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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 5 décembre 1868

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1868-1869)

(Présidence de M. Moreau, premier vice-présidentµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 119) M. Dethuin, secrétaireµ, fait l'appel nominal à 1 heure et un quart.

M. Van Humbeeck, secrétaireµ, lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

Il présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Degand prie la Chambre de fixer par la loi une limite d'âge à laquelle le fonctionnaire sera mis à la retraite. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Vaër demande qu'il soit pris des mesures pour faire abaisser le prix des publications des Académies royales de Belgique, de la Commission d'histoire, ainsi que du catalogue de la bibliothèque du ministère de la justice. »

- Même renvoi.


« Le sieur Vancauteren, ancien artilleur, demande une augmentation de pension. »

- Même renvoi.


« Le sieur Balthasar demande que, pour avoir droit à l'allocation mensuelle, les membres de la Chambre soient tenus d'assister aux deux tiers des séances du mois. »

- Même renvoi.


« Le sieur Putte appelle l'attention de la Chambre sur la position faite aux communes rurales par la loi qui admet le droit de débit de boissons pour faire partie du cens électoral à la commune et demande qu'il soit pris une mesure pour rétablir l'équilibre entre les différentes classes des électeurs. »

- Dépôt sur le. bureau pendant la discussion du budget des voies et moyens.


« M. Nélis, obligé de s'absenter, demande un congé d'un jour. »

- Accordé.


« M. David, retenu pour affaires, demande un congé de quelques jours. »

- Accordé.

Rapport sur une demande en naturalisation ordinaire

M. Mouton dépose sur le bureau le rapport de la commission des naturalisations sur uns demande de naturalisation ordinaire.

- Ce rapport sera imprimé, distribué, et l'objet qu'il concerne mis à l'ordre du jour.

Projet de loi portant le budget des voies et moyens de l’exercice 1869

Discussion du tableau des crédits

M. Dumortier. - Monsieur le président, je vous prierai de requérir la présence de M. le ministre des travaux publics.

MfFOµ. - Il s'agit du budget des voies et moyens, et je suis présent.

M. Dumortier. - Je suis très heureux de vous voir, monsieur le ministre, et je sais que vous êtes parfaitement à même de défendre votre budget.

Mais j'ai des abus de chemins de fer à signaler à la Chambre et je voudrais voir l'honorable ministre des travaux publics à son banc.

MfFOµ. - Il ne servirait à rien de discuter cela aujourd'hui. Nous pourrons revenir sur cet objet lors de la discussion du budget des travaux publics.

M. Dumortier. - Pardon, cela ne reviendrait pas au même.

Je veux parler des recettes des chemins de fer que nous avons à voter, et je crois que c'est bien au budget des voies et moyens que figurent ces recettes.

MfFOµ. - Au budget des voies et moyens, il s'agit exclusivement de prévisions de recettes.

Est-il vraisemblable qu'on atteindra la somme de 39 millions pour le produit des chemins de fer ? Voila ce que s'est demandé le ministre des finances. Après avoir pris des renseignements auprès de son collègue des travaux publics, il a été reconnu qu'on pouvait espérer, en 1869, une recette de 39 millions. Eh bien, la seule question que la Chambre ait à examiner actuellement, au point de vue du budget des voies et moyens, est celle de savoir si vraisemblablement cette recette pourra être atteinte.

On pourra discuter ultérieurement, quoique je ne prétende pas qu'on ne puisse le faire maintenant, on pourra discuter beaucoup plus utilement, lors de l'examen du budget des travaux publics, toutes les questions qui se rattachent au service du chemin de fer et aux tarifs en vigueur.

Je prie donc l'honorable M. Dumortier d'ajourner les observations qu'il se propose de présenter et qui trouveront mieux leur place dans la discussion du budget des travaux publics.

M. Dumortier. - Je ne me refuse pas à ajourner les observations que j'ai à présenter, si la Chambre consent à réserver l'article auquel elles se rapportent. Mais ma conviction est que c'est au budget des voies et moyens que ces observations doivent trouver leur place. Car que faisons-nous ? Nous avons à voter le chiffre de 39 millions pour recettes des chemins de fer.

Ce chiffre soulève deux questions. D'abord, messieurs, les prévisions de M. le ministre des finances sont-elles fondées ? Peut-on espérer atteindre ce chiffre ?

En second lieu...

M. Bouvierµ. - Voilà M. le ministre des travaux publics.

MfFOµ. - Nonobstant la présence de M. le ministre des travaux publics, je crois qu'il conviendrait d'ajourner cette discussion.

M. Dumortier. - Messieurs, je ne tiendrai pas longtemps la Chambre ; mais, puisque j'ai la parole, je demande la permission de continuer.

Je crois, messieurs, que, malgré l'éloge pompeux qu'on a fait des modifications introduites au tarif, je crois, dis-je, que ces modifications sont mauvaises à un double point de vue : d'abord, parce qu'elles ont réduit les recettes de l'Etat ; en second lieu, parce qu'elles ont amené un résultat diamétralement opposé à celui qu'on voulait atteindre, c'est-à-dire qu'elles ont empiré considérablement la position des voyageurs.

M. le ministre des affaires étrangères sourit ; mais, je le répète, vous avez empiré la position des voyageurs.

Vous avez fait une réduction sur le prix, mais remarquez ceci : c'est que vous l'avez chèrement fait payer aux voyageurs par le temps que vous leur avez fait perdre.

Tous vos convois ordinaires ne sont plus que des convois de banlieue. On fait aujourd'hui quatre lieues à l'heure. Ainsi de Tournai à Bruxelles, il y a seize lieues, et nous mettons deux heures et demie pour faire ce trajet.

La plupart des convois s'arrêtent à toutes les petites stations. Il n'y a réellement plus que des convois de banlieue. Il en résulte que les voyageurs perdent énormément de temps.

De plus, quand on fait des convois de vitesse, je voudrais qu'on les fît pour les hommes. Aujourd'hui, ces convois sont uniquement organisés en vue des lettres et non en faveur des personnes.

Si le gouvernement a besoin de convois pour les lettres, qu'il en organise autant que la correspondance l'exige ; mais qu'il n'empêche pas les voyageurs de profiter des convois de vitesse.

Ainsi pour les voyageurs partant de Tournai pour Bruxelles, il y a un convoi de vitesse à cinq heures et un quart du matin. Je demande si, pour la plupart des personnes, ce n'est pas une heure indue ? Vous avez ensuite un convoi de banlieue à neuf heures et quelques minutes et vous arrivez en deux heures et demie, c'est-à-dire à onze heures et demie, ou à midi moins le quart. Est-ce là une organisation qui répond aux besoins des populations ?

La nouvelle organisation a aussi eu un résultat désastreux pour le trésor. Si j'examine l’état des recettes, je vois qu'elles ont singulièrement diminué. Ainsi, voici quel a été le produit du chemin de fer depuis 1862 :

En 1862, le chemin de fer a rapporté 29,550,000 fr., en 1863 31,100,000 fr., en 1864 32,550,000, en 1865 33,200,000, en 1866 35,300,000 et en 1867 38,800,000. Pour 1868, l'évaluation est de 40,000,000 de francs. On avait donc ce résultat qu'avant la réforme vous obteniez, chaque année, une augmentation considérable. (Interruption.)

(page 120) M. Dumortier. - Vous aviez deux millions d'augmentation tous les ans. Si vous n'aviez pas réduit les tarifs, avec l'augmentation graduelle normale, votre chemin de fer vous rapporterait aujourd'hui 44 millions, et nous n'en recevons que 39. C'est-à-dire que d'après vos évaluations, la recette sera de 5 millions inférieure à celle que vous obtiendriez si la modification du tarif n'avait pas eu lieu.

Cet abaissement de tarif ne fait cependant pas voyager un homme de plus. Celui qui va à de longues distances, y va parce que des motifs l'y appellent. Si vous aviez abaissé les tarifs pour les petites distances, vous auriez pu avoir une énorme augmentation de voyageurs.

M. Bouvierµ. - Il y a cent mille voyageurs en plus.

M. Dumortier. - Croyez-vous donc que c'est parce qu'on payera 5 francs en moins qu'on fera des voyages en Prusse ? Quand on fait les frais d'un voyage à l'étranger, que l'on dépense des milliers de francs, croyez-vous qu'on tienne compte de 5 francs de plus ou de moins ? Ce que vous auriez dû faire, c'est l'inverse de ce que vous avez fait. Il fallait réduire les tarifs pour les petites distances.

Maintenant, je saisirai la Chambre d'une autre question. Il arrive, depuis quelque temps, énormément de malheurs ; chaque semaine, nous voyons des hommes écrasés dans les stations. D'où cela vient-il ? Cela vient de ce système, radicalement faux, qui consiste à réunir dans la même station les marchandises et les voyageurs. En Angleterre, c'est un principe élémentaire qu'il faut deux stations dans une station, l'une pour les voyageurs, l'autre pour les marchandises. Ici, je ne sais quel mauvais génie a fait que les marchandises et les voyageurs sont réunis dans une même station.

Je demande que le gouvernement modifie ce système et qu'il se préoccupe un peu de la vie des voyageurs et des ouvriers qui sont employés dans les stations.

MaeVSµ. - Bien que l'honorable M. Dumortier réclamât, il y a quelques instants, la présence de M. le ministre des travaux publics, au fond c'était à moi qu'il en voulait.

M. Dumortier. - Je n'en veux à personne ; je n'ai en vue que l'intérêt public.

MaeVSµ. - C'est à ma gestion comme ministre des travaux publics que vous en voulez.

J'ai quelque droit de m'étonner, messieurs, quand on prétend aujourd'hui discuter cette question si compliquée des tarifs, en l'absence de toute espèce de renseignements.

Je me rappelle que, dans la discussion du budget de 1867, je. me suis occupé de cette question. Pendant deux séances consécutives, j'ai fait passer sous vos yeux une montagne de chiffres ; je. n'ai pas eu l'honneur de rencontrer un contradicteur ; j'ai parlé tout seul. Que s'cst-il passé depuis lors ? Est-il survenu quelque incident qui fasse apparaître, comme le disait hier l'honorable M. Dumortier, le gouffre béant du déficit du chemin de fer ?

Le gouvernement a promis de fournir à la Chambre, en temps opportun, un rapport détaillé sur tout ce qui concerne le service des voyageurs ; mais, en attendant ce rapport, je puis, à l'aide des relevés publiés mensuellement par le Moniteur, indiquer en deux mots quelle est la situation. L'honorable M. Dumortier parle de recettes décroissantes, de déficit, de situation désastreuse ; il n'avait qu'à ouvrir le journal officiel et il aurait pu facilement vérifier ce qui en est. J'ai fait ce travail pour lui, et en voici la conclusion.

Je compare la période présente à la période qui est naturellement indiquée comme terme de comparaison, à l'année antérieure à la réforme, à l'exercice 1865.

Je prends les neuf premiers mois de ces deux exercices, les seuls dont on connaisse les résultats officiels pour 1868, et voici ce que je trouve.

En 1865, pendant les neuf premiers mois, il y a eu un mouvement de 8,009,000 voyageurs.

Pendant la même période de 1868, c'est-à-dire dès la troisième année après la réforme, le nombre des voyageurs monte à 9,802,000, différence 1,800,000.

M. Dumortier. - Quelle était la progression annuelle auparavant ?

MaeVSµ. - J'aurai l'honneur de répondre à tout ce que l'honorable M. Dumortier voudra bien me demander. Je le prie seulement de poser ses questions successivement.

