(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1867-1868)
(Présidence de M. Dolezµ.)
(page 627) M. Reynaert, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. de Moor, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. Reynaertµ présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Des habitants de Lombeek-Notre-Dame prient la Chambre : 1° de rejeter les propositions de la commission pour l'organisation militaire et tous les projets qui augmenteraient le contingent de l'armée et les dépenses militaires ; 2° de supprimer le tirage au sort pour la milice ou du moins d'établir une plus juste répartition de la conscription. »
« Même demande d'habitants de Lennick-Saint-Martin. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des projets de lois militaires et renvoi aux sections centrales chargées d'examiner les projets de lois relatifs au contingent de l'armée et à la milice.
« Des habitants de Beauvechain demandent le rejet des propositions de la commission militaire, relatives à l'augmentation du contingent de l'armée et au système d'exonération, la suppression du tirage au sort ou du moins la révision de la loi sur la conscription. »
« Même demande d'habitants de Melin. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des projets de lois militaires et renvoi à la section centrale du projet de loi sur la milice.
« Par deux pétitions, des habitants de Seraing déclarent protester contre la conscription. »
- Même décision.
« Des habitants de Clavier demande le dégrèvement des charges militaires et l’abolition de la conscription. »
- Même décision.
« Des habitants de Gouy-lez-Piéton demandent que la conscription soit abolie, que l'armée soit uniquement formée de volontaires, qu'on n'augmente pas le budget de la guerre et qu'on réorganise la garde civique. »
- Même décision.
« Des habitants de Saint-Josse-ten-Noode prient la Chambre d'adopter le projet de loi sur l'organisation de l'armée. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
« Des habitants de Thimister demandent le rejet du projet de loi de réorganisation militaire. »
- Même dépôt.
« Des habitants de Wonck prient la Chambre de rejeter les nouvelles charges militaires, d'abolir la conscription et d'organiser la force publique d'après des principes qui permettent une large réduction du budget de la guerre. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des projets de lois militaires et renvoi à la section centrale du projet de loi sur la milice.
« Des habitants de Fays-les-Veneurs demandent l'abolition du tirage au sort pour la milice et le rejet du projet de loi sur l'organisation militaire et de tout projet qui augmenterait ou aggraverait les charges de l'Etat. »
- Même décision.
« Les sieurs Bastin, De Thier et autres membres de l'association libérale de Fléron demandent l'adoption du système militaire suisse et subsidiairement qu'il soit mis un terme à l'augmentation du budget de la guerre et à toute dépense militaire nouvelle. »
- Même décision.
« Des habitants d'Offagne demandent l'abolition du tirage au soit pour la milice, son remplacement par le service volontaire, une diminution des charges militaires, la suspension ou plutôt l'abandon complet des travaux de fortifications d'Anvers. »
- Même décision.
« Des habitants de Nevele demandent le rejet des propositions de la commission militaire et la réduction du budget de la guerre à 25 millions, si l'armée n'est pas supprimée. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des projets de lois militaires.
« Des habitants de Spa et des communes environnantes demandent qu'il soit pris des mesures pour atténuer autant que possible les effets désastreux qu'entraînerait la suppression immédiate des jeux. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des habitants d'une commune non dénommée demandent que la conscription soit supprimée et remplacée par des volontaires. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des projets de lois militaires et renvoi à la section centrale du projet de loi sur la milice.
« Des habitants de Bruxelles demandent le maintien d'une armée permanente, à côté de laquelle serait placée toute la population en état de porter les armes et prient la Chambre d'améliorer le sort du soldat d'entrer dans la voie d'une politique d'apaisement et de concorde et d'étendre les droits électoraux. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des projets de lois militaires et renvoi à la commission des pétitions.
M. d’Elhoungneµ. - Un honorable orateur nous conseillait hier de mettre un terme aux phrases retentissantes ; je vais tâcher de suivre son conseil en m'efforçant d'être aussi simple et aussi net que possible dans les considérations que je vais avoir l'honneur de soumettre à la Chambre pour apprécier les mesures militaires qui nous sont présentées par le gouvernement.
Je ne sais si je pourrai arriver à toute la clarté désirable dans un pareil sujet, mais je puis promettre du moins d'y apporter la plus entière franchise.
Tous les orateurs que vous avez entendus dans ce débat ont signalé la gravité de la situation extérieure. Je n'en dirai qu'un mot à mon tour afin d'en déduire le caractère et la portée des propositions que le gouvernement est venu nous soumettre.
L'Europe, on ne saurait le contester, est sous le coup d'une secousse profonde depuis la dernière guerre. Cette émotion se calmera peut-être et alors nous aurons la paix sincère qui n'est pas la paix armée ; ou bien cette émotion fera naître une guerre nouvelle, qui se fera probablement près de nos frontières et qui pourrait se faire sur notre territoire. Cette situation nous commande évidemment d'aviser avec prudence à ce que réclament la sûreté et les intérêts du pays ; mais ce qui est certain, c'est qu'aussi longtemps que cette alternative n'aura pas été tranchée par les événements, nous serons dans une situation transitoire ou le provisoire et l'imprévu jouent le rôle principal. J'en conclus qu'on ne peut pas dans une situation pareille songer à une organisation nouvelle, ni même à une organisation définitive de l'armée : tout ce qu'on peut raisonnablement faire, c'est conserver ce qu'on a, c'est l'améliorer et le fortifier dans la mesure du nécessaire, en laissant à l'avenir, quand on aura devant soi le temps et le calme, de faire mieux ou de faire autre chose pour notre état militaire, si tel est le sentiment du pays.
Je dis, messieurs, que tel est le caractère, que telle est la portée des mesures que nous avons à examiner.
C'est ce qui sera facile à constater et je pourrai établir ensuite que les mesures proposées par le gouvernement sont dictées par les nécessités présentes et répondent entièrement aux exigences de la situation.
J'en excepte toutefois l'augmentation du contingent, qui ne me paraît pas d'une utilité ni immédiate, ni prochaine, qui ne concerne qu'un avenir assez éloigné, et que je ne crois pas plus indispensable en Belgique qu'on ne l'a jugée nécessaire récemment en France, c'est-à-dire (page 628) qu'il soulève dans mon esprit des objections que je ne crois guère que le gouvernement parvienne à dissiper.
L'honorable général Renard, dans le discours qu'il a prononcé au début de cette discussion, a reconnu lui-même, messieurs, qu'il ne s'agissait nullement d'une réorganisation de l’armée. L'honorable général vous a fait remarquer que, pour l'armée proprement dite, il ne nous demandait ni un soldat, ni un canon, ni un cheval de plus. Les mesures par elles-mêmes prouvent qu'elles n'ont d'autre objet que de compléter notre organisation militaire et de combler les lacunes qui ont été démontrées par les derniers événements.
On vous demande, en effet, en premier lieu d'augmenter l'artillerie de siège : c'est un legs du passé, ce sont les fortifications d'Anvers que vous avez décrétées et qu'il s'agit de mettre en état de défense dans la mesure de ce qui est actuellement possible. On vous demande, en second lieu, une augmentation des cadres : il s'agit de rendre l'armée plus facilement mobilisable ; on s'est aperçu en 1866, lorsque des complications si graves se produisaient en Allemagne, qu'il y avait impossibilité pour le gouvernement de faire, sans un éclat fâcheux, passer l'armée du pied de paix au pied de guerre. Il y avait des centaines de nominations d'officiers à faire, ce qui eût jeté l'alarme dans tous les esprits ; cette mesure aurait produit, je le répète, un retentissement immense, et d'un autre côté, le personnel de notre armée était trop réduit pour que le gouvernement pût trouver dans les cadres existants les éléments de l'augmentation que notre armée sur le pied de guerre réclamait.
II y a, en troisième lieu, l'amélioration du sort du soldat, amélioration qui est urgente, parce que c'est un acte de justice et parce que le sort qui est fait actuellement à nos soldats est cause en grande partie du déficit que nous trouvons dans le nombre des volontaires.
Donc, d'après les déclarations du gouvernement comme d'après la nature des mesures qu'il nous propose, il ne s'agit point de ce qu'on a pompeusement appelé une réorganisation de l'armée ; il ne s'agit pas plus d'une organisation nouvelle ni même d'une réorganisation qui doive avoir un caractère définitif ou une prolongation en quelque sorte irrévocable.
Il s'agit véritablement de laisser intact ce qu'on a sous la main, de le maintenir, de l'améliorer, de le compléter, de le fortifier dans la mesure du nécessaire : il ne s'agit de rien de plus. C'est donc, messieurs, une solution qui est toute d'actualité, une solution, qu'à mon sens, tout le monde pourrait accepter, puisque après l'avoir acceptée nous n'aurons pas engagé l'avenir plus qu'il ne l'est actuellement.
Elle peut être acceptée cette solution, même par les partisans les plus convaincus mais essentiellement théoriques des autres systèmes militaires, qu'on nous a tour à tour vantés, mais qui ne sont ni formulés, ni mûris, ni adaptés aux circonstances présentes, ni possibles dans les circonstances présentes. Ces honorables membres doivent donc attendre, mais accepter ce qui est immédiatement praticable, ce qui doit être immédiatement utile, sans engager l'avenir, qui reste réservé pour tout le monde.
Ou dit partout, messieurs, qu'il s'agit d'introniser en Belgique le militarisme. En quoi les modifications que le gouvernement propose à l'organisation actuelle de l'armée, constituent-elles le militarisme ?
Qu'est-ce qu'elles ajoutent,, en réalité, aux établissements militaires que le pays compte déjà ? On proclame aussi qu'il s'agit d'inaugurer un régime d'accroissement continu des charges militaires. Mais ces grands mots hurlent, messieurs, à côté des petites choses que le gouvernement nous demande par le projet en discussion, et qui paraissent plus petites encore quand on considère les événements graves que nous avons traversés et que nous pouvons avoir à traverser encore.
Sans doute, il peut y avoir chez certaines personnes,, surtout dans l'armée, l'arrière-pensée de profiter des circonstances présentes pour emporter au profit de l'armée une sorte de dotation immuable.
Mais n'est-ce pas une illusion ? N'est-ce pas une erreur ? Est-ce que dans un pays de libre discussion on peut arriver ainsi à surprendre, au milieu de circonstances exceptionnelles, une solution qui, pour l'avenir, reste à l'abri de controverses, de la polémique, de toutes les vicissitudes, de tous les revirements de la politique quotidienne ?
On se forge véritablement des chimères, pour se donner l'avantage facile de les combattre ; on exagère, on dénature le projet de loi, pour récriminer contre ceux qui l'ont fait et tous ceux qui le soutiennent.
On cherche à conquérir la popularité, on veut obtenir je ne sais quel prestige, comme partisans des économies, comme rénovateurs, comme créateurs de systèmes, enfin comme antagonistes d'un militarisme ; qui peut avoir ses dangers, dans les pays où règne le despotisme, mais qui ne peut éveiller aucune appréhension sérieuse dans un pays libre comme le nôtre.
Les systèmes qu'on vient défendre ici, et qu'on oppose à celui qui est en vigueur et que le gouvernement se propose de mettre au niveau des exigences de la situation, tous ces systèmes resteront à l'ordre du jour, après comme avant le vote de la loi en discussion.
Leurs partisans peuvent les produire, dans cette enceinte et en dehors de cette enceinte.
Ils sont nombreux les systèmes de ces messieurs. Les uns ne veulent imposer le service militaire à personne : ils ne veulent qu'une armée de volontaires. Les autres veulent imposer le service militaire à tout le monde : ce sont les partisans de l'armement général. Ceux-là se divisent en partisans de nationalités différentes.
Il en est qui veulent l'armement général selon le système prussien qui est le militarisme à sa plus haute puissance, bien qu'on nous le vante sous prétexte de faire la guerre au militarisme. Il en est qui préfèrent le système suisse ; il en est qui inclinent pour le système suédois.
Je respecte toutes ces opinions. Mais je constate que les partisans de ces divers systèmes ne sont pas d'accord sur celui qui doit l'emporter.
Ensuite ces systèmes eux-mêmes ne sont pas encore devant nous à l'état de projets palpables, susceptibles d'être mis à exécution, susceptibles tout au moins d'une discussion parfaitement complète.
