(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1867-1868)
(Présidence de M. Dolezµ.)
(page 651) M. Reynaert, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 1/4 heures et donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
Il présente ensuite l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Le sieur Maurice Kœningswerther, fabricant à Bruxelles, né à Rodelheim (Prusse), demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« Le sieur Herman Kœningswerther, fabricant à Bruxelles, né à Rodelheim (Prusse), demande la naturalisation ordinaire. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Mons demandent la révision de la loi du 23 septembre 1842, sur l'enseignement primaire. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur des pétitions relatives au même objet.
« Le sieur Flamand demande la révision de la loi sur l'enseignement primaire ; l'augmentation du contingent de l'armée ; la nomination d'une commission chargée exclusivement de la vérification des comptes de fabrique : une loi décrétant que l'ouvrier employé aux travaux d'un conseil de fabrique ne peut en faire partie. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur des pétitions relatives à la loi sur l'enseignement primaire et du rapport sur le projet de loi relatif au temporel des cultes.
- Renvoi à la section centrale du contingent de l'armée.
« Des habitants de Waterloo demandent la construction du chemin de fer direct de Bruxelles à Charleroi. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des habitants d'Aywaille prient la Chambre de décider que les jeux seront maintenus à Spa aussi longtemps qu'ils existeront en Allemagne. »
« Même demande d'habitants de Jalhay, Sprimont. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget de l'intérieur.
« Le sieur Suret appelle l'attention de la Chambre sur le système de recrutement des candidats à l'emploi d'officier payeur. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur l'organisation de l'armée.
« Des habitants de Courtrai demandent que les deux Chambres soient dissoutes avant tout vote sur la question militaire. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des projets de lois militaires.
« Des habitants d'Hoorebeke-Sainte-Marie demandent le rejet du projet de loi sur l'organisation de l'armée. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
« Des habitants d'une commune non dénommée demandent le rejet du projet de loi qui augmente le contingent de l'armée. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.
« Des électeurs du canton de Perwez prient la Chambre de voter le projet de la commission militaire, avec les crédits nécessaires à son exécution. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi militaire.
« Des habitants de Saint-Job in t'Goor déclarent protester contre les nouvelles charges militaires. »
- Même décision.
« Des habitants de l'arrondissement de Verviers priant la Chambre : 1° de supprimer le tirage au sort et de le remplacer par un mode de recrutement qui répartisse le service militaire sur tous les citoyens en âge de faire partie de la milice nationale ; 2° d'abolir le remplacement ; 3° de ne pas adopter l'exonération ; 4° de rejeter l'augmentation du contingent ; 5° de réduire le budget de la guerre. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des projets de lois militaires et renvoi aux sections centrales chargées d'examiner le projet de loi sur la milice et sur le contingent de l'armée.
« Des habitants de Waudrez demandent le rejet de tout projet de loi qui augmenterait les dépenses militaires, et l'abolition de la loi sur la milice. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des projets de lois militaires et renvoi à la section centrale du projet de loi sur la milice.
« Des habitants de Baillamont demandent l'abolition de la conscription et le rejet de toutes mesures aggravant les charges militaires. »
- Même décision.
« Des habitants de Nivelles demandent l'abolition du tirage au sort pour la milice. »
« Même demande d'habitants de Braine-l'AlIeud, d'Ougrée. »
- Même décision.
« Le conseil communal de Turnhout demande la révision des voies et moyens constituant le fonds communal et prie la Chambre d'adopter une combinaison qui établisse la part de chaque commune dans ce fonds d'une manière progressive. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le ministre de l'intérieur adresse à la Chambre un exemplaire d'annexés à l'exposé de la situation administrative du Hainaut en 1866. »
- Dépôt à la bibliothèque.
« Le ministre de la guerre adresse à la Chambre deux exemplaires de la première partie de la triangulation du royaume, comprenant la mesure des bases et les observations astronomiques. »
- Dépôt à la bibliothèque.
M. Coomans. - Messieurs, depuis trente-cinq ans que je combats la loterie militaire, j'attendais une occasion solennelle pour remplir de mon mieux ce que je considère comme mon premier devoir politique. Je suis heureux que la nouvelle transformation des idées militaires de l'honorable ministre des finances me fournisse cette occasion, et je l'en remercie.
Je serai très modéré.
M. le président. - Je suppose que c'est comme témoignage d'approbation que j'entends ce mouvement dans la Chambre.
M. Coomans. - Les feux d'artifice oratoires sont une habileté quand on a tort, mais la modération est une habileté plus grande quand on a trois fois raison.
Deux choses m'ont particulièrement frappé dans le discours prononcé hier par l'honorable ministre des finances : c'est d'abord l'abandon, l'annonce de l'abandon de ses projets militaires.
L'honorable ministre a commencé par faire réduire de 3,000 a 2,000 le contingent annuel. Lisant entre les lignes de son discours, dans ses yeux peut-être, dans les gestes bienveillants qu'il adressait à l'honorable M. d'Elhoungne, j'ai cru pouvoir conclure que les deux mille hommes seront abandonnés.
MfFOµ. - Vous avez très mal vu.
M. Coomans. - Nous verrons cela d'ici à quelques jours.
Je crois plus, c'est qu'on réduira également le temps de service. On se rattrapera sur les 10,000 miliciens, c'est-à-dire qu'on battra en retraite avec les 10,000, sauf à les surcharger encore et on fera la paix avec les électeurs sur le dos des 10,000. Ils seront bons enfants s'ils se déclarent satisfaits.
Tout en cédant aux meetings d'Anvers qui demandaient la démolition des citadelles, l'honorable ministre les a accablés de ses invectives. (page 652) Maintenant il recule devant les meetings de Liège, mais il les injurie. Là dominent des éléments impurs.
Le deuxième point essentiel du discours de l'honorable ministre, c'est la déclaration, au moins l'insinuation que notre opposition est dictée par une tactique de parti. De la grande question de la défense nationale nous faisons une question de parti ! Cependant l'honorable ministre engage ses « amis de la droite » à marcher en avant avec lui la main dans la main.
Si ses « amis de la droite » répondent à cette gracieuse invitation, il y aura une coalition de faite. (Interruption.)
Il n'y a donc pas de question de parti ; mais il paraît qu'il est permis à l'honorable ministre de poser et d'exploiter des questions de parti, tandis que cela ne nous est pas permis à nous.
Je ne sais pas au juste ce qui se passe entre l'honorable ministre et ses « amis de la droite », mais je sais ce qui se passe entre nous catholiques réformistes et les libéraux libres.
Entre nous et eux, entre eux et nous, il n'y a aucun marché, pas même tacite !
Les croyants et les non croyants croient, affirment ensemble deux choses, à savoir : que la conscription est injuste et que la réforme électorale est nécessaire.
On se récrie contre la coalition, pas contre la coalition qu'on a faite, ou qu'on a essayé de faire, ou qu'on souhaite de faire entre les doctrinaires et les catholiques, mais on crie à la coalition entre les catholiques réformistes que j'ai envie d'appeler catholiques nationaux et les libéraux libres.
M. Teschµ. - Et les autres ne sont pas nationaux.
M.. Coomansµ. - Selon moi, les coalitions qui se font n'importe avec qui pour la liberté, pour la justice, pour le peuple, sont non seulement honorables, loyales, utiles, mais ce sont des œuvres pies.
SI certaine autre coalition dont on s'est entretenu, à tort j’aime à le croire, venait à se produire, je la blâmerais.
Si les ministériels régnants promettaient aux catholiques de renoncer à leurs projets concernant l'instruction primaire, le temporel des cultes et le décret de messidor, je serais indigné.
Pour moi, messieurs, six Malous siégeraient sur vos bancs que je voterais contre les six Malous dans de pareilles questions (interruption) et dans quelques autres.
Vous offririez de faire figurer vos 130,000 soldats dans le cérémonial épiscopal, je vous refuserais encore mon vote dans le problème militariste. Vous offririez de restituer les bourses d'étude, je refuserais encore.
Pour moi les intérêts de la patrie vont avant ceux de mon parti. Dût mon parti s’affaiblir au profit de la patrie, je m'en réjouirais.
Quant au décret de messidor, qui ne me paraît tenir à la Constitution que par un fil usé, supprimez-le, je suis assez disposé à faire gratuitement cette générosité aux libéraux indépendants.
L'honorable M. Frère, toujours charitablement soucieux du salut de nos âmes, et, chose étrange, toujours préoccupé du désir de voir les catholiques, c'est-à-dire l'immense majorité des Belges, se conformer strictement à là dernière encyclique (qui est, dites-vous, inconstitutionnelle), l'honorable M. Frère nous met en garde contre le péché mortel que nous commettons à Liège et ailleurs.
Nous allons dans les meetings nous compromettre avec « toutes sortes de gens », cas prévu par l'encyclique ; nous nous mettons en contact avec les impurs, les hérésiarques du libéralisme, avec les infidèles du libéralisme.
L’honorable M. Frère aime mieux les libéraux fidèles, fidèles envers lui. Oui, les libres penseurs de Liége sont des impurs, des gens qui « exhalent des odeurs méphitiques »... (Interruption) Lisez le discours de l’honorable M. Frère.
MfFOµ. - C'est le mandement.
M. Coomans. - C'est certain ; nos évêques l’ont dit dans leurs mandements à qui ?... (Interruption.) A tout le monde, et particulièrement à M. Frère.
Nous meetingons avec les impurs, nous dînons avec eux, nous trinquons avec eux, la main dans la main, quelle horreur ! nous nous damnons avec eux, M. Frère nous le dit !
Ceci est notre affaire, et je n'implorerai pas de M. Frère un ora pro nobis.
Nous sommes plus coupables que M. Frère né le pense. A mesure que nous hantons les impurs « à odeurs méphitiques », nous sentons quoi ? (Interruption.) Nous sentons se confirmer notre penchant à l'impénitence finale.
Puisque l'honorable M. Frère tient tant à ce que je me confesse, eh bien, je me confesserai à lui, dût-il me refuser obstinément l'absolution.
Révérend ministre, lui dirai-je... (Interruption.) Non, je ne lui parlerai pas ainsi ; c'est trop clérical. Je me plais beaucoup avec les libéraux libres de Liège, d'Anvers et d'ailleurs ; j'y rencontre des hommes de cœur et de talent avec lesquels je signé avec amour la coalition pour la liberté, pour la justice, pour les intérêts supérieurs du peuple.