La recette pour les 9 premiers mois de 1865 été de 10,465,000 fr. et pour les 9 premiers mois de 1868 de 10,765,000 fr., soit une augmentation de 300,000 fr.

Voilà, messieurs, la situation.

M. Dumortier. - Au lieu de 2 millions par an que le chemin de fer aurait rapportés de plus sans la réforme.

MaeVSµ. - Je vais donner un mot d'explication sur ce que l'honorable M. Dumortier appelle la progression annuelle. L'honorable membre s'imagine que, si l'on remonte à quelques années dans l'histoire du chemin de fer, on trouve chaque année une certaine augmentation régulière de mouvement tant pour les voyageurs que pour les marchandises et une augmentation correspondante de recettes.

C'est là une grande erreur. Il n'y a pas deux années qui se ressemblent, et l'on ne peut établir une progression moyenne qu'en faisant des calculs sur une période de plusieurs années, car il y a des années qui, soit pour les marchandises, soit pour les voyageurs, se présentent en déficit sur les années antérieures, en dehors de toute espèce de réforme.

Une. progression moyenne, lorsqu'on calcule sur une plus ou moins longue période d'années, se produit spécialement pour les voyageurs, soit. Et d'où provient cette progression ? Evidemment, en partie, de l'accroissement de la richesse nationale, mais aussi et principalement, je pourrais en apporter et j'en apporterai la preuve quand il le faudra, aux améliorations de service introduites par l'administration dans l'exploitation des chemins de fer.

C'est ainsi que cette année 1865, avec laquelle je viens d'établir une comparaison, a été une année prospère entre toutes, parce qu'elle coïncide avec une série d'améliorations introduites dans le service et dont je donnerai la nomenclature quand on le voudra.

Qu'on ne parle donc pas de progression normale, car cette progression, j'entends celle qui se produit indépendamment de toute amélioration de service, est très faible et fort capricieuse. La question est aussi de savoir s'il y a des raisons de croire qu'en l'absence de modifications de service et de réformes, l'année 1868 aurait été signalée par cette progression extraordinaire due à l'accroissement de la richesse nationale.

Je dis hardiment que non.

En comparant 1868 à 1865, j'ai le droit de constater que 1868 est une année médiocre. Elle a été signalée, personne ne le contestera, par une double, crise, une crise alimentaire et une crise industrielle.

De plus, messieurs, elle a été signalée par l'ouverture d'une série de lignes concédées, qui ont opéré un détournement assez considérable de voyageurs au détriment du réseau de l'Etat.

Enfin, messieurs, elle a été signalée également, par l'ouverture de lignes exploitées par l'Etat et dont le résultat a été de diminuer, dans des proportions sensibles, les recettes du trésor.

L'année 1868 est donc relativement mauvaise. Nonobstant, nous avons pour les neuf premiers mois de cette année, sur la période correspondante de 1865, une augmentation, comme mouvement, de 1,800,000 voyageurs, et, comme recettes, de 300,000 fr.

Ces résultats ont-ils coûté de grands sacrifices ? Vous venez d'entendre les critiques que l'honorable M. Dumortier élève contre l'administration ; il dit que non seulement on a diminué le nombre des trains, mais qu'on a beaucoup trop diminué ce nombre, en quoi il se trompe. La vérité est que le service n'a pas été amplifié, c'est-à-dire que les dépenses ne se sont pas accrues, et j'ai le droit de conclure en disant que les résultats que je viens de faire connaître, en ce qui concerne le mouvement et la recette des voyageurs, et qui, selon moi, sont excellents, ont été obtenus sans augmentation de dépenses.

Je dis que ces résultats sont excellents, parce que, quand il s'agit de réformes de cette nature, on a le droit de demander qu'on suspende son jugement jusqu'après l'écoulement d'un temps plus ou moins long. En effet, messieurs, en matière commerciale et industrielle, en matière d'exploitation de chemins de fer, on ne crée pas de nouveaux courants du jour au lendemain.

Eh bien, quand, dans une année relativement mauvaise, on arrive aux résultats que je viens d'indiquer, j'ai le droit de prétendre que la situation est magnifique.

Je dis donc que la réforme a été excellente et j'ajoute que si, pour beaucoup d'autres réformes, on était sûr d'atteindre les mêmes résultats, on n'hésiterait pas à les entreprendre.

En 1867, j'ai indiqué comme exemple de réforme ne donnant pas du jour au lendemain des résultats pécuniaires satisfaisants, la réforme postale.

J'ai démontré qu'au bout de 20 ans, on n'avait pas atteint la recette qu'on aurait eue si l'on n'avait pas réduit la taxe postale uniforme à 10 et à 20 centimes, suivant le rayon.,

Or, messieurs, on réclame encore aujourd'hui l'abaissement de la taxe du second rayon à ce même taux de 10 centimes.

(page 121) Pourquoi l'honorable ministre des finances résiste-t-il ? Parce que dans sa conviction, et je dois dire que je partage cette conviction, il n'est pas permis d'espérer de récupérer le découvert que ce complément de réforme amènerait.

Mais, je le demande, si l'on était sûr de voir dépasser, dans la troisième année après ce nouvel abaissement, le produit qu'on atteint actuellement, qui est-ce qui hésiterait ? Croyez-vous que l'honorable ministre des finances hésiterait ? Qu'est-ce que cela prouve ? Cela prouve que le résultat de la réforme d'après les chiffres que je viens de faire connaître et qui sont encore plus séduisants quand on les décompose, que ces résultats sont bons.

Pourquoi les anciens bonis réalisés par l'exploitation des chemins de fer sont-ils venus à diminuer dans des proportions considérables ; je l'ai également indiqué ; c'est par des causes étrangères à la réforme des tarifs.

Je n'ai jamais rencontré dans cette assemblée de contradicteurs sur ce point. Qu'on discute ces causes, je les ai énumérées tout au long.

J'en ai indiqué du moins une série.

J'ai parlé de l'organisation du service de nuit, de l'exploitation de lignes nouvelles, de l'augmentation des traitements du personnel, de l'organisation des trains de banlieue, etc. Puisqu'on insiste pour discuter cette question, non pas à fond, mais avec des développements qu'elle ne comporte pas pour le moment, qu'il me soit permis d'insister, de mon côté, sur une des causes de la diminution des bonis ; je veux parler de l'ouverture des lignes nouvelles exploitées par l'Etat.

Messieurs, vous allez comprendre comment l'exploitation de lignes nouvelles est, au point de vue du trésor public, ce que je n'hésite pas à appeler un désastre.

M. Dumortier . - Pourquoi les avez-vous concédées ?

MaeVSµ. - Nous ne les avons pas concédées purement et simplement, nous les avons laissé construire par concession, en réservant l'exploitation à l'Etat lui-même. Et pourquoi en avons-nous autorisé la construction par voie de concession ? Parce que si nous n'avions pas adopté cette combinaison, nous aurions dû concéder ces lignes purement et simplement, ce qui eût été infiniment pire encore. Voila pourquoi nous en avons autorisé la construction en en réservant l'exploitation à l'Etat.

Voici maintenant comment l'ouverture de ces lignes nouvelles est un désastre financier. Je suppose un transport de charbon partant du centre et se dirigeant vers Gand ; je prends, vous le voyez, un grand centre de production et un grand centre de consommation ; et vous savez que les transports entre ces deux points ont des proportions considérables. Antérieurement à l'ouverture de la ligne de Braine-le-Comte à Gand, ces transports se dirigeaient sur Gand par Bruxelles. La taxe était entièrement perçue au profit de l'Etat.

Aujourd'hui la distance se trouve raccourcie, et il se fait que le prix absolu payé par les expéditeurs ou les destinataires est, du chef même du raccourcissement de la distance, déjà diminué. De plus, entre Braine et Gand, ce prix est perçu pour la moitié par la société concessionnaire ; de sorte que l'Etat ne perçoit plus que 50 p. c. pour la majeure partie d'un trajet et par conséquent d'une recette déjà notablement diminuée par le fait de la diminution de. distance entre le point de départ et le point d'arrivée.

Ainsi, là où, pour une tonne de marchandise, l'Etat percevait, antérieurement à l'ouverture de la ligne, de Braine-le-Comte à Gand, une somme de six francs, je suppose, il n'en perçoit plus, pour sa part, que trois aujourd'hui. Or, messieurs, il est aisé de comprendre quelles sont les conséquences financières d'un fait qui exerce son influence sur des quantités énormes de marchandises et de voyageurs transportés. C'est ce qui m'a fait dire, messieurs, qu'au point de vue financier, il en résulte un véritable désastre.

Nous avons ouvert successivement ainsi les lignes de Braine-le-Comte à Gand, de Hal à Ath, et de Blandain à Tournai. Aujourd'hui cette situation est liquidée ; mais vous aurez un nouveau désastre quand la ligne directe de Bruxelles à Charleroi sera ouverte à l'exploitation ; il ne faut pas se faire d'illusion à cet égard.

On me dira : Mais pourquoi concédez-vous ou laissez-vous construire des lignes dont l'exploitation produit de pareils résultats ? Ma réponse, à cette objection est bien simple, messieurs ; c'est qu'il y aurait quelque chose de plus désastreux encore que cette situation ; ce serait de laisser construire et exploiter de pareilles lignes en dehors de l'intervention de l'Etat. Or, en Belgique, où tout le monde est pourvu de chemin de fer, il n'est point possible au gouvernement et aux Chambres de dire : Dans l'intérêt du trésor, nous ne voulons pas qu'il y ait de nouvelle ligne entre les bassin de Charleroi et de Bruxelles, raccourcissant d'une quotité plus ou moins notable la distance actuelle.

Il faut qu'on la fasse ; dès lors il vaut mieux encore la faire dans les conditions que j'ai indiquées que d'en abandonner la concession pure et simple à des particuliers.

Voilà la cause vraie du déficit assez considérable qu'a éprouvé le trésor dans l'exploitation du réseau de l'Etat.

J'ai dit à diverses reprises que cette situation était momentanée, et je le maintiens. Le jour où les lignes nouvelles ont été ouvertes ; le jour où les services de nuit et les trains de banlieue ont été organisés ; le jour où l'on a augmenté les appointements du personnel, j'ai dit que cette situation ne tarderait pas à changer et que les dépenses resteraient désormais sensiblement stationnaires. Messieurs, la chose se vérifie dès cette année.

Il y a, pour 1868, dès à présent, un boni considérable sur le budget, les dépenses réelles de 1868 seront tout au plus égales à celles de 1867, encore que le mouvement et la recette du chemin de fer soit supérieure en 1868 à celle de 1867.

Messieurs, si nous laissons celle situation se développer pendant trois ou quatre ans, j'affirme, pour avoir étudié longuement et de près la question, que les bonis des quatre, cinq et six millions reparaîtront, je ne dirai pas malgré les réformes, mais peut-être à cause des réformes.

Je me hâte d'ajouter que si c'était malgré les réformes, il faudrait certes se féliciter qu'un pareil résultat ait pu être atteint, au grand bénéfice de la population qui voyage, c'est-à-dire, du public, et les réductions de tarifs se trouveront amplement justifiées.

M. Dumortier. - Messieurs, je ne veux pas développer aujourd'hui toute la question des chemins de fer, puisque la Chambre a manifesté le désir de terminer aujourd'hui le budget des voies et moyens.

