(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1867-1868)
(Présidence de M. Dolezµ.)
(page 402) M. de Moor, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures et quart.
M. Snoy donne lecture du procès-verbal, de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Moor, secrétaire, présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Le conseil communal de Grand-Hallet demande la suppression des barrières sur la route de Huy à Tirlemont. »
« Même demande des conseils communaux de Lincent et de Wansin.»
- Renvoi à la commission des pétitions.
c Le conseil communal d'Amberloup prie la Chambre d'accorder à la Société Forcade la garantie d'un minimum d'intérêts pour la construction de son chemin de fer qui doit traverser la province de Luxembourg du S.-O. au N.-E. »
- Même renvoi.
« Des commerçants et industriels à Neufchâteau présentent des observations concernant le projet de loi sur les protêts. »
« Mêmes observations d'huissiers d'une commune non dénommée. »
- Renvoi à la commission chargée d'examiner le projet de loi.
« Des habitants de Lichtervelde prient la Chambre de rejeter le projet de loi sur l'organisation de l'armée et particulièrement les dispositions relatives à l'exonération, aux exercices obligatoires du premier ban de la garde civique, au contingent annuel de l'armée, et demandent que le budget de la guerre soit ramené au chiffre de 25 millions. »
« Même demande, par trois pétitions, d'habitants de Moorslede et de Dadizeele. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur l'organisation militaire et renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur la milice.
« Des habitants de Courtrai demandent le rejet de tout projet de loi qui tend à maintenir ou bien à augmenter les charges militaires. »
- Même décision.
« Des habitants de Soheit-Tinlot demandent le rejet des nouvelles charges militaires, l'abolition de la conscription et l'organisation de la force publique d'après des principes économiques qui permettent une large réduction du budget de la guerre. »
- Même décision.
« Des habitants de Stockheim prient la Chambre de rejeter les projets de loi relatifs à l'organisation de l'armée et à l'augmentation des charges militaires, et appellent l'attention de la Chambré sur la nécessité d'abolir le tirage au sort pour la milice. »
« Même demande d'habitants d'Eygenbilsen et de Bilsen. »
- Même décision.
« Par trois pétitions, des habitants de Gand prient la Chambre de rejeter le projet de loi sur l'organisation militaire, notamment les propositions relatives au tirage au sort, au remplacement militaire, et demandent la diminution des charges militaires. »
« Même demande d'habitants de Deynze et d'une commune non dénommée. »
- Même décision.
« Les sieurs Léger, Van Crombrugghe et autres membres du comité central de l'union constitutionnelle et conservatrice de l'arrondissement de Gand demandent le rejet de toute mesure aggravant les charges militaires. »
- Même décision.
« Par deux pétitions, des ouvriers de différentes communes demandent l'abolition des lois sur la milice, la suppression des armées permanentes et la réalisation de leurs droits de citoyen. »
- Même décision.
« Des habitants de Fraiture prient la Chambre de rejeter le projet de loi sur l'organisation militaire. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet.
« La demoiselle Chevalier prie la Chambre d'autoriser le département des finances à lui restituer un droit d'enregistrement indûment perçu. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des cultivateur» de Denderbelle demandent l'exhaussement de la digue le long de la Dendre, à partir du pont du chemin de fer jusqu'au quai aux engrais à Denderbelle. »
- Renvoi à la section centrale du budget des travaux publics.
« Par trois pétitions, des habitants de Verviers prient la Chambre de rejeter le projet de loi de réorganisation militaire. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des projets de loi militaires.
« M. le ministre de l'intérieur transmet à la Chambre 126 exemplaires de la deuxième partie du tome XX du bulletin du conseil supérieur d'agriculture. »
- Distribution aux membres et dépôt à la bibliothèque.
« M. Warocqué, retenu chez lui par la maladie de son frère, demanda un congé. »
- Accordé.
« M. Descamps, retenu chez lui par une indisposition, demandé un congé de quelques jours. »
- Accordé.
Les bureaux des sections de janvier se sont constitués comme suit.
Première section
Président : M. Van Iseghem
Vice-président : M. Funck
Secrétaire : M. Mouton
Rapporteur de pétitions : M. Bouvier-Evenepoel
Deuxième section
Président : M. Van Overloop
Vice-président : M. de Rongé
Secrétaire : M. Elias
Rapporteur de pétitions : M. Van Renynghe
Troisième section
Président : M. Thonissen
Vice-président : M. Julliot
Secrétaire : M. T’Serstevens
Rapporteur de pétitions : M. d’Hane-Steenhuyse
Quatrième section
Président : M. de Moor
Vice-président : M. Jonet
Secrétaire : M. Lambert
Rapporteur de pétitions : M. Vander Donckt
Cinquième section
Président : M. Kervyn de Lettenhove
Vice-président : M. Hagemans
Secrétaire : M. de Rossius
Rapporteur de pétitions : M. Gerrits
Sixième section
Président : M. Allard
Vice-président : M. De Lexhy
Secrétaire : M. de Woelmont
Rapporteur de pétitions : M. de Macar
M. Lambertµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale qui a examiné la demande de crédit supplémentaire de 100,000 fr. au budget de la dette publique de 1866.
- Ce rapport sera imprimé et distribué.
M. Dumortier. - Messieurs, dans la séance précédente, nous nous sommes un peu écartés de la question des explications ministérielles en tant qu'elle concerne la composition du nouveau cabinet, pour nous occuper d'autres questions, très intéressantes sans doute, qui ont principalement trait aux fortifications d'Anvers.
J'ai exprimé à la Chambre le désir de ne parler que lorsque cet incident serait vidé, parce qu'il me paraissait nécessaire de ne point le mêler (page 403) aux questions qui constituent le fond de ce débat, c'est-à-dire celles qui concernent les explications fournies à la Chambre sur la formation du nouveau cabinet.
Messieurs, la formation de tout cabinet nouveau comporte toujours trois ordres de questions : les motifs de la dislocation du ministère précédent ; les conditions du personnel nouveau ; enfin le programme du nouveau ministère.
C'est sur ces trois ordres de questions que je vais avoir l'honneur, messieurs, de vous exprimer ma pensée.
Les causes de la dislocation du cabinet ancien doivent nous être connues. On nous en a fait connaître quelques-unes ; mais, je dois le dire, les causes qu'on nous a indiquées me paraissent plutôt des questions superficielles que des questions assez sérieuses pour motiver une dislocation ministérielle.
Je serai heureux d'entendre tout à l'heure l'honorable M. Rogier nous donner probablement des explications plus acceptables.
Je comprends la retraite de l'honorable général Goethals, puisqu'il tenait au projet de loi qu'il avait présenté et qui était combattu par la section centrale. Quant à cet honorable membre de l'ancien cabinet, l'explication qui a été donnée de sa retraite n« laisse rien à désirer. Tout en voyant avec bonheur l'honorable général Renard, mon vieux camarade, siéger sur les bancs du ministère, je ne crois pas moins devoir exprimer le regret sincère que m'a inspiré la retraite de l'honorable général Goethals. Il est remplacé par un homme d'un immense mérite ; mais c'est pour moi un devoir de rendre justice à son honorable prédécesseur.
Maintenant, arrivons au fond même des causes de la scission ; car nous savons tous que le ministre de la guerre est plutôt un administrateur qu'un homme politique. lI dirige une administration qui a acquis aujourd'hui une importance très grande et qui menace de s'accroître encore en présence de la situation de l'Europe, mais il ne gère point des intérêts de commettants, comme les ministres de l'intérieur, des finances, de la justice et des travaux publics. C'est donc en dehors de M. le ministre de la guerre que la question doit être éclaircie.
Les fortifications d'Anvers ont été une des causes de la dislocation du ministère ; l'arrêté royal du 1er septembre 1866, sur les écoles d'adultes, a été l'autre.
A mon avis, les fortifications d'Anvers ne sont ni ne peuvent avoir été une cause de la dislocation ministérielle, puisqu'on savait que l'unique membre du cabinet qui ne paraissait pas favorable à l'établissement de travaux de fortifications sur la rive gauche de l'Escaut, était maintenant convaincu de la nécessité d'exécuter les travaux dont il parle aujourd'hui. Il n'y avait donc pas là une cause sérieuse de dislocation du ministère.
Vient maintenant la question des écoles d'adultes, question qui a été plusieurs fois agitée dans cette enceinte. C'est là, dit l'honorable M. Frère, la cause de la dislocation du ministère. L'honorable M. Vandenpeereboom voulait, dit-il, maintenir l'arrêté royal du 1er septembre 1866 ; il était convaincu que la solution qu'il avait donnée à cette question était constitutionnelle, qu'il ne pouvait agir autrement ; l'honorable M. Rogier était de son opinion ; il n'avait pu, d'ailleurs, s'entendre avec le corps épiscopal.
Voilà donc la question ministérielle exposée par M. Frère.
Messieurs, il est une chose que vous aurez tous remarquée comme moi, c'est la phrase par laquelle l'honorable M. Vandenpeereboom a terminé son discours, qui présente une situation complètement différente de celle qu'on nous a indiquée. En effet, l'honorable membre a terminé son discours en déclarant que, dans sa conviction profonde, un arrangement avec les membres de l'épiscopat n'aurait pas tardé à intervenir. Ce n'est donc pas sérieusement que ce point est indiqué comme ayant amené la dislocation du cabinet.
Mais sur quoi l'arrangement devait-il porter ? L'épiscopat devait-il sacrifier les écoles dominicales fondées par le clergé dans les villes où les écoles d'adultes étaient établies ? S'il en est ainsi, l'épiscopat avait parfaitement raison de se refuser à ce sacrifice. Mais quoi qu'il en soit de cette difficulté, ce n'était pas pour le gouvernement un motif pour s'écarter de la loi de 1842. La loi du 23 septembre 1842 n'a pas prescrit au clergé de supprimer ses propres écoles pour les offrir à l'Etat.
Si c'est le sacrifice des écoles dominicales du clergé que vous auriez demandé, vous auriez manifesté une exigence complètement déraisonnable.
Mais enfin là ne peut pas avoir été la cause de la dislocation du ministère. Je le répète, l'affaire était près de s'arranger. Ce ne pouvait donc être là un motif sérieux de désaccord entre les membres du cabinet ; et je suis à me demander s'il n'y a pas un revers de cartes, qu'on ne nous montre pas.
Des particularités aussi minimes, d'une importance aussi peu considérable, peuvent se présenter chaque jour, lorsque six personnes sont chargées de gérer les affaires de l'Etat ; ces personnes ne peuvent pas toujours être en parfaite communauté de vues sur tous les points, et principalement sur des points d'un intérêt assez peu majeur. Mais si ces dissidences sur des points secondaires sont inévitables dans un cabinet composé de six personnes, elles ne peuvent certes pas être de nature à amener la dislocation d'un ministère.
Je passe à la question de remplacement.
L'honorable M. de Brouckere dit qu'il ne comprend pas comment l'avénement du ministère actuel a pu exciter les craintes d'un certain parti ; je crois que ce sont ses expressions. Ce certain parti, c'est la droite.
L'honorable membre ne conçoit pas pourquoi le ministère nouveau a excité ces craintes, et je dirai ici que c'est la vérité ; l'accueil qu'a reçu le ministère nouveau dans l'opinion publique, non seulement de la droite mais aussi d'une très grande partie du libéralisme, n'a pas été ce qu'il attendait lui-même.
