(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1867-1868)
(Présidence de M. Dolezµ.)
(page 797) M. de Moor, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Reynaert, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance. La rédaction en est approuvée.
M. de Moorµ présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Le sieur Gérard-Henri Guillaume Keunen, professeur de musique a Bruxelles, ne à Utrecht (Pays-Bas), demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
« Les membres du conseil communal de Sibret demandent que la compagnie du Luxembourg soit contrainte d'exécuter, sans délai, l'embranchement de chemin de fer qui doit relier Bastogne à la ligne de Bruxelles à Arlon. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Van Calck demande que son fils, Frànçois-Alexandre, soit dispensé de rentrer au service militaire. »
- Même renvoi.
« Le sieur Quertemont demande que son fils, Léon, soit renvoyé en congé. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Schelle demande l'établissement d'un bureau de poste dans cette commune. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Frameries proposent une modification à l'article 6 de la loi relative aux fraudes électorales. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Petit-Fays et de Monceau demandent l'établissement d'un bureau de poste à Bièvre. »
- Même renvoi.
« Le sieur de Grave, greffier provincial de la Flandre orientale, demande la place de conseiller vacante à la cour des comptes. »
- Dépôt au bureau des renseignements.
« Le sieur Verheggen demande qu'on lui remette la croix de l'Ordre de Léopold qui lui aurait été conférée, ou qu'on lui communique les rapports faits pour empêcher la remise de cette décoration. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur une pétition relative au même objet.
« Des habitants de Ruysbroeck demandent que les deux Chambres soient dissoutes avant tout vote sur les projets de lois militaires. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des projets.
i Des habitants de Humain prient la Chambre de rejeter les nouvelles charges militaires, de décréter l'abolition de la conscription et d'organiser la force publique d'après des principes qui permettent une large réduction du budget de la guerre. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des projets de lois militaires et renvoi à la section centrale du projet de loi sur la milice.
« Des habitants de Bruxelles prient la Chambre de rejeter le projet de réorganisation militaire, de réduire considérablement le budget de la guerre, d'abolir le remplacement et le tirage au sort pour la milice. »
- Même décision.
« M. L. A. Chicora, conseiller au conseil des mines, offre à la Chambre comme suite aux précédents envois, la quatrième partie de la Jurisprudence du conseil des mines de Belgique, qu'il vient de publier. »
- Dépôt à la bibliothèque.
« M. Vilain XIIII, forcé de s'absenter pour affaire urgente, demande un congé de trois ou quatre jours. »
- Accordé.
M. le président donne lecture de la lettré suivante :
« Charleroi, le 9 mars 1868.
« Monsieur le président,
« Retenu chez moi par une indisposition, je viens vous prier de vouloir bien m'accorder un congé de quelques jours.
« Si j'avais pu prendre part aux travaux de la Chambre, j'aurais voté le contingent de 11,000 hommes de service actif et 1,000 hommes de réserve, ainsi que la réduction de la durée du service. Ce système me paraît préférable à celui qui maintient un plus long terme de service, tout en n'augmentant pas le contingent de 10,000 hommes.
« Recevez, monsieur le président, l'assurance de ma parfaite considération.
< D. Jonet. »
- Le congé est accordé.
M. Lelièvreµ. - La loi du 10 février 1866 a déclaré qu'il ne serait prononcé aucune amende contre celui qui succombe dans un recours en cassation en matière répressive.
La loi du 31 mars même année a étendu semblable prescription aux pourvois en matière civile.
Ces dispositions législatives sont fondées sur la considération qu'un plaideur, en recourant aux voies reconnues par la loi, ne fait qu'user d'un droit incontestable, et qu'en conséquence il est impossible de le frapper en cette occurrence de pénalités que rien ne justifie.
Le législateur a compris qu'il était équitable de faciliter aux citoyens les moyens d'obtenir justice et de redresser les erreurs commises à leur préjudice par les corps judiciaires.
Ce nouvel ordre de choses doit nécessairement avoir pour conséquence de faire disparaître les autres entraves à l'exercice d'une faculté légitime que laisse subsister la législation en vigueur.
Or, ces entraves résultent notamment du chiffre élevé du droit d'enregistrement auquel sont sujets les recours en cassation. En effet, il est à remarquer que le droit d'enregistrement perçu sur l'acte de pourvoi en matière correctionnelle ou de police s'élève à 33 fr. 8 centimes, somme qui dépasse quelquefois le taux de l'amende prononcée par la décision attaquée. Aussi arrive-t-il fréquemment que l'individu frappé par un jugement ou un arrêt qui l'atteint dans son honneur est obligé de renoncer à l'exercice d'un droit qui mérite la protection de la loi.
La perception est d'autant plus injuste que celui qui a acquitté le droit n'en obtient pas la restitution, alors même qu'il réussit dans son pourvoi.
L'impôt perçu sur l'enregistrement d'un acte de recours en matière civile s'élève également à un chiffre qu'il est impossible de justifier par des motifs plausibles.
Ces dispositions exorbitantes ne se concevaient que sous une législation qui considérait d'une manière défavorable les pourvois en cassation.
Aujourd'hui que le système contraire a été sanctionné par des dispositions législatives récentes, il est évident qu'il importe de faire disparaître toutes les conséquences d'une doctrine surannée.
Ces considérations s'appliquent également à l'impôt perçu sur la signification des actes d'appel en matière civile. La loi du 31 mars 1866, article 2, supprime les amendes prononcées par le code de procédure civile contre l'appelant qui succombe en instance d'appel. En se pénétrant de l'esprit de cette disposition, on reste convaincu qu'il est impossible de maintenir le droit d'enregistrement dont sont encore frappées les significations d'appel des jugements rendus par les tribunaux de première instance, etc., droit qui peut souvent s'élever à des sommes notables, puisqu'il est perçu sur chaque exploit signifié aux intimés ayant leur domicile dans des arrondissements différents (Le droit qui se perçoit sur chaque exploit d'appel est de 22 fr.)
(page 798) Des perceptions de cette nature sont évidemment des amendes excédant même le taux de celles dont la loi du 31 mars 1866 a prononcé la suppression. Elles sont d'autant plus injustes qu'elles retombent à charge de l'intimé qui succombe.
C'est le régime contraire aux vrais principes que notre proposition a pour but de faire cesser. Nous pensons que les actes d'appel ne doivent être sujets qu'au droit perçu sur les exploits ordinaires, et qu'il doit en être de même des actes de pourvoi signifiés ou déclarés soit en matière civile, soit en matière répressive.
Les motifs qui ont dicté les lois des 10 février et 31 mars 1866 militent en faveur du projet et doivent nécessairement le faire accueillir. Plus que jamais on s'accorde à reconnaître la nécessité de faciliter aux citoyens les moyens de faire annuler les décisions judiciaires qui leur portent préjudice, et, d'autre part, la réduction des frais de justice est une réforme réclamée par tous les esprits sérieux.
Nous soumettons avec confiance à la Chambre une mesure qui, dans des discussions antérieures, a déjà été signalée comme indispensable et dont l'adoption réalisera un véritable progrès.
- La proposition est prise en considération et renvoyée à l'examen d'une commission à nommer par le bureau.
M. Nothomb. - Messieurs, je suis, à mon vif regret, obligé de demander à la Chambre la permission de revenir sur la fin de la séance de samedi, à propos de quelques phrases qui se trouvent dans les Annales parlementaires et qui ont été prononcées par MM. les ministres de la justice et des finances, phrases que je n'avais pas complètement saisies, parce que j'étais occupé en ce moment à examiner un dossier que M. le ministre de la justice venait à l'instant de me remettre. D'un autre côté, je n'étais pas en mesure de répondre immédiatement, faute d'avoir eu le temps de revoir les dossiers, de consulter mes souvenirs et ma propre correspondance.
Je ne pouvais, dis-je, rectifier incontinent et sur l'heure les deux assertions dont je viens de parler. Tout le monde comprend qu'après un si long laps de temps, qu'après douze ans, cela m'était matériellement impossible.
L'une de ces assertions se trouve dans le discours de M. le ministre de la justice, où il dit que le texte du projet de loi de 1856 ne m'a été présenté par personne et que l'honorable jurisconsulte que j'ai consulté sur ce texte m'en a conseillé un autre.
Et plus loin, à la fin de son discours, l'honorable M. Bara ajoute :
« La loi de 1856 restera ce qu'elle est : un texte arrêté, avant le vote, entre M. Nothomb et M. Abbatucci. »
L'autre assertion se rencontre plus tard chez M. le ministre des finances s'exprimant de la manière suivante :
« Est-il vrai, oui ou non, que, par une exception extraordinaire, on a concerté le texte de cette loi. avant le vote, de commun accord avec un gouvernement étranger vis-à-vis duquel on a pris des engagements formels ? »
C'est, messieurs, contre ces audacieuses affirmations que je veux protester, en démontrer l'inexactitude et confondre l'erreur.
M. le président. - Je suppose que la Chambre consentira à entendre M. Nothomb ; il s'agit, en quelque sorte, du droit de la défense. (Assentiment.)
M. Nothomb. - Je remercie la Chambre de la faveur qu'elle veut bien m'accorder. J'aurai besoin de sa patience durant plus d'une heure, car il me faudra lire plusieurs documents. Mais, messieurs, vous jugerez, je l'espère, après m'avoir entendu, que ce n'est pas de mon intérêt personnel que je me préoccupe le plus. S'il n'était question que de moi, je me serais tu ; ainsi que je l'ai déjà déclaré, je ne m'affecte en aucune façon de la position que j'ai prise en 1856, je ne me reproche rien, je m'en honore ; j'ai agi consciencieusement et loyalement et j'ai la certitude d'avoir rendu, dans cette circonstance, un véritable service au pays.
La position était pénible pour moi, la situation grave pour le pays et j'ose dire, quoique je sois en cause, qu'il a fallu du dévouement pour faire ce que j'ai fait. Ce n'est donc pas pour moi que je prends la parole ; si je le fais, c'est qu'en réalité ce qui est engagé au fond de ce débat, c'est la dignité même du pouvoir, dont tous ceux qui ont eu l'honneur de l'occuper successivement restent solidaires.
Il importe d'établir, de prouver que dans cette circonstance, pas plus que dans aucune autre, le pouvoir en Belgique, quels que soient les hommes qui l'exercent, quelle que soit l'opinion à laquelle ils appartiennent, ne subissent la contrainte de l'étranger. Il faut montrer qu'ils agissent librement, honnêtement selon leur conscience et selon l'appréciation loyale qu'ils font des intérêts qui leur sont confiés.
A ce titre, je parle donc pour tout le monde, car je parle pour la dignité du pouvoir, qui se confond avec celle du pays même.
De plus, je crois aussi avoir, vis-à-vis de la majorité qui a voté la loi de 1856, le devoir de constater que cette loi n'a été imposée par personne, qu'elle a été notre œuvre libre, volontaire aussi bien quand nous l'avons présentée que lorsque nous l'avons soutenue ici.
C'est un devoir que j'ai envers cette majorité qui m'a si sincèrement appuyé et devoir qui remonte même plus haut, si ce point pouvait encore être douteux : envers une mémoire devant laquelle tous nous nous inclinons.
J'espère donc que la Chambre voudra bien m'accorder son indulgence et tenir compte du rôle extrêmement difficile et ingrat que l'on a à remplir quand il faut parler longtemps de sa propre personne.
Messieurs, tout le monde se souvient comment la loi de 1856 a été amenée devant la législature et quelles sont les péripéties de la complication qu'on est convenu d'appeler l'affaire des frères Jaquin. Il est inutile de m'y arrêter. Il me suffira de rappeler que le gouvernement français demandait l'extradition des frères Jaquin, réfugiés chez nous comme accusés d'être complices d'un attentat contre la vie de l'empereur Napoléon.
Cette demande a soulevé de sérieuses difficultés. Il y a eu beaucoup de doutes, de controverses qui ont partagé les meilleurs esprits. La magistrature elle-même avait hésité sur la question de savoir si le fait imputé aux frères Jaquin n'était pas un délit politique et, comme tel, en dehors des cas en vertu desquels la loi de 1833 permet l'extradition.
Le cabinet dont j'ai fait partie est arrivé aux affaires précisément au moment où cette question était, je puis le dire, brûlante. Nous sommes entrés au ministère le 30 mars 1855.
Le gouvernement français tenant compte, je le reconnais, des difficultés qui se présentaient pour la Belgique, a renoncé à sa demande d'extradition ; mais, cédant sur ce point, il a maintenu vigoureusement le principe, car il nous disait :
Vous me devez l'extradition des frères Jaquin en vertu de la convention existante. J'y renonce parce que je veux faire envers vous un acte de bon voisinage, mais, en échange, vous me devez une mesure qui, pour l'avenir, aplanisse les difficultés et empêche, pour moi gouvernement français, le retour d'une situation que je ne puis absolument pas accepter pour l'avenir.
Les choses se passèrent ainsi. Les réfugiés Jaquin ne furent pas livrés, mais en compensation, le gouvernement belge s'engagea formellement à présenter un projet de loi destiné à écarter dans l'avenir tout doute quant à l'application de la loi de 1833 à des faits pareils à ceux dans lesquels les frères Jaquin avaient été impliqués.
Cette déclaration fut faite dans la séance de cette Chambre du 1er juin 1855 par mon honorable collègue M. le comte Vilain XIIII, ministre des affaires étrangères, dans les termes suivants i
« A l'ouverture de la session prochaine, le gouvernement, pour lever toute espèce de doute sur le sens de la loi d'extradition, présentera aux Chambres un projet de loi qui assimilera purement et simplement l'assassinat d'un souverain étranger à l'assassinat de toute autre personne. »
Tel fut l'engagement pris par l'honorable ministre des affaires étrangères de l'époque à la suite de la discussion relative à cette affaire.
Dès ce moment, la question sortit de la sphère diplomatique pour entrer dans la voie pratique, et naturellement ce fut le ministre de la justice qui fut chargé de réaliser la promesse faite ; c'est à moi qu'incombait ce devoir et c'est sur moi plus spécialement que pesèrent depuis ce moment jusque maintenant toutes les difficultés inhérentes à cette grave et délicate question internationale.
Maintenant j'ai à prier M. le ministre de la justice de vouloir bien me faire passer les dossiers dont j'ai besoin pour ma discussion.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Lequel ?