Indépendamment de ces systèmes, il y a des combinaisons mixtes. D'honorables membres veulent à la fois le système des volontaires, qui n'impose le service à personne, et le système de l'armement général, qui impose le service à tout le monde.
D'autres honorables membres se prononcent pour un noyau de volontaires qui formerait l'armée permanente, et un complément soit de milice (sans conscription indubitablement), soit de garde civique en nombre limité.
Il y en a donc pour tous les goûts. Ce sont les systèmes qui manquent le moins ; ce qui manque, ce sont les formules qui nous disent où l'on va ; qui nous disent ce qu'on veut ; qui nous disent ce que cela doit coûter. C'est là, en effet, ce qu'il sera difficile de dire.
Autant de systèmes, autant de budgets de la guerre. Avec le système des volontaires, qui n'impose le service à personne, c'est un budget énorme, exclusivement payé au moyen de l'impôt, c'est-à-dire payé par tout le monde.
Avec le système d’armement général, qui appelle au service militaire tous les hommes valides du pays, vous avez encore un budget énorme payé en impôts par tout le monde, puisqu'il faut armer, instruire, encadrer cet effectif immense ; mais à côté de ce budget, il y en a un autre qui est effrayant, c'est le budget des prestations payé, non par tout le monde, mais exclusivement par les hommes valides du pays.
Tous ces budgets, payables au moyen d'impôts, payables au moyen des énormes sacrifices que représentent les prestations personnelles, c'est-à-dire interruption pour tous les citoyens valides de leur travail, temps d'arrêt dans le développement et la création de la richesse, souffrance pour les familles, tous ces budgets, dis-je, ont un point par où ils se ressemblent, un seul trait commun : c'est que tous, je l'affirme, sont plus élevés que le budget qui est en discussion aujourd'hui.
MfFOµ. - C'est très vrai !
M. d'Elhoungneµ. - Je dirai, messieurs, aux honorables membres qui viennent avec des convictions que je respecte, mais avec des illusions que je ne partage pas, produire tour à tour ces systèmes qui sont loin d'être d'accord et qui sont très souvent contradictoires, je répète à ces honorables membres : La discussion reste ouverte : toutes les questions restent à l'ordre du jour,, hors du parlement, sans que vous le vouliez, dans le parlement, si vous le voulez ; proposez vos systèmes, donnez-leur une formule positive, tangible, exécutable ; qui se traduise en faits et en chiffres, montrez au pays ce que vous voulez lui demander, ce que vous venez lui apporter ; subissez l'épreuve de la contradiction par vos projets ; et alors si votre système l'emporte, parce que la vérité et la justice doivent l'emporter toujours, vous pourrez imposer votre solution. Comme des hommes pratiques, dévoués à leur pays, vous apporterez un système qui puisse se substituer à celui qui existe, qui remplacera avec avantage ce qui existe, mais vous ne vous bornerez pas à faire le vide, là où l'honneur du pays, le salut du pays et l'indépendance du pays sont en jeu.
Si, messieurs, vous restez dans les généralités, si vous indiquez les trois systèmes par leur étiquette plutôt que vous n'exhibez le fond du sac, (page 629) alors vous faites plus qu'une politique de négation, une politique qui détruit mais qui ne reconstruit pas ; c'est une politique qui supprime ce qui est, mais qui ne le remplace pas par ce qui devrait être, selon vous.
Je comprends que hors du parlement, où l'on a toute la liberté et pas de responsabilité, on agisse de la sorte. Mais dans le parlement, dans la compétition loyale des partis, il y a d'autres devoirs. Il ne suffit pas de proclamer une politique négative, de dire ce que l'on ne veut pas ; il faut qu'on ait le courage de dire à la Chambre, de dire au pays ce que l'on veut ; ce que l'on va faire.
Vous qui combattez le gouvernement, vous prétendez que ce qu'il fait pour le salut du pays, il le fait mal. Venez donc nous dire ce que vous ferez, si, ayant renversé le gouvernement, vous étiez à sa place.
Il y a, que la Chambre me permette cette observation de physiologie parlementaire, dont je ne fais application à personne ; il y a dans tous les partis des hommes qui les dirigent légitimement, il y a ensuite des hommes possibles, il y a encore des spécialistes de paradoxes, il y a enfin les enfants perdus et même les enfants terribles. (Interruption.)
Eh bien, je suis tenté de croire qu'il n'y a que les trois dernières catégories qui pourraient venir apporter à cette tribune des propositions du genre de celles que deux honorables membres, l'un de la droite, l'autre de la gauche, se donnant la main par-dessus la tête du ministère, sont venus nous apporter, en nous demandant de décréter, d'une manière abstraite, qu'il n'y aura plus de conscription, qu'il n'y aura plus que des volontaires.
De 1848 à 1850, on a fait, j'ai fait, pour ma part, de l'opposition au budget de la guerre. Nous voulions le réduire au chiffre de 25 millions. Le général Chazal combattait cette proposition, avec toute la supériorité de son talent, mais sans maintenir cependant son budget à un chiffre invariable.
En effet, il était descendu de 29 à 28 millions, de 28 à 27 millions et son successeur était arrivé à 26,600,000 fr. dont 400,00 fr. de dépenses extraordinaires, ce qui réduisait le budget à 26,200,000 fr. Mais à cette époque le débat était nettement engagé. Le gouvernement posait la question de cabinet sur le chiffre du budget : Si nous, ses adversaires, nous disions franchement comment nous établirions notre budget de 25,000,000 de fr., si le gouvernement succombait dans la lutte, on était dans les conditions loyales du gouvernement parlementaire. Mais aujourd'hui, si vous venez simplement proposer des négations, des abstractions, des aspirations, des démolitions : ce n'est plus le programme d'un parti gouvernemental, ce n'est plus un programme du tout : je ne vois plus que des actes d'opposition, et permettez-moi de le dire, cela a tout l'air de n'être plus qu'une chasse aux moyens d'opposition apparente, parce que on n'a pas de motifs d'opposition sérieuse.
Dans la réalité, messieurs, entre le gouvernement qui maintient ce qui est et qui cherche à l'améliorer et qui accepte franchement le débat sur le terrain de ces améliorations entre le gouvernement, dis-je, et ceux qui l'ont combattu jusqu'à présent nous n'avons pas de choix à faire.
Si d'une part, en effet, nous avons l'organisation actuelle de l'armée, cette organisation dont on sait ce qu'elle peut faire et dont il s'agit de compléter et d'étendre l'action ; de l'autre côté nous n'avons rien, rien que des phrases sonores sur lesquelles on jetait hier l'interdit, rien que des projets vagues qui échappent à toute discussion approfondie.
Mais je suppose qu'il en soit autrement, je suppose que nous ayons des projets arrivés à terme, bien constitués, bien coordonnés, susceptibles d'application : est-ce qu'alors encore nous aurions une option à faire dans les circonstances actuelles ? Je n'hésite pas à répondre : Non, et tout homme sérieux, qui n'est pas préoccupé d'autres considérations, étrangères à la réalité de ce débat, devra répondre non, comme moi.
Est-ce donc le moment de faire table rase de tout ce qui existe depuis tant d'années ? Est-ce le moment d'improviser des nouveautés ? Quelqu'un peut-il concevoir seulement la pensée, dans l'état où est l'Europe, d'abolir notre état militaire, d'improviser à la place n'importe quel système nouveau ?
Je parlais tout à l'heure des volontaires. Décrétera-t-on une armée de volontaires ? Quelle armée ? Une armée respectable ?
Mais on a démontré que c'est impossible, tout au moins que c'est peu profitable, et que, même à coups de millions, vous n'improviseriez pas une armée respectable de volontaires. On vous a démontré puisque cela : c'est qu'une armée de volontaires, par sa nature, ne peut pas se recruter pendant la guerre, même à coups de millions. Eh bien, lorsqu'on n'est pas éloigné peut-être d'une guerre, irions-nous risquer de décréter une armée de volontaires ? Et où sont les millions qu'on propose ? Quel est le chiffre qu'on place en regard de la proposition de créer l'armée de volontaires ?
Un des hommes les plus éclairés de cette Chambre, qui siège de l'autre côté et qui a fait partie de la commission militaire, y a indiqué le chiffre de 22 à 23 millions, qu'il se disait prêt à ajouter au budget de la guerre, pour avoir une armée de volontaires substituée à notre armée de miliciens.
Cet honorable membre poussait jusqu'au bout la logique du système. Il ne reculait pas devant les sacrifices sans lesquels il ne saurait se réaliser. Mais en est-il plus concluant ?
N'est-ce pas la preuve que c'est là un système qu'on ne peut faire fonctionner qu'en ajoutant, aux sacrifices qu'on demande aujourd'hui pour le budget de la guerre, une somme qui pourra peut-être doubler le chiffre de ce budget ?
Aussi beaucoup d'honorables membres qui appuient une armée de volontaires ne la demandent qu'à l'état de noyau. Il s'agit d'une bonne petite armée de volontaires.
L'honorable M. Hayez a dit : Une armée de 15,000 volontaires, complétée par 10,000 miliciens ou gardés civiques.
Mais, messieurs, on oublie complètement ici Anvers qu'il faut défendre ou qu'il faut raser.
Il n'y a pas de milieu. Anvers non défendu c'est le plus grand péril de notre nationalité, c'est l'invasion provoquée, voulue, imposée par nous.
Il n'est personne qui puisse en douter. Il faut ou défendre ou raser Anvers....
M. Delaetµ. - C'est évident.
M. d’Elhoungneµ. - Eh bien, s’il faut le défendre, il vous faut 50,000 à 55,000 hommes. Ceux qui veulent un noyau d’armée composée de volontaires, ne veulent donc pas défendre Anvers, et, comme ils ne veulent pas non plus compromettre notre nationalité en laissant Anvers sans défense, il faut qu’ils aient le courage de proposer de raser Anvers.
Qui le propose ?
M. Coomans. - Moi !
M. le président. - La proposition n'est pas parvenue au bureau.
M. d'Elhoungneµ. - Evidemment, l'honorable membre semble vouloir se ranger dans l'une des catégories que je définissais tantôt, car ce que l'honorable M. Hayez, tout anversois qu'il est, n'a osé insinuer qu'à mots couverts, l'honorable M. Coomans vient de le formuler catégoriquement. Son interruption a ainsi résolu la question.
M. Delaetµ. - Pas du tout.
M. d'Elhoungneµ. - Ainsi, sauf la voix solitaire qui veut raser Anvers, je constate que personne dans cette Chambre ne s'associera à la proposition, et quand même la proposition serait faite, on me permettra de supposer qu'elle ne réunirait pas même une respectable minorité.
Or, bien qu'on ait dit qu'Anvers n'a pas l'importance qu'on lui attribue, je persiste à croire que si Anvers n'est pas une position aussi importante que Constantinople, elle s'en rapproché beaucoup, au point de vue de l'Angleterre surtout.
Je me rappelle qu'à toutes les époques Anvers a été considéré comme un des points les plus importants du continent européen, et je ne pense pas que les quelques doutes élevés par l'honorable M. Hayez puissent renverser à la fois l'opinion de tous les hommes d'Etat, de tous les publicistes, de tous les militaires qui ont examiné la position stratégique, géographique et maritime d'Anvers.
Mais je suppose un instant que l'honorable M. Coomans, devenant légion, puisse réussir à faire passer dans cette Chambre le projet de détruire les fortifications d’Anvers, que dirait-on, que penserait-on de nous à l'étranger ?
Quoi ! après tant de sacrifices faits dans l'intérêt de notre nationalité, pour lui donner un boulevard inexpugnable et son dernier refuge dans un moment suprême, après avoir proclamé à la face du monde que nous mettions toute notre confiance et notre dernière espérance dans cette forteresse, nous irions, par une défaillance de la dernière heure, défaire l'œuvre quand le moment est proche peut-être où elle sera le salut !
Nous donnerions un singulier spectacle, il faut en convenir. On élève des citadelles dans les autres pays, je ne dis pas qu’on ait raison et je suis fort innocent pour ma part des fortifications d'Anvers ; mais quand partout ailleurs on multiplie les fortifications et les moyens de défense, nous, qui avons fait les fortifications les plus importantes du monde, nous les détruirions de nos propres mains !