Si damnation il y a pour moi, le meeting de Liège l'a achevée ; au banquet qui l'a suivi, nous n'avons pas été aussi républicains qu'on l'insinué ; nous avons acclamé une royauté,'là royauté du talent ; nous avons donné la place d'honneur à M. Paul Janson. Moi, je me suis mis à gauche... (Interruption.) Oui, à gauche de l'honorable démon qui présidait, qui présidait en belle, bonne et nombreuse compagnie..
Et de qui, messieurs, ai-je reçu des reproches ? Est-ce des jésuites ? Non, c'est de M. Frère.
La grande préoccupation de l'honorable ministre est de renier sa part de responsabilité d'auteur de l’embastillement d'Anvers. il n'en est que l’éditeur et l'éditeur non responsable, car l’auteur n'a pas été nommé. C'est la Chambre qui a tout fait, en société anonyme !
Les fortifications d'Anvers ne regardent pas du tout le gouvernement, a dit hier M. Frère. C'est la Chambre qui nous a tout imposé, depuis la plus petite enceinte jusqu'à l'enceinte la plus grande. C'est encore la Chambré qui a imposé le doublement à peu près de l'enceinte actuelle.
Quoi ! Les fortifications d'Anvers ne regardent pas du tout le gouvernement, pas plus le cabinet de M. De Decker que les trois cabinets de M. Frère.
Messieurs, cette parole est la plus étonnante que j'aie entendue dans cette Chambre depuis vingt ans que j'ai l'honneur d'y siéger. C'est nous qui avons forcé M. Frère de venir, il y a dix-huit ans, proposer le premier camp retranché devant Anvers, qui devait coûter 1,500,000 francs, trois millions, au maximum ; puis de venir successivement déposer des projets d'agrandissement d'Anvers ! C'est nous, c'est la Chambre seule qui a fait cela !
Ainsi, peu à peu nous avons élevé la dépense de 1,500,000 francs à près de cent millions, chiffre qui sera un jour dépassé.
Messieurs, je repousse cette accusation, dangereuse pour la Chambre, humiliante pour le pouvoir. Quoi ! la Chambre a imaginé et exécuté les fortifications d'Anvers ! Mais alors pourquoi tant peser sur elle ? Comment se fait-il que la très petite minorité qui les voulait soit devenue majorité sous le règne de M. Frère ? Pourquoi nous a-t-on tant suppliés de voter ces fortifications ? Pourquoi des ministres libéraux et catholiques m'ont-ils prié maintes fois de voter pour ces fortifications ou tout au moins de suspendre l'opposition que j'y faisais ? Pourquoi des membres qui disaient non huit jours avant le voté, ont-ils dit oui à l'heure fatale ?
Quand c'est une Chambre qui décide en conscience, elle reste parfaitement libre ; mais quand ce sont de très grands et puissants personnages, des ministres, par exemple, qui insistent vivement, qui posent des questions de cabinet et d'autres questions encore, eh bien, je dis que dans ce cas les consciences ne sont pas absolument libres.
- Voix à gauche. - Oh ! oh !
M. le président. - Respectez la conscience de tous vos collègues, monsieur Coomans.
M. Coomans. - Permettez-moi d'expliquer ma pensée. À quoi servirait la question de cabinet si ce n'était pas pour faire changer les consciences ?
M. le président. - Vous n'aviez pas parlé de question de cabinet.
M. Coomans. - J'en parle maintenant, et j'en ai parlé, je l'affirme.
- Plusieurs membres. - Oui.
M. de Coninckµ. - Je l'ai entendu.
M. le président. - Soit ; mais vous avez parlé aussi d'autres causes, : ce qui avait motivé mon observation.
M. Coomans. - Il y a beaucoup d'autres causes que les questions de cabinet.
M. le président. - Je vous engage à les conserver pour votre conviction intime et à ne pas les exprimer dans cette Chambre.
M. Coomans. - Je demande comment il se fait qu'une Chambre presque entièrement hostile aux fortifications d'Anvers en soit venue à (page 653) les voter. Oh ! M. le président, vous n'avez pas besoin de m'engager à me taire ; je me tais dans l'intérêt du pouvoir, dans l'intérêt de la Chambre.
- Des membres (à gauche). - Parlez ! Nous vous le demandons en grâce.
M. Coomans. - Ne me forcez pas à parler.
- A gauche. - Parlez ! parlez !
M. Coomans. - Je puis dire ceci : peu de jours avant le vote des fortifications d'Anvers, des membres de la droite et de la gauche m'ont dit qu'il était bien déplorable qu'on insistât tant pour les faire voter ; que c'était un mauvais système qui pourrait perdre le pays. (Interruption.)
Voulez-vous que je dise davantage ? Dois-je aller plus loin ? (Interruption.)
- A gauche. - Allez f allez !
M. Coomans. - C'est, de votre part, une audace bien imprudente...
M. le président. - M. Coomans, vous avez annoncé, au début de votre discours, que vous seriez modéré, je vous engage à rester fidèle à ce programme.
M. Coomans. - Il me paraît que ce sont ces messieurs qui veulent me faire parler, qui ne sont pas modérés.
M. le président. - Vos insinuations sont plus offensantes que ne le pourraient être vos paroles.
Voici un mois que nous discutons dans le calme, et je vous engage à garder cette altitude.
M. Delaetµ. - Si vous donnez suite à la provocation, M. Coomans, dès que vous parlerez, M. le président vous empêchera de continuer.
M. le président. - M. Delaet, dans l'intérêt de la dignité de cette Chambre, je vous rappelle à l'ordre.
M. Delaetµ. - L'honorable président a dit tout à l'heure à l'honorable M. Coomans qu'il n'avait pas le droit d'assigner à un vote de la Chambre une autre cause de pression que la question de cabinet. Vous avez donc, M. le président, interdit à l'orateur de faire même allusion a toute autre cause.
L'orateur s'explique; mais, respectant votre recommandation, il ne va pas jusqu'au bout, ne dit pas tout ce qu'il pourrait dire ; la gauche l'interpelle, le provoque, sûre que du moment qu'il parlera, vous lui interdirez de continuer, par respect pour le règlement.
Dans ce que j'ai dit, il n'y a eu aucune allusion à la conduite de M. le président, que je reconnais être impartial, bien qu'il vienne de me rappeler à l'ordre.
Je rends donc justice à la parfaite impartialité de l'honorable président. Il y a eu, je le répète, de ma part aucune allusion désobligeante pour lui ; je me suis borné à dire que M. le président interdirait la parole a M. Coomans, parce que le règlement lui ferait une loi de ne pas la lui laisser.
Si la Chambre veut maintenir le rappel à l'ordre, soit ! j'ai tenu à m'expliquer, non pas à me disculper.
M. le président. - J'ai rappelé M. Coomans à la modération ; j'ai pu lui dire que quand il imputait à des membres de la Chambre d'avoir voté sans liberté de conscience, il offensait ses collègues. Je crois qu'il n'y à pas un seul membre de la Chambre qui puisse blâmer ce que j'ai dit à cet égard. Si ces insinuations étaient dirigées contre des membres de là droite, ils peuvent être convaincus que je les protégerais contre de pareilles offenses.
Il n'est pas un acte, dans ma courte carrière présidentielle, qui ne puisse vous donner cette conviction : c'est que mon plus grand soin est de garder votre dignité à tous et le calme de vos délibérations.
Maintenant lorsque j'engageais M. Coomans à la modération, M. Delaet s'est écrié : Le président ne vous laissera pas parler ! J'ai considéré ces paroles comme une offense, non pour moi, mais pour l'autorité de la Chambre dont je suis le représentant. Si M. Delaet ne l'a pas entendu dans ce sens, s'il a voulu dire seulement que j'aurais le devoir de faire taire M. Coomans, si son interruption n'avait que cette signification, je n'ai pas de raison de le rappeler à l'ordre.
M. Delaet, est-ce dans ce sens que vous l'avez entendu ?
M. Delaetµ. - Evidemment, M. le président.
M. le président. - Dans ce sens, je n'ai pas de raison de maintenir le rappel à l'ordre.
M. Coomans s'est engagé à être modéré ; je l'engage de nouveau à rester fidèle cet engagement, et nos débats continueront dans le calme,
M. Coomans. - Je regrette que M. le président, ne me fasse pas l'honneur de m'écouter attentivement. (Interruption.) Il vient de me dire que je n'avais pas parlé de la question de cabinet. J'en avais parlé, toute la Chambre le sait. Secondement, M. le président affirme que c'est un reproche que j'ai fait tout à l'heure à la gauche seule. Il n'en est rien ; j'ai dit : D'honorables collègues de la gauche et de la droite.
M. le président. - Peu importe. La dignité de tous les membres de la Chambre est sous la protection du président et il entend maintenir cette dignité. Il n'y a pas, pour le président, de gauche et de droite ; il y a des collègues ; il y a une Chambre.
- Des membres. - Très bien !
M. Coomans. - Oui ; mais je désire que quand vous blâmez mes paroles, vous les rappeliez exactement.
M. le président. - C'est ce que je fais.
M. Coomans. - Vous venez de me dire que c'était à là gauche que s'adressaient mes réflexions. (Interruption.) Oui, l'honorable président l'affirme ; sa loyauté le reconnaît. Eh bien, il n'en était rien. C'était une réflexion générale à l'appui de mes arguments et en réfutation de ce qu'avait dit hier l'honorable ministre.
M. le président. - Je répète que je ne veux d'interprétation désobligeante pour aucun de mes collègues. Continuez ; je vous engage de nouveau à y mettre de la modération.
M. Coomans. - Je le répète : Que signifie une question de cabinet, si ce n'est pas l'ordre ou l'invitation adressée à quelques membres de ne pas voter selon leur conscience ? Car si la conscience doit seule parler, à quoi bon les questions de cabinet ? Poser une question de cabinet n'est jamais faire un appel à la conscience. Je n'aime pas les questions de cabinet ; je m'en irais plutôt que d'en poser une ou d'en agréer une dans le sens que vous leur donnez.
Du reste, messieurs, je dois vous le dire, je me propose d'être assez long, et si vous vous obstinez à m'interrompre, je serai infiniment plus prolixe que mon intérêt et le vôtre ne me le conseillent.
