(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1867-1868)
(Présidence de M. Dolezµ.)
(page 392) M. de Moor, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Snoy donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Moorµ présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Par quatre pétitions, des habitants de Gand prient la Chambre de rejeter le projet de loi d'organisation militaire, de modifier les propositions relatives au tirage au sort et au remplacement militaire, de décréter un allégement considérable des charges militaires. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des projets de loi militaires, et renvoi à la section centrale pour le projet de loi sur la milice.
« Des habitants de Montigny-sur-Sambre protestent contre les propositions de la commission militaire concernant l'augmentation du contingent de l'armée et le système d'exonération, et demandent que le gouvernement soit invité à présenter un projet de loi qui abolisse le tirage au sort pour la milice et les armées permanentes. »
- Même décision.
« Des habitants de Marienbourg prient la Chambre de rejeter les projets de loi relatifs à l'organisation militaire et à la milice, d'abolir le tirage au sort, de réduire à 25 millions le budget de la guerre pour 1868, y compris les dépenses militaires et de stipuler que ces dépenses seront graduellement réduites dans l'avenir jusque dans la proportion d'au moins moitié. »
- Même décision.
« Des habitants d'Ophain-Bois-Seigneur-Isaac prient la Chambre de rejeter le projet de loi sur l'organisation militaire. »
« Même demande d'habitants de Genoels-EIderen, Tongres et Meylegem. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi militaire.
« Par deux pétitions, des habitants et des propriétaires à Moresnet prient la Chambre de rejeter le projet de réorganisation militaire. »
« Même demande d'habitants de Pousset et de Saint-Remy. »
- Même décision.
« La chambre de discipline des huissiers de l'arrondissement de Tongres présente des observations concernant le projet de loi sur les protêts. »
- Renvoi à la commission chargée d'examiner le projet de loi.
« Le conseil communal de Braives demande la suppression des barrières sur la route de Huy à Tirlemont. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, onze demandes de naturalisation ordinaire. »
- Renvoi à la commission des naturalisations.
« M. Mascart, qui continue d'être indisposé, demande un nouveau congé. »
- Accordé.
M. d’Hane-Steenhuyseµ. - Messieurs, depuis 1863, nous disait hier M. le ministre des finances, on n'a plus entendu parler des réclamations anversoises ; le calme s'est fait à Anvers ; il n'y a plus de pression, il n'y a plus de surexcitation, et c'est aux gens raisonnables de la ville d'Anvers que le ministère croit devoir donner quelque satisfaction.
L'honorable ministre des finances se trompe. Si, depuis 1863, les Anversois ne sont plus revenus sur leurs réclamations, et cela n'est pas exact car si mes souvenirs ne me trompent pas, nous avons reproduit plusieurs fois ces réclamations dans cette enceinte ; si, depuis cette époque, il y a eu un certain calme, un certain répit, c'est que nous savions parfaitement bien que nous avions raison et que tôt ou tard cette question serait reproduite à la Chambre par la force même des choses.
C'est ce qui est arrivé, messieurs. Plusieurs journaux nous avaient annoncé, il y a quelques jours, que, lors de la rentrée de la Chambre, M. le ministre de la guerre ferait une déclaration au sujet de travaux à exécuter sur la rive gauche de l'Escaut. Au lieu de M. le ministre de la guerre, c'est l'honorable chef du cabinet qui a fait cette déclaration ; mais il n'en reste pas moins établi que la question a été reproduite aujourd'hui par le ministère lui-même.
L'honorable M. Frère a parlé, dans son discours, d'un plan que j'avais développé en 1863 dans cette enceinte, relativement à des fortifications à élever sur la rive gauche. Voici ce que je disais à cette époque au sujet de ce plan :
« Chacun sait que la place d'Anvers est ouverte le long de l'Escaut et que pour la protéger de ce côté, le projet en cours d'exécution compte sur une zone d'inondations dans le polder de Borgerweert. Le Blokkendyck qui sert de limite à cette inondation se trouve à 4,000 mètres environ de la maison Hanséatique, centre des établissements maritimes d'Anvers. D'un autre côté l'inondation de la rive droite destinée à couvrir les fronts au nord de la place, laisse à découvert les terrains environnants de Merxem, de telle sorte que sur ce point, l'ennemi pourrait établir des batteries incendiaires à la distance de 2,000 mètres des nouveaux bassins et de 2,400 mètres de la maison Hanséatique.
« Il est donc évident que la ville d'Anvers n'est pas à l'abri d'un bombardement et que pour donner, sous ce rapport, toutes les garanties nécessaires à la population, il faudrait établir des travaux de défense éloignés sur la rive gauche de l'Escaut et en avant de Merxem.
« Nous savons que le génie militaire, peu de temps après le vote de la loi de 1859, s'est préoccupé de cet état de choses et qu'une commission nommée au département de la guerre en 1861 a préparé un travail, à la suite duquel le génie a fait lever les terrains pour plusieurs forts nouveaux à établir sur la rive gauche et pour le fort à construire en avant de Merxem. Nous savons aussi qu'il est résulté de ces études la conception d'un projet d'ensemble dont il a été fait mention dans la presse et au conseil communal d'Anvers.
« L'existence de ce projet prouve que la question de la défense d'Anvers n'est pas complètement résolue, et qu'elle est bien loin d'être terminée, comme l'a affirmé M. le ministre des finances.
« Nous croyons que ce projet, élaboré en 1861, ouvre la voie à la solution de toutes les difficultés qui divisent le gouvernement et la ville d'Anvers.
« En effet, les forts nouveaux que comporte ce projet mettraient la ville d'Anvers à l'abri d'un bombardement, et, en continuant l'enceinte sur la rive gauche, on constituerait un réduit défensif qui rendrait sans objet les citadelles créées dans le but d'assurer un point d'appui et un refuge à la garnison de l'enceinte votée en 1859. Ces citadelles, objet de tant et de si légitimes craintes, pourraient donc disparaître.
« Il y a plus, dans le système actuel, le commandant de la place d'Anvers doit tendre les inondations, tant sur la rive droite que sur la rive gauche du fleuve, aussitôt que le pays est envahi par l'ennemi.
« Ces inondations, désastreuses au point de vue civil, ne sont pas sans avoir de grands inconvénients au point de vue militaire. Le projet nouveau obvierait à cet inconvénient en permettant de ne tendre l'inondation sur la rive droite qu'après la prise du fort de Merxem, et sur la rive gauche, qu'après la reddition des défenses du camp retranché.
« Nous sommes convaincus que cette solution si désirable pour la sécurité de notre métropole commerciale serait accueillie avec une plus grande satisfaction encore par ceux qui se placent exclusivement sur le terrain plus spécial de la défense nationale.
(page 393) « Tous les militaires affirment que, loin d'affaiblir la place, ces travaux forment le complément indispensable des moyens de défense déjà en voie d'exécution.
« Nous demandons à M. le ministre de la guerre s'il n'approuverait point l'exécution d'un pareil projet ?
« Nous lui adressons cette question non pas seulement du point de vue des intérêts d'Anvers, mais aussi, et bien plus encore, de celui de la défense du pays.
« Quelles que soient les passions de parti qui s'agitent autour de la question d'Anvers, nous comptons sur la loyauté militaire de M. le ministre de la guerre, et sur son dévouement au pays et à la dynastie, et nous sommes persuadés que lui, du moins, comprendra que les grands intérêts nationaux et permanents doivent prévaloir sur les intérêts et les préoccupations de parti. »
A ces demandes, l'honorable général Chazal répondait :
« On a dit sur tous les tons à Anvers, et l'on vient de répéter ici, qu'il existe au département de la guerre un plan de nature à concilier les intérêts de la ville et ceux de la défense nationale. On a publié à Anvers que des communications avaient été faites et qu'on s'était mis d'accord sur cette question, et malgré un démenti du Moniteur, on a continué de maintenir cette assertion. Je déclare qu'aucune communication de nouveaux plans n'a été faite par le département de la guerre à la ville d'Anvers et que je ne reconnais comme plan du gouvernement, comme plan du département de la guerre que celui qui a été présenté en 1859.
« Ce plan est celui que vous avez voté après le plus mûr examen, après les plus longues discussions ; il émanait d'une grande commission, composée de toutes les sommités militaires de l'armée, commission dans laquelle figuraient tous les officiers qui s'étaient occupés de la question de la défense du pays, de tous les officiers qui honorent l'armée par leurs lumières, leurs travaux et leurs écrits ; ce plan, messieurs, qui a été accueilli à Anvers à cette époque par d'unanimes acclamations, est en voie d'exécution depuis 1859 et est heureusement sur le point d'être réalisé.
« Ce plan est le seul que je reconnaisse.
« Est-ce à dire, après cela, qu'il n'existe pas d'autres plans au département de la guerre. Je répondrai à cet égard ce que vous savez tous, ce que personne n'ignore, c'est qu'il existe au département de la guerre une multitude de plans, datant de toutes les époques, et qu'il s'en produit tous les jours de nouveaux, en vue de combinaisons et d'éventualités qui peuvent ne pas se réaliser, mais qu'il nous appartient d'étudier et de prévoir.
« On a voulu faire sans doute allusion à une commission que j'ai nommée en 1861 pour l'examen d'une question spéciale. Eh bien, messieurs, je vais m'expliquer bien franchement sur ce point.
« La rive gauche de l'Escaut se défend par des inondations ; l'idée m'était venue que peut-être on pourrait éviter de tendre ces inondations ; la, commission chargée d'examiner cette question a émis l'avis qu'on pourrait en effet se soustraire à cette nécessité, en construisant trois forts nouveaux, sur la rive gauche. Je demanderai à mon interlocuteur si c'est pour la construction de ces trois forts que la ville d'Anvers veut nous prêter son concours pécuniaire ? Quant à la démolition des deux citadelles qui existent sur la rive droite, il n'en a jamais été question, dans le travail de cette commission, ni dans les conseils du gouvernement.
