaster le cimetière ; la connexité est donc évidente. (Interruption.) La connexité est évidente et c'est dans ce sens que l'instruction devait être dirigée. (Nouvelle interruption.) Mais si le juge d'instruction avait compris son devoir d'une autre manière, il aurait manqué de clairvoyance.
Eh bien, messieurs, c'est à propos de ces faits et des actes de l'instruction que les journalistes catholiques se sont réunis pour protester et vous adresser la pétition dont vous êtes saisis.
Je n'hésite pas à le dire, je ne puis voir dans cette pétition qu'une œuvre de parti et de passion, car les personnes qui réclament auprès de la législature s'adressent à elle l'insulte à la bouche ; en effet, au milieu de leur pétition, les journalistes accusent le pouvoir législatif d'avoir mutilé la magistrature.
Eh bien, si vous vous plaigniez sérieusement, sincèrement, si vous ne faisiez pas une œuvre de parti, commenceriez-vous par insulter les gens dont vous espérez obtenir justice ? Ce qu'ont voulu les journalistes catholiques, c'est détourner l'attention publique des affaires de Saint-Genois. J'ai suivi attentivement les publications de cette presse ; c'est à peine si elle a signalé les incendies de Saint-Genois ; elle les faisait passer très incidemment aux faits divers ; cela n'était point digne de fixer son attention. Mais qu'un libéral, qu'un fonctionnaire commette la plus petite peccadille, on écrira des articles de plusieurs colonnes.
Sur les incendies de Saint-Genois, sur le grave conflit qui a éclaté dans cette commune, silence absolu ; la presse catholique ne recouvre la parole que pour attaquer la magistrature qui a fait son devoir.
Nous allons examiner la pétition des journalistes ; nous allons l'analyser ; mais auparavant, j'ajoute encore, et je le démontrerai tout à l'heure, que cette œuvre ne peut être prise au sérieux, parce que tout ce qui a été fait par le magistrat instructeur a eu lieu déjà sous des ministères catholiques, même dans des conditions beaucoup plus graves ; et alors ces mêmes journalistes, si prompts à s'alarmer, si prompts à se réunir et à protester, n'ont absolument rien dit ; et alors la droite, qui avait des hommes de son bord au banc ministériel, la droite n'a pas élevé la voix.
Dès lors, quelle valeur accorder aux protestations qui surgissent aujourd'hui ? (Interruption.)
La protestation des journalistes catholiques est ainsi conçue :
« Les journalistes catholiques belges, réunis en assemblée générale à Bruxelles, font la déclaration suivante :
« Des actes graves, et dont l'opinion publique s'est émue, viennent de s'accomplir à Bruges.
« Au nom de la justice et dans le but apparent de découvrir les auteurs et les provocateurs d'incendies commis à Saint-Genois, des visites domiciliaires, des perquisitions rigoureuses, des interrogatoires prolongés, des saisies de registres et de manuscrits, une arrestation préventive, enfin, ont eu lieu dans les bureaux de journaux catholiques brugeois.
« Si ces mesures, malgré leur rigueur, étaient légalement justifiables, si elles étaient de nature à favoriser la recherche impartiale de la vérité, nous respecterions la magistrature dans l'exercice de ses légitimes attributions ; mais l'évidence des faits le proclame et le texte des lois le crie : les procédés dont on a usé à l'égard des éditeurs du Jaer 30 et du Katholyke Zondag, comme à l'égard du rédacteur de cette dernière feuille, violent les immunités constitutionnelles de la presse et ne se relient par aucune connexité rationnelle ou juridique aux crimes commis à Saint-Genois. »
Premier point : les journalistes catholiques s'adressent à la Chambre et au gouvernement.
Eh bien, la Chambre et le gouvernement sont incompétents pour leur répondre. Ils se plaignent de visites domiciliaires et. d'arrestations préventives. Or, ces actes ont été accomplis dans la sphère de ses attributions par un pouvoir complètement indépendant du pouvoir législatif, par le pouvoir judiciaire. C'est le juge d'instruction, qui ne relève que de la chambre du conseil et de la chambre des mises en accusation, et non du gouvernement ou des Chambres ; c'est le juge d'instruction, dans la sphère de ses attributions, qui a fait ces visites et ordonné ces arrestations.
Ces principes, messieurs, ont été complètement perdus de vue par la presse catholique. Il importe donc de les lui rappeler et à cet égard je n'aurai que deux citations à vous faire : une, de notre procureur général près la cour de cassation, M. Leclercq ; l'autre, d'un auteur dont la droite ne contestera pas l'autorité, je veux parler de l'honorable M. Thonissen.
« Dans les limites de son principe, dit M. Leclercq, mais non au delà, chaque pouvoir est souverain et les deux autres lui sont soumis ; ainsi le pouvoir législatif, en tant qu'il applique le droit par voie de formule générale, le pouvoir judiciaire, en tant qu'il l'applique par voie de formule particulière, le pouvoir exécutif, en tant qu'il le fait entrer dans la vie de la société et de ses membres. Ce que chacun fait dans ces limites est donc présumé la vérité, est présumé conforme au droit et ne peut avoir, sous ce rapport, à subir le contrôle des deux autres ; ceux-ci doivent tenir ses actes pour vrais, pour conformes au droit et les respecter, s'y soumettre à ce titre. Une disposition expresse de la Constitution pourrait seule l'en dispenser, en apportant exception à ces conséquences du principe d'action de chacun et de l'indépendance souveraine qui s'y rattache ; jusque-là cette indépendance subsiste dans toute l'étendue de son principe ; et les envahissements d'un pouvoir ne peuvent, sauf les cas d'usurpation violente, trouver de digue que dans l'opinion publique, toute-puissante à la longue, parce qu'à la longue elle n'est autre que la volonté de la nation dont tout pouvoir émane. »
Ainsi, le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif n'ont aucune action sur les actes du pouvoir judiciaire, posés dans la sphère de ses attributions. Et que dit M. Thonissen ?
