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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 13 décembre 1867

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1867-1868)

(Présidence de M. Moreau, premier vice-présidentµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 323) M. de Moor, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

Il donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

Il présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Des habitants de Dalhem présentent des observations contre la demande tendante à faire transférer à Visé le chef-lieu du canton de Dalhem. »

- Dépôt sur le bureau pendant le vole définitif du projet de loi sur l'organisation judiciaire.


« Des habitants de Bruxelles demandent le prompt achèvement des travaux de la nouvelle station du Midi. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur des pétitions relatives au même objet.


« Des habitants de la Gleize prient la Chambre de rejeter tout projet d'organisation militaire qui ne tendrait pas à diminuer les charges qui pèsent sur les populations et de s'opposer à toute augmentation du contingent de l'armée. »

- Renvoi aux sections centrales chargées d'examiner les projets de loi sur la milice et sur l'organisation de l'armée.


« Par trois pétitions, des habitants de Verviers demandent la suppression des jeux de Spa.

« Le sieur d'Ardenberg demande que la fermeture des jeux ait lieu pour le 1er mai 1868. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget de l'intérieur.


« Le conseil communal de Genck prie la Chambre d'augmenter la somme accordée par la législature pour faciliter l'exécution du chemin de fer de Hasselt à Maeseyck. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Vandenbroeck prie la Chambre de prendre en considération ce vœu de la société centrale d'agriculture : que les charges actuelles du service militaire ne soient pas augmentées. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur la milice.


« M. Reynaert, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé de quelques jours. »

- Ce congé est accordé.

Rapports sur des pétitions

M. Moncheur, rapporteurµ. - Par pétition datée du 20 novembre 1867, des habitants d'Eghezée demandent l'achèvement du chemin de fer de Namur à Ramillies.

Ce n'est pas la première lois que de vives réclamations se produisent dans cette enceinte au sujet du non-achèvement du chemin de fer de Namur à Ramillies ou Geest-Gerompont. Déjà, j'en ai moi-même entretenu la Chambre à plusieurs reprises.

Ce chemin de fer fait partie du réseau concédé à la compagnie de Tamines à Landen.

Il forme avec le chemin de fer de Geest-Gérompont à Tirlemont une ligne droite de Namur à Tirlemont, et cette dernière ligne n'est elle-même, qu'une partie de la grande voie ferrée qui reliera directement la France à la Hollande et à la basse Allemagne.

Non seulement un devoir impérieux ordonne à la compagnie de Tamines à Landen d'achever le tronçon de Namur à Geest-Gérompont, mais son intérêt le plus vif le lui commande également.

D'après l'acte de concession, les travaux devaient être achevés avant le 1er janvier 1866.

Ce délai a été prorogé par arrêté royal jusqu'au 1er septembre de cette même année. Mais les travaux n'étant pas encore achevés à cette date, la compagnie sollicita et obtint du gouvernement un nouveau sursis jusqu'au 1er avril 1867.

Depuis lors aucun progrès ne s'est effectué dans les travaux et la déchéance de la compagnie serait encourue de droit, s'il plaisait au gouvernement de l'invoquer.

La torpeur et l'abstention de la compagnie sont inexplicables an point de vue de son propre intérêt et infiniment préjudiciables à l'intérêt public.

En effet, sur les 22 kilomètres qui forment la longueur de la ligne de Namur à Geest-Gérompont, 20 kilomètres sont à peu près achevés ; la pose des rails y a même eu lieu et il ne reste à y exécuter que des travaux accessoires ; donc, deux kilomètres seulement demeurent à construire et. ce sont les deux kilomètres qui aboutissent immédiatement à la station de Namur.

Ils sont la clef de tout le reste, et vivifieraient la ligne tout entière.

Il résulte d'un rapport de M. l'ingénieur en chef, directeur des ponts et chaussées de Namur, qu'une somme d'environ 70,000 francs suffirait pour l'exécution de ces travaux proprement dits, à part le raccordement avec la station de Namur.

Tous les terrains nécessaires à ces travaux et à ce raccordement ont été mis de gré à gré à la disposition de la compagnie depuis près de deux ans. Celle-ci s'en est mise en possession, mais n'en a pas encore payé le prix. Elle est donc exposée à chaque instant à des poursuites de la part des propriétaires qui ont fait la cession volontaire de leurs terrains, mais qui sont fatigues d'être privés tout à la fois et de la chose et du prix. A ce point de vue encore, l'intérêt de la compagnie est donc de sortir le plus tôt possible de cette position compromettante.

Cet intérêt est des plus pressants aussi, au point de vue de la détérioration des 20 kilomètres dont les principaux travaux sont déjà exécutés, détérioration qui marche rapidement et doit déjà être considérable. Mais quoi qu'il en soit de cet intérêt privé de la compagnie, il s'agit ici d'un intérêt beaucoup plus élevé et plus considérable, il s'agit de l'intérêt public qui est gravement compromis et qui fait entendre dans cette Chambre ses plaintes légitimes.

La crise de 1866 a pu excuser en justifier certains retards dans l'accomplissement des obligations contractées par la compagnie de Tamines à Landen, mais votre commission exprime par mon organe, messieurs, le regret que le gouvernement n'ait pas pris, depuis lors des mesures énergiques pour qu'il fût enfin satisfait à ces obligations ; elle regrette notamment que l'entièreté du cautionnement fourni à l'Etat par le concessionnaire lui ait été restituée, avant que tous les travaux aient été achevés et reçus.

Elle espère que des mesures ne tarderont pas à être prises pour que les nombreuses populations industrielles et agricoles que traverse ce chemin de fer, soient mises enfin en possession de cet instrument précieux de prospérité.

Elle vous propose donc le renvoi de la pétition à M. le ministre des travaux publics, avec demande d'explications.

Un mot à présent, messieurs, en mon nom personnel ; une transformation complète s'est opérée dans l'administration de la société de Tamines à Landen ; or, d'après la connaissance que j'ai prise des rétroactes de cette longue affaire, je dois dire qu'autant l'ancienne administration avait mis de zèle et d'activité pour exécuter les travaux qu’elle s'était engagée à faire et cela malgré les circonstances les plus difficiles qu'elle a eu à traverser, autant la torpeur et l'inaction de la nouvelle administration me paraissent inexcusables et inexplicables.

MtpVSµ. - Je suis autorisé par la société de déclarer que les fonds sont faits, que les travaux vont commencer immédiatement et seront terminés pour le 1er juillet prochain.

(page 324) M. Moncheur, rapporteurµ. - Les conclusions de la commission étaient le renvoi à M. le ministre des travaux publics, avec demande d'explications.

M. le ministre vient de déclarer formellement que la compagnie de Tamines à Landen l'a informé que les fonds sont faits pour l'achèvement des travaux du chemin de fer de Namur à Geest-Gérompont, et que ces travaux seront finis avant le 1er juillet prochain ; quoique ce terme de six mois soit encore très long, je crois pouvoir, au nom de la commission, me borner à prendre acte de cette déclaration formelle et renoncer, pour le moment, à la demande d'autres explications ; mais j'exprime en même temps l'espoir que, cette fois du moins, la promesse qui nous est faite sera fidèlement exécutée.

M. Wasseige. - Je prends également acte des paroles que l'honorable ministre a bien voulu prononcer et j'espère que la bonne nouvelle qu'il nous annonce sera cette fois une vérité. Je l'engage à veiller sérieusement à l'accomplissement de la promesse qui lui a été faite et à user de son influence pour forcer la compagnie à exécuter ses engagements, dans les délais qu'il vient de nous indiquer.

- La pétition est renvoyée à M. le ministre des travaux publics.


(addendum, page 333) M. Vander Donckt, rapporteurµ. - Par pétition datée d'Iseghem, le 30 novembre 187, l'administration communale d'Iseghem présente des observations sur le rapport fait dans la séance du 26 novembre, concernant une pétition des habitants de cette commune, et demande que sa protestation soit insérée aux Annales parlementaires.

Messieurs, les pétitionnaires protestent contre le rapport présenté dans la séance du 26 novembre dernier, attendu qu'aucun membre du conseil communal de cette ville n'a signé la pétition du 15 mars qui en était l'objet.

L'honorable rapporteur a pu se tromper en attribuant à l'administration communale le fait de quelques habitants isolés de cette ville et l'insertion du présent rapport aux Annales parlementaires donnera satisfaction aux pétitionnaires.

Mais ce qui est plus grave, c'est qu'ils signalent le fait de fausses signatures sur la pétition du 18 mars 1867, attendu, disent-ils, que les sieurs De Ryckere frères ont fait insérer dans un journal de cette ville que leur signature figurant sur ladite pièce est fausse.

Les pétitionnaires demandent qu'on veuille faire examiner si on n'a pas contrefait ou signé pour le conseil communal.

Votre commission a l'honneur de vous proposer le renvoi de ces pétitions à M. le ministre de la justice afin de faire examiner si en effet cette pétition porte des signatures apocryphes ou fausses et de faire poursuivre les coupables s'il y a lieu et à cette fin elle conclut au renvoi à M. le ministre de la justice.

- Ces conclusions sont adoptées.


M. Vander Donckt, rapporteurµ. - Par pétition datée d'Iseghem, le 30 novembre 1867, l'administration communale d'Iseghem présente des observations sur le rapport fait dans la séance du 26 novembre concernant une pétition des habitants de cette commune, et demande que sa protestation soit insérée aux Annales parlementaires.

Conclusions : Renvoi à M. le ministre de la justice.

- Ces conclusions sont adoptées.


M. Vander Donckt, rapporteurµ. - Par pétition datée de Sart-Bernard, le 2 décembre 1867, des habitants du Sart-Bernard, commune de Wierde, demandent qu'il soit donné suite à leur pétition ayant pour objet la séparation de ce hameau de Wierde et son érection en commune spéciale.

