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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 3 décembre 1868

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1868-1869)

(Présidence de M. Moreau, premier vice-présidentµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 97) M. Reynaert, secrétaireµ, fait l'appel nominal à 2 heures un quart.

M. de Moor, secrétaireµ, lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

Il présente ensuite l'analyse des pièces adressées à la Chambre :

« Des habitants et ouvriers à Gand demandent une loi réglant le travail des enfants dans les manufactures. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants, négociants et marchands des deux rives de l'Escaut se plaignent de l'organisation du service des bateaux de passage entre la Tête de Flandre et Anvers. »

- Même renvoi.


« Par dépêche du 1er décembre, M. le ministre de la justice adresse à la Chambre deux tableaux statistiques indiquant le chiffre des amendes de simple police perçues par chacune des communes du royaume. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de la justice.


« Le collège des bourgmestre et échevins de la ville de Mons adresse à la Chambre deux exemplaires de son rapport au conseil communal sur l'administration et la situation des affaires de cette ville. »

- Dépôt à la bibliothèque.


« M. Lambert, ayant fait une chute malheureuse de laquelle il est résulté une fracture de la jambe droite, demande un congé. »

- Accordé.


« M. de Macar, obligé de s'absenter pour une affaire urgente, demande un congé d'un jour. »

- Accordé.


« MM. T'Serstevens et Hagemans demandent un congé d'un jour. »

- Accordé.


Sur la proposition de M. le président, la Chambre autorise le bureau à remplacer M. Van Renynghe dans la section centrale du budget des finances.

Projet de loi portant le budget des voies et moyens de l’exercice 1869

Discussion des articles des recettes (I. Impôt)

Contributions directes, douanes, accises

Droit de débit de boissons alcooliques

MpMOreauµ. - La discussion continue sur l'article : « Droit de débit des boissons alcooliques. »

M. de Theuxµ. - Messieurs, nous n'avons pas à rechercher quelle est l'opinion qui profite de l'admission des cabaretiers comme électeurs au titre de débit de boissons ; nous avons mieux à faire que cela. Cependant je ne puis pas admettre la supposition faite par l'honorable ministre des finances, qui s'est produite hier pour la première fois dans cette enceinte, et qui, je dois le dire, me paraît diamétralement opposée à la nature des choses : c'est que les débitants de boissons nous seraient plus favorables qu'à nos adversaires.

Cela me paraît tellement incroyable que j'ai été stupéfié de l'entendre. Mais, quoi qu'il en soit, la question n'est pas là ; la question est de savoir si le débit de boissons distillées constitue un titre moral, un titre d'utilité publique pour la participation aux élections. Je ne le crois pas et je crois que personne dans cette enceinte ne le soutiendra ; personne, jusqu'à présent, ne l'a soutenu ; on a dit que l'impôt était direct, mais c'est la seule question qui ait été traitée.

A côté de cette question, il en est une autre, c'est celle de savoir si l'impôt ne peut pas être remplacé par d'autres moyens, et, pour moi, je n'hésite pas à dire que, si le produit de 1,500,000 fr. de cet impôt devait continuer à altérer le corps électoral, à altérer les élections communales, provinciales et législatives, je n'hésiterai pas à considérer comme mon premier devoir d'abandonner cet impôt et d'y en substituer un autre, perçu également sur le genièvre, ce qui se peut parfaitement d'après les bases de notre législation actuelle.

Je ne pense pas, messieurs, que dans aucun pays il y ait un impôt spécial sur le débit de boissons distillées, qui serve à créer des électeurs. Distinguons, messieurs, deux choses qui sont essentiellement distinctes ; si vous parlez de la patente ordinaire du cabaretier imposée à raison du bénéfice qu'il fait dans sa profession comme tout industriel, tout commerçant, personne ne songera à contester ce droit au cabaretier, personne n'a jamais mis cette idée en avant ; mais ce que nous contestons, c'est l'abus qui résulte d'un impôt spécial qui n'est pas fondé sur le produit, mais qui est un véritable impôt de consommation qu'on a voulu éviter de percevoir directement sur la distillation.

Il y a donc une distinction essentielle à faire : tout débitant de genièvre doit prendre une patente, cela est clair ; au titre de sa patente, il est électeur comme tous les autres citoyens.

Donc pas de distinction à cet égard, mais je dis qu'une loi qui crée une catégorie d'électeurs au seul titre de débitants de boissons, introduit dans le corps électoral un élément vicieux, et l'impôt ne peut être maintenu dans ces conditions.

Dans tous les pays lorsqu'un abus est manifeste, incontestable, le législateur doit y porter remède, et c'est ce qui se fait partout. Nous-mêmes nous avons fait une loi sur les fraudes électorales. Malheureusement, cette loi, en faisant disparaître certains abus, en a fait naître d'autres.

Du moment qu'il est constaté en fait que les fraudes existent, que le système électoral est vicieux, il est du devoir essentiel du gouvernement et du législateur de chercher à y porter remède.

Je n'en dirai pas davantage. Je crois en avoir dit assez pour établir la nécessité de changer la situation.

M. Dumortier. - Messieurs, il m'est impossible, de laisser passer la question qui nous occupe, sans dire quelques mots. J'ai pris, depuis plus de vingt ans, trop de part à ces discussions pour me regarder comme vaincu par ce qui se passe.

il est incontestable que. lorsque fut présentée, en 1838, la loi sur le débit des boissons distillées, la Chambre, suivant l'avis du ministère, déclara que c'était un impôt indirect. Elle a voté, il est vrai, l'amendement de l'honorable M. Devaux, mats veuillez remarquer que le ministère s'y était rallié et qu'il en faisait une condition indispensable de la loi. Il avait été jusqu'à déclarer que si cette patente devait compter dans le cens électoral, il l'aurait retirée. Mais il demandait à la Chambre d'examiner d'abord si l'impôt est direct ou indirect.

Qu'à fait la Chambre ?

Elle a engagé le débat. Plusieurs opinions se sont fait jour.

Pour les uns, l'impôt était direct ; pour d'autres, il était indirect ; pour d'autres enfin, il était mixte. L'avis du gouvernement était qu'il était indirect, et c'est cet avis qui a prévalu.

L'honorable M. Devaux est venu présenter un amendement qui, disait-il, devait trancher la difficulté, mais, en résumé, il s'est complètement rallié à l'opinion du gouvernement, que l'impôt était indirect.

La Chambre, en adoptant cette disposition, en inscrivant dans la loi que l'impôt ne compterait pas dans le cens électoral, déclarait, conformément à l'avis du ministère, que l'impôt était indirect. Voilà un fait qui reste acquis.

Survint la seconde phase, la modification à la loi présentée par l'honorable M. Frère en 1848.

La loi présentée par l'honorable M. d'Huart offrait un véritable vice dans l'échelle de la proportion du droit. L'honorable M. Frère a voulu y porter remède et il a eu raison.

Sous le système de l'honorable M. d'Huart, l'impôt était le même pour tous les cabaretiers d'une commune, quel que fût leur débit. C’était une criante injustice. M. Frère est venu proposer que l'impôt fût échelonné suivant l'importance du débit et suivant l'importance des communes.

On faisait par là disparaître l'objection que M. Doignon avait soulevée en 1838 et sur laquelle on s'appuyait pour regarder l'impôt comme direct. L'impôt entrait donc complètement dans la catégorie des abonnements de droits d'accises qui existaient dans la loi française, qui ont existé pendant la réunion de la Belgique à la France et à l'abonnement pour la mouture aux Pays-Bas, car vous savez bien que dans les villages la mouture se payait par abonnement.

Or, jamais il n'est entré dans l'esprit de personne de croire que l'impôt d'abonnement sur la mouture était un impôt direct. On arrive donc avec une proposition nouvelle et M. Frère, dans un projet, expose ses idées que je respecte, mais que je ne partage pas. Il pense, lui, que l'impôt est direct et il dit que par suite il comptera dans le cens électoral ; il supprime donc le paragraphe qui porte que cet impôt ne comptera pas dans le cens électoral.

La question arrive à la section centrale. M. Verhaegen est président et l'honorable membre qui préside en ce moment nos débats était rapporteur de la section centrale. La section centrale ne partage pas l'avis de M. Frère, elle trouve que la question n'est pas assez claire, qu'elle doit être tranchée (page 98) par la loi ; elle dit en termes exprès : « qu'il est nécessaire, pour faire disparaître tout doute, d'introduire dans la loi une disposition ainsi conçue :

« Le droit de débit sera compris dans le cens électoral. »

Voilà donc une affirmation, voilà une mesure positive. Si elle eût été votée, la loi n'eût pas été pour cela constitutionnelle, puisque, dans mon opinion et dans celle de la Chambre de 1839, l'impôt est un impôt indirect ; mais l'inscription des électeurs eût été légale.

M. Frère dit que cette disposition est inutile, puisque, dans son opinion, le gouvernement peut déclarer que le droit comptera dans le cens électoral. Mais, messieurs, il ne suffit pas que le gouvernement déclare cela ; le cens électoral doit se régler par la loi, par un acte clair des trois pouvoirs : de la Chambre, du Sénat et du pouvoir royal.

M. Verhaegen et M. Moreau ne partageaient pas l'avis du ministre et la section centrale n'a pas retiré sa proposition ; l'article n'a pas été retiré. Qu'est-il arrivé ? L'article a été mis aux voix et a été rejeté.

Ainsi la Chambre appelée à dire : « Le droit de débit sera compris dans le cens électoral » répond : Non ; le droit de débit ne sera pas compris dans le cens électoral.

Voilà le vote de l'assemblée.

Vous allez me dire, je le sais, il y a des arrêts de cassation. Mon Dieu, les arrêts de cassation sont faits pour être discutés, et pour mon compte, je déclare que je ne saurais incliner mon intelligence jusqu'à croire que la négative est l'affirmative, qu'un rejet est l'égal de l'adoption, que le silence absolu de la loi équivaut à une inscription dans la loi.

Mais, messieurs, tous les impôts qui forment la base du cens électoral sont inscrits dans une loi quelconque ; un seul n'est inscrit dans aucune loi, un seul : c'est l'impôt sur le débit des boissons ; cet impôt que la Chambre de 1838 avait déclaré ne pas être un impôt direct.

Je ne puis donc pas m'incliner devant les arrêts qu'on invoque ; il me faut des raisons un peu plus fortes que celle-là. Que l'on commence par me démontrer que le rejet d'une disposition par la Chambre équivaut à l'adoption de cette disposition ; que l'on commence par établir que lorsque la Chambre dit : Tel impôt ne comptera pas dans le cens électoral, signifie qu'il comptera dans le cens électoral.

Tant qu'on n'aura pas fait cette démonstration, je dois le déclarer, je ne saurais pas incliner mon intelligence sous un arrêt de cour de cassation, parce qu'il y a quelque chose au-dessus de tous les arrêts de cours de cassation, c'est le sens commun. Voilà 38 ans que j'ai l'honneur de siéger dans cette enceinte, et il n'est rien que j'aie jamais tant cherché à conserver, chose assez rare, il est vrai, que le sens commun. Quant à moi, je ne parle jamais ici que le langage du sens commun. Or, je le demande au nom du sens commun, comment est-il possible de venir dire que le rejet d'une proposition par la Chambre équivaut à son adoption ?

