(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1867-1868)
(Présidence de M. Dolezµ.)
(page 785) M. de Moor, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.
M. Dethuin, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Moorµ présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Des habitants de Furnes et des environs demandent l'amélioration du service sur la ligne de Furnes à Lichtervelde et la construction d'un chemin de fer d'Ostende à Furnes par Nieuport. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
< Le sieur Vallée demande que son fils Charles, caporal au 9ème régiment de ligne et milicien de 1865, soit renvoyé en congé. »
- Même renvoi.
« Le sieur Philippe, négociant, présente des observations sur le projet de loi relatif aux protêts. »
- Renvoi à la commission chargée d'examiner le projet de loi.
« Des miliciens de différentes classes prient la Chambre de voter le contingent de 12,000 hommes. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
« Le sieur Sleipens, chef de division à la cour des comptes, demande la place de greffier à cette cour si le titulaire actuel était appelé aux jonctions de conseiller. »
- Dépôt au bureau des renseignements.
« Des habitants de Humain prient la Chambre de rejeter les nouvelles charges militaires, d'abolir la conscription et d'organiser la force publique d'après des principes qui permettent une large réduction du budget de la guerre. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des projets de lois militaires et renvoi à la section centrale du projet de loi sur la milice.
« Des habitants de Ruysbroeck demandent que les deux Chambres soient dissoutes avant tout vote sur les projets de lois militaires. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion de ces projets de loi.
« Il est fait hommage à la Chambre, par M. François Mols, de trois exemplaires de son projet d'un canal maritime de la mer du Nord à Anvers. »
- Dépôt à la bibliothèque.
M. le président. - J'ai reçu de notre honorable collègue, M. Rodenbach, la lettre suivante ;
« Roulers, le 6 mars 1868.
« Monsieur le président,
« L'état de ma santé m'oblige impérieusement de ne point encore me rendre à la Chambre. Pour cette raison je vous prie, monsieur, de faire connaître à mes honorables allègues que, si j'étais présent, je voterais contre la loi sur la réorganisation de l'armée et contre le contingent de 12,000 hommes. Si l'on proposait l'organisation de la réserve, je. m'y opposerais également pour éviter au pays une nouvelle aggravation de dépenses de 8 à 10 millions.
« Veuillez, M. le président, agréer l’assurance des meilleurs sentiments de votre collègue. »
« A. Rodenbach, représentant. »
« M. Couvreur, obligé de s’absenter pour affaires urgentes, demande un congé de quelques jours. »
- Accordé.
M. Van Humbeeck. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale, à laquelle ont été renvoyés les trois projets relatifs au contingent de milice pour 1869, à la division de ce contingent en deux parties, l'une active et l'autre de réserve, et à la durée de service des miliciens.
M. le président. - Ce rapport sera imprimé et distribué, conformément à ce qui a été décidé hier, dès qu'il sera imprimé. Nous avons l'espoir de pouvoir l'expédier dans la journée de demain.
M. Bouvierµ. - Je demande que la discussion soit fixée à mardi prochain,
M. le président. - Il me semblait également que cela entrait dans les convenances de la Chambre et je comptais en faire la proposition à la fin de la séance en réglant l'ordre du jour ; mais puisque le moment est opportun, je consulte la Chambre sur ce point.
Il est donc convenu que la discussion de ce rapport est fixée à mardi.
« Art. 7. Il sera expressément stipulé dans ces traités que l'étranger ne pourra être poursuivi ou puni pour aucun délit politique antérieur à l'extradition, ni pour aucun fait connexe à un semblable délit, ni pour aucun des crimes ou délits non prévus par la présente loi ; sinon toute extradition, toute arrestation provisoire sont interdites.
« Ne sera pas réputé délit politique, ni fait connexe à un semblable délit, l'attentat contre la personne du chef d'un gouvernement étranger ou contre celle des membres de sa famille, lorsque cet attentat constitue le fait, soit de meurtre, soit d'assassinat, soit d'empoisonnement. »
M. le président. - Il y a un amendement ainsi conçu :
« Le meurtre, l'empoisonnement et l'assassinat commis ou tenté sur la personne d'un souverain étranger ou d'un membre de sa famille, sont compris au nombre des crimes pour lesquels l'extradition des étrangers peut avoir lieu, tant à l'égard des auteurs principaux qu'à l'égard de ceux qui les auront sciemment et matériellement aidés dans la perpétration de ces crimes ou qui auront fourni les instructions, les instruments ou autres moyens matériels destinés à les commettre, sachant qu'ils devaient y servir, ou qui, par dons, promesses ou menaces, y auront directement provoqué.
« Par exception à l'interdiction mentionnée dans le paragraphe premier de l'article 6 de la loi du 1er octobre 1833, le gouvernement est autorisé à consentir à l'extradition, dans le cas où il serait reconnu, après avoir pris sur ce point l'avis de la chambre des mises en accusation, que le fait connexe à un délit politique doit, à raison de son caractère et de sa gravité, être considéré comme un crime ordinaire, et sous la condition que ceux dont l'extradition est demandée ne seront poursuivis ou punis pour aucun délit politique. »
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, le gouvernement ne peut se rallier à l'amendement qui a été présenté hier par l'honorable M. Guillery.
Voici, messieurs, les motifs qui me portent à engager la Chambre à repousser cette proposition.
Je ne la discute pas. Je n'examine point si les dispositions qu'elle contient sont justes et conformes au droit international. Je dirai seulement qu'elles me paraissent meilleures que la loi de 1856. J'invoque une considération politique péremptoire pour la faire repousser.
Quel est le but du projet de loi qui est soumis à la Chambre ? C'est évidemment, comme je l'ai dit hier, tout en maintenant les principes généraux de la législation actuelle qui a été la base de nos traités avec les diverses puissances, d'étendre à quelques cas non prévus la loi d'extradition et de simplifier quelques formalités dont l'expérience a démontré le vice.
(page 786) Nous n'avons pas eu d'autre but en élaborant ce projet de loi. La loi de 1856, dans notre pensée, ne pouvait en ce moment être révisée, et nous étions, je le crois, dans les sentiments de la Chambre et du pays.
Evidemment, si nous n'avions eu qu'à présenter un projet pour réformer la loi de 1856, la Chambre aurait condamné notre conduite. Elle aurait dit qu'il était inopportun de venir agiter en ce moment de pareilles questions.
Nous n'aurions donc pas agi avec prudence en venant proposer la réforme de la loi de 1856. Tel n'est pas le but de ce projet de loi et cela a été indiqué dans l'exposé des motifs.
Etant admis que le gouvernement n'a pas voulu toucher aux principes déposés dans la loi de 1833 dont il a pris le texte, et qu'il n'a eu en vue que quelques nouveaux cas pouvant donner lieu à l'extradition et la simplification de quelques formalités, demander la réforme de la loi de 1856, c'est aller au delà du projet tel que le gouvernement l'a conçu et présenté, et dès lors il faut se demander s'il est opportun de procéder à cette révision.
Si l'on adopte l'amendement de M. Guillery, que va-t-il arriver ? Très vraisemblablement nous nous trouverons sans traité d'extradition, du moins avec la France. Au lieu d'atteindre le but que le gouvernement et la Chambre poursuivent en ce moment, nous serons allés à l’encontre de ce but et nous nous trouverons dans la situation la plus déplorable. Le gouvernement français, d'après la lettre qui vous a été lue hier, tient certainement au texte de la loi de 1856, texte sur lequel il a traité.
M. Guillery. - Je demande la parole.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Evidemment ce qu'a fait l'honorable ministre de la justice à cette époque ne lie pas la législature ni le gouvernement ; c'est un acte qu'il a posé sous sa responsabilité, c'est un acte qui, selon moi, est contraire à l'exercice du pouvoir exécutif, mais il n'en est pas moins vrai que le gouvernement français était de bonne foi, pouvait croire aux pouvoirs de M. Nothomb, qu'il comptait sur le vote du projet tel qu'il avait été arrêté entre M. Nothomb et M. Abattucci.
Moralement il y avait engagement vis-à-vis du gouvernement français, car le gouvernement français tenait à la rédaction du projet, qu'elle vînt de M. Nothomb ou d'un autre. M. Nothomb était lié moralement devant la Chambre ; il devait, aux termes de son engagement avec M. Abattucci, repousser toute modification au projet qu'il proposait à la législature, quand bien même on lui aurait démontré le vice de son projet.
Vous comprenez que dans cette situation, si nous disions au gouvernement français : Révisons les traités et introduisons-y la disposition que propose M. Guillery, le gouvernement français pourrait ne pas être disposé à le faire. Et qu'arriverait-il alors ? C'est que nous nous trouverions sans traité. L'honorable M. Guillery veut-il arriver à cette extrémité ? Je comprends parfaitement qu'il n'adopte pas la loi de 1856, je comprends qu'il fasse toutes ses réserves au sujet de cette loi, mais pour la modifier il faut choisir un moment opportun.
Si l'amendement de M. Guillery passait aujourd'hui, au lieu d'avoir un traité d'extradition étendu comme nous nous proposons de le faire, nous n'en aurions plus du tout ; car le gouvernement français n'accepterait pas cette nouvelle situation. La disposition que nous aurions votée serait donc complètement inefficace.
Et puis, messieurs, en votant cette disposition, n'aurions-nous pas posé vis-à-vis de la France un acte quelque peu grave ? Ce n'est pas subitement, ce n'est pas ab irato qu'il faut proposer la révision de dispositions en pareille matière ; il faut savoir où l'on va.
L'honorable M. Guillery nous dira : Mais vous n'êtes donc pas libres ! Si, nous sommes libres. M. Guillery peut faire voter son amendement, mais l'étranger est libre aussi de ne plus traiter avec nous et il pourra ne pas consentir à la révision des traités d'extradition.
Est-ce là ce que veut l'honorable membre ? Je ne puis le croire.
Est-il présumable que le gouvernement français ne consentira pas à faire de nouveaux traités contenant la disposition que proposent les honorables auteurs de l'amendement ? Après la lettre de M. Barrot, on peut le craindre, le gouvernement français dira au gouvernement belge : Vous avez contracté envers nous un engagement moral, cet engagement a été sanctionné par la législature belge et est passé dans un acte international, nous n'en voulons pas la révision, nous en réclamons l'exécution. Ce serait nous alors qui devrions prendre l'initiative de la rupture et dénoncer le traité.
Dans cet état de choses, messieurs, je crois qu'il faut prendre un moyen terme, afin de laisser à tout le monde la pleine liberté de son opinion sur cette matière, sauf à examiner, plus tard, s'il y a lieu de réviser la loi de 1856, quand une occasion favorable se présentera.
Pour ma part, je n'entends nullement approuver cette loi, et si je l'ai introduite dans le projet actuel, c'est uniquement à titre de codification. Mais, du moment que l'on voit, dans le vote du projet de loi une approbation donnée à la loi de 1856, je suis obligé de modifier la disposition qui vous est proposée.