« Des commissions spéciales ont reconnu que la grande enceinte doit être appuyée à des citadelles, et n'on n'aurait jamais cédé les anciennes fortifications à la ville d'Anvers, si l'on n'avait remplacé ce réduit naturel de la position, par la nouvelle citadelle du Nord.
« Telle est, messieurs, la déclaration que j'avais à faire ; je pense qu'elle suffit pour le moment, mais si l'on insistait, je donnerais d'autres explications. »
Ainsi donc, messieurs, en 1863 l'honorable général Chazal, ministre de la guerre, soutenu par son collègue des finances, déclarait que la situation militaire d'Anvers était complète, qu'il n'y avait plus rien à y faire et que les réclamations d'Anvers ne pouvaient aboutir. Et pour consacrer ce que déclaraient ces deux honorables ministres, il y eut un ordre du jour proposé par notre président actuel, l'honorable M. Dolez, en son nom et au nom des honorables MM. de Brouckere et Orts. Cet ordre du jour était ainsi conçu :
« La Chambre, considérant que la législature a définitivement arrêté les mesures qu'elle a jugées nécessaires dans l'intérêt de la défense nationale en faisant en même temps d'immenses sacrifices pour réaliser les vœux manifestés par la ville d'Anvers, en vue de son développement et de sa sécurité ;
« Considérant que des changements au système décrété en 1859 entraîneraient nécessairement pour le pays des charges nouvelles ;
« Passe à l'ordre du jour. »
« Déjà, à différentes reprises, la Chambre a eu à se prononcer sur les réclamations anversoises, mais jamais elle n'a été à même de le faire d'une manière plus décisive qu'après les débats auxquels vous venez d'assister. Vous avez entendu développer les motifs du mouvement anversois par ses principaux orateurs. Le gouvernement a combattu le fondement et la légitimité de ses motifs.
« Vous êtes donc en position de vous prononcer en connaissance de cause sur le mérite des réclamations qui vous sont soumises, et le pays est mis à même de contrôler votre jugement.
« Quant à nous, persistant dans l'opinion que nous avons émise dans des circonstances antérieures, c'est avec une conviction profonde que nous croyons pouvoir demander à la justice et à la sagesse de la Chambre de voter l'ordre du jour motivé dont je viens de vous donner lecture.
« Il vous est facile d'en saisir la véritable portée. D'une part, il rappelle le caractère définitif de ce qu'a fait la législature pour la défense du pays et pour la sécurité et pour l'agrandissement d'Anvers. D'autre part, il prend acte des conséquences qu'auraient pour le trésor les nouveaux vœux produits au nom d'Anvers, non pas d'après le discours de M. Nothomb, dont la portée était peu saisissable, mais d'après ceux des députés d'Anvers, surtout de ceux que vous avez entendus dans cette séance.
« En effet, M. Hayez a proclamé que, pour faire droit aux réclamations d'Anvers, il faut faire disparaître la citadelle du Nord et la remplacer par un prolongement de l'enceinte sur la rive gauche de l'Escaut, et qu'à cette fin des dépenses importantes devaient être de nouveau imposées au pays.
« Si avec conviction et bonheur j'ai voté les dépenses antérieurement réclamées dans l'intérêt de la défense du pays, et si le pays a accepté ces dépenses avec patriotisme, je protesterais et le pays protesterait contre la proposition de dépenses nouvelles en vue de travaux à faire à Anvers. »
Cet ordre du jour, messieurs, fut voté par une assez forte majorité, et il fut bien décidé dès lors que la question d'Anvers ne pouvait pas être résolue tant que nous resterions dans les conditions qui nous divisent depuis six ans. Aujourd'hui, cependant, je ne saurais assez le répéter, le ministère lui-même, rendant hommage aux appréciations du génie militaire, qui déclare que notre système de défense est incomplet ; le ministère rendant hommage à ces appréciations d'hommes compétents, déclare aujourd'hui qu'il n'est pas opposé à élever des fortifications sur la rive gauche.
A l'époque, messieurs, où nous demandons la démolition des citadelles, la citadelle du Sud, d après les déclarations que l'on faisait alors était tout aussi nécessaire à la défense que la citadelle du Nord, tandis qu'aujourd'hui, d'après la nouvelle déclaration faite hier par le ministère, cette citadelle peut disparaître. Quant à la citadelle du Nord, le danger signalé subsiste toujours, et la ville d'Anvers, en demandant sa démolition, ne fait que réclamer légalement et justement la sécurité qui lui a été si souvent promise, mais qui ne lui a pas été donnée.
Messieurs, je vous dirai franchement que je ne crois pas que la déclaration faite hier par le ministère, soit due au calme qui règne à Anvers, ni qu'elle ait été faite pour les beaux yeux de la ville d'Anvers. Il l'a faite parce qu'il était obligé de la faire, parce que la défense l'exigeait, et lorsque l'honorable ministre des finances se déclare assez satisfait aujourd'hui de l'attitude calme qu'a la ville d'Anvers, pour examiner ses réclamations, je suis fondé à lui demander s'il a agi en ministre sage, en homme d'Etat prudent. Je suis en droit de lui demander s'il n'y avait pas un grand danger à laisser le système des fortifications d'Anvers incomplet depuis 1862, au milieu des événements qui ont eu lieu depuis cette époque ou qui peuvent surgir encore ?
Il est évident que ce système de fortifications, au point de vue de l'honorable général Chazal, devait être complet et devait offrir toutes les garanties possibles.
L'honorable ministre des finances est revenu hier sur un point que je veux toucher un moment, et qu'a traité hier déjà l'honorable M. Jacobs, c'est de l'anarchie qui, selon l'honorable M. Frère, a régné à Anvers que je veux parler.
Deux mots seulement à ce sujet, messieurs. Je prie l'honorable ministre des finances, je prie le ministère tout entier de vouloir indiquer (page 394) des faits ; je le prie de vouloir déclarer dans cette Chambre quand l’ordre a été troublé à Anvers. Jamais, messieurs, aucune autorité n'a eu à s'occuper de la question d'Anvers quant au mouvement en lui-même, ni le gouverneur, ni le bourgmestre, ni le procureur du roi, ni aucun de ceux qui sont préposés au maintien de l'ordre public.
Que ce mouvement ait été passionné, je le veux bien, mais les populations ont toujours fait entendre et parvenir leurs réclamations, sans le moindre désordre et par les seules voies légales.
Qu'il me soit permis maintenant, messieurs, de rectifier les assertions émises hier par l'un de nos collègues, l'honorable M. Coomans, et de déclarer encore une fois que le mouvement anversois a eu, depuis le commencement, son programme et que ce programme est toujours resté le même.
Ce programme, chacun de nous l'a dit cent fois, se résume en ceci : indemnités pour les servitudes, démolition des deux citadelles.
Et afin que cette assertion ne soit pas révoquée en doute, je me permettrai de donner lecture de quelques lignes seulement qui en prouveront l'entière exactitude.
En 1862, dans un meeting tenu à Anvers, plusieurs orateurs étrangers vinrent prendre la parole et soutenir, avec conviction, qu'Anvers avait tort de ne pas demander la démolition de toutes les fortifications.
A la fin du meeting, messieurs, en ma qualité de président, je remerciai les orateurs qui étaient venus nous prêter leur concours, tout en demandant à faire la réserve suivante :
« Mais il est un point sur lequel j'appellerai un instant votre attention.
« La commission des servitudes militaires, dont j'ai l'honneur d'être l'organe, a l'intime conviction que les Anversois ne peuvent abandonner le terrain sur lequel ils se sont placés et qu'ils doivent, en tant que population anversoise, poursuivre, avec une énergique persistance, le but qu'ils veulent atteindre, et qui doit se résumer dans les deux points suivants :
« Indemnités pour les servitudes ;
« Démolition des citadelles. »
Voilà, messieurs, ce que j'ai dit à Anvers, très officiellement et ainsi que cela a été rapporté par tous les journaux.
il n'est donc pas exact, comme l'a dit hier l'honorable M. Frère, que les Anversois ont demandé des choses impossibles, qu'ils ont poussé l'exagération jusqu'à ses dernières limites et poursuivi la démolition de toutes les fortifications. Je crois avoir démontré par une pièce officielle qu'il n'en est rien.
Je ne veux cependant pas dire que je ne reconnaisse pas avec plaisir que le gouvernement est entré dans une voie nouvelle.
Certes ce n'est pas là l'entier accomplissement des vœux des Anversois, ce n'est pas là l'exécution complète du programme anversois ; mais, je le déclare franchement, je crois le ministère en bonne voie. L'honorable ministre des finances disait hier que maintenant qu'il donnait satisfaction aux Anversois, il s'attendait à trouver en nous les appuis les plus solides du gouvernement.
L'honorable M. Frère doit reconnaître qu'il n'a pas accordé complètement ce que les Anversois demandent. Dans le programme se trouve entre autres la question des indemnités.
MfFOµ. - Question générale.
M. Jacobsµ. - Question spéciale.
M. d’Hane-Steenhuyseµ. - La députation anversoise a déposé un projet de loi à ce sujet.
La section centrale attend encore les renseignements qui ont été demandés au gouvernement. Je ne doute pas que le gouvernement n'accueille les réclamations des campagnes anversoises ; il est en bon chemin : il n'a qu'à continuer ainsi et nous pourrons arriver à un résultat désiré par tout le monde.
Le ministère a fait un pas en avant, et il nous demande notre concours ; eh bien, qu'il embrasse toute la question anversoise, c'est le seul terrain sur lequel on puisse discuter efficacement, avec égalité, avec loyauté et c'est le seul terrain aussi qui convienne aux citoyens d'un pays libre.
M. de Brouckere. - Messieurs, un changement de ministres est toujours un événement grave, que le changement soit complet ou qu'il ne soit que partiel, parce qu'il est de nature à modifier la politique intérieure et extérieure suivie jusqu'alors, la direction imprimée aux affaires générales.
Ce n'est donc pas moi qui me plaindrai ni qui m'étonnerai de la discussion soulevée hier, à la suitoedes explications données par l'honorable ministre des finances et qui se continue aujourd'hui.
