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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 31 mars 1868

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1867-1868)

(Présidence de M. Dolezµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 961) M. Reynaert, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 1/4 heures.

M. Van Humbeeck, secrétaireµ, lit le procès-verbal de la séance précédente.

- La rédaction en est approuvée.


M. Reynaertµ présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Les instituteurs ruraux du canton de Seneffe demandent que l'article 28 du règlement général pour l'organisation des caisses de prévoyance en faveur des instituteurs primaires des communes rurales soit remplacé par les dispositions analogues des instituteurs urbains. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants d'Oorderen prient la Chambre d'accorder à la société Mertens la concession d'un chemin de fer d'Anvers à Woensdrecht. »

- Même renvoi.


« Le sieur Van Langendries réclame l'intervention de la Chambre pour que la légation de Belgique à Madrid défende les intérêts des obligataires du chemin de fer de Badajoz. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Frameries réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir l'interprétation de l'article 69, paragraphe 3, de la loi communale, relativement à des faits qui se sont produits lors des dernières élections triennales de Frameries. »

- Même renvoi.


« Des combattants de septembre demandent la médaille distinctive, accordée par le décret du gouvernement provisoire du 6 novembre 1830 et par l'arrêté royal du 31 décembre 1833. »

- Même renvoi.


« « Le sieur Vergult se plaint que l'agent de la Banque Nationale à Verviers refuse de recevoir la monnaie d'argent. »

- Même renvoi.


« Le sieur Jacobs demande la dissolution du conseil communal de Bruxelles. »

- Même renvoi.


« Le sieur Jean Mathieu Vandevoort, menuisier et cabaretier à Molenbeersel, né à Hemsel (partie cédée du Limbourg), demande la naturalisation ordinaire »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Des habitants de Bruxelles demandent l'abrogation du décret du 24 messidor an XII. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur.


« Le sieur d'Althorp appelle l'attention de la Chambre sur l'état de la bibliothèque royale. »

- Même décision.


« Des habitants de Ville-sur-Haine demandent le retrait de la loi du 23 septembre 1842. »

« Même demande d'habitants de Boussu, Saint-Ghislain, Pâturages, Houdeng-Goegnies, Obourg, Gottignies, Thulin, Nimy, Lens, Braine-le-Comte, Saint-Vaast, Elouges. »

« Par deux pétitions, des habitants de Jemmapes et par trois pétitions, des habitants de Quaregnon font la même demande. »

- Même décision.


« Par dépêche du 28 mars, M. le ministre de la justice adresse à la Chambre 2 exemplaires, dont un sur papier vélin, du recueil des ordonnances du duché de Bouillon, publié par la commission royale des anciennes lois et ordonnances de la Belgique. »

- Dépôt à la bibliothèque.


« M. Legrain adresse à la Chambre 110 pétitions imprimées relatives à la suppression de l'école de médecine vétérinaire de l'Etat et au projet d'annexion de son enseignement à une faculté de médecine universitaire. »

- Distribution aux membres de la Chambre.


« Par messages en date des 28 et 30 mars, le Sénat informe la Chambre qu'il a donné son adhésion aux projets de loi :

« 1° Qui ouvre aux départements de la guerre, des travaux publics et de l'intérieur des crédits provisoires à valoir sur les budgets des dépenses de l'exercice 1868 ;

« 2° Portant régularisation des crédits supplémentaires et extraordinaires qui ont été ouverts d'office et d'urgence au département de la guerre sur les exercices 1866 et 1867 ;

« 3° Sur les extraditions ;

« 4° Portant suppression du timbrage des billets au porteur. »

- Pris pour notification.


« M. Crombez, obligé de s'absenter par la mort d'une proche parente, demande un congé. »

- Accordé.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur de l’exercice 1868

Discussion générale

M. le président. - La discussion générale continue.

M. Lelièvreµ. - Le budget en discussion soulève la question de savoir si les écoles d'adultes sont comprises dans la loi du 23 septembre 1842, relative à l'enseignement primaire et, par suite, si l'arrêté royal du 1er septembre 1866, qui a organisé ces écoles d'après les prescriptions de la loi ci-dessus énoncée, a sainement apprécié le véritable état des choses.

Ne perdons pas de vue que l'instruction publique ne peut être donnée aux frais de l'Etat qu'en vertu d'une loi formelle.

L'organisation des écoles dont nous nous occupons n'est donc légale que pour autant qu'elle s'appuie sur une disposition claire et précise émanée du pouvoir législatif.

Or, jusqu'à présent nous ne connaissons que trois lois qui aient réglé l'enseignement de l'Etat, la loi du 23 septembre 1842, sur l'enseignement primaire, la loi du 1er juin 1850, sur l'enseignement moyen et la loi de 1849, sur l'enseignement universitaire.

Evidemment, les lois de 1849 et de 1850 sont étrangères aux écoles d'adultes. Donc ces écoles ne peuvent être constitutionnellement établies que pour autant que leur existence soit autorisée par la loi du 23 septembre 1842.

L'arrêté royal du 1er septembre 1866, en tant qu'il organise l'enseignement dont il s'agit, ne peut se justifier qu'au point de vue du système que je viens d'indiquer.

L'article 25 de la loi de 1842 me paraît, du reste, tellement clair qu'il ne semble pas même admettre une interprétation contraire.

Une partie du subside voté annuellement par la législature pour l'instruction primaire, aura pour destination spéciale :

1° D'encourager l'établissement des salles d'asile, etc. ;

2° De favoriser les écoles du soir et du dimanche pour les adultes.

Donc, dans la pensée de la loi, les écoles d'adultes font partie de l'enseignement primaire. Cela est si vrai, que le législateur affecte à ces écoles une partie du subside voté pour cette instruction. Or, cette disposition, si claire et si nette, suppose nécessairement que ces écoles appartiennent au même enseignement. Sans cela, ce serait admettre que le législateur eût détourné le subside de la destination que lui assurait le vote de la législature.

L'esprit de la disposition n'est pas moins évident que le texte.

Le législateur s'occupe évidemment, dans la loi de l'enseignement primaire, des écoles d'adultes, parce que, dans sa pensée, ces établissements ressortissent à cet enseignement, et tout doute s'évanouit à cet égard, lorsqu'on voit la loi affecter à leurs besoins partie du subside voté pour l'instruction primaire.

L'article 25 ne peut être expliqué rationnellement que dans ce sens. Hors de là, il ne serait plus qu'un hors-d'œuvre qu'on ne pourrait justifier par aucun motif plausible.

L'art.icle26 confirme notre interprétation d'une manière décisive.

« Aucune école ne pourra obtenir un subside ou une allocation quelconque de la commune, de la province ou de l'Etat, si l’autorité qui la (page 962) dirige ne consent à la soumettre au régime d'inspection établi par h présente loi. »

Aucune école, rien de plus général, de plus illimité. Il n'y a ni réserve, ni exception.

Il me semble impossible de méconnaître que cette disposition, placée immédiatement à la suite de l'article 25, décrétant les écoles pour les adultes, soit applicable aux établissements dont le législateur vient de s'occuper dans l'article précédent. Les expressions sont trop absolues pour qu'elles ne résistent pas à une autre interprétation.

Les écoles, pour les adultes viennent de fixer l'attention spéciale du législateur dans l'article 25. Sous l'impression de l'idée dont il vient de se préoccuper, il s'exprime dans l'article suivant de la manière la plus générale.

Toute école recevant des subsides est soumise à l'inspection. Comment admettre que les écoles dont il vient de parler ne soient pas comprises dans les expressions illimitées qu'il prend soin d'employer ? Comment supposer sérieusement que les termes généraux et indéfinis dont il se sert soient étrangers aux écoles qui, un instant auparavant, étaient l'objet de sa sollicitude spéciale ?

L'article 26 ne peut être séparé de l'article 25. Il existe entre ces deux dispositions une relation intime dérivant non seulement du texte, mais de l'esprit qui les a inspirées.

Aucune école ne peut obtenir des subsides si elle n'est soumise à l'inspection.

Donc toute école qui doit recevoir des subsides, en vertu de la loi de 1842, est soumise au régime d'inspection que celle-ci établit.

Donc les écoles pour les adultes, qui, en vertu de cette même loi, sont appelées à jouir de subsides, sont soumises à ce régime. La conséquence nous semble irréfutable.

Ne perdons pas de vue que c'est uniquement en vertu de la loi de 1842 que les écoles pour les adultes doivent recevoir des subsides.

Or, il résulte de l'article 26 que le régime d'inspection, organisé par là loi, supplique à toutes les écoles auxquelles des subsides sont assurés, donc aux écoles d'adultes, comme à toutes autres.

Mais c'est le système que nous défendons qui, seul, donne à l'article 25 une explication rationnelle.

La première condition pour l'allocation de subsides en faveur des écoles pour les adultes, c'est que celles-ci soient établies en venu d'une loi, puisque tel est le prescrit de l'article 17 de la Constitution.

Donc l'article 25 ne se conçoit que par le motif que l'institution de ces écoles est créée par la loi même de 1842.

Sans cela, on arriverait à cette singulière conséquence que le législateur aurait accordé des subsides à des écoles qui n'avaient pas même une existence légale, à des écoles que le gouvernement n'aurait pas pu établir ; enfin, pour interpréter sainement une disposition législative, il faut se pénétrer de l'esprit qui a présidé à sa rédaction.

Or, il est incontestable que jamais la majorité de 1842 n'aurait consenti à accorder les subsides énoncés à l'article 25 à des écoles qui n'eussent pas été soumises au régime d'inspection introduit par la loi.

C'est pour prévenir tout doute a cet égard qu'a été édictée la disposition générale de l'article 26.

L'enseignement religieux obligatoire, donné de la manière réglée par la loi de 1842, était le principe dominant de l'œuvre législative.

Comment veut-on que ce ne soit pas la même pensée qui ait présidé à la rédaction de l'article 25 ? Ce serait admettre que le législateur est resté, dans une disposition isolée, infidèle à l'esprit qui a fondé l'œuvre entière, et a ainsi commis une inconséquence dont la supposition est impossible.

Il en est des lois comme des conventions. Tous les articles s'interprètent les uns par les autres en donnant à chacun le sens qui résulte de la loi entière.

Par conséquent, l'article 25 relatif aux écoles d'adultes est évidemment gouverné par le principe qui forme la base de la loi elle-même, et le législateur attachait une telle importance à la règle fondamentale par lui adoptée, qu'il a eu soin de l'énoncer dans l'article 26 de la manière la plus explicite.

C'est ce qu'indiquent encore les paragraphes 3 et 4 de l'article 26, qui méritent une attention toute particulière.

« Si les rapports (des inspecteurs civils ou des inspecteurs ecclésiastiques) signalent des abus dans une école, le ministre de l'intérieur en informe l'administration dirigeant l'école et use des moyens propres à amener l'exécution de la loi.

Lorsque les abus sont constatés par le gouvernement et reconnus par lui constituer la non-exécution de l'une des conditions essentielles de la loi et que l'autorité dirigeant l'école se refuse à les faire cesser, les subsides communaux, provinciaux et de l'Etat seront retirés par un arrêté royal, motivé et inséré au Moniteur. »

Eh bien, pourrait-on sérieusement contester l'application de ces dispositions à des écoles d'adultes, se refusant d'exécuter l'une des conditions essentielles de la loi, pour me servir des expressions mêmes du législateur ? Prétendra-t-on que semblables écoles contrevenant à ces conditions essentielles pourraient continuer à jouir des subsides dont elles auraient été gratifiées en vertu de l'article 25 ?