Messieurs, les habitants de Sart-Bernard se sont adressés à la Chambre par deux pétitions successives. Ils prétendent avoir les ressources nécessaires pour que leur hameau soit érigé en commune distincte.

Mais les pétitionnaires ont oublié une chose : c'est que leur demande a été soumise au conseil provincial, et que le conseil provincial l'a rejetée. C'est ce qui a empêché l'honorable ministre de l'intérieur d'y donner suite,

La commission conclut cependant au renvoi de la pétition à M. le ministre de l'intérieur.

M. Wasseige. - Messieurs, les habitants de Sart-Bernard se sont déjà adressés une première fois à la Chambre à l'effet d'obtenir leur séparation de la commune de Wierde ; ils s'adressent à vous de nouveau pour le même motif. L'insistance qu'ils mettent à poursuivre le but qu'ils ont en vue prouve au moins qu'ils croient avoir des raisons graves pour obtenir cette séparation.

Il est vrai, messieurs, que le conseil provincial de Namur, saisi de la question dans une session précédente, a émis un avis défavorable, et je le conçois d'autant mieux que, moi aussi, je suis, en règle générale, très peu sympathique aux séparations de communes. Mais l'importance des faits allégués par les pétitionnaires, faits dont je puis attester l'exactitude, attendu que les habitants de Sart-Bernard sont mes plus proches voisins, et que je connais parfaitement les localités, l'importance de ces faits, dis-je, me paraît suffisamment justifier un nouvel et sérieux examen. J'appuie donc les conclusions de la commission, et je demande à l'honorable ministre de l'intérieur de vouloir bien faire examiner à nouveau la pétition des habitants de Sart-Bernard, sans toutefois vouloir rien préjuger sur le fond même de la demande.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je ne puis pas me rappeler exactement tous les détails de l'affaire dont vient de parler l'honorable M. Wasseige. La demande des voisins de M. Wasseige est arrivée peu de temps après que la demande de séparation avait été rejetée par le conseil provincial, à une assez forte majorité, si je ne me trompe. Je ne pourrais dire si la nouvelle requête a été renvoyée au gouverneur de la province pour qu'il consulte de nouveau le conseil provincial. Quoi qu'il en soit j'examinerai l'affaire.

Comme l'honorable M. Wasseige je suis peu partisan des séparations de communes ; il ne faut prononcer le divorce que lorsque le mariage est devenu complètement impossible. Aussi je ne propose jamais à la Chambre des séparations de communes à moins d'un avis conforme du conseil provincial, qui est l'autorité la plus compétente en pareille matière.

M. Wasseige. - Je remercie M, le ministre de l'intérieur de ce qu'il vient de dire, je ne lui demande rien de plus. J'ajouterai seulement, messieurs, que la situation peut s'être modifiée depuis le vote du conseil provincial et que j'ai quelques raisons de croire que le conseil communal de Wierde serait aussi disposé à accepter lui-même la séparation.

- Le renvoi à M. le ministre de l'intérieur est mis aux voix et adopté.


M. Vander Donckt, rapporteurµ. - Par pétition sans date, le sieur Reynaert, secrétaire communal à Haeltert, prie la Chambre de prendre, les mesures nécessaires pour améliorer la position des secrétaires communaux.

Messieurs, il y a déjà eu beaucoup de pétitions de ce genre et la discussion sur le même objet s'est renouvelée fréquemment dans cette enceinte de manière que la commission s'est bornée, pour le moment, à vous proposer le renvoi à M. le ministre de l'intérieur.

- Adopté.


M. Vander Donckt, rapporteurµ. - Par pétition datée de Bruxelles, le 6 novembre 1867, des habitants de Bruxelles demandent le prompt achèvement des travaux de la nouvelle gare du Midi.

Depuis il est encore arrivé une pétition ayant le même objet et datée de Bruxelles, le 7 décembre 1867.

Ces pétitions sont toutes les mêmes ; elles demandent toutes au gouvernement l'achèvement de la nouvelle station du Midi.

Il en est encore arrivé une hier et aujourd'hui et le greffier en a analysé une nouvelle.

Je demande, messieurs, la permission de réunir toutes ces pétitions dans un même rapport qui sera fort court, c'est-à-dire : Purement et simplement le renvoi à M. le ministre des travaux publics.

- Adopté.


M. de Maere, rapporteur. - Par pétition datée de Bruxelles, le 15 novembre 1867, des habitants de Bruxelles demandent la révision de la loi du 25 septembre 18412 sur l'enseignement primaire.

Même demande du sieur Bourlard.

Conclusions : Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur,

- Adopté.


M. de Maere, rapporteur. - Deux mêmes demandes d'habitants de Bruxelles, en date du 5 et du 30 novembre dernier, sont arrivées à la Chambre.

La commission vous propose les mêmes conclusions,

- Adopté.


M. Bouvier-Evenepoel, rapporteurµ. - Par pétition datée de Saint-Léger, le 19 novembre 1867, des habitants de Saint-Léger présentent des observations sur le tracé du chemin de fer projeté qui doit relier Virton au réseau du Grand-Luxembourg.

La loi accordant la garantie d'un minimum d'intérêt pour la concession du chemin de fer devant relier Virton au réseau du Grand-Luxembourg ayant laissé au gouvernement la faculté de fixer tant le point de départ que celui du tracé de ce chemin de fer, votre commission, sans rien préjuger, a l'honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition à M. le ministre des travaux publics.

- Adopté.


M. Bouvier-Evenepoel, rapporteurµ. - Par pétition datée de Bastogne, le 3 décembre 1867, le conseil communal de Bastogne prie la Chambre d'accorder à la compagnie Forcade la garantie d'un minimum d'intérêt sur une somme proportionnée a l'importance des lignes qu'elle aurait à construire et d'accueillir favorablement toute demande de suppression des voies les moins utiles.

La Chambre a déjà eu à s'occuper d'une pétition de même nature que celle dont l'analyse vous est soumise. L'honorable ministre des travaux publics a donné des explications qui oui paru satisfaire la Chambre.

Quoi qu'il en soit, votre commission, sans rien préjuger, vous propose le renvoi de cette pétition à ce haut fonctionnaire.

- Adopté.


M. Bouvier-Evenepoel, rapporteurµ. - Par pétition datée de Samrée, le 29 novembre 1867, le conseil communal de Samrée prie la Chambre d'accorder à la compagnie Forcade la garantie d'un minimum d'intérêt pour les deux lignes de son réseau de chemins de fer qu'elle resterait obligée de construire.

Cette pétition se rapporte à celles sur lesquelles la Chambre a déjà eu, après un débat devant elle, à statuer. La commission vous propose le renvoi à M. le ministre des travaux publics.

- Adopté.


M. Bouvier-Evenepoel, rapporteurµ. - Par pétition datée de Beveren, le 11 octobre 1867, la dame Deweerdt se plaint que son neveu, Léandre Deweerdt, ait été incorporé au 2ème régiment (page 325) de ligne pour un terme de huit années en qualité de réfractaire et demande qu'il soit inscrit comme milicien dans l'armée.

La loi ne permet pas d'accueillir cette réclamation. Léandre Deweerdt n'ayant pas été inscrit pour la milice est devenu réfractaire, et aucune disposition légale ne permet de changer cette position. Mais en vertu de l'article 5, paragraphe premier de la loi du 31 mars 1866 (loi d'amnistie), le temps pendant lequel le sieur Deweerdt a été absent sera décompte des huit années de service qui lui sont imposées.

Votre commission vous propose en conséquence l'ordre du jour.

- Adopté.


M. Bouvier-Evenepoel, rapporteurµ. - Par pétition datée de Gand, le 1er août 1867, le sieur Goethals, soldat au 1er régiment de lanciers, qui s'est engagé pour huit ans en 1861, demande son congé par anticipation.

Le soldat Goethals, Charles-Alphonse, du 1er régiment de lanciers, s'est engagé pour 8 ans 1 mois et 6 jours à ce régiment, le 26 février 1861.

Après avoir subi de nombreuses punitions pour négligence dans son service et paresse, il a été condamné, le 31 janvier 1866, à 15 jours de détention pour première désertion, suivie de retour volontaire dans le délai de 4 semaines et vente d'effets.

Au mois de février dernier, il a sollicité son passage dans l'artillerie, mais ses mauvais antécédents militaires n'ont pas permis la prise en considération de cette demande.

Votre commission vous propose l'ordre du jour.

- Adopté.


M. Bouvier-Evenepoel, rapporteurµ. - Par pétition datée de Lessines, le 24 juin 1867, la veuve Galand demande que son fils Jules, volontaire de 1861, au régiment des grenadiers, soit renvoyé dans ses foyers.

Le caporal Galand, Jules, au régiment des grenadiers, est, comme le dit sa mère, volontaire de 1861. Il s'est engagé pour huit ans 20 jours le 12 mars de cette année et il a, par conséquent, encore environ 1 an 4 mois à servir avant d'avoir accompli son terme d'engagement. Il résulte des renseignements obtenus du département de la guerre que la dame Galand a déjà sollicité le licenciement par anticipation de ce militaire au mois de mars 1865, et le département de la guerre eût accueilli favorablement cette demande, eu égard à la position malheureuse de la pétitionnaire, si les autorités militaires compétentes n'avaient unanimement émis l'opinion que le caporal dont il s'agit s'était rendu indigne de toute faveur par son inconduite.