Voici, selon moi, ce qu'il y a lieu de faire : il faut supprimer l'article 7 rappelant l'article 6 de la loi de 1833 où il est parlé de l'impossibilité de poursuivre un étranger pour un délit politique ou pour un fait connexe à un délit politique. Dès lors l'article 13 du projet de loi serait rédigé de la manière suivante : « Les dispositions de la loi du 1er octobre 1833, à l'exception de l'article 6, sont abrogées. »
Voici donc quelle est la situation : nous laissons de côté la loi de 1856, nous n'avons pas à nous en occuper ; personne, en votant le projet de loi actuel, ne manifeste par là son opinion sur la loi de 1856, chacun conserve son appréciation et reste libre de réclamer plus tard la révision de la loi de 1856.
M. Van Overloopµ. - Vous maintenez donc la loi de 1856 ?
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je ne m'en occupe pas ; je parle uniquement de l'article 6 de la loi de 1833.
M. Nothomb. - Qui fait partie de la loi de 1856.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Elle subsistera en vertu du principe qu'une loi reste en vigueur tant qu'elle n'est pas abrogée ; mais nous n'avons pas besoin d'en parler. Je le répète, en votant le projet de loi actuel, on conserve entière son opinion sur la loi de 1856. Je crois, messieurs, que la disposition que j'ai l'honneur de proposer sauvegarde le mieux la position de chacun, puisqu'elle laisse intactes toutes les questions que la loi de 1856 peut soulever.
M. Guillery. - Ce que propose M. le ministre de la justice n'est pas du tout un moyen terme ; c'est tout simplement une nouvelle consécration de la loi de 1856. Que vous mainteniez le texte de la loi de 1856 dans le projet de loi actuel ou que vous ne l'y mainteniez pas, ce sera exactement la même chose, sauf la forme, sauf la sincérité. Nous ferons toutes les réserves imaginables sur la loi de 1856 ; nous pourrons en faire pendant toute notre vie mais si, lorsque nous sommes majorité nous ne redressons pas les lois que nous avons blâmées, je demande qui pourra jamais nous donner l'espoir que ces lois seront révisées.
M. le ministre de la justice nous dit : Saisissez une occasion opportune ; attendez. Mais, messieurs, voici l'occasion opportune et unique de réviser la loi de 1856 ; elle ne se représentera peut-être plus jamais.
Qu'est-ce que c'est que le projet de loi qui nous est présenté ? Il ne s'agit pas uniquement de réviser des dispositions existantes ; il s'agit de faire une loi qui, par elle-même, ne signifiait rien, mais qui a pour but de permettre de faire des traités internationaux.
La loi sur les extraditions n'est pas destinée à régir notre administration intérieure ; une loi sur les extraditions n'est que ceci : c'est une autorisation donnée au gouvernement de traiter avec les pays étrangers dans telles ou telles conditions.
Eh bien, le gouvernement était autorisé par la loi de 1833 à traiter dans certaines conditions ; il a été autorisé par la loi de 1856 à modifier ces conditions ; et la loi qui est en ce moment soumise à nos délibérations, propose d'élargir les cas admis jusqu'aujourd’hui. Il faut donc que les traités avec toutes les puissances européennes soient révisés ; ou cette loi ne signifierait rien.
Le traité que nous avons avec la France devra être révisé comme les autres. Il faut donc qu'on entre en négociation avec le gouvernement français, avec le gouvernement prussien, avec le gouvernement hollandais, en un mot, avec toutes les puissances européennes.
Eh bien, qu'est-ce qui vous empêche de dire à ces gouvernements : « La Belgique a changé de politique depuis 1856 ; le changement de ministère qui a eu lieu en 1857 n'est pas seulement un changement de personnes, mais encore un changement de principes.
« Il y a eu des principes qui jusque-là ont été admis dans notre droit public et qui vont disparaître, parce qu'une majorité libérale n'acceptera pas une loi votée par une majorité catholique. »
S'il s'agissait, d'une question de détail, par exemple, d'une question de tarif plus ou moins élevé, je comprendrais des réserves ; mais il s'agit d'un des plus grands principes du droit international ; il s'agit de savoir si le principe en vertu duquel toutes les nations civilisées ont respecté le (page 787) droit d'asile, si ce grand principe pourra être violé impunément en Belgique sous l'empire de la loi de 1856.
La question est tellement grave que nous ne pouvons pas reculer plus longtemps devant une solution. Nous avons pu, depuis 12 ans, faire des réserves ; nous avons pu, depuis 12 ans, attendre une occasion opportune ; mais aujourd'hui que la question se. présente à la Chambre, qu'elle s'impose à vos délibérations, il faut que vous disiez : « Ou la loi de 1856 est maintenue, ou elle est abrogée. » Vous le direz implicitement, vous le direz en esquivant des textes, il n'importe ; il faut que vous le disiez ; il faut que la loi soit maintenue ou abrogée.
Eh bien, c'est une occasion ou jamais d'examiner si le principe qui se trouve déposé dans la loi de 1856 ne porte pas atteinte au droit d'asile, au droit d’hospitalité admis par toutes les nations civilisées.
Mais, dit l'honorable ministre de la justice, voulez-vous que nous dénoncions le traité, que nous soyons sans traité d'extradition ?
Ce serait sans doute un grand malheur ; mais je ne sais pas si ce ne serait pas un malheur plus grand d'avoir un traité qui pourrait nous obliger, dans certaines circonstances données, à faire un acte contraire à l'honneur du pays.
Entre deux maux, je ne sais trop lequel je choisirais dans le doute, je marcherais dans le droit chemin...
Mais je ne crois pas que nous soyons placés dans une semblable alternative. Le voyage de l'honorable M. Nothomb à Paris et la lettre de M. Barrot ont complètement disparu. Les rapports entre le gouvernement français et le gouvernement belge ne sont plus régis aujourd'hui par les engagements qui ont pu être pris en 1856 entre les deux gouvernements.
Et je ferai remarquer en passant que cette lettre de M. Barrot contient des demandes auxquelles il n'a pas été satisfait.
Le pays est lié aujourd'hui par un traité ; évidement ce traité s'est substitué à tous les engagements antérieurs et surtout aux engagements verbaux, qu'il a fallu rechercher dans les archives du département des affaires étrangères et que nous avons ignorés jusqu'à présent.
Ce qui nous régit, ce que nous avons le devoir de respecter, c'est le traité conclu entre S. A. le Roi des Belges et S. M. l'empereur des Français, le 11 octobre 1856. Il reproduit le texte de la loi du 22 mars, ce qui n'est pas étonnant, puisque la loi du 22 mars a été faite exprès pour cela.
L'article 3 est ainsi conçu, et voici, messieurs, ce qui constate notre entière liberté : « La présente convention aura la même durée que celle du 22 novembre 1834 à laquelle elle se rapporte, et les deux conventions seront censées dénoncées simultanément par le fait de la dénonciation de l'une d'elles. »
Le traité du 22 novembre 1834 porte, article 9, la disposition suivante : « La présente convention continuera à être en vigueur jusqu'à déclaration contraire de la part d'un des deux gouvernements ... » Et le gouvernement était obligé d'en agir ainsi, puisque la loi de 1833, en vertu de laquelle il agissait n'était qu'une loi provisoire.
Il n'y a donc jamais eu, entre le gouvernement français d'une part, et le gouvernement belge de l'autre, qu'une convention provisoire, qu'une convention révocable par la volonté de l'une des deux parties ; et lorsque le traité du 11 octobre 1856 a été signé, il l'a été aux mêmes conditions. On n'a pas trompé le gouvernement français ; on n'a pas abusé de sa religion. On lui a dit en toute loyauté : Nous faisons une convention révocable ad nutum, une convention révocable par la volonté de l'une des deux parties ; nous vous accordons cela aujourd'hui ; nous croyons pouvoir le faire. Demain il y aura peut-être un autre ministère ; il y aura peut-être une majorité qui jugera autrement. Nous lui réservons sa pleine et entière liberté.
Voilà ce qui est écrit dans l'article 3, comme si l'honorable M. Nothomb avait prévu qu'il aurait un jour pour successeur l'honorable M. Bara, qui ne partage pas ses convictions, et avait voulu réserver à celui-ci la faculté de révoquer la convention que lui, ministre catholique, croyait devoir signer dans des circonstances exceptionnelles.
Nous sommes donc parfaitement libres, et, sans manquer à la plus scrupuleuse bonne foi, sans blesser en rien le gouvernement français, nous pouvons lui dire : Cette loi qui nous a régis pendant un certain temps, la majorité l'a changée ; elle a décidé que la loi de 1856 devait être interprétée autrement. Mais fussions-nous la même majorité, avons-nous renoncé, en 1856, à nous éclairer, à améliorer notre législation, à y introduire des modifications Mais nous venons d'en introduire par le projet actuel. Nous étendons les cas d'extradition ; nous pouvons aussi les restreindre en certains points, si nous reconnaissons que le législateur de 1856 s'est trompé. Je laisse de côté l'esprit de la majorité qu'elle soit libérale ou qu'elle soit catholique, si l’on trouve la disposition mauvaise, si on la trouve dangereuse, si l'on trouve qu'elle peut prêter à des abus, pourquoi ne pas la revoir ?
Sommes-nous enchaînés d'après la lettre des traités ?
Non.
Sommes-nous enchaînés d'après l'esprit des traités ?
Non. Nous ne sommes pas enchaînés et nous ne pouvons pas l'être, puisqu'on agissait en vertu d'un droit accordé provisoirement au gouvernement.
Jamais, messieurs, des circonstances plus favorables ne se présenteront. Nous sommes obligés d'entrer en négociation avec tous les gouvernements pour réviser nos traités d'extradition conformément à la loi que nous faisons.
Sans doute, messieurs, cela peut donner lieu à des négociations difficiles ; mais nous avons un ministre des affaires étrangères jeune, plein de talent, qui vient d'un département dans lequel son activité et son intelligence se sont fait hautement apprécier. Il se trouve maintenant à la tête d'un département qui réclame moins d'assiduité, qui a des occupations moins pressantes. Voilà une belle occasion pour lui de se signaler, en introduisant, dans le traité entre la Belgique et la France, une disposition qui soit conforme aux véritables principes du droit public et de l'humanité.
Les circonstances d'ailleurs, messieurs, ne sont plus les mêmes. Lorsque en 1856 le traité a été fait... je ne veux pas justifier ce traité ; je l'ai toujours blâmé et je le blâme encore, mais enfin les circonstances ne sont plus les mêmes ; depuis 1856 la France a vu qu'en ouvrant la porte aux discussions on fermait la porte aux conspirations ; nous ne sommes plus entourés de tous ces complots ; au contraire, nous voyons la liberté poindre partout ; nous voyons en Autriche, nous voyons dans différents pays les garanties constitutionnelles se développer, et jamais occasion plus belle ne s'est présentée pour réclamer l'application des principes incontestables que toutes les nations libres respectent.
