(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1867-1868)
(Présidence de M. Dolezµ.)
(page 505) M. Reynaert, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Snoy donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. Reynaertµ présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Des habitants du canton de Wolverihem demandent l'établissement d'un bureau de l'enregistrement et des domaines dans celte commune. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des habitants de Bruxelles demandent le prompt achèvement des travaux de la nouvelle gare du Midi. »
- Même renvoi.
« Les huissiers de l'arrondissement de Huy présentent des observations sur le projet de loi relatif aux protêts. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.
« Des habitants d'Esschene demandent le rejet du projet de loi sur l'organisation de l'armée et l'abolition de la loi sur la milice. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur l'organisation de l'armée et renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur la milice.
« Par deux pétitions, des habitants de Bruges demandent le rejet du projet de loi relatif à l'augmentation du contingent de l'armée. »
« Même demande de cultivateurs dans les cantons de Thuin et de Walcourt. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des projets de lois militaires et renvoi aux sections centrales chargées d'examiner les projets de loi concernant la milice et le contingent de l'armée.
« Le sieur Palm demande l'abolition de la conscription et l'intervention du gouvernement pour le règlement des obligations mexicaines. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur la milice et à la commission des pétitions.
« M. Valckenaere, retenu par une indisposition, demande une prolongation de congé. »
- Accordé.
« M. d'Hane demande un congé de quelques jours. » '
- Accordé.
M. le ministre de l'intérieur transmet, avec les pièces à l'appui, les procès-verbaux des opérations qui ont eu lieu à Bruxelles et à Charleroi, le 27 de ce mois, pour l'élection de deux représentants.
Il est procédé au tirage au sort d'une commission qui sera chargée de vérifier les pouvoirs des représentants élus par les collèges électoraux de Bruxelles et de Charleroi. Le sort désigne MM. de Brouckere, Bouvier, Lippens, Magherman, Descamps, Jacquemyns et de Muelenaere.
La commission se relire pour se livrer à ses travaux.
M. de Maere. - Messieurs, j'ai été empêché d'assister à la séance d'hier ; je n'ai donc pu savoir ce qui s'est passé, que par la lecture des Annales parlementaires. Or, à la fin du discours prononcé par l'honorable M. Vleminckx, se trouve le passage suivant :
« Comment nos généraux de 1868 parviendront à exécuter ce que se déclaraient incapables de faire nos généraux de 1851, à savoir : conduire, sans le concours de places fortes, une guerre défensive sérieuse et prolongée ? Est-ce que nos généraux de 1851 étaient des ignorants ou des insensés ?
« Et s'il fallait vous donner une preuve de plus de l'importance de la lacune que je vous signale, je la trouverais dans la forteresse de Diest, qu'on ne songe pas à démolir apparemment, car je suppose que le gouvernement se gardera bien de suivre sur ce point les conseils de l'honorable M. de Macre, que je considère comme funestes. »
Eh bien, messieurs, c'est contre cette allégation de M. Vleminckx que je dois protester. J'ai dit à la Chambre, à plusieurs reprises, que je désire le maintien des places fortes de Termonde et de Diest, parce qu'elles font partie du système de la défense d'Anvers. Je n'ai demandé que l'abandon des citadelles de Namur et de Liège ; précisément parce qu'il est de toute évidence que ces deux places ne font point partie du dispositif adopté. Voici les paroles mêmes dont je me suis servi :
« Je conclus donc comme hier, et je dis que ce serait chose sage de faire le dernier pas dans la voie de la concentration des forces, où l'on est entré, en abandonnant les deux dernières citadelles qui ne font pas système avec la position d'Anvers. Dès lors, le dispositif de défense doit se réduire aux places fortes d’Anvers, de Termonde et de Diest ; et c'est sur ce dispositif, le seul qu'il me paraît rationnel d'admettre, que je veux calculer l'effectif de l'armée. »
Il est donc bien clairement établi qu'en ce qui concerne la démolition supposée de la citadelle de Diest, je n'ai pas donné un conseil funeste au gouvernement.
M. Vleminckxµ. - Je reconnais très volontiers qu'il y a eu erreur de ma part : j'avais cru comprendre que l'honorable M. de Maere demandait la démolition de la forteresse de Diest comme il demandait la démolition des citadelles de Liège et de Namur.
M. De Fréµ. - Messieurs, à la cérémonie qui a eu lieu hier à Malines, par application d'un décret que je considère comme tombé en présence des principes de la Constitution, on a fait intervenir la force armée. Je considère cette intervention comme contraire à notre organisation politique ; je la considère comme inadmissible dans un pays où il y a séparation complète entre l'Eglise et l'Etat.
Autrefois, j'ai demandé la liberté pour le prêtre dans la chaire, en vertu du droit commun, et, en vertu du droit commun, je demande la suppression de tous les privilèges dont le prêtre jouit.
Je demande donc que la Chambre permette une discussion sur ce point, à un jour qu'elle fixera, pour ne pas interrompre la discussion du projet d'organisation de l'armée. Cette discussion arrivera prochainement. Hier, vous avez reçu une pétition des habitants de Boussu qui demandent à la Chambre l'abrogation du décret du 24 messidor an XII.
Je me borne aujourd'hui à prendre acte de ma réserve et à indiquer mon intention de discuter le point de savoir si le décret du 24 messidor est encore en vigueur en Belgique et si, en l'appliquant, on ne viole pas les principes de notre Constitution.
MfFOµ. - La discussion que vient d'annoncer l'honorable membre, pourra utilement se présenter lorsque la Chambre s'occupera du budget du département de l'intérieur.
Je me borne à dire en ce moment que ce qui s'est fait hier à Malines, ce qui se fera dans quelques jours à Namur, a été pratiqué depuis 1830 sans donner lieu à des critiques.
Il a paru au gouvernement que ce n'était pas au moment où des cérémonies de ce genre devaient avoir lieu, qu'il fallait prendre sur la question dont il s'agit une résolution à laquelle on aurait pu attribuer un caractère de personnalité. Il lui a semblé préférable de l'examiner comme question de principe, en dehors de tout fait personnel qui pourrait faire (page 506) croire qu'il y a de notre part l'intention d'une espèce d'offense, ce qui serait mesquin.
Je le répète, la question se présentera utilement lors de la discussion du budget de l'intérieur.
M. De Fréµ. - Je suis parfaitement d'accord avec l'honorable ministre des finances. Il ne s'agit pas de produire ici des attaques personnelles ; mais, à l'occasion d'un fait récent, j'ai indiqué l'intention de discuter une question qui viendra nécessairement à propos de la pétition de Boussu.
Je ne demande pas de discuter la question immédiatement, précisément pour qu'on ne puisse pas voir dans ma motion quelque chose de personnel et d'offensif.
M. le président. - M. De Fré se borne à faire une réserve. ; l'incident est donc clos si personne ne demande la parole.
M. Coomans. - Puisqu'on a soulevé la question, il me semble qu'il vaudrait mieux en finir.
- Voix à gauche. - Non, non.
M. Coomans. - Il ne peut pas y avoir une bien longue discussion à ce sujet.
- Un membre à gauche. - On n'est pas préparé.
M. Coomans. - A quoi bon alors soulever l'incident ; à quoi bon laisser croire que la loi fondamentale est violée quand on n'en est pas bien sûr, quand le gouvernement hésite à l'affirmer ? Lorsque des questions de constitutionnalité sont soulevées, il faut les résoudre immédiatement, car ce sont des questions brûlantes et il importe de ne pas laisser planer sur la législature le soupçon de se complaire dans une violation de la Constitution, comme les ministres le font quand ils affirment que la loi de 1842 est inconstitutionnelle, et quand ils s'accommodent cependant de la prolongation de l'application de cette loi.
Lorsque je serai convaincu qu'une loi est inconstitutionnelle, j'en demanderai l'abrogation ; quand je serai convaincu qu'on a manqué à une prescription constitutionnelle, je demanderai que la difficulté se présente immédiatement devant la législature.
Voilà ce qu'exigent la dignité et la raison, ce me semble.
Je demande donc que M. De Fré s'explique et que nous puissions lui répondre. Quant à moi, je n'abuserai pas de la liberté que je propose d'accorder aux autres
M. le président. - Il n'y a eu de la part de M. De Fré qu'une réserve ; dès lors l'incident doit être déclaré clos, puisqu'il n'y a pas de proposition.
M. Coomans. - Je vous demande pardon, M. le président ; il y a une proposition de continuer la discussion.
M. le président. - Je répète, M. Coomans, que M. De Fré s'est borné à faire une réserve et qu'il ne demande pas à discuter immédiatement.
M. Delaetµ. - Je crois avec l'honorable M. Coomans que lorsqu'une interpellation qui touche à la querelle de clérical et de libéral est incidemment jetée dans une grande discussion comme celle qui nous occupe, il est bon de vider l'incident.
Une des questions les plus intéressantes pour la nation tout entière est certainement celle de l'organisation de l'armée. Je doute qu'il soit convenable de laisser absorber en ce moment l'attention publique par une question clérico-libérale. Quant à moi, je suis d'avis que la loyauté exige qu'elle soit discutée immédiatement.
M. De Fréµ. - J'avais, je crois, parfaitement le droit de prier la Chambre de me permettre de discuter plus tard, à l'occasion d'une pétition qui nous a été adressée, la question de constitutionnalité des décrets du 24 messidor an XII. Ni l'honorable M. Coomans, ni l'honorable M. Delaet ne peuvent me forcer de parler aujourd'hui, si cela ne me convient pas. Il y a, du reste, comme l’a fort bien dit M. le ministre des finances, une question de convenance personnelle à ne pas soulever cette question aujourd'hui.
M. Thonissenµ. - Pourquoi alors l'avez-vous soulevée ?
M. De Fréµ. - Il y a un autre motif pour ne pas discuter cette question aujourd'hui ; c'est qu'elle pourra soulever une discussion assez longue qui retarderait le vote de la loi d'organisation militaire, que tous nous désirons voir aboutir le plus tôt possible.
M. le président. - M. De Fré ne veut pas discuter aujourd'hui et il ajourne son droit d'entamer la discussion qu'il annonce lors de l'examen du budget de l'intérieur. Nous ne pouvons pas le forcer à discuter séance tenante.
Si personne ne demande plus la parole sur l'incident, je déclarerai l’incident clos.
M. Notelteirsµ (pour une motion d’ordre). - Dans une brochure publiée récemment par un auteur militaire autorisé, tout le monde a pu lire le projet de construire des fortifications autour des places de Lierre et de Malines ; je pense même que des plans ont été levés ; du moins la rumeur en a couru et a inquiété les populations. Cependant, dans le relevé des travaux militaires à construire, qui vient de nous être distribué, je ne trouve aucune mention de ces travaux.
Je voudrais savoir si ce projet est définitivement abandonné ou si nous devons encore nous attendre à voir construire des forts à Malines et à Lierre.
MfFOµ. - On a demandé au gouvernement quelques renseignements qu'il vient de publier ; ils sont sous les yeux de la Chambre.
L'honorable membre demande si le gouvernement a l'intention de faire fortifier Malines et Lierre, parce qu'il a ouï dire qu'au département de la guerre on s'était occupé de cette question.
Messieurs, le gouvernement indique, dans le document qu'il vous a soumis, quels sont les travaux qu'il entend exécuter.
S'il s'agissait d'exécuter tous les plans qui peuvent exister au département de la guerre, ou que des officiers peuvent imaginer, il est évident que nous irions fort loin. Nous avons dit dans cette note, et j'appelle sur ce point l'attention de l'honorable préopinant, qu'il pourrait être utile de remplacer certains travaux de campagne qui, dans tous les systèmes et par toutes les commissions, ont été indiqués comme devant être exécutés en cas de guerre, de les remplacer, dis-je, si des fonds étaient disponibles, par des travaux permanents.
Maintenant, si les fonds n'existaient point pour réaliser ces modifications, qui semblent rendues nécessaires par suite de la rapidité imprimée actuellement aux opérations militaires, nous resterons dans la position où nous sommes. Pour le moment, nous nous bornons à indiquer les travaux que nous croyons devoir être exécutés, ainsi que les ressources que nous nous proposons d'y affecter. Nous nous maintenons sur ce terrain.-
M. Jacobsµ. - Je demande que M. le ministre des finances veuille bien nous dire quels sont les points où le gouvernement se réserve de faire exécuter des travaux permanents de défense, s'il obtient, par la revente des terrains des anciennes fortifications, un excédant qu'il puisse y appliquer.
Ce renseignement nous est indispensable pour que nous puissions nous faire une idée exacte de l'ensemble de notre dispositif de défense.