Maintenant, où est le texte, de loi portant que le droit de débit de boissons comptera dans le cens électoral ? Nulle part il n'existe.

Il est bien vrai que l'honorable M. Frère, conséquent avec son opinion, a déclaré qu'il était convaincu que cet impôt devait faire partie du cens électoral ; mais, tout en respectant les convictions de l'honorable ministre, il me permettra de lui dire que sa manière de voir n'est pas la mienne et qu'il me faut autre chose que. la pensée ou la volonté d'un ministre, qu'il me faut un texte de loi pour me résigner à le respecter. Eh bien, ce texte n'existe nulle part.

Voyons, messieurs, quels ont été les résultats qui se sont produits. Le premier résultat s'est manifesté deux ans après la déclaration de M. le ministre des finances. C'est seulement deux ans après que les cabaretiers ont été admis dans le corps électoral en vertu de leur patente de débitants de boissons.

Remarquez, messieurs, comment les choses se sont passées. On décide que l'impôt de débit de boissons doit compter dans le cens électoral et on ne tient pas compte aux cabaretiers des impôts qu'ils ont payés depuis deux ans.

Or, si l'impôt de débit de boissons est de son essence, comme on l'a dit, un impôt direct devant compter dans le cens électoral, vous n'avez pas le droit de ne pas compter, dès le début, le payement de cet impôt ; vous n'avez pas le droit de ne pas tenir compte des payements faits pendant les deux premières années.

Maintenant, dit l'honorable M. Frère, on n'a pas réclamé autrefois. Qu'est-ce que cela prouve ? La loi avait été votée le 16 mai 1849 et c'est en vertu d'une circulaire du 12 avril 1850 ou 1851 que les cabaretiers sont venus se prévaloir des impôts payés pour être portés sur les listes électorales. Vous comprenez bien, messieurs, que la Chambre a très bien pu ne pas s'occuper d'une chose qui n'était alors qu'à l'état embryonnaire. Mais du jour où l'on s'est aperçu de l’effet de cette circulaire, les réclamations ont commencé à se produire. Et, messieurs, s'il n'y a pas vingt ans qu'on réclame, vous serez tous d'accord, je pense, pour reconnaître qu'elles remontent tout au moins à une quinzaine d'années.

D'abord, ainsi que l'honorable M. de Theux vient de le dire, c'est faire des électeurs par catégories ; ce que les principes constitutionnels ne permettent pas. En second lieu, c'est une énorme injustice pour d'autres classes d'habitants. Quoi ! tout cabaretier devient électeur et tout fermier-locataire est exclu de l'urne électorale !

Voici un fermier qui cultive cent hectares ; il paye 1,000 francs au trésor public ; s'il n'est pas propriétaire, s'il n'est que locataire, il n'est pas électeur.

Pourquoi n'est-il pas électeur ? Parce qu'il est censé payer ces 1,000 francs à la décharge des propriétaires ; et si parmi les domestiques de ce fermier il en est un dont la femme tient un débit de boissons distillées, vend des gouttes, celui-là est électeur. N'est-ce pas là le renversement de toutes les idées ? N'est-ce pas la plus criante et la plus scandaleuse de toutes les injustices ?

Vous voulez augmenter le nombre des électeurs. Eh bien, commencez par rendre l'urne électorale accessible, à ceux qui y ont droit et qui en sont exclus depuis trop longtemps.

Le fermier n'est pas électeur ; l'agriculture, le premier de tous les arts, l'agriculture qui nourrit les populations est exclue du scrutin, lorsque le fermier qui s'y livre n'est pas propriétaire. Est-il un seul pays au monde où l'on voie de pareilles anomalies ? Y voit-on le cabaretier électeur par privilège, tandis que le fermier non propriétaire est exclu du scrutin ?

Messieurs, par la loi du 4 frimaire an VII, il avait été stipulé que tout fermier-locataire devait payer la contribution à la décharge du propriétaire ; mais la loi du 26 juin 1822 est venue déclarer que la valeur locative des maisons dans les villes était due par le locataire ; ainsi le boutiquier des villes est électeur du chef de la valeur locative qu'il paye ; et le fermier-locataire ne l'est pas.

Ainsi, voilà des fermiers qui payent des impôts au trésor public, tout comme les boutiquiers des villes, et ne sont pas électeurs.

Maintenant, messieurs, veuillez remarquer que le fermier représente un bien autre élément d'intelligence et de fortune que tous les cabaretiers.

D'abord, un fermier doit avoir au moins 1,000 francs par hectare qu'il cultive ; un fermier qui occupe 20 hectares doit être à la tête d'une fortune de 20,000 francs ; s'il cultive 100 hectares, il doit être à la tête d'une fortune de 50,000 à 100,000 francs ; ce fermier est un personnage notable ; il est entouré du respect de tous ; il envoie ses enfants au collège pour qu'ils y fassent leur éducation.

Ainsi il y a là et la fortune, et l'éducation, et l'intelligence, et voilà l'homme qu'on exclut du corps électoral. Pour moi, messieurs, je dis que c'est une odieuse injustice, et cette injustice ressort encore bien plus quand vous arrivez à cette considération qu'en vertu des mesures qui sont actuellement votées et des arrêts de cassation, tout cabaretier arrive à faire partie des corps électoraux de Belgique.

Or, vous savez tous ce que sont la fortune et l'intelligence des petits cabaretiers.

Il y a certainement des cabaretiers bien élevés qui tiennent de grands cafés, de grands hôtels et qui sont des gens intelligents, mais en général c'est dans cette classe qu'on rencontre presque toujours le moins d'intelligence.

Quand un individu a gagné quelques sous, il se fait cabaretier, et quelle est la fortune qu'il se fait ? On peut l'évaluer à zéro.

II faut dans un cabaret des chaises et des tables, c'est le brasseur qui les fournit. Il faut des litres, des verres et des pintes, c'est le brasseur qui les fournit ; il faut de la bière dans la cave, c'est encore, toujours le brasseur qui la fournit. De manière qu'en définitive, vous n'avez point là cet élément de richesse, d'instruction et d'éducation que vous trouvez chez l'agriculteur et c'est cependant là celui auquel vous permettez d'arriver au corps électoral.

Cela ne fait, dit-on, que 10 ou 12 p. c, et on demande quelle influence cela peut exercer sur les élections. Mais, messieurs, quelles sont les élections qui se font à 10 ou 11 p. c. d'écart ?

Nous avons beaucoup discuté l'autre jour sur l'élection de Bruges ; il a manqué une voix sur 2,500 à M. Vander Maelen pour être élu. A l'élection d'Ypres, M. Van Renynghe a eu 3 ou 4 voix de plus que M. Van Merris (interruption) et cependant M. Van Merris a été élu.

Cela est clair ; il a fallu, pour arriver à ce résultat, trouver dans la loi sur les fraudes électorales la plus grande des fraudes : l'interprétation de la pensée d'autrui ; il a fallu cela pour valider l'élection d'Ypres. Voilà donc des élections qui se font à trois ou quatre voix d'écart, et vous dites que 10 ou 11 p. c. ne peuvent exercer aucune influence ? Mais c'est énorme ! (page 99) Il y a peu d'élections qui se font avec cet écart ; car, en supposant un corps électoral de 20,000 électeurs, cela ferait un écart de 200. Est-ce que vous voyez beaucoup d'élections avec un pareil écart ?

L'honorable M. Frère dit encore : Mais ce sont des électeurs partagés et la plupart des cabaretiers appartiennent plus à la droite, qu'à la gauche. Je n'ai pas, messieurs, examiné cette question ; elle ne me touche pas du tout. Si nous subissons l'inconvénient, tant pis pour nous, mais avant tout la justice et le droit, avant tout la l’égalité devant la loi, et il n'y a plus d'égalité devant la loi !

Je pense donc qu'il est indispensable de revenir un jour, je ne dis pas maintenant, de supprimer purement et simplement l'impôt sur les boissons distillées, sauf, comme on l'a dit, à l'attribuer aux villes qui en feraient un petit bénéfice.

Maintenant, messieurs, pour l'agriculteur, il me semble qu'il n'y a qu'une seule chose à faire : c'est d'admettre dans la loi ce principe seul juste, seul vrai, qui dit : « L'impôt compte à celui qui le paye. »

Vous avez permis par la loi que le propriétaire divisât ses cotes.

Vous avez posé là le premier principe. Pour le paysan, l'honorable M. Frère fait une concession ; mais il consent à l'abandonner pour la province et par la commune. Eh bien, je dirai : Commençons par là.

Admettons dans la loi un article qui porte que l'impôt sur les débits de boissons et de cigares ne comptera pas dans le cens électoral pour la province et pour la commune. Nous serons d'accord sur ce point avec l'honorable M. Frère, et si nous n'avons pas obtenu le redressement absolu de ce grief, nous en aurons obtenu une bonne partie, nous réservant de lutter pour obtenir le reste.

Car, encore une fois, tant et aussi longtemps que vous aurez cette double situation d'un privilège en faveur du cabaretier et de l'élimination absolue de l'élément agricole, vous êtes dans un système, d'inégalité complète, et le principe d'égalité devant la loi, qui forme la base de. l'édifice constitutionnel,, n'existe en réalité que sur le papier de la Constitution.

Je crois donc que nous devons accepter la proposition de l'honorable M. Frère-Orban et j'engage l'honorable membre à la formuler par un amendement.

Au besoin, je pourrais le faire avec quelques amis. Ce sera déjà autant de gagné pour faire cesser un abus réel et scandaleux.

Une des conséquences de cet abus, c'est, vous le savez, qu'il n'y a plus aujourd'hui de police dans les communes rurales. Par le fait de l'admission des cabaretiers dans le corps électoral, la police n'existe plus. Il faut opter entre le maintien de la police dans les villes et les villages et la suppression de l'abus dont nous nous plaignons. Qu'est-ce qui se passe ? Mais, dans beaucoup de villages, les cabaretiers électeurs sont maîtres du terrain et ils disent nettement et crûment au bourgmestre : Si vous faites exécuter les lois de police, vous ne serez pas réélu.

Dans les villes, c'est la même chose. Allez voir dans nos villes. Autrefois, lorsque la cloche de retraite sonnait, les cabarets devaient se fermer. Aujourd'hui on sonne encore la cloche de retraite ; mais cette cloche ne fait retirer personne et l'on n'ose plus faire exécuter les règlements de police.

D'un autre côté, cette faculté de créer des électeurs a fait augmenter outre mesure le nombre des débits de boissons. On a fait, dans certaines communes, quarante, cinquante, cent faux électeurs au moyen du droit de débit de boissons.

Tout cela vous dit qu'il est temps d'apporter un remède à un pareil état de choses.

L'honorable M. Frère s'est beaucoup occupé de la question de l'ivrognerie, et il a produit sur ce point un grand et magnifique travail.