D'où viennent ces craintes ? D'où vient l'anxiété qui s'est manifestée dans le pays à l'annonce du nouveau cabinet ?
L'honorable M. de Brouckere dit : Mais si l'honorable M. Rogier et si l'honorable M. Vandenpeereboom se sont retirés, deux hommes que vous dites avoir constitué l'élément modéré du ministère, sont remplacés par deux autres hommes, l'honorable M. Jamar et l'honorable M. Pirmez, également modérés. Dès lors, il n'y a rien de changé dans le ministère.
C'est examiner la question d'une manière très superficielle, et déjà dans la séance d'hier, l'honorable M. Royer de Behr a fait remarquer avec infiniment de raison que le motif de l'anxiété, c'est la présidence du conseil. L'honorable M. Rogier était président du conseil des ministres. Aujourd'hui c'est l'honorable M. Frère qui devient président du conseil des ministres. C'est l'honorable M. Frère avec l'honorable M. Bara qui ont été chargés de reformer le cabinet.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je n'ai pas eu cet honneur.
M. Dumortier. - Voilà ce qui a créé l'anxiété du pays ; et pourquoi ?
J'ai souvent combattu l'honorable M. Rogier et je ne voudrais pas ici faire de lui un éloge qui serait déplacé dans ma bouche, comme membre de l'opposition. Cependant, si je n'ai pas à faire ici son éloge, je ne remplirais pas mon devoir de député, si je ne lui rendais pas justice.
Qu'est-ce que l'honorable M. Rogier ? C'est un ancien membre du gouvernement provisoire ; c'est un homme de 1830 ; c'est un homme qui a contribué puissamment à la formation de notre existence nationale et chez qui la corde de 1830 a toujours été vibrante dans le cœur.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il fallait lut rendre justice à Tournai.
M. Dumortier. - Monsieur Bara, je ne pense pas que la corde de 1830 vibre aussi vivement dans votre cœur, sans vouloir vous offenser, qu'elle vibre dans le cœur de l'honorable M. Rogier.
Je sais bien que j'ai eu plus d'une fois à adresser des reproches au cabinet dont M. Rogier faisait partie pour des mesures, pour des lois qui nous étaient hostiles. Mais, dans ma conviction profonde, les lois dont nous avons eu le plus à nous plaindre, l'honorable M. Rogier ne les a pas provoquées, il les a subies.
MfFOµ. - Voilà un bel éloge !
M. Dumortier. - A côté de lui, se trouvait l'honorable M. Vandenpeereboom, qui se retire, pourquoi ? Parce qu'il n'a pas voulu sacrifier un principe établi dans la loi de 1842.
Or, que voyez-vous ? L'honorable M. Rogier, homme de 1830, remplacé par l'honorable M. Frère, qui, il me permettra de le lui dire, je ne crois pas l'offenser le moins du monde en tenant ce langage, est l'antithèse la plus parfaite des principes de 1830 ; il est la suprématie personnifiée et c'est là ce qui caractérise la situation.
L'honorable M. Vandenpeereboom se retire parce qu'il a voulu maintenir une prescription constitutionnelle, celle qui porte que l'enseignement donné par l'Etat doit être réglé par la loi. Voulant régler les écoles d'adultes, il a tout naturellement rattaché les écoles d'adultes à la loi de 1842.
(page 404) Il se retire donc par un respect constitutionnel et on vient nous annoncer que son successeur n'a pas le même respect constitutionnel et il va, lui, se mettre au-dessus-des dispositions que l'honorable M. Vandenpeereboom voulait sauvegarder. Et l'on nous dira que la politique est restée la même.
J'ai une estime profonde pour l'honorable M. Pirmez, mais je suis encore toujours à me demander comment il est possible qu'il soit venu dire dans cette Chambre que l'article de la Constitution qui porte que les juges sont nommés à vie signifie que les juges sont nommés à temps. Du moment qu'on interprète, d'une manière aussi élastique, la Constitution, les garanties n'existent pas et les craintes de l'opinion publique sont complètement fondées.
Quelle a été, messieurs, la pensée dominante de 1830 ? Hommes de 1830, nous étions nés, pour la plupart, sous la République, république sanguinaire, et nous avions passé notre enfance et notre jeunesse sous un régime de fer appelé l'empire, qui refusait toute espèce de libertés au peuple. Nos jeunes cœurs se sont roidis contre ce régime tyrannique et ont compris le besoin de la liberté.
Plus tard nous sommes passés sous la domination du roi Guillaume, autre régime de despotisme et de tyrannie, de persécution de la pensée et de suprématie. Eh bien, nos cœurs, encore, se sont roidis. Qu'est-il arrivé ? C'est que tous, nous sommes venus dans cette enceinte avec ce grand principe de la « liberté en tout et pour tous et du respect du droit des autres. »
Le gouvernement belge doit être basé sur ce grand principe ; la plus grande action possible pour la liberté, la moindre action possible pour le pouvoir. Mon honorable ami d'Elhoungne, l'ancien, cet homme si honorable dont la carrière a été si brillante et dont je ne cite jamais le nom qu'en sentant mon cœur battre dans ma poitrine, d'Elhoungne l'ancien disait toujours que le meilleur gouvernement est celui dont l'action se fait le moins sentir. Il ajoutait que le gouvernement doit être comme la Providence, qui fait du bien partout et dont l'action ne se fait sentir nulle part.
Voilà, messieurs, les maximes de 1830. Voilà les grandes maximes qui ont servi de base à l'établissement de notre nationalité : Liberté pour tous, respect du droit des autres et surtout de la foi séculaire du pays.
Sont-ce ces principes, messieurs, qui vont inspirer les actes du nouveau cabinet ? Messieurs, je dois le dire, quelque désir que j'aie de me prononcer pour l'affirmative, mon intelligence, ma conviction me portent vers la négative. Quelle est la pensée que révèlent tous les antécédents de l'honorable chef du cabinet ? Est-ce la pensée du laisser-faire, de la liberté en tout et pour tous ? Est-ce la pensée que le gouvernement doit faire le moins possible et que la liberté doit faire le plus possible ? Mais c'est absolument l'antithèse de ces principes.
Le principe de l'honorable ministre, mais il se résume en un seul mot : la suprématie. Eh bien, la suprématie de l'Etat c'est l'antithèse de la liberté. La suprématie de l'Etat c'est la démolition de la liberté. Pour l'honorable M. Frère, il faut que l'Etat intervienne partout, qu'il soit grand aumônier, grand prêtre, grand sacristain, grand instituteur, grand collateur de places. Il faut que sa main soit partout, même dans la poche des contribuables, pour payer tout ce qu'il fait.
Eh bien, messieurs, c'est là l'antithèse des principes de 1830.
Ah ! si l'honorable M. Frère en revient à ces grands principes, mon cœur sera parfaitement heureux, car je reconnais ses hautes qualités ; je reconnais qu'il peut rendre de grands services au pays, mais il ne peut rendre ces services qu'en revenant aux principes de liberté, au respect des droits des autres, des droits du culte, aux principes de 1830, car la philosophie de l'histoire nous montre cette grande vérité : les nations ne se consolident que par les principes qui les ont fondées.
Ce n'est donc pas par la suprématie, par l'amour du pouvoir absolu que nous maintiendrons l'existence de la Belgique. Le plus grand danger de notre situation, au moment où je vous parle, n'est pas dans la question internationale. Le danger est dans la question intérieure, dans les divisions du pays.
Ce qu'il faudrait avant tout lorsque notre existence peut être menacée, c'est que nous nous réunissions tous dans un même sentiment non seulement pour la défense matérielle de la patrie, mais aussi pour sa défense morale, c'est qu'il n'y ait pas en Belgique un seul homme qui puisse dire : Je serais mieux traité si je n'étais pas Belge ; c'est que tout Belge doit se dire : J'ai plus de droits, plus de liberté, je suis mieux sous tous les rapports dans mon pays que je ne le serais dans tout autre pays.
Voilà, messieurs, la condition indispensable à l'existence de la Belgique.
Le danger n'est donc pas dans la question internationale, mais bien dans la question intérieure.
Le but à atteindre est tracé dans les paroles prononcées par notre Roi lors de l'inauguration de son règne : « l'apaisement des partis. »
Il faut que les partis s'apaisent. Il faut que les questions irritantes et surtout les atteintes à la religion séculaire du pays soient abandonnées, pour que de droite et de gauche nous nous donnions la main sur l'autel de la patrie pour la sauver dans un moment de danger.
Est-ce là le système que l'on veut inaugurer ? Si c'est ce système, j'en bénis le ciel et je proclamerai l'honorable M. Frère le sauveur de la Belgique.
Mais, si le système était différent, s'il avait pour but de faire renaître ces attaques à la religion de nos pères, ces luttes qui nous divisent, de reproduire des projets de loi qui sont tels que beaucoup de Belges devraient se dire : Je serais mieux si j'appartenais à d'autres pays, alors malheur à la Belgique !
L'honorable M. Frère, répondant aux questions que je lui avais posées en ce qui concerne le temporel du culte et la loi de 1842, a dit que : « Pour la loi de 1842 il n'y a pas de majorité. »
Je considère cela comme une position prise et j'en prends acte.
Il a ajouté que : « pour la loi du temporel du culte il n'en demande pas la mise à l'ordre du jour. »
Je l'en remercie. Je prends acte de ces deux déclarations et je me rassieds espérant que les luttes qui divisent le pays seront enfin écartées.
M. Rogierµ. - M. le ministre des finances, dans un exposé auquel, pour ma part, je ne trouve généralement rien à reprendre, a fait connaître les circonstances qui ont motivé la dissolution de l'ancien cabinet, et les principes qui dirigeront le nouveau ministère.
L'interprétation donnée par l'honorable M. Vandenpeereboom à la loi de 1842 en ce qui concerne les écoles d'adultes et l'application qu'il voulait en faire, a créé au sein de l'ancien conseil une divergence de vues que l'on n'est point parvenu à concilier.
Comme ministre de l'intérieur, j'avais, de 1847 à 1852 et de 1857 à 1861, donné à la loi la même interprétation que l'honorable M. Vandenpeereboom ; je n'avais donc pas à me séparer de lui. J'y étais d'autant moins disposé qu'à plusieurs reprises je l'avais prévenu, lui et nos collègues, que du jour où il croirait devoir quitter le ministère, ma retraite suivrait immédiatement la sienne.
Les raisons de convenance personnelle qui, en dehors même de la question en litige, déterminaient la résolution de mon honorable collègue, justifiaient, je puis le dire, à plus forte raison la mienne.
A l'avénement de S. M. Léopold II, j'avais, ainsi que mes collègues, remis ma démission au Roi qui m'avait gracieusement prié de ne pas lui retirer le concours que, pendant un grand nombre d'années, j'avais prêté au gouvernement de son Auguste Père.
J'avais, depuis, personnellement renouvelé auprès du Roi la demande d'être déchargé de mes fonctions ministérielles, et ce n'est que sur les vives instances de S. M. que j'ai consenti à les conserver.
Des orateurs de l'opposition ne peuvent admettre que le dissentiment relatif aux écoles d'adultes ait été la seule cause déterminante de la dissolution du cabinet. Cependant nous n'avons pas à en invoquer d'autres.