Mais il m'est impossible de ne pas faire remarquer tout ce qu'il y a de vicieux dans le système préconisé par M. le ministre des affaires étrangères pour justifier son couvre. Il semble qu'il s'en applaudit ; je le conçois fort bien. Mais il y a un fait qui reste debout : c'est la diminution des recettes.

Comment ! l'an dernier, on nous proposait d'évaluer les recettes du chemin de fera 40 millions. cette année-ci, on est obligé de réduire, cette évaluation à 39 millions. et vous dites que vous avez amélioré la situation ! Mais le budget est la contradiction manifeste de ce que vous dites.

Je soutiens que s'il y a eu peut-être une certaine réduction, à raison des chemins de fer qui ont été créés, nous sommes encore au commencement de cette opération ; et savez-vous ce qui arrivera dans quelques années ?

C'est que, par suite des concessions qui ont été données d'une manière très maladroite, très malheureuse, par M. le ministre des affaires étrangères qui vient de se rasseoir, nous perdrons, dans quelques années, toutes les grandes directions et les principales recettes.

C'est ainsi, par exemple, que, dans peu de temps, toute la relation internationale entre l'Allemagne et l'Angleterre échappera complètement au chemin de fer de l'Etat. Je me réserve de développer cette thèse, lors de la discussion du budget des travaux publics, puisque M. le ministre des finances me convie à ajourner jusque-là mes observations ; et j'espère qu'alors l'honorable ministre qui vient de se rasseoir voudra bien répondre aux remarques si justes et si sagaces qui ont été présentées par mon honorable ami, M. Malou.

MaeVSµ. - Messieurs l'honorable M. Dumortier insiste sur un point que je n'ai pas touché parce que je n'ai pas la prétention de discuter ici la question des tarifs dans tous ses éléments. J'avais simplement le désir de faire valoir quelques considérations à rencontre de celles qu'a produites l'honorable membre, pour démontrer à la Chambre et au pays que la situation du trésor n'est pas aussi désespérée qu'il veut bien le dire.

Mais l'honorable membre revient sur le cadeau qu'on fait aux voyageurs internationaux,

Tout le mouvement de l'Allemagne vers la France jouit de faveurs plus ou moins considérables au détriment du trésor belge, sans qu'il y ait espoir de voir le nombre des voyageurs s'augmenter en proportion telle, qu'on puisse espérer recouvrer la perte provenant de la réduction du tarif.

M. Dumortier. - Ce n'est pas cela que j'ai dit.

MaeVSµ. - C'est cela que vous auriez dû dire.

M. Dumortier. - J'ai dit que la Société Générale d'exploitation, beaucoup plus intelligente, réunit maintenant en un seul réseau différentes lignes, et que, dans un certain temps, le trafic de l'Allemagne jusqu'en Angleterre échappera entièrement aux chemins de fer belges.

MaeVSµ. - Ceci est une tout autre question.

M. Dumortier. - Ah !

MaeVSµ. - Oui. C'est (page 122) une autre question ; vous parlez maintenant de la maladresse qui aurait présidé, car je n'accepte pas le reproche, à certaines concessions.

Eh bien, messieurs, si une faute a été commise, il faut bien que l'honorable M. Dumortier s'en avoue le complice, car le gouvernement n'a jamais possédé le droit de concéder des chemins de fer de son autorité privée.

M. Dumortier. - Ne faites pas retomber vos fautes sur les autres.

MaeVSµ. - Si le gouvernement doit soumettre les projets de loi de concession à la Chambre, c'est évidemment pour que la Chambre les examine et contrôle le gouvernement, qu'elle redresse le gouvernement si celui-ci se fourvoie.

M. Dumortier. - La Chambre n'est pas responsable, ce sont les ministres qui sont responsables. (Interruption.)

M. le président. - M. Dumortier, je vous prie de ne plus interrompre ; une discussion n'est plus possible.

MaeVSµ. - Je reviens maintenant au premier point que l'honorable M. Dumortier a touché hier, s'il n'y est pas revenu aujourd'hui, le cadeau qu'on fait aux voyageurs internationaux.

J'ai déjà déclaré, messieurs, que les voyageurs internationaux étaient dans la pensée de mon département exclus du bénéfice des réductions de tarifs, c'est-à-dire que les relations internationales continueraient, après la réforme, à être soumises aux anciens prix. Et pourquoi ? Mais parce que mon département a fait ce raisonnement : Il est permis d'espérer, pour les relations à l'intérieur du pays, que l'on récupérera sur le nombre ce qu'on perdra sur le prix ; en d'autres termes, qu'on verra le nombre des voyageurs s'accroître plus ou moins considérablement sous l'influence des réductions de tarifs.

Mais pour les relations internationales, cette prévision n'était pas admissible, parce que là le prix total et la longueur du trajet sont tels, en général, qu'on ne peut pas espérer que le nombre des voyageurs s'augmentera dans des proportions suffisantes, si la réduction ne porte que sur une partie du prix et du trajet.

Ainsi, si on fait une réduction de moitié, par exemple, sur le parcours belge pour le trajet de Bruxelles à Berlin, on fait une économie de 5 ou 6 francs ; le prix total étant, par exemple, de 80 ou de 100 francs, il y aurait véritable folie à espérer qu'on apporterait un attrait tel, par cette faible économie sur un prix total aussi élevé, que l'augmentation du nombre des voyageurs serait suffisante, pour couvrir le déficit.

Aussi, messieurs, les relations internationales, je le répète, ont-elles continué à être mises sous le régime des anciens prix. Mais il s'est introduit une pratique que l'administration avait prévue, je peux le dire, cela est consigné aux Annales parlementaires et il aurait fallu être aveugle pour ne pas le voir ; cette pratique, messieurs, consiste à reprendre son coupon à la frontière.

Messieurs, je le répète, cette pratique avait été prévue lors de la réforme, mais peut-être a-t-elle pris des proportions considérables ; cela prouverait seulement que le bénéfice à réaliser par la reprise des coupons à la frontière, a encore assez d'attrait, quelque faible que soit ce bénéfice, pour que la majeure partie des voyageurs internationaux cherchent à se l'assurer, même en subissant l'ennui de la formalité par laquelle il faut passer en ce cas.

Et je n'hésite pas à dire que le déficit qui provient de cette pratique étant une perte sans compensation pour le trésor, il y aurait lieu, si ce déficit a une importance réelle, de chercher à la couvrir en modifiant le mode d'application du système de réduction aujourd'hui en vigueur. Dans cette hypothèse, je serais le premier à conseiller pareille modification. Ainsi en substituant, par exemple, la délivrance des billets d'aller et retour à la réduction directe, qui est le système aujourd'hui pratiqué, la réforme dans ces conditions resterait debout, car le mode de mise en œuvre est chose accessoire.

Mais en ne délivrant que des coupons d'aller et retour, devant rentrer dans les deux, trois ou quatre jours, vous excluriez par le fait les voyageurs internationaux, et si de la démonstration qui résulterait de la statistique que l'administration dresse en ce moment, il suit que le trésor fait une perte de quelques centaines de mille francs, j'estime qu'il serait sage de substituer le mode nouveau d'application que j'indique à celui qui est actuellement en usage. Je soutiens que celui-ci est meilleur en principe, mais il faut tenir compte des faits, s'ils venaient à être constatés. Je le répète, ce nouveau mode de tarification laisserait entier et intact le système de réduction que j'ai introduit, puisque je suppose naturellement que les bases en seraient maintenues.

M. Vilain XIIIIµ. - Je ne veux pas entrer dans la question qui vient de provoquer un duel oratoire entre M. Dumortier et M. le ministre des affaires étrangères. Je désire appeler l'attention de M. le ministre des travaux publics sur la position du Limbourg en relation avec le chemin de fer de l'Etat.

Dans le Limbourg, nous n'avons pas de chemin de fer exploité par l'Etat. Nous avons un tronçon qui va de Landen à Hasselt et un autre tronçon qui va de Louvain à Maestricht. Ces deux tronçons sont exploités par le Grand-Central.

Je crois qu'il n'y a pas de traité fait entre l'Etat et le Grand-Central. Car on ne peut pas prendre des billets pour se rendre de Bruxelles aux stations intermédiaires ou des stations intermédiaires à Bruxelles. Si l'on part de Bruxelles, il faut y prendre un billet pour Hasselt ou pour Louvain. A Hasselt ou à Louvain, il faut descendre du convoi pour aller prendre un billet et faire enregistrer de nouveau ses bagages. Souvent le train part pendant qu'on se livre à ces opérations.

Ainsi, il m'est arrivé à moi (je demande pardon de parler de moi ; mais je connais mes affaires mieux que celles des autres) ; il m'est arrivé, dis-je, cet été, trois aventures. Une fois, j'ai été obligé de coucher à Louvain. J'ai logé dans un estaminet sur la place de la Station. Une autre fois, j'ai été obligé de laisser mes bagages à Louvain. Une autre fois, quatre Français qui venaient chasser chez moi et qui avaient pris à Bruxelles des billets pour Hasselt, parce qu'on ne voulait pas leur en donner pour Lanaeken, qui est la gare où l'on s'arrête pour venir chez moi, sont descendus à Hasselt pour prendre d'autres coupons. Pendant ce temps, le train est parti et ils ont été forcés de faire le pied de grue pendant quatre heures dans la station de Hasselt.

On avouera que c'est là une situation intolérable. Il suffirait, pour y remédier, que M. le ministre des travaux publics se mît d'accord avec, le Grand-Central et qu'on distribuât des coupons à Bruxelles pour les stations intermédiaires du Limbourg, et, dans les stations intermédiaires, pour Bruxelles. Ce n'est pas plus difficile que cela.

Je recommande cette question à la sollicitude de M. le ministre des travaux publics, parce que, en définitive, les Limbourgeois sont vexés.

MtpJµ. - L'honorable vicomte Vilain XIIII se trompe, s'il suppose que le gouvernement n'a pas fait de convention avec le Grand-Central pour le service des voyageurs. Il n'est pas de compagnie importante de chemin de fer avec laquelle le gouvernement n'ait pas pris les arrangements nécessaires pour permettre aux voyageurs partant de Bruxelles de prendre des coupons pour toutes les stations ayant des relations un peu importantes.

Il est possible que la station de Lanaeken soit comprise parmi celles qui n'ont qu'un mouvement de voyageurs tellement insignifiant, que le gouvernement et les compagnies ont reconnu l'impossibilité d'établir avec ces stations des relations directes. Quoi qu'il en soit, j'étudierai la question de la station de Lanaeken, et s'il est possible de faire droit à la réclamation de l'honorable vicomte Vilain XIIII, je le ferai avec grand plaisir.

Messieurs, puisque j'ai été amené à prendre la parole pour répondre à l'honorable vicomte Vilain XIIII, j'ajouterai deux mois à la réponse si péremptoire que mon honorable prédécesseur a faite aux critiques de l'honorable M. Dumortier.

L'honorable M. Dumortier a signalé avec une assurance étrange les modifications apportées, selon lui, à l'exploitation de nos chemins de fer.

Le gouvernement, voyant les résultats de la réforme ne pas répondre à son attente, aurait réduit considérablement le nombre des trains et a imposé par là aux voyageurs des embarras de toute espèce.

Je regrette que l'honorable M. Dumortier n'ait pas pris la peine de lire le compte rendu des opérations du chemin de fer en 1867. Il eût vu dans ce compte rendu que le nombre de trains-kilomètres en 1867 a été de 9,898,705 au lieu de 8,864,131 en 1865, année qui précède la réforme. (Interruption.)

