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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 12 mars 1868

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1867-1868)

(Présidence de M. Dolezµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 823) M. de Moor, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Reynaert, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Moorµ présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Vander Cruysten demande que le département des travaux publics fasse usage du système qu'il a inventé pour empêcher le déraillement des voitures. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Springael demande que la place de conseiller vacante à la cour des comptes et, le cas échéant, celle de greffier soit donnée à l'un des employés de cette cour. »

- Dépôt sur le bureau pendant la nomination d'un membre de la cour des comptes.


« Des candidats huissiers demandent qu'il soit pourvu aux places d'huissiers qui sont vacantes à la cour d'appel de Bruxelles. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

Projet de loi allouant des crédits au budget du ministère des travaux publics

Rapport de la section centrale

M. Vleminckxµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de la section centrale chargée d'examiner le projet de loi portant allocation de crédits spéciaux pour l'exécution de travaux d'utilité publique.

Messieurs, je crois aller au-devant du désir de la Chambre en demandant que ce projet de loi soit mis à l'ordre du jour le plus tôt possible. La saison des travaux approche ; nos classes ouvrières sont presque privées de travail et il importe qu'une décision soit prise sans retard sur les crédits qui sont présentés.

- Le rapport sera imprimé, distribué et l'objet qu'il concerne mis à l'ordre du jour après le projet de loi sur la réorganisation militaire.

Projets de loi relatifs au contingent de l’armée pour 1869, à la division du contingent de milice en contingent actif et contingent de réserve, et à la durée du service militaire

Discussion générale

MgRµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau les renseignements demandés par l'honorable comte de Theux. Ces renseignements portent sur la récapitulation des petites permissions et congés temporaires accordés en 1867 ; sur les congés d'un mois et au delà donnés pendant 1867 ; sur la répartition du contingent pendant les six dernières années, avec l'indication du chiffre réel des hommes qui ont été incorporés, et enfin sur l'état indiquant l'effectif moyen en solde pendant les cinq dernières années.

M. le président. - Je propose à la Chambre d'ordonner l'impression de ces documents comme annexe au rapport.

- Adopté.

M. le président. - La parole est continuée à M. Kervyn de Lettenhove.

(page 831) M. Kervyn de Lettenhove. - Messieurs, avant de continuer mon discours, je me crois tenu de revenir, en quelques mots, sur deux ou trois points où j'ai pu constater que je me trouvais en dissentiment avec M. le ministre de la guerre et M. le ministre des finances.

En ce qui touche la perte résultant d'autorisations de mariage dans la neuvième et dixième année du service de milice, j'ai revu les chiffres que je n'avais pas hier à ma disposition.

Et voici, messieurs, quels étaient les calculs auxquels je m'étais livré :

Il est constaté par les relevés de population qu'il y a 131,706 hommes de 25 à 30 ans non mariés.

Passant ensuite à un autre volume de statistique, celui qui renferme les documents pour l'année 1863, j'ai remarqué que le nombre des célibataires de 25 à 30 ans qui se marient s'élève à 11,689.

Comme, en ce moment, j'avais sous les yeux le tableau du 31 décembre 1860 sur la décomposition du contingent, où les 9ème et 10ème classes sont évaluées à 15,904 hommes, j'arrivais à ce résultat que si 131,706 célibataires de 25 à 30 ans nous donnent 11,689 mariages, 15,904 célibataires appartenant aux 9ème et 10ème classes ne pouvaient nous donner que 1,440 mariages.

Or, comme il s'agit d'un terme de 5 ans, le calcul qui prend pour base un terme de 2 ans ne donne plus que le chiffre de 576.

Je dois remarquer que dans le tableau de 1860, les 9ème et 10ème classes sont évaluées à 15,904 hommes, tandis que dans le tableau qui nous a été communiqué hier par M. le ministre de la guerre, elles ne sont plus portées qu'à 14,261 hommes.

Il en résulterait donc que ce chiffre de 5,000 hommes, indiqué par M. le ministre de la guerre, devrait se réduire a 500. Je mets les chiffres sous les yeux de la Chambre. Il se peut que je me sois trompé ; mais du moins je donne une preuve de ma bonne foi en indiquant les chiffres dont je me suis servi et qui me conduisent à ce résultat qu'au lieu de 5,000 hommes que l'autorisation de mariage frapperait de déchet, le chiffre devrait être réduit à 500.

MgRµ. - J'ai déjà, pour une seule classe, un déchet constaté de 2,500 hommes.

M. Kervyn de Lettenhove. - J'ai pris pour base des renseignements statistiques ; je les livre à l'appréciation du gouvernement et de la Chambre.

Hier, M. le ministre des finances m'a fait l'honneur de m'interrompre quand j'ai parlé de l'Angleterre. Il me disait : « Contrairement à ce que vous pensez et à ce que vous avez dit plusieurs fois, le tirage au sort pour la milice en Angleterre était le système ancien, dont le principe a été maintenu. »

Je reproduis fidèlement l'interruption de M. le ministre des finances.

Je ne crois pas, messieurs, avoir déjà eu l'occasion de rechercher quelle était, dans la législation militaire de l'Angleterre, la cause de l'introduction de la conscription. Puisque M. le ministre des finances veut bien m'interpeller sur ce point, je reconnais très volontiers que l'introduction de la conscription remonte à plusieurs années ; mais je ne puis avouer qu'il y ait là un fait ancien.

Dans quelle circonstance le fait a-t-il eu lieu ? Lorsque en 1803, le traité d'Amiens à peine conclu fut aussitôt rompu et que l'Angleterre put redouter une invasion sur son propre territoire, un acte de la 42ème année du règne de George III, a pour la première fois introduit en Angleterre le système de la conscription, c'est-à-dire qu'il a établi que si le territoire était menacé, on pourrait, non pas dans l'armée régulière, mais pour la milice, recourir à la conscription.

C'est ce qui a pu avoir lieu à cette époque en présence d'un danger imminent. Mais il est bon de rappeler que les vaillantes armées anglaises qui ont lutté, pied à pied, en Espagne contre le plus grand capitaine de ce siècle et qui, dans les plaines de Waterloo, lui ont opposé une barrière infranchissable, étaient entièrement composées de volontaires.

MfFOµ. - De recrutés.

M. Kervyn de Lettenhove. - De volontaires.

J'ai voulu m'éclairer de nouveau ce matin ; j'ai consulté des sources d'une valeur incontestable et dans la réponse qui m'a été faite on fait remarquer que dans l'armée qui a combattu dans la péninsule, comme dans celle qui a lutté dans les plaines de Waterloo, il n'y avait que des volontaires. Depuis 1815, c'est-à-dire depuis 55 ans, on n'a plus fait usage de l'acte de 1803 ; cet acte est complètement tombé en désuétude et rien ne fait présager aujourd'hui en Angleterre qu'il y aura lieu d'y recourir de nouveau.

J'ai également un mot à ajouter à ce que j'ai dit du système militaire suivi dans les Pays-Bas.

On ne peut pas perdre de vue que les lois de milice, modifiées il y a quelques années dans les Pays-Bas, se trouvent placées sous les auspices de cette déclaration d'un des hommes les plus éminents de ce pays, M. Thorbecke, qu'il fallait combiner le service obligatoire avec le service volontaire ; mais qu'il était à désirer, aussi bien pour l'armée que pour le pays, qu'il y eût sans cesse dans l'armée un certain nombre d'hommes embrassant la carrière militaire avec l'intention d'en faire une profession régulière et permanente.

Les ministres de la guerre qui se sont succédé depuis lors se sont placés au même point de vue. Je conviens volontiers, du reste, avec M. le ministre de la guerre, qu'aux Pays-Bas aussi bien qu'en Belgique on sent le besoin d'améliorer le service militaire, et surtout l'enrôlement volontaire, qui là aussi commence à faire défaut.

Je tiens aussi à faire remarquer que dans l'armée néerlandaise le service obligatoire se réduit à très peu de chose, car pour l'infanterie il est de 4 mois la première année, de 2 mois la deuxième et de 2 mois également la troisième. Pour la cavalerie et l'artillerie, le service n'est que de dix à quinze mois.

C'est là un service excessivement facile. Je crois même que les facilités données out été quelque peu exagérées, mais je tiens à constater ce qui se passe.

II est, du reste, intéressant de voir, à côté de ces règles ou de ces usages, quelle est la pratique des faits. J'ai voulu m'éclairer à cet égard et représentant d'un arrondissement qui touche aux Pays-Bas, j'ai cru devoir faire une enquête au delà de la frontière. Je ne la mettrai pas sous les yeux de la Chambre, je sais combien ses moments sont précieux et je ne voudrais pas en abuser.

Je me bornerai à citer deux au trois localités qui touchent au territoire belge.

Ainsi à Yzendyke il y a 5 miliciens, deux sont incorporés dans l'artillerie de campagne ; trois dans l'infanterie ; tous les cinq ne font que 15 mois de service.

A Ardenbourg, il y a 4 miliciens qui entrent, un dans l'artillerie de campagne, trois dans l'infanterie ; ceux-ci n'ont fait que 5 mois de service.

Dans une autre localité à Eede, où il y a 4 miliciens, l'un sert dans l'artillerie de campagne et fait une anuée de service, trois entrent dans l'infanterie où l'un reste six mois, les deux autres trois mois.

M. Bouvierµ. - Sur quelle population ?

M. Kervyn de Lettenhove. - La proportion est la même qu'en Belgique.

Ainsi dans la première localité que je citais tout à l'heure, à Yzendyke, la population est de 1,606 hommes ; il y a 4 miliciens qui marchent sur 17 inscrits, la proportion n'est pas plus désavantageuse qu'en Belgique.

Mais il y a aussi cette circonstance sur laquelle je liens à appeler l'attention de la Chambre, c'est que dans la législation néerlandaise on n'a pas fixé un minimum, comme celui que propose M. le ministre de la guerre. On a cru (et, selon moi, c'est une disposition meilleure et plus éclairée) que lorsqu'un homme, par son zèle, parvient à acquérir plus tôt l'instruction nécessaire, on doit lui tenir compte de sa bonne volonté et de ses efforts et que dans ce cas-là, sans que le minimum du temps de service soit atteint, il doit lui être permis de rentrer dans ses foyers, sauf à tenir compte toutefois des nécessités du service.

C'est ce qui explique les exemples que j'ai cités tout à l'heure, d'hommes appartenant à la même classe, entrant dans la même arme et ne faisant pas le même temps de service. A ceux qui ont acquis plus tôt l'instruction nécessaire, on permet de rentrer dans leurs foyers. On se croit autorisé (et la mesure est excellente) à retenir plus longtemps les hommes qui, dans la période normale, n'ont pas acquis l'instruction qu'on a le droit d'exiger d'eux.

Une interruption de M. le ministre de la guerre m'oblige à ajouter quelques mots sur la Suède. J'ai eu l'honneur de dire, dans la séance d'hier, qu'il y avait en Suède, dans un pays qui ne complique 4,100,000 âmes, (page 832), une armée composée par des engagements volontaires, qui ne s'élève pas à moins de 140,000 hommes.

J'aurais dû ajouter que, dans des circonstances récentes, où l'on aurait pu croire que la Suède serait menacée par un puissant voisin, il s'est formé, en dehors de cette armée, des corps spéciaux de tirailleurs s'élevant à 40,000 hommes et qui, si je me trompe, ont même dépassé ce chiffre.

Le chiffre exact du budget de la guerre est de 9,339,000 rixdalers. Le rixdaler représente 1 fr. 42 cent, de telle sorte que le budget de la guerre s'élève à 13,100,000 fr. environ.

Combien faut-il ajouter pour ces dotations territoriales sur lesquelles M. le ministre de la guerre insistera, je n'en doute pas ?

J'ai pris à cet égard de nouveaux renseignements et je pense que, par leur caractère précis, ils suffiront à la fois à M. le ministre de la guerre et à la Chambre.

Il y a en Suède des dotations pour les officiers aussi bien que pour les soldats et l'on calcule généralement que la valeur des dotations pour les officiers est égale à celle qui est attribuée aux soldats.

D'après les renseignements que j'ai reçus, la propriété dont l'usufruit est attribué aux soldats jusqu'à l'âge de 50 ans, représente un capital d'environ 800 francs.

Il en résulte que, dans ces corps permanents de l'indelta dont l'organisation territoriale comprend environ 24,000 à 25,000 soldats, la valeur des habitations mises à la disposition des soldats représente une somme d'environ vingt millions de francs.

Si l'on suppose que l'intérêt doit être calculé à raison de 5 p. c., l'on voit que la dotation pour les soldats n'atteint qu'un chiffre d'un million.

