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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 4 décembre 1868

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1868-1869)

(Présidence de M. Moreau, premier vice-présidentµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 107) M. Reynaert, secrétaireµ, fait l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Moor, secrétaireµ, lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Reynaertµ présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« La veuve Baudoin réclame l'intervention de la Chambre pour que son fils, envoyé à la division de discipline, après avoir été déclaré impropre au service, soit admis à subir une nouvelle visite des médecins. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Contich-Linth, résidant au quartier de Duffel, demandent d'être réunis à la nouvelle commune à ériger par la séparation de Contich et de Linth, et prient la Chambre d'adopter, pour limites de cette séparation, celles qui ont été proposées par le conseil provincial. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Contich-Linth prient la Chambre d'adopter les limites proposées par le conseil provincial pour la séparation à établir entre Contich et Linth. »

- Même renvoi.


« Par dépêche du 30 novembre, M. le ministre de la justice adresse a la Chambre deux exemplaires du 5ème cahier, 5ème volume, des procès-verbaux des séances de la commission royale pour la publication des anciennes lois et ordonnances de la Belgique. »

- Dépôt à la bibliothèque.


« M. Crombez, retenu par une indisposition,, demande un congé. »

« M. Coomans demande un congé à cause de la mort de sa sœur, survenue ce matin. »

« MM. Le Hardy de Beaulieu et de Borchgrave, obligés de s'absenter, demandent un congé. »

- Ces congés sont accordés.

Projet de loi supprimant le visa exécutoire des rôles des contributions directes

Rapport de la section centrale

M. Jacquemynsµ. - Au nom de la section centrale qui a examiné le budget des finances et qui s'est constituée comme commission spéciale, j'ai l'honneur de déposer le rapport sur le projet de loi relatif à la suppression de la formalité du visa exécutoire des rôles des contributions directes.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport, et, sur la proposition de M. le président, le met comme premier objet à l'ordre du jour de mardi.

Projet de budget de la chambre de l’exercice 1869

M. Jouretµ. - Au nom de la commission de comptabilité, j'ai l’honneur de déposer le rapport sur les comptes de la Chambre pour l'exercice 1866 et sur son budget pour 1869.

Rapports sur des demandes en naturalisation

M. Jonetµ. - J'ai l'honneur de déposer aussi deux rapports sur des demandes de naturalisation ordinaire.

M. de Rossiusµ. - J'ai l'honneur de déposer un rapport sur une demande de naturalisation.

M. Bouvierµ. - J'ai l'honneur de déposer des rapports sur des demandes de naturalisation ordinaire.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ces rapports et met leur objet à la suite de l'ordre du jour.

Rapports sur des pétitions

M. Gerrits, rapporteurµ. - Par pétition datée de Minderhout, le 30 décembre 1867, le conseil communal de Minderhout prie la Chambre d'accorder aux sieurs Chauchet et Bennert la concession d'un chemin de fer d'Anvers sur Brecht, pour se diriger d'un côté sur Breda et de l'autre côté sur Hoogstraeten et Bar-le-Duc.

Même demande des conseils communaux de Meerle, Wortel, des membres du conseil communal et d'habitants de Brecht, Brasschaet, Loenhout, Meir, Minderhout, Hoogstraeten, Saint-Léonard, Bar-le-Duc, des membres du conseil communal et d'habitants de Wuestwezel, qui proposent d'établir sur le territoire de cette commune l'embranchement vers Loenhout et des membres de la section de Hoogstraeten de la société agricole du Nord.

Les motifs dont les requérants appuient leur demande sont les suivants :

1» Que les demandeurs en concession sont en mesure de se procurer les capitaux nécessaires pour la construction et l'exploitation de la voie ferrée et qu'ils ne demandent aucun subside au gouvernement.

2° Que l'établissement de cette voie est utile pour tirer de nombreuses et importantes localités de l'isolement où elles se trouvent et que le chemin de fer projeté contribuerait puissamment au défrichement des bruyères.

3° Que ce chemin de fer se reliant au réseau des chemins de fer néerlandais constituera une voie de communication internationale vers la Hollande et de là vers le nord de l'Allemagne.

4° Que le gouvernement lui-même y trouvera un avantage pour les transports en destination du camp d'artillerie de Brasschaet et du dépôt central de mendicité de Hoogstraeten.

Votre commission est d'avis que le caractère d'utilité générale du projet ne peut être révoqué en doute, et elle propose le renvoi des pétitions à M. le ministre des travaux publics.

- Ces conclusions sont adoptées.


M. Gerrits, rapporteurµ. - Par pétition datée d'Anvers, le 22 mai 1867, le sieur Baeten, fermier des pâturages de la ville d'Anvers, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir du département de la guerre une somme de 200 francs à titre d'indemnité du chef des dégâts occasionnés à ses pâturages, par les exercices, militaires en 1866.

Votre commission est d'avis que le pétitionnaire ne peut s'adresser qu'au pouvoir judiciaire, qui seul est compétent pour statuer sur des affaires de cette nature.

Elle propose de passer à l'ordre du jour.

- Adopté.


M. Gerrits, rapporteurµ. - Par pétition datée de Perwez, le 10 novembre 1867, le sieur Seron réclame l'intervention de la Chambre pour terminer une difficulté résultant d'une emprise de terrain par la compagnie du chemin de fer de Tamines A Landen.

Le sieur Seron revendique une partie des terrains qui ont été expropriés pour la construction du chemin de fer de Tamines à Landen. La Chambre est incompétente pour intervenir dans ce différend.

En conséquence votre commission propose l'ordre du jour.

- Adopté.

M. Gerrits, rapporteurµ. - Par pétition datée de Ruyckhoven, le 15 octobre 1867, des habitants de Ruyckhoven, Reek et Bosselen demandent que ces hameaux de la commune de Bilsen en soient séparés pour former une commune distincte sous la dénomination de Ruyckhoven. Les requérants appuient leur demande sur les considérations suivantes : 1° Les hameaux de Ruyckhoven, Reek et Bosselen, dépendant de la commune de Bilsen, ont une superficie de 411 hectares, comprennent une population de 800 âmes et payent annuellement 25,205 francs d'impositions directes.

2° Ces hameaux sont éloignés d'environ une lieue du centre de la commune de Bilsen ;

3° La part payée par eux dans les charges communales serait largement suffisante pour subvenir aux frais d'administration de la nouvelle commune. !

4° La majeure partie de ces impôts est absorbée par la commune mère, au détriment des hameaux. !

5° Le propriétaire d'un château qui se trouve au centre des agglomérations susdites, met à la disposition du culte la chapelle de son habitation, en attendant que la commune ait les moyens d'ériger une église nouvelle.

Le conseil provincial du Limbourg, dans sa séance du 10 juillet 1867, a émis un avis favorable à la demande des pétitionnaires.

Votre commission propose le renvoi à M. le ministre de la justice.

- Adopté.


M. Gerrits, rapporteurµ. - Par pétition sans date, le sieur Libert réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir le payement des lots qui lui sont échus à la loterie royale des Pays-Bas, en 1828.

Le pétitionnaire ne produit, à l'appui de sa réclamation, aucune pièce justificative et il déclare ne pas en posséder.

Votre commission propose de passer à l'ordre du jour.

- Adopté.


(page 108) M. Gerrits, rapporteurµ. - Par pétition datée de Marche, le 16 août 1867, le sieur Seeliger réclame l'intervention de la Chambre afin d'obtenir le payement des travaux géométriques qu'il a exécutés pour différentes sections de la commune de Rendeux.

Par jugement du 14 juillet 1866, le tribunal a fixé les honoraires du sieur Seeliger à 1,992 fr. 84 c, intérêts compris jusqu'au 31 octobre 1866.

La députation permanente de la province de Luxembourg, par décision du 28 novembre 1866, a réduit l'état des honoraires et des intérêts à la somme de 1,243 fr. 78 c.

Le pétitionnaire s'adresse à la législature pour obtenir le payement intégral de sa créance.

Votre commission conclut au renvoi à M. le ministre de l'intérieur.

— Adopté.

M. Gerrits, rapporteurµ. - Par pétition datée de Louvain, le 29 décembre 1867, le syndic de la chambre des huissiers de l'arrondissement de Louvain demande que le nombre des huissiers soit mis en rapport avec le travail de chaque résidence ; que tous les huissiers puissent instrumenter dans les affaires portées devant les juges de paix ; que le tarif de 1867 soit augmenté ; qu'il y ait également des tarifs pour toute la Belgique et qu'on alloue un traitement aux huissiers qui font le service aux audiences de la justice répressive, aux cabinets d'instruction et aux parquets.

Le pétitionnaire expose que l'adoption du projet de loi sur les protêts porterait un préjudice considérable aux huissiers. Il cite les lois qui ont été décrétées depuis 1833 dans le but de simplifier la procédure et de la rendre moins dispendieuse. La requête tend à obtenir, pour de modestes fonctionnaires, ce que vous avez déjà accordé aux magistrats et employés de l'ordre judiciaire : une rémunération en rapport avec les besoins de l'époque.

En ce qui concerne le traitement à accorder aux huissiers qui font le service aux audiences de la justice répressive, aux cabinets d'instruction et aux parquets, le requérant fait observer qu'il n'est pas équitable d'imposer à un fonctionnaire non rétribué par l'Etat l'obligation de faire un service public et gratuit.

Votre commission conclut au renvoi de la pétition à M. le ministre de la justice.

- Adopté.


M. le président. - M. Bouvier demande à pouvoir vous présenter le rapport sur la pétition des journalistes, dont vous avez fixé la discussion en même temps que celle du budget de la justice.

S'il n'y a pas d'opposition, je lui accorde la parole.

M. Bouvier, rapporteurµ. - Messieurs, pour que. la Chambre connaisse parfaitement le fond du débat, nous croyons devoir donner lecture et de la pétition des journalistes et de la protestation qui l'accompagne.

Voici donc la pétition :

« A MM. les président et membres de la Chambre des représentants.

« Messieurs,

« Les soussignés prennent la respectueuse liberté d'appeler votre attention sur la protestation ci-jointe, signée par quatre-vingt-six membres de la presse belge et dans laquelle se trouvent dénoncés des faits de la plus haute gravité.

« Vous êtes, messieurs, les gardiens naturels et les premiers défenseurs de nos libertés constitutionnelles, et nous confions à votre vigilance le soin de les venger d'aussi multiples violations.

« Veuillez agréer, messieurs, l'assurance de notre profond respect.

« (Suivent les signatures.)

« Bruxelles le 5 novembre 1868. »

La protestation est ainsi conçue :

« Les journalistes catholiques belges, réunis en assemblée générale à Bruxelles, font la déclaration suivante :

« Des actes graves, et dont l'opinion publique s'est émue, viennent de s'accomplir à Bruges.

« Au nom de la justice et dans le but apparent de découvrir les auteurs et les provocateurs d'incendie commis à Saint-Genois, des visites domiciliaires, des perquisitions rigoureuses, des interrogatoires prolongés, des saisies de registres et de manuscrits, une arrestation préventive enfin ont eu lieu dans les bureaux de journaux catholiques brugeois.

« Si ces mesures, malgré leur rigueur, étaient légalement justifiables, si elles étaient dénature à favoriser la recherche impartiale de la vérité, nous respecterions la magistrature dans l'exercice de ses légitimes attributions ; mais l'évidence des faits le proclame et le texte des lois le crie : les procédés dont on a usé à l'égard des éditeurs du Jaer 30 et du Katholyke Zondag, comme à l'égard du rédacteur de cette dernière feuille, violent les immunités constitutionnelles de la presse et ne se relient par aucune connexité rationnelle ou juridique aux crimes commis à Saint-Genois.

« Le décret de 1831, les lois subséquentes qui le complètent et le modifient déterminent nettement le cas où l'arrestation préventive en matière de presse devient légale : Il faut un délit qui comporte une peine plus grave que celle de l'emprisonnement ; il faut, de plus, que la provocation à ce délit ait été direct Or, il est radicalement impossible de découvrir dans l'article du Jaer 30 une provocation indirecte à un délit quelconque, encore moins une provocation directe, c'est-à-dire des instructions, des conseils, des insinuations même tendant à engager des tiers à commettre une infraction aux lois.