Il est, d'ailleurs dans les usages parlementaires de tous les pays que quand un changement de personnes a lieu dans le sein du ministère, l'opposition, si ce changement ne lui donne pas pleine satisfaction, l'exploite et en profite pour de montrer au pays que ce changement ne peut qu'avoir des suites fâcheuses. C'est ce qu'ont cherché à démontrer les orateurs qui ont pris la parole dans la séance d'hier.
On voudra bien me permettre à moi, qui ne suis pas dans l'opposition et qui cherche toujours à apprécier les choses avec ce calme et cet esprit de justice que j'ai continué de prendre pour guide, on me permettra à moi d'apprécier la situation actuelle et de l'expliquer comme je la comprends.
Les honorables membres de la droite ont manifesté hier des regrets, que je veux croire sincères, à l'occasion de la retraite de MM. Rogier et Vandenpeereboom. Ces regrets, je n'ai pas besoin de dire que je les partage. Personne plus moi ne reconnaît les immenses et incessants services rendus par l'honorable M. Rogier au pays depuis trente-sept ans. Personne plus que moi ne rend justice à ses éminentes qualités, et j'ajouterai que personne ne professe pour lui plus d'estime et plus d'amitié que moi.
Quant à l'honorable M. Vandenpeereboom, je me plais à déclarer hautement que, selon moi, pendant tout le temps qu'il a été à la tête du ministère de l'intérieur, il a pleinement répondu à la confiance de ses amis et à la confiance du pays.
Il y a cependant une petite différence à faire entre mes sentiments pour l'honorable M. Rogier et pour l'honorable M. Vandenpeereboom et ceux exprimés hier par d'honorables membres de la droite. C'est que mes sentiments pour ces deux honorables collègues ont toujours été les mêmes ; tandis que les orateurs qui déplorent si amèrement la retraite des honorables MM. Rogier et Vandenpeereboom, ont pendant plus de vingt ans accusé l'honorable M. Rogier de tous les écarts politiques qu'un homme placé à la tête des affaires peut commettre et que, jusque dans ces derniers temps, l'opposition prétendait qu'elle n'avait jamais eu de ministre de l'intérieur qui lui fût plus hostile que l'honorable M. Vandenpeereboom (Interruption.)
Vous vous rappelez en effet, et les honorables membres de la droite ne le nieront pas, que, pendant des années, on a soutenu ici que l'honorable M. Vandenpeereboom tronquait, faussait la loi de 1842 ; on l'a accusé d'avoir, jusqu'à un certain point, à la vérité, respecté la lettre de cette loi, mais d'en avoir falsifié l'esprit, de telle manière que cette loi, au lieu de rester une loi de conciliation, était devenue une arme libérale, antireligieuse et anticatholique aux mains de l'honorable ministre.
Quelqu'un peut-il nier que ce que je viens de rappeler soit vrai ? On a été jusqu'à dire que l'honorable M. Vandenpeereboom était un faux bonhomme. Aujourd'hui qu'il est rentré dans la retraite avec mon honorable ami, M. Rogier, l'honorable M. Vandenpeereboom, qui hier encore était un faux bonhomme, est devenu un petit saint et l'on paraît presque disposé à le canoniser. (Interruption.) Il est devenu un petit saint et je vois le moment où le parti catholique lui fera élever un monument. (Nouvelle interruption.) Et pourquoi tout cela, messieurs ? Dans un seul but : c'est évidemment pour démontrer que le ministère, tel qu'il est actuellement composé, ne mérite pas la confiance du pays au même degré que l'ancien cabinet.
Eh bien, c'est ce point que je désire examiner ; c'est le seul important. Il s'agit de voir quel est le sens, quelle est la portée, quel est le but des modifications qui ont été introduites dans la composition du cabinet.
Il résulte des explications qui nous ont été données hier par M. le ministre des finances, qu'une divergence d'opinion s'est manifestée, dans le sein du cabinet, à l'occasion des dispositions formulées par M. le ministre de l'intérieur sur les écoles d'adultes ; que l'ancien ministre de l'intérieur a maintenu ces dispositions, malgré l'opposition qu'elles rencontraient dans un certain nombre de membres du cabinet, et malgré l'opposition, si je ne me trompe, qu'elles ont rencontrée dans le sein de la section centrale chargée de l'examen du budget de l'intérieur.
Je reconnais bien volontiers que cette divergence d'opinion sur la question que je viens d'indiquer n'était pas de nature à déterminer la dislocation du cabinet, si elle avait été isolée ; mais on vous l'a dit : l'honorable M. Rogier et l'honorable M. Vandenpeereboom, pour des (page 395) motifs personnels, pour des raisons de convenance dont ils sont les seuls appréciateurs, désiraient quitter le cabinet. Ils envoyèrent donc leur démission au Roi, et les autres membres du cabinet en firent autant.
La Couronne, suivant en cela une ligne de conduite parfaitement correcte, s'adressa à l'honorable chef du cabinet et lui offrit les pouvoirs nécessaires pour constituer un nouveau ministère. L'offre fut déclinée, et l'honorable M. Rogier, après réflexion et après une nouvelle offre, persista dans son refus.
La Couronne appela alors le plus ancien membre du cabinet, qui consentit à se charger de la formation d'un nouveau ministère.
Selon les honorables membres qui ont pris la parole hier, c'est la partie modérée, sage, réfléchie, la partie la moins hostile à l'opinion catholique qui s'est retirée, et les hommes qui sont restés au pouvoir, ce sont les hommes les plus violents, les plus ardents, les plus ennemis de toute espèce de conciliation.
A quels hommes l'honorable ministre chargé de reconstituer le cabinet s'est-il adressé ?
On doit naturellement supposer qu'il a eu recours à des hommes connus comme très violents, comme très ardents et comme animés d'un esprit très peu conciliant.
Or, est-ce avec un semblable caractère que nous avons vu siéger parmi nous l'honorable M. Pirmez et l'honorable M. Jamar ? Je ne sais pas si je me trompe ; mais je dois déclarer que je crois M. Pirmez aussi modéré que M. Vandenpeereboom et je ne pense pas qu'il y ait plus d'exagération et de violence dans le caractère de M. Jamar que dans celui de M. Rogier.
Où donc est la cause de toutes les craintes qu'on manifeste pour l'avenir ?
Où donc se trouve ce changement radical dans la composition du cabinet ?
Je ne vois pas sur quoi sont fondées les terreurs que semblent éprouver quelques membres.
Vous avez reçu une déclaration parfaitement nette et parfaitement positive ; le chef du nouveau cabinet vous a déclaré hier que le ministère actuel marcherait dans la voie tracée par le cabinet auquel il a succédé ; il vous a dit que rien ne serait changé dans sa politique.
Je n'ai, moi, aucune raison quelconque de croire que ce qu'a déclare hier l'honorable M. Frère ne soit pas l'exacte vérité.
On a soulevé quelques questions ; on a dit : « Vous prétendez que votre politique sera la même que celle de l'ancien cabinet ; que comptez-vous faire relativement à la loi de 1842 ? Que comptez-vous faire relativement au projet de loi sur le temporel des cultes ?
Il est fâcheux qu'un accident retienne M. le ministre de l'intérieur chez lui ; sinon, je suis convaincu que nous eussions eu, au sujet de ses intentions quant à ces deux lois, des déclarations parfaitement nettes, parfaitement positives.
Personne, dans cette Chambre, n'ignore que l'honorable M. Pirmez ne s'est jamais déclaré partisan de l'abrogation de la loi de 1842 ; et je suis convaincu que chacun de vous a une estime trop grande pour le caractère de l'honorable M. Pirmez, pour penser que la soif du pouvoir et l'ambition du ministère lui aient tourné la tête à ce point qu'il ait abdiqué toutes ses convictions et qu'il ait modifié sa manière de voir, en ce qui concerne la loi de 1842, uniquement parce qu'il a changé de position.
L'honorable M. Pirmez, en toute chose, et je m'en porte garant, sera au banc ministériel ce qu'il a été pendant dix ou douze ans sur les bancs de la Chambre.
Mais le nouveau cabinet va t-il faire des efforts pour que la Chambre mette à l'ordre du jour la discussion du projet de loi sur le temporel des cultes ?
Messieurs, vous le savez, et l'honorable ministre des finances vous l'a rappelé hier : Le gouvernement a présenté un projet de loi sur le temporel des cultes ; ce projet a été discuté en sections ; il a été examiné en section centrale et il a fait l'objet d'un rapport qui nous a été distribué. C'est maintenant à la Chambre et à la Chambre seule qu'il appartient de décider quand elle discutera ce projet de loi.
Je vous le déclare très sincèrement : ce n'est pas moi qui pousserai à ce qu'il soit mis à l'ordre du jour. J'ai la conviction que de la discussion qui aura lieu un peu plus tôt ou un peu plus tard, il pourra surgir des dispositions dont les hommes modérés et sages pourront être satisfaits. Mais j'avoue que je suis peu pressé d'arriver à cette discussion, parce que je prévois qu'elle doit encore une fois raviver les dissentiments qui partagent le pays et y jeter une certaine irritation.
Quoi qu'il en soit, le ministère n'a pas à intervenir dans cette affaire. La Chambre prendra telle décision qu'elle voudra ; si la majorité décide que le moment est venu de discuter la loi sur le temporel des cultes, il faudra bien que la minorité accepte sa décision.
On a adressé une autre interpellation au cabinet. On lui a demandé : Etes-vous décidé, oui ou non, à accepter l'invitation qui vous a été faite d'envoyer un délégué à la conférence qui doit s'occuper de la question romaine ?
Eh bien, messieurs, selon moi, le gouvernement ferait une haute imprudence en répondant d'une manière catégorique à cette question, et je dois dire que j'ai été étonné qu'elle ait été posée par un ancien ministre des affaires étrangères.