Bien qu'en sollicitant successivement son passage dans un régiment de cuirassiers, puis au 2ème régiment de lanciers et enfin au 1er régiment de cette arme, le caporal Galand ait surabondamment démontré qu'il ne s'associe point aux demandes de sa mère, votre commission a estimé néanmoins qu'il y avait lieu, pour ne pas contrarier ses sentiments de tendresse maternelle, à procéder à un nouvel examen de la question du licenciement anticipé du caporal Galand. Elle vous propose en conséquence le renvoi de la pétition à M. le ministre de la guerre.

- Adopté.


M. Moncheur, rapporteurµ. - Par pétition datée de Rienne, le 12 avril 1867, les époux Scaillet, demandent que leur fils unique, qui s'est engagé dans la gendarmerie nationale, soit libéré du service.

J.-B. Scaillet et son épouse, de Rienne, demandent que leur fils unique, engagé le 26 août 1864 dans la gendarmerie nationale pour huit ans et qui ne doit rien à sa masse, soit libéré de son engagement et leur soit rendu.

Les époux Scaillet produisent un certificat du bourgmestre de Rienne qui constate que le mari est âgé de 70 ans et la femme de 64 ans et qu'ils sont obligés de solliciter la libération de leur enfant, parce que ces deux vieillards se trouvent dans un étal voisin de l'indigence par suite des infirmités dont ils sont accablés ; ils sont de bonne vie et jouissent de l'estime publique.

Votre commission des pétitions, messieurs, vous propose le renvoi de leur pétition à M. le ministre de la guerre.

- Adopté.


M. Moncheur, rapporteurµ. - Par pétition datée de Gand, le 13 octobre 1867, le sieur Verecke, élève cornet du 2ème régiment de ligne, réformé du chef d'ophtalmie contractée au service et par le fait du service, demande que la pension provisoire dont il a joui pendant deux ans lui soit continuée.

Le sieur Verecke a été élève cornet au 2ème régiment de ligne. Il expose qu'ayant été atteint d'ophtalmie au service et par le fait du service, il a été réformé et pensionné provisoirement pendant deux ans ; mais la cessation de cette pension le met dans la misère, attendu qu'il ne peut se livrer au travail puisqu'il ne voit pas à quinze pas de lui ; il demande à être soumis à une nouvelle visite médicale, afin que la pension dont il jouissait lui soit rendue.

Votre commission propose le renvoi de sa pétition à M. le ministre de la guerre.

M. Vleminckxµ. - Messieurs, si vous adoptez les conclusions de la commission, il est certain que plusieurs pétitions semblables vous seront envoyées.

Voici ce qui arrive : Un soldat est atteint d'une infirmité quelconque. Cette infirmité est considérée comme curable ou incurable.

Dans le premier cas, si elle met le militaire dans l'impossibilité actuelle de pourvoir à sa subsistance par le travail, on le renvoie dans ses foyers avec une pension provisoire. Ce même soldat est soumis ensuite à des visites successives, à des époques déterminées, jusqu'à ce qu'enfin il soit démontré ou que l'infirmité est définitivement incurable et qu'il y a lieu de lui accorder une pension définitive, ou qu'elle ne le met plus dans l'impossibilité de pourvoir à sa subsistance et, dans ce cas, la pension provisoire lui est retirée.

C'est exactement ce qui est arrivé pour le pétitionnaire sur la réclamation duquel il vient d'être fait rapport.

Je dois déclarer, messieurs, parce que je le sais par expérience, qu'en ce qui concerne ces décisions, le département de la guerre se montre toujours excessivement circonspect et bienveillant.

Si donc le réclamant a été privé de sa pension provisoire, c'est qu'après les visites auxquelles on l'a soumis, il a été constaté que son infirmité était peu de chose et ne le mettait pas hors d'état de subvenir à ses besoins.

Par cette considération, je crois qu'il y a lieu de prononcer l'ordre du jour ; je le demande pour un autre motif encore, pour celui que j'ai exposé en débutant ; si vous ne prenez pas cette décision, vous recevrez à chaque instant des pétitions semblables, et sans pouvoir y faire faire droit.

M. Moncheur, rapporteurµ. - La commission a été impressionnée par ce fait que le pétitionnaire prétend que, n'y voyant pas à 25 pas, il lui est impossible de se livrer au travail. Ce fait est-il vrai, ne l'est-il pas ? La commission ne pouvait pas s'en assurer.

Le pétitionnaire demande une nouvelle visite ; il a paru à la commission que cette demande pouvait être accueillie sans inconvénient, puisqu'il s'agissait d'une simple démarche à faire par le médecin qui est chargé de ce service.

S'il résulte de cette seconde visite la confirmation de la première, le pétitionnaire restera privé de sa pension, mais si par hasard la seconde visite, qui sera faite peut-être dans d'autres conditions que la première, faisait reconnaître que le pétitionnaire est en effet hors d'état de pourvoir à sa subsistance, son droit à la continuation de la pension pourrait renaître.

Tels sont les motifs qui ont porté la commission à vous proposer le renvoi pur et simple à M. le ministre de la guerre.

M. Vander Doncktµ. - Jusqu'ici la Chambre a constamment témoigné la plus grande bienveillance pour les pétitionnaires de cette catégorie, c'est-à-dire, pour les militaires qui ont contracté l'ophtalmie militaire au service. Il ne faut pas perdre de vue que ces gens se trouvent dans la position la plus malheureuse qui puisse être.

Quoi ! voilà des jeunes gens qui s'engagent, qui payent de leurs personnes ; ils contractent l'ophtalmie à l'armée et vous prononceriez l'ordre du jour sur leur demande ! Ce serait la première fois que la Chambre prendrait cette résolution.

J'appuie donc les conclusions de la commission.

M. Vleminckxµ. - Il semble véritablement résulter des paroles de l'honorable M. Vander Donckt, que le sort des soldats qui contractent l'ophtalmie au service militaire est négligé par le département de la guerre, et qu'avant de prendre une décision à leur égard, il ne s'entoure pas de toutes les précautions possibles à 1'effet de constater si, oui ou non, ils doivent continuer à jouir de la pension qui leur a été provisoirement accordée.

Il n'en est rien, messieurs.

Si d'un coté il est du devoir du département de la guerre de subvenir aux besoins des soldats qui contractent des infirmités à son service, d'un autre côté, il doit également ménager les intérêts du trésor et ne pas accorder des pensions qui ne doivent pas l'être aux termes des règlements.

Si le département de la guerre avait jugé équitable, non pas après (page 326) une visite, mais après 4, 5 ou 6 visites, de continuer au pétitionnaire sa pension provisoire, il l'eût fait, soyez-en convaincus, car en cette matière il se montre toujours, je le répète, très large et très humain.

Au surplus puisqu'on le prend de la sorte, je n'insiste pas, messieurs, mais je déclare à l'avance que des réclamations de cette nature renvoyées au ministre de la guerre resteront sans résultat, car tout ce qui a dû être fait a été fait.

M. Coomans. - Je ne doute pas des bonnes intentions de M le ministre de la guerre ni de celle des médecins chargés de la visite des militaires malades. Je puis m'associer à tous les éloges qu'il plaira à l'honorable M. Vleminckx de prodiguer à l'un et aux autres sous ce rapport. Mais il est notoire que beaucoup de miliciens ont contracté des maux plus ou moins graves au service et qu'ils ne sont pas pensionnés de ce chef ; il est notoire encore que le département de la guerre a manifesté plusieurs fois le regret très vif et très sincère, j'en suis sûr, qu'il éprouve de ne pouvoir pas accorder autant de pensions qu'il le voudrait et de n'avoir pas à sa disposition une somme assez forte pour accorder des secours temporaires.

Je suis charmé que l'honorable M. Vleminckx renonce à sa proposition d'ordre du jour, car j'aurais dû la combattre très fortement. (Interruption.) Il ne convient pas d'invoquer ici les intérêts du trésor contre les malheureux miliciens, quand on vient à chaque instant demander des augmentations de pensions pour les officiers.

Les miliciens, je l'ai dit bien souvent et je le répète encore, sont les plus méritants dc tous les fonctionnaires belges, car ce sont les seuls qui rendent des services gratuits. Encore une fois, il est inconvenant de renvoyer par un ordre du jour...

M. le président. - Je dois faire remarquer à M. Coomans qu'il n'est plus question de l'ordre du jour.

M. Coomans. - Je demande donc le renvoi de la pétition à M. le ministre de la guerre, en le priant d'examiner de très près cette réclamation et toutes les autres qui nous sont déjà parvenues et qui nous parviendront encore.

M. Vleminckxµ. - Je demande la parole.

M. le président. - Je ne puis pas m'empêcher de faire remarquer que l'ordre du jour est une décision parfaitement réglementaire ; dès lors on ne peut pas la déclarer inconvenante.

M. Vleminckxµ. - C'est précisément ce que j'allais dire tout d'abord et je remercie M. le président de l'avoir dit pour moi, mais je fais remarquer à la Chambre que, dans d'autres circonstances encore, l'honorable M. Coomans a produit ici les mêmes allégations.

M. Coomans. - Oui.

M. Vleminckxµ. - Il est venu dire naguère à la Chambre qu'il est de notoriété publique que des miliciens ayant contracté des infirmités au service sont renvoyés dans leurs foyers sans la pension qui leur était due. J'ai défié alors l'honorable M. Coomans de citer un seul fait à l'appui de cette allégation ; je l'en défie encore aujourd'hui ; je le défie d'apporter à cette Chambre un seul fait, ayant un caractère suffisant de véracité, qui corrobore les assertions qu'il n'a pas craint de réitérer tout à l'heure.

M. Coomans. - Je demande la parole.

M. le président. - Veuillez, je vous prie, ne pas insister sur ce débat, qui n'a plus aucun intérêt.

M. Coomans. - Il doit au moins m'être permis de me défendre.

M. le président. - Sans contredit ; mais je vous prie d'être bref.

M. Coomans. - J'ai dit que maints miliciens ayant contracté des infirmités au service n'ont pas été pensionnés, je pourrais le prouver en citant maints noms propres. (Interruption.)