« C'est assez dire que nous considérons l'arrestation préventive de l'éditeur du Jaer 30 comme ordonnée au mépris de la liberté de la presse et de la liberté individuelle, et nous réputons ce fait d'autant plus grave, que la détention de M. Van den Berghe Denaux s'est prolongée même après que l'auteur de l'article incriminé était connu de la justice.

« Par le même motif, nous protestons contre les visites domiciliaires, les perquisitions vexatoires et les saisies opérées chez le même éditeur du Jaer 30, chez l'éditeur du Katholyke Zondag et du Franc de Bruges, cher M. le prévôt Becelaere.

« Le domicile est inviolable ; » c'est un des grands principes de notre droit public, et ce principe ne doit fléchir que si un intérêt majeur, la sécurité sociale, le commande.

« Or, cet intérêt qu'a-t-il de commun avec les mesures que nous signalons à l'attention du pays ? Qu'importait-il à la justice de connaître les noms de correspondants dont les lettres sont à l'abri de toute incrimination sérieuse ? Qu'importait-il d'être fixé sur l'organisation intime de telle ou telle publication, sur ses rédacteurs, sur ses propriétaires ? Qu'importait-il, enfin, de parcourir et de saisir des registres d'abonnements ?

« Ce déploiement de rigueurs judiciaires exercées contre la presse revêt, au surplus, un caractère d'autant plus grave, qu'il se produit après la mutilation légale du principe constitutionnel de l'inamovibilité de la magistrature, et dans des circonstances singulièrement faites pour provoquer l'étonnement et la défiance.

« L'article incriminé du Jaer 30 a paru le 4 juillet : il a été immédiatement dénoncé par l'organe habituel du cabinet ; on le poursuit seulement deux mois et demi plus tard, alors que les premières phases de l'instruction semblent déjouer les calculs politiques que le parti ministériel rattachait aux incendies de Saint-Genois. Singulier retard ! Etrange coïncidence ! Comment se fait-il que cette prétendue provocation se révèle après un si long délai, et tout juste pour donner aux espérances du doctrinarisme l'aliment qui leur manquait ? On a pu, du reste, dans tout le cours de cet incident, remarquer entre la presse officieuse et le parquet une constante identité de vues, qu'il faut beaucoup de bonne volonté pour attribuer aux caprices du hasard.

« Toutes ces circonstances, et bien d'autres encore, sur lesquelles il n'est point nécessaire d'insister ici, nous font un devoir de protester énergiquement contre les procédés des parquets de Courtrai et de Bruges.

« Nous revendiquons l'intégrité des garanties constitutionnelles de la presse ; nos prétentions ne vont pas au delà du droit commun, mais nous l'exigeons dans toute sa plénitude, comme on le reconnaissait naguère encore dans la personne de deux journalistes traduits devant la cour d'assises du Brabant et acquittés par elle.

« Si les actes qui viennent d'être consommés à Bruges devaient se réitérer et prendre les proportions d'un système, c'en serait fait de la liberté de la presse, et nous en reviendrions à ces procès de tendance, à ces poursuites vexatoires, à ce régime dont l'arbitraire exécré n'était pas le moindre grief de nos devanciers contre le gouvernement néerlandais. Il importe donc d'arrêter, à ses débuts, cette tentative de restauration du régime Van Maanen, à laquelle on a affecté de donner un éclat particulier par un appareil vraiment théâtral et par un déploiement inusité de force publique.

« C'est le but de cette protestation, calme, réfléchie, mais que le sentiment énergique de notre droit saura bien rendre efficace. Lorsque le plus humble éditeur de journal, lorsque le plus modeste écrivain est lésé dans les droits que la Constitution et les lois lui garantissent, tous les journalistes sont du même coup frappés dans leur liberté et dans leur dignité. La cause d'un seul devient la cause de tous, et c'est leur devoir, leur honneur, leur intérêt, de la défendre.

« Ce devoir, nous venons le remplir.

« Nous adressons notre protestation tout d'abord au pouvoir responsable dont relèvent les magistrats de Bruges et de Courtrai. Il est le véritable auteur de nos griefs, et c'est de lui que nous requérons satisfaction.

« Nous faisons appel aux Chambres législatives, gardiennes naturelles de la Constitution et des lois du peuple belge, et nous leur demandons de sauvegarder les droits imprescriptibles de la presse.

(page 109) Nous en appelons également au pays, qui juge la justice elle-même, comme il fait et défait les ministres.

« En terminant, nous nous faisons un devoir de témoigner notre gratitude aux trop rares journaux libéraux qui ont bien voulu défendre, dans la personne de leurs adversaires, des droits que nous tenons de la loi commune à tous les Belges.

« Fait à Bruxelles, le 11 octobre 1868.

« (Suivent les signatures.) »

La lecture de ces deux documents établit que l'objet de la protestation est une poursuite au sujet des incendies commis à Saint-Genois, poursuites dans lesquelles ont eu lieu, d'après les signataires, des visites domiciliaires, des saisies de documents, des interrogatoires de journalistes et enfin l'arrestation préventive d'un de ceux-ci. Voilà, réduite à sa plus simple expression, la réclamation soumise à la Chambre.

Si ces mesures, porte la protestation, malgré leur rigueur, étaient légalement justifiables, si elles étaient de nature à favoriser la recherche impartiale de la vérité, nous respecterions la magistrature dans l'exercice de ses légitimes attributions, mais l'évidence des faits le proclame et le texte des lois le crie, les procédés dont on a usé à l'égard des éditeurs du Jaer 30, et du Katholyke Zondag comme à l'égard du rédacteur de cette dernière feuille violent les immunités constitutionnelles de la presse.

Quant au dernier membre de cette phrase, qui a trait aux procédés qui n'étaient pas de nature à favoriser la recherche impartiale de la vérité, comme ne se reliant par aucune connexité rationnelle ou juridique aux crimes commis à Saint-Genois, nous avons, ainsi qu'on le dit en termes de palais, à opposer à ce grief une fin de non-recevoir basée sur cette circonstance que, la justice étant saisie, il n'appartient pas au pouvoir législatif, quelle que soit sa haute et légitime influence dans l'ordre social, d'entraver la justice dans son cours en se prononçant sur l'opportunité de la poursuite et sur la valeur des preuves à produire en temps et lieu.

Reste donc l'unique question de constitutionnalité.

A celle-là la Chambre a non seulement le droit, mais le devoir de donner une réponse péremptoire.

Gardienne de la Constitution et de la loi, elle se doit à elle-même, à sa dignité et à la nation dont elle est la souveraine émanation, de les sauvegarder, de les protéger et de les défendre, au besoin, et je pense exprimer le sentiment unanime de cette assemblée en proclamant que pas un de ses membres ne les laisserait violer impunément.

La liberté de la presse est la sentinelle vigilante de toutes les grandes libertés inscrites dans notre Constitution. Elle en est le principe et la garantie. Ces libertés ne sont que des résistances contre les empiétements possibles du pouvoir, et le jour où la liberté de la presse disparaîtra du droit public des peuples, la civilisation sombrera bientôt. C'en serait fait d'elle ; car elle n'aura plus existé que de nom.

Ce n'est donc pas nous qui eussions écrit ces lignes qu'un écrivain ayant occupé une haute position politique dans le pays adressait aux catholiques belges, dans un ouvrage d'ailleurs très remarquable (M. de Gerlache).

« Les Etats qui ont brillé par leurs richesses, par leur puissance, par leur gloire, ont péri par ce seul mal : la liberté immodérée des opinions, la licence des discours et l'amour des nouveautés. Là se rapporte cette liberté funeste et dont on ne peut avoir assez d'horreur, la liberté de la presse pour publier quelque écrit que ce soit, liberté que quelques-uns osent solliciter et étendre avec tant de bruit et d'ardeur. »

C'est parce que nous repoussons avec énergie ces idées que nous disons que les journalistes catholiques réunis en assemblée générale à Bruxelles ont fait œuvre sage et méritoire, pleine de conséquences heureuses, pour l'avenir, de s'adresser à vous, messieurs, afin d'éveiller vos légitimes susceptibilités sur une liberté qui nous tient à cœur et à laquelle ces journalistes attachent aujourd'hui tant de prix.

Examinons, en conséquence, si la liberté de la presse, la liberté du domicile, la liberté individuelle ont été violées, comme le prétendent les pétitionnaires.

D'après leurs allégations et dans la situation où ils se placent, et où la Chambre voudra bien se placer avec eux, par hypothèse, pour apprécier la solidité de leurs griefs, les pétitionnaires parlent d'articles de journaux incriminés du chef de provocation directe aux incendies commis à Saint-Genois.

La Chambre, dans une circonstance solennelle, a eu occasion de se prononcer sur la qualification constitutionnelle des provocations publiques faites à l'aide de la presse.

En rejetant, dans la séance du 20 avril 186I, après une longue discussion, l'article 355bis du nouveau code pénal, tel qu'il lui était proposé, et en adoptant l'amendement de M. Guillery, la Chambre a déclaré bien ouvertement que ces provocations n'étaient pas des actes de complicité ordinaire à un délit commun, mais des délits de la presse, protégés par les immunités constitutionnelles de notre pacte fondamental.

Il ne peut plus y avoir le moindre doute à cet égard, et l'introduction de l'article premier du décret du 20 juillet 1831 dans le code pénal nouveau, dont il forme l'article 66, paragraphe dernier, a eu lieu dans un but de classification et n'a pas, ne peut avoir eu pour effet de déroger à la Constitution en soumettant les délits de presse aux règles de la complicité ordinaire.

Cela bien entendu, pourvu que l'auteur ou l'imprimeur ne se soit pas rendu coupable de complicité ordinaire par des actes particuliers, dans l'hypothèse convenue, nous le répétons, la poursuite est dirigée uniquement contre les articles du Jaer et du Katholyke Zondag, et les journalistes et imprimeurs sont purs de toute coopération au fait, étrangère à l'usage de la presse.

Quelle est donc la position des individus prévenus d'une provocation Imprimée et publiée au crime d'incendie ? Cette position, la voici :

Aux termes des articles 59 et 434 du code pénal de 1810 et de l'article premier de la loi du 20 juillet 1831, ils étaient punis de mort.

Aux termes du code pénal nouveau, article 66, 510 et suivants, le législateur a réduit la peine et n'a plus prononcé que les travaux forcés.

La mort et les travaux forcés sont des peines criminelles, toute infraction punie d'une peine criminelle est un crime, cela est élémentaire. Passible de travaux forcés pour crime, le provocateur ne peut donc, à aucun titre, invoquer l'article 8 du décret du 19 juillet 1831, sur le jury, ni l'article 9 du décret du lendemain, sur la presse, qui affranchissent de l'emprisonnement préalable les seuls prévenus de simples délits de la presse, entraînant la peine d'emprisonnement au maximum.

Aussi, ne se plaint-on pas des mandats lancés contre les individus prévenus comme étant les auteurs des articles incriminés ; on soutient que, comme l'auteur était connu, l'imprimeur ne peut être poursuivi. Ce sont en effet les termes de l'article 18 de la Constitution ; et on allègue que, dans la circonstance actuelle, l'auteur était connu de la justice.

Ce n'est pas la première fois que ce système cherche à se faire jour. Déjà dans le Congrès, l'honorable M. de Theux avait proposé de dire : « Lorsque l'auteur déclaré est domicilié en Belgique, l'imprimeur ne peut être poursuivi. » A l'appui de sa proposition, il ajoutait : « La recherche de l'auteur véritable présente d'ailleurs beaucoup d'inconvénients ; elle expose l'auteur et ses collaborateurs à des interrogatoires en justice ; il y a des perquisitions capables de rendre l'imprimeur trop craintif et de le porter à refuser sa presse, quand il appréhenderait cette espèce de tracasseries. »

Evidemment, comme le dit M. Schuermans dans son excellent code de la presse, le rejet de l'amendement de M. de Theux attribue au mot « connu » une portée décisive. Et comme si le Congrès avait voulu accentuer davantage sa décision, l'article 11 du décret du 20 juillet 1831 dit formellement : « Dans tous les procès pour délits de la presse, le jury, avant de s'occuper de la question de savoir si l'écrit incriminé renferme un délit, décidera si la personne présentée comme auteur du délit l'est réellement. L'imprimeur poursuivi sera toujours maintenu en cause jusqu'à ce que l'auteur ait été judiciairement reconnu tel. »

La pratique conforme est constante, toujours suivie jusqu'à présent, même alors qu'on n'aurait pas de doute sur les aveux de l'auteur poursuivi, l'imprimeur était traduit en cour d'assises avec lui. Si l'on peut avoir des doutes sur les nécessités de cette mise en cause simultanée, il n'en est pas moins vrai qu'elle est un droit de la partie poursuivante, droit dont l'exercice légal échappe au contrôle de la Chambre.