Sans aucun doute, et il serait puéril de le nier, des divergences de vues et d'appréciation, des dissentiments plus ou moins marqués n'ont pas manqué de surgir au sein d'une administration qui a longtemps duré ; mais ces désaccords n'ayant pas revêtu de caractère officiel, et ne s'étant pas produits devant le parlement, nous n'avions pas et nous n'avons pas à en rendre compte.
Ce qu'il nous importe de constater, c'est que ces divergences et ces dissentiments intérieurs n'ont pas semé au dehors des germes de division ni altéré au sein du parti libéral l'union qu'il fallait avant tout sauvegarder ; c'est que les chefs du parti gouvernemental, ils peuvent s'en faire honneur, n'ont pas donné à la Belgique le triste spectacle de ces luttes ouvertes et de ces rivalités personnelles dont le régime parlementaire a eu tant à souffrir en d'autres pays. Je puis dire qu'en déclinant la mission de former un nouveau cabinet, j'ai obéi aux mêmes considérations.
Il est une question récente, en quelque sorte à l'ordre du jour, au (page 405) sujet de laquelle l'honorable chef de la droite a cru devoir m'interpeller personnellement. Il s'agit de la conférence proposée par le gouvernement français.
L'honorable M. de Theux a cru remarquer à ce sujet certaine hésitation, pour ne pas dire certaine contradiction sur les bancs de la gauche et du ministère. Il m'a demandé si, dans mon opinion, il n'est point de l'intérêt de la Belgique d'accéder à l'invitation qui lui a été adressée comme à tous les autres Etats de l'Europe.
Je dirai qu'il y a dans l'opinion de la gauche, peut-être même dans l'opinion de plusieurs membres de la droite, trois appréciations diverses et également consciencieuses sur la ligne de conduite à suivre.
La première opinion se prononce d'une manière absolue contre la participation de la Belgique à la conférence. Ce serait une faute capitale et une grave imprudence.
La seconde, moins absolue, ne regarde pas cette participation comme désirable, mais elle admet des éventualités et des hypothèses où la Belgique ne pourrait s'en dispenser.
La troisième opinion, enfin, soutient qu'il est désirable que la Belgique accède à la conférence et y assiste, si elle a lieu ; que la somme des avantages à en recueillir dépasse de beaucoup celle des inconvénients et qu'au surplus le pire des inconvénients pour un petit pays nouveau venu dans la société européenne serait de s'exclure lui-même, au risque de se voir exclu dans la suite des conseils européens où pourraient se débattre ses intérêts les plus chers. Cette opinion est la mienne.
J'ai eu l'occasion déjà de m'expliquer à cet égard à propos du dernier traité conclu à Londres. Et la déclaration que j'ai faite à la Chambre dans la séance du 18 novembre dernier ne renferme rien qui contrarie cette opinion personnelle que je viens d'exprimer.
J'espère avoir répondu d'une manière suffisante à l'honorable M. de Theux qui comprendra, je n'en doute pas, que le moment n'est pas venu de débattre ici une question qu'il faut abandonner à la responsabilité du gouvernement.
Pour moi, j'ai assez de confiance dans l'esprit de discernement et de prévoyance du nouveau cabinet pour être assuré qu'il saura prendre le parti le plus sage et le plus profitable au pays.
Quoi qu'il en soit, ce n'est pas sur un dissentiment relativement à l'attitude à prendre vis-à-vis de la conférence que le cabinet s'est dissous.
J'en reviens maintenant et brièvement à la question qui a été le motif déterminant de la séparation des membres de l'ancien cabinet.
Que les écoles d'adultes soient comprises dans la loi de 1842, cela ne fait pas de doute à mes yeux ; il suffit de lire les articles 25 et 26.
La loi sur l'instruction primaire suppose trois catégories d'écoles : écoles primaires ou écoles d'adultes, les écoles libres, les écoles communales officielles et les écoles privées, subsidiées par la commune ou la province.
Quant aux écoles libres, elles ne sont soumises à aucune inspection officielle, à aucune surveillance ; ainsi le veut la Constitution.
Est-ce un bien, est-ce un mal, nous n'avons pas à discuter ce point. Pour ma part, je crois que c'est plutôt un mal qu'un bien et j'ajoute que dans d'autres pays et des pays libres, l'enseignement privé non subsidié est soumis à une inspection et à une surveillance.
Quant aux écoles communales d'adultes, elles tombent directement sous l'inspection légale ; l'article 26 est formel à cet égard, et quant aux écoles privées subsidiées, elles sont placées absolument dans les mêmes conditions. Tonte école privée qui reçoit un subside, une allocation officielle quelconque est soumise à l'inspection et, sous ce rapport, la tradition du département de l'intérieur va jusque-là que le simple prêt d'un local est considéré comme un subside ; c'est en effet une aide, un moyen de facilité la tenue de l'école.
Ces écoles sont soumises en droit à l'inspection religieuse ; mais il y a une autre inspection que l'inspection religieuse, il y a l'inspection civile, et il n'est pas indifférent que l'œil de l'autorité officielle soit de l'Etat, soit de la province, soit de la commune, puisse pénétrer dans ces innombrables petites écoles.
Ainsi, si d'une part les écoles communales, les écoles subsidiées sont soumises à l'inspection, ce grand nombre d'écoles privées subsidiées tombent également sous l'application de l'article 26.
Voilà le principe. La loi est tellement claire, tellement impérative qu'à mon sens M. le ministre de l'intérieur Vandenpeereboom aurait pu se dispenser de faire appel au clergé. La loi se charge de ce soin, elle dit que l'enseignement religieux sera donné par les ministres des cultes, qu'il sera inspecté par les ministres des cultes. On parle toujours des droits que la loi donne au clergé, mais la loi leur impose aussi des devoirs et lorsque le clergé refuse de répondre à l'appel de la loi, il est dans son tort.
Et lorsqu'il invoque les raisons qu'il a opposées au ministre de l’intérieur pour refuser son concours aux écoles d'adultes que le ministre voulait développer sur une grande échelle, il est encore plus dans son tort. J'en demande pardon à la mémoire du vénérable prélat de Malines, mais je dois dire que de pareilles raisons n'étaient pas dignes de son esprit éminent. Si l'on veut invoquer la concurrence des écoles du clergé pour refuser son concours aux écoles d'adultes officielles, on peut l'invoquer aussi pour refuser son concours aux écoles primaires proprement dites, car les écoles primaires officielles font concurrence aux écoles primaires du clergé. Il existe un grand nombre de ces dernières dans les communes, et si, par crainte de porter préjudice à ces écoles, le clergé allait refuser son concours aux autres, il serait en révolte ouverte avec la loi et le sentiment public.
J'espère, messieurs, qu'après y avoir mûrement réfléchi, après une plus saine appréciation des choses, après un raisonnement plus digne des hauts dignitaires de l'Eglise, le clergé ne continuera pas à refuser son concours ; je l'espère d'autant plus que, dès à présent déjà, il n'est pas unanime dans son refus.
Maintenant se présente la question de savoir ce que l'on devrait faire si le clergé, après avoir refusé son concours, venait à le proposer. Devrait-on lui dire qu'il est trop tard ?
Quelques-uns des évêques ont refusé le concours du clergé, lorsqu'il leur a été demandé. Supposons qu'après réflexion, ils se ravisent. Faudra-t-il leur dire : « Nous ne voulons plus de votre concours ; allez-vous-en. »
Eh bien, messieurs, je crois que cette réponse serait trop rigoureuse ; je crois que si le clergé, après avoir très mal motivé son refus, venait offrir son concours, je crois qu'il faudrait l'accepter.
Mais s'il persiste dans son refus, est-ce qu'il faudra fermer les écoles d'adultes ? En aucune manière, messieurs : .je ne suis nullement de cet avis ; pas plus qu'il ne faudrait fermer les écoles primaires proprement dites si le clergé venait à refuser son concours à ces établissements.
L'autorité civile, l'autorité communale aurait parfaitement, dans ce cas, le droit de maintenir les écoles d'adultes, comme elle a le droit incontestable de maintenir les écoles primaires auxquelles le clergé refuserait son concours.
Il ne faut pas, messieurs, exagérer ce qu'on appelle l'autorité donnée au clergé dans nos établissements d'enseignement primaire ou moyen. Il n'est pas libre de faire ce qu'il veut ; le gouvernement n'est pas obligé d'accepter quand même les conditions du clergé, et si le clergé refuse son concours, l'école, le collège ou l'athénée n'en subsiste pas moins. Voilà les véritables règles.
Sur cette question, messieurs, je ne sais si je serai tout à fait d'accord avec le nouveau ministre de l'intérieur. Il paraîtrait, d'après l'exposé de M. le ministre des finances, que l'honorable M. Pirmez soutient l'opinion que les écoles d'adultes ne sont pas comprises dans la loi de 1842.
MfFOµ. - Du tout !
M. Rogierµ. - Voici ce que je lis dans l'exposé de M. le ministre des finances.
MfFOµ. - L'inspection !
M. Rogierµ. - Voici : « M. Pirmez est d'accord avec nous pour reconnaître que la loi de 1842 n'est pas applicable aux écoles d'adultes. »
Moi, au contraire, je tiens que la loi de 1842 leur est applicable et, sous ce rapport, je ne serai pas de l'avis de l'honorable M. Pirmez s'il vient défendre ici cette opinion.
MfFOµ. - Il la défendra.
M. Rogierµ. - La Chambre maintenant, voudra bien me permettre d'en venir à une question plus ou moins personnelle. Je veux parler de ce qu'on a appelé nos convenances personnelles, parmi les motifs qui ont déterminé notre retraite du cabinet.
Messieurs, il y a sans doute, dans notre détermination, une grande part à faire aux convenances personnelles ; je ne le nie pas. Il me semblait qu'après avoir supporté la charge du pouvoir pendant plus de dix années consécutives, l'étape était assez longue et avait été assez laborieusement parcourue pour me permettre de reprendre haleine.
La Chambre voudra bien admettre qu'en prenant cette résolution je (page 406) ne faisait pas acte d'égoïsme, acte étroit de personnalité et qu'il m’était bien permis d'aspirer à ce but que je viens d'atteindre.
Et tout n'est pas, ce semble, désintéressement dans une résolution de ce genre. Depuis qu'elle est prise, j'ai vu tout à coup diverses parties du ciel, très longtemps fort orageuses, devenir sereines ; j'ai la satisfaction d'entendre des éloges qui, j'aime à le croire, sont des plus sincères, sur tout mon passé, et l'honorable M. Dumortier, avec qui j'ai eu si souvent de si vives discussions, vient encore de se joindre à ces éloges.
Il n'est pas sans douceur, messieurs, d'assister vivant et bien portant à sa propre oraison funèbre. (Interruption.) Je jouis en ce moment de ce premier agrément.
Il n'est pas non plus sans douceur de changer le rôle d'acteur en rôle de spectateur et de jouir de tous les privilèges accordés à ce dernier.
Si l'on faisait, entrer ces circonstances dans les motifs qui ont déterminé ma retraite et contribuent, je l'avoue, à la grande satisfaction intime que me procure la position qui m'est faite ; eh bien, je permets à la Chambre de le comprendre ainsi.