Quant au fond de la question, je n'ai pas à défendre mon système, parce qu'il n'a pas été combattu et que nous sommes en complète communauté d'idées avec le gouvernement. Seulement, je dois faire remarquer que la discussion de 1856 portait sur la question de savoir si tous les crimes de droit commun devaient nécessairement donner lieu à l'extradition, alors même que ces crimes auraient eu un mobile politique.
S'il n'y a pas de distinction à faire entre les mobiles des crimes, alors le meurtre, l'assassinat donnent toujours lieu à l'extradition et les termes du traité entre la Belgique et la France sont ceux-ci : c'est que le gouvernement belge et le gouvernement français s'engagent par la présente convention à se livrer réciproquement les individus, etc. Je ne sais pas comment on pourrait soutenir qu'il n'y a pas là une obligation pour le gouvernement. Lorsqu'un gouvernement étranger vient vous demander de livrer un individu qui se trouve dans le cas de la loi de 1833 modifiée par la loi de 1856, vous êtes obligé de faire l'extradition... Je vois un signe d'assentiment d'un membre de cette Chambre fort compétent en cette matière ; il y a donc obligation. Ainsi lorsque dans l'exemple que j'ai cité et dans ceux qui ont été cités en 1833 et en 1856, lorsque le crime aura évidemment un mobile politique, lorsqu'il s'agira d'une insurrection, d'une protestation contre le despotisme, vous devrez exécuter la loi et livrer ces personnes qui, au témoignage de votre conscience, ont commis un crime politique.
Et notez que la loi de 1833 est bien aggravée aujourd'hui. La loi de 1833 elle-même n'a pas passé sans protestations.
L'honorable M. Doignon faisait des observations d'une vérité saisissante. Il disait : Vous croyez que vous ne livrerez jamais pour délits politiques.
Mais on vous enverra des actes d'accusation, on vous enverra des mandats qui diront qu'il s'agit d'un délit de droit commun et l'on ne vous dira pas qu'il s'agit d'un délit politique.
« En vain, disait l'honorable M. Doignon dans la séance du 20 août 1833, vous prohiberez, dans les traités, l'extradition pour délit politique, les jugements ou arrêts qu'on vous expédiera n'offriront que des crimes ordinaires quoique réellement connexes à des faits politiques ; aucune nation n'a défini jusqu'ici ce que c'est véritablement qu'un délit politique.»
Maintenant que le nombre des délits est accru dans une grande proportion, il suffira d'avoir commis un délit de droit commun pour pouvoir être livré à un gouvernement étranger.
Quel est le malheureux accusé politique qui n'a pas sur la conscience (page 788) l’un des délits prévus dans votre loi ou du moins combien ne sera-t-il pas facile d'imputer à un accusé politique d'un ou l'autre de ces délits ? Car il n'y a pas seulement dans la loi des délits attentatoires à l'honneur, on y trouve même des délits forestiers.
M. Teschµ. - Pas du tout.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Vous vous trompez !
M. Guillery. - Cela s'y trouve en propres termes.
« Pour destruction et dévastation de récoltes, plantes, arbres ou greffes. »
Sont-cc là des délits qui portent atteinte à l'honneur !
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Ils portent atteinte à la propriété comme le vol. Quand ces faits sont commis méchamment, ils entraînent une peine de deux mois à trois ans.
M. Guillery. - Je ne m'oppose pas à ce que l'on condamne à trois ans celui qui commet méchamment ces délits. Mais la loi actuelle a pour but, et on lui en fait un mérite, d'augmenter considérablement le nombre des délits pour lesquels il y aura extradition.
Par conséquent, il sera beaucoup plus facile d'obtenir l'extradition que sous l'empire de la loi de 1833, et l'abus signalé par l'honorable M. Doignon sera plus facile qu'autrefois.
Maintenant, vous stipulez dans vos traités que l'accusé que vous livrez ne pourra être poursuivi pour délit politique. On vous dira qu'il en sera ainsi, mais on le poursuivra pour un délit qu'on déclarera ne pas être politique et l'on prendra la jurisprudence de notre propre cour de cassation qui déclare que chaque fois qu'un fait est prévu par le code pénal, quand par lui-même il constitue l'assassinat ou le meurtre, il n'y a pas de délit politique, qu'il n'y a de délit politique que celui dont le caractère exclusif est de porter atteinte à la forme du gouvernement et à l'ordre politique d'une nation déterminée.
Dans les cas que j'ai cités hier, dans le cas de sédition, dans le cas, de révolte d'une nation opprimée contre l'oppression, on dira : Il y a eu meurtre.
On a cité dans la discussion de la loi de 1833 le fait d'un colonel qui, en 1815, ignorant le traité fait entre l'empereur Napoléon et les Bourbons, avait continué la guerre à la tête de quelques partisans et fut condamné pour assassinat. Le tribunal qui prononça la sentence de ce colonel n'a fait que déférer au principe de notre cour de cassation.
Eh bien, si l'on demandait l'extradition pour un fait pareil, l'accorderiez-vous ?
Vous ne l'accorderez pas, j'en suis convaincu, quand le fait se présentera dans ces termes ; mais il peut y avoir après vous des ministres moins scrupuleux qui, par faiblesse ou peut-être par haine, interprètent la loi autrement.
On vous demandera l'extradition pour le fait de destruction de plants ou de greffes, crime prévu par notre code pénal et qui, paraît-il, est très grave et, lorsque l'individu sera livré on dira : il s'agit d'un délit de droit commun. Que ferez-vous ? Ferez-vous la guerre pour ravoir la personne que vous aurez livrée ?
Nous nous trouvons, messieurs, dans un moment de calme, dans un moment où il n'est pas question de complots et d'entreprises comme celles qui ont donné lieu à la loi de 1856. Les circonstances sont donc extrêmement favorables pour réviser la loi.
Il faut donc absolument, je le répète, que la Chambre se prononce sur la loi : il faut qu'elle la maintienne ou qu'elle la repousse.
Quant à moi, il m'est impossible de voter, soit par voie d'omission, soit par voie de commission, le maintien de cette loi.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je comprends, messieurs, à la manière dont l'honorable membre interprète la loi sur les extraditions et la loi de 1856, qu'il propose de modifier le projet qui vous est soumis.
Evidemment, si la loi sur les extraditions contenait toutes les énormités dont parle l'honorable membre, elle serait détestable, déplorable ; les réfugiés politiques seraient abandonnés au caprice des gouvernements étrangers. Je vais démontrer à l'honorable membre qu'il n'y a absolument rien dans la loi de tout ce qu'il y a vu.
M. Guillery. - Tant mieux.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - J'espère que si je parviens à l'en convaincre, il acceptera ma manière de voir.
M. Guillery. - Certainement.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - L'honorable membre dit : En vertu de la loi de 1856, un individu qui, poussé par un mobile politique, aurait détruit méchamment des récoltes ou, des greffes serait extradé et cependant il n'en devrait pas être ainsi.
Mais, messieurs, si cette destruction était connexe à un fait politique, la loi de aloidel85G n'y serait pas applicable. cette loi ne s'occupe que du meurtre, de l'assassinat, de l'empoisonnement.
Quant à la destruction des récoltes et aux autres délits qui peuvent être connexes à un délit politique, ces délits sont régis par la loi de 1833.
M. Guillery. - Vous ne m'avez pas compris.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - L'honorable membre n'a-t-il pas dit que le réfugié politique qui aura, dans un but politique, détruit des plants ou des greffes sera extradé et que quand il sera réclamé, nous devions l'extrader ?
M. Guillery. - J'ai dit : on demandera son extradition sous prétexte de ce délit qui est réel. A côté de cela il y a le fait d'assassinat dont j'ai parlé, le fait du colonel Chambure.
On demandera l'extradition sur le premier fait. Vous ferez la condition qu'on ne le poursuivra pas pour délit politique. Lorsqu'il se trouvera dans les mains du gouvernement qui l'aura réclamé, on vous dira que le fait n'est pas politique. Vous ne pouvez savoir du reste tout ce qu'il y a au passif d'un individu.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - L'honorable membre est encore dans l'erreur. L'individu extradé pour un délit déterminé ne peut être poursuivi pour un autre délit. Dans ce cas, il y aurait violation du traité.
Mais il y a plus Je ne suis pas chargé de défendre la loi de 1833, mais je dois cependant détromper l'honorable membre sur l'interprétation qu'il fait de cette loi.
L'honorable M. Guillery s'imagine que les faits connexes à un assassinat quelconque peuvent donner lieu à extradition.
C'est une erreur. Il a cité le fait de l'assassinat du colonel Chambure. Eh bien, d'après notre législation, il ne pourrait pas, pour des faits semblables, y avoir extradition. Et la raison en est simple : c'est que la loi de 1856 ne parle que de l'assassinat d'un souverain ou des membres de la famille royale. La loi de 1856 est restreinte aux attentats contre la vie des souverains et des membres de la famille royale.
L'honorable membre dit que c'est la question politique qui a fait l'objet du débat de 1856. C'est une erreur.
Voici ce qui a fait l'objet du débat de 1856. On parlait des faits connexes à un assassinat politique et il y avait des membres qui disaient : Que faites-vous des complices ? De plus, si par exemple dans une émeute .à l'étranger des émeutiers viennent à tuer un membre d'une famille souveraine ou bien un souverain, les réfugiés qui auront plus ou moins trempé dans l'émeule pourront être extradés bien que le meurtre n'ait pas été dans leurs intentions. Le gouvernement d'alors disait non, mais l'opposition répondait : Gela est douteux ; nous sommes d'accord que lorsque quelqu'un donne les moyens de commettre un assassinat sur un souverain, il doit y avoir lieu à extradition ; mais nous ne sommes plus d'accord dès que vous voulez que celui qui d'une manière plus ou moins indirecte aura été compromis dans une émeute qui a eu pour conséquence non prévue l'assassinat d'un souverain, puisse être extradé.
On supposait alors le cas d'un prince se mettant à la têtle de son armée pour aller renverser des barricades ; il est tué et on demandait si l'on pourrait extrader des réfugiés politiques qui auraient pris part à l'émeute où ce fait se serait produit. (Interruption.)
Oui, je le répète, c'est bien là la question. Il y avait doute à cet égard. L'opposition disait : Nous ne voulons pas que ces réfugiés qui ont pris part à une émeute, mais qui n'ont pas eu l'intention de commettre un meurtre sur le souverain, puissent être livrés.
Le gouvernement disait : Ils ne seront pas extradés ; l'opposition répliquait : Cela n'est pas clair et elle demandait une autre rédaction. Voilà la vérité.
M. Nothomb. - Je l'ai dit.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Oui, le gouvernement le disait ; mais l'opposition n'était pas rassurée ee demandait un texte plus clair. Or, la proposition de M. Guillery n'atteindra pas le but qu'il désire. S'il croit qu'en faisant voter ces articles il va soustraire à l'extradition les personnes qui ont plus ou moitis participé à un meurtre contre un souverain, il se trompe énormément. Ces articles ont le même but que le projet de 1856, seulement ils sout plus clairs.