« Tous les pouvoirs, dit l'article 25 de la Constitution, émanent de la nation. Ils sont exercés de la manière établie par la Constitution. De ces expressions générales, il résulte que la Constitution assigne aux trois pouvoirs constitutionnels une identité d'origine. Or, la conséquence la plus directe qu'on doit tirer de ce fait, c'est que chacun de ces pouvoirs est tenu de limiter son action au cercle que la Constitution lui a tracé, et que par conséquent l'un d'eux ne peut, sans méconnaître les principes fondamentaux de nos institutions, s'arroger un droit de commandement ou de contrôle sur les autres. Nous verrons dans les articles 92 et suivants de nombreuses applications de ce principe. »
Vous n'avez donc pas le droit de contrôler les actes du pouvoir judiciaires ; or vous vous trouvez ici devant les actes d'un juge d'instruction ; vous n'avez pas le droit de les contrôler, s'ils ont été posés dans les limites de ses attributions.
Ceci vous explique combien sont injustes les accusations lancées contre le gouvernement ; les personnes qui ont formulé les critiques que vous savez, méconnaissent complètement nos institutions et oublient que le pouvoir judiciaire est complètement indépendant.
Mais, dit-on, le juge d'instruction, c'est le parquet ; vous auriez dû destituer le procureur du roi qui a fait agir le juge d'instruction. Si vous l'aviez destitué, les choses se seraient passées autrement.
Pouvez-vous, messieurs, sans humilier le caractère du juge d'instruction de Courtrai, sans le dégrader, dire qu'il n'a pas agi selon sa conscience ? Si le procureur du roi fait des réquisitions, c'est au juge d'instruction à les juger, à statuer sur leur valeur ; il peut refuser d'y faire droit.
Le juge d'instruction est libre de céder ou de ne pas céder aux réquisitions du procureur du roi ; les journalistes catholiques ont complètement oublié ce principe élémentaire.
« Soit que les conclusions du ministère public aient été favorables au prévenu, soit qu'elles lui aient été contraires, nous pensons, dit M. Carnot, que le juge d'instruction a toute faculté de consentir ou de refuser la conversion du mandat de comparution ou d'amener, qu'il aurait d'abord décerné, en un mandat de dépôt ou d'arrêt ; que le législateur s'en est entièrement remis à cet égard à la prudence du juge d'instruction, et à l'intention que l'on doit nécessairement lui supposer de ne négliger aucun des moyens propres à assurer la vindicte publique.
« L'opinion de MM. Bourguignon et Carnot est généralement adoptée. Leur doctrine se justifie par les termes facultatifs de l'article 94 du code d'instruction criminelle, et elle a été confirmée par la jurisprudence.
« De quelque autorité qu'émane le mandat en vertu duquel le prévenu comparaît devant le juge d'instruction ; quelles que soient les réquisitions du ministère public, avant ou après l'interrogatoire, le juge d'instruction qui a reçu les explications d'un prévenu reste donc entièrement libre de le relaxer provisoirement ou d'ordonner sa détention. Il n'a d'autre règle à suivre que l'appréciation des charges, faite consciencieusement ; suivant qu'elles n'existent plus ou qu'elles subsistent encore après l'interrogatoire, il renvoie le prévenu ou il le retient sons mandat de dépôt ou d'arrêt. » (Duverger, Manuel du juge d'instruction.)
Mais, messieurs, d'autres auteurs encore s'expriment en ces termes.
M. Faustin Hélie dit, dans son Traité de l'instruction criminelle : « Le (page 156) juge d'instruction exerce une véritable juridiction. Il statue, en effet, comme un tribunal, sur les réquisitions du ministère public, sur les demandes de la partie civile, sur les exceptions du prévenu ; il ordonne ou rejette les mesures d'instruction ; il décerne les mandats d'arrestation. Or, en procédant à tous ces actes, il n'agit point comme délégué du tribunal dont il fait partie, il agit en vertu d'un pouvoir qui lui est propre et qu'il tient directement de la loi, le pouvoir de faire ou d'ordonner directement des actes d'instruction. »
M. PDlloz est du même avis : « Le juge d'instruction, dit-il, n'est pas tenu d'obtempérer aux réquisitions du ministère public ; il n'est pas lié par le réquisitoire à ce point qu'il doive être amené à suivre la marche que le ministère public lui aurait tracée. La loi a séparé avec soin les fonctions de partie poursuivante et de juge. A celui-ci appartient l'instruction, qu'il dirige, suivant ses lumières et sa conscience. »
C'est donc un pouvoir indépendant qui a posé les actes de visite, les actes d'interrogatoire, les actes de saisie et les actes d'arrestation ; ce pouvoir a agi de sa propre volonté, selon sa conscience ; il n'était pas tenu de déférer aux réquisitions du ministère public, s'il les croyait injustes.
Vous devez donc vous en prendre au juge d'instruction ; car, qui a ordonné l'arrestation de Vandenberghe, si ce n'est M. le juge De Blauwe ? Vos attaques retombent donc sur le magistrat que vous vouliez défendre, sur le fonctionnaire qui est entré dans la magistrature sous le ministère de. M. Nothomb ! C'est lui qui a délivré le mandat d'arrêt contre. Vandenberghe et il l'a fait, parce qu'il a cru, en conscience, que les nécessités de l'instruction justifiaient et exigeaient le recours à cette mesure.
Maintenant, messieurs, je suppose que le gouvernement ait considéré l'arrestation de Vandenberghe comme illégale, comme inconstitutionnelle.
Que pouvions-nous faire ?
Nous étions complètement désarmés, parce que nous nous trouvions devant un pouvoir indépendant, un pouvoir sur lequel nous n'avons pas de contrôle.
Je ne pouvais faire qu'une chose, c'était de ne plus renouveler le mandat du juge d'instruction...
Mais les actes posés restaient posés, Vandenberghe demeurait en prison et il n'y avait personne, si ce n'est la chambre du conseil ou la chambre des mises en accusation, qui pouvait le faire mettre en liberté.
Faut-il justifier ici les mesures prises par le juge d'instruction sur la réquisition du procureur du roi ? Je ne puis pas m'expliquer complètement.
Je vous l'ai dit dès le principe ; quel rôle voulez-vous me faire prendre ? Vous dites : « Le journaliste ne peut être arrêté, ne peut être poursuivi que s'il y a crime. »
S'il y a délit, la loi sur la détention préventive et le décret de la presse disent que l'éditeur et l'auteur de l'article incriminé ne peuvent pas être mis en état d'arrestation.
Mais, messieurs, l'instruction dit : « Il y a crime. Il y a provocation directe a l'incendie, à la dévastation. »
Allez-vous discuter ici que les articles que j'ai indiqués ne constituent pas des provocations directes ? Vous discuterez seuls ; pour moi, je ne répondrai pas. Vous pouvez, si cela vous fait plaisir, commencer ici la plaidoirie de la cour d'assises.