Ce n'est pas, messieurs, que j'entende approuver les hommes politiques qui abandonnent la carrière publique pour des questions de convenance ou d'intérêt personnel. Non, messieurs, je crois qu'il y a dans la carrière publique, pour ceux qui la suivent consciencieusement et sérieusement, des liens qui obligent et qui retiennent. Mais pour n'être plus ministre, je n'entends pas abdiquer mon rôle politique. Pour rendre des services, messieurs, il n'est pas nécessaire d'être ministre ; on peut en rendre beaucoup dans le gouvernement ; mais on peut aussi être utile en dehors du gouvernement, et j'ai la. prétention de croire que, sous ce rapport, je puis encore peut être avoir quelque chose à faire.
Remplir mes devoirs de loyal représentant et de bon citoyen, soutenir avec énergie le gouvernement dans ses efforts pour le bien, l'avertir avec bienveillance, lui résister avec modération s'il venait à s'écarter de la voie qu'il annonce l'intention de suivre, voila l'usage que je me propose de faire de mon indépendance ; voilà, si l'on veut, messieurs, mon programme, et j'espère que ni la Chambre ni le cabinet ne le trouveront ni trop gênant ni trop présomptueux.
(page 407) MfFOµ. - Messieurs l'opposition, je l'espère, doit être maintenant satisfaite ; elle ne désirait pas seulement recevoir les explications du gouvernement ; elle désirait aussi entendre l'honorable M. Rogier.
L'honorable M. Rogier a confirmé mes déclarations. Il est établi que les véritables causes politiques du dissentiment sont bien celles que j'ai indiquées. La question des écoles d'adultes nous a divisés. Le développement que l'honorable membre vient de donner à son opinion, de même que les pensées exprimés sur le même sujet par l'honorable M. Vandenpeereboom, prouvent suffisamment combien la dissidence était profonde. C'est, comme j'ai eu l'honneur de le dire, une question beaucoup plus théorique que pratique, puisque le clergé n'a pas accordé son concours à ces écoles ; mais sur cette question de principe, les opinions sont absolument opposées.
L'honorable M. Rogier persiste à penser que les écoles d'adultes sont soumises à toutes les dispositions de la loi de 1842, et notamment à la disposition essentielle qui prescrit la double inspection civile et ecclésiastique.
Nous croyons, au contraire, que les écoles d'adultes, quoique comprises dans la loi de 1842, ne sont pas soumises au régime de la double inspection.
Je ne pense pas que l'honorable membre, qui, d'ailleurs, s'est borné plutôt à des affirmations qu'à des preuves, soit disposé à entrer aujourd'hui dans le fond dû débat ; il a été entendu que la question pourrait être reprise, lorsque viendra la discussion du budget de l'intérieur. Je ne veux donc pas m'engager plus avant dans cette discussion ; je demande seulement la permission de donner quelques indications pour démontrer que la difficulté n'est pas aussi facile à résoudre qu'a paru le supposer l'honorable préopinant.
Dans l'article 25 de la loi de 1842 où les écoles d'adultes sont mentionnées, on trouve une série d'autres établissements auxquels il serait impossible d'appliquer la double inspection décrétée par cette loi.
Qui a imaginé que le régime de la double inspection pourrait, par exemple, être appliqué aux salles d'asile mentionnées dans l'article 25 de la loi ? Qui a pensé qu'on appliquerait la double inspection aux ateliers de charité, aux ateliers d'apprentissage, qui sont également mentionnés dans le même article ?
Ce n'est pas à dire que si, à côté des ateliers de charité, des écoles d'apprentissage où l'on se borne à apprendre un métier et pas autre chose, on établissait une école primaire, le régime de la double inspection ne dût être appliqué dans ces conditions, comme à toutes les autres écoles primaires.
Mais lorsqu'il s'agit d'une école d'apprentissage proprement dite, à l'exclusion de tout enseignement littéraire, il est impossible de soutenir que le régime de la double inspection lui est applicable, par cette seule raison que l'article 25 de la loi mentionne les écoles d'apprentissage. Pourquoi en serait-il autrement des écoles d'adultes ? Si les diverses écoles que mentionne l'article 25 tombaient de droit sous le régime établi spécialement pour les écoles primaires, à quoi bon une disposition spéciale pour autoriser à leur allouer des subsides ? Comment justifierait-on une distinction entre les écoles dont s'occupe l'article 25, pour appliquer la double inspection aux unes, et ne la point appliquer aux autres ? Pourquoi, lorsque le clergé n'organise pour les adultes aucun enseignement religieux autre que le prône, pourquoi faudrait-il que cet enseignement devînt indispensable dans une école ouverte aux adultes ?
Je démontrerai de plus près, lorsque le moment opportun de le faire sera venu, et l'honorable M. Pirmez fera également cette démonstration, que les précédents qui étaient invoqués sont bien loin d'avoir la force qui leur a été attribuée.
Je vous apprendrai, par exemple, que, malgré ce que l'on a prétendu, des écoles d'adultes, créées à Bruxelles et aux portes de la capitale, à Saint-Josse-ten-Noode entre autres, n'ont pas été soumises au régime de la loi de 1842, bien qu'elles existent depuis un temps très long ; je vous apprendrai qu'à une époque, des écoles d'adultes ont été soumises au régime de la loi de 1842, tandis qu'à une autre époque, par une décision de l'autorité qui les dirigeait, et qui était la commune, elles ont été soustraites à ce régime, sans que, dans aucune hypothèse, quels que fussent les ministres catholiques ou libéraux qui dirigeaient le département de l'intérieur, on ait jugé qu'il fût possible d'intervenir pour faire appliquer la loi comme on l'interprète aujourd'hui.
Et cependant, que porte l'article 26 de la loi ? Qu'aucune école ne pourra obtenir ou conserver un subside ou une allocation quelconque de la commune, de la province ou de l'Etat, si l'autorité qui la dirige ne consent à la soumettre au régime d'inspection établi par la loi. Mais c'en est assez sur ce point pour le moment.
La cause du dissentiment réel, quoique avérée aujourd'hui, n'était cependant pas, aux yeux de l'honorable M. Dumortier, suffisante pour déterminer une séparation des membres de l'ancien cabinet ; car, dit-il, l'honorable M. Vandenpeerenboom nous a appris qu'il avait l'espoir que la difficulté relative à l'intervention du clergé s'aplanirait.
Mais, messieurs, si le concours du clergé avait été donné, au lieu d'être refusé, la question n'en eût pas moins été soulevée ; l'embarras du gouvernement aurait été beaucoup plus grand, sans doute ; les difficultés de la situation se seraient considérablement accrues, puisque, au lieu d'avoir à résoudre une question de principe, on aurait été en présence d'un fait accompli ; que, pour les uns, il se serait agi de maintenir, pour les autres de faire cesser un concours accordé. Mais le clergé n'a pas voulu intervenir, ou il a mis à son intervention des conditions inacceptables, déclarées inadmissibles par notre honorable ami, qui lui-même désirait cependant cette intervention.
Je crois, pour dire le fond de ma pensée, que l'honorable M. Vandenpeereboom se faisait une complète illusion, lorsqu'il croyait qu'il arriverait à déterminer le clergé à intervenir. Je pense qu'il n'aurait pas mieux réussi dans cette circonstance que lorsqu'il s'est agi du collège communal d'Ypres, si je ne me trompe, et de l'application de la convention d'Anvers. Je crois qu'il n'aurait pas été satisfait du résultat et que son illusion aurait été bientôt dissipée, et nous avons en faveur de cette opinion des preuves irrécusables.
N'a-t-on pas laissé au clergé un temps suffisant pour se prononcer ? Alors même qu'il avait énoncé son refus de satisfaire au désir exprimé par le gouvernement, le plus profond silence, le secret le plus absolu a été gardé sur cette affaire ; on n'a mis obstacle à aucune espèce de démarches, de négociations. C'est au mois de septembre 1866 que le concours du clergé a été réclamé ; c'est au mois de décembre suivant que des conditions inacceptables ont été offertes ; c'est en février 1867, qu'a eu lieu la déclaration de M. l'évêque de Tournai qu'il interviendrait sans conditions. Et depuis lors, rien.
Et cependant, dès le mois d'avril 1867, l'honorable ministre de l'intérieur avait déclaré inadmissibles les conditions exprimées par M. le cardinal.
Maintenant, ce qui nous donne lieu de croire, ce qui nous donne la conviction, je dirai absolue, que la détermination du clergé, quant aux écoles d'adultes, était sérieuse et irrévocable, c'est que, alors même que la question de savoir si son intervention résultait de la loi de 1842 ou non était agitée, lorsqu'il a vu quelques conseils provinciaux se prononcer avec énergie contre cette intervention, s'il avait cru que ce fût son droit et son devoir, conformément à la loi de 1842, d'entrer dans les écoles d'adultes, comment donc aurait-il hésité ? Ce qui démontre de plus près que le clergé entendait maintenir ses conditions, c'est que, dans les rapports généraux relatifs à l'enseignement émanant de l'épiscopat, il est tel de MM. les évêques qui a consigné une adhésion implicite aux écoles d'adultes, mais sans répondre à la communication officielle du ministre de l'intérieur, afin de ne point revenir sur la condition exprimée par M. le cardinal. On ne voulait accorder le concours qu'aux écoles qui ne feraient pas concurrence aux établissements du clergé.
Ce principe, messieurs, est absolument inadmissible ; vous tous, j'en suis convaincu, vous le condamnez, car il est contraire à la loi de 1842.
La loi de 1842 suppose, de la part du clergé, un concours général. Sans doute, c'est le droit et ce peut être, dans certaines hypothèses, le devoir du clergé de se retirer si, dans une école déterminée, il constate un abus, et que l'autorité qui a la surveillance de l'école refuse de le faire disparaître ; alors, je le répète, c'est son droit, ce peut être son devoir de se retirer de cette école. Mais déclarer d'une manière générale, à priori, qu'il donne son concours là où il n'y a pas d'écoles d'adultes, et qu'il le refuse, là où l'établissement d'une de ces écoles ferait concurrence à la sienne, c'est un principe inadmissible, et cette prétention est de nature à altérer profondément la croyance qui existe chez un grand nombre de personnes, que l'intervention du clergé est indispensable, lorsqu'il s'agit de l'enseignement primaire. Par l'attitude qu'il a prise, le clergé lui-même a ébranlé cette croyance ; la distinction qu'il établit prouve qu'à ses yeux mêmes la nécessité de son intervention n'existe pas.
(page 408) Quoi donc ! On lui dit : Voilà des enfants, voilà des jeunes gens ; venez leur donner l'instruction religieuse ; l'école vous est ouverte. Et l'on r pond : Non ! Notre école à nous pourrait en souffrir ; cette concurrence nous nuirait ; nous n'entrons pas dans votre école !
Ainsi, c'est la concurrence que l'on vient opposer, et cela quand on parle de l'enseignement religieux ! Que pensera le public en entendant cette doctrine de MM. les évêques ?
L'honorable M. Dumortier doit renoncer à la défendre. C'est bien assez d'ailleurs, pour l'honorable membre, de l'anxiété profonde dans laquelle il est plongé, et dont il nous a fait confidence, d'autant plus que cette anxiété ne lui est pas personnelle, et que, d'après ce qu'il nous déclare, est elle partagée par ses amis. Pourquoi cette anxiété cruelle ? Mais par une raison des plus graves signalée dès hier par l'honorable M. Royer de Behr, raison péremptoire, concluante ; c'est que la présidence du conseil du dernier cabinet appartenait à l'honorable M. Rogier, et qu'aujourd'hui la présidence du conseil appartient au ministre des finances. Voilà ce qui l'épouvante !