Quelque désireux qu'on soit que la Belgique soit représentée à la conférence, si la conférence se réunit, il peut arriver des circonstances où un représentant de la Belgique serait déplacé dans le sein de cette conférence. Je souhaite que ces circonstances ne se présentent pas ; mais enfin elles ne sont pas impossibles. Comment voulez-vous dès lors que le gouvernement vous fasse dès à présent sur ce point une réponse catégorique ?
Au surplus, vous restez dans la position où vous étiez, quand vous avez posé la question à l'honorable M. Rogier. Il vous a répondu avec sa prudence et sa circonspection ordinaire.
Il ne vous a pas dit : Oui, j'enverrai un représentant à la conférence. Il n'a pas répondu : Non, je n'enverrai pas un représentant à la conférence. Il a dit que la question serait examinée et que le gouvernement ferait ce qu'il croirait convenable dans l'intérêt du pays. Vous êtes aujourd'hui, je le répète, dans la même position, et je cherche, de bonne foi, de quoi vous pouvez vous plaindre à ce sujet ? Rien n'est changé.
Messieurs, toutes les considérations que je viens de présenter étaient fort simples, n'offraient aucune difficulté. Mais je vais maintenant toucher à une question que je reconnais fort délicate. C'est la question d'Anvers.
Il est très vrai, comme on l'a dit à différentes reprises et comme on l'a dit encore aujourd'hui, que l'honorable général qui a présenté le projet de loi décrétant le système de fortifications aujourd'hui achevé, que cet honorable général a déclaré plusieurs fois qu'il n'aurait à demander et qu'il ne demanderait de fonds pour aucune fortification supplémentaire ; que les travaux dont il avait présenté l'ensemble ne laissaient aucune lacune et qu'il n'y aurait aucuns travaux complémentaires à y ajouter. C'est la vérité. Il a même dit, comme on l'a rappelé, que jamais une armée ennemie ne s'aventurerait sur la rive gauche, et que le général qui y conduirait un corps d'armée s'exposerait aux plus grands dangers. Je crois même qu'il s'est expliqué d'une manière plus positive encore.
Il est vrai que beaucoup de mes amis et moi-même nous avons pris ces déclarations au pied de la lettre. Elles étaient sincères de la part de l'honorable général ; personne ne songera à le révoquer en doute, et j'ai cru sincèrement aussi qu'il ne serait plus question d'ériger de nouveaux travaux à Anvers.
C'est ainsi, messieurs, que j'ai été amené avec mes honorables amis MM. Dolez et Orts, à présenter, il y a deux ou trois ans...
MfFOµ. - Quatre ans.
M. de Brouckere. - Quatre ans ; le temps passe si vite.
... à présenter un ordre du jour qui avait réellement pour objet de faire prononcer la question préalable sur toute motion faite par des membres de la Chambre et qui tendrait soit à faire modifier le système de fortifications décrété, soit même à soumettre ce système à un nouvel examen. C'est bien là, je pense, le sens de l'ordre du jour que l'honorable M. d'Hane rappelait tout à l'heure.
Je dois faire remarquer, messieurs, que lorsque nous avons présenté cet ordre du jour, qui a été admis à une grande majorité, les travaux n'étaient qu'en voie d'exécution ; ils étaient à peine commencés ; ils étaient donc loin d'être achevés et ne pouvaient pas être appréciés à leur juste valeur. (Interruption.) Ils ne pouvaient pas être appréciés par moi, vous voudrez bien admettre cela. (Nouvelle interruption.)
Voulez-vous me permettre de m'expliquer ? Vous verrez que ce que je dis est extrêmement simple. J'étais convaincu alors qu'il ne pouvait plus être question d'autres travaux autour d'Anvers. Les travaux aujourd'hui achevés étaient à peine en voie d'exécution ; par conséquent, ils n'avaient pu être appréciés par les hommes du métier à leur juste valeur.
Depuis lors, j'ai entendu maintes fois répéter, et tous l'avez tous (page 396) entendu répéter comme moi, que les fortifications d'Anvers laissaient quelque chose à désirer. Beaucoup d'illustrations militaires de l'étranger et un grand nombre d'officiers de notre armée, parfaitement compétents, je puis le dire, parce que, par suite de circonstances que vous connaissez, j'ai été en relations avec la plupart des officiers distingués de notre armée ; beaucoup d'illustrations militaires de l'étranger, dis-je, beaucoup d'officiers compétents de notre armée ont pensé deux choses : la première, que la citadelle du Sud ne remplirait plus, en cas de siège, le but pour lequel elle avait été érigée, qu'elle ne rendrait que des services d'un mérite très secondaire ; et secondement, que l'on ferait bien de démolir cette citadelle et d'y substituer un système de fortifications sur la rive gauche.
J'ai lieu de croire que cette opinion émise je le répète, par un grand nombre d'hommes compétents, que cette opinion a été l'objet de longues délibérations et de longues hésitations dans le sein du conseil des ministres.
En fin de compte, que nous a-t-il déclaré hier ? Il nous a déclaré, par l'organe de l'honorable ministre des finances, qu'il était disposé à négocier la vente des terrains sur lesquels se trouve la citadelle du Sud et à employer tout ou partie du produit de cette vente à la construction des travaux de défense dont il vous a expliqué la nature, sur la rive gauche de l'Escaut.
Mais le gouvernement nous a-t-il demandé immédiatement un vote sur ce projet, sur cette idée ? Eu aucune manière. Il vous a déclaré qu'il en était venu à croire que ce serait une bonne chose, mais il ne nous a pas dit : Cette opinion que j'émets est incontestablement bonne.
Il n'est pas un des honorables ministres qui ne reconnaisse sans doute que c'est une question sujette a controverse et le gouvernement n'entend pas du tout, je pense, emporter un vote de haute lutte.
Il vous a dit : C'est une idée, mais avant que cette idée puisse être, je ne dirai pas réalisable, mais même discutée, plusieurs conditions sont nécessaires, et la première de toutes, c'est de trouver des acheteurs pour les terrains. Quand une négociation aura abouti, le gouvernement devra venir demander à la Chambre la ratification de la convention qu'il aura faite ; il devra en outre venir nous soumettre un plan de fortifications sur la rive gauche et demander des fonds pour ces fortifications.
Je reste donc, moi, parfaitement calme en présence des déclarations que le gouvernement nous a faites. Je réserve mon appréciation ; je réserve mon jugement définitif. Mais faut-il vous le dire, je suis assez disposé, malgré l'ordre du jour que j'ai proposé, je suis assez disposé à me rallier au système du gouvernement, et voici mes motifs :
Premièrement, le système de défense d'Anvers sera amélioré.
Secondement, il n'en coûtera rien au trésor public.
Troisièmement, ce projet, s'il ne comble pas tous les vœux des Anversois, comme vient de vous le dire l'honorable M. d'Hane-Steenhuyse, sera, au moins, une grande satisfaction pour les habitants de notre métropole commerciale, surtout parce qu'il permettra de modifier sensiblement la citadelle du Nord et par là il fera disparaître les principaux griefs articulés par les honorables membres de la députation anversoise.
Voilà les motifs pour lesquels je me sens disposé à accepter le système du gouvernement, sans cependant prendre à cet égard aucun engagement.
Je comprends, messieurs, l'opposition qui a été faite immédiatement aux idées du gouvernement, par l'honorable M. Coomans. L'honorable M. Coomans a été parfaitement conséquent avec lui-même ; l'honorable M. Coomans a toujours prétendu que les fortifications d'Anvers étaient un luxe complètement inutile ; il a prétendu que nous avons jeté en pure perte une somme de 45 millions et je conçois que, fidèle aux opinions qu'il a toujours défendues, il vienne dire aujourd'hui : Toutes vos fortifications ne sont bonnes à rien et je m'oppose à ce que vous en érigiez de nouvelles. Ceux qui partagent l’opinion de M. Coomans doivent tenir le même langage que lui. M. Coomans veut la destruction de toutes les fortifications, il ne peut donc pas consentir à ce qu'on en élève de nouvelles et il préfère qu'on démolisse la citadelle du Sud et les autres citadelles qui peuvent exister aux quatre points cardinaux et qu'on verse au trésor le produit des terrains devenus libres par celle démolition.
Mais, je le répète, le système de M. Coomans est basé sur une opinion qui n'est pas celle de la majorité ; la majorité estime que les fortifications d'Anvers sont une chose utile pour le pays, et par conséquent la majorité ne peut pas se rallier à l'opinion de l'honorable AL Coomans.
Reste, messieurs, un dernier mot.
On a dit au gouvernement : « Vous avez résisté à la pression d'Anvers parce que vous prétendez que le gouvernement, sans se déshonorer, ne peut subir aucune pression ; mais vous n'avez pas tenu le même langage aux Gantois ; les Gantois vous ont imposé la démolition de leur citadelle, vous avez subi leur pression et vous annoncez aujourd'hui que la citadelle va être démolie ; et la preuve que les choses se sont passées ainsi, c'est que l'honorable M. d'Elhoungne, qui faisait partie de la commission mixte, a demandé que la commission se prononçât pour la démolition de la citadelle de Gand et que, sur son refus, il a donné sa démission. »
Eh bien, messieurs, les faits ne se sont pas passés comme on vous l'a dit ; les voici dans toute leur simplicité. Il y avait, dans la commission mixte, non pas un membre mais plusieurs membres qui pensaient que la commission ne devait pas uniquement s'occuper de l'organisation de l'armée, mais qu'elle devait aussi se livrer à l'examen de notre système de défense.
La question d'Anvers a été soulevée avant la question de Gand et la commission mixte, après avoir examiné les termes de son mandat, a déclaré qu'elle se considérait comme incompétente pour examiner les questions que soulevait notre système de défense.
M. de Naeyerµ. - Cela n'est pas exact.
M. de Brouckere. - Je demanderai à l'honorable M. de Naeyer de vouloir bien rectifier mes assertions si je me trompe.
M. de Naeyerµ. - Ce n'est pas de la question d'Anvers que la commission s'est occupée en premier lieu, en ce qui concerne la compétence mais bien de la question relative à la citadelle de Gand. La commission ne s'est déclarée incompétente pour examiner la question d'Anvers que tout à la fin de ses travaux, dans une de ses dernières années, alors que les démissions n'auraient plus eu un caractère sérieux, sans quoi je puis déclarer que plusieurs autres membres se seraient retirés ou auraient refusé de continuer de faire partie d'une commission qui limitait ainsi sa mission.