Je ne suis pas juge de la culpabilité ou de la non-culpabilité de l'éditeur du Jaer 30 et de l'auteur des articles incriminés, je ne remplis pas ici le rôle du ministère public, vous le savez vous-mêmes ; mais je vous dis maintenant qu'en présence des articles publiés, qu'en présence des circonstances dans lesquelles ils ont été écrits, qu'en présence des prédications qui s'y rattachent, en présence des déclarations des accusés eux-mêmes, le parquet et le juge d'instruction avaient des indices suffisants de culpabilité et devaient agir en conséquence. Quant au reste, ce sera l'œuvre de la justice. Mais, quoiqu'il arrive, qu'il y ait ordonnance de non-lieu, renvoi, acquittement ou condamnation, les faits étaient assez graves, les indices assez nombreux, les présomptions assez puissantes, pour que le parquet et le juge d'instruction aient pu recourir en toute conscience aux actes dont on se plaint.
« Le décret de 1831, disent les journalistes catholiques, et les lois subséquentes qui le complètent et le modifient, déterminent nettement le cas où l'arrestation préventive en matière de presse devient légale : il faut un délit qui comporte une peine plus grave que celle de l'emprisonnement ; il faut, de plus, que la provocation à ce délit ait été directe. Or, il est radicalement impossible de découvrir dans l'article du Jaer 30 une provocation indirecte à un délit quelconque, encore moins une provocation directe, c'est-à-dire des instructions, des conseils, des insinuations même tendantes à engager des tiers à commettre une infraction aux lois. »
Vous le voyez, messieurs, ils se font juges ; ils déclarent qu'il n'y a pas eu de provocation. Mais cette appréciation n'appartient-elle pas au parquet et au juge d'instruction ? Comment pourriez-vous, sans sortir de votre rôle, vous livrer à cette appréciation ?
« C'est assez dire que nous considérons l'arrestation préventive de l'éditeur du Jaer 30 comme ordonnée au mépris de la liberté de la presse et de la liberté individuelle, et nous réputons ce fait d'autant plus grave, que la détention de M. Vandenberghe-Denaux s'est prolongée même après que l'auteur de l'article incriminé était connu de la justice. »
Eh bien, c'est une erreur complète. Les journalistes suppriment le crime et déclarent l'arrestation inutile !
Ils ajoutent : L'auteur de l'article était connu ; pourquoi avez-vous maintenu l'imprimeur en cause ?
On pouvait le maintenir en cause ; mais on ne l'a pas fait. Quand on a arrêté Vandenberghe-Denaux, on ne connaissait pas l'auteur. On n'avait que des soupçons. On s'est rendu chez Vandenberghe, on lui a demandé le nom de l'auteur des articles du Jaer 30. Vandenberghe savait à ce moment quelle était la gravité des articles dont il s'agissait.
En effet, il avait eu en communication une lettre du vicaire Van Eecke, qui a été saisie et qui se trouve parmi les pièces du procès. Cette lettre, était adressée au vicaire Degheselle ; dans cette lettre, le vicaire Van Eecke demande que l'on prenne à l'égard de. l'article toutes les précautions nécessaires, et le manuscrit avait disparu. Vandenberghe connaissait donc la gravité de la demande qui lui était faite, et ce n'est qu'en prison qu'il a nommé l'auteur. Il a désigné alors le vicaire Van Eecke. Il a dit : « Allez à mon domicile, et ma femme vous remettra le manuscrit. » Et dès qu'on eut acquis la conviction que le vicaire Van Eecke était bien l'auteur des articles incriminés, on mit Vandenberghe en liberté.
Si Vandenberghe a été arrêté, c'est parce qu'il a pris la responsabilité des articles et parce qu'aux termes du décret de 1831, l'auteur n'étant pas connu, l'imprimeur est responsable.
Remarquez que les journalistes catholiques ne parlent que d'un seul article.
La presse libérale aussi n'a parlé que d'un article du Jaer 30. Preuve évidente que les journalistes libéraux, de même que les journalistes catholiques, ne connaissent que très imparfaitement les détails de l'affaire de Saint-Genois ; il y a plus qu'un article incriminé, il y en a, je crois, six ou sept.
« Par le même motif, nous protestons contre les visites domiciliaires, les perquisitions vexatoires et les saisies opérées chez le même éditeur du Jaer 30, chez l'éditeur du Katholyke Zondag et du Franc de Bruges, chez M. le prévôt Van Becelaere. »
M. le prévôt Van Becelaere n'était pas poursuivi, mais on avait de fortes raisons de croire que le correspondant du Katholykc Zondag était dans le complot et qu'il avait des rapports avec les incendiaires de Saint-Genois ; on ne poursuivait pas les articles en eux-mêmes, mais on cherchait des éléments de preuve. On a demandé au prévôt Van Becelaere de s'expliquer et de faire connaître son correspondant, et il a répondu : « Je ne m'expliquerai pas. » On lui a lu la lettre écrite par M. l'évêque de Bruges, le 30 août, et dans laquelle il disait :
«Nous devons vous rappeler en outre que, dans des circonstances aussi graves, vous êtes tous obligés de seconder et de faciliter, en toute sincérité et constance, les justes efforts de la justice. Dites la vérité, telle qu'elle vous est connue, toute la vérité et rien que la vérité, et gardez-vous avec un soin extrême de tout faux témoignage et faux serment, qui, ainsi que vous ne l'ignorez pas, sont des péchés fort graves et constituent, à l'instar de l'incendie volontaire, autant de cas réservés à la juridiction épiscopale.
« Plein de confiance que nous n'aurons pas élevé la voix en vain, et qu'à dater de ce jour, grâce à la bonne volonté et à la coopération de tous, nous aurons la consolation de voir à jamais disparaître les noirs attentats qui vous désolent, nous bénissons, de tout notre cœur, et vos personnes et vos familles et vos biens et vos demeures. »
On lui a lu ce passage, on lui a dit : Mais votre évêque vous a dit de parler, de dire toute la vérité, d'aider la justice dans sa mission. Eh bien, il paraît que l'évêque n'a aucune influence sur M. Van Becelaere. Cet ecclésiastique a refusé de s'expliquer et de donner les renseignements qu'on lui demandait.