A notre avis, ce serait mettre le législateur en contradiction avec lui-même et lui faire répudier les principes qu'il considérait comme fondamentaux de l'œuvre qu'il créait.

Dès lors on ne peut avec fondement contester l'application du paragraphe premier du même article 25 à la matière qui fait l'objet du débat.

L'article 26 veut que toutes les écoles subsidiées ne puissent contrevenir aux conditions essentielles de la loi de 1842.

Or, personne ne peut douter que 1'cnseignemcnt religieux obligatoire, soumis à l'inspection ecclésiastique, n'ait été considéré par le législateur de cette époque comme une condition substantielle.

L'exposé des motifs, les déclarations du gouvernement et l'ensemble des dispositions ne permettent pas le moindre doute à cet égard.

Les principes qui étaient alors dominants et qui étaient partagés par presque tous les membres des Chambres législatives, sauf quelques rares exceptions, démontrent à l'évidence la vérité de ce que j'avance.

Veut-on, du reste, se convaincre de plus en plus qu'il en est ainsi, voyons comment la loi de 1842 a été exécutée sous tous les ministères qui se sont succédé ; on sait, en effet, que l'exécution est l'interprétation la plus sûre des lois comme des contrats.

La circulaire du 9 avril 1843, œuvre du ministre qui a proposé la loi de 1S42, considère les écoles dont il s'agit comme établies par cette loi et faisant partie de l'enseignement primaire.

Une autre circulaire du 9 novembre 1844, émanée du même ministre, envisage aussi sous ce point de vue les écoles de manufactures.

Voilà une interprétation authentique qui jamais n'a rencontré de contradicteur.

A toutes les époques jusqu'à ce jour, les subsides accordés en vertu de l'article 25 ont été inscrits au budget du département de l'intérieur, au chapitre de l'enseignement primaire.

Donc l'exécution qui a suivi la loi de 1842 vient prêter un appui imposant à notre thèse.

Aussi telle est l'opinion de tous ceux qui ont concouru à la rédaction de la loi ; et quand je la vois partagée par l'un des hommes les plus éminents de l'opinion libérale, celui qui a pris une part si active à l'élaboration de l'œuvre de 1842, l'honorable M. Rogier, il m'est impossible de ne pas me rallier à une interprétation qui a en sa faveur le texte et l'esprit de la disposition.

Mais la loi du 1er juin 1850 a même admis l'enseignement religieux obligatoire en ce qui concerne l'instruction moyenne ; comment en serait-il autrement à l'égard d'un enseignement à un degré inférieur organisé à une époque où l'on admettait sans conteste que l'atmosphère des écoles de l'Etat devait être religieuse ?

Quant à moi, interprétant la loi de 1842 comme jurisconsulte, et abstraction faite de toute préoccupation de parti, je n'hésite pas à penser que l'honorable M. Vandenpeereboom était dans le vrai lorsqu'il a fait sanctionner par le pouvoir exécutif les dispositions de l'arrêté du 1er septembre 1866. Ces dispositions sont le corollaire nécessaire de la loi de 1842, telle qu'elle est sortie des Chambres législatives.

La discussion générale ne devant pas être restreinte à l'objet traité jusqu'aujourd'hui, je me permettrai, sur quelques points particuliers, de courtes observations sur lesquelles j'appelle l'attention bienveillante de M. le ministre de l'intérieur.

Je dois d'abord applaudir à la majoration du crédit demandé à l'effet de pourvoir aux mesures nécessitées par l'insuffisance du personnel des bureaux de l'administration provinciale de Namur. Depuis de longues années, on a signalé les causes qui justifient cette augmentation et dont la réalité ne peut être révoquée en doute. C'est donc une justice qui est rendue, sous ce rapport, à la province de Namur, et je ne puis que féliciter le ministre de la mesure qu'il a proposée

Ce que je recommande ensuite au gouvernement, c'est de répandre de plus en plus l'enseignement à tous les degrés et surtout l'enseignement primaire, branche importante des services publics, que l'honorable M. Vandenpeereboom a spécialement protégée. Je ne crains pas (page 963) d'affirmer que ce sera là l'éternel honneur de cet ancien ministre, qui avait souvent donné aux Chambres législatives la promesse qu'il serait demandé des subsides successifs, tant que tous les besoins ne seraient pas satisfaits.

Connaissant les aspirations libérales de l'honorable M. Pirmez, je suis persuadé que l'enseignement public sera l'objet de toute sa sollicitude.

J'ai vu avec plaisir le dépôt de la proposition de l'honorable M. Anspach, ayant pour objet de rendre le pourvoi en cassation applicable aux décisions des députations permanentes, rendues en matière d'impôts communaux. Il y aura, sous ce rapport, une lacune à combler. Toutefois, je pense qu'il faudrait énoncer une disposition imposant aux députations l'obligation de motiver leur décision à peine de nullité, non seulement en cette matière, mais aussi dans les cas prévus par les lois de 1849 et 1865. La loi de 1849, en ce qui concerne les pourvois en matière de milice, a édicté cette prescription qui est essentielle pour que la cour de cassation puisse apprécier la décision attaquée. Il faudrait aussi, à mon avis, étendre le recours en cassation à toutes les matières contentieuses qui sont de la compétence des députations.

Je prie également M. le ministre de vouloir examiner la question qui avait été soumise à son honorable prédécesseur et ayant pour objet la possibilité de rendre publiques les séances des députations eu matière électorale, de même que d'admettre des débats contradictoires.

C'est là une question qui tient à l'essence même de nos institutions et qui doit recevoir une solution.

Enfin, je dois faire remarquer que la ville de Gembloux, par suite de la suppression du haras de l'Etat, a vu sa prospérité notablement amoindrie. En 1865, on nous avait fait espérer que cette localité importante recevrait un légitime dédommagement. Cette espérance ne s'est pas réalisée. J'appellerai donc à cet égard l'attention de M, le ministre, le priant de faire en sorte qu'il soit accordé à Gembloux une juste compensation de ce qui lui a été enlevé, soit par la translation en cette commune d'un autre établissement de l'Etat, soit de toute autre manière.

M. Hagemansµ. - Messieurs, je voudrais, à mon tour, présenter quelques observations à propos de la loi du 23 septembre 1842. Seulement, comme il y a encore beaucoup d'orateurs inscrits et que le temps nous presse, je vous promets de ne pas abuser longtemps de votre bienveillance.

Je commence par déclarer que je trouve la loi de 1842 inconstitutionnelle : je partage à cet égard complètement l'avis de mes honorables collègues MM. Funck et Dethuin. Les honorables orateurs qui ont parlé dans un sens contraire n'ont pu me persuader, je l'avoue, que dans un Etat comme le nôtre qui possède dans sa Constitution des articles tels que les articles 14 et 15, on ait le droit d'imposer une forme de culte quelconque à n'importe qui ni comment.

Mais assez de bonnes choses ont été dites à cet égard, et je crois inutile de les répéter. Mieux que moi, si c'est nécessaire, d'autres orateurs pourront y revenir ; pour ma part, ce n'est pas ce côté brûlant de la question que je veux aborder. Je m'en tiendrai à quelques simples observations qui n'ont point un caractère aussi radical.

La protection et les encouragements accordés en Belgique à l'enseignement à tous les degrés constituent un des plus glorieux titres du gouvernement libéral à la reconnaissance du pays.

Le libéralisme s'est donné là une noble mission ; répandre la lumière, détruire les préjugés, initier chaque citoyen à ses droits et à ses devoirs, élever le niveau intellectuel des masses, par l'instruction stimuler l'amour et le besoin de la vérité et de la justice, ce but est grand et beau, et l'on ne peut faire assez de sacrifices pour l'atteindre.

Déjà de grands succès ont couronné les efforts du gouvernement. L'honorable M. Vandenpeereboom vous a dit les résultats qu'on avait obtenus ; la statistique à la mi n, il nous a prouvé tous les services que le ministère libéral avait rendus déjà à l'enseignement populaire.

Mais s'il a été beaucoup fait, il reste beaucoup à faire.

Je persiste à croire que l'enseignement obligatoire sera l'une des plus belles conquêtes de l'avenir, que cette conquête amènera avec elle la véritable émancipation intellectuelle, morale et politique des peuples ; je crois que l'interdiction du travail dans les fabriques et les usines pour les enfants avant un certain âge, est une nécessité indiscutable ; nuis en attendant que nous ayons tout cela, et il faudra sans doute encore du temps, avant surtout que nous ayons une révision complète de la loi de 1842, je voudrais proposer quelques mesures immédiatement faciles, et qui, bien que de peu d'importance à première vue, me semblent appelées à exercer une salutaire influence sur le résultat que nous cherchons à obtenir.

En examinant la loi du 23 septembre 1842, l'article 13, « des inspecteurs cantonaux », a attiré entre autres mon attention.

Dans la marche progressive de l'enseignement primaire, on a cherché, avec raison, à relever l'instituteur au double point de vue de la considération et du traitement : a-t-on complètement réussi ? Pas encore ! Mais quant à ce qui est de l'inspecteur cantonal, il faut bien le dire, il a été, lui, complètement négligé. Depuis près de 25 ans, il était resté stationnaire. C'est un tort, car la mission de l'inspecteur est des plus importantes ; le contrôle qu'il est appelé à exercer est cependant indispensable.

Jamais on n'a mieux apprécié qu'aujourd'hui le contrôle de l'Etat en général, son efficacité dans la conduite des affaires comme moyen préventif d'abord, coercitif ensuite. C'est ainsi que le public, ému des nombreux accidents des chemins de fer sur les lignes concédées, accidents dus à la négligence des employés peu ou point contrôlés, crie partout au contrôle ! Si ce contrôle est nécessaire à la sauvegarde de nos intérêts matériels, il ne l'est pas moins à coup sûr dans l'ordre plus élevé des intérêts intellectuels.

Or, on ne s'est pas suffisamment occupé, selon moi, de l'inspecteur cantonal chargé du contrôle de l'enseignement primaire. Négliger cet important fonctionnaire, c'est méconnaître les droits de la hiérarchie et porter une grave atteinte à la dignité de l'enseignement primaire, à la réalisation du but qu'on veut atteindre : celui de rehausser cet enseignement aux yeux des populations.

Sacrifiant le fond à la forme, dans le principe le titre d'inspecteur était considéré en quelque sorte comme honorifique, l'indemnité qui y est jointe étant fort minime, et l'on a fait choix de juges de paix, de médecins, de négociants, de fabricants, d'industriels. Je suis loin de nier le talent, les capacités de ces personnes ; mais ont-elles le talent, les capacités spéciales nécessaires ? Voilà ce dont je doute. Ont-elles tout le temps voulu pour pouvoir se consacrer entièrement à d'aussi importantes fonctions ? Voilà ce que je ne puis admettre.

Quels sont en effet les devoirs qui incombent à l'inspecteur cantonal ? L'article 13 nous le dit. « Il tient une note détaillée des résultats de chaque inspection, il les consigne dans un registre accessible, en tout temps, à l'inspecteur provincial. Il indique les méthodes employées dans chaque école et juge du degré de zèle et d'aptitude dont chacun des instituteurs fait preuve. Il les réunit dans des conférences qui ont pour objet tout ce qui peut concerner les progrès de l'enseignement primaire et spécialement l'examen des méthodes. »

Pour satisfaire à ces exigences, se maintenir à la hauteur de sa position et conserver le respect et le prestige y attachés, il faut des connaissances spéciales, des aptitudes particulières, une expérience acquise par une longue pratique de l'enseignement.