Si le chiffre est le même pour les officiers, nous trouvons un total de 2 millions.

Je reconnais volontiers que ce chiffre n'est pas suffisant, qu'il faut l'élever, et cela se comprend parfaitement.

Depuis deux siècles, ces dotations ont considérablement augmenté de valeur. Il y en a qui dans l'origine ont été attribués à des officiers avec l'obligation d'entretenir un certain nombre de chevaux pour les régiments de cavalerie et, comme elles étaient attachées à des territoires fertiles, grâce à des efforts continués sans interruption, la propriété a considérablement augmenté de valeur. Mais si vous voulez bien, messieurs, que je suppose un instant que ces 2 millions en représentent 4 et même 6, il n'est pas moins vrai qu'en ajoutant ce chiffre à celui de 13 millions qui figure au budget de la guerre de la Suède, nous restons au-dessous du chiffre de 20 millions que j'ai eu l'honneur d'indiquer hier.

Je crois que l'une des causes du dissentiment qui existe à ce sujet entre M. le ministre de la guerre et moi, c'est que M. le ministre de la guerre considère la dotation comme formant un véritable budget de la guerre, comme offrant une rémunération complète aux officiers et aux soldats de l'indelta. Mais il n'en est rien. J'ai ici un document presque officiel ; c'est un travail sur la Suède, publié, il y a quelques mois à peine, par un savant fort distingué qui était, je pense, commissaire du gouvernement suédois à l'exposition de Paris et où il s'exprime avec une remarquable précision sur cette question.

« La force principale de l'armée permanente, dit M. Ljungberg, se compose de troupes dites indelta, lesquelles sont réparties à la campagne, où chaque soldat a quelques arpents de terre avec une petite maison ; c'est là la base d'une armée excellente. Elle reçoit son éducation militaire dans les camps, mais dans l'intervalle des camps annuels, elle n'est pas isolée dans les casernes, elle vu au contraire avec le reste de la population.

« Les quelques arpents de terre alloués à chaque soldat ne suffiraient cependant pas à son existence. Aussi est-il obligé, dans l'intervalle ses manœuvres, de chercher des moyens d'existence dans d'autres industries et principalement dans les travaux agricoles. Il en résulte que ses bras sont en même temps voués au développement pacifique du pays. »

Il est évident que cette organisation ne peut être introduite en Belgique, elle repose sur d'anciennes confiscations et le gouvernement suédois a cru en quelque sorte en effacer la source en mettant des biens considérables à la disposition de l'armée.

Si j'ai parlé de la Suède et si j'ai insisté à ce sujet, c'est qu'il y a peut-être quelques-uns des caractères propres à cette organisation à appliquer à notre pays. Il peut y avoir, dans les faits que j'ai cités, des conséquences fécondes et intéressantes. D'une part nous voyons qu'en Suède on n'enlève pas au développement de la population son élément le plus sain et le plus vigoureux.

En Suède le soldat est en même temps citoyen, il est aussi père de famille. C'est, ne l'oublions pas, une organisation défensive admirable, car plus vous attachez l'homme au sol, plus vous l'attachez à son foyer, plus vous serez certain qu'il montrera du courage pour défendre son pays. Mais il y a encore un résultat que je recommande à l'attention de M. le ministre de la guerre, c'est qu'au point de vue de la défense de la patrie, au point de vue de la mobilisation, c'est le meilleur de tous, car il place, les uns à côté des autres des hommes qui au jour du danger devront s'aider mutuellement de leur expérience et de leur dévouement.

J'ajouterai, pour terminer sur ce point, que ce n'est pas seulement en Suède qu'on a reconnu l'excellence de cette organisation. Dans un pays dont on a beaucoup parlé depuis quelques mois, et surtout dans cette enceinte, en Prusse l'organisation de la landwehr est essentiellement territoriale. (Interruption.) La landwehr est fortement organisée et a été pendant longtemps considérée comme l'élément le plus formidable de la puissance de la Prusse. Eh bien, sans aller jusqu'à dire que ces idées s'adressent complètement à l'armée active, il est incontestable que nous pourrions en faire un excellent usage en les appliquant à l'organisation de l'armée de réserve.

Je crains de m'être éloigné un peu de l'ordre que je m'étais prescrit, mais lorsqu'on dit qu'en Belgique on ne peut plus compter sur le service volontaire, je commence par montrer d'abord ce qui se passe dans les pays étrangers.

Mais, rentrant dans mon propre pays, j'ai bien le droit d'ajouter que rien ne justifie ces craintes que je combats, et quels que soient les sentiments et les sympathies qui animent les membres de cette assemblée, nous pouvons tous dire, après le courage que les volontaires belges ont montré dans toutes les occasions, sous tous les drapeaux, aussi bien à Tacamburo qu'à Mentana, que ces volontaires belges se sont montrés fidèles aux nobles exemples laissés par nos ancêtres.

J'ajouterai encore, et ici j'invoque l'autorité de M. le ministre de la guerre lui-même, que si le territoire belge était menacé, on verrait certainement l'élément volontaire se reproduire avec une grande énergie. M. le ministre de la guerre, qui, dans des pages éloquentes, a rappelé combien il est du devoir de chaque citoyen de prendre les armes quand la patrie est menacée, ne me démentira pas quand je dirai que la Belgique ne serait pas le dernier pays de l'Europe à défendre ses institutions et son territoire.

Je tiens d'ailleurs, messieurs, à rentrer dans la vérité des faits. Je n'ai jamais soutenu qu'il fallût composer une armée exclusivement de volontaires ; j'ai même cru devoir voter contre l'amendement de MM. Coomans et Le Hardy de Beaulieu. Ce que j'ai toujours demandé, c'est qu'on allât chercher dans l'élément volontaire ces sous-officiers dont nous avons un impérieux besoin ; c'est qu'on employât surtout l'élément volontaire dans les armes spéciales, l'artillerie et le génie, afin d'arriver à supprimer cette inégalité de service qui donne lieu en ce moment à tant de réclamations.

Si j'ai insisté sur ce point, c'est aussi que j'ai plus que jamais la conviction que si vous formiez en Belgique un élément militaire stable et permanent, vous pourriez en même temps réduire, ce que nous désirons tous, la durée du service obligatoire.

Du reste, messieurs, ces opinions ne sont pas nouvelles. C'est ce qu'indiquait, il y a quelques années, le général Lamoricière lorsqu'il parlait de l'immense avantage que présenterait une organisation solide qui permettrait eh quelque sorte la suppression de la conscription. C'est encore ce que tout récemment le général Trochu proclamait de nouveau lorsqu'il disait que l'organisation future des armées européennes devait avoir pour but de constituer un petit nombre de vieux soldats avec le rajeunissement continu de la masse.

Je reviens, messieurs, aux évaluations de 1853.

Je crois avoir réussi à démontrer que les pertes et les déchets qu'on a signalés tiennent à des circonstances accidentelles, que vous pourrez, par de sages mesures, rentrer dans la vérité des prévisions de 1853. Et, dès lors, je rétablis dans mes calculs ce chiffre de 80,000 hommes qui figure encore dans les relevés du 31 décembre 1860.

Et si je consens à admettre que dans la situation actuelle des choses, les 16,000 volontaires qu'on espérait en 1853 ne se rencontreront que difficilement, je poserai au moins en fait que ce chiffre de 8,000 hommes qui existe aujourd'hui pourra être augmenté. Supposez, si vous le voulez, que nous arrivions à trouver 10,000 volontaires, cela nous donnera 96,000 hommes. Ajoutez à cela 3,500 ou 4,000 hommes empruntés au cadre des officiers des états-majors, nous arrivons ainsi au chiffre de 100,000 hommes. Si quelque chose y manque, vous me permettrez bien (page 833) de recourir à ces l,500 hommes du corps de la gendarmerie qui, dans des circonstances graves pourraient certainement être réunis à l'armée.

Mais, messieurs, lors même qu'il y aurait là quelque erreur, si je n'atteignais pas complètement ce chiffre de cent mille hommes, ne pourrais-je pas me mettre à l'abri de quelque grande autorité ?

J'ai lu, il y a deux jours, dans les procès-verbaux de la commission de 1851, qu'un honorable membre de cette commission s'exprimait en ces termes (il s'agissait de répondre à un calcul d'après lequel le chiffre de l'effectif prévu à cette époque n'aurait été porté qu'à 94,000 hommes) :

« Si l'on observe qu'il viendra évidemment des volontaires s'adjoindre aux hommes chargés de défendre les places, et qu'il ne faudrait que 600 à 700 hommes pour parfaire le nombre, on peut considérer la situation comme excellente. »

Ce membre de la commission, c'était l'honorable général Renard.

MgRµ. - En 1853 et pas en 1868.

M. Kervyn de Lettenhove. - J'admets volontiers qu'aujourd'hui la garde civique formera l'objet d'un armement spécial et que les 6,000 ou 7,000 hommes que le général Renard voulait employer à parfaire l'effectif de 1853 recevront une destination à part.

Mais il voudra bien reconnaître aussi qu'on pourrait former dans la garde civique certains corps spéciaux, certains corps francs, comme il en existe déjà à Bruxelles, qui prendraient tout naturellement leur place dans l'effectif de l'armée.

Je suppose toutefois qu'il y ait encore, malgré tout cela, une lacune de deux, trois et même quatre mille hommes ; ne perdez pas de vue que je ne suis pas sorti de l'effectif des 10 classes.

Dans des circonstances très rares, très extraordinaires, ne serait-il pas permis d'aller demander quatre, cinq, six mille hommes à la 11ème classe du contingent ?

Dans la discussion à laquelle nous assistons depuis bientôt cinq semaines, l'honorable ministre de la guerre a rappelé qu'en je ne sais quelle année, en 1839, si j'ai bonne mémoire, l'armée avait compté jusqu'à 130,000 hommes. Il est bon d'ajouter, messieurs, qu'à cette époque on avait rappelé 13 classes du contingent.

Tout en étant convaincu que sans sortir des 10 classes de milice on peut arriver à un effectif de 100,000 hommes, je crois qu'il serait perclus., dans des cas urgents et pour combler une lacune, de demander quelques milliers d'hommes à la 11ème classe.

Il y a, messieurs, dans cette grave et importante question de l'augmentation du contingent une considération qui me paraît dominer toute la discussion.

C'est que l'augmentation du contingent en pleine paix sera difficilement comprise par les populations.

Si, au contraire, nous nous trouvons dans une situation grave, si l'étranger se groupe sur nos frontières, si notre indépendance est menacée, oh ! alors si vous rappelez la 11ème, la 12ème et même la 13ème classe, tout le monde comprendra qu'il y a un devoir à remplir, tout le monde se hâtera d'accourir sous les drapeaux.

Je me suis efforcé, messieurs, de démontrer qu'il était possible, qu'il était facile de rentrer dans les prévisions de l'organisation de 1853, et qu'il n'y avait pas urgence d'aggraver les charges du pays.

J'ai cherché à établir que les non-valeurs pouvaient être considérablement réduites, que c'était par la réforme des lois de milice et des lois pénales militaires qu'il fallait revenir dans la sincérité des chiffres de 1853 et effacer les nombreuses non-valeurs qui se sont produites.

J'ai montré, je pense, que les non-valeurs résultaient d'un état de choses auquel toute la Chambre veut porter remède.

J'ai démontré aussi, je crois, que l'élément volontaire pouvait être accru, et a ce point de vue je me suis appuyé notamment sur les déclarations expresses de M. le ministre de la guerre.

Que devient, dans cet état de choses, l'étroite nécessité dont j'ai parlé hier en commençant ce discours ?

Je voudrais aujourd'hui, messieurs, reproduire la question comme l'a posée hier, dans une interruption, l'honorable ministre des finances, lorsqu'il me faisait l'honneur de me dire : « On diminuera le contingent si l'on a moins de déchets. »

Eh bien, n'est-il pas évident pour nous tous, messieurs, que ces déchets nous pouvons les faire disparaître dans une grande, dans une large mesure ?

Et si nous pouvons les faire disparaître, notre premier devoir n'est-il pas de nous préoccuper de cette réforme, de cette amélioration ?

Pourquoi donc imposerions-nous aux populations l'augmentation du contingent ?

L'étroite nécessité n'a-t-elle pas disparu ?

Messieurs, je n'hésite pas à le dire, le pays aura à s'imposer des sacrifices pour l'armée. Pour ma part, je suis tout disposé à les voter.

Il est évident que la position de celui qui sert son pays doit être améliorée et qu'il y aura lieu de demander au pays une somme considérable pour augmentation de solde.

