(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1867-1868)
(Présidence de M. Moreau, vice-premier présidentµ.)
(page 933) M. Reynaert, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Van Humbeeck, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. Reynaertµ présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« Le sieur Dujardin-Lammens adresse à la Chambre une étude qu'il a faite sur la question des tarifs du chemin de fer de l'Etat. »
- Dépôt sur le bureau pendait la discussion du budget des travaux publics.
« Par message du 26 mars, le Sénat fait connaître à la Chambre que le sieur François Schwarts, garde-barrière au chemin de fer de l'Etat, ayant été tué accidentellement, il ne peut être donné suite à sa demande de naturalisation. »
- Pris pour information.
« Par message en date du 26 mars, le Sénat informe la Chambre qu'il a donné son adhésion aux projets de lois :
« 1° Relatif à là liberté du travail des matières d'or et d'argent ;
« 2° Qui ouvre au département des finances de 1867 un crédit de 330,000 fr. ;
« 3° Qui ouvre au budget de la dette publique de 1867 un crédit supplémentaire de 100,000 fr. ;
« 4° Qui ouvre au budget du ministère des finances un crédit de 376,192 fr. 89 c. destiné à régler avec certaines provinces le compte de l'intérêt de l'encaisse de 1830 ;
« Par message du 26 mars la cour des comptes fait connaître à la Chambre que M. Dassesse, récemment nommé conseiller, a été installé dans ses nouvelles fonctions en séance du 26 mars. »
M. le président. - La place de greffier étant devenue vacante, je propose à la Chambre de mettre celle nomination à l'ordre du jour de la séance du vendredi 3 avril.
- Adopté.
M. d’Hane-Steenhuyseµ (pour une motion d’ordre). - Messieurs, j'ai eu l'honneur de demander dans la commission des pétitions le dépôt sur le bureau d'une pétition qui se rattache complétement à la discussion qui occupe la Chambre en ce moment :
« Les sieurs Van Marck, Collart et autres membres du cercle Liégeois de la ligue de l'enseignement, présentent un mémoire sur l'éducation constitutionnelle et prient la Chambre de décider que nul élève ne quittera une école publique sans connaître les principes de l'ordre constitutionnel. »
C'est cette demande, messieurs, que je viens renouveler en ce moment.
- Adopté.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Messieurs, dans la séance d'hier après avoir communiqué à la Chambre quelques renseignements statistiques sur les sacrifices faits par le gouvernement en faveur de l'enseignement primaire, j'ai eu l'honneur d'exposer les motifs qui avaient fait prendre l'arrêté du 1er septembre 1866 et les raisons pour lesquelles j'avais cru devoir y introduire les dispositions qui ont été vivement critiquées depuis.
A la fin de la séance d'hier, messieurs, j'ai déclaré que je n'avais fait que suivre les précédents.
Je demande la permission de vous faire connaître aujourd'hui l'opinion de mes honorables prédécesseurs et de répondre ensuite à quelques objections qui ont été faites contre le règlement du 1er septembre 1866.
Messieurs, si j'ai interprété la loi comme je viens de le dire, je ne réclame pas un brevet d'invention de ce chef. En formulant le projet d'arrêté du 1er septembre, tel qu'il est rédigé, je me suis borné à exécuter, en les améliorant, les dispositions de la circulaire du 9 avril 1843, et j'ai suivi les précédents admis avant mon entrée au ministère.
Jamais, jusque dans ces derniers temps, les principes consacrés par l'arrêté du 1er septembre n'avaient été contestés, ni par la législature, ni par les collèges ou corps chargés de coopérer à l'exécution de la loi de 1842 ; toujours ces principes ont été proclamés et appliqués par mes prédécesseurs au ministère.
L'honorable M. Rogier, qui durant ses nombreux et longs séjours au département de l'intérieur, s'est toujours occupé avec tant de sollicitude de l'instruction populaire, qui fut de tout temps un des plus vigoureux soutiens du parti libéral et que l'on n'accusera certes, pas plus que moi, d'être infidèle à son drapeau, parce qu'il est d'accord avec moi sur la légalité de l'arrêté du 1er septembre ; l'honorable M. Rogier, dis-je, a toujours décidé comme ses prédécesseurs et spécialement comme MM. J.-B. Nothomb et de Theux, que les écoles dont parle l'article 25 de la loi de 1842 tombent sous l'application de cette loi et que l'article 26 est applicable à ces établissements.
Si je ne craignais d'abuser des moments de la Chambre, je donnerais lecture des instructions et circulaires émanées du département de l'intérieur à diverses époques. Je me bornerai à en citer quelques extraits.
Le 5 novembre 1844, M. J.-B. Nothomb écrivait à l'inspecteur de l’enseignement primaire de la Flandre orientale :
« Plusieurs écoles manufactures où l'enseignement primaire n'est le plus souvent qu'accessoire, ont reçu du gouvernement un subside unique à condition de se soumettre au régime d'inspection.
« Par lettre du 11 de ce mois, vous me consultez sur la conduite à tenir à l'égard de ces écoles, notamment sur la question de savoir si l'on doit y faire les deux inspections annuelles prescrites par l'article13 et mentionner le résultat des visites sur le registre de l'inspection ordinaire.
« D'abord, monsieur l'inspecteur, je ne pense pas que les écoles spéciales, connues sous le nom d'écoles manufactures ou d'ateliers de charité ou d'apprentissage, puissent, en aucun cas, se soustraire à l'inspection. Dès l'instant qu'elles ont reçu, d'une caisse publique, une subvention quelconque, ces écoles tombent sous l'application de l'article 26 de la loi qui porte ce qui suit :
« Art. 26. Aucune école ne pourra obtenir ou conserver un subside ou une allocation quelconque de la commune, de la province ou de l'Etat si l'autorité qui la dirige ne cousent à la soumettre au régime de la présente loi.
« Il est évident que par les mots « aucune école », le législateur a entendu toutes les écoles dont il est parlé dans les articles précédents, et par conséquent les écoles manufactures dont il est fait mention à l'article 25. »
Ainsi, messieurs, d'après l'auteur de la loi, toutes les écoles subsidiées, même celles de l'article 25, même les ateliers de charité, etc., ayant reçu un subside unique (probablement pour frais de premier établissement) étaient tenues de se soumettre au régime d'inspection !
Plus tard, l'honorable comte de Theux écrivait dans le premier rapport triennal sur l'enseignement primaire.
« On s'est demandé si les écoles d'adultes, les salles d'asile, les écoles manufactures, les ateliers d'apprentissage, etc., tombent sous l'application de la loi du 23 septembre 1842 et doivent être soumises à l'inspection.
« Il est clair que l'article 26 de la loi est applicable à ces établissements (page 934) lorsqu'ils reçoivent des subventions de quelque nature que ce soit des communes, des provinces ou de l'Etat. » Est-ce assez clair ?
Le 11 avril 1848, l'honorable M. Rogier écrivait à l'inspecteur de l’enseignement primaire du Drabant :
« J'ai l'honneur de vous faire observer, en réponse à votre lettre du... que le gouvernement a résolu affirmativement la question de savoir si les établissements spéciaux, dont il est parlé à l'article 25, de la loi, doivent se soumettre à l’inspection, lorsqu'ils sont entretenus, en tout ou en partie, aux frais des communes. Je ne puis que maintenir la décision qui a été prise à cet égard et que vous trouverez dans une dépêche de l'un de mes prédécesseurs, en date du 5 novembre 1844. » Voilà qui est net et catégorique.
Plus tard l'honorable M. Rogier confirma cette interprétation.
Le 31 juillet 1852, le même ministre envoyait aux gouverneurs une circulaire portant : « Le crédit dont le gouvernement dispose en faveur des salles d'asile et des écoles d'adultes n'est que de 25,000 fr. par année. Eu égard à la modicité de cette somme, je vous prie d'apporter la plus grande réserve dans vos propositions de subsides ; je crois utile de vous rappeler que les subsides de l'Etat ne peuvent être accordés qu'en cas d'insuffisance des ressources locales et qu'ils sont destinés spécialement aux écoles qui ont le caractère d'établissement communal ou aux écoles privées qui acceptent le régime d'inspection établi par la loi. »
En 1858, l'honorable M. Rogier, qui était, paraît-il, incorrigible, alla plus loin ; quelques instituteurs, mus par un zèle des plus louables, avait organisé des écoles d'adultes, sans réclamer de ce chef aucune indemnité, mais ces écoles du soir étaient tenues dans les locaux de l'école du jour.
L'honorable ministre vit dans cette prestation de locaux communaux une subvention indirecte donnée par la commune, et le 18 janvier 1858, il écrivit à MM. les gouverneurs des provinces :
« Les recommandations contenues dans la circulaire du 21 mai n'ont expressément pour objet que les établissements communaux et les établissements privés subventionnés, mais il convient de les appliquer également aux classes d'adultes ouvertes par les instituteurs sans l'intervention de l'autorité ; ces classes se tiennent dans des locaux appartenant aux communes, dès lors elles tombent directement sous le régime de l'inspection légale. »
Ainsi ces écoles d'adultes même subventionnées, indirectement, tombent, d'après mon honorable prédécesseur, sous l'application de l'article 25, c'est-à-dire sous le régime de l'inspection établie par la loi de 1842.
Je pourrais citer encore d'autres circulaires et dépêches, toutes écrites dans le même sens, mais voilà assez de citations pour prouver que les principes consacrés par l’arrêté du 1er septembre et qui seuls ont fait l'objet de vives critiques, n'étaient pas nouveaux ; cet arrêté est donc conforme à la jurisprudence administrative admise constamment depuis 1842. Ces principes imperturbablement appliqués n'ont jamais été contestés par personne et je puis dire même que, pendant 25 ans ils ont été implicitement approuvés par la législature.
En effet, messieurs, tous les ans les Chambres ouvrent au budget de l'intérieur un crédit destiné à accorder des subsides aux salles d'asile et aux écoles d'adultes. A quel chapitre du budget ce crédit est-il porté ? Au chapitre XVII ayant pour rubrique : Enseignement primaire.
Or, messieurs, tous les crédits qui figurent dans ce chapitre, tous, sont destinés à assurer l'exécution de la loi de 1842 ; pas un centime de ces crédits ne peut être payé pour couvrir des dépenses non créées par les dispositions de cette loi ; si donc les subsides votés en faveur des écoles d'adultes figurent aussi à ce chapitre, peut-on soutenir que ces écoles seules ne sont pas subsidiées en exécution de cette loi et ne tombent pas sous son application ? Cela n’est pas admissible.
D'ailleurs, pendant les années qui suivirent la publication de la loi, aucun libellé spécial ne mentionnait les écoles d'adultes ; les subsides accordés à ces écoles étaient prélevés sur l'article : service annuel ordinaire aux écoles primaires, preuve nouvelle que ces établissements spéciaux étalent considérés par la législature comme des écoles primaires créées par la loi de 1842 et tombant sous l'application de cette loi.
Ce fut, si je ne me trompe, l'honorable M. Rogier qui proposa, en 1847, d'inscrire nominativement les salles d'asile et les écoles d'adultes dans le budget ; aucune observation ne fut faite à cette occasion, personne ne vint soutenir alors, pas plus qu'en 1865, quand je proposai d'augmenter le crédit., que ces établissements spéciaux n'étaient pas des écoles soumises à la loi de 1842 et que les crédits pour les subsidier ne devaient pas figurer à l'article de l'enseignement primaire proprement dit.
Indépendamment des écoles d'adultes créées par la loi du 23 septembre, il existe dans le pays d'autres écoles fréquentées, le soir ou le dimanche, par des adultes.
Telles sont les écoles industrielles, les écoles d'agriculture, les écoles de dessin, les écoles de musique, les ateliers d'apprentissage des Flandres qui ont été réorganisés par arrêté du 8 février 1861, pris sur la proposition de mon honorable prédécesseur.
Jamais il n'est venu à la pensée de personne de faire figurer au chapitre de l'enseignement primaire, les crédits nécessaires pour subsidier ces établissements ; personne n'a jamais songé à les soumettre au régime de la loi de 1842 ; car tout le monde a compris que ces institutions ne sont pas, comme les écoles mentionnées à l'article 25 de la loi du 23 septembre, des écoles d'enseignement primaire, qu'elles n'ont pas pour objet de donner l'instruction élémentaire proprement dite, mais de propager les connaissances industrielles, agricoles ou artistiques ; les crédits destinés à subsidier ces établissements ont été toujours portés, suivant les cas, aux chapitres industrie, agriculture ou beaux-arts du budget de l'intérieur.
Le gouvernement, la législature et même les autorités provinciales ont toujours établi une distinction bien marquée entre les diverses écoles d'adultes et on n'a fait figurer au chapitre de l'enseignement primaire du budget de l'Étal ou des provinces que les établissements mentionnés à l'article 25 de la loi de 1842 qui sont de véritables écoles d'enseignement primaire.
Autre observation. Lorsqu'une libéralité est faite par donation ou par legs, en faveur d'une école gardienne ou d'adultes, quelle est la personne civile, compétente pour accepter cette libéralité ?
Ces libéralités peuvent-elles être faites, par exemple, en faveur des hospices, des bureaux de bienfaisance, des fabriques d'église, je ne parle pas des institutions privées, des associations religieuses ou autres qui n'ont pas la personnification civile ? Evidemment non. Le gouvernement n'autoriserait pas et ne pourrait pas autoriser l'acceptation de ces libéralités dans de pareilles conditions, car c'est la commune qui est compétente pour les recevoir.
