(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1867-1868)
(Présidence de M. Dolezµ.)
(page 1253) M. de Moor, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à deux heures et un quart.
M. Van Humbeeck, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la séance précédente.
- La rédaction en est approuvée.
Il présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre :
« Le sieur Henry se plaint que la députation permanente du conseil provincial du Hainaut, qui avait admis comme substituant de son fils Jean-Louis, le nommé Goossens a annulé cette substitution, et demande que son fils ne soit pas contraint à servir en personne ni à fournir un autre homme. » _
- Renvoi à la commission des pétitions.
« M. Le Hardy de Beaulieu, retenu par une affaire urgente, demande un congé d'un jour. »
- Accordé.
« M. Orts, obligé de s'absenter, demande un congé d'un jour. »
- Accordé.
M. Van Overloopµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale sur le projet de loi relatif à la concession d'un chemin de fer de Malines à Terneuzen.
M. Watteeuµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale sur le budget du ministère de la justice pour 1869.
M. Van Iseghem. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale sur le projet qui alloue au département des affaires étrangères un crédit supplémentaire de 275,740 fr. 96 c.
- Ces rapports seront imprimés et distribués et les projets qu'ils concernent mis à la suite de l'ordre du jour.
M. Maghermanµ. - Messieurs, j'ai lu et relu avec beaucoup d'attention le discours que l'honorable ministre de l'intérieur a prononcé à la séance du 5 de ce mois. Je suis frappé d'une chose : c'est que ce discours est d'un bout à l'autre un plaidoyer pour justifier la loi du 7 mai 1866. Pour atteindre son but, l'honorable ministre se livre à des subtilités de calculs, qui détruisent toute la valeur de l'opération du recensement, et ces calculs reposent sur des données tellement vagues que je suis étonné d'une chose, c'est que l'honorable ministre ose les présenter comme offrant des éléments de certitude suffisants pour servir de base à une répartition pour laquelle la Constitution prescrit des limites rigoureuses.
Et d'abord comment expliquer qu'après seize mois, on ne soit pas encore parvenu à nous livrer le résultat définitif du recensement du 3l décembre 1866. Je parle du recensement de la population ; car pour le recensement agricole, on est entré dans des détails tellement minutieux que je crains bien que cette opération ne produise rien d'utile, et qu'on ne soit longtemps encore sans en avoir le résultat. Mais le dépouillement du recensement des habitants est une opération sans complication, qui peut être terminée au bout de quelques semaines.
C'est ainsi que le recensement du 31 décembre 1846 était complétement dépouillé en très peu de temps et a servi de base à la loi du 31 mars 1847.
Donc trois mois ont alors suffi, non seulement pour donner le résultat du recensement, mais pour présenter, discuter et promulguer la loi qui établissait une nouvelle répartition des sénateurs et représentants. Aujourd'hui plus de seize mois se sont écoulés depuis le recensement et on ne donne encore qu'un résultat provisoire ! Avouons que, sous ce rapport, nous ne sommes pas en progrès !
Dans un recensement, on surprend pour ainsi dire la population sur le fait : on constate tous les habitants présents à un moment donné. Quelles graves erreurs cette constatation peut-elle contenir ? Certes les absents n'y sont pas compris ; mais ils sont compensés par les étrangers présents. Le redressement à faire du chef des régnicoles absents et des étrangers présents, en supposant que ces deux éléments ne se compensent pas d'une manière à peu près exacte, serait la seule correction à apporter au recensement, et elle ne doit pas être bien difficile.
Il est vrai, la commission de statistique évaluait en 1846 les omissions à 1 sur 60. Je ne conteste pas l'autorité de cette opinion -, mais enfin ce n'est qu'une opinion, si respectable qu'elle soit, qui n'apporte aucun fait à son appui. Ce qui pouvait être vrai ou vraisemblable alors, peut ne plus l'être aujourd'hui par suite de perfectionnements apportés dans le mode de constatation, et des développements qu'a acquis l'instruction.
Mais M. le ministre ne se contente pas aujourd'hui d'une omission supposée de 1 sur 60, il l'évalue à 1 sur 48 ; ainsi, d'après lui, nos administrations communales, qui ont dû profiter de l'expérience des opérations précédentes, donneraient des résultats de plus en plus défectueux ! C'est là apparemment encore un progrès !
M. le ministre tient comme élément indiscutable de véracité le chiffre de l'excédant des naissances sur les décès, pris à l'état civil. Mais il ne tient aucun compte des décès assez fréquents de Belges à l'étranger, et l'on sait que ces décès ne sont pas toujours notifiés régulièrement.
Ces décès à l'étranger ne peuvent se compenser par les naissances à l'étranger ; car en général les femmes voyagent peu, surtout lorsqu'elles se trouvent dans une situation qui permet d'espérer une prochaine augmentation de famille. En général les naissances à l'étranger n'ont lieu que par suite d'établissement hors du pays, et alors, si les émigrés ont conservé leur qualité de Belges, ce qui est une autre question, ils ne sont plus comptés parmi les habitants de la Belgique.
M. le ministre ne tient aucun compte non plus d'une certaine catégorie de naissances signalée à la séance du 5 par l'honorable M. Kervyn de Lettenhove. En général les enfants appartenant à cette catégorie quittent le lieu de leur naissance, et quelquefois abandonnent le pays, sans qu'aucune autorité en soit informée.
M. le ministre se livre à de longs calculs pour prouver que les registres de la population méritent plus de confiance que le recensement.
J'observerai que les registres de la population ont pour base le recensement ; que les recensements périodiques sont institués pour rectifiée les erreurs des registres de la population, et que ces registres n'ont jamais été considérés comme devant rectifier les recensements. M. le ministre veut renverser les rôles de ces deux éléments de constatation.
Voici ce que dit à ce sujet l'exposé des motifs de la loi du 2 juin 1856 :
« Dans un rapport du 16 mai 1855, elle (la commission centrale) me signala l'insuffisance de ces registres pour asseoir avec quelque utilité le chiffre de la population. Elle déclara que le mouvement de la population, quelque soin qu'on apporte à la tenue des registres, donne lieu à des irrégularités, à des erreurs, à de doubles emplois, qui, après quelque temps, ne peuvent disparaître que par suite d'un nouveau recensement. »
Ainsi, à cette époque, la commission centrale de statistique et avec elle le gouvernement tenaient pour constant que ce sont les recensements qui doivent corriger les irrégularités, les erreurs, les doubles emplois qui émaillent les registres de la population, et que ce ne sont nullement ceux-ci qui doivent servir à corriger les imperfections des recensements.
Le rapport de la section centrale sur le projet de loi sur les recensements, qui est devenu plus tard la loi du 2 juin 1856, énonce les mêmes opinions, et malgré les mesures que cette loi présente pour assurer la tenue régulière des registres de population, elle prescrit le recensement décennal, comme le correctif obligé de l'imperfection de ces livres.
L'honorable ministre se livre à de véritables artifices de calcul pour prouver que la comparaison des trois recensements opérés en 1846, (page 1254) 1856 et 1866 permet d'élever le chiffre de la population de 4,990,000 à 5,000,000 d'habitants.
Ce font là des calculs de probabilité qui n'ont aucune base fixe l'augmentation de la population ne procède pas toujours de la même manière ; mille causes diverses, dont souvent on ne peut pas se rendre compte, peuvent altérer la marche régulière de cette progression.
Si nous voulons agir avec prudence, nous devons nous en tenir au résultât tel qu'il est constaté par le dernier recensement. Ce résultat nous donne le chiffre de 4,839,094 âmes. Prendre un autre chiffre pour point de départ, c'est nous exposer à sortir de la Constitution, et tous nous avons juré de l'observer.
A ce compte, il y avait, le 31 décembre 1866, quatre représentants et deux sénateurs de plus que le nombre légal.
Mais admettons pour un instant avec la commission de statistique à une époque non suspecte, comme disait l'honorable ministre de l'intérieur, que ce chiffre doit être augmenté de 1 sur 60 ; cette opération nous donnera un accroissement de 80,651 habitants, soit un total de 4,919,745 habitants.
Avec cette augmentation, le pays aura droit à 122 représentants et à 61 et sénateurs. A la vérité, il y a un excédant de population de 39,745, ce qui donne, à quelque chose près, droit à un représentant de plus, mais il manque la moitié, soit au delà de 40,000 âmes, pour un sénateur. De plus, comme la Constitution détermine le nombre des sénateurs à la moitié de celui des représentants, il faut nécessairement que le nombre des représentants soit un chiffre pair.
Ainsi, en admettant que le résultat du recensement, ce qui me paraît très contestable, doive être augmenté d'un sur soixante, il demeure encore avéré qu'au 31 décembre 1866, nous étions dans une situation inconstitutionnelle, puisque nous avions deux représentants et un sénateur de plus que ne comportait la situation numérique de la population.
Voilà, messieurs, où nous a conduit le fatal esprit qui a présidé à la présentation du projet de loi, auquel l'honorable M. Orts a attaché son nom.
Ce n'est pas en vain qu'on foule aux pieds des dispositions législatives qui ont été élaborées avec maturité et qui ont réglé avec sagesse la révision de notre tableau de répartition des représentants et sénateurs.
La section centrale avait pensé et avec elle la législature de 1856 « qu'un intervalle de dix ans entre chaque répartition permettrait d'asseoir cette opération importante (la répartition des membres des Chambres législatives) sur des données qui auraient acquis un degré suffisant de certitude et de permanence pour servir de base solide à une juste répartition. »
La majorité de 1866, trop pressée de jouir des avantages qu'elle attendait d'une révision anticipée, a foulé aux pieds les sages prescriptions de la loi de 1856, au risque de nous jeter dans la situation que nous constatons aujourd'hui.
Si de pareils entraînements s'expliquent jusqu'à un certain point (sans les excuser) par les passions politiques qui dominent quelquefois les partis, un gouvernement qui s'y associe est moins excusable et assume une immense responsabilité vis-à-vis du pays. C'était au gouvernement à montrer plus de sagesse et à rappeler sa majorité au respect de la loi de 1856.
Il me reste à dire un mot, messieurs, de ce que j'appellerai le petit côté de la question.
Après avoir démontré que la loi de 1866 nous a entraînés hors de la Constitution, il peut paraître assez peu intéressant de savoir si l'arrondissement de Bruxelles est parfaitement en règle, et si, au contraire, l'arrondissement d'Audenarde, qui m'a fait l'honneur de m'envoyer dans cette enceinte, serait le premier à souffrir d'une modification restrictive.
L'honorable ministre de l'intérieur est revenu plusieurs fois sur ce point avec une persistance quelque peu malicieuse. Il lui a probablement paru piquant de mettre en évidence que l'un de ceux qui ont pris part au débat de cette question (ce n'est pas moi qui l'ai soulevée) en serait la première victime.
Quoique j'aie fait observer à diverses reprises à l'honorable ministre que le troisième député avait été maintenu à Audenarde malgré l'infériorité de son excédant comparativement à celui d'Alost, parce que l'arrondissement d'Alost jouit déjà d'un sénateur de plus à la faveur de cet excédant, l'honorable ministre n'a tenu aucun compte de cette observation, et dans le tableau qui est joint à son discours, il fait ses attributions exactement comme si la répartition des sénateurs n'exerçait aucune influence sur celle des membres de cette Chambre.
Je tiens à lui démontrer son erreur.
Voici ce que dit à ce sujet le rapport présenté au nom de la section centrale par l'honorable M. Moreau, sur le projet de loi qui plus tard a été publié à la date du 24 mai 1859 :
« En suivant le même mode de procéder pour répartir les membres des deux Chambres entre les districts électoraux, on trouve le résultat consigné au tableau ci-annexé.
« Il résulte de ces calculs que le projet de loi fait exception en quelque sorte à la règle générale pour les districts d'Alost et d'Audenarde.
« L'arrondissement d'Alost, qui a une population de 138,876 habitants, a droit à trois représentants, et il reste en sa faveur une fraction de 18,876 âmes, tandis qu'Audenarde ne peut invoquer qu'un excédant de population de 16,667, excédant ainsi un peu inférieur à celui d'Alost. Mais il importe de remarquer que c'est seulement 58,876 habitants qui donnent à ce dernier district un second sénateur, tandis qu'Audenarde a à cet effet un surplus de 16,667 âmes.
« Or, déjà, lors de l'examen de la loi de 1847, des faits analogues se sont présentés, et il a été décidé que lorsque pour fixer le nombres des représentants et des sénateurs entre deux districts, les fractions que chacun des arrondissements pouvait faire valoir, différaient de peu, il y avait lieu d'attribuer le représentant à l'un et le sénateur à l'autre, en respectant l'état de choses existant.
« C'est donc avec raison que le projet de loi maintient trois députés à Audenarde, en donnant à Alost un sénateur de plus, car chacun de ces arrondissements doit avoir ce qu'on leur accorde de plus, non pas d'après le chiffre de leur population, mais en leur tenant compte des excédants de population des autres districts de la province dont ils font partie. » (Rapport de M. Moreau sur la loi du 24 mai 1859} Annales parlementaires, session 1858-1859, p. 966.)
Le même système a été consacré par la loi du 7 mai 1866.
