(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1867-1868)
(Présidence de M. Dolezµ.)
(page 1069) M. Dethuin, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart et donne lecture du procès-verbal de la séance précédente.
- La rédaction en est approuvée.
Il présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre :
« Des habitants de Courtrai demandent la révision des lois relatives aux attributions des députations permanentes des conseils provinciaux en matière de droit électoral. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur les pétitions relatives au même objet.
« Le conseil communal de Ben-Ahin demande une loi interdisant la destruction des oiseaux insectivores. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur De Mat adresse à la Chambre copie de sa lettre à M. le ministre dc la justice, relativement à l'impression du Moniteur belge, et demande qu'on lui confie la lecture en bon à tirer de tous les documents imprimer, qui émanent de la Chambre. »
- Renvoi à la. section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi concernant un crédit de 80,000 fr. au département de la justice.
« Le sieur Bouwe, gardien de prison pensionné, demande un secours. »
- Même renvoi.
« Le sieur Lamblot prie la Chambre d'améliorer la position des inspecteurs cantonaux. »
M. Lelièvreµ. - J'appuie la pétition et j'en demande le dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur.
- Adopté.
« Le sieur Baugniet et autres membres dc la ligue de l'enseignement à Péruwelz proposent des modifications au système actuel d'enseignement moyen. »
- Même dépôt.
« Le sieur Demanet réclame contre l'exemption du service militaire dont jouit le sieur Marchai de la commune d'Assche. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Liessens appelle l'attention de la Chambre sur les conséquences de la convention monétaire internationale. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Courtrai prient la Chambre de maintenir aux députations permanentes la juridiction actuelle en matière électorale, de laisser intacte la loi du 23 septembre 1842 et d'engager le gouvernement à retirer le projet de loi sur le temporel du culte. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur des pétitions relatives au recours en appel de la juridiction électorale et pendant celle du budget de l'intérieur et renvoi à la commission des pétitions.
« Des bateliers, négociants et industriels, à Tamise, demandent que le gouvernement opère le rachat des embranchements du canal de Charleroi. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur les pétitions relatives au même objet.
« Le sieur Carlier demande qu'il soit fait sur la franc-maçonnerie belge un travail de statistique semblable à celui qui a été fait sur le catholicisme en Belgique. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, la demande en naturalisation ordinaire du sieur A.-A. Meurant. »
- Renvoi à la commission des naturalisations.
« M. Vilain XIIII, retenu par indisposition, et M. de Rossius, obligé de s'absenter, demandent un congé. »
- Accordé.
M. le président. - Messieurs, nous avons reçu de notre honorable collègue, M. Joseph Jouret, la lettre suivante :
« Retenu chez moi par un lombago douloureux, j'ai lu avec étonnement au Moniteur que j'avais été considéré samedi, 25 de ce mois comme absent de la Chambre sans congé.
« C'est une erreur que je désire voir rectifier et, en vous exprimant ce désir, je me vois forcé de vous informer, M. le président, que mon état de santé étant encore précaire, le congé que j'avais obtenu doit être prolongé, en vous donnant l'assurance que je l'abrégerai autant qu'il me sera possible.
« Daignez agréer, M. le président, etc.
« (Signé) Jouret. »
M. Liénartµ. - Messieurs, la Chambre me rendra cette justice que je n'ai pas pour habitude d'abuser de sa patience et elle voudra bien m'accorder encore quelques instants d'attention.
Je n'ai pas l'intention de prendre part à la discussion un peu théorique qui a été greffée incidemment et je devrais mieux dire malicieusement sur la simple question que j'avais soulevée par mon interpellation. Mes honorables adversaires ont encouru le reproche qu'ils nous avaient adressé au début, celui d'avoir grossi à dessein cette petite affaire.
(page 1070) Je demande seulement à la Chambre de revenir un instant au peint de départ et de restituer au débat sa véritable physionomie.
Je ne sais, messieurs, si votre impression a répondu à la mienne, j'ai été péniblement impressionné en écoutant les explications données par l'honorable M. Vandenpeereboom. Je croyais avoir fait un discours sérieux et je pensais bien avoir droit à une réponse du même genre,
Au lieu de cela, l'honorable M. Vandenpeereboom a prudemment dévié de la question et s'est réfugié dans le domaine de la plaisanterie. Un petit couvent au fond du paysage, un cabaret sur le devant de la scène et puis un vicaire cabaretier servant de trait d'union entre le couvent et le cabaret, voilà en quelques mots le petit tableau flamand très humoristiquement présenté du reste par l'honorable membre, pour permettre à la gauche de dissimuler dans le rire l'embarras qu'elle doit éprouver à accepter la responsabilité d'un arrêté qui dénoie tout au moins une petitesse de vues et de sentiments qui n'est pas digne d'un grand parti.
Je dois d'abord apporter une correction à ce petit tableau de fantaisie.
Le trait piquant, vous l'avez tous saisi, c'est que le vicaire cabaretier serait devenu électeur grâce à la patente de cabaretier.
Eh bien, messieurs, ce fait est inexact et controuvé : le vicaire Van Renynghe n'a jamais songé à user de la patente qu'on lui avait imposée du chef de l'établissement en question de Passchendaele. Il était électeur communal les années antérieures, grâce à des contributions qui lui sont personnelles et il n'est devenu électeur pour les Chambres que cette année-ci par suite d'une acquisition immobilière qu'il a faite en 1866, de manière qu'il n'a même jamais essayé de faire compter la patente de cabaretier. S'il l'a possédée, c'est uniquement parce que M. le ministre des finances la lui a imposée.
En présentant ce tableau, messieurs, l'honorable M. Vandenpeereboom a déplacé la question, comme chacun a pu en faire la remarque.
En effet, ce que j'ai critiqué notamment dans l'arrêté, ce qui le rendait redoutable à nos yeux, ce qui en faisait une véritable menace, un péril imminent pour la liberté de l'enseignement déjà si restreinte sous la législation actuelle, c'est son caractère absolu.
« L'arrêté, disais-je dans la séance de jeudi dernier, est basé tout entier sur la loi qui régit les fondations pour l'enseignement en Belgique, et c'est précisément l'invocation de cette loi qui donne à l'arrêté ce caractère de haute gravité et d'extrême importance qu'on ne saurait lui refuser. S'il m'est permis d'emprunter au langage du barreau une expression qui rendra parfaitement ma pensée, je dirai que cet arrêté n'est pas un simple arrêté d'espèce, mais un véritable arrêté de principe qui engage l'avenir. »
A la demande de ces dames qui sollicitaient l'autorisation de pouvoir établir une loterie à l'effet de créer une école gratuite pour filles, que répondait le gouvernement ? Est-ce que le gouvernement répondait par des considérations particulières tirées des circonstances spéciales de la cause que nous traitons ?
Ah ! si le gouvernement avait dit dans son arrêté, ce qu'ont plaidé M. Bara et après lui M. Watteeu, si le gouvernement avait dit : La loterie est une faveur que j'accorde ou que je refuse selon que je le juge convenable ; c'est une faveur que je dispense souverainement ; je n'ai pas confiance en ces dames, leurs déclarations me semblent suspectes ; l'école gardienne ce n'est qu'un prétexte, un paravent, derrière lequel je découvre les premières assises d'un couvent !
Ah ! si l'arrêté avait été conçu en ces termes, au lieu d'un arrêté de principe, nous nous serions trouvés en présence d'un arrêt d'espèce, et renfermé dans ces limites, le débat se serait borné à une question, de fait à une question d'appréciation. Mais ce n'est pas ainsi que le gouvernement a procédé.
Aujourd'hui on déserte la loi de 1864, qui est tout l'arrête, et on prend son refuge dans la loi de 1851, dont il n'y a pas trace dans l'arrêté ; en d'autres termes, vous renversez complètement les situations.
J'aurais donc le droit de vous dire : Non, je ne vous suis pas dans cette voie nouvelle où vous voulez m'entraîner, je ne vous suis pas, parce que ce n'est pas là le terrain sur lequel vous avez placé votre arrêté ; ce que nous avons à apprécier, c'est l'arrêté expliqué par les considérants qui l'accompagnent et nullement les raisons secrètes et posthumes que vous voulez bien nous donner après coup.
Pareille réponse serait péremptoire et vous n'auriez rien à y répondre.
Mais je ne veux pas tenir ce langage, parce que je ne crains pas de descendre sur le terrain des faits. L'affaire qui nous occupe se présente dans les meilleures conditions de sincérité et de bonne foi.
Loin de moi la pensée d'incriminer la loyauté de l'honorable M. Vandenpeereboom, mais je regrette et je regrette profondément qu'il ait contribué par des rapprochements imprudents à faire planer sur la demande des dames de Bruges certains doutes, certaines équivoques dont il est nécessaire de faire bonne et prompte justice.
L'impression incontestable, je ne veux pas dire préméditée du discours de l'honorable membre, a été de faire croire à la Chambre et au pays que l'école gardienne n'était qu'un prétexte, un masque et qu'il s'agissait bien au fond de créer un couvent ou bien encore de se procurer les fonds nécessaires pour organiser un établissement dans lequel on débiterait de la bière et du tabac.
L'honorable M. Vandenpeereboom vous a rappelé, à ce propos, que, dans d'autres cas, on avait refusé de se soumettre aux conditions qui avaient été imposées à l'obtention de l'autorisation d'établir une loterie, condition de rendre compte de l'emploi des fonds, condition de se soumettre à l'inspection de la loi de 1842, etc.
Et bien, tout cela n'avait qu'un but, un but facile à saisir, c'était de discréditer aux yeux du pays l'entreprise de ces dames et de déverser le soupçon sur les inspirations auxquelles elles obéissaient.
Or, messieurs, avant de venir demander au gouvernement des explications, j'ai été très prudent, très circonspect : je me suis rendu au ministère de l'intérieur, où j'ai pu, grâce à l'obligeance de l'honorable M. Pirmez, consulter tout le dossier de cette affaire et je viens attester à la Chambre, sans crainte d'être démenti par personne, que je n'y ai absolument rien trouvé qui approchât le moins du monde des insinuations peu obligeantes auxquelles on s'est livré.
Il est vrai que lorsqu'un employé supérieur de l'administration a apporté le dossier dans le cabinet du ministre, il a averti ce dernier que le dossier contenait une pièce tout à fait confidentielle émanée de M. le gouverneur de la Flandre occidentale ; et, immédiatement, en présence de cet avertissement, j'ai déclaré à M. le ministre de l'intérieur que et ne voulais consulter que les seules pièces qu'il pourrait me communiquer sans indiscrétion.
Je n'ai donc pas pris connaissance de cette pièce confidentielle ; je ne sais pas quelles révélations mystérieuses elle pourrait contenir ; mais j'ai vu les autres pièces et j'ai pu me convaincre facilement qu'il n'y avait pas, comme on dit vulgairement, anguille sous roche dans cette affaire ; que les intentions de ces dames étaient sincères et pures ; que c'était l'intérêt de l'instruction qui, seul, avait guidé leur démarche, et ce n'est qu'après avoir acquis cette conviction que je me suis décidé à prendre leur défense dans cette enceinte.
J'ai lu la demande de ces dames et j'y ai vu qu'elles s'engageaient à soumettre leur école à l'inspection de la loi de 1842 et qu'elles souscrivaient d'avance à toutes les conditions que l'autorité civile croirait devoir exiger d'elles.
Telles sont les assurances, tels sont les apaisements que l'on vous offrait ; en présence de cette entière franchise, de cette manière d'agir ouverte et loyale, n'ai-je pas le droit de dire que l'honorable M. Vandenpeereboom a mal fait d'assimiler notre espèce à d'autres qui ne présentaient peut-être pas les mêmes garanties ; comment pourrais-je ne pas protester, au nom de ces dames, contre de pareilles insinuations ?
L'honorable M. Vandenpeereboom a prétexté qu'il n'avait pas connaissance des intentions de ces dames. J'en demande bien pardon à l'honorable membre, mais il ne pouvait pas ignorer les circonstances que je viens de rappeler, attendu qu'elles étaient écrites dans la demande des pétitionnaires et que cette demande était bien la principale et la première pièce du dossier.
Messieurs, j'ai aussi entendu taxer de légèreté, sinon de complaisance la députation permanente ; mais encore une fois, je le répète, pourquoi l'honorable M. Vandenpeereboom ou, à son défaut, l'honorable M. Pirmez n'a- t-il pas fait connaître à la Chambre que la députation permanente n'avait autorisé la loterie qu'à la condition formulée dans l'article 2 de l'arrêté de la députation, que ces dames soumettraient leur école future à l'inspection de la loi de 1842. En présence du silence de l'un et de l'autre, j'ai cru remplir un devoir impérieux en replaçant les faits sous leur véritable jour.