M. le ministre des finances affirme que les points auxquels il est fait allusion dans le document qui vient de nous être distribué, sont connus depuis longtemps et ont été indiqués par toutes les commissions militaires qui se sont occupées de cet objet.
Je ne sais si j'ai mal feuilleté les rapports des commissions militaires, mais je serais trés embarrassé pour déterminer les points dont parle M. le ministre des finances.
L'examen des documents que nous venons de recevoir me porte à demander en outre si le gouvernement a décidément renoncé à créer un hôpital pour 2,000 malades dans la place d'Anvers ou si l'on se contente de l'hôpital existant, qui tombe en ruine, et qui est insuffisant pour la garnison actuelle de la place.
Je demande ensuite si, dans le cas où l'on se déciderait à rendre la citadelle du Nord habitable soit qu'on en maintienne les remparts, soit qu'on remplace celui qui regarde la ville par un mur crénelé on en remblayant l'intérieur, travail que des hommes compétents évaluent à 2 millions.
Je lis dans le document que l'excédant des recettes sur les dépenses, estimé à 4,180,000 francs, ne sera pas diminué notablement par les travaux à exécuter à la citadelle du Nord ; cela me porte à croire qu'on a renoncé à la remblayer.
Je demande donc d'abord si l'on renonce à ce travail évalué à 2 millions ; si l'on renonce ensuite à la construction d'un hôpital qui doit aussi coûter deux millions, enfin quels sont les points où l'on se réserve de faire des travaux permanents, si les réalisations de terrains fournissent les fonds nécessaires pour les établir ?
M. Coomans. - Messieurs, je dois ajouter une demande a celles que mon honorable ami, M. Jacobs, vient d'adresser au gouvernement.
L'auteur principal des fortifications d'Anvers, l'honorable M. Briamont, publié récemment une brochure dont plusieurs passages m'ont (page 507) frappé, et dont un surtout mérite d'attirer l'attention particulière de la Chambre.
Je prierai le gouvernement de s'expliquer en termes formels sur la question de savoir si un des faits principaux allégués par M. Brialmont est vrai ou non.
Je lis dans cette intéressante brochure, à la page 21 :
« Une chose est certaine, c'est qu'il n'y a pas actuellement et qu'il n'y a jamais eu de divergence d'opinions parmi nos généraux sur l'utilité de la citadelle du Nord.
« Tout récemment, cette question fut soumise à l'examen d'un comité où siégeaient 8 généraux, 2 colonels et 3 lieutenants-colonels d'armes spéciales. Ce comité se prononça à l'unanimité pour le maintien de la citadelle du Nord dans son état actuel, sans altération ni affaiblissement d'aucune de ses défenses, même dans la supposition de nouveaux travaux sur la rive gauche du fleuve. »
On ne saurait tenir un langage plus catégorique, et j'ajouterai, plus inquiétant. Le gouvernement vient de proposer une solution contraire à l'opinion unanime des généraux et officiers supérieurs qu'il a formée en comité pour l'examen de ces graves questions ! Ceux-là que le gouvernement a investis du droit et du devoir d'étudier ces questions, ceux-là mêmes dont le gouvernement a ouvert la bouche, ces officiers supérieurs viennent lui déclarer à l'unanimité que son système est inadmissible, qu'il n'est réalisable dans aucune hypothèse, qu'il est contraire aux premiers besoins de la défense nationale.
Du reste l'ensemble du nouveau système militaire du cabinet est très durement apprécié par l'auteur dont j'invoque aujourd'hui l'autorité, Je puis même faire remarquer en passant et en terminant que le langage de M. Brialmont est plus sévère que celui que j'ai tenu moi-même. Ce langage, en effet, est d'autant plus sévère qu'il est plus autorisé que le mien, du moins en ce qui concerne les questions de théorie et de pratique militaire. M. Brialmont dit que le nouveau système du ministère est un non-sens, qu'il est baroque, que c'est une déraison, qu'il est une illusion, une erreur ou un mensonge.
J'attends une réponse catégorique du gouvernement sur le paragraphe de la page 21 que j'ai cité, c'est-à-dire une réponse à la question de savoir s'il est vrai que le comité d'hommes spéciaux dont il s'agit s'est prononcé à l'unanimité contre les modifications promises par le gouvernement à la citadelle du Nord à Anvers.
MgRµ. - Je commencerai par répondre à l'honorable M. Coomans.
M. Coomans. - Cela en vaut bien la peine.
MgRµ. - C'est pourquoi je le fais.
Je faisais partie de la commission dont parle l'honorable M. Coomans et que cite M. Brialmont.
Lorsqu'on a discuté le maintien des fronts intérieurs de la citadelle du Nord, j'ai déclaré que je ne m'opposais pas à ce qu'on les conservât, parce que je ne pouvais concevoir que ces fronts pussent jamais servir à bombarder la ville et que, dans l'état où on laissait la citadelle, la solution m'était indifférente.
Dans cette commission, en effet, on avait décidé que l'on n'exécuterait aucuns travaux d'appropriation susceptibles d'en faire un ouvrage capable de subir un siège.
Dans le sein de la commission, je formulai une opinion que résume la phrase suivante, dont je vais vous donner lecture :
« Dans cet ordre d’idées, les fronts intérieurs de la citadelle lui paraissent (u général Renard) d’une importance secondaire, et il pense qu’ils pourront être démolis sans inconvénients, si, comme tout paraît le démontrer, la ville commerciale est destinée à prendre une grande extension vers le nord. »
Voilà mon opinion, à moi personnellement. Cela ne m'a pas empêché, je le répète, de déclarer que je ne m'opposais pas à ce qu'on conservât les fronts intérieurs, parce qu'ils ne me paraissent pas de nature à nuire jamais à la ville d'Anvers. Il suffit d'examiner la citadelle dans l'état actuel et de se demander ce qu'on pourrait faire de cet ouvrage, sans exhausser l'intérieur, sans élever des casernes à l'épreuve, un arsenal voûté, des magasins à poudre, etc., toutes constructions qui n'existent pas et dont l'ensemble pourrait aller à 8 millions, ce n'est point là donc une citadelle destinée à soutenir un siège régulier.
Du reste, si l'on voulait établir sur ce point une résistance énergique, on se servirait des bassins et des canaux comme lignes de défense successives. Vous pourriez donc, au même titre, demander qu'on comblât les bassins. Rappelez-vous ce que nous avons fait en 1831.
Nous nous sommes servis des bassins comme fossés, et, le long de ces fossés, nous avons élevé des retranchements. Nous avons agi de même sur les quais le long du fleuve.
Quant à l'opinion de l'honorable colonel Brialmont, au talent duquel je rends hommage, c'est une opinion personnelle, sa pensée n'engage pas le gouvernement.
L'honorable colonel Brialmont a énoncé un fait vrai : c'est que dans la commission dont je faisais partie on a déclaré qu'il ne fallait pas démolir les fronts intérieurs, mais ce n'est point parce que tous ceux qui se trouvaient là les croyaient indispensables à la défense. Je viens de vous lire mon opinion.
M. Coomans. - C'est la vôtre.
MgRµ. - Donc ce n'est pas l'unanimité. Quant aux fortifications passagères dont on parle, il est évident que dès l'instant que nous occupons la rive droite, nous ne nous enfermerons pas immédiatement dans les forts et que les cours d'eau que nous avons devant nous nous serviront de lignes de défense. La première chose à exécuter sera de couvrir par des fortifications passagères les ponts dont nous désirerons rester maîtres.
Il est évident que nous établirons une tête de pont en avant de Lierre, car cette ville offre un grand débouché sur la Nèthe, comme Termonde en donne un semblable sur l'Escaut.
Quand une armée est faible en nombre, c'est au moyen de fortifications passagères, et par le choix des positions, qu'elle diminue son infériorité relative.
Certes, messieurs, s'il nous restait assez de fonds disponibles pour commencer pendant la paix les travaux relatifs à une tête de pont en avant de Lierre, nous mettrions la main à l'œuvre.
Voilà un point que j'indique, le gouvernement n'a pas l'intention de fortifier Malines et d'en faire une place de guerre.
L'hôpital d'Anvers ne rentre pas évidemment dans la catégorie des travaux de fortification, ou ne fortifierait pas la ville d'Anvers comme nous le faisons qu'il n'en faudrait pas moins construire un établissement de ce genre.
Je ferai remarquer du reste que si les locaux de l'hôpital actuel laissent à désirer, il ont, par leur situation, une grande valeur et que le prix de vente de ce bâtiment pourra être employé à la construction de nouveaux hôpitaux.
En ce qui touche le complément de la citadelle du Nord, en supposant que l'on veuille relever son terre-plein jusqu’à la côte, ce qui est déjà beaucoup, on n'aurait pas à dépenser un million d'après les documents que j'ai sous la main.
Il y a du reste un point qui fait l'objet d'études spéciales. Ce que l'on paraît craindre pour la citadelle, ce sont les infiltrations des eaux des polders ; or on a cru remarquer que ce ne sont pas ces eaux-là qui envahissent le terre-plein, mais plutôt des eaux pluviales.
Pour s'en assurer, je suis convenu avec l'inspecteur général d'élever les eaux dans les fossés à un niveau supérieur à celui du terre-plein. Nous verrons d'après ce qui se passera si et jusqu'à quel point il sera nécessaire de remblayer l'intérieur de la citadelle.
Je crois avoir répondu aux diverses questions qui m'ont été posées.
M. Coomans. - J'en demande bien pardon à M. le ministre de la guerre, mais sa réponse ne me semble pas aussi claire que je m'y étais attendu de sa part.
M. le ministre nous dit bien que lui, huitième général dans la commission, ne s'est pas prononcé absolument pour le maintien des fronts intérieurs de la citadelle du Nord, qu'il s'est contenté de déclarer qu'il ne s'opposait pas à ce qu'ils fussent maintenus.
Il y a là une nuance sur laquelle M. le ministre pourra s'expliquer avec M. le colonel Brialmont.
Mais le fait grave que j'ai signalé à la Chambre demeure debout, à savoir que, à l'unanimité, sauf peut-être (c'est un point à vérifier plus tard), sauf peut-être l'opinion de l'honorable général Renard, à l'unanimité des officiers jouissant de la confiance du gouvernement ont déclaré que la citadelle da Nord devait être maintenue dans son état actuel, même en supposant l'établissement de nouveaux travaux sur la rive gauche du fleuve.
Eh bien, ne suis-je pas autorisé à révoquer en doute toutes vos assertions scientifiques et autres quand elles sont continuellement démenties par des hommes qui ont plus d'expérience que vous, messieurs les ministres, M. Renard excepté ?
(page 508) Quoi ! vous venez vous inscrire eu faux contre l'opinion des généraux que vous avez chargés de vous éclairer !
Du reste il y a déjà recul, de la paritdu gouvernement, au sujet de la démolition de la citadelle du Nord. L'autre jour M. le ministre des finances nous déclarait assez nettement que les fronts intérieurs seraient démolis et remplacés par un mur crénelé ; aujourd'hui le langage est bien moins catégorique ; dans le travail officiel qui vient d'être distribué à la Chambre, je lis :
« Il faut mentionner pour mémoire les travaux à effectuer à la citadelle du Nord, s'il est reconnu par le département de la guerre que l'on peut supprimer les fronts intérieurs de cette citadelle. »
« S'il est reconnu » ! Le département de la guerre n'a donc pas encore reconnu la possibilité de supprimer les fronts intérieurs et, avant de l'avoir reconnue, il vient l'affirmer ici.
Messieurs, je ne conçois plus rien à ces façons d'agir. Nous sommes habitués à entendre dire depuis plusieurs années que la citadelle du Nord est le suprême refuge de la nationalité belge, et l'autre jour, on vient nous dire que la citadelle du Nord sera démolie, au moins les fronts intérieurs, et tout à l'heure, M. le ministre de la guerre vient nous dire que la citadelle du Nord est inhabitable, qu'elle ne possède aucun moyen de servir à une longue défense, et l'ancien ministre de la guerre disait que cette même citadelle pourrait tenir très longtemps et qu'il n y avait plus rien à dépenser de chef. On nous a déclaré cela à maintes reprises, et voilà que nous apprenons, par la bouche de M. le général Renard, que pour rendre possible la défense de la citadelle, il faudrait faire de nouveaux travaux pour 8 millions de francs.
MgRµ. - Pour 8 millions de travaux, outre tous ceux qu'on a déjà exécutés et que l'on déclarait être les derniers.
Je dis qu'on a joué la Chambre et, si l'on trouve le mot trop fort, je le rectifierai et je dirai que j'ai été joué moi et je m'en repens, je m'en repens pour ceux qui m'ont joué.