M. dc Brouckereµ. - Je ne veux pas insister sur le point de savoir laquelle des deux questions a eu la priorité. Ma mémoire me sert bien mal, si on n'a pas parlé de la question d'Anvers avant de parler de la question de Gand...
M. de Naeyerµ. - ... mais pas au point de vue de la compétence de la commission.
M. de Brouckere. - Voici les faits. Il a été parlé dans la commission de la question d'Anvers avant qu'on ne parlât de la question de Gand, mais je veux bien admettre, puisque l'honorable membre l'affirme, que la question d'Anvers n'a pas été décidée avant la question de Gand. Seulement les deux questions ont été résolues dans le même sens ; on a décidé, pour la question d'Anvers comme pour la question de Gand, que la commission était incompétente. (Interruption). Le ministère avait déclaré sur une motion faite dans cette Chambre, je crois que c'est par l'honorable M. Couvreur, que cette question ne rentrait pas dans la compétence de la commission.
Eh bien, l'honorable M. d'Elhoungne s'est retiré parce qu'il croyait que cette question était de la compétence de la commission.
L'honorable M. d'Elhoungne reconnaîtra l'exactitude de ce que j'avance. Il n'a pas demandé à la commission mixte, comme on le prétend, qu'elle se prononçât pour la démolition de la citadelle de Gand, et cela est si vrai qu'il n'a pas même plaidé le fond de la question. Il s'est borné à soulever une question de compétence ; cette question a été tranchée et tout a été fini.
Il n'est donc pas exact de dire que l'honorable M. d'Elhoungne s'est retiré parce que la commission mixte avait refusé de se prononcer en faveur de la démolition de la citadelle de Gand.
Au surplus, la question de la citadelle de Gand se rattache à la question de la démolition de la citadelle du Sud et de la construction de travaux sur la rive gauche de l'Escaut.
Ces trois points, quand le moment en sera venu, seront soumis à la Chambre, qui aura la liberté la plus complète pour se prononcer sur chacun de ces points.
En résumé, messieurs, il y a une modification dans le cabinet, mais l'honorable chef du cabinet vous en a donné l'assurance, et les choix qu'il a faits doivent nous inspirer à cet égard la confiance la plus entière, que la marche et la politique du cabinet seront les mêmes que celles du cabinet précédent.
Que résulte-t-il de là ? Que l'opposition doive être satisfaite ? En aucune manière. Mais je prétends que la position des membres de la droite n'est nullement changée. Elle est aujourd'hui ce qu'elle était avant la recomposition du cabinet. Il en est de même pour nous.
(page 397) Nous ne voyons dans le cabinet qu'une modification de personnes, mais nous sommes convaincus que la marche des affaires sera la même.
Je n'ai qu'un désir, messieurs, c'est que les considérations que je me suis permis de présenter sur la manière dont il faut, selon moi, envisager ce qui s'est passé mettent un terme à des exagérations qui ne sont motivées sur rien.
M. Delaetµ. - Je comptais commencer ce que j'ai à dire à la Chambre en m'adressant directement à l'honorable chef nominal et effectif du cabinet nouveau ; j'ai à présenter quelques observations sur ce qu'il nous a dit hier.
Mais il vient de surgir une espèce de chef du cabinet in partibus, l’honorable M. de Brouckere, qui a repris, point par point, toutes les explications données hier et les a à mon regret profondément modifiées.
On me permettra donc de demander à l'honorable chef du cabinet qui hier a fini son discours en faisant appel à notre dévouement futur à sa politique, s'il admet les restrictions par lesquelles l'honorable M. de Brouckere vient de modifier profondément ce qui nous a été dit hier.
L'honorable M. Frère a soutenu une double doctrine. Il nous a dit d'abord qu'il n'entendait pas donner satisfaction au mouvement anversois. En 1863, lorsque nous avons eu l'honneur de porter pour la première fois la question dans cette enceinte au nom de ces meetings auxquels on ne veut faire aucune concession, le mouvement d'Anvers ne pouvait obtenir satisfaction ; ses représentants devaient être réduits à néant et les meetings, avec la cause qu'ils défendaient, enterrés dans le coin des réprouvés.
Mais, quoi qu'il en ait dit hier, l'honorable M. Frère s'est ravisé. Il a pris en mains la cause des meetings ; il a réfléchi ; il a vu que ce qu'Anvers demande n'est pas seulement dans l'intérêt d'Anvers, mais aussi dans l'intérêt du pays tout entier, dans l'intérêt de la défense nationale. Il s'est donc décidé à changer de direction.
Mais comme pourtant il ne pouvait rien concéder aux meetings, il a trouvé hier un moyen plus simple, il a naturalisé le projet anversois projet ministériel. Au lieu de s'appeler question d'Anvers, a-t-il dit, cela s'appelle aujourd'hui défense nationale.
Voilà la position prise d'abord par l'honorable M. Frère. C'est, du reste, sous cette dernière forme, a-t-il ajouté, que le projet a fait sa réapparition dans les sections de la Chambre, qui ont eu à s'occuper du projet de réorganisation militaire.
L'honorable M. Frère disait d'autre part : Le temps est venu de donner satisfaction à ceux qui dans la ville d'Anvers ont été animés d'une crainte réelle de danger et non pas à ceux qui ont exploité le mouvement d'Anvers dans un but politique.
Vous n'attendez pas de moi, messieurs, que je vous fasse l'histoire du mouvement d'Anvers. (Interruption.)
Cette histoire a été faite dans cette Chambre et très bien faite. Il reste acquis que ce mouvement à son début n'avait aucun caractère politique et que deux ans après il n'y avait pas encore l'ombre d'une idée d'opposition de parti. Si cette opposition est venue plus tard en une certaine mesure, c'est qu'il y a eu des défections, c'est que quelques membres du mouvement anversois ont fait retour au ministère et que le plus grand nombre est resté fidèle à la cause défendue en commun.
Voilà tout ce que j'avais à dire sur ce point-là.
Comme Anvers a longtemps souffert, longtemps lutté et que ceux qui souffrent et qui luttent pour la justice apprennent à la longue à se défier des pièges qu'on leur tend, Anvers se serait simplement engagé vis-à-vis de l'honorable M. Frère à examiner si, en réalité, les mesures qu'il a proposées donnaient satisfaction aux intérêts compromis.
Aujourd'hui Anvers n'a pas accueilli avec un bien vif enthousiasme les promesses faites et voici pourquoi. C'est que le chef de cabinet lui-même en 1863 a traité, à diverses reprises, de mystification le système qu'il vient de nous présenter aujourd'hui.
Il a dit alors : C'est un essai de demi-satisfaction donnée à Anvers et il a démontré à son point de vue que cette demi-satisfaction accordée aux habitants aurait coûté des sommes tellement considérables que d'après lui le pays ne se serait jamais résolu à les consacrer à l'apaisement d'une grande ville. Quant aux fronts intérieurs de la citadelle, on ne pouvait pas, disait-il, les considérer comme chose importante. On les démolirait, que dans cinq jours ils seraient relevés. J'ai interrompu alors M. Frère et il m'a répondu : Vos dénégations n'ont pas de valeur : 2,000 hommes et cinq jours, et les fronts seront relevés.
D'autre part nous avons insisté sur l'examen de la question. Cet examen, on assure aujourd'hui ne pas l'avoir refusé, ni en haine d'Anvers, ni pour opposer la dignité du gouvernement aux désirs d'un grande partie de la population belge, mais simplement parce que l'on avait été induit en erreur par l'opinion du général Chazal, opinion consciencieuse d'ailleurs et loyale.
C'est déjà une grande victoire pour nous que d'entendre dire par l'honorable M. de Brouckere, qui est un homme gouvernemental par excellence, que la véritable raison pour laquelle on a refusé de faire droit à la demande d'Anvers n'était pas du tout le mode d'après lequel se sont produites ses réclamations ; que le vrai motif a été la conviction que la demande d'Anvers était contraire à l'intérêt de la Belgique. Pour ma part, j'admets volontiers la loyauté de tout le monde, celle de M. de Brouckere, celle de M. Chazal ; je crois qu'ils ont parlé et voté consciencieusement et que chacun votera consciencieusement lorsque le gouvernement croira que le temps est venu de présenter les propositions qui vous sont annoncées.
Mais, messieurs, permettez-moi un humble aveu, je ne me retrouve pas dans le système du gouvernement ; tantôt il invoque une convenance stratégique, tantôt un motif de dignité. L'honorable M. Frère devrait bien s'en tenir à l'un ou à l'autre et nous permettre de discuter avec lui d'une façon claire qui puisse instruire et le Parlement elle pays. En 1863 nous avons demandé l'examen ; c'était peu de chose.
L'honorable M. Frère nous a-t-il dit alors qu'il ne voulait pas examiner ? Non pas ; il nous a dit que l'examen que nous demandions était fait et parfait et que de sa part, du moins, il était irrévocable. Eh bien, messieurs, je suis heureux de voir que l'arrêt irrévocable du chef du cabinet est aujourd'hui révoqué par lui-même après quelques années de persistance de la commune d'Anvers... (interruption), car quoi qu'on en ait dit, il n'y a pas eu de modifications dans l'attitude d'Anvers. Où avez-vous vu les symptômes de cette modification ? dans quelle élection ? quel est le corps politique, le corps éligible qui soit venu vers vous la cendre sur la tête, se repentant de ses péchés ?
Ce que je vois dans le mouvement anversois, c'est la persistance calme, digne, réellement constitutionnelle... (Interruption.) Jamais ce mouvement qu'on a tant calomnié dans cette Chambre, et calomnié dans le pays, jamais ce mouvement n'a été un mouvement anarchique ou inconstitutionnel.