Maintenant, je n'ai nullement affirmé que la loi eût été violée, qu'on n'eût pas fait en faveur de ces miliciens ce que la légalité et l'humanité même ordonnaient de faire, mais je suis convaincu qu'on a été très sévère à leur égard et très parcimonieux des deniers publics, chose que je considérerais comme une vertu dans d'autres circonstances ; mais comme je n'ai pas deux poids et deux mesures, je désire que l'on fasse quelque chose pour los soldats, pour les pauvres soldats, alors qu'on fait tant pour les officiers.

M. de Brouckere. - Messieurs, nous pouvons tous remarquer que M. le président de la Chambre fait en sorte que cette assemblée s'occupe, dans le plus bref délai possible, de toutes les pétitions qui lui sont envoyées. Je le loue de l'activité qu'il déploie dans cette partie du service de la Chambre, activité dont il fait également preuve dans toutes les autres parties...

M. Coomans. - Nous sommes d'accord là-dessus.

M. de Brouckere. - Nous le serons peut-être encore sur d'autres points.

Mais si nous ne voulons pas que la Chambre soit inondée de pétitions, il ne faut pas que nous nous montrions trop prodigues de renvois aux différents ministres.

Chaque fois qu'un membre de cette Chambre se lève pour demander l'ordre du jour sur une pétition, on lui dit : « Quoi ! répondre à une pétition par un humiliant ordre du jour, par un dédaigneux ordre du jour, par un outrageant ordre du jour ! » Et très souvent la Chambre se laisse entraîner par ces exclamations ; pour ne se montrer ni dédaigneuse ni outrageante, elle vote le renvoi à un ministre.

Selon moi, on donne une fausse signification à la résolution que prend la Chambre, lorsqu'elle prononce l'ordre du jour sur une pétition ; l'ordre du jour signifie seulement que la pétition n'est pas de la compétence de la Chambre. L'objet de la pétition peut être très intéressant ; le pétitionnaire peut être très intéressant lui-même ; mais si la requête qu'il adresse à la Chambre n'est pas de sa compétence, pourquoi voulez-vous empêcher que la Chambre ne prononce l'ordre du jour ?

Messieurs, on aurait tort de continuer à marcher dans cette voie. Nous ne devons renvoyer des pétitions au gouvernement que lorsqu'il s'agit de l'intérêt général ou bien quand un particulier se plaint de ce que le gouvernement s'est montré injuste à son égard et qu'il en administre quelques preuves.

Mais si, par exemple, nous renvoyons aujourd'hui au ministre de la guerre la pétition par laquelle d'anciens soldats se plaignent de n'avoir pas obtenu, soit une pension, soit une indemnité, nous allons recevoir une foule de requêtes de ce genre.

La pétition sur laquelle l'honorable M. Moncheur vient de faire un rapport n'est pas de la compétence de la Chambre. M. le ministre de la guerre a examiné la réclamation ; il a trouvé qu'elle n'était pas fondée ; et dans la supposition que vous lui renvoyiez la requête qui vous a été admise, trouvera-t-il la réclamation plus fondée ? Evidemment non. Le renvoi ne produirait aucun résultat. Ce n'est pas un service que vous rendriez au pétitionnaire. Cette décision n'aurait qu'un seul effet : c'est de provoquer l'envoi d'une foule de pétitions.

En résumé, je crois que nous faisons très bien de nous occuper dans un bref délai de toutes les pétitions qui nous sont adressées, et je rends de nouveau à M. le président la justice, à laquelle il a droit de ce chef ; mais plus nous prenons en sérieuse considération le droit de pétition, plus il faut que notre examen se fasse avec soin, et plus il est nécessaire que nous ne fassions pas légèrement accueil à des pétitions qui ne sont pas de la compétence de la Chambre.

Je déclare donc que je voterai pour l'ordre du jour sur la pétition dont il s'agit.

M. le président. - M. de Brouckere, il n'y a plus d'autre proposition que celle du renvoi de la pétition à M. le ministre de la guerre.

M. de Brouckere. - Par les motifs que je viens d'indiquer, il m'est impossible de ne pas proposer l'ordre du jour.

- L'ordre du jour est mis aux voix et prononcé.


M. Moncheur, rapporteurµ. - Par pétition datée de Florenville, le 18 novembre 1867, les gardes champêtres du canton de Florenville prient la Chambre d'améliorer leur position.

Messieurs, les gardes champêtres du canton de Florenville vous rappellent la grande utilité de leurs fonctions. Ils ne protègent pas seulement les propriétés particulières par leur surveillance incessante, mais la sécurité publique dans les campagnes est en grande partie leur œuvre ; la tâche qu'ils ont à remplir intéresse donc la société tout entière ; leur institution forme un des rouages indispensables de l'administration générale du pays. Elle est en quelque sorte la base de la sûreté publique dans les communes rurales.

Mais ils sont loin d'être convenablement rétribués. Un grand nombre d'entre eux ne reçoivent en moyenne, pour tout salaire, que la faible somme de cent vingt francs, et il est évident qu'un pareil traitement ne peut leur donner ni l'indépendance, ni le prestige nécessaire à l'exercice de leurs fonctions.

II appartient, ajoutent-ils, à la législature de prendre l'initiative à cet égard, et de même qu'on a déjà, en général, amélioré la position des instituteurs et des secrétaires communaux sans nuire à l'indépendance des communes, les pétitionnaires voudraient que le gouvernement, (page 327) suivant en cela l'impulsion qui serait donnée par la législature, s'occupât des moyens directs ou indirects d'améliorer aussi le sort des gardes champêtres.

Ils appellent notamment l'attention de la Chambre sur un mode de rétribution équitable et analogue à ce qui se passe pour les gardes forestiers, c'est de faire fixer leurs traitements à raison de tant par hectare du territoire communal à garder.

Votre commission, messieurs, est convaincue de la grande utilité des fonctions de gardes champêtres, lorsqu'elles sont bien remplies. Elle estime aussi que les plaintes des pétitionnaires sont généralement fondées et que c'est en général aussi à l'exiguïté des traitements alloués à ces fonctionnaires qu'est due l'imperfection avec laquelle leurs devoirs sont souvent remplis. Dans la plupart des communes rurales, les fonctions de gardes champêtres ne sont que l'accessoire des occupations auxquelles se livrent ceux qui les occupent, et qui, faute d'être convenablement rétribuées, doivent nécessairement chercher dans d'autres travaux ou dans une autre profession ou un autre état quelconque un salaire indispensable pour leur entretien et celui de leur famille.

Mais la dépense relative à la police rurale est, d'après nos lois, une charge communale. L'Etat n'a pas à y intervenir directement.

Toutefois ; votre commission pense, messieurs, qu'il n'est pas sans utilité d'attirer une fois de plus l'attention sérieuse du gouvernement sur les moyens de persuasion ou d'encouragement qu'il y aurait à employer auprès des conseils communaux pour leur faire sentir l'importance des agents de la police rurale qui sont aussi, en bien des circonstances, les agents de la police générale, et pour les engager à faire tous les sacrifices possibles pour mettre ces fonctionnaires en état de remplir exactement et utilement leurs fonctions.

En conséquence, votre commission vous propose le renvoi de la pétition dont il s'agit à M. le ministre de l'intérieur.

- Ces conclusions sont adoptées.

Projet de loi d’organisation judiciaire

Discussion des articles

Disposition finale

Article additionnel (nouveau)

M. le président. - La discussion continue sur l'article additionnel présenté par MM. Delaet et autres membres.

M. de Maere. - Messieurs, j'ai assisté hier en auditeur fort attentif, mais fort paisible aussi, à la longue discussion qui a surgi au sujet de l'amendement ou plutôt de l'article additionnel proposé à la loi que nous discutons.

J'étais décidé à voter silencieusement l'amendement, lorsqu'une parole prononcée à deux reprises différentes par l'honorable M. Hymans, m'a fait changer d'avis.

Cette parole, à mon sens fort étrange, peut-être imprudente, à coup sûr inexacte, disait que le mouvement flamand, tel qu'il est organisé aujourd'hui, n'était qu'une affaire de dilettantisme littéraire, que ce mouvement était essentiellement factice, qu'il n'avait pas de racines dans les populations, qu'il était exploité par quelques individus, toujours les mêmes, greffé, vissé par eux (c'est son expression) tantôt sur l'une tantôt sur l'autre manifestation de l'opinion publique, à condition toutefois que cette manifestation fût antilibérale et surtout antiministérielle.

A l'appui de cette thèse, l'honorable membre ajoutait qu'il avait vécu à Anvers, à Gand, et qu'il avait suivi le mouvement flamand depuis vingt ans ; que malgré son vif attachement, son grand amour pour la langue néerlandaise, qu'il qualifiait à bon droit de très belle, de très riche et de très littéraire, il lui était impossible de prendre au sérieux ce que quelques-uns dans le pays appelaient le mouvement flamand.

Eh bien, messieurs, c'est contre cette assertion de l’honorable membre, qui je dois élever une énergique protestation.

Comment ! messieurs, le mouvement flamand est factice ; il n'existe que dans l'esprit de quelques ambitieux, pour ne pas dire de quelques intrigants, qui s'en font un piédestal et un marchepied pour parvenir.

M. Hymans. - Je n'ai pas dit cela. J'ai dit : « de quelques littérateurs ».

M. de Maere. - C'est à peu près le sens de vos paroles. (Interruption.)

Ce mouvement serait essentiellement un instrument d'opposition.