Voici ce que disait à ce sujet son rapporteur, l'honorable M. Orts :
« Elle (la section centrale) décide, aussi à l'unanimité moins deux abstentions, que la répartition entre les provinces et les arrondissements se fera d'après la même base, et à l'unanimité, elle propose également de prendre comme base de la répartition entre les arrondissements un système de compensation consistant dans la combinaison des excédants pour le Sénat avec celles pour la Chambre, etc. »
D'après ces bases, constamment admises, l'arrondissement d'Audenarde a un droit incontestable à conserver trois députés.
Messieurs, je me suis donné la peine de dresser un tableau de répartition des représentants et sénateurs pour les provinces de Brabant et de la Flandre orientale, d'après la population constatée par le recensement du 31 décembre 1866, augmentée d'un par soixante, ainsi que l'a admis la commission de statistique à une époque non suspecte, comme dit M. le ministre de l'intérieur, et voici les résultats auxquels je suis arrivé : (Ces détails, insérés aux pages 1294 et 1295, ne sont pas repris dans la présente version numérisée. Ils comprennent notamment les commentaires suivants :)
(page 1295) Province de Brabant : Nivelles a incontestablement droit au dixième sénateur, en vertu de sa plus forte fraction. Il appartiendrait à la Chambre de décider si, en vertu de son droit de possession, Nivelles doit aussi conserver son quatrième présentant, qui, sans cela, reviendrait à Bruxelles, qui a le plus fort excédant.
(page 1295) Province de Flandre orientale : Dans cette répartition, il n'y a que 7 sénateurs à contingent complet ; trois doivent être attribués aux plus grands excédants. Ce sont Alost pour 65,000, Eecloo pour 56,000, Gand pour 49,000. Il n'y a aussi que 18 députés à contingent complet. Il reste à en donner deux aux plus forts excédants qui n'ont pas participé à la répartition des sénateurs. Ce sont : Termonde pour un excédant de 22,562, Audenarde pour un excédant de 15,532.
Il reste acquis, messieurs, qu'au 31 décembre 1866, Bruxelles avait un sénateur de trop et que la province de Brabant avait un député de trop qui pourrait être contesté entre Bruxelles et Nivelles, toujours en prenant pour base la population constatée par le recensement, augmenté d'un soixantième ; tandis qu'Audenarde resterait parfaitement en règle même en ne tenant pas compte de ce soixantième, puisque la Flandre orientale à un excédant de 10,236 habitants qui est négligé, et que j'ai attribué au Brabant un député pour une fraction de 33,848 habitants.
Maintenant, cette situation s'est-elle modifiée depuis le 31 décembre 1866, de manière à nous faire rentrer dans la légalité ? Nous n'avons aucune donnée certaine à cet égard, et il nous reste au moins le doute, dans une matière qui n'en comporte aucun.
M. Jacobsµ. - Je viens, à la suite de l'honorable M, Magherman, examiner jusqu'à quel point l'augmentation de la représentation nationale et la répartition des députés établie par la loi du 7 mai 1866 sont conformes à la Constitution et à la justice ; jusqu'à quel point le contraire est démontré par le recensement du 31 décembre 1866.
Je m'occuperai de deux questions ; voici la première : La population était-elle en 1866, est-elle aujourd'hui suffisante pour augmenter de huit le nombre de députés ? En second lieu, la répartition de ces huit députés devait-elle être faite comme elle l'a été ?
M. le ministre de l'intérieur, dans son discours du 5 de ce mois, a divisé son argumentation de la façon suivante : Pour disculper la loi de 1866, il s'est efforcé de démontrer 1° que les états de population, base de cette loi, ont au moins autant de valeur que le recensement ; qu'entre les deux on peut hésiter ; 2° que le recensement donne toujours un chiffre inférieur à la réalité et que ce n'est pas exagérer cet écart que de l'évaluer à 1/48.
Cette fraction de 1/48 est précisément ce qu'il faut ajouter aux chiffres qui ont servi de base à la répartition des députés en 1866 ; je néglige, comme lui, les 20,000 habitants représentant le déficit du second semestre de 1866 ; il est inutile de compliquer un débat qu'il n'est pas déjà si facile de suivre en se bornant aux éléments indispensables.
M. le ministre de l'intérieur a appuyé cette probabilité d'erreur à raison de 1/48 d'abord sur l'expérience statistique, puis sur la comparaison des différents recensements entre eux ; enfin, troisième point, M. le ministre de l'intérieur s'est attaché à prouver que la répartition faite aujourd'hui, en prenant pour base les états de population au 31 décembre prochain, ne différerait de la répartition faite par la loi de 1866 que dans quelques détails indifférents au point de vue de la composition des partis.
Telles sont les trois parties de son argumentation.
A mon tour, je démontrerai trois choses qui seront les trois contraires des thèses de M. le ministre de l'intérieur.
Je démontrerai 1° que les états de population ne méritent pas la même valeur que le recensement et qu'ils doivent céder devant lui ; 2° que l'on ne peut tenir compte des erreurs possibles produites dans le recensement ni le combiner avec les recensements antérieurs ; 3° que la répartition faite d'après le recensement, soit en 1867, l'année dernière, soit en 1868, celle année-ci, ne donne ni huit représentants au pays, ni la répartition établie par la loi de 1866.
Elle n'est ni la même quant aux arrondissements, ni la même quant aux partis. Je laisserai après cela à la Chambre le soin de tirer les conclusions des trois thèses que j'aurai établies.
Je vais rechercher en premier lieu quelle est la valeur des états de population, et si elle peut contrebalancer celle du recensement.
A côté de l'élément à peu près certain qui consiste dans l'excédant des naissances sur les décès, il y a, dans les états de population, un second élément, élément incertain qui consiste dans la différence entre les omissions de radiations à la sortie d'une commune et les omissions d'inscription à l'entrée dans une autre.
M. le ministre de l'intérieur a reconnu qu'il y a plus d'erreurs en matière de radiation qu'en matière d'inscription, ce qui établit nécessairement une certaine population fictive, par suite de doubles emplois provenant de la coexistence des inscriptions anciennes et nouvelles.
Mais il est entré dans très peu de détails à cet égard et il n'a pas mis la Chambre à même de juger de l'importance de cet élément. Je suppléerai à ce laconisme de M. le ministre de l'intérieur.
Je dois rappeler en peu de mots les rétroactes en matière de recensement.
Lors du recensement de 1846, sous le ministère de l'honorable M. de Theux, on s'imagina, illusion qui se reproduisit dans la suite, on s'imagina que les recensements deviendraient à peu près inutiles dans l'avenir, les relevés de population devenant tellement exacts qu'il n'y aurait plus d'erreurs importantes possibles.
On se trompait, j'en trouve la preuve dans l'exposé des motifs du projet de loi déposé par M. de Decker dix années plus tard pour décréter le recensement de 1856.
(page 1256) Voici ce que je trouve dans ce document :
« L'article 2 de l'arrêté royal du 30 juin 1846 portait : «A partir du 1er janvier 1847, il sera tenu, dans chaque commune, un registre de population, auquel les résultats du recensement général serviront de base.
« Une instruction détaillée, approuvée par le Roi, sous la même date, a fixé tous les détails de l'opération du recensement et de la tenue des registres de population.
« Ces registres furent établis à la date du 1er janvier 1847, d'après les bases du recensement. Ils avaient été confectionnés et distribués, aux frais du gouvernement, à toutes les administrations communales du royaume.
« Cette mesure, dont on s'était promis des résultats tels, qu'on espérait de pouvoir, pendant de longues années, se dispenser d'opérer de nouveaux recensements, fut loin de répondre à l'attente du gouvernement. Cependant rien ne fut négligé par mes honorables prédécesseurs pour assurer la régularité de cette partie nouvelle du service. Plusieurs circulaires ministérielles furent publiées à l'effet de prescrire des moyens de perfectionner la tenue de ces registres. Les commissaires d'arrondissement reçurent la mission de la surveiller activement. Une inspection spéciale par les membres de la commission centrale de statistique fut organisée. Tous les efforts de l'administration centrale vinrent échouer contre les habitudes de nos populations. On ne put parvenir, surtout, à constater avec quelque exactitude les changements de résidence. Les inscriptions à l'arrivée se firent assez régulièrement ; mais les radiations au départ furent impossibles, parce que les déclarations du changement de résidence firent le plus souvent défaut. •
« Si le service des inscriptions et des radiations s'opérait exactement, il s'ensuivrait que le nombre des radiations et celui des inscriptions se balanceraient, quant aux régnicoles. Il n'en est pas ainsi : ce dernier surpasse toujours, d'une manière notable, le nombre des radiations. cette différence, qui constitue autant de doubles emplois, peut-être évaluée comme étant de 6,000 à 9,000 individus par an ; ce qui, au bout de dix an : donne à la population du royaume une augmentation toute factice de 60,000 a 90,000 habitants. »
Et plus loin :
« Cet état de choses excita, à bon droit, l'intérêt de la commission centrale de statistique, spécialement chargée de veiller à l'exécution des instructions relatives à la tenue des registres de population. Dan un rapport du 16 mai 1856, elle me signala l'insuffisance de ces registres, pour asseoir avec quelque certitude le chiffre de la population. Elle déclara que le mouvement de la population, quelque soin qu'on apporte a la tenue des registres, donne lieu à des irrégularités, a des erreurs, à de doubles emplois qui, après quelque temps, ne peuvent disparaître que par suite d'un nouveau recensement.
« Le gouvernement hésita de se rallier à cette proposition d'un nouveau recensement, à cause de la dépense assez élevée que son adoption entraînerait.
« Informée de ces hésitations, la commission centrale de statistique fit, le 16 novembre dernier, un rapport supplémentaire, pour insister sur la nécessité d'un recensement général. Cette insistance se fondait surtout sur ce que les registres de population n'ont pas amené complètement les résultats qu'on en avait espérés. « Mal tenus, dit-elle, dans beaucoup de communes, soit à cause de l'inexpérience des administrations locales, soit à cause de la négligence des habitants, ces registres doivent être soumis à un contrôle efficace, et leur tenue doit être assurée par des sanctions pénales qui n'existent pas. ».
La loi de 1856, qui établit le principe d'un recensement décennal, contenait des mesures nouvelles, des pénalités destinées à servir de sanction à la bonne tenue des registres de population.
On crut de nouveau que les recensements n'auraient peut-être plus la même utilité, parce que la bonne tenue des registres de population ne comporterait plus d'erreurs considérables.
Seconde erreur, non moins grande que la première.
Je dois rappeler, avant d'aller plus loin, qu'à cette époque on songeait si peu à comparer les registres de la population au dépouillement du recensement, que l'honorable M. Rogier, rapporteur du projet de loi de 1856, s'exprimait ainsi :
« En présence du recensement général proposé, il n'y a pas lieu d'insister pour qu'il soit procédé à une répartition immédiate. Cette répartition fera l'objet d'une loi dans le courant de la session prochaine et cet ajournement même permettra de l'établir sur une base plus certaine et peut-être plus large, »
C'est à cause de cette base plus certaine que la section centrale introduisit dans le projet de loi, dans l'article premier, un second paragraphe ainsi conçu :
« Le recensement décennal servira de base à la répartition des membres des Chambres. »
Telle est la législation d'aujourd'hui. C'est le recensement décennal qui sert de base à la répartition.
Néanmoins, ainsi que je l'ai déjà dit, on espérait que dans l'avenir il n'y avait pas d'écart sensible entre le recensement et les registres de population. Vous allez voir si cet espoir était fondé.
L'exposé de la situation du royaume pour la période décennale de 1851 à 1860 contient, au titre II, page 5, ce qui suit :
« Dans l'intervalle de deux recensements, le chiffre annuel de la population s'obtient en combinant les naissances, les décès, les entrées, les sorties ; or, ce chiffre n'a pu être établi avec une grande exactitude parce que les mutations de changements de résidence n'ont pas eu lieu avec la régularité nécessaire dans les registres de population. L'administration s'attache à organiser cet important service afin d'amener, autant que possible, la concordance désirable entre les inscriptions et les radiations. »
Et page 1861, après avoir reproduit l'arrêté royal du 14 juillet 1856, réglant la tenue des registres de population, l'exposé ajoute :
« Malgré ces prescriptions, on a encore constaté, dans les registres de population, des irrégularités, d'où il résulte un défaut de concordance entre les inscriptions et les radiations par suite de changements de résidence. Pour faire disparaître ces erreurs, les recommandations les plus expresses ont été adressées aux gouverneurs de province, afin d'obtenir la stricte exécution de l'arrêté royal du 14 juillet 1856. En outre, le président et le secrétaire de la commission centrale de statistique, procèdent à l'inspection prévue par le dernier paragraphe de l'article 24 » Ici déjà vous trouvez des traces de l'impuissance où l'on s'est trouvé, quoique armé de l'arrêté de 1856.
Le chiffre de l'écart restent un peu dans le vague ; voici des documents qui aideront à le préciser.
Le bulletin de la commission centrale de statistique, tome LX, p. 16, contient le procès verbal de la séance du 3 octobre 1860. Je vois qu'il y est constaté que les registres de l'année 1859, trois ans après l'établissement des pénalités, contiennent 154,000 inscriptions et 145,000 radiations, par suite de changement de résidence à l'intérieur du royaume, ce qui constitue, en une seule année, un écart de 8,350 entre les radiations et les inscriptions.