Je le répète, où avez-vous vu le symptôme d'une modification dans l'attitude d'Auvers ? Est-ce dans l'élection communale ? Est-ce dans l'élection provinciale ? Est-ce dans l'élection pour les Chambres que vous avez cru voir qu'Anvers recule ? Eh bien, dans ce cas, vous êtes de meilleure composition que je ne l'aurais cru.
Le dernier acte d'Anvers a été de renvoyer du parlement les deux derniers débris de l'ancienne majorité militariste et ministérielle. Si c'est cet acte que vous voulez récompenser, je vous en remercie de tout cœur.
Pour faire appel à notre dévouement, l'honorable chef du cabinet a dû faire deux choses ; d'abord transformer notre programme... (Interruption.)
Le programme anversois demande la démolition des deux citadelles d'une part, la solution de la question des servitudes, d'autre part, et en troisième lieu il porte que les élus d'Anvers feront une opposition systématique à tout ministère qui refuserait de nous faire justice.
L'honorable chef du cabinet a d'abord transformé notre programme en ce sens que nous aurions un dévouement systématique à mettre au service de tout ministère qui ferait droit à nos demandes. Il n'en est rien.
Notre concours est acquis à tout ministère, franchement et loyalement, chaque fois qu'il proposera une mesure dans le but de faire droit à nos réclamations. (Interruption.) Il paraît que cela vous étonne, messieurs....
- Voix à gauche. - Non ! non !
M. Delaetµ. - Eh bien, votre étonnement ne durera guère ; car-je vous déclare que si, dans cette occurrence, notre concours doit être tout dévoué, il ne sera pas aveugle, et qu'avant de le donner, nous prendrons nos mesures pour que M. Frère ne puisse plus venir nous dire ; Vous êtes mystifiés.
La question d'Anvers une fois terminée, satisfaction étant donnée non pas à la ville seulement, mais aussi aux campagnes frappées de servitudes, il est évident qu'un grand élément de désunion disparaît du pays et que notre mission à nous, députés d'Anvers, est profondément modifiée. Chacun de nous reprendra donc sa liberté entière et pourra examiner, à un autre point de vue que celui où nous nous plaçons (page 398) aujourd'hui, les mesures qui nous seront proposées par le ministère. En un mot, l'opposition systématique aura cessé.
Seulement, messieurs, si j'en crois l'honorable M. de Brouckere, la satisfaction qui nous est promise est encore bien éloignée ; d'après lui, il faut avant tout trouver un acquéreur pour la citadelle du Sud et les bâtiments militaires, et cet acquéreur n'est pas trouvé en ce moment.
Je désire, messieurs, qu'il se retrouve le plus tôt possible, car je sais qu'il y a deux ou trois ans déjà des offres très formelles ont été faites à l'honorable chef du cabinet actuel et qu'elles ont été répudiées. Cependant s'il est vrai, comme l'a dit l'honorable M. Frère, que la place d'Anvers est vulnérable par la gorge, je puis dire avec mon honorable ami, M. d'Hane, que le gouvernement a commis une très grande faute, une faute au point de vue national, en n'acceptant pas des offres qui lui permettaient de mettre immédiatement à l'abri le réduit général de la nationalité belge.
Je serais heureux d'apprendre que cette occasion, qu'il a laissé échapper n'est pas définitivement perdue et que le gouvernement trouvera bientôt un acquéreur dont les propositions seront de nature à faire droit je ne dirai pas aux réclamations d'Anvers, mais aux exigences de la défense nationale.
M. Van Overloopµ. - Deux des déclarations, faites hier par l'honorable ministre des finances, intéressent vivement l'arrondissement dont je tiens mon mandat. Ces déclarations, messieurs, m'obligent de demander quelques explications et de faire certaines réserves. Je ne veux en aucune façon lier mes votes futurs.
Par la première de ces déclarations, M. le ministre des finances nous a fait connaître que l'intention du gouvernement est de supprimer la citadelle du Sud à Anvers et de la remplacer par deux forts et une digue de défense sur la rive gauche de l'Escaut.
Il vous suffit, messieurs, de savoir que la rive gauche de l'Escaut est située dans le pays de Waes pour comprendre combien cette déclaration intéresse Saint-Nicolas. (Interruption.)
M. Bouvierµ. - Voilà la question de Saint-Nicolas maintenant.
M. Van Overloopµ. - Effectivement : ma question se réduit à ceci : Est-ce un cadeau de Saint-Nicolas que le gouvernement se propose de nous donner ? (Interruption.)
La seconde déclaration de M. le ministre des finances est relative à la démolition de la citadelle de Gand. A cet égard, je poserai au gouvernement les questions suivantes :
Cette démolition n'entraînera-t-elle pas pour première conséquence l'exécution de travaux de fortification à Lokeren, seconde ville de l'arrondissement de Saint-Nicolas ? (Interruption.)
Messieurs, vous avez laissé parler les Anversois quand ils défendaient les intérêts de leur ville ; vous me permettrez aussi, je pense, de défendre les intérêts de l'arrondissement dont je tiens mon mandat, lorsque je crains de les voir compromettre.
Il est possible que je me trompe, mais, selon moi, la démolition de la citadelle de Gand entraînera comme première conséquence l'exécution de travaux de fortifications à Lokeren, destinés à défendre la Durme.
Je crois qu'elle aura, comme seconde conséquence, l'augmentation des travaux de fortifications de Termonde ; et, comme troisième conséquence, l'affaiblissement du système défensif du pays.
Si, messieurs, le cadeau que M. le ministre des finances nous a promis était justifié par les nécessités de la défense de ma patrie, à coup sûr, je l'accepterais sans hésitation.
La politique de l'honorable M. Frère, quelque antipathique qu'elle puisse m'être, ne me fait pas perdre de vue le maintien de notre indépendance et, par conséquent, ne me déterminerait pas à refuser au cabinet, dont il est l'âme, l'octroi des mesures jugées et prouvées nécessaires à la défense du territoire national.
Mais la nécessité d'établir deux forts et une digue de défense sur la rive gauche de l'Escaut est-elle démontrée ?
Voici, messieurs, comment s'exprimait hier l'honorable M. Frère sur cette question.
« Le général Chazal, nous disait-il, a soutenu qu'il n'était pas nécessaire de fortifier la rive gauche de l'Escaut. Les opinions peuvent être divisées sur ce point ; elles sont controversées par les hommes spéciaux, comme on l'a souvent vu en fait de fortifications. Le général Goethals ne partageait pas à cet égard l'avis de son prédécesseur.»
Voilà, messieurs, ce que nous disait hier l'honorable M. Frère-Orban.
Permettez-moi de vous rappeler, à l'appui de ce dire, et pour abréger, une interpellation que je fis à l'honorable M. Chazal dans la séance du 2 septembre 1864 et la réponse qu'il me fit le lendemain.
Voici comment je m'exprimai dans la séance du 2 septembre 1864 :
« Je désirerais qu’avant tout, M. le ministre de la guerre voulût bien s’expliquer sur la question qui lui a été posée par l’honorable M. Hayez, savoir s’il est bien certain que les 5,575,000 francs qui nous sont demandés suffiront pour l’achèvement complet des travaux de la défense nationale, à Anvers.
« Ensuite, n'y a-t-il pas nécessité absolue d'exécuter des travaux sur la rive gauche de l’Escaut ? Sur cette rive, on peut inonder à concurrence de 3,000 mètres : Ne faudra-l-il pas y établir un fort, à Burght ? En cas d'affirmative, à combien s'élèveront les sommes nécessaires pour la construction de ce fort ?
« Puis, ce fort étant construit, comme il existera une trouée entre Burght et le fort Sainte-Marie, ne faudra-t-il pas encore faire exécuter, sur la rive gauche, de nombreux travaux pour couvrir la trouée contre le passage de l'ennemi ?
« Remarquez bien, et les nombreuses personnes que j'ai consultées à cet égard sont compétentes, remarquez que si l'on ne construit pas un fort à Burght, on pourra prendre à revers la défense de la rive droite, et si l'on peut prendre à revers la défense de la rive droite, à quoi servent toutes les dépenses faites sur cette rive ? (Interruption.)
« On m'interrompt en disant que le fort de la tête de Flandre et la citadelle du Sud sont là pour parer au danger que je signale, mais je doute, et des personnes très compétentes sont de mon avis, que ce fort et cette citadelle suffisent pour empêcher de prendre à revers la défense de la rive droite.
« Quoi qu'il en soit, il existera toujours, comme on me le l'assure, une trouée qu'il faudra nécessairement couvrir.
« C'est un point, me dit-on, excessivement important. Je ne décide pas. Je ne me crois pas juge compétent.
« Voilà une première série de questions que je prie M. le ministre de la guerre de vouloir bien résoudre.
« Vient maintenant un second ordre de questions.
« Notre artillerie suffit-elle pour la défense d'Anvers ? Même en supposant qu'il ne faille pas exécuter de travaux sur la rive gauche, on m'assure qu'il faudra au moins 24 à 30 batteries nouvelles pour mettre Anvers en état de défense. Je voudrais savoir si le fait est vrai, et, le fait étant vrai, à combien s'élèveront les frais de la mise en état convenable de notre artillerie ?
« Vous comprenez, messieurs, que ce sont là des questions très graves.
« Je n'ai jamais hésité et je n'hésiterai jamais à voter les sommes nécessaires à la défense de mon pays. Je pense qu'à droite comme à gauche, on ne balancera pas à voter toutes les dépenses qui seront demandées, quand elles seront justifiées ; mais je pense aussi qu'à gauche comme à droite, on refusera d'accorder au gouvernement les sommes auxquelles manquerait une justification complète.
