(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1867-1868)
(Présidence de M. Dolezµ.)
(page 1045) M. Reynaert, secrétaireµ, procède, à l'appel nominal à 2 heures et un quart et donne lecture du procès-verbal de la séance précédente.
- La rédaction en est approuvée.
Il présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre ;
« Des habitants de Mons prient la Chambre de rapporter la loi du 23 septembre 1842. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur.
« Les sieurs Verhaegen, Verheyde et autres membres de la ligue de l'enseignement à Malines, proposent des modifications au système actuel d'enseignement moyen. »
- Même décision.
» Des habitants de Vitrival demandent que le gouvernement ordonne l'expertise parcellaires des propriétés non bâties. »
« Même demande d'habitants de Niverlée, Biesme. »
M. Thibautµ. - Messieurs, plusieurs pétitions ayant le même objet ont été analysées dans une séance précédente ; mon honorable ami, M. Wasseige, en a signalé l'importance et la gravité. Je recommande également celles-ci à l'attention de la Chambre et du gouvernement ; je demande qu'elles soient jointes aux premières pour être examinées par la commission des pétitions et comprises dans le même rapport.
M. Lelièvreµ. - Je me joins à l'honorable M. Thibaut et je crois également devoir appuyer la pétition dont il s'agit. La révision parcellaire est la mesure que réclament la justice et l'équité, si l'on veut protéger les intérêts importants agités en cette matière.
- La proposition de M. Thibaut est adoptée.
« Des habitants de Baesrode demandent que le gouvernement opère le rachat des embranchements du canal de Charleroi. »
« Même demande d'habitants de Capelle-au-Bois. »
- Renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.
« M. le ministre de la justice renvoie, avec les pièces de l'instruction, huit demandes de naturalisation. »
- Renvoi à la commission des naturalisations.
M. Liénartµ. - Messieurs, comme j'ai en l'honneur d'en prévenir M. le ministre de l'intérieur, je profile te la discussion générale de son budget, pour présenter au gouvernement les critiques méritées, j'espère le démontrer à la Chambre, que m'a inspirées un arrêté royal en date du 23 novembre 1867.
Cet arrêté, par sa date, se rapporte à l'administration de l'honorable M. Vandenpeereboom. J'ignore si, avant de faire acceptation pure et simple, l'honorable M. Pirmez a examiné de bien près la succession de son prédécesseur ; mais puisqu'il lui a plu, dans une récente discussion, de déclarer qu'il l'acceptait sans bénéfice d'inventaire, j'ai le droit, en même temps que l'obligation, de m'adresser à l'honorable ministre actuel qui, par le fait de cette déclaration générale, se trouve aujourd'hui au lieu et place du ministre d'alors.
Voilà d'abord, messieurs, les faits qui ont provoqué l'intervention du gouvernement ; voici ces faits dans toute leur simplicité, dans toute leur vérité, et débarrassés des circonstances étrangères à la question qui va nous occuper et que je veux traiter aussi brièvement, aussi succinctement et aussi clairement que possible.
Des dames de Bruges, dans le but louable d'organiser dans la commune de Westcapelle une école gardienne gratuite pour filles, conçurent le projet de solliciter la charité au moyen d'une loterie. Il leur suffisait, à cet effet, de l'autorisation de la députation permanente, les billets de la loterie n'étant pas destinés à franchir les limites de la province. Cette autorisation leur fut accordée par un arrêté en date du 24 octobre 1867.
Mais ces dames avaient compté sans l'autorité supérieure. Le gouverneur de la province prit son recours auprès du gouvernement, qui annula la délibération, c'est-à-dire, que le gouvernement refusa à ces dames l'autorisation d'ouvrir une loterie dans le but que vous connaissez.
C'est ce refus, messieurs, que je trouve exorbitant, injuste, et dans lequel je dénonce une véritable atteinte à deux de nos plus précieuses libertés, la liberté de la charité et surtout la liberté d'enseignement, qui se trouvaient indissolublement unies dans l'espèce et devaient concourir ensemble à l'œuvre si difficile et si ingrate de l'instruction et de la moralisation du peuple.
Ce n'est pas, messieurs, comme on pourrait le croire à première vue, ce n'est pas parce que la députation aurait fait une fausse application de la loi sur les loteries, que le gouvernement s'est cru dans la nécessité d'opposer son veto.
La loi de 1851 prohibe les loteries, mais aux termes de l'article 7 : « sont exceptées des dispositions de la présente loi, les loteries exclusivement destinées à des actes de piété ou de bienfaisance, à l'encouragement de l'industrie ou des arts, ou à tout autre but d'utilité publique. »
Qui de vous, messieurs, ne voit que la loterie pour laquelle une autorisation était sollicitée dans l'espèce, rentrait évidemment dans la catégorie de celles que le législateur a permises ?
En effet, de la part des personnes qui prennent des billets à la loterie, il y a tout à la fois une pensée de bienfaisance et un encouragement, un secours donné à l'instruction, et du côté des personnes qui organisent la loterie, même sentiment de charité chrétienne et de zèle pour l'instruction des classes pauvres.
Ceci me semble tellement clair, tellement évident, que je n'imagine pas qu'on puisse nier de bonne foi que nous nous trouvions en plein dans les conditions d'exceptions stipulées par la loi de 1851.
Si cependant un doute pouvait encore subsister dans vos esprits, je n'aurais pour le dissiper qu'à vous donner lecture du passage suivant de l'exposé des motifs de la loi de 1851. « Le gouvernement a pensé, dit l'exposé des motifs, qu'en présence de loteries instituées dans les Etats voisins et pour prévenir dans le pays la participation à ces sortes d'opérations, il importerait de permettre l'institution de loteries belges, mais avec autorisation, sous le contrôle de l'administration, établies non pas comme pur jeu, à l'instar d'autres loteries, mais dirigées dans un but d'utilité publique dans l'acception la plus large du mot. »
Devant une Chambre belge où l'on vante à chaque instant les avantages de l'instruction et la nécessité de son développement dans l'intérêt des masses, j'aurai mauvaise grâce à prouver qu'une œuvre qui est destinée à initier les classes pauvres aux bienfaits de l'instruction est une œuvre vraiment utile, digne de toute espèce d'encouragements et qui certes mérite que, les autorités usent en sa faveur des tolérances qui sont inscrites dans la loi.
En faisant usage du droit que la loi lui confère, la députation n'a donc pas posé, au point de vue spécial où je me suis placé jusqu'à présent, un acte qui blesse l'intérêt général, et force nous est de demander à un autre ordre d'idées les raisons par lesquelles le gouvernement justifie l'annulation qu'il a prononcée.
Aussi, messieurs, dans l'arrêté que je critique, n'y a-t-il pas trace de la loi de 1851. Ce n'est pas du tout cette loi qu'on invoque. Si je m'en suis occupé un instant, c'est uniquement pour rendre, par anticipation, ma démonstration plus complète. Mais, de l'aveu du gouvernement lui-même, la loi sur les loteries ne peut lui fournir le moindre argument, puisqu'il n'a pas même jugé utile de la viser dans son arrêté.
La loi que l'on invoque, la loi dont on abuse, dont on tire argument et derrière laquelle le gouvernement espère s'abriter en pleine sécurité comme derrière un rempart inexpugnable : c'est la loi de 1864.
L'arrêté, en effet, est basé tout entier sur la loi qui régit les (page 1046) fondations pour l'enseignement en Belgique, et c'est précisément l'invocation de cette loi qui donne à l'arrêté ce caractère de haute gravite et d'extrême importance qu'on ne saurait lui refuser. S'il m'est permis d'emprunter au langage du barreau une expression qui rendra parfaitement ma pensée, je dirai que cet arrêté n'est pas un simple arrêté d'espèce, mais, un véritable arrêté de principe qui engage l'avenir.
Jugez plutôt par vous-mêmes. Voici cet arrêté :
« Vu l'arrêté de la députation permanente du conseil provincial de la Flandre occidentale, en date du 24 octobre 1867, autorisant Mme la comtesse douairière Moles Lebailly d'Hondt et d'autres dames à ouvrir une loterie provinciale et à en consacrer le produit à l'organisation d'une école gardienne de filles pauvres dans la commune de Westcapelle ;
« Vu le recours pris auprès de nous par le gouverneur de la province et notifié à la députation permanente le 4 novembre ;
« Attendu que le but de la loterie ainsi autorisé est de fonder ou d'entretenir un établissement d'enseignement au moyen de ressources qui ont le caractère d'une donation ;
« Attendu qu'il résulte de la loi du 19 décembre 1864 sur les fondations pour l'enseignement, que les établissements publics ont seuls le droit de saisine et de gestion des libéralités ou donations faites en faveur de l'enseignement et qu'une loterie organisée pour la création ou l'entretien d'une école gardienne ne peut être autorisée qu'au profit de la commune ;
« Vu les articles 89, 116 et 125 de la loi provinciale ;
* Sur la proposition de Notre ministre de l'intérieur,
« Nous avons arrêté et arrêtons :
« Art. 1er. L'arrêté susmentionné de la députation permanente est annulé. »
Comme vous le voyez, messieurs, l'arrêté ne fait aucune distinction, il ne laisse pas entrevoir la moindre circonstance spéciale qui aurait provoqué la sévérité du gouvernement et qui expliquerait cette sévérité ; non, il n'y a rien de semblable. L'arrêté tranche la question d'une façon absolue, radicale et uniforme.
Cette considération préliminaire va au-devant des circonstances particulières par lesquelles on chercherait vainement à justifier l'arrêté. En présence d'un arrêté conçu en des termes aussi formels, aussi explicites, plaider les circonstances atténuantes serait une véritable défaite ; l'arrêté est absolu, il faut aussi que l'attaque et la défense se rencontrent sur le terrain des principes.
Si, par la signature qu'il porte, cet arrêté se rattache au ministère de l'intérieur, je trouve que par le fond il ressortit bien plutôt au département de la justice. Je dis par le fond, parce qu'à mon avis, cet arrêté reflète bien moins les idées relativement modérées de l'honorable M. Vandenpeereboom que les idées centralisatrices et antilibérales qui sont représentées au ministère de la justice. (Interruption.)
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je ne l'ai pas connu.
M. Liénartµ. - Dans ce cas on a appliqué votre jurisprudence, M. le ministre.
Ne croyez pas cependant, messieurs, que je vienne faire ici le procès à la loi des bourses ; ce serait téméraire de ma part, et d'ailleurs complètement oiseux ; cette loi a été votée et sanctionnée et par conséquent elle réunit toutes les conditions matérielles qui font la loi positive dans notre pays. Je ne rechercherai qu'une chose ; je rechercherai si la loi de 1864 était bien applicable.
Messieurs, d'après moi, l'arrêté que je critique a fait de la loi de 1864 une application excessive et par conséquent erronée et vicieuse.
Je m'explique.
Si j'interprète bien la loi de 1864, ce que cette loi refuse à l'enseignement privé, c'est la personnification civile, au moyen de laquelle cet enseignement acquerrait un caractère de stabilité et de perpétuité qui, à tort ou à raison, a été considéré à cette époque comme incompatible avec le développement régulier et progressif de la société. Il faut, c'est la pensée mère de la loi de 1864, pensée qui a été traduite par l'honorable rapporteur dans les termes les plus explicites, il faut que l'enseignement privé vive au jour le jour en s'appuyant uniquement sur les sympathies du moment. Je ne pense pas que je reste en deçà des idées préconisées à cette époque.