Un seul mot maintenant en réponse à M. le ministre de la justice qui, dans la séance de vendredi dernier, a donné à la loi de 1851 l'interprétation restrictive qui est encore présente à vos esprits.
Au point où nous sommes arrivés, l'heure des discussions théoriques est passée. Je me bornerai donc à faire à l’honorable ministre une question bien simple qui l'embarrassera peut-être. Ce n'est pas seulement à Bruges que l'initiative privée a pris à cœur (page 1071) de recueillir et de soigner, en l'absence des parents, les enfants de pauvres ouvrières que les nécessites de la vie obligent pendant la journée de rester éloignées du foyer domestique.
Pour ne parler que dc Bruxelles, il existe dans presque tous les faubourgs, à Molenbeek, à Ixelles, à Saint-Josse-ten-Noode, des crèches écoles-gardiennes qui sont le pendant parfait de l'école projetée à Westcapelle et qui, pas plus que cette dernière, ne possèdent le bénéfice de la personnification civile.
Pour la crèche dc Molenbeek notamment, l'article 2 du règlement que je tiens à la main, porte : « La crèche est un établissement privé. »
Il y a peut-être une différence bien légère, il est vrai, mais tout en faveur de l'école projetée de Westcapelle. Cette différence consiste en ce que, dans les écoles des faubourgs de Bruxelles, on astreint les parents à payer quelque chose, tandis qu'à Westcapelle l'accès de l'école aurait été entièrement libre et gratuit.
Or voici quelques autorisations que j'ai relevées sous la rubrique « Loteries tombolas qui ont été organisées en suite des dispositions de l'article 7 ci-dessus rappelées » en parcourant à la hâte quelques volumes du Mémorial administratif dc la province de Brabant :
Volume 1864.
Saint-Josse-ten-Noode, société des artisans lyriques au profit de la crèche école gardienne : fr. 1,246 68
Volume 1866.
Saint-Josse-ten-Noode, le cercle Haydn, en faveur dc la crèche école gardienne et pour distribution de pains : fr. 200
Volume 1867.
De Kempeneer et consorts, au profit de la crèche de Molenbeek-Saint-Jean : fr. 2,357 85
L'administration de la crèche école gardienne de Saint-Josse-ten-Noode, construction d'un auvent promenoir pour les enfants de la crèche et des salles d'asile : fr. 6,242 31.
Ce dernier exemple est particulièrement frappant, à cause de la destination immobilière des fonds, ce qui confond entièrement cette espèce avec la nôtre. Produit de la loterie tombola 6,242-31, soit 2,000 fr. de plus pour une simple amélioration que le produit net probable de la loterie projetée par les dames de Bruges, pour tous les frais de l'école gardienne.
Il y a plus : j'ai sous les yeux un compte rendu des opérations de la crèche d'Ixelles, et je lis au chapitre des recettes ce qui suit : Subside du Roi 300 fr., de la commune 900 fr., du gouvernement 300 fr., de la province 770 fr.
Après cela, vous pourrez soutenir, ce que je ne conteste pas, pour le moment, que la loi de 1851 est une loi sévère, qu'il faut en restreindre l'application. Les dames de Bruges ne doutent plus de la sévérité de la loi après l'application bien rigoureuse qu'on leur en a faite ; mais, si sévère qu'elle soit, il paraît qu'elle ne manque pas d'une certaine élasticité, témoin les faits que je viens dc citer.
Et ici le gouvernement n'a pas même l'excuse de l'ignorance, ces faits se sont passés sous les yeux mêmes du gouvernement, dans la ville où il siège, et ils ont laissé le gouvernement parfaitement indifférent.
Il est impossible, messieurs, que vous vous mépreniez sur mes véritables intentions. Je ne blâme en aucune façon les autorisations qui ont été accordées ; je les approuve, au contraire, je les provoque et j'y souscris des deux mains ; je souhaiterais seulement que ces tolérances ne fussent pas entachées de partialité et que ce qui est accordé à Molenbeek-Saint-Jean, à Ixelles et dans d'autres localités fût également permis à Bruges.
Messieurs, je ne pouvais me promettre, en faisant mon interpellation, le succès qu'elle a obtenu.
Une chose bien bizarre d'abord est celle-ci : l'arrêté que je critique, tous ceux qui l'ont défendu s'accordent à en approuver le dispositif ; mais l'honorable M. Bara déclare qu'il l'aurait rédigé autrement que l'honorable M. Vandenpeereboom et l'honorable M. Pirmez, ministre dc l'intérieur, trouve les termes de l'arrêté un peu absolus, un peu roides ; si bien qu'il y a divergence d'opinion entre deux membres du cabinet et l'ancien ministre de l'intérieur, auteur de l'arrêté, sur la rédaction qu'il aurait convenu d'y donner.
J'avoue que ce dissentiment m'inspire peu de confiance dans l'arrêté lui-même.
L'honorable M. Pirmez nous a parlé des matières judiciaires, je me permets dc demander à l'honorable ministre de l'intérieur si une condamnation intervenue dans les circonstances suivantes lui paraîtrait bien solidement établie.
Un individu, c'est une pure hypothèse, est attrait devant les tribunaux et est condamné. Le malheureux se retourne vers ses juges et leur demande la cause de sa condamnation, et les juges de lui répondre :
Ce que nous savons, c'est que vous êtes bel et bien condamné, mais quant à la disposition précise du code pénal que vous avez encourue, nous ne sommes pas tous les trois bien d'accord. M. le président prétend que c'est telle disposition ; mon collègue opine pour telle autre et mon avis est encore différent du leur ; mais rassurez-vous, ce qui est certain, c'est que vous êtes justement condamné.
Je crois que vous serez unanimes à convenir qu'une condamnation qui interviendrait dans de semblables circonstances serait sujette à caution.
Eh bien, ce que je pense du jugement, je le pense aussi de l'arrêté du 23 novembre 1867.
Parmi les explications justificatives qui ont été données, je dois à la vérité de dire que celles de M. Pirmez ont le mérite de se rapprocher le plus du texte de l'arrêté que nous critiquons.
De deux choses l'une, dit l'honorable ministre, et c'est principalement à moi qu'il adressait ce dilemme, ou bien l'établissement sera affecté à perpétuité à l'instruction, ou bien les dames en disposeront à leur gré ; dans le premier cas, il y a fondation et dans le second, je ne comprends pas bien la raison d'autoriser la loterie.
M'est avis, messieurs, que l'immeuble a été introduit un peu à plaisir dans cette discussion. Après informations prises, il conste que cet immeuble existait déjà, que ces dames en étaient déjà propriétaires lorsqu'elles ont demandé de faire la loterie. Le produit devait servir à couvrir les frais d'appropriation, d'installation, d'organisation, les frais de mobilier, dc feu et lumière, etc.
Mais enfin, cela ne fût-il pas ainsi et fût-il vrai que l'immeuble aurait été acquis avec les deniers provenant de la loterie, cet immeuble en serait-il moins resté la propriété de ces dames ? M. le ministre des finances nous demandait : Qui donc sera propriétaire ? Mais ces dames, et vos agents percevront les droits en cas de mutation ou de décès, comme ils les percevraient sur les autres propriétés appartenant à ces dames.
Mais alors, dit M. le ministre de l'intérieur, pourquoi permettre de recourir à la loterie ?
Messieurs, on s'est plu à exagérer à dessein la portée de semblable autorisation. Elle est tout simplement une marque de sympathie pour une œuvre utile, marque de sympathie, je vous prie de le remarquer, encore bien platonique et bien éphémère, car le gouvernement ne donne rien ; il autorise simplement les personnes à recevoir.
Eh bien, ces dames vous déclaraient, que, dans l'immeuble qui était leur propriété, elles comptaient donner l'instruction gratuite aux enfants pauvres de Westcapelle. C'était au gouvernement à peser la confiance que méritaient ces dames, à voir si le caractère d'honorabilité de ces dames n'était pas la meilleure garantie contre toute espèce de charlatanisme et de fraude, en un mot, s'il y avait lieu pour lui de croire que l'argent recueilli par ces dames serait consacré au profit de l'instruction ; que si le gouvernement n'avait pas cette confiance, il pouvait refuser d'autoriser la loterie ; c'était son droit en vertu dc la loi de 1851 et nous ne le lui contestons pas.
Ce que nous prétendons, c'est que vous n'auriez pas dû dire de la façon la plus absolue et la plus générale, qu'une loterie dont le produit est consacré à une œuvre d'enseignement ne peut être autorisée qu'au profit de la commune. Là est le mal, là est l'exagération, là est l'abus, et je pourrais dire, en tournant le proverbe latin : in principii venenum, la source même de l'arrêté est empoisonnée.
L'honorable M. Bara s'est défendu d'avoir pris part à la rédaction de cet arrêté. J'accepte la rectification et je le mets volontiers hors de cause, en tant qu'auteur direct ; mais je persiste à dire que s'il n'a pas rédigé cet arrêté, cet arrêté a été calqué sur les modèles déposés au département de la justice.
Je constate de nouveau que l'on a reculé pendant cette discussion, devant la généralité des termes de l'arrêté. Cet arrêté parle non seulement de fondations, mais aussi de donations ; ce qui est défendu, aux termes dc l'arrêté, c'est toute espèce de donation en faveur de l'enseignement privé. Or, d'après les explications de l'honorable M. Pirmez, si ces dames, au lieu d'acheter l'immeuble, en avaient loué un, et si, pour l'approprier et le meubler, elles avaient demandé de faire la loterie, la loi de 1864 n'y aurait plus fait obstacle.
(page 1072) Ce ne sont pas toutes les donations qui sont prohibées en faveur de l'enseignement privé ; ce qui est proscrit seulement en vertu de la loi de 1864. c'est la fondation proprement dite, c'est l'immobilisation, autrement dit, la prise de possession à perpétuité et dans un but déterminé de tout ou partie du sol.
Messieurs, comme je l'ai dit dans mon premier discours, nous nous défions, avec raison, des sympathies affectées de la gauche pour l'instruction libre, sympathies qui ressortent seulement de vos paroles, mais non pas de vos actes ; dans ces conditions, l'arrêté m'a paru un essai, une tentative, une sorte de piège.
Aujourd'hui, messieurs, la tentative a échoué, le piège a été dénoncé et je me félicite d'avoir été le premier à donner l'éveil.
Pour couvrir ce piège, vous aurez beau crier à la mainmorte et aux abus d'un autre âge, comme vous l'avez fait dans la séance précédente.
Je dirai de la mainmorte ce que disait M. Laboulaye des arguments séculaires par lesquels on combat la liberté dans un pays voisin : « Malgré leur long usage et leur aspect vénérable, ces arguments ont le tort de ne rien prouver. »
L'honorable M. Bara a comparé une proposition future de mon ami M. Jacobs au cheval de Troie recelant la mainmorte dans ses flancs.
Qu'il me soit permis de répondre à l'honorable M. Bara que le cheval de Troie portant la mainmorte dans ses flancs est une invention renouvelée des Grecs par le parti libéral et qui constitue sa plus vieille machine de guerre.
Quand le parti libéral veut s'emparer d'une ville, il fait avancer le cheval, et tandis que les habitants effrayés accourent sur les remparts pour guerroyer contre le monstre, vous tournez les murs de la ville et vous vous emparez de la place.
Mais détrompez-vous, messieurs, si vous pensez que l'invocation de la prétendue mainmorte continuera toujours d'effrayer la public ; non, à force d'en entendre parler, il en arrivera bien un jour à se familiariser avec cette prétendue mainmorte qui apparaît à tout bout de champ et chaque fois que les besoins de la cause l'exigent.
Vous-mêmes concourez à affaiblir l'effroi qu'elle inspire, lorsque vous prétendez la découvrir dans des conditions aussi minces, aussi chétives, aussi anodines, que celles qui se sont présentées dans l'espèce.
Le pays s'apercevra tôt ou tard que la mainmorte dans vos discours est ce qu'on appelle au théâtre une grande utilité et que l'effet terrifiant qu'elle produit n'est employé que pour suppléer à l'influence légitime du raisonnement.
Dans cette enceinte, c'est différent : vous faites bonne contenance quand on parle de mainmorte. La gauche tout entière est pendue aux lèvres de l'orateur qui a l'habileté d'évoquer le fantôme ; c'est là le secret des succès oratoires de certains d'entre vous.