Je pense donc que, sous ce rapport, les critiques de l'honorable membre dirigées contre la loi de 1866 et le but qu'elle doit atteindre ne sont pas fondées.
Mais l'honorable membre critique le gouvernement de ne pas proposer la réforme de la loi de 1856 et il dit ; Maintenant que la majorité qui a (page 789) voté la loi est devenue minorité, nous, majorité, devons-nous conserver cette loi ? Le moment de la réformer n'est-il pas arrivé aujourd'hui que l’on propose d'introduire quelques nouvelles dispositions dans la législation sur les extraditions ?
Je ne crois pas qu'un parti qui arrive au pouvoir est dans l'obligation de réformer toutes les lois qu'il a condamnées ; il doit avoir le choix du moment où il convient de les réviser. S'il n'en était pas ainsi, la loi de 1856 ne compte qu'un seul article, pourquoi l'honorable membre n'a--il pas usé de son initiative pour en proposer l'abrogation, depuis 1857, époque où l'opinion libérale est redevenue majorité ? Probablement parce que l'honorable membre a jugé que le moment n'était pas favorable. Mais l'honorable membre, comme le gouvernement, a conservé et conservera son opinion sur la loi de 1856.
L'honorable membre s'est longtemps étendu sur le droit qu'avait la Chambre de voter la disposition qu'il proposait. Je n'ai jamais contesté ce droit. Evidemment la législature a le droit de modifier la loi. Mais il faut examiner les conséquences qui résulterait de cette modification et examiner aussi si le moment de réformer la loi est opportun. M. Guillery nous dit : Vous allez être obligés de dénoncer vos traités par suite des dispositions nouvelles que vous y introduisez ; n'est-ce donc pas le meilleur moment de réviser la loi de 1856. L'honorable M. Guillery se trompe.
Nous n'avons nullement à dénoncer les traités ; les traités d'extradition subsisteront, seulement ils seront étendus par des traités supplémentaires. Que propose l’honorable membre. ? Il nous propose de dénoncer les traités. Eh bien, je dis que cette mesure serait imprudente, car si le gouvernement français n'acceptait pas la nouvelle disposition que nous substituons à celle qu'il a adoptée et qui a fait l'objet des traités, nous serions dans une situation fort grave. L'honorable M. Guillery nous dit : «Vous avez un ministre des affaires étrangères au talent duquel je rends hommage, il s'interposera. » Mais s'il ne réussit pas ? Vous serez sans traité.
Et, en effet, lorsque nous demanderons au gouvernement français de réviser le traité selon les dispositions nouvelles, le gouvernement français ne sera-t-il pas amené à nous demander du conserver les anciennes dispositions ? Il vous objectera que notre gouvernement traitant avec le sien, a admis ces dispositions, qu'il y a de plus pour nous, sinon un engagement légal, au moins un engagement moral de les conserver parce que le texte est l'œuvre commune de MM. Nothomb et Abbatucci.
Il faudrait alors dénoncer les traités, prendre l'initiative d'une rupture. C'est une mesure grave que je ne saurais conseiller et dont la Chambre ne voudra pas, par son vote, assumer la responsabilité.
Il vaut mieux laisser subsister les traités tels qu'ils sont et les améliorer dans la mesure du possible. Car ce serait une situation déplorable si nous arrivions à être sans traité d'extradition avec la France. Ce serait uni situation pleine de périls, car on pourrait commettre en Belgique les infractions les plus graves et se soustraire à la justice, en passant la frontière.
En pareille matière, il faut être très prudent avant de proposer des changements à la législation.
En votant le projet que nous vous présentons, nul de nous n'abandonne son droit ni ses opinions ; nos droits et nos opinions restent entiers et nous les ferons valoir lorsque le moment sera opportun. Mais de ce que nous ne pouvons pas les faire valoir en ce moment, s'ensuit-il que nous ne puissions pas améliorer la loi sur d'autres points, sur des points qui ne soulèvent pas de difficultés entre nous et d'autres puissances ? Je suppose que demain un nouveau crime vienne à se produire et que nous demandions à la Chambre d'en faire l'objet d'une loi d'extradition, l'honorable M. Guillery profitera-t-il de cette loi pour faire discuter à nouveau tous les principes d'extradition ? Il en aurait le droit, mais sans doute, il ne jugerait pas le moment opportun. Eh bien, nous vous demandons un vote sur des points déterminés, n'allons pas au delà ; ce n'est pas le moment de remettre tous les principes en question.
Je prie donc la Chambre de voter le projet tel que nous l'avons présenté, avec les amendements que je viens de proposer.
M. Guillery. - S'il faut en croire la doctrine de M. le ministre de la justice, un traité est chose beaucoup plus grave qu'il ne paraît. Nous sommes aujourd’hui complètement dans la dépendance du gouvernement français ; nous avons la permission d'accepter ses ordres, non pas de les changer ni de les modifier Le gouvernement français a contre nous une arme terrible, il répondra à toutes nos propositions : Vous ne voulez pas conserver à perpétuelle demeure le traité de 1856, nous supprimons le traité et nous supprimons d'autres choses encore.
C'est le système de la peur. Mais lorsqu'on a fait un traité et qu'on y a inséré le droit de le dénoncer, n'est-ce là qu'un vain mot ? Il faudrait alors traduire cette formule qui paraît d'abord si claire, par celle-ci : le traité sera dénoncé quand il plaira au gouvernement français. Chacune des parties se réserve le droit de le dénoncer avec l'assentiment de l'autre ; mais l'une d'elles restera l'arbitre de la situation.
Comment, messieurs, le traité de 1834 a été fait en vertu de la loi de 1833 qui était provisoire ; c'est en vertu d'une loi provisoire qu'on fait des traités provisoires et on vient prétendre que nous sommes liés par ce traité au point qu'après onze années de réflexion on n'a pas encore trouvé le moment opportun pour la réviser et peu s'en faut que je sois responsable de cette situation pour n'avoir pas encore, à l'heure qu'il est, présenté un projet de loi abrogeant la loi de 1856.
Cette responsabilité, messieurs, je ne puis pas l'accepter. J'ai attendu l'occasion favorable. Je savais parfaitement de quelle répugnance la loi de 1856 a été l'objet ; je savais parfaitement qu'elle avait été critiquée par les hommes les plus éminents de cette Chambre et cela par des motifs tirés de la loi elle-même ; et que si l'on n'y avait pas trouvé tous les inconvénients que j'y trouve aujourd'hui, on en avait trouvé de tout aussi graves.
Eh bien, j'ai attendu le moment, l'heure convenable. L'heure est venue lorsqu'on a soumis aux délibérations de la Chambre un article 7 signifiant ceci : a La loi de 1856 est maintenue, » ou, en d'autres termes, reproduisant en propres termes l'article unique de la loi de 1856. Appelé à voter sur ce texte, je me suis demandé s'il fallait maintenir cette disposition, si je pouvais, en âme et conscience, voter un texte que je considère comme dangereux, comme renfermant un principe qui peut nous entraîner à livrer à des gouvernements étrangers de véritables réfugiés politiques.
Le moment est donc opportun,. Je n'ai point pensé qu'à la suite du projet de loi on allait dénoncer tous les traités. Je me suis expliqué (je le croyais) clairement, en disant qu'il y aurait des négociations à entamer avec tous les gouvernements étrangers et que l'occasion me paraissait favorable puisqu'on doit négocier avec ces gouvernements et qu'il importe dès lors que l'on soit en mesure de réviser ceux des traités d'extradition dans lesquels se trouve inscrite la loi de 1856.
Ainsi, messieurs, le moment est favorable ou il ne le sera jamais. Pour moi, je ne puis pas me contenter de faire des réserves perpétuelles et d'espérer indéfiniment ; on désespère alors qu'on espère toujours ; et cette espérance dont veut nous bercer M. le ministre de la justice pourrait durer longtemps.
Je n'ai nullement émis l'opinion que le ministère libéral arrivant au pouvoir dût réviser toutes les lois qu'il avait combattues. Si j'avais jamais eu cette opinion, je serais bien désillusionné aujourd'hui. Mais je crois que lorsque l'occasion se présente de réviser une loi sur les extraditions, quand l'occasion ta présente au sein de la législature d'effacer de nos lois les principes que la majorité a combattus lorsqu'elle était minorité, il faut saisir la première occasion qui se présente de faire prévaloir des principes qui ont toujours été ceux de l'opinion libérale.
Maintenant, quant au texte de l'amendement, je n'ai pas à le défendre puisqu'il n'a fait l'objet d'aucune discussion. Maisje dois faire connaître en peu de mots quel a été notre véritable mobile en le signant. Qu'avons-nous voulu ? Nous avons voulu, d'abord, avoir une base de discussion et quelle meilleure disposition, pouvions-nous proposer que celle même qui avait été proposée, en 1856 par les hommes les plus éminents de la Chambre, MM. Orts, Lebeau, Verhaegen, Lelièvre, etc. Ce texte nous a paru le meilleur qui pût être soumis aux délibérations de (a Chambre. Voilà pourquoi nous avons chosi ce texte, non pas que je veuille, quant à moi, le défendre pied à pied ; mais il a plusieurs avantages sur la loi de 1856. Ainsi au lieu de dire :
« Ne sera pas réputé délit politique, ni fait connexe à un semblable délit, l'attentat contre la personne du chef d'un gouvernement étranger ou contre celle des membres de sa famille, lorsque cet attentat constitue le fait soit de meurtre, soit d'assassinat, soit d'empoisonnement. »
Nous proposons de dire :
« Par exception à l'interdiction mentionnée dans le paragraphe premier de l'article 6 de la loi du 1er octobre 1833, le gouvernement est autorisé à, consentir à 1'extradition, dans le cas où il serait reconnu, après avoir pris sur ce point l'avis de la chambre des mises en accusation, que le fait connexe à un délit politique doit, à raison de son caractère et de sa gravité, être considéré comme un crime ordinaire, et sous la condition que ceux dont l'extradition est demandée ne seront poursuivis ou punis pour aucun délit politique. »
(page 790) Ce que nous proposons est donc véritablement un moyen terme entre le système de la section centrale, qui croyait que la connexité avec un délit politique devait toujours être un motif de ne pas accorder l'extradition et celui du gouvernement qui disait au contraire que cette connexité devait toujours donner lieu à l'extradition.
Jusqu'à présent, messieurs, on ne m'a opposé que des arguments de convenance à l'égard du gouvernement français. Mais quand nous aurons voté la loi, quand la législature belge aura manifesté sa volonté, le gouvernement devant s'incliner devant cette volonté, n'aura qu'une chose à dire au gouvernement français ; c'est que la législature belge ne veut plus de traité d'extradition sur les bases de la loi de 1856. Je suis bien convaincu que le gouvernement français, qui, du reste, n'a jamais été malveillant pour la Belgique, comprendra qu'il faut traiter sur le pied de la loi belge ; car il n'a pas plus envie que nous de se trouver sans traité d'extradition.