Et l'ordre du jour du 24 décembre dicté par le ministère, ordre du jour portant que toutes les dépenses étaient faites. Quoi ! il faudrait encore huit millions pour approprier la citadelle du Nord et vous avez toujours affirmé le contraire ! (Interruption.)
Outre un ou deux millions pour remblayer encore, sauf toujours les queues.
Ce refuge de la nationalité belge, présenté comme tel, ne vaut rien, on vient de nous le dire, il n'est pas défendable, et d'un autre côté, nos généraux (je ne les connais pas, mais je dois croire que ce sont les meilleurs puisqu'ils ont été choisis ad hoc par le gouvernement) ces généraux nous disent tout le contraire de ce que nous dit le gouvernement.
Ah ! messieurs, si vous attendez le jugement du pays, vous êtes bien audacieux car ce jugement sera fort sévère !
MgRµ. - Messieurs, lorsque le gouvernement consulte des officiers sur une question militaire, il ne s'engage pas pour cela à adopter toutes leurs conclusions ; il doit examiner les questions à d'autres points de vue que l'intérêt militaire pur et il n'accorde que ce qui est indispensable, ce qui rentre dans la limite du possible.
Je pense qu'il faut, pour la défense de la ville d'Anvers, s'inspirer des idées de l'empereur Napoléon ; c'est là mon point de départ.
M. le colonel Brialmont légitime les fronts intérieurs de la citadelle du Nord par cette supposition qu'on soutiendra l'assaut à la grande enceinte de la ville.
Cette hypothèse est déjà fort hasardée quand il s'agit d'une enceinte en terre et je ne puis l'admettre ici.
Comme c'est mon opinion personnelle, je la dirai ici très franchement et très nettement.
La première idée de l'empereur Napoléon était de mettre la ville commerciale à l'abri d'un coup de main. Il disait en 1804 au premier inspecteur du génie : Vous rassurerez surtout le commerce d'Anvers au sujet des travaux ; ces travaux sont tout à fait dans son intérêt, attendu que si la pierre éclate, il ne faut pas que la grande prospérité commerciale de la ville soit compromise par un détachement quelconque.
Mais lorsque en 1809 l'expédition de Walcheren eut lieu, l'empereur avoua que les Anglais lui avaient dévoilé le secret de l'Escaut et c'est alors qu'il médita des projets complets de fortifications.
L'opinion de l'empereur Napoléon Ier était celle-ci : Anvers doit être à la fois une grande ville commerciale et une ville militaire.
La ville commerciale doit être mise à l'abri d'un bombardement ; il faut l'entourer d'une ceinture de forts, assez éloignée pour mettre les entrepôts et les bassins à l'abri du feu de l'ennemi. Lorsque l'empereur parlait des grands travaux exécutés à Anvers et qu'on admirait, il avait soin de dire. Ce n'est encore là que la ville commerciale ; la ville militaire sera sur la rive gauche.
II n'est jamais entré dans la pensée de l'empereur qu'on pût défendre à outrance l'enceinte sur la rive droite et que la ville pût être livrée aux chances d'un assaut, et par conséquent à la destruction.
Il réservait la défense à outrance pour la rive gauche, qui était le réduit de la position.
Et ne doit-on pas conserver la même opinion, aujourd'hui que cette ville est destinée à devenir un des centres du commerce du monde et qu'elle est pour nous, en temps de guerre, la capitale du pays ?
Nous possédons les ordres dictés par l'empereur, les mémoires dressés sous ses yeux. Nous pouvons reconstituer ses plans et les communiquer au besoin aux membres de la Chambre.
Pour en revenir à la citadelle du Nord, il n'est pas nécessaire pour la justifier de recourir à la supposition d'un assaut à l'enceinte.
Deux fronts de cette citadelle battent l'Escaut en aval et la rade elle-même.
L'un de ces fronts fait un retour obligé vers la ville ; quoi de plus simple, dès lors, que de le relier avec un des fronts de l'enceinte de manière à avoir des vues de revers sur ces fronts et à empêcher la ville d'être prise par la gorge.
Lorsque l'enceinte d'une place s'appuie à un fleuve, il est de principe d'établir, à ses extrémités, des remparts en retour qui garantissent des surprises et des attaques à revers ou à dos.
Or, dans mon opinion, il me paraît indifférent qu'il y ait un mur crénelé ou un terrassement. Il faut que l'ouvrage soit fermé à la gorge ; c'est une nécessité de la fortification. Ainsi, dans les fronts que nous pourrons établir, en remplacement de la citadelle du Sud, seront compris un arsenal et d'autres bâtiments, qui seront disposés de manière à former retranchement et à empêcher d'attaquer l'enceinte par surprise ou à revers.
M. le colonel Brialmont prévoit, dans sa brochure, l'attaque de la ville et le combat dans les rues. Dans mon opinion personnelle, le combat dans les rues n'est pas admissible.
Je ne pense pas que lorsqu'on aura sur la rive gauche les moyens de prolonger utilement la défense, on aille livrer une ville comme Anvers aux horreurs de l'assaut. Nous trouverons assez l'occasion de déployer notre courage, soit en campagne, soit sur la Nèthe, soit dans la défense des forts et, si tout le monde fait son devoir, il restera bien peu d'hommes lorsque la place sera sur le point d'être emportée.
Toutes les opinions qui ont été émises sont personnelles comme la mienne. Mais il est bien permis au gouvernement de choisir celle qu'il croit la meilleure.
MfFOµ. - Messieurs, je dois protester contre quelques expressions que vous avez entendues tantôt. Ou a prétendu que la Chambre aurait été jouée par le gouvernement, dans la question des fortifications d'Anvers.
Tout le monde sait que le projet qui a été adopté par la législature a été exécuté dans les conditions qui avaient été prévues et indiquées, sauf que la Chambre a reconnu qu'il était juste de voter un simple crédit supplémentaire s'élevant à 5,500,000 fr., et non à 8 millions, comme cela a été énoncé l'autre jour avec l'exagération qu'on met habituellement en cette affaire.
La Chambre a donc su parfaitement ce qu'elle faisait ; elle connaissait la destination que devaient recevoir les crédits qu'elle a été amenée à accorder au gouvernement. On peut affirmer sans exagération aucune que jamais travail d'une pareille importance n'a été exécuté dans des conditions aussi sévères et aussi économiques.
On vient de prétendre également que le gouvernement, par mon organe, avait annoncé comme un fait décidé la suppression des fronts intérieurs de la citadelle du Nord, et l'on fait cette affirmation afin d'avoir un prétexte pour mettre les paroles de l'honorable ministre de la guerre en contradiction avec les miennes.
La Chambre sait, chacun sait que je me suis borné à annoncer que le gouvernement s'engageait à examiner la question de savoir si l'on pourrait remplacer les fronts intérieurs de la citadelle du Nord par un mur crénelé.
Voilà la vérité, et ce n'est pas ce qui a été dit.
M. Delaetµ. - De l'exposé tout à fait nouveau du système militaire d'Anvers que vient de nous faire l'honorable général Renard, il résulte (page 509) que les travaux que la Chambre a votés jusqu'ici n'ont pas atteint le but que se propose M. le ministre de la guerre.
La conclusion naturelle de ce qu'il vient de nous dire, c'est que les fortifications d'Anvers ont été construites à rebours. L'empereur Napoléon voulait faire d'Anvers un de ses grands points stratégiques, la clef de l'empire français, et il entendait faire porter sur la rive gauche tout l'effort de la résistance. Aujourd'hui, quoi qu'on fasse, cet effort portera surtout sur la rive droite.
Et ce qui le prouve, c'est que les travaux mêmes que le général veut exécuter sur la rive gauche constituent de simples fortifications de sûreté et non pas de siège. Il y a la une ligne de défense pouvant parer à une attaque de quelques jours, mais non à un siège prolongé comme celui que l'on veut faire soutenir par Anvers.
Le moment n'est pas venu, messieurs, de discuter la question même des travaux de la rive gauche ; mais je tiens à faire observer que les explications du gouvernement ont amené un second résultat dont il est bon de prendre acte.
C'est qu'à Anvers notre seul gage de sécurité sera l'opinion personnelle du général qui aura le commandement en chef lors du siège.
L'honorable général Renard nous a dit quelle est son opinion personnelle. Cette opinion est très humaine, très sage ; elle est digne d'un militaire qui ne tient pas seulement couple de la responsabilité du soldat, mais aussi de celle de l'homme d'Etat : il ne veut pas exposer la ville, une grande ville de commerce, aux horreurs d'un siège à outrance, dans le seul but de sauvegarder l'intérêt abstrait qu'on appelle l'honneur du drapeau.
Mais il n'est pas bien certain que le commandant d'Anvers, lors du siège, ne sera pas M. le colonel Brialmont devenu général. Or, comme l'opinion de M. Brialmont est essentiellement opposée à celle de l'honorable général Renard, nous n'aurons aucune garantie de sécurité, si la citadelle du Nord n'est pas entièrement démolie et démolie de façon à ne pouvoir être rétablie pendant le siège.
Voici comment M. le colonel Brialmont formule son opinion :
« Le dernier élève de notre école militaire sait que les murs crénelés servent à fermer les ouvrages détachés (fortins, lunettes, etc.) du côté opposé à l'ennemi où nulle attaque n'est à craindre. Or le front intérieur de la citadelle du Nord est précisément celui qui fait face à l’ennemi (notez, messieurs, que c'est l'auteur qui souligne,) quand l'enceinte est prise. Ce front doit être, par conséquent, plus fort que les autres ou présenter tout au moins une résistance égale. D'où je conclus que la proposition de démolir actuellement ce front implique l’idée arrêtée de le reconstruire au moment de la guerre. Je me demande si la dignité du gouvernement et l'intérêt du pays permettront qu'on dépense de la sorte une somme de 750,000 francs en pure perte, et si, d'un autre côté, les Anversois, qui redoutent uniquement le rôle de la citadelle en temps de siège, se contenteront d'une solution qui consiste à supprimer le front intérieur en temps de paix seulement. » (Ici encore les italiques appartiennent à M. Brialmont.)
Je ne conteste en aucune façon, messieurs, le caractère parfaitement loyal des explications que l'honorable général vient de nous donner ; mais, je le répète, il s'est retranché derrière son opinion personnelle. Or, l'opinion personnelle d'un autre militaire qui a certainement joué un grand rôle dans l'établissement des fortifications d'Anvers, étant diamétralement opposée à la sienne et ce militaire ou tout autre qui partagerait sa manière de voir, pouvant être gouverneur d'Anvers en cas de siège, ce que le gouvernement semble vouloir nous accorder n'a aucune valeur.
M. Coomans. - Je demande la parole pour un fait personnel.
M. Delaetµ. - Du reste, messieurs, nous n'allons pas nous décider du jour au lendemain sur les travaux de fortification de la rive gauche. Le gouvernement semble ne vouloir les établir qu'après avoir vendu les terrains qui doivent lui fournir les fonds nécessaires à la construction. S'il en est ainsi, il s'écoulera encore quelque temps avant qu'il nous soumette un projet définitif, car je ne pense pas que la somme de dix-huit millions, fixée comme valeur de la citadelle du Sud et de l'arsenal, soit atteinte, ni même la moitié.
Un mot, et je finis. Je vois avec plaisir que l'ancien système en vertu duquel il était fait défense aux officiers de discuter publiquement les choses de la guerre, n'est pas maintenu par l'honorable général Renard, qui est d'avis, sans doute, qu'une discussion loyale, alors même qu'elle contrarie le gouvernement, doit être permise ; qu'elle éclaire le gouvernement et le pays.
J'espère que d'autres militaires suivront l'excellent exemple donné par le lieutenant-colonel Brialmont. Et comme il se passera quelque temps avant que les fonds soient faits pour les travaux de la rive gauche, la Chambre pourra cette fois être suffisamment éclairée par la discussion publique entre gens du métier.
M. le président. - La parole est à M. Coomans, pour un fait personnel.
M. Coomans. - Je me renfermerai dans le fait personnel, M. le président, car je reconnais que c'est la troisième fois que je prends la parole.
M. le ministre des finances m'accuse d'une exagération ou d'une inexactitude ; il est de mon devoir de démontrer que l'inexactitude vient de M. le ministre des finances.
J'aurais exagéré, dit-il, en transformant la somme de 5,500,000 fr. en une somme de 8,000,000 de francs.