Je regrette bien vivement que l'honorable M. Sabatier, qui a si bien traité cette question dans d'autres circonstances, soit empêché par une indisposition d'assister à ces débats, car j'aurais volontiers entendu l'honorable membre, qui connaît si bien la question, rencontrer les observations de l'honorable ministre.

L'honorable M. Sabatier vous disait, l'an dernier, que, dans certains pays, la diminution de l'ivrognerie avait été en raison de l'élévation du droit.

Je crois que ceci reste une vérité et j'avoue franchement que je verrais bien volontiers reporter sur la fabrication du genièvre le produit de l'impôt sur le débit, et je demeure convaincu que cela amènerait ce double résultat de réduire considérablement le nombre des débits de boissons et, d'un autre côté, de réduire considérablement la consommation des liqueurs alcooliques.

Je me résume donc. J'accepte la proposition que nous a annoncée l'honorable M. Frère et j'engage la Chambre à la voter. Il faut rétablir la police dans le pays. Il faut faire disparaître un abus dont on s'est plaint sur tous les bancs de la Chambre, pas seulement sur les bancs de la droite, mais aussi sur les bans de la gauche.

Il faut les faire disparaître et il n'y a qu'un seul moyen de le faire, c'est d'introduire dans la loi une disposition portant que le droit de débit de boissons ne comptera pas dans le cens électoral pour la province et pour la commune. II n'y a plus ici de scrupule constitutionnel puisque la Constitution ne dit rien pour les élections communales et provinciales ; vous êtes libres et je vous engage à user de votre liberté pour le bien du pays.

MfFOµ. - Messieurs, il est assez remarquable que, chaque fois qu'une discussion se rouvre sur cette question si souvent agitée, elle commence généralement par des considérations en faveur de la morale, par des vœux pour arriver à l'extirpation des abus de l'ivrognerie ; mais elle dévie immédiatement, et se place sur le terrain électoral ; et dès qu'elle a pris ce caractère, c'est sur ce sujet que se concentrent tous les efforts de nos adversaires. C'est, qu'en effet, messieurs, la question de la taxe sur le débit des boissons n'est agitée qu'au seul point de vue de l'intérêt électoral. (Interruption.) J'aimerais beaucoup mieux que l'on s'occupât de l'autre face de la question, mais c'est à la première que l'on s'attache presque exclusivement.

Selon l'honorable M. Dumortier, c'est d'une manière subreptice, en quelque sorte sur ma déclaration et par ma volonté, que le droit de débit de boissons alcooliques compte pour la formation du cens électoral. Jamais la Chambre n'a décidé ce point ; il le proclame, il croit pouvoir le démontrer, et il en est si convaincu que, nonobstant l'opinion manifestée par un si grand nombre de membres de cette Chambre, nonobstant les débats contradictoires qui ont eu lieu au dehors, nonobstant les décisions solennelles de la cour de cassation et des députations permanentes qui ont statué après la cassation, il persiste à soutenir que lui seul est dans le vrai et que tous les autres sont dans l'erreur.

Je crois que ce serait faire perdre du temps à la Chambre que de recommencer encore une fois cette sempiternelle discussion. Je m'en réfère aux raisons et aux preuves que j'ai produites antérieurement pour justifier mon opinion et celle de la majorité de la Chambre, laissant volontiers l'honorable M. Dumortier se complaire dans l'idée agréable que lui seul a le sens commun, et me bornant à répéter encore que le droit de débit de boissons alcooliques est un impôt direct, qui doit, comme tel, être compris dans les bases du cens électoral.

L'honorable M. Dumortier, d'accord en cela avec plusieurs de ses amis, oppose toujours le fermier au cabaretier. Voyez, s'écrie-t-il, l'iniquité d'une pareille situation : le cabaretier fait partie du corps électoral, et le fermier n'y est pas admis ; bien plus il est systématiquement exclu. (Interruption.) Oui, nous l'avons exclu du corps électoral : c'est l'honorable membre qui l'affirme. (Interruption.)

On a, pour les besoins de la cause, certain fermier de fantaisie, un fermier idéal qui possède un capital de 100,000 de 150,000 francs, et qui ne paye pas de contributions. (Interruption.) Nous viendrons tout à l'heure à votre explication.

On a donc un fermier possédant 100,000 ou 150,000 francs et qui ne paye pas d'impôt. Mais, messieurs, si cela pouvait être vrai, qu'est-ce que cela prouverait ? Cela prouverait que notre système d'impôts serait essentiellement vicieux, qu'il faudrait se hâter de le réformer, pour arriver à faire payer par ces riches fermiers, qui possèdent une fortune relativement grande, tout au moins 42 francs d'impôt. Car s'ils sont réellement dans la position que l'on indique, et ne payent pas même 42 fr. 32 c. de contributions, c'est qu'ils jouissent d'un véritable privilège en matière d'impôt.

L'honorable M. Dumortier, pour essayer d'expliquer ce privilège, vous dit : Mais ces fermiers acquittent l'impôt directement à la décharge du propriétaire. Ce sont eux qui payent, et c'est le propriétaire qui jouit du droit électoral. Or, messieurs, l'honorable M. Dumortier doit être bien convaincu, en sa qualité de propriétaire, que si le fermier n'acquittait pas l'impôt pour son compte, l'honorable membre augmenterait d'autant le fermage qu'il lui fait payer. (Interruption.)

C'est donc à la décharge de l'honorable M. Dumortier que son fermier acquitte l'impôt foncier.

Et d'ailleurs, l'honorable M. Dumortier a été le premier à reconnaître et à justifier cette situation. Il a été le rapporteur de la loi communale, dans laquelle on a introduit une exception qui n'aurait pu être admise constitutionnellement pour les élections générales, mais qui était possible pour les élections communales. Lorsqu'il s'est agi de voter cette exception, l'honorable membre est-il venu proposer de compter aux fermiers, pour le cens communal, la totalité de l'impôt qu'ils payaient à la décharge du propriétaire ? (page 100)> Il s'en est bien gardé, et la réversion des droits du propriétaire sur le fermier a été limitée à concurrence d'un tiers.

Il a donc reconnu alors, comme rapporteur de la section centrale, que la thèse qu'il soutient aujourd'hui n'est pas admissible. S'il avait été convaincu que le fermier paye pour son propre compte et que c'est à lui que l'impôt doit compter, c'est à cette époque qu'il aurait dû le déclarer, en lui attribuant non une quotité, mais la totalité de l'impôt.

L'honorable M. Dumortier va plus loin. Chose étrange, dit-il, sous notre législation, en vertu de je ne sais quelle loi de 1822, le boutiquier paye dans les villes l'impôt sur la valeur locative et il est électeur ; le fermier paye également l'impôt sur la valeur locative, et il n'est pas électeur !

Je ne sais vraiment où l'honorable membre s'est renseigné pour porter devant la Chambre de pareilles assertions !

M. Dumortier. - Je n'ai pas parlé de tout cela.

MfFOµ. - Je crois avoir parfaitement compris ce que vous avez dit.

M. Dumortier. - J'ai dit que la valeur locative qui est inhérente à la construction bâtie comptait dans le cens électoral de celui qui occupe la maison, tandis que l'impôt payé par le fermier pour les terres ne lui compte pas.

MfFOµ. - Vous faites ici une confusion d'idées.

La loi de 1822, sur la contribution personnelle, décrète que l'une des bases de cette contribution est la valeur locative de l'habitation, ce qui est essentiellement distinct de la valeur locative du fonds.

La valeur locative existe tout aussi bien pour le fermier que pour le boutiquier. Le fermier acquitte l'impôt sur la valeur locative de sa maison, au même titre que le boutiquier. Vous confondez cette valeur locative avec la base du revenu foncier.

M. Dumortier. - Pas du tout.

MfFOµ. - Mais cela est évident ! Vous avez confondu deux choses essentiellement distinctes. Je vous réponds que le fermier est exactement dans la même position que le boutiquier pour l'hypothèse que vous posez.

Ainsi, à tous ces points de vue, les objections de l'honorable membre ne méritent pas que l'on s'y arrête plus longtemps.

L'honorable M. de Theux vous a soumis d'autres observations ; l'honorable membre ne veut pas examiner à qui profite plutôt l'influence électorale résultant du payement du droit de débit ; il ne recherche pas si c'est l'opinion libérale ou l'opinion catholique qui tire le plus grand profit de cet élément dans le corps électoral. Mais il affirme qu'en aucun pays pareille influence n'est exercée, et que la question des cabaretiers est, en réalité, une question belge. Sous ce dernier rapport, l'honorable M. de Theux se trompe complètement.

D'abord, dans la plupart des pays où des élections ont lieu, les minorités attribuent volontiers au système électoral les échecs qu'elles subissent. Ensuite et tout spécialement, il n'est pas rare de voir attribuer aux cabaretiers, soit aux Etats-Unis, soit en Angleterre, la même influence que celle qu'on leur suppose en Belgique.

Dans les documents que j'ai eu l'honneur de soumettre à la Chambre, dans ce recueil intitulé : « De l'abus des boissons alcooliques, » on pourra trouver l'indication d'opinions exprimées, à ce sujet, par un sénateur des Etats-Unis au ministre belge à Washington. Il lui disait que les mesures qui avaient été prises à l'égard des cabaretiers avaient été de sottes mesures, qu'elles avaient eu pour résultat de leur aliéner un grand nombre de voix et de leur faire perdre la majorité dans plusieurs districts.

En Angleterre, un écrivain qui sollicite des réformes, au point de vue de la morale publique, dans les dispositions qui régissent la matière des cabarets, dit formellement dans un de ses écrits que si ces mesures ne sont pas prises, c'est à cause de l'influence prépondérante qu'exercent les cabaretiers dans les élections.

« Cette facilité, dit-il, d'obtenir des licences au moyen d'une légère somme d'argent et sans les coûteuses difficultés inhérentes à l'obtention d'un privilège pour la vente des vivres, eut pour conséquence une. rapide augmentation des débits d'ale dans le pays, et l'accroissement d'influence d'un intérêt qui a jusqu'ici empêché le rappel de la mesure et qui menace de peser sur le parlement lui-même. »

Vous voyez donc, messieurs, que ce qui se passe ici n'a rien de précisément exceptionnel, et qu'en plus d'un pays on croit à cette influence des débitants de boissons dans le corps électoral.

J'ai déjà fait remarquer que, quel que soit le système électoral en vigueur, on arrive à rencontrer ce même élément, et que sous le régime du suffrage universel, on le retrouve dans une proportion aussi considérable, exerçant à peu près la même somme d'influence que dans les systèmes électoraux qui n'admettent que des censitaires. C'est donc une sorte de fatalité qu'il faut se résigner à subir. Elle résulte de la constitution même du corps social.

L'honorable M. de Theux nous a dit aussi, je l'ai déjà fait remarquer tout à l'heure, qu'il ne recherchait pas à qui profitait l'influence de cet élément dans le corps électoral ; il s'est montré surpris de ce que j'eusse dit, pour la première fois, croyait-il, en quoi il se trompe, attendu que j'ai déjà émis cette opinion à plusieurs reprises, il s'est montré surpris de m'entendre dire que l'élément dont nous nous occupons était plus favorable à l'opinion catholique qu'à l'opinion libérale.