Messieurs, je ne sais quelle idée se forme l'honorable M. Dumortier de ce qu'il veut bien nommer le président du conseil, de ce que l'on nomme, depuis quelques jours, avec une espèce d'affectation, le chef du cabinet. Le président du conseil, le chef du cabinet, c'est tout simplement un ministre, n'ayant pas plus de droits, d'autorité, que ses collègues. C'est le primus inter pares, parce qu'il faut bien qu'il y ait quelqu'un qui convoque les réunions du conseil ; il faut bien que quelqu'un ait cette direction générale des affaires d'un gouvernement, qui sont délibérées par les ministres réunis en conseil, et qu'il est utile, si l'on délibère, que quelqu'un dirige les débats. Hors de là, je ne sais pas trop quels sont les privilèges d'un président du conseil. Je ne pense pas que l'honorable membre parviendra à découvrir une attribution quelconque qui serait conférée spécialement à celui qui a été appelé à constituer ou à reconstituer un cabinet.
Du reste, n'est-ce pas l'honorable membre lui-même, en tous cas ne sont-ce pas Ses amis qui, lorsque j'avais l'honneur de siéger à côté de l'honorable M. Rogier, disaient, pour essayer sans doute d'exciter des défiances, des jalousies, des rivalités entre les ministres : Il y a le chef nominal du cabinet, il y a le chef réel du cabinet. Pendant quinze ans on s'est ingénié à bien établir cette prétendue distinction, en reproduisant sans cesse ce petit sujet d'excitation, que l'on croyait extrêmement favorable au but que l'on poursuivait. Eh bien, pendant quinze ans, cette tactique n'a guère eu de succès. Mais si vous avez cru à ce que vous affirmiez alors, d'où vient donc votre anxiété aujourd'hui ? C'est que je suis, moi, dites-vous, l'antithèse des principes de 1830, tandis que l'honorable M : Rogier est, avec l'honorable M. Dumortier, l'incarnation des principes de 1830.
M. Dumortier. - Pas si loin.
MfFOµ. - Ps si loin ! Ne nous avez-vous pas dit un jour que vous portiez dans votre poitrine la colonne vertébrale de la Constitution. (Interruption.) C'est dans ce sens que je parle d'incarnation.
Messieurs, je ne sais trop ce que l'honorable membre a voulu dire par là. En quoi suis-je l'antithèse des principes de 1830 ? Les principes de 1830, ce sont, si je ne me trompe, ceux qui se trouvent écrits dans notre Constitution. Eh bien, je crois pouvoir dire, que je suis le défenseur convaincu de tous nos principes constitutionnels, défenseur aussi ferme, aussi énergique qu'aucun membre de cette Chambre.
En quoi l'honorable M. Dumortier m'a-t-il vu jamais dévier de ces principes ? Il ne suffit pas d'énoncer de pareilles idées ; il faudrait au moins les justifier quelque peu.
M. Dumortier. - Ce n'est pas difficile.,
MfFOµ. - Je serais fort heureux de les voir justifier ; je voudrais bien être mis en mesure de les réfuter.
Selon l’honorable membre (il n'a guère trouvé que cela pour caractériser sa thèse) je suis l'âme du Dieu Etat. Je veux tout par l'Etat. Je veux que l'Etat intervienne en tout, partout, pour tout. L'honorable membre a oublié que c'est précisément le reproche qui a été le plus constamment, le plus persévéramment adressé à l'honorable M. Rogier.
On représentait l'honorable M. Rogier comme ayant une véritable manie interventionniste. C'était le thème habituel de l'opposition ; on l'accusait constamment d'outrer en tout 1'intervenlion de l'Etat.
Jusqu'à présent j'avais échappé à une pareille accusation. Car il se trouve qu'au fond et dans la réalité, je ne suis pas du tout partisan de l'intervention de l'Etat dans des matières qui ne sont pas de son domaine. Je veux simplement que l'Etat soit maintenu dans le domaine de son action légitime, et qu'il reste investi de tous les droits et de tous les pouvoirs qu'il tient de la Constitution.
Mais voici peut-être ce qu'a voulu dire l’honorable M. Dumortier : c'est que, pas plus qu'aucun de mes amis, pas plus qu'aucun membre de la gauche, je ne suis disposé à faire abdiquer l'Etat dans les mains de l'autorité religieuse ; je veux fermement, énergiquement, que l'Etat reste dans sa sphère, et l'autorité religieuse dans la sienne.
Et au fond, la cause de nos luttes est là ; c'est que nous ne voulons pas, de ce côté, l'intervention de l'autorité religieuse dans des choses que nous déclarons n'être pas de son domaine. Appliquez ce principe à la plupart, si ce n'est à toutes les questions qui nous divisent, et vous verrez que c'est là, en réalité, le fond de nos débats.
Eh bien, je ne suis pas disposé à abandonner, sous ce rapport, les-principes que j'ai professés toute ma vie. Je suis disposé à continuer, comme je l'ai fait dans le passé, l'application de cette politique libérale, à la fois ferme et modérée, que nous avons pratiquée pendant quinze années au pouvoir. Cette politique a toujours été modérée, je puis le dire avec assurance, en présence de l'appui qu'elle a trouvé dans le pays. Si elle n'avait pas eu ce caractère, le pays, assurément, ne l'eût pas sanctionnée pendant aussi longtemps.
L'honorable M. Dumortier a pris acte de la déclaration que j'ai faite à propos de la loi de 1842. Ce n'est pas cependant la première fois que je m'exprime sur cette question. Je me suis d'ailleurs borné à établir que la situation n'était pas changée en ce qui concerne celle loi ; j'ai seulement constaté un fait ; j'ai dit que la majorité était hier, comme elle l'est aujourd'hui, comme elle le sera demain, divisée sur cette question, et que par conséquent il était impossible d'arriver, dans de pareilles circonstances, à obtenir des modifications à la loi de 1842.
J'ai aussi parlé de la loi du temporel des cultes ; ici encore je me suis borné à la constatation d'un fait ; nous avons rempli notre devoir ; nous avons présenté un projet de loi ; il a été soumis à la Chambre, il a été examiné par les sections ; il a été l'objet d'un rapport. La Chambre peut en disposer. J'ai ajouté ceci, marquant parfaitement les intentions non seulement du cabinet, mais de l'opinion libérale tout entière : Il s'agit d'une de ces mesures de pure administration qui peuvent être résolues dans un esprit conciliant, dans un esprit modéré, dénature à satisfaire tous les hommes sensés.
La question politique ainsi discutée, je demande à la Chambre la permission de m'occuper maintenant de la question spéciale d'Anvers, quoique j'aie regret de devoir entrer de nouveau dans ce débat ; mais j'y suis forcé pour rectifier les assertions si erronées, les contre-vérités si flagrantes qui ont été apportées à cette tribune par d'honorables préopinants.
Messieurs, lorsque le gouvernement a institué la commission mixte chargée de s'occuper de l'organisation militaire, nous avons eu l'honneur de déclarer dans cette Chambre que cette commission n'aurait pas à s'occuper du système de défense nationale ; que le système qui avait été adopté devait être la base de ses travaux ; que c'était de là que devait résulter l'organisation militaire considérée comme indispensable pour le pays. Quelques honorables membres et, en général, les membres appartenant à cette commission, ont montré certaine susceptibilité en voyant une mission qu'ils s'étaient d'abord cru en droit de considérer comme absolue et sans limites, restreinte ainsi par le gouvernement, Messieurs, ce n'est pas dans la vue de soustraire ces questions à l'examen de la commission que le gouvernement a agi comme il l'a fait ; en agissant ainsi, il n'a été guidé que par le désir, assurément fort légitime, de rester entièrement libre dans ses déterminations ; il l'a fait pour se soustraire à toute pression que l'on aurait pu tenter d'exercer sur lui.
Il était avéré pour le gouvernement que, dans cette Chambre, un certain nombre de membres, convaincus, je le veux, que la rive gauche de l'Escaut devait être fortifiée, voulaient absolument soumettre cette question à l'examen de la commission et faire déterminer les dépenses qui devaient résulter de ces travaux, tandis que d'autres honorables membres, qui attaquaient surtout les dépenses militaires, voulaient se faire un thème des sommes prétendument considérables encore nécessaires pour compléter, pour achever la place d'Anvers, et avoir ainsi un point d'appui pour critiquer l'organisation militaire.
Eh bien, nous avons pensé que nous ne devions nous prêter ni à l'une ni à l'autre de ces vues. Nous avions aussi nos idées sur cette question ; nous pensions que nous étions à même de la résoudre au mieux des intérêts du pays, et nous voulions nous réserver les moyens (page 409) de produire et de défendre ces idées, lorsque le moment nous en paraîtrait opportun, pour les soumettre a une discussion incomplète et en tout cas prématurée.
C'est par ces motifs, messieurs, que la question n'a pas été déférée à la commission mixte, et l'on peut voir aujourd'hui, par la nature des propositions annoncées à la Chambre par le gouvernement, que ceux qui pensent que la rive gauche doit être fortifiée n'ont plus de raison sérieuse de se plaindre ; que ceux qui désiraient vivement se faire un moyen d'opposition des grandes dépenses qu'il fallait prétendument faire aujourd'hui pour achever la place d'Anvers, se trouvent complètement désarmés ; et qu'enfin les gens de bonne foi qui, à Anvers, sans préoccupation politique. ont conçu des inquiétudes, à notre sens peu justifiées, sur la sécurité de la ville, recevront aussi une entière satisfaction.
On nous a dit que nous venions proposer aujourd'hui un projet que nous avions combattu autrefois ; que nous venions soutenir aujourd'hui des thèses diamétralement opposées à celles que nous avons défendues à une autre époque.
M. Coomans, qui a posé tout d'abord cet axiome, qu'on ne dit jamais, en haute politique, la vérité pure, principe de morale qui me paraît fort sujet à caution, M. Coomans en a fait immédiatement la plus large application ; le discours qu'il a prononcé est, d'un bout à l'autre, depuis le premier jusqu'au dernier mot, un tissu de contre-vérités les plus flagrantes qui aient jamais été produites dans un parlement. (Interruption.)
Selon M. Coomans, j'aurais exprimé jadis, à propos des travaux militaires à exécuter sur la rive gauche de l'Escaut, des opinions tout à fait contraires à celles que révèlent mes propositions d'aujourd'hui.
Eh bien, j'ai eu beau fouiller ma mémoire, rechercher à la hâte dans les innombrables discours que j'ai prononcés en cette matière (vous aurez la peine de les relire et c'est une punition suffisante), je ne suis pas parvenu à retrouver la trace d'une opinion quelconque exprimée par moi sur les travaux qu'il a pu être question d'exécuter sur la rive gauche.
Voilà un premier fait.
Je dois donc attendre que l'on soit plus heureux que moi pour découvrir ce que j'ai vainement cherché, cas auquel j'aurais à examiner et, s'il y a lieu, à faire amende honorable ; mais, jusqu'à présent, je n'y suis pas disposé.
Selon M. Coomans, j'aurais émis une seconde opinion.