Aussi, si j'en juge par ce qui s'est passé dans cette discussion, je trouve frappante la petite esquisse que traçait récemment de la Chambre un membre qui a siégé sur vos bancs et qui, lui aussi, soit esprit d'imitation, soit contagion, a aboyé au clérical pendant quelque temps. Vous ne me refuserez pas le plaisir de vous citer ces quelques lignes :
« Il fait trop clair aujourd'hui, dit M. Adelson Castiau, un des prédécesseurs de M. Bara dans la députation de Tournai, pour que les revenants puissent effrayer personne. Il est vrai qu'à la Chambre, je n'ai jamais trouvé ce rayonnement de clarté, et que vingt fois, avec ma mauvaise vue, j'ai eu, au contraire, à me plaindre du clair obscur qui y règne. Aussi doit-on me pardonner, malgré une rodomontade de tribune, d'avoir eu peur, et une terrible peur. Pendant cinq ans, je me suis mis à poursuivre à outrance et à frapper d'estoc et de taille tous ces fantômes, qui, heureusement pour eux et pour le repos de ma conscience, ne paraissent pas s'en porter plus mal aujourd'hui. »
Si j'ai mis, messieurs, quelque animation dans mes paroles, vous me le pardonnerez aisément en faveur du sentiment profond sous l'empire duquel j'ai ouvert cette discussion. Du reste, après avoir critiqué le gouvernement, j'ai la rare, la trop rare bonne fortune de pouvoir le féliciter en terminant ; c'est M. le ministre de la justice qui lui mérite ces félicitations.
L'honorable membre a fini son discours de vendredi par ces paroles : « Vous avez de grandes richesses qui tournent au profit de vos œuvres, et nulle part on ne fait plus qu'en Belgique pour les œuvres catholiques. Cela est tellement vrai que dernièrement je lisais dans un journal que le pape, recevant la demande d'un évêque qui ne savait où aller chercher de l'argent, lui répondait : Allez en Belgique, on vous en donnera. »
Je remercie du fond du cœur, au nom de tous mes compatriotes, M. le ministre de la justice d'avoir vengé l'antique réputation de générosité et de dévouement des Belges, réputation qu'avait mise en doute un membre éminent de la gauche, en affirmant, il y a quelque temps, devant la Chambre, « qu'en Belgique on ne souscrit que lorsqu'il y a un dividende au bout. »
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je répondrai d'abord un mol aux dernières paroles de M. Liénart.
Quand mon honorable collègue, M. Tesch, disait qu'en Belgique on n'était disposé à souscrire que lorsqu'on avait des dividendes en perspective, il n'entendait pas parler des souscriptions qui ont pour but des œuvres charitables.
L'honorable M. Tesch a été longtemps ministre de la justice, il a lui-même signalé à la tribune l'accroissement considérable des libéralités en faveur des cultes et de la bienfaisance, et il aurait fait preuve de bien peu de mémoire s'il avait fait allusion aux souscriptions dont le produit s'applique à la religion ou à la bienfaisance.
L'honorable M. Tesch a parlé des souscriptions qui n'ont point pour mobile des œuvres morales et pieuses.
M. Liénart prétend qu'il a eu la bonne fortune de démontrer que les considérants de l'arrêté sont mauvais, qu'ils sont répudiés par le gouvernement.
L'honorable membre se trompe. Je ne me suis pas défendu d'avoir rédigé l'arrêté en ce sens que je n'en aurais pas approuvé les considérants.
J'ai dit que ces considérants étaient incomplets, mais non qu'ils étaient vicieux ou non fondés et l'honorable membre s'est chargé lui-même de démontrer qu'ils étaient fondés.
Il a reproché à l'arrêté d'avoir invoqué la loi de 1864 sur les fondations, soutenant que dans l'affaire de Westcapelle il ne s'agit pas d'instruction primaire. Or, il affirme, d'autre part, que les dames patronnesses avaient l'intention d'établir une école avec les fonds de la souscription et de placer cette école sous le régime de la loi de 1842.
Eh bien, si cela est vrai, la loi de 1864 devait recevoir son application.
L'honorable M. Vandenpeereboom avait donc raison de dire dans son arrêté que la commune était seule compétente aux termes de la loi de 1864, pour recueillir les libéralités au profit de l'enseignement primaire. La difficulté que vous pouviez élever porte sur le point de savoir si l'établissement de Westcapelle devient un établissement de bienfaisance ou une école. Je vous ai répondu : Supposons que ce soit un établissement de bienfaisance, au lieu de viser la loi de 1864 on aurait dû viser les lois sur la bienfaisance publique, mais le résultat eût été le même.
L'honorable préopinant a parlé de loteries autorisées à Schaerbeek, à Saint-Josse-ten-Noode, à Ixelles ; il m'est impossible de répondre à des faits si vagues. Il faudrait savoir d'abord si les loteries dont il est question ont été dénoncées au gouvernement, si le gouverneur a suspendu l'autorisation de la députation permanente et s'il s'est pourvu contre cette autorisation.
L'honorable membre n'en dit rien. On est donc en droit de croire que dans les cas qu'il a cités il s'est présenté des circonstances autres que dans celui qui fait l'objet du débat.
La demande des dames de Bruges est formelle ; elles demandent l'autorisation d'ouvrir dans la province une loterie-tombola, dont le produit est destiné à payer les dépenses occasionnées par l'érection, dans la commune de Westcapelle, d'une école gardienne.
L'arrêté de mon ancien collègue M. le ministre de l'intérieur est donc fondé et je crois que, dans toute autre circonstance analogue, le gouvernement devra prendre des arrêtés semblables.
- L'incident est clos.
M. De Fréµ. - Il est arrivé à la Chambre des pétitions qui réclament contre l'intervention de la force armée dans les fêtes et les cérémonies du culte catholique. Ces pétitions se sont produites pendant le long et remarquable débat sur l'organisation militaire, et pour ne pas interrompre ce débat, il a été décidé par la Chambre que la discussion qui devait naître à l'occasion de ces pétitions serait remise à l'examen du budget de l'intérieur.
Je viens aujourd'hui, messieurs, appuyer les réclamations des pétitionnaires.
Un étranger qui ne connaît ni nos lois ni notre caractère, en voyant l'intervention de la force armée dans les fêtes ou les cérémonies du culte, doit se demander s'il y a en Belgique une religion d'Etat ou si le peuple (page 1073) a si peu dc respect pour les cérémonies religieuses, qu'il faille faire escorter es cortèges par des soldats.
Eh bien, ni l'un ni l'autre n'est vrai. Il n'y a pas en Belgique dc religion d'Etat, et en Belgique le peuple a le plus grand respect, non seulement pour tout ce qui touche aux cultes, mais encore pour les ministres des cultes.
D'après moi, l'intervention de la force armée est contraire à notre régime politique, et les lois organiques qui permettent cette intervention, ont disparu avec le régime politique qui les avait créées.
Quel est le régime politique sous l'empire duquel ces lois organiques ont été créées ? C'était le régime politique français, le régime de l'absorption de l'Eglise par l'Etat. Sous ce régime, de grands honneurs à l'Eglise, beaucoup de pompes, beaucoup de cérémonies, mais l'Eglise asservie, l'Eglise esclave, l'Eglise sous la main de l'Etat. Pour cacher sa servitude, l'Etat décernait à l'Eglise des honneurs privilégiés.
Dans tous les temps et dans tous les pays, chaque fois que l'Etat a domine l'Eglise, l'Eglise a joui dans ces temps et dans ces pays, d'une plus grande splendeur que dans les pays et dans les temps où l'Eglise est libre et indépendante de l'Etat.
Aujourd'hui, quel est notre régime politique ? Notre régime politique est l'opposé du régime français. Plus d'honneurs, mais la liberté ; plus de cérémonies privilégiées, mais l'indépendance la plus complète.
Nous trouvons dans l'arsenal de nos lois un décret du 24 messidor an XII, qui prescrit des honneurs privilégiés au culte catholique et ordonne le concours de la force armée dans l'installation des cardinaux, des archevêques et des évêques ; un décret du 19 février 1806 qui prescrit aux autorités, civiles, militaires et judiciaires d'assister à une procession publique annuelle.
Est-ce que ces décrets sont encore en vigueur ? Remarquez qu'à l'époque où l'empire français mêlait l'éclat de ses armes à la pompe de l'Eglise, l'Eglise prêtait serment d'obéissance au pouvoir absolu ; l'Eglise s'engageait, sous serment, à dénoncer au pouvoir absolu tout ce qui pouvait lui porter préjudice ; tous les ans, à la date du 1er décembre, les ministres des cultes devaient, dans la chaire évangélique, faire des discours sur la gloire des armées françaises et sur l'étendue des devoirs imposés à chaque citoyen de consacrer sa vie à son prince et à sa patrie. Le clergé ne pouvait pas correspondre avec Rome, et ce n'était pas le pape, c'était l'empereur qui réglait les nominations ecclésiastiques.
A l'époque où l'Etat rendait de si grands honneurs au culte, les ministres du culte étaient obligés à prier contre leur conscience et l'Etat avait le droit de faire ouvrir par la violence les portes d'une église pour y faire entrer le corps d'un réprouvé, et d'imposer au prêtre des bénédictions serviles.
Est-ce que ce régime qui d'une main caressait le clergé et de l'autre le tenait asservi, n'a pas disparu d'une manière complète ? Est-ce que ces honneurs rendus au culte n'ont pas disparu avec l'asservissement sous lequel le culte gémissait ?
Des raisons particulières, qui n'existent plus, engagèrent Napoléon le lendemain de 93, le lendemain du jour où les temples avaient été détruits, à donner au culte catholique une position privilégiée. L'Eglise qui avait été considérée comme complice de l'ancien régime, avait été persécutée, décimée ; elle sortait d'une terrible tourmente et pour la relever et lui rendre son ancien prestige, Napoléon commanda pour elle des pompes et des honneurs extraordinaires.
Il fit accepter la révolution par l'Eglise, et se servit de l'Eglise pour asseoir son despotisme. Comme tous les despotes, il exploita le sentiment religieux au profit de son ambition personnelle. Il se servit des ministres du culte catholique, pour faire chanter ses victoires et consacrer son élévation. Napoléon se servit de l'Eglise comme d'un instrument pour préparer et consolider l'empire français ; et plus il rendait l'Eglise imposante et radieuse, plus l'instrument lui était utile.
Le clergé était donc dans une triste position, dans une position humiliante. Il était esclave, esclave que l'on couronnait de fleurs pour cacher ses chaînes et dont le chef du pouvoir se servait pour faire accepter son despotisme. Et ce qui le prouve, messieurs, c'est que le jour où l'instrument n'a plus voulu se plier à sa volonté, ce jour-là le chef du pouvoir tint un langage bien dur au clergé français.
A ce clergé qu'il avait entouré de tant de pompes et de cérémonies, voici la menace qu'il lança contre lui : « Ignorez-vous, lui disait-il, que ce sont vos coupables prétentions qui ont poussé Luther et Calvin à séparer de Rome une partie du monde catholique ? S'il eût été nécessaire et si je n'avais pas trouvé dans la religion de Bossuet le moyen d'assurer l'indépendance du pouvoir civil, j'aurais, moi aussi, affranchi la France de l'autorité romaine et 40 millions d'hommes m'auraient suivi. »
Voilà, messieurs, en quels termes menaçants Napoléon s'exprimait à l'égard de ce clergé qu'il entourait dc tant d'honneurs. Ce qui prouve que ces honneurs il ne les lui rendait que dans l'intérêt de son ambition.
Ce régime, asservissement d'un côté et honneurs extraordinaires dc l'autre, ce régime a disparu ; il a fait place à un régime nouveau, au régime dc la séparation complète de l'Eglise et de l'Etat. Aujourd'hui, plus de servitude de la part du clergé ; mais aussi plus d'honneurs privilégiés.
Si, sous l'empire de notre Constitution, vous maintenez ces honneurs privilégiés, vous créez, malgré nos principes d'égalité et de liberté, vous créez dans la société politique belge, un culte privilégié et vous portez atteinte à l'un de nos plus grands principes constitutionnels, principe que les catholiques surtout, inspirés alors par le puissant génie de Lamennais, ont contribué à faire inscrire dans la Constitution.
M. J.-B. Nothomb, qui a tant contribué à faire proclamer ce principe de la séparation des pouvoirs, au sein du Congrès national, M. J.-B. Nothomb a, devant l'Europe, défendu et glorifié ce régime nouveau. Voici comment, dans son Essai sur la révolution de 1830, il résume l'œuvre du Congrès sur ce point important de la succession du régime nouveau au régime français.
« La séparation de l'ordre civil et de l'ordre religieux est pour lui (l'auteur), non un fait, mais un principe, non une transaction passagers, mais un progrès social. Il ne conçoit, à cet égard, que trois manières d'être : la suprématie de l'ordre civil sur l'ordre religieux, la suprématie de l'ordre religieux sur l'ordre civil, et enfin la séparation et l'indépendance des deux ordres.