Depuis que j'ai énoncé cette appréciation, j'ai fait faire quelques recherches qui me permettent de prouver en quelque sorte mathématiquement qu'il en est ainsi.

La statistique des contribuables établit qu'il y a 15,000 individus qui ne payent 42 fr. 52 c. et plus, qu'en ajoutant à leurs autres contributions le droit de débit de boissons. Mais tous les contribuables ne sont pas des électeurs. Parmi ces 15,000 individus, il y en a un certain nombre qui ne réunissent pas les conditions voulues pour être électeurs ; ce sont les mineurs, les femmes, etc. ; il y a donc, de ce chef, un certain nombre à déduire du chiffre de 15,000.

La statistique du département de l'intérieur, tome XII, page 189, nous donne le tableau des professions exercées par les électeurs, et nous y trouvons que le nombre des cabaretiers et débitants de boissons est de 11,646, c'est-à-dire, comme je l'ai énoncé plusieurs fois devant la Chambre, à peu près 11 p. c. du nombre total des électeurs, qui est de 106,700.

Eh bien, comment se subdivisent ces cabaretiers et débitants ? Dans les communes de 15,000 habitants et plus, il y en a 2,641. Le surplus se repartit de la manière suivante entre les communes de moins de 15,000 habitants :

Dans les communes de 10,000 à 15,000 habitants, 692 ;

Dans celles de de 5,000 à 10,000, 2,174 ;

Dans celles de de 2,000 à 5,000, 4,240 ;

Et dans les communes de moins de 2,000 habitants, 5,255.

Total, 12,359.

Voilà, messieurs, la véritable situation.

Le nombre des cabaretiers établis dans les grands centres est donc proportionnellement beaucoup moins grand que dans les campagnes. Voulez-vous, maintenant, pour pouvoir encore mieux apprécier, connaître la décomposition par groupes des électeurs dans les communes ? Dans le premier groupe des communes de 15,000 âmes et plus, il y a 35,100 électeurs, de telle sorte qu'il en reste 73,600 pour les communes dont la population est inférieure à ce nombre, c'est-à-dire dans celles où il y a le plus grand nombre de cabaretiers et débitants de boissons.

Ainsi, messieurs, il est clair comme le jour que la suppression du droit de débit de boissons comme base du cens électoral exercerait une influence très considérable dans les communes rurales, c'est-à-dire là où l'opinion catholique trouve son principal appui, et n'en exercerait aucune dans les grands centres, qui envoient généralement au parlement des députés libéraux.

Nous constatons, en effet, à un autre point de vue, que, dans les communes d'une certaine importance et, à plus forte raison, dans les grandes villes, la prépondérance de cet élément, au point de vue où je me plaçais hier, celui de la surveillance et de la police, est tout à fait secondaire et insignifiante.

L'autorité communale dans les grandes villes n'est pas entravée par l'influence de cet élément ; mais quant aux communes peu importantes et à quelques centres industriels, où il y a une nombreuse population ouvrière, vous trouvez un nombre relativement limité d'électeurs et beaucoup de cabaretiers ; là il y a évidemment une influence possible sur l'autorité communale, sur l'action de la police. Mais cela n'existe qu'exceptionnellement, dans un petit nombre de centres, particulièrement dans l'arrondissement de Charleroi dont parlait l'honorable M. Sabatier.

Mais, je le répète, cette influence est nulle dans les villes et les grands centres de population.

Quoi qu'il en soit, selon l'honorable M. de Theux, l'élément est mauvais, et il faut le faire disparaître.

Mais entendons-nous bien. L'honorable M. de Theux est obligé d'admettre une chose : c'est que le cabaretier qui paye deux impôts, l'un de patente, comme cabaretier, et l'autre du chef de débit de boissons distillées, sera maintenu dans le corps électoral. En tant que cabaretier, on ne pourrait (page 101) constitutionnellement l'en exclure, mais il le fait disparaître comme débitant de boissons.

Voilà ce que demande l'honorable membre ; l'élément qu'il veut éliminer, restera donc dans le corps électoral, et cela dans une proportion beaucoup plus considérable qu'il ne le pense.

Ce qui frappe l'honorable membre, c'est qu'à part toute autre considération, on pratique, à l'aide du débit de boissons, un grand nombre de fraudes électorales ; c'est, selon lui, le moyen le plus facile de créer des électeurs.

Eh bien, cette assertion s'était déjà produite dans la Chambre ; j'ai annoncé que je ferais faire une enquête administrative, au point de vue des fraudes électorales en général, et des moyens à l'aide desquels elles sont plus spécialement pratiquées. Je remettrai les éléments de cette enquête à la Chambre d'ici à quelque temps. Mais je puis dès à présent en faire connaître les résultats. Si les éléments que j'ai pu recueillir sont exacts, et ils doivent l'être, tout se réduit à ceci : pour les élections générales, les fraudes que l'on pratique en vue d'acquérir le droit électoral, se restreignent à 1,300. Pour la moitié d'entre elles, on n'a pu se renseigner exactement sur l'opinion au profit de laquelle elles avaient été pratiquées. Quant à l'autre moitié, elle se répartit à peu près également entre les deux opinions qui divisent le pays. Toutes ces fraudes ont été faites au moyen de déclarations pour des contributions dont les bases réelles n'existaient pas.

Maintenant, est-ce que ces fausses déclarations portaient spécialement et en plus grand nombre sur le débit de boissons ? En aucune façon. Sans doute, cette patente spéciale y était bien pour quelque chose, mais non pour la partie la plus considérable.

Les autres bases d'impôt prêtent également à la fraude, elles s'y prêtent même beaucoup mieux, et l'inexactitude des déclarations, en ce qui les concerne, est beaucoup plus difficile à constater.

Voilà la véritable situation ; voilà ce qui résulte des faits qui ont été recueillis. Cela se réduit, en définitive, à peu de chose et n'exerce aucune influence sérieuse.

Je ne parle ainsi que quant aux élections législatives ; pour les élections communales, le nombre des électeurs est beaucoup plus considérable ; au lieu de 106,000, nous en avons 236,000. Là, la fraude se pratique dans des proportions un peu plus larges ; si ma mémoire est fidèle, environ 3,000 individus sont parvenus à se faire inscrire indûment sur les listes électorales, et toujours par des moyens analogues, c'est-à-dire non pas spécialement à l'aide de fausses déclarations de débit de boissons, mais en exagérant les bases de la contribution personnelle, ou en prenant des patentes pour des professions qu'ils n'exerçaient pas en réalité.

Ces fraudes, très fâcheuses, qui s'exercent dans certaines communes, souvent à raison d'influences personnelles bien plus que d'opinions politiques, ces fraudes, messieurs, se neutralisent presque toujours les unes par les autres. Les deux partis qui sont en présence sont également à la recherche de ceux qui sont disposés à se laisser transformer en électeurs à l'aide de certains moyens irréguliers, et à la condition de voter suivant leurs inspirations ; et de cette manière il y a presque toujours parité dans le nombre de faux électeurs qu'ils sont parvenus à créer. Leurs efforts réciproques finissent ainsi par se neutraliser.

Il est telle commune dans laquelle on est venu à faire de fausses déclarations de patentes de toutes espèces : patentes de chiffonniers, de marchands de peaux de lapin, etc., qui créaient électeurs tous les habitants mâles et majeurs. Mais comme les deux partis s'étaient servis des mêmes moyens, les résultats ont été à peu près nuls.

Ce sont là, sans doute, des faits regrettables, mais très exceptionnels, n'exerçant en réalité aucune influence au point de vue politique.

Ce ne serait donc pas, comme vous vous le voyez, à raison de motifs de cette nature qu'il faudrait changer la loi sur le débit de boissons alcooliques, car il faudrait alors, et par voie de conséquence, s'attaquer aux autres lois de contributions directes qui, également et même dans une mesure plus considérable, prêtent à la fraude en cette matière. La fraude, il faut bien le dire, est presque inhérente à tout système électoral. Je ne connais pas de système électoral où la fraude ne se pratique, et on la constate même dans les pays où le suffrage universel existe, et où il n'y a pas à créer des électeurs. (Interruption.) Mais certainement : on arrive à faire voter un grand nombre de fois les mêmes électeurs, et aux dernières élections de New-York certains électeurs ont voté successivement jusque 300 fois. (Interruption.)

M. Coomans. - Ce sont des citoyens modèles.

MfFOµ. - Maintenant, messieurs, ces considérations politiques écartées, revenons à la question de l'abus des boissons enivrantes, dont on s'est très peu occupé. On a prétendu que tout au moins le système qui fonctionne aujourd'hui avait pour résultat de provoquer, de par M. le ministre des finances, à la consommation des boissons fortes. Un honorable membre a dit hier que j'imposais un minimum de consommation à celui qui faisait une déclaration de débit.

Tout cela est de pure invention ; on n'impose à personne l'obligation d'un minimum de consommation, ni, pour me servir de l'expression qui a été employée, l'obligation de verser, si pas dans la rue, au moins dans le gosier des consommateurs, une. certaine quantité de genièvre.

Si le débit est fictif, celui qui l'ouvre ne vend probablement pas beaucoup ; s'il est réel, le cabaretier vend le plus possible, suivant le désir très légitime de tous ceux qui ouvrent un débit quelconque, soit de denrées coloniales, soit de boissons fortes. Le ministre des finances, le gouvernement, ni personne n'exerce et ne peut exercer d'influence dans le sens d'un accroissement de la consommation.

M. Coomans. - On a rayé des cabaretiers fictifs.

MfFOµ. - On a très bien fait. Je n'ai pas dit le contraire. Quand j'ai dit qu'il se pratiquait des fraudes de ce genre-là en vue d'acquérir le cens électoral, je n'ai pas dit qu'on consommât dans ces cabarets fictifs, et je n'ai autorisé personne à dire que j'obligeais les gens à y consommer.

Selon l'honorable membre qui a parlé hier, il faut arriver à des mesures restrictives quant aux cabarets, et il a fait l'éloge pompeux, que je ne veux pas critiquer, des mesures prises récemment en Russie, ce dont je ne suis pas bien sûr, pour limiter le nombre des cabarets. D'après l'honorable membre, c'est un magnifique exemple que la Russie donne à l'Europe occidentale et il serait à désirer qu'il fût imité partout.

Messieurs, il paraît que non seulement on ne va pas en sections, mais il paraît aussi qu'après avoir beaucoup pressé le gouvernement de fournir certains documents à la Chambre, on ne se donne pas la peine de les lire.

En effet, si M. Coomans avait lu la brochure contenant les documents que j'ai recueillis sur la question qui nous occupe, il aurait vu que les mesures relatives à la délivrance des licences pour l'ouverture des cabarets existent depuis longtemps dans divers pays, et particulièrement en Angleterre.

Il aurait pu s'assurer également qu'il ne faut pas aller bien loin pour trouver les cabaretiers placés immédiatement sous l'autorité des préfets. Il suffit, pour cela, de passer la frontière ; en France, il n'est pas permis d'ouvrir des cabarets sans avoir l'autorisation du préfet, qui a le pouvoir d'en limiter le nombre.