M. Nothomb. - D'abord le dossier 'relatif à la préparation de la loi de 1856.
Je répète donc, messieurs, qu'après la promesse faite par l'organe de l'honorable ministre des affaires étrangères, la question cessa d'appartenir à la sphère purement diplomatique et que je fus chargé, comme ministre de la justice, de présenter une loi de nature à éviter les difficultés, (page 799) à aplanir les doutes, à rétablir enfin entre le gouvernement français et le gouvernement belge les relations qui un instant avaient, non sans doute pas été troublées, mais avaient éprouvé une certaine et fâcheuse tension dont il fallait résolument conjurer le retour.
Voici, messieurs, comment j'introduisis la préparation de la loi dans mon département et dans quels termes j'appelais sur elle l'attention et les lumières de MM. les procureurs généraux.
Permettez-moi, messieurs, ici de vous prier d'être attentifs aux dates : leur enchaînement explique bien les choses.
Le 12 novembre 1855, j'écrivis ce qui suit à ces magistrats :
« Bruxelles, le 12 décembre 1855.
« Monsieur le procureur général,
« Vers la fin de la dernière session législative, le gouvernement a pris l'engagement de présenter un projet de loi tendant à résoudre la question de savoir si la loi du 1er octobre 1833 permet l'extradition d'un individu accusé d'attentat contre la vie d'un souverain étranger.
« J'ai de nouveau soumis cette question à un examen attentif, et ma conviction que, dans le cas posé, l'extradition est autorisée par le texte et par l'esprit de la loi, n'a point été altérée.
« Cependant des esprits sérieux ont manifesté une conviction opposée.
« On doit donc admettre que, s'il n'y a pas doute dans le sens de l'article 25 de la loi du 4 août 1832, au moins il pourrait se présenter de l'hésitation dans l'exécution de mesures toujours urgentes et qui se rapportent d'ailleurs à l'ordre public et aux relations internationales.
« Avant d'arrêter la formule du projet de loi, je désirerais, M. le procureur général, connaître votre avis, tant sur la formule elle-même à adopter que sur celle des dispositions de la loi de 1833 à laquelle il conviendrait de rattacher le texte nouveau.
« Deux objections ont été faites :
« 1° Le crime d'attentat contre la vie du souverain n'est pas compris dans la loi.
« 2° Ce fait est un crime politique.
« La première se base sur l'article premier.
« « La seconde a en vue l'article 6.
« Se borner à comprendre l'attentat dans la nomenclature des faits qui peuvent donner lieu à l'extradition, laisserait subsister le doute sur le point de savoir si ce n'est point un fait politique. Il est, d'ailleurs, bien difficile de méconnaître que l'attentat contre la vie est identique, soit avec le meurtre, soit avec l'assassinat, soit avec la tentative de l'un de ces crimes.
« Je suis donc porté à croire que l'interprétation doit plus particulièrement être fixée sur l'article 6 et que l'on pourrait se borner à y ajouter un paragraphe déclarant que l'attentat contre la vie du chef de l'Etat ou contre la vie des membres de sa famille n'est pas considéré comme un crime politique.
« On pourrait, au besoin, dire en outre que ce crime est compris dans l'article premier sous la qualification de meurtre ou d'assassinat.
« Il me serait agréable, M. le procureur général, de recevoir votre réponse dans le plus court délai possible.
« Le ministre, A. Nothomb. »
Les rapports des procureurs généraux, du moins de deux d'entre eux, envoyés au département de la justice, et qui sont au dossier, je les passe ; mais je me permets de vous donner connaissance d'une note émanant de la direction de la législation et qui les résume :
Cette note, qui porte la date du 15 novembre 1855 est ainsi conçue :
« Les rapports des procureurs généraux sont rassurants, car ils ne signalent aucune objection que nous n'eussions déjà prévue, et leurs observations coïncident d'une manière remarquable.
« 1° Si l'on veut faire rentrer dans la loi sur les extraditions toutes les espèces d'attentats contre la vie du souverain telles qu'elles sont définies par notre code pénal, il faut une addition à l'article premier, car l'attentat, tel qu'il est déterminé par l'article 88 du code pénal, peut ne pas réunir les caractères de la tentative.
« Mais c'est précisément ce qu'on ne veut pas faire ; on veut se borner à faire entrer dans la loi le meurtre et l'assassinat du souverain, ainsi que la tentative de ces deux crimes, c'est-à-dire que l'on reste dans le cercle tracé par le code pénal français.
« La modification projetée ayant lieu principalement en vue de la France, il serait inutile de faire entrer dans notre loi plus que la France ne pourrait nous accorder à nous-mêmes.
« Dès que nous restons dans ces limites, les procureurs généraux ne croient pas qu'il soit nécessaire de modifier l'article premier.
« 2° L'assassinat d'un souverain, disent-ils, peut avoir un caractère politique, ou plutôt il peut être connexe à un crime politique. Dès lors, il faudrait dire, avec M. Raikem, que ces assassinats donneront tous indistinctement lieu à l'extradition, ou bien, avec M. Ganser, que l'extradition aura lieu dans tous les cas.
« N'oublions pas, surtout, que si, en présence des déclarations de 1856, il est assez facile de soutenir que l'assassinat du souverain n'est pas un fait politique, nous serons au pied du mur dès que l'on nous prouvera que cet assassinat n'est que le corollaire d'un délit essentiellement politique, quelque bénin qu'il soit ; c'est surtout sous le rapport de la connexité qu'il faut aborder la difficulté de front, et dire carrément que la connexité d'un délit politique ne sera jamais une immunité pour l'assassinat ou le meurtre. »
Ici vient se placer la première formule de rédaction, le germe de ce qui est devenu la loi de 1856. Le chef de service proposait la rédaction suivante :
« Ne sera jamais considéré comme délit politique l'assassinat, le meurtre ou la tentative de l'un de ces deux crimes, dirigés contre le chef de l'Etat ou contre des membres de sa famille. »
Voilà le texte de la première rédaction modifiée par une surcharge qui est de ma main : Voici cette formule complétée par moi le 17 novembre 1855 :
« Ne sera en aucun cas considéré comme délit politique ou comme connexe à un semblable délit, l'attentat dirigé contre la vie du chef de l'Etat ou contre celle des membres de sa famille, pour autant qu'il réunisse les caractères de l'assassinat, du meurtre ou de la tentative de ces crimes. »
Vous voyez bien combien par cette rédaction, modifiant et complétant celle du directeur de la division de législation, je me rapprochais de ce qui est devenu le texte définitif.
Le dossier contient encore des notes de ma main, puis des contre-notes du chef de service ; je me dispense d'en entretenir la Chambre ; cela me mènerait trop loin ; je me bornerai à ce seul extrait de ma main et qui explique ma pensée dominante de rester dans le droit commun :
« Nous ne voulons pas, disais-je, rentrer dans l'article 88 du code pénal ; nous entendons parler de la tentative, suivant l'article 2 du code pénal. »
Celte première rédaction provisoire ainsi arrêtée, le 17 novembre, je me mis en rapport direct et personnel avec les jurisconsultes que je considérais comme les plus capables, comme les mieux à même de m'éclairer, de m'aider de leurs lumières dans la confection d'une disposition législative dont les difficultés m'apparaissaient d'autant plus réelles que je m'en occupais davantage, difficultés que j'avais parfaitement entrevues dès le premier moment et que je n'avais laissé ignorer à aucun de mes honorables collègues, et particulièrement à l'honorable M. Vilain XIIII, à qui j'en ai parlé plusieurs fois et qui d'ailleurs, dans la discussion de 1856, a rappelé lui-même dans cette Chambre combien je me préoccupais des difficultés ardues que je rencontrais à formuler un projet dans une matière aussi délicate, où la force des choses obligeait à mentionner, presque à définir les délits politiques isolés ou connexes.
Je m'adressai tout spécialement à un magistrat qui par sa position élevée, son savoir éminent et ses grands antécédents m'inspirait toute confiance, l'honorable M. Raikem ; j'eus avec lui une correspondance particulière, longue et suivie, que j'ai conservée, ainsi que j'en avais le droit.
Le 2 décembre, je lui communiquai la rédaction que je viens de vous lire et voici ce qu'il me répondit sous la date du 6 du même mois :
« Monsieur le Ministre,
« La rédaction dont vous m'entretenez dans la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser, le 2 de ce mois, présente la définition de l'attentat contre la vie du chef de l'Etat, telle qu'elle résulte de la législation française. Si l'article 88 du code pénal de 1810 pouvait offrir quelque doute, il n'en reste plus depuis la loi de 1832. « L'exécution ou la (page 800) tentative constituent seules l'attentat. » Aussi a-t-on généralement reconnu que l'attentat contre la vie n'est autre chose que l'assassinat, l'empoisonnement, le meurtre.
« Ces crimes ne sont pas des délits politiques, puisqu'ils peuvent également se commettre contre des particuliers et qu'ils attaquent directement la personne, abstraction faite du pouvoir dont elle peut être revêtue.
« L'assassinat, l'empoisonnement ne peuvent être considérés comme faits connexes à un délit politique ; car étant prémédités, ils n'ont d'autre but direct que de porter atteinte à la personne. Mais, d'après ma manière de voir, il n'en est pas de même du meurtre. L'homicide volontaire non prémédité pourrait, suivant les circonstances, être envisagé comme étant connexe à un délit politique. L'exclusion absolue de la connexité pourrait donc être regardée comme une disposition nouvelle. Du reste, je ne prévois pas d'autre objection sérieuse sur la proposition que vous avez bien voulu me communiquer.
« S'il ne s'agissait que de la France, il ne serait pas nécessaire de déterminer les caractères de l'attentat contre la vie ; car la loi des 10-15 juin 1853 n'a pas dérogé à la définition de l'article 88, décrété en 1832. Mais votre loi du 1er octobre 1833 contient des dispositions générales ; et d'autres pays peuvent avoir une législation différente. Suivant Carnot, sur l'article 88, n°2, cet article du code pénal de 1810 déroge, d'une manière spéciale, à l'article 2. Ainsi, en déterminant les caractères de l'attentat contre la vie, on tranche le doute qui pourrait s'élever à l'égard des pays où une semblable législation serait en vigueur.
« Ce n'est que pour satisfaire au désir que vous m'avez exprimé, que je ferai quelques observations sur la rédaction, et' non dans la pensée d'en formuler une qui serait préférable.
« Je commencerai par une observation de peu d'importance, s'il ne conviendrait pas de substituer le mot « réputé » au mot « considéré ». La première expression est employée dans l'article 2 de la loi du 19 pluviôse an XIII pour ne pas comprendre dans le mot « armes » les cannes ordinaires et les couteaux fermants, quoiqu'ils puissent servir à attaquer ou à se défendre ; et l'article 101 du code pénal les a réputés armes, lorsqu'il en a été fait usage» Du reste, les deux expressions me semblent avoir la même valeur.
« La loi du 20 décembre 1852 emploie l'expression : « Des souverains ou chefs des gouvernements étrangers. » Je ne sais s'il y a des motifs pour employer, dans la rédaction dont il s'agit, celle du chef de l'Etat. Il est vrai que cette loi se rapporte à un objet différent ; mais il m'a paru qu'il s'agissait des mêmes personnes ; et la concordance dans les dispositions législatives me semble désirable.
« Cette concordance me paraît encore plus désirable dans une même loi. La rédaction proposée deviendrait une disposition additionnelle à l'article 6 de la loi du 1er octobre 1833. Or, l'article premier de cette loi se sert du mot « faits ». Le sens de ce mot a été expliqué dans la discussion de cette loi : « La généralité du mot « faits » présente davantage de ne pas exclure la tentative ou la complicité, mais de comprendre toute espèce de criminalité qui s'y rattaché. » (Pasinomie, an 1833, page 241, note première.)
« Le but est de déclarer que l'article 6 n'est pas exclusif des faits énumérés dans l'article premier, sous le prétexte de délit politique ou de connexité à un semblable délit. Ne convient-il pas dès lors de se servir de l'expression employée dans l'article premier, qui présente le même sens que l’énonciation du crime et de la tentative ?
« Vous apprécierez ces observations lors de la rédaction définitive ; et ce n'est que comme essai que j'ai l'honneur de vous soumettre celle qui suit :
« Ne sera pas réputé délit politique ni fait connexe à un semblable délit l'attentat contre la vie d'un souverain ou du chef d'un gouvernement étranger ou contre celle des membres de sa famille, lorsque cet attentat constitue le fait soit d'assassinat, soit d'empoisonnement, soit de meurtre. »
« Ou celle-ci :
« L'attentat contre la vie d'un souverain ou du chef d'un gouvernement étranger ou contre celle des membres de sa famille, constituant le fait soit d'assassinat, soit d'empoisonnement, soit de meurtre, ne sera pas réputé délit politique ou fait connexe à un semblable délit. »
Il peut arriver, qu'eu égard à la législation de certains pays, il survienne quelque difficulté dans l'exécution. Ce n'est pas toutefois relativement à la France ; car d'après les articles 86 et 88 du code pénal en vigueur dans cet empire, l'attentat contre la vie a le même caractère que l'homicide volontaire ou la tentative de ce crime. Mais si la législation d'autres pays contient une définition différente en ce qui concerne le souverain et sa famille, il est à prévoir que le mandat d'arrêt et l'arrêt d'accusation mentionneront seulement l'attentat contre la vie et la disposition qui le punit, sans en donner une définition de nature à faire appliquer le paragraphe additionnel proposé à l'article 6 de la loi du 1er octobre 1833. Comment alors apprécier si le paragraphe pourrait recevoir son application ? Il semble néanmoins que, dans une telle circonstance, le gouvernement qui demanderait l'extradition devrait fournir les justifications propres à rendre applicables les dispositions de la loi de notre royaume, et que, le cas échéant, on pourrait les lui réclamer par la voie diplomatique.
« Je vous transmets mes observations, sans savoir si elles pourront vous être de quelque utilité. Si vous désiriez que je m'occupasse de nouveau de la proposition que vous m'avez communiquée, je vous prie d'avoir l'obligeance de m'en écrire ; je m'efforcerais de répondre aux points sur lesquels vous voudriez bien me consulter.
« Agréez, je vous prie, monsieur le Ministre, l'expression de mes sentiments de la plus haute considération.
« Liège, le 6 décembre 1855.
« Raikem. »
Ce texte est celui que j'ai adopté ; il est devenu celui de la loi et je prouve d'une manière irréfragable qu'il procède du département de la justice, de moi et de l'honorable M. Raikem.