« Comment peut-on vouloir, dit l'honorable rapporteur de cette loi, que des établissements d'instruction créés à certaines époques, sous l'empire à telles ou telles idées, subsistent et se maintiennent à l'aide d'un privilège dans un temps où les idées qui leur ont donné le jour seraient condamnées par la nation presque entière ? Comment peut-on vouloir, qu'à l'aide d'un privilège, ils essayent de faire rebrousser la société ou de la précipiter dans l’abîme des utopies ? Sans ce privilège, ils disparaîtraient, ils mourraient, faute de ressources et d’adhérents, et la loi leur conserverait la vie ! Il n’est point permis au passé de peser ainsi sur l’avenir, il ne peut être toléré que les générations couchées dans la tombe viennent ainsi disputer le terrain du progrès aux générations futures. On ne peut donc justifier la fondation au profit d’établissements d’instruction privés. Ce qu’il faut pour l’enseignement privé, c’est comme pour toutes les idées, comme pour toutes les doctrines, comme pour toutes les associations, la liberté sans privilège. Il fait pour chaque citoyen le droit de créer une école, un collège, une université, de l’aider de son concours moral et même pécuniaire, mais il ne faut pas aux établissements sortis de la liberté la capacité d’une personne vivante. Si la faveur publique les abandonne, si les idées scientifiques, religieuses ou politiques qui les ont fait naître, viennent à succomber, ils disparaîtront avec elles et ce sera un bien. Leur maintien serait un véritable malheur. Si, au contraire, ils sont dans la vérité, s’ils créent pour la patrie d’utiles citoyens, les sympathies publiques ne les abandonneront pas. »
Remarquez surtout, messieurs, cette phrase sur laquelle j'ai appuyé à dessein : Vous venez de voir quel est le danger auquel on veut parer. Voici maintenant les ressources qui sont laissées à l'enseignement privé.
« Il faut pour chaque citoyen le droit de créer une école, un collège une université, de l'aider de son concours moral et même pécuniaire. »
Or, messieurs, je vous le demande, n'est-ce pas là uniquement ce que voulaient les dames de Bruges : organiser une école gardienne gratuite et, pour employer jusqu'aux expressions de l'honorable rapporteur, l'aider de leur concours moral et pécuniaire ?
Où apparaît, je vous le demande, l'ombre même de la fondation, l'ombre de la personnification civile en faveur de cette pauvre petite école gardienne qu'on se proposait d'organiser ?
Le mobilier de l'école ne serait-il pas resté la propriété de ces dames ? L'immeuble, en supposant que ces dames en eussent élevé un pour abriter leurs élèves, aurait-il par hasard été soustrait au payement de l'impôt, en cas de mutation ou en cas de décès de chacune de ces dames ? Enfin, leur quote-part dans cette copropriété n'aurait-elle pas fait partie de leur fortune et ne serait-elle pas passée, comme le reste, à leurs successeurs ? Je vous le demande, de bonne foi, comment pourrait-il être question de mainmorte, de fondations en l'absence de toute personne civile à laquelle les biens appartiendraient ?
A coup sûr, messieurs, vous ne vous étonnerez pas de ce que j'aille puiser de préférence mes arguments dans la loi de 1864. Je ne puis mieux, en effet, vous prouver que cette loi ne justifie en aucune façon l'arrêté que je critique qu'en établissant, comme je suis en train de le faire, que le droit que l'on conteste aujourd'hui à ces dames, on le reconnaissait formellement en 1864.
Que dis-je ! on le reconnaissait ; on le proclamait hautement. A ceux de mes honorables amis qui lui faisaient un grief de cette fameuse loi des bourses, le gouvernement s'efforçait de prouver que leurs reproches étaient mal fondés, leurs craintes chimériques et que la seule chose, la seule qu'on voulût enlever à l’enseignement privé, c’était la personnification civile, le droit de fondation, grâce auquel les générations présentes auraient pu être amenées à empiéter sur l’avenir et à imposer leurs idées, leurs doctrines aux générations futures.
J'ai le droit aujourd'hui de m'emparer de ces réserves, de vous les opposer et d'en réclamer le bénéfice. Que si le gouvernement, malgré ses déclarations solennelles d'autrefois, persiste à nous refuser le droit que nous revendiquons, je serai fondé à lui dire d'abord qu'en 1864, ses déclarations manquaient de sincérité et cachaient une arrière-pensée ; ensuite que la loi de 1864 ne lui suffit plus aujourd'hui, et qu'il cherche à obtenir administrativement, c'est-à-dire par une voie détournée, ce qu'il ne juge pas prudent de demander directement par la loi.
Aujourd'hui ce fait isolé n'est rien ; mais demain, s'il n'est pas relevé par l'opposition, il grandira et sera suivi de plusieurs autres qui constitueront bientôt ce qu'on appelle la jurisprudence administrative, arme aussi dangereuse que commode aux mains des gouvernements et au moyen de laquelle, je le répète, ils frayent le chemin à des projets de loi pour lesquels ils hésitent encore à demander d'emblée la consécration par le pouvoir législatif.
Je lis encore dans le rapport de la section centrale le passage suivant :
« Le projet de loi, dit l'honorable rapporteur en réponse à la note insérée par la minorité de la section centrale, ne diminue en aucune manière les ressources qui sont affectées à la diffusion de l’enseignement. (page 1047) Il suffit pour en être convaincu de rappeler que, sous la législation actuelle, l'enseignement privé n'a pas la personnification civile et que, si le projet de loi maintient ce qui existe à cet égard, il laisse aux établissements privés la faculté d'acquérir, comme par le passé, des ressources selon le droit commun. Sous ce rapport donc encore le grief de la minorité n'est pas fondé. »
Est-ce que les dons manuels, les dons faits de main-chaude ne sont pas un moyen d'acquérir conforme au droit commun, mode d'acquérir qui se parfait par la simple tradition et qui est un des modes d'acquérir le plus primitif et le plus usuel ?
Veuillez bien le remarquer, messieurs, et j'appelle sur ce point l'attention toute spéciale de la Chambre, il y a une différence capitale à faire et c’est à cette différence capitale que l'honorable rapporteur faisait allusion dans la partie de son rapport dont je viens de donner lecture à la Chambre, il y a une différence capitale à faire entre tel et tel établissement d'instruction qui n'est pas une personne physique et qui ne jouit pas davantage de la personnification morale, et le chef ou les chefs dû l'institution. Un simple exemple .vous fera saisir ma pensée.
Je suppose qu'un particulier veuille ouvrir un établissement d'instruction, évidemment cet établissement ne pourra pas prétendre à la personnification civile. Mais le chef de l'établissement est bel et bien une personne physique, vivante et, comme telle, capable de tous les actes de la vie civile.
S'il faut à ce particulier des fonds pour organiser son école, il pourra ou bien les emprunter ou bien les solliciter de la charité. Il est tout à fait incontestable que ce chef d'établissement est capable de recevoir aussi bien que de contracter et que, si j'en éprouve le désir, je pourrais aussi valablement lui fournir les fonds à titre gratuit que je pourrais les lui prêter.
En faisant l'application de ces principes à l'espèce actuelle, je conclus que ces dames avaient parfaitement qualité et capacité pour recevoir les dons qu'elles demandaient à pouvoir solliciter au moyen d'une loterie.
C'est donc à tort que le gouvernement leur a refusé cette autorisation en prétextant précisément du défaut de qualité ou de capacité et en argumentant du principe que la commune seule est habile à recevoir, principe qui n'a rien à faire dans l'espèce, parce que, comme je vous l'ai prouvé, il ne s'agit pas ici de fondations, et que la loi de 1864 a eu pour seule et unique visée d'empêcher les fondations en faveur de l'enseignement privé, comme le rapport de la section centrale en fait foi presque à chaque page.
Ce que je viens de dire, eu dernier lieu, est tellement vrai, que le journal dans lequel nous sommes habitués, avec raison, à rechercher l'explication ou la justification anticipée des actes du gouvernement, que ce journal, ayant à traiter cette question, écrivait ce qui suit :
« Est-ce que Mme la comtesse Moles le Bailly et les autres dames de Bruges ne sont pas libres de faire les fonds nécessaires à la création de l'école de Westcapelle ? Ont-elles besoin pour cela d'une autorisation quelconque ? Qu'elles organisent des souscriptions, qu'elles agissent en dehors de l'action administrative, personne n'aura un mot à leur dire. »
La prétendue incapacité sur laquelle l'arrêté est fondé n'existe donc pas, puisque, vous-même vous le reconnaissez, ces dames auraient eu le droit de faire des quêtes ou d'ouvrir des souscriptions pour atteindre leur but.
Cet aveu du journal officieux est précieux à enregistrer, car il sape dans ses fondements l'arrêté que je critique, en accordant à ces dames la capacité de recevoir le produit, soit de collectes, soit de souscriptions, tandis que l'arrêté, qui est, si je puis le dire, carré par la base, leur refuse de la manière la plus formelle et dans les termes les plus généraux cette capacité qu'il réserve exclusivement pour la commune.
Messieurs, je crois en avoir dit assez pour établir qu'on a mal appliqué dans l'espèce la loi de 1842.
Mais avec un pareil système, poussé avec une telle rigueur et à de telles extrémités, quelle serait la situation réservée à l'enseignement libre en Belgique ?
Il ne suffit pas, vous en conviendrez, de se proclamer partisan, en théorie, de l'enseignement libre pour paraître ne faire appel à l'enseignement officiel que parce que l'initiative privée est insuffisante.
Non, si vous aimez sincèrement la liberté de l'enseignement, il faut tout au moins ne pas lui refuser systématiquement les moyens d'exister. Sinon, permettez-moi cette comparaison, vos tendresses affectées pour l'enseignement libre ressembleraient aux tendresses d'une marâtre qui, en public soupirerait sans cesse après la santé de son enfant et qui lui refuserait secrètement les aliments qui seuls peuvent lui apporter des forces.
Or, tous nous savons un peu par expérience combien il en coûte de donner l'enseignement. Ce serait assurément un travail bien pénible, bien fastidieux et bien long que de supputer toutes les sommes affectées à cet objet qui ont figuré jusqu'à présent et qui figureront encore aux budgets de l'Etat, des provinces et des communes. que de sacrifices d'argent ne faut-il pas faire pour pourvoir aux besoins de l'instruction !
Il s'agissait ici d'une école gratuite ; mais même dans les écoles qu'on appelle vulgairement payantes, le minerval des élèves est loin de suffire pour couvrir les frais.
Tout le monde doit être d'accord sur ce point. L'honorable rapporteur de la loi des bourses lui-même adhérait à cette vérité lorsqu'il disait dans son rapport « que l'instruction primaire, loin d'être une source de gains, est une charge très lourde », et hier encore l'honorable chef du cabinet déclarait que l'instruction n'est pas un objet de spéculation.
S'il en est ainsi, et, cela est plus clair que la lumière du jour, je vous le demande, et ma question est des plus pressantes, comment subsistera l'enseignement privé, surtout l'enseignement privé du premier degré, l'enseignement primaire dans les petites communes ? Répondez-moi.
Je ne parle pas de l'enseignement officiel ; pour celui-là la chose est bien simple, il s'alimente perpétuellement au moyen du budget ; mais où, de grâce, je vous le demande une seconde fois, où l'enseignement privé puisera-t-il ses ressources ?
Et pour préciser davantage, pour serrer la difficulté de plus près, voilà une commune qui manque d'une école gardienne ; comment faire pour en établir une ? Faire appel à la spéculation ? Ce serait tout simplement dérisoire. L'entreprise serait ruineuse pour qui la tenterait. Il ne reste donc plus qu'un seul moyen, un seul, c'est de recourir à la charité.
Eh bien, ce moyen, je regrette de devoir le dire, ce moyen est radicalement impossible sous l'empire de cette jurisprudence centralisatrice, envieuse et mesquine que l'arrêté a inaugurée d'une manière si déplorable.
Je me trompe : il y a encore un autre moyen ; c'est de se jeter dans les bras de l'enseignement officiel, et d'établir l'école au moyen de deniers arrachés par l'impôt aux contribuables.
C'est ce qui arrivera un jour à Westcapelle, un peu plus tôt ou un peu plus tard, et je ne serais pas étonné si je trouvais, dans les considérations émises à l'appui de l’établissement d'une école officielle le motif suivant :
Attendu que le besoin d'une école gardienne se fait vivement sentir à Westcapelle, et que l'expérience a prouvé que l'initiative privée est insuffisante pour y donner satisfaction...
Voilà, messieurs, la contradiction, voilà l'inconséquence prise sur le fait. Je vous la signale sans mettre dans mes paroles aucune amertume, mais avec un regret que vous voudrez bien croire vif, sincère et profond de ma part.