« Messieurs, je dois faire un reproche à tous les ministres de la guerre qui se sont succédé jusqu'ici ; je ne m'adresse pas spécialement à tel ou tel de ces ministres ; je leur fais, à tous indistinctement, un grief d'avoir manqué de franchise, en ce qui concerne les crédits qui ont été demandés à la législature pour les besoins de la défense nationale. Au lieu de nous déclarer ouvertement, catégoriquement qu'il fallait autant de millions pour sauvegarder ce grand intérêt, tous les ministres de la guerre sont venus réclamer seulement quelques millions ; affirmant erronément, comme l'expérience l'a prouvé, qu'ils auraient suffi ; et jamais le pays n'a su ce que devait lui coûter l'organisation complète de la défense nationale.
« J'espère donc que M. le ministre de la guerre donnera au pays des explications claires, nettes et catégoriques, dignes d'un militaire loyal. »
Le lendemain, l'honorable général Chazal me répondit de la manière suivante. L'honorable chef actuel du cabinet, M. Frère-Orban était présent, comme on me le fait remarquer.
« M. le lieutenant général Chazal. - Messieurs, avant que vous ayez décrété l'agrandissement général d'Anvers, quelle était la réputation de cette place ? Elle avait, on vous (page 398) l'a dit hier, une immense réputation en Europe, elle passait pour une des plus grandes et des plus belles qui existent.
« Sous l'empire français, sous le gouvernement des Pays-Bas, elle avait cette réputation.
« Est-ce que, dans aucun pays du monde, ou a jamais dit que la gorge d'Anvers n'était pas défendue ?
« Cette gorge est défendue, non pas, comme on vous l'a dit, par une inondation de 3,000 mètres, mais par l'Escaut et par des inondations de 4,000 mètres.
« Précédemment, la gorge de la place d'Anvers était simplement défendue par le fleuve, par l'inondation et par deux misérables petits fortins, qui sont les forts de Burght et d'Austruweel.
« Et qu'est-ce qu'une trouée en présence d'une inondation devant laquelle on ne peut établir des travaux d'attaque ?
« En supposant même qu'on parvînt à exécuter ces travaux, on viendrait se heurter d'abord contre le fort de la Tête de Flandre, et il faudrait ensuite tenter le passage du fleuve sous le feu croisé de la citadelle du Nord et de la citadelle du Sud.
« M. Coomans. - On bombarderait la ville.
« M. le lieutenant général Chazal. - Puisque vous parlez de bombardement, j'en parlerai aussi. Peut-on, messieurs, admettre qu'on bombarderait la ville en présence de notre artillerie ? Nous avons une des batteries de position les plus formidables, et à cette artillerie, l'ennemi ne pourrait opposer que des canons d'un calibre inférieur à cause de la nature du terrain et de la difficulté des transports ; il ne parviendrait donc pas à maintenir ses batteries de bombardement devant nos batteries, qui les écraseraient par un feu supérieur en nombre et en puissance.
« J'engage l'honorable M. Coomans à lire un article sur le bombardement publié dans la Revue militaire et dû à un des élèves de l'illustre Jomini.
« Ce que je trouverais de plus heureux pour la position d'Anvers, c'est qu'on vînt l'attaquer du côté où l'on prétend qu'elle est menacée, du côté de la Tête de Flandre. L'assaillant se mettrait dans un péril extrême et je demande à la Chambre qu'elle prenne acte de ma déclaration.
« M. Van Overloop. - Donc pas de travaux à faire à la Tête-de-Flandres.
« M. le lieutenant général Chazal. Je ne demande rien au delà du crédit en discussion. »
La nécessité absolue des travaux sur la rive gauche de l'Escaut n'est donc pas démontrée jusqu'ores.
Mais, si cette nécessité n'est pas démontrée, j'en tire la conclusion que l’honorable chef du cabinet est mû par un sentiment autre celui qui se rattache à la défense du pays, lorsqu'il vient nous proposer de supprimer la citadelle du Sud et de doter l'arrondissement de Saint-Nicolas de travaux de fortifications sur la rive gauche de l'Escaut.
Je fais la même observation relativement au projet de démolir la citadelle de Gand.
On a toujours prétendu qu'elle était indispensable. Aujourd'hui M. le ministre dus finances allègue le contraire. Ne doit-on pas en conclure qu'il est mû par d'autres motifs que ceux de l'intérêt de la défense nationale, lorsqu'il vient nous proposer de raser cette citadelle, opération dont, je le répète, les conséquences seront des travaux de fortifications à Lokeren ; l'augmentation des fortifications de Termonde ; un affaiblissement, si je suis bien instruit, de notre système défensif.
Je m'étonne que l'honorable chef du cabinet ait si complètement changé de manière de voir à propos d'Anvers. Quoi ! c'est sur les réclamations des habitants de la ville d'Anvers qu'on y a établi cette grande enceinte, qui nous a coûté tant de millions ; c'est dans l'intérêt de ces habitants qu'on a décrété ce vaste système de fortifications, qu'on critique si énergiquement aujourd'hui, et c'est dans ce même intérêt qu'on vient nous proposer de donner une nouvelle satisfaction aux Anversois, en reportant sur la rive gauche de l'Escaut les inconvénients dont ils se plaignent si amèrement, au détriment, peut-être, des paisibles habitants du pays de Waes.
Je ne comprends pas ce procédé.
Je dois dire très franchement que, s'il y avait le moindre doute sur la nécessité de l'établissement de travaux sur la rive gauche de l'Escaut, dans l'intérêt de la défense du pays, je me prononcerais naturellement pour l'opinion qui serait la plus favorable à l'arrondissement qui m'a confié l'honneur de représenter la nation dans cette enceinte.
Je demande, en conséquence, que le gouvernement veuille bien s'expliquer. Quels que puissent être les intérêts particuliers de certaines localités, je n'entends pas le moins du monde subordonner l'intérêt général de la défense du pays à des intérêts particuliers, à des intérêts locaux.
Je ne veux pas entrer dès aujourd'hui dans le fond du débat. Je demande des explications au nouveau ministre de la guerre ; je lui demande de renoncer à ce système de réserve qui a distingué plusieurs de ses prédécesseurs ; je demande qu'il vienne nous dire franchement, carrément : « Voilà ce qu'il faut au gouvernement pour assurer la défense du pays et le maintien de 1'indépendance nationale, si la guerre vient malheureusement à éclater. »
Si le gouvernement procède de cette manière et qu'il fasse un appel au pays, je suis convaincu que le pays ne restera pas sourd à l'appel du gouvernement,
Mais, avant tout, il faut que les Chambres et le pays soient mis à même d'apprécier la vérité des allégations du gouvernement.
Au point de vue spécial de la nécessité des travaux à exécuter sur la rive gauche de l'Escaut, et au point de vue de la démolition de la citadelle de Gand, comme il n'y a pas ici de secret d'Etat, je demande que le gouvernement veuille bien nous communiquer toutes les pièces et tous les rapports relatifs à ces deux objets.
Ce n'est qu'après avoir pris connaissance de ces documents que nous pourrons apprécier en parfaite connaissance de cause.
Notre système de défense repose sur deux éléments : le premier, ce sont les fortifications ; le second, c'est l'armée en campagne. Or, il est incontestable que plus nous aurons de fortifications à défendre, plus nous aurons d'hommes à employer à cette défense, et moins nous aurons d'hommes disponibles pour l'armée en campagne. Vous comprenez donc qu'il importe qu'on sache, avant de passer à l'examen de la loi d'organisation militaire, ce qu'il y a encore à faire, relativement aux forteresses.
J'ai encore une autre question à poser à M. le ministre de la guerre. J'admets pour un moment que les travaux sur la rive gauche de l'Escaut doivent être exécutés, et que la citadelle de Gand puisse être démolie sans danger pour la défense du pays ; je demanderai si, dans cette supposition, la citadelle de Diest doit être également démolie. Cette question se rattache encore au système de défense du pays. Il est donc encore nécessaire que le gouvernement y fasse une réponse catégorique.
Avant de finir, je ltens à faire une déclaration, afin qu'on ne se méprenne pas sur ma pensée.
Je persiste à croire qu'une forte armée, appuyée sur un solide système de fortifications, est indispensable pour assurer notre neutralité.
Je n'hésiterai pas plus aujourd'hui que dans le passé à appuyer même un cabinet qui, dans son ensemble, n'a pas mes sympathies, lorsque ce cabinet nous fera des demandes relatives à noire sûreté, et que ces demandes seront justifiées. Mais je n'hésiterai pas davantage à combattre toutes les exagérations et toutes les demandes non justifiées d'une manière évidente.
En agissant ainsi, messieurs, j'obéirai au cri de ma conscience, et, j'aime à le croire, au mandat que les électeurs de l'arrondissement de Saint-Nicolas m'ont confié.
(page 401) M. Royer de Behr. - Messieurs, je prie la Chambre de me permettre de lui présenter quelques observations sur la question d’Anvers.
En 1864, cette question fut l'objet de l'attention toute spéciale du cabinet, alors en voie de formation. Le but qu'il cherchait à atteindre était, la Chambre le sait, de résoudre les difficultés soulevées par les travaux de fortifications d'Anvers ; de faire cesser les inquiétudes qui étaient manifestées dans cette ville. Il semblait que la réalisation d'un tel programme, même en sacrifiant les fronts intérieurs de la citadelle du Nord, loin d'amoindrir notre système de défense, l'eût consolidé. Les citadelles, il est vrai, eussent été supprimées, mais cette suppression était largement compensée par des travaux sur la rive gauche de l'Escaut, et surtout par le concours qu'une population calmée et patriotique eût accordé éventuellement à la défense de la place. Nous voulions aussi que les griefs anversois fussent soumis à une enquête bienveillante et loyale,
Qu'arrive-t-il en ce moment ?
Que le cabinet propose précisément ce que nous proposions en 1864.
L'honorable M. Frère, après avoir employé toutes les ressources de son remarquable talent à nous combattre, est donc oblige de reconnaître que nous étions dans la vérité. Je puis renvoyer à l'honorable ministre, le reproche qui nous fut adressé d'avoir emprunté à la gauche une partie de son programme, et les paroles prononcées hier, par l'honorable M. d'Elhoungne, à propos de la nécessité de combattre l'ignorance, me laissent l'espérance que le plagiat actuel ne sera pas le dernier.