« Il ne veut pas de suprématie religieuse qu'il croit nécessaire à certaines époques de la civilisation ; il ne veut pas de la suprématie civile avec Louis XIV, Joseph II ou Napoléon ; il veut la séparation avec la Constitution de 1831. C'est là ce qui caractérise la nouvelle société belge ; c'est la grande idée que le peuple belge apporte à son début sur la scène du monde, c'est là ce qui fait que ce peuple, tant calomnié, a devancé les autres peuples. Si vous revendiquez la suprématie religieuse, vous rétrogradez ; si vous revendiquez la suprématie civile, vous rétrogradez : c'est la séparation des deux principes qui donne à l'Etat belge une individualité qui lui est propre et qu'il faut se garder de lui ravir.
« Ce n'est pas là une vaine théorie, c'est une réalité mise en pratique depuis la promulgation de notre pacte social, où vous lisez ces mots que vous chercheriez en vain dans les nombreuses constitutions qui se sont accumulées depuis un demi-siècle : « Nul ne peut être contraint de concourir d'une manière quelconque aux actes et aux cérémonies d'un culte... L'Etat n'a le droit d’intervenir ni dans la nomination, ni dans l'installation des ministres d'un culte quelconque, ni de défendre à ceux-ci de correspondre avec leurs supérieurs, ni de publier leurs actes, sauf, en ce dernier cas, la responsabilité ordinaire en matière de presse et de publication. »
Voilà, messieurs, le principe nouveau, caractérisé, défini par un dés hommes qui, je le répète, a le plus concouru, au Congrès, à le faire inscrire dans la Constitution. Il y a, messieurs, cette différence entre la révolution française de 1830 et la révolution belge, que la révolution de juillet n'a point affranchi le clergé.
En France, sous Louis-Philippe, et malgré la révolution de juillet, ce sont les mêmes honneurs et les mêmes cérémonies qui continuent, mais aussi le même asservissement.
En Belgique, au contraire, la séparation est complète ; la liberté et l'indépendance sont entières.
Lorsque après 1830, après la proclamation de la charte constitutionnelle, on vit, par les poursuites dirigées contre « l'école libre » que M.de Montalembert avait créée, la vieille servitude était restée debout ; lorsqu'on vit que le clergé était, comme par le passé, sous la main de l'Etat et soumis à sa juridiction « en cas d'abus », il se produisit, en France, un grand mouvement en faveur de la séparation de l'Eglise et de l'Etat.
L'homme qui fut à la tête de ce mouvement exerça sur les destinées de la Belgique une influence salutaire ; M. de Lamennais, pour atteindre le but auquel la Belgique arriva plus tard, M. de Lamennais, immédiatement après la révolution da 1830, fonda l'Avenir avec le concours de MM. de Montalembert, Lacordaire et Decoux qui fut, depuis, professeur à l'université de Louvain.
(page 1074) Dans cette revue, toutes les questions qui ont été agitées plus tard au Congrès national furent discutées et développées avec une grande élévation de pensées, un grand désintéressement et un grand talent.
M. de Lamennais pour avoir cette séparation complète, alla si loin qu'il attaqua le salaire du clergé !
Voici ce que disait M. de Lamennais :
« Toutefois, nous devons le dire, et le dire hautement, nulle liberté possible pour l'Eglise qu'à une condition, qui l'arrêtera peu sans doute, la suppression du salaire que l'Etat accorde annuellement au clergé. Quiconque est payé, dépend de qui le paye. C'est ce qu'ont bien senti les catholiques d'Irlande, qui toujours ont repoussé cette servitude que le gouvernement anglais a plusieurs fois essayé de leur imposer. Tant que nous n'imiterons pas leur exemple, le catholicisme n'aura parmi nous qu'une existence précaire et débile. Le morceau de pain qu'on jette au clergé sera le titre de son oppression : libre par la loi, il sera, quoi qu'il fasse, esclave par le traitement. Et n'est-ce pas déjà le moyen qu'emploient quelques préfets pour obtenir ce qu'il leur plaît d'exiger illégalement de lui ? Il est temps, grand temps, que le prêtre rentre dans son indépendance et sa dignité : nul avantage ne saurait jamais en compenser la perte. Il faut qu'il vive ; cela est vrai, mais avant tout il faut que l'Eglise vive, et sa vie, nous le répétons, est attachée au sacrifice qui lui rendra la liberté. »
Vous voyez, messieurs, jusqu'où allait le clergé pour jouir du bienfait de la liberté. Il répudiait tout privilège, toute protection ; tout ce qui pouvait porter atteinte à son indépendance, il le repoussait.
Messieurs, lorsqu'on compare le Mémoire du congrès de Vienne de 1814 et le Jugement doctrinal de la même année qui attaquèrent toutes les libertés constitutionnelles ; lorsqu'on compare ces deux documents aux discours prononcés par les vaillants abbés du Congrès, notamment par M. de Haerne qui y parla avec tant d'élévation et de désintéressement, discours qui répudièrent toute protection, tout privilège, pour avoir la liberté et avec elle la dignité et l'indépendance, on sent que l'âme de Lamennais les inspire ; c'est son langage qu'ils parlent.
Comme lui, ils repoussent tous les honneurs, tous les privilèges ; ils ne veulent que la liberté, l'égalité et la séparation des pouvoirs.
Messieurs, je vais vous citer des passages de discours tenus à cette époque mémorable par deux vaillants abbés, éloquents disciples de M. de Lamennais : répudiation solennelle d'honneurs, de privilèges ; rien que la liberté, rien qu'être citoyen : Voilà ce qu'on demandait pour le clergé. Voici comme s'expliqua à la séance du 20 novembre 1830, l'honorable M. de Haerne. Il s'agissait de choisir la forme de gouvernement, et M. de Haerne, comme beaucoup de citoyens consciencieux de ce temps, avait manifesté sa préférence pour la forme républicaine ; et voici comment il justifie son vote.
« Et qu'on ne pense pas, disait M. de Haerne, que la république serait plus dans les intérêts des libéraux que des catholiques.
« Représentant d'une nation entièrement catholique, c'est pour elle que je demande la république ; sous ce régime, les catholiques n'auront plus à craindre ni protection ni privilèges ; ils se soutiendront de leurs propres forces, ils vivront de leur propre vie ; la religion se séparera entièrement de l'Etat.
« Au contraire, comme la forme mixte qu'on nous prépare, tient en apparence à l'ancien système politique de l'Europe, sous lequel la religion catholique était la première loi, la loi fondamentale de l'Etat, le pouvoir sera incliné à protéger les catholiques d'une manière spéciale, en se réservant toutefois le droit de revenir plus tard sur ce qu'il aurait fait ; et ceci paraîtra d'autant plus naturel que les catholiques forment la totalité de la population. »
Ainsi, messieurs, ce langage élevé est la répudiation de tout privilège ; il ne veut que la liberté ; il ne veut pas, et c'était l'opinion de tous les abbés, que le catholicisme s'appuie sur la force ; il ne veut pas que la religion catholique s'appuie sur le pouvoir ; il ne demande qu'une chose, c'est qu'elle s'appuie sur la liberté.
Dans leur opinion, c'était le seul moyen pour le culte catholique, après avoir été souillé par le contact du pouvoir absolu, de se purifier et d'accomplir sa mission.
Voici quel était le langage de M. l'abbé Verbeeck :
« Je me renfermerai strictement dans le sujet de la discussion qui nous occupe aujourd'hui, et je demande à mes adversaires s'il n'est pas vrai que le culte se trouve en dehors du domaine politique par là même que l'Etat déclare ne professer aucun culte aux yeux de la loi, la religion lui est indifférente, le temple est un édifice, les cérémonies religieuses, les sacrements, il ne les connaît pas ; le prêtre est un citoyen et rien de plus. »
Ces passages ne contiennent-ils pas la condamnation la plus formelle de tout privilège ? N'est-ce pas la condamnation de l'intervention de la force armée dans les cérémonies d'un culte ?
Vous répudiez tout privilège, vous répudiez toute protection et vous dites que le prêtre n'est qu'un citoyen.
Eh bien, le citoyen ne prétend pas à des honneurs ; le citoyen se contente de la liberté, se contente de l'égalité. Prêtres catholiques, ne soyez que de simples citoyens !
Exiger qu'on entoure les cérémonies d'un culte de la force armée, c'est créer, contre le but et contre l'esprit de la Constitution, un culte privilégié, c'est créer une religion d'Etat que la Constitution a entendu abolir. C'est un anachronisme.
Il y a, messieurs, un fait curieux qui établit combien, à cette époque, était grande en Belgique l'influence des doctrines de Lamennais.
Le journal l'Avenir était réimprimé à Louvain et avait quatre mille i abonnés.
M. Adolphe Bartels, qui a pris part à la révolution de 1830, dans ses Documents historiques sur la révolution belge, constate l'influence, qu'exercèrent sur les délibérations du Congrès les articles de l'Avenir ; voici, comment il s'exprime :
« C'était une chose admirable que l'influence de l'Avenir sur les délibérations du Congrès belge. On peut dire que M. de Lamennais fut le principal fondateur de notre Constitution, eu expliquant dans un sens catholique les articles qui effarouchaient les consciences timorées. Seulement nos prêtres, je rougis pour eux de l'avouer, glissèrent sur la question du salaire ecclésiastique, comme sur des charbons ardents. L'Union belge, qui était le Moniteur du temps, enregistrait les articles du célèbre écrivain, en quelque sorte comme des décisions doctrinales et les gouverneurs reproduisaient souvent de ses phrases entières dans leurs circulaires administratives. Tout l'esprit de notre pacte inaugural est dans les deux articles suivants de M. de Lamennais qui parurent la veille des débats sur la liberté de presse, d'enseignement, d'association et de culte. »
Ce fut sous l'influence des doctrines de Lamennais que tous les abbés du Congrès professaient un libéralisme si progressif et si désintéressé.
Mais il arriva un jour que ce pauvre Lamennais, qui avait exercé sur notre patrie, sur notre grande œuvre nationale une influence si salutaire, fut abandonné ; que dis-je ? II fut foudroyé par Rome pour avoir développé dans l'Avenir ces mêmes principes que nos catholiques de 1830 défendirent avec tant d'enthousiasme.
Depuis lors nos vaillants abbés du Congrès se sont un peu refroidis et ont fourni de nouveaux commentaires sur les articles de la Constitution.
La question de la séparation, messieurs, a été discutée au Congrès d'une manière approfondie à l'occasion de l'article 12. Cet article était ainsi conçu :
« Toute intervention de la loi et du magistrat dans les affaires d'un culte quelconque est interdite. »
M. Defacqz demanda la suppression de cet article et souleva la grande question de savoir ce qu'il y avait de plus utile à faire dans cette nouvelle société politique belge qui se fondait, ou maintenir la suprématie de l'Etat sur l'Eglise ou la séparation des deux pouvoirs. La grande majorité du Congrès repoussa la proposition de M. Defacqz, et de ce vote sortit le principe de la séparation des deux pouvoirs.
Messieurs, à l'appui de la thèse que je soutiens que le régime politique qui a produit les lois organiques qu'on applique encore aujourd'hui, a complètement disparu, j'ai l'opinion de M. Nothomb sur l'article 12. Il trouve cette rédaction incomplète et voici comment il s'exprime : « M. Defacqz a franchement déclaré qu'il veut que la loi civile exerce la suprématie ; il pose nettement le principe qui lui sert de point de départ. Nous adoptons un principe tout opposé : nous dénions toute suprématie à la loi civile, nous voulons qu'elle se déclare incompétente dans les affaires religieuses. Il n'y a pas plus de rapport entre l'Etat et la religion, qu'entre l'Etat et la géométrie. Comme partisans de l'une ou de l'autre opinion religieuse, vous êtes hors des atteintes de la loi ; elle vous laisse l'existence absolue de la nature.
« MM. Defacqz et Forgeur ont cité des lois, des autorités qui appartiennent à un système que nous repoussons. C'est le régime de Louis XIV, le régime de Bonaparte, Ne relevons pas un système qui gît dans la poudre du passé.
« Voici donc notre point de départ : séparation absolue des deux pouvoirs. Ce système est une innovation, nous l'avouons. Il exige une indépendance réciproque ; l'article de la section centrale n'exprime pas (page 1075) cette réciprocité, et c'est en ce sens que je demanderai une rédaction plus complète. »
L'honorable M. de Theux fut chargé de produire une rédaction plus complète et la rédaction qu'il produisit et qui a été adoptée, forme aujourd'hui l'article 16 :
« L'Etat n'a le droit d'intervenir ni dans la nomination ni dans l’installation des ministres d'un culte quelconque, ni de défendre à ceux-ci de correspondre avec leurs supérieurs et de publier leurs actes, sauf, en ce dernier cas, la responsabilité, etc. »
C'était tout ce que les catholiques demandaient en Belgique, la séparation complète, sans privilège. Eh bien, est-ce qu'en présence de cet article, l'Etat a encore le droit d'envoyer la force armée pour installer un cardinal, un archevêque ?