(page 630) Même en Hollande et en Suisse, on augmente les mesures et les dépenses de la guerre. La situation extérieure l'emporte dans leur préoccupation. Et nous qui depuis 16 ans avons dépensé pour le budget de la guerre et pour avoir le personnel d'un grand effectif, 579 millions alors que le budget à 25 millions ne nous eût fait dépenser que 400 millions, nous irions, à l'approche du moment décisif (nous pouvons le craindre), au moment où tout le monde obéit à la préoccupation d'un présent peu rassurant et d'un avenir qui l'est moins encore, nous irions jeter par dessus bord tous les sacrifices du passé, pourquoi ? Pour ne pas y ajouter quelques dépenses nouvelles qui sont à faire aujourd'hui ! Ce ne serait pas raisonnable.
Je crois donc, messieurs, qu'on ne peut songer à improviser une armée de volontaires. Ce système ne peut se concilier, d'ailleurs, avec l'état actuel et les besoins de la défense d'Anvers. Cela seul suffirait pour faire reléguer, au moins dans les circonstances actuelles, un pareil projet, et de la ranger parmi les utopies.
La discussion et la publicité pourront parvenir peut-être à faire entrer le projet dans tous les vœux du pays ; mais aujourd'hui, on m'excusera de le dire, ce serait véritablement un acte de folie que de le substituer tout à coup à ce que nous avons.
Je ne m'arrêterai pas longtemps à ce qu'on appelle « la nation armée. » Ce système suppose toute la population valide appelée sous les armes, sans distinction, sans exemption, en un mot, c'est le pays entier converti en un véritable camp.
Je ne crois pas d'abord que ce système soit compatible non plus avec le maintien d'Anvers. Si vous voulez avoir Anvers en état de défense, il faut avoir une armée permanente toujours prête à le défendre. Vous ne pouvez pas avec des masses de gardes civiques, qui ne sont rassemblés que pour de courtes périodes, pas plus que vous ne pouvez avec un petit noyau de volontaires, pourvoir à la défense d'une place aussi importante.
Par ce système, vous êtes donc encore une fois placés entre l'abdication de tout ce que vous avez fait dans le passé et cela au péril de passer pour faire bon marché de votre indépendance, en rasant Anvers, et la nécessité d'avoir, pour la défense même d'Anvers, une armée permanente à peu près équivalente de celle qu'on vous demande aujourd'hui. Mais le système soulève, comme je l'ai déjà dit, bien d'autres objections.
L'armement universel est de tous les systèmes celui qui impose aux nations les sacrifices les plus lourds, les plus onéreux, les plus difficiles à faire accepter.
A-t-on bien réfléchi à ce que serait, pour un pays industriel et commercial comme la Belgique, l'armement général et l'appel de tous les citoyens valides sous les armes lorsque approcherait quelque danger de l'extérieur ?
Ensuite, nous sommes une nation neutre ; on ne nous déclarera pas la guerre ; mais nous devrons nous mettre sur le pied de guerre, lorsque la guerre éclatera entre d'autres puissances non loin de nous.
Nous ne serons donc qu'en état d'observation, dans une position expectante, état d'observation et position expectante qui peuvent se prolonger longtemps. Vous figurez-vous alors nos forces sur le pied de guerre et les citoyens appelés sous les armes en service actif, pendant un temps prolongé ?
Vous figurez-vous les fabriques en stagnation, toutes les affaires suspendues, toutes les transactions arrêtées, le travail interrompu, la production tout entière de la richesse en suspens, tous les pères de famille appelés à sacrifier au service militaire tous leurs devoirs et leur attention, dans l'impuissance de gagner le pain pour leurs femmes et leurs enfants, la misère éclatant partout, la mendicité partout ? Tels sont cependant les effets nécessaires du système de l'armement universel, chez une nation que sa neutralité condamnerait à conserver longtemps la position expectante de la paix ultra-armée en présence de voisins prêts à se déclarer la guerre.
Trois mois de ce régime nous feraient dépenser ou plutôt nous feraient perdre plus de centaines de millions que nous n'en avons dépensé depuis 16 ans pour l'armée permanente.
Et que cela soit facile à faire passer dans les mœurs, dans les goûts, dans les vœux du pays, on peut s'en faire une idée. Rappelez-vous, messieurs, l'impression qu'a produite le projet de loi organisant la garde civique pour être la réserve de notre armée active. Ce projet que la grande commission a élaboré pour l'organisation du premier bau de la garde civique, ainsi que le projet pour l'exonération ont été les deux mobiles les plus puissants pour soulever ce qu'on appelle aujourd'hui le mouvement antimilitariste.
Il a commencé par une méprise. On le dirigeait dans le principe contre des mesures que le gouvernement ne présentait pas ; mais on l'a poursuivi contre les mesures que le gouvernement présentait parce qu'on n'a pas été fâché d'avoir les bénéfices du quiproquo.
On ne peut donc pas espérer de faire entrer dans nos mœurs l'embrigadement général de la nation ; je ne dis pas que ce ne soit pas un système parfaitement logique, très juste en théorie que de forcer tous les citoyens valides à porter les armes ; je ne dis pas que ce ne soit pas une excellente éducation pour tous les citoyens depuis l'adolescence jusqu'à l’âge mûr, que de manier les armes pour pouvoir, au besoin, concourir efficacement à la défense du territoire national. Mais je dis que, de tous les systèmes qu'on peut imaginer, c'est celui qui impose le plus de dépenses et de sacrifices, et que ce n'est pas au nom de l'économie qu'on peut le préconiser.
J'arrive ainsi à cette conclusion toute naturelle que, dans la situation présente, il faut conserver et améliorer ce que nous avons. Ceux qui ont le plus de répugnance pour ce système doivent se résigner à le subir, parce qu'il n'y a aucune des combinaisons proposées qui puisse y être substituée, parce qu'il n'y en a aucune qui puisse donner immédiatement les mêmes garanties pour notre indépendance et notre nationalité.
Je ne m'occuperai pas de la question de la neutralité ; cette question a été véritablement épuisée par M. Thonissen et par M. de Vrière ; ces deux honorables membres ont indiqué des droits que la neutralité nous confère, des obligations qu'elle nous impose, avec une autorité qui doit avoir dissipé les doutes dans tous les esprits. Je n'ai pas même la prétention de répondre aux objections qu'on a élevées contre les honorables orateurs. Il m'a paru d'ailleurs qu'elles étaient dictées plutôt par le parti pris de ne pas les comprendre que par la pensée de les réfuter véritablement. (Interruption.)
On vous a dit, messieurs, dans la séance d'hier que les mesures que le gouvernement vous propose pèchent par la base ; on a signalé une lacune essentielle dans les projets en ce qu'aucun ne s'occupe de la réserve appelée à compléter l'organisation de l'armée, à laquelle cette réserve s'adjoindra.
Je réponds que la lacune existe, mais qu'elle sera comblée, le gouvernement ayant pris l'engagement de nous présenter un projet de loi ; que, si cette réserve n'est pas organisée encore, nous sommes dans la même position que la France où la réserve vient seulement d'être votée par le corps législatif et le sénat.
Par l'organisation de cette réserve les honorables membres partisans de l'armement général pourront même tâter les pouls à nos populations pour calculer les chances de leur système. Ils pourront s'assurer avec quel empressement tous les citoyens valides, sans distinction, sont prêts à se plier aux exigences du service militaire.
D'après le chaleureux enthousiasme que les appelés du premier ban ont déjà fait éclater en plusieurs circonstances, on peut aisément mesurer ce que sera l'enthousiasme des autres appelés qui seront recrutés dans les couches moins jeunes de la population mâle du pays.
M. Jacobsµ. - Pauvre pays !
M. Bouvierµ. - Pauvre système, oui !
MfFOµ. - Les mêmes sentiments se révèlent en France, la nation la plus militaire du monde.
M. d'Elhoungneµ. - Comme le fait remarquer M. le ministre des finances, je n'ai pas vu que l'organisation de la garde mobile ait provoqué le moindre enthousiasme.
C'est même un fait historique, qu'on n'est jamais parvenu en France à organiser une réserve ; elle a toujours existé en projet, quelquefois sur le papier, mais jamais à l'état de réalité. On ne l'a jamais vue organisée, et le maréchal Niel a dit, dans une discussion récente, que ce serait la première fois qu'une réserve serait organisée en France par les 400,000 hommes de garde mobile ajoutés aux 800,000 hommes de l'armée active que la France peut mettre sur pied.
Un honorable orateur que nous avons entendu hier, et dont le discours est assurément le plus brillant feu d'artifice qu'on ait tiré au-dessus et à côté du projet de loi, l'honorable et éloquent M. Jacobs vous a dit que le projet de loi avait un second défaut, celui d'organiser nos forces militaires, sous le prétexte d'avoir une armée de campagne, qui serait à tout jamais, et surtout dans les circonstances où nous nous trouvons, une véritable illusion.
(page 631) Je crois que l'honorable membre lui-même est victime ici d'un véritable illusion. En effet, nous avons deux lois, l'une du 8 mai 1847, l'autre du 8 juin 1853, qui mettent à la disposition du gouvernement les hommes nécessaires pour avoir l'effectif de cent mille hommes ; or, avec un effectif de cent mille hommes, on a l'armée de campagne de 50,000 hommes au moins.
M. Delaetµ. - Sur le papier.
M. d'Elhoungneµ. - Je vais vous montrer que cet effectif est bien réellement à la disposition du gouvernement. La loi du 8 mai 1847 établit huit classes ; ces huit classes ne vous donnent, il est vrai, qu'un chiffre nominal de 80,000 hommes, qui est encore réduit par les non-valeurs ; mais d'après les articles 5 à 7 de la loi du 8 juin 1853, en cas de guerre ou lorsque le territoire est menacé, le Roi a le droit d'appeler sous les armes les célibataires et les veufs sans enfants de toutes les classes suivantes de miliciens, qui ont servi dans les rangs de l'armée.
Vous avez là une véritable réserve, non pas cette réserve qui doit être l'auxiliaire de l'armée active, mais une véritable réserve de soldats qu'on peut rappeler pour compléter l'effectif normal de l'armée active. Cet effectif normal de cent mille hommes est donc assuré, tant par les huit classes établies par la loi de 1847 qu'au moyen de la faculté qu'a le gouvernement de rappeler au service, en vertu de la loi de 1853, tous les miliciens célibataires ou veufs sans enfant, appartenant aux classes libérées. Je le répète donc : Le contingent de cent mille hommes est assuré ; la réserve en hommes est mise à la disposition du gouvernement, mais elle n'est mise à la disposition du gouvernement qu'en temps de guerre ou lorsque le territoire est menacé. Et il en est ainsi en France.
En France on a établi la durée du service militaire en faisant une coupure des neuf années exigées du milicien, en cinq années de service actif et quatre années de réserve. Ces quatre années de la réserve répondent chez nous à nos classes congédiées et aux classes libérées qu'on peut rappeler en cas de guerre ou lorsque le territoire est menacé. En effet, en France cette réserve de soldats ayant accompli cinq années de service actif ne peut non plus être appelée sous les armes qu'en cas de guerre. La position, on le voit, est identique.
Qu'on ne vienne donc pas nous parler d'illusion ; qu'on ne vienne pas dire que nous payerions des cadres pour un effectif chimérique.
L'effectif existe, il existe dans les huit classes de la loi de 1847 et il existe dans l'appel que le Roi peut faire à tous les célibataires et veufs sans enfants des classes ultérieures jusqu'à ce que le chiffre de cent mille hommes soit réellement sous les drapeaux.
Mais précisément, messieurs, c'est là ce qui soulève mes doutes sur la nécessité de l'augmentation du contingent. Puisque nous avons cent mille hommes ; puisque, en faisant appel aux classes congédiées et aux classes libérées, ou peut avoir cent mille hommes, comme en France on peut avoir un effectif de huit cent mille hommes en faisant appel en cas de guerre aux hommes qui font leurs 4 ans dans la réserve, on n'a pas besoin, comme l'a fait l'honorable général Goethals, de demander un contingent annuel de 3,000 hommes de plus.