Mais je n'ai parlé, que pour y faire une simple allusion, de la somme de 6 millions que M. le général Chazal, au nom de M. Frère, est venu nous demander pour achever complètement les fortifications d'Anvers. J'ai parlé de la somme de 8 millions que vient de nous révéler M. le général Renard en nous disant, il y a quelques minutes, que pour mettre la citadelle du Nord en état de se défendre il fallait encore huit millions.
MgRµ. - Je me suis trompé.
M. Coomans. - J'ai cru entendre l'honorable général nous dire que pour mettre la citadelle du Nord en bon état de défense il aurait fallu dépenser encore huit millions.
MgRµ. - Je me serai mal exprimé ; j'ai voulu dire que la citadelle tout entière mise en bon état de défense aurait coûté huit millions.....
M. Jacobsµ. - Combien aurait-il fallu dépenser encore ?
MgRµ. - Je l'ignore.
M. Coomans. - Nos souvenirs sont exacts, ils nous ont coûté assez chers pour être gravés in perpetuam rei memoriam.
On nous a déclaré maintes fois qu'avec le premier crédit de 49 millions et surtout avec le crédit supplémentaire de 6 millions, tout était fait et parfait, qu'il n'y avait plus rien à défaire ni à refaire.
Et aujourd'hui pour se justifier devant les hommes compétents d'ordonner la suppression de la citadelle du Nord, on vient nous dire qu'elle n'est pas en état de se défendre. Vous le comprenez bien, ce n'est pas là ce qui m'échauffe.
On démolirait cette citadelle avec les autres que je ne pourrais qu'applaudir, mais il est bon que le public sache qu'on n'a jamais entièrement dit la vérité dans les questions militaires et que chaque jour nous apprenons quelque chose de nouveau qui malheureusement nous coûte toujours cher ; jamais l'on ne s'est trompé dans le sens d'une économie à faire, mais toujours dans le sens d'une augmentation. Or, s'il faut encore 8 millions pour mettre une citadelle incomplètement en état de défense, j'ai eu raison de dire qu'on nous a caché la vérité pendant plusieurs années puisque toujours on nous a dit ici que tout était fait et parfait.
MgRµ. - Lorsque j'ai parlé des projets de l'empereur Napoléon sur Anvers, je n'ai pas voulu dire que dans la situation particulière où nous nous trouvons nous devions suivre son système à la lettre. J'ai fait connaître son opinion sur la défense de la ville ; mais lorsque en Belgique il s'est agi d'établir le grand réduit d'Anvers, il était positif que c'était sur la rive droite que se trouvait la principale défense. Pourquoi Napoléon défendait-il principalement la rive gauche ? C'est que cette rive se reliait à sa principale communication avec la France ; il était bien plus près par là de Lille et des forteresses du Nord avec lesquelles il pouvait communiquer par les Flandres en se couvrant par l'Escaut et la Lys.
Les travaux que nous avons établis sur la rive droite sont suffisants ; mais en fortifiant la rive gauche, nous doublons la valeur militaire de la position, tout en donnant aux Anversois ce qu'ils désiraient. (Interruption.) On peut varier d'opinion sur le meilleur système à suivre, mais on doit reconnaître que la défense de la rive droite est complète. Or, je répète qu'avec les travaux de la rive gauche, on a doublé la valeur des fortifications d'Anvers. Et, en effet, lorsqu'une place se trouve sur un fleuve et que sa garnison n'a qu'une rive de ce fleuve à sa disposition, elle est gênée, parce qu'il est possible de l'entourer ; si, au contraire, elle est maîtresse des deux rives, elle est plus forte parce qu'elle peut faire des diversions puissantes.
Citons un exemple :
Supposons qu'on attaque les fortifications de la rive droite, ce qui est le seul cas probable, si notre armée ne peut déboucher dans le pays de Waes, faute de point d'appui sur la rive gauche, elle se trouve confinée dans la place, réduite à une défense longue et opiniâtre, je le veux bien, mais purement passive. Dans cet ordre d'idées, notre armée devient une garnison redoutable ; mais elle perd ses propriétés et ses moyens d'action comme armée en campagne.
Supposez que l'armée belge, au contraire, puisse se porter sur la rive gauche, et passer l'Escaut à Termonde, elle se trouve alors à 7 lieues de Bruxelles et peut diriger une attaque très forte sur la ligne d'opérations de l'assiégeant.
Que ferait l'ennemi dans ce cas ?
Il devrait abandonner le siège ou bien avoir une armée d'observation toujours prête pour s'opposer à ces diversions. N'est-ce pas là doubler la force de la place ? Il faudrait n'avoir jamais regardé une carte pour le nier.
Et cette citadelle du Nord dont on réclame toujours la démolition ne constitue-t-elle pas, avant tout, une batterie pour défendre la rade ? On ne peut toucher aux deux fronts qui commandent le fleuve et l'on ne peut renverser ceux tournés vers les polders puisqu'ils forment la continuation de l'enceinte ; il n'y a donc que ce qui se trouve vers l'intérieur de la place et qui ne doit servir, d'après M. le lieutenant-colonel Brialmont, qu'à favoriser la retraite des troupes qui auraient soutenu l'assaut à l'enceinte et assurer leur passage sur la rive gauche en aval d'Austruweel.
Assigner un semblable rôle à un ouvrage, c'cst le faire déchoir du rang de citadelle.
Ce rôle peut être rempli aussi bien par un mur crénelé ou par des ouvrages de campagne que par un rempart à grand relief.
Ce qui constitue une véritable citadelle, c'est un réduit pourvu des défenses et des abris nécessaires pour pousser la lutte à outrance.
Une ville peut avoir des fortifications faibles, du moment que la citadelle est forte ; en admettant même qu'elle soit prise, tout ne serait pas perdu, car aussi longtemps que la citadelle, est debout une sortie heureuse peut rétablir les intérêts compromis.
La citadelle du Nord ne jouit pas de semblable propriété et lorsque j'ai consenti au maintien des fronts intérieurs, c'est parce que, dans ma conviction, ces fronts ne devaient jamais causer le moindre mal à la ville d'Anvers.
On nous répète que les opinions varient beaucoup, que le lieutenant colonel Brialmont émet telle opinion, le général Renard telle autre. Mais c'est là le cours naturel des choses. Que s'est-il passé à propos des fortifications de Paris ?
Cinquante avis différents se sont fait jour parmi les commissions composées de généraux français et en définitive qu'en est-il résulté ? Un compromis.
Les généraux français les plus illustres repoussaient l'enceinte, ils voulaient un simple mur crénelé ; ils disaient : Les forts nous suffisent ; c'est notre champ de bataille et nous n'admettons pas qu'on puisse entrer d'assaut dans une ville comme Paris.
Que disait à son tour la bourgeoisie ? Vous nous embastillez ; vous voulez faire de nous un peuple esclave.
Eh bien, c'est la bourgeoisie qui, par M. Thiers, a fait faire l'enceinte contre les forts.
Pourquoi donc venir opposer maintenant ce que dit tel général, et que peut donc tel officier supérieur aux décisions que prend le gouvernement après avoir discuté un projet au point de vue de tous les intérêts qu'il doit sauvegarder ? Ces divergences d'opinion qui se manifestent toujours, ne signifient absolument rien. De pareilles divergences surgissent presque toujours même dans les discussions techniques. Elles peuvent exercer quelque influence dans les détails ; mais elles n'en ont aucune sur l'ensemble. C'est là le point essentiel, et je suis heureux de le proclamer. On a beaucoup discuté sur la citadelle du Nord, sur le type de la fortification adopté, etc. Tous ces points sont secondaires, leur solution dans un sens plutôt que dans un autre n'avancerait pas d'un jour la reddition de la place. C'est l'ensemble qu'il faut considérer et sous ce rapport il n'y a pas divergence d'opinion.
M. Kervyn de Lettenhove. - Je viens à mon tour, messieurs, demander quelques explications au gouvernement. Je voudrais apprendre jusqu'à quel point le tableau, distribué aujourd'hui, des dépenses à faire à Anvers est complet.
Je désirerais, notamment, savoir si le gouvernement y a compris les dépenses qui résulteront de l'armement, avec des pièces de gros calibre, des forts à élever sur la rive gauche de l'Escaut ; s'il n'y aura pas de nouveaux ponts à établir pour le service des forts, ou celui de la grande enceinte ; s'il n'y aura pas lieu aussi de créer des communications, soit pour les forts, soit pour diverses parties de la grande enceinte, communications qui consisteraient soit en routes pavées, soit en chemins de fer.
Je désirerais également savoir s'il n'y aura pas lieu à d'autres dépenses soit pour le logement des troupes ou l'armement des remparts.
Nous avons tous intérêt à connaître exactement le chiffre des dépenses que prévoit le gouvernement ; mon interpellation n'a pas d'autre but que d'acquérir sur ce point de nouvelles lumières.
MgRµ. - Je répondrai à l'honorable M. Kervyn que notre armement suffit pour tous les travaux qu'on exécutera, et je puis dire à la Chambre que, sous ce rapport surtout, notre position est excellente.
Par la loi d'organisation que nous avons proposée, le personnel de l'artillerie et du génie a été constitué dans ce but.
Quant aux travaux de routes et de chemins de fer dont a parlé l'honorable membre, le gouvernement n'a pas l'intention de les exécuter, à présent du moins. Nous avons une grande route militaire qui relie les forts détachés d'Anvers.
Certainement un chemin de fer serait préférable ; mais dans un pays comme le nôtre, nous devons nous contenter de ce qui est possible. Il n'y a pas de pays au monde qui possède tout ce qu'il peut désirer.
Nous nous bornons, messieurs, à demander les travaux indispensables ; quant à ceux qui sont seulement désirables, nous les ajournerons.
- L'incident est clos.
M. Bouvier, rapporteurµ. - Il résulte du dépouillement du procès-verbal en ce qui concerne l'élection de Charleroi, que le nombre des votants s'élevait à 1,537. 1,451 bulletins ont été déclarés valables et 85 nuls.
La majorité est, par conséquent, de 726 voix, M. Pirmez ayant obtenu 1,438 voix a été, en conséquence, proclamé membre de la Chambre des représentants. Comme il s'agit d'une réélection, l'honorable M. Pirmez n'a pas à fournir la preuve de son âge ni de son indigénat. En conséquence votre commission a l'honneur de vous proposer, à l'unanimité, l'admission de M. Pirmez comme membre de la Chambre des représentants.
- Ces conclusions sont mises aux voix et adoptées.
En conséquence, M. Pirmez est proclamé membre de la Chambre.
M. Bouvier, rapporteurµ. - En ce qui concerne l'élection de l'honorable M. Jamar, il résulte des procès-verbaux que le nombre des volants s'élevait à 1,338. 72 bulletins ont été annulés. Il restait donc 1,266 bulletins valables, La majorité est de 634 voix. M. Alexandre Jamar ayant obtenu 1,253 voix et aucune réclamation n'ayant été soulevée, il a été proclamé par le bureau membre de la Chambre des représentants.
Comme il n'a pas plus que l'honorable M. Pirmez à fournir la preuve de son âge et de son indigénat, voire commission a l'honneur de vous proposer, à l'unanimité, l'admission de M. Alexandre Jamar comme membre de la Chambre des représentants.
- Ces conclusions sont mises aux voix et adoptées.
En conséquence M. Jamar est proclamé membre de la Chambre.
M. Jamar prête le serment prescrit par la Constitution. Il lui est donné acte de sa prestation de serment.
(page 513) M. Nothomb. - Messieurs, le projet de loi qui est soumis à nos délibérations présente une de ces questions, malheureusement trop rares chez nous, qu'on peut aborder sans crainte d'être gêné ou méconnu par l'esprit de parti.
C'est une question vraiment nationale, puisqu'il s'agit de décider quels sont les moyens matériels les plus efficaces pour défendre éventuellement la neutralité, l'indépendance et, au besoin, l'existence même du pays.
L'honorable rapporteur de la section centrale et mon honorable et savant ami, M. Thonissen, ont démontré que de bonnes et solides institutions militaires sont nécessaires à la Belgique, non seulement pour sa légitime défense, mais encore pour lui permettre d'occuper avec dignité le rôle qui lui est assigné en Europe.
Et, en effet, messieurs, si cette neutralité qui nous protège dans le droit international est pour nous un privilège précieux, elle nous impose d'autre part une charge dans un intérêt européen.
Je viens de rappeler le discours de M. Thonissen, dont je suis cependant loin de partager toutes les vues ; je ne veux m'arrêter en passant que sur un seul point, sur le fait historique qu'il a invoqué, et j'y reviens parce que j'attache du prix aux opinions de l'honorable membre et que M. le ministre de la guerre, dont je regrette de n'avoir pas pu écouter hier tout le discours, s'en est également occupé. Je veux parlez de la situation de la république de Venise à la fin du siècle dernier.