L'inspecteur cantonal a souvent à se mettre en rapport avec l'administration communale ; il est souvent appelé à aplanir de graves difficultés qui naissent entre les instituteurs et les administrations, à faire respecter les droits des uns, à stimuler, à entretenir les dispositions favorables des autres. Dans ces conflits, plus fréquents qu'on ne pense, il faut beaucoup de tact, de fermeté, de prudence.

Et ce n'est pas tout. Ce n'est point une simple routine qui apprend à l'inspecteur les devoirs de sa charge. Il doit se mettre au courant des nouvelles méthodes, les analyser, les discuter, les appliquer à l'enseignement qu'il préside, en référer à l'inspecteur provincial. C'est, vous le voyez, messieurs, un mandat des plus importants, qui exige zèle et sagesse, si vous voulez qu'il soit rempli d'une manière convenable, si vous voulez que celui qui en est revêtu inspire la confiance et l'estime à ses subordonnés, exerce sur eux une salutaire influence.

Aussi, n'est-ce pas au premier venu que l'on peut confier un mandat pareil, et se faut-il montrer sévère dans le choix. Pour cela, il faudrait commencer par allouer aux inspecteurs un traitement sur les fonds provinciaux et ceux de l'Etat ; l'Etat et la province auront ainsi le droit d'exiger un mérite réel des candidats, et de leur imposer l'obligation de se mettre et de se tenir à la hauteur du mandat qu'ils sollicitent.

Je demanderai, en outre, que la durée des fonctions ne soit plus limitée, l'exclusion du provisoire devant être la conséquence d'un choix fait dans les conditions précitées. Je ne réclame pas l'inamovibilité mais je voudrais au moins voir ces fonctionnaires jouir des mêmes avantages et des mêmes droits que les autres employés, je voudrais les voir surtout placés à l'abri des coups de partis.

(page 964) Il y avait 109 ressorts d'inspection : un arrêté royal du 20 juin 1854 a réduit ce nombre à 67 ; plus tard est venu un nouvel arrêté royal du 13 janvier 1859 qui a modifié la circonscription de ces ressorts. Ces modifications ont rendu les moyens d'action plus efficaces, les rapports des inspecteurs cantonaux avec l'inspecteur provincial plus réguliers et moins compliqués ; elles ont simplifié, en un mot, le rouage administratif par plus de centralisation. Mais tout n'est pas fait, me semble-t-il et il y aurait encore avantage à réduire ce chiffre en adoptant une division fixe par arrondissements. Je trouve, par exemple, des inspections comprenant deux arrondissements. C'est trop ou trop peu. C'est trop certainement pour celui qui n'est pas à la hauteur de sa position ; c'est trop peu pour qui la prend à cœur.

Qu'il me soit permis de dire un mot également au sujet des concours. L'article 29 a établi des concours primaires pour les établissements soumis au régime de la loi.

Evidemment dans ces concours se résument les efforts laborieux des instituteurs, couronnés par les progrès des élèves. Le but de cette institution n'échappe à personne : son importance, son influence sont réelles. Eh bien, j'ai le regret de le dire, ces concours qui sont obligatoires, dit la loi, vont en décadence. Je citerai pour exemple le canton de Chimay. En 1866, cinq écoles communales seulement sur dix-sept y ont pris part et à elles cinq elles n'ont présenté que 12 concurrents ! C'est profondément regrettable. Pour remédier à cet état de choses, que faut-il faire ? Stimuler davantage le zèle des inspecteurs d'abord, multiplier ensuite les moyens d'encouragement, les livres, les gratifications en argent, les mentions honorables en faveur des instituteurs qui se distinguent dans l'accomplissement de leurs devoirs. Si on ne fait pas cela, la prescription de la loi deviendra lettre morte.

Et à propos de ces concours, j'ai encore une observation à faire. On a souvent reproché au gouvernement de se montrer trop parcimonieux vis-à-vis des membres du jury chargé, aux termes de la loi, d'examiner les concurrents de l'enseignement primaire. Je l'avoue, je trouve le reproche fondé. Il n'est pas équitable, en effet, de mettre à contribution des hommes qu'on oblige à se déplacer et à s'occuper d'un travail pénible, consciencieux, qui dure pendant sept ou huit heures consécutives, et qui cependant n'est pas rétribué. Le bénéfice de l'honneur, terme de la commission, c'est fort bien, sans doute, mais quelque chose de plus positif ne gâterait rien à l'affaire.

Je proposerais donc d'allouer à chacun des membres du jury chargé de siéger dans les concours, une indemnité de 8 à 10 francs, et au secrétaire de ce jury une indemnité de 5 francs, ainsi que cela se pratique dans les concours de l'enseignement moyen ; ce ne serait que justice distributive.

Et puisque je parle rémunération, indemnité, qu'il me soit permis d'exprimer bien hautement un vœu : c'est que le gouvernement, c'est que le pays tout entier fassent de nouveaux efforts, de nouveaux sacrifices pour assurer aux instituteurs, à ces vaillants athlètes de l'enseignement, dont la noble tâche est rendue souvent si difficile, la position honorable et indépendante à laquelle ils ont droit et qui leur est indispensable dans l'exercice de leurs pénibles fonctions. Il faut que leur sort soit assuré d'une façon convenable ; il faut qu'ils puissent être tout entiers à leur tâche, sans, pour vivre, être obligés de recourir parfois à des moyens qui jettent sur eux le discrédit, leur ôtent toute indépendance et leur enlève même l'estime des populations. Il est mal, par une fausse économie, d'entraîner de malheureux instituteurs à un fatal découragement ou à une coupable insouciance.

Aussi n'épargnons ni notre zèle, ni notre argent pour venir en aide au dévouement de ces hommes dont les fonctions sont à la fois si modestes et si grandes, qui consacrent tout leur temps, toute leur intelligence à répandre l'instruction dans les masses, à saper l'ignorance dans sa base, à former des citoyens conscients de leurs droits et de leurs devoirs. Encourageons-les de tous nos efforts, mais en même temps soyons sévères, implacables même pour ceux qui ne comprennent pas la hauteur de leur mission, qui s'en rendent indignes par paresse ou incapacité.

Soyons exigeants, mais sachons récompenser.

Ayons des hommes capables, dignes de leur mandat, qui sachent déposer dans les jeunes cœurs qui leur sont confiés les premiers germes du patriotisme : ces germes fructifieront plus tard, au profit de notre nationalité.

Pour parvenir à ce but, je voudrais que l'étude de notre histoire devienne l'une des principales préoccupations de l'instituteur ; que par des récits brefs et piquants, pris dans cette histoire et mis à la portée des élèves dans un style simple et facile, il entretienne et développe ces sentiments de patriotisme. Aussi n'est-ce pas de l'histoire à la Père Loriquet que je voudrais, mais de l'histoire vraie, celle histoire qui relève les peuples, qui les montre sachant par leur caractère, leur bravoure, conquérir leur indépendance, leur liberté ; cette histoire qui flétrit les grands ambitieux, les oppresseurs de peuples, les retenant esclaves dans les chaînes du fanatisme et de l'ignorance.

Je voudrais aussi que notre géographie nationale soit bien enseignée à l'école primaire. Cela se fait partout, me direz-vous, messieurs. Point, et je pourrais citer des écoles communales où il n'existe pas même de cartes de la Belgique.

Et à ce sujet, il faut bien que je le dise, l'enseignement de l'histoire et de la géographie nationale est fort négligé, même dans nos collèges et nos athénées ; ces branches sont reléguées dans les cours fort secondaires, à cause du peu d'importance qu'on leur donne dans les examens. C'est ainsi que je constate avec regret l'élimination de ces branches de l'examen de gradué en lettres. Je voudrais voir donner aux études historiques plus de développement. Leur importance n'a point besoin d'être démontrée ici.

Si je ne craignais d'ailleurs de convertir cette séance parlementaire en séance pédagogique, j'aurais à faire d'autres observations sur l'invariable programme des études moyennes, sur la distribution du temps consacré à l'étude de la langue grecque particulièrement ; mais je ne voudrais pas entrer dans ces détails et abuser des moments de la Chambre.

Je me contenterai de résumer les divers points sur lesquels j'ai, en demandant la parole, eu dessein d'attirer l'attention du gouvernement. Je demande donc que l'on réorganise l'inspection des écoles primaires afin que son action soit plus efficace ; qu'on la rajeunisse par un élément choisi spécialement dans le corps enseignant ; que l'on rémunère convenablement les instituteurs dont la charge est si lourde et si mal payée ; que l'on indemnise les membres du jury des concours primaires ; que l'on fortifie les humanités en donnant une place honorable à l'enseignement de l'histoire et de la géographie, et j'ajouterai, que l'on initie les adultes à notre Constitution et à la loi communale dont l'ignorance est si nuisible aux intérêts généraux : mieux vaudrait cela que tant de catéchisme. Je demande enfin la révision du programme de l'enseignement moyen.

En appuyant de votre autorité les réformes que j'ai l'honneur de vous soumettre, messieurs, en leur donnant surtout une prompte exécution, vous aurez rendu de grands services à l'enseignement, qui est l'objet de vos sympathies et de vos efforts ; vous aurez rendu un service réel à la Belgique, à laquelle vous aurez préparé des citoyens dignes de ce nom.

M. Delcourµ. - Messieurs, je ne me fais pas illusion sur la cause de l'opposition que rencontre l'arrêté du 1er septembre 1866. Cette cause est éminemment politique.

Pourquoi critique-t-on l'arrêté de 1866 ? Pour deux motifs : En premier lieu, parce qu'on a introduit dans les écoles d'adultes l'enseignement de la religion ; en second lieu, parce qu'on a soumis ces écoles à l'inspection ecclésiastique.

C'est, sous une autre forme, une opposition nouvelle dirigée contre la loi de 1842.

Je viens, messieurs, défendre la loi de 1842 ; la Chambre voudra bien m'accorder un moment d'attention. Il n'y a pas de question qui touche plus à l'ordre social, que celle relative à l'organisation de l'enseignement primaire.

Oui, messieurs, l'enseignement primaire répond à un des premiers besoins de notre société moderne. La question est non seulement politique, elle est surtout sociale.

Messieurs, ce n'est pas sans surprise que j'ai entendu l'honorable M. Funck nous déclarer que la loi de. 1842 est une loi impolitique et dangereuse ; c'est avec beaucoup de surprise encore que j'ai entendu l'honorable M. Dethuin, affirmer que la loi de 1842 été une barrière à tout progrès, qu'elle a rendu la position de l'instituteur insoutenable, qu'elle a été nuisible à l'enseignement.

En entendant ces paroles, je me suis involontairement demandé si l'honorable M. Dethuin avait lu les rapports triennaux qui nous ont été distribués ; s'il avait lu les discours que les gouverneurs de nos différentes provinces ont prononcé à diverses époques, sur le développement de l'enseignement primaire. Je me suis surtout demandé s'il avait tenu compte des observations si (page 965) sages, si pleines de faits et d'intérêt, développée par l'honorable M. Vandenpeereboom dans son remarquable discours.

Lorsqu'un pays comme la Belgique dépense près de 12 millions pour l'instruction primaire, peut-on dire qu'elle est souffrante ? Peut-on sérieusement affirmer qu'elle n'est pas en progrès ?

Si je consulte la statistique du pays, je trouve que le nombre des élèves fréquentant aujourd'hui nos écoles primaires s'est considérablement accru. Les chiffres, messieurs, sont des arguments irrécusables.