Si c'est la Chambre qui a mené le ministère, si ce n'est pas le ministère qui a conduit la Chambre dans cette question d'Anvers, comment l'honorable M. Frère a-t-il transformé en parti militariste le parti libéral qui était antimilitariste en 1849 ? D'où vient le chassé croisé que les deux fractions de la Chambre ont opéré ?
Oui, M. le ministre, l'embastillement d'Anvers est votre œuvre ; en vain la nierez-vous ; vous demeurerez responsable de cette œuvre, même des catastrophes éventuelles.
Est-ce encore la Chambre qui nous fait démolir la citadelle de Gand et les deux citadelles d'Anvers, ces citadelles anversoises que le Chambre avait, dites-vous, imaginées et qu'elle a solennellement déclarées sacro-saintes ? Non, la démolition de la citadelle de Gand est le payement du beau discours de l'honorable M. d’Elhoungne.
M. le président. - M. Coomans, je vous engage à retirer cette expression.
M. d'Elhoungneµ. - M. le président, cette expression ne me blesse pas.
M. Coomans. - Comment ! hier M. le président à laissé dire que j'excite les pauvres contré les riches !
M. le président. - Cela s'adressait à des doctrines, dont l'appréciation doit être libre.
M. Coomans. - Cela s'adressait à plusieurs d'entre nous, et je ne me suis pas plaint, tant je suis ami d'une liberté large de discussion. Mais si je ne puis pas exprimer une pensée qui est la mienne, qui est celle de l'immense majorité du pays. (Interruption.)
Mais c'est une appréciation... (Interruption.)
Je suis ici pour exprimer mes idées et non pas les vôtres. Et quand cela serait vrai, qui est-ce que je blesse ? Je ne blesse absolument pas l'honorable M. d'Elhoungne, orateur fort, plus fort peut-être que la citadelle de Gand et que d'autres citadelles.
Est-ce que je blesse les Gantois ? Non. Est-ce que je blesse le ministère ? Mais le ministère reconnaît lui-même qu'il faut parfois faire des concessions non réclamées par l'intérêt public.
M. le ministre veut faire des concessions à droite et à la gauche surtout à gauche. Eh bien, en voilà une de plus, pour M. d'Elhoungne tout seul.
Quant aux deux citadelles d'Anvers, vous les sacrifiez un peu aux meetings et beaucoup à l'honorable M. Loos.
Je dis que l'honorable M. Frère est responsable de la transformation du libéralisme en militarisme. En effet, il en est convenu hier ou bien (page 654) peu s'en faut, l'intérêt de son parti l'engagerait à assumer seul la responsabilité des projets militaires (Interruption.)
Je l'ai bien entendu, mais son patriotisme et d'autres raisons encore par exemple le besoin absolu d'un appoint, l'engagent à solliciter le concours de ses « amis de la droite ».
Messieurs, avant de reprendre le fil du discours que j’avais préparé, je vais relever quelques allégations de l'honorable M. Frère dans l'ordre où il les a produites. Je serai très concis, me fiant à la mémoire et surtout à l'intelligence de mon honorable auditoire.
Lord Palmerston n'a pas pesé sur nos votes militaires ! IIlest antipatriotique de le supposer et le dire est un acte très antipatriotique ! Mais M. Thiers a pesé sur nos votes militaires, il est bon de l'affirmer même contre l'évidence !
Nous avons subi un affront en 1840 et nous sommes heureux de l'avoir subi, car c'est un fameux argument à l'appui des projets militaristes !
Mais nous n'avons pas subi la pression de lord Palmerston en 1858 ! Bah ! On n'écoute pas les Anglais ! Les Français, à la bonne heure ! Eh bien, je mets les uns et les autres sur la même ligne, et je voudrais n'écouler que l'intérêt national. (Interruption.)
Vous ne deviez pas écouter les conseils de M. Thiers, vous ne deviez pas vous en émouvoir quand vous dites qu'il eût été honteux de suivre ceux de lord Palmerston.
M. Frère a affirmé, il a presque démontré que notre système de fortifications de 1815 était absurde, impossible. Impossible ! c'est-à-dire qu'il exposait continuellement la Belgique à une invasion, à la suppression de son indépendance nationale. Si cela est vrai, pourquoi avez-vous attendu vingt-neuf ans pour le dire, pour changer une si mauvaise situation pour mettre la Belgique en mesure de rester maîtresse de son sort ?
S'il est vrai que la défense nationale était organisée dans des conditions détestables avant 1859, comment ne l'avez-vous pas dit plus tôt ? Comment n'y avez-vous pas pensé plus tôt ? Comment n'y avez-vous pas pourvu plus tôt ? Oh ! à cette question-là encore je ne recevrai pas de réponse.
Autre argument de l'honorable ministre : En Suisse il y a plus de journées de travail perdues par suite du service militaire, qu'en Belgique.
Or, messieurs, cela est manifestement inexact. La Belgique a constamment sous les armes 35,000 hommes, constamment, depuis le 1er janvier jusqu'à la Saint-Sylvestre ; en Suisse, il y a peut-être 100 hommes sous les armes, sauf, au mois de juillet, une revue générale, durant quinze jours à un mois.
J'ai consulté un honorable officier (il y en a beaucoup, j'aime à croire qu'ils le sont tous), et il a calculé, affirmé que l'assertion est complètement inexacte, qu'il y a en Belgique deux fois plus de journées de travail perdues qu'en Suisse.
Voilà encore un fameux argument qui part comme une fusée et disparaît en fumée comme les autres.
MfFOµ. - Je n'ai pas dit un seul mot des journées de travail.
M. Coomans. - Je tiens plus à ma cause qu'au triste plaisir de vous contredire ; si vous reconnaissez qu'il y a moins de journées de travail perdues en Suisse...
MfFOµ. - Je ne reconnais rien ; je n'ai point parlé de journées de travail. Gardez tout cela pour vous. Ce sont de pures inventions.
M. Coomans. - L'argument reste toujours pour moi ; c'est-à-dire qu'il y a deux fois plus de journées de travail perdues en Belgique qu'en Suisse, pour cause de militarisme.
L'honorable ministre a fait un grand éloge de l'honorable M. Delfosse. Il nous a même assuré que l'honorable M. Delfosse était un citoyen modèle et il nous a lu, en guise de leçon, quelques paroles de l'honorable M. Delfosse.
Messieurs, je m'associe de bon cœur aux justes éloges faits à cet égard de l'honorable M. Delfosse.
Mais il m'est bien permis de faire remarquer que l'honorable M. Delfosse a toujours voté contre le budget de la guerre ; que M. Delfosse n'a pas seulement approuvé l'opposition que j'y faisais, mais qu'il m'a dix fois excité à la faire plus vive encore.
Or, si l'honorable M. Delfosse est un citoyen modèle quoique ayant toujours voté contre le budget de la guerre, comment suis-je un mauvais patriote quand je fais, dans la mesure de mes forces et modérément ce que l'honorable M. Delfosse faisait avec beaucoup plus d'autorité que moi.
Ah, messieurs, l'honorable M. Delfosse était un excellent citoyen, je puis le dire, j'en sais quelque chose, du moins à mon point de vue.
Maintes fois il a dit sur le militarisme des choses que j'oserais à peine répéter ici ; il m'a félicité le jour où lui et moi nous avons manifeste notre répugnance d'aller à la cour avec une épée à notre côté.
M. Allard. - Vous y avez été avec une épée au côté.
M. Coomans. - Il m'a encouragé à persévérer dans ce refus, dont nous sommes revenus l'un et l'autre, sans question de cabinet. (Interruption.)
Mais, dit l'honorable M. Frère, vous craignez qu'une bonne armée de 50,000.à 100,000 hommes n'allèche les convoitises guerrières de l'étranger et que nous ne soyons d'autant plus exposés à l'annexion que l'étranger éprouvera un plus vif désir de s'adjoindre notre belle armée. Alors, ajoute M. Frère, comment osez-vous demander une armée de 400,000 à 500,000 hommes ? Est-ce qu'une armée de cette importance ne paraîtra pas un motif d'annexion bien plus alléchant ? Mais, voici l'extrême et visible différence.
C'est qu'une armée permanente organisée comme telle est facilement annexée.
On annexe vite des armées permanentes. Cela s'est toujours fait, cela se fera encore, mais on ne s'annexe pas des nations armées. cette armée de 400,000 à 500,000 hommes ne vaudrait rien au loin au service de l'étranger ; elle déserterait le lendemain et elle ferait bien. (Interruption.)
Il m'est permis à moi de rendre hommage à l'honorable M. Delfosse, parce que sur cette question-ci, je professe les mêmes idées que les siennes et si son patriotisme est un patriotisme modèle, encore une fois comment peut-on trouver le mien insuffisant ?
Messieurs, l'honorable M. Frère avoue qu'on a souvent craint d'engager trop les finances de l'Etat. Donc il ne peut reprocher à personne de se préoccuper des convenances financières du pays.
Autre argument encore. Quand nous nous plaignons des énormes sacrifices financiers que l'armée nous a arrachés depuis 1830, à coup sûr inutilement depuis 1839, l'honorable M. Frère nous répond : « Mais ne faut-il pas porter aussi en ligne de compte le budget de la justice, tout au moins quant aux appointements des juges, de tout le personnel des tribunaux, de la gendarmerie, comme vous le faites pour les officiers de l'armée ?
Mais, messieurs, quelle différence !
La justice est nécessaire en tout temps, vous ne pouvez vous en passer un seul jour. Quand notre grande armée a-t-elle été utile ou indispensable ?
Pas une fois depuis 1830 et à coup sûr depuis 1839.
Sans manquer au respect que je lui dois, à toute la sympathie que je lui ai vouée, je puis affirmer que le milliard et demi, je dirai les deux milliards qu'elle a coûté depuis 1830 sont en grande partie des fonds perdus.
Assimiler un service nécessaire à un service facultatif, luxueux et éventuellement utile, c'est abuser de la logique, c'est confondre le pain avec le fer, le morale avec la gloriole.