En effet, aux termes de l'article premier de la loi du 19 décembre 1864, les libéralités en faveur de l'enseignement primaire d'une commune sont réputées faites à la commune. Or, l'article 23 de la loi du 25 septembre 1842 range les écoles d'adultes et gardiennes parmi les institutions d'instruction primaire.
Telle est la jurisprudence consacrée et mise encore tous les jours en pratique par le gouvernement ; si donc une libéralité était faite à une fabrique d'église ou à une administration charitable, pour créer ou soutenir une école gardienne ou d'adultes, cette libéralité serait attribuée à la commune en vertu de l'article premier de la loi du 19 décembre 1864 et de l'article 25 de la loi du 23 septembre 1842.
Ainsi, les écoles d'adultes sont, en vertu de l'article 25 de la loi de 1842, considérées comme des institutions d'instruction primaire, quand il s'agit d'accepter des libéralités faites en leur faveur, et l'on prétendrait qu'elles ne le sont plus, quand il s'agit de leur appliquer les autres dispositions de cette même loi ?
Il y a là, me semble-t-il, une contradiction manifeste. On ne peut exécuter partiellement la loi.
Messieurs, j'ai eu l'honneur de vous exposer les motifs qui m'ont porté à croire que les écoles d'adultes, telles qu'elles sont organisées par l'arrêté du 1er septembre. 1866, sont des institutions d'instruction primaire tombant sous l'application de la loi du 23 septembre 1842.
J'ai cru devoir appliquer cette loi, mais je n'ai jamais eu l'intention de l'étendre. Je me suis borné à suivre la jurisprudence admise sans contestation pendant près d'un quart de siècle, et la question, je l'avoue, me semblait si claire, que je n'avais point prévu les objections qui depuis ont été soulevées contre l'arrêté du 1er septembre.
Cet exposé a été peut-être un peu long, mais je tenais à. prouver que je n'ai pas agi à la légère et que l'on peut invoquer des arguments sérieux à l'appui de mon opinion.
Ayant sur cette question une conviction sincère et raisonnée, il était de mon devoir de mettre en pratique les principes que je croyais conformes à la vérité et à la légalité, c'est-à dire d'organiser les nouvelles écoles conformément aux règles essentielles et fondamentales tracées par la loi de 1842, Je n'avais pas le droit de n'appliquer la loi que partiellement, d'admettre, par un règlement ou un arrêté, dans l'organisation de ces écoles, certains principes essentiels de la loi, d'en écarter d'autre qui ne l'étaient pas moins. Tant qu'une loi est en vigueur, elle doit être appliquée tout entière et les règlements, porte l'article 67 de la (page 935) Constitution, et les arrêtés nécessaires pour l'exécution des lois ne peuvent jamais, ni suspendre les lois elles-mêmes, ni dispenser de leur exécution.
Messieurs, je pourrais borner ici ma tâche et me rasseoir, mais je demande la permission d'abuser encore pendant quelques instants de l'attention de la Chambre, afin de pouvoir répondre à quelques objections qui ont été faites contre certaines dispositions de l'arrêté du 1er septembre 1866.
Le programme des écoles établies par l'arrêté du 1er septembre, a-t-on dit, comprend l'enseignement de la religion et de la morale, c'est-à-dire, entre autres choses, l'enseignement du catéchisme. Ces écoles seront fréquentées par des personnes âgées de 30, 40 et 50 ans et plus, mariés et pères de famille, grands-pères peut-être, vous obligerez donc ces pères de famille, ces grands-pères à balbutier le catéchisme en même temps que leurs enfants et leurs petits-enfants ! Mais, s'écrie-t-on, cela sera ridicule. Ces adultes déserteront l'école qui sera bientôt vide, voilà à quels résultats vous aboutirez !
En effet, messieurs, si l'arrêté du 1er septembre devait ou pouvait même avoir de telles conséquences, ces conséquences seraient ridicules et désastreuses.
Mais il n'en est rien : Et d'abord, on apprend aux élèves dans les écoles, non pas ce qu'ils savent, mais ce qu'ils ne savent pas. Or, les adultes catholiques connaissent ou sont censés connaître le catéchisme ; il ne viendra donc à la pensée de personne de le leur faire apprendre à l'âge de 20, 30, 40 ou 50 ans. Le clergé reconnaît lui-même que l'on ne peut forcer les adultes à assister au prône dans les églises, songera-t-on dès lors à obliger les adultes à apprendre le catéchisme dans les écoles ? Mais, si par impossible, quelqu'un avait une telle prétention, l'adulte ne s'y soumettrait pas et il en aurait le droit.
Il est admis, en effet, aujourd'hui, contrairement à certaines déclarations faites dans le temps, que dans les écoles publiques, les majeurs, à leur demande, et même les mineurs, à la demande de leurs parents, seront dispensés d'assister aux leçons d'enseignement religieux. Ainsi le veut le grand principe de la liberté de conscience.
« Il est un principe, disait l'honorable M. Frère dans la séance du 7 décembre 1866, il est un principe qui, bien que non inscrit dans la loi de 1842 et malgré certaines explications données à ce sujet, dérive encore de la loi, c'est que ceux mêmes qui professent le culte de la majorité peuvent être dispensés d'assister à l'enseignement religieux.
« Je sais que l'on a soutenu le contraire, lors de la discussion de la loi de 1842, mais on n'oserait plus aujourd'hui contester ce droit, méconnaître ce principe. »
Moi-même, messieurs, quelques mois plus tard, écrivant à l'administration communale d'une grande ville qui m'objectait que l'on devrait employer des moyens coercitifs, si on voulait forcer les adultes à assister aux leçons de religion, je disais : « Il est à remarquer qu'en vertu de la liberté de conscience proclamée par la Constitution, les adultes qui ont l'âge de majorité, de même que les mineurs à la demande de leurs parents, peuvent être dispensés d'assister à l'enseignement religieux. L'administration communale n'aurait donc pas le droit d'user de moyens coercitifs ; d'un autre côté, le motif qu'elle invoque pour justifier la suppression de cet enseignement vient à tomber. »
Mais dira-t-on, pourquoi avez-vous inscrit cet enseignement dans le programme des écoles d'adultes, puisque les adultes peuvent se dispenser et se dispenseront de suivre ces leçons ? J'ai eu l'honneur de vous démontrer, messieurs, par des données statistiques, qu'aujourd'hui déjà, les élèves adultes sont en grande minorité dans les écoles qui portent ce nom et de vous dire que le développement de l'enseignement primaire réduira encore ce nombre.
C'est pour les enfants âgés de moins de 15 ans que le cours de religion sera spécialement donné dans la division inférieure.
Ces enfants auraient reçu cet enseignement à l'école du soir, conformément à l'article 6 de la loi, s'ils n'en avaient été éloignés, bien jeunes encore, pour aller travailler dans les fabriques et usines.
Quant aux élèves plus âgés, qui ont de 15 à 20 ans, leur fera-t-on répéter le catéchisme qu'ils connaissent ? Evidemment non, mais on leur donnera une instruction religieuse appropriée à leur âge. Où serait le grand mal si l'on faisait de temps à autre à ces jeunes gens, et même à des élèves plus âgés, s'ils y consentent, lecture de quelques pages de Bossuet, de Fléchier ou de Fénelon . Serait-ce là un crime digne de réprobation ?
Du, reste, messieurs, en agissant ainsi en ce qui concerne les jeunes gens, on ne ferait que l'application de principes admis depuis 1850 par l'opinion libérale devenue majorité.
L'article 8 de la loi du 1er juin 1850, loi qui est certes l'œuvre du libéralisme, l'article 8 porte que « l'instruction moyenne comprend l'enseignement religieux, » et cette disposition de la loi n'est pas restée lettre morte dans tous les établissements d'enseignement moyen, loin de là. Dans trois de nos athénées, l'enseignement religieux est donné conformément à la convention dite d'Anvers ; dans un autre, cet enseignement figure au programme des études et est donné, je pense ; enfin, dans un autre athénée l'enseignement religieux a été donné jusqu'aux vacances dernières par le préfet des études ; depuis lors cet enseignement a cessé.
Des 50 écoles moyennes de l'Etat, plus de la moitié, 26, ont accepté la convention dite d'Anvers ; l'enseignement de la religion y est donc donné par le clergé, et cet enseignement figure dans le programme des 24 autres écoles moyennes ; il est donné, dans 16écoles, aux élèves de toutes les classes et, dans 8, aux élèves de la section préparatoire seulement, par des régents et instituteurs de l'établissement.
Quant aux collèges communaux et aux écoles moyennes communales, les renseignements que j'ai pu me procurer ne sont pas complets. Il semble résulter cependant de ces renseignements que cet enseignement se donne par le clergé dans la moitié au moins des collèges subventionnées ainsi que dans le plus grand nombre des écoles moyennes communales, en exécution de conventions faites par l'autorité locale avec l'épiscopat.
Ainsi des membres du clergé ou des professeurs donnent l'enseignement religieux dans 4 athénées et dans 50, c'est-à-dire dans toutes les écoles moyennes de l'Etat ; le même enseignement est donné dans la plupart des établissements d'enseignement moyen communaux,
Cependant les élèves de ces athénées, collèges et écoles sont en général âgés de 12 à 19 ans, exactement comme le sont les neuf dixièmes des élèves des écoles primaires du soir. On ne voit pas d'inconvénient à enseigner la religion, en exécution de l'article 8 de la loi de 1850, aux uns qui appartiennent en général aux classes aisées, quel inconvénient, quel mal peut-on trouver à ce que l'on donne le même enseignement, aussi à l'école et non à l'église, en exécution de l'article 6 de la loi de li42, aux autres qui en général sont des enfants du peuple, passant leurs journées dans les ateliers et dans les fabriques ? Je sais que ces deux lois sont basées sur des principes différents, mais je ne m'occupe ici que du fait et il mérite attention.
Quoi qu'il en soit, messieurs, ces explications répondront, je l'espère, d'une manière satisfaisante à l'objection que je combats, il n'est pas question en effet, il ne peut être question d'obliger des personnes de 20, 30, 40 ou 50 ans à apprendre le catéchisme, mais il s'agit de donner un enseignement religieux, en rapport avec leur âge, à des élèves mineurs, pourvu toutefois qu'ils ne soient pas dispensés par leurs parents de suivre ces leçons.
Mais quand les parents ne donnent pas cette dispense, quand au contraire ils désirent que leurs jeunes enfants reçoivent l'enseignement religieux, ne soyons pas intolérants ; eux aussi ont le droit d'invoquer la liberté de conscience et de réclamer pour leur jeune famille l'enseignement de la religion et de la morale.
Ne forçons pas ces parents à retirer leurs enfants de nos écoles, pour les placer dans des établissements d'enseignement privés.
Autre objection.
Des écoles d'adultes non soumises au régime de la loi de 1842 et subsidiées par les communes, existent depuis longtemps dans diverses localités et jamais le département de l'intérieur, même quand il était dirigé par un ministre catholique, n'a fait cesser cet état de choses !
C'est vrai, messieurs, il existe quelques écoles d'adultes, en petit nombre, où la commune n'admet pas le clergé et j'ajouterai qu'il existe aussi des écoles d'adultes dirigées par le clergé, qui ont jusqu'ici reçu des subsides, bien que l'inspection civile n'y fût pas admise. Je ferai observer d'abord que dans le plus grand nombre des cas, le gouvernement n'avait pas connaissance de cet état de choses.
Ces écoles, quand elles ont été subsidiées par le trésor public, figuraient par erreur sur les états de propositions des gouverneurs, mal renseignés aussi, sans nul doute ; quand elles étaient subsidiées par les communes seules, ces écoles ne figuraient pas toujours sur les documents transmis à l'administration centrale, celle-ci ignorait donc la situation et elle pouvait d'autant mieux être induite en erreur que les délibérations des conseils communaux instituant les écoles et publiées soit par les bulletins communaux, soit par les journaux, visaient la loi de 1842.
Une seule fois, si je ne me trompe, et il y a longtemps de cela, la (page 936) question fui officiellement soumise à un de mes prédécesseurs ; pour des motifs que j'ignore, mais probablement pour des motifs politiques que je n'ai pas à apprécier, cet honorable ministre crut ne devoir prendre aucune décision et l'affaire resta sans suite.
Mais un fait, plusieurs faits irréguliers ne constituent pas, me semble-t-il, des arguments bien sérieux.
La loi, parce qu'elle n'a pas été observée dans certains cas isolés et très rares, cesse-t-elle d'exister, alors surtout qu'elle a été constamment interprétée dans le même sens pendant 25 ans par tous les ministres et appliquée ainsi dans le 99 centièmes des cas au moins.
J'oubliais de faire encore remarquer que presque tous les établissements ainsi indûment subventionnés par le trésor public, sont dirigés par le clergé ; les communes qui avaient soustrait leurs écoles d'adultes au régime de la loi, s'étaient abstenues en général de solliciter des subsides de l'Etat, probablement parce qu'elles n'ignoraient pas la jurisprudence admise de tout temps par l'administration centrale.
Dira-t-on que le fait d'avoir subsidié par erreur des écoles libres, non inspectées par l'autorité civile, constitue un droit aux subsides en faveur de ces écoles ? Je ne le pense pas, on ne soutiendra point qu'il faut continuer à subventionner ces écoles libres, non inspectées et dirigées par des corporations religieuses.