On n'a pas vu jusqu'à présent, et c'est ce que constate le document que j'ai eu l'honneur de soumettre à la Chambre, que cela eût pour résultat d'améliorer sensiblement la situation au point de vue de la consommation des boissons alcooliques.

Le seul point qu'il faudrait sérieusement examiner, et j'y appelle les méditations de la Chambre, c'est de savoir s'il existe réellement quelques moyens pratiques et efficaces de faire disparaître un abus déplorable. Quant à moi, je me déclare, impuissant ; j'avoue qu'après avoir examiné avec le plus grand soin ce qui s'est fait dans tous les pays, après avoir étudié attentivement les moyens si variés qui ont été tentés pour arriver au but qu'il est désirable d'atteindre, j'ai dû reconnaître que je ne saurais soumettre à la Chambre un projet de loi renfermant des dispositions présentant quelque efficacité.

Toutes les mesures qui ont été conseillées et dont on parle ici, ont été pratiquées ailleurs sans aboutir à un résultat appréciable. Je le répète, c'est par des moyens moraux seulement que l'on peut, selon moi, arriver à une réforme de la pernicieuse habitude de l'ivrognerie. Or, ces moyens moraux ne sauraient avoir leur source dans une loi.

M. Dumortier. - Messieurs, il n'est pas possible de ne pas répondre quelques mots à l'honorable M. Frère.

L'honorable ministre se complaît dans le succès qu'il a obtenu, en décidant que le droit de débit des boissons alcooliques devait compter dans le cens électoral. Mais ce que j'ai attendu et ce que j'attendrai toujours, c'est la démonstration que l'impôt sur le débit des boissons est un impôt direct.

Le contraire a été dit, répété et démontré.

L'impôt qui frappe les débits de boissons distillées a été uniquement établi pour subvenir au déficit de l'accise, comme un abonnement devant (page 102) remplacer le déficit de l'accise, et, par conséquent, comme un impôt indirect.

Quant à la manière de le percevoir, elle est entièrement dans la même forme qu'était le droit d'abonnement pour la mouture, qu'est le droit d'abonnement dans les villages, en France, pour les droits réunis. Personne n'a jamais songé a venir dire que l'abonnement pour le droit de mouture était un impôt direct. Personne ne soutiendra que l'abonnement dans les villages en France, pour les droits réunis, est un impôt direct.

Comment donc est-il possible de venir soutenir que le droit d'abonnement, en Belgique, est un impôt direct ?

Je le répète, en 1837, quand on a fait la première loi, la question a été discutée, approfondie, et la Chambre a décidé que c'était un impôt indirect ; et quand nous avons ensuite, en 1849, fait la loi nouvelle, la section centrale, dont l'honorable M. Verhaegen était président et l'honorable M. Moreau rapporteur, a déclaré qu'il fallait une disposition formelle dans la loi. Or, cette disposition n'existe pas.

J'ai parlé, messieurs, de la condition que la loi fait aux fermiers dans le corps électoral. L'honorable M. Frère me fait dire qu'il y a des fermiers qui ne payent pas d'impôts. Bien évidemment avec votre loi, le fermier est censé ne pas payer l'impôt. Mais au fond, c'est lui qui le verse. Il n'existe pas un bail, et l'honorable membre sait comment il fait les baux de ses fermiers, dans lequel on n'oblige pas le fermier à payer l'impôt foncier.

- Des membres. - Du tout !

M. Dumortier. - Cela se fait partout aujourd'hui. Or, quand il existe un bail authentique en vertu duquel le fermier doit payer l'impôt, comment voulez-vous que ce payement de l'impôt ne donne pas le droit électoral ? Voilà un fait incontestable, un bail authentique passé devant notaire. Le fermier est obligé de payer l'impôt. Et vous venez dire que ce fermier ne paye pas ! Mais le bail dit tout le contraire.

Eh bien, je dis que c'est une chose inique de ne pas compter au fermier l'impôt qu'il paie en vertu d'un acte authentique, tandis que vous le comptez à celui qui occupe une maison, laquelle constitue également son moyen de fortune. Mais encore ici vous jouez sur les mots ; vous venez dire que le propriétaire augmenterait le loyer si le locataire ne payait pas l'impôt ; mais il en est absolument de même pour une maison : là aussi on peut dire que si le locataire ne payait pas l'impôt, le propriétaire augmenterait le loyer.

Allez donc au fond des choses : celui qui use d'une maison pour en faire son moyen de fortune et celui qui loue une ferme pour en faire son moyen de fortune, sont tous deux dans le même cas.

Or, que faites-vous ? A l'habitant des villes vous comptez l'impôt pour la formation du cens électoral, au fermier vous ne le comptez pas et vous arrivez ainsi à ce résultat déplorable que ce sont aujourd'hui les villes qui dominent le corps électoral. La pondération que le Congrès avait voulu établir n'existe plus.

Le Congrès avait établi un cens différentiel, et c'est en présence de cette disposition si sage de la loi électorale que j'ai proposé de compter au fermier, pour le cens électoral, le tiers de l'impôt foncier payé par lui.

Avez-vous maintenu cette disposition si heureuse qui avait été proposée au Congrès par l'honorable M. de Facqz dans un but de pondération, dans le but d'empêcher que les villes n'écrasent les campagnes ? Non, vous avez rendu le cens uniforme et vous avez ainsi donné la prépondérance aux villes.

Eh bien, messieurs, dans cet état de choses, il n'y a plus qu'une seule chose à faire, c'est de déclarer que celui qui paye l'impôt en vertu d'un acte authentique, doit profiter de cet impôt lorsqu'il s'agit de former le cens électoral.

Voilà, messieurs, ce qui est relatif à la disposition de la loi communale dont on a parlé. L'honorable ministre a voulu me mettre en contradiction avec moi-même ; cela est parfaitement inexact ; quand j'ai fait cette proposition, nous étions dans la position que le Congrès avait créée ; mais vous avez fait disparaître cette position en 1848 ; vous avez fait disparaître alors le cens différentiel. Eh bien, il faut réparer cette injustice et vous n'avez qu'un seul moyen de le faire, c'est de déclarer en principe que l'impôt doit être compté à celui qui le paye.

L'honorable ministre n'a pas parlé de l'amendement que j'ai proposé, et ce silence me paraît être une acceptation de l'amendement. Qui tacet acceptare videtur. Et je crois que nous ferons bien de l'introduire dans la loi. Il s’agit simplement de dire que l'impôt sur les boissons distillées ne compte pas dans le cens électoral.

Il est un fait incontestable, c’est qu'il faut arriver un jour à ce résultat, nécessaire pour la police de la Belgique, de voir supprimer cet abus.

Le nombre des cabaretiers électeurs est tellement considérable qu'ils en sont arrivés à dominer le corps électoral, qu'ils soient catholiques ou libéraux.

Quand vous voyez le chiffre de 250,000 que vous indique l'honorable ministre, je vous demande si ce chiffre ne démontre pas à l'évidence qu'il y a là une pression considérable sur les bourgmestres et sur les députés ?

Quand les gens contre qui les lois de police sont faites peuvent venir dire : Si vous faites exécuter ces lois, vous ne serez pas réélus, il n'y a plus qu'à supprimer la police.

Nous en sommes arrivés en Belgique à ce résultat qu'il n'y a plus de police des cabarets.

Il y a beaucoup de cabarets honnêtes ; mais il y en a aussi beaucoup de malhonnêtes. Combien n'y en a-t-il pas où il y a des chambres à l'étage qu'on met à la disposition des clients ?

Je demanderai si ce genre d'établissements, et ils sont nombreux, ne rentre pas dans l'article 5 de la loi communale et si ceux qui exercent ce genre de profession notoirement, au vu et au su de tous, ne doivent pas être rayés des listes électorales.

Cette question n'a jamais été examinée, et je pense qu'on ferait bien de s'en occuper, car il ne faut pas que cet élément puisse se prévaloir d'un impôt indirect pour arriver à l'urne électorale.

On me dit qu'il y a des localités où jusqu'au commissaire et aux agents de police sont cabaretiers.

M Van Wambekeµ. - Et des échevins.

M. Coomans. - Et des bourgmestres.

M. Dumortier. - Et des bourgmestres aussi. J'en ai connu. Ceci n'est pas le fait du gouvernement, c'est le fait de l'honorable ministre de l'intérieur. S'il nomme bourgmestres ou échevins des cabaretiers, vous pouvez être sûrs que ce sont de bons et francs libéraux.

Je pense donc que nous pouvons accepter la proposition qui a été faite hier par l'honorable ministre des finances, et qu'il suffit, pour cela, de déclarer que l'impôt dont il s'agit ne comptera pas dans le cens électoral des villes et des provinces.

M. Delcourµ. - Je tiens à présenter quelques observations.

M. le ministre des finances s'est étonné qu'à l'occasion de l'impôt sur les boissons alcooliques on soulève la question électorale. Mais, messieurs, rien n'est plus simple, rien n'est plus naturel, la question électorale est née le jour où l'impôt a été proposé.

En 1838, je cherche à bien rappeler les choses, en 1838, dis-je, que s'est-il passé ? Le gouvernement a proposé un droit sur les boissons alcooliques pour suppléer au déficit provenant des boissons distillées.

Le droit était établi comme suit : Villes de première classe, 30 fr. ; villes de seconde classe, 25 fr. ; petites villes et communes rurales, 20 fr. Le droit était donc exclusivement basé sur la population de la commune du débitant sans varier dans chaque localité à raison du débit.

Ce système a été fortement critiqué, et rapporté depuis, par la loi de 1849.

Un point de la dernière importance sur lequel j'appelle l'attention de la Chambre, car il démontre que la question électorale est née avec la loi de 1838, question que nous agitons aujourd'hui et qui demeurera agitée jusqu'au jour où la législation aura pris une résolution définitive.

Lorsque le projet de loi relatif à l'impôt qui nous occupe fut présenté à la Chambre, la section centrale éleva elle-même l'objection. La section centrale se dit : Mais cet impôt me paraît avoir les caractères d'un impôt direct, et si je le maintiens, il faudra nécessairement le comprendre dans le cens électoral ; et la section centrale, pour couper court à toutes les difficultés, vote le rejet de la loi.

Le ministre des finances, à cette époque M. d’Huart, se hâta de déclarer, au nom du gouvernement, que si la Chambre décide de comprendre l'impôt sur le débit de boissons alcooliques parmi des éléments du cens électoral, il retirera la loi. Cette déclaration produisit son effet.

Les orateurs les plus considérables de la Chambre, de toutes les opinions, ne voulurent pas laisser tomber le projet de loi. M. Devaux proposa un amendement ayant pour objet de décréter que l'impôt ne compterait pas dans la formation du cens électoral.

Cet amendement faisait droit aux observations du gouvernement. M. le ministre des finances de cette époque s'était attaché surtout à démontrer que le nouvel impôt proposé ne pouvait être un impôt direct, et que, d'après les lois sur la matière, il appartenait à la catégorie des impôts indirects, des impôts de consommation.

Mais, messieurs, à côté de cette question de principe, il s'en présentait une autre.