Vous arrêtez l'essor de l'initiative privée, vous enrayez son action, vous paralysez ses mouvements, et quand vous êtes arrivés à vos fins, quand vous avez atteint votre but, quand cette initiative privée qui ne demandait qu'à s'exercer et à se développer, quand vous l'avez affaiblie et énervée, vous avez le triste courage d'argumenter de votre propre fait pour élever sur ses ruines l'édifice de l'enseignement officiel.
Combien nous sommes éloignés des véritables principes libéraux en cette matière ! C'est le contraire qu'il faudrait faire, c'est le contre-pied qu'il faudrait prendre.
« S'il s'élève quelque part une force indépendante, respectez-la, au lieu de l'anéantir ; laissez-lui déployer sa force et répandre ses bienfaits. » Ce n'est pas moi qui me permets de vous rappeler ce précepte ; il est d'un des écrivains politiques les plus distingués de France, d'un écrivain qui, dans ses ouvrages, parle de la liberté avec des accents de franchise et de désintéressement qui touchent jusqu'à ses adversaires mêmes.
J'ai nommé M. Laboulaye ; cette phrase est extraite d'un de ses derniers ouvrages intitulé : Le parti libéral, son programme et son avenir, et dans lequel M. Laboulaye trace à grand trait les tendances ou, autrement dit, les aspirations de ce parti libéral, tel que lui l'imagine et le conçoit et qui, selon ses propres expressions, « n'est pas une petite secte étroitement (page 1048) attachée à la lettre d'un symbole, mais une Eglise universelle où il y a place pour quiconque croit à la liberté et veut en jouir. »
Je n'abuserai pas plus longtemps de l'attention de la Chambre. Un mot encore, et je termine.
« Nous pouvons donc dire, disait l’honorable M. Bara, rapporteur de la loi des bourses, que l’enseignement public est tout aussi indispensable que l'enseignement privé, qu'ils se complètent mutuellement et se maintiennent par l'émulation dans la voie du progrès. »
Non, dirai-je à l'honorable M. Bara, aujourd'hui ministre de la justice, et à ses collègues du cabinet, non, vous ne pouvez pas tenir ce langage, car si vous considérez en réalité l'enseignement privé comme indispensable au même titre que l'enseignement public, que n'agissez-vous conformement à vos désirs ? La conduite jalouse dont le gouvernement a fait preuve dans la circonstance actuelle est en contradiction flagrante, formelle avec les paroles et les déclarations qui se trouvent dans sa bouche, et pour tout témoin impartial et désintéressé, qui scrute froidement ses actes, il n'est devenu malheureusement que trop évident, trop certain qu'en matière d'enseignement, le gouvernement est entré dans une voie qui conduit à la centralisation par le découragement de l'initiative privée.
Le dogme constitutionnel de la liberté d'enseignement, vous le professez seulement du bout des lèvres ; mais la devise que vous portez au fond du cœur, cette devise, si j'en juge par vos actes, se traduirait bien plutôt par une autre formule échappée à un membre du congrès des sciences sociales, dans sa session tenue à Gand :
« En fait d'enseignement, le gouvernement veut reconstituer le monopole et le gouvernement a raison. »
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Messieurs, ainsi que vient de le dire l'honorable M. Liénart, l'arrêté incriminé par lui a été contresigné par feu M. le ministre de l'intérieur ; et bien que son successeur ait accepté son héritage purement et simplement, je crois qu'il est de son devoir de sortir un moment de sa tombe pour donner quelques explications sur les faits qu'on vous a dénoncés.
Je dois d'abord déclarer à la Chambre que l'honorable M. Bara, mon ancien collègue et toujours ami, que l'on veut impliquer en cette affaire, doit être mis immédiatement hors de cause ; mon ancien honorable collègue n'a pas eu connaissance de l'arrêté que j'ai contresigné. D'ordinaire, le département de l'intérieur communique à celui de la justice les arrêtés de ce genre ; mais comme, dans cette circonstance, le temps pressait et que la décision devait intervenir dans un bref délai, j'ai passé outre, et j'ai assumé seul toute la responsabilité de l'arrêté.
Je dois ajouter que quand mon ancien collègue du ministère de la justice a vu figurer cet arrêté au Moniteur, il m'a déclaré que s'il avait été à ma place, il l'aurait pris, mais qu'il l'aurait peut-être motivé autrement.
Je tiens à ce que la position soit bien nette, et à ce que la responsabilité revienne à celui qui l'a assumée.
Maintenant je vais donner quelques explications sur les faits dont l'honorable M. Liénart vous a entretenus.
Messieurs, dans nos communes flamandes, et spécialement dans la Flandre occidentale, il existe et l'on construit encore chaque jour des bâtiments plus ou moins vastes, sous prétexte d'y établir des écoles gardiennes ou d'adultes ou d'autres institutions d'utilité publique. Mais ces bâtiments reçoivent fréquemment une destination toute autre. Il en est quelques-uns qui sont annexés à des couvents ; d'autres, en grand nombre, servent de lieu de réunion à des congrégations.
Quand de pareils établissements se créent, l'autorité n'a évidemment rien à y voir, pourvu toutefois que ce soit avec l'argent des particuliers.
Mais quand on fait appel au concours de la commune, de la province ou de l'Etat pour obtenir des subsides, quand on demande l'autorisation de faire les fonds nécessaires pour ériger des bâtiments ou acquérir des immeubles, au moyen d'expositions et de loteries, je crois que l'autorité a bien le droit avant d'accorder l'autorisation, ce qui est au fond une faveur, d'examiner quel sera le caractère de l'institution qu'on veut créer ; l'autorité doit se demander quel sera le propriétaire des immeubles qu'on veut bâtir, qui administrera la dotation de l'institution qu'on veut fonder.
Et quand il est reconnu que cette institution n'a pas un caractère d'utilité publique, quand il est constaté qu'on veut, au moyen d'une société illégalement constitué, créer des mainmortes déguisées, le gouvernement est en droit de ne pas accorder la faveur qu'on réclame, par conséquent de ne pas accorder les autorisations d'établir des tombolas et des expositions ; il a même le droit d'annuler des résolutions qui seraient prises contrairement à ces principes.
Ceci posé, messieurs, examinons les faits relatifs à l'affaire de Westcapelle.
Par requête du 22 août 1867, des dames habitant Bruges ou des communes voisines sollicitèrent l'autorisation d'ouvrir, dans la province de la Flandre occidentale, une loterie-tombola dont le produit était destiné à payer les dépenses occasionnées par l'érection dans la commune de Westcapelle d'une école gardienne pour les petites filles pauvres ; « cette œuvre, ajoutait la pétition, est évidemment toute de charité, elle répond a des besoins généralement reconnus et porte exclusivement les caractères d'un établissement d'utilité publique. »
Ainsi les dames pétitionnaires avaient l'intention de créer, au moyen du produit d'une tombola, un établissement d'utilité publique. Cette intention est constatée par la requête même. La députation permanente accorda l'autorisation sollicitée, mais le gouverneur, comme vient de le dire l'honorable député d'Alost, suspendit l'exécution de cette résolution et interjeta appel. Appelé à examiner la question, j'ai dû prendre des renseignements.
Il résulte des renseignements reçus que « les dames pétitionnaires sont du nombre de celles qui ont érigé à Westcapelle un couvent dans lequel se tiennent une congrégation de filles adultes et une école libre pour jeunes filles ; que cette école était tenue par des sœurs appartenant à un ordre dont la maison mère est à Bruges et que l'on venait d'adjoindre à ces établissements une école gardienne pour des enfants des deux sexes âgés de moins de 6 ans. »
C'était donc pour payer les frais de cette construction, et si on avait eu un excédant, pour créer une certaine dotation à cet établissement d'instruction, qu'on demandait l'autorisation d'ouvrir une tombola.
J'ai cru que dans ces conditions il n'était pas possible d'accorder la faveur qui était sollicitée ; que l'autorité provinciale n'en avait pas le droit ; et, en effet, messieurs, on pouvait me demander quel serait le propriétaire de cet immeuble. Serait-ce la société des dames qui avaient organisé la tombola ? Mais cette société n'avait pas capacité civile ; on me dira peut-être qu'elle pouvait recevoir des dons, de secours à titre particulier ; mais pouvait-elle posséder un immeuble ? Non.
L'école étant construite et dotée, les dames devenues les propriétaires pouvaient sans doute constituer une société civile comme il en existe tant dans le pays. Mais ces sociétés n'ont d'autre but que de frauder la loi et d'arriver par des moyens détournés à créer des établissements qui doivent avoir une assez longue durée et qui sont des fondations déguisées.
Or, j'ai pensé que le gouvernement ne devait pas favoriser de telles combinaisons, qu'il ne devait pas accorder, dans de pareilles conditions, la faveur qui était sollicitée et qu'il avait le droit d'empêcher la députation d'accorder des autorisations qui, en réalité, aboutissent à des espèces de personnifications civiles illégales.
Si la demande de Westcapelle avait été un fait isolé, il est probable qu'on n'y eût pas fait attention ; si le produit de la tombola avait été destiné à une dépense passagère par exemple, à donner des aliments pendant l'hiver aux enfants dans les écoles où à leur procurer des vêtements à l'occasion de la distribution des prix, je n'aurais certainement pas songé à interdire cette tombola. Mais il s'agissait de tout autre chose, il s'agissait, de l'aveu même des pétitionnaires, de créer, de fonder un établissement d'utilité publique.
J'ai dit, messieurs, que si cette demande avait été isolée, si elle ne s'était pas rattachée à tout un système que l'on exécute dans nos Flandres et spécialement dans la Flandre occidentale, j'aurais probablement passé outre ; mais ce système existe ; on l'étend tous les jours en créant des établissements qui, élevés prétendument dans un but d'utilité général, servent bientôt à tout autre chose, à des institutions d'une tout autre espèce.
A l'appui de mon assertion je pourrais citer un grand nombre de communes de nos Flandres dans lesquelles il existe de pareils bâtiments destinés aujourd'hui aux réunions de sociétés appelées congrégations.
Je ne veux pas, messieurs, énumérer toutes les communes. Je me bornerai à citer deux exemples récents.
A l'époque même où la demande des dames de Bruges était adressée à la députation, le même collège était saisi de deux autres demandes qui vous feront voir dans quel but souvent on sollicite l'autorisation d'établir des tombolas.
(page 1049) Une de ces demandes émanait de Blankenberghe et l'autre d'une commune de la Flandre occidentale, de Passchendaele.
A Blankenberghe la supérieure d'un couvent avait demandé l'autorisation d'organiser une tombola dont le produit serait affecté à l'établissement d'une école gardienne.
La députation permanente autorisa cette tombola, mais elle y mit trois conditions, savoir :
1" Qu'il serait rendu compte de l'usage des fonds provenant de la loterie, 2° que les opérations auraient lieu sous la surveillance d'un membre délégué de l'administration communale, 3° que l'école serait placée sous le régime de la loi du 23 septembre 1842.
Ces conditions paraissent très acceptables, cependant la supérieure refusa la dernière. On éprouvait, disait-elle, une grande répugnance à assujettir l'école au régime établi par la loi de 1842.
La supérieure renonça donc au bénéfice accordé par la résolution de la députation.
Il résulte de ceci, messieurs, que lorsqu'il s'agit de percevoir, au moyen d'une tombola, des fonds pour la création des écoles, on veut bien demander l'autorisation, mais quand il s'agit de soumettre ces écoles au régime de la loi, même de la loi de 1842, que certainement on ne repousse pas, alors on refuse d'user de l'autorisation qui est accordée, parce qu'on veut avoir les bénéfices et que l'on ne veut pas avoir les charges qui peuvent en résulter.
Je pense, messieurs, que de pareilles autorisations ne doivent pas être accordées, que l'on ne doit pas permettre de créer des établissements dans ces conditions, établissements qui seront soustraits à toute surveillance de l'autorité, bien que construits avec le produit de loteries autorisées par les pouvoirs publics.
L'autre exemple que je veux citer est celui de la commune de Passchendaele.
Dans cette commune, il existe un vaste local qui était destiné à la congrégation du lieu. Il paraît que ce local était insuffisant et on sollicita l'autorisation d'ouvrir une exposition-tombola sous prétexte de créer une école d'adultes.