L'honorable M. Dumortier a appelé l'attention du gouvernement sur les nombreux accidents qui arrivent dans les stations. Je regrette qu'ici encore l'honorable M. Dumortier n'ait pas produit de chiffres à l'appui de ses allégations.

Nous n'avons pas plus d'accidents aujourd'hui qu'à aucune autre époque.

L'honorable. M. Dumortier indique, il est vrai, en terminant ses observations la source de ces accidents ; ils proviennent, selon lui, d'une seule cause, c'est qu'il n'y ait pas de stations séparées pour les voyageurs et pour les marchandises. Voilà ce qu'il voudrait voir le gouvernement établir à Tournai en renonçant à des projets qui n'ont pas le bonheur de lui plaire ; mais je regrette de devoir annoncer à l'honorable M. Dumortier qu'il n'en sera pas ainsi et que, le 9 décembre, je mettrai en adjudication les travaux de terrassement de la nouvelle station de Tournai.

(page 123) M. Dumortier. - Je demande la parole.

M. le président. - M. Dumortier demandant à parler pour la quatrième fois sur la question, je dois demander à la Chambre si elle consent à ce que j'accorde de nouveau la parole à M. Dumortier ?

M. Dumortier. - Ce ne sont pas les menaces de MM. les ministres...

M. le président. - Vous n'avez pas la parole ; avant de vous la donner, je devais consulter la Chambre.

La Chambre consent à ce que je vous accorde la parole.

M. Dumortier. - J'y renonce.

- L'article « Chemin de fer » est mis aux voix et adopté.


« Télégraphes électriques : fr. 1,150,000. »

- Adopté.

Enregistrement et domaines

« Domaines (valeurs capitales) : fr. 1,100,000. »

- Adopté.


« Forêts : fr. 900,000. »

- Adopté.


« Dépendances des chemins de fer : fr. 110,000. »

- Adopté.


« Etablissements et services régis par l'Etat : fr. 250,000. »

- Adopté.


« Produits divers et accidentels, y compris ceux des examens universitaires : fr. 500,000. »

- Adopté.


« Revenus des domaines : fr. 580,000. »

- Adopté.

Travaux publics

« Abonnements au Moniteur, etc., perçus par l'administration des postes : fr. 25,000. »

- Adopté.


Prison

« Produits divers des prisons (pistoles, cantines, vente de vieux effets) : fr. 75,000. »

- Adopté.

Trésorerie générale, etc.

« Produits de l'emploi des fonds de cautionnements et de consignations : fr. 1,000,000.

« Produits des actes des commissariats maritimes : fr. 70,000.

« Produits des actes de chancellerie : fr. 4,000.

« Produits des droits de pilotage : fr. 950,000.

« Produits des droits de fanal : fr. 250,000.

« Part réservée à l'État, par la loi du 5 mai 1850, dans les bénéfices annuels réalisés par la Banque Nationale : fr. 400,000.

« Ensemble : fr. 2,674,000. »

MfFOµ. - Messieurs, après l'article « Produits des droits de fanal », je propose d'introduire, sous le titre de « Fabrication de monnaies de cuivre », un article s'élevant a 315,700 fr.

La Chambre se souvient que, lors de la discussion du budget des finances, un crédit a été demandé pour la fabrication de monnaies de cuivre. Le produit de cette fabrication est évalué au chiffre que je viens d'indiquer.

Cela diminuera d'autant le déficit qui a tant ému l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu, en attendant que je puisse soumettre à la Chambre d'autres mesures pour améliorer notre situation.

- L'amendement est mis aux voix et adopté.

Discussion du tableau des recettes (IV. Remboursements)

Contributions directes, etc.

« Frais de perception des centimes provinciaux et communaux : fr. 200,000.

« Remboursements, par les communes, des centimes additionnels sur les non-valeurs des contributions directes : fr. 35,000.

« Ensemble : fr. 235,000. »

- Adopté.

Enregistrement et domaines

« Reliquats de comptes arrêtés par la cour des comptes. Déficit des comptables : fr. 15,000.

« Recouvrements d'avances faites par les divers départements : fr. 600,000. »

- Adopté.

Prisons

« Recouvrements d'avances faites par le ministère de la justice aux ateliers des prisons, pour achat de matières premières : fr. 1,250,000.

« Abonnement des provinces, pour réparations d'entretien des maisons d'arrêt et de justice, achat et entretien de leur mobilier : fr. 21,000.

« Ensemble : fr. 1,271,000. »

- Adopté.

Trésorerie générale, etc.

« Remboursement, par les provinces, des centimes additionnels sur les non-valeurs des contributions directes : fr. 20,000.

« Recettes accidentelles : fr. 100,000.

« Abonnement des provinces pour le service des ponts et chaussées : fr. 76,000.

« Prélèvement sur les fonds de. la masse d'habillement de la douane, à titre de remboursement d'avances : fr. 9,000.

« Prélèvement sur les fonds de la caisse générale de retraite, à titre de remboursement d'avances : fr. 1,000.

« Recette du chef d'ordonnances prescrites : fr. 40,000.

« Ensemble : fr. 246,000. »

- Adopté.

Discussion des articles

Article premier

« Art. 1er. Les impôts directs et indirects existant au 31 décembre 1868, en principal et centimes additionnels ordinaires et extraordinaires au profit de l'Etat, ainsi que la taxe des barrières non supprimées, seront recouvrés, pendant l'année 1869, d'après les lois et les tarifs qui en règlent l'assiette et la perception. »

- Adopté.

Article 2

« Art. 2. D'après les dispositions qui précèdent, le budget des recettes de l'Etat, pour l'exercice 1869, est évalué à la somme de 174,691,700 fr.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Messieurs, la Chambre a compris qu'en critiquant l'exagération du chiffre du budget des voies et moyens, je n'ai pas eu l'intention de dire que le gouvernement n'avait besoin d'aucune ressource pour remplir son office.

Je voterai donc le budget des voies et moyens sous la réserve des critiques que j'ai présentées à la Chambre et avec l'espoir qu'en examinant les budgets des dépenses, nous parviendrons à ajouter quelques sommes à celles que vient de nous indiquer M. le ministre des finances, comme devant alléger notre découvert.

M. Bouvierµ. - C'est un mea culpa.

- Adopté.

Article 3 (nouveau)

M. le président. - Vient maintenant l'article 3 nouveau, présenté par l'honorable ministre des finances et adopté par la section centrale. II est ainsi conçu :

« Art. 3 (nouveau), § 1er. L'amende comminée par la loi du 27 juin 1842, article 32, cinquième alinéa du paragraphe 16, est encourue par le distillateur qui refuse aux employés du gouvernement, pendant qu'ils effectuent l'exercice de son usine, l'accès de l'une ou de l'autre des parties ou dépendances de celle-ci.

« § 2. La même amende est appliquée si le distillateur refuse, aux employés, munis d'une autorisation spéciale du contrôleur, de faire ou de laisser démonter l'un ou l'autre des appareils ou ustensiles dont l'emploi ou la destination ne serait pas justifiée. »

- Adopté.

Article 4 (nouveau)

M. le président. - Il nous reste à nous occuper de l'amendement de l'honorable M. Delcour :

« A partir du 1er janvier 1869, le droit de débit de boissons alcooliques et le droit de débit de tabacs cesseront d'être compris dans le cens électoral, pour la province et la commune. »

(page 127) M. Kervyn de Lettenhove. - Dans la séance d’avant-hier, M. le ministre des finances, en terminant son discours, appelait les sérieuses méditations des membres de la législature sur les moyens de lutter contre l’abus déplorable des boissons alcooliques.

Je viens répondre à cet appel et j'ai d'abord à constater que le gouvernement reconnaît la gravité du mal et qu'en même temps il se déclare impuissant à le combattre.

Certes, messieurs, autant que M. le ministre des finances et peut-être plus que lui, je suis convaincu qu'il ne faut pas trop demander à l'action exclusive du gouvernement ; il y a une action plus utile et plus efficace : c'est celle qu'exerce chacun de nous, pénétré de son devoir, lorsqu'il cherche à améliorer et l'état de la société et l'état des individus qui la composent.

Je suis convaincu que, dans la grave question qui nous préoccupe, il faut beaucoup demander à l'œuvre des idées moralisatrices, parmi lesquelles se placeront toujours au premier rang les idées religieuses, et je rappellerai ici ce mémorable exemple emprunté à l'histoire moderne qui nous montré, dans la libre et industrielle Angleterre, la seule parole d'un pauvre capucin atteignant ce grand et admirable résultat de réduire de moitié la consommation de toutes les boissons fortes.

J'espère qu'en Belgique l'influence religieuse ne faillira pas non plus à sa tâche et que, sur ce terrain du moins, elle ne trouvera pas le gouvernement hostile.

Mais est-ce à dire que le gouvernement n'a rien à faire ? Ce n'est pas l'opinion de M. le ministre des finances, j'en trouve la preuve et dans l'appel qu'il nous a adressé et surtout dans le mémoire qu'il a mis sous nos yeux.

Un mot sur ce mémoire. Certes c'est un travail très consciencieux auquel je rends volontiers hommage, mais je regrette d'y constater une lacune, considérable et ensuite deux étranges contradictions.

La lacune, la voici : c'est qu'après avoir déroulé le sinistre tableau des ravages produits dans tous les pays de l'Europe par ce fléau des temps modernes qu'on appelle d'un mot nouveau, « l'alcoolisme », ce mémoire garde un silence complet sur la Belgique, sur les ravages de ce fléau parmi nous et sur les remèdes proposés tour à tour et par les autorités administratives et par les chambres de commerce, organes naturels de l'industrie et du travail.

Nous savons tous, messieurs, par les écrits des économistes, combien les ravages de ce fléau ont été profonds et terribles chez d'autres nations. Ainsi, pour ne toucher qu'un seul point, l'extension si rapide des maladies mentales, nous n'ignorons pas que la part qu'on y attribue à l'alcoolisme, s'est élevée en Allemagne à 30 p. c., à 50 p. c. en Suède, à 80 p. c. pour la Russie.

Tout cela est, à coup sûr, intéressant ; mais, ce qui le serait bien plus, ce serait de connaître quelle est la part qu'il faut lui attribuer en Belgique, A ce sujet, nous ne possédons que des renseignements très vagues. Tout ce que je puis dire, c'est que, m'étant adressé personnellement à un médecin dirigeant un dépôt d'aliénés, il m'a affirmé que, dans une période de treize années, l'accroissement des ravages de l'alcool avait été dans une proportion de 19 p. c.

Or, il s'agissait d'un pays agricole ; mais dans les pays industriels la progression a sans doute été plus considérable encore.

Si les tableaux que nous avons sous les yeux, si les détails que le gouvernement nous donne suc ce qui se passe dans les pays voisins, offrent quelque chose de si sinistre et de si profondément douloureux, nous ne pouvons pas oublier que notre situation n'est pas meilleure.

Nier le mal, ce n'est pas le guérir. Il faut avoir le courage de découvrir et de sonder la plaie pour y apporter le remède.

Il faut bien le dire, notre situation en Belgique est pire que celle de la France, elle est pire qu'en Angleterre, elle est pire que dans les Pays-Bas. (Interruption.)

En effet, messieurs, dans les Pays-Bas, le nombre des débits de boissons ne s'élevait en 1860 (dernière date des relevés officiels) qu'à 33,000, et nous voyons qu'à la même époque il atteignait en Belgique le chiffre de 75,000 ; de telle sorte que la proportion du nombre des débits de boissons à celui des habitants était à peu près en Belgique moitié en sus de ce qu'elle était en Hollande : 10 p. c. en Hollande ; 15 p. c. en Belgique.