Je crois que, pour développer le service volontaire dans l'armée, il faudra rémunérer généreusement ceux qui contractent des engagements. Je le répète, je suis prêt à voter tout ce qu'on nous demandera pour cet objet, parce que, selon moi, cette mesure aura un résultat utile pour l'armée et utile pour le pays.

L'opinion conservatrice des législatures antérieures, intimement liée à la propriété, émanant surtout de l'élément agricole, nourrie des traditions du passé, fermement convaincue que la première condition de la liberté, c'est l'ordre, a toujours ressenti de vives sympathies pour l'armée qui défend ces grands intérêts, qui protège à la fois l'ordre, le travail et la propriété.

Ces sacrifices dont je parlais tout à l'heure, je les comprends et fidèle aux exemples de l'opinion conservatrice, je suis tout prêt à les imposer au pays par mon vote.

Mais quand il s'agit de sacrifices à demander à l'élément actif et producteur de mon pays, je m'arrête si la nécessité absolue ne m'est pas démontrée.

La loi de conscription est excessivement grave. Quand les charges sont nécessaires, il faut évidemment les subir ; il faut même se garder de les dépeindre sous de trop sombres couleurs.

Mais le jour où ces charges ne sont plus indispensables, où la nécessité absolue disparaît, alors elles se révèlent sous un caractère différent ; elles deviennent injustes, elles deviennent cruelles.

On peut alors les envisager sous un double point de vue.

Lorsque en dehors de la nécessité absolue elles viennent saisir un homme dans la paix de sa famille, lorsque inutilement elles portent la douleur dans le foyer domestique, nous ne savons pas, messieurs, quel trouble nous portons dans des existences ignorées et obscures.

Mais à ce point de vue plus général, quand nous ne considérons que la vie sociale, nous ne pouvons oublier que dans la vie de la société tout se tient et s'enchaîne ; rompre une artère, arrêter la circulation, la communication des forces actives de la société, c'est, dans une large mesure, la frapper de stérilité.

Messieurs, cela a été dit bien souvent avant moi, et j'ai ici, sous les yeux, quelques lignes écrites par un des plus célèbres économistes de notre époque, M. Michel Chevalier et voici en quels terme s'exprime l'illustre membre du sénat français :

« L'ouvrier, parvenu à l'âge de vingt ans, a devant lui la probabilité d'être enlevé à la profession qu'il avait choisie, où il avait achevé son apprentissage, dont il avait pris toutes les habitudes, pour être envoyé au régiment. Il y a des localités où, à moins d'être cacochyme ou estropié ou d'être dans la catégorie des exemptions légales que personne n'envie, il est infailliblement atteint. Envers les jeunes gens de famille qui ont quelque aisance, le recrutement se réduit à un impôt de 1,000 à 1,500 francs, pour acheter un remplaçant ou se faire assurer contre le sort. Mais pour celui qui n'a aucun capital, c'est une catastrophe ; pendant sept ans il est détourné de sa profession, il oublie tout ce qu'il savait d'utile, et souvent prend en dégoût son travail productif ; pendant sept années, les plus précieuses peut-être de la vie, il est dépouillé de sa liberté. »

Rien, messieurs, ne saurait faire davantage comprendre cette situation que ce fait que M. le ministre des finances a cité dans cette discussion, qu'il y a en Belgique, parmi ceux qui se font remplacer, 78 p. c. d'ouvriers ou du moins d'hommes appartenant à des professions actives. L'aisance de l'ouvrier n'est pas bien considérable et si un aussi grand nombre parvient à payer un remplaçant, demandons-nous par quels sacrifices ils atteignent ce résultat ; combien ils prélèvent non sur leurs épargnes, mais sur les besoins de tous les jours.

Rien ne démontre davantage combien le service obligatoire pèse sur les classes agricoles et industrielles et ce qu'elles fout pour s'y dérober.

Voyez, messieurs, un pays où la gloire fait oublier bien des choses ; (page 834) voyez la France. Croyez-vous que la charge du service militaire ne s'y fasse pas vivement sentir ? Il y a quelques semaines, on s'occupait également en France de la réforme des lois militaires, et n'est-il pas vrai que dans tous les départements, jusque dans le plus obscur village, on se préoccupait vivement de l'augmentation des charges militaires. Et voyez avec quel soin, en France, le gouvernement et la majorité, pour rassurer les populations, ne cessaient de répéter que l'on ne songeait pas à l'augmentation du contingent. Cela se trouvait dans les discours des ministres, dans les rapports présentés au corps législatif, cela se répétait sans cesse.

J'ai déjà eu l'honneur de mettre sous les yeux de la Chambre cette déclaration du rapporteur, M. Gressier, qui disait :

« Il y a un inconvénient grave à tirer de leurs villages des hommes qui n'y rentrent plus. Les soldats libérés retournent rarement dans leurs villages, et de ce principe je déduis cette conséquence que, pour l'économie générale de la France, il faut déranger le moins d'hommes possible. »

Depuis que j'ai cité ces paroles, le corps législatif a été saisi de la même question que nous discutons aujourd'hui, de la question du contingent, et comment s'exprimait, dans l'exposé des motifs le maréchal Niel, ministre de la guerre ? « Il déclarait de nouveau qu'il importait de conserver dans les habitudes de la population une tradition consacrée par un grand nombre d'années. »

A ces déclarations du gouvernement et de la majorité, que répondait l'opposition de gauche, que répondait l'opposition libérale ? Voici en quels termes s'exprimait M. Picard :

« On a apporté sans cesse à la tribune la déclaration suivante : « Les populations ne souffrent pas de la prolongation de la durée du service, tandis qu'elles souffrent de l'augmentation du contingent... Si cela est exact, ce que je n'examine pas, il est certain qu'une augmentation du contingent intéresse au plus haut degré les populations. »

Puis, comparant le contingent de 100,000 hommes avec celui de 80,000 hommes qui existait il y a quelques années, M. Picard ajoutait :

« En prenant pendant une durée de 9 ans 20,000 hommes de plus chaque année, vous portez une atteinte durable aux forces productives du pays. »

Et l'opposition de gauche, l'opposition libérale, à l'appui de cette déclaration, déposait un amendement qui réduisait de 20,000 hommes le chiffre du contingent.

J'ai déjà dit, messieurs, qu'en France on se préoccupait beaucoup, à propos de cette question, de la situation de l'agriculture. J'ai cherché à démontrer que les mêmes préoccupations étaient légitimes en Belgique, et je ne rappellerai ici qu'en passant que nos sociétés agricoles se sont vivement émues de l'augmentation du contingent, qu'elles ont exprimé tout haut leurs doléances à cet égard. Mais je voudrais, la Chambre me le pardonnera, revenir très rapidement sur quelques considérations qui touchent à cet ordre d'idées.

En France, l'élément agricole représente les quatre septièmes de la population. En Belgique, pays essentiellement agricole, qui, depuis plusieurs siècles, a acquis, dans toute l'Europe, une réputation incontestée au point de vue des travaux de ses laboureurs, la proportion de l'élément agricole ne dépasse guère un cinquième. Et cette considération mérite de fixer l'attention, dans un moment où à l'est de l'Europe, nous voyons ces grandes puissances qui ont consacré tous leurs efforts au développement de leur élément militaire, atteintes, dans leur propre sein, par la famine et la disette.

Quelle est donc, en Belgique, la situation de l'élément agricole par rapport à la conscription et à l'élévation des chiffres du contingent ?

Je désire, messieurs, me livrer à une comparaison fondée sur d'incontestables données statistiques.

Nous voyons, d'une part, des provinces industrielles, où la population est le plus souvent, il faut le dire, dégradée et adonnée à l'ivresse, où ses forces physiques s'épuisent en même temps que s'abaisse sa valeur morale ; c'est là que se multiplient les chômages, les grèves, c'est là que la justice multiplie ses descentes et que l'autorité militaire est sans cesse appelée à veiller.

D’un autre côté, il y a des provinces pauvres, où le sol n'est pas encore complètement cultivé, où les populations sont honnêtes, laborieuses, où elles méritent tous vos encouragements.

Eh bien, les populations qui sont les moins bonnes, sont celles que vous protégez. Celles que vous devriez encourager sont celles qui souffrent, celles dont les intérêts sont sans cesse sacrifiés et par la loi de milice et par l'augmentation du contingent.

M. Coomans. - C'est la vérité.

M. Kervyn de Lettenhove. - Je prendrai un terme de comparaison et j'aurai recours à des chiffres. Car il ne faut pas se livrer à de vaines et inutiles déclamations ; elles ne mériteraient pas d'être produites ici, si elles n'étaient justifiées.

J'aurai recours à des chiffres et je prends pour terme de comparaison deux provinces bien différentes, l'une pauvre et agricole, l'autre riche et industrielle, le Limbourg et le Hainaut.

Mes chiffres sont empruntés à la levée de 1866.

Dans la province de Hainaut, il y avait 8,784 hommes inscrits, y compris les ajournés des années précédentes ; ce qui vous permet de mesurer immédiatement l'état de la population, c'est que sur ces 8,784 hommes, il y en eut 3,650 qui furent ajournés ou exemptés ; la plupart pour des défauts physiques, c'est-à-dire 41 p. c.

Restait 5,134 individus. L'Etat en réclamait 1,774 pour le service militaire, c'est-à-dire que dans le Hainaut, par suite de ces non-valeurs il fallait faire marcher 34 hommes sur 100 et on dut remonter dans plusieurs villages aux classes antérieures, parce qu'on ne trouvait pas parmi les hommes de l'année de quoi former le contingent.

Mais qu'arrive-t-il encore ? C'est que ces 1,774 hommes qui doivent marcher, présentent 974 remplaçants et substituants, c'est-à-dire 55 p. c.

Mais les conseils de milice se montrent sévères, et on repousse dans cette seule province, 268 remplaçants et substituants qu'en résulte-t-il ? C'est que l'on admis du moins 705 remplaçants et substituants, c'est-à-dire, 40 p. c. du contingent provincial.

Maintenant quelle est, relativement à l'augmentation de la population, la conséquence de cet état de choses ? C'est que dans la province de Hainaut l'augmentation de la population, en une seule année, a été de 1 1/2 p. c. dans cette population dont les forces physiques décroissent d'année en année.

Permettez-moi, maintenant, messieurs, de mettre en regard des populations de toute origine qui se pressent dans le Hainaut, les honnêtes et laborieux cultivateurs du Limbourg.

Le Limbourg, dans la même année, avait à fournir à l'Etat 409 hommes. On ne présente, pour toute la province, que 77 remplaçants et substituants, c'est-à-dire que la proportion des remplaçants et substituants n'est que de 19 p. c. tandis qu'elle est de 40 p. c. dans le Hainaut. Et c'est là précisément que l’agriculture manque de bras pour défricher la terre.

Et quel est, à côté de cela, le développement de la population ? Dans une année le développement de la population est de 1/2 p. c, c'est-à-dire qu'il représente seulement le tiers de ce qu'il est dans le Hainaut.

Si vous demandez 20 p. c. de plus à ces populations, si vous portez le contingent à 12,000 hommes, vous arriverez à ce résultat que, dans certaines provinces, on vous donnera quelques remplaçants de plus ; mais dans d'autres provinces, ce sont les hommes désignés par le sort qui marcheront et ce sera précisément là où la population est le plus nécessaire à la culture du sol.

Il m'est donc bien permis de dire, messieurs, que les préoccupations qui se rattachent à l'augmentation du contingent sont légitimes et parfaitement justifiées.

Certes, messieurs, nous tenons beaucoup à notre indépendance, mais nous sommes habitués depuis longtemps à y rattacher une autre idée, grande, noble et généreuse, celle de notre neutralité ; or, le premier bienfait de la neutralité, c'est de pouvoir s'abandonner avec confiance aux travaux féconds de la paix.

Le premier bienfait de la neutralité, c'est de ne pas être entraînés dans la voie funeste où marchent les nations belliqueuses, qui pour un peu de gloire épuisent sans cesse leurs plus précieuses ressources.

La Belgique a un autre rôle à remplir, un rôle qui répond davantage aux mœurs de nos populations, à leurs tendances, à leurs aspirations ; et je suis convaincu que le gouvernement et la législature devraient en tenir compte.

Croyez-vous, messieurs, que l'armée serait plus forte si elle comptait quelques milliers d'hommes de plus, et si elle ne s'appuyait plus, au même degré, sur le pays ? La force matérielle est beaucoup, mais la force morale est plus encore. Ne relâchez pas, resserrez plutôt les liens qui unissent le peuple et l'armée, qui est encore le peuple. N'enlevez pas à l'armée cette conviction intime qu'elle n'est pas seulement le bras du peuple, mais qu'elle en est aussi le cœur, qu'elle porte avec elle le cœur de tout ce qu'elle laisse derrière elle.