Cette demande fut soumise à l'instruction d'usage et de l'instruction ; il résulta que le produit de la loterie devait servir à l'agrandissement du local de la congrégation, que les congréganistes s'y réunissaient le dimanche après-dîner, qu'on y distribuait du tabac gratuitement et qu'on y vendait de la bière à prix réduit. (Interruption.)
Ce fait vous fait rire et semble incroyable, il est cependant authentique ; j'en ai douté moi-même ; je m'étais, en effet, étonné de voir un vicaire demander l'autorisation d'agrandir des locaux pour y abriter une congrégation et y vendre de la bière. Mais ces faits m'ont été confirmés, et l'on m'a envoyé un extrait des rôles des contributions où j'ai lu, avec étonnement, que le vicaire dont il s'agit figurait sur le rôle des patentes en qualité de cabaretier. (Interruption.)
M. Van Overloopµ. - C'était un baes.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Il était baes, et en payant patente il a acquis les bases du cens. (Interruption.) Vous doutez ? Je vais vous lire l'extrait du rôle :
« Extrait du rôle du droit de patente 1867, commune de Passchendaele.
« (...) 4. Van ..., vicaire, cabaretier, 3 fr. 74 c.
« Certifié conforme par le receveur soussigné, 6 mai 1867. L. L. L. »
Messieurs, je vous le demande, si on sollicite l'autorisation de créer des bâtiments, de vastes locaux sous prétexte de vouloir fonder des écoles d'adultes ou des écoles gardiennes et s'il est prouvé que ces locaux servent à faire des espèces de cabarets, le gouvernement doit-il prêter son concours ? Je ne le crois pas. Lorsque des demandes de cette espèce, qui se rattachent à un système général pour nos Flandres, sont faites, je crois qu'il est du devoir du gouvernement de ne pas autoriser les expositions-tombolas, d'empêcher aussi les députations permanentes d'accorder des autorisations qui tendent à créer des propriétés en faveur de personnes incapables de les posséder, incapables de les administrer et incapables d'en être propriétaires.
Si l'on veut arriver à ce but par l’initiative privée, à l'aide de souscriptions particulières, rien ne s'y oppose. Mais si le gouvernement devait autoriser toutes ces loteries, l'autorisation ne serait plus une faveur motivée, mais serait en quelque sorte un droit. C'est ce que la loi n'a pas voulu.
J'ai donc pensé que pour arrêter ce système, pour arrêter le bel élan, le zèle dont semblait animée la députation permanente de la Flandre occidentale, il était de mon devoir d'annuler son arrêté et j'ai cru que j'en avais le droit.
En effet, qu'est-ce que le produit d'une tombola ? C'est, à mon avis, un ensemble de petites donations.
Ce n'est pas, en effet, par l'espoir du lucre qu'on prend des billets à de semblables loteries. Pourquoi les prend-on ? Parce qu'on veut donner aide à l'œuvre qu'il s'agit de créer. Dans la tombola de Westcappelle, 12,000 lots étaient émis à 50 centimes. Voilà une recette éventuelle de 6,000 fr. Or la valeur des objets à gagner était de 600 fr. On avait donc 9 chances contre 1 de ne rien gagner, mais l'on voulait donner un appui à un acte de bienfaisance, faire une donation et nullement une opération lucrative.
Or, la loi de 1864 sur les fondations dit que toutes les libéralités faites en vue d'organiser des établissements d'enseignement doivent être faites à la commune. Je pense que, dans la circonstance dont il s'agit, ces donations, au moyen d'une tombola, ne pouvaient être faites pour construire des bâtiments, créer des valeurs en faveur de personnes qui n'avaient pas la capacité civile et ne pourraient les transmettre que par des moyens frauduleux, en organisant des sociétés qui peuvent être plus ou moins habilement combinées, mais qui sont contraires à l'esprit de la loi.
J'ai donc cru qu'il était de mon devoir, je le répète, d'empêcher l'exécution plus complète de ce système et j'ai pensé que l'arrêté d'annulation serait un avertissement pour les autorités appelées à autoriser ou à refuser des demandes de ce genre.
M. Reynaertµ. - Messieurs, l'arrêté royal du 23 septembre 1867, qui vient d'être critiqué par l'honorable M. Liénart et défendu par l'honorable M. Vandenpeereboom, quoique étant un fait isolé, présente une importance considérable.
C'est, en matière d'enseignement, un premier jalon dans une voie administrative nouvelle. C'est un système qui s'affirme, qui cherche à s'imposer, et qu'il importe de combattre à sa naissance même, d'arrêter à son point de départ, de crainte que d'autres faits ne viennent se grouper autour de ce fait primitif et former ainsi une malheureuse jurisprudence.
Les principes les plus essentiels, les intérêts les plus graves se trouvent engagés au point de vue de l'enseignement libre.
Il importe aux catholiques de savoir, et de savoir péremptoirement, quels sont leurs droits, quelles sont les entraves, quelles sont les restrictions qui ont été imposées à l'exercice de la liberté d'enseignement ; et, à cet égard, il importe surtout de fixer, d'une manière certaine et positive, les limites dans lesquelles devra se mouvoir à l'avenir la loi du 19 décembre 1864.
L'honorable M. Vandenpeereboom, avec son habileté ordinaire, s'est efforcé de déplacer le débat. Il s'est placé principalement sur le terrain des faits. II ne s'est pas borné à parler de l'école gardienne de Westcapelle ; il nous a entretenus de l'école de Blankenberghe, de l'école de Passchendaele, des cabaretiers, des vicaires patentés et des listes électorales : toutes choses qui n'ont rien à voir dans le débat.
Aussi, je me garderai bien de le suivre sur ce terrain. C'est la question de principe qui est à mes yeux là question fondamentale, et c'est celle-là que je me propose d'examiner.
Comme vous avez pu vous en convaincre, c'est la loi du 19 décembre 1864 qui sert de base à l'arrêté royal du 23 septembre 1867. Messieurs, vous connaissez cette loi, vous connaissez le système inauguré et organisé par cette loi.
L'enseignement est un service public. Ce service public est représenté par l'Etat, la province ou la commune. Les libéralités en faveur de l'enseignement sont réputées faites aux êtres moraux qui le représentent.
Cette loi, qu'à juste titre on a qualifiée durement dans cette enceinte et ailleurs, confère aux établissements de l'Etat, aux établissements officiels, l'exorbitant et injustifiable privilège de recevoir seuls les donations, de profiter seuls des fondations faites en faveur de l'enseignement.
Les écoles libres sont essentiellement incapables de recevoir. Bien plus, ce qui leur serait donné est détourné au profit de l'enseignement officiel à l'aide d'un système de présomption habilement combiné.
Je n'entrerai pas dans les détails de cette loi ; il me suffit d'en avoir rappelé brièvement les principes.
Eh bien, messieurs, cette législation si draconienne, si détestable au (page 1050) point de vue catholique, si hostile à l'enseignement catholique, si attentatoires à nos libertés constitutionnelles et spécialement à la liberté de l'enseignement, cette législation dans l’application qu'elle a reçue par l'arrêté de l'honorable M. Vandenpeereboom, a été non seulement outrée, aggravée mais profondément altérée et dénaturée. C'est ce que je me propose de prouver.
Messieurs, soyons de bon compte, est-il bien possible d'assimiler en fait les écoles gardiennes et les établissements d'enseignement primaire ?
N'est-ce pas un acte essentiellement charitable, éminemment de bienfaisance d'ouvrir à l'enfance un asile, de remplacer près des enfants leur mère absente, de les chauffer, de les vêtir, de les nourrir ? Et n'est-ce pas précisément à l’âge ou les enfants ne sont pas encore admis à l'école primaire, c'est-à-dire, avant l’âge de 7 ans, que ces besoins sont le plus pressants, ces secours le plus nécessaires ?
MiPµ. - C'est le même système qu'en matière d'écoles d'adultes.
M. Thonissenµ. - C'est une autre question.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - C'est l’article 25 de la loi. Vous êtes d'accord avec M. le ministre de l'intérieur.
M. Reynaertµ. - N'est-ce pas au sortir de l'école gardienne, c'est-à-dire à l'âge de 7 à 8 ans, et seulement alors que commence réellement le rôle de l'enseignement primaire ? Ne confondons donc pas. N'assimilons pas des choses essentiellement dissemblables.
Que dans les salles d'asile et les écoles gardiennes on puisse donner aux petits enfants quelques rudiments d'instruction, je ne le conteste pas. Que l'on puisse, d'une manière plus ou moins exacte, appeler l'école gardienne, comme l'honorable M. J.-B. Nothomb, la base de l'enseignement primaire, ou bien, comme l'honorable M. Vandenpeereboom, l'antichambre de l'école primaire, je n'y trouve rien à redire. L'utilité de ces établissements, au point de vue de l'instruction, est incontestable. Mais, ce qui est positif aussi, ce qui est indubitable, c'est que l'élément principal et prépondérant dans ces sortes d'établissements est la charité, la bienfaisance.
Mais il importe surtout d'envisager la question au point de vue juridique, au point de vue de la loi du 23 septembre 1842.
Les écoles gardiennes, les salles d'asile doivent-elles être mises sur le même pied que l'école primaire ? C'est la question à résoudre.
Messieurs, il y a quelques jours l'honorable M. Vandenpeereboom, se tournant vers ses amis de la gauche et se séparant un instant de ses alliés momentanés de la droite, disait : Prenez garde ; le jour pourrait venir où l'opposition devienne majorité, devienne gouvernement. Ce jour-là, elle serait en droit de vous dire : Quand vous étiez majorité, vous avez décidé que les écoles d'adultes ne tombent pas sous l'application de la loi de 1842, qu'elles ne sont soumises ni au programme de l'article 6 ni à l'inspection de l'article 26. Eh bien, nous nous autorisons de vos opinions publiquement, solennellement manifestées pour organiser des écoles d'adultes à notre guise et selon notre convenance.
Messieurs, quoique la droite ne soit ni majorité ni gouvernement, quoique le jour prophétisé par l'honorable M. Vandenpeereboom ne soit pas même à la veille d'arriver, je viens invoquer le bénéfice de vos convictions, de vos déclarations et de vos discours en matière d'écoles d'adultes.
Nous voici arrivés à l'observation que faisait tantôt l'honorable M. Pirmez.
L'école d'adultes n'est pas une école primaire. Pour être logiques, justes, raisonnables, vous devez décider, avec plus de force et de puissance encore, à cause du caractère charitable de l'institution, que l'école gardienne n'est pas une école primaire.
Dans le discours de l'honorable ministre, aux mots « écoles d’adultes », substituez les mots « écoles gardiennes » ou « salles d'asile », remplacez la date du 1er septembre 1866 par celle du 23 novembre 1867, faites distraction de la généralité de l'un de ces arrêtés et de la spécialité de l'autre, l'illégalité de l'arrêté du 23 septembre 1867, consacrant les étranges doctrines de fait et de droit que je me propose de combattre, est une chose parfaitement, invinciblement, définitivement démontrée aux yeux de la majorité libérale.
Il y aurait de ma part mauvaise grâce et présomption de chercher à être plus persuasif que l'honorable ministre. C'est pourquoi je me bornerai, s'il veut bien me le permettre, à rappeler, sans me prononcer sur leur valeur intrinsèque, les arguments qu'il a fait valoir à l'appui de ma thèse.
Je resterai même autant que possible textuellement fidèle aux termes dont s'est servi l'honorable M. Pirmez.
Les différences entre l'école gardienne et l'école primaire sont caractéristiques, fondamentales.
« L'école primaire est soumise à un programme, au programme de l'article 6, lequel programme est un minimum d’instruction. L’école gardienne n'a pas et ne peut pas avoir de programme ; imposer aux communes, qui ne doivent rien, un minimum d'instruction, c'est un contresens. Lorsqu'une commune peut se dispenser devoir une école gardienne, à plus forte raison peut-elle se dispenser d'un programme complet.