Nous ferons un jour notre compte, je ne veux pas y insister, pour le moment ; cela me mènerait trop loin, mais, il sera facile de démontrer que contrairement aux allégations de l'honorable M. Frère (plus habile que, moi en fait de groupement de chiffres, je le reconnais, mais le lendemain ou le surlendemain on y voit plus clair), il sera facile de démontrer que le coût réel de notre établissement militaire a été de plus de deux milliards depuis 1830.
Il serait de 2 1/2 milliards et peut-être de 3 si, comme de raison, on portait au mali du bilan tous les sacrifices arrachés aux familles, toutes les pertes de travail occasionnées au pays.... mais vous arriveriez à 4 à 5 milliards peut-être.
L'honorable M. Frère s'indigne qu'on ose demander la dissolution de la Chambre, c'est-à-dire l'appel au corps électoral sur la question militaire.
Et pourquoi pas ? N'est-ce pas la question qui intéresse le plus la nation ? N'est-ce pas celle qui, à coup sûr, la préoccupe le plus ?
Ne faites pas fi des dissolutions quand vous en avez décrété pour une question d'impôt, une question qui a séparé de vous les hommes les plus honorables des deux partis, la question de l'impôt des successions en ligne directe.
Pour cela, vous avez fait un appel au pays et vous n'oseriez pas en faire un, quand 30.000 pétitionnaires vous y convient ! (Interruption.)
Il n'y a encore que 21,000 pétitionnaires, dit l'honorable M. Frère. (page 655) Mais, en qualité de représentant de Liège, l'honorable ministre aurait dû vous apprendre que nous avons reçu hier de Liège une pétition signée de 2,000 citoyens liégeois. Cette pétition ne figure pas dans ses calculs.
Elle est assez belle ; j'affirme qu'elle est authentique, car elle a été signée au sortir du meeting et si les 6,000 personnes qui y assistaient et les milliers d'hommes qui auraient voulu y assister... (Interruption.) Oui qui en ont été empêchés pour diverses causes, vous en auriez eu 20,000 ou 30,000. Et vous auriez eu un bien plus grand nombre de signatures si le temps n'avait pas manqué, mais il n'y avait qu'une ou deux portes au meeting et il eût fallu des heures pour faire signer tout le monde. Du reste, les acclamations qui se sont produites unanimement valent les signatures de tous.
Messieurs, les 75,000 signatures de 1858 ont bien leur éloquence. On oublie qu'il y avait là 2,500 bourgmestres et échevins qui demandaient généralement l'abolition de la loterie militaire.
Aujourd'hui, dit l'honorable M. Frère, il n'y en a que 21,000. Il les a comptées.
Car, s'il ne les a pas comptées lui-même, j'oserai lui dire que le chiffre cité par lui est très inexact...
MfFOµ. - Il est très exact.
M. Coomans. - Les avez-vous comptées ?
MfFOµ. - Je les ai fait compter.
M. Coomans. - D'ailleurs, quand il n'y aurait jusqu'il y a quelques jours, que 21,000 signatures, n'est-ce pas beaucoup et n'est-il pas convenable d'avoir égard à des vœux aussi généralement exprimés ? Du reste nous ferons un jour, j'espère, le relevé des pétitions, et je saisis cette occasion pour recommander au bureau de la Chambre et à messieurs du greffe d'avoir soin de toutes les pétitions, même de celles qui ne sont pas déposées actuellement sur le bureau et de celles qui sont déposées ou au greffe ou dans les sections centrales.
L'honorable M. Frère aime les paradoxes, c'est sur ce terrain-là que son talent artistique brille le plus. Le principal paradoxe de son discours d'hier consiste à dire que le pauvre est intéressé à ce que la conscription soit maintenue. Oui, messieurs, c'est dans l'intérêt du pauvre que nous maintenons la conscription ! le riche n'y est pour rien, pour 6 ou 7 p. c. !
Mais, messieurs, les 3/4 des miliciens sont des pauvres et c'est pour eux qu'il faut maintenir la conscription et nous nous trompons, nous autres, quand nous pensons qu'une somme de 1,000 à 1,500 fr., ne fût-ce que 700 fr., est une grosse charge pour les pauvres, pour les artisans, pour les petits cultivateurs.
Du tout, assure-t-on. L'honorable M. Frère a parmi ses chiffres (Dieu sait quelle collection il eu a !), l'honorable M. Frère a parmi ses chiffres la preuve que la plupart des remplaçants sont fournis par le peuple, et même, chose miraculeuse ! par ceux qui n'ont pas d'argent, par ceux qui ne payent pas un centime d'impôt direct, par de simples ouvriers.
Mais l'honorable ministre ne vous dit pas que sur les 10,000 appelés chaque année il y en a plus de 7,000 qui servent en personne, c'est-à-dire les 3/4, l'inverse du chiffre de M. Frère ; et que si ces 7,000 appelés ne recevaient pas l'avertissement préalable ou postérieure de la gendarmerie, il n'en viendrait pas un seul. (Interruption.) Essayez un peu.
L'honorable ministre de la guerre me disait (je ne sais au juste si c'est à moi, dans tous les cas cela ne m'a pas humilié), l'honorable ministre de la guerre nous disait qu'on riait de nous dans les casernes, que les soldats, les miliciens surtout étaient tellement heureux, qu'ils ne comprenaient pas qu'on pût tant se préoccuper de leur sort !
Si le bonheur des miliciens encasernés est tel, essayez un peu de les lâcher et vous verrez combien il vous en reviendra le lendemain.
La vérité est qu'il n'y a que le pauvre intéressé dans la loterie militaire, intéressé par le cœur qui est bien une partie importante de l'homme et de la femme. (Interruption.)
L'heure est mal choisie pour ricaner, messieurs, car il y a eu hier encore loterie à Bruxelles, à Schaerbeek du moins. Mon fils Paul a dû y prendre part ; eh bien croiriez-vous que je ne sais pas encore quel numéro il a eu, bon ou mauvais ?
Pourquoi m'en serais-je inquiété puisque je l'avais fait assurer pour une petite somme, pour une somme qui dépasse à peine un mois d'indemnité que je reçois ici pour faire des discours que vous n'approuvez pas. (Interruption.)
Eh bien, me promenant le soir avec un ami dont le fils Pierre avait tiré au sort également, j'appris de lui qu'il était dans le même cas que moi et qu'il ne connaissait pas le numéro qu'on avait tiré pour son fils.
Mais il fallait voir hier et il faut voir chaque fois quelle émotion produit la loterie dans le peuple, dans le cœur des mères surtout. (Interruption.) Est-ce que les mères ne sont pas des Belges ? Est-ce qu'elles ne sont pas des êtres humains !
Mais, dit l'honorable M. Frère, quel intérêt peut donc avoir le pauvre à ce que le riche serve ? Ou vous l'a dit et redit, c'est que le sort du soldat, du milicien sera considérablement adouci et rendu plus digne la jour où nos enfants à nous et nos neveux devront servir avec les enfants du peuple. Cela ne saute-t-il pas aux yeux ?
Je le demande à M. Frère : si votre jeune fils au lieu d'être nommé juge dans un des trois chefs-lieux de nos cours d'appel, avait dû porter le sac dans quelqu'un de nos régiments, est-ce que ce régiment et les autres ne seraient pas mieux soignés qu'ils ne le sont aujourd'hui ? Je l'affirme pour lui, et comme je l'affirme pour moi, dans la même hypothèse, il n'y a pas d'injure à faire la question à M. Frère.
Voilà l'intérêt du pauvre, à part le principe de l'égalité qui n'est pas à dédaigner chez un peuple libre ; oui, à part le principe de l'égalité, l'enfant du peuple a un grand intérêt à ce que l'enfant du riche serve à côté de lui pour la raison que je viens de dire et pour d'autres encore.
Mais, ajoute M. Frère, le pauvre souffre beaucoup moins que le riche de l'obligation de servir.
C'est le contraire qui est vrai ; je vous demande un peu quel grand malheur il y aurait pour la patrie, pour la prospérité publique et même pour l'ordre public si des jeunes gens qu'on appelait des lions dans ma jeunesse, qu'on appelle des cocodès aujourd'hui et qui ne font pas grand chose de bon précisément parce qu'ils ne font rien du tout, si ces jeunes gens devaient aller servir à côté du cultivateur qu'on arrache à sa ferme en ruinant parfois sa famille, à côté d'un pauvre ouvrier de la ville à qui l'on enlève son gagne-pain !
L'obligation de servir est plus fatale aux pauvres qu'aux riches, physiquement, moralement et économiquement parlant.
Mais, dit l'honorable ministre, les petites gens, les ouvriers remplacent. D'abord je n'en crois rien, mais il y a une chose que je crois et que l'honorable ministre reconnaîtra vraie s'il veut pousser plus loin ses investigations de statistique et d'arithmétique ; c'est que tous les remplacés, à très peu d'exceptions près, et, pour ma part je n'en connais pas une seule, tous les remplacés sont fils, neveux ou cousins d'électeurs.
Oui, tous les remplacés appartiennent à des familles d'électeurs ; et d'ici, messieurs, vous voyez l'intérêt qu'a le corps électoral à maintenir un système dont il ne souffre guère. (Interruption.) Murmurez, mais réfutez-moi, si cela ne vous gêne pas trop.
Je disais tout à l'heure que 7,000 miliciens marchent annuellement, sous la contrainte de la force ; et cela est vrai : tous les ministres le reconnaissent, puisqu'ils déclarent qu'il n'y a pas ou presque pas de volontaires proprement dits, c'est-à-dire de jeunes gens qui vont s'engager simplement pour leur compte.
Messieurs, si la nouvelle définition que le ministère nous donne de la neutralité belge est vraie, et si nous devons la mettre en pratique, si notre devoir est d'empêcher à tout prix que l'Allemagne ou la France, la France et l'Allemagne peut-être, violent notre sol ; si cela est vrai, nous assumons là une charge au-dessus de nos forces, et notre intérêt est de supprimer une neutralité aussi onéreuse, aussi insupportable. Cette virginité nationale qu'on nous donne à garder est un fardeau trop lourd pour la petite Belgique militariste, qui est, dit-on, l'objet de tant de tentations irrésistibles.
Hâtons-nous, dans cette hypothèse, qui est celle du ministère, hâtons-nous de délier la Belgique du vœu de chasteté militaire, vœu qui pèse tant à notre armée. (Interruption.) Et je le dis à sa louange : Nos bataillons veulent se battre, et les bataillons qui n’aspireraient pas à se battre seraient de mauvais bataillons.