Je ne crois pas, messieurs, que mes sentiments patriotiques soient (page 835) moins vifs que ceux d'aucun membre de cette assemblée ; je crois avoir autant que personne honoré et fait revivre les glorieux exemples de dévouement de nos pères ; mais je n'hésite pas à le dire, je ne comprends de puissance dans la résistance du pays que si vous savez développer et fortifier pendant la paix ce sentiment national qui sera encore votre plus grande force pendant la guerre.

L'honorable général Renard a emprunté beaucoup aux enseignements de l'histoire, je ne le suivrai pas sur ce terrain.

J'ai cependant deux mots à dire, c'est que, s'il est vrai que l'on a vu nos glorieuses populations arrêter de puissants envahisseurs et sauver, par leur héroïsme et leur dévouement, l'indépendance nationale, leur force, au moment du danger, reposait sur leur application constante, pendant la paix, au développement de leur prospérité ; et lorsque l'honorable général Renard nous citait avec l'autorité que personne ne lui conteste, les nobles exemples des Belges qui se sont signalés sur tous les champs de bataille de l'Europe, je me suis demandé si cet héroïsme a toujours été fécond et jusqu'à quel point il a été utile au pays.

Je me demandais si ce sang, quelque noble qu'il fût, si ces épées, quelque illustre que fût la main qui les portait, ont contribué dans une large mesure à fonder nos institutions et nos libertés ; et, malgré moi, ma réponse était négative.

Si la Belgique est indépendante aujourd'hui, elle le doit à une seule chose : la persistance du sentiment national à travers les siècles.

Mais, en m'écartant du passé, en arrivant aux temps modernes, où faut-il retrouver la Belgique dans toute sa force ? Sera-ce au milieu de ses armements ? Sera-ce au camp de Beverloo, quelque habile que soit le général qui préside aux manœuvres ? Sera-ce au polygone de Brasschaet, quelque admirable que soit le perfectionnement de notre artillerie ?

Messieurs, selon moi la grande force de la Belgique, sa grande puissance, son droit de vivre comme nation libre et indépendante, se sont surtout affirmées, dans deux journées pacifiques ; la première est celle où la nation a salué le 25ème anniversaire de sa royauté nationale, de sa vie nationale qui était aussi la vie de la royauté ; la deuxième est celle où dans cette enceinte ses acclamations unanimes ont solennisé la transmission régulière et pacifique du droit dynastique héréditaire, ce qui était encore un signe de la puissance de ses institutions. C'est ce jour-là que l'Europe disait : Ce peuple veut vivre, et il est digne de vivre.

Cette unanimité, je voudrais la retrouver aujourd'hui lorsque nous avons à résoudre des questions si importantes et si graves ; j'aurais désiré vivement, ardemment, que le gouvernement, se préoccupant de l'appui qu'il a à demander au sentiment national, se fût efforcé d'assurer cette unanimité à des mesures qui doivent tendre à sauvegarder l'honneur et la liberté de la patrie. Je regrette que le gouvernement ne l'ait pas fait.

En ce qui me touche, je n'ai pu séparer les deux éléments du débat que j'ai indiqués en commençant ce discours ; mais je persiste à croire qu'en défendant les intérêts de la prospérité du pays, j'ai aussi servi ceux de son indépendance.

(page 823) M. de Lexhy. — Les circonstances graves dans lesquelles nous nous trouvons ont modifié plus ou moins mes idées sur les dépenses militaires. Notre situation au milieu de grandes nations qui ont développé leurs moyens de guerre d'une manière formidable nécessite fatalement une augmentation de nos forces défensives.

Je paye un tribut à la nécessité. Je voterai le contingent qui nous est demandé, mais avec l'espoir et le vif désir de pouvoir, dans un avenir prochain, le réduire et le ramener à son ancien chiffre. Je le voterai donc sous toutes réserves.

Je ne partage pas l'avis de la section centrale et du ministre sur deux points essentiels et qui ont une connexité intime avec la question du contingent ; je veux parler du maintien de l'article 5 de la loi d'organisation de 1853 et de la durée du service militaire.

Je ne puis consentir au maintien temporaire de l'article 5 de la loi de 1853, parce qu'il est inique et d'une application presque impossible.

Il serait oiseux de développer longuement cette proposition : en effet, le rapporteur lui-même reconnaît que le rappel des classes libérées est injuste et ne produirait qu'un nombre d'hommes très restreint et insuffisant pour atteindre le but désiré, c'est-à-dire, d'obtenir cent mille hommes, en cas de guerre, dans les premières années du fonctionnement de la nouvelle organisation. L'injustice de cette disposition devient flagrante en présence du nouveau contingent. Si l'application éventuelle de cette disposition ne doit procurer qu'un avantage problématique, pourquoi la maintenir : pourquoi faire planer cette menace cruelle et poignante sur les miliciens libérés ?

Il m'est impossible de ne point repousser énergiquement une disposition semblable.

D'ailleurs, dans la séance d'hier, M. le ministre de la guerre, en recherchant quel complément on pourrait obtenir des classes libérées, a déclaré qu'on se trouvait en présence de l'inconnu et qu'il était impossible de songer encore au rappel des vieilles classes.

La section centrale s'est ralliée au projet du gouvernement en ce qui concerne la durée du service ; quant à moi, je désire une diminution plus forte que celle qui est proposée.

Je voudrais encore alléger cette charge, sans toutefois vouloir compromettre l'organisation de l'armée.

La diminution du service est le correctif de l'augmentation du contingent, et il serait grandement désirable que la somme des charges militaires imposées au pays ne fût pas accrue, tout en créant une organisation plus forte.

Il ma semble que 22 mois de service pendant les 26 mois de l'incorporation, plus 3 mois répartis sur les années qui suivront, suffiront largement pour pourvoir à tous les besoins militaires.

Pour examiner cette question de la durée du service, il faut se placer à un double point de vue : l'instruction, l'éducation du soldat, et la nécessité d'avoir sous les drapeaux un nombre d'hommes suffisant pour faire face à toutes les éventualités, pour assurer la sécurité intérieure.

Il est évident que l'instruction du soldat peut se faire en moins d'un an, à moins que vous n'ayez affaire à des Béotiens. L'instruction du soldat de la réserve s'e fera bien en 4 mois. Il est vrai qu'on exige moins du soldat de la réserve, mais enfin vous ne pourriez soutenir qu'il faut plus d'un an pour compléter l'instruction du soldat.

M. le ministre de la guerre l’a d'ailleurs reconnu lorsqu'il a dit :

« Pour apprendre théoriquement au soldat ce qu'il doit faire, un an suffit : mais il faut une seconde année pour le lui enseigner pratiquement. »

En d'autres termes : il ne suffit pas que le soldat soit instruit des choses militaires, il faut encore qu'il soit animé de l'esprit militaire, en un mot qu'il devienne troupier. Soit, mais ce n'est pas en deux mois de plus que cet esprit militaire se développera et arrivera à un diapason suffisamment élevé.

Ce n'est pas en deux mois de plus que l'éducation, que l'instruction pratique se développera et atteindra juste la mesure désirée.

Il n'y a point de critérium en cette matière ; le chiffre de 24 mois, n'est certes par un chiffre fatidique absolument nécessaire. Il est évident que la pratiqua militaire s'acquiert aussi bien en 22 mois qu'en 24. Les opinions sur cette question du temps nécessaire pour faire un (page 824) soldat sont divergentes parmi les officiers, et elle se sont révélées dans les. discussions de la commission mixte.

Cette divergence d'opinion m'a fait penser que l'esprit de corps et le culte de la tradition étaient le principal obstacle à une réduction plus considérable de la durée du service.

Je reconnais qu'il faut largement tenir compte des nécessités du service et qu'il faut avoir sous les armes un nombre d'hommes suffisant pour faire face à toutes les éventualités et pour garantir la sécurité intérieure.

Mais à l'aide des combinaisons indiquées par l'honorable ministre, on pourra aisément tenir compte de cette nécessité, avec un service de 22 mois aussi bien qu'avec un service de 24. L'honorable ministre ne m'a nullement convaincu qu'une nouvelle diminution de 2 mois était impossible. Son argumentation a reposé sur l'hypothèse de 18 mois, hypothèse impossible à coup sûr, et il a facilement triomphé de ce système. Mais je voudrais que l'honorable ministre se plaçât sur le terrain que j'indique. Sur la période de 26 mois du 15 octobre au 15 décembre de la seconde année, je voudrais que le milicien eût 4 mois de congé. Ces congés de 2 mois pour les miliciens de la campagne s'accorderaient autant que possible pendant la moisson, ainsi que l'a indiqué hier l'honorable ministre.

Celte diminution d'un mois par année, s'opérant convenablement, n'amènerait aucune perturbation dans les services, et laisserait aux drapeaux assez d'hommes pour assurer l'ordre, public. N'avez-vous pas d'ailleurs vos volontaires, vos artilleurs et vos cavaliers qui pourront aider l'infanterie à réprimer les troubles qui surgiraient ?

Cette diminution de deux mois que je réclame, amenant une réduction de 1/12 de la charge militaire, produirait non seulement une économie notable, mais contribuerait à diminuer le nombre de ceux qui se font remplacer et par conséquent ferait baisser le taux du remplacement.

Le ministre de la guerre a déjà fait des concessions> Je le convie à faire encore un pas dans cette voie de conciliation, afin d'obtenir le concours d'un grand nombre de nos collègues.

M. Vermeireµ. - Messieurs, l'honorable membre qui vient de se rasseoir a déclaré qu'il votera pour l'augmentation du contingent de l'armée, bien que cette mesure doive porter principalement sur l'agriculture. Je ne suivrai pas son exemple et je tâcherai de démontrer en quelques mots que cette augmentation n'est pas nécessaire dans la situation politique où se trouve la Belgique.

Avant de faire cette démonstration, qu'il me soit permis de répondre quelques mots à des arguments présentés hier par M. le ministre de la guerre.

D'abord, M. le ministre de la guerre a dit que l'augmentation de 2,000 hommes demandée par le gouvernement avait été proposée, en premier lieu, par la commission mixte.

Je ne nierai pas ce fait ; mais je ferai remarquer que la commission mixte était composée, moitié d'éléments militaires, moitié d'éléments civils ; que, nécessairement, l'élément militaire désirait obtenir cette augmentation et que l'élément civil renfermait aussi des membres favorables à cette augmentation ; de façon que l'on était certain d'avance que l'augmentation serait acquise.

L'honorable ministre a soutenu également qu'en 1826 les charges militaires étaient plus accablantes qu'aujourd'hui comparativement à la population. Il a dit que si la loi de 1817, qui était encore en vigueur en 1826, sauf en ce qui concerne le contingent, avait dû être appliquée à la population qui est aujourd'hui de cinq millions d'âmes, alors qu'en 1826 elle n'était que de 3,800,000 âmes, le contingent se serait élevé à 14,000 hommes.

je crois, messieurs, que c'est là une erreur et je vais le démontrer immédiatement. Je remarque que sur une population de 3,800,000 âmes on obtenait, en 1826, 7,600 conscrits à raison d'un homme par 500 âmes. Aujourd'hui que la population est de 5 millions d'âmes on obtient 10,000 hommes, soit également un homme par 500 âmes. (Interruption.)

Il est vrai qu'en 1826 le gouvernement avait la faculté de prendre, au besoin, un homme sur 300 âmes pour combler les vides des années antérieures.

Mais je me demande si le gouvernement a fait usage de cette faculté. Je ne le pense pas et je vais vous dire pourquoi. C'est que s'il en avait fait souvent usage, votre argument aurait été bien renforcé et vous l'auriez dit.

MgRµ. - J'ai ici le tableau pour cinq ans. Voulez-vous que je le fasse connaître ?

M. Vermeireµ. - Je n'ai pas besoin de ces renseignements en ce moment. Ils auraient pour résultat de prolonger mon discours.

M. Bouvierµ. - C'est un fait.

M. Vermeireµ. - Messieurs, l'honorable ministre de la guerre a encore dit hier qu'il ne pouvait plus assumer la responsabilité qui pèserait sur lui dans des circonstances graves, si le contingent n'était augmenté de 2,000 hommes.

Je crois, messieurs, qu'il y a deux ans, il y a un an peut-être, les événements étaient bien plus graves. C'est alors que le ministère aurait dû demander l'augmentation du contingent. Il ne l'a pas fait.

Aujourd'hui on proclame partout les bienfaits de la paix et c'est ce moment que le gouvernement choisit pour demander l'augmentation du contingent.