Est-ce que vous n'avez pas déclaré que vous n'interviendriez pas plus dans leur nomination que dans leur installation, que vous resteriez complètement séparés, mais respectueux. Ainsi pas d'intervention.
Pourquoi pas d'intervention ? Mais, parce que cette intervention serait la violation de l'article 15, qui dit que nul ne peut être contraint de concourir d'une manière quelconque aux actes et aux cérémonies d'un culte ni d'en observer les jours de repos.
El vous croyez que sous l'empire de cette Constitution, les lois qui ordonnent à la force armée d'escorter une procession, les lois qui ordonnent à la force armée d'assister à l'installation d'un ministre du culte, sont encore debout ?
Mais je le répète ici, c'est un anachronisme. Ce serait créer un culte privilégié.
Comment ! Vous voulez les honneurs de l'ancien régime avec la liberté du régime nouveau ? C'est trop, c'est défendu par la Constitution. Ce serait aussi s'écarter des traditions du Congrès national, si souvent rappelées par ceux-là mêmes qui les oublient le plus facilement.
Voulez-vous les honneurs de l'ancien régime ? Mais alors pas de liberté, alors pas d'indépendance ; alors vous rentrez dans la vieille servitude.
Vous connaissez la loi de prairial. Cette loi porte à l'article 19 : « Lorsque le ministre d'un culte, sous quelque prétexte que ce soit, se permettra de refuser son ministère pour l'inhumation d'un corps, l'autorité civile, soit d'office, soit sur la réquisition de la famille, commettra un autre ministre du même culte pour remplir cette fonction. Dans tous les cas, l'autorité civile est chargée de faire porter, déposer et inhumer le corps, etc. »
Est-ce que cet article est encore debout ? N'est-ce pas là le pire des despotismes, que celui qui force le prêtre à prier contre sa conscience ? Non ; nous disons que cet article est aboli ; que cet article a disparu avec le régime qui l'avait créé.
Non, nous disons que la liberté pour le prêtre de bénir ou de ne pas bénir, existe. Nous maintenons le pouvoir de l'autorité communale en matière d'inhumation tel que le décret l'indique ; mais nous soutenons que l'autorité civile n'a pas le droit de forcer le prêtre à prier contre sa conscience. Nous ne voulons pas que l'on porte atteinte au culte, que l'on introduise avec violence le corps dans une église pour forcer le prêtre à le bénir. Il n'y a personne de vous qui ne soutienne que cet article19 a disparu, qu'il est tombé par le fait même de la Constitution belge qui proclame les grands principes politiques que je viens de rappeler.
Vous devez dés lors admettre aussi que les honneurs extraordinaires que ce décret de messidor an XII a créés en faveur d'une église, que toutes les lois, décrets et règlements qui tendent à gêner le citoyen dans la liberté de conscience, ont disparu avec l'ancien régime.
Messieurs, quelle est la moralité de mes observations ? Lorsqu'un régime nouveau vient à naître, alors les manifestations extérieures dont l'ancien régime s'entourait doivent disparaître ; sinon, vous rappelez toujours l'ancienne servitude. Vous avez beau faire des constitutions, si vos lois organiques ne s'harmonisent pas avec votre constitution, je dis que votre progrès est un progrès qui n'est pas efficace.
Nos soldats dans les processions, dans les fêtes et les cérémonies d'un culte privilégié, rappellent l'ancienne société et ne sont pas de nature à faire aimer le régime nouveau et à faire entrer dans les mœurs les principes d'égalité et de liberté qui sont la base de notre organisation politique.
Nos soldats ont deux devoirs à remplir, maintenir l'ordre à l'intérieur et défendre le pays contre l'étranger. En les faisant figurer dans les cérémonies d'un culte, vous donnez à l'armée une mission pour laquelle elle n'a pas été créée.
M. E. de Kerckhoveµ. - Messieurs, je respecte profondément les scrupules constitutionnels de l'honorable M. de Fré. Je les respecte parce que je les crois sincères.
Cela étant, et, sans entrer dans l'examen de l'élégant cours d'histoire qu'il a bien voulu nous faire, je demande à l'honorable membre la permission de lui répondre quelques mots avec la plus entière franchise.
D'abord, messieurs, je tiens à déclarer que je n'attache aucune importance au maintien des décrets contre lesquels l'honorable membre s'est si vivement élevé, d'abord parce que je les crois parfaitement inutiles, parce que je crois notre religion assez forte pour pouvoir se passer de ces machines officielles, et ensuite, parce que ces décrets sont des souvenirs, des traditions de l'empire, de cette époque d'autocratie, de bureaucratie et de centralisation, dont, pour ma part, je ne veux plus.
Nous n'avons déjà que trop de ces traditions dans notre pays. Qu'on me permette de le dire en passant, c'est là qu'est le principal fondement de cette théorie politique qui a nom « la doctrine », théorie que mes amis et moi, nous combattons, parce que nous voulons la liberté, et que la doctrine n'est pas la liberté, pas plus que l'hypocrisie n'est la religion.
J'ai dit que je n'attache aucune importance, comme catholique, au maintien de ces décrets. Mais, messieurs, si je pouvais encore conserver le moindre doute à cet égard, les faits dont j'ai été témoin à Malines, il n'y a pas longtemps, auraient suffi pour me rassurer complètement.
Lors de l'entrée solennelle du nouvel archevêque de Malines, les autorités civiles, prises d'un subit scrupule constitutionnel, refusèrent de s'associer aux manifestations que préparait la population.
Ces autorités avaient cru pouvoir, deux mois auparavant, embellir de leur présence les funérailles du défunt cardinal. Il paraît que la Constitution leur permettait d'enterrer un prélat avec tous les honneurs de la guerre, mais non pas de saluer un nouveau prélat, un prélat vivant : leurs yeux s'ouvrirent et ils reculèrent d'effroi.
II est vrai qu'il y avait, dans cette affaire, un détail compromettant. II s'agissait d'accepter un dîner, et vous savez que les dîners aujourd'hui passent souvent pour des moyens de séduction.
Quoi qu'il en soit, les autorités militaires, et je suis heureux de pouvoir les en féliciter, se montrèrent en cette occasion plus logiques et, pour rappeler un mot de Talleyrand, plus civiles que les autres.
Je dois ajouter que, malgré l'absence des autorités civiles, la manifestation se passa parfaitement, et nous avons tous pu constater qu'il y eut beaucoup plus d'ordre et de recueillement dans la seconde cérémonie, à laquelle ces autorités n'assistaient pas, que dans la première. (Interruption.)
J'ai commencé par dire que je faisais bon marché de ces décrets. Vous voyez que les faits me donnent raison.
Dans ma conviction, le meilleur cortège des évêques et des processions, ce sont les sympathies, la piété et le recueillement des fidèles.
Je dirai même que, plus d'une fois, moi catholique, j'ai regretté la présence des autorités dans les cérémonies religieuses, par la raison toute simple que, trop souvent, ce n'est pas le recueillement et la dévotion que ces autorités apportent dans les cérémonies du culte.
Maintenant, messieurs, vous me permettrez, je pense, d'ajouter une simple observation. Je trouve qu'on fait vraiment beaucoup de bruit pour peu de chose.
De quoi s'agit-il au fond ? Faut-il bien invoquer la Constitution et discuter la valeur légale de ces décrets ?
Mon Dieu, il s'agit d'une simple question de convenances. Pas autre chose.
Ainsi, comme j'avais l'honneur de le dire à propos de l'inauguration du nouvel archevêque de Malines, il ne s'agissait pas de faire figurer les autorités dans un cortège, comme on l'a dit dans quelques journaux, mais d'assister à un dîner, et à une réception avant ce dîner.
Je ne vois pas quel mal cela pouvait faire à la Constitution.
M. Hymans. - A la constitution des convives.
M. E. de Kerckhoveµ. - Alors c'est une question de digestion.
M. le président. - Messieurs, pas d'interruptions. Veuillez confiner, M. de Kerckhove, et vous adresser à la Chambre.
M. E. de Kerckhoveµ. - J'avoue que si j'avais l'honneur d'être une autorité, le magistrat d'une ville dont la population serait composée en majorité de protestants ou d'israélites, je ne croirais pas mes principes (page 1076) religieux ni mes principes de citoyen compromis, en rendant une sorte d'hommage aux croyances de cette majorité, en m'associant aux témoignages de joie et de respect de cette population envers son chef religieux. Je me permettrais de voir là un acte dc bon goût et même un devoir dc convenance.
Messieurs, j'ai beaucoup voyagé et je me suis trouvé en relations avec des populations appartenant à toute espèce de cultes. Je n'ai jamais caché mes croyances, et cependant je me suis bien souvent vu obligé, par devoir de convenance, d'assister à des mariages, à des enterrements ou à d'autres cérémonies de cultes qui n'étaient pas le mien.
Jamais je n'ai cru manquer à ma conscience en agissant ainsi. Du reste, même sans voyager, sans sortir du pays, ce sont là des choses qui arrivent plus ou moins à tout le monde. Il y a là de pures questions de convenance, tout comme pour les fameux décrets.
Maintenant que j'ai déclaré bien franchement ce que je pense de ces décrets, j'ai le droit de me demander quel peut être le mobile réel de ceux qui réclament si énergiquement l'abolition de ces décrets.
Je ne parle pas pour M. De Fré : j'ai commencé par déclarer que je suis convaincu de la sincérité de ses scrupules constitutionnels. Mais les autres, les amis dont M. De Fré se fait l'organe, l'interprète, l'avocat, si vous l'aimez mieux, que veulent-ils ceux-là, quel but se proposent-ils ? Eh, messieurs, il n'y a pas à s'y tromper : il en est de l'opposition qu'on fait au décret de messidor, comme de celle qu'on fait à la loi de 1842. C'est toujours le même mobile. On parle de liberté de conscience, c'est le grand prétexte, mais le but réel, c'est de déconsidérer les croyances, d'enlever tout prestige à la religion et ainsi de l'affaiblir, de la déraciner, de l'effacer des cœurs en la dégradant aux yeux des populations.
C'est la même pensée, le même système qui poursuit le sentiment religieux dans toutes les grandes manifestations de la vie, le même système qui nous enlève nos cimetières, qui veut supprimer le baptême, le mariage religieux, le serment et je ne sais quoi encore.
M. Guillery. - Qui donc veut supprimer le. mariage religieux ?
M. E. dc Kerckhoveµ. - Toute une école poursuit ce but : c'est la doctrine qui se répand dans une foule de pamphlets, de discours, de journaux et qui prend quelquefois une forme quasi officielle. (Interruption.)
Je dis que ceux qui font cette campagne contre les décrets et contre la loi de 1842, ce sont les mêmes hommes qui partout poursuivent la pensée religieuse pour l'étouffer, pour l'anéantir.
Que nous disait, il y a quelques jours, un honorable orateur à propos des écoles ? (Interruption.)
II invoquait, comme toujours, la liberté de conscience des dissidents : la liberté des catholiques, on ne s'en préoccupe guère, c'est trop peu de chose.
Cet honorable orateur nous disait qu'il faut faire disparaître des écoles tout emblème religieux par respect pour les dissidents. Maintenant on veut faire disparaître, dans les manifestations publiques, toutes les marques extérieures de respect pour la religion sous quelque forme qu'elles se présentent.
Et si j'ai bien compris tout à l'heure M. De Fré, il présentait cette pensée sous la forme d'une espèce d'enseignement ; il nous disait (je lui demande pardon si je ne reproduis pas exactement ses paroles), il nous disait qu'il fallait effacer, supprimer ces démonstrations parce qu'il fallait apprendre au peuple que la religion n'est plus une force réelle, que la religion n'est autre chose qu'un sentiment individuel.
M. De Fréµ. - Je n'ai pas dit cela.
M. E. de Kerckhoveµ. - J'avais cru l'entendre. Quoi qu'il en soit, il y a là tout un système qui, certainement peut être présenté sans trop d'inconvénients à des hommes instruits, mais qui est déplorable, appliqué au peuple.
Il n'y a pas bien longtemps, M. De Fré, parlant de notre pays, des dangers qui pouvaient le menacer, se servait d'une expression qui m'a frappé. Je n'avais pas alors l'honneur de faire partie dc cette Chambre. Cette expression, je l'ai non pas entendue, mais lue, et j'avoue qu'elle m'a paru originale. L'honorable orateur appelait la patrie : « Notre mère malade ».
Eh bien, je fais appel aux bons sentiments dc M. De Fré, et je demande s'il est prudent de traiter cette mère malade d'une façon aussi leste, de lui enlever tout ce qui, dans les classes inférieures, peut faire la force et la consolation de ceux qui souffrent.