Il y aurait autant d'inconvénient pour lui que pour nous, si pas plus, à se trouver dans cette situation. C'est l'éternelle question des traités, des traités de commerce, par exemple, à l'occasion desquels on nous menace sans cesse de représailles. Les avantages que procurent ces traités sont réciproques. Il en est de même des traités d'extradition ; ces traités ne sont pas une concession faite par un gouvernement à un autre, c'est une concession réciproque.
J'invite donc la Chambre à user du droit qu'elle possède de modifier en tout temps une partie de sa législation quand elle le croit nécessaire.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - L'honorable membre me semble tenir fort peu compte des convenances politiques. Il n'en est pas ainsi, messieurs, dans d'autres pays.
L'honorable membre nous dit : L'article 3 du traité complémentaire fait avec la France permet de dénoncer ce traité. Sans doute, messieurs ; mais n'est-ce pas toujours un fait grave que celui de dénoncer un traité ? Est-ce que la législature belge ne doit pas tenir compte d'une pareille considération ? Quant à moi, je crois que oui, et que quand le gouvernement vient vous dire : « Nous ne jugeons pas opportun de proposer une loi qui doit nous obliger à dénoncer un traité et qui peut nous conduire à ne pouvoir plus en négocier un autre », je crois, dis-je, que c'est là une considération dont la Chambre doit tenir compte dans ses délibérations.
A ce propos, qu'il me soit permis de rappeler un incident qui s'est passé dans un pays voisin.
Assurément 1 honorable M. Guillery ne suspectera pas le libéralisme de M. Jules Favre et de M. Picard. Eh bien, il y a deux ans, au mois de mars 1866, M. Jules Favre interpella le gouvernement français pour avoir dénoncé le traité d'extradition avec l'Angleterre et reprocha cet acte au gouvernement français ; il lui dit qu'il aurait dû maintenir le traité. Que répondait le gouvernement français : Nous avons avec l'Angleterre un traité qui date de 1843 et elle ne l'a jamais exécuté. Il a plus : on l'interprète contre nous d'une façon que nous ne pouvons plus admettre. Ainsi, par exemple, le traité portait qu'on devait livrer au gouvernement français les personnes qui seraient accusées de tel ou de tel crime ; eh bien, les juges anglais refusaient de livrer ces personnes lorsqu'elles avaient été condamnées, et ce parce que le texte du traité portait « accusées non condamnées ». Dans de pareilles conditions, disait M. Rouher, le traité devait être dénoncé. Et néanmoins M. Jules Favre, au nom de la civilisation, soutenait qu'il fallait le maintenir pour ne point accorder l'impunité à de véritables criminels.
Or, avec le système de l'honorable M. Guillery, nous n'avons pas de progrès possible en matière d'extradition. Nous pourrions proclamer par la loi les plus beaux principes du monde, mais la loi resterait une lettre morte. Nous ne ferions pas de traités. Ah ! si nous étions en 1856, si nous n'avions pas conclu un traité, sans doute, nous pourrions accepter la proposition qui nous est faite.
Mais nous ne sommes plus dans cette position ; la loi de 1856 est un acte législatif ; un traité a été conclu ; il est exécuté depuis douze ans. Pouvons-nous, dans ces conditions, songer à changer la loi de 1856 ? Il faut des circonstances bien autrement graves ; il faut que nous ayons des chances sérieuses d'aboutir, pour que nous puissions proposer de changer la situation qui nous a été faite.
La loi de 1856 subsistera après le vote, mais je réserve mon opinion pour l'avenir ; il y a beaucoup d'autres lois que j'ai citées hier, que d'honorables membres ont votées, bien qu'elles comprennent des dispositions qu'ils désapprouvent, telles que la peine de mort, l'usure, la liberté des coalitions, etc. Je convie la Chambre à faire la même chose pour la loi de 1856. Chacun réserve son opinion ; la question reste entière. En votant les propositions du gouvernement, nous étendons les cas d'extradition, tandis que si l'amendement de l'honorable M. Guillery était adopté, nous arriverions à cette conséquente de n'avoir peut-être plus de traités d'extradition.
M. Nothomb. - Messieurs, je ne veux dire qu'un mot du côté de la discussion qui m'est personnel.
M. le ministre de la justice prétend qu'il ne pourrait pas abroger la loi de 1856 et par conséquent invalider les traités qui en découlent, parce que j'aurais engagé, il y a 12 ans, l'action du gouvernement belge.
Cela n'est pas sérieux ; non, ce n'est pas sérieusement que M. le ministre de la justice soutient que pour avoir eu une conversation avec un ministre français, j'aurais aliéné à perpétuité la liberté, le droit, l'indépendance de tous les pouvoirs publics en Belgique.
Cela n'est pas raisonnable, j'ai eu cette conférence près d'un mois après que le projet de loi avait été déposé dans cette Chambre, tel que nous l'avons préparé, dans les conditions que j'ai indiquées et sur lesquelles je ne reviendrai plus.
M. le ministre ne croit pas lui-même ce qu'il dit, et ce serait en tout cas me faire trop d'honneur, m'accorder trop d'importance, que d'admettre que j'aie pu ainsi engager par un simple entretien, moralement, et à tout jamais, le droit de la Belgique de dénoncer un traité si elle juge de son intérêt de le faire. Le soutenir serait absurde.
Non, si vous maintenez la loi de 1856 et les traités qui en sont la conséquence, c'est que vous comprenez parfaitement que cette loi est salutaire, nécessaire, qu'elle nous fait une situation de sécurité et de moralité internationales, non seulement vis-à-vis de la France, mais de tous les gouvernements civilisés du monde.
Cette loi est indispensable ; elle n'existerait pas que vous la feriez demain, sinon dans les mêmes termes, mais bien certainement avec toutes ses dispositions. Voilà pourquoi vous maintenez la loi de 1856 et que vous n'y toucherez pas.
J'examine rapidement l'amendement que M. le ministre vient de déposer ; il tend à abroger la loi de 1833, sauf l'article 6. Je ne suis pas opposé à cet amendement.
J'aurais certainement proféré comme plus franche, plus nette, plus loyale, la disposition du projet primitif reproduisant la loi de 1856. C'était la première intention de M. le ministre. Je regrette, pour lui, qu'il s'en soit écarté. Quant à l'amendement actuel, voici mon opinion.
J'étais arrivé, certes sans m'être concerté avec M. le ministre, à une rédaction à peu près analogue ; je me proposais, recherchant de bonne foi un terrain où nous pussions marcher à peu près d'accord, de soumettre à la Chambre une disposition ainsi conçue :
« Art. 13. La loi du 1er octobre 1833 est abrogée, à l'exception de l'article 6 complété par la disposition additionnelle de la loi du 22 mars 1856 qui est maintenue. »
J'énonce dans des termes précis, clairs, sans réticence ou équivoque ce que vous dites au fond dans votre amendement quand vous déclarez abroger la loi de 1833 à l'exception de son article 6.
Or, qu'est-ce que cet article 6 ? C'est d'abord le texte primitif de la loi de 1833, plus l'addition contenue dans la loi du 22 mars 1856, car celle-ci porte expressément ceci :
« Le paragraphe suivant est ajouté à l’article 6 de la loi du 1 octobre 1833. »
Rien de plus évident, de plus palpable ; la disposition unique de la loi de 1856 fait partie intégrante de l'article 6 de la loi de 1833. Eh bien, ma proposition le dirait d'une manière claire et nette ; la vôtre au contraire le dit d'une façon détournée, mais formelle au fond.
Du moment que vous maintenez l'article 6 de la loi de 1833, vous rappelez, par la force même des choses, la disposition additionnelle qui l'a complété. Tous les jurisconsultes, tous les diplomates, tous les gouvernements savent très bien que cet article 6 n'est pas seulement l'article 6 primitif de la loi de 1833, mais que c'est ce même article 6, avec l'addition de la loi de 1856. C'est donc en réalité la même chose ; je dis clairement ce que je veux dire : vous le voulez en le disant par un biais sans dignité.
Entre nous ce n'est donc qu'une question de mots ; embarrassés comme vous l'êtes, vous tenez à vous donner cette satisfaction ; je ne veux pas vous l'ôter. Je voterai donc la disposition, telle que vous la proposez ; mon but est atteint.
Maintenant deux mots sur l'ensemble de la loi.
Dans la section à laquelle j'appartenais, j'ai soumis mes objections que je vais résumer.
A bien des égards, il était nécessaire de compléter la loi par une (page 791) énumération plus étendue de faits pouvant donner lieu à l'extradition ; mais je trouve que sous ce rapport le projet va trop loin.
La loi deviendra, selon moi, trop rigoureuse. Evidemment il faut que la Belgique tienne compte de ses devoirs internationaux, qu'elle assure la répression internationale ; mais il n'était pas nécessaire d'étendre à ce point la nomenclature des cas d'extradition. Elle comprend des faits qui n'ont pas la gravité requise pour donner lieu à la mesure grave de l'extradition.
J'aurais donc souhaité une loi plus sobre d'énumération et qui respectât davantage un sentiment qu'il ne faut pas négliger dans les relations internationales : le sentiment de l'humanité.
Cependant ce n'est pas le seul ni même le motif principal qui m'empêchera probablement de voter pour la loi ; mon objection la plus forte se rapporte à la disposition de l'article 12 qui étend à la matière des expulsions toute l’énonciation des faits de la loi nouvelle.
Ici, on va positivement trop loin. La loi sera excessive, et je tiens que pour ce qui concerne les cas d'expulsion des étrangers, il eût fallu les réduire dans une mesure à convenir.
Ces considérations me dicteront probablement un vote d'abstention.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, je m'étonne vraiment d'entendre l'honorable membre professer l'opinion que la loi est trop étendue, quant aux cas d'extradition.
En 1856, l'honorable M. Nothomb soutenait la thèse contraire, et déclarait que l'avenir était pour cette entente entre les peuples, de manière qu'il n'y eût plus aucun délit impuni... (Interruption.)
Si vous maintenez ce que vous avez dit en 1856, vous n'êtes pas logique en prétendant aujourd'hui que la loi est trop étendue ; ou vous n'avez pas lu le nouveau code pénal ; car tous les faits compris dans la loi en discussion sont des faits très graves qui permettent quelquefois de prononcer jusqu'à trois ans de prison.
M. Nothomb. - Vous y comprenez le duel.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - C'est une toute autre question qui a déjà été soulevée à propos du meurtre, sous la législation actuelle, et que je ne veux pas résoudre. Mais nous avons une loi spéciale sur le duel et cette loi n'est pas visée dans la loi actuelle.