Vous aurez remarqué, messieurs, que l'honorable M. Raikem propose sa rédaction, non, comme il le dit avec une modestie trop grande, qu'il la croie meilleure que celle que je lui avais soumise, mais parce qu'il la trouve plus en harmonie avec d'autres lois et pour avoir la concordance des textes législatifs. J'insiste pour vous signaler que sa lettre est du 6 décembre 1855.
Déjà appuyé par l'avis d'un homme qui a été un des auteurs de la Constitution, qui avait contribué à faire la loi de 1855, qui a été ministre de la justice, qui était une des plus incontestables illustrations de notre magistrature, outre son autorité si grande pour tout le monde, et particulièrement pour moi, je correspondais encore avec un autre jurisconsulte, criminaliste éminent, celui-là même dont M. le ministre de la justice a parlé dans la séance de samedi en disant que « j'avais consulté un honorable jurisconsulte, mais qu'il m'avait conseillé un texte autre que celui que j'ai adopté. »
Evidemment, dans la bouche de M. le ministre de la justice, cette dernière observation ne pouvait avoir aucun caractère blessant pour moi, ni prêter sujet à équivoque ; mais je n'ai pu m'empêcher de croire, en retrouvant ces paroles dans les Annales parlementaires, que d'autres personnes, y donnant une interprétation malveillante ou perfide, pourraient un jour me dire : Mais si vous n'avez pas adopté le texte de l'honorable jurisconsulte que vous aviez consulté c'est parce qu'il condamnait votre proposition, parce qu'il la trouvait sans doute trop étendue, dangereuse, réactionnaire et rigoureuse à l'excès.
Eh bien, messieurs, voici l'opinion vraie de l'honorable jurisconsulte ; elle répond d'avance à ces commentaires possibles.
Je lui avais immédiatement communiqué le texte que je venais d'adopter.
Le 10 décembre, il me répond :
« Je m'empresse de répondre au témoignage de confiance que vous venez de me donner en me communiquant, pour avis, le projet de loi que vous vous proposez de soumettre aux Chambres législatives. Ce projet porte :
« Ne sera pas réputé délit politique ni fait connexe à un délit politique, l'attentat contre la personne du chef d'un gouvernement étranger ou contre celle des membres de sa famille, lorsque cet attentat constitue le fait de meurtre, d'assassinat ou d'empoisonnement. »
Il discute ce texte et me propose une autre rédaction que voici :
« Ne sera pas réputé délit politique ni fait connexe à un semblable délit, l'attentat contre la vie soit du chef d'un gouvernement étranger, soit des membres de sa famille. »
Mais, messieurs, ceci doit vous frapper, ici ; j'ai dû m'éloigner de l'opinion du savant et honorable criminaliste. y allait beaucoup plus loin que moi ; il effaçait de ma proposition ce qui, dans mon esprit, en caractérisait la portée, en la limitant. J'avais précisé ce que devait être l'attentat ; l'attentat devait constituer soit le fait de meurtre, d'empoisonnement vu d'assassinat, tandis que dans la rédaction du jurisconsulte il devait s'agir de l'attentat contre la vie du souverain. Je trouvais ce texte trop vague, trop élastique. Je voulais au contraire un texte (page 801) circonscrit, restrictif. La formule de l’onorable jurisconsulte me donnait trop, et c’est ce motif qui m’en a éloigné.
Et cela était tellement la pensée de ce jurisconsulte, pensée loyale, pensée consciencieuse, que dans cette même lettre qui fait partie du dossier d« M. le ministre et qu'il a dû lire, puisqu'il me l'a opposée, l'auteur s'exprime ainsi :
« Cependant, si un amendement proposé dans la Chambre étendait la disposition du projet aux attentats contre la personne du souverain, je crois, M. le ministre, que vous devriez vous y rallier. »
C'est à cette conclusion qu'arrivait l'honorable criminaliste. Il conseillait de se rallier, le cas échéant, à une proposition comprenant même l'attentat contre la personne du souverain. La pensée de me rallier à une semblable proposition ne me serait jamais venue.
C'était d'ailleurs une simple hypothèse qui n'affaiblit en ricin l'hommage que je rends au savoir et à la conviction de l'honorable jurisconsulte ni à la reconnaissance que je lui garde du concours qu'il m'a donné.
Je me suis donc tenu au texte tel que je l'avais arrêté, tel qu'il avait été concerté entre M. Raikem et moi.
Après cela, messieurs, je trouve au dossier l'exposé des motifs entièrement écrit de ma main et la rédaction telle que je viens de la lire, telle qu'elle est devenue la loi de 18S6,
Et c'est ainsi qu'à la suite de ces efforts soutenus, consciencieux, faits de bonne foi, cherchant la meilleure rédaction par tous les moyens en mon pouvoir, c'est ainsi que le 18 décembre j'ai déposé le projet de loi.
Tantôt, messieurs, si la discussion nous conduisait jusque-là, je pourrais d'ailleurs montrer que l'honorable jurisconsulte auquel je fais allusion en ce moment (l'honorable ministre sait bien de qui je parle), durant la discussion, alors que j'eus l'occasion de le consulter sur les amendements nombreux qui s'étaient produits, reconnaît qu'il avait mal compris ma proposition et à propos du projet de la commission présenté par l'honorable M. Orts, il m'engage dans les termes les plus vifs (j'ai la lettre devant moi) à défendre le projet tel que je l'avais présenté, unguibis et rostro.
Ce sont ses expressions, et à cette occasion, je dis en passant que l’honorable procureur général de Liège combattait également avec une très grande vigueur et par des raisons péremptoires (je les ai sous les yeux) les amendements proposés dans le cours de la discussion. J'insiste sur ce point parce qu'on m'a dit sans cesse et que l'on me redira : Mais si vous n'aviez pas été lié, vous auriez accepté les amendements de la commission. Or, vous n'avez rien accepté, vous n'avez rien retranché, pas même une virgule. Vous n'étiez donc pas libre, pour y avoir mis cette obstination. Ma réponse est bien simple :
J'étais lié par mon texte sans doute, mais parce que je le croyais bon, parce que tous les hommes compétents que j'ai consultés m'affirmaient qu'il était bon et qu'ils déclaraient énergiquement avec moi que les amendements présentés ne valaient rien. Voilà mon obstination.
Le projet est donc déposé le 18 décembre 1855, le ministre de la justice a rempli ses engagements, selon ce que ses fonctions lui imposaient. Il soumet un projet devant résoudre les doutes auxquels avaient donné lieu la loi de 1833 et les conventions qui en sont la conséquence.
Eh bien, que croyez-vous qui va se passer alors î
Croyez-vous qu'après toutes les insinuations que j'ai entendues dans certaine presse et qui ont trouvé un écho si complaisant ici même, le gouvernement français pour qui prétendument j'agissais servilement, dont je subissais la pression, va être satisfait, qu'il va applaudir à ce texte fait à sa dévotion ? Non pas.
Il réclame contre ce texte, il s'en plaint, il proteste contre ce texte et ceci est authentique, je vais vous eu fournir la preuve... (Interruption.)
Cela vous étonne ! Oui, messieurs, bien loin que ce gouvernement qui devait cependant m'avoir transmis ses ordres, qui devait avoir rédigé le projet, se montre satisfait, il critique, il réclamé et sous la date du 28 décembre, dix jours après le dépôt du projet de loi, le ministre de la justice de France, M. Abatucci, adressait à son collègue des affaires étrangères la lettre suivante :
« Monsieur le ministre et cher collègue, j'ai reçu, avec les pièces qui l'accompagnaient, la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 24 de ce mois... »
Mais j'interromps un instant ma lecture parce que j'ai oublié de dire que c'est avec regret que je lis cette pièce. Je reconnais que le procédé n'est ni correct ni régulier, qu'il n'est pas dans les usages de porter devant les assemblées délibérantes des documents émanés des chancelleries étrangères, mais j'y suis obligé pour ma défense, car j'y ai été provoqué par la lecture faite ici par M. le ministre des finances contre moi d'une pièce isolée.
Si l'on avait lu également celle que je vais vous faire connaître et qui se trouve dans le même dossier, j'aurais été dispensé d'une obligation qui n'est pas dans les règles.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Elle vous condamne.
M. Nothomb. - Nous allons voir.
« Le projet primitif était ainsi conçu : »
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Vous le lui aviez donc communiqué ?
M. Nothomb. - Toujours dés suppositions. Je reprends la lecture.
« Monsieur le ministre et cher collègue, j'ai reçu, avec les pièces qui l'accompagnaient, la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 24 de ce mois, au sujet d'un projet de loi porté par le gouvernement belge à la Chambre des représentants, et ayant pour but de comprendre parmi les cas d'extradition, l'attentat contre la personne des souverains.
« Le projet primitif était ainsi conçu : « Ne sera en aucun cas considéré comme délit politique ou comme connexe à un semblable délit, l'attentat contre la vie du chef de l'Etat ou contre des membres de sa famille pour autant que cet attentat réunisse les caractères de l'assassinat, du meurtre, ou de la tentative de l'un de ces crimes. »
« Je regrette que cette première rédaction si claire et si précise n'ait pas été soumise à la Chambre des représentants ; voici celle qu'on a cru devoir y substituer : « Ne sera réputé délit politique ni fait connexe à un semblable délit, l'attentat contre la personne du chef d'un gouvernement étranger ou contre celle des membres de sa famille, lorsque cet attentat constitue le fait, soit de meurtre, soit d'assassinat, soit d'empoisonnement, etc. »
« Il est évident que si on s'en tient à la lettre de cet article, il faut que l'attentat contre le souverain ait été consommé pour qu'il y ait lieu à l'extradition, puisqu'il n'est question que du fait de meurtre ou d'assassinat et non de l'intention plus ou moins réalisée de la tentative. Or, il est de la plus grande importance au point de vue de la sûreté générale que la tentative soit spécialement prévue aussi bien que le fait accompli. Je sais que d'après une règle consacrée par la législation des deux pays, la tentative, lorsqu'elle réunit certains caractères, est considérée comme le crime même ; mais quand il s'agit de faire une loi ou une convention d'extradition relativement à un genre de crime qui a été jusqu'à présent, et notamment dans l'affaire Jaquin, l'objet de tant de débats, d'interprétations diverses et de distinctions arbitraires, il est nécessaire que cette assimilation de la tentative au crime suit explicitement déclarée.
« M. le ministre de la justice de Belgique fait observer que le dernier projet soumis à la Chambre des représentants est plus en rapport avec la loi belge qui établit en celle matière comme le faisait noire code pénal de 1810 qu'il y a attentat dès qu'un acte a été commis ou commencé pour parvenir à l'exécution du crime, bien que celui-ci n'ait pas été consommé. »
« Je répondrai qu'il serait également à désirer qu'il fût, autant que possible, en rapport avec les législations étrangères et notamment avec la loi française actuelle (article 88 du code pénal), qui porte que : « L'exécution ou la tentative constitueront seuls l'attentat. »
« Car il est de principe que pour statuer sur une extradition, il faut avoir égard, non seulement à la législation du pays à qui elle est demandée, mais encore à celle du pays qui la demande.
« Il conviendrait au moins de mettre le projet en harmonie avec les traités d'extradition où il est mention, non de faits, mais de crimes, expression qui, dans son sens légal, peut s'entendre de la tentative comme de l'acte accompli.
« J'ajouterai que là différence des deux jurisprudences en matière d'attentat est plutôt favorable que contraire à notre opinion, puisque la tentative dont parle l'article 88 de notre code pénal est au fond un fait plus grave que le simple commencement d'exécution qui suffit en Belgique pour constituer l’attentat.
« M. Nothomb le reconnaît, mais il craint qu'à l'occasion de la clause que nous réclamons la Chambre des représentants ne veuille modifier la législation sur l'attentat, afin de la rapprocher de la loi française. cette crainte me paraît au moins exagérée.
« Il ne s'agit point, en effet, ici d'une réforme pénale, mais uniquement d'une addition à là loi sur les extraditions qui se règlent partout (page 802) d'après des principes spéciaux et il me semble que le ministère belge n'aurait pas de peine à repousser les objections qui lui seraient faites à ce sujet.
« Il y a du reste une considération qui domine toutes les autres, c'est qu'en comprenant l'attentat contre les souverains parmi les cas d'extradition, on veut le faire sortir du rang des crimes politiques pour ne plus l'envisager qu'au point de vue de la morale et du droit commun, comme l'attentat commis envers un particulier ; et afin de ne laisser aucune ambiguïté à cet égard, il faut nécessairement se servir de qualifications assez étendues et assez précises pour embrasser toutes les hypothèses qu'on a eu l'intention de prévoir sans qu'il soit besoin de recourir à des explications ou à des interprétations plus ou moins forcées. C'est le seul moyen de prévenir ces criminelles tentatives qui se renouvellent si fréquemment depuis quelques années et dont la répression importe à tous les gouvernements. La France limitrophe de la Belgique a un intérêt particulier à ce que celle-ci présente dans sa législation toute garantie sous ce rapport.
« Je ne doute pas, M. le ministre et cher collègue, que des motifs aussi puissants joints à ceux qui ont déjà été invoqués par le ministre de l'empereur à Bruxelles ne déterminent les ministres belges à user de tout leur pouvoir pour faire accepter par les Chambres l'article tel qu'il avait été primitivement rédigé ou quelque autre disposition semblable qui assure l'extradition pour tout attentat consomma ou tenté contre la vie d'un souverain.
« Je vous serai obligé de me donner avis du résultat de notre intervention dans cette circonstance.
< (Signé) Abdxtucci. »
« P. S. Il me paraît d'autant plus nécessaire d'adhérer à votre désir que la tentative ayant été comprise dans un premier projet et supprimée dans le projet définitif, on pourrait plus tard induire du silence gardé par le législateur qu'elle n'a point été considérée comme un cas d'extradition. »
Vous le voyez donc, messieurs, le projet déposé par le gouvernement le 18 décembre 1855 ne recevait pas l'approbation du gouvernement français ; il le trouvait insuffisant et y demandait des modifications.
Dans cette situation, les tiraillements, au lieu de disparaître, tendaient à s'aggraver. Et en effet, à quoi aurait servi une disposition législative ayant pour but entre les deux pays, pour des motifs aussi puissants, de resserrer les liens de bon voisinage, à quoi aurait-elle servi si elle n'avait pas été franchement accueillie par le gouvernement français ? Tout était manqué, aucune convention d'extradition ne devenait possible, puisque la base elle-même, la loi qui nous y autorisait, n'était pas acceptée par la partie qui devait contracter avec nous ?