Je disais tout à l'heure que le mémoire distribué par le gouvernement, quels que fussent les renseignements précieux qu'on y rencontre, offrait deux contradictions ; je vais les indiquer : c'est, d'une part, qu'en rappelant avec quelle vivacité l'on a insisté de tous côtés sur l'urgente nécessité de combattre l'abus des boissons fortes par des mesures énergiques émanant des pouvoirs publics, on n'arrive néanmoins à aucune conclusion pratique ; et, d'autre part, c'est qu'après avoir déclaré qu'on est unanime pour constater le mal, on cherche à l'atténuer en alléguant que la consommation en Belgique n'a rien d'excessif et qu'on ne peut pas même constater qu'elle se développe notablement.

Je crois, messieurs, qu'ici il y a une erreur, et je demande à la Chambre de mettre très brièvement sous ses jeux quelques chiffres qui lui permettront d'apprécier l'intensité et la progression du mal.

De 1856 à 1866, c'est-à-dire pendant une période de 10 ans, le chiffre de la consommation des boissons fortes s'est élevé de 234,000 à 400,000 hectolitres environ. Je sais que M. le ministre des finances a élevé certaines objections sur l'interprétation de ces chiffres à cause de l'emploi des alcools dans l'industrie. Mais l'une de nos dernières sections centrales a fait remarquer qu'il y a un autre critérium, un autre point d'appréciation ; c'est le développement du nombre des débits de boissons. Et ici encore les chiffres ont toute leur éloquence.

Ainsi, en 1847, il n'y avait que 40,300 débits ; en 1857, il y en avait 61,600, c'est-à-dire 50 p. c. de plus ; et en 1867, nous en trouvons 95,767, c'est-à-dire qu'à une augmentation de 50 p. c. dans une première période décennale, a succédé, dans la seconde période, une nouvelle, augmentation qui n'est pas inférieure à 56 p. c. Et en même temps, votre section centrale, dont j'invoquais l'opinion, constatait que, dans la période décennale de 1857 à 1866, la consommation s'est élevée de 6 1/4 litres à 8 litres par individu.

Voilà, messieurs, quelle est la situation générale pour le pays ; et cette statistique générale est encore insuffisante et inexacte, car il y a dans le pays des provinces agricoles et des provinces industrielles.

Dans les provinces agricoles, le. cabaret, tenu la plupart du temps par des hommes qui cultivent la terre ou qui exercent quelque métier, n'est le plus souvent qu'un lieu de délassements honnêtes, où l'on se réunit le dimanche, où l'ouvrier se repose de ses travaux de la semaine ; mais dans les districts industriels, tout débit de boissons fortes est un lieu où s'absorbe le salaire dans de honteuses orgies ; et si, d'une part, il faut être indulgent pour les légitimes plaisirs d'une vie rude et laborieuse, d'autre part, il faut réserver toutes vos sévérités pour les taudis infects où l'ouvrier abdique ses devoirs et sa dignité.

Si, abandonnant les bases un peu confuses de ces indications, vous descendez jusqu'au fond de la question, si vous portez vos études et vos recherches sur une partie spéciale du pays, par exemple sur la province de Hainaut, province éminemment industrielle, vous arrivez à ce résultat que si pour la Belgique entière le nombre des débits de boissons est dans la proportion de 19 sur 1,000 habitants, dans le Hainaut, il est de 40 débits par 1,000 individus, c'est-à-dire qu'il atteint une proportion à peu près double pour un même nombre d'habitants, et ce nombre tend toujours à s'accroître, car en deux années, de 1864 à 1866, il s'est élevé de 10 p. c.

Messieurs, si mes renseignements sont exacts, les choses en sont même arrivées à ce point que, dans les communes exclusivement industrielles de cette province, on rencontre un débit par 15 à 20 habitants !

Voilà quelle est la situation dans le Hainaut. Et à cette occasion, il m'est impossible de ne pas jeter un coup d'œil douloureux sur les événements qui se sont passés naguère, et de ne pas rappeler ici la triste nécessité où l'on a été, dans l'intérêt de la loi et de l'ordre public, de faire verser le sang-belge par des mains belges. C’est aux débits de boissons que j'ai le droit de faire remonter la responsabilité de ces scènes lamentables.

Je suis persuadé que si la législature portait une main courageuse et énergique sur cet abus, si elle s'efforçait d'arrêter la dégradation de l'ouvrier, si elle éloignait de lui ce qui amène inévitablement cette dégradation, elle préviendrait puissamment les désordres qui pourraient encore se renouveler.

Messieurs, à cet état de choses quel est le remède ? Je l'ai consciencieusement indiqué l'année dernière (et je persiste à croire que c'est le seul remède à employer par le gouvernement pour parer efficacement au mal), c'est de frapper par l'impôt la consommation des boissons alcooliques et en même temps de dégrever la bière. Selon moi, cela n'est pas contestable. Dans toutes les lois financières, on doit se proposer deux choses : c'est de dégrever ce qui est nécessaire et ce qui est utile, et de frapper ce qui est nuisible et mauvais.

Ce principe est celui de toutes nos lois financières. La loi de 1821, qui a réglé les patentes, n'a-t-elle pas déclaré que l'impôt devait reposer sur le (page 128) bénéfice de chaque industrie, mise en rapport avec son utilité plus on moins grande ?

Eh bien, messieurs, je demande a la Chambre quelle est l’utilité plus ou moins grande que présente la consommation des boissons fortes. Si d'une part il faut alléger certains impôts, n'est-il pas, au contraire, juste et convenable d'accroître d'autres impôts, alors que cette aggravation doit être un frein, un obstacle à la propagation de ce qui est mauvais ?

Du reste, l'opinion que je soutiens a en sa faveur un grand argument, c'est qu'elle a été comprise et appliquée dans tous les pays étrangers.

En France, il y a un droit de 75 p. c. sur la mise en consommation et un autre droit de 75 p. c. pour le détail.

En Angleterre, on est allé jusqu'à frapper d'un droit de près de 20 fr. le gallon, de telle sorte que la bouteille de gin représente aujourd'hui une valeur de 5 à 6 fr.

Dans les Pays-Bas, on a triplé le droit sur les alcools ; on est arrivé à ce résultat, non pas de combattre complètement le mal, mais du moins de l'arrêter dans une certaine mesure, en même temps que le trésor s'est enrichi de plusieurs millions.

J'ai recherché avec quelque curiosité, dans le mémoire qui a été mis sous nos yeux, l'appréciation de ce qui s'est passé dans le royaume des Pays-Bas. Cette appréciation m'a paru incomplète et peut-être peu bienveillante. J'y ai trouvé, il est vrai, l'opinion des états généraux, qui ont vivement insisté sur la nécessité de combattre le mal par ces mêmes moyens ; j'y ai encore trouvé une note où les deux ministres néerlandais MM. Thorbecke et Ollivier déclarent qu'à leur avis c'est le seul remède qui puisse y être apporté ; mais on n'a pas fait ressortir avec assez de soin les résultats qui ont été obtenus dans les Pays-Bas.

Il faut avouer que dans les Pays-Bas on n'a pas obtenu un succès complet ; le fléau de la consommation des boissons alcooliques y existe toujours ; mais il y est relativement bien moins grave, bien moins menaçant que chez nous.

Ainsi, tout à l'heure je signalais ce fait, qui mérite certainement votre attention, que dans un pays où les grandes villes sont des ports de commerce, où le climat rend, d'ailleurs, en quelque sorte nécessaire, à un certain degré, la consommation des boissons fortes, le nombre des débits de boissons ne représente guère que les deux tiers de ce qu'il est en Belgique. J'ai voulu, à côté de ces renseignements officiels, recueillir personnellement quelques-données pratiques. Dans un pays voisin, avec lequel j'ai quelques relations, dans la Flandre, zélandaise qui, malgré une frontière fictive, restera toujours pour nous la Flandre, j'ai demandé qu’on voulût bien faire une modeste enquête, et voici ce qu'on m'a répondu : c'est que depuis que les lois de I864 et 1865 sont en vigueur dans le royaume des Pays-Bas, le prix du litre de genièvre s'est élevé de 33 cents à 48 cents, et le cabaretier est par suite de cette mesure obligé de faire payer un cent de plus le petit verre. Cela a eu pour résultat qu'on consomme moins de genièvre et plus de bière. C'est là, messieurs, selon moi, un résultat excellent : substituer une boisson hygiénique à une boisson délétère, c'est ce que tous nous devons désirer.

J'engage donc le gouvernement belge à profiter de l'expérience de ce qui se fait dans un pays voisin.

Messieurs, je craindrais d'abuser des moments de la Chambre ; j'ai hâte d'arriver à l'amendement de mon honorable ami, M. Delcour.

Je faisais remarquer tout à l'heure combien la progression du nombre des débits avait été considérable pendant ces dernières années et je crois ne pas me tromper en ajoutant que la même progression a existé quant au développement du nombre des débitants de boissons sur les listes électorales.

Il y a, dans ces recherches, une difficulté que vous connaissez tous messieurs, c'est que les tableaux statistiques ne nous renseignent que sur la profession des électeurs appelés à concourir aux élections législatives mais ne nous donnent aucune indication précise sur la profession des électeurs provinciaux et communaux.

Il y a là une difficulté très sérieuse ; mais en examinant les listes des électeurs pour la Chambre, j'arrive à des résultats que vous ne sauriez assez méditer.

Ainsi, en 1845, dans tout le pays, il n'y avait que 1,084 débitants de boissons qui figurassent sur les listes électorales. En 1845, il y en avait 3,895, c'est-à-dire trois fois plus qu'en 1843, et en 1864, il y en avait 11,425, c'est-à-dire trois fois plus qu'en 1849 ; il y a donc là une progression effrayante.

Et lorsqu'on examine l'accroissement du corps électoral de 1849 à 1864, on constate que l'augmentation des électeurs a été de 25,000, et voici comment ils sont subdivisés :

Toutes les professions libérales réunies donnent 359 électeurs ; l'industrie seulement 190 ; la propriété seulement 1,308 ; l'élément agricole 2,301 ; et les débitants de boissons 7,532, c'est-à-dire près du tiers de l'augmentation du corps électoral.

Messieurs, lorsqu'on remarque que le corps électoral communal ne se compose que d'environ 230 à 240 mille électeurs, et que, d'autre part, on voit qu'il existe au delà 95,000 débitants de boissons, on se demande quelle ne doit pas être la part qui revient aux débitants de boissons dans la composition du corps électoral communal.

Certes il y a quelques déductions à faire. Ainsi il est évident que les femmes qui tiennent des débits de boissons ne figurent pas sur les listes électorales. Mais je ne crois pas que ces déductions soient bien nombreuses ; et je ne puis que répéter ce que, dans une autre circonstance, j'avais l'honneur de dire : qu'en recherchant les communes au-dessous de 1,000 âmes, où la taxe est de 12 à 20 florins jusqu'aux grandes communes, où la taxe est de 30 francs, la taxe répond presque partout au cens électoral. On arrive donc nécessairement à cette conclusion, qu'un nombre énorme de débitants de boissons doit se trouver sur les listes électorales communales.

Ainsi, messieurs, dans la province de Hainaut, dont je parlais tout à l'heure, on trouve 43,671 électeurs communaux. Mais il y a 23,074 débitants de boissons.