Nous n'avons donc pas à examiner si, par exemple, dans les circonstances que le bruit public a fait connaître, la fuite de l'auteur présumé n'était pas un motif sérieux pour le parquet à l'effet de poursuivre l'imprimeur ou l'éditeur. Si, d'après le principe de M. Devaux, au Congrès, la loi a assez d'une victime, ne serait-il pas vrai aussi que, dans les poursuites de presse, il lui en faut au moins une, et quand l'auteur présumé fait ce qui dépend de lui pour ne pas être judiciairement reconnu, l'imprimeur doit pouvoir être atteint, quia cum auctorem non probat, ipse auctor praesumitur. (Schuermans, p. 485.)

Mais supposons même la présence de l'auteur présumé, cela ne change pas la situation de l'imprimeur ou de l'éditeur, quand il s'agit de crime de la presse.

Ici, nous avons à constater une lacune regrettable de la loi.

Voici à quoi aboutit la combinaison des textes quand il s'agit d'infraction de presse entraînant une peine plus forte que l'emprisonnement correctionnel.

L'article 8 du décret du 19 juillet 1831 sur le jury déclare que lorsqu'il (page 110) s'agit de délit de la presse, il sera procédé à l'instruction et au jugement comme en matière criminelle. A plus forte raison, quand il s'agira de crime de la presse.

Or pour les crimes de la presse, il n'y a point de privilège quant a l'emprisonnement préventif comme pour les délits.

On se trouve donc en présence de la règle générale en matière de crimes ; en suite des articles 134, 263, 310 du code d'instruction criminelle, tous les accusés, auteurs, imprimeurs, éditeurs, renvoyés en cour d'assises doivent être soumis a une ordonnance de prise de corps, incarcérés dans la maison de justice et traduits en cours d'assises, accompagnés du garde qui les empêche de s'évader. L'illégalité consisterait donc ici dans la mise en liberté de l'éditeur, et non dans son arrestation !...

Evidemment une législation qui commande ces rigueurs (inutiles parce que selon toute probabilité l'éditeur sera mis hors de cause) appelle une réforme, et nous sommes heureux d'avoir l'occasion d'en signaler la nécessité, mais nous ne pouvons nous résoudre à formuler une proposition ayant la portée d'un blâme contre les magistrats qui, loin d'appliquer la loi dans toute sa sévérité, comme ils avaient le droit et peut-être même le devoir de le faire, y ont introduit un tempérament dicté par l'humanité et l'ont atténuée dans son exécution en remettant l'éditeur en liberté provisoire.

Ce que nous venons de dire simplifie notre tâche en ce qui concerne les visites domiciliaires, les saisies, les interrogatoires des journalistes.

Nous plaçant encore au point de vue de la légalité et de la constitutionnalité, nous n'aurons pas à examiner s'il y a eu abus en fait, mais si, en admettant toujours par hypothèse toutes les allégations des pétitionnaires, il y a eu abus de droit, seule question que nous sommes appelés à examiner.

Or, à cet égard, il ne peut y avoir de doute en présence de l'article 8 déjà cité du décret sur le jury.

Cet article, en déclarant qu'en matière de presse il sera procédé à l'instruction comme en matière criminelle, renvoie formellement au chapitre du code d'instruction criminelle, intitulé « De l'instruction » (article 61 à 90), qui comprend notamment les interrogatoires, les perquisitions domiciliaires en tous lieux où existent des pièces à conviction, même hors du domicile du prévenu, enfin la saisie de ces pièces. Il n'appartient pas à la Chambre de censurer l'application par la magistrature de la loi telle qu'elle existe.

La légitimité de ces différentes mesures a été souvent contestée en théorie, mais plusieurs décisions judiciaires (cour de cassation de Belgique, 7 novembre 1855, affaire Outendirck ; tribunal de Bruxelles, 10 février 1852, affaire Briard ; cour d'appel de Bruxelles, 5 novembre 1859, affaire Coppin. Schuermans, Code de la presse, p. 447 et suivantes) en ont formellement reconnu la légitimité, et même quand on a proposé de restreindre législativement les droits de la poursuite, on a toujours eu soin de demander le maintien de la règle générale pour le crime de la presse. « Il y aura lieu d'examiner, dit très judicieusement M. Schuermans, page 458, si en tenant compte des justes réclamations de l'opinion, il ne faut pas en même temps sauvegarder les droits de la société. Il peut être, en effet, souverainement indispensable d'arrêter certains délits de presse dans leur perpétration, qu'il s'agisse, par exemple, d'une provocation directe au meurtre et au pillage, la société désarmée devra-t-elle tolérer la circulation d'un écrit aussi dangereux ? »

Nous dirons aussi avec le même auteur qu'il est aisé de critiquer l'abus de la pratique actuelle, mais difficile d'en contester la légalité.

La partie juridique de notre travail étant terminée, il est deux passages -de la protestation que nous ne pouvons passer sous silence sans les blâmer énergiquement : « Ce déploiement de rigueurs judiciaires exercées contre la presse revêt, dit-elle, au surplus, un caractère d'autant plus grave qu'il se produit après la mutilation légale du principe constitutionnel de l'inamovibilité de la magistrature et dans des circonstances singulièrement faites pour provoquer l'étonnement et la défiance. »

Non, cette assemblée à laquelle vous avez recours, dans la présente circonstance, comme gardienne naturelle de la Constitution et des lois du peuple belge pour sauvegarder les droits imprescriptibles de la presse, non, cette assemblée ne se complaît pas à mutiler les lois du pays, elle les fait ou les amende quand celui-ci le réclame, et c'est après mûre délibération et à la face de ce même pays qui fait et défait les majorités comme les ministres qui en sont l'expression, qu'elle prend ses décisions qui deviennent les lois de la nation, et, tant que ces lois ne sont point abrogées, il est du devoir de tout bon citoyen, fût-il même journaliste catholique, de les respecter, tout en leur maintenant la liberté de les critiquer et de s'adresser à la conscience publique pour en obtenir la réforme.

Non contents de parler d'une manière irrévérencieuse de la loi sur la retraite des magistrats, ces mêmes journalistes catholiques ont cru devoir jeter un anathème de flétrissure contre la magistrature belge : « On a pu, du reste, dans tout le cours de cet incident, écrivent-ils, remarquer entre la presse officieuse et le parquet une constante identité de vues qu'il faut beaucoup de bonne volonté pour attribuer aux caprices du hasard. »

S'il est un pays au monde qui peut se flatter d'avoir une magistrature capable d'inspirer par ses lumières, sa dignité et la haute impartialité qui dicte ses arrêts, la juste considération dont elle jouit, c'est la magistrature belge ; c'est un hommage public que nous nous plaisons à lui rendre et auquel l'assemblée, sans acception de parti, voudra bien s'associer.

Notre magistrature mérite la légitime sympathie qu'elle inspire, et il faut louer le caractère national de ce qu'il reste sensible à tout ce qui touche son honneur et sa réputation d'intégrité !

Après avoir jeté leur fiel... (Interruption.)

M. Dumortier. - Mais ce n'est pas un rapport, c'est une diatribe.

M. Bouvier, rapporteurµ. - Ce qui est une diatribe, c'est l'accusation lancée par les journalistes catholiques contre la Chambre et la magistrature. Je crois qu'il était de mon devoir de protester énergiquement contre un pareil langage.

M. Dumortier. - Pas comme rapporteur.

ML Bouvier, rapporteur. — Après avoir jeté leur fiel et sur la représentation nationale et sur la magistrature, les journalistes catholiques n'ont pas hésité à lancer une flèche acérée à l'adresse de leurs confrères de la presse libérale : « Nous nous faisons un devoir, disent-ils en terminant, de témoigner notre gratitude aux trop rares journaux libéraux qui ont bien voulu défendre, dans la personne de leurs adversaires, des droits que nous tenons de la loi commune à tous les Belges. »

A ce dernier trait nous dirons que si, dans l'affaire de Saint-Genois, la liberté de la presse avait été violée, il n'est pas un journaliste vraiment libéral qui n'eût protesté avec virilité contre un pareil attentat et revendiqué jusqu'à leur complet rétablissement les droits sacrés de la presse qui constituent les principes générateurs de toutes nos grandes libertés, que ni les encycliques ni les syllabus ne parviendront jamais à effacer de nos mœurs ni à extirper du cœur de nos compatriotes, et pas n'était besoin de cet appel impuissant pour faire comprendre leur devoir à ces journalistes. Défendue par eux avec le calme et la dignité qui sont le cortège obligé du bon droit, nous avons la conviction que cette précieuse liberté ne périclitera jamais entre leurs mains.

Nous ne nous sommes pas occupés, dans notre rapport, des faits lamentables dont la commune de Saint-Genois, d'après la rumeur publique, a été le témoin. Comme nous l'avons déjà dit, la justice étant saisie, il n'appartient pas à la Chambre de s'immiscer dans les recherches auxquelles elle se livre pour trouver les coupables ; mais qu'il me soit permis de terminer ce rapport par un passage des Ecritures saintes :

Un bourg des Samaritains ayant refusé de recevoir Jésus, Jacques et Jean, ses disciples, lui dirent : « Voulez-vous que le feu descende du ciel et les dévore ? » Mais se retournant, il leur fit réprimande et leur dit : « Vous ne savez pas à quel esprit vous êtes appelés. Nescitis cujus spiritus estis. Le fils de l'homme n'est pas venu pour perdre les hommes, mais pour les sauver. »

C'est par ce langage si doux et si plein de mansuétude que la religion s'est conservée et s'est étendue sur le monde, c'est aussi ce langage que nous eussions voulu voir descendre du haut de la chaire de vérité de l'église de Saint-Genois, et peut-être la Belgique n'eût point été attristée en plein XIXème siècle, et à la honte de la civilisation, des scènes sauvages dont cette commune a été le déplorable et le lugubre théâtre.

En conséquence de ce qui précède, la commission, par trois voix contre une abstention, a l'honneur de proposer à la Chambre l'ordre du jour sur la pétition des journalistes catholiques.

M. le président. - Le rapport sera inséré aux Annales parlementaires, puisqu'il a été lu en séance ; la Chambre entend-elle qu'il soit également imprimé comme document ? (Adhésion.) Ainsi le rapport sera imprimé et distribué.

La Chambre a décidé antérieurement qu'il serait discuté en même temps que le budget de la justice.

M. Dumortier. - Je vous avoue que je m'attendais à tout autre chose qu'au long document que nous venons d'entendre. En présence des actes inouïs qui ont porté atteinte à l'une de nos plus chères libertés, la liberté de la presse, je m'attendais à voir la commission des pétitions, à laquelle vous avez renvoyé la requête, prendre la défense de cette liberté. Au lieu de cela, que vient-on vous proposer dans ce qu'on appelle un rapport et ce que moi j'appelle une diatribe ? On vous propose l'ordre du jour !

Je demande, pour mon compte, que le rapport soit non seulement inséré aux Annales parlementaires, mais qu'il soit imprimé comme document de la Chambre afin que chacun puisse l'apprécier.

(page 111) M. le président. - La Chambre a déjà décidé que le rapport sera imprimé et distribué.


M. de Zerezo de Tejada, qui a été admis précédemment comme membre de la Chambre, prête serment.

Projet de loi portant le budget des voies et moyens de l’exercice 1869

Discussion du tableau des recettes (I. Impôts)

Contributions directes, douanes, accises

Accises

M. de Clercqµ. - Messieurs, à l'occasion de la discussion du budget des voies et moyens pour l'exercice prochain 1869, je désirerais soumettre à la Chambre quelques considérations sommaires sur un point déjà touché à la séance du 29 novembre, mais qui, par son importance, me paraît mériter qu'on y revienne encore.