L'objection basée sur des faits irréguliers me semble donc être de peu de valeur ; si la loi doit être interprétée comme je le pense et comme l'ont pensé mes prédécesseurs, cette interprétation ne peut être infirmée parce que, dans certains cas isolés et ignorés, on s'en est écarté par erreur.
Troisième objection. L'article 26 de la loi de 1842, a-t-on dit, mentionne non seulement les écoles d'adultes, mais encore les salles d'asile ; les ateliers de charité et d'apprentissage. Qui a jamais imaginé que le régime de la double inspection pourrait être appliqué à ces établissements ; que l'on pourrait enseigner aux enfants des salles d'asile âgés de moins de sept ans les matières qui forment le programmé de l'article 6 de la loi ? Je réponds :
Vouloir enseigner, et d'une manière complète, les matières qui forment ce programme, à des enfants dont les aînés ont sept ans serait aussi absurde que de vouloir enseigner le catéchisme à des personnes âgées de cinquante ans, ou la lecture à des élèves qui savent parfaitement lire ; mais il n'en est pas moins vrai que dans les salles d'asile bien organisées, on peut, jusqu'à un certain point, tenir compte de ce programme en donnant à ces petits enfants une instruction appropriée à leur âge.
Ainsi on peut leur enseigner, et on leur enseigne, les premiers éléments de la lecture, on peut leur donner des leçons de religion et de morale, et leur faire faire quelques exercices de calcul mental. Ces premiers enseignements ne leur seront pas inutiles plus tard, Car si la salle d'asile est, d'après M. Nothomb, là base de l'éducation populaire, elle est aussi l'antichambre de l'école primaire, et l'on remarque très facilement que les enfants sortant des écoles d'asile bien organisées sont presque toujours les meilleurs élèves des écoles communales.
Quant aux ateliers d'apprentissage, il y a une distinction à faire ; si l'atelier a uniquement ou spécialement l'enseignement industriel pour objet, il est évident que ces établissements se sont pas soumis au régime de la double inspection établie par la loi de 1842 ; c'est ainsi que l'honorable M. Rogier a pu très bien organiser, en dehors de la loi de 1842, par arrêté du 10 février 1861, les ateliers d'apprentissage qui existent dans les Flandres, donner à ces institutions une organisation spéciale et des inspecteurs spéciaux ; car ces ateliers sont, non pas des écoles primaires, mais des écoles industrielles, ils ne dispensent pas les communes d'avoir l'une des écoles mentionnées aux articles 1, 2 ou 3 de la loi de 1842. Ces ateliers existent au contraire à côté des écoles primaires légales.
Cet arrêté du 10 février 1861 n'a donné lieu à aucune observation, tout le monde a vu la différence qu'il y a entre les deux espèces d'écoles et la Chambre l'a si bien compris, qu'elle a porté les crédits nécessaires pour subventionner ces ateliers, non pas au chapitre de l'enseignement primaire, mais à celui de l'industrie.
Toutefois, l'article 25 est applicable à certains ateliers ; il est des écoles d'apprentissage où les élèves apprennent un métier et qui sont cependant des écoles soumises, en vertu des articles 25 et 26, au régime de la loi de 1842. Dans ces écoles, l'enseignement scientifique est l'enseignement principal, l'enseignement industriel est accessoire. Parfois même, ces écoles tiennent lieu d'école communale pour les filles, surtout dans quelques provinces.
Avant 1842, dans quelques districts liniers des Flandres, on occupait les élèves de l'école primaire, pendant quelques heures, à filer le lin ; cet usage a cessé partout, je pense ; mais, aujourd'hui encore, il existe, dans la plupart des communes des Flandres, des écoles primaires de filles où l'on enseigne les matières portées à l'article 6 de la loi, et où les élèves emploient une partie du temps qu'elles passent à l'école à faire de la dentelle. Dans grand nombre de nos communes rurales flamandes, ces écoles tiennent lieu, plus ou moins légalement, d'école communales pour les filles ; dans certaines localités même, ces écoles sont adoptées conformément à l'article 3 de la loi.
Dans les Flandres, ces écoles sont presque les seuls établissements distincts pour les jeunes filles ; or, outre les écoles mixtes pour les deux sexes, il n'existait, en 1863, dans les communes rurales de ces deux provinces que 28 écoles communales de filles, tandis que le nombre des écoles adoptées de cette catégorie était de 149.
C'est là, d'après moi, une situation fâcheuse, mais elle existe, il en faut tenir compte ; peut-on soutenir que toutes les écoles, dites dentellières, qui attirent à elles presque toutes les jeunes filles de nos villages flamands, ne tombent pas, quand elles sont subsidiées, sous l'application des articles 25 et 26 de la loi de 1842, parce qu'elles sont censées des écoles d'apprentissage ?
Je pense que personne ne le soutiendra. Vous voyez donc que certains ateliers, quand ils sont en même temps des institutions primaires, tombent sous l'application des articles 25 et 26 de la loi de 1842.
Autre objection. Si le programme des écoles d'adultes doit comprendre nécessairement l'enseignement de la religion, pourquoi cet enseignement ne fait-il pas partie du programme de la division supérieure des écoles établies par l'arrêté du 1er septembre ? Voilà l'objection.
La réponse me semble facile ; les élèves de la division supérieure des écoles d'adultes seront presque tous âgés de plus de 14 ans, ou s'ils n'ont pas cet âge, ils auront fait leur première communion ; dans tous les cas, les élèves admis à la première division connaîtront les matières composant le programme de la division inférieure, ils auront donc reçu l'instruction religieuse voulue et il a paru inutile de leur faire répéter le catéchisme à l'école. La loi ne peut exiger que l'on enseigne aux enfants ce qu'ils savent ; mais cette division supérieure était, dans ma pensée, soumise au régime de la double inspection ; le clergé aurait été admis à y donner des avis, dans des conditions à régler, aux adultes qui n'auraient pas manifesté, ou aux mineurs dont les parents n'auraient pas manifesté l'intention de refuser l'enseignement religieux.
Enfin, messieurs, il me reste à répondre à une dernière observation qui a été faite, je pense, dans cette enceinte. Admettant que l'article 26 de la loi de 1842, a-t-on dit, impose aux écoles d'adultes, etc., subsidiées, le régime de l'inspection, il faut reconnaître que cet article ne parle pas du programme de ces écoles ; rien n'oblige donc de suivre, dans les établissements énumérés à l'article 25, le programme de l'article 6 de la loi de 1842. La religion et la morale ne doivent donc pas nécessairement y être enseignées, et dès lors l'inspection ecclésiastique, qui n'a d'autre rôle que de surveiller cet enseignement spécial, devient sans objet ; dans ce cas, l'inspection civile est seule exigée par l'article 26 dans les écoles subsidiées.
Ces observations pourraient, je le reconnais, être fondées en certains cas ; ainsi, par exemple, on pourrait établir, aux frais des communes ou de l'Etat, des cours spéciaux pour enseigner exclusivement à des adultes, par exemple, la comptabilité, l'histoire nationale, les éléments du droit constitutionnel, etc. etc., mais dans l'arrêté du 1er septembre il ne s'agit pas de cours spéciaux. Cet arrêté a organisé de véritables écoles primaires qui ne diffèrent des écoles primaires proprement dites que parce que les leçons, au lieu d'être données tous les jours pendant la journée, sont données le soir ou le dimanche.
Ces écoles étant des établissements d'enseignement primaire, l'article 25 de la loi n'avait pas de programme à formuler. Ce programme était tout fait, à l'article 6 de la loi. La répétition de cette disposition était superflue et inutile.
Je demande pardon à la Chambre d'avoir si longtemps usé, abusé même de sa patience ; mais j'ai été, non certes pas dans cette enceinte où l'on est toujours si bienveillant pour moi, j'ai été, dis-je, assez vivement attaqué ; on a même, au dehors, soupçonné mes intentions et la sincérité de mes vieilles et constantes opinions ; je devais donc exposer à la Chambre, à mes amis comme à mes adversaires politiques, le but que je voulais atteindre, en soumettant au Roi le règlement qui est devenu l'arrêté du 1er septembre 1866, ainsi que les motifs qui m'ont (page 937) déterminé à appliquer les principes que je croyais conformes à la loi et aux intérêts de l'enseignement populaire.
Je regrette certes, je le répète en terminant, d'être en désaccord, sur cette question spéciale, avec d'honorables et vieux amis politiques, mais j'ai pensé que ce n'était pas là un motif pour ne pas défendre mon opinion et l'arrêté du 1er septembre avec conviction, car toutes les convictions sincères sont respectables. Je persiste à considérer cet arrêté comme étant légal, pratique, conforme aux intérêts de l'enseignement populaire et de nature à combattre victorieusement et mieux que d'autres mesures l'ignorance qui est la cause de tant de maux !
Je pense aussi, messieurs, que mon opinion en cette matière est partagée par la majorité, par la grande majorité du pays et surtout des administrations communales,
Les résultats déjà obtenus ne peuvent laisser aucun doute sur ce point.
Au 31 décembre 1863, il existait en Belgique 165 écoles communales du soir pour garçons et ce nombre a peu augmenté de 1864 à 1866. Mais depuis la publication de l'arrêté du 1er septembre jusqu'au mois de décembre dernier, 866 communes avaient décidé d'organiser des écoles en conformité de cet arrêté, et d'après les renseignements que j'avais reçus, le nombre de ces adhésions auraient dépassé le chiffre de 1,000 à la fin de l'année ; par contre, 14 villes ou communes avaient, antérieurement à 1866, créé des écoles d'adultes non soumises au régime de la double inspection (j'ignore si toutes avaient l'intention de maintenir ces établissements), et 8 communes seulement avaient décidé, en 1867, ne pas vouloir admettre, pour leurs écoles d'adultes, le régime de l'arrêté du 1er septembre.
Ainsi, 866 communes, en attendant mieux, admettent le système de cet arrêté et 22 communes au plus le repoussent !
N'ai-je donc pas raison de croire et de dire que la majorité, la grande majorité des communes belges partagent mon opinion ?
Ce résultat, je l'avoue, a dépassé toutes mes espérances ; j'osais à peine entrevoir un tel résultat après 5 ou 6 années d'efforts, et il est d'autant plus remarquable que si, dans le plus grand nombre de nos provinces, le clergé ne s'est pas montré hostile à la création des écoles nouvelles communales, son concours au moins a été fort longtemps hésitant et peu efficace.
On me répondra, je le sais, que l'espoir d'obtenir des subsides de l'Etat, ou la crainte de perdre des subsides, antérieurement accordés, ont déterminé bien des adhésions.
Il est possible, messieurs, que ces considérations aient guidé quelques conseils communaux, mais le nombre en est restreint, je pense ; de toutes parts, on m'a déclaré que l'arrêté du 1er septembre était conformé au vœu des populations et conçu de manière à provoquer la création d'un grand nombre d'écoles, communales surtout. . Quoi qu'il en soit, cet arrêté promettait de porter les meilleurs fruits ; il stimulait le zèle des autorités communales et laissait une large part à l'initiative privée ; j'avais fait appel à tous les dévouements. Les communes répondaient avec élan à cet appel et les inspecteurs étaient, comme nos excellents instituteurs, animés du plus grand zèle. Il était permis de croire au complet succès de l'œuvre entreprise.
J'espère que les mesures que le gouvernement se propose de prendre n'entraveront et ne ralentiront pas même les progrès de cette œuvre.
Messieurs, en proposant au Roi le projet d'arrêté du 1er septembre, je n'ai eu qu'un but, celui de combattre efficacement l'ignorance ; j'ai pensé que les dispositions de cet arrêté pouvaient, mieux que toutes autres, permettre de marcher rapidement vers ce but ; j'ai pensé encore qu'en réglant cet enseignement par arrêté royal, je ne pouvais me dispenser d'introduire dans cette réglementation les principes essentiels de la loi du 23 septembre 1842.
Telle était ma conviction sincère et loyale ; dès lors j'ai marché droit devant moi, défendant l'œuvre entreprise, contre mes amis qui l'attaquaient et contre le clergé, quand il proposait des conditions restrictives, illégales, d'après moi, et partant inadmissibles. Je n'ai fait que mon devoir. Fais ce que dois, avienne que pourra.
Aujourd'hui encore j'ai soutenu la légalité et l'utilité du règlement du 1er septembre, j'ai défendu cet arrêté devant vous avec modération, mais avec conviction.
Mais ne croyez pas, messieurs, qu'en maintenant cette position, je sois guidé par un sot et égoïste amour-propre. Je désire, au contraire, que les dispositions que prendra le gouvernement pour créer et organiser les écoles d'adultes aient un plein et entier succès, je désire que le nombre de ces écoles augmente rapidement, que le concours de tous les amis de l'instruction populaire, sans distinction d'opinion, soit acquis au gouvernement et si l'année prochaine, lors de la discussion du budget de l'intérieur, mon honorable ami M. Pirmez, venait dire : «Quand vois avez quitté le ministère, il y a un an, 900 à 1,000 communes avaient décrété l'organisation d'écoles d'adultes, eh bien depuis lors, le nombre de ces écoles s'est accru, nous avons près de 1,500 bonnes écoles aujourd'hui ! », si mon honorable successeur et ami venait faire une telle déclaration, j'applaudirais sincèrement des deux mains et de tout cœur, car ce que je veux, ce que je demande avant tout, c'est de voir organiser de bonnes écoles d’adultes dans toutes les communes du pays, et de pouvoir constater bientôt que l'instruction se répand et que l'ignorance disparaît rapidement.