Eh bien, je dis qu'il ne faut pas vivre en Belgique et qu'à coup sûr il ne faut pas habiter les contrées flamandes, pour tenir un pareil langage.

Est-ce un mouvement factice celui qui a crée toutes ces associations dramatiques, ces chambres de rhétorique, ces sociétés littéraires et musicales qui couvrent le pays flamand d'un bout à l'autre ; qui a organisé toutes ces conférences, ces bibliothèques populaires ; qui a donné naissance à ces innombrables publications qui alimentent nos 125 scènes flamandes ; qui a fait que dans les sept dernières années plus de 150 pièces nouvelles et originales ont participé aux subsides de l'Etat ; qui a fait qu'en 1866 72 pièces flamandes ont eu 235 représentations contre 3 pièces françaises ayant eu seulement 11 représentations ?

Je demande si c'est un mouvement factice qui a fait naître ce magnifique réveil de l'art musical flamand, dont Gevaert, Benoit et Miry ont été les initiateurs, qui s'affirme tous les jours davantage et qui bientôt s'installera en maître dans cette forteresse musicale dont il fut banni pendant si longtemps, et qui s'appelle le conservatoire de Bruxelles ?

Est-ce un mouvement factice celui qui reçoit de toutes les autorités constituées, de la commune, de la province, de l'Etat, de la couronne même, de si généreux, de si constants, de si paternels encouragements, qui a su, en moins de vingt années réunir, à neuf reprises différentes, cinq fois en Belgique, quatre fois en Hollande, ces grandes et solennelles assises où se débattent tous les intérêts de la race thioise ou néerlandaise ?

Voulez-vous savoir, messieurs, comment, cette année même, s'exprimait un homme qui par sa position est à même de bien connaître la valeur du mouvement flamand et de constater qu'il a une portée autrement sérieuse que celle que veut bien lui reconnaître l'honorable M. Hymans ?

Voici ce que disait l'honorable bourgmestre de Gand au dernier congrès néerlandais réuni dans cette ville :

« Ce qui caractérise la race néerlandaise, c'est son amour pour la commune indépendante, sa répugnance pour toute centralisation, et sous ce point de vue, les Wallons aussi sont nos frères.

« Mais justement parce qu'ils sont nos frères, ils ne nous en voudront pas, si nous cherchons à conserver et à faire progresser notre langue et notre littérature qui réfléchissent la liberté et l'amour de la commune. Car c'est là le caractère propre de la Belgique d'avoir une seule population et deux langues nationales. L'administration communale de Gand, ajouta-t-il, porte à vos travaux le plus vif intérêt ; vos travaux sont les nôtres. »

Voilà ce que disait le premier magistrat de la ville de Gand à ceux qui étaient venus de tous les coins de la Belgique et de la Néerlande, pour faire du dilettantisme littéraire. Evidemment M. Hymans n'a pas lu ce discours. Il avouera qu'en fait de mouvement flamand, il est singulièrement distancé par l'honorable bourgmestre de Gand.

Immédiatement après lui, dans la même circonstance, le délégué de M. le ministre de l'intérieur s'est levé et voici en quels termes il s'est exprimé :

« Je suis heureux de pouvoir m'acquitter de cette mission honorable et de vous exprimer l'espoir, au nom du ministre, de voir porter à ce neuvième congrès, non seulement, les fruits les meilleurs pour la littérature nationale, mais encore, qu'il resserrera les liens fraternels que les réunions précédentes ont établis si heureusement entre les penseurs et les auteurs des provinces néerlandaises, politiquement séparées aujourd'hui. Cet espoir, messieurs, sera réalisé. Nous en avons pour garants l'esprit de fraternité qui nous anime tous, l'amour que nous portons à notre belle langue maternelle, amour qui nous réunit ici dans un but commun, à savoir l'émancipation intellectuelle et la civilisation de la race thioise.

Voilà ce que disait le délégué de M. le ministre, en d'autres termes voilà comment M. le ministre de l'intérieur lui-même entend et définit le mouvement flamand.

Je n'ai pas besoin de dire que je préfère sa définition à celle de l'honorable M. Hymans.

Ce n'est pas tout : bien mieux encore que de le comprendre et de le définir, dans les termes élevés et patriotiques que j'ai cités, l'honorable ministre de l'intérieur, et ce sera pour lui un éternel honneur, a donné au mouvement flamand sa dernière consécration et si je puis dire, son caractère officiel. En effet, l'arrêté royal du 21 novembre 1864, qui a déclaré obligatoire l'orthographe hollandaise pour tous les établissements subsidiés et salariés par l'Etat, pour toutes les pièces administratives, pour la traduction des lois et règlements généraux, a tiré enfin la langue flamande de l'état d'abandon et d'anarchie littéraire dans lequel elle avait vécu jusqu'alors. Depuis cette époque, les langues hollandaise et flamande, en tant que langues distinctes, ont cessé d'exister, et aujourd'hui une seule largue, la langue néerlandaise, règne sans conteste et sans partage des deux côtés du Moerdyck.

(page 328) Devant ce fait, fait important pour tous ceux qui savent l'influence que possède la forme littéraire sur la propagation des idées, doivent tomber tous les arguments qu'on n'a cessé, hier encore, de faire valoir contre l'existence du flamand, en tant que langue distincte parlée et écrite

Messieurs, je ne veux pas dans ce moment insister davantage sur ce point. J'ai voulu seulement établir, contrairement à l'assertion de l'honorable M. Hymans, que la vie flamande éclate de toutes parts, qu'elle se manifeste vigoureusement dans toutes les formes que peut revêtir la pensée humaine, dans les lettres, dans les sciences, dans les arts, et je dis que lorsque de telles choses se produisent presque au lendemain d'un long sommeil séculaire, on est mal venu de jeter en quelque sorte l'ironie et la moquerie à la face de tant de gens convaincus et qu'un mépris affecté et injuste n'a jamais rien sauvé.

Et puisque l'honorable M. Hymans est historien, qu'il me soit permis de lui rappeler le mot du comte de Berlaimont à la duchesse de Parme : « Ce ne sont que des gueux. » L'honorable M. Hymans sait aussi bien que personne ce que furent ces gueux et ce qu'ils ont fait.

J'arrive maintenant au fond du débat.

Un fait incontestable, c'est que la population de la Belgique est divisée en deux groupes qui parlent deux langues différentes ; ce qui n'est pas moins incontestable, c'est que dans un pays libre, où tous les pouvoirs émanent de la nation, les administrateurs doivent connaître la langue des administrés.

Cela est tellement vrai que la Constitution, article 23, a dit qu'une loi réglerait l'emploi des langues en matière judiciaire et qu'en effet l'article 2 de la loi du 19 septembre 1831 dit qu'il sera publié un recueil des lois, qui contiendra une traduction en flamand et une traduction en allemand de toutes les lois promulguées en français.

Voilà donc une loi qui, dès le lendemain de la révolution, réglait l'emploi des langues. La loi n'a pas abandonné au gouvernement le soin de faire traduire les lois suivant les nécessités du service tantôt en flamand tantôt en allemand, mais elle, a du premier jour, arrêté et fixé définitivement ce que j'appellerai la langue écrite du pouvoir judiciaire.

Eh bien, ce qui est vrai pour la langue écrite, pourquoi ne serait-il pas vrai pour la langue parlée, c'est-à-dire pourquoi ne pas exiger des magistrats à nommer dans les tribunaux flamands la connaissance de la langue flamande ?

M. le ministre nous répond qu'en fait cela se pratique ainsi et qu'aucun fonctionnaire de l'ordre judiciaire n'est nommé dans les provinces flamandes quand il ne connaît point la langue du pays

J'ai, quant à moi, toute confiance dans les assertions de l'honorable ministre. Mais je me demande quel obstacle il peut y avoir à ce que ce fait, si bon et si utile, inévitable même, posé tous les jours par l'honorable ministre, soit inscrit comme principe dans la loi ? L'adoption de l'amendement n'est que la garantie future du fait actuel.

Malheureusement, je dis malheureusement pour l'honorable M. Bara, que je suis fort aise de voir au banc ministériel, les ministres passent et les lois restent, c'est l'unique motif qui me fait désirer de voir la clause en question passer dans la loi. De cette manière seulement, l'engagement pris par l'honorable ministre actuel liera ses successeurs.

D'ailleurs, pour moi, la loi doit être la théorie du fait.

Pour tous ces motifs, je voterai l'amendement qui nous est soumis.

M. Hymans (pour un fait personnel). - Messieurs, je ne crois pas avoir besoin de me justifier d'avoir demandé la parole pour un fait personnel, après un honorable orateur qui m'a accusé d'avoir parlé d'une cause respectable avec un mépris affecté, d'avoir déversé sur elle l'ironie et la moquerie, et d'avoir prétendu que le mouvement flamand n'est que l'œuvre de quelques ambitieux, de quelques intrigants ; alors que je n'ai rien dit, rien pensé de semblable.

J'ai dit (et l'honorable orateur qui vient de se rasseoir a confirmé mes paroles d'un bout à l'autre de son discours) que le mouvement flamand qu'il nous représente comme respectable et que je respecte autant que lui, est un mouvement exclusivement littéraire. Eh bien, cette assertion, l'honorable membre en a démontré toute la vérité. Que nous a-t-il dit ?