Il s'agit du droit d'accise prélevé par l'État sur l'eau de mer. Et d'abord quant au mode de perception, il faut signaler une manière d'opérer qui présente un côté arbitraire et vexatoire. Voici comment les choses se passent.

Les bateaux ayant puisé de l'eau de mer dans les bassins d'Ostende, les sauniers ou leurs préposés doivent constater le degré de densité de l'eau au moyen d'un pèse-sel nommé l'aréomètre de Baume.

Lors de la promulgation de la loi de 1844, l'administration se servait du même pèse-sel. Depuis quelque temps, il s'en est fait construire un à son usage exclusif, qui n'est pas dans le commerce, et que, par conséquent, les intéressés ne peuvent se procurer. Quand le degré de densité a été constaté par l'intéressé, l'administration arrive, opère avec un aéromètre ou pèse-sel, dit de Baume, différent pour la forme et l'effet ; si alors la déclaration ne concorde pas avec le contrôle, en ce sens qu'aux yeux de l'administration la densité de l'eau de mer atteint trois degrés et que l'intéressé, suivant sa constatation, lui trouve une densité un peu inférieure, et a fait sa déclaration en conséquence, alors, impitoyablement, il est frappé de l'amende ; il payera 60 centimes au lieu de 20. Le cas s'est présenté pour un saunier de Bruges ; il a payé sans réclamation, pourtant il n'était, au fond, pas fautif.

Il y a là une véritable vexation, un abus, de l'arbitraire. Il conviendrait ce me semble, ou bien que l'administration mît le pèse-sel à son usage à la disposition de l'intéressé, ou bien encore que la constatation se fît par ses soins en présence de l'intéressé. Sinon, continuant la pratique d'aujourd'hui, qu'au moins alors, en cas de différence pouvant entraîner l'amende imméritée, il soit permis de ramener, par l'addition d'eau douce, l'eau de mer au degré de densité voulu ?

Maintenant, en second lieu, pourquoi ne pas permettre le puisage de l'eau de mer sur d'autres points désignés du littoral, a Blankenberghe, Heyst, Knocke, la Panne ?

Il vous faudrait augmenter le personnel des accises, là est la raison, et les frais finiraient par absorber le droit perçu tout entier ; preuve évidente qu'on s'est exagéré son importance.

Et voyez à quelles singularités on arrive avec une loi qu'il faut bien exécuter dans toute sa rigueur. Un malade avait besoin de bains d'eau de mer pris à domicile, il se trouvait à Blankenberghe, eh bien, l'on a été obligé de faire arriver d'Ostende les 2 ou 3 hectolitres d'eau de mer, en passant naturellement par toutes les formalités et les exigences de la loi.

Mieux vaudrait, et c'est le principe que je voudrais voir prévaloir, ne pas imposer l'eau de mer. C'est là une richesse naturelle que les industriels rapprochés du littoral devraient pouvoir exploiter librement. Si les industriels de l'intérieur devaient en souffrir un préjudice notable, ce que je ne crois pas, je ne verrais là encore aucune raison pertinente de soutenir au moyen de l'impôt qui frappe le consommateur en général et le pauvre surtout puisque les classes laborieuses consomment plus de sel que les autres, une industrie qui autrement ne serait pas viable.

A certains égards, le raisonnement contraire viendrait à soutenir, si on l'appliquait à l'industrie des fers, qu'il faut imposer dans un certain rayon le minerai pour permettre l'établissement de hauts fourneaux dans tout le pays.

D'ailleurs, revenant à la question qui nous occupe, il y a des compensations : les bassins houillers se trouvent en général plus rapprochés de ces usines de raffinage de sel situées à l'intérieur du pays, le combustible est par conséquent à meilleur compte, puis les débouchés pour ces établissements sont plus faciles : ils peuvent expédier leurs produits dans toutes les directions, alors que les établissements rapprochés du littoral n'ont pas cet avantage. Quand l'eau de mer n'était pas imposée, c'est-à-dire avant 1844, les sauniers de l'extrême Flandre n'expédiaient pas davantage, par suite de cet état de choses, le sel raffiné au delà des limites de la province qu'ils ne le font maintenant.

Il existait également à cette époque des usines à l'intérieur du pays.

Ne perdons pas de vue que le sel brut est l'élément principal de la fabrication, l'eau de mer n'est qu'un appoint. Ce n'est pas là une mine d'or, l'honorable ministre des finances reconnaît tout le premier que l'eau de mer ne contient qu'une petite quantité de sel, 2 à 2 1/2 kilog. à l'hectolitre.

Je suis assez porté à croire que l'intérêt du trésor sert seul de guide en cette matière. Cependant ce n'est point là un intérêt majeur. Les droits de l'accise sur l'eau de mer produisent environ 90,000 fr. par an. Il est vrai, l'honorable ministre des finances le disait hier, que les produits peu considérables de certains impôts, souvent répétés, 100,000 fr. à droite, 100,000 à gauche, produisent les millions. Je ne le conteste pas, mais ne perdons pas de vue que c'est à la condition que la base en soit équitable.

Or, ce n'est pas le cas ici. C'est un impôt indirect frappant non pas une consommation facultative, mais de première nécessité, pour les classes laborieuses surtout. En deuxième lieu, il frappe selon la situation de certaines usines. Ce sont en définitive des barrières d'une autre nature établies à l'intérieur, et l'on s'étonnerait que l'honorable ministre des finances défendît ici ce qu'il a abandonné ailleurs.

Il me semble, par conséquent, que sans grand préjudice pour le trésor, l'Etat pourrait renoncer à la perception de ce droit et diminuer ainsi un impôt très impopulaire de sa nature. L'agriculture trouverait également son profit à ce dégrèvement là où le transport de l'eau de mer, dans des conditions économiques suffisantes, est possible.

Le droit sur le sel n'existe plus en Angleterre, la France en 1848 l'a réduit de moitié, on y paye 10 fr. par 100 kil., l'Espagne vient de l'abolir.

En Belgique ne pourrions-nous jouir de cette légère bonne fortune de voir disparaître au moins le droit d'accise sur l'eau de mer, en attendant une réduction ou mieux encore l'abolition du droit sur le sel brut qui paye 18 francs les 100 kil. à l'entrée.

D'ailleurs, cette abolition était quelque peu dans les promesses du ministère actuel à son avènement au pouvoir. C'était au moins une perspective qui semble s'éloigner davantage aujourd'hui et dont une réduction de dépenses sur un budget que tout le monde a nommé le budget de la guerre, rapprocherait de nouveau, j'en reste persuadé, et c'est le vœu que je formule.

M. Tack. - J'ai entendu avec intérêt les observations que vient de présenter l'honorable M. de Clercq. Il a défendu avec habileté les intérêts des sauniers du littoral, de ceux qui avoisinent l'Escaut. Tous les industriels se servent d'eau de mer pour le raffinage du sel brut. Mais je ne puis partager sa manière de voir ; sa thèse me paraît un peu hardie. Les sauniers qui se servent d'eau de mer jouissent, à l'heure qu'il est, d'un véritable privilège, et que demande l'honorable membre ? L'extension de ce privilège.

Voici, en effet, ce qui en est.

Le raffinage du sel se fait par deux procédés ; on met en fonte le sel de roche ou sel brut à l'aide de l'eau douce ou à l'aide de l'eau de mer. Or, selon qu'on emploie l'un ou l'autre de ces procédés, le rendement en sel raffiné diffère considérablement.

En effet, supposez que l'on opère sur une quantité de cent kilogrammes de sel brut, le rendement en sel raffiné atteint 102 à 105 kilogrammes, lorsqu'on emploie l'eau douce ; si, au contraire, on emploie l'eau de mer, le rendement n'est plus de 102 à 105, mais de 118 à 125 ; soit une différence de 18 kilogrammes.

Or, messieurs, vous le savez, l'accise entre pour la majeure partie dans le prix du sel. Il est de dix-huit francs par cent kilos, et quelle est la valeur de cent kilos de sel brut ? Trois francs, c'est-à-dire que sur une valeur totale de vingt et un francs que coûte la matière première, l'accise absorbe dix-huit francs, c'est-à-dire les six septièmes, ou 600 p. c.

Dès lors donc que le raffineur parvient à soustraire à l'accise une quantité de sel brut ou de sel tenu en dissolution dans l'eau de mer, si petite qu'elle soit, il a un immense avantage sur ses concurrents.

Maintenant, comment se fait la perception ? La perception, comme je viens de le dire, se fait pour le sel brut à raison de 18 francs par cent kilos ; et quel est le droit sur le sel tenu en dissolution dans l'eau de mer ? Ce droit, au lieu d'être de 18 centimes par kilo, n'est que de quatre centimes.

Le sel tenu en dissolution dans l'eau de mer, si vous supposez une densité d'un degré neuf dixièmes, c'est-à-dire moins de deux degrés, se paye dix centimes à l'hectolitre ; l'honorable M. de Clercq vient de le dire lui-même. L'hectolitre d'eau de mer tient en dissolution deux kilogrammes et une fraction de sel. Donc, sur les deux kilogrammes et une fraction que contient l'hectolitre d'eau de mer à la densité de 1° 9/10, le raffineur paye dix centimes ; tandis que, dans l'hypothèse où il emploie uniquement l'eau (page 112) douce, le raffineur paye, non pas dix centimes, mais quelque chose comme 38 centimes. C'est assez vous dire, messieurs, l'immense avantage dont jouissent les raffineurs qui ont de l'eau de mer à leur disposition,

Et voilà comment il se fait que les raffineurs qui ont leurs usines à proximité de la mer ou sur les bords de l'Escaut parviennent à faire la concurrence à ceux qui ont leurs usines dans les environs de Mouscron, de Courtrai et en général à tous les raffineurs du Hainaut. Ils produisent le sel raffiné au prix de 22 fr. 50 c. tandis que les. raffineurs de la partie sud du pays qui n'ont pas sous la main l'eau de mer, ne peuvent fabriquer le sel qu'à raison de 24 fr. les 100 kilog. Ils se trouvent donc, devant une concurrence ruineuse.

Aussi arrive-t-il que les usines du midi du pays déclinent et tombent en décadence, tandis que celles du nord de la Flandre prospèrent sans discontinuer. Et c'est en faveur de ces dernières qu'on vient demander ici l'abolition de l'accise sur l'eau de mer sans compensation aucune. Ce serait là détruire complètement l'équilibre qui doit exister en matière d'impôts, donner un privilège énorme aux uns au préjudice des autres.

Pourquoi le sel tenu en dissolution dans l'eau de mer serait-il exempt de l'accise ?

C'est déjà beaucoup que de jouir d'un avantage tel, qu'il en résulte pour certains industriels du pays une concurrence insoutenable, désastreuse. Je puis l'affirmer, ce n'est que moyennant de grands sacrifices que les usines de la frontière française peuvent se maintenir.

Mais, dit l'honorable M. de Clercq, il y a une compensation, c'est que les usines.du Nord de la Flandre doivent payer le charbon plus cher que leurs concurrents du Midi.

Cela peut être vrai pour les usiniers qui habitent les environs de Charleroi, mais cela n'est pas exact pour ceux du Midi de la Flandre, pour ceux de Courtrai ou de Mouscron, par exemple.

Le charbon coûte à ces derniers aussi cher qu'aux raffineurs d'Ostende et probablement plus cher, puisque ceux d'Ostende et de Bruges ont le charbon anglais de première main et à des conditions extrêmement favorables.

Je crois qu'il ne faut pas, du reste, tenir compte de ces circonstances. Ce serait en quelque sorte essayer d'établir des droits différentiels à l'intérieur du pays.

Au surplus, je ne serais pas embarrassé de citer un avantage dont jouissent les raffineurs du Nord. La matière première qu'ils mettent en œuvre, le sel brut, leur coûte moins cher qu'à leurs concurrents, puisque ces derniers doivent payer en plus les frais de transport depuis la mer jusqu'au lieu où la matière doit être convertie en sel consommable.

Bien loin donc d'abolir l'accise sur le sel tenu en dissolution dans l'eau de mer, sans compensation aucune, il faudrait plutôt élever cette accise ; mais je ne viens pas proposer de le faire. Il est évident que le sel n'est déjà grevé que de trop lourdes charges. Mais il y a un autre moyen d'équilibrer les positions. On pourrait donner aux raffineurs de la frontière française, à ceux qui se servent exclusivement d'eau de mer, une réduction proportionnelle sur l'accise.