Si je me demande quel était le véritable motif pour lequel M. Devaux ne (page 103) voulait pas compter l'impôt dans le cens électoral, je trouve que l'honorable orateur, en recherchant les bases véritables de notre système électoral, déclarait en termes formels que l'impôt sur les boissons alcooliques ne peut être une présomption de fortune ou d'aptitude électorale : ce serait tout le contraire, disait-il.

M. Devaux, développant ensuite cette pensée avec le beau talent que vous lui avez connu, ajoutait que le débit de boissons distillées est une profession qui amène des résultats immoraux, et qu'au lieu de la récompenser par des pouvoirs politiques, il convenait de la restreindre. Notre honorable président actuel, M. Dolez, appuya la proposition de M. Devaux. Je ne veux pas, disait-il, étendre le nombre des électeurs par catégorie et, particulièrement, par celle des débitants de boissons ; je ne verrais pas dans cette extension un progrès, mais un danger électoral.

Vous le voyez, messieurs, ce n'est pas nous qui avons créé la question électorale, c'est la loi de 1838 ; je dis qu'elle subsistera aussi longtemps qu'on n'aura pas fait droit aux justes réclamations du pays, car, je tiens à le déclarer ici, c'est le pays tout entier qui demande un changement sous ce rapport.

Ainsi en 1838, la majorité de la Chambre était d'accord pour ne point comprendre l'impôt sur les boissons alcooliques dans le cens électoral, et pour reconnaître que la profession de débitants de boissons alcooliques conduit a des résultats immoraux qu'il ne faut point encourager. Elle ne voulait pas la récompenser par des faveurs politiques.

Messieurs, lorsque l'impôt est véritablement direct, il ne nous appartient pas de ne pas le comprendre dans le cens électoral.

Aujourd'hui, pas plus qu'en 1853, nous ne saurions le retrancher. La Constitution est là, elle doit être et elle restera la règle permanente du pays et des Chambres.

J'arrive maintenant à la loi de 1849. On vous l'a déjà rappelé, messieurs, et je tiens à le redire à mon tour, une loi nouvelle fut votée par la législature.

Je regrette de ne pas être tout à fait de l'avis de mon honorable ami, M. Dumortier, sur les effets de cette loi.

L'honorable M. Frère, en présentant le nouveau projet de loi, déclara dans l'exposé des motifs que l'impôt serait considéré comme impôt direct.

Conséquent avec son principe, M. le ministre dérogea à la loi de 1838, et comprit, à l'avenir, l'impôt sur le débit de boissons dans la formation du cens électoral. Ce principe, je ne veux pas le nier, est entré dans la loi de 1849.

Voilà donc deux législations différentes, deux décisions opposées : l'une décide que l'impôt ne fera pas partie du cens électoral ; l'autre, au contraire, décide, non pas par une disposition expresse, mais d'une manière implicite, que l'impôt, à l'avenir, sera compté.

L'honorable ministre des finances a dit hier une parole qui, je dois l'avouer, avait éveillé une espérance dans mon esprit. L'honorable, ministre, nous a dit : il y a là une question à étudier, une question à approfondir. Si, comme je le pense, l'impôt est direct, nous ne pouvons pas nous dispenser de le comprendre dans le cens électoral pour les deux Chambres ; nous sommes liés ; et la Constitution nous en fait un devoir.

Mais il n'en est plus de même lorsqu'il s'agit du cens électoral pour la province et pour la commune. Nous ne rencontrons plus de texte constitutionnel impératif. Il n'y a plus qu'une question de justice, qu'une question de moralité. Eh bien, messieurs, si vous consentez à placer la question sur le terrain de la moralité, revenons, je vous en conjure, au principe de la loi de 1838.

Je n'ai pas l'intention, messieurs, de m'occuper de l'interprétation de la loi de 1849, c'est la question judiciaire ; celle-là a été résolue par les arrêts de la cour de cassation, et je professe un trop profond respect pour les décisions de cette cour pour venir les discuter dans cette enceinte.

Mais je sais aussi que nous pouvons, nous législateurs, nous placer à un autre point de vue ; nous ne sommes pas appelés à appliquer la loi ; mais nous avons à la faire. M. le ministre des finances a ouvert hier une voie dans laquelle je voudrais vous voir entrer. L'honorable ministre nous y a invités. « Recherchons si, au point de vue communal, il n'y a point quelque chose à faire. » Eh bien, messieurs, je réponds à cette invitation et je viens apporter à la Chambre le résultat de ma conviction.

Messieurs, si nous n'apprécions la question qu'au point de vue communal, quel est celui d'entre nous qui n'a pas été maintes fois à même de reconnaître les vices de la loi actuelle ; qui n'a pas eu presque chaque jour des fraudes nombreuses à constater et commises principalement au moyen de l'impôt sur les boissons distillées ?

C'est ici, messieurs, que je me sépare de l'opinion de M. le ministre des finances.

J'ai une certaine expérience des luttes électorales ; je les ai vues de près ; j'appartiens à un arrondissement où les luttes ont été les plus vives et peut-être les plus acharnées de la Belgique ; j'ai vu dans tous ses détails ce que j'appellerai la rouerie électorale, et, entre mille faits, permettez-moi de vous en citer un.

Dans une des communes de mon arrondissement, il s'agissait d'une élection communale, il s'est passé des choses véritablement inouïes : on voulait renverser l'administration existante ; il fallait, pour atteindre ce but, créer une majorité nouvelle dans le corps électoral ; eh bien, l'on m'a assuré que 22 électeurs nouveaux ont été portés sur les listes électorales à l'aide d'une fausse déclaration de débitants de boissons alcooliques.

Une fraude en grand et pratiquée sur une large échelle provoqua des réclamations qui furent portées à la députation permanente ; la députation délégua un de ses membres, chargé de s'assurer par lui-même, sur les lieux, de la vérité des faits.

Une indiscrétion avait été commise, on avait connu le jour où le délégué de la députation irait faire sa visite dans la commune. Les mesures étaient prises, on avait eu soin de réunir un mobilier de cabaret, des bouteilles, des verres, et, lorsque le commissaire était sorti d'une maison, on portait le mobilier, les bouteilles et les verres dans une autre maison, qui devait être également visitée. Ces faits m'ont été rapportés par plusieurs personnes dignes de foi.

Tels sont, messieurs, les abus que nous devons prévenir dans les élections communales. Si je ne parle pas des élections parlementaires, c'est par respect pour les convictions de M. le ministre des finances. Dans sa pensée l'impôt dont il s'agit est un impôt direct, il ne consentira donc jamais à le retrancher du cens électoral pour les Chambres.

Mais la Constitution ne nous lie plus lorsqu'il s'agit de la commune ; au lieu de considérer la question au point de vue exclusivement politique, ne l'étudions, je vous en prie, qu'au point de vue purement administratif !

Placée sur le terrain purement administratif, je dis que le système actuel est des plus déplorables.

Messieurs, ce n'est pas seulement dans le Brabant que les vices du système se sont révélés ; ils se sont produits partout, et je suis certain que chacun de mes honorables collègues, à gauche ou à droite, ont reconnu, comme moi, les abus que je signale à l'attention de la Chambre.

Que voyons-nous dans un grand nombre de nos communes ? L'autorité subordonnée au caprice des électeurs, sans prestige, sans pouvoir ; la police des communes négligée ; la tranquillité publique souvent compromise ; des complaisances et des faiblesses compromettantes pour la dignité du pouvoir. Ne vous étonnez pas, messieurs, si, dans quelques communes, la confiance et la moralité s'affaiblissent. Je finis, messieurs, par cette grave considération que je livre à votre justice, et à votre appréciation.

- L'article est adopté.

Droits de débit de tabacs

« Droit de débit de tabacs : fr. 245,000. »

- Adopté.

Redevances sur les mines

« Redevances sur les mines. Principal : fr. 507,000.

« Dix centimes additionnels ordinaires pour non-valeurs : fr. 51,000.

« Trois centimes extraordinaires sur la redevance proportionnelle pour frais de confection d'une carte générale des mines : fr. 15,000.

« Cinq centimes sur les trois sommes précédentes pour frais de perception : fr. 27,000.

« Ensemble : fr. 600,000. »

- Adopté.

Douanes

« Douanes. Droits d'entrée : fr. 15,400,000.

« Droits de tonnage : fr. 15,000.

« Ensemble : fr. 15,415,000. »

M. Jacobsµ. - Messieurs, à diverses reprises l'article concernant la douane a donné lieu à des critiques dans cette Chambre. L'impôt sur le poisson, notamment, a fait l'objet de discussions assez longues.

Messieurs, pour qu'une discussion sur la question des douanes soit sérieuse et approfondie, il me semble que le gouvernement devrait commencer par nous communiquer les documents complets sur le résultat des douanes.

Chaque année, un tableau général du commerce de la Belgique avec les pays étrangers nous est distribué.

(page 101) Dans ce tableau, on nous indique le produit des principaux articles des douanes. J'y trouve une augmentation et la diminution de vingt et quelques articles.

Je trouve ensuite l'indication de la part proportionnelle de dix-neuf ou vingt marchandises. A la suite de ces dix-neuf ou vingt marchandises, se trouve un article global ainsi conçu : « Autres articles 15 p. c. » C'est-à-dire, messieurs, que les nombreux petits articles de douane, dont j'ignore même le nombre, qui sont peut-être au nombre de deux ou trois cents, se trouvent indiqués là sous un terme global.

De même, messieurs, le droit «ad valorem se trouve aussi indiqué que sous un certain nombre d'articles.

Evidemment ce sont les articles les plus importants qui se trouvent dans le tableau, mais il est un autre ordre de critiques qui s'est produit à diverses reprises dans cette Chambre et qui consiste à prétendre que notre douane s'adresse à des articles beaucoup trop multipliés et beaucoup trop insignifiants.

Mais, messieurs, cette discussion nous est presque impossible, pour moi du moins, en présence des documents que nous avons.

Sous le terme général de 15 p. c. du total se trouve, compris un nombre très considérable d'articles dont le dénombrement nous est inconnu.

Il me paraît qu'à l'avenir le gouvernement devrait nous donner, dans le tableau, les indications complètes d'abord de tous les articles ; ensuite, du produit de tous les articles, de la proportion et du droit ad valorem de chacun des articles, et, enfin, du droit sur les quotités.

Si ces cinq indications nous étaient données à propos du tarif des douanes, nous pourrions très utilement discuter avec le gouvernement et arriver à la simplification de ce tarif par la suppression d'un grand nombre de petits articles.

C'est pour que cette discussion, qui, pour moi, est impossible cette année, puisse être faite avec fruit l'année prochaine, que je demande au gouvernement de nous donner ces indications complètes dans le prochain tableau du mouvement du commerce belge.

MfFOµ. - Je crois que tous les renseignements propres à éclairer une discussion sur le système des douanes se trouvent dans le tableau du commerce qui est publié chaque année.

Je ne sais pas ce qu'on pourrait y ajouter. Si l'honorable membre veut préciser, me donner quelques indications, j'examinerai ce qui manquerait. Mais je fais remarquer qu'on ne peut pas tout imprimer en cette matière. La dépense que l'on fait est déjà très considérable, et il ne faut pas l'augmenter en faisant des publications qui seraient sans utilité.