« Est-ce un mouvement factice que celui qui a produit tant d'œuvres littéraires si remarquables ? Est-ce un mouvement factice que celui qui a produit tant d'œuvres dramatiques que le pays applaudit ? Est-ce un mouvement factice que celui qui organise, sur tous les points des Flandres des sociétés de rhétorique ? Est-ce un mouvement factice que celui qui donne une si grande impulsion à l'art musical ? Est-ce un mouvement factice que celui qui a si largement développé les bibliothèques populaires ? »

Vous le voyez, tout ce qu'a dit l'honorable membre prouve à l'évidence que le mouvement dont il a vanté les succès n'est, en réalité, qu'un mouvement littéraire, qu'un mouvement artistique, pour lequel les populations se servent de la langue à laquelle elles sont le plus habituées et qui leur convient le mieux pour la réalisation de leurs efforts.

Quand l'honorable membre a cité le discours du bourgmestre de Garni au congrès néerlandais, il a prouvé que cette manifestation fraternelle avait un caractère exclusivement littéraire ; quand il parlait des rapports entre les penseurs, les auteurs et les écrivains de la Flandre et de la Hollande, il a prouvé à l'évidence que ce n'était qu'un mouvement littéraire que le bourgmestre de Gand voulait encourager. Je constate que l'honorable M. de Kerchove fait un signe d'assentiment et je suis certain que ni l'honorable bourgmestre de Gand, ni aucun des libéraux de la Flandre, n'a jamais voulu encourager le mouvement flamand tel que l'entendent los honorables auteurs de la proposition qui nous occupe.

Encore un mot, messieurs ; que pensez-vous de cette question que nous pose M. de Maere :« Est-ce un mouvement factice que celui auquel le gouvernement donne de si forts subsides ? »

M. de Maere. - Il l'encourage de toutes les manières.

M. Hymans. - Surtout par des subsides. Certes le mouvement, fût-il factice, les subsides contribueraient pour quelque chose à le rendre plus sérieux, et si les subsides étaient plus considérables encore, le mouvement pourrait devenir général, même parmi les Wallons qui se mettraient, eux aussi, à faire du flamand. (Interruption.)

M. Coomans. - Il s'agit des idées flamandes.

M. Hymans. - Je voudrais bien que l'honorable M. Coomans me dît quelle est au XIXème siècle, pour un esprit aussi cosmopolite et aussi radical que le sien, la différence entre une idée flamande et une idée française.

Il ne peut du reste y avoir en Belgique que des idées nationales, quelle que soit la langue dans laquelle on les exprime.

A un autre point de vue, que signifie le discours de l'honorable M. de Maere, quelle portée peut-il avoir si ce n'est de rendre un hommage éclatant au gouvernement que ses alliés d'aujourd'hui ne cessent de combattre ? Il a rappelé tout ce que le gouvernement a fait en faveur de la langue flamande ; le gouvernement et surtout l'honorable M. Vandenpeereboom qui, depuis le premier jour de son entrée au pouvoir, a prodigué les encouragements aux lettres flamandes.

J'ai reconnu hier que les lettres flamandes ne sont pas un instrument d'opposition. Sur ce point, je suis d'accord avec l'honorable membre, et je proteste énergiquement contre les accusations qu'il m'a adressées, en prétendant que je voulais flétrir en quelque sorte ce mouvement respectable ; mais le mouvement qu'il défend aujourd'hui n'est pas autre chose qu'un mouvement politique ; et dans ce nouveau rôle, j, crois que l'honorable M. de Maere sera désavoué par tous ses collègues de la députation gantoise.

M. de Maere. - Je proteste de toutes mes forces contre les dernières assertions de l'honorable membre.

M. le président. - M. de Maere, veuillez ne pas prendre la parole avant que je vous l'aie accordée.

La parole est à M. Delaet.

M. Delaetµ. - Messieurs, je crois que la question est décidée. De quoi s'agit-il ? D'inscrire dans la loi la garantie que les magistrats envoyés dans les provinces flamandes et dans les arrondissements flamands, connaîtront la langue flamande.

Hier, l'honorable ministre de la justice a bien voulu me dire, en termes polis, que je remplissais une tâche très facile, que j'avais obtenu avant de demander. S'il avait été moins poli, il m'eût dépeint comme un homme assez brave pour enfoncer, sans peine et sans danger aucun, des portes ouvertes. Je ne trouve pas pourtant que cette porte soit si largement ouverte, que M. le ministre de la justice n'ait soin d'en garder très étroitement la clef.

Il nous dit : Mais de quoi vous plaignez-vous ? Ce que vous demandez existe. Seulement cela existe parce que je le veux bien, parce que mes sentiments de justice et mon équité m'obligent moralement à faire ce que vous demandez d'inscrire dans la loi.

Je ne sais pas jusqu'à quel point M. le ministre de la justice peut nous demander à nous, membres de l'opposition, un vote de confiance personnelle. Mais, je voudrais le lui accorder, que je ne lui en demanderais pas moins d'inscrire dans la loi la garantie qui doit nous assurer contre des abus possibles et dont nous avons eu à nous plaindre.

Ainsi, M. le ministre nous a dit : Le mal dont vous vous plaignez (page 329) n'existe pas, mais il a existé. Ce sont des ministres pris dans les rangs des honorables signataires de l'amendement qui ont complètement violé le principe qu'on invoque et qui ne se sont nullement gênés pour nommer des magistrats wallons là où le flamand était absolument indispensable.

Donc, messieurs, ce que nous venons vous demander à vous et à vos amis, c'est de nous prémunir contre les abus des futurs ministères de la droite. Voilà dans quel sens nous faisons de l'opposition.

La loi, comme l'a fort bien dit l'honorable M. de Maere, la loi reste, les ministères passent.

M. Coomans. - Heureusement.

M. Delaetµ. - Le successeur de l'honorable M. Bara pourrait bien n'être point animé des sentiments de justice et d'équité dont se vante l'honorable ministre.

Il y a une distinction très formelle à faire. L'honorable ministre l'a faite et j'appelle toute votre attention sur la plaidoirie qu'il a prononcée en faveur de l'amendement. Ce que nous désirons, ce que désirent les populations flamandes, c'est de ne pas dépendre du bon vouloir d'un ministre, c'est d'être citoyens de leur pays et de ne pas pouvoir être placés devant un juge qui ne les comprenne pas.

On a essayé, messieurs, de mettre la question sur le terrain politique et d'affirmer que nous faisons une agitation d'opposition au ministère ; que c'était là un moyen électoral ; qu'il n'y avait pas d'autre mouvement flamand que celui qu'ont fomenté et qu'entretiennent quelques littérateurs ; que, par conséquent, vous aviez un intérêt politique à nous repousser et que le pays n'avait pas à tenir compte de nos réclamations.

Messieurs, le mouvement flamand date de 1840. En 1840, 200 communes, à titre de corps constitués, et plus de 80,000 pétitionnaires vous ont demandé ce que nous en sommes réduits à vous demander encore aujourd'hui.

Je ne me rappelle pas en ce moment quel était le ministère d'alors, c'était, je crois, celui de l'honorable M. Rogier. Mais peu importe. Ce que je veux constater et ce que l'honorable M. Rogier confirmera sans doute, c'est que ces pétitions n'ont pas cessé de se produire sous quelque ministère que ce fût, ministère de droite, ministère de gauche, ministère de centre. Le mouvement a constamment continué.

Ainsi, voilà un singulier moyen d'opposition de parti, qu'une opposition qui se produit envers tout le monde et toujours.

Je crois que si le caractère d'un mouvement réel se trouve quelque part, c'est là où le mouvement n'est pas au service de l'une ou de l'autre nuance politique et réclame de ces deux nuances les mêmes droits alors qu'elles sont au pouvoir.

M. Hymans tout à l'heure a pris texte du discours même de l'honorable M. de Macro pour dire que c'était un mouvement littéraire artistique, et intellectuel qui s'était répandu sur toute la surface du pays et que si l'on augmentait les subsides il s'accroîtrait encore. Les subsides ne créent jamais rien, ne produisent rien de viable. Le mouvement flamand se propage et gagne tous les jours en énergie et en étendue parce qu'il pousse dans son sol natal et sous son véritable climat. Vous supprimeriez tous subsides, que le mouvement continuerait.

Vous avez jugé convenable d'encourager le mouvement littéraire et artistique ; mais, du moment que les artistes, les savants, les littérateurs, et ceux qui les écoutent et les lisent, ont voulu être citoyens et se placer sur le terrain politique, vous avez eu peur de leurs tendances, vous vous êtes mis à les traiter comme s'ils n'étaient pas Belges.

Il est impossible pourtant de supposer un mouvement intellectuel et moral ayant cette puissance qui ne soit en même temps un mouvement politique dans le sens le plus large du mot, c'est-à-dire : dans le sens du progrès intellectuel des populations et de la conquête de leurs droits. M. Hymans et d'autres avec lui ont nié le caractère politique du mouvement flamand.

Mais on ne vous a pas dit que les provinces flamandes comptent au moins 80 à 100 journaux quotidiens, dont plusieurs ne le cèdent en rien aux meilleurs organes de notre presse française.

On ne vous a pas dit que les publications politiques hebdomadaires et mensuelles y sont en grand nombre.

Et quand toute cette vie intellectuelle, littéraire, artistique, scientifique est là, vous viendrez dire à nos populations qu'elles n'ont plus rien à faire, rien à prétendre dans l'Etat ; qu'elles ont à disparaître ou à apprendre le français.

Mais il n'y a pas d'agitation !

Si dans un pétitionnement constamment renouvelé, si dans les réclamations de toutes les populations flamandes, réclamations que la plupart d'entre vous, je l'avoue, ne lisent pas parce qu'ils ne sont pas en état d'en prendre connaissance ; si la résolution prise par beaucoup de conseils communaux, par certains conseils provinciaux, de se servir de préférence de la langue flamande, mesure dont le conseil communal de Saint-Nicolas a pris l'initiative, que le conseil communal d'Anvers a adoptée ensuite, que le conseil provincial applique en grande partie, si tout cela ne vous dit pas qu'il est temps de ne plus traiter dédaigneusement nos réclamations trop fondées, mais aussi trop longtemps repoussées, que faudra-t-il pour vous déterminer à nous rendre justice ?