En droit, messieurs, peut-on contester la faculté qu'avait le juge d'instruction d'ordonner des perquisitions et des arrestations alors qu'il se trouvait en présence d'attentats provoqués, dans sa pensée, par des articles du Jaer 30, et auxquels le correspondant du Katholyke Zondag avait participé ?
Pour dissiper toute espèce de doute sur ce point, il suffira de rappeler quels sont, d'après notre législation, les droits du pouvoir judiciaire. Notez que je n'ai pas à discuter la législation sur la presse ; j'ai à examiner si les actes posés par la magistrature sont conformes aux règles du droit. Notre (page 157) législation est bonne ou mauvaise ; si elle est mauvaise, ce n'est pas a la magistrature à la réformer, elle ne peut, elle, que l'appliquer.
Or voici, messieurs, un extrait d'un arrêt de la cour de cassation, se rapportant à des actes posés sous le ministère Nothomb :
« Attendu que le demandeur n'est pas mieux fondé à soutenir que la justice ne peut, dans aucun cas, et à quelque fin que ce puisse être, rechercher quel est l'auteur d'un écrit publié par la voie de la presse ; qu'en d'autres termes, l'auteur peut toujours s'abriter sous l'anonyme ;
« Attendu que cette prétention, peu compatible, d'ailleurs, avec les exigences d'une sage liberté, est repoussée par les textes mêmes sur lesquels s'appuie le pourvoi ;
« Attendu, en effet, qu'il résulte des articles 14, 18 de la Constitution et 11 de la loi du 20 juillet 1831, qu'en matière de délit de presse la responsabilité pèse, en premier ordre, sur l'auteur de l'écrit ;
« Attendu, dès lors, que la justice peut, pour découvrir l'auteur, recourir à tous les moyens de preuve autorisés par le droit commun. » (Arrêt du 7 novembre 1855.)
Donc l'arrestation de l'éditeur du Jaer 30 et la recherche de l'auteur des articles de ce journal sont pleinement justifiées par cet arrêt.
En admettant même que le Katholyke Zondag ne fût pas impliqué dans l'affaire, le juge d'instruction avait encore le droit de faire une perquisition dans ses bureaux, ainsi que vous allez le voir.
En effet, un arrêt de la cour d'appel de Bruxelles l'a ainsi décidé dans l'affaire Coppin, le 12 décembre 1859.
Coppin avait, à l'époque des élections de 1859, publié un article qu'on disait injurieux pour le bourgmestre de Louvain.
Une visite domiciliaire avait été pratiquée chez lui ; Coppin résista, et traduit en justice du chef de délit de rébellion, il soutint qu'aucune loi belge n'autorise, et que l'esprit de la Constitution proscrit les visites domiciliaires, en matière de presse, dans le but de rechercher l'auteur d'un article incriminé.
La cour d'appel rejeta ce moyen par les considérations suivantes :
« Attendu que le code d'instruction criminelle autorise le procureur du roi, les juges de paix et les commissaires de police, en cas de flagrant délit, et le juge d'instruction, dans tous les cas de délits indistinctement, à faire des visites domiciliaires, pour rechercher et saisir les papiers et autres objets qu'ils jugent utiles à la manifestation de la vérité (articles 36, 37, 49, 50, 87 et 88) ;
« Attendu que ces dispositions n'ont pas été abrogées par l'article 10 de la Constitution puisque, tout en consacrant l'inviolabilité du domicile, cet article maintient le droit de visite et de perquisition dans tous les cas prévus par la loi ;
« Attendu qu'elles n'ont pas été abrogées non plus par l'article 18 de la Constitution et par la loi du 20 juillet 1831 sur la presse ; qu'en effet, l'article et la loi précités sont muets sur la manière de rechercher les délits de presse, d'en rassembler les preuves, et d'en livrer les auteurs aux tribunaux ; d'où la conséquence qu'ils s'en réfèrent pour ces délits aux mêmes voies d'instruction que pour les autres ;
« Attendu que cette conséquence se trouve d'ailleurs confirmée et justifiée par la responsabilité que la loi impose aux écrivains et subsidiairement aux éditeurs, imprimeurs et distributeurs, puisque cette responsabilité serait illusoire sans les moyens d'instruction nécessaires pour découvrir les coupables. » (Arrêt du 12 décembre 1859.)
Le pourvoi dirigé contre cet arrêt ne fut pas accueilli par la cour de cassation.
Ainsi, même pour un délit ordinaire, alors que le journal n'est même pas en cause, si le juge d'instruction croit qu'il peut trouver dans les bureaux de ce journal des éléments de culpabilité, il peut faire procéder à une visite domiciliaire.
Telle est notre législation. Pouvez-vous blâmer la magistrature de l'appliquer ?
Voilà ce qui s'est fait sous tous les ministères ; chose curieuse ! on ne fait que parler de cette affaire du Katholyke Zondag et du Jaer 30 et les journalistes qui ont protesté contre tout ce qui s’est fait, ne se sont pas donné la peine de consulter les précédents.
On dirait vraiment qu'on a inauguré une jurisprudence nouvelle, que jamais on n'a fait de perquisitions dans les bureaux des journaux. Mais à toutes les époques, sous tous les ministères, des visites domiciliaires et des arrestations ont eu lieu pour des cas moins graves que celui qui nous occupe, et j'ai le droit de demander à la droite pourquoi elle a attendu jusqu'aujourd'hui pour protester ?
Nous allons passer en revue les ministères des honorables MM. d'Anethan et Nothomb et nous verrons que la jurisprudence que je viens de rappeler a été consacrée par eux.
M. Coomans. - Nous avons déposé un projet de loi.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Vous feriez fort bien, M. Coomans, de ne pas vous aventurer dans ce débat, où vous êtes quelque peu intéressé.
M. Coomans. - Moi, je suis intéressé dans cette affaire ?
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je dirai tout à l'heure ce que vous avez fait, ce sera un épisode intéressant, je vous assure.
Il y a d'abord l'affaire Vande Casteele, sous M. d'Anethan.
Un écrivain publie une brochure. Plus tard des troubles éclatent et on poursuit l'auteur du chef de cette brochure.
On l'arrête, on fait une perquisition chez lui et huit jours après survient une ordonnance de non-lieu.