Il prétend que lorsqu'il déclarait dans cette Chambre que la citadelle du Nord était inhabitable, ce qui n'empêchait pas de prétendre qu'elle était très dangereuse pour Anvers, j'aurais soutenu qu'elle était parfaitement salubre, que c'était une espèce d'Eden, un vrai paradis terrestre.
J'ai encore, mais en vain, cherché une opinion exprimée par moi sur la salubrité de la citadelle du Nord.
Si j'avais à m'en tenir à des preuves en quelque sorte négatives contre les faits allégués par M. Coomans, ce serait déjà suffisant sans doute. Mais, par une bonne fortune rare, je puis prouver, pièces en main, les inexactitudes d'autres assertions de M. Coomans.
La Chambre se souvient que, dans les explications que j'ai eu l'honneur de lui donner au moment où les esprits étaient le plus excités à Anvers, j'ai déclaré que lorsque l'agitation aurait cessé, le gouvernement examinerait ce qu'il pouvait y avoir de juste dans les réclamations qu'on produisait au nom de la ville d'Anvers.
Non, non, me dit M. Coomans, ce que vous avez dit alors s'applique uniquement aux servitudes ; il n'a pas été question des citadelles, et il confirme aujourd'hui par un signe le démenti qu'il avait la prétention de me donner.
Voici comment M. Coomans s'exprimait à ce sujet dans la séance d'avant hier.
« Maintenant, l'honorable M. Frère vient de nous dire trois fois, dans les trois ou quatre discours qu'il a prononcés pour ses collègues, que ce qu'il fait aujourd'hui, il l'a annoncé. Il y a six ans, dit-il, je me suis engagé devant la Chambre à examiner de près les réclamations anversoises et à y faire droit dans la mesure du possible dès que le calme serait revenu dans les esprits, dès que cette pression violente et illégitime ne s'exercerait plus sur les Chambres et sur le gouvernement.
« Messieurs, cela encore est très inexact ; cette déclaration faite par M. le ministre se rapportait exclusivement à la question des servitudes militaires (interruption), origine de la question d'Anvers ; c'est lorsqu'on a demandé des indemnités pour les servitudes, indemnités réclamées par les amis politiques de M. Frère, que cet honorable ministre a annoncé l’ajournement de toute décision. »
Eh bien, messieurs, il ne s'agit plus de preuves négatives ; il s'agit de preuves affirmatives de ma part.
Je disais ici même, le 9 mai 1862 :
« Lorsque la Chambre se sera, prononcée, eh bien, le calme se rétablira partout dans les esprits ; et alors, messieurs, la question ne pouvant pas être résolue comme on le demande à Anvers, il restera à examiner ce qu'il est raisonnablement possible de faire.
« Le gouvernement, dans son calme, dans son impartialité, et avec l'esprit bienveillant dont il est animé, nonobstant les accusations dont il est l'objet, le gouvernement examinera ce qui peut être équitablement fait pour Anvers, ce qu'il peut y avoir de juste dans certaines réclamations qui se sont produites. Mais jusque-là, le gouvernement ne peut que s'opposer de la manière la plus formelle aux prétentions relatives et à l'indemnité pour les servitudes, et à la démolition des citadelles. »
Est-ce clair ? (Interruption.)
L'honorable M. Delaet paraît aussi partisan de la maxime si bien appliquée par son ami M. Coomans. Il a prétendu en toutes lettres que j'ai traité à diverses reprises de mystification le système que je viens présenter aujourd'hui.
M. Delaetµ. - Et je le soutiens.
MfFOµ. - Cette fois nous aurons pour vous convaincre, non pas une dénégation qui ne vous satisferait point, quoique suffisante, mais une preuve positive.
Je comprends que M. Coomans, qui a été pris à l’improviste par les déclarations faites au nom du gouvernement, déclarations parfaitement en harmonie avec les intentions antérieures qu'il avait formellement manifestées, je comprends, dis-je, que M. Coomans ait pu émettre légèrement les assertions que je viens de réduire à leur valeur.
Mais l'honorable M. Delaet ne saurait invoquer la même excuse ; il a eu tout le temps de réfléchir. C'est vingt-quatre heures plus tard qu'il est venu parler comme il l'a fait.
Il a cependant été tout aussi téméraire dans ses affirmations.
Voici ce que j'ai traité de mystification dans la séance du 3 juin 1864. C'est, bien de celle-là que vous parlez.
M. Delaetµ. - Lisez, nous verrons.
MfFOµ. - Il serait bien étonnant que l'honorable membre qui m'interrompt pour me donner l'assurance qu'il m'a relu, fût venu porter devant la Chambre une affirmation aussi inexacte.
Je disais : Le programme de l'honorable M. Dechamps quant à Anvers consiste en ceci... Je demande pardon à la Chambre de faire de pareilles citations, mais, on comprend la nécessité pour moi-même et pour la majorité qui a suivi le gouvernement dans toutes ces questions, d'être complètement à l'abri de toutes les imputations qui nous ont été adressées.
- Plusieurs membres. - Certainement ! Lisez ! Lisez !
MfFO. - Voici comment je me suis exprimé sur le programme de l'honorable M. Dechamps, qui avait suffi pour conquérir tous les suffrages des honorables membres de la députation anversoise :
« A la veille d'un appel au pays, la nécessité de s'expliquer clairement et franchement sera sans doute reconnue par tous comme un acte de loyauté politique.
« Or, messieurs, l'affaire d'Anvers comprend trois questions :
« La question des citadelles ;
« le payement des dix millions ;
« L'indemnité pour les servitudes militaires ;
« Ce sont là, messieurs, trois questions d'argent.
« Abstraction faite de toute autre considération, il s'agit de savoir si les promesses du programme impliquent de nouveaux sacrifices à imposer au pays, aux contribuables, pour satisfaire aux prétentions qui se sont fait jour à Anvers. Voilà la question ! C'est là, messieurs, ce que les électeurs ont intérêt à connaître. S'il y a de nouvelles charges à faire peser sur le pays, qu'on le dise ; qu'on le déclare franchement, loyalement ; le pays appréciera.
« Si de nouveaux sacrifices ne doivent pas être demandés aux contribuables, autres que ceux qui ont été prévus et annoncés, le programme est une véritable mystification pour la députation d'Anvers (interruption), une véritable mystification ! Car il est impossible de satisfaire à vos prétentions sans argent. » (Interruption.)
Vous verrez, M. Delaet, que vous subirez tout à l'heure une nouvelle condamnation avec l'honorable M. Coomans sur la question du nouveau programme spécial applicable à la rive gauche.
(page 410) « Voyons, disais-je : exonérez-vous la ville d'Anvers du payement des dix millions ?... Proposez-vous le retrait de la loi qui a décrété que la ville d'Anvers contribuerait à concurrence de dix millions de francs dans les frais d'établissement de la grande enceinte, qu'elle-même sollicitait alors ? Voilà la véritable question. Si Anvers ne doit pas payer, ce sera le pays, ce seront les contribuables qui payeront.
« Les indemnités ! Il n'en est pas question dans votre programme. Les indemnités pour les servitudes militaires sont donc écartées ; elles sont formellement condamnées par le programme de la droite ; la droite ne veut pas réclamer du pays des charges nouvelles, pour payer des indemnités du chef des servitudes militaires. Donc, vous êtes mystifiés ! »
Un peu plus tard, l'honorable M. Delaet me demanda : « Et après ? »
Sur quoi je répondis à l'honorable membre '. « Après ? mais après comme avant, vous continuerez à être mystifiés. »
Voilà comment je me suis prononcé à cette époque sur cette partie du programme de l'honorable M. Dechamps, que vous avez appuyé et auquel vous avez complètement adhéré. Venait la question des citadelles. Je disais sur ce point :
« Reste la question des citadelles. Elle n'est pas venue la première dans l'ordre des réclamations ; mais on déclare aujourd'hui qu'elle est la plus importante pour les députés d'Anvers. Les questions d'argent, d'abord agitées, on les relègue au second plan : mais quant aux mesures qui doivent assurer la parfaite sécurité des habitants d'Anvers, c'est un point sur lequel il n'est point permis de faire la moindre concession. Eh bien, messieurs, le programme dit très nettement qu'il n'y a pas de solution sur la question des citadelles.
« Depuis un an, les journaux d'Anvers en ont cependant indiqué une, qui, comme vous l'allez voir, est excessivement simple : on démolit d'abord la citadelle du Sud, on vend les terrains, et l'amateur qui les paye, s'engage, pour le prix de ces terrains, à construire de nouveaux forts sur la rive gauche de l'Escaut. Dans ce plan, imaginé pour accroître encore la fortification et non pour l'affaiblir, le maintien de la citadelle du Nord est obligatoire, si j'en crois les bruits qui ont couru. et si c'est à ce plan que l'on a fait allusion, on sera fort longtemps avant de trouver l'introuvable amateur qui, en échange du prix de vente des terrains de la citadelle du Sud, doit exécuter les nouveaux travaux de la rive gauche. Dans tous les cas, si l'on parvient à le découvrir, Anvers aura toute une combinaison de citadelles. »
Vous voyez onc bien que le mot auquel vous avez fait allusion et dont je me suis servi dans la discussion de 1864, s'appliquait à la question des servitudes et à l'affaire des dix millions, et non point à la question même de la démolition de la citadelle du Nord.
J'attaquais si bien le plan à un autre point de vue que, dans la séance du 4 juin 1864, j'indiquais même implicitement, en combattant celui de l'honorable M. Dechamps, que je déclarais inexécutable et impossible, celui qui aurait été praticable.
Voici sur ce point ce que me fait dire M. Coomans. Je venais de l'interrompre pour lui dire : « Citez exactement. » Il me répondit :
« Je cite très exactement, vous le savez bien. Je dis que je n'aurai qu'à réfuter Frère par M. Frère. En voici un exemple : quand un de nos honorables amis, M. Dechamps, le premier protecteur officiel du système actuel de M. Frère, l'a publié, quand il est venu dire qu'il pouvait résoudre la question d'Anvers en vendant la citadelle du Sud et en fortifiant Anvers sur la rive gauche, et quand il ajoutait, erronément selon moi (interruption), que ce système n'occasionnerait pas de dépense quelconque à l'Etat, M. Frère a crié à l'absurde.
« Quoi, a-t-il dit, quand l'Etat vend un domaine, n'est-ce pas comme s'il dépensait de l'argent ? quand l'Etat appliquera le produit de la citadelle du Sud à la construction d'autres fortifications anversoises, n'est-ce pas comme s'il puisait dans le trésor pour payer la dépense ? Ainsi parlait M. Frère, et son raisonnement d'alors il le blâme à présent. »
Voyons donc, messieurs, si cela est exact. Voici textuellement ce que je disais dans la séance du 14 juin 1864 :
« L'énoncé que je viens de faire des domaines dont on demande à l’Etat de se dessaisir, vous a sans doute permis de juger déjà des avantages qu'aurait pour le pays la magnifique combinaison que l'on a imaginée ! Ah ! si l'on était venu dire : Voici des terrains qui sont en nature de fortification ; nous nous proposons de les aliéner et de les remplacer par d'autres terrains qui seront, eux aussi, en nature de fortification, j’aurais parfaitement compris une semblable opération. Mais au lieu d’un pareil échange, que propose-t-on ? On vous demande d'aliéner des domaines de l'Etat, qui ont acquis aujourd'hui une immense valeur, tels que l'arsenal, les ateliers de construction, l'école de pyrotechnie, les bureaux du génie, l'hôpital ; on veut vendre tous ces immeubles, créés à grands frais, et en appliquer le prix à exécuter de nouveaux travaux de fortification sur la rive gauche.