Ainsi que le faisait remarquer avec infiniment de raison l'honorable M. Vermeire, 3,000 hommes de plus représentent 50 pour cent des charges militaires payées en prestations. Ces 3,000 hommes, c'est 3,000 familles de plus qui chaque année subiront les tortures du tirage au sort, et qui devront supporter le sacrifice que la mauvaise chance peut imposer à leurs fils arrivés à l'âge de la conscription. C'est un sacrifice énorme imposé à ces familles.
M. le ministre de la guerre, en révisant le travail de son prédécesseur, est déjà arrivé à retrancher mille hommes. On demandait 2,000 hommes qui devaient servir deux ans et demi à trois ans et mille hommes qui ne devaient servir que sept mois.
Eh bien, l'honorable général Renard, en remaniant le travail de son prédécesseur, a pu, d'un seul coup, retrancher mille hommes, et, remarquez-le, messieurs, non pas mille hommes à sept mois de service, mais mille hommes à deux ans et demi ou trois ans de service.
MgRµ. - Pardon, ce sont mille hommes à sept mois.
M. Delaetµ. - Et l'on rend le remplacement impossible pour les classes moyennes.
M. d'Elhoungneµ. - Je rectifie mon erreur : Il s'agit, en effet, de mille hommes à sept mois et de mille hommes à 2 1/2 à 3 ans.
Eh bien, on trouble ainsi deux mille familles dans un but d'utilité, qui n'est ni immédiat, ni prochain, car les mille hommes qui doivent servir deux ans et demi ne donneront qu'au bout de huit ans un surplus de huit mille hommes. Cette combinaison est donc proposée sans nécessité, et elle offre l'inconvénient immédiat d'augmenter de vingt pour cent la charge de la conscription, d'augmenter la charge des prestations que notre état militaire impose aux populations, d'enlever au travail deux mille bras de plus par an, et d'introduire dans notre législation sur la milice des complications presque inextricables, puisqu'il y aura des appelés à différents titres ; puisqu'il y aura onze mille soldais chaque année devant servir le temps normal, et mille hommes qui ne serviront que sept mois.
Vous devrez donc compliquer votre tirage au sort, probablement supprimer le tirage au sort par commune, y substituer le tirage par canton ; en un mot, vous créez des difficultés sans nombre, des froissements nouveaux pour la population, sacrifices et inconvénients qui ne sont rachetés par aucune utilité ni immédiate, ni prochaine, je le répète.
Remarquez, en outre, que la création de ces deux catégories de miliciens, l'une servant en temps normal, l'autre appelée à servir pendant quelques mois seulement, introduit des inégalités de plus dans notre régime de milice, qui produit déjà tant d'inégalités.
En France, comme je l'ai dit, voici ce qu'on fait. On voulait obtenir une augmentation de l'effectif ; il y avait pour cela deux moyens : une augmentation du contingent annuel, ou une augmentation de la durée de service, divisé en service actif et en service dans la réserve
L'empereur n'a pas la faculté d'appeler toutes les classes libérées, pour compléter, au besoin, l'effectif organique de l'armée ; l'empereur ne pouvait prendre que les classes que la loi lui donnait, et pendant la durée du service que la loi assignait à ces classes. La durée du service était de huit années, quand on s'est demandé comment on pouvait augmenter l'effectif, s'il fallait augmenter le contingent annuel, ou s'il n'y avait pas lieu de maintenir le chiffre du contingent, en ajoutant une année de service dans la réserve : c'est ce dernier mode qui a fini par triompher au corps législatif.
Dans ces débats, il a été démontré jusqu'à l'évidence qu'il valait mieux conserver le chiffre du contingent annuel, et demander à une prolongation du service de la réserve l'augmentation jugée nécessaire de l'effectif.
En Belgique, nous n'avons besoin ni de prolonger le temps du service ni d'augmenter le contingent. La loi de 1853 a pourvu à toutes les éventualités.
Nous avons des classes libérées auxquelles le gouvernement peut faire appel en cas de danger ; nous avons donc tout ce qu'il faut. Il n'existe aucune nécessité de demander de nouveaux sacrifices en hommes aux populations ; de demander denouveaux sacrifices à l'agriculture ; d'entraver la richesse publique, de faire le sacrifice du travail de ces 2,000 hommes de plus par an. Cette inégalité, que. j'ai déjà signalée, dans le temps de service qu'on assigne ici aux deux catégories de miliciens, crée cependant, pour ceux mêmes qui ne sont appelés à servir que pendant le terme le plus court, tous les inconvénients du tirage au sort. Ils auront besoin, dans beaucoup de cas, pour satisfaire aux exigences de leurs positions sociales, de se faire remplacer ; les familles passeront par les mêmes angoisses et souvent par les mêmes sacrifices.
Vous avez entendu, lors du dernier discours qu'a prononcé M. le ministre de la guerre, que l'honorable général ne tient pas essentiellement à une augmentation du contingent.
Il a dit, en effet, que s'il se présentait plus de volontaires, ce qu'il espère des améliorations apportées au sort du soldat, améliorations qu'il est facile d'augmenter encore, il se passerait d'une augmentation du contingent. Je suis convaincu, pour ma part, que l'honorable général Renard trouvera plus facilement encore le moyen de se passer de cette augmentation du contingent quand il ne l'aura pas que quand il l'aura.
Du reste, je soumets ces observations au gouvernement lui-même. Je suis persuadé qu'il n'en pourra méconnaître la justesse quand il pèsera d'un côté l'avantage qu'il attend de l'augmentation du contingent, avantage éloigné et discutable, et quand il mettra en regard, d'autre part, les inconvénients graves de la mesure, son impopularité, le froissement des populations à qui on demande tout à coup 20 p. c. de plus en hommes. C'est là une importante augmentation des charges militaires, bien plus lourde que les sommes relativement insignifiantes que le gouvernement demande en plus pour l'artillerie et pour les autres dispositions qu'il propose dans le but d'améliorer notre état militaire.
Je ne sais jusqu'à quel point les calculs que j'ai faits peuvent avoir été influencés par l'erreur que je commettais au sujet des explications données par M. le ministre de la guerre ; je crois cependant qu'ils sont exacts.
(page 632) Or, j'ai trouvé que les deux mille hommes d'augmentation du contingent pendant huit ans, en prenant le total de leur présence sous les drapeaux, représentaient 9 millions de journées de travail qu'on sacrifierait par appliquer cette innovation.
Il est une accusation, messieurs, qu'on a présentée sous toutes les formes : c'est celle qui s'applique au mode de recrutement de l'armée, mode inique, a-t-on dit, et qui est encore aggravé par ce qu'on a appelé la plaie, la lèpre du remplacement (on a épuisé toutes les horreurs du dictionnaire de médecine).
Messieurs, je ne suis pas enthousiaste du tirage au sort ; je n'ai pas le culte de cette divinité aveugle, pas plus que l'honorable M. Coomans, mais je lui demanderai ce qu'il propose de mettre à la place ? On peut dire de belles et de bonnes choses contre le tirage au sort ; nous avons déjà fait l'expérience, nous la ferons encore ; mais y substituer quelque chose, voilà le difficile !
Vous préférez des volontaires. Mais comment les aurez-vous ? Avec de l'argent, beaucoup d'argent, et encore les trouverez-vous ?
A moins d'obtenir l'armement universel, on n'a rien à mettre à la place du tirage au sort. Jusqu'ici il n'est pas arrivé jusqu'à nous de moyen pratique de remplacer le tirage au sort. Si la lumière doit se faire quelque jour sur cette question, si sa solution peut passer dans la pratique, je vous réponds que je me joindrai à vous très cordialement pour demander l'abolition du tirage au sort, pour faire mettre à sa place la panacée que vous aurez découverte.
Entre-temps ce mode de recrutement subsistera. Voyons s'il est aggravé, comme on l'a dit, par la plaie ou la lèpre du remplacement.
Ici encore, la même interrogation se présente : que veut-on substituer au remplacement ? est-ce l'engagement chèrement acheté de volontaires ? est-ce l'exonération ? Mais l'un et l'autre procédé, en réalité, constitue un contrat exactement semblable à celui qui intervient pour le remplacement. Quant vous instituez un système de primes pour avoir des volontaires ou l'exonération, vous ne faites pas autre chose que déterminer à prix d'argent les uns à servir pour les autres.
Or, je demanderai aux honorables membres qui soutiennent l'engagement des volontaires et l'exonération, en quoi la substitution et le remplacement constituent une injustice pour les miliciens qui servent de leurs personnes. Il me semble que quand deux miliciens échangent la position que le sort leur a faite, pour se substituer l'un à l'autre, il n'y a rien d'immoral dans ce contrat, pour ceux qui le font et rien d'injuste pour les autres. Il n'y a là rien que de parfaitement licite et digne même d'approbation. Voilà pour la substitution.
Maintenant, lorsqu'un individu qui a la vocation militaire traite avec un milicien pour servir à sa place, et reçoit une indemnité, en quoi le contrat est-il plus immoral ou plus injuste ?
J'ai eu au collège deux amis ; l'un était orphelin, l'autre devait être le soutien de toute sa famille ; ils tirent au sort en même temps ; l'orphelin a un bon numéro ; l'autre, un mauvais ; l'orphelin dit à son camarade ; « Je marche à votre place. » Eh bien, lui répond l'autre : « Vous accepterez la petite somme que j'ai économisée dans l'espoir de parvenir à me faire remplacer. » Qu'y avait-il là d'immoral ?
Le substituant est devenu depuis officier dans l'armée. En est-il de plus digne qu'on lui serre la main ?
Le remplaçant vend ses services ! Mais dans la société, telle qu'elle est organisée, tout se résume en un échange de services ! Tous ceux qui travaillent, soit à l'aide de l'intelligence, soit à l'aide de leurs bras, vendent des services. Ils vendent,, parce que l'argent est le dénominateur commun de la valeur pour le travail comme pour les autres produits. C'est l'honneur de notre temps d'honorer le travail qui. engendre l'échange des services. Or, s'il est honorable de vivre de son. Travail, je ne vois pas en quoi, celui qui vend ses services, seule manière de vivre de son travail,, serait moins respecté que celui qui ne fait rien.
Ah ! c'est que par le remplacement on vend sa vie, on vend sa chair ! Messieurs, il y a là un futur contingent. Il se peut, sans doute, que le remplaçant entré dans l'armée par un contrat privé soit appelé à défendre la patrie, à mourir pour elle. Mais cette éventualité, qu'on ne saurait payer, c'est l'honneur du contrat ; vous en faites la flétrissure ; c'est ce qui le relève, ce qui l'ennoblit.
- Des membres. - Très bien ! très bien !
M. d'Elhoungneµ. - Le remplacement est en réalité le correctif du tirage au sort. Il permet de maintenir la division du travail. Il respecte les aptitudes individuelles ; il permet à chacun de suivre sa vocation.
M. Coomans. - Excepté aux pauvres.
M. d’Elhoungneµ. - Et ne croyez pas que le remplacement ne profite qu'au riche. Le remplacement est descendu très bas dans les couches sociales. Non seulement les petits bourgeois, mais mêmes d'humbles cultivateurs profitent du remplacement. Je connais beaucoup de communes où les pères de famille se cotisent, s'associent longtemps à l'avance, dans le but d'acheter un remplaçant à celui de leurs fils que le sort désignera pour faire partie de l'armée.
M. Delaetµ. - C'est précisément ce dont se plaint le ministre de la guerre.
M. d'Elhoungneµ. - C'est dans les rangs de la bourgeoisie que vous causeriez le plus de réclamations, le plus de préjudice, en proscrivant le remplacement.
Sans doute le remplacement a des vices ; mais corrigez-les. Le remplacement a présenté des inconvénients pour l'armée, prévenez les inconvénients ; déracinez les abus ; faites-leur une guerre à outrance.
L'honorable M. Muller, dans le rapport qu'il a récemment déposé au nom de la section centrale, a fait sur le remplacement un travail aussi consciencieux que concluant. Il a suivi pas à pas tous les abus qu'on a signalés dans le remplacement et la section centrale a mis partout le remède à côté du mal.
Ces remèdes ne se résument pas en des idées bien compliquées. Il s'agit d'être plus sévère sur le choix des hommes. Que les remplaçants soient pris parmi les anciens soldats ou dans la vie civile, il faut avoir des garanties de leur moralité, de leur bonne conduite ; il ne faut pas admettre dans l'armée ceux qui sont connus ou signalés comme de mauvais sujets.