L'honorable M. Thonissen nous a signalé l'exemple de Venise comme un avertissement sérieux pour nous. Il nous a dit : Prenez garde de succomber comme Venise, de subir la même destinée ; évitez de tomber comme elle dans l'apathie qui l'a perdue. Venise, a-t-il ajouté, a disparu du rang des nations parce qu'elle avait négligé ses armements, parce qu'elle n'a pas su défendre sa neutralité, ni résister aux agresseurs.
M. le ministre de la guerre, si je l'ai bien compris, a attribué une autre raison à la chute de l'Etat vénitien. Il a reconnu que Venise possédait de grands moyens de défense, qu'elle avait une armée bien organisée, une flotte nombreuse et un trésor bien garni. Il a conclu que Venise a péri par l'apathie de son gouvernement, auquel a manqué l'énergique résolution de se sauver.
M. le ministre est bien plus près de la vérité que l'honorable M. Thonissen. Venise est tombée sans doute parce que le cœur a manqué à son gouvernement. Mais il y une autre cause plus vraie, plus générale et plus haute de cette chute ignominieuse, et cette raison est celle-ci : Venise a succombé sous les fautes et les vices d'un mauvais gouvernement, d'une oligarchie corrompue à l'excès, qui avait tout subordonné à l’intérêt d'une caste ou plutôt de quelques familles, qui avait tout confisqué à son profit exclusif : places, honneurs, richesses. Venise a succombé parce que l'esprit national s'était retiré de ce détestable gouvernement ; le ressort public s'était brisé, il n'y avait plus de peuple.
Tel est le sort réservé à toutes les nations qui confient leurs destinées ou à un gouvernement absolu et absorbant, ou à une oligarchie, quel qu'en soit le nom et quelle qu'en soit la forme. Et pour qu'on ne me reproche pas de créer à plaisir un argument en faveur de mes opinions, je m'abrite, pour faire ce tableau de la décadence de Venise, derrière l'autorité d'un célèbre historien contemporain et italien. La Chambre me permettra de lui lire quelques lignes de cet écrivain :
« Comme dans toutes les oligarchies, les abus et les malversations se multipliaient dans l'armée et les finances. Les brigues étaient très animées ; les nobles riches, pour gagner leurs votes, caressaient les nobles pauvres, qui les caressaient à leur tour afin d'en obtenir, avec leur protection, des emplois et des dîners. Les femmes se faisaient les intermédiaires de ce trafic des votes, des emplois, de la justice. Les chanceliers pouvaient frapper des innocents, absoudre même les coupables, qui parfois furent tirés des prisons, comme il arriva à Galeano Lechi, auquel on permit, en 1785, de s'enfuir des plombs moyennant vingt mille ducats payés aux inquisiteurs.
« Dans les possessions d'outre-mer, le désordre était pire ; les employés extorquaient de l'argent et vendaient la justice, en même temps qu'ils volaient une partie des sommes affectées par la république à l'entretien des forteresses et des ports. Une loi très sévère interdisait aux nobles et aux personnes attachées à leur service tout rapport avec les résidents des puissances étrangères et leurs familles ; aussi, lorsque l'un d'eux donnait une fête dont il voulait exclure les gens non invités, il mettait à sa porte un domestique avec la livrée d'un ambassadeur étranger.
« L'Etat se concentrait donc dans la cité, la cité dans quelques familles, et la faiblesse des sujets paraissait l'unique force. La politique extérieure ne voyait plus dans Venise qu'une proie convoitée. »
Messieurs, je reviens maintenant à la discussion générale proprement dite.
Il me semble toutefois que ces honorables membres qui ont si bien établi pour notre neutralité le droit et le devoir d'être forte, n'ont pas fait ressortir avec la même rigueur, avec la même logique le principe qui doit servir exclusivement de base à nos institutions militaires.
Ce principe me paraît être celui-ci : nous sommes condamnés, heureusement condamnés, à rester perpétuellement sur la défensive, tant dans notre intérêt que dans celui de l'Europe.
Depuis la loi organique de 1853, et surtout depuis la construction du camp retranché sous Anvers, ce principe de la défensive a été mieux appliqué dans nos réformes militaires ; le moment me semble très opportun pour lui donner dans l'organisation de la défense nationale une consécration plus éclatante et définitive. C'est à ce point de vue que je me placerai pour examiner les mesures que le gouvernement nous a proposées.
Je n'ai pas besoin de vous exposer le système de défense concentrique que le département de la guerre a adopté.
D'ailleurs, je ne suis pas militaire, et je n'ai ni les connaissances spéciales, ni l'autorité voulue, pour contredire aucune des assertions purement techniques, qui nous ont été présentées ; j'accepte, malgré les variations, malgré les contradictions dont nous voyons sans cesse devant nous le spectacle aussi étonnant qu'il est affligeant ; j'accepte donc comme un fait accompli le système de défense, tel qu'il a été théoriquement établi par l'autorité militaire, me réservant de critiquer la partie économique et politique, ou, si je puis emprunter une expression de M. le ministre des finances, le côté civil du projet.
Si ce projet est impopulaire dans le pays, ce n'est pas parce qu'il impose une charge trop lourde au patriotisme de nos concitoyens, mais parce que cette charge est inégalement répartie, et que tout le monde n'est pas convaincu de l'efficacité des moyens de défense qui nous sont demandés ; la question d'argent, d'impôt, de budget de la guerre, n'est pas la première de toutes, je dirai plutôt qu'elle est la dernière de toutes. L'Etat qui subordonnerait l'intérêt suprême de son existence ou de sa dignité à une question d'argent, serait condamné inévitablement à la dissolution.
Certes, le budget militaire d'une nation doit être mis sagement en rapport avec ses ressources ; mais si elle est résolue, bien virilement résolue de se défendre, elle sera toujours assez riche pour payer les frais de sa défense.
Ce qui rend le projet impopulaire, ce sont les doutes qui planent sur la fixation de l'effectif et sur les aggravations qu'on redoute pour notre mode de recrutement, déjà si lourd et si injuste.
Sans être un homme de guerre, je crois qu'on peut affirmer que l'effectif qui nous est proposé est trop élevé ou trop faible ; trop élevé, s'il ne s'agit que de défendre Anvers ; trop faible, s'il nous faut avoir l'armée dite de campagne ou d'observation.
D'après le rapport du comité militaire, de la commission mixte de 1866, et le rapport même de la section centrale, l'armée d'Anvers et des places fortes absorbera 74,000 hommes, et il resterait pour l'armée de campagne environ 52,000 hommes (chiffre rond).
Pour former ces deux armées, on compte sur 100,000 hommes donnés par la conscription et sur 30,000 hommes du premier ban réorganisé de la garde civique. Je douta qu'on parvienne aisément à réorganiser le premier ban de la garde civique sur les bases indiquées par le sous-comité de la garde civique de la commission mixte de 1866, j'en dirai, si l'on veut, les raisons plus tard.
Si l'on n'y parvient pas, on aura créé une nouvelle source de vexations et jeté une nouvelle cause de désorganisation dans notre système de défense nationale.
Si, au contraire, ou réussit à constituer militairement ces 30,000 hommes de garde civique et à en faire des troupes solides, on aura prouvé deux choses : l'une que l'injustice de notre système actuel de recrutement est radicale, l'autre qu'en armant et en prenant militairement tous les hommes capables d'entrer dans ce premier ban de la garde civique, on pourrait doubler et tripler l'effectif, tout en diminuant peut-être les dépenses.
(page 514) Mais en supposant que vous pouvez compter avec une certitude complète sur un effectif de 130,000 hommes, cet effectif n'en restera pas moins nominal pour un tiers ou tout au moins pour un quart. Au jour du danger, vous n'auriez à votre disposition que 86,000 à 96,000 hommes dont 74,000 seront dans les places fortes et dans le grand réduit qui sert de base stratégique à notre défense.
J'arrive ainsi à cette conclusion que cette armée d'observation aura un effectif insuffisant et qu'elle sera par conséquent inutile à notre défense. Donc l'augmentation proposée du contingent annuel ne répondrait pas au but que l'on veut atteindre.
En définitive les charges militaires resteront inégalement réparties et leur aggravation ne rendra pas plus efficace notre système de défense.
Si l'armée d'observation est inutile, nous pourrions facilement diminuer le chiffre du contingent annuel.
Si au contraire cette armée d'observation est nécessaire, et je le crois, il faut lui donner un effectif sérieux.
Mais où chercher cet effectif ? Selon moi, dans une réforme radicale de notre mode de recrutement. Quelle doit être cette réforme ? On comprend qu'il est impossible à un simple membre de la Chambre de formuler à cet égard un projet complet et détaillé.
J'indiquerai seulement le principe de cette réforme ; c'est l'armement général de la nation.
Comment réaliser cet armement général ? Nous pouvons choisir entre divers systèmes. Nous avons le système suisse, qui constitue une armée entièrement populaire. Nous avons le système anglais, qui, à côté d'une armée relativement petite de volontaires bien payés, bien traités, présente une masse imposante de volontaires non soldés, de riflemen, de milices, parfaitement équipée, parfaitement armée. Nous avons enfin le système prussien, qui vaut bien le nôtre. Car s'il est tout aussi gênant, il est bien moins injuste.
Puisque le gouvernement croit qu'avec le premier ban de la garde civique réorganisée, il parviendra à former une armée subsidiaire et sérieuse de 30,000 hommes, étendons ce principe d'organisation à toute la nation et ne conservons qu'une armée permanente, peu nombreuse, de volontaires (ou de miliciens, s'il n'est pas possible d'avoir assez de volontaires, même en les payant bien), une armée pour les cadres et les armes spéciales, une solide, mais relativement petite armée que j'appellerais volontiers l'armée technique et qui sera comme le noyau, la base, et en quelque sorte l'égide de la nation en armes : rôle assurément honorable et digne du dévouement et de l'abnégation de cette armée.
Selon moi, cette organisation s'appliquerait parfaitement à notre pays, heureusement astreint à rester perpétuellement sur la défensive.
L'organisation prussienne, comme instrument d'attaque, d'offensive n'a pas encore fait ses dernières preuves ; mais à coup sûr elle semble pouvoir s'adapter dans son principe à l'organisation politique de la Belgique. Je ne me dissimule pas que mon opinion rencontrera peu d'adhérents dans cette Chambre, je sais quelles objections on y fera ; nous les discuterons en temps opportun, j'y suis prêt.
Si l'on n'adopte pas un système analogue, si vous parvenez à organiser cette armée offensive qu'on nous propose maintenant, à achever complètement vos fortifications, à en faire cet ensemble puissant, formidable, sans pareil dans le monde, si vous réussissez à constituer votre armée régulière de 100,000 hommes et votre armée auxiliaire de 30,000 hommes, je n'hésite pas à prédire que c'en est fait de votre neutralité. Vous serez entraînés malgré vous dans le tourbillon des complications extérieures, une alliance quelconque vous sera imposée et vous serez exposés à courir les chances des aventures européennes. C'est une gravé et périlleuse situation que je voudrais éviter au pays. L'organisation que j'indique est la seule conforme à la tendance générale de nos institutions civiles et politiques, et aux aspirations de notre siècle.
Ce siècle portera deux noms, deux grands noms. Il s'appellera le siècle des chemins de fer et du suffrage général, deux choses qui feront oublier et pardonner ces tueries, qu'on appelle des gloires, qui commencent à Marengo et qui n'ont peut-être pas fini à Sadowa.
Tant que notre organisation militaire ne reposera pas sur la base du suffrage général, elle restera à la fois impopulaire et impuissante.
C'est surtout aux petites nations que cette dure nécessité s'impose de jour en jour davantage. Elles sont menacées par des principes nouveaux et elles ne peuvent pas se défendre par le nombre ; elles seraient écrasées. C'est par les forces morales seules qu'elles peuvent résister, qu'elles peuvent se sauver. Ces forces morales trouvent deux expressions : l’une, c'est le droit du vote général, la volonté générale formellement exprimée ; tous les hommes citoyens ; l'intervention réelle du peuple dans l'exercice de la souveraineté nationale.
La seconde, c'est l'armement de la nation, comme sanction de cette volonté générale.
Et cela est vrai, surtout pour la Belgique. Osons le dire et regardons en face le danger qui peut naître.
Ce qui pourrait nous menacer, ce n'est pas une absorption complète. C'est là un projet insensé, odieux et qui révolterait la conscience du genre humain. Mais une autre combinaison plus machiavélique pourrait nous surprendre.
Que lisons-nous en effet dans certaine presse comme dans certains écrits qui se publient maintenant des deux côtés du Rhin ?