Il fallait donc nécessairement que le projet fût accueilli par la France. Or, vous venez de l'entendre : elle n'acceptait pas et désirait autre chose. Dans ces circonstances, il importait, il fallait, pour aboutir et ne pas retomber dans une situation pire, s'attacher à faire revenir le gouvernement français de sa fausse appréciation, et lui faire reconnaître que le projet était bon et suffisant.
Eh bien, messieurs, ce fut ma mission ; le ministre de la justice devint un instant diplomate. J'avais l'honneur de connaître M. le garde des sceaux, M. Abattucci ; je le vis et m'expliquai avec lui sur la portée du projet ainsi que sur les observations qu'il avait présentées quelques jours auparavant à notre gouvernement par l'intermédiaire de son collègue des affaires étrangères.
C'était au commencement du mois de janvier 1856 et je parvins à le convaincre. Je vous prie de croire que ce ne fut pas chose précisément facile ; j'y réussis cependant, M. Abattucci se rangea à mon opinion ; il s'est accordé avec moi, et non pas moi avec lui ; je n'ai rien cédé, absolument rien. J'ai maintenu entièrement, complètement le projet tel que nous l'avions élaboré et présenté.
Eh bien, messieurs, c'est à la lueur de ce document, à la lueur de ces faits et de ces dates, c'est à l'aide de tout cela qu'il faut relire maintenant cette fameuse dépêche du 11 janvier qu'on a lue ici contre moi, pièce produite isolément comme machine de guerre et sans que j'en aie été prévenu le moins du monde. (Interruption.)
Je n'eu ai rien su, si ce n'est au moment même où j'entrais ici, où je m'asseyais à cette place, forcé naturellement d'écouter M. le ministre de la justice qui s'occupait de moi et ne me faisait pas de compliments.
Cette lettre, du 11 janvier, interprétée à l'aide du document que je viens de produire, prend un tout autre aspect ; j'ai donc aussi le droit de la relire, de l'expliquer, de la commenter à mon tour.
Le gouvernement français ne croyait donc pas à l'efficacité de la loi telle que nous la proposions ; il était, je ne veux pas dire mécontent, je ne saurais appliquer ce terme à un grand gouvernement comme celui de la France, mais il était froissé ; il réclamait verbalement et il réclamait par écrit.
C'est alors qu'intervint la lettre écrite, le 11 janvier, par S. Exc. M. Walewski pour notre ministre des affaires étrangères et dont à mon tour je fais usage :
« Monsieur le ministre,
« M. le comte Walewski m'informe, par une dépêche en date d'hier, du résultat de l'entretien qui a eu lieu à Paris entre M. le garde des sceaux et S. E. M. Nothomb. Il résulte de cette dépêche que les explications qui ont été données par M. le ministre de la justice en Belgique à M. Abbatucci ont engagé ce dernier à adopter l'opinion de M. Nothomb sur la rédaction du projet de loi que le gouvernement belge a présenté aux Chambres, pour que, dorénavant, l'attentat contre la vie des souverains soit compris parmi les crimes qui donnent lieu à l'extradition entre les deux pays... »
Voilà d'abord un point acquis, il est capital. M. Abbatucci a adopté mon opinion sur le projet de loi et par une inconcevable tactique on veut faire croire que c'est moi qui me suis rangé à l'opinion du ministre français. Heureusement les mots ont une force contre laquelle rien ne peut prévaloir.
Je continue :
« Ainsi, le mot crime ne sera pas substitué dans le projet de loi au mot fait, comme je l'avais demandé à V. E, et il ne sera pas parlé de la tentative. »
C'est une concession qu'on me fait ; le mot crime ne figure pas dans le projet de loi. Je préférais le mot fait ; j'en ai dit plus haut les raisons ; sans être indispensable, il avait pour moi une valeur juridique qu'on comprend parfaitement.
Je ne cède donc rien sur ce point et l'on me cède.
« Ainsi, le mot crime ne sera pas substitué du mot fait... (Interruption) et il ne sera pas parlé de la tentative. »
M. le ministre de la justice (M. Bara). - C'est cela.
M. Nothomb. - Patience, je n'avais pas mentionné la tentative dans mon projet, il n'en était plus parlé. (Interruption.) J'entends dire que je l'avais d'abord comprise. Soit. J'ai plusieurs fois modifié ! Certainement, mais M. le ministre, je me permets de vous dire que si vous aviez eu à faire une loi de ce genre, vous eussiez éprouvé de sérieuses difficultés comme moi et vous auriez changé plus d'une fois votre rédaction.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je n'ai pas dit le contraire.
M. Nothomb. - J'avais mes motifs d'omettre la tentative et je constate que le gouvernement français en demandait l'insertion, je n'y ai pas consenti et l'on a accepté ma résistance : la tentative ne figure pas dans la loi.
La lettre continue ainsi :
« Il ne sera pas parlé de la tentative, la loi nouvelle se référant à une loi belge déjà existante, dans laquelle le mot fait est seul employé avec une signification telle, qu'il s'applique cependant en réalité aux crimes et aux tentatives de crimes. Mais, lors de la discussion qui aura lieu devant la Chambre, le gouvernement belge restituera nettement au mot fait la signification que la chancellerie française désire lui donner dans la pratique, et qu'il doit nécessairement avoir en matière d'extradition, et cela de manière à ne laisser aucun doute sur la véritable portée de la loi, et à enlever aux mauvais esprits, qui se rencontrent malheureusement partout, toute possibilité de l'interpréter, le cas échéant, dans le sens d'une funeste tolérance. »
- Un membre à gauche. - Voilà.
M. Nothomb. - Mais sans doute. Il fallait bien expliquer le sens de ce mot, aucune convention ultérieure n'étant possible sans cela. Et qu'est-ce que j'expliquais ? Mais ma propre pensée, la portée du mot fait telle que je l'entendais dès l'ori gine, telle qu'elle était acceptée eu Belgique depuis la loi de 1855.
Ici encore, je ne cédais donc rien, je n'avais rien à céder, car en disant au ministre français que je restituerais devant la Chambre au mot fait le sens qu'il y attachait, je promettais d'expliquer nos propres intentions, le sens de notre législation. Je cédais à nous-mêmes, je promettais de redire à Bruxelles ce que tout le monde y admettait ! Voilà, il faut l'avouer, une singulière concession et une humiliante faiblesse de ma part !
« Il a été convenu, en outre, entre M. Nothomb et M. le garde des (page 803) sceaux, que lors du traité complémentaire de la loi d'extradition qui sera passé entre la France et la Belgique, on y introduira littéralement les mots : crime, attentat, et tentative de crime et d'attentat, de telle sorte « qu'aucune difficulté ne puisse être soulevée lors de l'application dudit traité. »
Ai-je besoin de faire remarquer, messieurs, que je ne suis pour rien dans la rédaction de cette dépêche ; je ne puis donc être rendu responsable de ce qu'elle dit et de ce qu'elle ne dit pas. Mais je constate qu'il y a confusion et contradiction d'un bout à l'autre.
Ainsi, on énonce au commencement qu'il ne sera pas parlé de la tentative et ici l'on dit que dans un traité additionnel il en sera fait mention contradiction à 6 lignes de distance ; aussi n'a-t-il pas été question de tentative dans ce traité, le mot n'y figure même pas. Il a été convenu, dit ce paragraphe de la dêpêche, que le mot crimeserait dans le traité. Or, il n'y est pas !
Est-ce assez de contradiction ?
La convention additionnelle du mois d'août 1856 se borne à rapporter purement et simplement, la loi de 1826.
L'honorable M. Guillery a déjà fait remarquer que cette lettre contient des demandes auxquelles nous n'avons pas consenti.
Vous le voyez donc, la dépêche se détruit elle-même ; il y a confusion, confusion absolue entre la première partie et la passage que je viens de lire. (Interruption.) Et les faits postérieurs, comme on me le fait remarquer, lui ont donné un démenti complet. Je n'ai rien pu céder, je n'ai rien promis : car si j'avais pris un engagement quelconque au delà de nos intentions premières, le gouvernement français n'eût point manqué de nous le rappeler lorsque nous avons fait avec lui la convention du mois d'août et d'en exiger l'exécution.
Rien de semblable n'a eu lieu, preuve évidente que je n'avais rien concédé ou que l'auteur de la lettre a fait erreur d'un bout à l'autre.
En voici la fin :
« Je prie V. E. d'avoir la bonté de m'accuser réception de la présente dépêche, et de me faire connaître si le gouvernement belge adopte l'accord qui a eu lieu entre S. E. M. Nothomb et S. E. le garde des sceaux de France. »
Nous pouvions parfaitement adopter cet accord puisqu'il se résumait dans le maintien pur et simple de nos engagements volontaires, préexistants, pris par nous envers nous-mêmes. Si c'est là une convention, je ne connais plus la valeur des mots.
Voilà, messieurs, cette lettre terrible, ce secret écrasant qu'on a dévoilé contre moi ! Eh bien, à quoi se réduit-elle ? et que prouve-t-elle ? Que je ne me suis laissé rien imposer ; qu'au contraire j'ai eu le bonheur de ramener le ministre d'un puissant empire à mon opinion à moi, ministre de la modeste Belgique.
Voilà ce que constate cette pièce ; elle prouve, je le répète, qu'il n'y a rien eu de convenu, car toute convention suppose des concessions réciproques. Or, où sont les concessions de ma part ? Il n'en existe point ; elles sont toutes ailleurs. Si j'ai mérité d'être taxé d'obstination, comme on me l'a si souvent reproché ici, le reproche ne pourrait être fondé que vis-à-vis de la chancellerie française ; là j'ai été obstiné dans la défense de mon projet, parce que je le trouvais suffisant ; et si quelqu'un a subi un texte ne varietur, je dirais que c'est le ministre français, s'il était permis d'employer ce langage vis-à-vis de la France,
Au surplus, messieurs, supposons même qu'il fût intervenu, dans une certaine mesure, un accord entre S. Exc. le garde des sceaux de France et moi, où serait le mal ? Le bon sens n'indique-t-il pas qu'il fallait une entente entre les deux gouvernements. Car, je le demande, comment aurions-nous pu faire plus tard un traité d'extradition avec le gouvernement français, si celui-ci avait repoussé la base qui devait nous servir à nous, c'est-à-dire la loi que nous avions faite ?
Dans ce cas tout eût été à recommencer, comme je l'ai déjà dit tout à l'heure. Le danger eût été bien plus grand et c'est alors qu'on aurait pu à bon droit nous accuser, mes collègues et moi, d'avoir manqué de tact et de prévoyance. Si la loi votée, la France nous avait dit : Elle ne me suffit pas, je ne veux pas traiter sur cette base, je vous mets en demeure de la modifier, de la corriger, c'est alors que vous m'auriez accusé d'imprudence et d'impéritie, et avec raison : oui, j'aurais été coupable d'avoir compromis la dignité du pouvoir et de la législature du pays.
Eh bien, j'ai évité cet écueil ; j'ai maintenu notre résolution telle que nous l'avions arrêtée et j'ai amené le gouvernement français à s'en contenter. Voilà la vérité dans toute sa simplicité. Ainsi disparaît cette accusation élevée contre moi ; tout devient clair et naturel ; l'enchaînement des faits s'explique parfaitement pour tout esprit non prévenu.
Je m'adresse après cela à tout homme impartial et je lui demande s'il y a place à un blâme contre moi ? Au contraire, n'ai-je pas agi prudemment, et avant d'aborder la discussion d'une loi aussi importante ne convenait-il pas avant tout de s'assurer qu'elle produirait les effets qu'on en attendait ? ne fallait-il pas être certain qu'elle donnerait au gouvernement étranger avec lequel nous aurions à traiter, la satisfaction légitime à laquelle il avait droit ?
Aussi, après mon entretien avec M. Abattucci, que s'est-il passé ? Le 12 janvier 1856, mon honorable collègue M. le ministre des affaires étrangères m'écrivait la lettre suivante : il ne paraissait pas ému, pas ému du tout, comme l'a supposé M. le ministre des finances.
« Bruxelles, le 12 janvier 1856.
< Mon cher collègue,
« J'ai l'honneur de vous adresser sous ce pli un office de S. Exe. M. le ministre de France en vous priant de vouloir bien me mettre à même de répondre à cette communication.
« Agréez, mon cher collègue, les assurances de ma haute et affectueuse considération,
« Le ministre des affaires étrangères,
« Vicomte Vilain XIIII. »
Et le 23 janvier 1856, je réponds comme suit :
« Mon cher collègue,
« J'ai l'honneur de vous accuser réception de votre lettre du 12 de ce mois et de l'office de S. Exc. M. le ministre de France que je joins à la présente.
« Ma conversation avec M. le garde des sceaux n'a été que le développement de la note explicative que je vous ai directement remise. Son Excellence, M. Abatucci, s'en étant déclarée satisfaite, je n'ai rien à y ajouter.
« Je dois seulement faire remarquer qu'en ce qui concerne la convention additionnelle, je n'ai pu prendre d'engagement qu'en vue de ce que la loi future serait votée dans le sens que lui a attribué le gouvernement du Roi.
« Dans ce cas il n'y aura aucune difficulté à employer le mot crime, au lieu du mot faits, mais il serait difficile de parler de la tentative de l'attentat, puisque l'article 88 du code pénal, qui nous régit encore, comprend lui-même une tentative spéciale et plus rigoureuse en ce qui concerne l'attentat.
« En France au contraire la législation de 1832 en est revenue, en cette matière, à la tentative ordinaire, selon l'article 2 du code pénal, c'est-à-dire qu'elle fait à la tentative d'attentat une position plus favorable.
« Sous ce rapport les deux pays sont dans une situation différente.
« Ce sont ces considérations qui m'ont décidé à ne pas mentionner dans le projet de loi la tentative d'attentat.
« Il est d'ailleurs et il sera entendu que la tentative de crime d'attentat est assimilée, quant à l'extradition, au crime même.
« Rappeler la tentative dans la convention additionnelle ne serait donc en définitive rien accorder à la France qu'elle n'ait déjà ; ce serait nous affaiblir dans une certaine mesure vis-à-vis de notre propre législature et de celle des pays qui conservent un caractère spécial à la tentative d'attentat.
« Agréez, mon cher collègue, les assurances de ma haute et dévouée considération.