Pourquoi n'avez-vous pas protesté ? L'affaire a été portée devant la Chambre ; elle y a produit si peu d'effet, que M. d'Anethan a pu se borner à dire : Je n'ai pas à vous répondre ; la magistrature est indépendante, attendez ses décisions.
Et on a attendu. Il y a eu une ordonnance de non-lieu, Vandecasteele a été rendu à la liberté et MM. les journalistes catholiques ne se sont pas réunis !
En 1845, l'Observateur publie un article dans lequel il dit que les Sœur de charité de l'hôpital de Bruxelles usent de manœuvres pour convertir des protestants à la religion catholique.
Cette imputation ne pouvait porter une grave atteinte à l'honneur de ces religieuses. Eh bien, on y voit une calomnie. On fait venir le rédacteur en chef de l'Observateur ; on lui demande quel est l'auteur de l'article ; il répond : Peu vous importe. C'est moi qui suis responsable. C'était M. Van Hoorebeke qui était alors, je pense, rédacteur en chef de l'Observateur.
Mais on soupçonnait M. Verhaegen. Et M. d'Anethan laisse faire une visite domiciliaire dans les bureaux de l'Observateur. Quelle est alors l'attitude de la presse catholique ?
Elle garde un silence absolu ; M. Coomans écrivait probablement alors, il n'en souffle mot ; seul, le Courrier du Limbourg rompt le silence... pour approuver le ministère.
Je ne sais si l'honorable M. Coomans était membre de la Chambre à cette époque.
- Des voix. - Non.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Non, soit, mais comme journaliste il pouvait protester et il ne l'a pas fait.
M. Coomans. - Etes-vous bien sûr que je n'ai pas protesté ?
M. le ministre de la justice (M. Bara). - A ma connaissance, non.
M. Coomans. - Ah !
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Si vous avez protesté, il vous sera facile de le prouver. Mais je n'ai pas grande confiance dans les souvenirs de M. Coomans ; lorsque nous discutions la loi sur les expulsions, M. Coomans a exhalé des plaintes amères sur le sort de ces étrangers auxquels la Belgique refusait l'hospitalité.
On aurait pu croire que de tout temps M. Coomans avait été l'adversaire acharné de la loi sur les étrangers ; eh bien, pas du tout ; il m'est arrivé de trouver un discours de M. Coomans dans lequel l'honorable membre se déclare très partisan de la loi. (Interruption.)
M. Coomans. - Pour les délits communs, pas pour les délits politiques.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Vous avez approuvé la loi de 1835 telle qu'elle est ! Donc aussi bien pour les délits de droit commun que pour les délits politiques.
Vous le voyez, messieurs, la mémoire de M. Coomans n'offre pas grande garantie.
Lorsque M. Coché-Mommens, éditeur de l'Observateur, et M. Verhaegen furent traduits devant la cour d'assises et acquittés, par suite du défaut de plainte régulière, est-ce que les journaux catholiques se sont émus ? Il est vrai que M. Verhaegen était libéral et que M. d'Anethan était ministre de la justice. (Interruption.)
Mêmes incidents dans un procès intenté à l'Argus : visite domiciliaire, perquisition, acquittement. C'était encore sous M. d'Anethan, et il n'y eut pas de plaintes, à ma connaissance.
Passons à l'honorable M. Nothomb, c'est lui qui a la plus grosse responsabilité.
M. Nothomb. - Ah !
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Rassurez-vous. Cette responsabilité est encore bien légère, puisque vous ne faisiez qu'observer la loi.
Il n'y a que des journalistes catholiques qui puissent venir demander à des magistrats de ne pas l'exécuter.
Des troubles éclatent dans la Basse-Sambre à propos des émanations des fabriques de produits chimiques ; on prétendait que ces émanations exerçaient une influence désastreuse sur les champs et les jardins. On leur (page 158) attribuait même la maladif des pommes de terre. La force publique est obligée d'intervenir. Un sieur Peeters, pharmacien, avait, en 1854, et l'affaire de la Basse-Sambre se passait en août 1855, publié une brochure dans laquelle il prétendait que les émanations des fabriques de produits chimiques étaient nuisibles à l'agriculture.
Le passage le plus fort de cette brochure est le suivant : vous verrez si on peut le comparer aux articles du Katholyke Zondag et du Jaer 30 :
« Si le gouvernement ne met pas obstacle à l'émanation des fumées de ces volcans, le peuple fatigué de ces protestations finira peut-être un jour par se faire justice lui-même. »
Huit ou dix mois après, des troubles éclatent, et l'on accuse Peeters d'en être le provocateur. On fait une descente chez lui et on l'arrête.
Quinze jours après, la chambre du conseil rend une ordonnance de non-lieu dans laquelle elle dit :
« Attendu que si l'écrit incriminé contient des opinions erronées, il ne renferme aucune excitation directe à des faits que la loi qualifie de crimes ou délits ;
« Attendu, pour le surplus, qu'il n'existe pas à charge de l'inculpé prévention suffisante ou tout autre crime ou délit prévu par les lois,
« Par ces motifs,
« La chambre déclare n'y avoir lieu à poursuivre et ordonne la mise en liberté de l'inculpé Peeters. »
Voilà donc un écrivain détenu préventivement pour une brochure qu'on avait laissée circuler pendant de longs mois et qui finalement est mis en liberté faute de preuves de culpabilité. Je ne blâme pas les mesures prises dans cette circonstance, mais je demande aux journalistes catholiques ce qu'ils faisaient alors ? Vous dormiez sans doute ; c'était cependant le moment ou jamais de protester ! Que faisait alors l'honorable M. Coomans ? Pourquoi ne demandait-il pas une loi ? Il est vrai qu'alors M. Nothomb était au pouvoir !
C'était le cas où jamais de protester contre les visites domiciliaires, les perquisitions, les arrestations préventives ; que n'avez-vous déposé une proposition de loi ? Vous n'y avez songé que lorsque vous êtes rentrés dans l'opposition, et encore, n'avez-vous pas songé à interdire les visites domiciliaires en matière de crimes.
Les honorables MM. De Baets et Coomans étaient cependant en présence de l'arrêt de 1855, en présence des faits qui avaient eu lieu à Namur et d'autres faits encore. Il fallait l'affaire du Katholyke Zondag et du Jaer 30, ces deux respectables journaux, pour que la presse catholique sortît de sa torpeur. (Interruption.)