Il vaudrait mieux, pour des objets qui ne se trouveraient pas renseignés, que quelques questions me fussent adressées ; je fournirais les renseignements que l'on désire. De cette façon, on aurait les éléments nécessaires pour la discussion qu'indique l'honorable membre.

M. Jacobsµ. - Je crois qu'il n'est pas difficile de tout indiquer. M. le ministre des finances doit nécessairement avoir le relevé complet du produit de tous les articles frappés de droits de douanes.

MfFOµ. - C'est dans le volume.

M. Jacobsµ. - Dans le volume, je trouve les principaux articles, mais je ne les trouve pas tous.

M. Mullerµ. - Il y a un autre document.

M. Jacobsµ. - On dit qu'il y a d'autres documents. Je demande qu'on m'en indique ; je ne connais pas de document distribué à la Chambre plus complet, que le tableau général du commerce belge avec les différents pays.

Dans ce tableau général, je trouve les principaux articles indiqués et ainsi, à la page 21, je trouve la part proportionnelle des principales marchandises dans le produit des droits d'entrée. J'en trouve 19 indiquées. Plus loin, lorsqu'on indique les droits ad valorem, je trouve 80 articles. Eh bien, le nombre des marchandises sujettes à droits n'est pas si considérable qu'on puisse, sans grands frais, ajouter deux pages à ce recueil, pour donner l'indication de toutes les marchandises. Veuillez-nous en dire le nombre. Ce nombre, j'en suis persuadé, ne dépasse pas 200 à 300. Mettez 200 à 300 lignes, au lieu de 20 d'un côté et 80 ensuite, et vous aurez une indication complète.

Voilà l'indication que je demande, et il me paraît très facile et très peu dispendieux de la fournir à la Chambre

MfFOµ. - J'examinerai s'il y a encore quelque chose à faire.

M. Dumortier. - Messieurs, je voulais profiter de cet article pour parler à la Chambre de la situation de l'industrie en Belgique en ce moment.

Il est un fait incontestable, c'est que, soit dans la capitale, soit partout, des plaintes considérables s'élèvent et accusent une véritable détresse industrielle. On se plaint de tous côtés du manque d'affaires. Le petit commerce, se plaint ; le grand commerce se plaint ; les manufactures se plaignent. C'est une plainte générale.

Pour ma part je suis fortement porté à croire que notre malheureux système douanier entre pour beaucoup dans la crise où nous nous trouvons. Je crois que nous avons fait une très grande faute de nous lancer dans le libre échange comme nous l'avons fait...

M. Vermeireµ. - Je demande la parole. (Interruption.)

M. Dumortier. - ... et qu'en agissant de la sorte, nous avons fait magnifiquement les affaires des étrangers à nos dépens.

L'an dernier, j'ai eu l'honneur de montrer à la Chambre, par la balance du commerce, que le solde de nos opérations industrielles était considérablement à notre déficit, et que ce déficit allait en s'accroissant chaque année. Je ne pensais pas qu'on serait arrivé aujourd'hui à cet article ; sans cela, j'aurais pris avec moi les chiffres nécessaires pour l'établir encore.

Mais je dois persister dans la conviction que j'ai toujours professée, qu'un système protecteur modéré et non pas du tout un système prohibitif, comme on vient le dire quelquefois, est infiniment préférable au libre échange.

Je dois surtout faire observer que, d'après quelques-uns des traités, les produits étrangers arrivent chez nous à des droits de beaucoup inférieurs à ceux que nos produits doivent acquitter. Ainsi pour les fils de laine et pour beaucoup d'autres articles, il existe une véritable prime en faveur de l'étranger, et comme ce traité n'existera pas toujours, j'appelle l'attention la plus sérieuse du gouvernement sur ce point, afin que, s'il doit être renouvelé, le gouvernement fasse en sorte de ne plus mettre l'industrie belge dans la nécessité de subir une prime accordée à l'étranger sous prétexte de libre échange.

M. Vermeireµ. - Messieurs, j'ai demandé la parole, quand j'ai entendu l'honorable M. Dumortier solliciter, comme il l'a fait dans beaucoup d'autres circonstances, le rétablissement des droits prohibitionnistes.

M. Dumortier. - Pas du tout.

M. Vermeireµ. - Le rétablissement des droits protecteurs, si vous le préférez, mais dans le langage économique nous établissons une parfaite synonymie entre les droits protecteurs et les droits prohibitifs.

Maintenant, messieurs, quand l'honorable M. Dumortier attribue à notre système douanier la détresse du commerce et de l'industrie de notre pays, je crois qu'il est complètement dans l'erreur ; je crois que la cause n'est pas là, mais qu'elle est plutôt générale que spéciale ; et, pour démontrer qu'il doit en être ainsi, il suffit de faire remarquer que dans les pays où le système protecteur fonctionne, des détresses autrement graves que celles qui peuvent exister dans notre pays, se sont produites. Nous ne pouvons donc pas attribuer au système douanier que nous avons en Belgique, la diminution du travail dans les manufactures, ni la diminution du trafic commercial. La cause est ailleurs. Elle prend sa source dans les appréhensions d'une politique générale ; on appréhende la guerre, on appréhende des révolutions, et la confiance a disparu. Lorsqu'elle sera entièrement rétablie, comme nous espérons qu'elle le sera dans peu de temps d'ici, le commerce et l'industrie reprendront cet élan que nous y avions constaté autrefois.

J'engage donc le gouvernement, contrairement à ce qu'a demandé l'honorable M. Dumortier, à ne pas aggraver les droits d'entrée qui frappent encore certaines matières ; mais, si des changements peuvent être opérés, à faire disparaître les droits dans la mesure du possible sans nuire, cependant, aux revenus du trésor d'une manière inconsidérée.

L'honorable M. Jacobs a demandé, tantôt, la nomenclature de tous les petits articles qui ne se trouvent pas dans la statistique générale du commerce.

Je crois que cette nomenclature se trouve dans les tarifs de douanes, tels qu'ils sont publiés. Là se trouve l'indication de tous les articles qui sont compris dans le libellé général. Mais il me semble qu'il y a là des articles dont le produit est si peu important et qui causent tant d'embarras à la douane qu'il serait de l'intérêt du trésor et de ceux qui doivent importer ou exporter ces articles, d'abolir ces droits. Ils sont insignifiants et coûtent beaucoup plus de perception qu'ils ne rapportent.

J'en conclus, messieurs, que lorsque par les chemins de fer, par toutes les voies de communication, nous tâchons d'ouvrir des relations avec les peuples qui nous entourent et même avec les pays lointains, ce n'est pas le moment de venir parler d'aggravation de droits d'entrée ou de sortie.

Selon moi, une industrie est bonne ou mauvaise. Si elle est bonne, elle n'a pas besoin de protection. Si elle est mauvaise, c'est-à-dire si ceux qui consomment les articles sont obligés de payer beaucoup plus cher parce qu'ils habitent un certain pays, je crois que l'intérêt général demande que les produits de cette industrie viennent plutôt de l'étranger que du pays (page 105) même, afin que les consommateurs ne soient pas obligés de les payer à des prix plus élevés à quelques producteurs isolés.

M. Jonetµ. - Je ne recommencerai pas le discours que j'ai prononcé l'année dernière en réponse à l'honorable M. Dumortier. Je sais que je n'y gagnerais rien. M. Dumortier ne changera pas d'opinion.

Du reste, l'honorable M. Vermeire y a répondu très sérieusement.

Je ne suis pas d'accord avec l'honorable M. Jacobs en ce qui concerne les tableaux statistiques ; je pense que nous en avons déjà trop ; mais je suis d'accord avec cet honorable membre pour prier M. le ministre, des finances de vouloir bien simplifier son tarif en supprimant les droits sur un grand nombre d'articles qui ne rapportent presque rien au trésor.

Je l'engagerai également à entrer franchement dans la voie des réductions des droits de douanes qui, contrairement à ce que dit l'honorable M. Dumortier, a apporté une grande amélioration dans le bien-être du pays.

MfFOµ. - Messieurs, je crois que, dans la question qui vient d'être soulevée, l'honorable M. Dumortier est à peu près seul de son avis.

L'honorable M. Dumortier appuie ses opinions économiques d'assertions qui sont inexactes en fait. Il commence par supposer qu'il y a détresse dans l'industrie et le commerce, et que cette détresse résulte des innovations introduites dans nos lois de douanes.

L'honorable membre se trompe complètement. Nous avons, il est vrai, comme tous les pays, traversé, dans ces dernières années, des crises dues à des causes diverses. Mais, depuis les réformes introduites dans nos tarifs, l'industrie et le commerce n'ont fait que prospérer.

Le système des droits différentiels qui, d'après l'honorable membre, devait faire la prospérité du port d'Anvers, a été aboli et, depuis lors, le commerce d'Anvers n'a fait que prospérer de la manière la plus remarquable, je dirai la plus étonnante.

Je pense qu'il ne se trouvera personne à Anvers pour demander le rétablissement des droits différentiels.

En ce qui touche les droits de douane, je dirai qu'il n'y a pas d'industrie qui réclame la protection qui lui a été enlevée. Nous n'avons donc pas à faire, sous ce rapport, grand état des doléances de l'honorable M. Dumortier.

D'autres honorables membres pensent qu'il y a encore quelques modifications et simplifications à introduire dès maintenant dans notre tarif des douanes.

Je commence par déclarer que je ne crois pas que ce que nous avons fait depuis quelques années soit le dernier terme de la perfection, et qu'il n'y ait plus aucune espèce d'amélioration à introduire dans notre système douanier. Mais la refonte du tarif est encore toute récente ; des innovations successives et à trop courts intervalles peuvent présenter des inconvénients. C'est pour ces motifs que je ne pense pas que l'heure soit venue d'entreprendre déjà une nouvelle révision du tarif des douanes.

Mais, dit-on, il y existe beaucoup d'articles dont le produit est très minime et qui devraient disparaître.

3Iessieurs, une des parties de la réforme a notamment consisté à éliminer du tarif les articles de minime produit, afin de diminuer les embarras que le payement de ces faibles droits occasionnait au commerce et à l'industrie. Il existe bien encore aujourd'hui un certain nombre d'articles dont les droits ont été notablement réduits, et qui, si on les prend isolément, ne produisent pas une recette bien importante, mais qui constituent, par leur ensemble, une grande partie du revenu douanier.

j'ai donné autrefois, je n'ai plus maintenant les chiffres présents à l'esprit, j'ai donné autrefois l'indication des articles de douane qui produisent moins de 100,000 fr. chacun. Pris isolément, 100,000 fr. c'est peu de chose ; mais la réunion du produit de ces petits articles atteint plusieurs millions.

Au point de vue fiscal, on ne peut donc pas légèrement abandonner des droits qui constituent une source de revenus très légitimes et assez considérables.

Pour examiner d'une manière approfondie notre système douanier, M. Jacobs voudrait un détail plus complet des droits perçus sur les divers articles importés, que celui qui est donné dans le tableau du commerce.