Ainsi, par exemple, au lieu de leur faire payer 18 fr. par 100 kilog., faites-leur payer 16 ou 17 francs.

Je crois que M. le ministre des finances devrait examiner la question à ce point de vue plutôt qu'au point de vue de l'abolition de l'accise par l'eau de mer ; ce serait justice que de procéder de la sorte.

Aussi j'engage beaucoup l'honorable ministre des finances à tourner ses investigations de ce côté et à voir s'il n'y aurait pas lieu de réduire l'accise en faveur de ceux qui se servent exclusivement de l'eau douce.

De cette manière, l'équilibre serait rétabli et nous n'aurions pas à nous plaindre d'une inégalité choquante en matière d'impôts.

M. Vermeireµ. - Il n'est pas de question qui ait été plus souvent soulevée dans cette enceinte que celle relative à l'emploi de l'eau de mer. Ceux qui peuvent se servir de cette eau réclament le maintien des droits existants. Ceux qui ne peuvent s'en servir que difficilement demandent qu'il ne puisse plus en être fait emploi pour la fabrication du sel.

Les discussions ont abouti à ce résultat que le département des finances a limité l'emploi de l'eau de mer.

Ainsi, aujourd'hui, les sauniers qui se trouvent dans la partie des Flandres où l'on se sert de l'eau de mer, payent un impôt qui égale l'impôt du sel de roche, alors que la densité de cette eau ne dépasse pas 1 1/2 de l'aréomètre de Baume.

L'emploi de l'eau de mer n'a plus, pour les sauneries de l'intérieur des Flandres, ce grand avantage qu'on y attribuait autrefois ; et, en effet, l'eau de mer n'est bonne que pour rendre le sel plus clair et plus propre ù la vente. Les bénéfices qui en résultent sont illusoires ; cela est si vrai, qu'au lieu de prospérer par suite de la mesure prise par M. le ministre des finances, les sauneries se trouvent plutôt dans une situation précaire.

Je ne vois donc pas comment il serait possible de changer encore aujourd'hui le système en vigueur ; ce serait ruiner les sauneries qui se servent de l'eau de mer dans l'intérieur du pays.

Je ne veux pas examiner jusqu'à quel point les assertions mises en avant par l'honorable préopinant sont exactes, mais je me rappelle très bien que cette question a été discutée il y a plusieurs années et qu'alors j'ai démontré, chiffres en main, que la position des sauniers des Flandres, n'était pas meilleure que celle des sauniers des autres parties du pays.

J'ai démontré alors que s'il y avait une préférence pour le sel fabriqué avec de l'eau de mer, elle était duc uniquement à la clarté du sel qui, ainsi, était mieux approprié à la vente.

Je crois donc pouvoir engager le gouvernement à ne pas modifier la loi sur la matière et à ne pas jeter le trouble dans une industrie qui aujourd'hui doit faire beaucoup d'efforts pour maintenir sa position.

- Personne né demandant plus la parole, l'article est adopté.


« Vins étrangers : fr. : 2,300,000. »

- Adopté.


« Eaux-de-vie indigènes : fr. 8,500,000. »

- Adopté.


« Bières et vinaigres : fr. 8,950,000. »

- Adopté.


« Sucres de canne et de betterave : fr. 4,290,000. »

- Adopté.


« Glucoses et autres sucres non cristallisables : fr. 30,000. »

- Adopté.

Garantie

« Garantie. Droits de marque des matières d'or et d'argent : fr. 300,000. »

M. Maghermanµ. - Messieurs, une loi du 5 juin 1868 a décrété la liberté du travail des matières d'or et d'argent. Avant la promulgation de cette loi, le chiffre qui figurait au budget comme produit des matières d'or et d'argent était exactement le même que celui sur lequel nous sommes appelés à voter aujourd'hui. Je demanderai à M. le ministre des finances si, dans son opinion, la loi que je viens de citer ne doit pas avoir pour effet d'opérer une réduction sur le produit de la garantie ?

MfFOµ. - Je ferai remarquer à l'honorable membre que le chiffre de 300,000 francs qui figure au budget est une simple prévision. On ne pourrait dire dès à présent si la loi qu'a citée l'honorable M. Magherman aura pour effet d'opérer une réduction de ce chiffre, qui n'a pas la signification d'une recette devant être intégralement effectuée. Les perceptions auront lieu conformément aux dispositions de la loi nouvelle, et le produit sera ce qu'il pourra. L'incertitude du résultat explique le maintien du chiffre qui a été porté au budget de l'exercice actuel.

- Personne ne demandant plus. la parole, l'article « Garantie » est mis aux voix et adopté.

Recettes diverses

« Recettes diverses. Recettes extraordinaires et accidentelles, recouvrement de frais de vérification de marchandises, loyers des bâtiments, droits de magasins dans les entrepôts de l'Etat et rétributions du chef des extraits du cadastre : fr. 60,000. »

- Adopté.

Enregistrement et domaines

Droits, additionnels et amendes

« Enregistrement (principal et 30 centimes additionnels) : fr. 16,500,000. »

M. Van Overloopµ. - Messieurs, à l'occasion des droits d'enregistrement, je désirerais faire une demande à M. le ministre des finances. Ne pourrait-il pas nous procurer, dans un délai assez rapproché, le tableau de toutes les sociétés anonymes qui existent en Belgique, avec l'indication des propriétés immobilières que chacune de ces sociétés possède ?

Voici les motifs de ma demande : nous sommes saisis, en ce moment, de l'examen d'un projet de loi sur les sociétés commerciales. Si ce projet est adopté, ce dont je ne doute pas, les sociétés anonymes se multiplieront considérablement. Or, il est certain que les immeubles possédés par les sociétés anonymes ont le caractère d'immeubles de mainmorte, tout au moins pendant leur durée.

Par conséquent, la multiplication des sociétés anonymes aura pour résultat d'exercer une grande influence, selon moi, sur la perception des droits d'enregistrement.

Je crois donc que pour apprécier l'influence qu'exercera, au point de vue des droits d'enregistrement, le développement des sociétés anonymes, il pourrait être fort utile pour l'instruction de la Chambre d'avoir le tableau (page 113) exact des sociétés anonymes actuellement existantes, avec l'indication, à coté de chacune d'elles, des propriétés immobilières qu'elles possèdent.

Je ne pense pas que l'honorable ministre des finances se refusera à nous promettre la communication de ce tableau que, pour ma part, je désirerais avoir sous les yeux avant la reprise de la discussion du projet de loi relatif au titre des Sociétés.

MfFOµ. - Le relevé que l'on demande constitue, je pense, un travail assez considérable et je ne pourrais dire immédiatement à quelle époque je serai en mesure de le soumettre à la Chambre. Mais je consens bien volontiers à faire toutes les diligences possibles pour qu'il puisse être déposé dans le plus bref délai.

Je crois, messieurs, que l'on se trompe un peu sur l'importance que l'on attribue aux possessions immobilières des sociétés anonymes actuellement existantes, de même que sur celles des sociétés nouvelles qui pourraient se former en vertu de la loi qui est en délibération. Les sociétés ont le plus grand intérêt à ne posséder que le moins d'immeubles possible ; elles ne peuvent guère immobiliser sans encourir un préjudice ; ce n'est pas là l'objet pour lequel elles se constituent.

Les sociétés anonymes possèdent donc exclusivement les immeubles qui leur sont absolument indispensables pour l'assiette même des établissements ; la possession d'autres immeubles leur serait extrêmement onéreuse.

Quoi qu'il en soit, je le répète, je donnerai les ordres nécessaires pour la réunion des éléments du tableau que l'on demande, et je le communiquerai à la Chambre dans un délai aussi rapproché que possible.

M. Vilain XIIIIµ. - J'engage M. le ministre des finances à faire droit à la demande qui vient de lui être soumise et je rappellerai, à cette occasion, le vœu que j'ai déjà émis deux ou trois fois il y a 15 ou 20 ans, et qui a trouvé très peu d'écho dans cette Chambre, cé serait de frapper un droit sur tous les biens de mainmorte.

Les biens des communes, les biens des bureaux de bienfaisance, des fabriques d'église ne payent jamais aucun droit de mutation à l'enregistrement et le roi Guillaume des Pays-Bas avait frappé d'un droit annuel, un demi pour cent, si je ne me trompe, le revenu de ces biens.

Le régime actuel constitue une injustice. En effet, il y a des villes, des communes extrêmement riches qui ont des biens considérables, il y a des bureaux de bienfaisance qui sont également très riches et qui possèdent beaucoup de propriétés foncières.

Il y a d'autres communes qui n'ont rien : elles sont obligées de s'imposer afin de subvenir à leurs propres dépenses et d'accorder des subsides aux bureaux de bienfaisance et aux fabriques d'église qui manquent de ressources.

Evidemment c'est là une véritable injustice.

Je crois qu'en établissant le droit dont je parle, on prendrait une mesure excellente ; il y a beaucoup de biens de mainmorte, et en étudiant la question on pourrait faire entrer dans le budget des voies et moyens une somme importante.

Je fais cette observation pour la dernière fois, car les deux premières fois que je l'ai présentée, on m'a accusé de vouloir imposer le bien des pauvres.

Mon but n'est évidemment pas celui-là ; il est tout simplement d'établir l'égalité et la justice entre toutes les communes du royaume.

MfFOµ. - Il y a, messieurs, une grande différence entre les propriétés qui se trouvent détenues par les sociétés anonymes et celles qui appartiennent aux personnes civiles proprement dites, telles que les communes, les hospices et les bureaux de bienfaisance.

Les propriétés possédées par les sociétés sont grevées d'un certain impôt. Ainsi les sociétés anonymes payent un droit de 1 2/3 sur les bénéfices qu'elles réalisent. Quant aux charbonnages, c'était une erreur que commettait, l'autre jour, M. Lelièvre, en disant que ces établissements n'étaient frappés d'aucun impôt : ils payent une taxe qui s'élève à 2 1/2 p. c. de leurs bénéfices.

En ce qui touche les personnes civiles proprement dites, les établissements publics, il n'y a aucune espèce de perception de ce genre.

On a souvent agité la question de savoir s'il n'y aurait pas lieu de les frapper d'un droit de mainmorte, d'un impôt spécial, analogue à celui qui existait autrefois dans le pays, et qui existe encore dans certains Etats voisins, par exemple en France, depuis 1849.

Je pense que l'honorable vicomte Vilain XIIII se trompe en s'imaginant que l'on aurait accueilli avec une sorte de dédain les idées qu'il a émises autrefois sur cette même question. Elle a été examinée : si ma mémoire ne me trompe, la Chambre s'en est occupée en 1849.

M. Vilain XIIIIµ. - Et avant.

MfFOµ. - Peut-être aussi avant cette époque. Mais je crois me souvenir qu'en 1849, la question a été examinée et que, tout compte fait, on a constaté que l'on ne pourrait aboutir qu'à des résultats assez insignifiants. C’est cette considération qui a empêché, je pense, de soumettre à la législature une proposition pour imposer à ces établissements une sorte de taxe de mainmorte.

En se plaçant au même point de vue que l'honorable membre, qui demande, par esprit d'équité, qu’une taxe spéciale atteigne ces propriétés, se préoccupant moins du produit que du principe," on pourrait examiner s’il n'y a pas lieu d'introduire une disposition dans notre législation. Je me réserve de faire cet examen.

M. Jacobsµ. - Je crois que l'observation que vient de présenter l'honorable vicomte Vilain XIIII a d'autant plus d'importance, que, dans le projet de révision du code de commerce, au titre des Sociétés, on donne ouvertement la personnification civile aux sociétés en nom collectif et aux sociétés en commandite.

Jusqu'à présent, cette question n'ayant pas été explicitement tranchée, les sociétés en nom collectif et les sociétés en commandite hésitaient à posséder des immeubles. Si, à l'avenir, la question est formellement tranchée en leur faveur, nous allons voir probablement beaucoup de biens possédés en nom collectif.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - C'est une erreur ; il n'y a pas de changement dans la législation.