- Plusieurs membres. - Très bien.
M. Coomans. - Hâtons-nous donc alors de nous délier de notre vœu de chasteté militaire et procédons au plus vite à de justes noces, justae nuptiae avec l'un ou l'autre de nos puissants voisins, afin que nous ayons tout au moins la liberté des alliances.
- Un membre. - Cela est discutable.
M. Coomans. - C'est pour cela que je discute.
Entre autres choses singulières qui nous ont été dites, officiellement dites à la tribune, et dans les papiers gouvernementaux, figure celle-ci : (page 656) c'est que nous devons combattre résolument la première armée étrangère qui violera notre territoire.
Or, à part les hautes considérations, selon moi parfaitement justes, que l'honorable M. de Theux nous a présentées pour nous montrer l'absurdité de ce système, il y a encore ceci à dire : c'est que le premier étranger qui violera le territoire belge sera le plus fort, le plus fort avant la lutte ou le plus fort après la victoire ; et si nous prenons dès aujourd'hui l'engagement de courir sus au premier étranger qui violera le sol national, nous prenons un engagement téméraire ; et, au lieu de faire des fanfaronnades aussi dangereuses, nous aurions beaucoup mieux fait de garder le silence et d'attendre les événements.
- Plusieurs membres. - C'est évident.
M. Coomans. - Certainement. On allègue beaucoup la responsabilité ministérielle. Nous sommes incompétents, nous ferons bien d'en croire MM. les ministres, particulièrement M. le ministre de la guerre, mais même les autres ministres.
Nous sommes incompétents !
Mais si cela est vrai, que faisons-nous ici ? Pourquoi ces discussions puériles, incompétentes ? Donnons plutôt un blanc-seing à M. le général Renard et à M. Frère et attendons les hautes décisions que prendront ces ministres.
Mais, messieurs, il y a d'autres responsabilités encore que celle des ministres : il y a d'abord la nôtre. Est-ce que, par hasard, nous ne sommes pas responsables, nous ? Sans doute le gouvernement est responsable ; mais les membres de la Chambre ne le sont-ils donc pas ? Notre responsabilité est égale à celle des ministres et il y aurait de la lâcheté de notre part à accepter cette objection que nous sommes incompétents, que nous devons croire aveuglément ou à peu près, MM. les ministres, afin de n'assumer aucune responsabilité.
Eh bien, cela n'est pas vrai. La vérité est que nous sommes responsables, que nous devons en conscience examiner toutes les questions qui nous sont soumises et surtout voter de préférence dans le sens national pour mériter ce titre de représentant de la nation, dont nous ne devrions pas indûment nous affubler.
Mais, après la responsabilité du Roi, après celle du gouvernement, après celle des membres des deux Chambrés, il y a encore bien d'autres responsabilités : il y a là responsabilité des électeurs, il y a la responsabilité des journaux, il y à la responsabilité des non-électeurs indûment exclus des comices.
Mais tout Belge est responsable, dans la mesure de son influencé, des destinées de là patrie. Oui, le manouvrier, le valet de ferme est responsable des destinées de la patrie. Chaque citoyen a son influence à exercer dans un cercle quelconque : le cercle de l'un est plus grand, le cercle de l'autre est. plus restreint ; mais la responsabilité est générale. Et pourquoi pas, puisque l'honneur est général, puisque la punition est générale ?
L'honneur est général quand on réussit en défendant une bonne cause ; et la punition est générale quand on échoue par sa faute. (Interruption.)
On laisse de côté depuis quelques jours l'argument du manque de patriotisme ; on a raison, car cet argument est dangereux.
Dire aux adversaires des projets de lois militaires qu'ils manquent de patriotisme, c'est affirmer que la Belgique ne s'aime plus elle-même ! Oui, je déclare que l'immense majorité de la Belgique ne veut pas de vos projets de lois.
Chose singulière ! C'est manquer de patriotisme que de repousser les projets militaires et surtout le budget de la guerre.
A ce compte, que de mauvais patriotes dans le pays ! Que de mauvais patriotes dans cette Chambre ! Mais, récemment encore, trente-six membres de cette assemblée, catholiques et libéraux, ont rejeté le budget de la guerre, c'est-à-dire affirmé qu'il n'y avait pas lieu pour le moment de donner du pain et des armes à nos troupes.
C'est chose grave, messieurs, que de rejeter un budget et surtout le budget de la guerre. Le budget des travaux publics passe encore, mais le budget de la guerre, l'avenir, la sécurité de la patrie !
Eh bien, 36 membres de cette Chambre ont rejeté ce budget, et qui figure, entre autres, parmi ces 36 membres ? Les vice-présidents de la Chambre ; oui, voilà trois présidents de la Chambre qui sont implicitement qualifiés de mauvais patriotes (Interruption.) M. Dolez, j'ai hâte de le dire, c'était M. E. Vandenpeereboom, c'était M. Moreau, c'était M. Crombez ; tous les trois ont voté contre le budget de la guerre, tous les trois ont dit qu'il n'y avait pas lieu, cette année-là, d'alimenter notre armée.
Avant ce temps-là, MM. Delfosse et d'Elhoungne en ont dit contre les charges militaires cent fois plus que l'honorable M. Couvreur n'en a osé dire l'autre jour ; et pourtant l'honorable M. Couvreur a été exécute sur les bancs de la gauche.
L'attitude et surtout le langage des honorables MM. Couvreur et Le Hardy de Beaulieu ont paru de mauvais augure, ont paru menaçants ; on s'est souvenu des 36 voix hostiles au budget de la guerre ; on a tremblé ; on s'est dit : Si cela continue, la même opposition va se produire ; et nos projets sont perdus. Non ! exécutons M. Couvreur.
Mais l'honorable M. Couvreur, qui ne m'a point paru considérablement ému de l'exécution, peut m'en croire, il se remettra bien vite de cette première émotion.
Moi, j'ai été exécuté 5, 6 et peut-être 7 fois, je ne m'en souviens pas au juste, par l'honorable M. Frère et ses aides, et pourtant je ne suis pas mort ! (Interruption.) Je suis habitué à cette opération (Interruption) qui n'est pas aussi mortelle que le vulgaire peut se l'imaginer.
Il est donc bien entendu par les discours, ou du moins par les insinuations qui ont été faites ici et au dehors ; il est donc bien entendu que les libéraux, s'ils veulent rester de bons libéraux, des libéraux orthodoxes, ne sont pas libres de voter contre les projets militaires.
Mais chez nous, à droite, pratiquons-nous cette étrange théorie ? Nous indignons-nous contre ceux de nos amis qui donnent la main à M. Frère ? Avez-vous déjà vu sur nos bancs quelque chose de semblable à la scène qu'on a jouée devant nous ? Point ; nous respectons ceux de nos amis qui se séparent de nous. (Interruption.) Je respecte ceux de mes amis qui se séparent de moi, même sur la question qui me tient le plus au cœur.
Jamais il n'est entré dans ma pensée de suspecter le patriotisme, la loyauté, les connaissances, le talent des honorables MM. Thonissen, Dumortier, Schollaert et d'autres membres que je sais disposés à voter pour vos projets. Mais comme la gauche n'est pas encore bien fortement convertie au militarisme, que cette conversion est de date récente, on a voulu donner une leçon à la gauche. On l'a mal donnée, selon moi.
Je conçois qu'on critique certains membres d'un parti, quand ils abandonnent étourdiment le drapeau, j'allais dire la houlette du berger ; je fais allusion aux membres qui sont plus ou moins accoutumés de suivre le mot d'ordre des chefs.
Ainsi je conçois qu'on s'étonne de voir les divinités inférieures de l'Olympe parlementaire, les Dii minores, comme moi et d'autres, catholiques ou libéraux, prendre la liberté d'avoir une opinion à eux ; mais qu'on veuille interdire à des hommes aussi savants qu'honorables d'exprimer une opinion, c'est un peu fort.
Comment ! vous excluez de vos rangs des hommes comme M. Couvreur, comme M. Le Hardy de Beaulieu ! Mais vous devriez être fiers et heureux de les y compter. Au risque de les compromettre dans l'esprit de quelques intolérants, j'ose dire que je crois pouvoir leur garantir leur réélection. J'irais, moi, au besoin, de porte en porte, chez les électeurs des arrondissements de Bruxelles et de Nivelles ; je les supplierais, les curés en tête, de venir voter pour eux ; je leur dirais, aux curés, qu'ils sont Belges, qu'ils ont un troupeau à sauvegarder, et qu'ils doivent le défendre contre les attaques d'un militarisme implacable.
Si Ce n'est pas là du libéralisme, allez-en chercher ailleurs un meilleur !
Un honorable député de Bruxelles a critiqué son honorable collègue, M. Couvreur, d'avoir blâmé les fortifications d'Anvers et leurs appendances. Mais où est le député de Bruxelles qui aurait voulu que la capitale fût embastillée ? Je n'en connais pas un seul.
On dit à l'honorable M. Couvreur : Vous voulez donc que la ville de Bruxelles soit pillée, qu'elle soit l'objet de toutes les exactions de l'étranger.
D'abord, on ne défendra pas Bruxelles ; Bruxelles n'est défendable dans aucune hypothèse sérieuse.
Et voyez un peu la logique. Ce qui est parfaitement défendu en Belgique, c'est l'arrondissement le plus pauvre du pays ; il n'y a pas grand-chose à piller dans l'arrondissement de Turnhout, et cet arrondissement est garanti par les places d'Anvers et de Diest.
Mais la ville de Bruxelles sera pillée ; la ville de Bruxelles sera l'objet de toutes les exactions ! Mais si Bruxelles devient l'objet de toutes les exactions, si la ville de Bruxelles est livrée au pillage, c'est vous, députés de Bruxelles, qui l'avez voulu, c'est à vous qu'elle devra s'en prendre. Pourquoi dans le temps ne vous êtes-vous pas joints à M. Devaux pour demander que la ville de Bruxelles fût embastillée ?
Messieurs, je désire exprimer toute ma pensée. Je crois que l'honorable M. Frère n'a pas fait de la bonne tactique gouvernementale depuis quelque temps.