M. Jonet n'est pas de cet avis ; il croit que ce tableau contient assez de détails (interruption) et même trop.

Je crois que M. Jacobs pourra trouver dans le tableau du commerce tous les éléments dont il a besoin. M. Jacobs s'est sans doute arrêté à la notice analytique, mais il y a des tableaux de développement.

Je ne sais pas de quels articles M. Jacobs a voulu parler plus spécialement. Je suppose qu'il s'agit surtout des poissons. Or, le tableau du commerce contient un état, portant le n°22 (page 189), qui donne le détail des droits de douane relatifs à chaque article. Le poisson y figure pour 106,000 francs. On y trouve ce qui a été perçu sur les huîtres, les harengs et les autres poissons non dénommés spécialement.

Je pense que c'est là tout ce que veut l'honorable membre. Toutefois, je le répète, s'il désire d'autres renseignements et que je puisse les lui donner, je le ferai volontiers. Mais je ne crois pas qu'il faille étendre les détails de la publication dont il s'agit. Ceux qu'elle contient nie paraissent complètement suffisants.

M. Dumortier. - Je pensais que l'état de l'industrie et du commerce, en Belgique, était tel, qu'il devait bien mériter la sollicitude du gouvernement ; mais j'entends, au contraire, M. Frère nous dire qu'en Belgique la prospérité est à son comble ; qu'Anvers, au moyen de la suppression des droits différentiels, s'est relevé d'une manière resplendissante ; que personne ne se plaint.

Eh bien, je dirai d'abord que la suppression des droits différentiels, que les prétendus avantages du port d'Anvers, sont une véritable calamité pour Anvers et pour le pays tout entier.

Qu'avez-vous fait du port d'Anvers par la suppression des droits différentiels ? Au lieu d'arrivages directs, vous n'avez plus que le cabotage ; au lieu de recevoir directement des colonies les denrées qu'elles produisent, vous êtes obligé d'aller les chercher à Londres, à Liverpool, au Havre, en Hollande, en un mot dans tous les grands ports de l'Europe.

Or, les droits différentiels ont été établis précisément pour créer les arrivages directs ; ils ont existé sous le régime de ces droits ; depuis il suppression de ce régime, les arrivages directs ont disparu et bous sommes aujourd'hui tributaires de l'étranger. Où est, depuis lors, votre marine ? Combien avez-vous encore de vaisseaux ? qu'avez-vous fait du commerce d'Anvers ? Votre flotte a disparu, votre marine n'existe plus, vos marins se sont dispersés ; vous n'avez plus que le cabotage de l'étranger, que les vaisseaux étrangers et vous vous êtes fermé l'accès au bénéfice des transports sur cet immense chemin de fer qu'on appelle l'Océan. La grande industrie de la construction des vaisseaux, cette industrie qui emploie tant de choses, qui remue tant de capitaux, qui répand tant de bien dans le pays ; cette grande industrie n'existe plus, elle est perdue avec la navigation, avec la marine, avec le commerce direct.

Et si je pénètre au cœur même du pays, quel spectacle s'offre à mes yeux ? Que sont devenus tous ces hauts fourneaux répandus sur toute la surface de la Belgique ? La plupart sont éteints (interruption), et quant à ceux qui ne le sont pas encore, ils ne subsistent que tout juste assez pour qu'on ne puisse pas dire qu'ils ont cessé d'exister. Vous avez fait entrer chez nous les fers anglais à des conditions telles, que toute concurrence de la part de notre propre industrie est devenue désormais impossible. Et vous viendrez nous dire, après cela, que l'industrie belge est prospère !

Oh ! dit l'honorable M. Vermeire, et il croit avoir eu un trait de génie, que les industries qui ne peuvent pas lutter avec l'étranger cessent de subsister. Voilà donc ce qu'enseigne votre beau système d'économie politique : la suppression de l'industrie belge ! En vérité, messieurs, l'économie politique ainsi entendue est une admirable chose. Quoi ! voici un pays qui consomme cent millions de produits dans une industrie ; je suppose que cette industrie produise en Belgique à 5 p. c. plus cher que l'industrie étrangère ; le pays aura donc perdu cinq millions. Mais pour ne pas subir cette perte, vous allez porter ces cent millions à l'étranger, et vous ruinez ainsi votre pays. Voilà le joli résultat auquel vous mène le libre échange : destruction de la richesse nationale, du travail national ; tandis que la protection a précisément pour but d'assurer le travail national, le pain de l'ouvrier, la prospérité de l'industrie nationale.

Je dis donc, messieurs, qu'une pareille question ne mérite pas le superbe dédain avec lequel on la traite ; elle mérite, au contraire, un examen sérieux, approfondi. Quand vous venez me dire que tout est parfait en Belgique, je vous réponds : Allez voir où en est votre marine, vos vaisseaux, vos matelots, vos hauts fourneaux et toutes vos autres industries.

Pour mon compte, j'ai toujours combattu le système libre échangiste et je m'en félicite. Pour l'honorable M. Vermeire, car le langage économique n'a rien de commun, paraît-il, avec la langue française ; pour l'honorable M. Vermeire, protection équivaut à prohibition. J'ai toujours été ennemi de la prohibition, mais je demande un système de protection suffisante pour assurer à nos ouvriers le travail, c'est-à-dire la première condition de l'existence. Arrière toutes les belles théories que vous venez faire ici ! et commencez par donner du pain à l'ouvrier : Primo vivere, secundo philosophare.

Ce pain, l'ouvrier ne le possède que. par le travail de ses mains. Ce qu'il y a de plus sacré dans un pays, c'est le travail de l'ouvrier, et ce travail, vous en dépossédez l'ouvrier, avec vos théories économiques qui sont nées (page 106) en Angleterre, et que l'Angleterre a exportées dans les pays étrangers pour y tuer le travail national.

Vous imaginez-vous par hasard, vous, petite nation, peuple enfant, que vous puissiez lutter contre l'Angleterre, avec les immenses ressources de tout genre dont l'Angleterre dispose ? Ne vous faites pas cette illusion ; c'est un rêve. Si une crise très grave pèse en ce moment sur l'industrie du pays, j'en attribue en grande partie la cause au système économique que vous avez adopté ; et pour mon compte, je suis convaincu que ce qui est indispensable à la Belgique, c'est un système de protection modérée, qui assure à la Belgique le travail national, qui y conserve la masse de ses capitaux et qui garantisse à ses ouvriers la vie, l'existence et l'honneur.

M. Vermeireµ. - Messieurs, j'ai quelques observations à faire en réponse à celles qui ont été produites par mon honorable ami M. Dumortier.

Avec le talent oratoire que possède mon honorable ami, il a fait un brillant tableau du système protecteur ; il a fait miroiter devant vous la prospérité qu'un système protecteur doit procurer au pays.

Eh bien, messieurs, voici une seule observation : Supposez que des pays traitent entre eux à des conditions égales, supposez de plus que, dans plusieurs pays, les droits d'entrée soient de quatre pour cent ou qu'ils soient entièrement abolis, quel en sera le résultat ?

Il sera nul pour les négociants, mais il pèsera sur les consommateurs et profitera, uniquement, au trésor qui les percevra.

Maintenant, on nous dit que c'est parce que le système protecteur n'existe plus en Belgique, que l'industrie y est dans un état de crise, que les hauts fourneaux s'éteignent, et que ceux qui ne sont pas encore éteints ne projettent plus qu'une lueur blafarde.

Eh bien, messieurs, les hauts fourneaux ne s'éteignent pas, et je regrette que l'honorable M. Dumortier, qui habite plus près que moi des lieux où sont situés les hauts fourneaux, ne sache pas qu'en ce moment même on les rallume. Pour affirmer cette assertion, je lui demanderai si à Strépy-Bracquegnies, par exemple, les hauts fourneaux sont éteints ? Je crois, messieurs, que ce n'est pas rendre un service réel à notre industrie que de dire que nous ne pouvons pas lutter avec l'étranger. Dans les autres pays où on lira les discours de M. Dumortier, où peut-être on y ajouterait foi, on pourrait bien se dire : « Mais cette Belgique qui a toujours marché à la tête de l'industrie, qui a toujours si bien travaillé, a donc complètement dégénéré ? Ne pourrait-elle plus soutenir la concurrence ? Son outillage est-il devenu plus mauvais que celui dont on se sert ailleurs ? »

Voilà le raisonnement que, peut-être, on pourrait se faire à l'étranger. Heureusement, messieurs, il en est tout autrement. Lorsque vous visitez nos fabriques, vous voyez qu'on n'est pas mieux outillé en Angleterre que chez nous, quoi qu'en dise l'honorable M. Dumortier. Aussi, nous pouvons lutter favorablement, surtout en ce qui concerne le fil de lin, le fil de coton et celui d'autres matières ; nous pouvons, dis-je, très bien lutter contre l'Angleterre, et même envoyer nos produits dans ce pays.

Messieurs, ne décrions pas tant l'industrie belge ; nous pouvons être fiers de notre travail et nous pouvons continuer à marcher comme nous l'avons fait jusqu'à présent.

Pour moi, messieurs, je suis aussi industriel et j'ai, le premier, demandé qu'on supprimât le droit d'entrée sur les produits que je fabrique.

Qu'est-il arrivé depuis ? Il y a dix ans, les portes de l'étranger nous étaient fermées et, aujourd'hui, nous y envoyons nos produits. Que les autres travaillent dans les mêmes conditions, et l'exportation pourra se faire partout.

Je vous citerai, à cette occasion, l'exemple de Verviers. Verviers, cette ville industrielle par excellence, ainsi que les autres localités qui l'environnent, n'ont-elles pas considérablement augmenté l'exportation de leurs produits, et ne les envoient-elles pas, pour plus de la moitié, dans les cinq parties du monde ?

Et Verviers, messieurs, réclame-t-elle la protection ? Bien au contraire, Verviers a été la première sur la brèche, lorsqu'il s'est agi de réclamer la liberté du commerce, le libre échange et l'abolition des douanes. Pourquoi ? Parce que Verviers y trouve son profit et un profit considérable.

Je comprends cependant que la protection puisse faire quelque chose, parce qu'à l'intérieur nous avons des frais extraordinaires à payer. Mais le droit à la douane ne doit être autre chose que l'équivalent des charges qui pèsent sur l'industrie indigène. Je crois en avoir dit assez sur ce sujet et avoir démontré que je serai très heureux de voir abroger le tarif douanier tout entier.

Droit des débits des boissons alcooliques

M. le président. - Il est parvenu au bureau un amendement qui propose d'ajouter au projet que nous discutons un article ainsi conçu :

« A partir du 1er janvier 1869, le droit de débit de boissons alcooliques et le droit de débit de tabac cesseront d'être compris dans le cens électoral pour la province et pour la commune.

« (Signé) : Delcour. »

Cet amendement est-il appuyé ?

- Plusieurs membres. - Oui ! oui !

M. le président. - Dans ce cas, cet amendement sera imprimé, distribué et fera partie de la discussion.


Le sort désigne M. Beke pour remplacer M. Van Renynghe dans la section centrale chargée d'examiner le projet de loi déposé par M. le ministre des finances dans la séance du 2 de ce mois.

- La séance est levée à 5 heures.