MiPµ. - Messieurs, on reproche souvent à notre siècle et principalement aux pays qui se sont distingués dans l'industrie, de se laisser absorber par les intérêts matériels.
Ce reproche n'est certainement pas fondé en ce qui concerne les débats du parlement belge. Il est remarquable que si nos discussions restent froides et si l'opinion semble presque indifférente lorsqu'il s'agit de questions purement matérielles, les passions les plus vives s'émeuvent lorsque des questions de l'ordre moral sont soulevées.
Parmi toutes ces questions, celles qui touchent à l'enseignement ont surtout le privilège d'attirer l'attention et d'éveiller les susceptibilités.
Il y a 25 ans, messieurs, que la loi sur l'enseignement primaire a été votée et, depuis lors, que de discussions, que de débats, que de questions et sur son existence et sur son application !
Je ne me plains pas de cette situation ; je crois qu'il faut s'en féliciter.
Il faut s'en féliciter parce que cette disposition de l'esprit public est un sûr garant du respect de toutes les libertés, et si les susceptibilités qui s'élèvent sont parfois pour le gouvernement une cause de préoccupation, elles ont aussi le mérite d'être une leçon et de lui apprendre à respecter ces libertés, à ne froisser aucun sentiment qui trouve dans la Constitution le droit d'une libre expansion.
Je me trouve, messieurs, au début de ma carrière ministérielle, entre des tendances différentes qui émanent de deux de mes honorables amis que vous avez entendus hier et aujourd'hui.
L'un d'eux voudrait voir abroger la loi de 1842, ou tout au moins il voudrait en voir restreindre la portée.
L'autre croit devoir y donner, au contraire, une portée que je ne puis admettre parce que, d'après moi, elle constitue une extension de cette loi.
J'ai à examiner devant vous, messieurs, les idées qui ont été présentées par ces deux honorables membres.
L'honorable M. Funck, avant d'aborder la discussion de la loi de 1842, a soulevé une question d'une haute importance et d'une suprême difficulté.
II vous a parlé de la question du travail des enfants dans les manufactures.
Il n'est pas de question plus grave que celle-là parce qu'elle comporte celle de savoir dans quelles limites l'autorité doit intervenir entre le père de famille et ses enfants.
Le droit d'intervention de l'autorité est incontestable ; ce droit peut être appelé par des intérêts différents, mais également respectables ; par l'intérêt de l'enfant, et par celui de la société elle-même.
Il peut être appelé par l'intérêt de l'enfant, car il est des faits tellement révoltants que c'est un devoir pour la société d'intervenir au même degré que lorsqu'il s'agit de faits que punit notre droit pénal.
Ce n'est pas sans une indignation profonde qu'on entend rapporter certains faits constatés en Angleterre. Qui ne sent son cœur se soulever en apprenant que l'on chargeait des enfants, dans une galerie obscure d'une exploitation minière, d'ouvrir et de fermer une porte, pour laisser passer les waggons, besogne si monotone, qu'après un an ou deux, ils étaient nécessairement frappés d'idiotisme ?
La protection de l'être faible ainsi sacrifié appelle la répression.
L'intérêt social peut aussi la provoquer. Si les conditions de travail dans quelques manufactures sont telles, qu'elles doivent amener l'étiolement des générations, l'autorité doit intervenir pour conserver à la Belgique une race forte et vigoureuse et lui produire au besoin des défenseurs capables de soutenir l'honneur de la patrie !
(page 938) Si ces principes sont incontestables, il faut reconnaître aussi qu'ils soulèvent de redoutables problèmes.
Pour que l'autorité puisse intervenir, il faut que son intervention soit d'une inexorable nécessité, car, il ne faut pas l'oublier, si les droits du père ne sont pas absolus, au moins ils sont naturels. Et ce n'est pas tout, il faut qu'à cette nécessité se joigne la certitude que l'intervention est utile, qu'elle est efficace.
M. Funck nous a rappelé hier que des tentatives ont été faites dans les pays voisins. Ont-elles réussi ? Combien l'Angleterre n'a-t-elle pas fait de lois sur la matière ! Cette multiplicité de dispositions n'est-elle pas à elle seule la preuve qu'elles n'ont pas toujours été efficaces ?
L'intervention de l'Etat soulève, comme conséquences d'autres difficultés. Lorsque la société se place entre le père et l'enfant, quel devoir contracte-t-elle vis-à-vis de l'enfant qu'elle empêche de subvenir à ses besoins, vis-à-vis du père qu'elle prive de son enfant ?
Si j'indique le droit de la société et les difficultés que rencontre son exercice, c'est parce que je crois que cette matière mérite d'être examinée avec soin.
La Chambre me permettra de ne pas me prononcer sur ce qu'il est avantageux de faire dans notre pays ; je l'avouerai franchement, je n'ai pas encore pu étudier cette question de manière à fixer ma conviction. Ce que je puis promettre à l’honorable M. Funck, c'est de faire de cette question l'objet de l'examen le plus sérieux, le plus approfondi, et je m'engage, si Dieu et la Chambre me prêtent vie ministérielle, à donner à l'honorable membre, lors de la discussion du prochain budget, les explications les plus précises sur le résultat des études auxquelles je me serai livré.
L'honorable M. Funck nous a indiqué un moyen de résoudre cette grave question : rendre l'enseignement obligatoire. Je crois qu'il faut plutôt arriver à la généralisation de l'enseignement par le règlement du travail qu'au règlement du travail par l'obligation de l'enseignement.
Il faut procéder à toute réforme par le moyen le plus simple. Or, il est évident que l'enseignement obligatoire renferme et une interdiction du travail des enfants et quelque chose de plus, qui est la nécessité pour les enfants de recevoir des leçons.
Si nous entrons dans la voie d’une réglementation, commençons par interdire le travail ; les enfants rendus libres seront probablement par cela seul rendus à l'école à laquelle le travail seul les prend.
L'enseignement obligatoire soulève d'immenses difficultés. Il faut, pour le proclamer, choisir entre ces deux systèmes : décréter l'obligation de fréquenter l'école ou l'obligation de justifier d'une instruction acquise.
Est-il possible, dans notre pays de liberté absolue d'obliger l'enfant a fréquenter une école ? Dans beaucoup de communes où il n'y a qu'une école, peut-on astreindre le père à envoyer ses enfants à cette école sous peine d'amende ou d'emprisonnement, quelles que soient ses répugnances ? N'y aurait-il pas là un attentat à la liberté qui doit incontestablement en cette matière appartenir au père de famille ?
Si l'on adopte l'autre système, celui d'un examen quelconque, ne se trouvera t on pas en présente de difficultés qui, pour être différentes, ne sont pas moins graves ? N'arrivera-t-on pas à cette conséquence d'avoir à punir le père, lorsque l'enfant ne répond pas bien à l'examen ?
Je signale ces difficultés en reconnaissant qu'il y a là une question très importante. Mais quoi qu'il en soit, avant d'arriver à l'enseignement obligatoire, il faudrait épuiser tous les moyens ; les moyens de contrainte, si opposés à nos mœurs libérales, ne peuvent venir que comme un remède suprême quand les autres font défaut.
J'aborde maintenant les observations que l'honorable M. Funck a présentées sur la loi de 1842.
Messieurs, il importe d'abord de bien fixer les termes de la question qui est soulevée à l'occasion de la loi de 1842.
Il y a deux systèmes d'organisation d'enseignement en présence :
Le premier, qui est celui de la loi, est l'union d'un double enseignement, l'enseignement que j'appellerai l'enseignement civil et l'enseignement religieux. La loi de 1842 n'est pas autre chose qu'un système de jonction de l'enseignement religieux à l'enseignement civil.
En face de ce système se présente le second système : c'est la séparation de l'enseignement religieux et de l'enseignement civil.
Le problème consiste donc à savoir s'il faut unir ces deux enseignements ou s'il faut les tenir séparés. Il n'y a pas d'autre question.
En Belgique, nous avons admis jusqu'à présent le système de l'union ; en Hollande, on a adopté le système de la séparation.
Je ne veux pas, messieurs, discuter ces deux systèmes, examiner d'une manière générale quel est le système qui doit avoir, en théorie absolue, la préférence. Je dois déclarer que si j'étais en Hollande, je n'hésiterais pas à adopter le système de séparation qui y existe et qui y fonctionne parfaitement bien.
M. de Haerneµ. - Non ! non !
MiPµ. - Ce système est en vigueur en Hollande depuis 1806. Je pourrais prouver à l'honorable M. de Haerne, qui m'interrompt, que, déjà en 1806, les archiprêtres, chefs du culte catholique en Hollande, demandaient le maintien de ce système et le considéraient comme le seul bon.
M. de Haerneµ. - Il y a opposition des deux côtés.
MiPµ. - Il y a toujours de l'opposition.
Je dis que ce système fonctionne bien, et je pense qu'un système en vigueur en 1806, qui s'est perpétué jusqu'à nos jours, peut être considéré comme produisant de bons fruits ; sinon, il eût été aboli. Quant à l'opposition dont on parle, je voudrais bien savoir à quelle chose au monde il n'y a pas opposition.
M. de Haerneµ. - Elle est très forte.
MiPµ. - Si l'existence d'une opposition doit condamner la loi, vous devez trouver que la loi de 1842 est mauvaise, car elle a contre elle une opposition redoutable.
Si j'étais donc en Hollande, j'accepterais sans hésiter ce système, comme j'accepte, en Belgique, le système de la loi de 1842 par une raison analogue, parce que ces législations sont entrées dans les mœurs des deux pays.
Je comprends parfaitement, disais-je tout à l'heure, le système de la séparation ; il est séduisant, lorsqu'on examine les choses en pure théorie, en logique absolue ; mais je crois qu'il y a souvent un danger à vouloir appliquer immédiatement la théorie, sans tenir compte d'un état de choses existant.
Nous avons eu l'exemple de pays procédant en matière politique dans des conditions très différentes. En Angleterre, on a toujours évité d'opérer les réformes d'une manière brusque par des décrets proclamant des principes, et les mettant en application du jour au lendemain ; les réformes se sont introduites à la longue dans la législation. Cette marche lente n'a pas empêché le progrès de s'y accomplir d'une façon admirable en toutes matières.
Faut-il citer d'autres pays où, sans tenir un compte suffisant des faits, des circonstances, on a voulu implanter des systèmes absolus dans les mœurs, dans les habitudes de la nation ? On y est arrivé à des résultats négatifs.
Il faut éviter dans une matière aussi vaste, touchant à tant d'intérêts, suscitant tant de passions, que celle de l'enseignement primaire se lance facilement dans une révolution, comme le serait l'abrogation de la loi de 1842 . Cette loi fonctionne depuis longtemps ; sous son empire, d'immenses progrès ont été faits ; je ne crois pas qu'il faille risquer maintenant de compromettre ces résultats par le retrait de cette loi.
L'honorable M. Funck ne propose pas cette abrogation ; il reconnaît que l'état de l'opinion n'est pas favorable à la modification de la loi de 1842 ; il y a, d'après lui, autre chose à faire, supprimer ou modifier le règlement de 1846 qui a organisé l'enseignement religieux dans les écoles.
L'honorable M. Funck attaque ce règlement à un double point de vue ; il l'attaque dans sa forme et il l'attaque dans ses dispositions.
Quant à la forme, il lui reproche surtout d'avoir été rédigé par l'épiscopat, à qui l'honorable M. de Theux a délégué ce soin.
La question de savoir si l'honorable M. de Theux a bien ou mal fait de ne pas rédiger lui-même ce règlement, au lieu de le faire rédiger par l'épiscopat, me concerne peu.
M. de Theux, s'il est en faute, pourra sans doute invoquer la prescription, mais comme la Chambre admet peu ce moyen et permet souvent de discuter de vieilles histoires, il est possible qu'un débat s'élève à ce sujet. Je laisserai M. de Theux et M. Funck le vider entre eux.
L'autre point est plus important, c'est le fond même..
Ici je dois constater une erreur fondamentale, dans laquelle est tombé l'honorable M. Funck.
D'après l'honorable membre, la loi de 1842 n'a admis l'enseignement religieux qu'à titre accessoire.
Ainsi, les matières se diviseraient en matières principales : la lecture, l'écriture, la grammaire, le calcul et le système métrique, et en matières accessoires, la morale et la religion.
C'est là une erreur capitale ; il suffit d'ouvrir la loi de 1842 pour voir (page 939) que l'article 6 mentionne, en tête du programme des études, l'enseignement de la morale et de la religion.
Cette erreur est plus flagrante encore, si l'on remonte à l'esprit qui a dicté cette loi de 1842, si l'on recherche dans les discussions de la loi l'esprit qui animait ses auteurs. Qu'on lise ces discussions et l'on sera frappé non pas de la petite part qu'on y a faite à l'enseignement religieux, mais de la part énorme que les orateurs de 1842 faisaient à cette branche de l'enseignement. Evidemment on a considéré l'enseignement de la morale et de la religion comme la partie fondamentale, la partie principale de l'instruction.