Eh bien, la statistique m'apprend qu'en 1830, 203,000 élèves seulement fréquentaient nos écoles primaires ;

Qu'en 1851, le nombre des élèves était de 487,148 ;

Qu'en 1860 (la dernière année dont j'ai pu vérifier le chiffre officiel), le nombre des élèves était de 515,892. En présence de tels résultats, est-il encore permis de prétendre que la loi de 1842 a arrêté le progrès ?

Avant d'aborder le fond du débat, permettez-moi, messieurs, d'arrêter un instant votre attention sur quelques points particuliers.

L'honorable M. Funck réclame comme un progrès l'enseignement obligatoire. Si j'ai bien compris tout à l'heure l'honorable M. Hagemans, il a considéré aussi l'enseignement obligatoire comme un moyen de développer l’enseignement populaire. Alors seulement, la loi produira tous ses résultats. Je commence par remercier l'honorable ministre de l’intérieur des excellentes paroles qu'il a prononcées à ce sujet.

Je vais plus loin et je proteste contre le principe de l'enseignement obligatoire. Ce principe est contraire à nos mœurs, contraire à nos traditions nationales, contraire enfin aux droits des citoyens de nos sociétés libres et constitutionnelles. Je ne veux pas répandre la civilisation et la lumière par voie de gendarmerie.

L'honorable M. Dethuin a adressé aux règlements des écoles normales dirigées par le clergé, un autre reproche. Il les a critiqués parce qu'ifs font une distinction, quant à l'admission des élèves, entre les enfants légitimes et les enfants illégitimes.

L'honorable membre a-t-il réfléchi qu'en attaquant cette distinction, il attaque non seulement l'ordre moral, mais la famille dans ce qu'elle a de plus intime, de plus cher et de plus respectable ?

A-t-il réfléchi que sa critique frappe du même coup l'ordre social qui nous régit ?

Lorsque la loi civile repousse l'enfant naturel de la famille, lorsqu'elle lui refuse le titre d'héritier, qui oserait prétendre que le législateur a cédé à un misérable préjugé ?

J'affirme, moi, qu'en honorant la famille, on a honoré ce qu'il y a de plus saint et de plus respectable.

Ne critiquez pas les évêques d'avoir pris une telle mesure. Ils ont voulu deux choses : relever le corps des instituteurs et rendre hommage à un sentiment de moralité générale.

L'honorable M. Dethuin est donc allé trop loin. N'exagérez pas ma pensée, je vous prie ; je ne prétends pas qu'il faille écarter toujours et dans tous les cas l'enfant illégitime des fonctions d'instituteur ; ce serait une rigueur déplacée. Mais, comme principe, comme disposition générale, j'applaudis à toute mesure qui sauvegarde l'honneur des familles.

M. le ministre de l'intérieur vous a dit, messieurs, qu'il y a deux systèmes d'organisation de l'enseignement primaire : l'un, admis en Hollande, et qui repose sur la séparation de l’enseignement religieux et de l'instruction proprement dite.

L'autre est consacré par la loi de 1842 et par la plupart des législations de l'Europe ; il repose sur le principe que la morale et la religion sont la base de l'instruction primaire ; l'atmosphère de l’école doit être religieuse.

Entre ces deux systèmes, mon choix et fait. Je ne dirai pas, avec M. le ministre de l'intérieur, qu'en Hollande, j'approuverais le système de la séparation ; qu'en Belgique, je souscrirai au système de l'union. A mes yeux, le système de l'union est le seul acceptable en Belgique.

Revenons un instant à la loi hollandaise. L'honorable M. de Haerne a fait remarquer à M. le ministre de l'intérieur qu'une opposition considérable s'élève actuellement dans ce pays contre la législation en vigueur. Rien n'est plus vrai, et la Chambre voudra bien me permettre de lui donner quelques renseignements sur ce point. La question en vaut la peine.

L'enseignement religieux donné dans les écoles primaires de la Hollande était un enseignement protestant ; l'école devenait un foyer de propagande ; elle faisait perdre la foi aux populations catholiques. Les catholiques se trouvaient places dans cette alternative ou d'exposer les enfants à perdre la foi, ou d'accepter le principe de la séparation. Entre deux maux ils ont fait ce que nous faisons tous ; ils ont choisi celui qui présentait le moins de danger pour leurs enfants.

Telle est la vérité vraie, si les catholiques néerlandais ont adhéré à la loi qui régit actuellement leur pays, ils l'ont fait par intérêt et pour éviter un plus grand mal.

Je viens de vous rappeler, messieurs, que cette législation rencontre une vive opposition, opposition commune aujourd'hui aux catholiques, aux protestants et aux juifs.

Ceux d'entre vous qui ont visité la Hollande ont pu s'en assurer. Les plaintes sont arrivées jusqu'au gouvernement ; on dit généralement dans le pays que M. le ministre de l'intérieur actuel est disposé à faire droit aux vœux des populations.

J'ai été en rapport avec des personnes appartenant à toutes les communions hollandaises, avec des protestants qui n'avaient aucun intérêt à déguiser la vérité. Tous unanimement réclament un changement à la législation qu'ils considèrent comme contraire aux véritables intérêts du pays.

Veuillez remarquer qu'en Hollande, l'enseignement religieux n'est pas supprimé dans l'école. Seulement, il n'y a pas d'enseignement dogmatique propre à des communautés particulières. Mais, comme la base de toute communion est l'histoire biblique, on expose la bible et l'on y joint toutes les maximes de morale qui s'y rapportent.

Voici des renseignements qui me sont fournis par un des hommes les plus compétents appartenant à l’enseignement du pays :

« L'esprit de moralité et de religion est sans cesse excité, nourri, entretenu par tous les maîtres dans toutes les occasions. On reçoit dans les écoles des catholiques, des protestants, des juifs, mais ces derniers assistent seulement aux leçons sur l'Ancien Testament. Ce système au fond, en tenant compte des circonstances locales, se rapproche beaucoup plus de votre loi de 1842 que de ce qu'on veut y substituer. »

Telle est, messieurs, l'appréciation du système qui existe en Hollande, par un homme des plus compétents.

Voyons maintenant quel est le système que préconisent, chez nous, les adversaires de la loi de 1842.

Il a été défini, messieurs, par l'honorable M. Funck et par l'honorable M. Dethuin.

Pour eux l'école modèle, c'est l'école où l'enseignement religieux n'existe pas.

Bannissez, disent-ils, de l’école l'enseignement de la religion et vous aurez des écoles primaires qui formeront de bons citoyens, des hommes instruits, et dévoués au pays et à ses institutions.

Tel est le sens des paroles de l'honorable M. Dethuin. On admet l’enseignement d'une morale vague et indéfinie ne reposant sur aucun dogme, sur aucune religion positive. Voilà son vœu.

L’honorable M, Frère, homme d'Etat, n'est pas allé aussi loin.

Il veut bien la séparation de l'enseignement religieux et de l'instruction, proprement dite, mais sans entendre amoindrir l'enseignement religieux.

Je me disais, messieurs, en entendant toutes ces choses : Etranges écoles que ces écoles de libres penseurs qui admettent tomes les libertés excepté celle de croire !

Eh bien, moi je demande aux libres penseurs de respecter les libres croyances, je leur demande de ne pas porter une atteinte à nos institutions constitutionnelles.

La justice constitutionnelle exige que l'enseignement religieux réponde aux cultes.

La liberté garantie au culte ne serait plus qu'un leurre, si l'Etat devait faire de l'enseignement public à tous les degrés une arène d'hostilité aux croyances des citoyens.

Qu'on ne s'y trompe pas, la Belgique aime l'instruction. Nous la foulons tous, et, comme j'ai eu occasion de le dire dans certaines circonstances, toutes les fois qu'il s'agira de développer l'enseignement primaire dans les conditions de la loi de 1842, vous pouvez compter sur mon concours complet, loyal et sans arrière-pensée. En voici la raison. Pour moi, la loi de 1842 est une loi éminemment sociale ; je la place au-dessus des luttes de partis. Non, je ne refuserai pas à un ministère qui n'aurait pas mes sympathies politiques, les fonds qui lui seraient nécessaires pour développer l'enseignement du peuple, dans les conditions de la loi de 1842 ; mais je ne tiens pas moins, messieurs, à ce que la Belgique conserve ses traditions religieuses et nationales.

A toutes les. époques, la. Belgique a été catholique ; c'est sa physionomie (page 966) particulière ; gardez-la, car elle a été sa force dans le passé et elle le sera encore dans l'avenir.

Que serait-ce donc, messieurs, qu'une morale sans dogme ?

« Une morale sans culte, a dit Portalis, c'est une justice sans tribunaux. »

« Pour que l'instruction populaire soit vraiment bonne et vraiment utile, dit M. Guizot (Mémoires, t. III), il faut qu'elle soit profondément religieuse.

« Dans les écoles primaires, l'influence religieuse doit être habituellement présente. Si le prêtre se méfie et s'isole de l'instituteur, si l'instituteur se regarde comme le rival indépendant, non comme l'auxiliaire infidèle du prêtre, la valeur morale de l'école est perdue, et elle est près de devenir un danger. »

L'opinion de cet homme d'Etat, de ce penseur profond mérite d'être sérieusement méditée. Elle est le résultat de longues études, d'une grande expérience et d'une connaissance approfondie des besoins des peuples et de la civilisation.

A mon tour, j'ai cherché à compléter cette étude. J'ai consulté la législation des principaux peuples de l'Europe. C'est le résultat de ces recherches que j'aurai l'honneur d'exposer à la Chambre.

Je m'occuperai d'abord de l'Angleterre. Jouissant de la liberté constitutionnelle depuis plusieurs siècles, elle a été mise à même, plus qu'aucun autre peuple, de donner au monde des enseignements utiles à consulter.

C'est par le caractère de l'enseignement religieux en Angleterre, dit M. Rendu, dans son beau livre sur l'instruction primaire à Londres, qu'on peut juger la force de l'autorité traditionnelle dans l'éducation. Où que vous alliez à Eton ou dans l'école de miss Cutts à King's college ou dans l'institut de Norwood, partout la religion apparaît comme point de départ et comme but.

L'éducation publique en Angleterre, disait lord Derby, a toujours été considérée comme inséparable de la religion.

La religion, disait sir Robert Peel, doit former la base invariable de toute éducation ; l'instruction religieuse doit être dogmatique et non générale.

M. Vleminckxµ. - Quelle religion ?

M. Delcourµ. - Permettez-moi de continuer et vous verrez.

La religion, a dit lord Russell en 1837, doit être combinée avec toute la matière de l'instruction. Dans les débats de 1856, il a déclaré qu'il ne pensait pas qu'un système d'éducation sécularisée eût des chances de succès en Angleterre.

En Angleterre, il n'y a pas d'enseignement de l'Etat fondé par lui et dirigé par lui. Les universités, les écoles moyennes et les écoles primaires y sont fondées et dirigées par les cultes, par les paroisses et par les particuliers. L'Etat accorde des subsides, encourage et favorise ; mais son action se borne à faire admettre librement la surveillance de ses inspecteurs, qui ne peuvent avoir d'influence sur la partie religieuse de l'enseignement.

Trois grandes sociétés principales dirigent l'enseignement public en Angleterre. La Société nationale, créée par l'Eglise établie et exclusivement destinée au culte anglican ; la Société britannique et étrangère fondée par les sectes protestantes séparées de la haute Eglise ; le Comité des écoles catholiques pour l'enseignement catholique. Le gouvernement n'accorde de subsides qu'à ces trois sociétés et à celles qui s'y rattachent ; les inspecteurs chargés de surveiller l'emploi des subsides appartiennent presque tous au clergé des différents cultes, et leur nomination doit être concertée avec les représentants des communions religieuses, comme leur révocation peut être exigée par ceux-ci.