On nous dit : Vous, Belges, vous n'êtes que des parvenus. Vous n'êtes pas une nationalité ; vous n'êtes qu'un composé de trois types différents ; il y a des Allemands, des Wallons-Français, des Flamands-Hollandais. Il faut renvoyer chacune de ces races vers sa souche d'origine. Vous n'êtes pas, ajoute-t-on, une véritable nation ; vous n'êtes qu'un assemblage de fonctionnaires, votre armée y comprise. Telles sont les paroles outrageuses qu'il faut parfois entendre. Eh bien, messieurs, je voudrais y répondre victorieusement par une organisation vraiment nationale de la défense telle que je viens de la tracer à grands traits et à mon tour je voudrais dire à nos détracteurs : Voilà 2,00 ans que dure cette nationalité formée d’éléments celtiques et germaniques. Elle s’est maintenue à travers tous les orages, toutes les révolutions, toutes les occupations ; l’étranger a beau fouler le sol de la Belgique, les Belges sont restés : tels nous avons vécu pendant tant de siècles, tel aussi nous voulons vivre, tels nous voulons mourir, et nous le prouverons en montrant la nation entière debout dans les comices et debout, s’il le faut, sur les champs de bataille. Un tel langage, une telle attitude feraient reculer les plus avides comme les moins scrupuleux de ces spoliateurs de nationalités.
Si l'on ne saisit pas le moment actuel pour réaliser cette grande réforme sociale, on aura perdu une occasion qui ne se reproduira plus de si tôt et on sera certain d'entendre, immédiatement après la promulgation de la loi que nous discutons, remettre en question et l'efficacité de notre organisation militaire et le chiffre des dépenses faites pour l'établir.
Il faut qu'une des institutions les plus essentielles du pays, celle qui doit servir de sanction suprême à son droit d'existence, il faut qu'elle repose sur des bases larges, indiscutables, inébranlables, il faut que ses racines plongent dans le cœur, dans le sentiment unanime et dans les entrailles mêmes de la nation.
C'était donc, messieurs, une organisation se rapprochant de celle de la Prusse, une organisation militaire de la nation entière que j'aurais voulu voir établir.
Dans cette situation, je ne puis que voter contre les mesures proposées et je demande le maintien de l'état de choses actuel avec la transformation et le perfectionnement de l'armement, devenus indispensables.
M. Van Overloopµ. - Il est reconnu, pour ainsi dire par tous, que la proclamation de notre neutralité, par les grandes puissances, ne suffit pas pour sauvegarder l'inviolabilité de notre territoire. Je crois, avec l'honorable M. Thonissen, que notre neutralité doit s'appuyer sur une armée permanente convenable, en rapport avec notre population et avec l'état de nos finances. C'est assez dire, messieurs, que je ne partage pas l'opinion de l'honorable orateur qui vient de se faire entendre, de mon honorable ami, M. Nothomb.
Je crois que l'armement général de la nation qu'il propose, préparé pendant la paix, serait repoussé par la nation entière. C'est un système que je conçois dans un pays militaire comme la Prusse, mais que je ne conçois pas dans un pays comme la Belgique. L'annonce seule de son introduction soulèverait l'opinion publique.
D'autre part, l'armement général au moment où l'étranger menacerait notre territoire, constituerait une véritable impossibilité, aujourd'hui surtout que les moyens de locomotion sont si rapides.
En troisième lieu, l'armement général serait parfaitement inefficace, car l'expérience a prouvé que les gros bataillons non façonnés à la guerre sont facilement vaincus par de petites armées rompues aux exercices militaires.
- Un membre. - Et Sadowa !
M. Van Overloopµ. - Remarquez, messieurs, que la campagne d'Autriche n'a duré que sept jours. Qui sait ce qui serait arrivé si elle avait duré trois ou quatre semaines ?
(page 515) Les bataillons de la Landwehr auraient-ils tenu bon ?
On fait d'ailleurs remarquer, derrière moi, que la Landwehr prussienne se compose d'hommes ayant déjà passé trois ans sous les armes. Or, je le demande, un tel régime serait-il accueilli avec faveur par la population belge ? Consentirions-nous à servir trois ans dans l'armée active pour passer ensuite dans la Landwehr ?
Je reprends ma thèse. Nous avons besoin, je le répète, d'une armée permanente convenable, en rapport avec notre population et avec l'étal de nos finances.
Mais comment pouvons-nous parvenir à constituer une armée réunissant ces conditions ? Là est la question.
A mes yeux, c'est une illusion de croire que l'on pourrait y arriver exclusivement au moyen de volontaires. Le budget triplé ou même quadruplé n'y suffirait pas, et, en supposant même que vous pussiez faire face à la dépense, les hommes vous feraient défaut.
Force nous est donc, puisqu'une armée est indispensable, de recourir au tirage au sort.
Je le reconnais, le tirage au sort, comme vient de le dire avec raison l'honorable préopinant, le tirage au sort froisse les populations.
Il les froisse, parce qu'il contraint, chaque année, quelques milliers de Belges à servir l'Etat, à la décharge de leurs concitoyens. Telle est la vérité.
En réalité, le milicien ne paye pas, comme on le répète sans cesse, l'impôt du sang. Il peut uniquement être appelé à le payer si l'ennemi venait à menacer notre territoire ; mais, dans ce cas, la position d'un milicien ne serait pas différente de celle des autres citoyens, car les adversaires comme les partisans du tirage au sort sont d'accord pour reconnaître que tout citoyen est obligé, en conscience et en droit, de défendre son pays.
Les mots « impôt du sang » font beaucoup d'effet sur les esprits irréfléchis... Je dis sur les esprits irréfléchis, car la chose n'existe pas en Belgique. Depuis trente-huit ans, je ne sache pas qu'un seul milicien belge ait payé l'impôt du sang, si ce n'est peut-être, en 1848, à Risquons-tout, où un petit nombre peut avoir été blessé.
De ce que le milicien sert à la décharge de ses concitoyens, il suit, non pas qu'il faille supprimer le tirage au sort (ce qui nous priverait d'une armée), mais qu'il faut rendre la position du milicien sous les drapeaux aussi bonne que possible.
Ces considérations, messieurs, m'amènent, en premier lieu, à examiner si nous faisons assez au point de vue de la justice (et la justice est le fondement des nations), dans l'intérêt de nos miliciens, qui constituent la partie la plus intéressante de notre armée, puisqu'ils sont contraints à servir.
Je demande pardon à la Chambre des détails dans lesquels je vais entrer, mais l'intérêt de nos miliciens m'en fait un devoir.
Quel est actuellement, messieurs, le sort de nos miliciens sous les armes ? Je me propose de le considérer au point de vue du logement, de la nourriture, du vêtement et du denier de poche.
Je ne parlerai que du soldat d'infanterie, parce qu'il constitue la grande masse de l'armée. Aller au delà m'entraînerait trop loin.
Aujourd'hui, le logement et le couchage sont fournis directement ou indirectement par l'Etat.
L'Etat fournit aussi le pain, à raison de 750 grammes ou 3/4 de kilogramme par homme et par jour.
Avant 1830, le soldat n'avait que 500 grammes de pain par jour, mais un arrêté du gouvernement provisoire du 27 octobre 1830 a élevé la ration à 750 grammes.
Enfin l'Etat paye une solde par jour.
Cette solde est de 78 centimes, sur lesquels il est prélevé journellement pour la masse d'habillement 29 centimes ; les 49 centimes restants sont consacrés à ce qu'on appelle les dépenses du ménage.
Ces dépenses prélevées, ce qui reste constitue ce qu'on appelle le denier de poche ou la solde qui se paye tous les cinq jours.
Les dépenses de ménage dont je viens de parler comprennent :
L'achat de la viande, à raison de 250 grammes ou 1/4 de kilogramme par jour.
L'achat des pommes de terre, des légumes, du poivre, du sel, etc.
Les frais de la cuisine, y compris ceux des cuisiniers, le charbon, etc.
Les frais du barbier.
Les menues dépenses de l'entretien, des effets : Fil, aiguiller, cirage, tripoli, vernis.
Certaines dépenses relatives à la salle d'armes.
L'Etat alloue, il est vrai, 25 francs par mois pour la salle d'armes, mais il est défendu d'appliquer cette somme aux réparations des dégâts causés aux fleurets et aux autres instruments. Pour couvrir ces frais, il est fait une retenue, non pas sur la solde de l'homme fautif, Mai sur celle de tous les hommes du corps.
De ce que le denier de poche est ce qui reste des 49 centimes après le prélèvement des dépenses du ménage, il suit que ce denier varie selon les fluctuations du prix des denrées alimentaires. Aussi pendant la cherté de la viande, le denier de poche est-il descendu jusqu'à 2 ou 3 centimes par jour.
Pour remédier à cette insuffisance qu'a-t-on fait ? On a eu recours à un expédient. On a pris 5 centimes sur les 29 affectés à la masse du soldat et l'on a augmenté d'autant sa solde.
Je dis que c'est là un expédient puisqu'on prenait ainsi dans la poche gauche du soldat 5 centimes pour les remettre dans sa poche droite.
Je passe maintenant à la masse.
On prélève, ai-je dit, pour la masse d'habillement, 29 centimes par jour.
Ces 29 centimes forment, au budget, un total, au moyen duquel l'Etat achète les étoffes et les effets nécessaires aux soldats.
Ces objets sont versés dans les magasins des régiments, d'où ils sont délivrés aux hommes.
On délivre à chaque entrant un livret, contenant un compte courant.
Au débit de l'homme, on porte la valeur dès effets qu'on lui remet, ainsi que le coût du renouvellement et des réparations effectués pendant sa présence au corps.
Au crédit, on porte, tous les trimestres, le nombre de journées de 29 centimes que l'homme a été présent sous les armes, plus une première mise de 36 francs.
Lors du congédiement, le compte courant est arrêté.
S'il constaté un passif pour le milicien, on retient celui-ci sous les drapeaux ou on lui refuse l'autorisation de se marier jusqu'à ce que la dette soit payée.
Or, à l'expiration des 30 mois de service actuellement exigés pour le soldat d'infanterie, il arrive presque toujours que le compte du milicien balance par un passif.
Cela provient de ce que les frais de premier équipement (ils sont en moyenne de 160 francs) et les frais de renouvellement, de réparation et d'entretien, pendant les 30 mois, atteignent un chiffre supérieur à celui dont le milicien est crédité pendant ce laps dè temps.
Le crédit, comme je l'a déjà dit, se compose :
D'une première mise de 36 fr.
De 29 centimes par jour de présence sous les armes, pendant les 30 mois de la durée du service soit 261 fr.
Total, 297 fr.
Mais le milicien obtient très exceptionnellement ce chiffre, parce que les jours de congé et d'hôpital ne comptent pas comme journées de présence sous les armes.
De là l'obligation très pénible pour les pauvres parents qui désirent voir rentrer leur fils au logis, à l'expiration des 30 mois de service, de vendre souvent le nécessaire pour payer la dette que le fils a à sa masse.
Je me demande maintenant, messieurs, si la position du milicien au point de vue du logement est convenable et, s'il ne l'est point, ce qu'il faudrait faire, à mon avis, pour l'améliorer ?
La plupart de nos casernes, c'est un fait incontestable, sont dans un état déplorable. Il y en a une notamment à Anvers, qui, m'a-t-on dit, a cinq étages et qui contient des lits jusque sous les combles, de sorte que les pauvres soldats couchés à l'étage supérieur peuvent se croire, en été, sous les plombs de Venise tandis qu'ils gèlent en hiver. S'ils veulent se chauffer, ils sont obligés de sacrifier une partie de leurs deniers de poche pour louer un poêle et acheter du charbon. Et puis, quelle corvée n'est-ce pas de devoir descendre et remonter plusieurs fois par jour cinq étages !
Le meilleur moyen, selon moi, d'améliorer le logement du soldat serait de mettre le casernement à la charge de l'Etat. Les villes qui ont aujourd'hui à pourvoir aux frais d'entretien des casernes font naturellement le moins de travaux possible et ce n'est qu'avec beaucoup de peine que l'autorité militaire parvient à les déterminer à faire les réparations les plus indispensables. Si le casernement était à charge de l'Etat, les (page 516) plaintes qu'il soulève disparaîtraient, grâce aux soins de l'autorité militaire, qui se préoccupe (c'est dans la nature des choses) plus du bien-être du soldat que l'autorité civile.
Il est d'ailleurs juste, selon moi, que le casernement soit à la charge de l'Etat. Le logement des troupes constitue un service public et dès lors la dépense doit incomber à l'Etat.