« A. Nothomb. »
Voilà comment j'expliquai mon entrevue avec M. Abbatucci à mon honorable collègue des affaires étrangères ; il ne me fit pas de réponse ; nous étions donc parfaitement d'accord.
Je prévois, messieurs, qu'on me dira encore, comme on l'a déjà fait :
« Nous ne prétendons plus que vous n'êtes pas l'auteur de votre projet de loi ; nous ne vous blâmons pas même d'avoir eu un entretien avec M. le garde des sceaux de France ; mais vous avez eu tort de ne pas le faire connaître à la Chambre. »
Tous les reproches ont successivement disparu : on se rattache à ce dernier :
« Vous auriez dû, avant le vote, avertir la législature de la conférence que vous aviez eu avec un membre du gouvernement français. » Voilà le dernier grief ; il ne signifie rien. Que pouvais-je eu effet dire aux Chambres ? Je n'avais rien changé (page 804) à mon projet de loi ; je n'avais rien cédé, j'étais dans ma pleine liberté ; je conservais le texte tel que je l'avais proposé ; rien de plus, rien de moins
La liberté du gouvernement belge était entière comme celle de la législature. Mais j'aurais attenté à cette liberté si j'avais parlé devant les Chambres de l'entretien que j'avais eu à Paris. Comment ! un ministre a dû, dans un intérêt international considérable, préparer une loi provoquée par les réclamations légitimes et pressantes d'un grand gouvernement ; ce ministre, chargé de s'assurer si ce gouvernement acceptera cette loi comme base d'un traité futur, viendrait avant la discussion rendre compte aux Chambres de la conférence qu'il a eue avec le ministre étranger ! Ce serait inouï !
Quand il s'agit de traités diplomatiques, vient-on dire à la Chambre : « Voilà ce qui a été dit entre les deux gouvernements ; cette loi, il faut l'accepter ; je suis tombé d'accord avec le gouvernement étranger. »
Mais, messieurs, cela est impossible, antiparlementaire ; cela est contraire à la dignité du pays ; si j'avais agi ainsi, c'est alors que la Chambre et le pays m'auraient blâmé avec justice.
Si j'avais été assez insensé pour tenir ce langage, j'aurais déplacé la responsabilité de l'acte ; je l'aurais transportée du gouvernement à la Chambre : c'est une telle position qui fût devenue grave et intolérable, car la loi votée et repoussée par le gouvernement étranger comme base de négociation, c'eût été la législature compromise, obligée de se déjuger, de s'humilier peut-être devant la pression extérieure. Au pis aller, si la loi n'avait pas été votée avec le sens que je lui avais attribuée, qu'arrivait-il ? La retraite du cabinet, la mienne certainement. Mais rien de plus, la dignité du pays était sauvée ; rien n'était compromis ; les droits des Chambres restaient entiers, elles pouvaient, à leur gré, honorablement, dignement changer, modifier, renouveler la loi.
Messieurs, je m'arrête, car j'ai dû vous fatiguer ; je vous remercie de la longue patience que vous avez eue ; je vous prie de croire qu'il m'a été aussi pénible de l'invoquer qu'à vous de l'accorder.
Mais vous avez compris qu'au dessus de ce débat personnel, il y avait une autre question plus haute ; comme je l'ai dit en commençant ; il y avait celle de la dignité de nous tous, Chambres, gouvernement et pays, il fallait montrer que dans cette circonstance nous avions agi librement ; que nous n'avions accepté les réclamations extérieures que dans la mesure de ce qui était juste, honnête, loyal, et pour raffermir des relations qui existent entre deux pays amis.
Tous ici, même mes adversaires, doivent témoigner, je ne dirai pas de la bienveillance, mais quelque justice aux efforts que je fais et dont le but principal a été d'établir que, dans les circonstances que je viens de rappeler, l'honneur, la dignité du pouvoir, de la législature et du pays sont restés intacts.
Il fallait aussi constater que le gouvernement français s'est montré modéré et conciliant et qu'il n'a pas abusé de sa force vis-à-vis de nous. Nous avons maintenu nos droits vis-à-vis de lui, modestement, simplement, sans forfanterie, et c'est ce gouvernement puissant qui s'est rendu aux raisons que nous lui avons données.
Messieurs, je ne veux pas finir sans saisir cette occasion de consacrer un juste souvenir de reconnaissance au diplomate qui, à cette époque, représentait ici le gouvernement français, à l'honorable M. Barrot, dont les vives sympathies pour la Belgique ne pouvaient être dépassées que par son dévouement à son souverain et à son pays.
Messieurs, j'ai prouvé : 1° que le texte de la loi de 1856 a été formulé librement par moi ; 2° que rien ne m'a été imposé par un gouvernement étranger ; 3° que je ne lui ai rien concédé par contrainte.
Et maintenant je laisse avec confiance au pays et à la Chambre, le soin d'apprécier et de juger la position de chacun.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, l'honorable membre a commencé son discours en parlant de ce qu'avaient dit l'honorable ministre des finances et le ministre de la justice. Evidemment il aurait pu se passer de nous faire intervenir dans le débat, car les explications qu'il a données le concernaient, à moins qu'il ne veuille par insinuation prétendre que nous avons dit le contraire de la vérité et que nous avons formulé entre lui des griefs qui n'existent pas.
C'est évidemment, messieurs, pour l'extérieur que l'honorable membre a fait son discours. Ce discours ne réfute aucune de nos assertions. (Interruption.)
- Un membre. - C'est fort !
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Aucune ; M. Nothomb devra le reconnaître. (Interruption.)
Messieurs, on a entendu l'honorable membre sans l'interrompre. Avez-vous peur que sa défense ne puisse être réfutée, pour que vous m'interrompiez et que vous m'empêchiez de parler ? Je prie mes honorables adversaires de me laisser répondre à ce qu'a dit l'honorable M. Nothomb. C'est le meilleur moyen de faire voir s'il a raison ou tort.
Eh bien, je dis que son discours n'est pas fait pour la Chambre ; car s'il a pour but de détruire ce que nous avons dit, il est complètement à côté de la question. S'il n'a pas ce but, il tend à faire croire au dehors que nous avons dit autre chose que ce que nous avons dit.
Il est important, messieurs, d'expliquer comment est né l'incident qui nous occupe.
Vendredi dernier, l'honorable M. Jacobs se lève et dit au cabinet : « Votre projet de loi est la réhabilitation complète de l'honorable M. Nothomb et du cabinet De Decker. »
L'honorable M. Nothomb se lève à son tour et dit : « C'est donc une première réparation que vous me faites. J'ai attendu longtemps ce jour de la justice. Si lente qu'elle soit, j'étais certain qu'elle viendrait et pour l'attendre patiemment, j'avais par devers moi une haute approbation, etc., etc. »
Et voilà le triomphateur d'il y a quelques jours qui, le débat clos, y revient et prend deux heures de discussion pour se défendre et pour expliquer sa conduite !
Voilà les rôles complètement chargés ! Le triomphateur annoncé par l'honorable M. Jacobs, tout à coup devient un accusé. J'en suis fâché, mais vous êtes, messieurs, seuls responsables de la situation qui vous est faite. C'est vous qui avez forcé vos adversaires, pour expliquer leur conduite et pour ne pas se laisser faire le reproche de versatilité et d'inconséquence, d'exposer au public les raisons qui les empêchent de toucher à la loi de 1856.
Quel a été notre langage ? Nous avons dit à l'honorable M. Nothomb : Votre texte, peu importe son origine, peu importe qui l'a fait, vous l'avez arrêté à l'avance avec le gouvernement fiançais. Vous avez promis au gouvernement français de le faire passer ; vous êtes venu devant la Chambre avec un texte dont vous ne pouviez pas vous départir. Quelle que soit la discussion, quels que soient les vices de ce texte, quels que soient les résultats des lumières qu'on aurait projetées sur ce texte, il était invariable ; il était ne varietur. Vous étiez engagé vis-à-vis du gouvernement français. (Interruption.)
L’honorable membre prétend que c'est là le rôle d'un ministre belge ; que c'est le rôle d'un ministre belge d'aller auprès d'un gouvernement étranger escompter le vote de la législature et dire : Je vous livrerai la majorité ; je vous dis qu'elle votera un texte déterminé. Autant vaut supprimer la législature !
L'honorable membre pour se disculper répète à tout instant : Le texte est de moi, il est le résultat des études du département de la justice ; et l'honorable M. Nothomb me faisait vendredi un reproche en me disant : Avant de m'accuser vous auriez dû consulter les archives du ministère de la justice. Voici le passage de son discours : « Vous auriez dû vous donner la peine de consulter les archives du ministère. » Eh bien, j'ai consulté les archives du ministère de la justice et j'ai répondu à l'honorable M. Nothomb : Le texte, tel que vous l'avez présenté, ne résulte pas de ces archives. Je vous défie de l'y trouver.
L'honorable membre le reconnaît-il ? Voilà la question que je lui pose. Je n'ai rien dit autre chose. Le texte, tel que vous l'avez présenté, n'est pas dans les archives du département de la justice. Vous me blâmiez hier de ne pas avoir consulté les archives du ministère de la justice. Aujourd'hui je les consulte et je déclare qu'elles ne contiennent pas votre texte. Aussi vous vous retranchez derrière un dossier que vous aviez par devers vous, un dossier particulier. Vous produisez une correspondance avec l'honorable M. Raikem. Qu'est-ce que cela m'importe ! Vous m'avez renvoyé aux archives du ministère de la justice et cette lettre de M. Raikem que vous avez produite aujourd'hui n'est pas dans ces archives. Je n'ai pas à m'en expliquer ; mais j'ai déclaré et je maintiens qu'aucune trace de votre rédaction, telle qu'elle a été proposée, ne se trouve dans les dossiers de mon département. Je n'ai pas dit autre chose ; et ce que j'ai dit reste vrai, vous ne l'avez pas renversé. Le texte est-il de vous, de M. Raikem ou d'un autre ? Je n'en sais rien, et je ne m'en occupe pas, car la question n'est pas là. J'ai admis dès vendredi que cela était indifférent. Voyons, messieurs, comment, selon toute probabilité, s'est produit le texte de la loi de 1856.
(page 805) L'affaire Jacquin fait naître des difficultés. L'honorable vicomte Vilain XIIII prend l'engagement vis-à-vis de la France de faire un projet sur la matière. Mais cet engagement était très limité et il ne comportait plus l'extension que lui a donnée le texte de l'honorable M. Nothomb.
Voici comment l'honorable vicomte Vilain XIIII s'en exprimait au ministre de France le 31 mai 1855 :
« Bruxelles, le 31 mai 1855.
« La loi du 1er octobre 1833 parmi les crimes susceptibles d'extradition, comprend l'assassinat ; mais comme, d'une part, elle interdit l'extradition pour délit politique ou fait connexe à un semblable délit, et que, d'autre part, en procédant par énumération, elle s'abstient de mentionner l'attentat ou le complot coutre la vie du prince, on en a conclu que ce dernier fait demeurait en dehors de ses atteintes. Cette interprétation, qui est celle de la chambre des mises en accusation de la cour de Bruxelles, tend à créer un privilège abominable autant qu'exorbitant. Il en résulte, en effet, que l'impunité serait acquise à l'assassin en raison même de l'élévation du rang de sa victime. Je n'examine point si de pareilles conséquences peuvent être autorisées par le texte d'une loi ; ce que je sais, c'est qu'au point de vue moral elles sont intolérables ; c'est que le cabinet belge les repousse de toute l'énergie de ses convictions et qu'il a résolu de demander aux Chambres les moyens de lever toute espèce de doute à cet égard. Il veut, en un mot, que l'assassinat reste dans tous les cas assassinat ; il s'appliquera à concilier les besoins d'une juste répression avec les strictes nécessités que lui impose le principe inscrit dans notre législation et d'après lequel l'extradition politique est interdite. Voilà, monsieur le ministre, dans quel sens je me suis exprimé sous l'influence du fait qui venait de se produire et qui se rattachait à une accusation d'assassinat, à une accusation d'attentat contre la vie d'un souverain et celle des personnes qui devaient l'accompagner.
« Le projet de loi dont il est question aura donc une portée précise et que limitera forcément le principe que j'ai appelé plus haut, principe consacré par l'article 6 de la loi de 1833. S'il en était autrement, ce projet de loi n'aurait aucune chance, absolument aucune, d'être adopté par la législature. C'est ce dont Votre Excellence doit être aussi convaincue que je le suis moi-même. Tenter d'aller au delà ne serait pas faire chose sérieuse.
« J'ai désiré, monsieur le ministre, par les éclaircissements qui précèdent éviter tout malentendu et écarter toute incertitude. J'aime à penser que ces explications seront jugées satisfaisantes par le gouvernement de S. M. l'empereur des Français, et qu'il y verra un témoignage de notre loyauté en même temps que du prix que nous attachons à nos bons rapports internationaux,
« Agréez, etc.
« Le ministre des affaires étrangères,
« (Signé) Vicomte Vilain XIIII.
« A Son Excellence Monsieur Barrot, à Bruxelles. »
Il résulte de cette lettre, d'abord une chose, c'est qu'on était en négociation à cette époque avec le gouvernement français au sujet d'une loi... (Interruption.) C'est incontestable. Quoi qu'on en ait dit, le projet de loi était l'objet d'une négociation ; il n'était pas le fruit d'une initiative personnelle du cabinet. Le gouvernement français a demandé une loi et c'est à raison de la promesse de cette loi qu'il a abandonné l'affaire Jacquin. Maintenant intervient le ministre de la justice ; on lui présente un projet de loi conforme à la manière de voir de l'honorable II. Vilain XIIII.
Le voici : « A ajouter à l'article premier de la loi du 1er octobre 1833 la disposition suivante : L'attentat contre la vie du chef de l'Etat ou contre la vie des membres de sa famille, étant un crime commun, est compris sous la qualification d'assassinat dans le n°1° du présent article. »
Tel est le premier texte qui sort des bureaux. Evidemment c'était tout ce qu'il fallait d'après l'honorable M. Vilain XIIII. II était inutile de parler de faits connexes, de faits d'assassinat de meurtre., etc. ; il s'agissait de l'assassinat de souverain dont on faisait un crime commun. Ce n'était pas si difficile à rédiger. Mais on voulait plus ailleurs.