M. Jacobsµ. - Je le veux bien, mais jusqu'à présent là question était douteuse.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Pas pour les sociétés commerciales.

M. Jacobsµ. - La question était contestée pour les unes comme pour les autres, moins, je le reconnais, pour les sociétés commerciales ; et si ce point n'avait pas été contestable, nous aurions vu les sociétés en nom collectif acquérir de nombreux immeubles. Si la question est tranchée formellement, nous verrons probablement beaucoup plus d'immeubles possédés en nom collectif ; or, pour les sociétés de ce genre, il n'y a pas même la compensation de l'impôt de la patente de 1 2/3 p. c. sur les bénéfices.

Il serait, selon moi, encore plus équitable et plus opportun pour ces sociétés que pour les sociétés anonymes de frapper d'un impôt les biens de mainmorte, comme le propose l'honorable vicomte Vilain XIIII.

MiPµ. - L'honorable M. Jacobs est dans une erreur complète lorsqu'il croit que c'est un point douteux de jurisprudence que celui de savoir si les sociétés commerciales constituent dès individualités juridiques. Il a toujours été reconnu par la jurisprudence belge comme par la jurisprudence française que les sociétés commerciales formaient des individualités juridiques distinctes de celles des associés. Le projet de code de commerce ne change donc rien à ce qui existe, en proclamant d'une manière expresse ce point qui était décidé d'une manière tacite dans la législation antérieure.

Mais il est certain que, d'après la législation existante comme d'après le nouveau code de commerce, les sociétés en nom collectif et les sociétés en commandite ne pourront se constituer pour posséder des immeubles. Mais cela ne résulte pas de ce que la société commerciale n'est pas une personne juridique, mais de ce que des sociétés commerciales n'ont' pas pour objet d'acquérir des immeubles. Les sociétés commerciales peuvent posséder des immeubles comme accessoire de leurs opérations ; mais là société qui a pour objet principal des opérations immobilières est essentiellement civile, et ainsi une société qui à cet objet ne peut être considérée comme commerciale ; elle est civile.

Il n'y a donc aucune espèce de difficulté dans ce qui est présenté par le projet du code de commerce, et surtout il n'y a pas de changement à l’état de choses actuel.

M. Jacobsµ. - Messieurs, il est certain que les sociétés en nom collectif ne se constitueront pas pour acheter des immeubles sur une vaste échelle, mais tout le monde sait que les sociétés en nom collectif sont de beaucoup les plus nombreuses, et il suffirait que chacune d'elle possédât l'immeuble où est exercée son industrie pour que l'ensemble de ces sociétés fût propriétaire de biens très étendus. Eh bien, je demande qu'on établisse un impôt spécial à titre de compensation à l'impôt général qui ne frappe pas les sociétés.

- L'article « Enregistrement » est mis aux voix et adopté.


« Greffe (principal et 30 centimes additionnels) : fr. 300,000. »

- Adopté.


« Hypothèques (principal et 25 centimes additionnels) : fr. 3,000,000. »

- Adopté.


« Successions (principal et 30 centimes additionnels) : fr. 11,500,000. »

- Adopté.


(page 114) « Droit de mutation en ligne directe (principal et 30 centimes additionnels) : fr. 1,800,000. »

- Adopté.


« Droit dû par les époux survivants (principal et 30 centimes additionnels) : fr. 200,000. »

- Adopté.


« Timbre : fr. 4,150,000. »

M. Thibautµ. - Messieurs, j'ai une observation à présenter au gouvernement dans l'intérêt des imprimeurs. Vous savez qu'on ne peut imprimer et publier soit des avis, soit des annonces que sur du papier timbré. Les imprimeurs sont donc obligés d'envoyer leur papier au bureau du timbre ; et comme ces bureaux ne sont pas nombreux dans le pays, les imprimeurs doivent souvent supporter, de ce chef, des frais assez considérables ; il arrive même souvent qu'ils ne sont pas mesure de répondre aux désirs des personnes qui s'adressent à eux s'ils n'ont pas en magasin des collections considérables de papier timbré de divers formats.

Je demanderai au gouvernement s'il ne serait pas possible d'autoriser l'emploi de timbres adhésifs ? Les imprimeurs pourraient toujours posséder un certain nombre de ces timbres et s'en servir dans toute espèce de format de papier, selon la demande et sans perte de temps. Ils éviteraient en outre des ennuis ; quant au trésor, il n'y perdrait absolument rien.

MfFOµ. - Messieurs, je ne vois pas qu'il faille plus de temps pour aller chercher du papier timbré, que pour aller chercher des timbres à appliquer sur le papier.

M. Thibautµ. - L'imprimeur doit envoyer le papier au bureau du timbre.

MfFOµ. - Eh bien, il devrait aussi aller chercher les timbres au canton.

Si les timbres adhésifs étaient autorisés en pareille matière, sans garantie, sans annulation, ce qu'on voudrait étendre immédiatement aux effets de commerce, je crois qu'il en résulterait de très grandes fraudes. Il faudrait prendre des garanties et des précautions que la législation ne comporte pas et qu'on accepterait sans doute très difficilement.

Je ne pense pas, d'ailleurs, que les plaintes dont l'honorable membre vient de se faire l'écho soient bien vives. Jusqu'à présent il ne m'a pas été adressé, que je sache, de réclamations contre le timbre d'affiches et d'annonces.

M. Thibautµ. - Je demande que le gouvernement veuille bien faire examiner la question.

MfFOµ. - Volontiers.

M. Dumortier. - Il faut évidemment, comme le dit l'honorable ministre des finances, chercher à prévenir les fraudes. Mais, si l'on peut donner satisfaction aux réclamations en empêchant les fraudes, il est désirable qu'on le fasse.

Il y a des villes importantes qui n'ont pas de timbre ; à Tournai, par exemple, les imprimeurs doivent envoyer leurs papiers à Mons pour les faire timbrer. Vous conviendrez que c'est là une gêne extrême.

S'il était possible que le gouvernement introduisît le timbre adhésif dont vient de parler l'honorable M. Thibaut, ce serait un grand bien. Je désire vivement que l'on examine cette question. Puisque je parle de timbres adhésifs, je saisirai cette occasion pour ajouter un mot. L'honorable ministre des travaux publics a pris une excellente mesure en introduisant le timbre adhésif pour les dépêches électriques. Cela ne donne lieu à aucune fraude et c'est une grande facilité.

N'y aurait-il pas moyen d'avoir aussi des timbres adhésifs pour les petits paquets ? Si c'était possible, il y aurait encore là une simplification considérable. J'appelle sur ce point l'attention de M. le ministre des travaux publics.

- L'article est adopté.


« Naturalisations : fr. 5,000. »

- Adopté.


« Amendes en matière d'impôts : fr. 230,000. »

- Adopté.


« Amendes de condamnations en matières diverses : fr. 300,000. »

- Adopté.

Discussion du tableau des recettes (II. Péages)

Enregistrement et domaines

Domaines

« Domaines. Rivières et canaux= fr. 1,800,000.

« Routes appartenant à l'Etat : fr. 12,000. »

M. Dumortier. - A l'occasion de cet article, je rappellerai à la Chambre la pétition qui lui a été adressée autrefois par les bateliers de Tournai.

Cette pétition, qui est fort sérieuse, a été renvoyée à la commission d'industrie, le rapport est fait et je demande qu'elle soit discutée.

L'Etat a abaissé considérablement les péages sur les chemins de fer et en maintenant des péages et des patentes élevés pour les bateliers, il place ceux-ci dans une situation pénible. En agissant ainsi, du reste, l'Etat se fait concurrence à lui-même.

Je demanderai donc que l'on s'occupe prochainement du rapport qui a été fait sur cette pétition par l'honorable M. de Rongé, que je ne vois pas ici en ce moment.

Je demanderai qu'elle soit mise à l'ordre du jour pour que nous puissions nous en occuper. Je ne propose rien à ce sujet, mais il est nécessaire cependant de vider cette question.

- L'article est adopté.

Travaux publics

Postes

« Postes. Taxe des correspondances en général : fr. 3,884,000.

« Droits sur les articles d'argent : fr. 60,000.

« Emoluments perçus en vertu de la loi du 19 juin 1842 : fr. 86,000.

« Ensemble : fr. 4,030,000. »

M. Wasseige. - A propos de l'article « postes », j'ai une observation à présenter au gouvernement et une explication à lui demander.

Vous savez, messieurs, que par la dernière loi sur le transport des valeurs et articles d'argent, nous avons changé l'état des choses, c'est-à-dire que nous avons supprimé la lettre chargée destinée à contenir des valeurs.

Sous l'ancienne législation, on pouvait envoyer, au moyen de lettres chargées, des valeurs pour une somme indéterminée, et cela ne coûtait qu'un double port sans autre formalité ; seulement, en cas de perte, on n'avait à réclamer qu'une somme de 50 francs.

Cette situation a excité certaines plaintes ; on trouvait trop minime la somme à réclamer en cas de perte ; ces plaintes ne manquaient pas d'un certain fondement, et pour y répondre, la loi nouvelle a supprimé la faculté d'envoyer des valeurs par lettre chargée ; elle a créé une autre lettre, la lettre recommandée, où l'on peut renfermer des valeurs jusqu'à concurrence de 10,000 fr. moyennant un droit proportionnel. Elle a fixé le droit à percevoir sur les sommes ainsi envoyées à 1 fr. par mille. C'est beaucoup trop, et je crois que le gouvernement n'a nullement atteint le but qu'il poursuivait en présentant cette loi ; il n'a pas satisfait les individus qui se servent de la poste pour ces envois, parce que le prix de transport est trop élevé et que l'on trouve le moyen d'envoyer ses fonds à un prix beaucoup moindre soit par chemin de fer, soit par entreprises particulières, soit par des accréditifs que délivre la Banque nationale.

D'un autre côté la réforme a imposé une grande gêne au commerce, qui ne peut plus se servir de la lettre chargée. C'était cependant un moyen bien simple et qui offrait bien peu d'inconvénients. L'administration des postes en Belgique est une des plus honorables qu'on puisse citer et on n'a eu que très rarement à signaler des vols ou des soustractions, à l'occasion de ce mode de transport.

Je crois donc que le gouvernement n'a pas été agréable au commerce en lui enlevant un des modes qui lui était habituel et qu'il n'a créé que de bien minces ressources pour l'Etat, parce que l'exagération du port limite les transports. On se sert aujourd'hui des entreprises particulières, et si la somme en vaut la peine, l'on va soi-même porter son argent ; il y a grande économie à le faire ainsi.

Je demande donc si le gouvernement ne croirait pas devoir revenir à la législation ancienne ou tout au moins s'il ne jugerait pas convenable de laisser subsister simultanément les deux modes : l'ancienne lettre chargée et la lettre recommandée aux risques et périls de ceux qui opteraient pour l'une plutôt que pour l'autre.

MtpJµ. - Je ne m'attendais pas à voir remettre en question aujourd'hui les principes d'une loi votée à la fin de la dernière session et mise en vigueur depuis le 1er novembre seulement.

Je suis cependant en mesure de rassurer l'honorable membre ; il pense que la loi n'est pas avantageuse pour le commerce et que le trésor n'en retirera aucun profit.

Je puis lui dire, au contraire, que les résultats ont dépassé toutes nos espérances.

En 20 jours la poste a transporté pour 3 millions de valeurs et le trésor a reçu 6,000 fr.

Je crois que ces chiffres ont une éloquence qui me dispense de rencontrer les autres arguments de l'honorable M. Wasseige.

M. Wasseige. - Me voilà à peu près rassuré, quant à un des côtes de la question que j'ai soulevée. D'après ce que M. le ministre vient de (page 115) nous dire, il paraît que le gouvernement trouve son bénéfice au nouveau système, ce qui ne prouve pas qu'il transporte plus d'argent ; mais je suis moins rassuré, quant à l'autre côté de la question et je me demande si le commerce a lieu d'être aussi satisfait que le trésor public.

MfFOµ. - La meilleure preuve, c'est qu'il use du nouveau mode.

M. Wasseige. - Evidemment, il en use ; mais il ne peut pas faire autrement, s'il veut se servir de la poste.

MfFOµ. - Pas du tout.