Mais je dois le déclarer, je ne puis admettre à aucun point de vue que l'enseignement de la morale et de la religion soit déclaré une partie accessoire ou peu importante de l’enseignement primaire.
Comment ! vous aurez, parmi les matières principales, le système des poids et mesures, et les grandes questions qui touchent le plus intimement à ce qu'il y a de plus relevé dans l'homme, vous les reléguerez sur le second plan ! L'existence de Dieu, la responsabilité humaine, la vie future où le bien sera récompensé et le mal puni ! Ces idées moralisatrices, puissant auxiliaire de l'ordre social regardées comme sans grande valeur ! Je n'hésite pas à le dire, c'est impossible.
Mais, messieurs, l'honorable membre me paraît même avoir été plus loin.
Ne résulte-t-il pas de l'ensemble de ce discours qu'il regarde l'enseignement religieux non seulement comme ne devant jouer qu'un très petit rôle dans l'enseignement primaire, mais comme une chose funeste ?
Napoléon Ier, lorsqu'il fit le concordat, se trouvait en face d'une opinion à peu près semblable : « On dit (ce sont à peu près ses paroles) que toutes les religions sont mauvaises ; j'incline plutôt à croire qu'elles sont toutes bonnes. »
Au point de vue social où se plaçait l'empereur, il avait parfaitement raison.
Sans doute l'histoire montre que rien n'a provoqué autant, non pas seulement de discussions, mais de combats et de cruautés, que rien n'a plus ensanglanté les pages de l'histoire que les querelles de religion. Presque toujours ces querelles portaient sur des points dogmatiques n'intéressant en rien la société humaine. C'était le produit d'une intolérance que nos mœurs non moins que les lois ont bannie de notre siècle. Ces faits déplorables ne doivent pas faire perdre de vue que derrière les dogmes particuliers des religions diverses, il y a des vérités communes à toutes, que ces dogmes ne font que refléter ; tels sont les principes que je rappelais tantôt : La justice de Dieu en face de la responsabilité humaine.
L'enseignement religieux, quel qu'il soit, donné d'une manière ou d'autre, par un culte ou par un autre, aura toujours pour résultat de répandre ces grandes vérités. Au point de vue social, est-ce chose inutile ?
Ce n'est pas au moment où de bien tristes faits ont obligé à recourir à l'action la plus terrible de la force matérielle que nous devons penser à enlever aux classes malheureuses ces éléments moraux qui retiennent, encouragent et consolent.
Je me hâte de le dire, je rends une justice qu'on leur refuse si souvent aux intentions de ceux qui veulent la séparation de l'enseignement religieux et de l'enseignement civil.
Mais il ne faut pas l'oublier : dans cette séparation, il n'y a pas d'amoindrissement pour l'idée religieuse. L'honorable ministre des finances, dans une occasion récente, lorsque pour la première fois la question des écoles d'adultes a été soulevée dans cette Chambre, répondant à l'honorable M. Dumortier qui l'accusait de vouloir anéantir le sentiment religieux, lui disait :
« La séparation relèvera l'enseignement religieux ; il est amoindri par la jonction ! séparez-le, faites-le donner à l'église et vous aurez remplacé l'enseignement trop mécanique de l'instituteur par un enseignement plus relevé. »
Je comprends ce système, mais ce que je ne comprends pas, c'est que tout en admettant la jonction de deux enseignements on veuille amoindrir l'enseignement religieux en le déclarant chose insignifiante, regrettable. Qu'on le sépare plutôt, mais qu'on ne l'avilisse pas.
En repoussant nettement le point de départ de l'honorable M. Funck, je ne méconnais pas qu'il ait fait des observations justes sur certains points de l'exécution de la loi ; mais je crois qu'on peut y faire droit, sans procéder d'une manière radicale, sans supprimer d'un trait toute l'organisation actuelle pour se lancer dans des discussions interminables afin d'élaborer de nouveaux règlements ; on peut donner satisfaction à l'honorable membre sans recourir a ces moyens absolus dont l'application serait grosse de difficultés.
Lorsque le clergé a été appelé à rédiger le code de l'enseignement religieux, il a très naturellement donné à cet enseignement le plus d'importance possible, il a par une propension fort explicable cherché à empiéter un peu sur les autres branches de l'enseignement.
Je crois que si l'on avait fait rédiger le programme de chaque enseignement par ceux qui sont appelés à le donner, nous aurions assisté au même spectacle, chacun tirant un peu de son côté.
Mais, pour bien apprécier la situation, il ne faut pas oublier la nature de cette instruction qui est jointe au règlement du 15 août 1848.
Il n'y a pas dans ce règlement que des prescriptions nettes, précises, absolues ; beaucoup de ses parties ont le caractère de conseils ; l'instruction est en partie un règlement et en partie une exhortation. Il y a là un caractère mixte que l'on saisit à la simple lecture.
Quand, par exemple, on engage l'instituteur à s'entretenir de telle manière avec les enfants, n'y a-t-il pas là un conseil qui ne comporte pas la sanction d'une disposition précise ?
Je crois, messieurs, que toutes les questions soulevées par l'honorable M. Funck doivent être résolues dans la pratique, en mettant cette pratique en harmonie avec nos principes constitutionnels qui partout doivent avoir le pas.
L'honorable membre a parlé d'abord du temps pendant lequel on donne l’enseignement religieux et du moment qui a été choisi pour donner cet enseignement. On prend à cette fin la première demi-heure du matin et la dernière demi-heure du soir.
Il y a cinq branches d'instruction (en réunissant le système métrique au calcul) et cinq heures de classe ; l'enseignement religieux a une heure, est-ce trop ? Quant au moment choisi, on a pris la première et la dernière demi-heure pour permettre aux enfants dissidents de venir plus tard et de partir plus tôt. Si on avait pris le milieu de la journée, on aurait dû envoyer ces enfants au dehors, souvent dans la rue, pendant le temps de l'instruction religieuse.
Je crois donc qu'à cet égard cette disposition est des plus utiles et qu'il n'y a rien à changer au règlement.
Maintenant, messieurs, et c'est là le reproche le plus sérieux qu'a produit M. Funck, c'est qu'il y a dans le règlement un article qui porte que l'instituteur doit saisir toutes les occasions pour inculquer aux enfants, pendant la leçon de lecture et les autres leçons, des idées religieuses.
Je crois qu'il ne faut pas prendre à cet égard le règlement à la lettre pour toutes les écoles sans exception.
Il est incontestable qu'en Belgique, dans le plus grand nombre des communes, il n'y a pas d'enfants appartenant à d'autres communions que la communion catholique.
Il est évident que, dans ce cas, il n'y a aucune espèce d'inconvénient à ce que l'instituteur fasse des remarques religieuses, même en ce qui touche aux dogmes catholiques, à l'occasion d'une leçon quelconque.
Si dans une commune il y a des enfants appartenant à la communion catholique et à une communion chrétienne réformée, il n'y a pas encore d'inconvénient à ce qu'il fasse des remarques religieuses, pourvu qu'il ne s'occupe pas des dogmes qui divisent les deux communions. Le champ qui reste est encore vaste, puisque l'instituteur peut parler non seulement des idées communes à toutes les religions et elles sont nombreuses, mais encore des principes qui sont communs à toutes les églises chrétiennes.
Supposons qu'il y ait dans une commune des élèves appartenant aux cultes catholique, protestant et israélite.
Dans ce cas encore, on pourra, sans attenter à la conscience des élèves, faire des allusions, pourvu qu'elles se renferment dans les idées générales si importantes qui sont le patrimoine de toutes les religions.
Je croîs, du reste, messieurs, qu'à cet égard on peut être parfaitement tranquille. Dans la pratique, les instituteurs font très peu d'allusions de l'espèce et je voudrais même savoir s'il y a des écoles où, d'une manière quelconque, on pratique en rien ce système ?
Je donne l'assurance à l'honorable M. Funck que s'il m'était démontré que dans une école où il y a des enfants appartenant à plusieurs communions, un instituteur se serait permis de faire, en présence de ces dissidents, de la propagande pour une religion quelconque, je mettrais fin à la chose, et je pense que j'en ai le droit, sans avoir besoin pour cela de réformer le règlement.
(page 940) Quant à la liberté de l'instituteur dont a également parlé M. Funck, il est évident, qu'elle doit être respectée et qu'il jouit des libertés constitutionnelles garanties à tous les citoyens.
Est-ce qu'une instruction peut détruire cette liberté ? Evidemment non, messieurs, ce ne serait que par l'application abusive du règlement qu'il pourrait en être ainsi, et cette application abusive je prends rangement de ne pas le faire.
Il ne faut pas perdre de vue que l'inspecteur ecclésiastique n'a que le droit de soumettre des observations au gouvernement.
Au gouvernement appartient le droit de statuer, sous sa responsabilité devant les Chambres, et le gouvernement se gardera bien de l'engager par des actes d'intolérance qui engageraient gravement cette responsabilité.
Je pense que l'honorable M. Funck peut être tranquille, que les abus qu'il a indiqués ne se présenteront pas.
Le contrôle qu'il a le droit d'exercer comme membre de la Chambre doit être pour lui une garantie suffisante.
Remarquez que ce règlement a été maintenu par mes honorables prédécesseurs, MM. Rogier et Vandenpeereboom, aussi jaloux que qui que ce soit de maintenir les prérogatives de l'autorité civile, et je ne crois pas que dans la pratique ils aient eu souvent à en constater les inconvénients.
D'après les principes que j'indiquais tantôt, d'après la prudence qui doit présider aux actes du gouvernement, il n'y a pas lieu de prendre des dispositions radicales, pour de simples craintes spéculatives, lors qu'on a des moyens aussi simples qu'efficaces de réprimer les abus qui se présenteraient. Il vaut mieux, si les abus se produisent, avoir recours à de sages mesures administratives que de bouleverser à l'avance toute une organisation.
Je veux donc, messieurs, maintenir la loi de 1842, en l'exécutant franchement et loyalement, mais sans jamais permettre que dans l'exécution les prescriptions constitutionnelles soient violées, et sans jamais donner à cette loi une extension qu'elle ne comporte pas.
J'arrive maintenant, messieurs, à discuter les questions traitées par mon honorable ami M. Alp. Vandenpeereboom.
Je dois d'abord exprimer le regret que M. Vandenpeereboom ait cru devoir, au commencement de son discours, présenter, pour ainsi dire, la défense de son administration, au point de vue de la gestion des affaires de l'enseignement primaire. Cette défense était inutile ; car il n'est personne, dans cette Chambre, qui ne rende un juste et légitime hommage à mon honorable ami, au sujet de la direction qu'il a imprimée à cette branche si importante de l'enseignement.
M. Vandenpeereboom m'a privé, et c'est ce qui me contrarie le plus, du plaisir de faire l'exposé de sa belle administration.
Il est un point cependant dont il n'a pas parlé comme d'un titre à la reconnaissance publique : c'est celui qui est relatif à l'organisation des écoles d'adultes.
Cette organisation, qu'il a si chaudement poursuivie, demeurera pour lui un titre de gloire, et parmi toutes les bonnes choses qu'il a faites pour l'enseignement primaire, elfe ne sera pas la moins appréciée.
Mon honorable prédécesseur a commencé cette organisation au milieu des félicitations, un point noir s'est montré, il vous l'a dépeint, se changeant en un nuage qu'il a bien un peu exagéré.
Ce nuage disparaîtra et, malgré la réforme que le gouvernement se propose de faire, malgré l'addition d'un peu de liberté, l'organisation des écoles d'adultes restera son œuvre ; l'enfant qu'il se plaignait d'avoir dû recueillir, lui fera honneur plus tard.
Je disais que le nuage avait été grossi. Dans le vrai, je crois que mon honorable ami s'est rappelé que lorsque les dieux voulaient descendre de l'Olympe sur la terre, ils s'entouraient d'un nuage ; il a fait comme eux, s'est mis dans le nuage qui se présentait peur se dérober au fardeau du ministère.
Messieurs, il importe de ne pas exagérer la réforme que nous voulons opérer.
Notre intention n'est pas de bouleverser complètement l'organisation des écoles d'adultes. Nous ne voulons qu'une chose, c'est de permettre aux communes de donner ou de ne pas donner l'enseignement religieux, et par conséquent de se soumettre ou de ne pas se soumettre à l'inspection ecclésiastique.
La plupart des dispositions contenues dans le règlement sont très sages et il n'y a pas le moins du monde lieu de les modifier.
Toutes les communes qui ont accueilli avec l'empressement que vous signalait tantôt mon prédécesseur, l'organisation des écoles d'adultes, en y comprenant l'enseignement religieux, auront le droit de continuer, dans les mêmes conditions, la direction de ces écoles.
Il n'y aura pas, à cet égard, la moindre différence, pas la moindre difficulté. Ce que nous ajoutons, c'est la faculté pour les communes qui n'ont pas adopté l'enseignement religieux dans les écoles d'adultes, de ne pas donner cet enseignement et de se soustraire ainsi à l'inspection ecclésiastique, de sorte que, par l'addition d'un peu de liberté, nous arrivons à satisfaire et les communes qui veulent le règlement ici qu'il est et les communes qui y demandent des modifications en ce qui concerne l'enseignement religieux.
Quelle est donc la question qui s'élève ? Uniquement celle de savoir si toutes les dispositions de la loi de 1842 sont applicables aux écoles d'adultes, et notamment si l'article 6 de cette loi, qui contient le programme des matières d'enseignement, leur est applicable ; il n'y a pas d'autre question.