Mais, dit-on, des événements graves peuvent surgir. C'est vrai, mais je regrette beaucoup que l'on n'ait pas attendu jusqu'à la fin de l'année pour fixer le contingent de 1869, puisque tous les ans nous ne votons le contingent de l'année suivante que quelques jours avant le nouvel an.

Il est vrai que M. le ministre des finances a déclaré que, sur ce projet de loi, nous aurions pu essayer nos forces réciproques. Je le dis franchement, je n'aime pas de discuter 1'augmenlalion du contingent pour démontrer que l'augmentation du contingent est nécessaire.

La question de l'organisation de l'armée et, par conséquent, celle du recrutement qui en est la base constitutive, a fait, depuis un temps déjà passablement long, l'objet de nos débats.

Toutefois, cette discussion n'a point cessé d'être l'objet de nos études et de l'intérêt que le pays entier porte à la solution de cette question importante.

Il ne peut manquer d'en être ainsi ; d'une part, on évalue la nécessité d'avoir une armée constituée de manière répondre à sa destination ; d'autre part, on pèse les sacrifices qui en résultent pour le pays ; et on se demande si la somme de sacrifices exigés par le gouvernement n'excède point celle que nous imposé notre neutralité, laquelle a été garantie par les puissances qui ont aidé à fonder notre nationalité.

La question, ainsi posée, devient complexe et difficile à résoudre. En effet, nous ne pouvons déterminer, exactement, les obligations qui nous incombent de ce chef et la comparaison avec des obligations semblables, dues par d'autres Etats, qui se trouveraient dans les mêmes conditions, fait défaut.

Notre situation de neutralité est unique, spéciale au milieu des combinaisons européennes.

Ce que nous avons à faire, selon moi, pour abriter cette neutralité, c'est de rester dans les bornes d'une grande modération.

Notre rôle militaire doit être aussi modeste que l'est notre rôle politique.

Toujours, nous devons rester sur la défensive ; jamais, nous ne pouvons songer à prendre l’offensive, notre adversaire fût-il, sous le rapport de la puissance, notre égal ou même plus faible que nous.

Ils n'en est point ainsi d'autres Etats puissants, qui doivent toujours être prêts à soutenir leur honneur et leurs droits contre des prétentions rivales. Ainsi, par exemple, de la France.

La répugnance des peuples contre l'exagération des dépenses militaires est si manifeste, que M. le ministre de la guerre en France, tout en élevant le contingent annuel de l'armée, a adouci, dans une mesure assez prononcée, la dureté du service militaire.

En effet, M. le ministre de la guerre a affirmé, dans le discours qu'il a prononcé au corps législatif, dans la séance du 4 de ce mois, que la durée réelle du service de quatre ans et trois mois à cinq ans était suffisante pour parer à toutes les éventualités.

Ce service avait été, autrefois, de sept ans.

En France, avec un contingent annuel de 100,000 hommes, calculé sur cinq années d'armée active et quatre ans de réserve, et, en faisant toutes les déductions nécessaires, on obtient, chaque année, 8,000 hommes pour la marine et 77,574 hommes dans l'armée de terre ; ce qui, pour 61 mois, fait : 34,000 hommes dans la marine et 329,694 hommes pour l'armée de terre, ensemble 363,694 hommes.

(page 825) Si, au contraire, on admet 60 mois, l'effectif devient 427,875 hommes, ainsi répartis :

Dans la marine, 5 ans fois 8,000 hommes : 40,000 hommes.

Dans l'armée, 5 ans fois 77,575 hommes : 387,875 hommes.

Total égal à 427,875 hommes.

Soit en moyenne 395,784, ou chiffre rond 400,000 hommes.

Pour faire la comparaison avec la Belgique, en admettant l'égalité des devoirs à remplir, ce qui n'est pas, on arrive, comparativement à la population, au résultat suivant :

Mais, d'abord, il faut déduire de l'effectif français :

1° Les congés : 25,000 hommes.

2° La marine : 37,000 hommes.

3° La réserve : 63,750 hommes.

Soit 400,000 moins 125,750 hommes : 274,250 hommes.

Mais, comparativement à la Belgique, il faut encore en déduire :

1° L'infanterie de la marine française : 14,300 hommes.

2° L'artillerie de la marine : 4,400 hommes.

3° L'armée française en Algérie (non compris les indigènes) : 43,462 hommes.

Soit 274,250 moins 62,162 hommes : 212,088 hommes.

4° Il faudrait encore en défalquer les troupes qui sont dans les colonies françaises, mais dont je ne connais pas l'importance numérique ; je ne les signale donc ici que pour mémoire.

De manière que, sous la réserve que je viens d'établir, notre armée, au grand complet, 24 mois de service et 3 mois de rappel, devrait être de 25,860 hommes ou de 10,044 hommes par an.

D'où il résulte que, comparativement à l'armée française, nous devrions avoir un contingent de 10,044 hommes.

Il est vrai que je néglige les hommes qui sont envoyés en congé et les déchets annuels ; mais, d'autre part, je ne fais point état des engagements et des rengagements militaires. Or, ces deux chiffres doivent approximativement se balancer.

De plus, n'oublions pas que l'armée française doit être organisée de manière à pouvoir, à chaque instant, entrer en campagne, et qu'il n'en est point ainsi de l'armée belge, bien s'en faut.

Messieurs, dans le rapport de la section centrale pour 1869, je remarque qu'on admet encore la substitution et le remplacement, quoique, cependant, le gouvernement continue à les considérer comme présentant, au point de vue de l'armée, les plus sérieux inconvénients.

En attendant donc que nous discutions ce dernier projet de loi, je me permettrai déjà de faire remarquer que les mesures prises pour que le remplaçant ou le substituant puisse être admis dans l'armée, me paraissent être insuffisantes.

En effet, le certificat littera V, délivré par le bourgmestre de la commune, doit constater que le remplaçant est « de bonne vie, de bonne conduite et de bonnes mœurs ; qu'il n'a jamais subi de condamnation pour vol, abus de confiance ou détournement de fonds, s'il est fonctionnaire public, ou pour attentat aux mœurs. »

D'où la conséquence que si le remplaçant ou le substituant est aussi mauvais, aussi vicieux qu'on le prétend, le certificat de l'autorité communale n'est pas conforme à la vérité, ou les abus et les vices signalés, s'ils sont réels, ont été contractés au service même.

Le gouvernement, ainsi que je l'ai déjà fait observer, change complètement dans l'application le sens de la loi de 1817. Selon cette loi, le recrutement était l'objet principal, le tirage au sort l'objet accessoire. C'est tout le contraire qui arrive aujourd'hui.

Si l'Angleterre peut recruter, au moyen d'argent, une armée qui lui fait honneur ; si le tirage au sort y est continuellement suspendu, de façon à n'exister qu'à l'état de lettre morte, pourquoi ne pourrions-nous en faire autant ?

Revenons donc aux principes de la loi de 1817, offrons des primes d'autant plus élevées que le nombre de ceux qui s'enrôlement, serait moindre, et on obtiendra une bonne armée. Certes, il en résultera une plus forte dépense, mais cette dépense serait supportée par la généralité et surtout par ceux qui ont tout intérêt à être défendus ; tandis que, aujourd'hui, la conscription atteint précisément ceux qui y ont le moindre intérêt.

Conformément aux déclarations que j'ai déjà faites à une autre occasion, je ne pourrai donner mon assentiment à cette nouvelle aggravation des charges militaires.

M. le Hardy de Beaulieuµ. - Je crois devoir résumer en quelques mots les raisons du vote négatif que j'émettrai sur la question du contingent. D'abord je dois reproduire ici une objection que j'ai faite dans ma section. Dans le rapport de la section centrale c'est à peine s'il y a été fait allusion et on n'y a certes pas répondu ; c'est pourquoi, messieurs, je dois la porter devant vous.

Cette objection est toute constitutionnelle. L'article 119 de la Constitution dit ;

« Le contingent de l'armée est voté annuellement. La loi qui le fixe n'a de durée que pour un an si elle n'est renouvelée. »

Le contingent de l'armée est voté annuellement. Or il y a à peine deux mois que nous avons voté le contingent de 1868 ; l'annuité me paraît déjà singulièrement raccourcie.

Et cependant dans les discussions qui ont indiqué la volonté du congrès constituant, le vote annuel du contingent a été considéré comme l'un des moyens que le congrès a voulu donner aux législateurs de faire peser leur volonté sur le pouvoir exécutif. Le vote actuel du contingent par la législature qui va finir n'est donc pas normal ; car elle aura voté cinq contingents dans le cours de sa carrière qui n'est que de 4 ans et il ne laissera que 5 contingents à voter à la législature suivante. Elle empiète donc sur un terrain qui appartient exclusivement à la législature future.

Il y a plus : le vote annuel du contingent a été donné pour que les électeurs, à leur tour, puissent faire peser leur opinion dans l'administration des affaires publiques.

Or de ce que nous sommes conviés à faire, il résulte que si le corps électoral était contraire aux décisions que nous allons prendre, ce n'est que dans 18 mois qu'il pourrait efficacement exprimer sa volonté dans cette enceinte.

Ces raisons me paraissent de nature à être prises en très sérieuse considération, car lorsque nous avons juré d'observer la Constitution, ce n'est pas vis-à-vis de nous-mêmes que nous avons prêté ce serment, mais vis-à-vis du pays. Car la Constitution est surtout la garantie des classes qui ne sont pas représentées dans cette enceinte et il est juste que, vis-à-vis d'elles, nous observions strictement les lois constitutives du pays.

Ce premier point qui, à lui seul, motiverait déjà un vote négatif est renforcé par des considérations propres au contingent lui-même.

Jusqu'à présent je n'ai jamais voté le contingent et je ne l'ai jamais voté par cette considération majeure que l'enrôlement forcé est, â mes yeux, une violation perpétuelle du pacte constitutionnel qui garantit à chacun la liberté individuelle. C'est de plus une violation flagrante des règles qui doivent régir les sociétés modernes, à savoir que chacun a le droit incontestable de choisir librement sa carrière et sa profession.

C'est pour rentrer dans cette règle de droit naturel que j'avais proposé un amendement qui restituait à l'enrôlement volontaire le rôle qu'il devra nécessairement jouer plus tard dans la constitution de l'armée.

Je sais bien qu'on oppose et qu'on a toujours opposé à l'enrôlement volontaire une simple négation ; on dit : Il est impossible de constituer une armée au moyen d'enrôlements volontaires, mais jusqu'ici on n'a apporté pour toute preuve que l'affirmation non prouvée. Déjà l'honorable M. Kervyn a singulièrement ébréché cette affirmation. Je ne reproduirai pas ses arguments, ils me paraissent péremptoires et par conséquent je ne veux pas fatiguer la Chambre en les répétant. Seulement je ferai valoir une considération sur laquelle M. Kervyn me paraît ne pas avoir assez pesé. C'est qu'il y a quelques années, d'après les rapports mêmes qui sont consignés dans les procès-verbaux de la commission mixte, il se trouvait 16,000 volontaires dans les rangs de notre armée. Mais ces 16,000 volontaires s'y trouvaient lorsque le contingent annuel n'était que de 8,000 hommes...

M. Crombez. - Il n'a jamais été de 8,000 hommes,

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Il a été longtemps de 8,000 hommes.

M. Crombez. - Vous faites erreur.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Je m'étonne de cette interruption. N'est-ce pas une chose parfaitement naturelle que si vous puisez à (page 826) huit dans un sac de trente, il restera disponible vingt-deux pour des usages volontaires, tandis qu’il n’en restera que dix-huit si vous en prenez douze. Il devait donc y avoir plus de volontaires lorsque le contingent n’était que de 8,000 hommes. C’est là une règle arithmétique excessivement simple et très compréhensible.

J'aurais voulu, et l'honorable M. Kervyn l'a dit tout à l'heure d'une manière plus éloquente que je ne pourrais le faire, j'aurais voulu, dis-je, qu'on montrât au moins de la bonne volonté en essayant de recruter les armes spéciales par l'enrôlement volontaire.

Si on avait commencé par là, on aurait fait un grand pas dans une bonne voie.

A-t-on jamais, dans notre pays, fait des avantages spéciaux aux enrôlés volontaires ? Si on avait tenté l'expérience et si on avait échoué, je dirais que vous auriez raison dans votre opposition ; mais jamais l'expérience n'a été tentée ; jamais vous n'avez offert aux enrôlés volontaires des avantages de nature à les attirer dans les rangs de l'armée ; par conséquent, vous ne pouvez pas dire que vous n'auriez pas le nombre voulu si vous tentiez l'expérience. J'aurais donc désiré tout au moins que le gouvernement s'engageât à examiner par quels avantages on pourrait recruter au moins les armes spéciales.