Ce principe a été établi par les décrets du 18 juillet 1791, du 23 mai 1792 et du 18 janvier 1793.
J'appelle sur ce point l'attention de l'honorable ministre des finances parce qu'il me semble que ces décrets font partie de ces principes de 1789.
C'est l'Empire qui a mis le casernement à charge des communes. On peut consulter à ce sujet les décrets des 23 avril, 7 août, 15 octobre 1810 et du 16 septembre 1811, ainsi que l'avis du conseil d'Etat du 29 mars 1811.
Le gouvernement provisoire de la Belgique, en 1814, a suivi les errements du gouvernement impérial, dans son arrêté du 26 juin, portant :
« Art. 1er. Les administrations municipales sont chargées du casernement des troupes et de fournir les écuries nécessaires pour les chevaux ; elles y pourvoiront en observant les dispositions réglementaires à prendre par le commissaire général de la guerre, d'après les ordres du Roi.
« Art. 2. Les bâtiments appartenant à l'Etat, qui sont employés pour des casernes ou des écuries militaires, seront cédés à cet effet aux administrations locales, à charge de les entretenir en bon état, et de ne les employer à aucun autre usage que celui dont il vient d'être parlé. »
Mais la loi fondamentale du 15 août 1815 revint au principe proclamé par la constituante. L'article 212 porte :
« Le logement et la nourriture des gens de guerre, les prestations de quelque nature qu'elles soient, à faire aux troupes du Roi ou aux forteresses, ne peuvent être à la charge d'un ou de plusieurs habitants, d'une ou de plusieurs communes. Si, par des circonstances imprévues, de semblables prestations sont faites par des individus ou des communes, l'Etat en tient compte, et il est payé une indemnité, d'après le tarif fixé par les règlements. »
Toutefois l'état antérieur des choses, l'application des principes exprimés dans l'arrêté du 26 juin 1814, fut maintenu grâce à l'article 2 additionnel de la loi fondamentale de 1815, aux termes duquel toutes les lois demeuraient obligatoires jusqu'à ce qu'il eu fût décidé autrement.
Enfin le gouvernement provisoire de 1830 et la Constitution de 1831 ont gardé le silence sur la matière.
N'y a-t-il point lieu de revenir aujourd'hui aux principes proclamés par la constituante ?
Le système de concentration de notre armée et la suppression des petites garnisons entraîneront nécessairement la suppression d'un grand nombre de casernes et la construction de casernes nouvelles dans le rayon d'Anvers.
Pourquoi l'Etat ne prendrait-il pas le casernement à sa charge ? Voilà la première question que je pose à M. le ministre de la guerre. Pourquoi ne construirait-il pas, comme il l'a fait à Anvers pour le génie, des casernes monumentales dans lesquelles nos pauvres miliciens entreraient sans dégoût ? pourquoi ne ferait on pas pour le soldat en Belgique ce qu'on fait en France et en Allemagne ? pourquoi, en un mot, ne traiterait-on pas nos miliciens comme on traite nos détenus ? Lorsqu'un voyageur parcourt nos cités et qu'il aperçoit un bel édifice, il peut s'écrier : C'est une prison ; au contraire s'il voit un édifice misérable, il peut dire : C'est une caserne !
L'état actuel des choses doit cesser : il faut ou que le casernement soit mis à la charge de l'Etat ou qu'on fasse en sorte que l'autorité militaire soit investie de pouvoirs suffisants pour contraindre les villes à remplir leurs obligations en ce qui concerne le logement de nos soldats.
Au point de vue du couchage, il faudrait faire disparaître les lits de deux personnes.
Si le gouvernement construisait de nouvelles casernes, je crois qu'il serait utile d'y annexer des cours couvertes, afin de pouvoir exercer les soldats en hiver et de diminuer ainsi la durée du service.
Examinons maintenant si le militaire est assez nourri. S'il ne l'est pas, je demande que cet état de choses cesse.
La Chambre voudra bien me pardonner d'entrer dans ces détails, mais ils ne sont pas assez connus et il importe qu'ils le soient,
Voici comment s'exprime le capitaine Paye dans une petite brochure intitulée : « Régiment des carabiniers belges. Organisation du ménage de la troupe. »
« Une nourriture saine, substantielle et abondante est la première des conditions du bien-être du soldat.
« Les fatigues inséparables du service militaire, les causes presque continuelles des maladies auxquelles le soldat se trouve exposé, exigent qu'on apporte l'attention la plus scrupuleuse à la composition de sa nourriture... » Plus loin, le capitaine Paye ajoute :
« L'instruction du conseil de santé de l'armée française destinée à guider les troupes dans leur régime alimentaire, dit qu'il faut :
« 1° Composer, autant que possible, chaque repas d'aliments divers, en proportion convenable, comme viande, légumes, poisson ;
« 2° Varier le régime de telle sorte que chaque jour ne ramène pas les mêmes aliments.
« Elle ajoute qu'il conviendrait que le soldat pût disposer de 300 à 350 grammes de viande par jour et de 800 à 875 grammes de pain, quantité sur laquelle le pain de la soupe serait prélevé. (Nos miliciens n'ont que 250 grammes de viande, qui, les déchets déduits, réduisent la ration à une centaine de grammes, et 750 grammes de pain.)
« M. le médecin de régiment Legros trouve également que le régime alimentaire de la troupe laisse à désirer, et que la ration de viande devrait être augmentée de 150 grammes. A l'appui de son opinion, il ajoute que la nécessité d'augmenter cette ration a été reconnue en France dans plusieurs établissements publics et notamment dans les lycées de Paris, où elle a été portée en 1853, de 200 à 280 grammes, à l'école normale, de 400 à 450 grammes, et à l'école vétérinaire d'Alfort, à 500 grammes.
« Cet officier de santé recommande la variété dans les repas ; il propose de les mélanger avec des légumes frais et secs, suivant la saison.
« M. le médecin Meynne, dans son ouvrage sur l'alimentation du soldat, blâme l'uniformité de la nourriture, l'application des mêmes quantités à toutes les armes et dans toutes les saisons ; il dit que ce ne peut être que dans le but d'augmenter la ration, que les corps spéciaux reçoivent une solde plus forte que l'infanterie, toute l'armée ayant en Belgique la même origine.
« Il réclame un régime de transition pour les recrues à leur arrivée au corps.
« MM. les docteurs Gosse, Vankriss et Knappen, dans les conférences de l'hôpital de Tournai, reconnaissent que les soldats mangent, au-dessus de la ration de pain, une quantité qu'ils achètent, et qu'ils évaluent à un quart de kilogramme par homme et par jour. Ces messieurs concluent que la ration du soldat est insuffisante, et que la portion de viande devrait être portée à 500 gr. ; ils insistent aussi sur la variété à introduire dans la ration journalière.
« Enfin M. Renault, directeur de l'école vétérinaire d'Alfort, a expérimenté que 100 kilog. de viande, telle qu'elle est fournie par les boucheries, contiennent 25 kilog. d'os, et que les 75 kilog. restants sont, par la cuisson, réduits à 57.5 kilog. de bouilli (soit 91 gr. par ration).
« Au régiment des carabiniers, il a été constaté que la ration moyenne de bouilli que chaque homme reçoit par jour est de 108 à 110 gr., y compris les déchets qui sont utilisés dans le repas de l'après-midi.
a Une expérience faite avec 5 kilog. de bon bœuf à 1 fr. le kilog. a donné pour résultat 20 bonnes rations de bouilli, d'une consistance ferme et juteuse de 125 gr. (soit 6 cent. de plus par hommes et par jour).
« Nous sommes d'avis que 500 gr. de viande suffiraient, si cette viande était d'une qualité supérieure à celle que fournit actuellement la boucherie militaire.
« Le système alimentaire du régiment répond aux opinions émises par le conseil de santé de l'armée française et par les officiers de notre armée qui ont traité cette partie importante du service militaire. Il serait complet si la ration de viande pouvait être augmentée ou améliorée, mais la faible solde du soldat ne permet pas de réaliser ce but. »
J'appelle, messieurs, la sérieuse attention de M. le ministre de la guerre sur ces observations du capitaine Paye. Selon moi, la ration du soldat devrait toujours être uniforme, quel que soit le prix des denrées alimentaires, et l'Etat devrait, comme les particuliers, fournir à ses serviteurs le pain, la viande et les légumes en quantité suffisante.
A cet effet, il devrait avoir de grands magasins d'approvisionnements (page 517) dans les grandes garnisons et de petits magasins là où il n'y a que de petites garnisons.
Aujourd'hui dans certains régiments, les troupes font acheter, par petites quantités, les objets nécessaires à leur consommation ; et, comme le soldat doit payer ces objets de ses deniers, il en résulte qu'il paye plus qu'il ne payerait si l'Etat avait des magasins à la disposition des régiments.
Je sais que l'adoption de mes idées entraînerait une augmentation du budget, mais quel Belge serait assez inhumain pour critiquer une augmentation de cette nature ?
Je passe maintenant à la quatrième partie de ce qui concerne le milicien : le denier de poche.
Comme j'ai eu l'honneur de le dire déjà : la quotité du denier de poche dépend des fluctuations du marché des denrées alimentaires ; or, selon moi, la solde du milicien, serviteur du pays, devrait être fixe comme la solde des serviteurs des particuliers. (Interruption.)
J'ai commencé par établir que le milicien est véritablement, à l'heure qu'il est, le serviteur du pays, et je me demande pourquoi la solde que le serviteur du pays reçoit ne reste pas fixe comme celle que reçoit le serviteur d'un particulier. Je trouve même que la solde du milicien, du serviteur contraint, devrait être supérieure à celle du serviteur volontaire des particuliers.
En France la solde du soldat est fixe ; avant 1830 nos miliciens avaient au maximum 25 cents ou 50 centimes par cinq jours, soit 10 centimes par jour ; aujourd’hui la solde est quelquefois réduite à 2 ou 5 centimes par jour. Eh bien, messieurs, il ne serait pas exagéré aujourd'hui de porter la solde à 60 centimes par cinq jours.
On a augmenté les traitements de tous les fonctionnaires civils, grands et petits ; pourquoi ne pas appliquer la même règle aux fonctionnaires militaires ? Les fonctionnaires civils sont des fonctionnaires libres, volontaires ; on augmente leur traitement à cause de la réduction de la valeur monétaire, et le milicien, c'est-à-dire le fonctionnaire contraint, on le laisse dans une position inférieure à celle qu'il avait en 1830 !...
Le milicien aurait facilement 60 centimes par cinq jours, soit 12 centimes par jour (la valeur d'un verre de bière), pour denier de poche, si l'Etat lui fournissait directement le pain, la viande, les légumes, et s'il lui payait une solde de 27 centimes par jour ou 1 franc 35 centimes par cinq jours.
En effet, les dépenses du milicien, outre le pain, la viande et les légumes, sont évaluées par cinq jours à 75 centimes. En déduisant ce chiffre de 1 franc trente-cinq centimes, il resterait 60 centimes pour denier de poche.
Messieurs, quelles seraient les conséquences de l'amélioration matérielle du sort de nos miliciens, en supposant que mes idées fussent admises ?
La première serait que nous aurions moins de malades ; par conséquent, nous ferions de grandes économies sur les frais d'hôpitaux.
La seconde, et celle-là est plus importante, c'est que nous aurions moins de détenus.
Aujourd'hui, cela est parfaitement reconnu, l'insuffisance de nourriture est souvent une cause déterminante pour certains soldats de voler leurs camarades.
L'amélioration matérielle de la position du soldat aurait donc pour conséquence de diminuer le nombre des délits et, par suite, le nombre des détenus et les dépenses qu'ils occasionnent.
L'amélioration aurait ainsi cette conséquence morale que le militaire aurait beaucoup moins de répugnance à accepter la charge qui lui incombe.
Il y aurait enfin, de la part des parents, moins de douleur au départ et au retour de leurs fils : au départ, parce qu'ils sauraient que leurs fils seraient convenablement traités sous les drapeaux ; au retour, parce qu'ils n'auraient pas à vendre, souvent le nécessaire, pour payer les dettes de leurs enfants à la masse.
Une autre raison encore pour laquelle les parents verraient partir avec moins de regret leurs enfants, c'est qu'on a fort heureusement introduit l'instruction dans nos régiments. Sous ce rapport, je crois que le pays doit de sincères remerciements à l'honorable général Goethals pour avoir pris l'initiative de cette utile mesure.
J'ajoute que nous devons aussi, nous autres Flamands, des remerciements à l'honorable général Renard qui, dans l'application du principe de l'instruction dans les régiments, s'est préoccupé des jeunes gens qui ne connaissent que le flamand.