Mais ce n'est pas tout : à propos de ces troubles de la Basse-Sambre, deux journaux libéraux de Namur publièrent des articles contre l'armée, articles moins violents cependant que ceux qu'ont publiés certains organes de la presse à propos des troubles de Marchienne ; l'un d'eux accusait la troupe d'avoir fait illégalement usage de ses armes. L'auteur et l'imprimeur furent poursuivis, et le journal fut condamné à 100 fr. d'amende.
Il n'y a pas eu la moindre réclamation de la part de la presse catholique.
Autre fait, qui s'est passé sous le ministère de l'honorable M. Nothomb.
Un imprimeur de Tournai était soupçonné d'avoir publié une brochure contre un curé ; le parquet le poursuivit parce que la brochure ne portait pas le nom de l'éditeur. Que fit-on ? On se rendit chez l'imprimeur et l'on saisit ses caractères.
L'éditeur réclama auprès de l'honorable M. Nothomb, et celui-ci ne fit rien.
Il ne s'agissait cependant que d'une sorte de contravention ; et l'on viole le domicile de l'imprimeur ; et l'on saisit ses instruments de travail !
Cela s'est pratiqué sous le ministère de M. Nothomb, et j'ai entre les mains une note dans laquelle il déclare qu'il n'y a pas lieu de faire droit à la plainte de l'imprimeur. De fait, aucun projet de loi ne fut présenté en 1855.
Dans l'affaire Coppin, c'était sous l'honorable M. Tesch, on a fait aussi une visite domiciliaire, et, qu'a décidé la cour d'appel ? Elle a décidé que la justice était dans son droit. (Interruption.)
On avait fait une visite domiciliaire à l'époque des élections pour un article publié dans le Moniteur de Louvain ; et je le répète, la cour d'appel a déclaré que cet acte était parfaitement régulier.
L'honorable M. Tesch, interpellé, a déclaré qu'il ne blâmerait pas le procureur du roi, parce qu'il avait agi conformément à la loi.
Si les journalistes catholiques connaissaient tous ces faits, s'ils étaient au courant de la jurisprudence, où est leur bonne foi ? Pourquoi attaquent-ils la magistrature au lieu de demander à la Chambre de changer la loi ?
- Une voix à droite. - Ils n'attaquent pas la magistrature.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Comment ! Ecoutez, messieurs :
« Si ces mesures, malgré leur rigueur, étaient légalement justifiables, si elles étaient de nature à favoriser la recherche impartiale de la vérité, nous respecterions la magistrature dans l'exercice de ses légitimes attributions ; mais l'évidence des faits le proclame et le texte des lois le crie : les procédés dont on a usé à l'égard des éditeurs du Jaer 30 et du Katholyke Zondag, comme, à l'égard du rédacteur de cette dernière feuille, violent les immunités constitutionnelles de la presse et ne se relient par aucune connexité rationnelle ou juridique aux crimes commis à Saint-Genois. »
Vous le voyez, messieurs, on accuse la magistrature, et l'on est forcé d'avouer qu'elle n'a fait qu'obéir à la loi.
Un fait important est donc établi ; la magistrature n'a posé que des actes conformes à la loi.
Quant à la question de savoir si elle a bien apprécié les faits, c'est ce que décidera la cour d'assises si les prévenus sont renvoyés devant elle. Quant à nous, nous sommes incompétents pour la trancher.
Enfin, messieurs, voici une très curieuse affaire.
En 1863 (l'honorable M. Coomans a protesté, je le reconnais, mais c'était en 1865 et les libéraux étaient au pouvoir) ; en 1863, un journaliste de Bruxelles publie dans un journal satirique, des imputations très graves contre un vicaire, pour des faits qui se seraient commis à Jette ou à Malines.
Le procureur général de Bavay fait instruire, non pas contre le journaliste, mais contre le vicaire.
Ce vicaire était accusé d'outrages aux mœurs ou de viol sur des jeunes filles confiées à ses soins.
Le procureur général requiert une instruction. L'éditeur du journal est cité à comparaître devant le juge d'instruction, et le juge lui demande de faire connaître l'auteur de l'article relatant les faits.
« Je ne veux pas vous poursuivre, dit-on au journaliste ; c'est le fait qui est indiqué dans votre journal que je veux poursuivre. »
L'éditeur répond : « C'est une personne très honorable qui m'a fait connaître le fait, et j'ai en outre un correspondant à Bruges qui me l'a également signalé. Je ne puis pas répondre sans leur assentiment. »
« - Venez demain : informez-vous, » reprit le juge d'instruction.
Le lendemain il se présente ; on lui dit : Faites-moi connaître l'auteur ?
L'éditeur répond : « Je ne le puis. »
Le lendemain, le procureur général fait faire par un commissaire de police, au sujet de cet article qui n'avait pas été incriminé, une perquisition au bureau du journal et il saisit des pièces ; c'était en 1863.
- Une voix à droite. - Il en avait parfaitement le droit.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Alors, pourquoi vous plaignez-vous de ce qui a été fait pour le Katholyke Zondag ?
Quelque temps après cette saisie, ce journaliste écrit l'article suivant à l'adresse de la presse belge :
« Un commissaire de police a-t-il le droit de violer le domicile d'un journaliste, de procéder à la visite de ses papiers et d'opérer la saisie d'une partie de sa correspondance, même étant porteur d'un mandat de justice, émanant du juge d'instruction ? Si le journaliste proteste au nom de l'inviolabilité de son domicile, le commissaire de police a-t-il le droit de le déclarer en état d'arrestation, et de le garrotter avec des chaînes et de l'expulser brutalement de son domicile ?
« Enfin, le journaliste absent, la police a-t-elle le droit de fouiller dans ses appartements, de lire ses correspondances, sous le fallacieux prétexte de saisir une lettre sans nulle importance et qui a été publiée dans un journal ?
« Je prends la liberté de poser ces trois questions à la presse belge ; elles intéressent tout le monde et notamment les esprits indépendants, poursuivis par le despotisme en Belgique comme ailleurs ! »
Il n'y eut pas la moindre émotion dans le pays. Notez que le journaliste ne fut pas poursuivi ; la visite faite chez lui avait eu seulement pour but d'aider à la découverte de la vérité sur les faits dénoncés ; et ces faits étaient faux, il n'y avait même ni crime ni délit de commis. La presse catholique resta silencieuse. Il y eut bien un article de M. Coomans, mais ses collègues en journalisme ne se réunirent pas en congrès et ne nous adressèrent pas de protestation.