Le système d'éducation primaire mixte est entièrement inconnu en Angleterre. L'indifférence religieuse dans l'enseignement n'existe nulle part. Le sentiment religieux est trop enraciné, et même les préjugés de sectes y sont trop vifs et trop prononcés pour rendre possible un système d'éducation mixte et sécularisé.

Je passe maintenant à la France.

Nous allons y retrouver les mêmes pensées, les mêmes principes.

Ici encore, je suis obligé de faire quelques citations. La Chambre me le pardonnera, et elle écoutera, j'espère, avec un bienveillant intérêt les paroles suivantes de M. Cousin.

Dans une lettre adressée à M. de Montalivet, ministre de France, M. Cousin s'est exprimé en ces termes :

« Il est absurde, a dit M. Cousin, dans un pays où les croyances chrétiennes vivent encore dans tant de familles, de décrier auprès de ces familles l'instruction populaire, en lui ôtant toute garantie religieuse.

« Vous êtes trop éclairés, trop homme d'Etat, monsieur le ministre, écrivait le même M. Cousin à M. de Montalivet, pour penser qu'il puisse y avoir de vraie instruction sans morale, de morale sans religion, et de religion sans un culte. Le christianisme doit être la base de l'instruction du peuple ; il ne faut pas craindre du professer hautement cette maxime ; elle est aussi politique qu'elle est honnête.

« La religion, c'est toujours M. Cousin qui parle, est, à mes yeux, la base la meilleure, et peut-être la base unique de l'instruction populaire. Je connais un peu l'Europe, et nulle part je n'ai vu de bonnes écoles du peuple où manquait la charité chrétienne. En France, à quelques exceptions près, nos meilleures écoles pour les pauvres sont celles des Frères de la Doctrine Chrétienne... Il est des choses dans les sociétés humaines, pour lesquelles il faut de la vertu, c'est-à-dire, quand il s'agit du grand nombre, de la religion. Plus je pense à tout cela, monsieur le ministre, plus je regarde ici (en Prusse) les écoles, plus je cause avec les directeurs des écoles normales et les conseillers du ministère, plus je me persuade qu'il faut à tout prix nous entendre avec le clergé pour l'instruction du peuple. »

Voilà, sans doute, un grand hommage rendu à l'influence de l'enseignement de la religion. Je continue :

La loi française du 15 mars 1850 place en tête de l'enseignement primaire, la morale et la religion.

Le ministre s'exprime comma suit dans l'exposé des motifs.

« L'instruction est demeurée trop isolée de l'éducation : l'éducation est demeurée trop isolée de 1a religion.

« Prétendre, a dit un des rapporteurs de la commission (M. Michel), plier un enfant au joug de la discipline et de l'obéissance, créer en lui un principe d'énergie qui le fasse résister à ses passions, accepter volontairement la loi du travail et du devoir, contracter les habitudes de l'ordre et de la régularité, et ne pas demander cette force à la religion, c'est demander une œuvre impossible. Ces paroles, qui ont ému et guidé la commission, doivent être répétées devant l'assemblée nationale.

« Le temps n'est plus, grâce à Dieu, où l'on faisait à la religion l'insulte de croire que, complice de l'ignorance, elle servait d'instrument docile à tous les gouvernements. Nous voulons que la religion ne soit imposée à personne, mais enseignée à tous. Les amis de l'ordre et les amis de la liberté l'invoquent également ; assignons-lui donc franchement sa place ; sachons dire qu'en elle aussi nous cherchons le secret de la liberté, de l'égalité et de la fraternité véritablement pratiques.

« Mais pour que la religion communique à l'éducation sa puissance, il faut que tout y concoure à la fois, et l'enseignement et les maîtres. C'est le but que nous avons tâché d'atteindre autant qu'on peut le faire par des mesures législatives, en confiant au curé et au pasteur la surveillance morale de l'école primaire. »

Un mot encore sur la législation de la Prusse.

Le gouvernement prussien vient de soumettre à la chambre des seigneurs un projet de loi sur l'instruction primaire destiné à remplacer par un ensemble homogène les différentes lois rendues à ce sujet à diverses époques, tout en conservant la disposition principale.

L’article premier de ce projet établit que chaque enfant doit recevoir une instruction régulière sur la religion et sur les connaissances nécessaires à la vie civile.

L'article 2, qui énumère les objets de l'enseignement primaire, porte : 1° L'instruction religieuse, y compris l'histoire de la Bible.

L'instruction religieuse occupe dans le programme une large place.

L'article 6 assure le caractère confessionnel des écoles existantes. Les écoles sont évangéliques, ou catholiques, ou même juives.

Les enfants appartenant à une confession autre que la majorité des élèves sont dispensés de suivre l'enseignement religieux, là où il n'y a pas d'école propre à leur confession.

Ainsi, en Prusse, on a compris, comme en Angleterre, comme en France, que l’enseignement religieux doit être la base du programme des matières enseignées dans l'école primaire.

Voilà ce que font les gouvernements les plus considérables de l'Europe. Et, en Belgique, on songe à réviser la loi de 1842, qui repose sur le même principe ! Qu'on ne s'y trompe pas, le pays ne consentira jamais à renoncer à la loi de 1842, dont il a pu juger les heureux résultats.

Mais, dit-on, la religion et la morale sont enseignées dans les écoles primaires depuis 1842 : a-t-on eu beaucoup à se louer de cet enseignement ?

Les résultats, messieurs, sont sous les yeux de tout le monde. L'instruction est beaucoup plus répandue ; les écoles sont fréquentées par un plus grand nombre d'élèves ; elles inspirent la confiance des familles ; (page 967) les instituteurs sont, en général, des hommes religieux, dévoués a leur devoirs et instruits. Sans doute, tout n'est pas parfait ; il reste beaucoup à faire. L'honorable M. Nothomb avait compris, en 1842 déjà, que ce n'est pas trop de convier à cette œuvre toutes les influences, tous les dévouements : instituteurs publics, instituteurs privés, il y a place pour tous dans le vaste champ de l'enseignement primaire. Le succès est dans cet appel impartial et universel.

Cette parole de l'honorable M. Nothomb a été écoutée ; elle a été écoutée surtout par les catholiques. Nous concourons à l'enseignement dans les écoles primaires communales, et nous y concourons avec bonheur. Mais nous ne nous arrêtons pas là. Nous sacrifions nos hommes et notre argent pour développer l'enseignement primaire et religieux.

Je vous citerai un seul exemple. J'ai sous la main un tableau des plus remarquables qui vous permettra de rendre justice à nos efforts.

Il n'y a pas de ville dans le royaume où l'on dépense autant d'argent pour l'enseignement primaire qu’à Bruxelles. II faut rendre cette justice à l'administration communale de la capitale qu'elle fait les plus grands sacrifices dans l'intérêt de l’enseignement primaire. Eh bien, que voyons nous ? Pensez-vous qu'au moyen de ces sacrifices, elle satisfasse aux besoin de la population ? Non, messieurs ; les catholiques ont, à Bruxelles, 49 écoles gratuites, dirigées par des associations religieuses, ne coûtant pas un centime à l'Etat ni à la commune, et fréquentées par 9,847 élèves.

Les faubourgs de Bruxelles comptent 37 écoles gratuites, dirigées également par des associations religieuses et fréquentées par 6,048 élèves.

Ainsi, pour Bruxelles et pour la banlieue, on arrive au chiffre considérable de 13,895 élèves.

Ce résultat de la liberté d'enseignement, de la charité catholique est beau sans doute. Je suis heureux de le produire dans cette enceinte.

Ah ! si les catholiques belges rencontraient partout un bienveillant concours, s'ils n'étaient pas gênés dans la fondation de leurs écoles, si la loi de 1842 n'avait pas été interprétée, dans maintes circonstances, dans un esprit peu bienveillant pour les associations religieuses, les résultats sciaient plus considérables encore.

J'ai voulu que le tableau fût complet... (Interruption.)

Je vous prie de ne pas m'interrompre.

Je répondrai à chacun de vous en particulier, après que j'aurai fait connaître les chiffres du tableau.

Le tableau est divisé par écoles ; chacun pourra le contrôler dans chaque paroisse. Il renferme le nombre des élèves reçus dans les diverses écoles : écoles primaires, écoles d'adultes, écoles dominicales.

(Suit un tableau intitulé : Tableau des écoles gratuites dirigées par le clergé, par sa coopération ou par des congrégations religieuses, année scolaire 1866-1867, à Bruxelles et dans ses faubourgs. Ce tableau, inséré aux pages 967 et 968, n’est pas repris dans la présente version numérisée.)

(page 968) Ce tableau présente le bilan de nos écoles catholiques dans la capitale. Afin de ne pas prolonger ce discours, je prie la Chambre de me permettre d'insérer ce tableau aux Annales parlementaires. Chacun pourra l'examiner à son aise.

Dans une autre circonstance, l'honorable ministre des finances, faisant un appel à l'union, disait : « Marchons ensemble la main dans la main ». A. mon tour, je dirai aux adversaires de la loi de 1842 : Unissons-nous pour pour développer un enseignement primaire, basé sur la morale et la religion. Encouragez nos sacrifices, secondez le clergé et les associations religieuses dont le dévouement est si bien apprécié partout. Ce sont les grands principes de foi et de morale qu'il faut, avant tout, faire naître et entretenir dans nos jeunes générations. C'est de ce côté-là que je vous engage tous à tourner vos efforts.

Maintenant, messieurs, j'arrive à la question spéciale qui fait l'objet de ce débat. Je n'avais pas l'intention d'entrer dans tous les détails que je viens d'exposer à la Chambre ; je ne m'y suis décidé qu'après avoir entendu les honorables membres qui ont pris la parole avant moi. Lorsque j'ai vu la loi de 1842 critiquée avec autant de vivacité, il m'a semblé qu'une voix devait s'élever de nos bancs pour la défendre et pour protester.

L'arrêté du 1er septembre 1866 sur les écoles d'adultes a eu de graves conséquences ; il est devenu une des causes de la dernière crise ministérielle. On en a contesté la légalité ; on a prétendu qu'il consacrait, surtout dans ses dispositions relatives à l’enseignement de la morale et de la religion, une extension de la loi de 1842. C'est ce point que je me propose d'examiner.

Déjà l'honorable M. Vandenpeereboom a exposé, avec la plus grande franchise, les motifs qui l'avaient porté à proposer à la signature du Roi (page 969) l'arrêté du 1er septembre, les motifs qui l'avaient déterminé à placer les écoles d'adultes sous le régime de la loi de 1842. Son remarquable discours est encore présent à votre mémoire.

L'honorable ministre de l'intérieur a vu, dans l'arrêté organique des écoles d'adultes, une extension de la loi de 1842, et, se plaçant à ce point de vue, il a soutenu que les écoles d'adultes ne sont point de droit soumises au programme établi par l'article 6 de la loi de 1842, pour les écoles communales.

A mes yeux, ces critiques ne sont pas fondées. L'arrêté du 1er septembre est constitutionnel ; les écoles d'adultes appartiennent aux établissements d’instruction primaire, organisées surtout comme elles le sont par l'arrêté du 1er septembre.

L'honorable ministre de l'intérieur a apporté beaucoup de preuves en faveur de son opinion. Mais je demande si toutes ces preuves sont bien concluantes.