Ensuite, messieurs, l'honorable membre fait une seconde critique de la loi : c'est qu'elle doit s'appliquer aux personnes qui sont poursuivies, condamnées pour les infractions indiquées à l'article premier et qu'on pourra à l'avenir expulser de Belgique. Je crois que cette extension dont il sera usé avec ménagement ne peut être un grief. Il ne s'agit pas, dans ce cas, de réfugiés politiques ; il s'agit de réfugiés des cours d'assises et des tribunaux correctionnels étrangers. Or, notre pays, par suite de sa situation, peut devenir l'asile de toutes les personnes condamnées en France et dans les autres pays voisins ; le gouvernement doit, à l'occasion, pouvoir expulser ces condamnés qui pourraient compromettre la sécurité intérieure de la Belgique.
Lorsqu'on a discuté la loi de 1865, tout le monde a été d'accord pour dire que les personnes qui étaient coupables, qui avaient été poursuivies ou condamnées pour certains délits, pouvaient être expulsées de la Belgique. Il n'y avait d'exception que lorsqu'il s'agissait de délits politiques.
En conséquence, les critiques de l'honorable membre ne sont nullement fondées.
J'arrive maintenant à son appréciation de la dépêche diplomatique qui vous a été lue hier.
L'honorable membre prétend que l'engagement qu'il a pris vis-à-vis de l'honorable ministre de la justice de France est quelque chose de très peu important. Il dit que cela ne devait pas lier la Belgique. J'ai répété à diverses reprises que cela ne pouvait lier la Belgique. Car s'il en était autrement, la législature pourrait être liée à son insu. Il pourrait y avoir des traités secrets qui se feraient entre les gouvernements, et même, paraît-il, entre des ministres, à l'insu de leurs collègues. Car l'honorable vicomte Vilain XIIII n'avait pas connaissance de ces arrangements.
Or, messieurs, nous avons soutenu seulement que l'engagement que l'honorable M Nothomb avait pris avec M. Abattucci, était, au point de vue moral, un fait excessivement grave. Comment ! vous acceptez le traité avec M. Abattucci. Vous vous engagez avec lui ; il croit que vous avez le vote de la législature. Vous étiez chef de majorité ; vous aviez escompté le vote de la majorité ; vous aviez dit à M. Abattucci, et la lettre le constate : Dans le traité d'extradition sera insérée littéralement une clause dans les termes suivants. C'était convenu ; c'était un traité entre le gouvernement belge et le gouvernement français.
Or, pour que vous pussiez insérer cette clause dans ce traité, il fallait que la législature votât la loi. Vous étiez donc lié ; vous aviez fait le traité d'extradition avant d'avoir la loi qui vous permettait de le faire.
L'honorable membre nous invite à faire la réforme ; mais par votre faute, notre position n'est plus la même. Vous nous avez fait la situation mauvaise ; vous avez créé pour le gouvernement français le droit de se prévaloir du statu quo, de se prévaloir des faits acquis ; vous avez créé an argument contre ceux qui voudront plus tard modifier la disposition de la loi de 1856.
Quand on voudra faire sur ce point un nouveau traité, le gouvernement français dira : « Voilà douze ans que cette disposition existe ; elle n'a donné lieu à aucun inconvénient. Vous poursuivez donc un but uniquement théorique. Restons dans le statu quo. » Croyez-vous que cette position ne sera pas forte ?
Et qui nous l'a faite ? C'est vous, c'est votre loi.
Quant au droit de la Belgique, il est évidemment entier. Mais, je le répète, vous avez créé une mauvaise situation au gouvernement et au pays.
M. Nothomb. - J'ai rendu service à la Belgique.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - C'est votre appréciation. Ce n'est pas la mienne.
M. Teschµ. - Il fallait le dire.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Comme on le fait remarquer sur les bancs de la gauche, si vous étiez venu dire à la Chambre : « Nous sommes convenus d'un texte avec le gouvernement français ; c'est à prendre ou à laisser ; voyez si nos bonnes relations avec la France vous paraissent permettre l'adoption de ce texte, » la situation eût été toute différente ; la Chambre aurait vu ce qu'elle avait à faire. Mais vous n'étiez plus libre, et vous n'avez rien dit, vous n'avez pas dit que votre liberté était enchaînée.
M. Nothomb. - Le texte du projet de loi était déposé près d'un mois avant la lettre dont il s'agit.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, cet argument n'a pas la moindre valeur. L'honorable M. Nothomb m'a renvoyé hier aux archives du département de la justice ; il m'a dit : « Si vous cherchez dans ces archives, vous trouverez l'élaboration de cette loi, vous en trouverez le texte ». Eh bien, j'ai cherché et je n'ai pas trouvé.
M. Nothomb. - Je trouverai bien.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Vous ne trouverez pas le texte tel que vous l'avez proposé. Il y a eu des textes qui pouvaient plus ou moins en approcher ; mais il n'y a pas la proposition telle que vous l'avez soumise aux Chambres.
Vous avez envoyé ce texte à un jurisconsulte éminent et ce jurisconsulte vous a dit : Il est vicieux, vous feriez mieux de le changer, en voici un autre. Il vous écrivait le 11 décembre et le 18 décembre vous déposiez le projet malgré les observations de ce jurisconsulte.
Ainsi donc ne dites pas que cela résulte des archives déposées au département de la justice. Sans doute toutes les questions que vous indiquez sont traitées dans les archives ; mais le texte tel qu'il était proposé par les bureaux et par les procureurs généraux n'est pas le texte que vous avez déposé.
M. Bouvierµ. - C'est clair.
M. Nothomb. - C'est clair ! Quand j'aurai vu le dossier. Dans tous les cas, j'en demande communication.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je le tiens à votre disposition ; je vous le passe immédiatement. (Interruption.) Je précise bien. Je ne parle pas des avis des personnes qui ont été consultées et qui ont pu émettre telle ou telle opinion ; je dis que le texte de la loi votée n'est pas celui qui résulte du dossier du département de la justice ; je dis que ce texte ne vous a été présenté par personne et que l'honorable jurisconsulte que vous avez consulté sur ce texte vous en a conseillé un autre.
Je poursuis, messieurs. L'honorable membre dénature complètement les intentions du gouvernement. Il dit : vous avez inséré la loi de 1856 dans le projet de loi actuel, parce que vous avez reconnu l'excellence de cette loi. C'est une erreur complète. Nous avons proposé de l'insérer dans le projet, parce que nous savions qu'il ne nous était pas possible dans le moment de la réformer, qu'il y aurait tout au moins de graves inconvénients à la réformer et que nous ne voulions pas exposer la Belgique à rester sans traité.
(page 792) Au lieu de nous blâmer et de faire le petit incident que vous avez monté hier, vous auriez dû vous taire et nous remercier de ce que nous avions voulu éviter une pareille discussion. (Interruption.)
Mais, messieurs, lorsque l’on dénature la pensée du gouvernement, lorsque l'on prétend, comme hier, que le projet de la loi est la réhabilitation de M. Nothomb, et que l'honorable M. Nothomb, dont la mémoire est si courte, vient nous dire : « Le jour de la réparation, je l'ai attendu bien longtemps ; je l'ai attendu patiemment ; mais enfin le voilà arrivé ! », force nous est de parler et de prendre l'attitude que nous tenons, car nous l'avions dit, si nous insérions la loi de 1856 dans le projet de loi actuel, c'était pour simplifier le débat ; c'était parce que nous ne croyions pas le moment opportun d'en faire la réforme. Mais nous entendions réserver toute notre opinion, et puisqu'on veut nous faire voter sur cette loi, nous disons à la Chambre : Il ne faut pas la voter de nouveau.
La loi de 1856 subsistera mais il n'y aura pas un nouveau vote de la Chambre en sa faveur. Elle ne sera pas rajeunie, elle ne sera pas fortifiée. Elle restera ce qu'elle est : la loi de 1856, la loi dont le texte a été arrêté avant le vote de la législature entre M. Nothomb et M. Abattucci.
M. Jacobsµ. - Messieurs, c'est un singulier rôle que celui que M. le ministre de la justice veut faire jouer à l'opposition : nous n'avons qu'à nous taire et à le remercier. Critiquer ! Fi ! c'est inopportun, imprudent, dangereux.
Si ce n'est que pour encenser en silence que nous sommes ici, mieux vaut nous en aller.
- Plusieurs membres. - Vous l'avez déjà fait.
M. Jacobsµ. - D'après M. le ministre de la justice, il n'y a pas à revenir sur la loi du 22 mars 18.56; le gouvernement français y tient et, plutôt que d'y rien changer, il renoncera à tout traité d'extradition.
Cela a été affirmé d'abord, puis on ajouté une nuance de doute et l'on a dit : « M. le ministre des affaires étrangères pourrait, il est vrai, négocier, mais qu'adviendrait-il s'il ne réussirait pas ? » Avant donc de revenir sur la loi de 1856., il faudra que M. le ministre des affaires étrangères suive les errements de M. Nothomb, qu'il se mette préalablement d'accord avec le gouvernement français. Avant d'être arrivé à cette entente, vous ne proposerez pas de modifier la loi de 1856.
Entre les deux rôles je préfère celui de M. Nothomb ; j'aime mieux satisfaire le gouvernement français en faisant une loi que je crois bonne que de le satisfaire en maintenant une loi que je déclare mauvaise.
Il me paraît, messieurs, qu'il est de la dignité de la Chambre de ne pas laisser cette loi dans les oubliettes. Aujourd'hui que nous traitons la matière des extraditions, il faut que la Chambre se prononce sur la loi de 1856 afin que, maintenue, ce ne soit pas une loi discréditée.
On a beau dire qu’on ne la rajeunira pas, votre vote la rajeunira, s'il ne l'abroge pas. Malgré tous les amendements les mieux tournés du monde vous devrez vous prononcer sur la disposition finale qui porte l'abrogation de cette loi. Si vous décidez qu'elle n'est pas abrogée, vous lui donnez une sanction nouvelle ; si, au contraire, vous l'abrogez, vous serez conséquents avec vous-mêmes, mais alors surgiront toutes les difficultés que vous prévoyez, si tant est que le gouvernement français préfère, ce que je ne puis admettre, n'avoir plus avec nous aucun traité d'extradition, plutôt que de consentir à apporter une modification de forme à la loi du 22 mars 1856.
MfFOµ. - Messieurs, dans la séance d'hier, avant que l'amendement de M. Guillery fût déposé, et alors que je ne soupçonnais pas qu'il pût l'être, j'avais déclaré quelle serait notre attitude dans cette affaire. Après avoir fait connaître l'état de la question, après avoir exposé les faits, j'ai dit qu'il était incontestable que la situation devait être maintenue telle qu'elle avait été faite, que l'on pouvait la regretter, mais qu'il fallait la subir.
L'opinion que j’ai émise alors, je la maintiens à plus forte raison dans la phase nouvelle où cette affaire est entrée.
Les considérations que j'ai exposées justifient parfaitement l'attitude prise par le gouvernement, et l'obligent à repousser cet amendement.