Il en résulte évidemment que, dans beaucoup de communes et surtout dans les communes industrielles où il est si important de maintenir l'ordre, les débitants de boissons doivent former la majorité du corps électoral communal.

Mais ce n'est pas seulement dans le Hainaut que cet état de choses a frappé l'attention. Il y a peu d'années, un commissaire d'arrondissement du chef-lieu d'une de nos provinces, le commissaire d'arrondissement de Namur, dans un mémoire qui a été mis sous nos yeux, insistait sur la situation de cette province. Je demande à la Chambre la permission de lire seulement quelques lignes de cet intéressant travail :

« Pendant les trois années qui viennent de s'écouler, dit M. Joly, l'accroissement de la population de la province, a été de. 7,620 habitants, et pendant cette courte période, le nombre des débits s'est accru de 579 et a atteint le chiffre de 7,620 patentés. Les documents constatent que l'accroissement de la population, depuis dix-sept ans, a été de 16 1/2 p. c., et que, pendant la même période, l'augmentation du nombre des débits de boissons a été de 80 1/2 p. c. »

M. Joly ajoute (et ceci touche de très près à l'amendement de l'honorable M. Delcour) :

« L'influence du cabaretier sur les élections communales est un côté de la question qui n'est pas moins digne d'intérêt. Il est évident que les cabaretiers peuvent, en se coalisant, faire la loi, que la police des lieux publics souffre de cet état de choses, que bien des administrateurs sont intimidés et craignent pour leur élection. Quelques-uns ont déjà été victimes de l'élément dont je crois devoir constater la trop fréquente prépondérance. Je crois remplir un devoir en signalant le danger qu'il y aurait de laisser dévier de son but l'élection, c'est-à-dire la clef de voûte de la famille communale. Le jour où l'on s'apercevrait que le cabaret est maître du scrutin, l'élection communale perdrait son prestige. »

Je n'entends, messieurs, soulever qu'une seule objection, et je vais l'aborder immédiatement.

J'entends dire qu'en faisant disparaître des listes électorales communales les débitants de boissons, je crée un grand vide, une grande lacune.

Je ne sais, messieurs, si l'on peut appeler sérieusement un vide, une lacune, la suppression d'un élément qui justifie si peu de ses titres. Quoi qu'il en soit, je tiens à déclarer sans hésitation que je suis convaincu qu'il y a dans la vie des sociétés, comme le dit M. de Tocqueville, des heures où il faut introduire dans la direction des affaires des forces nouvelles. Certes le développement de la richesse publique a créé de nouvelles situations, et je serais disposé, pour ma part, à faciliter l'accès à la vie politique (et, avant tout, à l'élection communale qui embrasse des intérêts mieux connus) de cet élément si digne de sympathie qui par un travail persévérant, soit dans l'agriculture, soit dans l'industrie, a conquis la véritable base du cens, l'aisance, c'est-à-dire l'indépendance, qui par sa nature même cherche à s'éclairer et qui, dans les votes qu'elle émet, ne relève que de sa conscience, je crois que nous entrerions ainsi dans une voie bonne et utile.

Il faut d'une main encourager et guider les efforts des classes laborieuses ; mais quand leurs efforts ont péniblement atteint le but, il faut bien en tenir compte.

C'est en arrivant, grâce à vos conseils, au couronnement honorable d'une (page 129) existence rude et bien remplie qu'elles comprendront tout ce qu'elles doivent au pays, et certainement le pays n'aura pas à se plaindre d'elles.

Mais aujourd'hui, on ouvre à deux battants les portes du corps électoral à ceux qui détournent du travail, et le travail les trouve fermées. Voila le système contre lequel je crois devoir protester.

Tous les jours, messieurs, vous vous préoccupez de l'amélioration physique des populations, vous prenez des mesures pour l'hygiène et pour la santé publique, vous voulez régler le travail des enfants, le travail des femmes, faire tout ce que vous pouvez pour rendre à l'homme sa force et sa dignité ; et vous placeriez au-dessus des autres citoyens, en l'associant à la direction des affaires de la commune (et en Belgique, messieurs, la commune est la base de la vie politique) cet élément qui dégrade et l'homme et la femme et l'enfant ; cet élément qui tue les uns et qui étiole ceux qu'il ne tue pas ; cet élément funeste et honteux qui décime notre génération et qui affaiblit déjà celle qui doit naître.

Vous voulez, messieurs, l'instruction, le développement des lumières, le progrès de l'intelligence ; et vous ne voyez pas que dans le corps électoral communal ceux qui couvrent d'épaisses ténèbres l'esprit et la raison de l'homme occupent quatre fois plus de place que toutes les professions libérales réunies. Et tandis que dans une période de 15 ou 16 ans vous constatez que le progrès de l'instruction chez les miliciens est à peine de 3 p. c., vous ne voyez pas que le développement des réceptacles d'excès et d'orgies, où l'homme s'abrutit, tend à représenter, au contraire, une proportion qui n'est pas moindre de 50 p. c.

Mais à coup sûr, l'électoral communal n'est pas sans quelque honneur ni sans quelque influence sur la prospérité et les institutions du pays. A coup sûr, la commune a une mission à remplir. La commune, concourt avant tout, avec tous les pouvoirs publics, au maintien de l'ordre ; et vous voudriez que dans les districts industriels le soin de maintenir l'ordre fût confié à ceux-là mêmes que l'autorité communale doit surveiller toujours et réprimer souvent.

J'aurais encore d'autres observations à présenter ; j'aime mieux les résumer en deux mots.

Il s'agit ici à la fois d'une question d'ordre public et d'une question de moralisation. La poser ainsi, c'est la résoudre, et la Chambre n'hésitera point, je l'espère, à accueillir l'amendement de l'honorable M. Delcour.

(page 123) MfFOµ. - Messieurs, il faudrait, pour répondre à l'honorable préopinant, refaire mot à mot, littéralement, les discours que j'ai prononcés, dans les sessions précédentes, sur les questions dont il vient de s'occuper.

L'honorable M. Kervyn n'a fait que reproduire exactement toutes les considérations, tous les arguments qu'il a déjà invoqués devant la Chambre, lorsqu'il a soutenu cette thèse que le remède par excellence aux abus de l'ivrognerie, consistait à abaisser le droit sur la bière et à augmenter le droit sur le genièvre. Tout ce qu'il a dit à cette époque, il le répète aujourd'hui.

Je crois avoir réfuté immédiatement, d'une manière complète et péremptoire, (page 124) toutes les raisons invoquées par l'honorable M. Kervyn pour essayer de faire prévaloir le système qu'il préconise encore. La Chambre n'attend pas de moi, je pense, que je recommence toute cette discussion. Ce serait vraiment abuser de son temps. (Interruption.)

Aucun des éléments qui ont été produits dans les dernières discussions n'a de valeur pour l'honorable membre ; il ne les discute pas ; il n'en tient aucun compte.

J'ai démontré, à cette époque, quelle était en réalité la consommation du genièvre dans les divers pays, et ce qu'elle était particulièrement en Belgique. Je croyais l'avoir démontré mathématiquement. Pour l'honorable membre, c'est absolument comme si je n'avais rien dit, comme si aucun chiffre n'avait été produit. J'avoue cependant que je ne me sens pas disposé à rentrer de nouveau dans le détail de tous les chiffres que j'ai déjà fournis.

S'agit-il de la Hollande ? Des documents irréfragables, authentiques, qui émanent des autorités mêmes de ce pays, sont consignés dans le rapport que j'ai communiqué à la Chambre. Que dit, à ce sujet, l'honorable membre ? J'ai fait une petite enquête personnelle, à côté de celle du gouvernement. Je me suis adressé à tel ou tel particulier de la Flandre zélandaise, qui m'a donné tel renseignement. J'en conclus que tous les documents officiels ne signifient absolument rien. (Interruption.) L'honorable membre affaiblit, écarte, rejette complètement et systématiquement les documents officiels que j'ai produits, pour s'en rapporter en toute confiance aux renseignements particuliers qu'il a pu recueillir.

M. Kervyn de Lettenhove. - Pas du tout.

MfFOµ. - Que disait jadis l'honorable M. Kervyn ? Que vient-il de répéter encore ? "Voyez l'accroissement considérable du nombre des cabarets : voyez leur progression toujours croissante ; la proportion, qui était relativement modérée autrefois, atteint actuellement un taux considérable.

J'ai eu beau dire, et je répète encore inutilement aujourd'hui : Vous ne prenez pas garde que la taxe qui est qualifiée de débit de boissons ne s'applique pas exclusivement à des cabaretiers ; qu'elle s'applique à un grand nombre d'individus qui se trouvent dans des conditions bien différentes, aux confiseurs, aux pâtissiers, aux aubergistes, en un mot, à tous les établissements qui débitent une. certaine quantité de boissons alcooliques, établissements dont le nombre augmente successivement dans les communes, à raison même de l'accroissement de la population et du développement de la richesse. Ces établissements ne constituent pas les cabarets proprement dits, que vous attaquez.

Je ne parviendrai pas plus, je pense, à convaincre aujourd'hui l'honorable membre que je n'y suis parvenu antérieurement. Il ne tient nul compte de toutes ces distinctions et il insiste sur son remède, qui ne consiste pas seulement à abaisser le droit sur la bière et à augmenter le droit sur le genièvre, mais aussi à priver les cabaretiers du droit électoral.

Quant au premier moyen, je croyais que l'honorable membre aurait été amené à y renoncer par l'exemple des résultats négatifs qu'il a produits en Angleterre. Là, ce même remède a été appliqué. Quels effets a-t-il opérés au point de vue de la restriction de l'abus que l'on poursuit ? Aucun, absolument aucun ! L'enquête le constate de la manière la plus formelle. Que pouvons-nous donc en espérer ici ?

Je dis que l'augmentation du droit sur le genièvre ne peut jamais arriver à représenter par petit verre qu'une quotité si minime, que l'on ne peut en attendre aucune conséquence salutaire sur la consommation. Un pareil remède est complètement inefficace, l'expérience le prouve surabondamment.

L'honorable membre a bien voulu rendre hommage aux documents qui ont été soumis à la Chambre sur la question de l'abus des boissons enivrantes : mais il y trouve une lacune. Il n'y est pas question, dit-il, de ce qui a été tenté en Belgique. L'honorable membre se trompe. J'ai indiqué dans ces documents ce qui a été fait en Belgique. Il y trouvera, pages 279 et 280, deux tableaux faisant connaître le degré comparatif de la moralité, au point de vue de l'ivrognerie, des condamnés qui se trouvaient dans les maisons centrales et pénitentiaires aux époques du 31 décembre 1849 et du 31 décembre 1860.

Il trouvera plus loin l'indication des mesures prises par certaines autorités locales pour réprimer l'ivrognerie, et notamment les règlements arrêtés par la ville d'Anvers, relativement au colportage.

Si l'honorable membre croit que d'autres renseignements seraient utiles, je les fournirai volontiers, si c'est possible.

Tout ceci n'est au surplus, messieurs, qu'une préface, un peu longue, à l'amendement déposé par M. Delcour.

La Chambre se souvient qu'examinant, au début de la discussion, cette question du droit électoral attribué aux débitants de boissons, parce que l'impôt sur le débit des boissons est un impôt direct, j'ai démontré que l'influence électorale que l'on dénonçait était, sinon nulle, tout au moins insignifiante en ce qui touche les élections générales, et qu'au point de vue des fraudes électorales, le droit de débit n'offrait pas plus de facilités et ne présentait pas plus de dangers que les autres catégories de patentes ou la contribution personnelle. J'ai établi qu'il en était de même, à ces deux points de vue, en ce qui concernait les élections communales. Mais, quant à ces dernières, j'ai dit qu'il était-possible que, pour certaines localités, et particulièrement pour les districts industriels, il y eût quelques mesures à prendre dans l'intérêt de la police locale.