« Eh bien, je le demande, que signifie un pareil marché ? N'est ce pas absolument comme si l'on puisait dans le trésor des sommes égales à la valeur de tous ces établissements ? Lorsque l'Etat aurait consenti à la cession de ces domaines, ne devrait-il pas, en effet, aller créer ailleurs une école de pyrotechnie, des ateliers de construction, un arsenal, des bureaux du génie, un hôpital ? On n'entend pas, sans doute, supprimer définitivement tous cet établissements indispensables, et, pour les reconstruire, ne devrait-on pas demander au pays les sommes considérables, énormes, qui seront nécessitées par ces reconstructions ?
« Vous voyez donc, messieurs, que la combinaison annoncée, que je n'entends pas discuter autrement pour le moment, combinaison qui, comme toutes celles dont on a parlé précédemment, devait se réaliser sans bourse délier pour l'État, exigerait, au contraire, des dépenses très considérables, pour lesquelles il serait indispensable d'imposer de nouveaux sacrifices aux contribuables. »
Il y a donc là deux choses clairement indiquées : une solution que j'admettais, que je comprenais, l'aliénation de terrains militaires dont le prix aurait été suffisant pour les nouveaux terrains militaires projetés ; une solution que je combattais, parce que le prix des terrains militaires aliénés aurait été insuffisant pour les dépenses nouvelles et aurait exigé, non pas un sacrifice peu important, mais un sacrifice considérable.
Ainsi, messieurs, j'ai dit précisément le contraire de ce qu'a voulu me faire dire M. Coomans. Voici, en effet, pour que la vérification, puisse se faire commodément, voici, traduites eu chiffres, l'une et l'autre proposition.
Dans le système préconisé par M. Dechamps, on prolongeait l'enceinte sur la rive gauche de l'Escaut, on créait en face de cette enceinte un camp retranché et trois ou quatre forts en avant de l'enceinle.
Voilà quel était le plan.
On disait que l'exécution de ce plan devait coûter 15 à 16 millions. Il fallait en effet établir l'enceinte sur un parcours de 4,000 mètres, et en prenant pour base le prix de l'enceinte exécutée sur l'autre rive, ce travail devait absorber 9,800,000 francs ; les trois ou quatre forts qu'il aurait fallu construire auraient emporté une dépense de 6 à 7 millions, faisant ensemble, pour cette partie du travail seulement, les 15 à 16 millions indiqués par l'honorable M. Dechamps.
Mais la trouée faite par la démolition de la citadelle du Sud, il n'en est pas question. Si les terrains de la citadelle du Sud avaient produit 15 à 16 millions, rien ne restait pour boucher la trouée faite par la démolition de cette citadelle.
Rien ne restait pour reconstruite les établissements militaires supprimés, c'est-à-dire la manutention, l'arsenal, la fonderie de projectiles, les logements de la citadelle du Sud, la nouvelle pyrotechnie, la nouvelle boulangerie, etc., etc., et pour l'achat des terrains nécessaires à l'exécution de ces travaux, le tout n'étant guère estimé à moins de neuf millions de francs.
Ainsi, le système préconisé par l'honorable M. Dechamps ne consistait pas simplement à transformer ces terrains militaires en travaux de fortifications, ce qui est une question qui, dans ces conditions, devient parfaitement indifférente au pays ; il consistait non seulement dans l'aliénation de ces terrains militaires, mais, en outre, dans l'allocation de crédits considérables, car les autres ressources vaguement indiquées étaient de pure fantaisie.
Quelle est maintenant, messieurs, la proposition que nous annonçons, à la Chambre ? Cette proposition ne comprend que deux forts sur la rive gauche et une simple digue défensive ; travaux peu importants comparés à ceux de M. Dechamps, et qui peuvent s’exécuter au moyen d'une partie de la valeur à provenir de la réalisation des terrains militaires, le surplus devant servir aux autres travaux qu'entraîne la démolition de la citadelle du Sud et des autres établissements militaires. Voilà la différence. Vous voyez, messieurs, combien elle est considérable. L'une a été et devait être repoussée ; l'autre peut-être admise sans difficulté. Qu'importe au pays qu'il y ait, en nature de fortifications, certains terrains dans telles conditions plutôt que dans telles autres ?
Et, ainsi que je viens de le rappeler, en 1864, j'avais déclaré de la (page 411) manière la plus expresse qu'une combinaison qui consisterait uniquement à transformer les terrains de fortifications en autres terrains de fortifications, se comprenait parfaitement.
L'honorable M. Delaet s'est imaginé, je ne sais vraiment pourquoi ni comment, que c'était une solution militaire que je venais proposer. J’ai dit précisément le contraire.
Dans les explications que j'ai données à la Chambre, j'ai dit textuellement que le moment était venu de faire droit à ce qu'il pouvait y avoir de légitime dans les réclamations qui ont été formulées au nom de la ville d'Anvers, et que c'est pour cet objet et en exécution d'une promesse faite par moi depuis longtemps, que je venais soumettre ce plan aux délibérations de la Chambre. Que la question militaire trouve satisfaction à cette solution, par voie de conséquence, cela est évident ; mais que ce soit le mobile qui m'inspire, que ce soit le motif déterminant pour lequel je viens soumettre cette combinaison à la Chambre, c'est là une erreur profonde.
Je n'ai pas eu bien souvent l'occasion de m'expliquer sur des questions militaires ; j'ai fort peu de prétention en cette matière ; je ne crois pas, comme je le disais tantôt, que je me sois jamais prononcé sur la question des fortifications de la rive gauche ; je ne le crois pas ; mais je dois dire que, dans les longs débats auxquels cette question a donné lieu, mon impression a été, c'est une opinion qui n'a pas grande valeur sans doute ; je n'ai aucune prétention dans l'art des fortifications ; mais mon impression a été que ces travaux, au point de vue militaire, ne sont pas indispensables. La défense de la place d'Anvers me paraît possible et complète, surtout dans les mains de la Belgique, par le rôle qui lui est assigné (et c'est, je pense, une considération politique qu'il ne faut pas méconnaître), sans l'exécution de nouveaux travaux de défense.
J'ai dit que cette opinion était controversée ; que certaines personnes ne partageaient pas cette opinion, que défendait l'honorable général Chazal ; mais, sans me prononcer sur ce point, qui était parfaitement indifférent à la thèse que j'ai défendue, je me suis borné à dire que la combinaison que je venais indiquer aujourd'hui au parlement et au pays, pouvait s'appeler une solution civile de la question d'Anvers. Abstraction faite de toute autre considération, nous avons été amenés à vous proposer cette solution, messieurs, parce qu'il y a là un état de fait qui s'impose à tout le monde ; parce que la situation des terrains de la citadelle du Sud est telle, qu'il est impossible que, dans un temps donné, à une heure quelconque, ces terrains ne soient pas nécessaires au commerce d'Anvers ; il est impossible que des établissements maritimes ne viennent pas s'y élever d'ici à quelques années.
Et, en effet, messieurs, il y a là cent hectares de terrains dans la situation la plus éminemment favorable à la création d'établissements maritimes et commerciaux.
Ces cent hectares longent, sur près de deux kilomètres, une des rives de l'Escaut. A mesure que le port d'Anvers se développe et grandit, comme nous le voyons aujourd'hui, ces terrains deviennent de plus en plus indispensables à la ville. Et déjà les autorités qui représentent le commerce de cette cité se sont adressées au gouvernement sur le premier bruit de l'aliénation possible de la citadelle du Sud, pour lui signaler l'utilité qu'il y aurait pour le commerce à pouvoir disposer des terrains que cette aliénation laisserait disponibles.
Voici ce qu'écrivait, à ce sujet, au gouvernement, le 15 février 1865, la chambre de commerce d'Anvers :
« La chambre de commerce a appris que des négociations sérieuses sont entamées avec le gouvernement pour la cession de la citadelle du Sud et de ses dépendances, dans le but de transformer tout ce quartier par de grands établissements maritimes et d'autres travaux d'utilité publique.
« La réalisation de ce projet présente un intérêt considérable pour la ville d'Anvers et pour son avenir commercial.
« la Chambre manquerait dès lors à sa mission si, en présence d'une semblable éventualité, elle ne venait engager le gouvernement à donner suite aux vues sages et bienveillantes qui lui sont prêtées.
« Dans ces derniers temps, nous sommes heureux de le reconnaître, le gouvernement a beaucoup fait pour le port d'Anvers et pour les intérêts matériels du pays. Il a affranchi l'Escaut, il a supprimé le droit de tonnage et réduit les frais du pilotage ; il a rendu libre la nationalisation des navires étrangers ; il a simplifié les formalités et aboli beaucoup d'entraves.
« Lorsque toutes ces mesures auront produit leur plein effet, le commerce d'Anvers, tout porte à le croire, prendra un essor considérable, si la facilité du port et sa complète installation viennent le seconder.
« Nous pouvons dire que, dès aujourd'hui, ces mesures commencent à porter leurs fruits. Le mouvement maritime de l'année 1864 a été remarquable.
« A diverses reprises, nous avons vu les bassins encombrés, et le défaut d'espace s'est fait sentir partout. De nouvelles lignes de navigation à vapeur se sont formées ; les quais et les embarcadères ne suffisent plus pour les abriter.
« La cession de la citadelle du Sud et de l'arsenal militaire, en donnant à la ville la possibilité de s'étendre le long de l'Escaut et de créer des établissements spéciaux, rendrait donc au commerce un service immense, et viendrait puissamment en aide au développement maritime, en lui procurant des facilités nouvelles.
« Nous espérons donc que le gouvernement donnera suite à ces projets de cession et qu'ils pourront promptement aboutir à une heureuse solution. »
Voilà, messieurs, quels sont, en réalité, les intérêts auxquels il importe de donner satisfaction, dès que cette réalisation des terrains de la citadelle du Sud pourra avoir lieu. et qu'ensuite, par le résultat même de cette mesure, les opinions qui sont favorables à la fortification de la rive gauche de l'Escaut, comme offrant un intérêt militaire de premier ordre, que cet intérêt-là soit aussi satisfait, qui donc s'en plaindra ?
On a dit, messieurs : Mais pourquoi venez-vous n'apporter qu'aujourd'hui cette solution ? Pourquoi ne l'avez-vous pas fait plus tôt ?
Messieurs, une raison politique suprême nous a déterminés dans cette affaire. Nous avons cru que dans un petit pays comme le nôtre, où l'on compte proportionnellement un nombre plus considérable de grandes villes, de grands centres de population, que dans aucun autre pays, il importait beaucoup de donner la preuve que ce ne seraient pas des démonstrations menaçantes, violentes, émanant de l'un ou de l'autre de ces centres, quelle que fût son importance, qui parviendraient à faire courber les pouvoirs publics et à dominer l'intérêt général du pays.
Eh bien, j'ose affirmer que nous avons contribué à rendre un immense service au pays en gardant, tant que cela a été nécessaire, l'attitude que nous avons prise tout d'abord dans ces conjonctures.