Voici, en effet, ce que je lis dans une circulaire du 22 janvier 1868, adressée à MM. les généraux commandant les divisions et les brigade d'infanterie et de cavalerie, aux inspecteurs généraux de l'artillerie et du génie, et à tous les chefs de corps de l'armée :
« Messieurs,
« La circulaire ministérielle en date du 5 août 1867, 2ème division, n°23, a prescrit la création, dans tous les régiments de l'armée, d'écoles destinées à donner aux miliciens illettrés, l'instruction primaire.
« Je suis informé que dans certaines de ces écoles on se sert de la langue française pour enseigner la lecture et l'écriture aux miliciens flamands.
« Afin d'atteindre plus sûrement et plus vite le résultat que poursuit le département de la guerre, il me paraît utile que l'enseignement dont il s'agit soit donné en français aux miliciens des provinces wallonnes, et en flamand à ceux des provinces flamandes.
« J'ai l’honneur de vous prier de prendre à cet effet les mesures nécessaires.
« Le ministre de la guerre,
« (Signé) Renard. »
Au nom des populations flamandes, je remercie l'honorable général Renard de ce témoignage de sollicitude envers les Flamands.
L'instruction du soldat est une chose d'autant plus nécessaire que j'ai vérifié, dans un bataillon de la garnison de Bruxelles, que sur 247 hommes dont il se compose il y en a 122 de complètement illettrés.
Messieurs, on dit et on a répété tout à l'heure encore que le tirage au sort est une iniquité, une infamie. Voyons ce qu'il en est en réalité : 45,000 hommes sont annuellement appelés à prendre part au tirage au sort ; de ce nombre, 10,000 sont exemptés pour des causes diverses.
Nous verrons, lors de la discussion de la loi de recrutement, si toutes les causes d'exemption sont bien justifiées. Je me borne à constater qu'il y a chaque année 35,000 hommes appelables et que l'Etat n'en réclame que 10,000 pour le service.
Or, comment, si ce n'est par la voie du sort, pourrait-on désigner parmi ces 35,000 hommes les 10,000 qui doivent marcher ?
J'avoue que je n'en sais rien et, pour ma part, je dois le dire, je trouve assez étrange le raisonnement de ceux qui, pour faire disparaître l'iniquité du tirage au sort, veulent faire servir tout le monde. On trouve déjà insupportable la charge des 10,000 hommes et, sous prétexte de l'alléger, on voudrait que les 53,000 hommes fussent appelés sous les drapeaux. En vérité, je ne comprends pas ce raisonnement-là.
M. Coomans. - Est-ce que l'impôt est payé par tout le monde ?
M. Vau Overloopµ. - Oui, l'impôt est payé par tout le monde ; mais quand l'Etat ne me demande que 10 francs d'impôt, il serait par trop naïf de lui en offrir 35. Que l'honorable M. Coomans veuille bien m'indiquer un autre moyen d'avoir une armée convenable que le tirage au sort et je l'adopterai avec le plus grand plaisir. Mais j'attendrai longtemps encore, je pense, cette panacée.
On se plaint aussi de ce que le pauvre doit servir en personne tandis que le riche peut se faire remplacer. Ah ! messieurs, si la faculté accordée au riche de se faire remplacer aggravait la position du pauvre, je comprendrais l'objection ; mais quel avantage, je le demande à l'honorable M. Coomans, le pauvre trouverait-il à voir à côté de lui un riche plutôt qu'un autre ? Devrait-il moins servir si le riche devait également servir en personne ? Evidemment non, et dès lors l'objection est sans aucune valeur.
Mais je demande si elle ne cache pas quelque pensée secrète. Il va de soi que je ne dis pas ceci pour mon honorable ami, M. Coomans ; je me demande si certains hommes qui acceptent cette objection ne la produisent pas dans l'espoir que si les fils des électeurs devaient servir en personne, on arriverait bientôt à composer une Chambre dont la majorité serait hostile au maintien d'une armée permanente. Ne serait-ce point là, messieurs, la pensée secrète que cache l'argument que je viens de réfuter ?
Du reste, la corvée personnelle n'existe pas seulement pour l'armée ; elle existe également en matière d'entretien de la voirie communale, par exemple. Tous ceux qui habitent la campagne savent parfaitement comment on paye ces corvées : le pauvre les paye en personne ; le riche, au contraire, s'en affranchit en payant le nombre de journées de travail pour lequel il est imposé.
Mais, messieurs, ce n'est pas à dire que je trouve tout bon dans notre système de conscription par la voie du tirage au sort.
(page 518) J'y trouve notamment une flagrante injustice en ce que tous les miliciens ne sont point traités de la même manière quant à la durée du service, je considère comme une injustice d'obliger les miliciens qui sont incorporés dans les régiments des grenadiers et des carabiniers, dans la cavalerie, dans l'artillerie et dans le génie, à servir pendant 3, 4 ou 5 ans, tandis que les autres ne sont tenus sous les drapeaux que pendant 30 mois. Voilà une véritable injustice, et cette injustice il est du devoir du gouvernement de la faire disparaître ou tout au moins de l'atténuer en accordant certaines compensations.
J'appelle sur ce point la sérieuse attention de l'honorable général Renard et je lui demande si l'on ne pourrait pas, par exemple, organiser, comme on le fait pour les écoles, un système de livrets qui compenserait pour les miliciens appartenant aux corps d'élite ce désavantage de devoir servir plus longtemps que les autres.
Je ne sais pas si la chose est pratique ; je me borne à la soumettre à l'attention du gouvernement.
Il est une autre injustice que je dois signaler encore ; c'est l'inégalité de traitement des miliciens au point de vue des congés. Aujourd'hui les miliciens qui ont quelque protection obtiennent facilement et sans trop de raison les congés qu'ils sollicitent. Moi-même, je m'en confesse, j'en ai fréquemment sollicité et je crois que la plupart d'entre nous sont dans ce cas. Eh bien, c'est là encore une grande injustice et je voudrais qu'il soit pris des mesures pour que les miliciens sous les armes n'obtinssent de congé que pour des motifs réellement graves. Voilà ce que j'avais à dire, en ce qui concerne les soldats.
Deux mots maintenant sur les sous-officiers. Il est reconnu que les sous-officiers font défaut dans nos régiments. Ne pourrait-on pas combler cette lacune ? Ne pourrait-on pas amener les jeunes gens ayant des aptitudes militaires, à embrasser la carrière militaire plutôt qu'une carrière civile ? Ne pourrait-on pas les attirer, notamment on réservant tous les postes du ministère de la guerre qui peuvent être remplis par des sous-officiers, à ceux d'entre eux qui auraient un nombre déterminé d'années de service dans l'armée active ?
Il y a aujourd'hui au ministère de la guerre des sous-officiers qui devraient se trouver dans les cadres des régiments. Je voudrais donc que pour stimuler les jeunes gens à entrer dans l'armée, on leur offrît la perspective d'une position au ministère de la guerre, après un nombre d'années déterminées de service actif.
Ne pourrait-on pas aussi, toujours pour encourager le service volontaire, refuser les emplois civils de l'Etat aux jeunes gens valides qui ne justifierait pas, comme en matière de milice, qu'ils ont servi pendant un certain nombre d'années dans l'armée active ? Aujourd'hui, toute personne qui sollicite un emploi de l'Etat, doit produire un certificat constatant qu'il a satisfait à l'obligation de la milice et même de la garde civique. Ne pourrait-on pas établir de même en principe que toute personne, apte à être soldat, et qui solliciterait un emplois civil de l'Etat ne l'obtiendrait qu'à la condition de justifier d'avoir servi, pendant un nombre déterminé d'années, dans l'armée active ?
J'ai aussi à présenter quelques observations très générales au sujet des officiers.
Au lieu de pensionner les officiers à 55 ans, ce qui est une lourde charge pour le trésor ; ne pourrait-on pas faire passer les officiers de l'infanterie et de la cavalerie dans le s bataillons de la réserve ou leur donner les commandements de place ? En France, si je suis bien renseigné, on peut être commandant de place jusqu'à 6' ans.
Pourquoi n'en serait-il pas de même chez nous ? Je comprends qu'en général, à 55 ans, un officier ne soit plus assez ingambe pour le service de l'armée active ; mais à 55 ans, il me paraît certes, sauf des exceptions, assez fort pour le service de l'armée de réserve, et pour le service sédentaire des places.
Les colonels et les généraux sont pensionnés à 60 et 65 ans ; pourquoi ? Parce qu'ils ont un service moins fatigant que les officiers subalternes ; mais les officiers placés à 55 ans dans la réserve ou dans le service sédentaire des places n'auraient pas plus de corvées à y faire que les colonels et les généraux dans le service actif.
Les officiers des armes spéciales, ne pourrait-on pas, à 55 ans, les employer, par exemple, dans les manufactures d'armes, à la fonderie de canons, dans les arsenaux de construction, dans les commandements d'artillerie en résidence ?
Encore une fois, je soumets ces observations à l'honorable ministre de la guerre.
Si elles étaient trouvées justes, leur application aurait pour conséquence une économie extrêmement grande sur le chiffre du budget relatif aux pensions militaires.
Ainsi qu'on le ferait à certains égards pour les sous-officiers, ne pourrait-on pas non plus réserver aux officiers, après un certain nombre d'années de service, ou même à l'âge de 55 ans, certains emplois civils qu'ils seraient aptes à remplir ?
Nous avons une foule de positions qui me semblent pouvoir être remplies par d'anciens officiers, dans les chemins de fer, dans le service de la télégraphie, dans les contributions et, spécialement pour les officiers du génie, dans les ponts et chaussées : ce que je demande se pratique en Prusse, m'a-t-on dit.
Du reste, les pensions militaires devront forcément être augmentées tôt ou tard. Il n'est pas possible qu'on laisse des officiers qui ont loyalement servi le pays pendant de longues années, qu'on les laisse plus longtemps dans le besoin.
A ce point de vue, je dirais à l'honorable ministre de la justice, s'il était présent, qu'on trouverait facilement le moyen découvrir la différence des pensions ; ce serait de supprimer l'éméritat des magistrats et de consacrer l'économie qui en résulterait, à l'amélioration des pensions militaires.
Nous avons vu récemment que l'honorable M. Van de Weyer, notre ancien ambassadeur à Londres, a obtenu une pension de 5,000 francs, lui qui avait un traitement de 60,000 francs au moins, tandis qu'un président de tribunal, qui est mis à la retraite, touche une somme supérieure par application de la loi sur l'éméritat.
Ce sont là des anomalies intolérables ; il ne faut qu'une justice unique en Belgique ; il faut accorder l'éméritat à tout le monde, ou ne l'accorder à personne.
Spécialement, les officiers pensionnés devraient incontestablement être traités au moins aussi bien que les fonctionnaires civils. Les généraux seuls en souffriraient un peu, mais c'est le petit nombre.
Les observations générales que je viens d'avoir l'honneur de présenter à la Chambre s'appliquent à toutes les hypothèses : qu'on augmente l'armée, ou qu'on la maintienne, ou qu'on la diminue, mes observations peuvent trouver leur application.
J'examinerai ultérieurement les détails des projets que le gouvernement nous a soumis lorsque j'aurai obtenu de plus amples éclaircissements ; je les examinerai avec beaucoup de bienveillance ; mais je le répète à M. le ministre de la guerre, je n'adopterai aucun des projets que lorsque j'aurai obtenu tous mes apaisements. Sous le ministère Frère-Chazal, je regrette de le dire, je n'ai pas eu ces apaisements ; j'espère être plus heureux, aujourd'hui que nous avons le ministère Frère-Renard. (Interruption.)
Je termine, messieurs, en déclarant, avec un de nos officiers généraux les plus distingués, un de ceux qui ont donné de nombreuses preuves de bravoure sur le champ de bataille, je finis, dis-je, en déclarant, avec cet officier général d'artillerie, que nous devons avoir quelque chose à répondre à l'étranger qui nous dirait :
« Vous avez voulu vous grandir à la taille d'une nation, mais le cœur vous a manqué lorsque vous vous êtes sentis libres d'entraves ; il ne suffit pas de proclamer une nationalité, il faut encore savoir l'implanter dans le sol et jusque dans le cœur de ses ennemis. » (Interruption.)
(page 511) - M. Pirmez, dont l'élection a été validée dans la présente séance, prête serment.
M. Mullerµ. - Conformément au désir de la Chambre, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau, au nom de la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur la milice, la partie du rapport qui est relative au remplacement et à la substitution.
- Impression et distribution aux membres de la Chambre.
La séance est levée à 4 3/4 heures.