Nous ne méconnaissons pas que les écoles d'adultes soient indiquées dans la loi de 1842. Aussi, j'ai été surpris d'entendre mon honorable ami nous poser cette question : « Sur quoi fonderez-vous la réglementation des écoles d'adultes si vous n'admettez pas que la loi de 1842 leur soit applicable ?» Mais sur quoi a-t-il lui-même fondé son système ? Sur l'article 25 de la loi. Eh bien, je m'appuie comme lui sur l'article 25.
La lof de 1842 autorisant les subsides aux écoles d'adultes, nous pouvons donner des subsides à ces écoles et faire des règlements pour l'exécution de la loi.
Jusqu'ici nous sommes d'accord et dans la même situation que lui, seulement nous nous demandons si les écoles d'adultes, qui sont mentionnées dans la loi de 1842, doivent recevoir toute l'organisation prescrite par celle loi, si tous les articles de cette loi leur sont applicables.
Voilà la question.
El je veux de suite pour bien préciser le débat rencontrer une objection sur laquelle mon honorable ami s'est appuyé.
Il vous a dit : Les écoles d'adultes prévues par la loi sur l'enseignement primaire sont plutôt des écoles d'enfants que des écoles d'adultes.
Ici je l'arrête.
Si on veut organiser des écoles d'enfants se tenant le soir, la loi de 1842 leur serait applicable, car l'heure ne fait rien à la chose.
Mais il s'agit d'écoles d'adultes, c'est-à-dire d'écoles créées pour des élèves qui ont plus de quatorze ans.
Le règlement porte que ce n'est que par une permission exceptionnelle qu'on peut autoriser les enfants à fréquenter les écoles d'adultes, et il ne faut donner ces permissions que de manière à ne pas créer de concurrence contre les établissements d'enseignement primaire, proprement dit.
Les écoles d'adultes, en effet, donneront toujours un enseignement plus imparfait que les écoles primaires destinées aux enfants. En ouvrant les portes de l'école du soir à tous, on engagerait les pères qui voudraient tirer parti du travail de leurs enfants à les y envoyer et cela au grand détriment de l'instruction.
Ainsi limitons bien la question. Il s'agit de savoir si les écoles d'adultes sont soumises à la loi de 1842, en ce sens que toute la loi de 1842 leur soit applicable.
Il faut maintenant bien préciser les conséquences pratiques des solutions opposées données à cette question.
Si vous admettez l'applicabilité complète de la loi de 1842, vous devez exiger que l'enseignement religieux soit donné dans toutes les écoles, que l'inspection ecclésiastique s'applique à toutes les écoles d'adultes et comme conséquence vous devez annuler toutes les décisions des conseils provinciaux qui ont alloué des subsides en faveur des écoles d'adultes lorsque celles-ci ne sont pas soumises à la loi de 1842. Vous devez faire fermer les écoles de Bruxelles, de Liège, de Gand, de Louvain et de toutes les communes dont les écoles ne sont pas soumises au régime de cette loi, car si cette loi est applicable aux écoles dont il s'agit, il faut nécessairement l'appliquer. (Interruption.)
Je n'ai pas besoin de rappeler le texte qui conduit à cette conséquence ; l'article 26 porte qu'aucun subside ne peut être alloué ni par l'Etat, ni par les provinces, ni par les communes, aux écoles qui ne se soumettent pas à la double inspection. Ainsi l'application de la loi de 1842 aux écoles d'adultes nous conduit à la fermeture d'écoles qui existent depuis vingt ans.
A cette solution nous opposons celle-ci. Nous disons que la loi de 1842 ne s'applique pas à ces écoles dans ses dispositions impératives et qu'on peut laisser un champ plus libre aux administrations communales.
(page 941) Tels sont les deux systèmes entre lesquels vous avez à choisir.
Pour les apprécier, je vais me placer à trois points de vue.
J'examinerai d'abord la question au point de vue de la loi elle-même ; je la discuterai, si je puis le dire ainsi, en jurisconsulte.
Je l'examinerai ensuite au point de vue des précédents et je démontrerai à la Chambre que les précédents confirment notre opinion : c'est l'étude administrative de la question.
Enfin j'examinerai le système que j'ai l'honneur de soumettre à la Chambre, en lui-même, en le jugeant au point de vue de ses principes et de ses conséquences.
Tels sont les trois points (ma division est un peu classique, mais elle est nécessaire à la clarté) ; tels sont, dis-je, les trois points dont je dois faire subir le développement à la Chambre.
Etudions d'abord la question dans ses relations avec la loi elle-même.
Et tout d'abord je constate un point important. C'est que la loi de 1842 est une loi rigoureuse, que ses dispositions, surtout celles qui nous occupent sont des dispositions prohibitives sévères ; et en effet, je viens de le démontrer, il s'agit de défendre l'octroi de subsides à certaines écoles par les communes, les provinces ou l'Etat.
De la nature restrictive de ces dispositions, je conclus que la loi de 1842 doit être strictement interprétée : en matière d'interdiction tout est de stricte interprétation.
Ce point acquis, je demande (c'est une question de bonne foi), je demande ceci : A-t-il été dans la pensée des auteurs de la loi de 1842 d'appliquer les dispositions de cette loi aux écoles d'adultes ?
Mais, messieurs, voyez le texte de la loi. L'article 5 vous parle des enfants pauvres ; l'article 6, qui est le siège de la difficulté, vous parle des enfants appartenant à des communions dissidentes ; l'enfant est partout dans la loi de 1842, le jeune homme et l'adulte nulle part.
Parcourez les discussions parlementaires (j'ai eu le courage de les lire en entier), et vous ne trouverez pas qu'on ait en vue l'éducation des adultes ; partout, au contraire, on s'y occupe de l'enfant.
Si la loi s'appliquait aux écoles d'adultes il faudrait reconnaître que le législateur l'y aurait appliquée par distraction. (Interruption.) Le mot n'est pas trop fort, je vais vous le prouver.
On s'est tellement peu occupé des écoles du soir pour les adultes, qu'on les avait oubliées dans le texte du projet de loi. Ce projet a parcouru toutes les phases de la discussion (en matière d'instruction, il y a beaucoup de choses qui vont lentement), le projet de loi est demeuré très longtemps en section centrale, ni M. Nothomb, ni M. Dechamps ne s'étaient aperçus qu'il n'y était pas parlé des écoles du soir pour les adultes. C'est au second vote seulement que M. Devaux a fait observer que la loi ne parlait pas des écoles du soir pour les adultes, qu'elle ne parlait que des écoles du dimanche.
Le lendemain, l'honorable M. Nothomb vint dire : Nous avions oublié les écoles du soir pour les adultes.
N'ai-je pas le droit de dire, en présence d'un pareil oubli, que si l'on a si peu pensé aux écoles d'adultes, c'est que l'on n'avait nullement l'intention d'organiser pour ces écoles un système complet de dispositions.
Il n'y a donc pas eu, en cette matière, de prescriptions volontaires, de prescriptions réfléchies, discutées.
C'est déjà beaucoup.
Mais examinons le texte de la loi.
Quel est l'article sur lequel on s'appuie pour prétendre qu'aucune école ne peut échapper à l'enseignement religieux et à l'inspection ecclésiastique ? C'est l'article 26. « Aucune école, dit cet article, ne pourra obtenir ou conserver un subside ou une allocation quelconque de la commune, de la province ou de l'Etat, si l'autorité qui la dirige ne consent à la soumettre au régime d'inspection établi par la présente loi. »
Ce texte sans doute est général, mais d'abord je constate qu'on ne peut l'appliquer à toutes les écoles possibles, celles qui sortiraient de l'enseignement primaire.
A-t-on entendu appliquer ce texte à toutes les écoles qui sont citées dans la loi ? Non, car l'article 36 porte que certains articles sont applicables aux écoles primaires supérieures et aux écoles normales. Par conséquent, dans la pensée du législateur, l'article 26 ne se serait pas appliqué aux écoles normales et aux écoles primaires supérieures. On a fait un texte spécial pour appliquer à ces écoles le régime de l'inspection.
Il est donc établi que le texte général de l'article 26 ne s'applique pas à toutes les écoles que mentionne la loi.
La question est de savoir si ce texte s'applique seulement aux écoles primaires proprement dites, ou s'il s'applique aussi aux écoles facultatives auxiliaires dont il est parlé dans l'article 25.
Eh bien, il existe une disposition qui résout la question, c'est l'article 13 de la loi. Voici ce que porte cet article 13 : « Chaque inspection s'étend sur les écoles communales et sur celles qui en tiennent lieu en vertu de l'article 5 de la présente loi. »
Or, lorsque l'article 13, parle ainsi des écoles communales et de celles qui en tiennent lieu, n'est-il pas clair que ces écoles sont les écoles obligatoires pour l'enseignement primaire et celles qui peuvent les remplacer, c'est-à-dire les écoles adoptées ?
Ainsi deux textes : l'un qui indique les écoles soumises à l'inspection, l'article 26, l'autre qui mentionne la juridiction de l'inspection.
De la combinaison de ces deux textes, il résulte que les écoles soumises au régime d'inspection, et qui sont bien celles que les inspecteurs sont chargés d'inspecter, sont les écoles communales proprement dites ou celles qui en tiennent lieu.
Mais voyons, messieurs, pourquoi l'on prétendrait que l'article 26 s'applique aux écoles d'adultes. Il faut bien le reconnaître ; ce serait uniquement parce que l'article 25 les mentionne. Faisons une hypothèse : supposons l'art. 25 biffé de la loi, c'est-à-dire supposons qu'on n'ait pas fait allusion dans la loi aux écoles d'adultes. Prétendrait-on encore que l'article 26 s'applique à ces écoles ? Evidemment non ; c'est uniquement parce qu'elles sont mentionnées dans la loi qu'on le prétend. Or, je vous ai dit dans quelles circonstances cette mention a été faite, et je vous demande si l'on peu prétendre que le rappel qu'a fait l'honorable M. Devaux, en vue de faire accorder des subsides aux écoles d'adultes, peut avoir pour résultat de soumettre à celles-ci toutes les dispositions de la loi ?
Mais il y a plus ; est-ce que l'article 25 a eu pour but de faire comprendre dans l'enseignement primaire proprement dit les écoles d'adultes ? L'honorable M. Alp. Vandenpeereboom l'a prétendu ; mais l'article dit positivement le contraire. L'article 25 dit que les écoles d'adultes ne font pas partie de l'enseignement primaire. Que porte en effet cet article ? « Il dit qu'une partie du subside voté annuellement par la législature pour l'instruction primaire aura pour destination spéciale... les écoles d'adultes. » N'est-il pas évident que si les écoles d'adultes avaient constitué un partie de l'enseignement primaire, il eût été inutile de faire une semblable déclaration dans la loi ? La chose allait de soi.
Messieurs, je crois qu'on déplace la question en la rattachant à l'article 26 de la loi.
La question est tout entière dans l'article 6. On ne peut conclure de l'inspection au programme ; il faut conclure, au contraire, du programme à l'inspection.
La question est de savoir si tout le programme est imposé aux écoles d'adultes, si l'article 6 n'est applicable qu'aux écoles primaires pro prennent dites ou s'il est aussi applicable aux écoles d'adultes.
Je dis que cet article 6, qui est raisonnable dans le système de la loi de 1842, lorsqu'on l'applique aux écoles primaires proprement dites, devient sans aucune base lorsqu'on veut l'appliquer aux écoles d'adultes.
J'appelle votre attention sur ce point de vue de la question ; car il me paraît, à lui seul, décisif.
Que fait l'article 6 de la loi ? Il indique le minimum de l'instruction primaire ; il détermine ce que les écoles dont l'institution est obligatoire de par la loi, doivent nécessairement enseigner.
Ainsi obligation d'avoir une école primaire et obligation, dans cette école, d'enseigner certaines choses. Tel est le système de la loi de 1842 quant aux écoles proprement dites.
Ce système peut-il s'appliquer aux écoles facultatives ? Peut-on imposer à celles-ci un minimum d'enseignement ?
Je comprends, lorsqu'il s'agit d'une école obligatoire, qu'on leur impose ce minimum et qu'on exige que l'enseignement soit donné dans des conditions déterminées. L'obligation d'avoir une école serait dérisoire, sans l'obligation d'un programme minimum. Mais imposer aux communes qui ne doivent rien, ce minimum, c'est un contre-sens, car, lorsqu'une commune peut se dispenser d'avoir une école, à plus forte raison peut-elle se dispenser d'un programme complet. Un minimum de dettes suppose une obligation. Il est rationnel d'imposer aux communes l'existence d'une école primaire et par suite l'obligation d'enseigner certaines matières. Mais si vous dites à une commune qui est libre de ne pas ouvrir d'école : Vous donnerez ce minimum d'enseignement, elle vous répondrait ; Je ne (page 942) vous dois absolument rien, et si je consens à ouvrir une école, sans ce programme obligatoire, je fais encore plus que je ne dois.
Ainsi l'article 6 est le siège de toute la question. Il s'applique aux écoles obligatoires et non aux écoles facultatives.
Du reste, parcourez la loi ; voyez tout son système. Pour les écoles obligatoires, il existe non seulement un programme imposé, mais encore une obligation pour la commune de subvenir, dans les limites de la loi du 30 mars 1836, aux besoins de l'école.