Ou ne tient pas compte, messieurs, du caractère spécial d'une loi d'extradition, ni des circonstances exceptionnelles dans lesquelles la loi de 1856 a été faite. Une loi qui autorise le gouvernement à conclure des traités d'extradition n'est pas précisément une loi ordinaire. Ce n'est pas une loi qu'on puisse aisément modifier, lorsque des traités ont été contractés d'après les principes qui s'y trouvent déposés. Quand des traites ont été conclus dans de telles conditions, il faut nécessairement des raisons très graves pour arriver à introduire dans la législation, des modifications dont la conséquence immédiate serait la révocation de ces traités.
Il y a là une situation internationale toute particulière, extrêmement délicate, et que l'on doit s'attacher à sauvegarder.
Une loi ordinaire, applicable seulement à l'intérieur du pays, peut être assurément modifiée et même abrogée sans qu'il en résulte de bien grands inconvénients ; cependant, c'est un principe pour ainsi dire général, sauf les cas exceptionnels qui se rattachent à des questions politiques, que les lois que l'on a blâmées, critiquées, sont cependant maintenues par l'opposition devenue majorité. C'est ce qui arrive à tous les partis.
Ainsi, avec quelle violence n'a-t-on pas attaqué la loi qui établit un impôt sur les successions en ligne directe ? Eh bien, lorsque nos honorables adversaires, qui avaient combattu cette loi, comme je viens de le rappeler, sont rentrés en possession du pouvoir, ils l’ont parfaitement maintenue. De même lorsque la loi de 1850 sur l'enseignement moyen a été présentée par le cabinet libéral, elle a été attaquée avec une bien autre violence encore au point de vue politique : c'était, disait-on, une loi qui consacrait les principes les plus pernicieux. La loi a été volte, elle a été appliquée, et la droite, redevenue majorité, l'a également maintenue ! Et cependant on pouvait toucher et à la loi d'impôt et à la loi de 1850, sans compromettre en aucune façon nos relations avec l'étranger.
Il n'en est pas de même dans l'affaire qui nous occupe. Nous sommes en présence de la loi de 1856, qui n'a pas seulement des effets intérieurs ; c'est en vertu de cette loi que nous avons conclu des traités internationaux qui imposent des obligations réciproques aux deux Etats contractants. Qu'est-ce donc que la réforme de cette loi ? C'est l'obligation de dénoncer immédiatement ces traités. Eh bien, nous croyons qu'il ne serait pas d'une politique sage et prudente d'en venir à une pareille extrémité.
Et pourquoi surtout nous paraît-il impolitique de remettre en question la loi de 1856 ?
Mais c'est que nous en admettons le principe ; nous l'avons déclaré en 1856 ; il n'y avait pas, entre le gouvernement et nous, de difficulté à cet égard ; nous disions seulement : Votre texte prête à l'équivoque, il peut être étendu d'une manière dangereuse. Ainsi, en matière de complicité, on pourrait donner à ce texte une interprétation que nous ne saurions admettre.
On nous a arrêtés en disant : Vos scrupules sont exagérés ; nous admettons que, dans l'hypothèse que vous indiquez, la loi ne serait pas appliquée. Et nous répondions : Soit ; mais écrivez-le dans la loi ; que le texte soit clair, et ne laisse pas subsister l'équivoque contre laquelle nous réclamons.
Or, aujourd'hui, appelés à exécuter cette même loi de 1856., si le cas qui a fait alors l'objet de nos préoccupations se présentait, nous interpréterions évidemment la disposition dans le sens que nous indiquions, lorsque nous demandions qu'un texte plus clair vînt consacrer cette interprétation.
Mais il y a une seconde considération non moins puissante, sur laquelle j'appelle toute l'attention de la Chambre.
Est-il vrai, oui ou non, que, par une exception extraordinaire, on a concerté le texte de cette loi, avant le vote, de commun accord avec un gouvernement étranger vis-à-vis duquel on a pris des engagements formels ?
Sans doute, on n'a pu enchaîner le droit de la Belgique. Sans doute, on n'a pas aliéné le pouvoir législatif. Vous pouvez incontestablement modifier cette loi. Mais il y a, pour ne pas le faire, une considération politique de la plus haute importance, dont chacun reconnaîtra sans doute qu'il faut tenir grand compte. Est-ce que la bonne foi de la Belgique, est-ce que sa loyauté n'est pas engagée dans cette question ? Pouvons-nous dire que nous désavouons l'acte du gouvernement précédent, qu'il n'avait pas qualité pour négocier sur le texte de la loi ?
Nous croyons que nous en avons le droit, mais nous croyons aussi qu'il ne serait pas d'une bonne politique, de le faire, qu'il y aurait de graves inconvénients et point de profit pour la Belgique, à agir dans ce sens. Par conséquent, en pareille circonstance, nous disons que, dans un intérêt politique grave, nous devons maintenir ce qui est dans les traités.
(page 793) Ce sont là des considérations qui devraient, selon moi, déterminer les auteurs de l'amendement à le retirer. Ils n'ont, en réalité, aucune raison de le maintenir, en présence de la déclaration que nous faisons, que, pour nous, le texte de la loi de 1856 a le sens que nous avons entendu lui donner dans la discussion, et qu'ainsi dans nos mains, ce texte n'est pas susceptible d'une autre interprétation que celle qu'y attachait alors l'opposition.
Je convie donc la Chambre à se rallier à l'amendement que dépose mon honorable collègue M. le ministre de la justice.
Qu'est-ce que cet amendement ? Il sauvegarde tous les intérêts, toutes les opinions, il ne compromet rien. Vous avez voté, quelques-uns d'entre vous au moins ont voté la loi de 1856 ; elle subsiste. Vous avez combattu, au moins quelques-uns, la loi de 1856 ; votre opinion est sauvegardée. La loi est ce qu'elle était ; on n'y touche pas. On n'en dit rien.
L'amendement est ainsi formulé :
La loi de 1833 est abrogée, à l'exception de l'article 6, auquel se rattache la loi de 1856.
De cette façon personne n'est froissé, aucune opinion n'est compromise par le vote qui sera émis.
M. Guillery. - Messieurs, bien que je ne partage pas l'opinion du gouvernement, il est évident que les auteurs de l'amendement doivent le retirer, puisqu'ils ne pouvaient avoir d'espoir de succès qu'en étant appuyés par le gouvernement lui-même.
Je dois cependant dire que je crois, quant à moi, que l'occasion était favorable pour introduire dans la loi de 1856 une rédaction en harmonie avec les idées qui ont été développées lors de la discussion de cette loi.
Je crois que les attaques dont elle a été l'objet ne sont que trop justifiées.
Je crois que le gouvernement français est trop éclairé pour répondre par la suppression de toute espèce de traité d'extradition à la demande que lui ferait un gouvernement, dans les termes où une pareille demande doit se produire, de réviser un traité dans le but de mieux définir la pensée du pays et du gouvernement qui le représente et de faire disparaître les illusions que l'on pourrait se faire à l'étranger sur le sens du traité.
Un tel procédé, messieurs, n'est pas en usage dans les pays civilisés et spécialement en France et il n'est pas à redouter.
Pour moi, je croyais qu'une demande de négociation aurait été accueillie avec la bienveillance et la sympathie qui doivent régner entre des gouvernements amis et qui ont entre eux des rapports de bon voisinage.
Mais, enfin, puisque le gouvernement en juge autrement, les auteurs de l'amendement n'ont qu'une chose à faire, c'est de le retirer et de prendre acte des déclarations de l'honorable chef du cabinet qui sont une garantie pour l'avenir.
M. le président. - Il ne reste donc que la proposition du gouvernement qui consiste à supprimer l'article 7 et, comme complément de cette suppression, à rédiger l'article 13 comme suit :
« Les dispositions de la loi du 1er octobre 1833, à l'exception de l'article 6, sont abrogées. »
M. Woutersµ. - Messieurs, l'observation que j'ai à présenter n'a pas trait à l'amendement que vient de déposer l'honorable ministre de la justice.
Elle concerne un autre point. L'honorable M. Nothomb, dans le jugement qu'il vient de porter sur le projet, a dirigé quelques critiques contre l'article 12, qui rend la loi du 7 juillet I8u5, relative aux étrangers, en outre, applicable à l'étranger, résidant en Belgique, qui a été poursuivi ou condamné en pays étranger pour l'une des infractions prévues par l'article premier de la présente loi. L'honorable membre trouve que cette disposition étend, dans une trop grande proportion, les cas d'expulsion.
Je crois, messieurs, qu'un tempérament pourrait y être apporté. Veuillez remarquer qu'aux termes de l'article 12, la mesure de l'expulsion est générale, et s'applique, indistinctement, aux étrangers poursuivis ou condamnés pour l'un des faits donnant lieu à extradition, et cela sans distinguer s'ils ont ou non subi leur peine.
Que la rigueur des lois s'exerce sur le coupable qui se soustrait par la fuite au châtiment de son crime, qu'il soit envisagé comme un individu dangereux, par les autorités da pays où il se réfugie, rien de plus juste ; mais qu'il en soit de même de l'étranger qui a subi sa peine, qui a payé sa dette a la société, c'est ce que vous admettrez difficilement. Et s'il lui est permis de circuler librement dans son pays, sans pouvoir être inquiété, pourquoi cette même tolérance ne pourrait-elle lui être accordée chez nous ?
Je crois, messieurs, que cette question mérite examen. Je n'ai pas présenté d'amendement dans le sens de ces observations, parce que cet amendement trouvera mieux sa place dans la discussion de la loi nouvelle, destinée à remplacer celle du 7 juillet 1865, dont la durée légale vient prochainement à cesser.
M. Liénartµ. - Messieurs, avant que la Chambre aborde le vote du projet de loi, je désire lui présenter quelques observations que m'a suggérées un incident qui s'est passé, il y a quelque temps, et qui est relatif à l'application de la loi sur les extraditions.
Les formalités que comporte l'extradition ont été édictées par la loi dans l'intérêt de l'individu dont on demande l'extradition. C'est là un point certain, incontestable.
Il peut donc, s'il le juge convenable, renoncer à tout ou partie de ces formalités préliminaires pour hâter l'instant où il sera extradé.
Mais, s'il agit ainsi, il n'est pas exact de prétendre, comme l'a fait un gouvernement voisin, que l'individu se présente volontairement au gouvernement qui a demandé son extradition.
L'individu, dans ce cas, ne va pas spontanément au-devant de la justice de ce gouvernement. Bien au contraire, s'il se livre, c'est parce que les formalités de l'extradition accomplies, il aurait été livré un peu plus tard quand même et malgré lui.