Alors on envoie ce texte aux procureurs généraux ; pas un des procureurs généraux n'est d'accord ; on ne trouve que deux rapports ; M. Raikem ne propose aucun texte, il fait de simples observations.
L'honorable M. Ganser propose un texte qui n'est pas celui de la loi de 1856.
Enfin, messieurs, les rapports étant rentrés, les bureaux les résument et proposent un texte. Ce texte, je le reconnais, M. Nothomb l'a modifié et en a fait le projet suivant :
« Ne sera jamais considéré comme délit politique ou comme connexe à un semblable délit l'attentat contre la vie du chef de l'Etat ou contre celle des membres de sa famille, pour autant qu'il réunisse les caractères de l'assassinat, du meurtre, ou de la tentative de l'un de ces crimes. »
C'est très bien, mais que faites-vous ? Vous avez déclaré à la Chambre que vous n'aviez pas d'engagement, que vous étiez libre, eh bien, ce texte vous le communiquez au gouvernement français.
M. Nothomb. - Moi !
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Vous le communiquez au gouvernement français et vous le lui donnez à discuter.
Eu voici, messieurs, la preuve irrécusable, et c'est ce qu'il y a de plus grave, vous n'avez pas encore déposé votre projet de loi et vous allez demander l'avis de M. le ministre de la justice de France, sur ce texte que vos bureaux viennent d'élaborer.
« Annexe à la dépêche à Bruxelles n°1.
« Paris, le 28 décembre 1855.
« Le ministre de la justice aux ministre des affaires étrangères.
« Monsieur le ministre et cher collègue, j'ai reçu, avec les pièces qui l'accompagnaient, la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 24 de ce mois, au sujet d'un projet de loi porté par le gouvernement belge à la Chambre des représentants, et ayant pour but de comprendre parmi les cas d'extradition l'attentat contre la personne des souverains.
« Le projet primitif était ainsi conçu : « Ne sera en aucun cas considérée comme délit politique ou comme connexe à un semblable délit, l'attentat contre la vie du chef de l'État ou contre des membres de sa famille pour autant que cet attentat réunisse les caractères de l'assassinat, du meurtre, ou de la tentative de l'un de ces crimes. »
« Je regrette que cette première rédaction si claire et si précise n'ait pas été soumise à la Chambre des représentants, etc., voici celle qu'on a cru devoir y substituer : « Ne sera réputé délit politique ni fait connexe à un semblable délit, l'attentat contre la personne du chef d'un « gouvernement étranger ou contre celle des membres de sa famille, lorsque cet attentat constitue le fait, soit de meurtre, soit d'assassinat. soit d'empoisonnement, etc. »
Puis, M. le ministre de la justice de France combat la proposition nouvelle, celle de M. Raikem en disant qu'il préfère le projet primitif.
Il résulte donc à toute évidence de cette lettre qu'avant de présenter le projet à la Chambre, le ministre de la justice de France avait été consulté par vous sur le texte. (Interruption.)
M. Thibaut me dit que c'est inexact, mais la lettre est du 28 décembre, et l'honorable M. Abattucci dit :Vous avez déposé ce projet de loi, mais moi, j'aurais préféré le projet primitif. Or comment aurait-il connu le projet primitif si vous ne le lui aviez pas communiqué ? Il n'est pas sorti du ministère de la justice, il n'a pas même été formulé en projet de loi ; il ne doit pas même avoir été présenté comme projet de loi ni au Roi ni au conseil des ministres et on a consulté, avant de le présenter, le ministre de la justice de France sur sa valeur. (Interruption.)
Voyez maintenant, messieurs, quel rôle on fait jouer à la Chambre ; la Chambre se réunit ; on fait les observations les plus sérieuses contre ce projet de loi ; on dit qu'il n'est pas admissible, on trouve sa rédaction mauvaise, très mauvaise ; l'honorable M. Nothomb reconnaît lui-même qu'il est très difficile de rédiger un texte en semblable matière. Au milieu de la discussion, alors que de nombreuses propositions sont produites, M. Lebeau, voyant que M. Nothomb ne voulait rien changer, lui dit : Mais vous avez donc un texte ne varietur, vous ne pouvez rien y changer, N'était-ce pas le moment de dire à la Chambre franchement : « Nous sommes liés vis-à-vis du gouvernement français, nous avons promis de présenter ce texte et si vous ne l'acceptez pas, nous manquerons à notre parole. »
Eh bien non, messieurs, on se tait, on laisse croire à une discussion sérieuse, on laisse même renvoyer les amendements à la section centrale, et quand elle a fait son rapport, qu'arrive-t-il ? Vous allez le savoir, messieurs, c'est encore plus grave que tout ce qui vous a été révélé. L'honorable M. Nothomb a dit tout à l'heure : Je n'étais point lié envers la France ; je ne devais pas soutenir ce texte ; ma rédaction était préférable à la rédaction de la section centrale. M. Haus m'a écrit de détendre le projet unguibus et rostro. M. Raikem m'a écrit que je ne devais pas m'en départir. Voilà ce que vous venez de dire.
(page 806) Eh bien, s'il en était ainsi, si vous ne dépendiez que de vous, pourquoi êtes-vous allé consulter le ministre de la justice de France sur les amendements de la section centrale ? (Interruption.)
C'est ce que vous avez fait et voici la dépêche qui le prouve.
« Paris, le 1er février 1856.
« Monsieur le ministre et cher collègue,
« Vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 12 février courant pour me demander mon avis au sujet d'un rapport de la commission centrale de la Chambre des représentants de Belgique qui conclut au rejet du projet de loi d'extradition relatif à l'attentat contre la vie des souverains.
« J'ai déjà eu plusieurs fois l'occasion de développer dans ma correspondance avec votre ministère les graves considérations qui doivent faire comprendre parmi les cas d'extradition l'attentat dont il s'agit, et je n'en ai guère de nouvelles à présenter aujourd’hui. Il est d'ailleurs des questions sur lesquelles il me semble que les divers gouvernements devraient se mettre facilement d'accord ; ce sont celles qui touchent aux bases mêmes de l'ordre social. Tous les peuples ont un égal intérêt à la répression de l'assassinat quels que soient la position et le rang de la victime. Voilà une première vérité qui n'a pas besoin de démonstration. L'assassinat change-t-il de nature parce qu'il est commis contre un souverain et qu'il peut avoir un but politique ? La conscience et la raison répondent qu'il n'en est point ainsi. L'affirmation ne paraît pouvoir être soutenue que par ces hommes pour qui tous les souverains ne sont que des usurpateurs et des tyrans et qui pensent, en conséquence, que leur ôter la vie n'est pas un crime contre la morale et l'humanité. On n'oserait prêter une doctrine aussi révoltante à aucun homme d'Etat digne de ce nom. C'est pourquoi je m'étonne qu'en Belgique, où le gouvernement est monarchique comme en France, et où la sûreté du Roi doit être l'objet de la sollicitude générale, il se soit rencontré une commission législative qui ait envisagé l'attentat contre la vie des souverains au seul point de vue de l'application plus ou moins rigoureuse d'un texte de traité. Elle aurait dû cependant comprendre que c'était une question morale et non une question de diplomatie qui lui était soumise : Il ne s'agit pas de savoir si des crimes essentiellement politiques donneront lieu à l'extradition, mais si des crimes qui n'ont rien de politique en eux-mêmes et qui peuvent être commis aussi bien contre des particuliers que contre des souverains, échapperont au châtiment par suite d'un refus d'extradition parce qu'un motif politique réel ou supposé aura paru les avoir déterminés.
« Un crime politique dans le sens propre du mot est celui qui s'attaque à un gouvernement, à un ensemble d'institutions ou d'intérêts. Dès qu'il s'attaque directement à l'existence d'une ou de plusieurs personnes déterminées, il change de caractère et devient un crime commun parce qu'il ne se distingue plus en rien dans ses éléments constitutifs des attentats purement privés. La cause qui a pu le faire commettre, cause souvent très difficile à constater, n'est alors qu'une circonstance secondaire ; le seul point important à considérer est l'atteinte portée par l'acte homicide aux lois générales de la société qui protège également tous ses membres et ne saurait souffrir que hors le cas de légitime défense la vie soit impunément enlevée à aucun d'eux, prince, homme public ou simple citoyen.
« Ce principe a reçu plusieurs fois son application en France, notamment dans l'affaire relative à la mort du général Bréa, qui avait été tué lâchement et avec préméditation dans les funestes journées de juin 1848. Les auteurs de ce crime, quoiqu'ils invoquassent l'état de guerre civile où l'on se trouvait alors, ont été poursuivis et jugés non comme des rebelles, mais comme des assassins, et la peine capitale leur a été infligée, quoique cette peine eût été récemment abolie en matière politique.
« C'est de la même manière que doit être entendue dans les traités d'extradition l'exclusion des crimes politiques ; elle a pour objet de protéger contre des haines et des vengeances de parti les individus poursuivis pour avoir tenté de changer ou de troubler l'ordre politique dans leur pays ; elle ne saurait avoir pour effet, à moins d'être détournée de son but, de soustraire à la justice des criminels que la gravité de leur forfait et l'horreur qu'ils inspirent ont mis au ban de toutes les nations. Si aucune distinction n'â été faite à ce sujet, c'est qu'elle a semblé superflue et qu'il était impossible de supposer qu'aucun gouvernement consentît jamais à donner asile à de véritables scélérats.
« Toute l'argumentation des représentants belges est fondée sur une confusion du crime avec le motif présumé du crime. Cette confusion blesse autant la raison que la justice ; elle est en outre en opposition avec les règles spéciales de la matière. Le gouvernement, à qui une extradition est demandée, n'a point en effet à examiner quelle a pu être l'intention secrète ou patente de l'inculpé, c'est une appréciation qui n'appartient qu'à ses juges, il suffit pour que l'extradition doive être accordée, que le fait ait été commis volontairement et que ce soit un de ces crimes réprouvés par la conscience universelle et punis par toutes les législations. Or, il faut reconnaître que tout attentat contre la vie des souverains rentre dans cette catégorie. Que cet attentat ait été inspiré par l'ambition, par un sentiment de vengeance personnelle ou par le désir d'un bouleversement, il n'importe, la paix sociale a été troublée, la morale outragée, la loi violée, tous les peuples civilisés sont dans l'obligation de livrer le coupable aux tribunaux de son pays.
« On nous oppose le silence gardé sur le fait particulier dont il s'agit dans notre récente convention avec l'Autriche ; mais ce silence m'implique nullement, ainsi que je l'ai déjà dit, l'intention de comprendre parmi les crimes politiques auxquels ne s'applique pas l'extradition l'attentat contre la vie des souverains Nous pouvons au contraire, en nous référant à l'article du même traité spécial à l'assassinat, soutenir que puisque cet article ne contient aucune restriction, il doit s'entendre de toute espèce d'assassinat sans exception et par conséquent de celui du souverain comme de celui de toute autre personne. J'ajouterai que lorsque les clauses de la convention avec l'Autriche ont été arrêtées, la question qui s'agite aujourd'hui n'avait pas encore été aussi solennellement soulevée, nous sommes d'ailleurs assurés que l'Autriche le résout comme nous et que, le cas échéant, elle ne ferait aucune difficulté de nous livrer les coupables à notre première réclamation, de même que de notre côté nous nous empresserions de satisfaire à de semblables demandes de sa part. Dans tous les cas, l'omission dont on se prévaut à tort n'est pas une raison de repousser une rédaction plus explicite et plus précise, et si le gouvernement belge est convaincu comme nous de la nécessité de donner à la société une plus sûre garantie pour la répression d'odieux et trop fréquents attentats, il doit saisir avec empressement l'occasion de se prononcer ouvertement à cet égard ne fût-ce que pour prévenir les nouvelles contestations que l'ambiguïté des textes ferait naître inévitablement.
« Enfin, monsieur et cher collègue, pour achever de dissiper les doutes des opposants et leur prouver qu'en adoptant le projet de loi ils ne feraient rien d'insolite ni de contraire au droit international, nous avons à leur citer deux précédents singulièrement remarquables. En 1840, la Suisse nous a accordé l'extradition de Borel, complice de Darmès qui s'était rendu coupable d'un attentat contre la vie du roi ; en 1849 nous avons, de notre côté, autorisé l'extradition de plusieurs individus qui avaient assassiné, au milieu des troubles politiques de Francfort, le prince Licknowki et le général Arneswald.
« Je ne doute pas que de tels exemples, des considérations si puissantes, la perspective de la grave responsabilité qu'entraînerait pour elle une décision qui blesserait vivement le sentiment général ne fassent impression sur la Chambre des représentants, et que les ministres belges ne parviennent, dans cette circonstance où ils mettent si noblement en jeu leur fortune politique, à assurer par leurs efforts le triomphe de la justice et de l'humanité.
« Je vous renvoie, ci-joint, les pièces que vous avez bien voulu me communiquer.
« Agréez, monsieur le ministre et cher collègue, l'assurance de ma haute considération.
« Le garde des sceaux, ministre de la justice,
« Abbatucci. »
La vérité ressort de cette lettre.
Vous étiez lié. Vous aviez conclu, le 11 janvier, un accord sur le texte, vous en aviez le regret et comme vous auriez bien voulu accepter le texte de la section centrale, vous avez demandé à vous délier.
Voilà pourquoi vous avez négocié à nouveau et voilà comment la dépêche du 15 février vient vous dire : Le texte est un texte ne varietur. Respectez votre parole. Risquez votre fortune politique et vos portefeuilles.
En venant, en février 1856, devant la Chambre déclarer ne pouvoir accepter aucune modification, quel rôle avez vous fait jouer alors à la majorité ? Elle était un instrument dans vos mains. (Interruption.)
Vous n'aviez qu'un moyen de sauver sa dignité et la vôtre, c'est d'avouer ce que vous aviez fait et de présenter le projet comme un traité dont le texte avait été convenu d'avance, il fallait le déclarer loyalement vos collègues.
(page 807) Mais non, vous avez représenté comme une œuvre de votre volonté ce que vous aviez élaboré de commun accord avec M. Abbalucci et ce dont vous ne pouviez plus vous départir.
Maintenant je termine. Avez-vous réfuté nos allégations ?
Avons-nous eu raison de dire que vous avez arrêté ce projet avant les délibérations de la législature ?
En quoi avons-nous manqué à la vérité, en quoi avons-nous été inexacts en disant que vous avez escompté le vote de la législature ? C'est malheureusement trop vrai.
C'est ce qui résulte des pièces et ce que vous ne pouvez vous défendre d'avoir fait.