Car, veuillez-le remarquer, messieurs, c'est là une des grandes objections qu'on peut faire valoir contre l'enrôlement forcé. C'est la durée double du service dans ces armes.

N'est-il pas injuste en effet d'imposer aux miliciens des durées différentes de service selon qu'ils sont désignés pour telle ou telle arme par les commissions de milice ; d'obliger les miliciens désignés pour les armes spéciales à trois ou quatre ans de service tandis que ceux qui sont désignés pour l'infanterie ne doivent servir que 24, 27 ou 30 mois ? Si le gouvernement s'était montré favorable à un essai, il aurait beaucoup affaibli notre argumentation et diminué notre opposition. Mais non, il n'a voulu nous faire aucune concession dans ce sens.

Il y a, messieurs, un autre point sur lequel nous manquons complètement de renseignements. L'honorable rapporteur de la section centrale vous a fait entendre dernièrement des paroles qui, j'en suis certain, ont dû vous donner à réfléchir : il vous a dit que si vous n'organisez pas l'armée de réserve, il sera obligé, d'ici à quelque temps, de refuser son vote au budget de la guerre. Or, jusqu'à présent nous n'avons aucune donnée sur l'organisation de cette armée de réserve. Tout ce que nous savons, c'est qu'elle doit être de 30,000 hommes ; mais nous ne savons pas si elle sera recrutée par l'enrôlement volontaire ou par le tirage au sort ; nous ne savons pas quelle sera la durée du service. Pourra-t-on s'y faire remplacer ? Or, messieurs, ces 30,000 hommes venant s'ajouter à un contingent annuel de 12,000 hommes, si la durée du service est fixée à cinq ans, par exemple, il faudra 6,000 hommes par an pour alimenter cette réserve.

Vous conviendrez, messieurs, que c'est là encore une charge très considérable à imposer au pays.

Nous ne savons pas davantage quelles seront les obligations imposées aux hommes qui composeront cette réserve. Ces hommes pourront-ils se marier avant l'expiration de leur temps de service, ou bien devront-ils rester célibataires pendant toute la durée ? Seront-ils astreints à de longs exercices ? Devront-ils aller au camp, par exemple ? Nous n'avons sur tous ces points aucune espèce de renseignements. Il me semble cependant qu'avant de voter le contingent proposé, la Chambre ferait bien de demander quelles sont ces charges qui vont peser sur le pays du chef de cette organisation nouvelle.

Mais il y a plus, messieurs ; il y a encore un petit bout de conscription que je trouve dans les procès-verbaux de la commission mixte, dans le rapport d'une des sous-commissions militaires et sur laquelle je crois qu'il serait également bon de donner quelques explications à la Chambre.

Je vois dans le rapport rédigé par M. le ministre de la guerre actuel, au nom de cette sous-commission, quelques indications concernant les attributions du bureau de mobilisation sur lesquelles je pense que la Chambre et le pays ne seront pas fâchés d'avoir quelques éclaircissements.

Voici ce que je lis d'abord à la page 172, où se trouve la nomenclature des attributions de ce bureau de mobilisation.

Je passe le 1° relatif à la réunion des renseignements, mais je vois :

« 2° étude approfondie de tous les projets de mobilisation de l'année... Fixation des circonscriptions pour la réquisition des chevaux nécessaires à la cavalerie, à l'artillerie et au train et manière de procéder à ces réquisitions ; fixation des besoins de tout genre de chaque place de guerre et du rayon d'approvisionnement de l'armée et de chacune des forteresses en particulier ; mode d'approvisionnement à suivre en cas de danger ; emplacement des dépôts et des magasins de toutes sortes en harmonie avec les nécessités de la défense du pays et les exigences des divers corps.

Et plus loin, dans le chapitre relatif à l'importance des chemins de fer et de leur emploi, je lis :

« D. Transporter vers le grand réduit d'Anvers, les denrées, les approvisionnements de toute nature que le gouvernement compte tirer du pays.

« E. Jeter dans les places de guerre les vivres, les bestiaux, les munitions nécessaires à leur défense et à leur ravitaillement.

« F. Approvisionner l'armée de campagne de vivres et de fourrages lorsque la troupe ne pourra plus être nourrie chez l'habitant ;

« G.....

« L'emploi des chemins de fer, en cas de prise d'armes, doit être bien étudié, bien arrêté à l'avance. Une seule main et une seule pensée devront y présider...

« Il sera utile, avant tout, de résoudre les questions suivantes : «

1° Quelle est l'autorité qui, le cas échéant, prendra la direction des chemins de fer ?

« 2°... 3°... 4°... 5°...

« 6° Arrêter les approvisionnements des places fortes : désigner les points du pays qui devront les fournir ; régler le nombre et la composition des trains qui doivent y pourvoir... »

Eh bien, messieurs, c'est là un genre de conscription tout nouveau sur lequel nous devrions bien avoir quelques renseignements. La Constitution , j'y reviens encore, dit, dans un de ses articles, que nul ne peut être privé de sa propriété que moyennant une juste et préalable indemnité. Il y a certaines règles et certaines formalités à suivre pour fixer cette indemnité, et je suppose que ce ne sera pas seulement le bureau de mobilisation qui aura à fixer ces règles. Ordinairement, pour la fixation du prix d'une marchandise, il faut deux volontés ; or, je demanderai si le bureau de mobilisation aura seul le droit de fixer les prix ainsi que les règles de cette conscription des biens.

Ainsi, je voudrais bien savoir si on admettra le tirage au sort pour savoir sur qui le nombre de bœufs fixé devra être réparti dans tel ou tel village, ceux qui devront les fournir ; en un mot quelles seront les règles que l'on compte suivre dans cette matière si importante pour nos cultivateurs et nos propriétaires,

Je ne pense pas, messieurs, être sorti du cadre du travail de la commission mixte. Comme, dans la discussion générale, ce point n'a été traité par personne, j'ai cru qu'il était opportun d'en dire un mot à propos de la loi de contingent qui nous occupe, afin que nous sachions à quoi nous en tenir.

J'ai promis, messieurs, d'être très court ; je crois avoir tenu ma promesse et je puis borner ici l'exposé des raisons qui me portent à voter contre le chiffre du contingent proposé par le gouvernement.

M. Coomans. - Messieurs, depuis hier, l'inutilité de nouveaux efforts de notre part est si manifeste, qu'elle m'engagera à abréger considérablement les remarques que j'avais encore à présenter à la Chambre sur notre détestable système de recrutement.

Je regrette fort que la question de cabinet ait été posée, parce qu'elle nous prive de la dernière chance de succès.

Il est évident que plusieurs membres de cette assemblée trouveront là un prétexte d'émettre des votes favorables aux projets ministériels. La question de parti te mêlera aux autres. (Interruption.)

Si la question de cabinet n'avait pas pour but de faire fléchir les consciences... (Interruption.)

M. le président. - M. Coomans, vous êtes prié de ne pas vous servir d'expressions semblables.

M. Coomans. - Je commence par un « si », dont vous ne connaissez pas les suites. (Interruption.) Je n'offense personne, je raisonne.

M. le président. - Je ne puis permettre de pareilles expressions, qui sont certainement offensantes pour la Chambre. Je vous prie donc de changer vos expressions.

M. Coomans. — Je dis donc que : si, poser la question de cabinet n'a pas pour but de faire émettre des votes autres que ceux qui seraient émis sans la question de cabinet, c'est-à-dire que si elle n'a pour but de modifier la manifestation publique des consciences, que dans ce cas je ne la comprends plus.

Car si vous ne voulez pas influencer les consciences, ne posez pas la question de cabinet, ne menacez pas la Chambre de vous retirer.

(page 827) M. le président. - Tout en tenant compte de la question de cabinet on vote suivant sa conscience ; vous ne pouvez donc pas mettre en doute la conscience de vos collègues.

MfFOµ. - Je demande la parole.

M. Coomans. - On ne peut pas attacher à.mes paroles un autre sens que celui que j'y attache moi-même. Car ma remarque me paraît si lumineusement simple que je ne conçois pas de contradiction.

M. le président. - Eh bien, moi je la comprends et je la maintiens. Veuillez donc ne pas maintenir ces expressions.

M. Coomans. - Dans toute l'histoire parlementaire de l'Europe moderne, dans tous les témoignages verbaux et écrits que j'ai recueillis même de la part de mes amis politiques, j'ai toujours entendu dire qu'une question de cabinet avait pour but de forcer une Chambre....

M. Bouvierµ. - Oh !

M. Coomans. - ... ou une majorité d'émettre des votes autres que ceux qui auraient été émis si la question de cabinet n'avait pas été posée.

M. le président. - Chacun vote selon sa conscience.

M. Coomans. - Comment pouvez-vous croire, M. le président, que j'ai pu avoir l'intention d'outrager qui que ce soit, alors que mon observation philosophique et historique s'applique à mes propres amis.

M. le président. - Conformez alors vos paroles à votre pensée.

M. Coomans. - C'est ce que je fais toujours, M. le président. Je demande que vous ayez la bonté de m'expliquer ce que signifie une question de cabinet et quel en est le but ?

M. le président. - La question de cabinet a une portée que tout le monde comprend. Elle fait connaître à l'homme politique la portée du vote qu'il va émettre, en lui manifestant l'importance qu'y attachent ceux qui ont la responsabilité de la gestion des intérêts du pays. Mais sa conscience reste libre, et c'est dans sa liberté qu'il apprécie et émet son vote quel qu'ii soit.

M. Jacobsµ. - L'homme politique comprend la portée d'un vote sans cela.

M. le président. - La police de l'assemblée me reste, M. Jacobs, et vous n'avez pas la parole.

M. Coomans. - Je maintiens ma remarque, qui est juste, vous le sentez tous, messieurs, je constate d'après les témoignages de tous les historiens que les questions de cabinet (je ne veux pas parler de celle qui a été posée hier) ont presque toujours exercé une grande influence sur les consciences parlementaires. (Interruption.)

Si vous voulez absolument que je déclare que la question de cabinet posée hier est sans signification et doit rester sans influence, je le veux bien, mais alors il ne fallait pas la poser. (Interruption.)

Messieurs, je disais donc que je regrettais cette déclaration faite par le ministère parce qu'elle augmentera l'écart déjà trop considérable qui existe, selon moi, entre les résultats vraisemblables de ce débat de la Chambre et l'opinion publique.

La Chambre va voter les principales dispositions des projets officiels et, comme d'autres orateurs l'ont dit avec raison, ces votes ne seront pas compris, parce qu'ils sont au moins prématurés. On nous les demande, on nous les arrache sous prétexte de salut public ; mais on a bien soin de nous déclarer qu'on ne les mettra pas en pratique cette année, c'est-à-dire que le péril devant lequel se trouve la nationalité belge n'existe pas de l'aveu de ceux-là mêmes qui nous proposent d'y pourvoir. Eh ! messieurs, s'il y avait nécessité d'armer extraordinairement la nation, je crois que personne ne s'y opposerait.

Mais cette nécessité n'existe pas, le gouvernement le reconnaît en ajournant à l'année prochaine l'augmentation du contingent et en ajournant, selon moi, aux calendes grecques l'organisation d'une réserve de 30,000 hommes.

Ou bien mon interprétation est vraie ou bien vous êtes forcé, ce que je regretterais beaucoup, d'admettre avec quelques personnes qu'on ajourne des mesures de salut public, afin de ne pas trop froisser le corps électoral, le 9 juin prochain.

Ou il y a nécessité d'augmenter nos moyens de défense nationale, et alors il faut avoir le courage d'exécuter immédiatement les mesures que vous jugez nécessaires, car on pourrait vous reprocher déjà d'avoir attendu trop longtemps, ou bien le péril n'existe pas, c'est mon hypothèse, c'est celle tracée par ma conscience, ou le péril n'existe pas et alors vous ne devez pas nous demander une aggravation de notre détestable système de recrutement.

M. Le Hardy de Beaulieu vient de demander des détails sur la réserve de 30,000 hommes. Je trouve sa curiosité très légitime, mais elle est indiscrète parce que je suis bien convaincu que le gouvernement ne serait pas en état de donner ces détails et cela parce qu'au fond il n'a pas sérieusement l'intention d'organiser cette réserve. Si cette intention existait, on nous ferait connaître les bases du projet. On nous dirait à peu près ce qu'on veut faire dans une question de salut public.

C'est bien le moins que la représentation nationale soit mise au courant de projets de lois de cette importance. Le silence du ministère sur ce point capital est injustifiable.