Quant à moi, je suis convaincu du contraire, et, d'ailleurs, l'histoire prouve que lorsqu'on sème l'irréligion, l'indifférence religieuse, on finit tôt ou tard par récolter la révolution.
L'honorable membre a beaucoup parlé de séparation dc l'Eglise et de l'Etat. Certainement, s'il s'agissait d'arriver à une complète, sincère et sérieuse séparation dc l'Eglise et de l'Etat, nous pourrions nous entendre.
L'honorable ministre des finances, si j'ai bien compris, faisait, il y a quelques jours, appel à certains catholiques qu'il a qualifiés de progressistes : il nous parlait aussi de séparation de l'Eglise et de l'Etat. C'est un point, je le répète, sur lequel nous pourrions nous entendre : seulement il y a une chose à remarquer, c'est que cette séparation ne peut se faire que sur le terrain de la liberté, dc la véritable liberté, et celle-là vous n'en voulez pas. Lorsque nous parlons de liberté d'enseignement, que nom répond-on ? On nous répond avec horreur fondation, mainmorte, ou quelque autre grand mot à effet. Quand nous demandons le respect de nos cimetières, on nous répond droit des communes.
Je dois ajouter, il est vrai, que lorsque dans un autre ordre d'idées, nous progressistes, nous réclamons l'extension du suffrage, on nous répond intérêt général ; quand nous demandons l'abolition de la conscription, on nous répond sûreté de l’Etat.
MiPµ. - C'est une bonne raison.
M. E. de Kerckhoveµ. - La raison peut être excellente, M. le ministre, mais on a toujours de bonnes raisons et de grands mots, des étiquettes à nous opposer de quelque côté que nous nous tournions pour demander la liberté.
Eh bien, je vous déclare que, dans des conditions pareilles, il m'est impossible à moi, et je crois aussi à beaucoup de mes honorables amis que vous avez bien voulu qualifier de progressistes... (Interruption), dans ces conditions, il m'est impossible, dis-je, de croire à la possibilité d'un contrat de séparation complète entre l'Eglise et l'Etat.
Savez-vous ce qui arriverait si ce contrat était à faire ? La chose est simple. J'ai eu quelquefois l'occasion d'en causer avec des amis appartenant à vos rangs, et j'ai bien vite constaté que, lorsqu'il s'agirait de réaliser cette séparation, on nous prendrait le peu qui nous reste et on ne nous laisserait d'autre liberté que la liberté de mourir de misère.
Maintenant, messieurs, je me demande, pour finir, quel est le motif pour lequel depuis quelque temps on se livre à une pareille opposition contre la loi de 1842, contre le décret de messidor, contre les loteries catholiques et je ne sais quelles autres institutions.
Il semble vraiment que nous ayons commis tout récemment quelque grand méfait à signaler au pays.
Eh bien, voulez-vous me permettre de vous dire toute mon opinion à cet égard ? Les élections approchent ; il s'agit, comme on le dit vulgairement tous les jours, de faire du clérical et du libéral, il s'agit de faire de l'agitation pour effacer dans le pays la mauvaise impression qu'ont produite les lois militaires.
M. Hymans. - Cela n'est pas nécessaire.
M. E. de Kerckhoveµ. - Vous savez parfaitement que cela est nécessaire, et je pourrais citer des faits, des preuves...
- Des voix à gauche. - Citez. .
M. E. de Kerckhoveµ. - Il y a des faits dont on ne parle pas ici et des noms qu'on ne mêle pas à nos débats.
MfFOµ. - Citez sans crainte.
MiPµ. - Mettez X ou Y au lieu du nom.
M. de Kerckhoveµ. - Ce serait de l'algèbre, et nous ne sommes pas ici pour faire de l'algèbre, mais bien de la politique.
Messieurs, le procédé que je viens de signaler me rappelle certain conseil d'un doctrinaire de l'antiquité.
M. Hymans. - Il y en avait donc alors déjà ?
M. E. de Kerckhoveµ. - Oh ! sans doute, le doctrinarisme est très vieux, mais en vieillissant il ne s'améliore guère.
Ce doctrinaire donc, que l'honorable M. Hymans doit connaître, puisqu'il est professeur d'histoire...
M. Hymans. - Plus.
M. E. de Kerckhoveµ. - Ce doctrinaire, qui n'était autre qu'Alcibiade, conseillait fort spirituellement à son oncle Périclès de ne pas se préoccuper de ai façon dont il pourrait rendre ses comptes au peuple athénien, mais, bien au contraire, de la meilleure manière de ne pas les rendre. Périclès, vous le savez, trouva le conseil excellent, et l'histoire (page 1077) nous apprend que ses électeurs se montrèrent complètement satisfaits.
Aujourd'hui, messieurs, nous sommes en progrès ; la doctrine ancienne est battue ; on ne se borne plus à chercher comment on fera pour ne pas rendre ses comptes, on fait mieux, on s'applique à rendre au pays les comptes des autres. Ainsi, on ne nous dit pas ce que coûtent les casernes, les canons et les forts, mais bien ce que coûtent les évêques, les religieux, les sœurs de charité. Il est vrai que pour certains politiques, les casernes sont des écoles dc moralisation, et les canons des moyens de prospérité.
Gomment le pays pourrait-il hésiter ? Les évêques, les religieux, les sœurs de charité ont la prétention de moraliser et de consoler le peuple et de prévenir ainsi les révolutions ; mais ce n'est qu'une prétention : la caserne et la conscription, voilà les grands instruments de civilisation. Et, quant à consoler le peuple et à prévenir les révolutions, on n'a pas besoin des prêtres ; on a mieux que cela : on a les baïonnettes et les fusillades.
M. Mullerµ. - Ceci devient mauvais.
M. E. de Kerckhoveµ. - Oui, très mauvais pour les victimes .
M. Mullerµ. - Je parle de l'observation.
M. de Kerckhoveµ. - Messieurs, j'ai eu l'honneur de vous le dire, je ne suis point partisan des décrets de l'empire, et bien certainement je n'en voterais pas le maintien, si on présentait une motion dans ce sens ; mais aussi, je ne voterai avec ceux qui en proposent l'abrogation que lorsqu'ils m'auront prouvé qu'ils veulent sincèrement et complètement le droit commun, la sérieuse égalité des droits, la liberté pour tous, la liberté la plus large, la plus généreuse, celle que tout esprit sérieux, tout cœur patriote doit aimer et défendre, comme le premier honneur de l'homme, le bien la plus précieux du citoyen, la meilleure défense et la plus sûre garantie du chrétien.
MiPµ. - Messieurs, de récentes nominations dans l'épiscopat ont soulevé la question de savoir si le décret de messidor est encore en vigueur. L'honorable M. De Fré vient d'apporter dans cette enceinte cette question, déjà discutée dans la presse.
Je pensais que ce nouvel élément de discussion qui vient d'augmenter le répertoire des questions dont la Chambre est saisie, aurait suffi pour occuper son attention et aurait empêché tout au moins pour un jour, un nouveau retour sur des débats si souvent renouvelés. Maïs l'honorable M. de Kerckhove s'est empressé de nous détromper. Et en effet, après avoir dit quelques mots du décret de messidor, il est venu rediscuter toutes ces questions que l'on discute sanis cesse.
Je dois dire cependant que l'honorable membre a une manière toute particulière de discuter : il vient vous dire d'abord qu'il accepte parfaitement le régime de la séparation complète entre l'Eglise et l'Etat, pourvu que ce régime soit un régime loyal, un régime franc, en un mot, un régime comme l'entend l'honorable membre. Mais, chose bien singulière, dans ce régime de séparation, il fait intervenir la question de la conscription. Or, je voudrais bien savoir quel rapport il peut y avoir entre la question de la séparation de l'Eglise et de l'Etat et la question de la conscription.
M. E. de Kerckhoveµ. - L'explication ne serait pas difficile.
MiPµ. - Si l'honorable membre veut bien m'expliquer cela, je lui céderai volontiers la parole.
M. E. de Kerckhoveµ. - C'est inutile, je répondrai.
MiPµ. - Mais j'aime mieux ne pas insister, et je comprends que la réponse serait extrêmement difficile.
M. E. de Kerckhoveµ. - Du tout ; je répondrai..
MiPµ. - J'attendrai donc l'explication que nous donnera M. de Kerckhove après y avoir réfléchi.
Mais l'honorable membre ne se borne pas à cette question ; il nous parle aussi de l'extension du suffrage pour arriver au suffrage universel ; autre question que l'on doit encore résoudre pour arriver au régime de la séparation de l'Etat et de l'Eglise.
Il est réellement étonnant que l'honorable membre trouve que lorsqu'on n'accepte pas ses idées sur tous ces points, on n'a que des raisons ridicules à lui donner. Nous vous demandons, dit-il, de supprimer la conscription, et que nous répondez-vous ?
Vous nous répondez : Sûreté de l'Etat ? Mais, messieurs, il me paraît qu'il n'y a pas de meilleure réponse à faire à une pareille question et je ne comprends réellement pas qu'il y ait un homme qui, demandant qu'on désarme complètement, soit surpris d'entendre dire : Nous ne pouvons pas le faire parce que nous compromettrions la sûreté de l'Etat. Et cependant c'est cette réponse que l'honorable membre trouve si étrange.
M. de Kerckhove devait naturellement parler de la doctrine, des doctrinaires ; il paraît que les doctrinaires descendent de l'empire...
M. Hymans. - De Périclès.
MiPµ. - ... et que ce sont eux qui sont cause de tout le mal.
Messieurs, je l'avoue, je n'ai jamais su au juste en quoi consistait le doctrinarisme ; on le définit très rarement, et je crois que l'honorable député de Malines serait aussi embarrassé pour le définir que pour donner la définition des rapports de la conscription avec la séparation dc l'Eglise et de l'Etat ; car il a sur le doctrinarisme des idées que personne, je pense, n'a jamais professées. Il paraît que Périclès était un doctrinaire, (Interruption.)
M. Dumortier. - Et Alcibiade aussi.
- Un membre. - et son chien. (Nouvelle interruption.)
MiPµ. - Tous également. Messieurs, je ne sais pas si ce sont les nouveaux travaux sur la Grèce antique qui ont appris à l'honorable M. de Kerckhove les rapports du doctrinarisme avec Alcibiade, mais je l'engagerai beaucoup, pour l'instruction de la Chambre, à expliquer ces rapports, car son explication permettrait peut-être de comprendre enfin ce que c'est que la doctrine.
Mais si ces parties du discours de l'honorable membre sont plutôt plaisantes que sérieuses, il y en a d'autres que j'ai regrettées.
J'ai été surpris, je dois le dire, d'entendre M. de Kerckhove, dans une discussion comme celle-ci, venir faire allusion aux déplorables événements dont nous avons eu tous à gémir et que nous déplorons tous du plus profond de notre cœur. L'honorable membre n'aurait pas dû, à cette occasion surtout, adresser de reproche à l'armée, qui n'a fait, il le sait aussi bien que moi, qu'obéir à ce qu'une regrettable nécessité lui commandait. Je suis étonné, puisqu'on a parlé des doctrinaires, d'avoir entendu de pareils reproches sortir de la bouche d'un conservateur.
Mais, messieurs, laissons cette matière générale de discussion et examinons ce fameux décret de messidor.
M. de Kerckhove a commencé par nous dire : Le décret de messidor, mais je n'en veux pas ; j'estime même que la présence des autorités civiles aux processions y est souvent une cause de désordre, et il nous a fait part des gémissements que lui a souvent arrachés la conduite des autorités civiles assistant aux cérémonies religieuses.
H est à désirer, d'après lui, qu'on nous délivre de ces vestiges d'un passé qui n'a laissé que trop de traces dans notre pays ; qu'on voie effacer les vestiges de la centralisation de l'empire, pour qu'ils ne nous rappellent pas ces tristes temps où la liberté était étouffée par l'autorité.
Mais, messieurs, après avoir ainsi condamné le décret de messidor an XII, l'honorable membre nous a montré la demande de ne plus appliquer le décret comme étant une manifestation des plus violentes contre le parti catholique et naturellement comme étant une manœuvre électorale.
J'avoue que je ne m'explique pas la contradiction qui règne entre ces deux parties du discours de l'honorable membre. Dans la réponse qu'il me prépare, je demande qu'il veuille m'expliquer comment d'un côté, la décret de messidor an XII lui paraît si fâcheux, et que d'un autre côté, la déclaration d'abrogation ne puisse en être demandée que dans des vues éminemment hostiles à ses sentiments.
Puisque nous ne pouvons pas choisir entre les deux parties du discours de l'honorable membre, voyons en quoi consiste la question qui a été portée devant vous.