Dans le procès-verbal de la séance du 3 avril 1861, je vois le tableau de deux périodes de sept années : celle de 1844 à 1851 donne un écart de 48,040, ce qui fait pour chaque année 5,434.
Celle de 1852 à 1859, qui semblait devoir donner un résultat plus satisfaisant, puisqu'elle est postérieure, comporte un écart de 68,954, ce qui fait pour chaque année 9,848.
Il y a plus d'erreurs après 1856 qu'auparavant, par suite des omissions de radiations.
Cette situation a attiré l'attention de la plupart des fonctionnaires du gouvernement ; M. le gouverneur de la Flandre occidentale proposa à la commission de statistique des remèdes énergiques.
M. le gouverneur de la Flandre occidentale avait fait un travail sur quelques communes de son ressort et voici, messieurs, ce qu'il ajoutait au narré des résultats de cette vérification :
« Si un travail de vérification aussi restreint et s'appliquant seulement à quelques villes où les registres de l'état civil sont d'ordinaire tenus avec beaucoup de soin, donne un pareil résultat, quelle confiance peut-on avoir dans l'ensemble de la situation ? Aucune, évidemment, et j'ai la conviction que si une vérification approfondie se faisait des mutations qui s'opèrent à la campagne, on reconnaîtrait que plus de la moitié de ces mutations ne sont pas enregistrées. Il me paraît impossible qu'il en soit autrement. »
Voilà, messieurs, une situation constatée par un subordonné de M. le ministre de l'intérieur.
MiPµ. - J'ai constaté tout cela ; vous enfoncez une porte ouverte.
M. Jacobsµ. - Permettez, M. le ministre ; vous avez reconnu qu'il y avait nécessairement un écart.
MiPµ. - J'en ai indiqué la chiffre.
M. Jacobsµ. - Vous ne l'avez pas indiqué ou du moins vous avez déclaré que dans les registres de population il y a deux éléments qui (page 1257) ne sont pas décomposés jusqu'aujourd'hui et dont l'un résulte des omissions du recensement et l'autre des changements de résidence.
C'est précisément, la décomposition de ces éléments que je trouve dans les procès-verbaux de la commission de statistique.
MiPµ. - Si vous aviez ouvert la page 6 de mon discours, vous auriez trouvé le chiffre exact inscrit.
M. Jacobsµ. - Je trouve à la page 6 de votre discours précisément ce chiffre complexe dont seul vous avez parlé, dont vous n'avez pas opéré la décomposition. Du reste, si nous sommes d'accord sur ce point, je vais en tirer des conclusions immédiatement. Laissez-moi, auparavant, citer encore deux faits.
Au tome X du même bulletin de la commission centrale de statistique, je rencontre l'opinion des membres de cette commission, plus compétents que personne pour apprécier la valeur relative des états de population et des recensements. J'extrais la citation d'un rapport de l'honorable M. Ducpetiaux, précisément sur la proposition faite par M. le gouverneur de la Flandre occidentale. La commission n'admet pas qu'il y ait des mesures à prendre d'urgence ; elle ajoute :
« Plus tard, à l'occasion du prochain recensement, qui permettra de vérifier d'une manière sûre et complète les résultats définitifs du système en vigueur, on pourra reprendre l'étude des différents modes de vérification et de contrôle, pour aboutir à une organisation définitive qui s'étayerait désormais sur les renseignements de la pratique et d'une expérience suffisamment prolongée, s
Le recensement a pour but, d'après la commission, de corriger les états de population.
Plus loin le même volume cite un fait qui vous montre à quel point ces registres sont inexactement tenus : c'est une plainte de l'administration communale d'Ypres qui s'exprime en ces termes au sujet des officiers en garnison.
« Jusqu'ici les officiers n'ont jamais produit de bulletins de changement de résidence, un petit nombre même se donne la peine de le fournir pour leur famille. C'est une formalité à laquelle ces messieurs ne se conforment guère, aujourd'hui il faudra inscrire tous les militaires (officiers) et pour procéder régulièrement il faudra leur adresser un bulletin n°2. »
Depuis, une instruction générale en date du 24 juin 1864, a été adressée par le gouvernement à tous les gouverneurs de province et à toutes les communes. Mais, d'après la commission de statistique, cette instruction était si peu observée, que la commune de Bruxelles même, la capitale du pays, ne l'observait pas complètement.
Dans ces conditions, messieurs, vous voyez que l'excédant des défauts de radiation sur les défauts d'inscription produit des doubles emplois, une population factice que l'honorable M. de Decker, dans son exposé des motifs de 1856, évaluait de 60,000 à 90.000 pour la période décennale, que la commission de statistique estime à 68,936 pour une période de sept années.
Je suis fondé à dire que l'écart de 150,000 habitants, qui existe entre le chiffre du recensement et les états de population, à la même date du 31 décembre 1866, doit évidemment, pour la plus forte part, être attribué aux erreurs de ce genre.
Remarquez, messieurs, que pour que la composition de la représentation nationale en 1866 dépasse le maximum constitutionnel, il suffit qu'il y ait dans le chiffre de la population au 31 décembre l866, une erreur de 31,000 habitants. Le chiffre est, en effet, de 4,991,000, déduisez-en 31,000, il reste exactement le chiffre de 4,950,000 nécessaire.
Or, je crois avoir démontré que si l'écart de 150,000 habitants n'est pas imputable tout tà l'excédant des défauts de radiation sur les défauts d'inscription, au moins il est certain que plus de 31,000 doivent être attribués à cette cause.
M. le ministre attache donc trop d'importance à ces états de population.
Je vais maintenant examiner le recensement et me demander si l'on peut tenir compte des erreurs possibles, des erreurs probables qui peuvent s'y être glissées.
La loi du 2 juin 1856décide nettement que le recensement décennal est la base de la répartition des membres de la Chambre. Jamais on n'a tenu compte d'aucune erreur possible ou probable.
Dès 1846, cependant, la commission de statistique constatait une erreur possible d'un sur 60. On n'en a tenu compte, ni à la suite du recensement de 1846, ni à la suite du recensement de 1856, ni même dans la proposition de M. Orts en 1866. On a pris le chiffre du recensement tel qu'il se produisait, on l'a quelquefois majoré de l'augmentation de population constatée par les registres de population pendant les années subséquentes, lorsqu'un intervalle s'était écoulé entre le recensement et la répartition, mais jamais on ne l'a modifié par un second élément rectificatif destiné à contrebalancer l'erreur probable résultant des omissions.
Vous ne pouvez arbitrairement majorer le chiffre du recensement, soit de 1/60, soit de 1/48 ; il faut le prendre tel qu'il est.
Eu 1831, on a ajouté aux chiffres du recensement du 31 décembre 1829, l'accroissement de population de l'année 1830.
En 1847, on n'a rien ajouté du tout, parce que la promptitude de M. de Theux, dont on ne suit guère les traces, a été telle que le résultat du recensement du 15 octobre 1846 était connu neuf semaines après sa date, le 25 décembre. Surtout on s'est bien gardé d'ajouter 1/60 pour rectification d'erreurs.
En 1859, on a joint aux chiffres de l856 l'excédant de population pour les années écoulées depuis, on n'a pas proposé de majorer de 1/60 ni de 1/48.
Lors enfin de la proposition de M. Orts, on s'est borné à ajouter l'excédant de population sans mélange d'aucun autre élément. Les précédents unanimes nous dictent la conduite à tenir aujourd'hui.
Ces précédents sont basés sur d'excellentes raisons. L'article 49 de la Constitution établit un maximum et non pas un minimum. Nous ne pouvons excéder la proportion d'un représentant pour 40,000. Or calculer sur un excédant possible ou probable et baser sur lui la représentation nationale, je le demande, est-ce admissible ?
La prudence commanderait plus tôt de tenir compte d'une erreur en sens opposé et de conserver toujours une certaine marge telle que, si un fléau venait à éclater, la représentation nationale fut toujours en rapport avec la population.
M. le ministre de l'intérieur est parti de ce principe que le recensement donne nécessairement des erreurs en trop peu ; je veux admettre qu'il en est ainsi en règle générale, mais M. le ministre nous a fourni la preuve que cette règle n'est pas sans exception, et s'il veut consulter le tableau annexé à son discours, il verra que, sur les 41 arrondissements du royaume, il en est deux dont la population recensée excède le chiffre des registres de population à la même date.
L'arrondissement de Verviers qui, d'après les états de population, n'aurait que 134,662 habitants, en a, d'après le recensement, 135,254, soit en plus 595.
L'arrondissement de Tongres a, d'après le recensement, 77,914 habitants et d'après les états de population, il n'en a que 76,069 ; différence 1,845.
Vous voyez qu'en ajoutant toujours soit 1/60 soit 1/48 pour combler ce que vous appelez les erreurs nécessaires du recensement, vous pouvez aboutir à des erreurs plus graves. Le résultat qui s'est présenté pour certains arrondissements pourrait se présenter pour le pays entier.
De plus, messieurs, y eût-il erreur toujours, y eût-il erreur nécessaire, le chiffre de cette erreur serait absolument inconnu et si la commission de statistique l'a évalué à 1/60, ce n'est là qu'une simple hypothèse.
M. le ministre de l'intérieur n'a invoqué qu'un seul argument pour potier l'erreur à 1/48.
Il nous a dit que dans l'arrondissement de Bruxelles on a constaté en une seule année 1/50 d'omissions.
Cela est fort possible, mais l'arrondissement de Bruxelles doit se trouver à cet égard dans une situation à peu près exceptionnelle. Dans les arrondissements ruraux, dans ceux où ne se trouvent que de petites villes, les omissions doivent être moins aisées et moins nombreuses que dans la grande agglomération bruxelloise.
M. le ministre de l'intérieur, après avoir fait le calcul des erreurs probables pour arriver à ce 1/48 qu'il lui faut, M. le ministre a combiné les trois recensements de 1846, 1856 et 1866.
II a pris une sorte de moyenne, et c'est sur cette moyenne qu'il établit la population du royaume en ce moment.
Je commencerai par faire observer que. la loi de 1856 n'a pas pris pour base de la répartition les trois derniers recensements, mais bien le dernier recensement décennal. De fait le premier recensement, celui de 1846, dont M. le ministre de l'intérieur a argumenté, doit être nécessairement écarté.
(page 1258) Voici les calculs de M. me ministre de l'intérieur :
Il prend le chiffre du recensement de 1846 : 4,537,048
Il y ajoute l'excédant des naissances sur les décès de 1846 à 1856 : 255,755
Puis l'excédant de la seconde période décennale de 1856 à 1866 : 305,213
Et il arrive ainsi à un chiffre total de 4,987,996
D'après l'honorable ministre, l'excédant des naissances sur les décès est le seul élément modificatif du recensement de 1846 dont il faille se préoccuper ; l'excédant de l'émigration sur l'immigration est si minime qu'on peut le négliger.
Cet élément n'est pas aussi indifférent que l'honorable ministre a bien voulu le dire.
J'ai trouvé dans l'exposé de la situation du royaume des dix dernières années que, de 1841 à 1850, l'émigration l'avait emporté sur l'immigration de 12,004 et dans la période de 1851 à 1860 de 28,104. Ce n'est déjà pas si peu de chose.
MiPµ. - En vingt ans 40,000.
M. Jacobsµ. - Oui, 40,000 en vingt ans, 2,000 par an.
Il est très vrai qu'entre le chiffre du recensement de 1846, majoré de l'excédant des naissances sur les décès, et le chiffre de 1866, il y a un écart de 148,902 habitants, et que les 40,000 dont je viens de parler ne compensent que le tiers à peu près de cet écart. Mais je vais vous fournir immédiatement la preuve manifeste que les chiffres du premier recensement ne peuvent être admis.
S'il est vrai que ce chiffre, majoré de l'excédant des naissances sur les décès, diffère de 148,900 avec le recensement actuel, il ne diffère de l'état de la population, au 31 décembre 1866, que de 4,382 habitants. De sorte que, s'il fallait le croire exact, il faudrait admettre que dans ces vingt ans l'excédant des omissions de radiation sur les omissions d'inscription n'a été que de 4,582, c'est-à-dire de 200 par an.
Or, je viens d'établir d'après les donnés de la commission de statistique que, bien loin d'être de 200 par an, il dépasse 9,000 par an.
Ceci, messieurs, vous montre qu'on ne peut tenir aucun compte du recensement de 1846.
A l'époque où il a eu lieu, les procédés de recensement étaient moins perfectionnés qu'ils ne le sont aujourd'hui ; nous devons nous en tenir au dernier recensement qui a été fait avec le plus grand soin, qui a duré quinze mois, tandis que le premier n'a pris que neuf semaines. C'est le dernier recensement qui doit seul nous guider parce qu'en ces matières la Constitution veut la certitude et non des possibilités ou des probabilités.
Je veux examiner maintenant le troisième point, à savoir si le recensement de 1866, seule base légale, seule base juste de la composition de la représentation nationale, est en opposition avec la répartition et la composition de la représentation nationale telle que l'a créée la loi du 7 mai 1866.