« L'école primaire est soumise à l'inspection ; il en est autrement de l'école gardienne. Outre qu'il est établi que le texte général de l'article 26 ne s'applique pas à toutes les écoles que mentionne la loi, il existe une disposition qui résout la question ; c'est l'article 13 de la loi. Voici ce que porte cet article 13 : Chaque inspection s'étend sur les écoles communales et sur celles qui en tiennent lieu en vertu de l'article 3 de la présente loi. Or, lorsque l'article 13 parle ainsi des écoles communales et de celles qui en tiennent lieu, n'cst-il pas clair que ces écoles sont les écoles obligatoires pour l'enseignement primaire et celles qui peuvent les remplacer, c'est-à-dire, les écoles adoptées ?
« Mais il y a plus ; pourquoi prétendrait-on que l'article 26 s'applique aux écoles gardiennes ? Il faut bien le reconnaître, ce serait uniquement parce que l'article 25 les mentionne. Et bien, est-ce que l'article 25 a eu pour but de faire comprendre dans l'enseignement primaire les écoles gardiennes ? L'honorable M. Alphonse Vandenpeereboom l'a prétendu. Mais l'article dit positivement le contraire. Que porte en effet cet article ? Il dit qu'une partie des subsides votés annuellement par le législateur pour l'instruction primaire, aura pour destination spéciale les écoles gardiennes. N'est-il pas évident que si les écoles gardiennes avaient constitué une partie de l'enseignement primaire, il eût été inutile de faire une semblable déclaration dans la loi ? La chose allait de soi.
« Du reste, parcourez la loi ; voyez tout son système : pour les écoles obligatoires il existe, non seulement un programme imposé, mais encore une obligation pour les communes de subvenir, dans les limites de la loi du 30 mars 1837, aux besoins de l'école.
« Oseriez-vous prétendre qu'il est obligatoire pour les communes de subvenir aux besoins d'écoles gardiennes, alors qu'elles ne veulent pas en créer ?
« La loi exige des communes qu'elles affectent à l'enseignement primaire, deux centimes additionnels ; or, est-il un seul membre de cette Chambre qui voudrait prétendre que les communes peuvent appliquer ces deux centimes aux écoles gardiennes ?
« Ainsi pour les écoles proprement dites, il y a un système de programme arrêté ; un système financier arrêté, un système d'inspection arrêté.
« Pour les écoles gardiennes rien de semblable.
« Il faut donc tenir pour certain que dans la loi de 1842 il y a une démarcation profonde entre l'instruction primaire proprement dite que le législateur a eu exclusivement en vue de régler et les écoles purement facultatives pour lesquelles le législateur n'a rien prévu, rien réglé et à laquelle il n'a pas même pensé. »
De tout ce qui précède, des paroles de l'honorable ministre que je viens de vous rappeler, très brièvement et très imparfaitement, je crois avoir le droit de conclure :
1° Que l'école gardienne n'est pas un établissement d'enseignement primaire.
2° Que l'école gardienne n'est pas soumise à l'inspection en vertu de l'article 26, et qu'il faudrait pour l'y soumettre que l'honorable ministre fasse usage du droit de réglementation qu'il revendique à tort ou à raison, comme résultant de l'article 67 de la Constitution et de l'article 25 de la loi de 1842.
3° Et c'est l'objet principal de ma thèse, que l'article premier de la loi du 19 décembre 1864 est inapplicable aux écoles gardiennes ainsi qu'aux écoles d'adultes.
Cette dernière conséquence est évidente ; elle a du reste été indiquée, si je ne me trompe, par M. Alphonse Vandenpeereboom dans son premier discours.
Il est clair, en effet, que les mots : « enseignement primaire », dont se sert l'article premier de la loi sur les fondations de bourses d'étude, doivent être entendu dans le sens de la loi de 1842. Ces mots ont une signification donnée, positive, qui ne peut embraser, par conséquent, ni les écoles d'adultes, ni les écoles gardiennes, ils doivent être interprétés d’une (page 1051) manière restreinte, limitative, d'autant plus que la loi du 19 décembre 1864 est une loi rigoureuse, organisant un système de prohibitions et de présomptions qui emportent nécessairement une interprétation restrictive.
Je pourrais m'arrêter ici et me flatter peut-être, grâce au bienveillant concours de l'honorable ministre de l'intérieur, d'avoir porté la conviction dans vos esprits ; les idées que j'ai développées, les arguments que j'ai fait valoir sont les vôtres. Et certainement c'est l'honorable M. Pirmez qui a convaincu d'illégalité l'arrêté royal qui est revêtu de la signature de l'honorable M. A. Vandenpeereboom.
Mais je tiens à la main une preuve plus éclatante, plus décisive, une preuve puisée directement dans la loi du 19 décembre 1864.
Dans le rapport de la section centrale, rédigé, comme vous le savez, par l'honorable M. Bara, à la page 510 des Annales parlementaires, je lis le passage suivant :
« Un membre demande si le mot « enseignement primaire » de l'article premier comprend les salles d'asile, les écoles gardiennes, les écoles d'apprentissage et les ouvroirs.
« Selon la majorité de la section centrale, le projet de loi ne s'occupe pas et ne devait pas s'occuper de salles d'asile. Ce sont plutôt des établissements de bienfaisance que d'instruction, et il est mieux de les faire régir par une loi sur la bienfaisance. Il doit en être de même des écoles gardiennes. »
Ainsi donc, messieurs, le rapport de la section centrale dit en termes formels, se conformant en cela à la droite raison et au sens commun : Les écoles gardiennes sont plutôt des établissements de bienfaisance que d'instruction ; il est mieux de les faire régir par la loi sur la bienfaisance ; le projet de loi ne s'en occupe pas et ne devait pas s'en occuper.
Une pareille déclaration peut se passer de commentaires, elle caractérise nettement le sens de la loi.
Par le temps qui court, quand on voit des textes de rapport avoir force et autorité à l'égal de textes de loi, on devrait, me semble-t-il, montrer plus de respect pour une déclaration aussi expresse, aussi positive que celle que je viens d'avoir l'honneur de vous faire connaître.
Je me résume sur ce point.
L'école gardienne n'est pas une école primaire ; l'article premier de la loi du 14 décembre 1864 ne lui est pas applicable ; la libéralité faite pour fonder ou entretenir une école gardienne n'est pas et ne peut pas être réputée faite à la commune ou à la section de commune.
Mais en supposant gratuitement que l'école gardienne puisse être mise sur le même pied que l'école primaire, contrairement à ce que je viens d'établir, je ne conçois pas comment le principe invoqué par l'arrêté royal du 23 septembre 1867 pourrait trouver son application à l'espèce.
Permettez-moi, messieurs, de vous relire le motif fondamental :
« Attendu qu'il résulte de la loi du 19 décembre 1864 sur les fondations pour l'enseignement, que les établissements publics ont seuls le droit de saisine et de gestion des libéralités ou donations faites en faveur de l'enseignement. »
Mais, messieurs, ce principe, affirmé ainsi d'une manière générale, appliqué d'une manière absolue, loin de se fonder sur la loi du 19 décembre 1864, est en opposition flagrante avec cette loi.
Il ne me sera pas difficile de l'établir ; il me suffira pour cela de consulter l'esprit de la loi et à cet effet d'invoquer le témoignage irrécusable de ceux qui ont formulé et défendu la loi.
Voici ce que disait l'honorable M. Bara dans le rapport de la section centrale :
« La défense de faire des libéralités au profit de l'enseignement privé se justifie par les notions les plus élémentaires du droit public. Ne peuvent recevoir des libéralités que les personnes capables, c'est-à-dire les individus et les êtres moraux, les êtres auxquels une fiction légale attribue la capacité des personnes naturelles. Or, pour que les établissements d'instruction privés pussent recevoir des dons et des legs, il faudrait que la loi les reconnût préalablement personnes civiles. »
Et plus loin :
« On reconnaîtra que l'on ne pourrait donner l'existence civile à des établissements dont l'enseignement serait mauvais et dangereux. Or, la loi peut-elle se faire juge du mérite de l'enseignement privé, déclarer qu'une école est digne des sympathies publiques, et qu'une autre est un foyer d'erreurs ? Peut-elle favoriser tel établissement au détriment de tel autre ? N'est-il pas plus juste de la déclarer incompétente en pareille matière et de lui interdire d'accorder le privilège de la capacité civile à des établissements qu'elle ne saurait apprécier ? »
Enfin, ailleurs il disait (c'est un passage qui a déjà été lu par l'honorable M. Liénart ; mais comme il entre dans le cadre de ma démonstration, je demande la permission de vous en donner une seconde fois lecture). Voici ce que je lis dans ce passage :
« Ce qu'il faut pour l'enseignement privé, c'est comme pour toutes les idées, comme pour toutes les associations, la liberté sans privilège. Il faut pour chaque citoyen le droit de créer une école, un collège, une université, de l'aider de son concours moral et même pécuniaire, maïs il ne faut pas aux établissements sortis de la liberté la capacité d'une personne vivante. »
Pour mieux faire saisir la pensée qui réside au fond de ce passage, qu'il me soit permis de formuler, de concentrer en deux propositions les principes qui y sont énoncés.
1° Sont capables de recevoir des libéralités les individus et les êtres moraux ; les personnes naturelles, vivantes, et les êtres auxquels une fiction légale attribue la capacité des personnes naturelles ;
2* En fait d'établissements d'enseignement, les établissements publics sont capables, les établissements privés incapables de recevoir des libéralités. Les premiers sont capables, parce qu'ils sont représentés par des êtres moraux ; les seconds sont incapables, parce qu'ils ne constituent pas des êtres moraux et ne sont pas représentés par des êtres de cette espèce.
Ainsi, d'après cette seconde proposition, la raison d'être de la capacité et de l'incapacité, c'est la présence ou l'absence de personnification civile.
Vous faites un don ou un legs à un établissement privé ; ce don ou ce legs est fait à un incapable. La clause ou la condition sera réputée non écrite. Mais la libéralité subsistera. Par qui sera-t-elle acceptée ? La libéralité est censée faite en faveur de l'enseignement. L'enseignement n'a pas d'autre représentant légal que la commune, la province ou l'Etat, qui l'acceptera, l'administrera et la fera servir à sa destination.
Tels sont, messieurs, pour les établissements d'enseignement les principes proclamés par la loi du 19 décembre 1864.
Mais à côté de ces principes uniquement de droit positif, d'autres principes existent, des principes primitifs, fondamentaux, des principes de l'ordre naturel, consacrés, eux aussi, par la loi positive et formulés dans ma première proposition.
L'individu, la personne vivante, la personne physique est avant tout capable de donner et de recevoir. C'est la base, le fondement de toute capacité civile, et dans la matière qui nous occupe, cette capacité individuelle, personnelle, comme nous l'avons vu tantôt, a été expressément, formellement reconnue.
Rappelez-vous, messieurs, ces paroles de l'honorable M. Bara, rapporteur de la section centrale : Il faut pour chaque citoyen le droit de créer une école, un collège, une université, de l'aider de son concours moral et même pécuniaire.
Du reste, ces principes, pour être vrais et incontestables dans leur forme positive, n'avaient pas besoin d'être proclamés par l'honorable M. Bara dans son rapport. La constitution, dans son article 17, confère à tout individu et à toute association d'individus le droit d'ériger des établissements d'instruction. L'enseignement est libre !
Appliquons ces principes au cas qui nous occupe et voyons s'il y avait lieu de prohiber la libéralité.
Est-ce un établissement d'enseignement privé, c'est-à-dire à un être incapable qui sollicite l'autorisation de recevoir des libéralités au moyen d'une loterie ?
Pas le moins du monde. C'est une personne vivante, individuelle, c'est Mme la comtesse Moles Le Bailly de Bruges ; ce sont d'autres dames qui s'associent à son œuvre de bienfaisance.
Contestera-t-on leur capacité ? Evidemment non ; on ne le pourrait pas sans nier tous les principes.
Mais il y a des raisons pour répondre à tout. Et ici, je rencontre le fond de l'argumentation de l'honorable M. Vandenpeereboom.
Ces dames, dit l'honorable membre, sont parfaitement capables de recevoir des libéralités ; mais comme individus, pour leur compte propre et personnel.