Le cas s'est présenté, et le gouvernement français, car c'est à lui que je fais allusion, a soutenu que l'individu qui, dans de semblables circonstances, se trouvait sous sa main y était non pas en vertu des traités d'extradition, mais par son propre fait, par suite d'une présentation volontaire, et il en a conclu que dans cette hypothèse la loi sur l'extradition n'avait plus rien à faire, que lui, gouvernement, n'était pas lié par les réserves et les garanties inscrites dans cette loi, mais qu'il exerçait la plénitude de sa juridiction ordinaire et commune.
C'était là évidemment une interprétation judaïque et par trop rigoureuse et c'est pour empêcher à l'avenir de pareilles prétentions de s'élever, que je m'étais proposé de présenter à la sanction de la Chambre un amendement ainsi conçu :
« Art. 7bis. Il sera toujours loisible à l'individu dont l'extradition est demandée de renoncer à tout ou partie dès formalités préliminaires de l'extradition.
« Dans ce cas, il n'en sera pas moins considéré comme ayant été extradé et jouira du bénéfice de l'article7. »
A la suite d'un entretien avec l'honorable ministre de la justice, j'ai été amené à renoncer à mon amendement.
Toutefois à raison des inquiétudes que l'incident doit j'ai parlé a éveillées, je crois qu'il serait infiniment désirable que le gouvernement fît connaître publiquement quelle est son opinion dans cette question et par quel moyen il compte à l'avenir faire prévaloir cette opinion vis-à-vis des puissances étrangères avec lesquelles il a contracté des traités d'extradition.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Une difficulté a effectivement surgi entre le gouvernement belge et le gouvernement français au sujet de l'application de la loi sur les extraditions. Le gouvernement français a soutenu que lorsqu'un prévenu lui était livré sans l'accomplissement des formalités inscrites dans la loi de 1833, le prévenu était censé s'être rendu volontairement à la justice de son pays et que dès lors ce prévenu devait répondre de toute espèce de délit.
Cette opinion n'a pas été partagée par le gouvernement belge, nous avons continué à réclamer les personnes ainsi livrées et la cour d'appel de Paris a adopté notre opinion.
Mais pour prévenir le retour des faits dont il vient d'être parlé, pas n'est besoin de disposition dans la loi, il suffit d'une clause dans le traité et cette clause est facile à obtenir.
Lorsqu'un individu ne voudra pas passer par les formalités prescrites par la loi, nous dirons au gouvernement français :L'acceptez-vous ainsi ? S'il s'y refuse, nous ne livrerons pas le prévenu, ou il passera par les formalités prescrites.
(page 793) Le gouvernement français sera averti, les personnes à extrader seront averties. Si un accusé nous dit : Je veux retourner en France quand même ! il est libre, il peut aller répondre à la justice de son pays.
Je crois que ces explications suffiront pour que M. Liénart n'insiste pas sur son amendement.
M. Liénartµ. - Comme je l'ai déjà dit, je n'insiste pas, puisqu'il est entendu que la loi des extraditions doit recevoir l'interprétation que j'ai indiquée et que le gouvernement, après avoir défendu cette interprétation par ses protestations, a pris une mesure qui à l'avenir rendra impossible le renouvellement de ce conflit.
M. le président. - Je viens de recevoir la proposition suivante de la part de M. Jacobs :
« Disposition additionnelle à l'amendement à l'article 13 proposé par M. le ministre de la justice.
« Paragraphe 2 de l'article 13. La loi du 23 mars 1856 est abrogée. »
La parole est à M. Jacobs pour développer sa proposition.
M. Jacobsµ. - Elle est toute développée, M. le président.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je savais que l'honorable membre aimait à faire de l'esprit, mais je ne croyais pas qu'il sût se résigner à en faire à ses dépens. C'est pourtant ce qu'il vient de faire. Il a commencé la discussion qui nous occupe en vantant la loi de 1856, et en nous disant que le jour de la réparation était enfin venu pour M. Nothomb et voilà qu'il se retourne contre M. Nothomb. (Interruption.) Il voterait contre ; mais l'auteur d'une proposition ne doit-il pas la voter ? S'il ne le fait pas, ce n'est pas sérieux.
M. Jacobsµ. - Si j'ai fait de l'esprit, c'est à mon insu ; l'honorable ministre ne fait pas preuve de mémoire, et son collègue de l'intérieur lui a expliqué de suite que je ne propose l'abrogation que pour la faire rejeter.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - C'était donc une mauvaise farce.
MfFOµ. - Je demande la parole.
M. Jacobsµ. - Je ne sais pas si les termes : « mauvaise farce » sont bien parlementaires ; ils sont au moins d'un goût douteux ; mais je sais que le procédé ainsi qualifié avec tant d'atticisme a été pratiqué et que notre spirituel collègue M. Orts, à plus d'une reprise, a déposé une proposition dans le seul but d'en amener le rejet par la Chambre, en déclarant d'avance qu'il voterait contre.
Si ce mode de procéder déplaît à M. Bara, je suis heureux de pouvoir m'abriter derrière l'exemple de M. Orts.
MfFOµ. - Lorsque l'auteur d'une proposition annonce l'intention de voter contre cette proposition, cela indique suffisamment qu'elle n'est pas sérieuse, et dans ce cas, il y a aussi, je crois, des précédents : on oppose à la proposition la question préalable. C'est ce que je fais.
M. Jacobsµ. - Je demande à M. le ministre des finances s'il entend introduire dans le règlement de la Chambre un article d'après lequel on opposera la question préalable à toute proposition dont l'auteur déclarera d'avance qu'il en votera le rejet. (Interruption) Je m'étonne qu'il n'y ait pas songé plus tôt et je désire savoir si l'on compte transformer en règle pour l'avenir ce à quoi l'on n'a jamais songé dans le passé.
- Une voix. - Cela dépend des circonstances.
M. Jacobsµ. - La question préalable a cette signification qu'il n'y a pas lieu de délibérer. Or je crois avoir démontré qu'il y a utilité à ce que la Chambre se prononce sur la question de savoir si la loi de 1856 est abrogée ou non.
Si M. le ministre des finances persiste à opposer à ma proposition la question préalable parce que je propose ce que je ne voterai pas, je me bornerai à substituer une négation à l'affirmation qui s'y trouve et à dire : « La loi du 22 mars 1856 n'est pas abrogée.
Ainsi conçue, je voterai pour la proposition.
MfFOµ. - A cette proposition comme à l'autre, j'opposerai la question préalable, parce qu'elle n'est pas plus sérieuse que la précédente. (Interruption.) Cela n'est pas digne de la Chambre. La loi existe ; il est donc inutile de proposer de dire qu'elle n'est pas abrogée, et à une pareille proposition on ne peut, je le répète, qu'opposer la question préalable.
SI, Jacobs me demande si je veux poser un précédent, et faire décider que la question préalable sera opposée à toute proposition qui ne serait pas sérieuse. Cela dépend des circonstances. Mais si mes souvenirs ne me trompent pas, il y a des précédents dans le sens de la question préalable opposée à des propositions de la nature de celle de M. Jacobs et cela me paraît rationnel, car de pareilles propositions ne sont que des enfantillages. (Interruption.)
L'honorable membre ne peut pas proposer sérieusement l'abrogation de la loi de 1856 puisqu'il la glorifie. Mais il change de thème, et vous propose de déclarer qu'elle sera maintenue. En ce cas, sa proposition est inutile. Quelque forme que l'honorable membre donne à sa proposition, la question préalable doit lui être opposée.
- La discussion est close.
La question préalable est mise aux voix et prononcée.
M. le président. - Il nous reste maintenant à voter sur la proposition de M. le ministre de la justice qui demande d'abord la suppression de l'article 7. Est-ce bien l'article 7 tout entier ? -
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Oui, M. le président.
- La suppression de l'article7 est mise aux voix et prononcée.
M. le président. - Vient maintenant la disposition nouvelle proposée par M le ministre de la justice et qui formerait l'article 12 du projet. Elle est ainsi conçue :
« Les dispositions de la loi du 1er octobre 1833, a l'exception de l'article 6, sont abrogées. »
- Cet article est adopté.
M. le président. - La Chambre entend-elle remettre à un autre jour le second vote ?
- De toutes parts. - Non ! non !
M. le président. - La Chambre manifeste donc son intention de procéder séance tenante au vote définitif sur les amendements.
- Les divers amendements votés dans le cours de la discussion sont mis aux voix et définitivement adoptés.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi.
84 membres y prennent part.
74 membres répondent oui.
6 membres répondent non.
4 membres s'abstiennent.
En conséquence, le projet de loi est adopté, il sera transmis au Sénat.
Ont répondu oui :
MM. Lippens, Magherman, Moncheur, Moreau, Mouton, Muller, Orban, Pirmez, Preud'homme, Rogier, Royer de Behr, Sabatier, Schollaert Snoy, Tack, Tesch, Thienpont, T'Serstevens, Ernest Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vanderstichelen, Van Hoorde, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Overloop, Van Renynghe, Vermeire, Verwilghen, Vilain XIIII, Vleminckx, Watteeu, Wouters, Allard, Ansiau, Anspach, Bara, Bouvier-Evenepoel, Broustin, Carlier, de Baillet-Latour, de Brouckere, De Fré, de Haerne, de Kerchove de Denterghem, Delcour, de Lexhy, de Macar, de Maere, de Moor, de Rongé, de Rossius, Descamps, de Smedt, de Terbecq, de Theux, Dethuin, Dewandre, de Woelmont, de Zerezo de Tejada, Dumortier, Dupont, d'Ursel, Frère-Orban, Funck, Hagemans, Hymans, Jacquemyns, Jamar, Jouret, Julliot, Landeloos, Lange, Lebeau et Dolez.
Ont répondu non :
MM. de Coninck, Delaet, Guillery, Hayez, Jacobs et Le Hardy de Beaulieu.
Se sont abstenus :
MM. Liénart, Nothomb, David et Eugène de Kerckhove.
M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont priés d'en faire connaître les motifs.
M. Liénartµ. - Je n'ai pu voter ni pour ni contre le projet parce que, à mon sens, il étend d'une façon excessive une mesure que je reconnais utile en principe.
M. Nothomb. - J'ai fait connaître tantôt les motifs de mon abstention.
M. Davidµ. - Je n'ai pas voté contre le projet parce que je reconnais la nécessité d'une loi d'extradition ; mais je n'ai pu y donner mon assentiment parce qu'il me semble que le projet va trop loin et que, sous (page 795) prétexte de délits insignifiants, des réfugiés politiques pourraient être atteints.
M. E. de Kerckhoveµ. - Je n'ai pas voulu voter contre le projet parce que, en principe, je reconnais la nécessité d'une loi d'extradition ; je n'ai pas voulu voter pour ce projet, parce que, je l'avoue, je suis effrayé de la multiplicité des cas d'extradition que la nouvelle loi admet, et que, du reste, elle ne tient aucun compte des différences de pénalités et de procédure entre la Belgique et les autres pays.
M. le président. - L'ordre du jour appelle les rapports de pétitions.
- Plusieurs membres. - A mardi !
- La séance est levée à 3 3/4 heures.