Nous nous sommes trouvés dans la triste nécessité de révéler des faits complètement authentiques et vous n'avez réfuté aucune des allégations que nous avons produites.
M. Jacobsµ. - Messieurs, comme c'est moi qui ai entamé la question dont il s'agit, je crois avoir quelque droit d'intervenir dans ce débat.
M. le ministre de la justice a commencé son discours en observant que l'honorable M. Nothomb changeait de rôle et que, de triomphateur, il se transformait en victime.
L'honorable ministre confond deux points absolument distincts ; le fond et le dérivatif.
M. Coomans. - Voilà !
M. Jacobsµ. - Le triomphe de l'honorable M. Nothomb, sa réhabilitation et la condamnation de l'opposition de 1856 consistent dans la reproduction de la loi d'alors par le ministère d'aujourd'hui, dans le maintien, dans l'application constante de cette loi si amèrement combattue par l'opposition de gauche.
Le fond, la valeur de cette loi était en question ; on a trouvé plus commode de faire dévier le débat et de le transformer en question plus ou moins personnelle. Sans plus prétendre que la loi soit mauvaise, puisqu'on la maintenait, on a trouvé bon de revenir sur trois reproches : de prétendre, d'abord, que l'origine de la loi n'est pas belge ; ensuite qu'elle a été formulée, proposée et votée, sous la pression du gouvernement français, enfin que le gouvernement n'avait écarté systématiquement tous les amendements que parce qu'il n'était plus libre d'y rien modifier.
Eh bien, l'origine de la loi est exclusivement belge ; l'honorable M. Nothomb vient d'établir que son texte est l'œuvre de l'honorable M. Raikem. Aucun doute n'est plus possible à cet égard. Que sa lettre se trouve dans les archives de l'honorable M. Nothomb ou dans celles du ministère de la justice, peu importe. Cela peut mettre M. le ministre de la justice personnellement à couvert, expliquer comment il ignorait l'origine du texte, il n'en est pas moins acquis que cette loi est d'origine exclusivement belge.
Voilà un premier point éclairci.
Après le dépôt du projet de loi, des rapports s'établissent entre le gouvernement belge et le gouvernement français.
À ce propos, on a beaucoup parlé de promesses. Voyons ce qu'on a promis ?
Vous avez promis un projet, dit-on d'abord. Mais tous les membres de cette Chambre étaient d'accord en 1856 pour éclaircir l'article 6 de la loi de 1833 au moyen d'une loi nouvelle, et, quand la discussion s'est ouverte, personne ne s'y est opposé. On était unanimement d'avis qu'il était de la dignité du gouvernement belge d'interpréter l'article 6 de la loi de 1833.
Toute la question était de savoir comment on l'interpréterait.
Donc il n'y avait pas dans l'annonce d'un projet de loi un acte de servilisme vis-à-vis du gouvernement français ; sinon vous en seriez tous complices.
A-t-on promis tel texte spécial ?
On l'a promis si peu qu'après qu'il eut été élaboré en Belgique, il n'a pas satisfait le gouvernement français.
A-t-on au moins promis de faire passer ce projet de loi, a-t-on escompté le vote de la majorité d'alors ? En aucune façon.
Vous aurez beau lire et relire la dépêche de M. Barrot au ministre des affaires étrangères de Belgique, vous n'y trouverez rien de semblable. Le seul engagement pris par M. Nothomb est d'expliquer le sens qu'a le mot fait dans la loi de 1833 et dans le projet de 1856, explication inutile pour tous les jurisconsultes belges ; mais on n'a jamais promis le vote du projet.
On insiste : au moins avez-vous promis un traité où serait insérée une autre rédaction. C'est la seule chose promise d'après la dépêche et celle seule chose promise n'a pas été réalisée !
L'exécution montre que cette promesse était sans importance ou l'effet d'un malentendu ; quand le traité a été conclu, on y a inséré les mêmes expressions que dans la loi. Au lieu d'établir, comme le voulait la dépêche, une disparate entre la loi et le traité, on a établi, au contraire, identité complète entre l'un et l'autre.
Maintenant pourquoi le gouvernement s'est-il obstiné à maintenir son texte, pourquoi ne s'est-il pas rallié à la rédaction de la section centrale ou de la commission spéciale ?
Parce que la minorité a elle-même reconnu que la rédaction de la section centrale ne valait rien, et que le projet de la commission spéciale dont M. Orts était le rapporteur et que l'opposition voulait y substituer, ne valait pas davantage. L'honorable M. Nothomb, le ministre de la justice d'alors, l'avait qualifié de galimatias législatif. M. Raikem et M. Haus, dans des lettres adressées à M. Nothomb, ne trouvent pas cette expression trop forte et lui écrivent : Vous avez raison, c'est un galimatias.
Voilà pourquoi le gouvernement n'a pas consenti à sacrifier son texte au vôtre.
Si donc on s'est obstiné, si donc on n'a accepté ni l'un ni l'autre des projets, ni celui de la section centrale, ni celui de la commission spéciale, c'est que l'on était abandonné et que l'œuvre était traitée par tous les jurisconsultes de galimatias.
Voilà l'explication,
M. le ministre de la justice (M. Bara). - J'ai omis dans ma réponse d'expliquer pourquoi le gouvernement n'avait pas mis dans le traité le mot « tentative », ainsi que M. Barrot prétendait que M. Abbatucci en avait reçu la promesse. C'était parfaitement inutile ; il y avait erreur de la part du ministre français, M. Nothomb soutenait que le mot « fait » comprenait le délit et la tentative ; dès lors quand le ministre français demandait le mot « crime » et le mot « tentative », il demandait deux fois la même chose, dès qu'on insérait dans le traité le mot « fait ». Cela peut se comprendre du ministre des affaires étrangères de France qui n'était peut-être pas complètement au courant de la difficulté de droit. Aussi a-t-il dû être facile de lui faire reconnaître son erreur. Mais quant à la lettre, elle a été exécutée ; l'important de la lettre était de donner au mot « fait » la signification que le gouvernement français désirait.
M. Nothomb a grand tort de prétendre que le mot « fait » ne peut être interprété de diverses manières, car le criminaliste qu'il a consulte dit qu'il peut comprendre les actes préparatoires qui n'étaient pas même un commencement d'exécution. C'est cette interprétation que la chancellerie française demandait de la part du gouvernement belge et c'était cette interprétation que l'honorable M. Nothomb s'était engagé à faire.
M. Nothomb. - Ce que vient de dire l'honorable ministre de la justice relativement à la tentative prouve précisément qu'il n'y avait aucune espèce d'accord entre le gouvernement français et moi. (Interruption.) C'est la meilleure preuve qui pût être donnée et je n'y insiste plus. (Interruption.) Vous citez des noms de jurisconsultes distingués... Eh bien, je constate que l'un de ces jurisconsultes, un criminaliste distingué, celui que vous avez essayé de m'opposer, a condamné dans des termes que j'ai presque de l'hésitation à reproduire ici, les projets de la section centrale et le projet de la commission, mais on m'y oblige. Voici ce qu'il m'écrivait le 8 février :
« Il est impossible que le gouvernement accepte le projet que la commission a mis au monde après un si long et si pénible travail et que vous avez si bien qualifié de galimatias législatif. »
J'avoue que je regrette aujourd'hui ce langage. (Interruption.) Je regrette que dans ce moment je me sois servi vis-à-vis d'honorables collègues d'une expression si peu parlementaire ; mon excuse est dans la véhémence de la discussion ; nos paroles à tous allaient souvent au delà de notre pensée ; chacun sait d'ailleurs avec quelle virulence le projet était attaqué et combien peu l'on me ménageait. Ce mot, je voudrais ne pas l'avoir dit cependant ; il ne devait pas être appliqué aux honorables membres qui proposaient ces modifications. Je les ai combattues et démontré qu'elles étaient inacceptables, et l'honorable jurisconsulte dont vous parlez s'associait à ma résistance.
M. Raikem m'écrivait le 7 mars que le langage que j'avais tenu était la véritable qualification de ces modifications ; il ajoutait : « Plutôt que d'accepter de pareilles propositions, mieux vaudrait, à mon avis, s'abstenir de porter une loi nouvelle, celle du 1er octobre 1833, malgré le doute qu'elle a fait naître, serait encore préférable. »
Si donc j'ai combattu si énergiquement les projets et les amendements (page 808) qui ont été présentés en opposition à celui du gouvernement, c'est qu'ils ne valaient rien, c'est qu'ils devaient créer une situation plus fàcheuse que celle que nous avions. C'est toute l'explication de cette prétendue obstination.
Maintenant quant à la manière dont le projet a été élaboré, M. le ministre de la justice aurait pu trouver dans le dossier la preuve que le texte vient de moi, d'abord par la note n°8 où il se trouve...
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Du tout.
M. Nothomb. - ... sauf deux mots... (Interruption.) Comment ! Mais le projet de loi est là en entier... et cela est si vrai que RI. Raikem, quand il a proposé une autre rédaction, ajoute : C'est à peine si je la propose, c'est à peine si je la crois préférable à la vôtre. Le véritable texte, le véritable projet commencent à la pièce n°8 qui émane du directeur du bureau de législation. C'est ce projet que j'ai modifié. Et plus tard, j'ai rédigé en entier de ma main l'exposé des motifs qui se trouve dans votre dossier.
Je n'insiste pas davantage, je veux seulement vous dire ceci, qui est l'explication de ce long et vif débat. Vous étiez, M. le ministre de la justice, dans un grand embarras, vous aviez repris la loi de 1856 comme devant faire partie de la loi générale sans y réfléchir assez, sans peser toutes les conséquences qui pouvaient en résulter ; d'autres personnes se sont aperçues (vous n'avez pas besoin de chercher bien loin pour les trouver) que la loi leur créait une position fort difficile...
M. Teschµ. - Pas du tout.
M. Nothomb. - Vous avez voulu en sortir à tout prix et pour cela vous deviez chercher un dérivatif, un expédient si vous aimez mieux.
Eh bien, comme dans toutes les vieilles comédies bien montées, il y a toujours un traître, il vous fallait en trouver un dans l'occurrence ; naturellement vous m'avez choisi pour ce rôle, et naturellement aussi pour vous, vous étiez les personnages purs et vertueux ; mais cette fois ci la pièce ne réussît pas ; le traître ne sera pas pendu et la vertu ne sera pas récompensée. Vous en serez pour vos frais d'imagination.
MfFOµ. - Je demande la parole.
M. le président. - Vous avez la parole, M. le ministre.
MfFOµ. - Je suis fort étonné d'entendre le langage de l'honorable M. Nothomb. On dirait vraiment qu'il ne connaît rien de ce qui s'est passé ; on dirait qu'il ignore ce que j’ai tenté pour éviter une discussion regrettable ; il se pose en victime ; il accuse, et cependant il a été obligé tantôt de nous faire une confession qui prouve que si, au lieu de triompher, il est obligé de se défendre, il ne peut l'imputer qu'à sa propre témérité.
Quelle était la situation du gouvernement ? Voulant faire une codification des lois sur l'extradition, on avait compris dans le projet qui vous a été soumis le texte pur et simple de la loi de 1856. On s'aperçut bientôt, au langage de la presse, que l'on voulait renouveler dans cette Chambre une discussion, irritante. Que fîmes-nous ? Nous décidâmes de retirer ces dispositions du projet de loi, et l'on écrivit dans ce sens à la section centrale.
La polémique de la presse ayant rappelé l'attention sur la discussion qui avait eu lieu dans cette Chambre, en 1856, l'idée vint d'examiner comment les faits s'étaient passés à cette époque, et l'on trouva cette dépêche du 11 janvier 1856, si défavorable à l'honorable M. Nothomb.
Quelle position avons-nous prise alors ? Nous pouvions accabler notre adversaire ; eh bien, nous ne le voulûmes pas ; il nous sembla qu'un intérêt supérieur devait nous convier à ne pas rappeler ce fâcheux incident. Nous acceptâmes de laisser récriminer contre nous, de nous laisser accuser d'être en présence du texte de la loi de 1856, et de ne point le modifier ; nous consentions à subir cette accusation et à laisser l'honorable M. Nothomb triompher, tout au moins dans la presse de son parti. J'avertis donc l'honorable M. Vilain XIIII, en lui disant : Il est de l'intérêt public qu'il n'y ait pas de discussion sur ce point ;il existe au dossier du département des affaires étrangères une lettre qui constate à toute évidence que le texte proposé à la Chambre par M. Nothomb était bien ne varietur. (Interruption.) Veuillez avertir vos amis, afin qu'il n'y ait point de débat ; il y aura silence complet de notre part.
M. Bouvierµ. - C'était loyal.
MfFOµ. - C'était plus que de la loyauté, c'était de la générosité. (Interruption.) Je dis que c'était de la générosité d'accepter une telle position, alors que déjà dans la presse nous étions si vivement attaqués. Il y avait de la générosité à nous taire et à laisser la gestion dans l'état où elle était antérieurement, donnant ainsi à l'honorable M. Nothomb la satisfaction de se poser en victime des payions politiques.
A ma grande stupéfaction, le jour où le débat s'ouvre, on le commence précisément par des attaques personnelles contre nous et l'on entreprend la glorification de l'honorable M. Nothomb, aux dépens de la minorité de 1S56. Je n'ai pas été averti, nous dit l'honorable M, Nothomb, ou du moins je ne l'ai été que le jour même...
M. Thibautµ. - A la séance.
MfFOµ. - Pardon ! Je n'ai pas attendu ce jour-là pour convier à un silence prudent. Mais n'importe : l'honorable M. Nothomb n'a été prévenu qu'à la séance, dites-vous ; eh bien, c'était assez pour l'engager à se taire.
Mais l'honorable M. Nothomb ne l'a pas voulu : averti comme il l'est, il prend la parole, et quel langage tient-il ? Il déclare que nous devons faire amende honorable, et nous incliner devant lui ; que le projet de loi est la réparation éclatante qu'il attendait depuis douze ans.
Nous voilà donc obligés de parler, à regret sans doute, mais obligés de nous défendre. Nous éprouvions de la répugnance à le faire dans l'intérêt de la dignité du pouvoir ; car, qu'il soit occupé par nos adversaires ou par nous, cette dignité nous intéresse également.