Ce qui leur est défendu, c'est de s'interposer, c'est de représenter un être qui n'a aucune existence légale, qui n'a aucune capacité ; c est de créer fictivement un être moral que la loi ne reconnaît pas. Les établissements publics seuls ont le droit de saisine et de gestion des libéralités ou donations faites en faveur de l’enseignement.
(page 1052) Je dirai d'abord, messieurs, quant à cette prétendue interposition ; je dirai que ce sont là des affirmations purement gratuites, des craintes chimériques qui ne s'appuient sur rien et que je défie l'honorable M. Vandenpeereboom d'établir par une preuve tant soit peu sérieuse. Ensuite, je le demande, en présence d'un tel raisonnement, que devient la capacité de l'individu ? Que faites-vous du droit d'association ? Que devient le droit qu'a chaque citoyen, comme le disait l'honorable M. Bara, commentant en ce point l'article 17 de la Constitution, de créer une école, un collège, une université, de l'aider de son concours moral et même pécuniaire ?
Mais toujours, dans toutes les circonstances, le même raisonnement pourra se tenir, les mêmes objections pourront se produire.
De concert avec un ami, je consacre une somme à l'érection d'une école ; j'y installe un personnel laïque ou une communauté religieuse, peu importe. Voilà qu'à l'instant même vient au jour, non pas une personne morale, une personne civile, un être juridique, la loi s'y oppose, mais un être purement imaginaire, purement chimérique, lequel, quoique étant une négation absolue quant à l'existence et quant à la possibilité même d'exister, sera doué cependant de la faculté à la fois étonnante et odieuse de rendre mon école inhabile, incapable de recevoir à l'avenir quelque libéralité que ce soit.
Espèce de mythe, de création hybride., absurde, contradictoire, qui réalise sous certains rapports la formule sophistique de la philosophie allemande : l'identité de l'être et du non-être ; qui existe en effet ou n'existe pas, selon les besoins du moment : qui existe quand il s'agit de repousser les libéralités faites, non à la collectivité, mais à l'individu, au fondateur ou au directeur de l’école, qui n'existe pas quand il s'agit de recevoir les libéralités faites, non à l'individu, mais à la collectivité, à l'école elle-même !
Disons-le, messieurs, si une pareille théorie doit prévaloir dans la pratique ; si le but, si l'application, si la mise en exercice de la capacité ; je vais plus loin, si de simples allégations, si des soupçons, si des appréhensions, ne reposant sur aucun fondement, sur aucune preuve, doivent réagir sur la capacité elle-même, de manière à la détruire, à l'anéantir, le droit de l'individu n'est plus qu'un leurre, un mensonge ; le droit d'association s'évanouit lui-même, et la liberté de l'enseignement n'est plus qu'une vainc fantasmagorie.
Aussi, messieurs, en présence des paroles dont j'ai donné lecture, en présence surtout des principes généraux, je conteste que telle soit, que telle puisse être la volonté de la loi du 19 décembre 1864.
Mais il est un autre point de vue auquel il importe de se placer.
Est-il vrai, est-il possible que la loi du 19 décembre 1864 constitue une entrave absolue, une prohibition universelle de toutes les libéralités quelconques, quelles que soient leur importance, quelle que soit leur forme, non seulement des donations et des legs, c'est à dire des libéralités revêtues d'une forme extrinsèque, ayant un caractère de permanence comme celles qu'on entend habituellement par ce mot ; mais de simples dons manuels, des souscriptions, des collectes, des actes de bienfaisance les plus modiques et les plus quotidiens ?
Qu'on veuille bien l'observer, messieurs, il ne s'agit plus ici du droit de fonder pour une durée qui s'étende au delà de la vie ; il ne s'agit plus du droit de laisser derrière soi une œuvre durable, permanente, perpétuelle ; il s'agit du droit de vivre au jour le jour, il s'agit du droit de respirer !
Eh ! messieurs, je ne conçois vraiment pas qu'une telle interprétation soit possible ; c'est une véritable énormité contre laquelle protestent énergiquement, non seulement les principes généraux du droit naturel, les règles les plus fondamentales de notre loi constitutionnelle, mais le texte même de la loi du 19 décembre 1864, son intitulé, chacun de ses articles, les documents préliminaires, les discussions parlementaires de la .Chambre et du Sénat, en un mot tout ce qui sert à en manifester le sens apparent ou à en révéler l'esprit intime.
Lisez le texte dans son ensemble, lisez-le sans prévention, sans parti pris ; il vous apparaîtra clair comme le jour, que les libéralités dont parle l'article premier ont une signification positive, restrictive, et, par conséquent, contraire au sens large et absolu qui lui est attribué dans l'arrêté du 23 novembre 1867.
Jo n'invoquerai, ni les discussions, ni les documents parlementaires ; ce serait allonger inutilement mon discours.
Je préfère, messieurs, m'adresser un instant, je ne dirai pas à vos souvenirs, mais à votre conscience, à votre loyauté.
Je vous demande, messieurs, en toute franchise ; je vous le demande à vous qui avez discuté, qui avez combattu ou défendu cette loi, dans tout le cours de ces longs débats, n'a-t-il pas été constamment et uniquement question de donations entre vifs, de dispositions testamentaires, de legs, de dotations, de fondations, d'acceptation de legs ou de donations ; en un mot de libéralités ayant un caractère public, authentique, ayant une forme extrinsèque et permanente ?
N'est-il pas vrai qu'il n'est pas même entré dans votre esprit d'enchaîner, de paralyser, d'accaparer au profit de l’enseignement officiel les libéralités modiques engendrées par la charité de chaque jour, de chaque instant, dirai-je, le produit des dons manuels, des collectes, des souscriptions ?
C'est une question, je le répète, que je pose à votre bonne foi et à votre conscience.
Il faut que nous sachions dans quelles limites vous entendez appliquer la loi du 31 décembre 1851.
Il faut que nous sachions si, en matière d'enseignement, vous vous laisserez guider par les mêmes idées, par les mêmes principes d'exclusion et de prohibition qui tendent à prévaloir, en matière de charité.
Vous le savez, messieurs, aucun acte de charité, s'il n'est pas directement fait, quelle que soit sa modicité, quelle que soit sa forme, ne peut plus librement se produire. Les collectes, les dons de main-chaude, les souscriptions, les cotisations, tout cela a été accaparé par les bureaux de bienfaisance.
Si c'est là le système que vous vous proposez de pratiquer, en matière d'enseignement, ayez la franchise, ayez la générosité de nous le dire, afin qu'il n'y ait plus d'équivoque entre vous et nous, afin que nous sachions une bonne fois à quoi nous en tenir.
Mais, dit l'honorable M. Alphonse Vandenpeereboom, l'acte prohibé n'est pas une simple collecte, n'est pas une simple cotisation ; c'est une loterie, c'est un acte qu'ii n'est pas permis de poser sans l'autorisation spéciale et formelle de l'autorité.
Je ferai d'abord une observation : c'est que le système pratiqué par l'honorable membre conduit logiquement à la suppression de toutes les loteries, ouvertes dans un but de piété ou de bienfaisance. Il faudra supprimer l'article de la loi du 31 décembre 1851 qui autorise les opérations de ce genre ; il faudra proclamer qu'à l'avenir elles ne pourront plus se faire que dans un but d'utilité tout à fait secondaire, pour une exposition de bestiaux ou d'instruments aratoires.
En effet, la bienfaisance et le culte ne sont-ils pas également des services publics, exclusifs, représentés par les bureaux de bienfaisance et par les fabriques d'église ? Et si vous êtes logiques, ne faudra-t-il pas leur appliquer les mêmes principes ?
Toutes ces loteries devront donc être frappées d'interdiction.
Eh bien, je dis que c'est là une conséquence inadmissible contre laquelle protestent vos propres actes, votre conduite publique et privée.
Non seulement le gouvernement autorise fréquemment de pareilles opérations ; mais tous les jours, dans une pensée louable, dans un sentiment de charité, vous participez individuellement, soit comme preneurs de lots, soit comme donateurs, à des tombolas, à des loteries organisées dans un but de bienfaisance.
Et si ce sont là en réalité des faits contraires à la loi, je vois tel ministre, dont les journaux de la capitale ont annoncé dernièrement la participation généreuse, à une tombola, qui tout le premier devrait se frapper la poitrine et réciter très humblement son mea culpa.
Bien plus, il est des personnages plus haut placés que cet honorable ministre, dont le patronage et la munificence sont toujours sollicités en pareille circonstance, non seulement comme un gage de succès, mais comme un titre d'ostentation, qui devront se raviser et se montrer dorénavant moins prodigues de leur généreux et bienveillant concours. Il n'est pas possible que ceux qui se trouvent au sommet de notre ordre politique, continuent à donner, même par simple connivence, le pernicieux exemple de la violation de nos lois,
L'acte prohibé est une loterie !... C'est vrai, mais l'arrêté royal ne fait aucune distinction ; le motif invoqué est absolu, sans réserve, sans restriction ; les établissements publics seuls ont le droit de saisine et de gestion des libéralités et donations faites en faveur de l'enseignement ; on se sert d'un terme générique doué d'une élasticité indéfinie.
On me dira que c'est le terme légal ; je ne le conteste pas ; mais on a le tort de ne pas maintenir à ce terme légal son sens légal, le sens restreint qu'autorisent seul et le texte des articles et toutes les circonstances législatives,
Avec cette applicabilité extensive, en dehors du sens véritable, qui fait considérer comme libéralités prohibées les libéralités faites au moyen d'une loterie, on est forcément amené à considérer comme telles aussi les libéralités qui résultent des collectes, des quêtes. Les raisons sont, (page 1053) de part et d'autre, identiques, ou plutôt c'est une seule et même question.
Sans doute, je comprends que d'une manière générale on prohibe les loteries ; je comprends qu'on se prémunisse contre l'intrigue et contre le charlatanisme ; mais quand des>garanties existent d'une manière certaine et positive, ce qu'il n'est point permis de faire, c'est de refuser l'autorisation d'ouvrir la loterie d'une manière arbitraire ; c'est d'empêcher la loterie pour empêcher la libéralité de se produire ; c'est de s'emparer de la forme de l'acte, comme d'un prétexte pour anéantir le fond.
Car il est certain, je le répète, quelque subtilité que l'on y mette, qu'en réalité la loterie équivaut à une collecte, à une souscription publique.
Si l'on voulait y voir autre chose, si l'on voulait y mettre un esprit de lucre, une idée de spéculation, cette opinion irait droit à l'encontre des prétentions que l'on affiche. Comment, dirais-je, vous avouez que l'acte dont il s'agit n'a pas le caractère de donation, de gratuité pure ; et cependant vous rangez cet acte dans la catégorie des donations, des libéralités frappées par la loi du 19 décembre 1864 !
Mais ce serait perdre son temps que de s'arrêter à de pareilles arguties.
Il est évident, il est indiscutable aux yeux de la saine raison, que la loterie, organisée dans un but de piété ou de bienfaisance et renfermée rigoureusement dans les conditions de la loi, n'est au fond pas autre chose qu'une collecte, qu'une souscription.
C'est, si vous le voulez, un moyen ingénieux de se faire ouvrir la porto et de se faire gracieusement recevoir ; mais c'est en réalité une collecte et pas autre chose.
Eh bien, s'il en est ainsi, je prétends qu'avec le système inauguré par l'arrêté du 23 novembre 1867, on porte une atteinte profonde non seulement aux libertés naturelles les plus fondamentales, mais à la sanction positive qui leur a été donnée par la Constitution.
La Constitution belge garantit la liberté des cultes, de presse, d'association, d'enseignement, de manifestation d'opinion et de réunion, elle les met à l'abri de toute restriction, de toute autorisation, de toute mesure préventive. Mais la plupart de ces libertés, pour ne pas dire toutes, ne peuvent se pratiquer sans ressources pécuniaires.
De là, par voie de conséquence, le droit de se cotiser, d'ouvrir des souscriptions, de faire des collectes à domicile.