En France, messieurs, lorsqu'on a discuté, en 1841, une loi qui s'occupait du remplacement, on a encore introduit, dans le régime du remplacement, des améliorations qui sont dignes d'être adoptées. Ainsi, pour prévenir, autant que possible, les scandales du racolage, on a exigé que les actes de remplacement fussent toujours passes devant notaire. De même pour empêcher qu'il n'y eût des manœuvres déloyales et des turpitudes mêlées aux transactions entre le remplaçant et celui qui traite avec lui, on a exigé qu'une partie du prix du remplacement serait consignée entre les mains de l'Etat pendant tout le temps que servirait le remplaçant. Seulement le gouvernement était autorisé, si mes souvenirs sont exacts, à se départir, dans certains cas exceptionnels, de la sévérité de cette règle ; par exemple, lorsqu'un jeune homme s'engage pour procurer des ressources à ses parents, un cas qui se présente assez souvent et qui prouve que le contrat de remplacement peut se faire dans des conditions qui n'ont rien assurément de répréhensible ni d'immoral. Dans ces hypothèses, le gouvernement permet d'attribuer soit le capital, soit la rente provenant du prix de remplacement aux parents vieux ou pauvres que leur fils a voulu soulager en se consacrant au service militaire et en libérant un citoyen désigné par le sort.
On peut donc, en maintenant le remplacement, mais en faisant justice des grandes phrases, des grands mots dont on le poursuit, le rendre plus moral, le rendre meilleur pour l'armée, le dépouiller d'un grand nombre de ses inconvénients et de ses abus, et le laisser fonctionner comme un correctif utile des rigueurs de la loi sur la milice.
Mais, objecte l'honorable M. Jacobs,. à qui les inconséquences ne semblent coûter guère, le remplacement va devenir très onéreux, très difficile. Je réponds : Si c'est une plaie, pourquoi craignez-vous qu'on la circonscrive, qu'on l'assainisse ? Soyez conséquent avec vous-même.
L'honorable M. Coomans disait tout à l'heure : Mais il n'y a pas le correctif du remplacement pour les pauvres ! Ils sont exclus, par le fait de leur indigence, du droit de se faire remplacer ; cela est vrai. Mais d'abord les pauvres y ont en général moins d'intérêt, je le dis sans être guidé par aucun sentiment qui ne soit pas tout sympathique pour eux. Le pauvre qui change sa position d'ouvrier contre la position de soldat, fait un sacrifice moins pénible que l'homme placé dans une autre condition sociale. Pour lui, le froissement est moins grand. Mais ensuite, il y a, à cette grande inégalité de la milice au détriment du pauvre, il y a une compensation. Cette compensation doit se trouver dans l'organisation de la réserve. En effet, ainsi qu'un membre de la grande commission l'a indiqué, et ce membre n'était, je pense, en cela, que l'interprète d'une pensée conçue par un des membres du cabinet, il y a moyen de faire, dans l'organisation de la réserve, la contrepartie de cette inégalité qui existe pour la milice à la défaveur des pauvres, obligés toujours de servir de leur personne.
(page 633) Les hommes de la réserve doivent être nécessairement pris d'abord parmi ceux que le sort a libérés de la milice : c'est une compensation. Ils ne servent pas dans l'armée ; ils serviront dans la réserve. La réserve doit se composer ensuite de remplacés. Ils ont un remplaçant dans l'armée ; ils serviront de leur personne dans la réserve, c'est aussi une compensation.
Ce n'est pas tout.
Si dans l'armée les pauvres servent en majorité, dans la réserve les riches serviront en majorité ; car vous ne pouvez organiser une réserve qu'en y appelant les hommes qui sont en état de supporter les frais d'armement, d'équipement et d'habillement, c'est-à-dire les riches, les favorisés de la fortune, en un mot, tous ceux qui ont une certaine aisance. Voilà quels seront les premiers soldats de la réserve, appelés en temps de guerre à combattre de leur personne à côté des miliciens de l'armée active.
Voilà la compensation,. Elle n'est pas directe et précise ; mais elle est réelle et juste.
L'honorable M. Janssens, dans le discours qu'il a lu à une précédente séance, vous a dit que le service militaire, tel qu'il existe eu Belgique, c'est le prolétariat puni des travaux forcés.
Je regrette que l'honorable membre ait cru devoir adresser aux soldats de notre armée, et précisément aux plus pauvres, cette assimilation avec les hommes que nos lois pénales renferment dans les maisons de réclusion. (Interruption.)
L'honorable membre a fait plus que cela. Voici une autre de ses phrases : après avoir dit que c'est dans l'atelier qu'il a été puiser sentiment d’horreur que le mode de recruter l’armée lui cause, l’honorable M. Janssens vous a dit qu’il faudrait relever l’état militaire, et voici la phrase textuelle par laquelle il continue :
« Le soldat ne serait-il pas mieux traité de ses chefs, si l'uniforme qu'il porte couvrait indistinctement des jeunes gens de tous rangs et si l'on était à peu près sûr de ne rencontrer dans le simple soldat qu'un pauvre qui n'a pu se racheter ou un gredin qui a dû se vendre. »
Et l'honorable M. Janssens prétend que c'est au foyer des ouvriers, que c'est dans l'atelier où il visite l'ouvrier, qu'il a été puiser ces sentiments !...
Je demanderai à M. Janssens s'il a visité en Allemagne les ateliers, au moment où la levée en masse pour la dernière guerre avait appelé sous les armes tous les citoyens valides, tous les pères de famille ?
C'est alors qu'il aurait vu le solde en larmes et en souffrances du plus terrible des budgets de la guerre. Il aurait vu la vie du travail suspendue partout, toutes les affaires et tous les intérêts en souffrance, les familles d'ouvriers, privées de leurs chefs, montrant leur misère dans les rues.
Mais, messieurs, quand on va dans les ateliers de l'industrie étudier les effets du service militaire, on devrait bien faire la comparaison entre les hommes que le gouvernement rend à la société après qu'ils ont traversé l'armée, et fa population que l'industrie nous rend à son tour.
L'industrie, qui trop souvent demande ses travailleurs à l'enfance, ne condamne-l-elle pas les enfants, et avant le temps, à des travaux qui sont la torture du corps et de l'âme ? Comment nous les rend-elle souvent ces ouvriers ? Combien n'en compte-on pas dont on a fait ou de malheureux décrépits ou de misérables estropiés ? (Interruption.)
M. Van Overloopµ. - Messieurs, j'ai déploré certains arguments employés par mon collègue de Saint-Nicolas, M. Janssens, mais je dois déclarer qu'il se conduit envers ses ouvriers en véritable père de famille. Plût à Dieu que tous les maîtres se conduisissent envers leurs inférieurs comme mon honorable ami !
M. Delaet. — Cela ne peut s'appliquer à l'honorable M. Janssens, l'auteur du discours.
- Un membre. - A Gand...
M. le président. - Veuillez n« pas interrompre.
M. Delaetµ. - Nous.ne saurions laisser mettre en suspicion l'honorabilité et l'humanité de notre collègue.
M. le président. - M. Delaet, vous n'avez pas le droit d'interrompre. A la première interruption, je vous rappellerait à l'ordre.
M. Delaetµ. - Soit. Nous ne laisserons point passer sans protestation une phrase équivoque.
M. le président. - Je vous rappelle à l'ordre. La parole que nous entendons en ce moment est comme les vôtres digue de respect.
M. Delaetµ. - Certes la parole que nous venons d'entendre est digne d'être écoutée, et respectée ; mais, il y a dans les mots que M. d'Elhoungne a prononcés il y a un instant, une allusion, indirecte il est vrai, mais très transparente. L'auteur du discours incriminé est un industriel de premier ordre, un des hommes les plus estimables, les plus respectables du pays. Sa fabrique est un modèle, c'est une véritable école. M. Janssens est réellement le père de ses ouvriers.
J'ai tout simplement voulu fournir à l'honorable M. d'Elhoungne l'occasion de proclamer que dans ses paroles il n'y avait rien de personnel à M. Janssens, et je suis sûr que si M le président n'était pas intervenu, l'honorable député de Gand se serait empressé de le déclarer. Je demande donc à la Chambre de ne pas maintenir un rappel à l'ordre que j'ai la conscience de n'avoir point mérité.
M. le président. - J'espère que la Chambre rend justice à l'impartialité avec laquelle je réprime les interruptions.
Après avoir entendu M. Delaet dans sa réclamation contre le rappel à l'ordre, si la Chambre n'y trouve pas d'objection, je ne le maintiendrai pas. Mais j'espère qu'à l'avenir M. Delaet comme tous ses collègues auront égard aux efforts que je fais pour maintenir le calme dans nos discussions.
M. d’Elhoungneµ. - Je dois remercier l'honorable M. Delaet d'avoir expliqué sa pensée qui est identiquement la mienne. Je ne savais pas même que l'honorable M. Janssens fût industriel. Mais ce que je dois dire, c'est que si j'avais entendu appliquer à une grande partie de l'armée l'épithète dont l'honorable membre s'est servi, j'aurais protesté.
M. Janssensµ. - Ce n'est pas du tout le sens de ma phrase.
M. d'Elhoungneµ. - On a parlé de Gand. A Gand, il y a des abus, mais à Gand il y a des modèles ; à Gand il y a des établissements que l'on peut citer avec orgueil pour les soins paternels dont on entoure les enfants, pour l'instruction qu'on leur donne, pour la sollicitude avec laquelle on se préoccupe de leurs besoins et de leur santé.
Il n'est pas de ville industrielle où il y ait des exemples plus frappants de ce que la sollicitude éclairée des industriels peut faire pour la classe ouvrière.
Et cependant, quand on voit l'état physique de cette population d'enfants et d'adolescents voués au travail des manufactures, et qu'on les compare à l'état de vigueur et de sauté des hommes qui sortent de l'armée, il faut avouer que l'honorable général Renard avait bien raison de dire que les déclamations sur l'impôt du sang font hausser les épaules à ceux qui vivent dans les casernes.
Il est d'ailleurs une observation que je voulais présenter tantôt, c'est que les accusations que l'on fulmine contre les remplaçants peuvent, en grande partie, s'adresser aux volontaires ; cependant on fait avec les volontaires d'excellents soldats, bien qu'on ne puisse en faire, comme des miliciens, des domestiques et même des bonnes d'enfants.
Au point de vue de la moralisation et de l'instruction dont on a parlé, les mesures prises par le département de la guerre, pour l'enseignement primaire à donner aux soldats illettrés, ont complété ce que faisaient pour l'instruction des soldats les écoles régimentaires. Grâce à cet enseignement, les soldats ont, quand ils quittent le service, une valeur morale et intellectuelle qu'ils n'avaient pas en entrant dans l'armée.
On ne peut donc prétendre que le milicien ne rapporte souvent dans ses foyers que la démoralisation.
Quant aux progrès que font les soldats dans l'instruction qu'ils reçoivent d'officiers pleins de dévouement et de zèle, je sais personnellement que, sur dix soldats d'une compagnie, entrés au mois d'octobre complètement illettrés, il y en a neuf qui ont pu écrire une lettre à leurs parents au nouvel an.
II reste, messieurs, un troisième objection, et fort grave, que l'on fait plutôt à l'organisation de l'armée qu'aux propositions soumises à la Chambre. On a demandé si notre armée pouvait défendre notre territoire contre une invasion. D'honorables préopinants n'ont pas hésité à répondre négativement. La Chambre comprendra qu'il ne peut entrer dans ma pensée de discuter devant elle des plans de campagne purement hypothétiques.
Mais il faut se prémunir contre le danger des hypothèses, qu'il est facile d'accumuler de façon à arriver nécessairement à la conclusion qu'on désire. Je prendrai un exemple dans un autre ordre d'idées. Lorsqu'on procède par hypothèses pour discuter la position des banques d'émission, ou arrive nécessairement, d'hypothèse en hypothèse, à conclure qu'à tel moment donné ces établissements ne pourront pas faire face au remboursement de tous leurs billets.