Là, en effet, la population ouvrière est considérable, tandis que le nombre des électeurs y est relativement peu important, et parmi ceux-ci les cabaretiers se trouvent parfois dans une.trop forte proportion. Je disais que, dans ces conditions, leur influence pouvait s'exercer d'une manière fâcheuse pour l'ordre public ; que c'était un point à examiner, et que si les faits signalés venaient à être confirmés, il y aurait lieu d'y apporter quelque remède. J'ajoutais d'ailleurs que je ne prenais à cet égard aucun engagement.

J'avais à peine prononcé ces paroles, que M. Dumortier s'est levé pour faire remarquer à la Chambre que je venais de faire une proposition relativement à cet objet ; que c'était déjà une grande concession sur la prétention que j'avais manifestée, en cette matière, et que ce qu'il y avait de mieux à faire, c'était provisoirement de voter cette proposition. Je reconnais que. l'honorable M. Delcour n'y a pas mis le même sans-façon et n'a pas été jusqu'à m'attribuer une proposition ; il a présenté les choses telles qu'elles s'étaient passées et il a, lui, formulé une proposition. Mais, chose singulière, tout en paraissant s'emparer de l'idée que j'avais émise, il s'en écarte de la plus étrange façon.

Nous nous étions occupés, et je croyais que c'était la seule chose qui appelât l'attention, de l'influence que les cabaretiers pouvaient exercer dans certains collèges électoraux pour la commune, au point de vue de la police locale. Cela seul était en question. Mais l'honorable M. Delcour introduit un amendement qui prive les débitants de boissons du droit électoral en matière d'élections provinciales. Qui a jamais songé à cela au point de vue de la police locale ?

L'honorable membre propose également de ne plus comprendre dans le cens électoral le droit de débit de tabac. Est-ce que ce droit aurait la même influence que le droit de débit de boissons ? Personne n'en a parlé, personne n'y a songé jusqu'à présent ! Vous voyez que les idées qui inspirent l'honorable M. Delcour s'éloignent assez notablement de celles que j'avais moi-même exprimées.

A part même ces raisons, messieurs, je ne puis me rallier à la proposition de l'honorable M. Delcour et j'ajoute que je ne pense pas qu'il puisse en être question au budget des voies et moyens.

Le budget des voies et moyens renferme toutes les lois d'impôt : aux termes de la Constitution, ces lois sont annales ; elles n'ont de force que pour un an ; on peut donc, à l'occasion du budget des voies et moyens, amender toutes les lois d'impôts. C'est affaire de prudence et de sagesse d'examiner ce qu'il convient de faire ainsi par amendement ; c'est à la Chambre à ne se prononcer que si les proposions ont été mûrement examinées, si elle est suffisamment éclairée. Le droit est du moins incontestable.

Mais jusqu'à présent on ne s'était pas imaginé, qu'on pût, par amendement à ce budget, c'est-à-dire à propos d'une loi d'impôt, modifier nos lois organiques, nos lois politiques.

M. Delcourµ. - Je demande la parole.

MfFOµ. - Si un système aussi étrange pouvait prévaloir, rien ne s'opposerait, par exemple, à ce que l'on proposât également de modifier la loi organique de l'armée par le budget des voies et moyens ; cela n'aurait rien de plus étonnant que de voir modifier, à propos de ce même budget, noire loi électorale, loi essentiellement politique.

Remarquez, messieurs, qu'on ne propose, par l'amendement, de modifier aucune loi fiscale ; c'est dans une loi politique que l'on veut introduire des changements, c'est dans la loi électorale, dont il n'est nullement question au budget des voies et moyens.

Je pourrais donc, messieurs, opposer la question préalable à l'amendement de l'honorable membre, et je crois que, s'il ne se ralliait pas à la proposition que je vais faire, je serais obligé d'insister. Je déclare donc que je ne m'oppose pas le moins du monde à ce que l'on examine cette question, à ce qu'elle soit renvoyée aux sections comme projet de loi dû à l'initiative d'un membre de la Chambre. Je ne ferai pas d'opposition réglementaire de ce chef. Je tiens que la Chambre est suffisamment saisie (page 125) par l'amendement qu'a déposé l'honorable membre et qu'on peut le renvoyer aux sections comme projet de loi spéciale. Mais c'est tout ce qu'il est possible de faire actuellement, car, messieurs, on ne pourrait voter sur l'amendement, même s'il était possible de le rattacher au budget des voies et moyens.

Indépendamment des objections que je viens d'indiquer, l'amendement en soulève beaucoup d'autres qui ont une grande importance. Ainsi, pour n'en citer qu'une seule, le proposition porte qu'à partir du 1er janvier 1869, le droit de débit n'entrera plus dans la computation du cens électoral. Si cette disposition était votée dans sa formule actuelle, quelle serait la position de certains électeurs qui vont être ainsi privés de leurs droits, mais qui acquerraient le cens électoral par le payement d'autres contributions à partir du 1er janvier 1869 ? Il leur manquerait la possession antérieure de leurs contributions nouvelles, qu'exigent nos lois électorales comme garantie contre la fraude. N'y a-t-il pas quelques mesures à prendre en leur faveur à raison de la possession antérieure d'une taxe dont on leur retire le bénéfice électoral ? Voilà une question très grave, et qui exigerait un examen approfondi, puisqu'il s'agit de priver des citoyens de leurs droits politiques.

Je signale cette question en passant ; mais il en est bien d'autres encore que l'amendement soulève. Je ne m'y arrête pas autrement pour le moment ; je demande simplement, et je pense que l'honorable M. Delcour se ralliera à cette idée, que sa proposition soit renvoyée à l'examen des sections pour y être examinée spécialement.

Il est, d'ailleurs, une autre raison qui rend cet examen indispensable. Quelle est la pensée qui paraît surtout avoir préoccupé l'honorable M. Delcour ? C'est que, à l'aide des droits de débit, on fait particulièrement de faux électeurs. C'est une des raisons, je suppose, qui lui font comprendre le droit de débit de. tabacs dans son amendement.

Eh bien, j'ai dit à la Chambre que j'avais fait faire une enquête, pour rechercher à l'aide de quels moyens on fait de faux électeurs. J'en communiquerai les résultats à la Chambre, qui aura ainsi tous les éléments d'appréciation sous les yeux. Mais, encore une fois, attendons, pour examiner, que l'enquête soit connue. Cette enquête dira dans quelle proportion la fraude se pratique au moyen de chaque espèce d'impôt ; et s'il est prouvé que le droit de débit sert moins à la fraude que les autres, le principal argument de l'honorable M. Delcour pourrait bien lui faire défaut.

Par toutes ces considérations, je crois donc, messieurs, que l'amendement de l'honorable M. Delcour ne peut être convenablement examiné en ce moment, et je persiste à en demander le. renvoi aux sections.

M. Delcourµ. - Lorsque j'ai développé mon amendement, je savais parfaitement que nos lois politiques ne pouvaient pas être mises en discussion au sujet du budget des voies et moyens ; je n'éprouve, par conséquent, aucune peine, à me rallier à une partie du discours que vient de prononcer M. le ministre des finances. Cependant, il y a un point sur lequel je crois devoir revenir.

Tous, nous voulons une chose, la sincérité dans les élections ; tous aussi nous sommes convaincus que le nombre des cabarets, des lieux où l'on débite les boissons alcooliques, s'est accru dans une proportion telle, que l'opinion publique s'en alarme, que le gouvernement lui-même s'en inquiète, et, je dois le dire, que l'industrie en est elle-même effrayée ; en présence de ces graves considérations, je me dis : Le gouvernement nous permet d'espérer quelque chose, essayons de retirer du débat un moyen d'améliorer notre situation électorale.

Ma proposition a un double but. Elle, touche d'abord au cens électoral, en permettant d'arriver à la suppression de fraudes nombreuses qui se commettent dans les communes ; elle touche ensuite à ce grand intérêt moral que. vous avez entendu tout à l'heure défendre avec un rare talent d'éloquence par mon honorable ami, M. Kervyn.

Tel est le double but que je me suis proposé en présentant mon amendement.

J'ai voulu constater une situation mauvaise, et, la constatation faite, j'ai voulu saisir, dans l'intérêt de la législation, la concession qu'avait faite M. le ministre des finances.

Aujourd'hui, je vois avec plaisir que le gouvernement ne m'oppose pas la question préalable ; c était ma crainte, et je la considérais comme d'autant plus fondée, que, dans une autre circonstance, elle m'avait été opposée, quoique je défendisse un des principes les plus essentiels, les plus fondamentaux, les plus conservateurs de notre régime politique.

Lorsque nous discutions, messieurs, la loi sur les fraudes électorales, j'avais proposé aussi, par voie d'amendement, d'introduire la publicité pour les débats et le jugement des contestations relatives aux droits électoraux. Cette proposition, éminemment utile et propre à réaliser une amélioration certaine dans notre régime électoral, fut écartée par la question préalable.

Dans ce même débat, la Chambre avait à s'occuper des délits commis par suite des nouvelles dispositions votées ; il s'agissait de savoir si les délinquants seraient renvoyés devant le jury comme prévenus de délits politiques ou devant les tribunaux correctionnels. J'avais demandé, par respect pour la Constitution qui est formelle, de déférer ces questions au jury. On m'a écarté, en me disant : « La question viendra naturellement lorsque nous réglerons l'organisation des tribunaux de répression ; lorsque nous nous occuperons de la révision du Code d'instruction criminelle. »

Aujourd'hui, entrant dans la voie qui m'avait été ouverte par M. le ministre des finances, je venais de nouveau vous faire une proposition tendante à sauvegarder un grand intérêt électoral, et je craignais qu'on ne m'écartât encore par un moyen dilatoire. Je suis heureux d'apprendre que M. le ministre des finances consent à discuter ma proposition.

Mais, avant tout, je tiens à rectifier une erreur qui m'a été attribuée. Certains organes de la presse ont supposé que j'acceptais, par mon amendement, le principe développé par M. le ministre des finances, que je considère l'impôt sur le débit des boissons alcooliques comme un impôt direct.

Il n'en est rien, messieurs, mes paroles sont encore présentes à vos esprits : il est inutile que j'insiste ; pas un de vous n'a pu douter de ma pensée.

Je n'ai pas voulu discuter la nature de l'impôt sur le débit des boissons distillées ; j'ai laissé cette question entière, en laissant entendre que le système consacré par la loi de 1838 me paraissait préférable. Il ne faut pas qu'il y ait une équivoque sur un point aussi important.

Mais, messieurs, à côté de cette question qui, je le répète, restait entière, restait la concession faite par M. le ministre des finances ; je m'en suis emparé, et j'en ai fait l'objet de mon amendement.

Messieurs, ne nous effrayons pas trop des conséquences de. mon amendement. A mon avis, il produira un double effet.

En premier lieu, il arrêtera les fraudes en matière électorale. Ce but, messieurs, vous le désirez comme moi.

En second lieu, il diminuera le nombre des cabarets, nombre qui s'accroît, chaque année, dans des proportions effrayantes. Mon amendement, et c'est pour moi l'objet principal, ma proposition contribuera à l'amélioration du peuple.