Oseriez-vous prétendre qu'il est obligatoire pour une commune de subvenir aux besoins d'écoles d'adultes, alors qu'elle ne veut pas en créer ?
La loi exige des communes qu'elles affectent à l'enseignement primaire deux centimes additionnels. Or, est-il un seul membre dans cette Chambre qui voudrait soutenir que les communes peuvent appliquer ces deux centimes additionnels aux écoles d'adultes ?
Vous voyez donc que, pour les écoles primaires proprement dites, il y a un système de programme arrêté, un système financier arrêté, un système d'inspection arrêté ; que pour les écoles d'adultes, au contraire, il n'existe rien de semblable.
Ces écoles sont des établissements non obligatoires, mais purement facultatifs, auxquels le gouvernement peut accorder des subsides, en leur imposant certaines conditions. Il n'y a rien de plus.
S'il est démontré que l'article 6 de la loi n'est pas applicable aux écoles d'adultes, que devient alors l'article 26 ? Si l'on applique cet article, si l'on donne dans l'école un enseignement exclusivement laïque, la lecture, l'écriture et le calcul, que fera l'inspection ecclésiastique ? Elle n'aura rien à inspecter. Vous voyez donc que l'article 26 dépend de l'application de l'article 6 ; et l'article 6, comme toutes les dispositions de la loi, est écrit pour les écoles primaires proprement dites.
Ainsi, tenons pour certain que, dans la loi de 1842, il y a une démarcation profonde entre l'instruction primaire proprement dite, instruction que le législateur a eu exclusivement pour but de régler, entre cette instruction, dis-je, et les écoles purement facultatives, pour lesquelles le législateur n'a rien prévu, rien réglé et auxquelles il n'a pour ainsi dire pas pensé.
Voyons maintenant comment cette disposition a été entendue ; voyons si le système que je viens d'exposer, c'est-à-dire la distinction fondamentale entre les écoles obligatoires proprement dites et les écoles facultatives, n'est pas celui de l'honorable M. J.-B. Nothomb, ministre de l'intérieur en 1842. Je suis ici dans la nécessité de donner lecture de quelques pièces.
Voici comment s'exprime M. Nothomb dans une circulaire du 9 avril 1843, destinée à inaugurer le régime de la loi de 1842 :
« Le législateur a, dit-il, placé dans l'article 6 de la loi le programme de l'instruction que le peuple a le droit de réclamer de ceux qui sont chargés de veiller à ses intérêts, minimum de connaissances que l'Etat, de son côté, peut aussi légitimement exiger de tous les citoyens. »
Cette doctrine est exactement celle que je viens d'exposer en interprétant la loi de 1842.
Après avoir indiqué le minimum d'instruction, M. Nothomb passe en revue toutes les dispositions de la loi de 1842, celles qui concernent le régime financier et celles qui se rattachent à l'inspection, et c'est seulement après avoir montré tout ce qui se rapporte aux écoles obligatoires qu'il arrive à déclarer que ces écoles ne suffisent point, qu'il reste d'autres écoles à créer.
« Ainsi, dit-il, pour que le bienfait de l'instruction soit assuré aux populations laborieuses de la Belgique, pour qu'il soit vraiment efficace, pour qu'il ait une influence morale, salutaire et durable, il ne suffira point d'avoir dans chaque commune une école telle que celle que prescrit l’article 6 de la loi.
« Dans les grandes villes surtout, dans les centres de fabrication oh se trouvent réunies en grand nombre des familles vouées aux travaux de l'industrie, l'organisation de l'instruction primaire parvenue à son état normal devra offrir à la première enfance l'école gardienne, à l'enfant en âge d'école l'école primaire proprement dite, comme l'entend l'article 6 de la loi.
« Enfin, au jeune homme et à la jeune fille dont la journée est employée aux travaux industriels, l'école d'adultes du soir et du dimanche. »
On ne peut exposer plus clairement le système que je soutiens moi-même devant cette Chambre, c'est-à-dire la distinction fondamentale entre les écoles obligatoires et les autres écoles.
Je continue la lecture de la circulaire :
« Dans les communes plus petites, et dont les ressources ne permettent que l'établissement d'une seule école, que l'entretien d'un seul maître, il ne sera pas impossible, par une bonne distribution du local et par une bonne division du temps, d'obtenir à peu près les mêmes résultats.
« Quelques leçons du soir pendant l'hiver tiendront lieu d'écoles d'adultes pour les garçons. »
Il ne s'agit ici que de quelques leçons, et l'on devrait obligatoirement appliquer l'article 6 de la loi, dont l'exécution exige des années entières et plusieurs heures de leçons par jour dans les écoles primaires proprement dites !
« L'école dominicale pourra être alors réservée exclusivement pour les filles ; et l'on peut assez compter sur le zèle et la charité MM. les curés et les vicaires pour ne pas craindre que leur concours manque jamais à l'organisation des écoles dominicales. »
D'après la loi de 1842, quel est le rôle du clergé dans les écoles primaires proprement dites ? C'est l'intervention, qui est à la fois son droit et son devoir. Que dit l'honorable M. Nothomb quant aux écoles dominicales ? Il dit qu'à cet égard on peut compter sur la charité des curés et des vicaires, c'est-à-dire sur leurs bonnes dispositions. N'est-ce pas bien constater qu'il s'agit ici d'une chose toute facultative pour le clergé ?
Vous allez voir, du reste, que M. Nothomb, reconnaissait lui-même que la loi de 1842 est limitée, qu'elle ne peut pas s'étendre à toutes les branches de l'instruction primaire ; mais M. Nothomb, par un amour paternel, fort légitime du reste, a cherché à étendre sa loi, et il le dit lui-même.
« C'est vers une organisation comprenant les trois degrés de l'éducation populaire, que seront dirigés les travaux de l'administration.
« Vous prêterez, monsieur le gouverneur, dans l'accomplissement de cette grande et difficile mission, le concours de vos lumières et de votre expérience aux intentions du gouvernement du Roi.
« Une foule d'éléments précieux, qui pourront vous aider dans cette tâche, existent sur le sol de la Belgique, mais ils ne sont pas, jusqu'à présent, coordonnés ; ils sont disséminés, sans points de contact, lors même qu'ils ne se contrarient pas mutuellement. Ici, ce sont des institutions communales ou provinciales ; là, ce sont des associations religieuses ou philanthropiques ; c'est quelquefois aussi l'action généreuse de la charité privée.
« Sous quelque forme que se produise l'œuvre, de bienfaisance, vous chercherez à la rendre, le plus possible, profitable aux classes pauvres et laborieuses.
« Tout en laissant à chaque institution son caractère et son allure propre, il n'est peut-être pas impossible de les réunir toutes par le lien que nous présente la loi du 23 septembre 1842.
« Vous le tenterez avec nous, monsieur le gouverneur, mais en mettant, dans tous vos actes, la prudence et la circonspection qui peuvent seules assurer le succès des institutions nouvelles. »
Ainsi, M. Nothomb dit que la loi de 1842 peut être un lien commun ; qu'il faut l'étendre à toutes les institutions ; M. Nothomb invite ces gouverneurs à tenter cette œuvre qui, dit-il, n'est pas impossible.
Il était important de bien constater cette tendance de M. Nothomb à étendre la loi de 1842, afin de faire mieux saisir la portée des décisions qu'il a prises plus tard relativement à l'application de cette loi.
Peu de temps après la publication de la loi du 23 septembre 1842 M. Nothomb eut à se prononcer sur une question relative à l'instruction des aveugles et des sourds-muets ; et vous allez voir que les principes qu'il a appliqués en cette circonstance sont exactement ceux que je viens d'indiquer.
Il s'agit d'une circulaire du 30 juin 1843, ainsi conçue :
« Monsieur le gouverneur,
« Par votre lettre du 28 juin courant (E. n03347), vous m'avez demandé mon opinion sur la question de savoir s'il y a lieu de comprendre dans les dépenses de l'instruction primaire (les deux centimes additionnels), celles qui se rapportent à l'instruction des sourds-muets et des aveugles.
« Je crois, monsieur le gouverneur, devoir répondre négativement à cette question.
« Quatre motifs principaux me déterminent à me prononcer dans ce sens.
« 1° La nature toute spéciale de l'instruction des sourds-muets et des aveugles, instruction qui ne se borne pas aux objets ordinaires de l'enseignement primaire proprement dit, mais qui comprend encore et surtout l'éducation professionnelle.
(page 943) « 2° La loi communale établit elle-même une ligne de démarcation entre ces deux catégories d'instruction. En effet au nombre des dépenses obligatoires des communes, figurent, sous des rubriques spéciales :
« Les frais que la loi sur l'instruction publique met à la charge des communes (article 131,10°).
« Les frais d'entretien et d'instruction des aveugles et des sourds-muets indigents, etc. (idem 17°)
« La loi organique de l'instruction primaire a donné une nouvelle consécration à cet état de choses.
« L'instruction des sourds-muets et des aveugles n'est pas en effet comprise parmi les objets auxquels les communes doivent pourvoir en vertu de l'article 22 de la loi du 23 septembre 1842, au moyen du produit de deux centimes additionnels au principal des contributions directes.
« 3° Si les frais de l'itruction des sourds-muets et des aveugles étaient compris dans les dépenses de l'instruction primaire proprement dite, tous les établissements consacrés à ces deux classes de malheureux seraient soumis à la double inspection décrète par la loi du 23 septembre 1842, inspection qui, sans pouvoir produire des résultats efficaces, présenteraient, à d'autres égards, d'assez graves inconvénients (...) »
Ainsi M. Nothomb nous dit : L'on ne doit pas comprendre l'inspection des aveugles et des sourds-muets dans les deux centimes additionnels applicables à l'enseignement primaire proprement dit. Et pourquoi ? Parce que si vous appliquiez ces deux centimes additionnels à l'instruction des aveugles et des sourds-muets, vous devriez la soumettre à l'inspection, ce qui ne doit pas être. L'inspection ne s'applique, dans la pensée de M. Nothomb, qu'aux établissements auxquels s'appliquent les deux centimes additionnels, c'est-à-dire aux écoles primaires réglementées par l'article 6 et les autres dispositions de la loi de 1842.
J'arrive à un document fondamental de mes contradicteurs, à la pièce qui est surtout invoquée comme une décision très catégorique en faveur de l'application de l'article 26 ; je dois reconnaître qu'il y a dans cette pièce une déclaration fort nette, fort précise à cet égard, mais j'ajoute qu'il y en a une autre aussi. Ce document a cela de bon qu'il peut servir aux partisans des deux opinions.
C'est du reste ce qui s'est présenté souvent à l'occasion de l'interprétation de la loi et des règlements sur l'instruction primaire.
« Monsieur l'inspecteur,
« Plusieurs écoles-manufactures de votre ressort, où l'enseignement primaire n'est, le plus souvent, qu'accessoire, ont reçu du gouvernement un subside unique, à la condition de se soumettre au régime d'inspection. »
(On voit d'après ce passage que le gouvernement n'avait donné son subside que moyennant condition, ce qui prouve déjà que la condition ne se trouve pas dans la loi.)
« Par lettre du 11 de ce mois, vous me consultez sur la conduite à tenir à l'égard de ces écoles, notamment sur la question de savoir si l'on doit y faire les deux inspections annuelles prescrites par l'article 13, et mentionner le résultat des visites sur le registre de l'inspection ordinaire.
« D'abord, M., l'inspecteur, je ne pense pas que les écoles spéciales a connues sous le nom d'écoles-manufactures ou d'ateliers d'apprentissage, puissent, en aucun cas, se soustraire à l'inspection dès l'instant qu'elles ont reçu d'une caisse publique, une subvention quelconque. »
« Ces établissements tombent sous l'application de l'article 26 de la loi qui porte ce qui suit :
« Art. 26. Aucune école ne pourra obtenir ou conserver un subside ou une allocation quelconque, de la commune, de la province ou de « l'Etat, si l'autorité qui la dirige ne consent à la soumettre au régime a de la présente loi. »
« Il est évident que, par ces mots : « aucune école », le législateur a entendu toutes les écoles sans exception, dont il est parlé dans les articles précédents, et par conséquent les écoles-manufactures, dont il est fait mention à l'article 28. »
Cela est bien net, bien clair, et fait supposer que M. Nothomb va appliquer aux écoles d'apprentissage le système de l'inspection légale de la loi de 1842. Il n'en est rien, cependant. Ecoutez ce qui suit :
« Quant à la question que vous me soumettez, je suis d'avis qu'il faut distinguer deux choses dans les écoles-manufactures.
« 1° L'école proprement dite ;
« 2° L'atelier de travail.
« En ce qui concerne l'école proprement dite, lorsqu'elle sert à l'instruction gratuite des pauvres, il est nécessaire de l'inspecter d'après les règles prescrites par l'article 13 de la loi ; car alors on doit pouvoir s'assurer si elle présente les mêmes garanties que l'école communale dont elle tient lieu. »
Il est évident que si l'atelier d'apprentissage est une école primaire obligatoire, une école primaire proprement dite où viennent s'instruire les pauvres enfants de la commune, il faut lui appliquer la double inspection.
Mais M. Nothomb continue et dit :
« Si l'école proprement dite n'est pas organisée pour suppléer l'école communale, ou, en d'autres termes, si la commune n'y envoie pas les enfants pauvres, il faut se borner provisoirement à la visiter pour s'assurer si l'enseignement y est bien donné ; pour constater les abus, s'il y en a, ainsi que les améliorations à y introduire, enfin, pour acquérir la certitude que les subsides accordés sont dûment employés à Jour destination.