On ne remarque pas assez l'aggravation réelle qui résultera de l'adoption des principales mesures proposées par le ministère. Un appel supplémentaire de 2,000 hommes va exiger un appel supplémentaire de 1,300 à 1,400 remplaçants et substituants.

La première conséquence de cette augmentation du chiffre des miliciens forcés sera une augmentation du prix des remplaçants, c'est-à-dire une aggravation considérable des charges demandées, selon M. le ministre des finances, aux classes laborieuses du pays. D'après M. le ministre des finances, ce sont les classes laborieuses, celles qui ne peuvent faire d'épargnes que sur leur nécessaire, qui ont fourni la plupart des remplaçants, presque la totalité des remplaçants et des substituants. Or, dès que vous élevez d'un quart, d'un tiers peut-être le prix des remplaçants, vous allez aggraver énormément, injustement, cruellement, la situation de ces familles pauvres ; ou bien vous allez les forcer à s'imposer des privations nouvelles, ou bien vous les obligerez à livrer à l'année leurs membres les plus utiles. Et l'une et l'autre alternative est bien mauvaise.

Du reste, je le reconnais, la conscription est également funeste aux classes moyennes du pays. La bourgeoisie elle-même va souffrir de vos innovations. Quant aux classes supérieures, cela leur est fort indifférent.

Il y aura 1,000 hommes de plus dans l'artillerie seulement. Or, on vient de nous dire que les artilleurs doivent servir quatre ans en moyenne. (Interruption.)

Vous nous avez dit hier, M. le ministre, que la moyenne est de quatre ans. J'accepterai un autre chiffre, si vous me le donnez.

- Un membre : Trois ans.

- Un autre membre. - Trois à quatre ans.

M. Coomans. - De trois à quatre ans, c'est possible. Le chiffre de trois à quatre ans est encore très vexatoire et très inique relativement au temps de service demandé à l'infanterie. Eh bien, messieurs, n'est-ce pas une aggravation non seulement quant au nombre des miliciens, mais quant à la durée du service, quant au nombre de journées de travail que vous enlevez à la production ?

Je m'étonne que les orateurs qui se montrent si justement scrupuleux, je le reconnais, dans la fixation du temps de service, ne se préoccupent pas d'une iniquité complètement injustifiable même au point de vue des nécessités politiques, iniquité qui résulte de la différence de la durée du service imposé aux miliciens forcés.

Vous ne demanderez que 22, 24,2 7 mois à l'infanterie, et vous exigerez 3 et 4 ans de la cavalerie, de l'artillerie, des armes spéciales. Pourquoi ? Je vous ai posé la question ; vous ne me répondez pas. Je n'accepte pas comme une réponse ceci : « Il le faut. Nous avons ordonné cela ; il le fallait. » Pourquoi le fallait-il ? Parce que vous avez, dites-vous, de la peine à former un cavalier, un artilleur, et que vous ne pouvez le lâcher aussi vite que vous lâchez un fantassin.

Oui, mais la justice est quelque chose aussi ; elle est, selon moi, la première des bases. (Interruption.) Je dois faire cette déclaration ; quelque patriote que je sois, quelque dévoué que je sois à mon pays, il y a quelque chose qui, à mes yeux, est au-dessus du salut de la patrie, c'est le salut de la justice. Je m'intéresse à la justice plus qu'à ma patrie, je puis le dire, parce que je m'y intéresse plus qu'à ma famille et plus qu'à ma personne.

La justice est le premier devoir du législateur, et vous n'avez pas le droit de repousser un argument pareil par une fin de non-recevoir disciplinaire, par un argument de caporal : « Il le faut. »

Expliquez-moi, je vous prie, pourquoi le jeune homme qui tire, par exemple, le n°1000, est fourré dans l'artillerie, tandis que le jeune homme qui a tiré le n°300, très inférieur à l'autre, est mis dans l'infanterie, c'est-à-dire favorisé de deux ou trois années ? Voyez quel arbitraire ! Vous exigez un service supplémentaire de deux ans et demi sans motif, sans raison, sans justice, contrairement aux décisions du sort ! Ce sont des officiers qui décident. L'arbitraire est absolu.

(page 828) Messieurs, ou tous vos beaux discours sur la durée du service ne portent pas et ne sont qu'une vaine parade de rhétorique, ou bien vous devez reconnaître que la question que j'ai posée est très grave. Vous devez avouer qu'il est impossible que vous restiez investis du droit arbitraire de disposer à votre guise de la liberté, du temps, de la propriété de 3,000 à 4,000 jeunes gens annuellement appelés par le sort à servir dans les armes spéciales, deux ans de plus que ne le fait l'infanterie.

Si nos miliciens étaient rémunérés selon le temps qu'ils ont consacré au service, je concevrais le service forcé et prolongé des cavaliers et des artilleurs. Mais quand ils servent gratis et forcément, ils devraient au moins jouir de l'égalité devant la loterie, s'ils ne peuvent pas jouir de l'égalité devant la loi que la Constitution leur assure. Vous allez donc aggraver considérablement l'iniquité de notre législation sur le recrutement.

On a parlé des congés. Je regrette que l'honorable ministre de la guerre n'ait pas jugé convenable de me donner, au moins quelques-uns des chiffres que j'avais demandés hier. J'ai jeté un coup d'œil rapide sur les pièces qu'il a déposées aujourd'hui sur le bureau, et j'y ai lu qu'il n'y a que 3,000 et quelques miliciens sur tout l'effectif de l'armée, qui aient obtenu, en un an, des congés d'un mois. Or, messieurs, voilà encore une inégalité véritablement révoltante. 1,100 miliciens n'ont pas joui de cette faveur,

Qui donc dispose des congés ? C'est le ministre de la guerre ? Non, ce n'est pas lui, ce sont ceux qui en demandent, les représentants, les sénateurs, les personnes influentes, tout le monde officiel, excepté moi.

Ou a parlé de la législation hollandaise ; on en a justement vanté les principales dispositions, mises en regard de notre loi de milice beaucoup plus dure.

L'honorable M. Kervyn a donné, à cet égard, des détails très intéressants et dont je puis personnellement attester l'exactitude. J'ajoute que les congés, en Hollande, sont tirés au sort ; et il est permis à ceux que le sort favorise de rester au régiment ou de laisser un camarade jouir de la faveur que le sort accorde. Cela est raisonnable.

M. Vleminckxµ. - Le tirage au sort a donc quelquefois du bon.

M. Coomans. - Mais les plus mauvaises choses sont atténuées de temps en temps par la nécessité de ne pas se plonger entièrement dans l'injustice, afin de ne pas s'y noyer ; et puisque vous me parlez de justice relative, je dirai (je veux parler avec une entière franchise) que je ne conçois pas que les partisans de la loterie militaire chicanent le gouvernement sur le chiffre de 12,000 hommes.

Je déclare que si je pouvais consciencieusement (ce qui m'est impossible) admettre le principe de la conscription, je me croirais obligé de voter 12,000 hommes plutôt que 10,000, et plutôt 13,000 que 12,000, plutôt 20,000 que 13,000, parce que plus j'appellerais d'hommes, plus je répartirais avec quelque justice relative les charges militaires. L'essentiel serait de réduire la durée du service, ce qui serait possible par l'augmentation du contingent.

Il y avait du bon dans le chiffre du gouvernement et celui-ci a eu tort d'y renoncer, du moins à son point de vue.

Mais pourquoi ne puis-je pas voter le contingent ? Parce que c'est une injustice que le service forcé, surtout quand il est imposé à quelques-uns seulement. Le service forcé imposé à tous me paraîtrait déjà regrettable ; pourtant, je l'ai dit, je l'accepterais. (Interruption.) Le service forcé n'est excusable qu'à la condition qu'il soit général ; alors il ne devient pas seulement excusable, mais il devient honorable et peut-être légitime. Mais le service forcé imposé à quelques-uns est une iniquité.

En vain, M. le ministre de la guerre vient-il nous parler des miliciens qui rentrent chez eux le front haut après avoir exercé forcément le noble métier des armes, et après avoir payé leur dette à la patrie.

Rectifions ces termes ; ces miliciens n'ont pas de dette à la patrie, car s'ils en avaient une, vous en auriez une aussi et vous devriez marcher comme eux. Cette dette à la patrie, ils ne la payent que lorsque la gendarmerie vient les sommer de la payer ; mais vous ne croyez pas à cette dette à la patrie ; vous n'y croyez pas puisque vous ne la payez pas.

Les 34,000 Belges exemptés chaque année ne payent pas un son de cette dette à la patrie. La dette des plus riches, convenons-en, devrait, être plus forte que elle des pauvres ; eh bien, les riches ne la payent ; pas, ils l'endossent lâchement aux pauvres. (Interruption.) Oui, lâchement. Quand le pauvre se plaint, on l'insulte, on lui dit : Lâche que vous êtes ! vous désertez, vous vendez vos habits ! Et de plus on l'injurie quand conformément à la loi, il vient remplacer vos fils, vos neveux.

Quand le pauvre diable vient nous tirer d'affaire, vous le traitez de rebut de l'armée. (Interruption.)

Eh 1 c'est envers lui que vous avez des dettes ! Payez-les-lui sans l'injurier.

La dette à la patrie, la dette militaire, remarquez bien que je ne la nie pas ; c'est un devoir sacré de défendre la patrie, mais il faut que ce devoir soit le même pour tous. II faut que les devoirs soient égaux puisque les droits sont égaux ou plutôt devraient être égaux.

Vous décrétez bien lestement que 2,000 victimes de plus seront prélevées tous les ans, sous forme de dîme de chair humaine. Mais ces 2,000 miliciens, n'est-ce pas un chiffre considérable ? Savez-vous quand vous pourriez faire payer la dette à la patrie avec quelque justice ? Ce serait dans l'hypothèse où chaque Belge arrivé à l'âge viril, à l'âge de 20 ans, par exemple, serait obligé ou d'être soldat ou de payer en proportion de son revenu le rachat du service militaire. Voilà ce qui serait juste, mais dans cette hypothèse il ne faudrait pas demander au pauvre la même somme qu'au millionnaire, dans cette hypothèse il faudrait que l'impôt milice fût proportionnel comme tous les autres impôts ; vous devriez dire que tout Belge arrivé à l'âge de 20 ans, quelle que soit sa position, sa fortune, sa vocation, que tout Belge arrivé à l'âge de 20 ans marchera ou bien qu'il versera dans la caisse militaire la cinquième partie de son revenu ou du revenu de ses parents ; alors il y aurait égalité de dettes envers la patrie.

Mais quand nous nous abstenons, nous autres riches ou relativement riches, de donner un son ou de faire un pas pour sauver la patrie, alors que nous obligeons, sous peine de cachot et d'autres cruautés inscrites au code militaire, quand nous obligeons les pauvres à marcher pour nous et à se laisser insulter par nous, eh bien, alors nous sommes en dehors de la justice, nous sommes inconséquents, iniques, coupables !

Messieurs, je l'ai déjà dit, la question financière est bien secondaire ; à coup sûr, est-elle bien peu de chose devant les principes de justice éternelle, que je tiens à respecter quoi qu'il avienne.

Pourtant cette question n'est pas tout à fait à dédaigner et la preuve c'est que nos patriotes les plus déterminés ont grand soin d'y avoir égard. Ils déclarent qu'il faut 200,000 hommes pour sauver constamment et perpétuellement la patrie, mais ils ne demandent pas ces 200,000 hommes et pourquoi ? Parce que cela coûterait trop cher !

Voilà les déclarations faites par ceux qui s'adjugent le monopole du patriotisme, et M. le général Renard est prêt à les signer lui-même. Quand il se contente de 130,000 hommes, c'est une concession qu'il fait aux convenances financières.

Remarquez bien, messieurs, que le budget de la guerre de trente-sept millions est un budget fictif et qu'il ne restera pas longtemps dans ces proportions officiellement très inexactes.

Il n'a égard qu'à l'incorporation d'un supplément d'un millier d'hommes. Chaque année il irait grossir de ce chef. Il ne renseigne pas les frais considérables qu'entraînera l'organisation de la réserve, si jamais on l'organise. Il ne fait pas allusion, même pour mémoire, à l'augmentation de la solde, dont on berce l'espoir de nos soldats ; le pays aura à supporter toutes ces charges nouvelles, une grasse augmentation de solde, une énorme dépense pour l'organisation de la réserve, et les charges nouvelles très considérables que vous aller faire peser sur un grand nombre de familles belges vous amèneront à un chiffre qui serait véritablement effrayant si on l'exposait franchement au pays.