Le recensement étant pris pour base unique, nous arrivons à ce résultat, que, s'il avait été connu il y a un an, si nous avions pu immédiatement compléter la représentation nationale, comme l'a fait M. de Theux, en 1847 ; si dès 1867, nous avions pu majorer le nombre des représentants, nous n'aurions pu le majorer que de quatre.
Ces quatre représentants autorisés par le chiffre de 4,839,000 habitants indiqué par le recensement, ajoutés aux 116 d'avant 1866, auraient porté à 120 le nombre des représentants ; les quatre sièges nouveaux auraient été alloués aux arrondissements d'Anvers, de Louvain, de Verviers et de Charleroi.
Les quatre autres représentants qui ne fussent pas entrés dans cette enceinte siègent sur les bancs de la majorité. Voilà l'intérêt. (Interruption.)
Permettez, les quatre autres quels sont-ils ? Ce sont les deux représentants de Bruxelles ; c'est le représentant de Thuin et le représentant de Philippeville. Ne siègent-ils pas sur vos bancs ?
Supposons un moment que l'on ait attendu jusqu'en 1868 et qu'on ait fait les calculs au 30 décembre 1867. En tenant compte de l'augmentation de population qui s'est produit pendant 1867, en l'ajoutant au chiffre du recensement, il se trouve que nous pouvons nous adjoindre six représentants de plus.
Mais Bruxelles reçoit le cinquième représentant. Charleroi le sixième. Charleroi reçoit donc deux représentants.
Poussons encore plus loin et plaçons-nous à la moitié de cette année, au 1er juillet 1868, c'est alors que Bruxelles prend la corde et enlève le représentant de Louvain. (Interruption.) C'est exact.
MiPµ. - Non, non.
M. Jacobsµ. - Je vais vous démontrer immédiatement que c'est ainsi.
La dernière colonne du tableau distribué par M. le ministre de l'intérieur contient l'accroissement de deux années.
Cet accroissement de deux années diffère pour l'arrondissement de Bruxelles du chiffre du recensement de 35,000 ; l'accroissement d'une année est donc de 16,500. Si vous n'ajoutez que 16,500 à 487,886, vous arrivez à 503,386, ce qui fait un excédant de 23,000 à 24,000 habitants.
L'arrondissement de Louvain au contraire qui, lors du recensement, a déjà un excédait de 24,000 habitants pour le cinquième député... (Interruption.) Je vais vous le démontrer : 4 députés font 160,000 habitants ; il en a 184,000 ; il y a donc, pour le cinquième député, un excédant de 24,000 habitants.
Pendant l'année 1867, il gagne 2,000 habitants, ce qui lui fait un excédant de 26,000 habitants, tandis qu'à la fin de la même année l'arrondissement de Bruxelles n'a qu'un accroissement de 23,000 habitants.
Au 31 décembre 1867, c'est encore l'arrondissement de Louvain qui reçoit un des deux députés donnés au Brabant.
Mais si l'on prend le milieu de l'année 1868, Bruxelles enlève le député de Louvain parce que, gagnant 8,000 habitants par semestre il distance l'arrondissement de Louvain qui ne gagne que mille habitants. Néanmoins, au 1er juillet 1868 il n'y a toujours que six députés en plus parce que la population n'est que de 4,959,000 habitants tandis qu'il en faut 4,960,000 pour donner droit aux huit représentants créés dès 1866.
Qu'a fait alors M. le ministre de l'intérieur ?
Il a calculé la population au 31 décembre prochain. Il vous a dit : Nous ne serons réunis qu'au mois de novembre, novembre est voisin de décembre. Je calcule donc d'après les chiffres de la fin de décembre. Mais, messieurs, les années précédentes novembre a été, je pense, aussi voisin de décembre qu'il le sera cette année-ci.
M. Coomans. - Parfaitement.
M. Jacobsµ. - Et cependant jamais il n'est venu à la pensée de personne, dans une répartition des membres de la représentation nationale, de prendre les résultats probables de la fin de l'année dans laquelle cette répartition se faisait. En 1859 et en 1866 on a, malgré les protestations de l'opposition, été jusqu'au milieu de l'année, c'est-à-dire jusqu'à l'époque des élections, et c'est une limite extrême qu'on n'a jamais dépassée. Je le répète, il n'est jamais venu à l'idée de personne d'escompter la fin de l'année.
Pourquoi donc l'a-t-on fait cette fois ? Parce qu'il fallait absolument procéder ainsi pour justifier les huit représentants de 1866 ; il le fallait encore pour justifier la répartition qu'on a faite alors.
N'osant corriger le recensement au moyen de cette erreur de 1/48 dont je vous ai peut-être trop parlé, on a trouvé bon de l'augmenter d'un semestre, et c'est ainsi qu'on est arrivé au résultat qu'on voulait obtenir.
Si nous établissions aujourd'hui la représentation telle qu'elle doit être d'après les précédents, et, en la poussant jusqu'à des limites qu'on n'a jamais dépassées, nous n'aurions que 122 représentants, en aucun cas 124.
La représentation nationale est en opposition avec l'article 49 de la Constitution et par le nombre de ses membres et par leur représentation.
M. le ministre de l'intérieur nous a dit encore qu'en prenant cette date de la fin de l'année de 1868, il n'y a aucun intérêt à changer la répartition de la représentation : les partis devant s'équilibrer exactement comme ils le font aujourd'hui.
Mais, messieurs, il y a autre chose que les partis ; il y a le pays qui est au-dessus d'eux, il y a le pays qui a droit à être représenté comme il doit l'être légalement et l'on aura beau nous dire qu'un nombre égal de membres de la droite et de la gauche devrait être sacrifié, ce n'est pas là une raison suffisante pour ne pas mettre la représentation nationale en harmonie avec la réalité du fait.
J'ai le droit de conclure que la loi de 1866, cette mesure prise dans un intérêt de parti, hautement avoué, a eu le double tort de n'être ni opportune, ni fondée.
A une autre époque, l'honorable M. Rogier déclarait qu'en présence du recensement prochain, il n'y avait pas lieu d'insister pour qu'il fût (page 1259) procédé à une répartition immédiate parce que ce recensement devait donner une base plus certaine,
Nous invoquions ces paroles lorsqu'il ne s'agissait que de discuter l'heure où la proposition Orts se produisait, lu recensement est venu nous prouver que nous avions deux fois raison et que le fond de la mesure n'est pas moins injustifiable que l'heure choisie pour la proposer.
MiPµ. - L'honorable M. Magherman, qui a commencé aujourd'hui cette discussion comme il l'avait commencée il y a quelques semaines, a manifesté son étonnement de ce que le discours que j'ai prononcé il y a quelques jours ne fût qu'un plaidoyer en faveur de la loi de 1866.
On s'étonne que j'aie défendu cette loi ! Mais l'honorable membre qu'a-t-il fait sinon l'attaquer depuis le commencement de son discours jusqu’à la fin ?
Le discours de M. Magherman n'a pas d'autre but ; l'incident qu'il a provoqué n'avait pas d'autre motif. L'honorable membre nous déclare que la loi de I866 a violé la Constitution ; qu'elle a foulé aux pieds toutes les règles de la justice. Qu'y a-t-il d'étonnant à ce que je défende cette loi ? M. Magherman prend une position par trop commode : il croit pouvoir employer les expressions les plus énergiques pour combattre la loi, et il ne me serait pas permis de la défendre ! Je trouve cette prétention la chose la plus étrange de cet incident.
On a trouvé un autre sujet d'étonnement dans la lenteur mise à dépouiller les résultats du recensement. Pourquoi le gouvernement n'a-t-il pas imité, dans ces dernières années, la rapidité administrative du recensement de 1846 ? A cette époque, le gouvernement procéda avec tant de célérité, qu'en deux mois il était mis en possession des résultats du recensement, tandis qu'aujourd'hui il lui faut dix-huit mois.
Je pourrais répondre à cela, messieurs, que lorsque une chose est bien faite, il ne faut pas s'enquérir du temps que l'on y a consacré. Mais quand une chose a été faite très vite, on est en droit de rechercher si elle a été bien faite. Or, je demande, à mon tour, si le recensement de 1846 a été dépouillé exactement ? et la réponse sera négative. Savez-vous quelle a été l'erreur ? Cette erreur, messieurs, consiste dans une omission de 38,600 habitants, de sorte que, en procédant avec trop de rapidité au dépouillement du recensement, on est arrivé à ce résultat, de diminuer d'un le nombre des membres de la Chambre, d'empêcher, en un mot, qu'un nouveau membre, qui devait être nommé, ait pu être introduit dans la répartition établie par la loi.
Je laisse l'honorable M. Jacobs admirer la célérité avec laquelle le recensement de 1846 a été dépouillé ; quant à moi, je pense qu'il vaut beaucoup mieux aller un peu plus lentement, et ne pas s'exposer à commettre des erreurs telles que celle que je viens de signaler.
M. Jacobs prend vraiment une position facile. Il s'en tient uniquement à la fin de l'année 1866 ; il sait cependant qu'entre l'époque à laquelle la loi a été votée et la fin de l'année 1866, une différence en moins de 20,000 habitants s'est produite ; l'honorable M. Jacobs nous dit qu'il ne veut tenir aucun compte de cette différence ; il n'en parle pas dans tous ses calculs, faisant ainsi tourner tout à son avantage.
Ce procédé forme un système des plus commodes. L'honorable M. Jacobs n'envisage que ce qui lui convient ; en dehors du recensement de 1866, il ne veut rien voir, et pour réfuter les observations que j'ai présentées à la Chambre, il les modifie complètement, et il les arrange à sa guise, je le démontrerai.
Messieurs, quelle est la question que nous avons à résoudre au point de vue de la loi attaquée ? C'est celle de savoir quelle était la population de la Belgique au milieu de l'année 1866.
Voilà la question. Eh bien, je demande qu'on l'examine dans tous ses cléments, qu'on l'élucide par tous les documents qui existent ; je n'ai pas demandé autre chose ; je ne donne à priori la préférence à aucun des éléments ; je demande qu'on les compte tous : et qu'on arrive ainsi à une déclaration qui soit vraie, exacte.
L'honorable M Jacobs, lui, ne veut pas qu'on cherche la vérité de cette manière ; il entend uniquement, la puiser dans le recensement de 1866.
Est-ce là, messieurs, un moyen sage, juste, équitable d'apprécier la question ?
Il y a, entre cette manière de raisonner de l'honorable membre et la mienne, cette différence, que M. Jacobs veut établir le débat sur certains éléments, tandis que moi, je n'en écarte aucun.
M. de Naeyerµ. - Il faut les apprécier.
MiPµ. - Il faut les apprécier et c'est ce que j'ai fait.
Les recensements sont' utiles, ils peuvent donner des éléments très précieux pour le chiffre de la population, mais pour autant qu'on les examine avec toutes les pièces qui peuvent les compléter.
M. Jacobs veut que le recensement seul donne la certitude ; maïs par une étrange contradiction lorsqu'il attribue au recensement de 1866 cette valeur absolue, indiscutable, dans la seconde partie de son discours il se plaît à démolir le recensement de 1846.
Si le recensement est une chose si certaine, pourquoi donnez-vous à celui de 1866 le monopole de la certitude, et pourquoi voulez-vous que les recensements de 1846 et de 1856 n'aient aucune valeur ?
Tel est, messieurs, le système de l'honorable M. Jacobs ; qu'on s'en tienne aux recensements, soit encore ; mais au moins que l'on compare les recensements entre eux, et qu'on ne néglige ni celui de 1846 ni celui de 1856.
J'ai complété ces deux derniers recensements, au moyen d'un document qu'on n'a pas même attaqué, au moyen du relevé des actes de l'état civil. Or, lorsque je complète ainsi le recensement de 1846 pour connaître la population en 1866, j'arrive à un chiffre tel, qu'on peut en déduire les 40,000 habitants, sortis par émigration dont a parlé M. Jacobs, et constater néanmoins, pour le milieu de l'année 1866, un chiffre de population plus élevé que celui qui a servi de base à la répartition des sénateurs et des représentants.
Voici les chiffres :
Le recensement de 1846, augmenté de l'excédant des naissances sur les décès à la fin de 1866, donne une population de 4,987,048
A ajouter les 20,000 habitants que le choléra a enlevés au delà des naissances dans le second semestre de 1866, soit 5,007,000.
Retranchant les 40,000 émigrants, reste 4,967,000.
Soit 7,000 en plus du chiffre nécessaire.
Ai-je invoqué les registres de population au même titre que M. Jacobs a invoqué le recensement, pour les commodités de sa cause, ai-je prétendu que ces registres constituaient un élément certain ?
Mais c'est précisément le contraire que j'ai indiqué à la Chambre ; permettez-moi de rappeler en quelques mots ce que j'ai indiqué.
Nous nous trouvons en présence de deux éléments statistiques : le recensement et les registres de population.
Il a été constaté par la commission de statistique à une époque très reculée par une déclaration qu'on ne prétendra pas être faite pour les besoins de la cause, il a été constaté, dis-je, que le recensement présentait toujours un déficit. Voilà le vice des recensements.
Ceci posé, je constate, d'accord avec l'honorable M. Jacobs, que les registres de population tendent à accuser, au contraire, un chiffre de population trop élevé. Ainsi déficit d'après le recensement, excès d'après les registres de population.