« On s'arrêtera aussi provisoirement à ce dernier mode d'inspection pour l’atelier de travail. »
Ainsi, M. Nothomb déclare d'abord que la loi est applicable aux écoles manufacturières, mais il établit ensuite la distinction suivante :
S'il s'agit d'une école primaire proprement dite, s'il s'agit d'une école communale, vous l'inspecterez d'après la loi. Mais si ce n'est pas une école communale, vous l'inspecterez d'une autre manière ; vous ne lui appliquerez pas la disposition de l'article 13 qui prescrit deux inspections par an.
N'y a-t-il pas là, messieurs, une contradiction manifeste avec le principe énoncé au commencement de la lettre ?
Quelle est donc la vérité ? La vérité est que M. Nothomb, qui avait une tendance, comme je l'ai dit plus haut, comme il l'a proclamé lui-même, à étendre la loi de 1842, l'a étendue aux écoles manufacturières ; mais sentant qu'il ne pouvait pas appliquer cette extension à toutes ces écoles, qu'il ne pouvait pas traiter toutes ces écoles manufacturières comme des écoles primaires proprement dites, il les a soumises à un système d'inspection qu'il a imaginé, à un système qui n'est pas celui de la loi.
II est une autre décision et celle-là est tout aussi formelle ; elle émane de l'honorable M. de Theux.
L'honorable M. de Theux a décidé que les écoles manufacturières, les asiles et les écoles d'adultes sont soumis au régime d'inspection.
Mais il est assez remarquable qu'après avoir rendu cette décision, l'honorable M. de Theux en arrive à établir que les subsides accordés par le gouvernement aux écoles manufacturières ne doivent pas être imputés sur le fonds de l'instruction primaire, mais sur celui de l'industrie.
Ainsi, voilà l'honorable M. de Theux qui applique le régime de l'inspection à des écoles subsidiées au moyen des fonds de l'industrie. Je crois que personne ne contestera qu'il y a là une application extensive de la loi, que l'honorable M. de Theux a suivi les précédents de M. Nothomb et a voulu étendre l'application de la loi de 1842. Car on ne peut soutenir sérieusement que des écoles subsidiées au moyen du fonds de l'industrie soient soumises au régime de la loi sur l'enseignement primaire.
Je me propose maintenant de narrer à la Chambre l'histoire de la confection du règlement en date du 1er septembre 1866, histoire qui pourrait donner matière à un poème épique.
L'élaboration de ce règlement a demandé plus de temps que les Grecs n'en ont mis à prendre Troie. Il a fallu dix ans pour prendre Troie ; il en a fallu dix-huit pour faire le règlement du 1er septembre 1866.
Messieurs, comme toutes les grandes choses, ce règlement a eu des commencements modestes, et celui qui en a jeté les premières bases ne se doutait certainement pas que, dix-huit ans après, il amènerait une crise ministérielle. Vous verrez, messieurs, combien cette édification a été laborieuse ; et je crois, en vérité qu'il n'est pas un homme bien classique qui, après avoir lu cette longue histoire, ne s'écrie : Tantae molis erat !
Vers la fin de 1848, l'inspecteur de Namur, à l'occasion de quelques écoles ouvertes dans l'arrondissement de Philippeville, demanda si l'on pouvait admettre, dans les écoles d'adultes, des enfants âgés de moins de 12 ans.
Désireux de s'éclairer sur ce point et voulant aller très vite, ce fonctionnaire ne suivit pas la filière administrative ; il s'adressa directement au ministère de l'intérieur, comptant sur une réponse immédiate. Cette réponse il l'attendit longtemps.
Le ministre consulta le gouverneur de Namur, le gouverneur envoya (page 944) sa réponse au ministre, et sur cette réponse on inscrivit ces mots : « Tenir provisoirement en réserve. » Et l'affaire fut en effet tenue en réserve.
Cependant, l'inspecteur, après avoir attendu un an, écrivit une lettre de rappel ; il remémora au ministre sa requête de l'année précédente et lui demanda s'il l'autorisait à prescrire aux instituteurs communaux et adoptés qui dirigent les écoles d'adultes, quelques précautions destinées à empêcher que ces écoles pussent nuire à celles du jour, et à sauvegarder la moralité des enfants qui fréquentent les écoles.
Sur cette lettre de rappel, le ministère de l'intérieur se met à la besogne et le 18 janvier 1851, c'est-à-dire, 18 mois après (interruption) on fit quelque chose. Les femmes de ménage ont toujours un certain mets particulier à servir à leurs convives quand elles n'en trouvent pas d'autre ; au ministère de l'intérieur on fait dans des cas semblables une circulaire.
On se décida donc à envoyer une circulaire aux gouverneurs. La voici :
« D'après les renseignements qui m'ont été fournis, les écoles du soir se tiendraient généralement à des heures trop avancées et, par suite, elles seraient une occasion de désordre pour les jeunes gens qui les fréquentent.
« L'intérêt de l'enseignement et de la moralité peut nécessiter quelques garanties spéciales.
« Je vous prie, M. le gouverneur, d'examiner si, pour tenir des écoles du soir, les instituteurs communaux ou adoptés ne devraient pas être munis d'une autorisation spéciale du gouvernement et de me faire connaître, le cas échéant, quelles seraient les conditions auxquelles on pourrait subordonner les autorisations de l'espèce. »
Cette circulaire est du 18 janvier 1851.
Naturellement les gouverneurs se mirent à leur tour à la besogne et envoyèrent chacun un avis au ministre. Naturellement encore ces avis étaient tout à fait différents. Je ne veux pas condamner la Chambre à entendre la lecture de ces avis ; j'en ferai seulement connaître la substance.
Les gouverneurs du Limbourg et de la Flandre orientale croient qu'aucune mesure n'est à prendre.
Les gouverneurs de la Flandre orientale, de la province de Liège et de celle de Luxembourg estiment que l'autorisation est nécessaire, et pensent qu'il faudrait imposer quelques conditions fixes ou variables, d'après les localités.
Le gouverneur d'Anvers pense qu'il faut imposer trois conditions :
« 1° Admission exclusive aux écoles du soir des garçons âgés de 14 ans au moins.
« 2° Durée des leçons fixée à une heure minimum et à une heure et demie maximum ; elles doivent être finies à huit heures.
« 3° Programme de l'enseignement comprenant au moins les matières prescrites par l'article 6 de la loi du 23 septembre 1842. »
Ainsi le gouverneur d'Anvers croit qu'il faut imposer différentes conditions. Parmi ces conditions est celle du programme de l'article 6, mais au même titre que d'autres conditions dont la loi ne parle pas.
Le gouverneur de Namur croit aussi que le programme consacré par l'article 6 doit être admis, mais ajoute, cependant, que l'on pourrait ne pas astreindre tous « les élèves à apprendre toutes les matières ».
Cette dernière réserve prouve bien encore qu'il ne s'agit point ici d'une prescription légale qui, de sa nature, serait absolue.
Enfin le gouverneur du Hainaut se rallie aux conclusions suivantes :
« L'inspecteur cantonal, après avoir pris l'avis de l'inspecteur provincial, réglerait, de concert avec le maître ou la maîtresse de l'école, tout ce qui aurait rapport, soit à la discipline des élèves, soit au programme de l'enseignement, soit aux heures de la tenue des classes, selon les besoins de la localité. Il fixerait aussi le taux de la rétribution mensuelle à payer, par les élèves, le cas échéant.
« L'inspecteur provincial soumettrait à l'approbation de la députation permanente les mesures proposées par l'inspecteur cantonal. »
Ainsi l'inspecteur propose de faire déterminer les matières à enseigner, d'après les besoins des localités, ce qui est évidemment encore l'exclusion de la prescription légale.
Le gouverneur du Brabant dit ceci :
« Afin d'encourager les instituteurs, des subsides pourraient être accordés, sur la proposition de l'inspecteur, qui aurait naturellement accès dans les écoles.
« Quant aux branches et à l'étendue de l'enseignement, les instituteurs seront mieux à même que personne d'apprécier leur utilité et leurs limites ; elles dépendront, d'ailleurs, des localités et des circonstances, et il serait impossible de poser des règles générales à ce sujet. »
Vous voyez donc, messieurs, qu'on était d'accord pour ne pas considérer l'article 6 de la loi comme étant nécessairement obligatoire et qu'il y avait seulement quant au programme une matière à régler.
II reste, messieurs, une pièce importante, c'est l'avis du gouverneur de la Flandre occidentale, qui était alors l'honorable M. de Vrière. Je donnerai lecture de son rapport :
« ... Il est deux espèces d'écoles d'adultes : les écoles dominicales et celles du soir. En général, l'utilité des écoles de la première de ces deux catégories est très contestable. A part quelques rares exceptions, ce sont des espèces de congrégations où l'on s'occupe le dimanche, pendant une heure ou deux, de catéchisme et de religion, mais nullement d'instruction primaire. Certes, cela est beau, mais les portes de l'église sont ouvertes pour tout le monde, et je ne vois pas la nécessité de fonder ainsi des sociétés à part dans la société chrétienne. Pour arriver à un résultat plus positif au point de vue de l'enseignement, il faudrait que l'obtention des subsides fût subordonnée à des conditions réglementaires dont l'inspection surveillerait l'exécution. J'ai déjà songé à vous proposer une pareille mesure, mais les difficultés d'exécution et puis des considérations que vous apprécierez aisément sans que j'aie besoin de les exposer, m'ont fait renoncer à cette idée, que j'abandonne toutefois à votre examen.
« Quant aux écoles du soir, si elles étaient régulièrement organisées, ce serait, dans quelques localités importantes, un grand bienfait pour les adultes de la classe ouvrière.
« C'est l'absence de toute organisation qui fait péricliter ces institutions ; dans l'état de choses actuel, aucune ressource n'est assurée à l'instituteur ; les 50 ou 60 francs qu'il reçoit, à titre de subside, loin de pouvoir être considérés comme une récompense pour ses labeurs, sont souvent insuffisants pour subvenir aux frais de chauffage, de lumière et de fournitures classiques ; car il est bien à remarquer que la plupart des adultes qui fréquentent les écoles du soir sont de pauvres ouvriers hors d'état de payer la moindre rétribution. Voici ce que je propose en vue d'assurer l'existence d'un certain nombre de ces écoles dans chaque province. Aucun subside ne serait accordé qu'aux instituteurs communaux pourvus d'une autorisation du gouvernement et les autorisations seraient limitées aux instituteurs des communes les plus populeuses , je suppose 15 à 20 par province. Les adultes du sexe masculin seraient seuls admis. L'enseignement serait entièrement gratuit pour les pauvres et l'on pourrait même, à certains égards, procéder en cela comme pour l'admission gratuite des enfants pauvres dans les écoles primaires. Un subside annuel de 150 à 250 fr. d'après le nombre des adultes auxquels ils donnent l'instruction gratuitement, serait accordé à chaque instituteur ; en moyenne ce serait une dépense de 3 à 4 mille francs par province. Cette dépense n'est maintenant guère moindre, mais les écoles dominicales en absorbent la plus large part. »
Ainsi messieurs, nous voyons qu'à cette époque on attribuait le subside aux écoles communales et dans ces écoles, qui absorbaient ainsi presque la totalité du subside, l'on ne suivait pas le programme inscrit à l'article 6 de la loi de 1842, on donnait exclusivement l'enseignement moral et religieux.
M. Dumortier. - Pas exclusivement.
MiPµ. - Je ne pense pas que l'honorable M. Dumortier suppose que les pièces dont j'ai donné lecture ont été faites pour les besoins delà cause.
M. Dumortier - Non, mais par une personne qui ne connaît par les écoles dominicales.
MiPµ. - L'honorable M. Dumortier les connaît mieux. II a pu converser avec les instituteurs de l'arrondissement de Roulers... au moyen d'un interprète, tandis que M. de Vrière, qui était gouverneur de la province de Flandre occidentale et qui était renseigné par toute l'administration, ignorait sans doute ce qui se passait.
M. Dumortier. - Vous invoquez son opinion pour les besoins de votre thèse.
(page 945) MiPµ. - Sans doute, je cite son opinion pour fortifier ma thèse. Il serait bien malheureux que je ne pusse citer ce qui n'est favorable.
Ainsi, je constate que les écoles dominicales étaient des espèces d'écoles de catéchisme et qu'on leur donnait des subsides.
- Une voix. - C'était un abus.
MiPµ. - C'était un abus, soit, mais il n'y a pas moins là un grand fait à l'appui de mon système.
Autre chose, messieurs, est de l'obligation légale de suivre un programme, autre chose est de donner des subsides quand le programme est complet. Ce que je veux constater, c'est qu'on donnait des subsides à des écoles qui n'étaient pas dans les conditions de l'article 6.
Cette correspondance étant arrivée au ministère, l'honorable M. Rogier accusa réception à MM. les gouverneurs en leur disant qu'i serait tenu compte des abus signalés quand on ferait un règlement.
Combien d'années ces renseignements devaient encore passer dans les cadres de disponibilité !
M. Preud'hommeµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de la section centrale qui a examiné le budget des dotations pour l'exercice 1869.
- Impression et distribution.
La séance est levée à 5 heures.