Allez-vous en conclure que toutes les banques d'émission sont (page 634) condamnées à suspendre leurs payements ? Il en est un peu de même des hypothèses de l'honorable M. Jacobs ; l'honorable membre arrive toujours à la conclusion que l'armée belge sera nécessairement mise en déroute et défaite. Mais il faut tenir compte des faits, il faut tenir compte des circonstances qui peuvent donner tort aux hypothèses.
Ainsi, la Chambre me permettra de lui rappeler les faits et les circonstances de la campagne d'Italie de 1859. Le Piémont, qui était alors un petit Etat, se trouvait en guerre avec l'Autriche, puissance de premier ordre, et qui avait sous les armes une armée considérable.
Eh bien, est-ce que cette armée autrichienne a pénétré dans le Piémont comme un boulet ? S'cst-elle immédiatement emparée de la capitale, de Turin ?
Est-ce que, au contraire, la France, quoique séparée du Piémont par la mer d'une part, par les Alpes de l'autre, ne put point arriver à temps au secours du Piémont ? C'est que l'armée autrichienne marchait en pays ennemi, ne pouvait avancer qu'en masse, lentement, prudemment ; devait tenir tête à l'armée sarde ; c'est que tout était autour d'elle hostilité, trahison, péril ; chaque habitant du pays qu'elle parcourait étant un espion contre elle, un auxiliaire pour l'armée nationale, l'armée autrichienne voyait toutes les positions stratégiques occupées par des troupes décidées à les défendre : c'est ainsi que l'armée française a pu arriver à temps pour secourir le Piémont et le sauver.
Que serait donc, messieurs, la défense de notre pays ? L'armée envahissante rencontrerait aussi notre armée placée sur tous les points susceptibles d'être défendus, toutes les routes, tous les chemins de fer coupés ou minés, car je suppose qu'on peut défendre les chemins de fer comme les fleuves, et faire sauter des trains entiers de troupes par les moyens nouveaux, à l'aide desquels on fait sauter les navires dans les rivières et les rades.
Les habitants deviendraient des auxiliaires pour nos troupes, et derrière notre armée, pour faciliter tous ses mouvements, se trouverait le plus magnifique réseau de chemin, le plus grand matériel que l'on puisse imaginer. Ces éléments nous pourrions les mettre à la disposition de l'allié qui viendrait à notre secours. Il y a là de quoi transporter 200,000 hommes en un jour.
De sorte qu'on peut arriver à notre secours en quelques heures, tandis que pour aller soutenir le Piémont, il fallait opérer des merveilles d'activité et de mobilité à travers les montagnes et la mer.
J'ai dit, messieurs, que notre pays était admirablement organisé pour la défense, et précisément ces puissants moyens de locomotion rapide dont nous disposons doublent la force d'une armée et ses moyens d'action.
L'honorable général Renard montrera mieux que moi qu'une armée mobile de 50,000 hommes vaut plus qu'une armée de 100,000 hommes qui n'a pas les mêmes facilités, pour se déplacer, se concentrer et agir.
Il faut donc le dire, messieurs, parce que c'est la vérité, l'entrée de notre pays peut être défendue et bien défendue. 100,000 hommes appuyés sur une place comme Anvers, la première du monde, constituent un appareil de défense tellement formidable, qu'il est impossible qu'une puissance belligérante n'en tienne pas compte et n'use pas de ménagements pour ne pas avoir une pareille force contre elle.
Anvers, messieurs, qu'il me soit permis de le rappeler, a fait ses preuves.
L'honorable M. Hayez a dit : A quoi a servi Anvers sous l’Empire ?
Anvers, messieurs, a survécu à l'Empire. Anvers était encore défendu par l'illustre Carnot quand le comte d'Artois avait déjà fait son entrée à Paris, quand l'empereur avait abdiqué, quand la restauration était faite. et quand Anvers a fait ainsi ses preuves, cette place était une bicoque en comparaison de ce qu'elle est aujourd'hui.
En 1814 aussi, une partie de notre territoire, le littoral de la Flandre, était défendu par une poignée d'hommes contre des masses d'étrangers.
Cela prouve que, même de ce côté où le pays est le plus ouvert, la défense est facile, parce que là où il n'y a pas de montagnes, il y a des cours d'eau qui servent aussi de barrière, et parce qu'il y a là aussi une population immense, courageuse, patriotique, qui se joindrait à l'armée.
Personne ne doutera de la bravoure de nos soldats, personne assurément ne contestera leur intrépidité sous le feu.
Hier, on a évoqué des souvenirs qui doivent nous contrister tous. On a évoqué le souvenir de l'héroïque et auguste fusillé de Queretaro... Je ne veux pas juger la cause, je ne parle pas de la question politique, mais je dis que la manière dont nos officiers et nos soldais se sont conduits à côté de la plus brave armée de l'Europe prouve ce que les Belges savent faire de prodiges de valeur sur un champ de bataille, et qu'ils en feraient s'ils avaient à défendre leur patrie.
Je crois, messieurs, avoir démontré à la Chambre que les mesures qui nous sont soumises ont un intérêt actuel, puissant, commandé par des nécessités impérieuses et qu'elles ne sont entachées d'aucune exagération.
Je crois que l'intérêt du pays exige que ces mesures soient votées. Je crois aussi que si le pays éprouve un certain malaise, un sentiment d'appréhension indéfinissable, c'est qu'il attend de cette Chambre la lumière qui éclaire, les résolutions qui rassurent et le patriotisme viril qui ose prévoir, qui sait agir et qui seul peut sauver.
M. de Theuxµ. - Messieurs, je n'hésite pas à déclarer que je voterai contre toute proposition tendant à aggraver le service personnel de la milice. Je ne vois aucune nécessité à cette aggravation d'une charge déjà assez lourde.
Ce qu'il y a de remarquable, c'est que l'honorable préopinant inscrit en faveur du projet soit arrivé à la même conclusion. Il ne veut pas d'augmentation du contingent annuel de la milice, il ne veut pas d'un contingent spécial de la milice pour former une armée de réserve.
Voilà le point capital de la grande discussion qui préoccupe la Chambre et le pays.
Je me demande, messieurs, si la situation militaire de la Belgique est détériorée depuis 1840. Loin de le trouver, je n'hésite pas à dire que la situation militaire est beaucoup meilleure qu'en 1840.
Je me demande si la situation diplomatique, la situation internationale du pays est amoindrie depuis 1840. je prétends au contraire que cette situation est grandement améliorée.
Depuis 1840, messieurs, nous avons subi plusieurs épreuves et la nationalité en est sortie parfaitement intacte de même que la neutralité.
En 1840, vous a-t-on dit, le chef du cabinet français, l'honorable M. Thiers, s'est enquis de la situation militaire de la Belgique ; il s'est informé si les frontières de la Franco étaient suffisamment garanties contre l'invasion prussienne.
Que s'est-il suivi de ces informations ? Rien. Le gouvernement s'est borné à rappeler les miliciens en congé. Il n'a pas fait usage de la faculté qui lui était accordée de rappeler les classes libérées ; il n'a pas fait appel à la mobilisation de la garde civique.
La Belgique est restée parfaitement tranquille. Il ne s'agissait de rien moins que d'une guerre générale à soutenir contre les trois puissances de la Sainte-Alliance et contre l'Angleterre.
La situation était tellement grave que l'honorable M. Thiers a fait, sur une simple ordonnance royale, les fortifications de la capitale de la France que la chambre des députés venait de rejeter. A cette époque encore les places frontières élevées contre la France par suite de la constitution du royaume des Pays-Bas étaient en partie maintenues en vertu de stipulations formelles des quatre grandes puissances en opposition aux intérêts français ; à cette époque encore, Luxembourg et Maestricht constituaient des menaces permanentes d'une invasion des frontières de la France ; c'était donc une des situations les plus graves qu'on puisse avoir ; eh bien, le pays heureusement ne s'est pas trop ému ; il ne s'est pas jeté dans de folles entreprises militaires et il a traversé aussi heureusement pour son industrie et ses finances cette crise dangereuse.
Ce n'est pas la seule ; en 1848 la république française se montrait très menaçante ; en 1852 l'Empire se montrait non moins menaçant, car enfin les frontières du Rhin étaient en quelque sorte le drapeau de la république et de l'Empire ; on y tenait d'autant plus qu'on craignait la coalition générale contre ce pays isolé.
Survint la guerre d'Italie ; alors nouvelles complications ; la confédération allemande menaçait de se joindre à l'Autriche contre la France ; nouveau danger de guerre générale.
En 1866, la guerre de la Prusse contre l'Autriche menaçait encore d'entraîner l'intervention de la France ; en 1867, la question du Luxembourg a été tellement brûlante qu'un conflit a failli éclater. Eh bien, après avoir subi toutes ces épreuves, pourquoi cette émotion aujourd'hui ? Le pays ne le comprend pas.
Autre épreuve pour l'indépendance de notre neutralité. Anvers a été fortifié considérablement ; cette mesure semblait menacer la France ; elle était mal vue dans ce pays, mais par compensation l'on fit démolir (page 635) les forteresses belges sur les frontières de France, bien que la conservation de ces forteresses eût été stipulée.
La Belgique a été laissée libre d'adopter tel système de défense qui lui contenait et elle a adopté le système de concentration. Comment pourran-on soutenir qu'après avoir adopté ce système du consentement amamme de l'Europe, nous devions aujourd'hui rentrer dans le système
Aujourd'hui Luxembourg et Macstricht sont démolis ; on a donc voulu qu'il restât entre la France et l'Allemagne un vaste territoire qui ne put pas devenir un ebamp de bataille obligé. Le Luxembourg a été neutralisé. Pourquoi donc toutes ces craintes d'une invasion, toutes PSStraintes de conquêtes, de violation de neutralité ?
le royaume d.'s Pays-Bas a été affranchi de tout lien avec la confédération germanique. Ce royaume, s'il n'a pas une neutralité de droit, a une neutralité de fait ; il est devenu l'allié intime et nécessaire de la Belgique ; à ce titre, il couvre complètement nos frontières du côté de la province d'Anvers ct d'une partie de la Flandre orientale.
Mais, non.* dit-on, la Belgique a été constamment le théâtre des guerres a-jlCienncSt l( y a donc présomption qu'elle le deviendra encore. Uni ouivrie le changement de la situation. Lorsque la Belgique était le théâtre de ces grandes guerres, clje était belligérante avec les puissances «RU la possédaient, avec l'Espagne, avec l'Allemagne, plus tard avec la rrîi8f,e contre la grande coalition qui a renversé le premier empire.
Les frontières du Rhin, qui étaient véritablement l'objectif des aspirations de la France, ne le sont plus aujourd'hui. La France forme aujourd'hui une nation tellement puissante qu'aucune coalition ne songera à la braver ni à l'attaquer,
lît puis la conquête de la Belgique en vue de la conquête du Rhin «devient difficile depuis l'agrandissement de la puissance militaire de la 'Prusse. Aussi l'envoyé de l'Amérique à Berlin a fait à son gouvernement un rapport dans lequel il explique, par des motifs justifiés, l'improbabilité d'une guerre entre la France et l'Allemagne.
Ce rapport s'est trouvé dans le Moniteur comme à dessein 'pour éclairer nos Chambres. Il n'y a intérêt pour aucune de ces deux puissances à se faire la guerre. L'Allemagne n'a pas la prétention de conquérir la Belgique et la conquête de la Belgique par la France entraînerait nécessairement, une guerre générale ; le gouvernement anglais s'en est exprimé de la manière la plus formelle.
"Dr, qu'est-ce que les provinces belges en compensation d'une rupture :avec l'Angleterre ? Evidemment l'objectif est trop peu de chose en comparaison des dangers auxquels la France s'exposerait et des charges ■qu'elle devrait supporter.
J'estime donc que la conquête de la Belgique par la France n'a plus aujourd'hui aucun motif d'être. J'ajouterai qu'après une indépendance d'u.ïift aussi longue durée la Belgique ne pourrait plus s'assimiler à la France ; on n'a pas Oublié d'ailleurs ce qu'a été l'assimilation du temps du premier Empire. — L'assimilation avec la Prusse ! mais, messieurs, cela n'entre dans l'esprit de personne : la Prusse serait complètement (débordée, en cas d'annexion de la Belgique, par les idées nouvelles qui pénétreraient chez elle, et iraient prêter leur appui à celles qui agitent déjà une grande partie de l'Allemagne.