Voilà ce que j'ai établi. Que convient-il de faire dans cette situation ? Il faut naturellement chercher quelle est la part d'erreurs afférente au recensement, quelle est la part d'erreurs afférente aux registres de population.
C'est, messieurs, ce que j'ai fait et ce que j'ai déterminé en chiffres très clairs et très nets. Et si l'honorable M. Jacobs n'avait pas voulu se donner l'apparence de me réfuter, au lieu de citer une multitude de documents, il eût cité mon discours, et serait arrivé précisément au même résultat.
Je n'ai donc pas à me plaindre de ses citations, je les admets, mais ce que je n'admets pas, c'est qu'on leur donne l'apparence d'une réfutation, alors qu'elles ne sont, en réalité, qu'une confirmation de ce j'ai dit à la Chambre.
Comme l'a dit l'honorable M. Jacobs, les registres de population tendent à augmenter chaque année le nombre réel des habitants, augmentation qui résulte de l'excédant du chiffre des inscriptions comparé à celui des radiations.
Ainsi ces registres donnent chaque année une erreur en plus ; quand cette erreur sera-t-elle une erreur réelle ? La réponse est très simple. C'est lorsque le déficit du recensement aura été comblé.
Le recensement, lui, me donne une erreur en moins. Chaque fois que je verrai une erreur en plus, bien loin de la consigner au résultat, je ferai une rectification. Ainsi il est constaté que le déficit du recensement de 1856 doit être de 80,000 habitants.
(page 1260) La première année (je prends les chiffres de l'honorable Jacobs), mes registres de population me donnent une erreur de plus de 8,000 habitants.
Mais que fait cette erreur ? Elle diminue l'erreur en moins de 8,000 et il reste encore 72,000 de déficit. Or, si j'ai pendant dix ans une erreur en plus de 8 000 habitants par année, j'aurai, au bout de dix ans, comblé le déficit résultant du recensement.
Vous voyez donc que l'honorable M. Jacobs, au lieu de nous montrer dans les registres de population une erreur en plus, erreur que je reconnais, qui n'est pas contestable, l'honorable membre aurait dû comparer les deux éléments et voir si cette erreur en plus avait ou non dépassé l'erreur en moins résultant du recensement. C'est là toute la question.
M. Kervyn de Lettenhove. - Je demande la parole.
MiPµ. - Messieurs, quelle a été l'erreur en plus possible dans les registres de population ? Voyez les chiffres cités à la page 6 de mon discours, j'y indique le chiffre du recensement de 1856, augmenté du mouvement de l'état civil (où il n'y a pas d'erreur), soit 4,924,000 habitants,
Ce chiffre, accru conformément aux registres de population, me donne 4,990,000 habitants, différence 66,000.
Ainsi l'excès des registres de population ne peut avoir été que de 66,000 habitants. Or, comme le déficit du recensement est de 80,000, il en résulte que les augmentations des registres de population sont encore très notablement inférieures à l'erreur qui résulte du recensement.
Voilà ce que j'ai constaté.
Si vous ajoutez maintenant à cette erreur le chiffre des 20,000 habitants qu'a enlevés le choléra, vous arrivez à cette conséquence, que l'on peut défalquer 50,000 habitants pour erreur de quelque chef que ce soit, et que néanmoins ou en arrive encore à un résultat supérieur au chiffre indiqué pour que la loi de répartition trouve sa justification constitutionnelle.
M. Jacobs est venu apporter une théorie toute nouvelle. Il ne suffit pas, dit-il, que vos populations soient en rapport avec le nombre des représentants ; il faut encore une réserve telle, que si la peste ou le choléra sévit en Belgique, vous n'ayez jamais à craindre un déficit.
C'est là un nouveau système. On a introduit déjà le système de la réserve militaire ; aujourd'hui, c'est le système de la réserve électorale que l'on cherche à introduire.
Je voudrais bien savoir sur quoi l'honorable M. Jacobs, qui n'aime pas les présomptions, qui s'en tient au chiffre exact du recensement, se fondera pour déterminer la quotité de sa réserve.
Ainsi, vous voyez, messieurs, que quand on parle des registres de population, on peut y constater une erreur ; mais que pour apprécier le montant de cette erreur, il faut le comparer avec celui des erreurs contraires inhérentes au recensement.
On nous dit encore que c'était un abus que de rechercher précisément la population à la fin de l'année courante, pour pouvoir justifier le chiffre de la représentation nationale.
Si nous considérons le chiffre de la population à la fin de l'année actuelle, c'est en admettant comme parfaitement exact le chiffre du recensement de 1866.
Mais si nous comblions le déficit du recensement de 1866, déficit constata triplement par les déclarations de la commission de statistique de 1846 d'abord, par la comparaison des recensements de 1846 et de 1856 ensuite, enfin par la rectification des omissions faites dans la ville de Bruxelles, si nous comblions, dis-je, ce déficit certain, nous aurions non seulement un chiffre de population suffisant, mais nous aurions, à la fin de l'année actuelle un chiffre tellement élevé qu'il permettrait probablement de majorer le nombre des représentants. (Interruption.)
A quelle époque devons-nous calculer le chiffre de la population ?
Je demande quand la législature que l'on va nommer entrera en fonctions. Elle y entrera six semaines avant la fin de l'année. Voulez-vous modifier les calculs pour ces six semaines, je suis prêt à faire faire ce travail. Mais il me semble que si vous voulez attaquer sérieusement la loi qui fonctionne, vous devez montrer qu'elle constituera une représentation nationale qui ne soit pas en rapport avec la population précisément au moment où elle entrera en fonctions.
M. de Theuxµ. - Au moment où elle est nommée.
M. Jacobsµ. - Vous ne pouvez pas constater ce qui existera à la fin de décembre ; il peut y avoir un nouveau choléra.
MiPµ. - Ne faisons pas de ces tristes prévisions.
Je vous ai démontré qu'en 1866 la population excédait le chiffre nécessaire pour le maintien du nombre de membres actuel. Maintenant je recherche quelle doit être la répartition des membres de la Chambre à l'effet de voir si la législature prochaine ne sera pas composée de représentants qui seraient nommés par des districts ne renfermant pas la population nécessaire.
J'ai fait établir la population à cette époque et quelle en est la conséquence ?
Je l'ai indiquée il y a quelques jours, c'est le déplacement de quatre représentants qui d'un arrondissement iraient à un autre sans rien changer à la situation politique.
Du reste, messieurs, es changements ne se sont jamais faits. On veut bien discuter la loi de 1866 pour démontrer que la Chambre ne représente pas le pays et que tout ce qu'elle décidera sera sans valeur morale.
Mais je demande sur quoi l'on se fonde, pour soutenir qu'en 1866, la répartition d'après le recensement eût amené dans les partis de la Chambre le déplacement énorme qui a été signalé.
Voici quelle eût été la situation d'après le recensement de 1866 : Un député de Louvain de moins, un député de Bruxelles de moins, un député en moins pour Thuin et enfin un député en moins pour Philippeville, mais à la condition que vous ne comptiez absolument pour rien les 39,094 habitants excédant la population nécessaire pour avoir 120 représentants.
Ainsi si vous voulez supposer dans le recensement de 1866 une omission de mille habitants seulement, et je pense qu'il ne se trouvera personne ici pour soutenir qu'elle n'a pu exister, vous arriverez à cette conséquence qu'il y aurait eu trois représentants en moins, dont deux libéraux et un catholique.
Je demande, messieurs, si cette conséquence est quelque chose de si grave. Je demande s'il est possible de représenter la Constitution, la justice, l'équité comme violées dans un intérêt de parti pour arriver à un pareil résultat.
Mais nous sacrifierions un membre de la gauche ; on nommerait à sa place un membre de l'opposition au choix de la droite. Je crois que le résultat ne serait pas fort différent. Une voix ne déplacerait sans doute pas la majorité.
Je crois qu'il suffit de montrer l'insignifiance de ce résultat pour qu'il soit constaté que la loi de 1866 n'a eu qu'un but : c'est de mettre la représentation nationale en rapport avec la population, comme cela avait été fait notamment en 1859.
Les honorables MM. Jacobs et Magherman ont insisté sur cette circonstance que la Constitution indique un maximum.
Je reconnais que c'est un maximum et il pourrait se faire, sans que les droits des populations soient blessés, que l'on prît une autre base de répartition, et que l'on ne nommât, par exemple, qu'un représentant par 60,000 habitants ; mais c'est à la condition que cette répartition se fit dans tous les arrondissements de la même manière.
Voulez-vous n'avoir que 50 représentants et 25 sénateurs ? Cela n'aurait pas grande importance ; mais ce qui serait inique, ce serait, par exemple, de ne pas tenir compte à l'arrondissement de Charleroi, dont la population a doublé depuis 30 ans, de cette augmentation et de ne le faire représenter qu'à raison de sa population ancienne, alors que d'autres arrondissements, dont la population n'a pas augmenté, se verraient représentés par un nombre de représentants proportionné à leur population réelle
Ce dont il faut tenir compte en cette matière, messieurs, c'est de la justice dans la répartition proportionnelle et si, en 1866, on a augmenté le nombre des représentants, c'est pour maintenir cette proportionnalité que les arguments de l'honorable M. Jacobs tendent à détruire.
(page 1265) M. Kervyn de Lettenhove. - Messieurs, il y a un caractère essentiel qui doit s'attacher aux lois civiles et surtout aux lois politiques : c'est la certitude. Cela est plus vrai et cela mérite une plus profonde attention lorsque la loi qu'il faut maintenir et faire respecter est la Constitution et lorsque la représentation nationale elle-même est appelée à fixer les bases sur lesquelles elle repose.
Aussi la loi de 1856 a-t-elle été sage et prévoyante en établissant une règle devant laquelle auraient à se courber tous les partis, qui serait la même dans tontes les circonstances et qui ne pourrait plus être discutée.
Pour ma part, je considère la loi de 1856 comme ayant introduit cette règle unique et exclusive ; et, lorsque tout à l'heure M. le ministre de l'intérieur nous disait : « Où est la certitude, où est la vérité ? » c'est dans la loi de 1856 que je lisais la solution de cette question. La chercher dans la combinaison de différents éléments, ce serait, à coup sûr, un danger ; car, si les éléments différents se contredisent entre eux, vous arriverez nécessairement à ce résultat, qu'ils se détruiront les uns les autres ; ou bien, si vous vous efforcez de les concilier et de les combiner, vous devez aboutir à un autre résultat non moins fâcheux : c'est de placer au lieu de la certitude une appréciation, et l'appréciation des partis, lorsqu'il s'agit de l'organisation même de la représentation politique, peut être, partiale ou tout au moins elle est suspecte de l'être.
Y a-t-il dans la loi de 1856 qui a prescrit le recensement, qui a décidé qu'à l'avenir ce serait la base unique de la répartition des membres de la législature, y a-t-il là une disposition dont les garanties étaient suffisantes, une disposition en vertu de laquelle il eût mieux valu, tant qu'il n'y avait pas un nouveau recensement, de maintenir fixe et stable le nombre des membres de la législature ? C'est ce que je persiste à croire.
Il y a quelques années, un de nos magistrats les plus éminents, qui est en même temps un de nos économistes les plus distingués, qui de plus a eu l'honneur de siéger au banc des ministres, M. Faider, publiant un résumé des travaux statistiques qui ont été faits dans ces dernières années, s'occupait précisément des limites qui séparent les questions certaines de celles où doit s'exercer la libre appréciation, et il avait soin de remarquer qu'en ce qui touchait la statistique agricole, on pouvait s'en remettre à la liberté d'appréciation, mais il déclarait que la statistique officielle offrait une partie essentiellement positive et dans laquelle les chiffres représentent la plus grande somme de vérité, et il donnait pour exemple le nombre des habitants, c'est-à-dire ce qui sert de base à la répartition des membres de la représentation nationale. Et dans un langage non moins précis, M. Faider ajoutait :
« La statistique, en Belgique, repose sur des bases inébranlables. La véritable base de la statistique (ici M. Faider empruntait les paroles d'un membre de l'Institut de France, M. Wolowski), ce sont les grandes opérations du cadastre et du recensement. »
Ce sont ces bases, que M. Faider considérait comme inébranlables, qui ont été méconnues et renversées par la loi de 1866, due à l'initiative de l'honorable M Orts.
Et lorsque à cette époque nous croyions défendre de grands principes, lorsque entrant dans les questions d'application, nous débattions les chiffres, nous n'étions pas dans l'erreur ; nous soutenions, avec raison, que la Chambre n'était pas assez éclairée, que le recensement démentirait peut-être les prévisions, les calculs et les hypothèses, et nous invoquerons encore aujourd'hui contre cette loi l'autorité de M. Orts lui-même, qui déclarait qu'il soutenait, il est vrai, un intérêt de parti, mais qui ajoutait qu'il y avait des considérations de justice dont il entendait bien ne se départir jamais, et que le jour où la question de justice serait en opposition avec la question de parti, ce ne serait pas la question de parti qu'il persisterait à défendre.
En effet, messieurs, il est constaté que lorsque les élections de 1866 ont conduit dans cette enceinte 124 représentants, l'article 49 de la Constitution nous faisait une loi impérieuse de réduire le nombre des députés à 120 d'après cette base de 4,839,000 habitants qui est établie par le dernier recensement.