(page 657) Je doute fort qu'en congédiant les honorables MM. Rogier, Vandenpeereboom et Goethals, il ait renforcé le gouvernement. Je crois le contraire. L'opinion publique n'a pas ratifié cette évolution ; et j'ajoute que si l'honorable ministre, poussant plus loin ses exigences, se met à congédier les Couvreur et les Le Hardy de Beaulieu, il affaiblira là gauche comme il a affaibli, je ne dis pas le ministère, mais le gouvernement.
Une chose me frappe, messieurs.
En 1849 donc, la gauche presque tout entière était antimilitariste. (Interruption.) Je me sers d'un mot devenu populaire et qui, du reste, est juste. La droite était généralement militariste. Je ne l'en ai jamais félicitée. Aujourd'hui l'évolution est faite, mais, chose singulière, la Belgique est le seul pays où ce phénomène se produise.
Dans tous les autres pays, les libéraux sont antimilitaristes, ce n'est qu'en Belgique qu'ils sont militaristes. Eh bien, j'avoue que l'honorable M. Frère, à qui cette évolution est due, a donné là une preuve de talent qui était au-dessus de mon attente. C'est bien l'honorable M. Frère qui à embastillé Anvers, et c'est bien lui qui a transformé en militariste un parti qui ne l'était pas.
Je désire répondre quelques mots à l'honorable M. Renard.
M. le ministre a été dur pour les armées de volontaires qu'il traite de mercenaires. Les volontaires sont des mercenaires ! J'ai même fait observer à l'honorable ministre que les officiers sont tout aussi mercenaires que les simples soldats. Si l'honorable ministre savait le latin...
MgRµ. - Je le sais. (Interruption.)
M. Coomans. - Vous le savez ? Cela me fait plaisir. Comme je le sais encore un peu, npus allons échanger deux mois de cette langue. « Mercenaire », du latin mercenarius, de merces, salaire. (Définition de Bescherelle.)
Définition de l'Académie : « Mercenaire, adjectif, qui se fait pour le gain, pour le salaire, se dit d'un ouvrier, d'un artisan, d'un homme de journée qui travaille pour de l'argent. »
Messieurs, à ce titre, presque tous les Belges sont des mercenaires, presque tous travaillent pour de l'argent. Qui donc, comme le faisait observer l'honorable M. d'Elhoungne, n'échange pas des services contre de l'argent, et le plus honorablement du monde ?
Mais si le fait de vendre des services où d'en louer est déshonorant, toute là Belgique, toute l'Europe, toute la civilisation est déshonorée. Il n'y a plus que les sauvages qui ne soient pas des mercenaires. (Interruption.) Ils travaillent tous pour eux.
Mais toute l'économie politique, c'est la glorification du mercenarisme !
Et que dit l'Académie ? « Il ne faut pas retenir le salaire du mercenaire. »
Maintenant, voulez-vous d'autres définitions ? (Interruption.) Il en est pourtant une que je tiens à vous dire. Elle est de Bescherelle, elle n'est pas de moi.
« Qu'est-ce qu'une armée ?
« C'est une multitude d'âmes pour la plupart et viles et mercenaires. » Voilà, messieurs, de l’exagération académique !
Messieurs, les volontaires sont donc des mercenaires. J'avoue, je l'ai déjà écrit, que les armées de volontaires ont marqué un progrès dans la civilisation en vertu du salutaire principe de la division du travail.
Mais si les armées de mercenaires ou de volontaires ont été un progrès économique, elles n'ont pas été un progrès dans le sens politique proprement dit. Car, ainsi que l'a constaté, je crois, l'honorable M. Renard, la décadence de la liberté nationale chez nous et ailleurs date de la nomination des armées permanentes, c'est-à-dire des armées de volontaires. (Interruption.) Il n'y en avait plus d'autre aux XVIème et XVIIème siècles. On peut donc dire que les armées de volontaires ont servi à la prospérité des peuples, mais qu'elles ont nui à leur liberté.
A ce propos, pour la Belgique, je pourrais citer surtout la période bourguignonne ; le despotisme relatif a été introduit chez nous par la dynastie bourguignonne.
Toutefois, si l'on veut que la permanence du service militaire soit un progrès, et je suis le premier à l'affirmer*,il faut pourtant le dire sous cette réserve que les armées permanentes ne doivent pas être très fortes qu'elles ne doivent jamais être capables de faire violence au vœu national.
Les armées permanentes du reste n'ont jamais été fortes, puissantes, victorieuses que lorsqu'elles se sont appuyées sur les peuples, et l'honorable M. Renard a tort de croire que les armées permanentes ont toujours été supérieures aux armements généraux, aux armées nationales. Des armées, de bonnes armées permanentes ont été battues, vilainement battues à Morat et à Granson. Elles ont encore été battues, pour ne pas faire de citations trop longues, à Groeninghe (la chevalerie française était permanente) et en 1789 et en 1830, chez nous encore.
A ce propos, M. le ministre de la guerre a fait une charge à fond, et injuste, contre l'armée de Vandermersch. Il convient, pour l'honneur national, de rétablir les faits.
Cette armée d'André Vandermersch a été composée de volontaires, de volontaires improvisés, improvisés au point qu'ils ont envahi la Belgique (venant de Hollande en Campine), la plupart avec de mauvais fusils, beaucoup avec des bâtons. Pourtant ces insurgés ont battu et vilainement battu l'armée permanente du général Schroeder à Turnhout. Et ces volontaires, tant méprisés par l'honorable général Renard, ont chassé les Autrichiens permanents du fond du Luxembourg. Ils se sont battus très glorieusement dans plusieurs circonstances, notamment à Anseremme sur la Meuse.
Pourquoi ont-ils échoué ensuite ? Ce n'est pas pour la raison donnée par l'honorable ministre ; ce n'est pas parce qu'ils formaient une armée improvisée par le simple patriotisme. Point. C'est parce qu'on leur a enlevé tous leurs meilleurs officiers. On ne doit pas oublier que Vandermersch a été incarcéré à la citadelle d'Anvers et que les meilleurs officiers ont été congédiés par Henri Vandernoot ou ont pris congé eux-mêmes. D'ailleurs, cette armée, qui devait périr principalement parce qu'elle était condamnée par les favoris incompétents de Vandernoot, cette armée était démoralisée avant la lutte ; privée de ses officiers, conduite par de simples soldats, transformés en lieutenants, en capitaines, voire en majors, parce qu'ils étaient les principaux criards à la suite des tribuns de l'époque.
Cette armée était démoralisée et pourquoi ? Parce que la révolution était démoralisée, parce que l'on avait seule la division dans tout le pays, parce que le parti de Vonck avait été proscrit, parce que le parti de Vandernoot visait au despotisme et même le pratiquait un peu ; parce que l'empereur Léopold avait offert des conditions de conciliation très acceptables.
Voilà pourquoi cette armée à été battue à Marche-en-Famenne, et ce n'est point parce qu'elle était composée de volontaires improvisés.
L'honorable M. Renard a blâmé le remplacement, et aujourd'hui il l'accepte ! L'honorable M. d'Elhoungne m'a fort grondé, moi et d'autres, parce que nous nous sommes permis de qualifier assez durement les remplaçants dans l'armée. L'honorable M. d'Elhoungne a pratiqué le système de Chrysale ; ayant à dire de grosses vérités à MM. les ministres, il a mieux aimé nous les adresser à nous, certain d'ailleurs d'être entendu d'eux, et il nous a reproché d'avoir mal traité les remplaçants, alors qu'il savait que ce reproche était applicable principalement à M. le ministre de la guerre.
L'honorable M. d'Elhoungne a fait comme Chrysale et pour combattre M. le ministre de la guerre, il nous a dit : « C'est à vous que je parle, ma sœur. »
Mais ce n'est pas nous qui avons flétri les remplaçants, c'est le gouvernement ; je lisais encore aujourd'hui dans votre premier journal, la même série d'invectives contre les remplaçants et signée par qui ? Par des colonels, par des généraux. Il est impossible qu'on en dise plus ; j'ajoute qu'on en a dit beaucoup trop.
On a très injustement, outre mesure, accusé les remplaçants ; d'abord on a exagéré beaucoup, mais on n'a pas remarqué que le remplaçant fait une action plus honnête que le remplacé.
Le remplaçant est un pauvre diable qui, d'après vous, exerce un noble métier, le noble métier des armes ! Il accepte quelque argent en retour, pourquoi pas ? Les officiers servent-ils gratis ?
Mais celui qu'il remplace, que fait-il ? Il a peur, soit de mourir sur le champ de bataille, soit de se salir, on l'a dit, dans les casernes ! et ce remplaçant qui fait un acte honnête, plus honnête que l'acte du remplacé, ce remplaçant vous l'accablez d'invectives.
Et il est notre Sauveur dans votre système, car la loterie militaire est impossible sans le remplacement.
Et c'est pour cela que je demanderai la suppression du remplacement.
On a parlé de la conspiration des colonels en France, mais il y a eu une véritable conspiration des colonels belges ; les colonels ont été unanimes pour flétrir le remplacement. Le général Renard a dit plus d'une fois qu'une bonne armée est impossible avec le remplacement. Nos meilleurs officiers sont de cet avis. ET que faites-vous aujourd’hui ? Vous (page 658) maintenez le remplacement et vous nous dites, à M. Janssens et à d'autres : « Mais respectez donc le remplaçant. » Et vous l'avez flétri.
Eh bien, en supposant, ce qui n'est pas vrai, que les remplaçants soient d'affreux gredins (interruption), (cela est faux et je tiens à démontrer un jour que cela est faux parce que, voulant une armée de volontaires, je dois restaurer la réputation des remplaçants), mais en supposant que cela soit vrai encore, ne serait-il pas déraisonnable de maintenir le remplacement, d'accepter les remplaçants d'une moralité douteuse dans l'armée.
Je trouverais très prudent de mettre tous les mauvais sujets dans l'armée. Je les aime mieux là que dans la vie civile ; ils y sont mieux surveillés et ils y ont quelque chance de rénovation morale ; mais les gredins dont vous parlez, dont vous dites que l'armée est pleine, ces gredins peuvent faire beaucoup plus de mal dans la vie civile que dans l'armée.