11 reste donc le passage possible, probable si l'on veut, des armées belligérantes par la Belgique. M. le ministre de la guerre nous l'a fait entrevoir comme certain, comme nécessité par une guerre entre la France et l'Allemagne ; il lui paraît impossible que l'une ou l'autre de ces puissances ne soit pas tentée de franchir le passage de la Belgique pour aller attaquer sa rivale.
Mais, messieurs, si cette prévision est sérieuse, comment done pou-vez-vous songer à la prévenir avec une armée de 55,000 hommes, car il faut déduire de votre effectif ce qui est indispensable pour garder toutes nos forteresses ct les environs d'Anvers. Il est probable, d'ailleurs, que, averti par les dispositions d'esprit de notre gouvernement, l'envahisseur commencerait par s'assurer son inaction après qu'il lui aurait déclaré la nécessité absolue dans laquelle il se trouve de traverser son territoire.
Et puis si le gouvernement belge s'y opposait, mais soit la France, soit l'Allemagne ne pourrait-elle pas accumuler sur nos frontières des forces telles, que votre armée de 50,000 hommes serait vraiment insignifiante ?
Jetez les yeux sur la carte, messieurs, et vous verrez que sur neuf provinces nous en avons six qui confinent à des pays voisins, trois du côté de la France et trois du côté de l'Allemagne.
Eh bien, qu'une invasion de la Belgique soit tentée par l'un de ces puissants Etats pour attaquer l'autre, il est évident que la puissance menacée par nous d'une résistance armée accumulerait sur nos frontières des forces telles, qu'elles auraient bientôt écrasé notre faible armée si elle tentait de leur résister.
Si, au contraire, les deux armées se rencontrent sur notre sol, et que la Belgique soit obligée de choisir entre les deux puissances belligérantes, eh bien, messieurs, je crois que ce serait pour elle une situation excessivement dangereuse. Les éventualités d'une guerre entre deux puissances de cette force sont par trop incertaines pour qu'on se risque facilement à s'associer à l'une ou à l'autre.
Mais, dira-t-on, nous pourrions livrer combat sur nos frontières à la puissance qui, la première, voudrait la franchir. Mais, dans ce cas, vous contracteriez nécessairement une alliance avec l'autre puissance, si vous vouliez compter sur son appui. Et alors, messieurs, quelles seraient les conséquences d'une telle alliance ? Se bornerait-elle à combattre une fois en commun l'envahisseur de notre territoire ?
Non, messieurs, car pour éviter les conséquences d'une grande guerre, vous serez obligés de continuer à marcher avec la puissance à laquelle vous vous serez associés au début. Vous voilà donc entraînés dans une guerre dont vous ne pouvez prévoir ni la fin ni les conséquences.
Si vous voulez agir avec quelque apparence d'efficacité sur nos frontières, vous serez obligés de dégarnir le centre de votre pays, de diminuer la force défensive de notre position centrale et vous exposerez peut-être ainsi votre pays à devenir lui-même le théâtre de la guerre.
Mais si, au contraire, vous ne vous mêlez pointa la guerre, si vous maintenez parfaitement intacte votre armée appuyée à Anvers et peut-être à Malines, à Termonde et même à Gand si la citadelle n'est point démolie, vous n'aurez rien à craindre pour le centre du pays ; les armées belligérantes pourront traverser une faible partie de notre territoire, mais le centre du pays ne sera pas violé et le gouvernement subsistera avec toute sa plénitude d'action.
L'honorable préopinant nous disait que pour défendre Anvers il fallait une armée solide de 53,000 hommes.
Je pense aussi qu'on agirait avec prudence en mettant dans Anvers les hommes les plus énergiques, les plus exercés, car ce ne sera pas peu de chose que de défendre une si vaste enceinte, exposée à des maladies, en présence d'une population qui supportera avec difficulté un siège de quelque durée. Vos meilleurs soldats ne seront pas de trop pour défendre cette position.
Mais, dira-t-on peut-être, nous appellerons une puissance maritime à notre secours.
Gardons-nous bien, messieurs, de laisser pénétrer aucune force étrangère dans cette ville d'Anvers, qui est devenue aujourd'hui le refuge de notre nationalité. Repoussons énergiquement toute attaque contre Anvers, et alors nous resterons dans les véritables termes de la neutralité ; alors nous conserverons un siège à notre neutralité, un siège à notre gouvernement qui, au moment de la paix, pourra assurer notre indépendance complète et sera un gage pour l'avenir de notre neutralité entre toutes les puissances.
C'est ainsi, messieurs, que nous donnerons la meilleure preuve de notre fidélité aux traités qui ont consacré notre indépendance et notre existence comme nation.
Si vous voulez empêcher le passage de nos frontières par une des grandes puissances qui nous environnent, ce n'est pas une armée de 100,000 hommes qu'il faut, mais une armée de 200,000 à 300,000 hommes ; ce ne sont pas vos forteresses d'Anvers, de Termonde et de Diest qui vous protégeront suffisamment ; il vous faudra construire une nouvelle place formidable sur la ligne de la Meuse, car c'est ce que disaient des Allemands à l'époque ou l’on s'occupait de la place d'Anvers. Comment, disaient-ils, pouvons-nous venir au secours de la Belgique si elle abandonne la ligne de la Meuse ? C'est celle-là qu'il fallait fortifier.
Et la même chose se présentera pour la ligne de l'Escaut : on nous demandera, n'en doutez pas, quand le système militaire qu'on nous propose aura réussi à s'implanter dans le pays, on nous demandera des forteresses redoutables sur les bords de l'Escaut et alors avec une armée de 200,000 à 300,000 hommes, vous pourrez dire que vous êtes en position de résister à une invasion. Mais il est vraiment dérisoire de croire qu'avec une petite armée (page 636) comme la nôtre, dans un pays de plaine où nos rivières n'offrent aucun obstacle sérieux au passage de troupes, on pourrait empêcher l'envahissement du pays par une de ces puissances qui peuvent mettre sur pied des armées de 800,000 hommes sans compter leur réserve.
Mats on dira : « Si vous ne défendez pas votre frontière, vous exposez le pays aux ravages de la guerre ? »
En aucune manière ; si un de nos puissants voisins a l'intention de faire la guerre à un autre de ses voisins, il ne viendra pas guerroyer contre lui dans nos provinces, il ira chercher son adversaire au sein de son propre pays.
Mais, nous dit-on encore, les charges qu'on nous demande sont légères ; il ne s'agit que de 2,000 hommes ; savoir : 1,000 hommes pour le contingent annuel et 1,000 hommes pour former le noyau d'une armée de réserve, et de plus, les moyens de purger l'armée de toutes les non-valeurs.
En réalité, il s'agît de deux mille hommes en plus pour l'armée active, et de mille hommes pour l'armée de réserve.
Mais sommes-nous désarmés ?
Messieurs, si nous sommes en réalité désarmés, si nous n'avons pas assez de ressources militaires, comment justifier ce qui s'est passé depuis 1840 jusqu'aujourd'hui, alors que pendant cette période nous nous sommes trouvés si souvent en présence d'une situation dangereuse ?
La loi de 1853 vous permet de rappeler plusieurs classes de milices libérées. Vous pouvez encore, en vertu de la loi sur la garde civique, mobiliser telle partie de cette garde que vous jugez convenable ; ajoutez ces éléments à votre armée actuelle, et vous aurez une force assez considérable pour défendre, au besoin, le pays, et pour maintenir la place d'Anvers, qui est le siège de notre nationalité.
Depuis 1840 jusqu'aujourd'hui, c'est-à-dire pendant vingt-huit ans, le pays aurait supporté des charges en hommes et en argent en pure perte, si on lui avait imposé le système nouveau. On pouvait croire que le respect porté à notre neutralité pendant cette période, devait être le résultat de grands armements. Il n'en est rien ; nous avons aujourd'hui la preuve la plus irrécusable que, depuis 1840 jusqu'à présent, notre neutralité et notre nationalité se sont considérablement affermies et développées.
Messieurs, le pays, on ne peut en douter, montre une vive opposition contre l'augmentation du contingent. Nous ne pouvons pas nous faire illusion à cet égard : c'est là une charge très lourde ; l'honorable M. d'Elhoungne a dû en convenir : aussi n'en veut-il pas.
Messieurs, on a parlé de volontaires et d'un armement général. Le gouvernement ne rejette pas d'une manière absolue les volontaires et l'armement général ; il commence à faire un armement général par la création d'une réserve de 30,000 hommes : c'est un premier essai.
Si vous accédez à cette première demande de M. le ministre de la guerre, vous ne vous arrêterez pas en si beau chemin ; une fois que le pays sera habitué aux charges nouvelles, et suivant que la majorité ministérielle sera plus ou moins forte, ou se prévaudra de circonstances favorables pour venir demander une aggravation des charges militaires.
On parle d'enthousiasme ; oui, messieurs, si le pays était vraiment menacé, il y aurait de l'enthousiasme dans les populations pour sa défense ; mais aujourd'hui il n'y en a pas, on ne parvient pas même à provoquer un enthousiasme ministériel, chose beaucoup moins difficile que l'enthousiasme qui n'est pas fondé sur le mérite des circonstances.
Messieurs, en présence de cette prévision d'aggravations périodiques de notre situation militaire, il est utile de faire un appel à vos souvenirs.
Lorsqu'on a créé les fortifications d'Anvers, on avait fait espérer au pays que la cavalerie deviendrait en quelque sorte inutile ; qu'il en résulterait une grande économie ; que l'armée de campagne n'aurait plus de raison d'être. Et aujourd'hui on a vu plusieurs membres de la commission militaire soutenir qu'il fallait augmenter la cavalerie.
Voilà, messieurs, de quelle manière on se berce d'un vain espoir, et voilà comment on se laisse conduire fatalement à une situation de jour en jour plus grave.
Il semblait qu'après avoir construit la grande forteresse d'Anvers, la mesure serait comble.
Il n'en est rien. On démolit aujourd'hui la citadelle de Gand ; on en crée une autre à Termonde ; on fortifie la rive gauche de l'Escaut ; un autre jour, on viendra demander des navires de guerre pour défendre l’Escaut. Tout cela a été sur le tapis, tout cela est dans l'air. Après les travaux d'Anvers, il y en aura encore d'autres. On nous fait entrevoir un petit point noir.
Messieurs, plus vous vous montrerez faibles, plus les charges militaires s'accroîtront.
On nous a dit : « Vous pouvez rejeter la loi annuelle du contingent et le budget annuel de la guerre. »
Vous savez, messieurs, que le recours à ces mesures extrêmes présente toujours de grandes difficultés. On n'aime pas à renverser un ministère qui est protégé par une majorité. Dans une pareille situation, il y a conflit entre le pouvoir exécutif et la représentation nationale ; on a recours à la dissolution des Chambres ; le pays est agité ; et vous n'êtes pas sûrs malgré toutes les répugnances qu'inspirent au pays les aggravations de charges militaires qu'on nous demande, et les aggravations qu'on pourra encore nous proposer, vous n'êtes pas sûrs de réunir une majorité dans les élections ; l'esprit de parti viendrait les influencer et le pays resterait, bon gré malgré, assujetti à toutes les charges que le gouvernement voudrait maintenir.
Messieurs, on a souvent parlé de patriotisme. J'approuve beaucoup ce sentiment, il est certainement honorable, utile et nécessaire. Mais je distingue entre un patriotisme d'enthousiasme et qui n'est pas réfléchi, et le patriotisme d'un représentant.
Le patriotisme d'un représentant consiste à méditer sérieusement, mûrement si les charges que l'on veut imposer au pays sont nécessaires ; si elles ne le sont pas, son devoir de patriotisme exige qu'il les repousse. C'est là mon sentiment,
M. Couvreurµ. -Je demande pardon à la Chambre d'interrompre un moment la discussion. Mais je désire la faire juge d'une question où mon honneur est engagé.
Un journal de cette ville, organe des intérêts du gouvernement, qui a pour rédacteur en chef un membre de cette Chambre, m'a invité dans son numéro de ce jour à saisir l'assemblée de la question de savoir si le discours que j'ai prononcé dans la séance de vendredi dernier est, oui ou non, conformé au texte qui a paru aux Annales parlementaires.