Et veuillez remarquer que nous entrons ici dans l'hypothèse même indiquée par M. le ministre de l'intérieur, car ce chiffre de 4,839,000 habitants est celui de la population du royaume au 31 décembre 1866, (page 1265) c'est-à-dire à l'époque où les nouveaux élus prenaient possession de leurs sièges. Mais en ce moment même où commençait le pouvoir des mandataires, le nombre des mandants déterminé par la Constitution n'était pas atteint.
Pour affaiblir cette argumentation basée sur la loi de 1556, c'est-à-dire sur le chiffre du recensement, je me trouve en présence de plusieurs affirmations différentes présentées tour à tour par M. le ministre de l'intérieur.
L'honorable M. Pirmez pense que le recensement doit être interprété. Mais, s'il en est ainsi, messieurs, que devient l'autorité de la statistique ? N'est-ce pas la condamner et la désavouer ? J'aurai l'honneur de demander à M. le ministre de l'intérieur, s'il est bien convaincu que ces erreurs en moins qu'il attribue aux chiffres donnés par le recensement soient complètement justifiées.
Certes, il y a des lacunes, mais il y a aussi des doubles emplois et il est incontestable que les personnes qui ont deux résidences figurent parfois simultanément à leur résidence d'hiver et à leur résidence d'été.
Mais il est un autre point sur lequel je suis également éloigné de l'opinion de M. le ministre de l'intérieur ; je veux parler de cette question des émigrations qui a été déjà approfondie par l'honorable M. Jacobs et sur laquelle je me trouverai dispensé d'insister. Il est établi, par de nombreux documents que ces émigrations sont beaucoup plus considérables que ne nous le dit M. le ministre de l'intérieur.
Ainsi, messieurs, si je ne me trompe, il y a aujourd'hui dans le département du Nord au delà de 80,000 ouvriers belges ; il y en a un grand nombre à Paris et je profiterais volontiers de la présence de M. le ministre de la guerre pour rappeler que beaucoup de Belges prennent du service à l'étranger, et certainement ils ne rentrent pas tous en Belgique. Beaucoup s'enrôlent dans la légion étrangère en Algérie et il a été démontré, je pense, par des documents officiels que, de 1839 à 1865, 40,000 Belges se sont enrôlés dans l'armée néerlandaise des Indes. Il est donc évident, soit qu'on fasse une part à l'esprit d'aventure, soit qu'on se préoccupe de ce mobile plus général et plus répandu qui engage les ouvriers à se rendre là où les salaires sont le plus élevés, que les émigrations doivent être bien plus considérables que ne le suppose M. le ministre de l'intérieur.
En cet état de choses, je me demande s'il est bien permis de donner aux registres de population la grande importance qu'y attache M. le ministre de l'intérieur.
MiPµ. - Mais non, je n'y attache aucune importance.
M. Kervyn de Lettenhove. - Tout à l'heure, j'ai compris que M. le ministre de l’intérieur consentait à réduire quelque chose des chiffres qui ont été produits ; mais il n'en est pas moins vrai que ce sont les registres de population qui lui ont servi à démolir les résultats du recensemen
MiPµ. - Pas du tout, j'ai dit le contraire, exactement le contraire.
M. Kervyn de Lettenhove. - J'ai noté, dans le travail qui nous a été distribué, ces expressions de M. le ministre de l'intérieur : « qu'il faut reconnaître une action réparatrice aux registres de population ; qu'il y a là des vérités indiscutables qui ne sont pas sujettes à erreur ; que les registres de l'état civil se trouvent au-dessus de toute critique. »
MiPµ. - Ceci est tout autre chose.
M. Kervyn de Lettenhove. - Il en résulte maintenant que M. le ministre de l'intérieur, n'acceptant pas les résultats du recensement, doit se trouver dans la nécessité de leur opposer un autre élément ; que cet élément, ce sont les registres de population. Or, ces registres de population qui sont tenus, dans une foule de localités isolées, séparées les unes des autres, par des hommes souvent incapables, ne peuvent pas présenter l'autorité qu'offre la statistique officielle, faite sous les auspices du gouvernement et sous la surveillance d'une commission composée des hommes les plus distingués ; statistique dont les résultats sont scrutés avec le soin qu'expliquent, du reste, les sommes considérables dépensées pour ce service.
Je persiste donc à croire qu'entre les résultats constatés par les registres de population et les chiffres du recensement, il n'y a pas à hésiter, et que la loi de 1856 avait posé une règle sage, placée au-dessus de tous les partis et qui devait être à la fois le frein des majorités et la protection des minorités.
(page 1266) Je comprends parfaitement que lorsqu'on vient à reconnaître que, d'après les bases officielles du recensement, il y a dans cette assemblée quatre mandataires qui n'ont pas derrière eux le nombre de mandants prescrit par la Constitution, la solution présente les difficultés les plus graves et les p'us sérieuses.
Ce n'est pas seulement pour les élections de 1868 que ces difficultés existent ; mais il résulte évidemment des chiffres de 1866, que dans les deux dernières sessions, des lois qui n'auraient été votées qu'à une très faible majorité, pourraient ne devoir leur autorité, leur existence qu'à des membres qui n'occuperaient pas leur siège en vertu des dispositions constitutionnelles.
Quel est le remède à celle situation ? C'est surtout à l'honorable M. Orts à nous l'indiquer. L'honorable représentant de Bruxelles, dont je ne conteste pas la bonne foi, escomptant, si je puis parler ainsi, les résultats probables du recensement, a par son initiative et par sa parole provoqué la modification du nombre des membres de la représentation nationale ; et de son langage même me paraît résulter un engagement solennel vis-à-vis de nous : celui de corriger l'état de choses qu'il a, plus que personne, contribué à établir, puisque ses prévisions se trouvent démenties par les résultats du recensement.
Il est évident, messieurs, que nous devons nous renfermer strictement dans les dispositions constitutionnelles ; que l'article 49 de la Constitution ne permet à personne de siéger ici, si l'on ne représente une fraction de 40,000 habitants. Voilà quels sont les principes. Il n'y a qu'à les appliquer aux chiffres qui sont aujourd'hui connus.
C'est, je le répète, à l'honorable M. Orts, que me paraît incomber la tâche de rentrer, non pas dans l'esprit de parti, qui seul ne peut se légitimer, mais dans la justice, dans le droit, dans la vérité.
Je termine par un dernier mot.
J'ai entendu à plusieurs reprises dans cette discussion M. le ministre de l'intérieur déclarer qu'il n'y avait aucun intérêt politique à revenir sur ce qui existe.
Selon moi, il y a dans cette question deux intérêts ; l'un très grand qui domine tout : c'est le respect des prescriptions constitutionnelles.
D'un autre côté, je ne puis admettre que des préoccupations étroites de parti nous guident dans l'examen de ce que nous avons à faire pour assurer la répartition équitable du nombre des représentants.
Il n'est pas vrai qu'il importe peu aux arrondissements électoraux de compter quelques représentants de plus, dès que ceux qui siègent aujourd'hui occupent les mêmes bancs. Il ne faut pas perdre de vue la variété des intérêts qui les séparent. Hier encore nous discutions ici le budget des travaux publics ; et lorsque je prenais la parole pour demander l'assèchement et l'assainissement des polders du district d'Eccloo, qu'avaient ces intérêts de commun avec la question de la canalisation de la Meuse qui était traitée dans la même discussion par les honorables représentants de Namur et de Dinant ?
Ce qui importe, c'est que toutes les parties du pays soient représentées, en vertu de leur population, qu'elles exercent toutes, dans cette mesure relative, les droits qui leur appartiennent pour la défense de leurs intérêts.
Elles ont toutes les mêmes titres, sans faveur et sans exclusion ; car ces titres elles les réclament en vertu des dispositions constitutionnelles.
Si des préoccupations de parti ont pu se mêler à la discussion de la proposition de l'honorable M. Orts, elles s'appuyaient du moins sur l'appréciation de résultats qui alors encore étaient vagues et douteux. Aujourd'hui en présence des chiffres officiels, il n'y a plus qu'à rendre hommage à la justice dans la limite précise que nous impose la Constitution.
(page 1260) M. Jacobsµ. - L'honorable ministre de l'intérieur m'a reproché d'écarter certains éléments de discussion et il préfère ses calculs aux miens parce qu'il n'en néglige aucun. Ce n'est pas moi, messieurs, qui écarte les éléments de discussion ; c'est le législateur de 1856, lorsqu'il a décidé que le recensement servirait de base à la répartition de la représentation nationale ; ce sont les législateurs de toutes les époques qui, ayant à déterminer la composition du parlement, se sont toujours bornés à ajouter au chiffre du recensement l'augmentation de population constatée dans les années postérieures.
(page 1261) Quels sont, messieurs, les éléments dont je ne tiens pas compte ?
Les registres de population antérieurs au recensement.
L’honorable ministre de l’intérieur en fait aujourd'hui bon marché.
Les erreurs possibles ou probables dans le recensement ?
En effet, c'est parce que j'à dit qu'il était convenable de ne pas en tenir compte qu'on me représente comme l'inventeur d'une sorte de réserve en matière de population.
Comprenons-nous bien. Lorsqu'il y a une population dûment constatée, je ne demande pas qu'on organise une réserve ; mais lorsqu'on n'a à mettre en réserve que des possibilités ou des probabilités, je demande qu'on se hâte de les mettre à la réserve, parce que la Constitution n'admet que des certitudes.
La Constitution en établissant que la représentation nationale ne peut excéder un membre par 40,000 habitants, ne se borne pas à défendre de prendre pour base un député par 30,000 habitants ; elle défend aussi, après l'adoption de la base licite d'un député par 40,000 âmes, de l'excéder à aucun degré.
L'honorable ministre de l'intérieur m'accorde que le chiffre de l'émigration est plus considérable que le chiffre de l'immigration ; il a négligé, il ne le conteste pas, un chiffre qui, en vingt ans, s'élève à 40,000 habitants. (Interruption.)
L'état de population au 31 décembre 1866 constate en Belgique 4,901,000 habitants ; on a négligé un élément rectificatif, l'excédant de l'émigration sur l'immigration, mais, sur l'observation que j'en fais, on objecte que les omissions du recensement précédent, qu'on fixe à 80,000, compensent cette erreur et au delà.
Ce chiffre de 80.000 égal à 1/60 est aujourd'hui démontré inexact ; en voici la preuve :
D'après M. le ministre, le mouvement de la population n'a accru le chiffre du recensement antérieur, majoré de l'augmentation des naissances sur les décès, que de 66,959 habitants.
Or, messieurs, ce chiffre de 66,939 obtenu pendant une période de dix années, représente deux éléments : d'une part, la rectification de ces prétendues 80,000 omissions qui, à la fin de la dixième année, ont dû toutes disparaître, et, en second lieu, l'excédant des radiations négligées sur les inscriptions oubliées.
Ainsi donc, d'une part, il y aurait eu 80,000 omissions lors du recensement en 1866, et pendant les dix années qui se sont écoulées jusqu'à 1866, toutes ces omissions ont dû se rectifier ; il y aurait eu, en outre, des doubles emplois par suite de changements de résidence, et le total de ces deux sommes serait inférieur à l'une d'elles de 14,000 ! Il est démontré aujourd'hui que le second élément à lui seul, les doubles emplois provenant de changements de résidence, se soldent annuellement par un chiffre qui dépasse 9,000, qui dépasse 90,000 âmes dans une période décennale.
Il est donc impossible que le chiffre de 66,000 habitants représente deux éléments, l'un se chiffrant par 80,000, l'autre, par 90,000 et, comme le second est certain, il faudrait conclure que le recensement de 1856, bien loin de contenir des omissions, contenait des doubles emplois à concurrence de 91,000, 60,000, 24,000.
Il est au moins démontré dès aujourd'hui qu'il est impossible que le chiffre des omissions du recensement de 1856 se soit élevé à 80,000 et que dès lors celle erreur probable d'un 1/60 que vous êtes contraint de porter à un 1/48 pour justifier la loi de 1866, est absolument inadmissible.
Ce qui est certain, c'est que le recensement modifié pour cause d erreurs possibles ou probables n'a plus aucune certitude et que la représentation doit avoir une base certaine.
On nous disait tout à l'heure : C'est une discussion posthume ! et l'honorable M. de Brouckere demandait sous forme d'interruption : « Y a-t-il une proposition ? »
On conçoit, messieurs, la difficulté de revenir sur le passé. Pourquoi faisons-nous une discussion posthume ? Si elle l'est, ce n'est pas à nous qu'il faut l'attribuer ; il n'a pas dépendu de nous qu'elle ne fût pas posthume.
Par votre fait nous nous trouvons les bras liés. Dans cette situation l'on comprend qu'on hésite à faire une proposition .Mais au moins, si l'on ne peut pas corriger le passé, que les résultats du recensement soient une leçon et un exemple pour l'avenir.
M. Hymans. - Messieurs, le débat qui vient d'avoir lieu n'est guère en harmonie avec son point de départ. La première fois que la question qui nous occupe a été soulevée dans cette enceinte, on ne songeait pas à discuter le plus ou moins de valeur du recensement, on ne songeait pas à faire de belles théories sur la statistique. On a dit d'une façon très nette et très précise que Bruxelles avait un représentant en trop, lequel appartenait à Louvain.