M. le ministre nous a parlé de la longue instruction à laquelle l'arrêté du 12 septembre a été soumis ; il nous a entretenus de la correspondance de MM. les gouverneurs, des avis de ces hauts fonctionnaires ; des programmes qu'ils ont proposés. Tout cela me paraît un peu étranger au débat.

Dès que le gouvernement pensait à organiser les écoles d'adultes par un règlement d'administration générale, il devait s'éclairer, s'entourer de renseignements précis sur les besoins des diverses provinces ; la marche de l'instruction était tracée par le but même que l'on se proposait. Il faut donc revenir à l'arrêté du 1er septembre 1866, c'est ce que je me propose de faire. En plaçant les écoles d'adultes sous l’empire de la loi de 1842, l'honorable M. Vandenpeereboom a-t-il outrepassé ses pouvoirs ? Là est la question.

Je ne crois pas non plus devoir m'arrêter aux nombreux précédents administratifs qui ont été invoqués. Il est manifeste que tous les ministres qui se sont succédé au département de l'intérieur, quelle que fût l'opinion politique à laquelle ils appartenaient, ont interprété la loi de 1842 comme l'honorable M. Vandenpeereboom. L'honorable comte de Theux et l'honorable. M. Rogier expliqueront leur pensée à cet égard beaucoup mieux que je ne pourrais le faire.

Lorsque j'ai lu, dans la presse, les premières critiques de l'arrêté du 1er septembre, j'ai cherché, en dehors de toute préoccupation politique, à m'en rendre compte ; je déclare sincèrement que l'arrêté organique des écoles d'adultes m'a constamment paru irréprochable en droit. Il est conforme, sous tous les rapports, à la loi de 1842, dont il a fait une large et saine application.

Voici mes preuves.

Je ne pense pas qu'on puisse contester la compétence du gouvernement. >.

Aux termes de l'article 67 de la Constitution, le roi fait les règlements et arrêtés nécessaires pour l'exécution des lois, sans pouvoir jamais ni suspendre les lois elles-mêmes, ni dispenser de leur exécution. Les écoles d'adultes sont comprises dans la loi de 1842 ; elles sont appelées à prendre part dans les subsides affectés de l'instruction primaire. En les organisant par une mesure d'administration générale, le gouvernement assurait l'exécution de la loi. Sa compétence est donc à l'abri de tout doute.

Je me demande, alors, quel est le système de la loi de 1842.

Il n'y a qu'un instant, que l'honorable M. Lelièvre l'a exposé en termes clairs et précis ; il a démontré qu'en droit, l'arrêté du 1er septembre est la conséquence nécessaire de la loi de 1842. En s'appuyant sur les textes mêmes de la loi, il a établi que, dans la pensée du législateur de 1842, les écoles d'adultes appartiennent aux établissements d'instruction primaire. Cette démonstration a été complète ; je ne m'y arrêterai plus, dans la crainte de fatiguer la Chambre. Un mot seulement sur la partie générale.

Il suffit de jeter les yeux sur la loi de 1842 pour en comprendre le système.

La loi est divisée en plusieurs titres. Le titre premier renferme les dispositions générales. Il y aura dans chaque commune du royaume au moins une école primaire. La commune peut être autorisée à adopter une ou plusieurs écoles privées réunissant les conditions légales pour tenir lieu de l'école communale. Lorsque dans une localité, il est suffisamment pourvu aux besoins de l'enseignement primaire par les écoles privées, la commune peut être dispensée d'établir elle-même une école.

Le titre Ier règle également le programme obligatoire de l'instruction primaire, les principes généraux applicables à l'inspection ecclésiastique ; en un mot, toutes les parties essentielles de l'école primaire.

Le titre II est relatif h l'inspection et à la surveillance des écoles. Nous y rencontrons l'article 23, invoqué par M. le ministre de l'intérieur, dont un des paragraphes est conçu en ces termes : « Chaque inspection s'étend sur les écoles communales et sur celles qui en tiennent lieu, en vertu de l'article 3 de la présente loi. »

Le titre III traite des subsides à accorder à l'enseignement primaire.

C'était là que la loi devait parler de tous les établissements d'enseignement que peut comprendre l'instruction primaire. C'est ce qu'elle a fait.

Voici les termes de l'article 23 :

« Une partie du subside voté annuellement par la législature pour l'instruction primaire aura pour destination spéciale :

1° D'encourager l'établissement des salles d'asile, etc.

2° De favoriser les écoles du soir et du dimanche pour les adultes ;

3° De propager les écoles connues sous le nom d'ateliers de charité et d'apprentissage.

La loi est claire, elle comprend les écoles d'adultes au nombre des établissements d'instruction primaire.

Le principe posé, la législature complète son système par l'article 26 :

« Aucune école ne pourra obtenir ou conserver un susbide, ou une allocation quiconque de la commune, de la province ou de l'Etat, si l'autorité qui la dirige ne consent à la soumettre au régime d'inspection établi par la présente loi. »

Ainsi, toutes les écoles subsidiées, quelles qu'elles soient, sont soumises au régime de l'inspection.

Or, le régime-dc l'inspection dont il s'agit dans l'article 26 n'est autre que celui organisé par le titre premier et le titre 2 de la loi, c'est-à-dire, l'inspection civile et l'inspection ecclésiastique. Il n'est pas question d'une inspection spéciale, comme l'a insinué l'honorable ministre de l'intérieur.

Voici l'objection capitale du ministre : Il y a, dit-il, deux catégories d'écoles : les écoles obligatoires et les écoles facultatives.

Le programme des matières qui font l'objet de l'instruction primaire dans les écoles obligatoires est réglé par l'article 6 de la loi. La loi garde le silence, au contraire, sur le programme des études des écoles facultatives, je pense, messieurs, que je rencontre toute l'objection.

Pour appuyer cette distinction, M. le ministre invoque l'article 13 de la loi. L'inspection, selon cette disposition, s'étend sur les écoles communales et celles qui en tiennent lieu, en vertu de l'article 3. Elle ne s'étend par conséquent, que sur les écoles obligatoires et nullement sur les écoles facultatives. Et, par ce raisonnement, le texte de la loi justifierait la distinction faite par l'honorable ministre.

Je ne sais pas, messieurs, si je me fais illusion, mais je trouve un vice capital dans ce raisonnement. M. le ministre ne prend pas la loi dans son ensemble ; il interprète une disposition sans tenir compte des autres articles de la loi, et surtout sans tenir compte de son esprit.

Il y a deux choses dans la loi de 1842. En premier lieu, l'école communale obligatoire. Il est clair que celle école est soumise au programme établi par l'article 6 de la loi et à la double inspection. L'article 13 le dit, il ne va pas au delà.

Mais je vous prie de remarquer que l'article 13 ne touche en rien au point qui fait l'objet de cette discussion. Nous ne parlons ici que des écoles d'adultes, c'est-à-dire d'une école facultative.

C'est dans le titre III, et spécialement dans les articles 25 et 26, que la loi s'occupe de ces écoles. Voilà où il faut chercher le principe.

Eh bien, que dit l'article 25 ?

Il règle l'emploi du subside voté annuellement pour l'instruction primaire et détermine sa destination spéciale, et cette destination doit être, entre autres, de favoriser les écoles du soir et du dimanche pour les adultes.

Immédiatement après, l'article 26 ajoute qu'aucune école ne pourra conserver ou obtenir un subside si l'autorité qui la dirige ne consent à se soumettre au régime d'inspection établi par la loi.

En vérité je ne comprends pas qu'une loi puisse être plus claire.

Les écoles d'adultes, telles qu'elles sont organisées par l'arrêté du 1er septembre, sont des établissements d'instruction primaire ; à ce titre, elles sont soumises au programme de l'article 6 de la loi et à l'inspection civile et ecclésiastique.

En défendant cette interprétation de la loi de 1842, nous conservons à chaque disposition son caractère et sa portée.

Toutes écoles subsidiées en vertu de l'article 25, tombent sous le régime d'inspection.

(page 970) Je ne puis trop insister sur ce point, qui est capital.

MiPµ. - Vous renversez la question.

M. Delcourµ. - C'est la loi qui la renverse, et permettez-moi de vous dire que votre argumentation renverse la loi. Tels sont les textes de la loi.

Il nous reste à rechercher si notre interprétation se concilie avec les discussions, avec l'esprit de la loi. Ici ma tâche devient plus facile.

L'honorable M. Vandenpeereboom a fait remarquer avec raison que la discussion démontre que le législateur a voulu soumettre au régime de l'inspection toutes les écoles mentionnées dans l'article 25.

En effet, que voulait-on en 1842 ?

La gauche demandait, par l'organe de l'honorable M. Rogier, que tous les établissements d'instruction même privés, mais subventionnés, fussent soumis à l'inspection civile ; elle voulait surtout que l'Etat, qui accorde des subsides, eût le droit d'en surveiller l'emploi, dans les nombreux établissements dirigés à cette époque par le clergé et d'où l'autorité civile avait été jusque-là exclue.

D'autre part, la droite désirait que l'enseignement de la morale et de la religion fut donné dans toutes les écoles subsidiées et mentionnées dans la loi de 1842.

L'article 26 de la loi a fait droit aux demandes des deux opinions.

Telles sont, à peu près, les paroles de l'honorable M. Vandenpeereboom.

En présence de tous ces faits, est-il encore possible de douter de la légalité de l'arrêté du 1er septembre ? Non, messieurs, je le dis avec conviction, sa constitutionnalité ne peut être sérieusement contestée.

Je vais plus loin et j'ajoute que l'arrêté du 1er septembre, en plaçant les écoles d'adultes sous le régime de l'article 6 de la loi de 1842, a rendu hommage au principe sur lequel repose l'enseignement primaire en Belgique.

En 1842, tout le monde était unanime pour reconnaître que la religion doit en être la base. Aujourd'hui, en appliquant le même principe aux écoles d'adultes, qui ne sont, après tout, qu'une branche de l'enseignement primaire, l'honorable M. Vandenpeereboom est resté fidèle à la loi ; en la conservant dans toute sa plénitude, il a rendu un véritable service au pays.

Avant de finir, je désire toucher un autre point qui se rattache à l'arrêté du 1er septembre. Il est des plus délicats ; j'en parlerai avec la plus grande réserve.

L'honorable ministre des finances a parlé d'un refus qu'aurait fait le clergé de concourir à l'exécution du règlement. J'attendrai les explications de l'honorable M. Frère.

Cependant, messieurs, une chose m'étonne ; c'est que l'appréciation de M. le ministre des finances diffère essentiellement de celle de l'honorable M. Vandenpeereboom.

L'honorable M. Vandenpeereboom n'a pas dit que le clergé avait refusé son concours ; il a dit, au contraire, qu'il avait la conviction qu'il n'aurait pas tardé à aplanir les difficultés.

Les deux déclarations ne s'accordent pas. Le ministre qui était spécialement chargé de négocier avec les évêques affirme que, dans sa conviction, les difficultés s'aplaniront. Il connaissait, lui, les pourparlers qu'il avait eus avec le délégué de Son Eminence le cardinal de Malines. Quant à moi, messieurs, je n'hésite pas à dire qu'entre ces deux déclarations, je donne la préférence à celle du ministre qui, par sa position spéciale, a dû le mieux connaître l'état des choses.

Nous nous trouvons donc en présence de deux déclarations opposées, et des explications me paraissent nécessaires. (Interruption.)

L'honorable ministre de la justice m'interrompt et dit qu'il n'y a aucune opposition entre les deux déclarations.