Serait-ce parce qu'il s'agit aujourd'hui de crimes dans l'instruction desquels des prêtres sont impliqués, que ces messieurs s'agitent ?
Cela n'est pas possible, la législation est la même pour tout le monde.
Or, les journalistes catholiques se plaignent d'une législation qui a toujours été appliquée et comprise comme elle l'est aujourd'hui, d'une jurisprudence consacrée par des arrêts de cour d'appel et de la cour de cassation. (page 159) Eh bien, je dis qu'ils n'ont pas le droit de se plaindre et qu'ils doivent reconnaître que la magistrature a fait son devoir.
Je crois, messieurs, avoir complètement justifié les actes qui ont été posés par les honorables magistrats si injustement attaqués.
Quant au projet de MM. Coomans et De Bast, il consacre de la manière la plus évidente le droit qu'avaient les magistrats instructeurs d'agir comme ils l'ont fait.
Que dit en effet ce projet ? « Sauf le cas où le fait est qualifié crime par la loi, aucune visite domiciliaire tendante à découvrir l'auteur d'un écrit incriminé ne pourra être pratiquée. »
Or, ne sont-ce pas des crimes que les attentats commis à Saint-Genois ?
La recherche de l'auteur, mais l'honorable M. Coomans estime qu'elle est conforme au droit naturel et à la morale.
Lors de l'affaire Outendirck, on avait, absolument comme dans l'affaire de l'Espiègle, que je viens de vous exposer, fait venir le rédacteur de l'Avenir, pour lui demander le nom de l'auteur d'une correspondance. Le rédacteur refusa de le dire et il fut condamné à l'amende. L'honorable M. Coomans publia, dans l'Émancipation, un article dans lequel il disait que. la question était controversée ; que, selon lui, le rédacteur n'était pas obligé de nommer son correspondant, et il ajoutait :
« Si nous avions à examiner la question en dehors des principes de notre législation, comme un problème de droit naturel et de morale, nous dirions que la justice, ainsi que le dernier des citoyens, peut raisonnablement exiger les noms de toutes les personnes qui s'adressent au public par la voie de la presse. Dans un Etat bien réglé, chacun est responsable des actes qu'il pose, surtout en public, et nous voudrions que le masque fût interdit aux écrivains, de même qu'il l'est aux orateurs des rues. Nul ne peut charger autrui de la responsabilité de sa conduite, pas plus en matière criminelle qu'en matière civile ; la dignité de la presse et le libéralisme bien entendu nous semblent commander la publicité dans le journalisme comme en toutes choses, et nous n'avons jamais compris que les défenseurs de la liberté de la presse aient vu pour elle une garantie efficace dans le système de l'anonymie et des hommes de paille. » (Interruption.)
M. Coomans. - Voilà tout. (Interruption.)
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Comment ! voilà tout ! Je me permets de demander quelques explications à l'honorable M. Coomans. Il y a une question de droit. L'honorable membre, comme journaliste, l'a décidée dans un sens différent de celui qui lui a été donné.
Mais l'honorable membre voudra bien admettre, que, quand les parquets ont à examiner quel est le sens d'une loi, ils ne vont pas ouvrir l'Émancipation ; ils consulteront les arrêts de la cour de cassation. Or, le parquet de Courtrai a suivi la jurisprudence de notre cour suprême.
Maintenant vous, M. Coomans, comme législateur, si vous aviez une loi à faire, vous devriez la faire au point de vue de la morale et du droit naturel, et alors vous exigeriez qu'on pût toujours rechercher l'auteur d'un article ? Vous réaliseriez les idées que vous avez défendues dans l'Émancipation.
Et quand l'arrêt de la cour de cassation est intervenu, arrêt très grave, pour la presse, qu'avez-vous dit dans l'Émancipation ? Pas un traître mot.
Et cependant, il y avait là une belle lutte à entreprendre. C'était le moment d'attaquer, de détruire la jurisprudence de la cour de cassation.
J'ai donc le droit de dire que la protestation des journalistes catholiques n'est qu'une œuvre de passion et de parti. Les mêmes actes contre lesquels ils protestent se sont passés sous tous les ministères, et ils n'ont suscités aucune réclamation de leur part. Qu'est-ce que cela signifie, si ce n'est que les journalistes catholiques ont voulu simplement détourner l'attention publique des scandales de Saint-Genois.
Pas un mot des incendies qui ont désolé cette commune, mais des accusations violentes contre la magistrature.
Je crois que la Chambre et le pays reconnaîtront que, dans l'affaire de Saint-Genois, la magistrature s'est montrée digne de sa mission et qu'elle a accompli avec prudence sa pénible tâche au milieu de circonstances bien difficiles. Elle a été mise au pilori de la presse et, malgré cela, elle a courageusement fait son devoir.
Pour ma part, je ne saurais que l'en féliciter. (Interruption.)
M. Dumortier. - Je demande la parole pour une interpellation.
Dans le discours que vous venez d'entendre, tout en prétendant se tenir en dehors de l'instruction judiciaire, M. le ministre de la justice n'a fait que des attaques basées sur cette instruction. Il n'a pas fait autre chose que d'entrer dans l'instruction pour se livrer à des attaques.
Eh bien, je profite de l'occasion pour lui poser une question. Je désire savoir pour quel fait MM. Delplanque sont en état d'arrestation. Je ne demande pas quel est l'état de l'instruction, je demande uniquement pour quel fait ils sont en état d'arrestation.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Ils sont arrêtés comme auteurs, coauteurs ou complices des incendies de Saint-Genois.
M. Dumortier. - On peut dire tout le monde complice ; la complicité doit être établie par un fait ; eh bien, je demande quel est le fait qui établit la complicité de MM. Delplanque ? et si vous ne pouvez pas le dire, vous conviendrez que l'arrestation est arbitraire. Je le répète donc, dites-nous le fait pour lequel ils sont arrêtés. Ce fait devait leur être dénoncé à eux-mêmes dans les huit jours de l'arrestation. Car il ne suffit point qu'un juge d'instruction vienne faire un interrogatoire banal à des prévenus, il faut qu'il articule le fait pour lequel ils sont arrêtés.
Je demande à connaître ce fait.