On a rappelé qu'il y a eu de l'agitation avant 1830, parce qu'on voulait imposer la langue flamande aux Wallons. Il y a eu non seulement de l'agitation, mais la révolution. Aujourd'hui on nous accuse de vouloir renouveler les griefs d'avant 1830 et de jeter des ferments de discorde dans le pays.

Mais, messieurs, le reproche serait très juste, si on voulait bien le retourner, c'est-à-dire si nous le renvoyions à ceux qui nous l'adressent.

La révolution de 1830 a été faite, non pas parce qu'on voulait imposer l'usage de la langue néerlandaise aux Wallons chez eux et sur le sol wallon ; jamais le roi Guillaume n'a poussé, même dans ses espérances d'avenir, ses prétentions jusque-là.

Il a voulu purement et simplement que dans les provinces flamandes la langue néerlandaise fût la langue de l'administration et de la justice. Mais c'est pour protester contre un danger futur que toute l'agitation d'alors s'est produite.

On a affirmé que le barreau de la Flandre même ne voulait pas de la langue flamande. C'est très vrai et très naturel.

On a ajouté que ce barreau ne voudrait pas qu'on le lui imposât aujourd'hui. C'est encore très vrai, mais moins vrai cependant parce qu'il y a aujourd'hui beaucoup d'avocats qui sont en mesure de plaider en flamand ; mais je le reconnais, messieurs, cela est cette fois encore très naturel.

En 1819, nous sortions du régime français ; toutes les études avaient été faites en français ; la langue nationale avait été littérairement négligée dans les universités. (Interruption.) Oui ; elle avait été littérairement négligée par la population, et elle avait été proscrite par le gouvernement français.

Aujourd'hui dans vos universités de l'Etat, dans toutes les universités, parce qu'en définitive les examens sont là qui déterminent l'usage de la langue, vous vous occupez exclusivement du français ; vous prenez nos jeunes gens au collège, vous les élevez en français, vous leur faites faire leurs études universitaires en français et puis vous les mettez au défi de se servir du flamand.

Le résultat de votre politique est donc qu'en ce moment la majorité du barreau serait fort gênée d'employer la langue flamande ; aussi n'avons-nous pas la prétention de la lui imposer ; ce que nous voulons, c'est d'arriver lentement, sans secousses, sans froissements, au redressement de nos griefs. C'est pourquoi nous vous invitons à inscrire dans la loi que les magistrats, pour être nommés dans les provinces flamandes, auront à connaître le flamand. Faites une disposition légale de ce qui est aujourd'hui laissé au libre arbitre ministériel, et il en résultera que, comme tout docteur en droit peut un jour se destiner à la magistrature, les jeunes étudiants en jurisprudence apprendront la langue flamande.

S'il se rencontre alors des accusés ou des prévenus qui ne savent pas le français et qui pourtant ont intérêt à savoir ce que disent l'accusation et la défense, il n'y aura plus aucune difficulté à lui donner la satisfaction qu'on aurait tant de difficultés à lui donner aujourd'hui.

Mais, vous-mêmes, vous avez créé l'état de choses que vous invoquez contre nous. (Interruption.) Je ne dis pas vous, ministère actuel, mais, tous les ministères qui se sont succédé depuis 1830 sont coupables du même fait. Je n'accuse pas la gauche, je n'accuse pas la droite, je dis que tout le monde est fautif et que tout le monde est responsable de ce déplorable état de choses.

Revenons-en au point de départ,

Vous niez l'agitation, mais pour qu'il y ait de l'agitation, que faut-il faire ? Faut-il, comme en 1830, descendre dans la rue ? (Interruption.)

Vous demandez où est l'agitation ? Ceux qui habitent les provinces flamandes le savent bien et tous les membres de cette Chambre peuvent savoir ce qu'étaient les pétitions que nous avons reçues. Il y avait les pétitions revêtues de 80,000 signatures.

Est-ce que par hasard il y aurait en Belgique 80,000 littérateurs ?

Tous les ans le mouvement s'accroît. Aussi, messieurs, votre vote d'aujourd'hui est très important et j'appelle votre attention patriotique sur ce vote. Moins ce que nous vous demandons est exagéré, plus notre (page 330) demande est modeste, et plus aussi votre refus aura de retentissement parmi les Belges de langue flamande.

Si vous leur refusez les choses les plus simples, les plus naturelles, comment voulez-vous qu'ils aient foi en vous ?

On leur donnera, comme dit M. Hymans, des subsides, on encouragera les littérateurs, on leur accordera des rubans et des croix ! Mais ce sont là des avantages d'antichambre, ce ne sont pas des droits de citoyens ; le citoyen n'a pas besoin de faveurs, il a besoin de droit et c'est le droit que nous réclamons ; vos faveurs et vos grâces, nous les dédaignons.

Messieurs, je vois à la tournure qu'ont prise les débats, et surtout à l'attitude de la gauche, qu'il y a peu d'espoir d'obtenir pour les populations flamandes ce que nous réclamons pour elles. La Chambre va prendre une détermination de parti, car on juge tout aujourd'hui au point de vue des partis. Le clérical et le libéral, voilà l’alpha et l’oméga de la politique belge.

Mais, messieurs, prenez-y garde, le danger est immense !

Réfléchissez à ce qui fait l'essence du patriotisme dans un pays.. Est-ce un drapeau, est-ce un chant national, est-ce un gouvernement qui proclame qu'il gouverne admirablement, que le pays est heureux, que personne n'a à se plaindre ? Non, messieurs, ce qui constitue le patriotisme c'est la satisfaction réelle du citoyen ; c'est l'orgueil d'appartenir à une nation libre et juste, où tous sont réellement égaux devant la loi, c'est la conscience d'une dignité qui n'est offensée en rien ; c'est la conviction d'être dans son pays ni l'inférieur, ni le serviteur forcé de personne.

Or, messieurs, il n'est pas bon que la grande moitié de là population belge soit condamnée par vos lois à une infériorité que rien ne justifie. Un pays comme le nôtre a besoin du dévouement de tous ses citoyens ; il ne nous faut pas seulement les apparences du patriotisme et, vous le savez, le patriotisme ne saurait subsister longtemps là où l'égalité n'est pas.

M. de Brouckere. - Je date, messieurs, de l'époque où la langue flamande, après avoir été facultative pendant quelques années, et qu'il me soit permis de dire en passant que personne en Belgique n'a usé de la faculté de se servir de la langue flamande ; après avoir été facultative, dis-je, est devenue obligatoire dans toutes les provinces, dans tous les arrondissements flamands.

Il me serait difficile, messieurs, de vous peindre l'émotion, le. mécontentement qui s'empara de toute la Belgique, à l'époque où fut mis à exécution l'arrêté du roi Guillaume qui rendait la langue flamande obligatoire.

Jusqu'au dernier moment, on avait douté que, le gouvernement des Pays-Bas eût osé mettre cet arrêté à exécution. Je ne crains pas de dire, et personne ne me démentira, que l'usage obligatoire, de la langue flamande a été une des principales causes qui ont amené la révolution de 1830.

Vous comprendrez, facilement quelle fut la gêne, quel fut le tourment de tous les hommes qui, bien que nés dans des provinces flamandes, ne connaissent cette langue que pour autant qu'on en ait besoin dans leurs relations familières et journalières, qui n'auraient guère parlé le flamand qu'avec de petits débitants, de petits industriels, des ouvriers, des cultivateurs, des gens de service ; mais qui n'avaient point fait une étude littéraire du flamand, qui le parlaient sans élégance, qui ne savaient pas l'écrire.

Et, en effet, messieurs, nous avions reçu notre instruction en langue, française dans les collèges, dans les universités ; et il en est encore ainsi aujourd'hui ; partout c'est en français que les leçons se donnent dans les établissements d'instruction supérieure et dans les athénées. L’honorable M. Coomans nous a dit qu'il avait fait ses études humanitaires en flamand.

M. Coomans. - Oui.

M. de Brouckere. - Je vais expliquer comment : Il y a dans la Campine quelques écoles latines bien organisées, et où l'enseignement est donné par un petit nombre d'ecclésiastiques de la localité ou des communes voisines. L'instruction s'y donne en flamand, et s'y donne très bien, et c'est probablement là que l'honorable M. Coomans a fait ses premières études.

M. Coomans. - Non ! non ! J'ai été élevé par des libéraux. (Interruption.)

M. Bouvierµ. - On ne s'en douterait pas.

M. Coomans. - J'ai étudié à l'athénée de Gand avant 1830.

M. de Brouckere. - Dans ce cas, ils n’ont pas fait beaucoup d’aussi bons élèves que vous.

Mais, messieurs, c'est une exception unique que celle des écoles latines existant dans la Campine ; partout ailleurs l'instruction se donne en français.

Tous les fonctionnaires, tous à partir de 1823, furent obligés de parler publiquement une langue qu'ils ne connaissaient que très imparfaitement et d'écrire dans cette langue qu'ils n'avaient jamais appris à écrire.

Aussi, messieurs, il est impossible de se faire une idée de la manière dont la langue flamande, à partir de cette époque jusqu'en 1830, fut outragée et massacrée.

On a dit que c'était dans l'intérêt des justiciables qu'on voulait que dans les provinces flamandes, autant que possible, on plaidât et que les affaires s'instruisissent en flamand. Voyons.

En 1823, j'étais substitut du procureur du roi à Maestricht, ville moitié flamande et moitié hollandaise ; eh bien, je vous certifie que de 1819 au 1er janvier 1823, pas un membre du parquet, pas un avocat, pas un avoué n'avait fait usage de la langue flamande dans une ville, je le répète, qui est moitié flamande et moitié hollandaise.