M. Wasseige. - Le commerce n'a plus la ressource de la lettre chargée ; de sorte que le commerçant qui ne veut pas confier ses fonds à une entreprise particulière est bien obligé d'user du nouveau mode et n'a pas d'autre alternative. .Mais si l'ancienne lettre chargée existait encore, celui qui voudrait s'en servir le ferait à ses risques et périls, et il trouverait une grande économie à le faire, et sur le prix du transport actuel par la poste et même sur le prix du transport par le chemin de fer et les entreprises particulières, sans compter les autres inconvénients auxquels l'expose la législation nouvelle. Je recommande donc de nouveau et très instamment l'examen de cette question à l'honorable ministre des travaux publics.

M. de Theuxµ. - L'exécution que la loi sur la réforme postale a reçue consacre un privilège en faveur des villes et des chefs-lieux de distribution sur les autres localités du pays. Pour les villes et les chefs-lieux de distribution, en effet, la lettre est portée à domicile ; il n'en est pas ainsi pour toutes les autres communes. Dans celles-ci, le destinataire reçoit un simple avis, et, pour retirer sa lettre, il doit se transporter au chef-lieu de distribution ou y envoyer quelqu'un muni d'une procuration. Un seule exception existe : c'est dans le cas où le destinataire donne une procuration générale au facteur.

Mais, messieurs, c'est là une obligation très rigoureuse et à laquelle peu de personnes sont disposées à se soumettre. Il en est très peu, et cela se conçoit, qui soient disposées à donner une procuration pour toute l'année ù un facteur. Tout le monde, au contraire, tient à recevoir ses lettres à domicile.

Autrefois, un autre avantage existait qui a été supprimé récemment. Les facteurs ruraux avaient un livre dans lequel l'expéditeur pouvait annoter les lettres chargées qu'il lui remettait. Cela présentait toutes les garanties désirables.

Aujourd'hui, les facteurs ne peuvent plus recevoir de lettres chargées contenant des valeurs. L'habitant de la campagne qui veut expédier de l'argent dans une lettre doit se rendre au chef-lieu de distribution. Ce sont là des inconvénients très sérieux.

Je conviens qu'il pourrait être dangereux peut-être de confier aux facteurs ruraux des sommes considérables, des sommes pouvant s'élever jusqu'à 10,000 fr. ; mais pourquoi ne pas permettre ce transport par ces agents de lettres contenant 2,000 à 3,000 fr., sommes trop minimes pour exciter la convoitise des facteurs, au risque de s'exposer à des poursuites judiciaires et à des condamnations à des peines très fortes ?

Il n'y aurait donc aucun inconvénient à autoriser la remise à domicile, même dans les campagnes, de lettres chargées qui ne contiendraient pas plus de 3,000 francs ; ce serait un véritable service à rendre à nos campagnes, et ce service, après tout, ne serait autre chose que le rétablissement de l'égalité, aujourd'hui rompue entre les campagnes et les villes.

J'appelle donc la sérieuse attention de M. le ministre sur ces observations. La loi est un bien pour les grandes communes du pays ; elle est très gênante pour toutes les autres.

MtpJµ. - Je croyais que le chiffre des envois par la poste de valeurs déclarées, chiffre qui atteint, comme je viens de le dire, trois millions dans l'espace de vingt jours, devait rassurer complètement l'honorable M. Wasseige sur les avantages que le commerce retire de ce nouveau mode de transport des valeurs.

Ce qui donne à ce chiffre plus de signification, c'est que le commerce n'est pas du tout sous la dépendance étroite de la poste quant à cette nature de transports.

Il y a, au contraire, des modes beaucoup moins onéreux que le transport par la poste. Ainsi, alors que l'administration des postes perçoit un franc par mille, la Banque nationale ne perçoit que 25 centimes par mille francs payés dans toutes ses agences à l'aide d'accréditifs, qui sont de véritables chèques, d'une circulation très facile. Les chemins de fer, à leur tour, ne perçoivent que 35 centimes par mille francs.

Le mode d'envoi par la poste doit donc présenter des avantages d'une nature spéciale au commerce pour qu'il ait recours à ce système,

A ce propos, je dois faire remarquer à l'honorable M. de Theux que c'est surtout pour les campagnes que ce mode est avantageux. En effet, il faut bien remarquer que l'action de la Banque nationale est limitée aux localités où la Banque a des agents, et que celle du chemin de fer est restreinte nécessairement à un certain rayon de la station. Certes, ce mode d'envoi des valeurs par la poste serait plus avantageux encore si tous les destinataires pouvaient recevoir à domicile les lettres contenant des valeurs.

Mais j'ai à peine besoin de faire remarquer à l'honorable M. de Theux à quels risques considérables l'administration des postes serait exposée. N'oublions pas que pour étendre notre service rural, il nous est impossible de rémunérer les facteurs de manière qu'ils n'aient pas à souffrir quelquefois de certaines privations, et il faut dès lors qu'ils ne soient pas en proie à des tentations dangereuses que nous devons éloigner d'eux.

Quant au destinataire, il a mille occasions de connaître la moralité du facteur ; et il suffira au destinataire, pour recevoir sans dérangement pour lui les lettres recommandées, de donner une déclaration par laquelle il assumera la responsabilité de ces lettres à partir du moment où elles auront été remises au facteur contre une décharge de cet agent.

Du reste, je chercherai autant que possible à améliorer dans ses détails l'application des prescriptions de la loi du 29 avril.

M. de Theuxµ. - Messieurs, je dois faire remarquer que, pour chaque lettre contenant des valeurs, il faut que le destinataire se rende lui-même au chef-lieu du bureau des postes, ou bien qu'il se rende chez le bourgmestre de sa commune, à l'effet de faire légaliser une procuration pour chaque lettre. C'est là une gêne énorme et complètement inutile, quand il ne s'agit que de valeurs de 1,000 à 2,000 francs.

Que l'honorable ministre des travaux publics commence à faire l'essai pour les lettres contenant des valeurs de 1,000 à 2,000 francs, et je ne pense, pas que cet essai puisse donner lieu aux inconvénients auxquels, il a fait allusion.

Autrefois, les lettres chargées, envoyées à la campagne, étaient remises au facteur et elles arrivaient à destination sans la moindre difficulté. Je. connais tel habitant de la campagne qui a été dans le cas d'envoyer ou de recevoir des centaines de mille francs dans ces conditions-là et jamais une seule lettre n'a manqué.

Je ne pense pas qu'il y ait lieu de nous laisser arrêter par les prévisions de M. le ministre des travaux publics à l'égard des facteurs ; ces prévisions sont injurieuses pour ces agents. Comment ! on n'a pas assez de foi dans leur probité pour leur confier des lettres contenant des valeurs de 1,000 ù 2,000 francs ! Cela n'est pas raisonnable. Peut-on supposer que, pour s'approprier une si faible somme, ils aillent s'exposer aux plus graves préjudices personnels ?

Je prie, en conséquence, M. le ministre des travaux publics de prendre mes observations en très sérieuse considération et de tenter l'essai dont j'ai parlé tout à l'heure.

M. Moncheurµ. - Messieurs, pour prouver que le commerce doit être très satisfait de la nouvelle loi sur la poste, l'honorable ministre des travaux publics vient de dire que, depuis cette loi, le montant des sommes envoyées par la poste est notablement supérieur à ce qu'il était auparavant.

Mais cette conséquence n'est point du tout juste, et l'honorable ministre des travaux publics avouera avec moi que ce n'est pas du tout là une preuve que le commerce tout entier s'empresse de se servir du moyen de la poste pour le transport de ses valeurs.

Savez-vous, en effet, ce que cela prouve uniquement ? Cela prouve que beaucoup de valeurs, qui se transportaient jadis sans être déclarées, le sont aujourd'hui, parce qu'on est bien forcé de le faire. Mais cela ne prouve nullement que la poste transporte plus de valeurs qu'auparavant. C'est le contraire qui existe en fait et dans une grande proportion.

Aujourd'hui, toutes les valeurs transportées par la poste sont déclarées ; il n'est donc pas étonnant que vous trouviez un chiffre de valeurs bien supérieur à celui que vous transportiez avant la loi, c'est-à-dire alors que les commerçants les confiaient à la poste sans les déclarer.

Voilà donc tout ce qui résulte de cette statistique : c'est qu'aujourd'hui beaucoup de valeurs sont déclarées, qui ne l’étaient pas lorsqu'une pénalité n'y contraignait pas les expéditeurs. Mais je voudrais avoir, à côté de cette statistique, une autre statistique : ce serait celle des valeurs transportées aujourd'hui par le chemin de fer comparées à celles que ce dernier transportait avant la nouvelle, loi. On trouverait, j'en suis persuadé, que ce dernier chiffre est énormément supérieur à celui qui existait auparavant.

En effet, messieurs, toutes les maisons financières de quelque importance sont obligées de se servir aujourd'hui du chemin de fer ou de tout autre moyen tant soit peu économique pour transporter leurs valeurs d'un endroit à un autre.

(page 116) Et pourquoi y sont-elles obligées ? Parce que, par la nouvelle loi, elles sont en présence d'une taxe d’un par mille pour les chargements par la poste, tandis que les transports d'argent ou de valeurs par le chemin de fer ne coûtent que 25 centimes pour mille et non point 45 centimes, comme le disait tout à l'heure M. le ministre.

Aujourd'hui donc on a plutôt recours aux chemins de fer qu'à la poste. Avant la loi qui vient d'être votée, on se servait très largement, je le reconnais, messieurs, des chargements pour le transport des valeurs. On en faisait de très considérables sans rien déclarer. On payait le chargement de la lettre et rien de plus. Mais si l'expéditeur ou le destinataire voulait bien courir cette chance-là, c'était leur affaire.

Aujourd'hui qu'on se trouve vis-à-vis de deux obligations nouvelles, celle de la déclaration des valeurs et celle du payement d'un droit beaucoup trop élevé, on doit renoncer le plus souvent à ce moyen de transport, qui était pourtant le plus commode. Certes, beaucoup de personnes se servent de la poste, et c'est pour cela que le chiffre des valeurs déclarées atteint encore un chiffre assez considérable, mais ce ne sont pas les grosses sommes qui se transportent de cette manière. On est réduit à se servir des chemins de fer, mais ceux-ci ne pénètrent pas partout comme la poste, et, comme le disait tout à l'heure l'honorable M. de Theux, les campagnes sont encore, sous ce rapport, sacrifiées aux grands centres.

En résumé, messieurs, la poste pourra constater une augmentation, non point du mouvement réel des transports de valeurs, mais des déclarations des valeurs transportées, tandis que le commerce regrettera de ne pouvoir plus faire par cette voie la dixième partie des envois de valeurs qu'il faisait avant la nouvelle loi.

Les transports par chemin de fer rapporteront un certain bénéfice au gouvernement, mais les concessions particulières en auront leur part, et, somme toute, c'est le commerce qui en fera les frais.

MtpJµ. - L'honorable comte de Theux a parlé avec une certaine désinvolture d'une somme de 1,000 fr., de 2,000 fr. ; il croit que ce serait faire injure au corps des facteurs ruraux que de les supposer accessibles à la tentation du vol de sommes aussi minimes.

Je dois détromper à cet égard l'honorable comte de Theux. L'administration a reconnu qu'il était dangereux de confier sans précautions à certains agents qui, avec un traitement de 750 fr. doivent souvent entretenir une famille nombreuse, des sommes de 50 ou de 100 fr. Il y a des exemples nombreux de détournement de sommes beaucoup plus minimes.

Du reste, je le répète, il est facile au destinataire qui passe une partie de l'année à la campagne et qui peut apprécier le degré de moralité du facteur, de savoir s'il présente des garanties suffisantes pour qu'on lui confie des lettres qui contiennent des valeurs.

L'honorable M. Moncheur a affirmé que le transport des valeurs était beaucoup plus considérable sous l'ancien régime qu'aujourd'hui. Je pense que l'honorable M. Moncheur, pas plus que moi, n'a des données certaines pour faire une comparaison sérieuse à ce égard.

Il m'annonce en outre que ce sera surtout le chemin de fer qui profitera de cette réforme. J'en accepte volontiers l'augure.