En vérité, je ne comprends pas l'interruption, ni comment l'honorable ministre peut le prétendre. Rappelez-vous, messieurs, les paroles de l'honorable ministre des finances lors des explications sur la crise ministérielle

Il a parlé, en premier lieu, de conditions impossibles à accepter, que le clergé aurait voulu établir ; il a parlé, en second lieu, de certaines réserves qui lui paraissaient inadmissibles. Il a déclaré, enfin, que le clergé n'avait point prêté son concours, en nous laissant entendre qu'il était peu disposé à le prêter.

M. Vandenpeereboom a pris la parole ensuite pour déclarer que, dans sa conviction, la difficulté serait levée. Il était donc convaincu que le clergé accorderait son concours.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Pas dans le présent.

M. Delcourµ. - Mais l'arrêté n'était pas encore mis à exécution ; on en était encore à négocier, et vous voulez que déjà le clergé concoure à l'exécution de l'arrêté. Il fallait d'abord s'entendre. Des observations avaient été présentées par le clergé, le ministre y a répondu : à la suite des dernières explications, on était tombé d'accord.

Je le répète pour la dernière fois, il existe une différence importante entre la déclaration de M. le ministre des finances et celle de l'honorable M. Vandenpeereboom.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je l'expliquerai.

M. Delcourµ. - Je n'insiste pas davantage. J'attache le plus grand prix à la déclaration de M. Vandenpeereboom ; chargé de négocier et de s'entendre avec le clergé, il était en mesure, mieux que personne, de connaître ses intentions, et celles de l'intermédiaire qui a pris part à ces négociations ; lui seul pouvait nous dire si, dans sa conviction, l'arrêté serait exécuté ou non par le clergé.

M. de Theuxµ. - La discussion n'a pris aucun caractère politique bien que deux membres de l'ancien cabinet, MM. Vandenpeereboom et Rogier aient cru devoir sacrifier leur existence ministérielle sur la question qui nous occupe et qui est une question légale et sociale d'une grande importance ; ce dont je les félicite.

Nous avons à nous occuper d'une question d'interprétation de la loi de 1842, et aussi, dans certaines limites, de la question sociale. Dans mon opinion, M. Vandenpeereboom a parfaitement justifié la légalité de l'arrêté de septembre 1866 ; je dirai plus, il en a justifié l'obligation, la nécessité.

Je regrette de devoir prendre part à cette discussion, après le discours de l'honorable M. Delcour, que vous venez d'entendre, mais ayant pris une grande part à la discussion de la loi de 1842 et ayant été pris à partie, je ne crois pas pouvoir me dispenser d'intervenir.

L'honorable M. Pirmez a élevé des doutes ; il a signalé des hésitations et des difficultés d'exécution.

Quant aux hésitations et aux contradictions apparentes des actes administratifs, je n'ai guère à m'en occuper ; aucun n'est émané de mon initiative. Je tiens cependant à déclarer que tous les ministres de l'intérieur, ceux qui ont précédé depuis la loi de 1842 comme ceux qui ont suivi et comme moi-même, ont professé la mêmeopinion, que l'inspection ecclésiastique aussi bien que l'inspection civile étaient obligatoires pour toutes les écoles, quelle que fût leur nature.

Pour résoudre la question, il suffit de lire le texte de l'article 26 ; il est bon de le remettre sous les yeux de la Chambre : « Aucune école ne pourra obtenir ni conserver un subside ou une allocation de la commune, de la province ou de 1 Etat, si l'autorité qui la dirige ne consent à la soumettre au régime d'inspection établi par la présente loi. »

Ces termes ne comportent aucune exception, aussi voyons-nous plus tard l'article 36, relatif aux écoles primaires supérieures, reproduire la même obligation.

Cet article 36, combiné avec l'article 26, ne peut, dans mon opinion, laisser subsister aucun doute.

On nous objecte d'abord qu'il n'est question que transitoirement des écoles d'adultes dans la loi, et que c'est sur la motion de l'honorable M. Devaux que le ministre a reconnu qu'il y avait une lacune et que cette mention a été introduite.

De là on tire cet argument que l'intention du pouvoir législatif n'a pas été d'appliquer la loi de 1842 aux adultes.

Mais si cet argument avait quelque valeur, nous demanderions à quel titre le gouvernement s'est occupé d'organiser les écoles de filles. Il n'en est pas dit un seul mot dans la loi tandis que le mot « adultes » s'y trouve.

Quand l'observation a été faite par l'honorable M. Rogier, mon honorable ami M. Dumortier a craint que l'on ne se lançât dans une entreprise qui pût avoir des conséquences fâcheuses au point de vue de la moralité, mais il fut rassuré. L'honorable M. Nothomb déclara que, dans son opinion, tout ce qui, dans la loi de 1842, pourrait être applicable aux écoles de filles, leur serait appliqué ; il signala entre autres la collation de bourses pour suivre les écoles normales où les jeunes filles se destinant à l'enseignement primaire pourraient se former de manière à présenter toute sécurité comme institutrices. Et en effet, dans tous les actes qui ont été posés par le ministère de l'intérieur, on a appliqué aux écoles spéciales des filles exactement les mêmes principes qu'aux écoles des garçons ou aux écoles mixtes.

(page 971) Remarquez que dans la loi sur l'instruction primaire, il n'est parlé que des écoles de garçons connues principalement sous le nom d'écoles primaires ; il n'est pas dit un seul mot des écoles des filles.

Par conséquent, cet argument que le mot d' « adultes » a été inséré en quelque sorte an dernier moment dans la loi n'a pas de portée. Car la mention de l'honorable M. Rogier a été faite au moment définitif du second vote ; ç'a été la dernière parole qui a été prononcée avant le vote définitif de la loi.

Pourquoi, messieurs, les écoles d'adultes, aussi bien que les écoles de filles et les écoles de garçons sont-elles soumises à la loi ? C'est en vertu d'une prescription constitutionnelle.

La Constitution dit que l'enseignement public donné aux frais de l'Etat est réglé par la loi. Si la loi de 1842 ne contenait pas le principe de la réglementation, il est évident qu'on serait sorti, pour ces deux spécialités d'écoles, des termes de la Constitution, qu'on n'y eût pas satisfit.

Et pourquoi dans la Constitution est-il dit que l'enseignement public donné aux frais de l'Etat sera réglé par la loi ? C'est le redressement d'un grief qui a existé sous le royaume des Pays-Bas. Tout le monde sait que sous le royaume des Pays-Bas il y avait un grief considérable contre les établissements créés par le gouvernement. On a voulu avoir des garanties en cette matière ; de là le principe de la Constitution belge. Tout s'explique parfaitement ; tout s'enchaîne d'une manière parfaitement logique.

Une seconde objection consiste à dire : Mais, aux écoles primaires proprement dites on enseigne le catéchisme. Voulez-vous qu'on enseigne le catéchisme aux adultes ? Mais non, messieurs, cet argument n'a aucune valeur en présence de l'article 36 de la loi. Dans les écoles primaires supérieures, on ne s'occupe pas de la lecture, de l'écriture. Les jeunes gens qui fréquentent ces écoles connaissent parfaitement tous ces premiers éléments de l'instruction primaire.

Eh bien, je dirai aussi qu'ils connaissent, tous, les éléments du catéchisme. Mais dans les écoles primaires supérieures, l'enseignement de la religion est un enseignement plus relevé, comme l'enseignement de toutes les autres matières est plus relevé.

Appliquons cela aux écoles d'adultes, et reconnaissons d'abord que ce mot « écoles d'adultes » est mal appliqué à la première section. L'honorable M. Vandenpeereboom vous a démontré que ce sont des jeunes gens qui viennent de faire leur première communion qui, pendant deux ou trois ans encore, suivront la première section des écoles d'adultes, il est regrettable qu'il n'y ait pas moyen de tenir à l'école primaire proprement dite ces jeunes gens qui consolideraient leur instruction première, qui développeraient leur intelligence et gagneraient quelques connaissances de plus. Mais la nécessité du travail, les conditions de la vie empêchent un grand nombre de ces enfants (car ils sont encore enfants) de suivre les cours de l'école primaire. Et puis, s'ils les suivaient, il faudrait donner dans l'école primaire un enseignement un peu plus relevé, et vous auriez deux sections dans l'école de jour. Eh bien, maintenant il y a deux sections dans les écoles d'adultes, à savoir la première section qui est une véritable école primaire, rien de plus, et suivant le texte de la loi, le gouvernement, les administrations devraient faire ce qui est en leur pouvoir pour ne pas mélanger les enfants avec les adultes. C'est pour cela que, d'après l’arrêté du mois de septembre 1866, on a séparé ces deux catégories. La première section comprend des jeunes gens non adultes, la seconde section comprend les adultes.

Il n'est pas non plus dit un mot du catéchisme dans l'arrêté royal de 1866. Il n'est parlé que de l'instruction religieuse et morale. Or cette instruction se donne suivant l'âge des adultes et suivant les besoins des études. Ainsi prenons la deuxième section des écoles d'adultes, la section la plus élevée. Que devrait-on faire pour satisfaire aux prescriptions de la loi et aux besoins de la société ? Car, en définitive, c'est à un besoin social que la loi a voulu satisfaire.

On devrait établir dans ces écoles des espèces de conférences où l'on exposerait ce qui peut le plus intéresser cette classe d'auditeurs. Mais dans l'esprit de la loi, il faut qu'il y ait, dans ces écoles, un enseignement de la religion et de la morale ? Le législateur a-t-il eu tort ? Est-ce que dans cette classe il n'y a plus de besoins moraux ? C'est une grandissime erreur. N'est-ce pas là où les jeunes gens sont les plus exposés, à cause du milieu dans lequel ils vivent, qu'il convient de fortifier les notions de la religion et de la morale, notions que sans cela ils oublieraient beaucoup trop tôt ? C'est un intérêt social du premier ordre.

El qu'on ne croie pas que les leçons ou les conférences, données dans le sens que je viens d'indiquer, soient en quelque sorte une insulte aux auditeurs ! Pas le moins du monde ; l'expérience prouve que, dans les écoles dominicales qui sont fréquentées par des adultes, on suit avec plaisir l'instruction religieuse qui y est donnée.

Cet état de choses est donc conforme au vœu même des populations ; il est conforme aussi à un grand besoin social ; car plus il règne d'ordre et d'honnêteté dans cette classe, moins elle sera, à raison du milieu dans lequel elle vit, exposé au désordre, et moins l'Etat et les communes auraient de sacrifices à faire.

Il s'agit, en effet, en même temps d'une question d'économie, car si ces populations se comportaient très bien, nos hospices, nos bureaux de bienfaisance et nos prisons auraient beaucoup moins de personnel qu'ils n'en ont ; cela est indubitable.

La paix serait rarement troublée dans ces familles ; elles prospéreraient et souffriraient moins de la misère.

Qu'on leur expose, par exemple, les conséquences funestes de l'ivrognerie ; qu'on leur indique les précautions à prendre pour y échapper, n'est-ce pas un immense service aux familles dont nous nous occupons ? Car l'ivrognerie est la source de la plupart des maux qui assiégent ces familles.

Je pourrais citer beaucoup d'autres exemples ; mais cet exemple seul doit suffire.

Messieurs, l'honorable ministre de l'intérieur s'est prévalu du projet de la commission de 1834 instituée par l'honorable M. Rogier et dont je faisais partie.

Dans cette commission, on n'a pas tout réglementé et pourquoi ? Parce que la commission ne voulut pas adopter un système complet de centralisation.

Mais il en a été autrement depuis lors ; une fois qu'on fut entré, par la loi de 1842, dans le système de centralisation, on a voulu le compléter.