Messieurs, je n'ai nullement la prétention d'étaler à cette tribune des connaissances militaires. Vauban m'est mieux connu par ses écrits sur l'économie sociale que par ses ouvrages sur les fortifications.
Mais j'éprouve quelques appréhensions. Elles seront dissipées, je J'espère, par l'honorable ministre de la guerre, dont les hautes capacités inspirent toute confiance. Je ne demanderai pas une réponse immédiate aux questions que je vais avoir l'honneur de poser à M. le ministre de la guerre. J'espère qu'il voudra bien me répondre pendant la discussion générale.
Les fronts intérieurs de la citadelle du Nord seront donc supprimés, mais cette citadelle, tout en perdant une partie de son utilité défensive, pourra néanmoins jouer un rôle très important dans la défense de la place.
En 1862, j'ai prouvé, je pense, qu'il était possible d'improviser une citadelle.
Le général Rapp, qui commandait en 1813 la place de Dantzig, en a montré un remarquable exemple. Cette construction sera d'autant plus facile, qu'il ne s'agira, dans l'occurrence, que de reconstruire ce qui aura été renversé aujourd'hui.
Supposons que cette reconstruction soit opérée.
La citadelle présentera-t-elle, pour la métropole commerciale, les dangers que l'on redoute ?
Je ne le pensais pas en 1862.
J'étais sous l'empire d'une conviction bien ébranlée maintenant.
Le 12 mars 1862, en discutant la question des citadelles, je m'étais appliqué à démontrer que la zone réservée en face des fronts intérieurs de la citadelle du Nord, avait pour but de préserver la ville du feu de la citadelle. En d'autres termes, je m'étais attaché à démontrer que, si un jour la citadelle du Nord vient à être assiégée selon les règles de l'art, les travaux de siège s'accompliront sur l'esplanade ; que dès lors, nous et nos alliés, qui occuperons la citadelle, nous n'aurons qu'un seul intérêt : celui de détruire les travaux d'approche et non pas celui de détruire la ville. J'ai appuyé cette démonstration de nombreux exemples tirés de l'histoire militaire, montrant ainsi l'utilité de maintenir une esplanade en face des citadelles.
Toute mon argumentation reposait sur un fait, qui n'a pas été contesté. Or, j'ai maintenant des raisons de croire que l'esplanade en face de la citadelle du Nord ne peut avoir la destination que je lui ai attribuée.
Je m'explique.
Je crois que toute l'esplanade est inondable ; que cette inondation rendrait, tout au moins, la construction de parallèles et des travaux de siège sinon impossible, du moins très difficile. Si l'on m'objecte qu'aucune écluse militaire n'a été construite dans ce but, je demanderai si les écluses des polders ne peuvent servir à inonder l'esplanade. Je demanderai à quoi sert le parapet élevé vers la ville, si ce n'est à préserver celle-ci de l'inondation.
Messieurs, je le déclare en toute franchise, si ces faits sont exacts, on ne les a pas, je le pense, fait connaître dans la discussion, la ville d’Anvers, en cas de siège de la citadelle du Nord, est menacée d'une ruine complète. Cela est manifeste. Si on fait le siège par la ville, l'ennemi s'établira inévitablement dans les constructions les plus rapprochées, et pour le déloger, nous devrons, nous, Belges, anéantir ces constructions. Or, avec la portée actuelle des pièces d'artillerie, il faudra successivement avancer dans l'œuvre de destruction, et la ville d'Anvers tout entière pourra se transformer en un monceau de ruines. Grande était la différence, l'esplanade n'était pas inondable, notre seul intérêt était d'anéantir les travaux d'approche et d'épargner entièrement la ville.
Quant à la loi militaire dont j'ai aussi parlé, et qui impose, sous peine de mort, au commandant en chef, la résistance à outrance, et dès lors la nécessité d'improviser une citadelle, on peut la rapporter.
Maintenant, la citadelle du Nord, même modifiée, peut-elle remplir le but qu'on lui assigne ? Ici encore le doute se présente.
Est-il vrai que cette citadelle est inhabitable ? Que son terre-plein lui-même n'est pas à l'abri de l'inondation ? « Que le sol y est tellement délétère, que les hommes y sont parfois frappés, les uns d'immobilité pour une partie de la journée, les autres pour un temps assez long, d'autres de maux instantanés, d'autres encore d'un mal sans remède, qui amène des infirmités incurables, telles que la perte de la vue, des fièvres intermittentes, pernicieuses, des typhus et autres maladies terribles qui les conduisent prématurément au tombeau ? »
Si cela est vrai, je le demande à l'honorable ministre, que deviendront les défenseurs de la citadelle du Nord ? Il ne sera pas même nécessaire de les attaquer. La maladie se chargera de décimer la garnison, La ville sera dès lors préservée peut-être du danger, mais à quel prix ? Au prix de la perte de l'armée belge réfugiée dans une sorte de marais pestilentiel.
J'ai exposé des doutes, je désire qu'ils soient éclaircis. Est-il vrai que l'esplanade est entièrement inondable ? Est-il vrai que l'insalubrité de la citadelle du Nord rend celle-ci inhabitable ?
Est-il vrai enfin que le terre-plein devrait être considérablement relevé ?
A quelle dépense un semblable travail donnerait-il lieu ?
J'ai encore quelques autres questions à poser à l'honorable ministre.
La population d'Anvers s'élève à environ 130 mille habitants ; admettons qu'une garnison considérable, telle qu'elle doit être enfin pour la défense de la place, vienne s'ajoutera la population.
Comment fournira-t-on des subsistances à une aussi grande agglomération d'hommes ? En d'autres termes, comment le ravitaillement se fera-t-il en cas d'invasion soudaine, la famine ne sera-t-elle pas immédiatement la conséquence de cette invasion ? J'appelle sur ce point l'attention sérieuse de la Chambre.
Je me suis encore demandé si, pour conserver aux fortifications d'Anvers toute leur utilité éventuelle, il ne faudrait pas ou concentrer dans la place d'Anvers toutes les troupes éparpillées aujourd'hui dans les provinces, ou augmenter plus considérablement qu'on ne le fait l'effectif de l'armée.
Cette question, messieurs, se pose tout naturellement à l'esprit.
Les grandes puissances militaires qui nous entourent sont toutes en possession de moyens rapides de transport. La Belgique elle-même est sillonnée de chemins de fer.
Dès lors, il est évident qu'une grande puissance militaire peut amener, avec une extrême rapidité, des forces suffisantes à différents points de la frontière, sinon pour envahir tout le pays, du moins pour rendre impossibles les relations de l'autorité centrale avec les provinces, et de celles-ci avec la plupart des communes.
Je ne pense pas qu'il soit inopportun de parler de cette difficulté.
Dans une telle situation, comment les militaires se rendront-ils sous les drapeaux ?
Comment transportera-t-on soudainement le siège du gouvernement à Anvers ?
Je voudrais obtenir sur ces divers points des éclaircissements.
Je ne vois, pour ma part, que deux alternatives : ou réunir à Anvers les troupes normalement sous les armes et abandonner dès lors toutes les villes de garnison, hormis les forteresses, ou augmenter encore le contingent. Eh bien, ce sont là deux alternatives que, selon moi, la Chambre acceptera difficilement.
Un mot encore et je termine.
L'honorable M. de Brouckere a prétendu, en terminant son discours, (page 402) que rien n'est changé dans notre situation politique. Pour ma part, je vois plusieurs changements considérables dans cette situation. Je n'en citerai qu'un. Je vois l'honorable M. Rogier, l'un des hommes qui ont Je plus préconisé l'union pour fonder l'indépendance du pays, je vois l'honorable M. Rogier quitter la présidence du conseil, pour la céder à l'honorable M. Frère, dont personne ne conteste le patriotisme, mais qui, dans une grande partie du pays, est accusé de semer des germes de discorde, et de maintenir les divisions les plus regrettables.
(page 399) M. le président. - La parole est à M. Dumortier.
M. Dumortier. - Messieurs, le débat me semble complètement dévier. Nous étions appelés à examiner les explications qui ont été données par le nouveau cabinet, et nous entrons entièrement dans la question militaire, qui me paraît tout à fait étrangère à ce débat.
Pour moi, j'ai déjà eu l'honneur de le dire, je désire parler de la formation du cabinet, mais je voudrais qu'on en finît d'abord de la question militaire. Si le ministère avait quelque chose à répondre sur la question d'Anvers, il vaudrait mieux qu'il nous donnât ses explications maintenant. Ce débat serait alors terminé, et nous rentrerions dans le véritable objet à l'ordre du jour.
M. Royer de Behr. - Je crois que l'honorable M. Dumortier a fait son observation pour moi.
M. Dumortier. - Du tout.
M. Royer de Behr. - Il me semble qu'il avait été entendu que l'incident de l'affaire d'Anvers serait d'abord vidé. Je croyais même que l'honorable M. Dumortier en avait fait lui-même l'observation dans la séance d'hier.
(page 400) Je ferai remarquer qu'au début de mon discours, j'ai dit que je ne demandais pas une réponse immédiate à M. le ministre de la guerre. Je lui ai demandé d'avoir égard à mes observations dans la discussion générale.
M. de Theuxµ. - Je crois que l'honorable M. Rogier a aussi l'intention de parler dans cette discussion. Comme ancien chef du cabinet, je pense qu'il ne refusera pas à la Chambre quelques explications sur les causes de sa retraite. Alors l'état de choses serait complètement établi et l'honorable M. Dumortier pourrait prendre la parole sur la question spéciale de la formation du nouveau cabinet.
M. le président. - M. Rogier a demandé à être inscrit ; mais il a manifesté le désir de ne parler que demain.
- Plusieurs membres. - Alors, à demain !
M. le président. - Je demande à la Chambre de bien vouloir autoriser le bureau à compléter les commissions dont taisaient partie des membres qui sont entrés dans le nouveau cabinet.
- Cette proposition est adoptée.
- La séance est levée à quatre heures et demie.