Or, je constate que plus aucun des orateurs qui ont pris aujourd'hui la parole n'a songé à reproduire cette affirmation, que l'on a laissé Louvain dans une ombre protectrice et que l'on s'est borné à faire quelques observations assez vagues et fort inexactes sur la situation de la représentation bruxelloise.
L'honorable M. Jacobs disait tantôt, ou du moins, laissait entrevoir comme d'autres orateurs l'avaient fait avant lui, que le gouvernement avait un grand intérêt à ne pas faire connaître les chiffres du recensement de 1866 ; et à l'appui de cette affirmation il citait ce qui s'était fait en 1846. A cette époque, disait-il, les chiffres du recensement ont été connus quelques mois après que cette opération avait eu lieu et la nouvelle répartition des membres de la Chambre et du Sénat a pu être faîte dans le courant du semestre.
L'honorable M. Jacobs et les honorables membres qui ont reproduit cette critique, se sont prudemment abstenus, cette fois encore, de citer un autre fait, qui milite en notre faveur : c'est ce qui s'est passé à propos du recensement de 1856. Cette fois ce n'est pas seize mois qu'on a attendu, c'est plus de deux ans. Les résultats du recensement de 1856 n'ont été connus de la Chambre que plus de deux ans après qu'il avait eu lieu.
Ce retard est expliqué dans l'exposé des motifs du projet de loi présenté à la Chambre, en 1859. Je ne l'ai pas sous les yeux, mais je l'ai consulté il y a quelques jours et je me rappelle y avoir lu que le gouvernement invoque des circonstances indépendantes de sa volonté pour expliquer cette lenteur. (Interruption.)
Ce n'est qu'après quatre ans que l'on a publié les résultats complets du recensement, et c'est deux ans après l'opération qu'on a produit des résultats généraux afin d'établir la répartition des membres de la législature.
Si donc on invoque contre nous ce qui s'est fait pour le recensement de 1846, on devrait aussi nous laisser le bénéfice de ce qui s'est fait pour le recensement postérieur.
Maintenant je demande ce que signifie ce grand mot de constitutionnalité à propos du recensement, qui n'est pas même mentionné dans la Constitution.
Il est dit à l'article 49 : « Le nombre des représentants ne peut excéder la proportion d'un sur 40,000 habitants. » Mais il n'est dit nulle part que ce nombre doit être calculé d'après le recensement. La Chambre est parfaitement libre de fonder son appréciation sur des documents ne provenant pas du recensement décennal dès l'instant que ces documents lui paraissent exacts et sérieux. (Interruption.)
Il faut évidemment ne se fonder que sur des documents sérieux et authentiques ; nous ne sommes pas obligés de nous en rapporter à un recensement dont la Constitution ne parle pas.
M. Coomans. - Supprimons alors le recensement ; ce sera une économie.
M. Hymans. - Je crois, en effet, que si les tables de la population étaient bien faites, nous pourrions supprimer le recensement et réaliser ainsi une notable économie. C'est tout à fait mon avis.
M. Nothomb. - On le refait.
- Un membre. - On le défait.
M. Hymans. - C'est vous qui êtes défaits. (Interruption.) Car vous n'avez pas osé maintenir les prétentions que vous aviez apportées dans cette enceinte, le jour où vous avez soulevé la question. On est venu alors déclarer d'une manière solennelle qu'un député de Bruxelles devait appartenir à l'arrondissement de Louvain.
- Un membre. - On n'a pas dit cela.
M. Hymans. - Cela a été dit et par M. Magherman et par M. Jacobs.
M. Maghermanµ. - Je n'ai pas dit cela.
M. Hymans. - On avait dit que la proposition de M. Orts était une œuvre de parti. (Interruption.)
- A droite. - Il l'avait dit lui-même.
M. Hymans. - M. Orts a déclaré qu'il était décidé à réclamer pour son parti ce qui lui était légitimement dû, et vous, de votre côté, vous auriez parfaitement raison d'en faire autant.
M. Jacobs nous a dit alors ; « Puisque vous avez, dans l'intérêt de votre parti, fait la loi de 1866, nous voulons aujourd'hui, dans l'intérêt tout aussi légitime du nôtre, enlever à Bruxelles un député qui doit (page 1262) siéger parmi les députés de Louvain. C'était l'application du principe : « Chacun ton tour n'est pas trop. » (Interruption.)
Or, je constate pour la troisième lois que cette prétention n'a pas été maintenue et je vais démontrer pourquoi elle ne l'a pas été.
La proposition de M. Orts, dit-on, était une manœuvre de parti ; elle devait grossir les rangs de la majorité.
Or, messieurs, laissons de côté vos théories sur le recensement et acceptons avec la droite les chiffres provisoires du recensement de 1866.
En me ralliant à la thèse de l'honorable M. Pirmez qui est, je crois, la vraie, et qui consiste à nous baser aujourd'hui sur la population actuelle, pour établir le nombre légal des députés et des sénateurs, j'accepte pour un instant les chiffres qui servent de base aux raisonnements de l'opposition, j'accepte les chiffres du recensement de 1866, les chiffres provisoires tels qu'ils nous sont fournis et, sans même y ajouter la fraction dont nous gratifie l'honorable M. Magherman.
Je les accepte tels qu'il sont fournis provisoirement par le gouvernement à la cinquième colonne du tableau, page 9, du discours de l'honorable M. Pirmez et je dis qu'en présence de ces éléments les résultats de la proposition de loi de l'honorable M. Orts faite en 1866 sont absolument conformes à la justice, et ne modifient rien à la situation politique à l'époque où elle a été faite. (Interruption.)
Je vais vous le prouver.
D'après les résultats du recensement provisoire au 31 décembre 1866, la province d'Anvers avait 474,145 habitants lui donnant droit à 11 députés avec un excédant de 34,145 habitants non représentés.
Le Brabant, 820,179 habitants, soit 20 députés, plus un excédant de 20,179 habitants non représentés.
La Flandre occidentale, 639,709 habitants, soit 15 députés et un excédant de 39,709 habitants non représentés.
La Flandre orientale, 801,872 habitants, soit 20 députés et un excédant de 1,872 habitants non représentés.
Le Hainaut, 847,775 habitants, soit 21 députés et un excédant de 7,775 non représentés.
Liège, 556,666 habitants, soit 13 députés et un excédant de 36,666 non représentés.
Le Limbourg, 199,856 habitants, soit 4 députes et un excédant de 39,856 non représentés.
Le Luxembourg, 196,173 habitants, soit 4 députés et un excédant de 36,173 non représentés.
Enfin Namur, 302,719 habitants, soit 7 députés et un excédant de 22,719 habitants non représentés.
Cela m'amène, faisant l'addition du nombre des députés, au chiffre de 115, plus un excédant de 239,092 habitants non représentés ; il s'en faut de moins de 1,000 qu'il y ait 240,000 habitants non représentés. Vous voudrez bien admettre que ces 239,092 puissent être comptés pour 240,000, afin d'arrondir les chiffres et en supposant une erreur de 900 dans le recensement.
il y aura donc 6 députés à ajouter aux 115 que j'ai indiqués. Cela fait en tout 121.
Ces 6 députés, à qui devront-ils appartenir ?
D'après les précédents, ils appartiendront aux provinces qui ont le plus fort excédant.
Quelles sont ces provinces ? La Flandre occidentale qui aura 16 députés au lieu de 15 ; le Limbourg, qui en aura 5 au lieu de 4 ; le Luxembourg, qui en aura 5 au lieu de 4 ; Liège, qui en aura 14 au lieu de 13 ; Anvers, 12 au lieu de 11 ; Namur, 8 au lieu de 7.
Eh bien, messieurs, la Flandre occidentale possède seize députés ; le Limbourg en possède cinq ; la province de Liège en a 14 ; le Luxembourg en a 5 ; la province d'Anvers 12 et celle de Namur 8. Ces provinces ont donc toutes ce qu'elles ont le droit d'avoir et rien de plus.
Maintenant, pour arriver au chiffre de 121 représentants, résultant des données du recensement provisoire, il fallait déduire trois députés du nombre proposé à la Chambre par M. Orts.
Ces trois députés, il faut les enlever aux provinces qui sont en déficit ; au Brabant et au Hainaut ; le Brabant devait perdre deux députés et le Hainaut un, à Thuin. Bruxelles devait avoir un député de moins et Louvain un de moins au lieu d'un de plus. Voilà pourquoi M. Magherman, que j'ai interrompu tantôt à propos de Louvain, m'a laissé dire et a dit : « plus un soixantième » en continuant son petit calcul. Mais cela était peu d'accord avec ce que l'honorable membre avait dit la première fois en affirmant que Bruxelles devait donner son député à Louvain. (Interruption.)
M. Maghermanµ. - Je n'ai pas parlé de Louvain,
M. Hymans. - En effet, vous n'avez pas parlé de Louvain aujourd'hui et vous aviez d'excellentes raisons pour cela.
Ne donnez que 12 représentants à Bruxelles, il lui restera d'après le recensement, dont je conteste les chiffres, un excédant de 8,000 habitants non représentés. Donnez d'autre part un sixième représentant à Louvain, vous lui supposerez 200,000 habitants, tandis que le recensement ne lui en donne que 184,855. C'est déjà 16,000 de trop pour 5 députés.
Bruxelles avait donc droit, d'après les chiures du recensement provisoire, à 12 députés ; on lui en a donné 13 auxquels elle a incontestablement droit aujourd'hui, et vous voulez lui en enlever un pour le donner à Louvain ; mais Louvain n'a pas la population qu'il doit avoir pour 4 députés.
M. Delcourµ. - Nous avons un excédant de 24,000 habitants.
M. Hymans. - Je fais un lapsus lingual ; excusez-moi, vous avez plus qu'il ne faut pour quatre représentants, mais vous ne pourriez en avoir cinq. Il ne peut donc pas être question de vous en donner un sixième. (Interruption.)
- Une voix. - Nous ne l'avons pas demandé.
M. Hymans. - Je sais bien que vous ne l'avez pas demandé aujourd'hui et je n'ai pris la parole que pour le constater.
Or le but et le mobile de la campagne que vous avez entreprise était d'enlever un député à Bruxelles pour le donner à Louvain. (Interruption.) On l’a dit, cea est aux Annales parlementaires et je constate qu’après y avoir réfléchi on n’a plus même osé produire cette incroyable prétention. (Interruption.)
On n'a pas dit un mot de Louvain aujourd'hui et c'est pour Louvain que toute l'affaire a été soulevée.
M. Wasseige. - Dites cela dans l'Echo du parlement.
M. Hymans. - M. Wasseige, je vous en prie, cessez cette mauvaise plaisanterie. Elle n'est pas digne de vous. Si vous avez des arguments à produire, demandez la parole et produisez-les, et si vous avez des doutes sur ce que j'avance, prenez les Annales parlementaires et vous y trouverez la confirmation de mes paroles. C'est uniquement pour les relever que j'interviens dans ce débat.
Un mot encore. D'après les résultats du recensement provisoire, j'arrive à composer la Chambre d'un nombre impair de représentants. Mais, si, pour arriver à un chiffre pair, il avait fallu supprimer un député, ce qu'on aurait dû faire, savez-vous à quel arrondissement on aurait dû le prendre ? Ce n'est pas à l'arrondissement d'Audenarde, parce que, d'après les résultats provisoires du recensement, la Flandre orientale, conserve un excédant de population ; c'est à la province d'Anvers, qui n'a pas une population proportionnelle à sa représentation ; et savez-vous à quel arrondissement il eût fallu prendre ce député ? A l'arrondissement de Turnhout ! (Interruption.) C'est par là qu'il eût fallu commencer.
M. Coomans. - On n'a qu'à le supprimer.
M. Hymans. - Mais non, personne ne songe à enlever un député à Turnhout ; Turnhout possède légitimement ses trois représentants en vertu d'un droit acquis, comme c'est en vertu d'un droit acquis que Bruxelles demande à conserver les siens.
Nous ne demandons qu'une chose : c'est que vous respectiez en nous le principe que nous respectons en vous.
En somme, messieurs, il est parfaitement constaté par les chiffres mêmes du recensement de 1866 que la proposition de l'honorable M. Orts n'a pas été une manœuvre de parti ; que si la répartition avait été faite après ce recensement, on serait arrivé, au point de vue politique, à un résultat à peu près identique à celui de 1866, et qu'il n'y a pu avoir ni bénéfice pour la majorité, ni préjudice pour l'opposition.
Pour le reste il est évident que Bruxelles possède ses 13 députés en pleine et légitime propriété, que le recensement de 1866 a été fait dans le moment le plus défavorable pour la capitale et que l'accroissement de la population de cette époque nous donne largement la population que nous sommes tenus d'avoir.
J'ai fini, messieurs, j'ai cru de mon devoir de constater ces quelques faits, surtout en l'absence de mon honorable ami, M. Orts, qu'un empêchement absolu tient éloigné de la Chambre et qui a supporté, quoique de loin, la plus grande partie du poids de ce débat.
M. Dumortier. - J'ai toujours reconnu l'honorable M. Pirmez comme un homme infiniment intelligent, infiniment capable, infiniment subtil ; mais, je dois le déclarer, jamais je ne l'ai vu montrer une telle subtilité, accomplir sur la corde tendue le tour de force qu'il a accompli aujourd'hui.