Cela est clair, cela est positif ; cela a été sanctionné à plusieurs reprises par nos cours supérieures ; cela est pratiqué depuis que la Constitution existe, malgré toutes les entraves, malgré tous les obstacles que l'on n'a cessé de susciter.
En 1861, en 1862 et 1863, et, avant cette époque, c'était l'autorisation préalable que l'on invoquait. Pour paralyser la liberté des collectes et des quêtes, on avait recours à tous les moyens, on faisait valoir toutes les raisons ; on invoquait tour à tour l'arrêté du 22 septembre 1823, l'inviolabilité du domicile, la liberté morale de l'homme, la tranquillité publique, les dispositions pénales sur la mendicité et le vagabondage ; il y avait des publicistes, et des plus distingués, pour défendre ces opinions ; des conseils communaux pour les traduire dans leurs règlements de police ; des tribunaux pour les sanctionner par leurs jugements. .
La raison élevée, sereine et impartiale de la cour de cassation a fait justice de tous ces efforts et de tous ces sophismes.
Aujourd'hui d'autres obstacles surgissent. C'est dans l'arsenal de la loi du 19 décembre 1864 que l'on va prendre de nouvelles armes.
Cette loi a mis dans un jour nouveau et a notablement perfectionné, quant à l'enseignement, le fameux système des services publics.
C'est une arme puissante, redoutable.
La bienfaisance est un service public ; l'enseignement est un service public ; le culte est un service public. Ces principes sont fondamentaux indiscutables, on les affirme avec une imperturbable certitude à l'égal des axiomes les plus certains et les plus évidents.
Puis viennent les conséquences pratiques. On envahit, on centralise, on absorbe tout. En dehors du service public, il n'y a rien de stable, rien de légal, rien de respectable.
Il est permis à l'enseignement privé de bâtir, mais il faut qu'il bâtisse sur le sable mouvant ; il lui est permis de vivre, mais à cette existence précaire et fragile on dispute l'air et la lumière.
Oh ! qu'on le sache bien cependant, nous ne voulons pas, nous ne désirons pas ressusciter les abus d'un autre âge, comme vous dites, la mainmorte, la personnification civile, que vous détestez si cordialement.
Nos visées sont moins coupables, nos prétentions sont plus modestes ; nous vous demandons le droit commun, la liberté de l'aumône.
L'enseignement officiel a contracté avec l'Etat une union opulente. II est riche ;'c'est un grand et puissant seigneur qui vit largement. Vous l'avez splendidement installé. Vous lui avez successivement constitué, rien que pour l’enseignement primaire, une mainmorte qui se monte, au dire de M. Vandenpeereboom, à 24 millions de francs. De concert avec les provinces et les communes, vous lui avez assuré une liste civile qui s'élève à 12,000,000 et qui grandit encore chaque année.
Je ne me plains pas ; je constate des faits ; je compare des situations. Du reste je ne vous apprends rien de nouveau.
L'autre jour, dans cette Chambre, l'un de vos orateurs, qui doit avoir le seul tort à vos yeux de dire tout haut ce que d'autres pensent tout bas, se vantait, au milieu de ses invectives contre l'encyclique, contre le fanatisme, le cléricalisme et autres fantômes de ce genre, de cette prospérité exceptionnelle et vous disait que la concurrence de l'enseignement libre n'est plus à craindre, qu'il lui faudrait pour cela un budget annuel de 7 à 8 millions.
Et c'est en présence d'une situation aussi évidemment dissemblable, proclamée par ses amis politiques, que l'honorable ministre des finances est venu nous dire hier, qu'en fait d'enseignement il y a en Belgique deux monopoles : le monopole de l'Etat et le monopole du clergé.
Eh, mon Dieu ! oui il y a deux monopoles, si le mot « monopole » à deux significations différentes.
L'enseignement officiel a le monopole du budget ; le monopole de la personnification civile ; par conséquent, le monopole de la durée, de la stabilité et d'une forte organisation ; et j'ose bien le dire, pour ce qui concerne l’enseignement supérieur, les études terminées, il a le monopole des fonctions publiques. (Interruption.)
L'enseignement libre, lui, a le monopole de la pauvreté et du dévouement. (Interruption.) Oui, le monopole de la pauvreté et du dévouement ; le monopole de l'incertitude et de l'instabilité ; et comme je viens de le dire, bien souvent le monopole de l'ostracisme dans les sphères gouvernementales !
Eh bien, quelle que soit manifestement notre infériorité, nous n'envions pas, nous ne jalousons pas vos richesses, votre prospérité et vos avantages de tout genre.
Nous savons même nous résigner quand nous vous voyons confisquer notre patrimoine séculaire par vos arrêtés royaux de chaque jour.
Mais de grâce, je le répète, permettez-nous de vivre du peu que vous nous laissez ; permettez-nous de tendre la main à la charité publique ; permettez-nous de consacrer librement nos offrandes aux œuvres qui jouissent de nos sympathies et qui répondent à nos convictions.
Notre but n'est-il pas louable, patriotique, digne de toutes vos sympathies ?
Dans un pays démocratique comme le nôtre, tous les efforts ne doivent-ils pas tendre à élever dans l'échelle sociale ceux qui sont déshérités de la fortune ? à effacer toutes les distinctions ? à donner à ceux qui naissent dans l'obscurité et la pauvreté, les mêmes moyens d'accès aux carrières sociales que possèdent ceux que la naissance a le plus favorisés ?
Dans l'ordre politique oh nous sommes, avec les idées qui font la vie de notre Constitution, n'est-ce pas une des branches de la charité publique qu'il faudrait le plus encourager, qu'il faudrait le plus développer ?
Et que faites-vous ?
Par votre centralisation, par vos envahissements, par vos prohibitions, vous semblez avoir pris à cœur de déraciner la liberté de l'enseignement, si nationale pourtant et si ancienne sur le sol belge.
Ce n'est pas assez d'avoir absorbé, d'avoir accaparé toutes les dotations, toutes les largesses anciennes, tous ces vieux débris de fondations faites par la piété et la bienfaisance de nos pères.
Ce n'est pas assez de l'avoir banni, proscrit, comme institution durable, ayant son patrimoine propre, distinct ; il faut encore le traquer, le torturer, aujourd'hui sous prétexte de loterie, demain sous tout autre prétexte, alors qu'il n'a plus d'autres ressources que de tendre la main et de vivre d'aumônes.
Et ne protestez pas de vos intentions !
N'est-ce pas dans ce même esprit d'hostilité qu'est conçu le projet de loi sur le temporel des cultes ?
N'y a-t-il pas dans ce projet un article 83, qui défend au clergé de faire à l'intérieur des temples toutes autres collectes que celles relatives au (page 1054) culte et à la bienfaisance, et par cette prohibition, n'est-ce pas l'enseignement libre et spécialement l'université de Louvain que vous entendez frapper ?
Que vos actes sont différents de vos paroles !
Vous ne cessez de parler de vos ardentes sympathies pour l'instruction du peuple, de votre dévoilement sans bornes à cette grande et noble cause, de vos aspirations généreuses pour la liberté, le progrès, la civilisation.
C'est le refrain obligé de tous vos discours.
Hier encore, en terminant, l'honorable ministre des finances proclamait, de son ton le plus solennel, que le libéralisme est une doctrine politique dont l'objet est d'assurer dans toutes les sphères de l'activité humaine la plus grande somme possible de liberté.
Mais pendant que vous vous livrez à ces stériles déclamations ; pendant que vous faites retentir à nos oreilles tous ces mots sonores, je vous le demande encore une fois, que faites-vous ?
Est-ce bien la liberté de l'enseignement, est-ce bien son maintien, son extension que vous défendez, que vous favorisez ?
Tous vos efforts, votre générosité budgétaire, votre dévouement officiel, ne sont-ils pas manifestement diriges vers un autre but : celui de soutenir et de faire prévaloir le contraire de la liberté, c'est-à-dire la centralisation, l'influence du pouvoir, une forte organisation de l'enseignement public, le monopole de l'enseignement de l'Etat ?
Et en fait d'instruction populaire, de diffusion des lumières, n'est-il pas vrai que par vos actes, par la guerre incessante que vous faites à l'enseignement libre vous vous exposez au sanglant reproche de pratiquer cet absurde et détestable principe. Mieux vaut l'ignorance, mieux vaut la misère, la dégradation physique et morale de l'enfance, que la violation, le sacrifice d'un système, d'une idée libérale !
M. Hymans. - C'est vous qui voulez la dégradation.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - C'est votre système qui a pour but la dégradation.
M. Reynaertµ. - Prouvez-le ; jusqu'à ce moment vous ne l'avez pas fait. (Interruption.)
En terminant je me résume en ces termes : L'école gardienne n'est pas un établissement d'enseignement primaire, tombant sous la prohibition de la loi du 19 décembre 1864. La nature des choses et le rapport de la section centrale s'y opposent invinciblement.
La loi du 19 décembre 1864 n'a pas pu et n'a pas voulu paralyser ou pour mieux dire anéantir la liberté de l'individu de faire et de recevoir des libéralités pour l'exercice d'une liberté constitutionnelle, de la liberté de l'enseignement.
Dans l'espèce, pas de personnification civile, pas d'être moral, mais des personnes individuelles, parfaitement capables de recevoir.
Enfin il est impossible que la loi du 19 décembre 1864 prohibe jusqu'aux simples collectes, jusqu'aux dons privés les plus modiques et les plus usuels.
Cela serait contraire aux libertés les plus fondamentales, comme cela serait contraire à la Constitution et à la jurisprudence de notre cour suprême.
Ma conclusion pratique consiste dans un vœu : j'espère que l'honorable M. Pirmez rompra ouvertement, résolument avec le système administratif inauguré par l'honorable prédécesseur dans l'arrêté du 23 septembre 1867 et que, se conformant à ses principes en matière d'écoles d'adultes, il maintiendra la loi du 19 décembre 1864 dans ses limites les plus strictes et les plus étroites en tant que son application concerne le département de l'intérieur.
MiPµ. - Messieurs, les deux orateurs de l'opposition qui ont pris la parole dans cette séance se sont évertués à faire une grosse, une immense affaire d'un fait très simple. C'est, au reste, ce qui arrive toujours, lorsque la grande question qui divise les deux parties de cette Chambre est soulevée sous un aspect quelconque. Cette grande question est en effet toujours la même. Il s'agit toujours, dans presque toutes les discussions politiques, du droit de fondation. Toujours la droite vient réclamer, avec une énergie que je pourrais dire sans cesse croissante, le droit de fonder. (Interruption.)
Toujours, c'est ce droit que sous une forme ou sous une autre, on vient réclamer, et c'est ce droit de fondation que l'on prétend faire découler des libertés constitutionnelles.
Il y a eu, dans les discours des deux honorables membres. une confusion complète à cet égard. Il me suffira de rétablir quelques principes pour montrer l'erreur dans laquelle ils ont versé.
Je dois le reconnaître toutefois, et leur faire une concession, s'ils ont essayé de grossir cette petite affaire, ils en ont trouvé un prétexte dans la rédaction des motifs de l'arrêté. Tous ceux qui ont l'habitude des affaires judiciaires savent qu'il arrive très souvent qu'en prenant une décision, d'ailleurs parfaitement justifiée, on invoque des principes que l'on généralise un peu trop dans les motifs. Il arrive fréquemment que pour justifier une décision irréprochable, on proclame, en ne pensant qu'à l'affaire qui est soumise au juge, des raisons qu'on érige en principes trop absolus.
Je crois que dans l'arrêté qui est soumis en ce moment à l'examen de la Chambre, on a versé dans cette erreur. (Interruption.)
Je dis que dans les motifs de l'arrêté, on a émis des principes plus généraux que ceux que réclamait la décision.
Il est donc important de déterminer quels sont les principes et quelle est l'application qui devait en être faite dans l'espèce.
Messieurs, il y a, en matière d'enseignement, deux principes.
L'enseignement est libre, c'est-à-dire que tous les particuliers ont le droit d'enseigner comme ils l'entendent, sans aucune limitation, sans aucune gêne, sans aucune restriction, sans qu'aucune entrave puisse venir les gêner dans l'exercice de ce droit constitutionnel.