Et nous n'avons pas, sur cette question, été abandonnés à toutes les époques par les honorables membres de la droite. Lorsque les circonstances étaient graves, et que la question politique n'avait pas encore prévalu, nous avons trouvé ici, sur les bancs de la droite, un appui énergique. Un assez grand nombre de membres de ce côté de la Chambre se sont joints à nous.
Lorsque la Chambre a eu à se prononcer sur la proposition faite par les députés d'Anvers, de nommer une commission pour examiner les griefs formulés au nom rde cette ville, elle a repoussé cette proposition par 54 voix contre 20 et 6 abstentions. Dix membres de la droite ont alors voté avec le gouvernement : c'étaient, entre autres, MM. Royer de Behr, Van Overloop, De Decker, de Naeyer ; les six membres qui se sont abstenus appartenaient également à la droite ; ils n'ont pas voulu à cette époque se prononcer contre nous ; parmi ces derniers, je citerai notamment l'honorable M. Nothomb. L'honorable M, de Theux n'était pas présent.
Mais, à côté de cette raison politique de premier ordre que je viens d'indiquer, il y avait des raisons financières dont la haute importance ne saurait également être méconnue. La question des dix millions a joué un très grand et malheureux rôle dans cette affaire. Les suggestions n'ont pas manqué pour nous faire entendre que le payement de cette créance due à l'Etat ne devait pas se faire sans quelques compensations. J'ai persisté à soutenir que les intérêts de l'Etat ne devaient pas être sacrifiés en cette circonstance.
La question est restée ouverte pendant un certain temps, elle a été léguée, avec recommandation spéciale, par l'ancienne administration communale à celle qui lui a succédé, à la suite des agitations d'Anvers ; cette nouvelle administration avait, en effet, la prétention d'obtenir les terrains des anciennes fortifications et de ne pas payer cette somme de dix millions qui en était le prix ; elle a soutenu qu'en toute hypothèse elle avait droit à des dédommagements.
En exécution de mon devoir, j'ai fait eu sorte de conserver cette créance à l'Etat ; j'ai trouvé une combinaison par laquelle j'ai obligé la ville d'Anvers à me demander de lui remettre les terrains contre le payement des 10 millions qu'elle devait au Trésor public.
(page 412) Aussi longtemps que cette question n'était pas vidée, il était impossible de traiter celle qui nous occupe aujourd'hui.
Or, messieurs, le jour ou ce litige a été réglé, ce jour-là, la négociation sur une autre opération était possible ; ce jour-là, le projet relatif à la citadelle du Sud a été possible : et ce jour-là, en effet, des ouvertures ont été faites pour l'acquisition des terrains de cette citadelle
Eu stipulant pour les terrains de l'ancienne enceinte, j'avais, dans l'intérêt de la ville d'Anvers, et traitant cette affaire en présence d'adversaires politiques avec le même zèle, avec la même impartialité que s'il s'était agi de mes amis ; j'avais, dis-je, fait connaître à l'acheteur solvable avec lequel je contractais, qui avait versé dans les caisses de l'Etat un million de cautionnement, que je réservais l'option à la ville d'Anvers.
Et les intermédiaires qui avaient été mêlés à cette affaire se sont bientôt rejetés sur les terrains de la citadelle du Sud ; ils ont demandé au gouvernement de leur vendre ces terrains.
Ils avaient l'espérance de porter ces terrains dans la société qu'on voulait constituer pour réaliser la vente des terrains des anciennes fortifications. Nous nous sommes dit : « Examinons. » Et, pour ma part, j'étais d'autant plus désireux d'examiner, que c'était enfin pour moi une occasion de savoir quelque chose de ces travaux sur la rive gauche de l'Escaut, dont j'avais entendu beaucoup parler, mais dont je ne connaissais rien personnellement.
La personne qui se présentait dans ces conditions me disait : « Je connais l'estimation qui a été faite de ces terrains par le département de la guerre ; le département de la guerre les a évalués à dix-huit millions de francs ; mes amis et moi, nous ne sommes pas disposés à prendre cette somme en considération ; mais si vous voulez faire opérer une évaluation pour établir la véritable valeur vénale de cette propriété, nous pourrons probablement traiter. »
Je consentis à faire faire cette évaluation par les agents du domaine, qui la fixèrent à une somme équivalente à celle qui avait été indiquée par le département de la guerre. Or, on avait déclaré que cette somme ne pouvait être prise en considération. »
D'autre part, il me semblait impossible, à cette époque, que l'honorable général Chazal, dont l'opinion était formelle sur l'inutilité de fortifier la rive gauche, se fit le défenseur de ces mêmes travaux au point de vue militaire.
Il était encore fort incertain de savoir alors si les passions étaient assez apaisées, les désillusions assez complètes, pour que l'on put sans danger rouvrir des discussions qui ont toujours si vivement excité les esprits.
En outre, je disais que si l'on cédait les terrains de la citadelle du Sud, au moment où la négociation venait de s'accomplir avec la ville d'Anvers pour la reprise des anciens remparts, celle-ci considérerait cet acte comme étant de nature à nuire considérablement à ses intérêts.
N'est-il pas sensible, en effet, que si, à cette époque, on avait consenti à céder les terrains de la citadelle du Sud, à supposer qu'un acheteur se fût présenté, n'est-il pas évident que l'on aurait déprécié l'opération dont se chargeait la ville d'Anvers ?
Eh bien, de ces diverses considérations est résultée pour nous la certitude qu'il fallait au préalable ne pas causer de dommages à la ville d'Anvers, qu'il fallait attendre qu'elle eût réalisé l'opération qu'elle avait alors en vue. Et quand a-t-elle réalisé cette opération ? Mais l'acte de la cession qu'elle a faite des terrains qu'elle avait acquis du gouvernement, est à la date du 3 janvier 1866.
Il y a plus : lorsque la ville d'Anvers reprit les terrains des fortifications, elle nous demanda que, dans l'hypothèse de l'aliénation de la citadelle du Sud, qu'elle savait bien devoir arriver quelque jour, on lui donnât la préférence. Je ne crus pas pouvoir donner à ce sujet une garantie formelle en faveur de la ville ; mais la ville, en stipulant avec ses cessionnaires, a inséré la clause suivante dans l'acte du 3 janvier 1866 :
« Art. 8. La ville d'Anvers cède et transfère à la société tout droit de préférence qui pourrait lui être offert par le gouvernement, d'ici à douze années, pour l'acquisition des terrains et constructions provenant de l'arsenal, rue du Couvent, et de la citadelle du Sud et de ses dépendances.
« Art. 9. Dans le cas où la société se rendrait acquéreur de ces terrains, elle s'entendra avec la ville pour leur appropriation, et le plan dressé de commun accord, devra être soumis au conseil communal et aux autorités compétentes. »
N'y a-t-il pas là, messieurs, plus de raisons qu'il n'en faut pour expliquer, à part toutes autres considérations, que les propositions ne pouvaient pas être soumises plus tôt qu'elles ne l'ont été, aux délibérations de la Chambre ? Reste une dernière question.
Les honorables représentants d'Anvers se sont déclarés, sauf l'exécution, à peu près satisfaits de ce qui a été indiqué par le gouvernement, projet qui a un caractère incontestablement pratique, visiblement réalisable et qui se réalisera d'autant plus facilement que la ville voudra probablement s'y prêter.
Un seul point est resté litigieux entre nous : l'indemnité pour les servitudes.
Je m'étonne que les honorables membres soulèvent aujourd'hui cette question ; ils y ont renoncé dans les mains de l'honorable M. Dechamps.
M. Delaetµ. - Du tout.
MfFOµ. - Du tout, dit l'honorable M. Delaet. Mais lorsque je lui en fis l'observation en 1864, il ne me répondit pas : « Du tout ! », il me répondit : « Question générale ! » C'est-à-dire que vous aviez compris cette question dans la question générale des indemnités à régler pour les servitudes d'utilité publique. Vous avez noyé la question spéciale d'Anvers dans cette grande question générale.
J'ai sommé, à cette époque, l'honorable M. Dechamps de s'expliquer ; j'ai sommé également les députés d'Anvers de s'expliquer, et il est résulté, à toute évidence, de la discussion qui s'est établie, qu'il ne s'agissait plus du tout d'une solution à donner spécialement à la question des servitudes militaires.
Au surplus, les honorables membres l'agiteront quand ils le voudront, soit comme question générale à laquelle ils s'étaient ralliés, soit comme question spéciale ; Je les avertis seulement d'une chose. Un temps assez long s'est écoulé depuis que le nouveau rayon des servitudes a été établi. C'est depuis 1859 que ce nouveau rayon existe. Il nous a été possible, par conséquent, de faire une petite vérification qui a bien son prix, et qui montre ce que vaudrait le principe de l'indemnité pour dommages résultant de l’établissement de servitudes d'utilité publique, au moins dans la généralité de ses termes.
J'ai fait relever tous les actes de mutation, soit par ventes publiques ou amiables, soit de partage ou de déclaration de succession, qui ont en lieu dans le rayon des servitudes nouvelles de 1850 à 1859, ainsi que pour la période de 1860 à 1867. J'ai pu ainsi faire comparer la valeur de ces mêmes propriétés aux deux époques ; c'est-à-dire leur valeur avant qu'elles fussent englobées dans le nouveau rayon des servitudes, et leur valeur depuis qu'elles sont comprises dans ce rayon.
Eh bien, cette comparaison, par malheur pour les prétentions que l'on a soulevées et appuyées avec tant de vivacité, a démontré que la différence de l'une et de l'autre époque n'est guère que de 47 p. c. ... en plus naturellement. (Interruption.) De telle sorte que si le trésor avait distribué des indemnités pour l'établissement de la servitude, il aurait doublement enrichi les propriétaires des terrains grevés de ces servitudes. (Interruption.)
Ce sera, pour l'appréciation du principe général, un petit fait dont il y aura lieu de tenir compte.
Je pense, messieurs, avoir maintenant rencontré toutes les objections qui ont été présentées par les honorables membres. Je crois avoir établi d'une maniéré péremptoire que la proposition que j'ai eu l’honneur d'indiquer à la Chambre en ce qui concerne Anvers, et qui est faite dans un intérêt civil, que je présente comme une solution civile, diffère essentiellement de la proposition de l'honorable M. Dechamps, qui l'avait lui-même empruntée à des publications faites dès 1863. Elle en diffère en ce que cette dernière n'était pas pratiqué, exigeait des dépenses considérables, et que la mienne, au contraire, est éminemment pratique et peut être réalisée, je l'espère, dans les conditions très favorables qui ont été indiquées.
J'ai pensé qu'il n'était pas sans intérêt pour les honorables membres de la Chambre qui se sont occupés de cette question d'Anvers, pour les honorables membres de la majorité qui ont appuyé le gouvernement en cette matière, d'acquérir la conviction qu'il s'agit exclusivement de transformer des terrains qui sont de nature de fortifications en autres fortifications, sans qu'il puisse en résulter de préjudice pour le trésor de l'Etat.
- Plusieurs membres. - Très bien ! très bien !
(page 406) M. le président. - La parole est à M. Coomans.
- Des membres. - À demain !
M. Coomans. - Je suis aux ordres de la Chambre.
- Des membres. - Non ! non ! A demain.
M. le président. - Si la Chambre n'y fait pas opposition, nous aurons, comme premier objet à l'ordre du jour de demain, un feuilleton de pétitions.
- La séance est levée à 4 heures trois quarts.