(page 1263) Pour sortir d’une situation qui n'est pas tenable, il a fait assaut de toutes les subtilités, de tous les artifices de calcul imaginables ; il a eu recours aux combinaisons les plus ingénieuses pour faire dire aux chiffres le contraire de ce qu'ils disent.
Oh ! nous le savons, les chiffres sont d'une merveilleuse souplesse et on en obtient à peu près tout ce qu'on veut lorsqu'on ne veut pas s'en tenir à ce qu'ils disent naturellement. Mais il y a ici un fait que les chiffres du recensement constatent naturellement : c'est que nous avons une population de 4,840,000 habitants et que pour arriver au nombre de représentants décrété par la loi de 1866 il y a un déficit de 120,000 habitants ; c'est-à-dire qu'il y a dans cette Chambre trois députés de plus que la Constitution ne le permet et ne l'exige.
Et je me sers à dessein du mot « exige », parce que la Constitution dit en termes exprès que le chiffre des députés ne peut pas excéder celui d'un député par 40,000 habitants.
Or, si le chiffre de la Chambre ne peut pas excéder celui d'un député par 40,000 habitants, il est clair, comme 2 et 2 font 4, qu'en vertu du recensement, nous avons ici trois députés de trop. Toutes les subtilités, tous les artifices de calculs ne sauraient détruire cette vérité.
Messieurs, vous savez que cette situation est issue de la loi de 1866 et du projet de loi présenté d'abord par l'honorable M. Orts, et dont je dirai tout à l'heure quelques mots. Pour formuler sa conclusion, qui est que nous ne dépassons pas le chiffre constitutionnel, l'honorable ministre de l'intérieur a pris pour base des calculs de probabilité.
Or, la Constitution n'admet pas, en cette matière, de calculs de probabilité, elle exige des calculs fondés sur la certitude.
Vous avez beau mettre en avant tous ces calculs, vous avez beau présenter des combinaisons sans fin ; vous avez beau vous appuyer sur les registres de population ; vous avez beau invoquer vos prétendus 80,000 habitants que vous supposez exister ; tous ces calculs reposent uniquement sur un point : c'est que vous substituez des suppositions gratuites à un fait constaté, au recensement.
En un mot, vous voulez établir la loi qui règle le nombre des députés, sur une série de conjectures, de suppositions, au lieu de prendre pour base un élément de certitude. Or, il n'y a de certitude que le recensement.
Vous nous parlez toujours des tableaux de population ; mais on vous l'a répété vingt fois, rien n'est plus incertain que vos tableaux de population.
Comment ces tableaux sont-ils tenus dans la plupart des villages ? Déjà, il y a deux eu trois ans, la commission de statistique, fait que j'ai cité dans une discussion précédente, déclarait que tous les efforts tentés par elle, pour que les registres de population fussent bien tenus, avaient complètement échoué ; eh bien, c'est cet élément que la commission de statistique a cherché vainement à améliorer, c'est cet élément qui est le seul vrai, au dire de nos contradicteurs, tandis que l'élément exact, sérieux, celui du recensement, est celui qu'il faut négliger.
Maintenant, que le recensement laisse quelques habitants en arrière, c'est possible. Mais combien n'y en a-t-il pas, combien de doubles emplois dans les registres de population par les changements de résidence !
Or, comme la Constitution fixe un maximum et non pas un minimum, il n'y a donc aucun préjudice constitutionnel, si vous ne tenez pas compte de ces omissions supposées ; il y a, au contraire, un préjudice constitutionnel, si vous voulez en tenir compte.
En effet, si vous vous lancez dans les suppositions, les conjectures, si vous venez avec vos prétendus 80,000, 60,000 habitants omis, vous établirez le chiffre des députés uniquement sur des conjectures, tandis que, d’après le recensement, vous avez une base réelle, la seule qui ait le caractère de la certitude.
L'honorable M. Hymans qui vient de se rasseoir a soutenu une thèse excessivement curieuse ; en parlant de cette discussion, l'honorable membre a osé dire que c'est nous qui aurions ouvert la campagne.
Je prie l'honorable membre de vouloir bien remarquer que la campagne a été ouverte par l'honorable M. Orts. Quant cet honorable membre est venu nous proposer d'augmenter le nombre des députés, sans avoir pour base le recensement, et quinze mois avant que le recensement fût ait, il a provoqué le combat.
Est comment lui répondions-nous ? Nous nous bornions à constater que les éléments sur lesquels on se fondait n'étaient que des conjectures ; que les calculs qu'on nous présentait seraient démentis par le recensement. Voilà pourquoi nous protestions avec la dernière énergie contre cette proposition.
Eh bien, le recensement a en lieu, et les résultats sont venus établir à l'évidence que les chiffres sur lesquels l'honorable M. Orts avait fondé sa proposition, ne reposaient sur aucune base certaine. De l'aveu de l’honorable M. Hymans, dans le système de l'honorable M. Orts, il y avait dans sa proposition un député de trop. Dès lors nous avions mille fois raison quand nous protestions avec la plus grande énergie contre un acte qui n'était comme l'a dit lui-même son auteur, qu'un acte de parti.
Voilà donc où est la question. C'est là son origine. La question a été ouverte par M. Orts, et c'est nous, mon honorable ami M. Nothomb et moi, la droite tout entière, qui avons été assez malmenés par une certaine opinion pour avoir eu le courage d'empêcher un vote qui aurait été entaché d'une inconstitutionnalité évidente et aujourd'hui avouée par nos adversaires.
Nous avons donc bien le droit de discuter aujourd'hui ces lois de parti faites contre nous par un coup de parti, le jour où la réparation nous arrive par le fait du recensement, nous avons le droit de dire que vous avez été injustes en nous condamnant alors. Nous sommes vengés par les faits. Nous avions pour nous, en 1864, la Constitution, la loi, l'équité ; aujourd'hui les chiffres sont notre vengeance.
L’honorable membre ne se borne pas là, il veut mettre de petites questions à la place d'une grande question. Il y a ici une grande question : c'est la question de constitutionnalité. L'honorable M. Hymans y substitue une petite question particulière. Nous avons fait notre interpellation, dit-il, afin de donner un député à Louvain en le retirant à Bruxelles. Mais, messieurs, ce n'est pas nous qui l'aurons fait ; c'est le recensement.
Quand le recensement vient nous démontrer que Bruxelles a un député de trop, nous avons le droit de protester.
- Une voix. - Louvain a un député de trop.
M. Dumortier. - Nous n'avions pas le chiffré de la population de Louvain sous les yeux, mais ce que je sais, c'est que mon honorable ami, M. Magherman avait le chiffre officiel de la population du district de Bruxelles et qu'il en résultait que Bruxelles avait un député de trop.
Voilà le résultat où vous êtes arrivés, au moyen d'un travail fait sans bases essentielles, sans recensement ; vous êtes arrivés à ce résultat déplorable, que la Chambre des représentants compte trois députés de trop, conformément aux prescriptions constitutionnelles.
Maintenant, messieurs, on l'a encore dit. C'est Anvers qui devra perdre un député. L'honorable membre s'est trompé étrangement, car le district d'Anvers a un excédant de 25,000 habitants, alors que le district de Namur n'a qu'un excédant de 22,000 âmes. Ce n'est donc pas la province d'Anvers, mais bien le district de Philippeville qui devrait perdre un député.
Ainsi donc, messieurs, il n'est pas de doute possible ; nous n'avons pas, dans cette question, été mus par certains petits intérêts, mais par la loi des lois. Nous comprenons d'ailleurs parfaitement l'excessive difficulté qui se présente, à la veille des élections, de modifier un tel état de choses, alors que des districts qui ne sortent pas en juin prochain devraient perdre des députés auxquels ils n'ont pas droit.
Nous ne pouvons pas venir décréter la dissolution des Chambres. La dissolution ne nous appartient pas, et ce n'est que par la dissolution qu'il est possible de rentrer dans la voie constitutionnelle. Nous sommes donc dans l'impossibilité d'apporter un remède au mal.
D'ailleurs, le parti conservateur n'a jamais réclamé la dissolution des Chambres ; il a toujours laissé ce soin à ses honorables adversaires.
Mais, sans la dissolution, est-il possible de régulariser les faits ? Est-il possible de rentrer dans ce que veut la Constitution ? Non, cela est impossible.
Dès lors notre devoir est de faire connaître au pays que notre conduite, qu'on a tant censurée, qu'on a tant critiquée, était une conduite loyale et honnête.
Nous ne pouvons pas aller plus loin, parce que nous ne pourrions rentrer dans le régime constitutionnel que par la dissolution des Chambres et que nous n'avons pas le droit de la prononcer.
Il n'en reste pas moins vrai, comme cela a été dit le premier jour et comme cela est prouvé par les chiffres qu'a produits l'honorable M. Magherman, que, par la loi de 1866, le district de Bruxelles et trois autres districts ont eu un député de trop, et que c'est une chose regrettable une chose infiniment fâcheuse de voir qu'une prescription si formelle de (page 1264) la Constitution ait été violée, une violation de plus venant ainsi s'ajouter à toutes celles que nous avons déjà constatées.
- Personne ne demandant plus la parole, l'incident est clos.
Demande du sieur Charlet-Jean-François de Fraiture
Le rapport fait par la commission des naturalisations est ainsi conçu :
« Messieurs, le sieur de Fraiture est né à Breda (Pays-Bas), le 9 avril 1822, de parents belges. Il résulte de l'acte de mariage de ses père et mère, qui a été célébré à Saint-Trond, le 24 août 1809, que son père Jean-Guillaume de Fraiture est né à Herck-la-Ville, qu'il était domicilié à Rummen et qu'il a épousé Marie-Christine-Gertrude Fabry, née et domiciliée à Saint-Trond ; peu de temps après leur mariage, ils sont allés habiter la ville de Breda, pour y exploiter une saline ; ils ne semblent pas avoir créé cet établissement sans esprit de retour et ce qui le prouve, c'est cette circonstance que lorsque en 1840 ils cédèrent leur établissement à leur fils aîné, ils s'empressèrent de rentrer en Belgique. Le pétitionnaire revint avec eux dans notre pays, fît ses études à l'université de Louvain où il s'est fixé ; il vit dans l'aisance et jouit de l'estime générale.
« Votre commission pense que le sieur de Fraiture doit être considéré comme Belge de naissance, étant issu de parents belges et n'ayant posé aucun acte de nature à lui faire perdre cette qualité ; elle est en conséquence d'avis qu'il y a lieu de passer à l'ordre du jour sur cette demande qui est sans objet. »
- L'ordre du jour est prononcé.
Demande du sieur George-Frédéric Golle
Le rapport fait par la commission des naturalisations est ainsi conçu :
« Messieurs, la commission ne peut proposer à la Chambre de prendre cette demande en considération. Elle croit que le sieur Golle n'a que faire de solliciter la naturalisation, la qualité de Belge ne pouvant lui être contestée,
« Quelques mots suffiront à le démontrer.
« Le pétitionnaire est né à Bruges, le 6 mars 1828, d'une mère belge, et a été légitimé, le 10 avril 1834, par le mariage de celle-ci avec le sieur George-Frédéric Golle, Prussien d'origine. Il est donc né sous l'empire de la loi fondamentale, dont l'article 8 déclare citoyens ceux qui sont nés dans le royaume des Pays-Bas ou dans les colonies, de parents qui y sout domiciliés. Cett disposition de la loi fondamentale a exercé une influence décisive sur la nationalité du sieur Golle ; elle a paralysé les effets de sa légitimation par mariage subséquent de ses auteurs. Né hors mariage, il suivait la condition de sa mère ; comme elle, il était Belge. Légitimé par un père prussien, aux termes du code civil, il serait devenu Prussien, n'était l'article 8 de notre ancien pacte constitutionnel qui a vu en lui un citoyen, parce que le père avait domicile dans le royaume. Nous disons que Golle père était domicilié dans notre pays. Un livret joint au dossier nous apprend qu'il contractait, le 11 mai 1820, un engagement comme musicien au sixième régiment d'infanterie, régiment auquel il a appartenu jusqu'à la date du 4 mars 1837, ainsi que l'atteste un certificat de son colonel. Quand Golle père quittait le Nassau, ce n'était donc pas pour faire à l'étranger un séjour passager. Il cherchait et trouvait des moyens d'existence dans les Pays-Bas qui sont devenus sa patrie d'adoption.
« Le même livret militaire porte l'annotation suivante :
« ... Doit être regardé comme ayant tiré au sort, en 1819, à Bruges, province de la Flandre occidentale, par arrêté royal du 21 avril 1827...
« Un arrêté royal a regardé le sieur Golle comme ayant tiré au sort. Qu'en conclure ? C'est que Golle père, s'il n'était Belge, était du moins autorisé à établir son domicile en Belgique.
« Ces considérations ne nous permettent pas de voir dans le pétitionnaire un étranger. La requête qu'il nous a adressée ne peut recevoir aucune suite. Le sieur Golle doit revendiquer le bénéfice de l'article 8 de la loi fondamentale.
« En conséquence, la commission a l'honneur de vous proposer l'ordre du jour. »
- L'ordre du jour est prononcé.
La séance est levée à cinq heures.