Je reconnais, sans peine, qu'une disposition législative de cette importance ne puisse être votée qu'après un examen approfondi. Il s'agit d'un des grands intérêts politiques du pays. Il est de notre devoir de l'étudier avec soin, afin de pas céder à des illusions passagères. C'est ce qui me décide à me rallier à la proposition de M. le ministre des finances.

Je consens donc à ce que l'amendement soit renvoyé aux sections, qu'il soit discuté comme un projet de loi, mais je demande, en même temps, que cet examen ne soit pas ajourné indéfiniment.

Si les sections s'en occupent promptement, la Chambre pourrait avoir pris une décision avant l'époque ordinaire de la confection des listes électorales.

C'est au mois d'avril que les autorités communales sont appelées à réviser ces listes.

Vous paraissez convaincus, messieurs, qu'il y a quelque chose à faire, marchons en avant et cherchons ensemble à améliorer le plus possible les bases fondamentales du système électoral.

MfFOµ. - Messieurs, nous voilà d'accord, M. Delcour et moi.

M. Delcourµ. - Sur la forme.

MfFOµ. - Sur la forme, évidemment, c'est-à-dire pour le renvoi à l'examen des sections. L'honorable membre s'est félicité de ce que la question préalable n'ait pas été posée, semblant dire que, dans d'autres circonstances, il avait considéré comme une sorte de censure ce moyen parlementaire de faire tomber une proposition qu'il avait émise.

Je m'étonne qu'un esprit aussi judicieux que celui de M. Delcour ait donné un pareil caractère à la question préalable, qui n'est que l'invocation d'un droit formel, résultant soit de dispositions constitutionnelles, soit de dispositions réglementaires de la plus haute importance.

Il n'y a rien d'offensant dans la question préalable ; elle signifie simplement qu'il n'y a pas lieu, pour le moment, de délibérer sur tel objet.

Que signifiait la question préalable lorsque vous vouliez introduire dans nos lois le principe de la publicité des délibérations des députations permanentes ? Cela signifiait simplement que ce n'était pas le moment de s'occuper de cet objet. Mais vous n'êtes pas pour cela privé de votre droit : faites une proposition, déposez-la sur le bureau, et elle sera examinée. La question préalable ne pourra dès lors y être opposée, et, dans les (page 126) conditions où l'on a cru devoir l'invoquer, il n'y avait pas lieu de vous en offenser.

Maintenant, je ne m'oppose pas, par la raison toute simple que M. Delcour se rallie à ma proposition, à l'examen en sections de l'amendement qui est déposé.

L'honorable membre a paru supposer, bien à tort, que nous étions aussi d'accord sur le fond. Nos vues sont fort différentes.

Pourquoi introduisez-vous dans votre amendement les élections provinciales ? C'est dans l'intérêt de la police locale, dit l'honorable M. Delcour, que je fais ma proposition. Mais en quoi la police locale est-elle engagée dans les élections provinciales ? Cela n'a rien de commun.

Voilà une extension que vous donnez à votre amendement et sur laquelle vous ne vous expliquez pas du tout ; c'est ce qui m'amènera à le combattre.

Vous y introduisez également le droit sur le débit de tabac. Pourquoi ? Il est impossible de concevoir quel mal cela peut faire au point de vue de l'ordre. Ainsi donc, nous ne sommes pas du tout d'accord sur le fond.

Je consens à examiner l'influence que le nombre plus ou moins considérable d'électeurs cabaretiers peut exercer au point de vue communal et de la bonne police dans les communes. Nous rechercherons si, en effet, il y a des inconvénients graves, des inconvénients sérieux qu'il convient de faire disparaître. S'il est constaté que ces inconvénients existent, s'ils sont assez importants, s'ils ont assez de généralité pour motiver une interdiction qui est grave en soi, on prendra la mesure. Sinon, non ! Je ne pense pas que je me rallie à une mesure qui ne serait pas suffisamment justifiée. Je n'admets pas qu'on prive du droit électoral ceux qui en sont investis, lorsqu'aucune espèce de nécessité sociale ne le commanderait.

Ce n'est pas, je le répète, à raison des facilités que l'on s'imagine trouver dans le droit de débit pour la création de faux électeurs, que l'on pourrait justifier une mesure aussi radicale. A ce point de vue, l'enquête dont je mettrai les éléments sous les yeux de la Chambre prouvera que c'est de beaucoup le moyen le moins employé en matière de fraude électorale.

Ainsi voilà bien le sens du renvoi aux sections : c'est uniquement l'examen, au point de vue où je me suis placé, de la question soulevée par l'honorable M. Delcour.

M. Delcourµ. - Il ne me sera difficile d'expliquer pourquoi j'ai donné à mon amendement plus d'extension que ce qui se trouvait dans les paroles mêmes de l'honorable ministre des finances.

Veuillez, je vous prie, ne, pas perdre de vue une considération. Nous étions en présence d'une double question : une. question de constitutionnalité et une question de. fraudes électorales.

La question de constitutionnalité, la voici : Faut-il comprendre dans le cens électoral l'impôt direct dans tous les cas et dans toutes les circonstances ?

L'honorable ministre des finances, si mes souvenirs sont exacts, s'était exprimé à peu près en ces termes : Je ne puis faire aucune concession pour les élections générales. L'impôt direct doit être compris dans le cens électoral, en vertu de la Constitution ; il ne nous appartient pas de modifier ce principe.

En ce point, mais en réservant mon opinion sur la nature de l'impôt, j'ai dit : J'entre dans les vues de l'honorable ministre des finances ; je ne veux pas forcer sa conviction.

Mais, recherchons si, au point de vue communal, nous sommes liés encore par une disposition formelle de la Constitution.

Or, la Constitution nous laisse toute latitude. Elle établit l'élection directe pour les provinces et les communes, et laisse au législateur le soin de régler les conditions.

Nous nous rencontrions donc avec M. le ministre des finances sur un point et c'est sur ce terrain commun que j'ai placé mon amendement.

Comme un grand nombre de fraudes se commettent par de fausses déclarations, que ce mal est commun aux élections communales et aux élections provinciales, j'ai cru, pour être conséquent avec mes principes, que je devais comprendre dans mon amendement la province et la commune.

II n'y a donc aucune contradiction de ma part.

Nous aurons à examiner plus tard jusqu'où il convient d'étendre le principe de mon amendement.

Je reviens sur la demande que j'ai eu l'honneur de faire à la Chambre. Il est entendu et M. le ministre des finances ne s'y opposera pas, comme je l'espère, que les sections s'occupent prochainement de l'examen de ce projet de loi.

M. Vleminckxµ. - Je demande la parole pour rectifier certaines allégations produites devant la Chambre par l'honorable M. Kervyn.

Je suis de ceux qui pensent qu'il faut restreindre dans une mesure raisonnable la consommation des boissons spiritueuses.

J'ai signalé à la Chambre, dans une autre session, les inconvénients d'une consommation excessive, les nombreux malheurs, les désastres qui en proviennent. L'honorable M. Kervyn vient de parler, à ce propos, de l'aliénation mentale.

Voyez, dit-il, ce qui se passe en Prusse, en France et dans d'autres pays, et il vous a cité des proportions de 80, de 60 p. c. d'aliénés alcoolisés : que ne doit-il pas, dit-il, y en avoir en Belgique ? Il y a en Belgique des excès condamnables, des excès qui conduisent infailliblement à l'aliénation, cela ne fait pas de doute ; mais savez-vous combien il y. a en tout d'aliénés en Belgique, dans les différents établissements ? Cinq mille et quelques-uns, ni plus ni moins, c'est-à-dire 1 par mille habitants, parmi lesquels un quart peut-être, doivent leur infirmité à des excès de boisson ; c'est beaucoup, si vous voulez, c'est trop même, mais à coup sûr ce chiffre est bien loin de celui qui semblerait résulter des paroles que l'honorable M. Kervyn vient de prononcer et des chiffres qu'il vous a produits.

(page 129) M. Kervyn de Lettenhove. - Les paroles de l'honorable M. Vleminckx me donnent l'occasion de rappeler que dans la session dernière il a, avec toute l'autorité qui lui appartient si légitimement, jeté, sur les ravages qui résultent de l'abus des boissons enivrantes, une vive lumière. L'honorable M. Vleminckx comprend sans doute parfaitement que sur ces points si dignes d'une sérieuse attention, j'ai cherché à m'éclairer et je suis persuadé qu'aujourd'hui, comme l'année dernière, il voudra bien reconnaître avec moi que le progrès de la consommation des liqueurs fortes entraîne chaque jour des ravages plus considérables et qui exigent un remède énergique.

M. le ministre des finances me reprochait tout à l'heure d'avoir méconnu, tout en faisant l'éloge du mémoire distribué à la Chambre, qu'une partie de ce mémoire est consacrée à ce qui se passe en Belgique ; veuillez remarquer, messieurs, que tout ce qui se rapporte à la Belgique se réduit à ceci : d'abord un règlement communal de la ville d'Anvers, et ensuite deux paragraphes sur la moralité des condamnés.

Je viens de vérifier, à l'instant même, qu'il n'y a que six lignes. Eh bien, messieurs, pour apprécier une question aussi importante, il est évident que la Chambre doit être mieux éclairée, et il n'est point de communication qui lui serait plus utile que celle des rapports administratifs et des rapports des chambres de commerce, des pays industriels, qui ont sans doute insisté sur la nécessité d'apporter un remède efficace et prompt à la situation des choses.

(page 126) - Le renvoi à l'examen des sections, proposé par M. le ministre des finances, est mis aux voix et adopté.

Article 4

« Art. 4. La présente loi sera obligatoire le 1er janvier 1869. »

- Adopté.

Second vote des articles et vote sur l’ensemble

La Chambre décide qu'elle procédera immédiatement au vote définitif.

L'amendement, adopté au premier vote, est mis aux voix et définitivement adopté.


Il est procédé à l'appel nominal.

76 membres y prennent part.

71 répondent oui.

5 répondent non.

En conséquence, la Chambre adopte. Le. projet de loi sera transmis au Sénat.

Ont répondu oui : MM. Delcour, d'Elhoungne, de Macar, de Maere, de Montblanc, de Muelenaere, de Rongé, de Rossius, Descamps, de Terbecq, de Theux, Dethuin, de Vrière, de Vrints, Dumortier, Dupont, Elias, Frère-Orban, Funck, Guillery, Hagemans, Hymans, Jacquemyns, Jamar, Jouret, Julliot,, Kervyn de Lettenhove, Landeloos, Lange, Lefebvre, Le Hardy de Beaulieu, Liénart, Lippens, Magherman, Moncheur, Mouton, Muller, Mulle de Terschueren, Orts, Pirmez, Preud'homme, Rogier, Royer de Behr, Schollaert, Tack, Alp. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vander Maesen, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Merris, Van Overloop, Van Wambeke, Vilain XIIII, Vleminckx, Warocqué, Watteeu, Wouters, Anspach, Bara, Beke, Bieswal, Bouvier, Broustin, Bruneau, Carlier, Couvreur, de Baillet-Latour, de Brouckere, de Clercq, De Fré, de Haerne, de Kerchove de Denterghem et Moreau.

Ont répondu non :

MM. Hayez, Jacobs, Coremans, de Coninck et Delaet.

Rapports sur des demandes en naturalisation

M. Hymans. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre plusieurs rapports sur des demandes de naturalisation ordinaire.

- Ces demandes seront portées sur un prochain feuilleton.

La séance est levée à 5 3/4 heures.