Quant à moi, quand je propose la suppression du remplacement, ce n'est pas pour les raisons que vous donnez et que je trouve iniques, c'est parce que le remplacement est la base de la loterie militaire, cette grande iniquité des temps modernes, c'est parce que je suis convaincu qu'elle sera supprimée le lendemain du jour où le remplacement militaire sera supprimé.
Mais, dit l'honorable M. d'Elhoungne (qui me semble fort embarrassé sur la question de la conscription, et il y a de quoi même pour un esprit d'élite comme le sien), la justice, au fond, ne sera pas froissée, car les remplacés figureront dans la réserve ; ils marcheront aussi à leur tour ; eux aussi auront des corvées à supporter.
Je n'en crois rien ; vous n'aurez jamais de réserve, et c'est faire la partie trop belle aux messieurs de la réserve que d'ajourner leurs preuves de patriotisme aux calendes grecques. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'on fait marcher dès à présent les miliciens pauvres, et je crois qu'on ne fera jamais marcher les autres.
L'honorable M. d'Elhoungne nous a dit de bien belles choses sur le respect dû aux vocations. Il faut respecter la vocation de l'avocat (ce n'est pas lui qui l'a dit, mais c'est dans la pensée de la majorité de cette Chambre), la principale vocation du monde civilisé ; vous devez respecter les vocations libérales, surtout les vocations libérales.
Mais, lui ai-je dit eu me permettant de l'interrompre, la vocation du pauvre qu'en faites-vous ? Le pauvre n'est-il pas citoyen ? Quand le pauvre n'a nulle envie de figurer dans les casernes, ne froissez-vous pas sa vocation en l'y faisant colloquer par la gendarmerie ?
Messieurs, moi je ne suis pas partisan de l'enseignement obligatoire, pas même de l'enseignement obligatoire de la discipline militaire. Je suis pour la liberté, mais je dois faire remarquer à ceux de mes honorables collègues qui réprouvent l'enseignement obligatoire du catéchisme (pratiqué sur la personne du jeune Mortara) qu'il est malséant de préconiser l'enseignement obligatoire du militaire.
L'enseignement obligatoire du catéchisme a été pratiqué une fois, peut-être deux fois en Italie. Politiquement parlant, cela a été une bonne fortune pour les ennemis de la papauté ! Mais reconnaissez donc que les intentions étaient bonnes, généreuses, élevées. Et si vous blâmez fort cette bourse forcée donnée à un jeune homme dans un beau collège, blâmez donc aussi l'enseignement obligatoire militariste pratiqué annuellement contre dix mille jeunes gens de Belgique dont vous ne faites pas ce qu'on fera vraisemblablement du jeune Mortara, un prêtre, un chanoine, un cardinal peut-être ; non vous en faites des malheureux ! II y a constamment 80 mille Mortaras en Belgique. (Interruption.)
Riez, messieurs, c'est la vérité pure, et je suis convaincu que les 80,000 miliciens préféreraient la situation de Mortara à celle que vous leur avez faite. (Interruption.) M'autorisez-vous à leur laisser le choix ? (Interruption.)
Le pauvre, dit-on, ne souffre pas de la loterie militaire. Cela lui est indifférent ! Les femmes pauvres n'ont pas de cœur ; les pères pauvres n'ont pas d'honneur, les jeunes gens pauvres ne tiennent pas à leurs parents, ils ne tiennent pas à leur village, ils ne tiennent pas à leur métier, à leur avenir ; ils ne tiennent pas à se marier !
Nous faisons beaucoup de bruit pour rien. Voilà ce qu'on nous affirme.
Eh bien, MM. les militaristes, allez à Gheel... (interruption) vous y verrez que maints cas de folie ont été causés par la loterie militaire. (Interruption.) J'en sais quelque chose.
Sur les 1,100 fous de Gheel, il y eu a beaucoup qui sont devenus fous pour cause de militarisme. A l'un on a enlevé son fils ; à une autre on a enlevé un fiancé. On a froissé mainte vocation. Beaucoup de petites familles ont été ruinées par l'obligation imposée à leurs principaux membres de servir.
J'affirme que beaucoup de fous de Gheel sont les vôtres, bien que je les représente. (Interruption.)
Je vous laisse vos victimes, messieurs, ayez-en soin.
Je suis bien convaincu que pas un riche n'est devenu fou pour cette cause-là.
Voulez-vous que je vous dise autre chose encore qui ne vous surprendra pas parce que vous avez été sans doute dans le cas de le constater ?
Il est des pères riches qui regrettent que leurs fils ne soient pas forcés de servir, et loin de leur être agréable en les forçant, pour le qu'en dira t-on, de remplacer leurs fils ou leurs neveux, vous les gênez, vous les contrariez.
L'autre jour encore, un riche père libéral me disait qu'il regrettait fort que mon système de la suppression du remplacement ne fût pas acceptée par la Chambre, attendu qu'alors son gredin de fils aurait dû entrer dans la caserne. (Interruption)
J'ai encore certaines choses intéressantes à dire.
MfFOµ. - Vous n'en avez pas encore dit.
M. le président. - N'interrompez pas, M. le ministre ; et vous, M. Coomans, veuillez continuer. Je prie la Chambre d'écouler en silence et sérieusement si elle le peut.
M. Coomans. - M. Frère est bien difficile. Si l'on se tait, j'en aurai plus vite fini, M. le président.
Mais, nous dit-on, cette odieuse conscription, elle existe en Angleterre. Eh bien, M. le président, cet argument n'est pas sérieux du tout, quoiqu'il émane de plusieurs ministres !
Oui, la conscription existe en Angleterre, mais elle n'y a jamais été appliquée ; voulez-vous me la donner ainsi, je l'accepte des deux mains.
C'est une mauvaise plaisanterie de prétendre que la conscription existe en Angleterre. Il y a une loi qui autorise la Reine à faire tirer les Anglais au sort quand il n'y a pas assez de volontaires, mais il y a toujours assez de volontaires, même pour les aventures en Abyssinie, le Mexique de l'Angleterre, et la loi ne sera jamais appliquée ; les Anglais ne le permettront jamais, ils sont trop libéraux pour cela et j'ajouterai qu'ils sont trop chrétiens pour cela.
MfFOµ. - La loi y a été appliquée.
M. Coomans. - Si la loi y a été appliquée, elle doit l'avoir été bien peu, car je n'en ai pas de souvenir, ni personne autour de moi, et je vous prie d'avoir la bonté de nous dire quand, depuis 17 ans, elle a été appliquée. La loi est de 1851, je pense. (Interruption.)
- Des membres. - Continuez.
M. Coomans. - Enfin j'accepte votre conscription à l'anglaise ; êtes-vous satisfait ? Si vous n'êtes pas satisfait, c'est que votre argument ne valait rien. (Interruption.)
Mais, nous dit-on encore : on va diminuer l'impôt milice. Il est un peu dur pour certaines classes de la population, nous l'atténuerons, nous augmenterons les causes d'exemption ! Ah ! je vois venir les amateurs de ce système ; les pauvres se plaignent d'être fatalement forcés de servir, on va exempter des jeunes gens des classes supérieures, on va augmenter le nombre des exemptions peut-être en faveur de ce qu'on appelle les soutiens de famille (nous en causerons un peu de ce détestable système), mais on augmentera surtout le nombre des exemptions pour la classe électorale.
Je ne m'étonnerais pas du tout qu'on proposât au premier jour d'affranchir de l'obligation du service militaire les élèves des universités et de beaucoup de collèges. Il faudra favoriser les professions libérales, et j'avoue que lorsque cette proposition viendra il sera bien difficile de la repousser si l’'on maintient l'exemption pour les séminaristes. (Interruption.)
M. Dumortier. - Je demande la parole.
M. Coomans. - Ceci me paraît assez intéressant, M. Frère. L'honorable M. Bara, d'accord avec l'honorable M. Frère, a soutenu l'autre jour que la loi n'avait pas à tenir compte des sacrements, qu'il n'y avait pas de sacrements aux yeux de la loi (qui reconnaît pourtant les sacrements de la confession et du mariage), et j'ai tendu à l'honorable M. Bara un piège où j'ai été bienheureux de le voir tomber malgré toute sa perspicacité.
Je lui ai dit : Les prêtres, les oints du Seigneur, ne sont pas jurés (page 659) parce qu'ils ont reçu le sacrement de l'ordre ou de la prêtrise... Bah ! répondit M. Bara, nous ne nous occupons pas de cela ; nous exemptons les prêtres du service du jury parce qu'ils rendent des services chez eux. Cela pouvait être applicable aux curés, aux vicaires, à tous les ecclésiastiques salariés par l'Etat ; mais cela me paraissait difficilement applicable aux ordres contemplatifs, à votre point de vue. Aussi, un honorable doctrinaire, non moins ingénieux que l'honorable M. Bara, l'honorable M. Hymans, a tout de suite reconnu que le raisonnement était juste, et qu'il n'y avait aucune raison pour ne pas faire figurer en cour d'assises les capucins qui ne rendent pas, selon vous, de services appréciables par la loi civile.
Eh bien, si cela est vrai, et M. Bara me fait un signe d'assentiment, je prierai l'honorable ministre de me prouver comme quoi les membres des ordres contemplatifs, ses ennemis intimes, rendent plus de services politiquement et constitutionnellement parlant que les avocats, les médecins et les ingénieurs ; je lui demanderai pourquoi il donne cette prime d'encouragement je ne dis pas aux séminaires, qui forment des curés et des vicaires, mais à ce qu'il appelle les capucinières ? Est-il bien sûr que pas un Belge n'est entré au séminaire pour échapper à la conscription ?
Si l'honorable ministre ne parvient pas à démontrer que les capucins dont parlait hier M. Frère, rendent plus de services à la société belge que les médecins, les magistrats, etc., s'il ne parvient pas à établir clairement cette thèse, qui jurera un peu avec les autres qu'il soutient, il doit supprimer l'exemption du service militaire actuellement accordée aux séminariste.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Et vous voterez cela ?
M. Coomans. - Et je voterai cela, oui.
- Un membre. - Vous avez dit que l'Eglise abhorret a sanguine.
M. Coomans. - L'interruption n'est pas forte ; d'abord les séminaristes ne sont pas des prêtres ; le principe abhorret a sanguine ecclesia ne leur est donc pas encore applicable ; ensuite ceux des séminaristes qui auront horreur du sang se procureront un remplaçant, chose que font aujourd'hui les avocats, les médecins et d'autres. (Interruption.)