Maintenant, dans quels termes nous sommes-nous exprimés ? Avons-nous beaucoup récriminé ? avons-nous bien vivement accusé ? Non, messieurs ; j'y ai mis la plus extrême modération, une modération telle, que l'honorable M. Nothomb, essayant de rattacher ses explications nouvelles à mon discours, n'a trouvé à reprendre dans mes paroles que cette seule phrase :
« Est-il vrai, oui ou non, que, par une exception extraordinaire, on ait concerté le texte de cette loi, avant le vote, de commun accord avec un gouvernement étranger, vis-à-vis duquel on a pris des engagements formels ? »
Voilà, messieurs, le seul passage que l'on ait relevé. Or, je le demande, le fait qu'il indique est-il maintenant, oui ou non, parfaitement établie ? L'affirmative à cette question ne résulte-t-elle pas à toute évidence des documents qui ont été produits par nous, dans une séance précédente, et aujourd'hui par l'honorable M. Nothomb lui-même ?
Mais, nous dit-on, vous avez pris cette position comme dérivatif : il fallait un traître, comme dans tout bon drame ; le traître a été trouvé ; c'est l’honorable M. Nothomb. Vous éprouviez un très grand embarras en présence de ce texte de 1856 ; il vous fallait ce dérivatif pour en sortir.
Vraiment, messieurs, je me demande comment on peut se faire de pareilles illusions ! Ne vous ai-je donc pas fait avertir qu'il y aurait une grande imprudence de votre part à soulever une discussion sur ce sujet ? Un grand embarras ! Mais quelle était donc la cause de l'irritation des débats de 1856 ? C'était bien moins encore le texte que votre attitude, qui avait fait naître le soupçon de vos négociations avec le gouvernement français. Vous répondiez alors tout autrement qu'aujourd'hui aux attaques de l'opposition. Quand on vous accusait d'avoir un texte convenu, disiez-vous comme aujourd'hui : Oui ; cela est exact ; mais il a bien fallu agir ainsi, c'était une nécessité de situation ; quand une question internationale est en jeu, il est tout simple qu'on se mette d'accord avec les gouvernements étrangers intéressés dans la question ? Etait-ce là votre langage ? Assurément non ! Que nous répondiez-vous, au contraire ? - Vous nous calomniez, disiez-vous ; vous attaquez ce que j'ai de plus cher, mon honneur politique !
Votre honneur politique était donc engagé par cette accusation ! Et aujourd'hui, que la preuve est acquise, votre honneur politique n'y est plus pour rien ! (Interruption.)
Nous étions embarrassés en présence de ce texte ! Mais de quoi s'agissait-il ? Etait-ce d'une question de principe ? Y avait-il entre vous et nous une question de principe à débattre ? Pas le moins du monde. Nous étions d'accord sur le principe. II s'agissait uniquement d'une question de rédaction, et aux objections que nous faisions à votre texte, vous vous borniez à nous dire : Vos scrupules sont exagérés ; on n'interprétera pas la disposition dans le sens que vous supposez. - Eh bien, disions-nous, inscrivez dans la loi ce qui constitue le fond de vos explications.
Là, messieurs, était tout le débat.
Et maintenant, que ce texte existe depuis douze ans, maintenant qu'il a fait l'objet d'un traité, d'un traité qu'il faudrait dénoncer si la loi était modifiée, nous aurions éprouvé de l'embarras à dire : Mais non ; nous n'entendons pas revenir sur cette question ; on ne s'expose pas à ébranler une situation politique pour une rédaction ; étant (page 809) d'accord sur le principe, votre rédaction peut subsister ; elle est vicieuse sans doute, mais ce n'est pas une raison pour remettre tout en question, et jeter peut-être le trouble dans nos rapports avec la France. Pourquoi donc eussions-nous été embarrassés de faire une pareille déclaration ?
Non, messieurs, il n'y avait pour nous aucune cause d'embarras ; nous avons voulu simplement éviter un débat pénible, que vous, au contraire, vous avez préféré provoquer.
Et quel a été l'objet de cette longue discussion à laquelle s'est livré l'honorable M. Nothomb ? Voici à quoi se réduit tout son discours : « Je n'ai pas accepté un texte du gouvernement, français ; c'est le gouvernement français qui a accepté mon texte. »
Mais, messieurs, l'honorable membre ne nous a rien appris de nouveau ; dans la séance du 6 mars, le jour où j'ai pris la parole sur cette question, l'honorable membre m'a interrompu pour me dire précisément : « Ce n'est pas moi qui ai accepté le texte de l'étranger ; c'est l'étranger qui a accepté mon texte. »
A quoi je lui ai répondu : L'étranger a accepté votre texte, soit : je veux le concéder ; mais vous étiez lié à ce texte, vous n'étiez plus libre de le changer ; on aurait en beau démontrer ici, dans cette Chambre, qu'elle délibérait sur une proposition vicieuse, dangereuse et incomplète ; vous ne pouviez faire droit à aucune observation, vous étiez engagé.
Voilà, au fond, le grief que nous vous adressions. Et c'était si bien là le grief, messieurs, que les déclarations les plus formelles ont été faites sur ce point en 1856. On nous répondait à cette époque qu'il n'y avait aucun lien, aucune espèce d'engagement.
Et comment s'exprimait-on alors sur ce grief de l'opposition ? Ecoutez :
« Le langage de M. le rapporteur tendrait à faire supposer que des gouvernements étrangers ont pesé sur le cabinet pour l'engager à présenter la loi qui est en discussion. II n'en est absolument rien. Il n'y a pas un seul gouvernement étranger, pas un, qui ait pesé sur le cabinet ; il n'y en a pas un seul qui ait même demandé au cabinet la présentation du projet de loi. »
Voilà ce que déclarait, au nom du gouvernement, le ministre des affaires étrangères ; voilà comment on se défendait, contre ce qu'on appelait le soupçon de la minorité de 1856 ; car M. Nothomb l'a dit à cette époque, la supposition de la minorité était une atteinte à son honneur politique. Aujourd'hui, le langage est complètement changé !
Il résulte à toute évidence des explications qui ont été données à la Chambre, que c'est à l'honorable membre seul qu'il faut s'en prendre de la situation. Il pouvait parler en 1856. Pourquoi ne l'a-t-il pas fait ? Parce que, dit-il, révéler ce qui s'était passé nous eût compromis ; on eût repoussé la proposition que nous faisions à la Chambre. - Et pourquoi ? C'était apparemment parce qu'on y aurait trouvé quelque chose de peu conforme à la dignité du gouvernement et de l'assemblée.
Mais si ce sont de pareilles considérations qui vous ont empêché de parler à cette époque, ce sont précisément ces considérations qui vous condamnent aujourd'hui. Et, en effet, je me demande comment on peut sérieusement essayer de justifier les procédés qui ont été suivis dans cette affaire ! Je le répète, messieurs, les raisons que l'on invoque pour se défendre en 1868, sont la condamnation formelle de l'attitude que l'on a prise en 1856.
M. Orts. - Messieurs, il semble aujourd'hui que la persistance mise par le gouvernement en 1856 à repousser la rédaction que l'opposition proposait, aboutit à une pure question de grammaire et de style.
L'honorable M. Nothomb n'a rien voulu changer à sa rédaction de 1856 ; et s'il a repoussé la proposition de la commission dont j'étais l'organe, c'est qu'il s'agissait uniquement de faire obtenir la préférence au texte du gouvernement sur le galimatias proposé par la commission.
En 1856,1'honorable M. Nothomb nous l'a rappelé, j'étais le rapporteur de cette commission ; l'honorable M. Nothomb a été beaucoup trop bon en cherchant tout à l'heure à expliquer dans quelles circonstances il avait employé les mots : « véritable galimatias » ; cette expression ne m'a pas blessé alors ; elle ne me blesse pas encore aujourd'hui.
Je comprends très bien que les deux honorables jurisconsultes dont a parlé l'honorable M. Nothomb aient préféré la rédaction du gouvernement dont ils étaient un peu les pères ou les parrains avec l'honorable M. Nothomb et d'autres encore, dit-on à gauche, avec l'honorable ministre d'alors tout seul, dit l'honorable M. Nothomb, au galimatias proposé par la commission ; c'était chez eux affaire d'opposition paternelle, d'amour-propre d'auteur froissé. Je ne m'en plains pas. Je ne les imiterai même pas. Je veux rappeler simplement un fait, à titre de consolation pour mon amour-propre d'auteur et pour mes honorables collègues de 1856 qui avaient bien voulu accepter avec moi la solidarité de mon galimatias, de ma rédaction.
Si mes souvenirs sont exacts, 33 membres de la Chambre ont voté la rédaction de la commission. Il me suffit de recourir au Moniteur et de consulter les noms de ces 33 membres pour voir que je me suis trouvé en trop bonne compagnie pour ne pas supporter facilement le reproche d'avoir fait du galimatias.
Mais il y a mieux encore. Il est arrivé à notre galimatias un bonheur que, sans rancune, je souhaite aux rédactions que pourra proposer plus tard l'honorable M. Jacobs dans sa carrière parlementaire, bonheur que je souhaite aussi aux rédactions que l'honorable M. Nothomb a fait passer en lois dans sa carrière ministérielle.
Aujourd'hui, après douze années, cinq esprits éclairés, indépendants, jurisconsultes et hommes politiques, pour exprimer la même pensée, ne trouvent ni meilleur langage, ni formule plus claire que notre galimatias de 1856. Aucun de ces collègues, dont vous appréciez tous le mérite, ne siégeait sur ces bancs en 1856 ; et, ces hommes, signataires de l'amendement de M. Guillery, libres de tout antécédent, adoptent en 1868 absolument les mêmes termes dont nous nous sommes servis en 1856.
M. de Theuxµ. - L'honorable M. Orts vient de parler de la rédaction que l'opposition proposait en 1856, pour remplacer le texte de la loi qui avait été présentée à cette époque par l'honorable M. Nothomb. Nous savons par expérience qu'en matière juridique, comme en beaucoup d'autres matières, on est bien souvent d'opinion contraire, même après de longues discussions ou plaidoiries très savantes et très approfondies. Ne nous arrêtons donc pas à ces circonstances.
L'honorable M. Orts croit qu'il avait raison dans sa rédaction ; l'honorable M. Nothomb croit avec raison la même chose de la sienne. Ici, il ne s'agit que de voir le fond. On peut avoir telle ou telle opinion sur telle ou telle rédaction, pourvu que l'on reconnaisse que le fond est bon et utile. Or, il était certainement dans l'intérêt de la Belgique tout autant que dans celui de la France, que l'assassinat politique tenté sur la personne d'un souverain étranger ne restât pas impuni.
Nous savons quelle perturbation doit causer en Belgique un événement de ce genre accompli chez nos voisins, Voilà donc le fond de la question.
M. le ministre des finances prétend qu'il a usé de générosité envers l'honorable M. Nothomb ; après les explications que cet honorable membre a données particulièrement dans cette séance, il a eu droit de dire que la prétention de M. le ministre des finances n'est nullement fondée. Pour ma part, je trouve ces explications complètement satisfaisantes.
D'ailleurs, rappelez-vous, messieurs, que quand il s'est agi dans cette Chambre de l'affaire des frères Jaquin, M. le ministre des affaires étrangères de l'époque a annoncé ici qu'il avait obtenu du gouvernement français qu'il se désisterait de sa demande d'extradition de ces messieurs ; il a ajouté que, pour éviter tout doute dans l'avenir, on présenterait un projet de loi. cette idée a été réalisée. On a voulu que la Belgique ne pût pas receler les assassins des chefs des gouvernements étrangers et plus particulièrement du gouvernement français.
M. Nothomb. - Messieurs, à en croire M. le ministre des finances, si ce débat orageux a eu lieu, la faute en est à moi, c'est moi qui l'ai voulu.
Je le nie absolument ; je n'ai pas engagé cette discussion ; je ne désavoue certes pas ce qu'a fait honorable mon ami M. Jacobs ; mais vous n'aurez pas eu la naïveté de croire que lorsque vous déposez un projet de loi où se trouve littéralement reproduite la loi de 1856, le pays tout entier ne verrait pas dans cet acte la confirmation de cette loi ! Vous n'avez pu nourrir une aussi candide illusion ; si vous l'aviez eue, l'unanimité de l'opinion publique vous l'aurait ôtée.
Qu'on l'ait signalé, c'était inévitable. Mais je n'en ai pas parlé ici, pas même dans la section à laquelle j'appartenais. Je n'ai pas dit un mot de la loi de 1856, quoique la tentation pût être bien grande pour moi de constater enfin cette réparation venue de vous. Je n'en ai rien fait ; je me suis borné à critiquer le projet à d'autres points de vue.
C'est le jour de la discussion, lorsque je suis entré dans cette salle, que j'ai entendu qu'il était question d'une lettre révélant, ô horreur ! que j'aurais eu une conversation avec M. Abbatucci ! Dans le premier moment, je ne me suis pas rappelé cette circonstance ; après 12 ans, c'est pardonnable.
(page 810) J'ai écoulé la lecture de cette lettre ; j'ai dit de suite : Je n'ai rien concédé à M. Abbatucci ; il a, au contraire, accepté ma rédaction et mes explications. Depuis j'ai prouvé ceci à évidence.
Vous me faites un crime de cette lettre ; c'est le reversement de toute logique, comme de toute équité politique.
Ah ! vous dites que votre langage a été modéré ! mais est-ce un langage modéré, après avoir commenté nous savons comment ! cette lettre en la séparant de la dépêche du 28 décembre qui l'explique et la rend si claire, si naturelle, que de s'écrier comme vous l'avez fait dans la séance de vendredi : « Voilà ce qui est blâmable ; voilà ce qui est inexcusable et ce qui ne sera pas excusé. »
Voilà comment vous êtes modéré et juste ! Ce qui est inexcusable c'est votre conduite ! Et vous parlez de générosité ! Je n'ai que faire de votre générosité, vôtre blâme m'est indifférent, et je n'ai pas besoin de vos excuses.
Quant à des leçons de dignité nationale, je n'en demanderai à personne ni surtout à vous, M. le ministre des finances. Je comprends aussi la dignité du pays et je sais le prouver.
MfFOµ. - Vous l'avez en effet, prouvé.
- L'incident est clos.
M. le président. - Vous avez chargé votre bureau de composer là commission qui examinera la proposition de loi de MM. Guillery et Lelièvre.
Voici la composition de cette commission : MM. Orts, Delcour, Prud'homme, Dewandre, Wouters, de Rossius et Tack.
- La séance est levée à cinq heures.