Ce système de centralisation, je n'en doute pas, présente de très grands avantages ; mais il a aussi un danger que j'ai signalé. L'honorable M. Funck a fait allusion à ce danger, en disant récemment : « Nous avons aujourd'hui toutes les écoles organisées ; elles sont toutes centralisées ; nous avons l'école, les fonds, le personnel ; eh bien, excluons maintenant l'enseignement religieux de ces écoles, et nous ferons prévaloir nos opinions. »

Je ne prétends pas savoir quelles sont les opinions personnelles de l'orateur ; mais il est certain que l'opinion qu'il désire faire prévaloir ou plutôt l'absence de l'enseignement religieux, qu'il désire en faire écarter, serait une véritable calamité pour le pays, une immense injustice et la violation du droit le plus précieux de la société.

En effet, l'honorable membre dit : « Nous avons la grande centralisation ; vous pouvez organiser des écoles libres, à la vérité ; mais nous avons pour nous les locaux, le personnel ; nous avons les allocations de l'Etat, des provinces et des communes, et vous ne réussirez pas à nous faire concurrence. »

Voilà l'argument.

Et pourquoi en viendrait-on à cette extrémité ? Parce que par-ci par-là un dissident, un protestant, là où il n'y aura pas d'école spéciale établie pour lui, sera dans le cas de fréquenter une école organisée d'après les principes de la loi de 1842.

Mais, messieurs, ainsi que l'a dit M. le ministre de l'intérieur, il est évident que les instituteurs ne vont pas contrarier des élèves protestants qui se trouveraient dans leurs écoles. Du reste, ces cas sont très rares : le nombre des dissidents étant très petit.

On a fait pour les écoles israélites et pour les écoles protestantes tout ce qui est humainement possible ; elles sont mieux dotées que les écoles catholiques ; ce sont de véritables écoles du clergé, surtout celles des israélites.

Les chefs de ce culte le reconnaissent, ils disent que l'instruction qu'on donne chez eux est essentiellement judaïque et qu'ils n'en veulent pas d'autre. Tel est aussi le langage tenu par les protestants.

Il est arrivé quelquefois, notamment dans la capitale, que les protestants ont fait de la propagande vis-à-vis des enfants catholiques, en ce sens qu'ils allaient trouver les parents de ces enfants et qu'il leur promettaient toute espèce d'avantages ; les parents envoyaient leurs enfants à l'école protestante.

Sans doute, cette pratique n'était pas loyale ; mais je crois qu'ils s'en sont un peu relâchés, parce qu'elle leur coûtait très cher ; en outre, quand les enfants ont été à l'église pour se préparer à la première communion, ils ont abandonné l'école protestante, Voilà le résultat.

(page 972) Qu'on ne dise pas que les parents belges ne tiennent pas essentiellement à l'éducation religieuse de leurs enfants ; ils y tiennent tous ; et s'il peut y en avoir qui n'y tiennent pas, ce sont quelques familles qui vivent dans une espèce de vagabondage et dans la mendicité, ou des parents qui n'ont reçu aucune éducation, des familles mal famées ; ce sont ces gens-là qui n'envoient pas toujours leurs enfants à l'école, malgré les exhortations des administrations communales et des bureaux de bienfaisance.

J'espère que. d'ici à peu de temps nous ne verrons plus, en Belgique, d'enfants qui n'aient reçu une instruction et une éducation convenable.

Cette espérance est d'autant plus fondée que les parents eux-mêmes ayant joui du bienfait de cette instruction et de cette éducation, voudront que leurs enfants en jouissent à leur tour ; et les enfants élevés par de pareils parents fréquenteront l'école avec moins de répugnance et même avec plaisir.

Les enfants flamands reçoivent souvent une double éducation, une éducation en flamand et une éducation en français, cette double éducation leur est éminemment utile pour leur avenir ; ils trouveront à se placer partout comme ouvriers, comme domestiques, etc.

On peut le dire, le zèle pour l'instruction est aussi répandu parmi les populations qu'il l'est dans les sphères gouvernementales.

Mais qu'on s'abstienne de jeter la frayeur dans l'opinion publique par la menace de transformer en écoles d’indifférentisme les écoles chrétiennes que la loi a organisées.

Le plus grand service qu'on puisse rendre à l'instruction générale, c'est de ne pas songer le moins du monde à ces écoles qui menacent le pays d'une espèce de cataclysme par les grandes divisions qu'elles y amèneraient, car rien n'est capable de diviser aussi universellement, aussi profondément le pays, que la substitution de l'indifférentisme à l'esprit religieux, contrairement à la loi de 1842.

L’honorable M. Vandenpeereboom a bien eu raison de dire que. lorsqu'il a proposé au Roi l'arrêté du mois de septembre 1866, il ne pouvait pas s'attendre à l'opposition qui a surgi plus tard. Cet arrêté fut favorablement accueilli par ceux qui, en matière d'enseignement, veulent surtout la centralisation.

Je reconnais que, d'autre part, dans l'opinion catholique, il y eut quelques appréhensions. Ou ne savait pas si c'était uniquement un but social, un acte de bienfaisance, ou s'il n'y avait pas aussi quelque motif politique tendant à faire tomber les écoles dominicales et les autres institutions pour les adultes. Mais j'ai lu très attentivement l'exposé du ministre et l'arrêté même, et quand cet arrêté a donné lieu à de premières observations dans cette enceinte, je n'ai pas hésité à déclarer que j'approuvais la mesure et que si j'interprétais bien les intentions du gouvernement, je ne pouvais qu'applaudir à la mesure qu'il avait prise, que cette mesure serait bonne, serait utile ; qu'un effet, sans cette mesure, l'enseignement primaire s'arrêtait trop tôt, s'oubliait trop tôt.

Les rudes travaux auxquels la première jeunesse est déjà exposée, l'impossibilité de trouver quelque temps pour s'occuper de ce qu'on a appris à l'école amène nécessairement l'oubli de ce qu'on a appris dans l’enfance.

Si, au contraire, ces écoles d'adultes sont bien organisées, si elles se généralisent, l'instruction primaire portera tous ses fruits et à la satisfaction de tout le monde. Personne n'aura à se plaindre. Mais surtout qu'on ne perde pas de vue que la première section des écoles du soir est improprement qualifiée école d'adultes ; car elle n'a pas pour objet les adultes ; elle a pour objet des enfants, des jeunes gens qui ne sont pas encore adultes ; et c'est en cela qu'on se trompe. Ce mot a été malheureusement choisi. Si l'on avait qualifié ces écoles « écoles primaires supérieures », il n'y aurait pas eu d'objection ; la loi s'y appliquerait d'elle-même. La seconde section seule pouvait être raisonnablement qualifiée d'école d'adultes.

Mais une objection qu'on nous fait et à laquelle M le ministre de l'intérieur attache un très grand prix, c’est que, aux termes de la loi de 1842, l'école d'adultes n'est pas obligatoire.

C'est vrai.

Mais de ce qu'une école n'est pas obligatoire, s'ensuit-il qu'elle puisse être soustraite au régime de la loi ? Lorsque la Constitution porte que l'enseignement donné aux frais de l'Etat, et notez que ces mots : « aux frais de l'Etat » ont été interprétés, en ce sens : aux frais du budget de l'Etat, aux frais du budget provincial, du budget communal, du budget d'autres institutions publiques ; lorsque, dis-je, la Constitution porte que l’enseignement donné aux frais de l'Etat doit être réglé par la loi, peu importe que l’enseignement soit obligatoire ou qu'il ne le soit pas ; il suffit qu'une école soit créée aux frais d'un établissement public pour qu'elle doive être régie, d'après la Constitution, par la loi.

Ainsi cette difficulté est écartée.

M. le ministre de l'intérieur dit aussi que ce qui prouve qu'on n'a pas compris que l'enseignement de la morale et de la religion et l'inspection ecclésiastique dussent s'étendre aux écoles d'adultes, c est que l'instruction de 1846, que l'honorable M. Funck a critiquée, ne parle pas de cette catégorie d'établissements. Mais non ; il était prématuré de s'en occuper dans cette circulaire. Ces écoles étaient encore des embryons, il y en avait peu ; il n'y avait rien d'organisé ; mais du moment que le gouvernement voulait sérieusement organiser ces écoles, il a cherché à s'entendre avec le clergé pour amener l'instruction convenable, proportionnée à l'âge des jeunes gens fréquentant les écoles d'adultes.

Je dois, messieurs, quoique à regret, expliquer à la Chambre pourquoi l'instruction des évêques à MM. les curés a été envoyée par moi en 1846 avec un caractère obligatoire.

Je dirai d'abord qu'une semblable instruction avait été donnée dès le mois de janvier 1843, trois ans antérieurement. Mais en 1846, lorsque le gouvernement fit un règlement général pour les écoles, l'occasion se présentait également de réglementer ce qui concernait l'enseignement de la religion et de la morale conformément à l'article 6 de la loi de 1842. Alors les évêques se sont adressés à moi ; ils ont offert de me communiquer la circulaire qu'ils se proposaient d'adresser aux curés. J'ai examiné avec le plus grand soin cette circulaire, et de commun accord elle a été publiée. Il était de mon devoir de donner un caractère obligatoire à cette circulaire ; sans cela, la partie principale, celle qui se trouve en tête de l'article 6 de la loi de 1842, eût été inexécutée. Il fallait bien que les instituteurs, que les inspecteurs ecclésiastiques et civils eussent une direction, et l'on devait s'entendre avec le gouvernement, parce que le gouvernement seul pouvait donner une certaine force, une certaine valeur à ces instructions.

Du reste, M. le ministre de l'intérieur a, quant au fond, parfaitement justifié la chose, et quant à la forme, je viens de l'expliquer, je crois, à la satisfaction de tout homme raisonnable.

Du reste, messieurs, dans cet acte comme dans tous ceux de ma carrière ministérielle, il n'y a jamais eu aucune espèce de mystère ; j'ai toujours franchement manifesté mes opinions ; j'ai posé mes actes au grand jour et je les ai justifiés autant qu'il était en mon pouvoir. Je n'ai jamais eu l’habitude d'agir autrement.

L'honorable ministre de l'intérieur, je lui rends cette justice, est, au fond, d'accord avec l'honorable M. Vandenpeereboom. Il désire que l'instruction primaire, que l'instruction de la première section des adultes ait un caractère religieux et moral ; il ne contredira aucun des actes qui ont été posés par son prédécesseur ; il ne détruira aucun accord qui a été établi entre les communes et l'autorité ecclésiastique.

C'est un point très essentiel, et évidemment, d'après les principes qu'il a professés, il fera ce qui est en son pouvoir pour amener volontairement et spontanément quelques régences qui ne partagent pas encore son opinion, à suivre le système qu'il croit le plus utile au pays. Je n’en doute en aucune manière, et je crois qu'en donnant des apaisements sérieux et complets sur les points de difficultés qui ont été soulevés, faisant voir que dans la pratique il n'y aura aucune espèce d'inconvénients, qu'il y aura avantage de toutes parts, la plupart des régences n'hésiteront pas à suivre le gouvernement dans une marche si utile, si sociale. Je crois encore qu'il ne négligera point la section supérieure, la véritable section des adultes, qui a droit également à sa sollicitude.

Messieurs, j'aurais pu étendre davantage mes réflexions sur cette matière. Mais je ne veux pas abuser des moments de la Chambre. Je me borne à ceci : j'espère que le résultat répondra à l'attente de M. le ministre de l'intérieur.

- La séance est levée à quatre heures trois quarts.