Je n'aurais jamais songé à évoquer devant la Chambre cette polémique de journal, si elle ne se produisait pas dans des circonstances tout à fait exceptionnelles. J'ai été attaqué dans des termes très violents, on voudra bien me permettre de me défendre. J'ai falsifié mon discours. Au fond voilà l'accusation.
M. Hymans. - C'est le contraire
M. le président. - N'interrompez pas.
M. Couvreurµ. - M. le président, je vous prierai de me protéger contre les interruptions. J'ai besoin de tout mon calme, je compte sur votre bienveillance.
MPDµ. - Vous voyez que je veille à ce qu'on ne vous interrompe pas.
M. Couvreurµ. - J'ai dit dans mon discours de vendredi : « Nous ne songeons pas à nous demander si la prime d'incendie que nous payons pour notre conservation ne nous ruine pas à l'avance autant que le ferait l'incendie. »
Des versions invoquées pour justifier l'accusation de falsification me font dire : « Nous ne songeons pas à nous demander si la prime d'assurance que nous payons ne nous ruine pas à l'avance plus que ne le ferait l'incendie. »
Enfin, le discours qui a servi de base à l'accusation et dont je suis censé avoir accepté les allégations, parce que je ne l'ai pas interrompu, ce discours porte : « Notre armée est assurée ; mais la prime annuelle que nous payons est trop élevée et le pays se demande s'il ne vaudrait pas mieux un incendie. »
Je n'ai pas besoin de faire ressortir la différence qui règne entre ces trois versions, qui règne surtout entre la dernière version et les deux premières.
Je maintiens comme exacte celle qui figure aux Annales parlementaires et s'il y avait dans cette assemblée quelqu'un qui pût en douter, je prierais M. le président de vouloir bien faire produire la sténographe et les épreuves du discours. J'ai fait la correction de cette partie incriminée du discours sur les épreuves et je suis bien certain de ne pas avoir substitué le mot « plus » au mot « moins ».
Mais en admettant même que dans l'improvisation le mot « plus » m'eût échappé au lieu du mot « autant », ai-je besoin de signaler à l'assemblée la différence qui sépare les deux premières versions de celle qui a été produite et commentée ?
D'ailleurs, messieurs, qu'ai-je besoin de discuter ainsi pour me défendre sur des mots, sur une phrase isolée, torturée à dessein, probablement pour y raccrocher une réplique préméditée ? (Interruption.)
Est-ce que tout mon discours, depuis la première ligne jusqu'à la dernière, n'a pas été une protestation contre la pensée qu' on m'a attribuée ?
(page 637) Comment ! et c'est la seule insinuation, la seule transformation de ma pensée que je veuille signaler : on m'accuse de préférer l'incendie à la prime d'assurance ; en d'autres termes, la honte de l'esclavage à la gloire de la défense.
M. Coomans. - Voilà !
M. le président. - On a demandé de ne pas interrompre.
M. Couvreurµ. - On m'accuse d'exposer à la conquête, à la dévastation, à la ruine la ville que j'ai l'honneur de représenter. Mais tout mon discours, j'en appelle à ceux qui l'ont entendu, à ceux qui l'ont lu, à tous ceux que la passion n'aveugle pas, tout mon discours ne procède-t-il pas de cette pensée, erronée ou non (moi, je n'incrimine les intentions de personne) que le système actuel a pour résultat fatal, inévitable l'abandon de la capitale, et qu'à ce système je veux substituer un autre système qui la couvre de barricades et de citoyens capables de les défendre ?
Qu'on réponde à mes arguments, rien de mieux. Qu'on démontre que je me suis trompé, je serai le premier à m'en réjouir. Mais qu'on me prête des opinions qui ne sont pas les miennes, des opinions qui sont radicalement opposées à celles que je professe, voilà, messieurs, il me semble, un procédé de discussion dont j'ai le droit d'être ému.
Plaise à Dieu que nous n'ayons jamais à subir ces terribles éventualités ; mais si elles éclataient, les accusations et les colères du peuple ne seraient pas pour ceux qui auraient prévu le danger, mais pour ceux qui, refusant de le voir, auraient méconnu et travesti les loyales et patriotiques intentions de leurs contradicteurs.
La Chambre n'a pu se tromper sur le sens de mes paroles ; j'en ai été tellement convaincu que je n'ai pas même éprouvé le besoin d'invoquer son témoignage lorsqu'on les a dénaturées une première fois. Si je le fais en ce moment, c'est parce que j'ai été mis en demeure de le faire. Poussé à bout, je lui demande de prendre acte de ma protestation.
M. Hymans. - Je demande la parole.
M. le président. - Vous avez la parole. J'engage de part et d'autre à traiter cet incident avec modération et avec calme. Il s'agit, je crois, d'un malentendu bien plus que d'autre chose.
M. Hymans. - Il ne me sera pas difficile d'apporter dans cet incident une très grande modération. Il s'agit d'un fait extrêmement simple ; je n'aurai besoin ni d'émotion ni de phrases pour expliquer ce qui s'est passé et pour me justifier de la façon la plus complète.
Il y a neuf ans que j'ai l'honneur de siéger dans cette enceinte et je crois, que, pendant ces neuf années, jamais un seul de mes collègues n'a eu se plaindre d'un acte indélicat de ma part. Je n'ai jamais rien fait et j'espère ne jamais rien faire qui puisse me faire démériter de l'estime de mes collègues ; je n'ai surtout point le désir de troubler les bonnes relations qui doivent exister outre collègues d'un même arrondissement.
Voilà ce qui s'est passé.
L'honorable M. Couvreur nous dit qu'il est obligé de répondre à un acte d'accusation dirigé contre lui par un journal de cette ville, dont le rédacteur en chef siège dans cette Chambre.
En effet, j'ai mis l'honorable M. Couvreur en demeure de m'accuser devant cette Chambre, parce qu'un autre journal de cette ville, dont il est un des rédacteurs, m'avait accusé d'avoir falsifié son discours ; or, c'est là une accusation profondément injuste, et j'étais impatient de trouver l'occasion d'y répondre.
Que s'est-il passé ? L'honorable M. Couvreur commença son discours vendredi. Pendant qu'il parlait, je priai notre honorable président de m'inscrire, pour me donner la parole aussitôt que l'honorable M. Couvreur aurait fini, tant j'étais impatient de répondre à certaines paroles qu'il avait prononcées, je veux le croire, dans la chaleur de l'improvisation
L'honorable M. Couvreur n'acheva pas son discours dans cette séance et ce qu'il avait dit ne figura pas le lendemain dans les Annales parlementaires.
Ayant l'intention de répondre séance tenante, j'avais pris en quelque sorte sous la dictée de l'honorable membre les passages qui avaient le plus frappé mon attention ; celui auquel je viens de faire allusion était du nombre ; j'ai cité la phrase telle que je l'avais notée ; je l'ai citée en présence de l'honorable membre et sans aucune protestation de sa part. L'honorable membre avait dit, d'après moi : L'armée ne nous protège pas suffisamment et elle nous coûte trop cher. Noire armée est une assurance, mais la prime annuelle que nous payons est trop élevée et le pays se demande s'il ne vaudrait pas mieux un incendie.
Cette phrase avait figuré le même jour, à peu près dans les termes que je viens de rappeler, dans tous les journaux de la capitale, y compris le journal dont l'honorable membre est rédacteur. Je ne citerai pas le journal que je rédige, mais je ferai appel à deux autres feuilles qui ne seront pas suspectes à l'honorable membre ni à la droite de cette assemblée.
Le Journal de Bruxelles fait dire à M. Couvreur :
« Nous ne demandons pas si notre système est bien un système défensif, s'il ne va pas au delà des conditions de notre neutralité, si la prime d'assurance que nous payons n'est pas plus ruineuse que ne le serait un incendie. »
Et l'Indépendance, qui aujourd'hui m'accuse, que dit-elle ?
« Le pays ne sait réellement pas ce que peut lui coûter sa défense nationale, et de plus nous ne songeons pas à nous demander si cette organisation ne deviendra pas un péril, si la prime d'assurance que nous payons ne sera pas plus ruineuse qu'un incendie. »
Dans le journal que j'ai l'honneur de rédiger le même texte se retrouve encore.
Le lendemain, messieurs, au moment où je parlais, les Annales parlementaires ne nous avaient pas encore apporté le discours de l'honorable M. Couvreur.
Je lis, sur les notes que j'avais prises la veille, les paroles que l'honorable membre avait prononcées, je les lis, je le répète, devant lui ; il ne proteste pas. L'honorable M. Coomans fait une interruption qui est notée dans les Annales ; l'honorable M. Couvreur est présent et il ne répond pas.
- Un membre. - Il observait le règlement.
M. Hymans. - Il pouvait demander la parole pour répondre.
Le lendemain les parlementaires nous arrivent. Vous vous rappelez, messieurs, qu'en commençant mon discours en réponse à l'honorable membre, j'avais signalé moi-même l'espèce de disparate qui existait entre son ton de samedi et son ton de vendredi. J'avais commencé par déclarer que la nuit me paraissait avoir porté conseil et que l'honorable membre semblait regretter certaines exagérations de la veille.
En effet, les Annales parlementaires arrivent avec autre chose que ce que l'honorable membre avait dit.
Qu'ai-je fait ? J'ai prié M. le directeur du Moniteur de vouloir bien me communiquer la sténographie du discours de l'honorable M. Couvreur, sténographie qu'il nous dit aujourd'hui être déposée sur le bureau de la Chambre. Or, de sténographie il n'y en a pas ; il y a un manuscrit de l'honorable membre ; il n'y a pas de contrôle possible. Les sténographes n'ont pas rédigé le discours de l'honorable membre ; il y a un manuscrit de M. Couvreur, et ce manuscrit est naturellement conforme aux paroles reproduites par les Annales parlementaires.
Donc, point de sténographie, mais trois versions identiques à celle que j'ai produite dans cette enceinte, publiées par trois grands journaux de la capitale, y compris celui dont l'honorable membre est rédacteur.
Ajoutez à cela le silence de l'honorable membre le jour où je l'ai interpellé, et, Dieu merci, d'une manière assez nette, puisque j'ai ajouté, après avoir cité ses paroles, qu'il était déplorable qu'elles eussent été prononcées dans cette enceinte.
Je le demande, après cela, est-il possible qu'on vienne m'accuser d'avoir tronqué les paroles de l'honorable membre ?
Ce n'est pas aujourd'hui, ce n'est pas après six jours, ce n'est pas après une mise en demeure, qu'il fallait venir protester ; c'était le jour même où j'avais parlé. L'honorable membre a la parole assez facile, il a assez l'habitude des débats parlementaires pour ne pas être embarrassé de répondre séance tenante.
Messieurs, notre honorable président m'a recommandé la modération ; je crois en avoir fait preuve et, du reste, je n'ai fait que me défendre.
Je félicite, après cela, l'honorable membre d'avoir modifié ses paroles au Moniteur, je le félicite des explications qu'il vient de donner dans cette Chambre et je déclare, enfin, que si les Annales parlementaires avaient été publiées en temps utile, si elles avaient été entre mes mains le jour où j'ai pris la parole, j'aurais accepté le discours tel qu'il était au Moniteur ; je n'aurais pas pris texte de la phrase qui a provoqué ma réponse ; et j'aurais fait le sacrifice de ma protestation.
M. le président. - M. Couvreur, après ces explications insistez-vous ? M. Couvreur a protesté de ses sentiments patriotiques, personne n'a de doutes à cet égard. Au milieu de nos débats, il est du moins un sentiment qui nous réunit tous, c'est celui du patriotisme.
J'engage M. Couvreur à ne pas insister et à considérer le débat comme clos.
(page 638) M. Couvreurµ. - Si vos paroles, M. le président, sont inspirées par la crainte que je ne me laisse entraîner à en prononcer qui seraient déplacées dans cette enceinte, vous pouvez n'avoir aucune crainte semblable.
M. le président. - Ce n'est pas celle crainte qui a inspiré mon observation, mais je crois réellement que l'intérêt qui vous faisait prendre la parole n'existe plus.
M. Couvreurµ. - Si vous jugez que cet intérêt n'est plus engagé, je n'insiste pas.
- La séance est levée à 4 heures trois quarts.