Le décret de messidor an XII n'est pas autre chose que le code de la politesse officielle. Ce décret offre une particularité très remarquable, c'est qu'il est complètement dépourvu de sanction.
Il est vrai que celui qui a fait le décret n'avait pas besoin d'y insérer une sanction, parce que tout le monde s'empressa de lui obéir ; et que si quelqu'un s'était avisé de ne pas se soumettre au décret, le chef de l'Etat aurait bien trouvé une sanction.
Le décret de messidor an XII est-il aboli par les dispositions prohibitives de la Constitution ? Est-il défendu par la Constitution de faire les actes que ce décret prévoit ? C'est la première question que je vais examiner.
Ce décret n'a-t il pas au moins perdu sa forme impérative par suite de la différence du système qui nous régit aujourd'hui, quant aux (page 1078) rapports de l'Eglise et de l’Etat. C'est une seconde question dont je rechercherai la solution.
Et d'abord je ne pense pas qu'il y ait dans le décret de messidor an XII des prescriptions prohibées par la Constitution ; je ne crois pas que les dispositions constitutionnelles défendent les actes prévus par le décret.
On a parlé dc la liberté des cultes proclamée par l'article 14 de la Constitution. La Constitution proclame la liberté des cultes et porte que l'Etat n'a pas le droit d'intervenir dans la nomination et l'installation des ministres des cultes.
Et d'abord la liberté des cultes ne peut pas être blessée par les actes de déférence qui sont rendus aux évêques lors de leur installation ; il est évident qu'il n'y a dans ces actes que des choses dc pure déférence, de simple courtoisie qui n'entraînent pas la violation de la liberté des cultes. Un bourgmestre ou un gouverneur qui assiste à l'installation d'un évêque ne fait pas là un acte de culte ; il ne fait, je le répète, qu'une chose de convenance, de bon procédé qui n'est nullement un acte de culte, qui n'entraîne aucune adhésion aux principes d'un culte.
D'autre part, l'article 16 de la Constitution ne peut pas non plus avoir pour effet d'interdire des actes de cette nature.
En effet, lorsque dans cet article la Constitution déclare que l'Etat n'a le droit d'intervenir ni dans la nomination ni dans l'installation des ministres d'un culte quelconque, elle n'a pas voulu appliquer cette prescription aux actes dont il s'agit en ce moment ; elle a entendu abroger par là le concordat qui attribuait au gouvernement le droit de nommer les évêques et défendre cette immixtion de l'autorité civile, se réservant le droit d'opposer un veto ou d'accorder un exequatur à certaines nominations.
Je crois donc que l'article 14 de la Constitution, relatif à la liberté des cultes, et l'article 16 qui défend à l'Etat d'intervenir dans la nomination ou l'installation des ministres d'un culte quelconque ; que ces deux articles, dis-je, n'ont pas pour effet de prohiber des dispositions comme celle que renferme le décret de messidor an XII.
Je passe à la seconde question.
Est ce que le changement dc régime est venu enlever aux dispositions du décret leur force obligatoire en ce qui concerne les ministres des cultes ?
Je crois devoir résoudre cette question par l'affirmative.
Je me bornerai sur ce point à résumer les observations que l'honorable M. De Fré a déjà présentées sur la différence du régime religieux de l'empire avec le nôtre.
Lorsque Napoléon rétablit le culte catholique, il fut guidé par deux considérations principales.
La première, c'était son désir de satisfaire au vœu d'une très grande partie dc ses sujets, qui voulaient le rétablissement du culte ; il avait en vue, en leur donnant cette satisfaction, de faire revivre aussi l'influence de l'élément religieux.
Mais il ne faut pas se dissimuler qu'à côté de ce but, hautement proclamé, il y en avait un autre. Napoléon comptait faire de la hiérarchie religieuse un moyen de gouverner, trouver dans cette organisation une force nouvelle pour le gouvernement.
Ainsi, dans le concordat et dans les articles organiques on rencontre partout des traces dc cette volonté d'avoir dans l'Eglise une institution qui fût dévouée aux institutions politiques.
Il suffit, pour s'en convaincre, de rappeler quelques-unes des dispositions de cette législation.
Cette étude est instructive à un autre point de vue, car elle nous montrera la différence profonde qui nous sépare de ces institutions, et prouvera combien la situation de l'autorité religieuse est en Belgique supérieure aujourd'hui à ce qu'elle était sous l'empire français.
En tête de l'organisation, Napoléon avait établi les évêques nommés par lui-même. En effet l'art. 5 du concordat porte : « Les nominations aux évêchés qui vaqueront dans la suite, seront également faites par le premier consul, et l'institution canonique sera donnée par le saint-siège, en conformité de l'article précédent. »
Ainsi, en haut de l'organisation, les évêques nommés par le gouvernement.
Quels étaient les rapports de ces évêques avec le gouvernement ? C'est ce que la formule du serment qu'on leur imposait nous apprend clairement :
« Art. 6. Je jure et promets à Dieu, sur les saints évangiles, de garder obéissance et fidélité au gouvernement établi par la Constitution de la république française. Je promets aussi de n'avoir aucune intelligence, de n'assister à aucun conseil, de n'entretenir aucune ligue, soit au dedans, soit au dehors, qui soit contraire à la tranquillité publique, et si, dans mon diocèse ou ailleurs, j'apprends qu'il se trame quelque chose au préjudice de l'Etat, je le ferai savoir au gouvernement. »
On obligeait donc les évêques presque à des investigations de police.
L'empereur n'avait voulu qu'un très petit nombre de cures. Pourquoi ? Pour mettre le clergé sous la dépendance des évêques nommés par lui, et pour plus de sûreté, on disait (article 10) :
« Les évêques nommeront aux cures. Leur choix ne pourra tomber que sur les personnes agréées par le gouvernement. »
Ainsi, même pour la nomination d'un curé, il fallait une agréation du gouvernement.
Napoléon s'est trompé sans doute en pensant avoir les évêques sous la main, il croyait dominer complètement le clergé à tous les degrés. L'expérience lui a appris que les lois et la force sont impuissantes a dominer les esprits.
Dans les arrêtés organiques, nous trouvons, à chaque pas, des traces dc ce système :
« Art. 3. Les décrets des synodes étrangers, même ceux des conciles généraux, ne pourront être publiés en France avant que le gouvernement en ait examiné la forme, leur conformité avec les lois, droits et franchises de la république française et tout ce qui, dans leur publication, pourrait altérer ou intéresser la tranquillité publique.
« Art. 4. Aucun concile national ou métropolitain, aucun synode diocésain, aucune assemblée délibérante, n'aura lieu sans la permission expresse du gouvernement.
« Art. 6. Il y aura recours au conseil d'Etat dans tous les cas d'abus de la part des supérieurs et autres personnes ecclésiastiques.
« Art. 12. Il sera libre aux archevêques et évêques d'ajouter à leur nom le titre de citoyen ou celui de monsieur. Toutes autres qualifications sont interdites. »
J'appelle l'attention de la Chambre sur cet article, qui a évidemment trait aux cérémonies ; je constate qu'en fait il est complètement tombé en désuétude.
M. Dumortier. - On n'appelle plus personne citoyen.
MiPµ. - M. Dumortier n'a pas bien compris l'article. Je vais le relire : « Il sera libre aux archevêques et évêques d'ajouter à leur nom le titre de citoyen ou celui de monsieur. Toutes autres qualifications sont interdites. »
En fait, les évêques se donnent toujours vis-à-vis l'un de l'autre le titre de Monseigneur.
M. Delaetµ. - Vous pourriez vous appeler Excellences.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Cela est inexact.
MiPµ. Les ministres ne s'appellent pas Excellences. (Interruption.)
M. le président. - Je prie MM. les membres de ne pas interrompre.
MiPµ. - Messieurs, cet argument est sérieux.
L'observation que je fais a son importance juridique.
Je ne conteste pas aux évêques le droit de prendre ce titre, je n'ai aucune objection à y faire, je n'élève pas la moindre critique ; mais je constate que, de l'aveu de tous, cet article 12 est abrogé et n'a plus force de loi.
De l'abrogation de cet article je tire la conséquence que d'autres articles, concernant les honneurs, sont aussi abrogés.
M. Dumortier. - Je demande la parole.
MiPµ. - Le décret dit encore :
« Art. 16. On ne pourra être nommé évêque avant l'âge de 30 ans, et si l'en est originaire français.
« Art. 20. Ils seront tenus de résider dans leurs diocèses ; ils ne pourront en sortir qu'avec la permission du premier consul.
« Art. 22. Ils visiteront annuellement et en personne une partie de leur diocèse, et, dans l'espace de cinq ans, le diocèse entier. En cas d'empêchement légitime, la visite sera faite par un vicaire général.
« Art. 24. Ceux qui seront choisis pour l'enseignement dans les séminaires souscriront la déclaration faite par le clergé de France en 1682, et publié par un édit de la même année. »
Je crois, messieurs, qu'on trouverait difficilement en Belgique un professeur disposé à signer la déclaration dc 1682.
Ici encore je ne critique pas, je constate le régime sous lequel était placée l'Eglise à l'époque où a été fait le décret de messidor.
(page 1079) Au même article 24, il était dit que les personnes indiquées plus haut se soumettront à enseigner dans les séminaires la doctrine qui y est convenue, et les évêques adresseront une expédition en forme de cette soumission au conseiller d’Etat chargé de toutes les affaires concernant les cultes.
« Art. 39. Il n'y aura qu'une liturgie et un catéchisme pour toutes les églises catholiques de France. »
Et l'on sait ce que renfermait ce catéchisme à l'égard du gouvernement !
« Art. 40. Aucun curé ne pourra ordonner des prières publiques extraordinaires dans sa paroisse sans la permission spéciale de l'évêque.
« Art. 49. Lorsque le gouvernement ordonnera des prières publiques, les évêques se concerteront avec le préfet et le commandant militaire du lieu, pour le jour, l'heure et le mode d'exécution de ces ordonnances. »
Je tiens à constater ces différents points, parce qu'ils montrent quel était le régime de l'époque ; c'était un régime gouvernemental, donnant à l'autorité le droit de régler tout dans l'Eglise, de nommer les évêques, d'agréer les curés, de déterminer quel catéchisme on apprendrait, quelle théologie on étudierait, d'indiquer quand on dirait des prières et quand on n'en dirait pas.
Je continue : « Ils ne se permettront, dans leurs institutions, aucune inculpation directe ou indirecte, soit contre les personnes, soit contre les autres cultes autorisés dans l'Etat. »
Voilà encore un article qui n'est certes plus parfaitement observé aujourd'hui.
« Art. 56. Dans tous les actes ecclésiastiques et religieux, on sera obligé de se servir du calendrier d'équinoxe établi par les lois de la république ; on désignera les jours par les noms qu'ils avaient dans le calendrier des solstices. »
Tel était donc le régime sous lequel on se trouvait placé en France lorsque le décret de messidor a été publié.
Or qu'était-ce que ce décret ?
C'était la détermination des rangs assignés respectivement aux différents fonctionnaires : c'était, en outre, la détermination des honneurs qu'on devait leur rendre.
On voit que ce décret se rattachait parfaitement à l'organisation fondamentale qui avait été inscrite dans la loi déterminant la constitution de l'Eglise de France. Or ce régime a-t-il été maintenu ?
Mais, messieurs, vous le savez parfaitement, nous sommes entrés dans un régime tout à fait contraire, dans le régime d'une indépendance absolue pour l'Eglise.
Et, notez-le bien, dans ce régime l'indépendance de l'Eglise est complète, tandis que celle de l'Etat ne l'est pas. (Interruption.)
En effet, l'Eglise est indépendante dans la nomination de ses ministres, dans tous les actes du culte qu'elle veut poser, dans sa correspondance, dans ses décisions ; à ces différents égards, aucune limite n'est assignée à son indépendance.
L'Etat, au contraire, n'est pas indépendant, car il est tenu à une obligation très importante : celle de payer un traitement aux ministres des cultes. (Interruption.)
Remarquez bien, messieurs, que cette organisation, je ne m'en plains pas, je me borne à la constater...
M. Delcourµ. - Elle est constitutionnelle.
MiPµ. - Elle est constitutionnelle, et, à ce titre, elle est sacrée pour moi.
Il importe cependant, puisque nous entendons sans cesse parler de persécution religieuse, de bien indiquer quel est le régime sous lequel nous vivons.
Or, j'ose dire que depuis l'établissement du christianisme il n'y a jamais eu un régime aussi favorable au libre exercice des cultes que le nôtre.
II n'y a jamais eu dans aucun pays un clergé organisé aussi librement par le saint-siège qu'il l'est en Belgique.
Je ne pense pas que l'on puisse me citer un seul pays où cette liberté soit aussi compote, aussi absolue. (Interruption.) Je dis qu'on ne pourrait pas me citer un seul pays où cette organisation est faite avec la même liberté lorsque cette organisation est reconnue par l'Etat.