M. de Theuxµ. - Je demande la permission de faire encore une observation.

Qu'il y ait eu détournement de certaines lettres lorsqu'elles n'étaient pas chargées, cela se peut ; mais pour des lettres chargées dont la valeur est constatée sur l'enveloppe et qui ne renferment que 1,000 ou 2,000 francs, j'oserais garantir que le vol de semblables lettres ne se fera jamais, parce que le vol serait découvert à l'instant même.

S'il s'agissait d'une somme de 10,000 francs, je comprendrais que M. le ministre hésitât. Mais pour une somme aussi modique que 1,000 ou 2,000 francs, aucun facteur rural ne s'exposera aux conséquences d'un vol.

Remarquez que les observations que je fais portent encore plus loin. Le mode actuel entraîne des retards considérables dans la réception des lettres. Quand il faut recevoir l'avis qu'une lettre est arrivée et qu'il faut remplir les formalités pour la faire prendre, il y a retard pour le destinataire qui a quelquefois besoin de posséder immédiatement la somme.

Sérieusement, je ne vois aucun motif plausible de ne pas mettre, au moins pour des sommes minimes, les campagnes sur la même ligne que les chefs-lieux de bureaux de postes et les villes où l'on distribue les lettres contenant des valeurs à concurrence de 10,000 fr.

Je ne vois aucun motif d'établir cette différence entre les différentes communes du royaume.

- L'article est adopté.

Marine

« Produit du service des bateaux à vapeur entre Ostende et Douvres : fr. 400,000. »

- Adopté.

Discussion du tableau des recettes (III. Capitaux et revenus)

Travaux publics

« Chemin de fer : fr. 39,000,000. »

M. Dumortier. - Messieurs, l'abaissement des tarifs qui a eu lieu il y a quelques années, abaissement qui, à mon avis, a été trop fort, a amené une perturbation réelle dans les finances de la Belgique. C'est un fait que nous sommes tous forces de reconnaître.

Pour mon compte, je ne puis donner mon adhésion à ces abaissements outrés.

Il se passe, messieurs, des choses réellement incroyables. Ainsi, par exemple, plus personne pour venir de Lille à Bruxelles ne prend son coupon jusqu'à destination ; on est forcé de ne prendre son coupon que jusqu'à la frontière.

MtpJµ. - On n'y est pas forcé.

M. Dumortier. - On y est forcé, puisque, sans cela, on paye un supplément de 4 francs et des centimes.

Je dis, pour mon compte, que ce sont là de véritables abus. On a commencé par une réduction disproportionnée sur les tarifs du chemin de fer, puis comme on a vu qu'on perdait énormément à ce jeu maladroit, on a voulu regagner quelque chose et on a dit : Nous ne maintiendrons la mesure que .pour l'intérieur, nous n'en ferons plus profiter l'étranger. Mais l'étranger n'a pas été dupe et les compagnies ont usé de représailles. Il en est résulté une série d'embarras dans toutes les stations de la frontière.

Ainsi une lutte existait entre le chemin de fer de l'Etat et la Société Générale d'exploitation et pour punir la Société Générale d'exploitation de je ne sais quel grief, on a frappé les voyageurs.

Chaque fois que vous arrivez à un embranchement de la Société, vous devez prendre un nouveau coupon, puis, à l'extrémité de l'embranchement, c'est la même chose et il arrive que, pendant que vous êtes descendu de voiture pour prendre le convoi, le convoi part et vous restez en route.

Cet état de choses a duré presque tout l'été.

MtpJµ. - C'est une grave erreur.

M. Dumortier. - La chose m'est arrivée plus de vingt fois.

Si le gouvernement a des griefs fondés contre la Société, qu'il n'en rende pas les voyageurs responsables et qu'il ne crée pas un véritable ennui pour tout le monde.

Je crois qu'il vaudrait beaucoup mieux ne pas faire naître les griefs qui donnent lieu à tous ces abus. (Interruption.) Est-ce que nous ne sommes pas ici pour discuter ? Je sais bien que beaucoup de membres de la gauche s'imaginent que nous sommes ici pour voter sans discussion. Le parti du libre examen ne veut pas qu'on examine.

Il est donc évident que cet état de choses doit cesser.

Quant à l’abaissement des tarifs, je dois le dire, on est arrivé à un point presque, ridicule.

Je crois que pour aller de Tournai à Herbesthal on ne paye que 7 fr. alors qu'on en payait 25 autrefois.

Quel besoin de réduire les recettes du trésor dans une pareille proportion ?

Il y a eu des calculateurs excessivement habiles qui ont prétendu que la moitié de 2 faisait 4 et que la moitié de 4 faisait 10.

Je suis convaincu que l'honorable ministre des finances, lui qui tient les cordons de la bourse, arrive aux mêmes conclusions que moi.

MfFOµ. - Pas par la même arithmétique que vous.

M. Dumortier. - Ce n'est pas mon arithmétique, c'est celle de ceux qui ont présidé à la réforme. C'est le calcul de votre honorable collègue, M. le ministre des affaires étrangères qui était alors ministre des travaux publics et qu'on aurait pu appeler, beaucoup mieux, le ministre des travers publics.

J'ai prédit alors les résultats auxquels vous arriveriez, et nous les voyons aujourd'hui.

Vous avez cru qu'avec vos nouveaux tarifs vous auriez augmenté les recettes. Vous avez obtenu une réduction de l'échelle normale que nous devions atteindre.

Ce n'est pas tout, puisque je parle de cette question, je dirai que vous n'avez pas compté la détérioration du matériel, de façon que cet abaissement immodéré des tarifs a amené un déplorable résultat et que vous devez (page 117) encore venir nous demander des millions pour faire face à cet accroissement de dépenses.

II en est résulté une autre conséquence. Comme les chemins de fer ne rapportaient plus autant, on a supprimé beaucoup de trains et l'on a rendu la circulation beaucoup moins facile. On a fait des chemins de fer qui font quatre lieues à l'heure, et l'on appelle cela des chemins de fer de vitesse.

Il n'y a plus aujourd'hui, à part les trains express, que des chemins de fer de banlieue. On s'arrête au moindre petit village, et le nombre des haltes augmente toujours grâce aux demandes des députés, si bien que l'on pourra bientôt rétablir parfaitement les anciennes diligences.

Je demande que M. le ministre des travaux publics examine de nouveau cette question des tarifs des chemins de fer. La révision a été faite avec une. grande précipitation et il en est résulté une réduction considérable dans les recettes, comme nous le voyons dans l'exposé financier que nous a donné M. le ministre des finances.

Reconnaissons que cette situation est due en grande partie à l'abaissement trop considérable des tarifs.

D'un autre côté, on a précisément réduit les prix pour ceux qui pouvaient payer. On a réduit les prix des voyages à longue distance. Or, jamais cette réduction n'amènera un voyageur de. plus.

Ce que l'on aurait dû réduire, c'est le prix des petits parcours pour permettre aux gens de se rendre aux marchés voisins et de faire leurs affaires ; mais pour cette catégorie de voyageurs, on n'a rien fait.

Vous êtes arrivé à un autre résultat encore, c'est que les sociétés concessionnaires n'ont pas du tout accepté vos tarifs.

Vous avez aujourd'hui, en Belgique, des tarifs tout à fait différents. Il n'y a plus d'unité. Dans les provinces où les sociétés n'ont pas consenti à accepter le tarif du gouvernement, le prix du parcours est plus élevé ; dans les autres, on circule a plus bas prix. C'est là une anomalie. et quelle en sera la conséquence ? De tuer la possibilité de créer de nouveaux chemins de fer. Quelle est la société qui engagera ses capitaux dans des entreprises de chemins de fer alors qu'elle aura à subir de pareils tarifs ?

J'appelle donc de tous mes vœux la révision de ces tarifs de chemin de fer qui ont été une chose fatale, au pays.

MtpJµ. - L'honorable M. Dumortier, à la fin de la séance d'hier, demandait à mon honorable collègue des finances de rétablir de hauts droits de douane.

La Chambre ne s'est guère montrée favorable aux aspirations de M. Dumortier et mon honorable collègue des finances n'est rien moins que prêt à les réaliser.

Eh bien, je dois dire à l'honorable M. Dumortier que lorsqu'il me demande de relever les tarifs du chemin de fer, il me trouve, à mon tour, très peu disposé à le suivre dans cette voie.

Je crois que les tarifs réduits de nos chemins de fer sont pour le commerce et pour l'industrie un élément de force et de prospérité.

Il faudra que les enseignements qui sortiront de l'examen qui se poursuit de cette question soient bien défavorables pour me déterminer à revenir sur la réforme de mon honorable prédécesseur, réforme dont M. Dumortier a parlé dans des termes assez dédaigneux.

Je ne crois pas que l'intention de la Chambre, soit d'entamer sur ce point une discussion approfondie. (Non ! non !) Je pense que. la Chambre et le gouvernement sont d'accord qu'il est utile que l'expérimentation se continue pendant l'exercice 1868 dans des conditions normales.

Je crois que M. Dumortier serait fort empêché d'appuyer les critiques acerbes qu'il dirige contre la réforme de. M. Vanderstichelen, sur des chiffres qui sont, dans des discussions de ce genre, les seuls arguments sérieux.

Celte réforme dont, je le répète, l'honorable M. Dumortier parle en termes si dédaigneux, amène, en 1866 et en 1867, un accroissement de mouvement d'un million de voyageurs. (Interruption.)

Quant aux recettes, je demande à la Chambre de lui indiquer deux chiffres ; en I866, les recettes du chemin de fer subissent une réduction de 900,000 fr.

Mais M. Dumortier oserait-il en accuser la réforme ?

N'est-ce pas aux fléaux qui ont fait à cette année une renommée si néfaste ; n'est-ce pas à la guerre, à l'épidémie, à la crise qui vint peser sur l'industrie et le commerce, qu'il faut attribuer pour une large part cette dépression des recettes ?

Si, au contraire, vous examinez les résultats de l'exercice 1867, qu'y trouvez-vous ?

Vous voyez un relèvement de recettes de 1,700,000 fr. Faut-il en faire honneur à la réforme ?

C'est ce que je me garderai bien de déclarer. Il est possible qu'il y ait eu une cause anormale dans la progression des recettes, c'est l'exposition de.Paris qui a pu déterminer un courant extraordinaire de voyageurs.

Il est donc sage, et c'est ce que j'ai eu l'honneur de proposer à la Chambre, - il est donc sage d'ajourner jusqu'à la fin de l'exercice 1868 tout jugement sur la réforme, car jusque-là on s'exposerait à porter un jugement téméraire.

J'espère que le rapport que j'aurai l'honneur de présenter à la Chambre prouvera que les espérances de. mon honorable prédécesseur se sont réalisées.

J'applaudirai, quant à moi, de grand cœur à ce résultat que je souhaite ardemment, et je suis persuadé que mes applaudissements trouveront de l'écho dans cette assemblée, où personne ne méconnaît l'importance de la réforme tentée par mon honorable prédécesseur, non seulement au point de vue économique, mais au point de vue social.

Il y a, messieurs, je le reconnais, un point vulnérable dans cette réforme.

L'honorable M. Dumortier nous a fait un tableau assez bizarre de ce voyageur partant de. Lille pour Bruxelles et qui prend un premier coupon jusqu'à la frontière, et un second depuis la frontière jusqu'à Bruxelles, pour ne pas s'exposer à un surcroît de dépense de 4 francs. Il y aurait peut-être moyen de conserver aux voyageurs de l'intérieur les avantages du système inauguré en 1866, au moyen de billets d'aller et de retour, par exemple. C'est une question à examiner, mais c'est là un mode d'exécution du système qui n'altère en rien celui-ci.

L'honorable M. Dumortier a signalé les inconvénients qui ont été le résultat, il y a quelque temps, d'une situation anormale provoquée par un dissentiment qui s'était élevé entre la Société Générale d'exploitation et le gouvernement.

L'honorable membre s'est trompé en pensant que la gêne imposée par la rupture des conventions existantes entre cette société et le gouvernement avait été d'une longue durée. Une nouvelle convention a été rapidement conclue. Il est parfaitement injuste, au surplus, de faire peser sur le gouvernement la responsabilité de ce fâcheux incident.

M. Vilain XIIIIµ. - Cette gêne dure depuis un an dans les rapports du Grand Central avec l'Etat.

- Plusieurs membres - A demain !

- La séance est levée à 4 1/2 heures.