Il faudrait être plus logique ; à votre point de vue, auquel je raisonne, vous êtes injustifiables quand vous exemptez les séminaristes, quelle que soit leur vocation pour le choix de la carrière ecclésiastique ; vous êtes injustifiables à moins de prouver que ces affreux capucins rendent plus de services à la société belge que vos avocats et vos médecins.
Mais vous n'aurez garde d'être logiques ; vous avez peur d'être logiques et vous repousserez la proposition que je ferai de supprimer toute exemption. Vous la repousserez, je sais bien pourquoi ; c'est parce que la conscription sera impossible le jour où vous l'appliquerez à tout le monde dans une mesure égale ; le jour où vous proclamerez l'égalité des citoyens belges devant la loi militaire, vous n'aurez plus l'armée que vous rêvez ; il n'y aura plus que deux sortes d'armées possibles : une armée de volontaires, une petite armée de volontaires, ou un grand armement national.
Et comme je fais, avant tout, de la logique, comme la logique est ce que tout être raisonnable doit avoir toujours en vue, parce que logique est synonyme de justice, je vous engagerai et vous forcerai, dans la mesure du possible, à être logiques, à être justes.
Oui, messieurs, on a travesti le mot, ce qui me fait croire qu'il était bon ; on a travesti le mot dans les journaux. J'ai dit, en présence de catholiques qui ont eu l'intelligence de m'applaudir, en présence de libéraux qui ont eu la loyauté d'en faire autant, j'ai dit qu'au point de vue du gouvernement belge, au point de vue du libéralisme dominant, il n'y a pas de raison pour distinguer entre un séminariste et un élève universitaire.
Et on a cru m'embarrasser en me disant : Mais alors vous allez obliger aussi les futurs capucins à mettre la main dans les tambours militaires où l'on tire ces mauvais numéros ; et j'ai répondu : Oui, je fourrerai le capucin dans le tambour militaire pour qu'il crève (interruption) pas le capucin ; le tambour. (Nouvelle interruption.)
Messieurs, j'aurais une grâce à demander à la Chambre ; je lui serais bien reconnaissant si elle voulait me l'accorder. Cependant, en cas de refus je me soumettrais. Je désire remettre à demain la fin de mon discours.
- De toutes parts. - Oui ! oui !
M. Coomans. - Je vous remercie. A demain.
M. de Smedt. - Je demande la parole pour une motion d'ordre. Je suis complètement à la disposition de la Chambre quant au moment où elle voudra bien m'entendre ; mais après le discours qu'a prononcé hier M. le ministre des finances, je ne puis rester sous le poids de l'accusation grave dont j'ai été l'objet et je tiens à honneur de m'en disculper dans le plus bref délai possible. Je désire donc obtenir la parole aujourd'hui ou demain pour un fait personnel.
- Voix nombreuses. - Parlez ! parlez !
M. le président. - Vous avez la parole, M. de Smedt, pour un fait personnel.
M. de Smedt. - Messieurs, je suis sous le coup d'une accusation grave et je tiens à honneur de m'en disculper dans le plus bref délai possible. J'ai donc cru devoir demander la parole pour un fait personnel.
L'honorable ministre des finances a répété jusqu'à trois fois, en dix lignes de son discours d'hier, que, chez moi, l'intérêt de parti primait l'intérêt national. Cette imputation, je la repousse avec indignation, et je dis que tout mon discours est le contre-pied de ce mauvais sentiment. Et si l'intérêt national a été parfois sacrifié à l'intérêt de parti, ce n'est pas sur nos bancs, M. le ministre, mais sur les vôtres qu'on aurait à constater de pareilles fautes.
Je vous le demande à vous, M. le ministre, et à tous mes collègues de cette Chambre qui ont entendu et lu mon discours, si j'ai dit un mot qui pût justifier une pareille accusation.
De quoi s'agit-il dans cette discussion ? D'organiser les forces défensives du pays.
Et parce que, à l'occasion des projets militaires qui nous sont présentés, j'ai cru devoir insister sur ce point, incontestable pour tout homme sincère, que la force matérielle, la force brutale représentée par des armées et des citadelles, n'est rien ou peu de chose, si elle n'a pas avec elle et derrière elle la force morale, le sentiment patriotique du pays, je suis, pour avoir fait ces observations qui tombent sous le sens commun, un mauvais citoyen, un traître à la patrie !
Oui, messieurs, celui-là serait en effet un mauvais citoyen, qui sacrifierait l'indépendance de son pays aux intérêts de son parti, ces intérêts seraient-ils plus respectables encore que ne le sont les nôtres.
Or, c'est ce sentiment antipatriotique que l'honorable chef du cabinet m'a attribué, et je veux en laisser juges la Chambre et le pays, en donnant communication du texte même de l'imputation irréfléchie que l'on m'a adressée.
« L'honorable M. de Smedt nous a dit que, quant à lui, ses opinions politiques ne lui permettaient pas de s'occuper de la défense nationale ; l'honorable M. de Smedt nous a dit, en d'autres termes, mais c'est le fond de sa pensée, que si on voulait le charger de constituer à sa guise le ministère libéral qui conviendrait à la majorité, alors il consentirait à s'occuper de la défense nationale. Il y a dans le ministère des hommes à tendances modérées, comme ledit l'honorable membre ; mais il se trouve aussi un homme absolu, obstiné ; si on le sacrifiait, il daignerait alors, mais alors seulement, s'occuper de la défense nationale. »
Vous le voyez, messieurs, ce n'est pas une de ces imputations qui peuvent échapper parfois dans la chaleur de l'improvisation puisqu'elle est renouvelée jusqu'à trois fois en l'espace de dix lignes.
Ainsi, M. le ministre, parler d'union, demander l'abandon, d'une politique exclusive et antireligieuse, c'est donc, à vos yeux, un crime de lèse-nation, c'est un acte de mauvais citoyen !
Dans le désir sincère que j'ai de voir inaugurer cette politique d'apaisement, j'ai poussé le désintéressement pour mon parti jusqu'à dire que je suis prêt à appuyer de mes votes un ministère juste et modéré, défendant les véritables intérêts du pays, ce ministère serait-il même exclusivement composé de libéraux.
Mais j'ai eu le malheur de dire ce que je pensais être vrai et cela parce que le cri de ma conscience m'en faisait un impérieux devoir ; j'ai eu le malheur de désigner l'honorable chef du cabinet comme l'obstacle principal à cette politique d'union que j'appelle de tous mes vœux. Et aussitôt l'honorable M. Frère en conclut que si je refuse aujourd'hui un vote approbatif aux projets de lois militaires, je ne suis guidé dans mon hostilité que par des préoccupations de parti !!
L'honorable ministre des finances a-t-il donc oublié que depuis dix ans que j'ai l'honneur de siéger sur ces bancs, j'ai constamment voté contre le budget de la guerre, et par conséquent contre l'organisation militaire de 1853 ? Comment peut-il donc attribuer à un intérêt de parti (page 660) mon hostilité actuelle contre des projets qui, comme je l'ai répété plus d'une fois dans mon dernier discours, aggravent les injustices tout en augmentant les charges militaires contre lesquelles le pays avec nous se prononce de jour en jour davantage ?
Je crois, messieurs, que ces explications suffiront pour donner le véritable sens et la portée de mon discours.
MfFOµ. - Je ne crois certes avoir rien dit de désobligeant pour l'honorable membre. II avait très nettement exprimé cette opinion qu'il n'avait pas confiance dans le cabinet et que, par conséquent, il n'entendait pas le suivre dans les propositions qu'il soumettait à la Chambre.
J'en ai induit que l'honorable membre ne voulait pas s'occuper de la défense nationale, à raison de la constitution du cabinet. Je me suis permis de le railler quelque peu sur la prétention qu'il semblait énoncer de vouloir faire choix des ministres qui conviendraient à la majorité. Peut-être ai-je eu tort de faire cette raillerie ; mais c'est la seule chose dont l'honorable membre aurait pu prendre prétexte pour se plaindre.
Que disait-il, en effet ? Il y a dans le cabinet des hommes qui me conviennent, dont je reconnais les tendances modérées en matière politique. Mais, à côté d'eux, il y eu a d'autres qui ne me conviennent pas : il y a surtout à la tête de ce cabinet un homme absolu, obstiné, et aussi longtemps que cet homme sera au banc ministériel, il me sera impossible de. m'occuper des projets que le gouvernement soumet à nos délibérations.
Je comprends parfaitement cela.
L'honorable membre nous a dit aussi que c'est par amour de la paix, par amour de l'union et de la conciliation qu'il a cru devoir prendre cette attitude. (Interruption.)
Il a une passion véritable pour l'union. Mais, messieurs, qui donc ne veut pas la paix, qui ne veut pas l'union ? Moi aussi, je veux la paix ; . moi aussi, je veux l'union ; je la désire très vivement, très ardemment et je déclare a l'honorable membre que, s'il veut penser comme moi, je serai très uni avec lui. (Interruption.) Mais c'est évident : est-ce que l'honorable membre ne me demande pas de penser comme lui ? (Interruption.) J'avoue sincèrement que je préfère continuer à penser comme je l'ai fait jusqu'à présent. (Interruption.)
M. de Smedt. - Je ne puis pas accepter l'interprétation que vient de donner l'honorable ministre des finances, des sentiments qui nous guident lui et moi.
Pour l'honorable ministre, l'union ne peut exister qu'à la condition que les membres de l'opposition fassent le sacrifice de leurs opinions. Non, messieurs, ce n'est pas ainsi que nous entendons l'union sur nos bancs ; pour ma part, je ne demande à personne le sacrifice de ses opinions, mais simplement la tolérance comme elle existait en 1830. Il y avait au sein du Congrès des opinions bien divergentes, et cependant, l'union y régnait.
MfFOµ. - En effet ; lisez les délibérations du Congrès !
M. de Smedt. - C'est cette union de 1830 que j'appelle de tous mes vœux et quand j'offre une main amie à mes honorables collègues de la gauche, c'est une main désintéressée et qui n'est point guidée par une arrière-pensée d'intérêt exclusif de parti, mais par un sentiment patriotique, qui dans les questions nationales devrait nous animer tous.
- La séance est levée à 4 heures 3/4.