Déjà aujourd'hui nos dépenses militaires réelles, en y comprenant toutes celles qui sont supportées par l'Etat, par les communes et par les familles, dépassent la somme de 80 millions de francs par an. (Interruption.) C'est très facile à démontrer : Si vous vouliez, je n'ose pas le proposer, m'accorder quelques moments là-dessus, je vous promettrais bien de les utiliser.

Nos dépenses militaires réelles approchent déjà de 80 millions si elles ne dépassent pas ce chiffre. (Interruption.) Il y a là dedans plusieurs éléments discutables, mais, si vous exécutez vos projets, promesses envers les uns, menaces envers les autres, vous arriverez à une dépense de 100 millions par an.

Cette dépense paraîtra d'autant plus énorme que le public saura un jour ce qu'il devrait savoir déjà, c'est que le budget des recettes tel qu'on le lui donne est faux et menteur.

On comprend dans nos ressources annuelles les recettes du chemin de fer ; toutes les comparaisons que l'on fait entre le budget des voies et moyens, depuis plusieurs années, et les budgets antérieurs à l'époque de la création des chemins de fer ou du moins à l'époque où ils ont commencé à devenir importants, ces comparaisons sont très inexactes.

S'il plaisait demain au gouvernement d'entreprendre la boulangerie pour la Belgique tout entière, d'acheter les blés nécessaires pour les (page 829) revendre cuits, pourriez-vous inscrire au budget les capitaux que vous auriez à appliquer annuellement et commercialement dans ce but ?

De même pouvez-vous considérer comme une recette tout ce que le chemin de fer vous donne ! Pouvez-vous considérer comme une recette de 30 ou 40 millions une somme qui constitue à peine un bénéfice de 1 1/2 p. c, les 5 p. c. déduits ?

Ainsi donc il faut rectifier nos budgets. Le point de vue où je me place est très intéressant. Un jour viendra où le compte que j'indique sera fait, et il serait à désirer que la cour des comptes pût le faire dès à présent.

Je suis prêt à donner mon vote, mardi ou mercredi prochain, pour la place de conseiller vacante à celui de nos calculateurs qui fera exactement le compte des dépenses militaires. Je n'ai pas jusqu'à présent d'autre candidat favori que cet inconnu désiré.

Messieurs, la vérité est celle-ci, c'est que pas un pays au monde ne consacre autant d'argent à son armée que la Belgique. (Interruption.)

J'ai lu 20, 30 calculs contraires, mais il me serait facile de prouver qu'ils sont très inexacts ; si vous voulez, je dirai involontairement inexacts.

Toutefois, comme ils concordent tous et qu'ils sont inexacts sur les bases principales, je dois croire qu'il y a une sorte d'accord sur ces calculs.

La Belgique, qui pourrait dépenser le moins pour son armée et supporter le moins de charges personnelles, est précisément le pays qui en supporte le plus.

Je voterai donc contre le contingent, parce que je suis obligé de le faire. Si non, en conscience, je voterais pour une très grande aggravation du contingent et même pour une aggravation du temps de service, pourvu que le contingent fût beaucoup plus fort, afin de diminuer l'injustice et de rétablir un peu l'égalité des Belges devant la loi.

Mais le principe de la loterie est si mauvais et vous êtes en train de l'aggraver tellement, que j'adjure sérieusement tous mes honorables collègues d'y réfléchir beaucoup avant de consacrer de pareilles iniquités.

Ne vous y trompez pas, le pays, à tort ou à raison, nous blâme presque unanimement. (Interruption.)

A part les personnes qui sont intéressées à soutenir le pouvoir fort et toutes les influences budgétaires, à part un certain nombre d'hommes très consciencieusement convaincus qu'une armée coûtant cher et fortement constituée est une garantie de salut public, à part quelques personnes qui ne réfléchissent guère, la masse du public est contraire à ce que le gouvernement demande et à ce que vous me semblez malheureusement disposés à voter.

Si, au lieu de poser la question de cabinet, l'honorable ministre des finances avait prononcé la dissolution des Chambres, s'il avait rendu cet hommage au principe fondamental de la Constitution belge, nous aurions su bientôt à quoi nous en tenir sur les graves hypothèses que je me borne à indiquer.

Je suis très convaincu que si le corps électoral était bien éclairé sur la question, beaucoup de membres de la majorité mixte qui va se former ici ne reparaîtraient pas de sitôt dans cette assemblée.

Je suis bien certain que si le corps électoral était constitué sur des bases plus larges... (interruption) c'est-à-dire : si ceux qui représentent aujourd'hui la nation constitutionnellement mais fictivement, étaient soumis à un suffrage quasi universel, pas un seul approbateur de vos projets militaires ne serait réélu. Telle est ma conviction profonde, et mon devoir est de vous l'exprimer. A chacun la responsabilité de son langage et de ses actes.

MfFOµ. - Messieurs, il y a environ vingt ans que l'honorable M. Coomans se persuade que les thèses qu'il défend sont des thèses populaires et que toutes les opinions qu'il émet ont pour elles la sanction de l'opinion publique. Il a même été constamment à la recherche de ce qu'il croyait être populaire, se souciant très peu de rester conséquent avec les idées qu'il avait émises auparavant.

Lorsqu'il a cru que le système protectionniste était populaire, il l'a défendu.

Lorsqu'il a cru que la faveur populaire était acquise au système libre échangiste, faisant bon marché de ses anciennes théories, il s'est fait l'apôtre du libre échange.

Lorsqu'il a pensé qu'il était de l'intérêt de l'opinion conservatrice de fortifier et d'accroître l'armée, de la porter au chiffre de 100,000 hommes, il a soutenu qu'une telle armée était nécessaire à la sécurité de la Belgique.

M. Coomans. - C'est très inexact, mais enfin, allez toujours.

MfFOµ. - Tout cela est écrit, tout cela est imprimé, tout cela est parfaitement incontestable. Dans ces derniers temps, M. Coomans s'est imaginé que crier : « A bas la conscription ! » était encore une chose très populaire, et que l'opinion publique allait immédiatement lui faire cortège, et le suivre dans la campagne qu'il a entreprise contre notre organisation militaire.

Aujourd'hui, cependant, il devrait être désabusé. Après tous les efforts qu'il a faits, après tous les discours qu'y a prononcés, après tous les meetings qu'il a organisés ,à quoi a-t-il abouti ? A rien ! Absolument à rien ! Le petit mouvement, la petite agitation qu'il a organisés, n'ont pas de racines dans le pays, ainsi qu'un de ses honorables amis le lui a déjà démontré. Et il s'imagine que nous craignons de comparaître sur cette question devant le pays ? Il se trompe !

M. Coomans. - Essayez donc.

MfFOµ. - Mon Dieu, à une autre époque, vous vous êtes fait l'illusion de croire que nous n'oserions pas affronter les comices électoraux sur une question d'impôt.

Nous nous sommes très franchement présentés au scrutin sur cette question, parfaitement confiants dans le bon sens du pays, et le pays nous a donné raison. De même nous comparaîtrions aujourd'hui sans la moindre appréhension devant les comices, sur la question qui se débat dans cette Chambre depuis cinq semaines, nous y comparaîtrions avec confiance, et certains de sortir victorieux de la lutte.

Mais je ne me suis pas levé, la Chambre le comprendra, pour répondre au discours de l'honorable membre. Il a parlé un peu de tout dans ce discours, excepté de ce qui était en discussion ; il faudrait, pour le suivre, traiter de nouveau la question de l'infâme loterie militaire, question décidée par la Chambre ; il faudrait rediscuter toutes les questions financières qui se rattachent à l'organisation de la défense nationale. De pareilles redites ne pourraient que fatiguer la Chambre, et lui prendre un temps qu'elle peut mieux employer.

J'ai demandé la parole, lorsque j'ai entendu l'honorable membre dire que la question de cabinet avait été posée dans la séance d'hier. Je ne pense pas que l'honorable membre ait la mission de poser les questions de cabinet, et il se flatte lorsqu'il croit qu'il a arraché une déclaration de cette nature au gouvernement. J'avais fort bien compris que son interruption d'hier était une arme à double effet, dont il voulait se servir, d'une part pour adresser ses injures aux honorables membres de la gauche, qu'il aurait ainsi l'occasion d'accuser de se livrer à une capitulation de conscience, et d'autre part, pour dire aussi à ses amis de la droite : Vous voyez ! c'est d'une question de cabinet qu'il s'agit ! Vous ne pouvez donc pas soutenir le ministère ; cela est impossible ! (Interruption.) Voilà le but que vous avez voulu atteindre. (Interruption.)

Messieurs, c'est sur une équivoque que l'honorable membre fait reposer la question de cabinet. Je ne sais si M. Coomans a pu croire que la question de cabinet se trouvait implicitement posée ; je voudrais lui faire cette concession ; mais déclarer expressément que la question de cabinet a été posée parce qu'à une de ses interruptions on a répondu que c'était au nom du gouvernement que l'on parlait, c'est ce que je ne puis admettre. De quoi s'agit-il ?

Mon honorable collègue, M. le ministre de la guerre disait hier :

« Je vous ai dit également que je répondais de la sécurité intérieure. Eh bien, je vous le demande, quelle serait ma position si, au moment où une émotion quelconque se produirait, je n'avais pas en mains les moyens de parer au danger... »

M. Coomans interrompt, et dit : « Est-ce au nom du gouvernement que vous parlez ? »

Mon collègue répond : « Je parle en mon nom. » Sur quoi j'ajoute : « Du tout, c'est au nom du gouvernement ; il n'y a pas deux opinions là-dessus. »

M. Coomans. - Vous avez dit deux ministres...

MfFOµ. - On a mal saisi ; les uns m'ont fait dire : « de tous » ; les autres « de tou »t ; d'autres encore : « Il n'y a pas deux ministres ». La vérité est que j'ai dit : Il n'y a pas deux ministres qui puissent différer d'opinion sur ce point, et c'est l'idée qui est exprimée et que je viens de reproduire.

Voilà dans quelles conditions l'incident s'est produit ; il n'a pas d'autre importance.

Messieurs, dans une séance précédente, j'ai déclaré que je ne formais aucun doute que la majorité voterait les projets qui étaient soumis à la Chambre, et j'inférais de là que d'honorables membres de la droite (page 830) pourraient d'autant moins hésiter à voter avec nous. Je les y conviais dans un intérêt national. Eh bien, la position n'est pas changée. Je n'ai pas plus de doute aujourd'hui que je n'en avais alors, et je suis convaincu que la majorité votera les propositions du gouvernement. Pas n'est besoin sur ce point de question de cabinet. (Interruption.) Mais veuillez comprendre ceci : il y a des questions qui, par leur nature même, et sans aucune espèce de déclaration, sont essentiellement des questions d'existence ministérielle.

Lorsqu'il s'agit de savoir si l'on aura ou si l'on n'aura pas d'armée, et que nous tenons qu'il en faut une dans les conditions que nous avons indiquées, il est parfaitement inutile de déclarer qu'on pose la question de cabinet sur ce point ; tout le monde le comprend, et vous le comprenez vous-même parfaitement (Interruption.) Que veut la droite, que fait-elle ? Elle dit : C'est une question ministérielle de sa nature ; ne votons pas ces projets, car ce serait un appui donné par nous au cabinet !

M. Coomans. - Du tout !

MfFOµ. - Votre presse tout entière le dit, et cela est d'ailleurs évident. Et quand vous comprenez si bien quelle est la véritable situation et que vous voulez en profiter dans un intérêt de parti, permettez aussi aux membres de la gauche, qui la comprennent tout aussi bien que vous, de remplir les devoirs que votre attitude même leur impose. Vous leur donnez un exemple et une leçon, ils sauront en profiter. Il est impossible que la question, telle que vous la posez vous-même, n'ait pas la conséquence que j'indique.

Vous voyez donc que je ne recule pas devant les explications ; j'ai seulement voulu restituer aux faits leur véritable caractère, et vous démontrer que c'est par sa nature seule qu'une question comme celle qui se débat en ce moment, est nécessairement une question d'existence ministérielle.

M. le président. - Il entre probablement dans les intentions de la Chambre de ne pas s'occuper des pétitions demain.

- De toutes parts. - Oui, oui.

M. le président. - La discussion qui nous occupe sera donc continuée demain.

- Des voix. - La clôture !

M. le président. - La parole est à M. Rogier.

M. Rogierµ. - Si la Chambre veut clore aujourd'hui, je renonce à la parole.

- Voix nombreuses. - Non, non ; à demain.

M. le président. - La Chambre paraît disposée à ajourner la clôture à demain.

- La séance est levée à 5 heures.