Or, ici elle est parfaitement reconnue ; le saint-siège nomme les évêques qui à leur tour nomment les curés, et tout cela avec l'indépendance la plus complète, la plus absolue. Et l'Etat reconnaît ces actes et donne des traitements aux ministres qui sont ainsi nommés.
Eu Angleterre et aux Etats-Unis, dont on parlait en m'interrompant, il n'y a pas de traitements ; il n'y a pas de reconnaissance par l'Etat de l'organisation de l'Eglise.
Messieurs, vous voyez donc que tout ce que j'avais indiqué comme constituant l'organisation gouvernementale de l'Eglise, sous l'empire français, n'existe plus aujourd'hui et que nous sommes sous un régime tout à fait différent.
Mais si cette organisation n'est plus ce qu'elle était sous l'empire, si cette circonstance qu'on avait proclamé l'Eglise catholique la religion de la majorité des Français (ce qui était, sous une forme déguisée, proclamer une religion d'Etat) est étrangère à notre régime constitutionnel ; si tout cela a disparu, je dis que les conséquences ont également disparu, et que notamment la disposition du décret de messidor sur les honneurs à rendre aux dignitaires ecclésiastiques est tombé avec ce que l'honorable M. De Fré appelait l'asservissement de l'Eglise.
Il suffit, au surplus, de lire le décret de messidor pour s'en convaincre.
Il résulte en effet du texte de ce décret que l'on y suppose des obligations réciproques entre le clergé et les fonctionnaires civils, et qu'on suppose le clergé soumis aux ordres du gouvernement. Or, il est incontestable aujourd'hui que le clergé n'a plus d'ordres à recevoir du gouvernement ; il est incontestable qu'on ne peut requérir du clergé certains honneurs à rendre aux fonctionnaires civils.
Voici en effet ce que je lis dans ce décret à l'article premier : « Ceux qui, d'après les ordres de l'empereur, devront assister aux cérémonies publiques, y prendront rang et séance dans l'ordre qui suit. »
Or, le gouvernement a-t-il encore aujourd'hui le droit de donner l'ordre au clergé d'assister à certaines cérémonies publiques ? Personne ne le soutiendra.
L'article 5 porte : « Les ordres de l'empereur, pour la célébration des cérémonies publiques, seront adressés aux archevêques et évêques pour les cérémonies religieuses, et aux préfets pour les cérémonies civiles. »
Voilà un article du décret de messidor qui est la conséquence de celui que nous avons trouvé dans les articles organiques, article qui obligeait les évêques à dire des prières quand le gouvernement voulait et leur défendait d'en dire quand il ne voulait pas.
« Art. 6 La cérémonie ne commencera que lorsque l'autorité qui occupera la première place aura pris séance. »
Encore évidemment ici un ordre du gouvernement, et personne ne conteste que le clergé ne puisse commencer les cérémonies religieuses quand il le juge convenable.
Enfin, nous voyons dans le titre VII combiné avec le titre V que « lorsque les ministres voyagent dans les départements et qu'il aura été donné avis officiel de leur voyage, ils doivent être complimentés par les fonctionnaires et autorités mentionnées au titre I, article premier. »
Les ministres se gardent bien aujourd'hui de donner avis de leurs voyages. Mais je suppose qu'il prenne à un ministre la fantaisie de se faire recevoir conformément au décret dans une ville, dans sa ville natale, par exemple, où il y aurait un évêque, et qu'il notifie à celui ci qu'il arrivera tel jour.
L'évêque pourra se dispenser d'assister à sa réception, et il trouverait très rigoureux qu'on voulût, en vertu du décret de messidor, l'obliger à venir complimenter un ministre pour lequel il pourrait n'avoir aucune espèce de sympathie.
Ainsi encore à leur arrivée dans certaines villes, les autorités ecclésiastiques doivent visiter les autorités supérieures. Ces dispositions sont tout à fait impraticables aujourd'hui. Les évêques sont parfaitement dégagés de ces obligations, et si l'on voulait les leur imposer et qu'il leur convînt de ne pas les remplir, ils invoqueraient avec beaucoup de raison leur indépendance de l'autorité civile.
Mais s'il en est ainsi, si le clergé est indépendant vis-à-vis de l'autorité civile, il me paraît incontestable que, par une juste réciprocité, les autorités civiles aient vis-à-vis du clergé la même indépendance.
De tout ce qui précède que faut-il conclure ?
Mais que s'il n'y a pas de dispositions constitutionnelles prohibitives de ces actes, il ne subsiste plus de dispositions impératives qui y obligent, et qu'ainsi le décret de messidor a perdu sa force obligatoire. Donc pas de prohibition, pas d'obligation.
Le code de la politesse officielle n'oblige donc plus légalement dans la matière qui nous occupe. Mais cette supposition d'obligation stricte n'empêche pas ce que les rapports entre l'Eglise et l'Etat, les convenances, les usages, les traditions autorisent à faire librement.
J'ai suivi ce système dès mon entrée au département de l'intérieur. J'ai été consulté de la part de fonctionnaires pour savoir s'ils devaient (page 1080) assister à l'installation des évêques. J'ai répondu que je ne voyais pas d'inconvénient à ce qu'ils y assistassent, à ce qu'ils acceptassent l'invitation qui leur était faite ; mais qu'il n'y avait pas non plus pour eux d'obligation.
Ainsi, je le répète, le décret de messidor était un code de politesse obligatoire, il a perdu ce caractère ; et les actes qu'il imposait sont devenus facultatifs.
Les circonstances dicteront la conduite des autorités. Je comprends qu'un gouverneur n'ayant que des rapports peu sympathiques avec un évêque, n'assiste pas a l'installation de celui-ci, comme je comprends aussi qu'un gouverneur, en bons termes avec l'évêque, assiste à cette cérémonie.
On doit laisser aux appréciations individuelles à décider d'après les circonstances. Je crois que les bons rapports entre les deux autorités n'auront rien à perdre à ce que ces cérémonies imposées deviennent volontaires ; l'absence de contrainte ne peut leur nuire.
M. E. de Kerckhoveµ. - Messieurs, la Chambre est pressée de finir ; je n'entreprendrai donc pas de répondre à tous les plaisanteries assez spirituelles qu'a faites l'honorable ministre sur certaines de mes observations, et même sur certaines choses que je n'ai pas dites. Mais il est un point sur lequel je tiens à répondre par une protestation. M. le ministre interprétant mal ou ayant peut-être mal entendu (j'aime mieux cette dernière version) quelques mots que j'avais laissés tomber à propos de la démoralisation du peuple et des conséquences que cette démoralisation peut avoir, a prétendu que j'avais attaqué l'armée. Il a rappelé que j'avais prononcé le mot de « révolution » et ajouté que dans l'avenir il n'y aurait d'autre remède que les baïonnettes et les fusillades ; ces mots, je les maintiens. Mais je proteste de toute la force de mon âme contre l’interprétation que M. le ministre a donnée à ces termes.
Jamais je n'ai entendu mettre en doute les excellents sentiments et le caractère de notre armée ; jamais je n'ai songé à attaquer son honneur.
Personne, plus que moi, dans cette enceinte, ne respecte l'armée, et, quelle que soit mon opinion à l'égard de l'exagération des dépenses militaires, lorsque j'ai eut l’honneur de prendre la parole sur cette question, j’ai commencé, j’en appelle au souvenir de mes collègues, j’ai commencé par protester de mes sentiments d’estime et d’affection pour cette armée composée de nos amis et de nos enfants.
Ainsi il a été loin de ma pensée de vouloir attaquer l'armée ; mais, si j'avais eu l'intention de le faire, si j'avais cru que j'y étais obligé, je prie M. le ministre d'être convaincu que je n'aurais pas reculé, comme je ne reculerai jamais dans cette enceinte, lorsque j'aurai un devoir à remplir.
Si la Chambre veut bien me le permettre, j'ajouterai deux mots sur une autre confusion, moins grave, à laquelle M. le ministre a eu recours, lorsqu'il a parlé de la conscription.
M. le ministre s'est étonné qu'à propos de la séparation de l'Eglise et de l'Etat, j'eusse parlé de la conscription. Voici ce que j'ai dit :
Répondant à l'appel que M. le ministre des finances avait fait l'honneur d'adresser, il y a quelques jours, aux membres qui composent le groupe des catholiques progressistes (je crois que je répète à peu près les termes dont s'est servi M. le ministre des finances),et à la question qu'il nous posait relativement au principe de la séparation de l'Eglise et de l'Etat...
MfFOµ. - Je n'ai pas demandé cela.
M. E. de Kerckhoveµ. - Alors je vous ai très mal entendu et très mal lu.
MfFOµ. - Vous m'avez très mal lu et très mal entendu probablement.
M. E. de Kerckhoveµ. - Cependant cette impression, ce n'est pas moi seul qui l'ai reçue ; tout le monde l'a compris comme moi.
MfFOµ. - Me permettez-vous de dire un mot ?
M. le président. - Le permettez-vous, M. de Kerckhove ?
M. de Kerckhoveµ. - Très volontiers.
MfFOµ. - J'ai fait appel aux membres de la droite qui s'intitulent progressives et qui ont écrit sur leur programme la séparation absolue de l'Eglise et de l'Etat. Mais je ne leur ai pas demandé ce qu'ils comptaient faire.
M. E. de Kerckhoveµ. - J'avais compris que vous demandiez ce que nous comptions faire dans la question spéciale de la loi de 1842, nous partisans de la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Mais n'importe, il s'agit d'un appel, comme je l'ai dit, mais d'un appel sans question. C'est une nuance. Eh bien, j'ai répondu tout à l'heure, et c'est un passage que l'honorable ministre de l'intérieur me paraît avoir mal compris, j'ai répondu que nous, partisans de la liberté en tout et pour tous, nous ne pouvions pas conclure un traité de séparation entre l'Etat et l'Eglise avec une entière confiance, parce que, chaque fois que nous, partisans de la liberté, nous réclamons une liberté, on nous repousse toujours par quelque grand mot, et j'ai cité alors la conscription et quelques autres points.
Il me paraît qu'il n'y a là rien d'illogique et qu'il n'y avait surtout pas matière à plaisanterie.
On m'a demandé aussi, messieurs, de donner une définition de la doctrine.
Je n'ai pas la prétention de donner une définition bien exacte ni surtout bien satisfaisante pour l'honorable ministre. Il y a d'ailleurs dans la politique actuelle bien des choses qui auraient besoin d'être définies, et je me garderai bien de l'essayer. Mais enfin, je pense que l'on peut dire, ans trop s'écarter de la vérité : « la doctrine est un système qui, sous ses apparences, sous l'étiquette de la liberté, pratique, au fond, l'absorption de toutes les forces et de toutes les libertés au profit du gouvernement. »
M. Dumortier. - Messieurs, je crois qu'il ne faut pas trop se hâler de déclarer que les décrets de messidor sont incompatibles avec nos institutions sociales.
Si, comme je le reconnais, il y a beaucoup de vrai dans ce qu'a dit l'honorable M. Pirmez, il y a, d'un autre côté, une foule de circonstances dans lesquelles il y a des rapports officiels entre le clergé et les autorités.
Est-ce que par hasard vous entendez demander à l'Eglise de chanter un Te Deum dans telle ou telle grande cérémonie ?
M. Vleminckxµ. - Elle n'y est pas tenue.
M. Dumortier. - Il n'y a pas d'obligation, mais enfin vous avez à continuer des rapports de bons procédés. Or, avec l'exagération des principes de certaines personnes sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat, voici où vous en arriverez ; c'est que dans les cérémonies vous devez placer le cardinal et les évoques après le dernier des contrôleurs des contributions.
Je ne veux que vous signaler les dangers de l'exagération. Il y a des préséances, mais, si vous tombez dans des principes absolus, il arrivera que lorsqu'une cérémonie aura lieu en dehors de l'Eglise, vous mettrez nécessairement les princes de l'Eglise après le dernier des contrôleurs.
- Plusieurs voix. - A demain !
M. de Haerneµ. - L'honorable M. De Fré m'a cité plusieurs fois dans son discours. Je demande à pouvoir lui répondre demain à ce sujet.
MfFOµ. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre un projet de loi qui ouvre des crédits ordinaires et. extraordinaires au budget de la dette publique des exercices 1867 et 1868 et un projet de loi ouvrant au département des travaux publics des crédits supplémentaires pour solder des créances arriérées et pour pourvoir à l'insuffisance de quelques allocations au budget de 1867.
- Il est donné acte à M. le ministre des finances du dépôt de ces projets de lois. Ils seront imprimés et distribués et renvoyés aux sections.
- La séance est levée à 5 1/4 heures.