Voilà en quoi consiste la liberté d'enseignement. Elle ne va pas plus loin.
M. Thibautµ. - Il n'y a pas autre chose !
MiPµ. - Il n'y a pas autre chose. Voilà donc que nous sommes d'accord sur ce premier principes.
M. Thibautµ. - Je vous demandais s'il n'y avait pas autre chose.
MiPµ. - Je crois que la liberté d'enseignement consiste dans le droit d'enseigner de la manière la plus illimitée et la plus absolue, sans que personne puisse venir restreindre cette liberté. Vous pouvez enseigner où et quand vous le voulez, et les choses que vous voulez.
Voilà la définition de la liberté d'enseignement, je pense qu'il n'y a pas autre chose.
Cette liberté est de même nature que toutes nos libertés.
Qu'est-ce que la liberté de la presse ? C'est la faculté de mettre dans un journal, dans un imprimé quelconque, tout ce qu'on veut.
Qu'est-ce que la liberté d'association ? C'est le droit de se réunir partout, toujours, à tel nombre que l'on veut, sans qu'en rien on puisse venir vous empêcher, vous gêner dans l'exercice de ce droit de réunion.
Voilà en quoi consistent les libertés constitutionnelles. Je ne pense pas que personne imagine de donner une autre définition.
Cependant, si l'on est forcé de reconnaître que la liberté d'enseignement n'est que cela, lorsqu'il s'agit d'appliquer cette liberté, nous voyons des prétentions toutes différentes s'élever, et sous prétexte de liberté d'enseignement, on veut arriver directement ou indirectement au droit de fonder.
M. Wasseige. - Et vous, sous prétexte de fondation, vous supprimez la liberté d'enseignement.
MiPµ. - Je voudrais bien qu'on m'indiquât un citoyen belge quelconque pour qui a été écrite dans la Constitution cette liberté d'enseignement qui se soit trouvé gêné ou empêché, dans une commune belge, depuis 1830. Je demanderai à l'honorable M. Wasseige de m'en citer un.
M. Wasseige. - Mme la comtesse Moles Lebailly elle-même.
MiPµ. - Mme la comtesse Moles peut enseigner partout où elle veut ; j'affirme qu'on n'y mettra aucun obstacle.
Ainsi, ne détournons pas la question : la liberté d'enseignement est entière en Belgique, et l'on ne citera pas un fait, depuis 1830, de violation de la liberté d'enseignement.
M. Teschµ. - Pas même envers les forçats.
MiPµ. - Mais, messieurs, sous prétexte de liberté, on veut arriver, et dans beaucoup de matières, à ce qui est exactement le contraire de la liberté, à la fondation.
Qu'est-ce qu'une fondation ?
Mais c'est une disposition par laquelle un homme qui, se trouvant avoir un bien quelconque, veut imposer à toutes les générations futures sa volonté quant à ce bien. La fondation n'est pas autre chose que la suppression de la liberté pour les vivants d'abord et pour toutes les générations futures ensuite.
Mais voyons en quoi consiste ce droit. Un individu se trouve posséder une propriété. Il la possédera encore pendant quelques semaines (page 1055) peut-être, il est déjà sur son lit de mort ; il va devoir quitter la terre et tous les biens qui existent sur la terre. Mas il lui passe dans la tête, à lui qui est obligé de quitter ce monde, de vouloir que sa volonté lui survive, et que sa volonté lui survive, non seulement pendant un temps limité, mais jusqu'à la consommation des siècles, en sorte que lorsque les générations futures viendront, elles qui ont bien le droit de jouir des biens du monde à leur tour, elles doivent toujours demeurer liées, entravées, elles doivent toujours rester soumises à la volonté de cet homme qui aura eu cette propriété pendant un certain nombre de jours, de mois ou d'années.
Voilà ce que c'est que la fondation ; elle n'est pas autre chose ; et vous prétendez arriver au droit de fondation au nom de la liberté.
Mais, messieurs, si je venais vous demander de permettre aux citoyens belges d'aliéner leur liberté personnelle et la liberté personnelle de leurs descendants, serais-je bien un partisan de la liberté ? Me conformerai-je à la liberté en autorisant un individu à se placer, lui et ses descendants, à perpétuité en esclavage ? Personne n'osera le soutenir.
Mais qu'est-ce donc que la fondation ? C'est l'esclavage perpétuel des biens ; c'est leur affectation perpétuelle à une même idée, à un même service. C'est donc, quant à des biens déterminés, la suppression de la volonté de tous ceux qui existent.
Vous le voyez, la fondation est exactement le contraire de la liberté, et j'avais raison de dire qu'il y a, en matière d'enseignement, deux principes reposant sur la même idée ; le premier, qui est la liberté d'enseignement ; le second qui est la non-admission de la fondation, à moins qu'une autorisation de la loi n'intervienne.
Maintenant, permettez-moi de placer à côté de ces principes notre législation en ce qui concerne les loteries.
Que fait la loi des loteries ? Elle interdit les loteries en général, mais elle autorise à faire certaines exceptions.
C'est une mesure de police qui a un double but. D'abord d'empêcher qu'on n'excite la cupidité au moyen de lots d'une grande valeur et, ensuite, il ne faut pas l'oublier, qu'on n'aille, sous prétexte de demander des dons volontaires, imposer de véritables contributions forcées. Il faut bien le reconnaître, il y a beaucoup de souscriptions de billets qui ne sont pas volontaires, mais qui sont bien plutôt imposées par des obligations de relations ou de convenances.
Lorsqu'il s'agit d'autoriser une loterie, il faut avant tout examiner quelle est la destination qu'on veut donner aux fonds qui seront recueillis.
Si cette destination, rentrant dans les cas prévus par la loi, n'est pas autre chose qu'un acte qui rentre dans la liberté, il est évident qu'on peut autoriser la loterie. Mais si la loterie a pour but de constituer une fondation, elle ne peut être autorisée.
C'est une question de fait.
Dans le cas de la commune de Westcapelle, s'agissait-il d'un simple acte passager qui ne devait pas avoir de durée, ou s'agissait-il d'établir une fondation ? Telle est toute la question.
Il est constaté qu'il s'agissait d'établir un bâtiment d'école. L'érection d'un bâtiment d'école constitue-t-elle un acte passager ou une fondation ?
M. Wasseige. - Une fondation de bâtiment, oui.
MiPµ. - Ce n'est pas, comme le disait l'honorable M. Reynaert, une donation de main-chaude, une simple aumône qui se dépense immédiatement, c'est une chose qui dure, à l'entretien de laquelle il faut des revenus, qui se perpétue. Vous voyez donc bien qu'il s'agissait d'une véritable fondation.
M. de Naeyerµ. - Allons donc !
MfFOµ. - Qui aurait été propriétaire ?
MiPµ. - Voulez-vous que le bâtiment appartienne à une personne spéciale existant en chair et en os ?
Vous avouerez bien que vous ne pouvez établir une tombola pour doter une personne déterminée d'un bâtiment. C'est cependant l'hypothèse où se plaçait l'honorable M. Liénart, quand il a dit que le bâtiment serait la propriété des dames qui ouvriraient la loterie.
Et remarquez-le bien, lorsque vous auriez donné à ces dames, au moyen d'une loterie, la propriété de ce bâtiment, il dépendrait absolument d'elles de dire quinze jours après : Nous changeons d'avis, ce bâtiment que nous avions l'intention de consacrer à une école, nous allons en faire autre chose, un atelier, une fabrique.
Trouvez-vous que dans ces termes l'autorisation d'ouvrir une loterie soit bien légale ?
Voulez-vous l'autre hypothèse qui est la vraie : c'est que le bâtiment aurait servi réellement à l'enseignement public ?
Vous vous trouvez alors dans le cas de la fondation que j'indiquais. Vous arrivez à créer une fondation par le fait de la députation permanente, qui n'est pas autorisé à créer des fondations. Voilà, messieurs, pourquoi mon honorable prédécesseur n'a pas accordé l'autorisation.
Pour bien déterminer la portée des principes que j'indique, je citerai un fait qui s'est présenté sous mon administration. Un certain nombre de dames de Gand ont demandé à pouvoir établir une tombola pour distribuer des vêtements et des soupes aux enfants de certaines écoles. Il s'agissait donc d'une œuvre de bienfaisance devant se consommer immédiatement.
La députation de la Flandre orientale a autorisé la tombola et je n'ai pas pensé à annuler sa décision. Pourquoi ? Parce qu'il s'agissait d'une œuvre passagère et transitoire, qui ne devait pas s'imposer aux âges suivants.
Vous le voyez, messieurs, il faut, en cette matière, faire une distinction profonde entre les actes qui ne lient pas l'avenir et ceux qui ont une durée permanente.
La raison indique qu'il faut procéder ainsi. Nous pouvons, en effet, faire aujourd'hui des choses qui, pour le moment, seraient très utiles et qui, dans dix ans, seraient dangereuses.
Il est possible qu'en établissant une institution de bienfaisance dans une commune, nous fassions une chose excellente à l'heure qu'il est et qui deviendra un fléau dans dix ans. Je pourrais citer bien des communes qui se trouvent dans ce cas.
N'y a-t-il pas en Belgique des communes pour lesquelles ç'a été peut-être un bienfait dans le temps de recevoir certaines donations et pour lesquelles cette même donation est devenue aujourd'hui une cause de graves inconvénients ? N'y a-t-il pas des établissements de bienfaisance qui empêchent que l'industrie et le travail ne se développent comme partout ailleurs.
Il y a là de grandes difficultés, car ces établissements une fois créés on ne peut les supprimer dans la suite.
Il ne faut pas permettre que même, dans une intention louable, on vienne établir une chose que dans l'avenir on ne pourrait pas facilement supprimer alors qu'elle présenterait plus d'inconvénients que d'avantages.
Lorsqu'il s'agit de fondations en faveur d'établissements publics, ce mal n'est pas autant à craindre, parce que les pouvoirs publics sont chargés de maintenir ces établissements en harmonie avec les besoins successifs du pays.
Ces pouvoirs éprouvent beaucoup de difficultés, nous le savons, quand la réforme est nécessaire et c'est pour cela que je n'aime pas les fondations, mais le remède existe toujours ; tandis que l'on veut pour les fondations privées qu'elles soient immuables.
Je résume maintenant cette affaire fort simple.
Mon prédécesseur a pensé que, sous une forme détournée, on voulait faire une fondation et qu'il ne faut pas la permettre.
Il n'y a rien au delà.
On a exagéré la portée de la décision. Il ne s'agit pas d'empêcher de continuer à faire des tombolas pour des actes de bienfaisance, de piété tout à fait privés, s'ils n'ont pas le caractère de fondation.
MfFOµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau :
1° Un projet de loi apportant quelques changements à la législation sur le droit d'enregistrement ;
2° Un projet de loi qui alloue au département de la justice un crédit de 80,000 fr. destiné à l'impression du Moniteur, des Annales parlementaires et du Recueil des lois ;
3° Un projet de loi portant règlement définitif du budget de 1864.
- Il est donné acte à M. le ministre des finances de la présentation de ces projets de loi, qui seront imprimés, distribués et renvoyés à l'examen de s sections.
M. de Macarµ. - Je prierai la Chambre de vouloir bien suspendre demain la discussion du budget de l'intérieur. Plusieurs pétitions, sur lesquelles le rapport doit être fait, traitent de (page 1056) sujets importants sur lesquels la Chambre devrait bien se prononcer ; je citerai notamment la pétition des maîtres de carrière.
Je demande que la Chambre veuille bien s'en occuper demain.
- Des voix. - Non, non.
MiPµ. - Il y a peut-être une lueur d'espoir de terminer la discussion de mon budget samedi si la Chambre continue... (Interruption.) Laissez-moi au moins cette illusion. Mais sî la Chambre décide d'entendre demain des rapports de pétitions, cet espoir n'est plus possible.
Je demande que ces rapports soient remis après le vote de mon budget.
M. de Macarµ. - Soit, mais je demande alors que la discussion des prompts rapports soit fixée avant celle du budget des travaux publics.
- De toutes parts. - C'est entendu.
- La séance est levée à 4 3/4 heures.