Et quand, il y a quelques jours, ces excellents jeunes gens... (interruption), vous ne les connaissez pas. Vous les avez entendu injurier. Mais ils sortiront victorieux et triomphants de l'instruction.
El quand, il y a quelques jours, ils ont pu voir leur mère en présence du juge d'instruction, ce qui prouve que le secret existe toujours, leur mère leur a demandé : « Mes enfants, pour quel fait êtes-vous arrêtés ? » Ils ont répondu : « Mère, nous ne le savons pas et M. le juge d'instruction, qui est ici près de nous, ne le sait pas plus que nous. »
Voilà des jeunes gens qui sont arrêtés depuis deux mois et demi et qui ne savent pas ce qu'on leur impute !
Eh bien, vous avez une responsabilité et je demande à connaître le fait matériel pour lequel ils sont arrêtés.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Vous venez d'entendre une nouvelle reproduction du roman de M. Reynaert.
M. Dumortier. - Il ne s'agit pas d'un roman, mais d'un fait.
M. Reynaertµ. - C'est vous qui avez fait du roman.
M. le président. - M. Reynaert, vous n'avez pas la parole.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Vous venez d'entendre la reproduction du roman que nous a raconté hier l'honorable M. Reynaert, avec un peu plus de drame et de mouvement si l'on veut. C'est là toute la différence.
L'honorable M. Dumortier répète, chose absurde en elle-même, que les détenus ne savent pas de quoi ils sont accusés.
Que voulez-vous que l'on dise à un député qui parle ainsi ? Que l'honorable membre lise la loi, et il verra que les individus arrêtés doivent être interrogés sur les faits qui leur sont imputes.
M. Reynaertµ. - On n'observe pas la loi.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je ne convertirai pas l'honorable M. Reynaert. Il est sous l'empire de cette idée fixe que l'on n'observe pas la loi. J'aurai beau lui assurer le contraire, quelque compétent que je sois, quels que soient les renseignements que j'ai sous la main, il persistera dans son allégation.
Que l'honorable membre veuille bien me citer les dispositions des lois qui ont été violées, qu'il m'indique un seul article transgressé !
Mais l'honorable membre ne cite rien.
Les personnes arrêtées savent parfaitement quels sont les faits dont elles ont à répondre devant la justice.
L'honorable membre me demande de quel chef les frères Delplanque sont impliqués dans l'affaire de Saint-Genois.
C'est pour avoir été auteurs, coauteurs ou complices des crimes qui ont été commis à Saint-Genois.
Voilà les faits. C'est ainsi qu'a dû être libellé et que devait se libeller le mandat d'arrêt.
Ce que vous voulez, ce sont les preuves.
L'honorable M. Dumortier prendra les dossiers et dira : Tel témoin a dit telle chose contre les frères Delplanque : c'est faux. Quant à moi, je devrais dire : C’est exact, et nous jouerions ici les rôles, monsieur Dumortier, d'avocat des frères Delplanque et moi, d'accusateur public.
Je puis d'autant moins me laisser entraîner sur ce terrain, que l'instruction n'est pas terminée et qu'elle n'a pas même été soumise à la chambre des mises en accusation.
Vous dites que j'ai ouvert les dossiers et que j'ai accusé telle et telle personne.
Je n'ai accusé personne, pas même ceux qui sont en aveu. Je vous ai fait connaître des indices et des actes publics, mais je n'ai nullement dit que les faits étaient prouvés.
C'est la cour d'assises qui aura à statuer à cet égard. (Interruption.) Oh ! vous ne m'amènerez pas à discuter avec vous s'il y a eu culpabilité dans le chef de telle ou telle personne.
Mais pourquoi cet intérêt à propos de ces personnes ?
Que M. Dumortier visite nos prisons ; il y verra une quantité de prévenus (page 160) accusés de crimes et qui sont maintenus en état d'arrestation ; pourquoi n'étend-il pas sa sollicitude jusqu'à eux ; pourquoi son zélé et son dévouement ne sont-ils pas égaux pour tout le monde ?
Dernièrement la cour d'assises du Brabant a jugé une affaire dont l'instruction avait duré 18 mois. Est-ce que M. Dumortier a présenté des observations ? Non, mais on réclame pour l'affaire de Saint-Genois. On ne veut pas attendre le cours de la justice, parce qu'on veut qu'il y ait deux justices. (Interruption.)
Eh bien, je dis que vous n'arriverez pas à vos fins ; la justice ne faiblira pas, elle ne se laissera pas intimider, la magistrature ne déviera pas de la ligne qu'elle a suivie. Elle observera la loi, sans s'inquiéter des opinions des hommes contre lesquels elle doit agir.
M. Dumortier. - J'ai entendu avec une étrange émotion l'honorable ministre de la justice nous accuser de faire du roman, lui qui n'a fait que cela dans tout le cours de son discours. (Interruption.) Son discours, n'a été qu'une dénégation de tous les faits vrais, pour y opposer des contre-vérités.
Eh bien, je le répète, vous ne pouvez pas vous soustraire à la responsabilité qui pèse sur vous, et je demande, ici dans le parlement, que vous nous fassiez connaître quel est le fait articulé pour lequel MM. Delplanque sont depuis près de trois mois en prison.
Vous venez nous dire : Ils le sont comme auteurs, coauteurs ou complices du crime. Mais est-ce là un fait ? (Interruption.) Soit, lorsqu'il y a un acte ; mais quel est l'acte qu'on leur reproche ? Voilà ce que je veux savoir.
M. le ministre de la justice nous dit qu'on fait de la politique dans cette affaire ; je lui réponds : Oui on fait de la politique et de l'indigne politique, car on emprisonne des innocents lorsqu'on a des coupables à côté de soi. Voilà ce qu'il y a d'indigne dans cette affaire. (Interruption.)
Je le répète, messieurs, je demande à M. le ministre de nous dire pour quel fait précis et articulé les frères Delplanque sont emprisonnés ; pourquoi on les tient au secret depuis deux mois et demi ; pourquoi on ne leur permet pas de communiquer avec leur famille ? S'il ne le dit pas, je le dirai.
- Des voix à gauche. - Dites-le !
M. Dumortier. - Vous les tenez en prison, parce que, s'ils étalent acquittés, on pourrait vous reprocher d'avoir fait une arrestation arbitraire.
- Un membre à gauche. - Ils en sortiront toujours bien une fois...
- La séance est levée à 5 heures.