A partir de 1823 donc, force nous fut de plaider en flamand. Eh bien, je vais vous citer un fait dont je vous garantis la plus parfaite exactitude, dont l'exactitude du reste pourrait être affirmée par bien d'autres que par moi.

Un jour, je plaidais une affaire fort compliquée contre l'honorable M. Destouvelle qui faisait partie du barreau et dont on a pu apprécier l'éloquence, dans le sein du Congrès et dans la législature de 1831-1832. Nous avions fait l'un et l'autre de notre mieux ; mais ce mieux était loin d'être bien.

Lorsque les plaidoiries furent finies, nous vîmes le président se pencher à gauche, se pencher à droite et après avoir consulté ses deux collègues ; il nous adressa cette allocution très peu flatteuse pour nous : Messieurs, le tribunal vous a écoutés avec la plus grande attention, mais il doit vous déclarer qu'il n'a rien compris (Interruption) ; et il croit pouvoir prendre sur lui de nous inviter à résumer vos plaidoiries en français, car, dans l’état actuel de la cause, le tribunal ne serait pas sûr de porter un bon jugement.

Nous ne nous le fîmes pas dire deux fois ; et je vous avoue que le résumé fut assez long, tant nous avions plaisir à pouvoir parler une fois notre langue.

On a donc dit que le grand intérêt du justiciable est que les affaires s'instruisent dans la langue qu'il parle. Croyez-vous, par hasard, que l'intérêt du justiciable flamand avait pleine satisfaction lorsque le tribunal s'est vu à la veille de juger sans avoir rien compris ?

Lorsque la langue du défenseur est la langue française, il est plus important pour le justiciable flamand que les affaires s'instruisent en français.

Après la petite affaire dont je viens de parler, notre excellent président reçut une sévère réprimande ; vous sentez que l'autorisation que nous avions reçue ne fut pas répétée ; mais qu'arriva-t-il de là ? Que souvent les juges furent forcés de décider des affaires sans avoir compris ni le ministère public, ni les avocats.

Cet état de choses dura à peu près huit ans ; et la huitième année, aucun de, nous n'était plus satisfait d'avoir à plaider en flamand qu'il ne l'était à l'époque fatale du 1er janvier 1823.

Arriva 1830, et immédiatement l'usage de la langue flamande fut abandonné partout sans exception.

Tout le monde fut enchanté de pouvoir parler en français, écrire en français, et la langue française fut exclusivement employée dans l'instruction des affaires judiciaires comme dans les correspondances administratives.

Au congrès de 1830, où tous les intérêts étaient, à coup sûr, représentés, a-t-on jamais cherché à rétablir l'usage obligatoire de la langue flamande dans une province quelconque du royaume ? Pas un membre du congrès n'y a songé un instant.

De 1830, à 1840, l'usage de la langue française fut donc général et personne ne s'en plaignait, En 1840, comme l'a très justement rappelé l'honorable M. Delaet, commença ce qu'on a appelé le mouvement flamand.

J'ai été assis aux premières loges pour assister au spectacle de ce mouvement ; je l'ai vu naître, je, l'ai vu se développer. A son début, il était l'œuvre, et je suis sûr que l'honorable M. Delaet ne me contredira pas, il était l’œuvre de quelques littérateurs et de quelques hommes de très bonne foi, dont l’intérêt, il faut bien le dire, était que (page 331) l'usage de la langue flamande se propageât, et cela par une raison bien simple, c'est que ces messieurs sentaient leur supériorité quant à la langue flamande et que le plus grand nombre d'entre eux se trouvaient dans une situation d'infériorité quant à la langue française.

Dans les commencements, les griefs qu'on articulait étaient bien insignifiants.

Par exemple, je me souviens que dans une assemblée très respectable un orateur se plaignait amèrement de ce qu'à la station de Malines on avait mis sur la façade principale Malines, au lieu de Mechelen ; il trouvait que c'était là un grief très sérieux, une espèce d'outrage à la langue flamande, parce que Malines se trouvait dans une province flamande ; comme si l'inscription était faite pour les Malinois !

Je pourrais vous citer d'autres griefs du même genre. Il n'y a rien là de bien sérieux.

Depuis on a cherché à démontrer aux habitants peu lettrés des provinces flamandes que c'était une injustice commise à leur égard, de ne pas rendre l'usage du flamand plus général ; le mouvement est devenu alors plus ou moins sérieux ; mais dangereux, il ne l'est pas.

C'est une lutte, une lutte loyale. Ceux qui préfèrent qu'on fasse usage du flamand cherchent à introduire cet usage, ils sont dans leur droit. Nous, qui préférons l'usage du français, nous cherchons à ce que le mouvement flamand ne finisse pas par nous déborder. Voilà ce que nous demandons. Nous vous laissons pleinement la faculté et de parler en flamand et d'écrire en flamand et de prêter ici serment en flamand ou même, si vous voulez, de prononcer dans cette enceinte des discours en flamand : mais nous demandons qu'on ne lèse pas nos droits, à nous qui avons le tort, si vous voulez, de préférer la langue française.

Il y a longtemps, on a débattu la question si l'on pouvait ici prononcer des discours flamands, et je me rappelle que l'honorable M. Delfosse a dit : « Moi, je reconnais aux Flamands le droit de prononcer des discours flamands dans cette assemblée ; ce qui sera fort peu gracieux pour moi qui ne comprends pas le flamand ; mais je leur promets de prononcer à la même séance un discours en wallon. »

Messieurs, j'en viens à la proposition qui vous a été soumise par plusieurs de nos honorables collègues, proposition sérieuse et qui mérite examen.

Il est reconnu de tout le monde qu'aujourd'hui dans les tribunaux de première instance de tous les arrondissements flamands, il n'y a que des magistrats sachant le flamand.

Maintenant à la cour d'appel de Gand, tous les membres de la magistrature assise et de la magistrature debout savent le flamand ; à la cour d'appel de Bruxelles, le plus grand nombre des conseillers savent également le flamand ; on ne peut pas demander que tous le sachent, car ce serait exclure les magistrats du Hainaut et de l'arrondissement de Nivelles.

Et qu'il me soit permis de le dire ; il y a longtemps qu'il en est ainsi.

En 1832, c'est à dire lors de l'organisation judiciaire, organisation qui a été faite sous le ministère de l'honorable M. Raikem, il y eut deux conseillers, envoyés à Gand, qui ne savaient pas le flamand, depuis cela ne s'est pas renouvelé.

A cet égard, donc, nos honorables contradicteurs ont encore toute satisfaction.

Mais le fait ne leur suffît pas. Ils tremblent que le ministre de la justice actuel ne doive un jour descendre de son siège et qu'il n'y vienne un autre ministre de la justice. Cette perspective fait leur terreur et les épouvante ; ils disent que le nouveau ministre de la justice pourrait bien ne pas être aussi équitable envers les Flamands, et placer dans les provinces flamandes des magistrats qui ne connaissent pas la langue du sol.

Eh bien, le jour où une pareille chose arrivera, le jour ou vous articulerez ce grief devant la Chambre, vous pouvez être sûrs que vous trouverez de l'appui parmi les représentants qui siègent sur les bancs où je me trouve moi-même.

On a toujours l'air de dire que la gauche se compose de Wallons et la droite de Flamands. Je ne sais si j'ai bien compté, mais je crois que nous sommes, dans la gauche, une trentaine de Flamands, qui n'avons aucune répulsion pour la langue flamande, qui serions désolés qu'on fît une injustice aux provinces dans lesquelles nous sommes nés et pour lesquelles nous avons tous, je pense, conservé une certaine affection.

Mais on doit reconnaître qu'aujourd'hui il n'y a aucun grief à articuler en matière judiciaire. Pourquoi donc voulez-vous changer l'état de choses sous lequel nous vivons tranquillement, paisiblement et sans que personne ait à se plaindre ?

Ah ! je le sais, on nous l'a expliqué ; c'est par amour du droit. En fait, on est content, mais on veut une satisfaction sous le rapport du droit. et voici pourquoi : on prétend, on affirme que tout justiciable a le droit incontestable d'être jugé par des magistrats qui connaissent sa langue.

Eh bien, messieurs, si cela est vrai, l'amendement présenté par nos honorables collègues est fort insuffisant, et il faut aller bien plus loin. Je vais vous le démontrer.

Premièrement, je crois qu'on en a fait l'observation, mais si on l'a faite, je la répéterai et j'affirme que si on ne l'avait pas faite avant moi, je l'aurais faite le premier.

Il faut, pour être juste, que la cour de cassation soit composée exclusivement de magistrats sachant le flamand.

Cela, on le conçoit, est impossible ; vous ne voulez pas prononcer une sorte d'ostracisme contre tous les magistrats des provinces wallonnes.

Voilà un premier point, où votre prétendue justice ne sera jamais satisfaite.

Mais il y a bien autre chose ; tout justiciable flamand a donc le droit d'être jugé par des personnes qui savent le flamand. Et que ferez-vous, lorsque, ce qui arrive très souvent, un Flamand commettra un crime ou un délit dans un arrondissement wallon ? Le voilà traduit devant un tribunal composé de juges wallons, ne sachant pas un mot de flamand ; l'accusation sera portée contre lui par un magistrat qui ne sait pas un mot de flamand, et probablement il na trouvera pas un seul avocat qui sache le flamand.

Voilà donc ce pauvre Flamand privé d'un droit incontestable, dit-on, celui l'être jugé par des juges qui savent sa langue.

Et les jurés ? Si ce Flamand a commis un crime qui doit être jugé par une cour d'assises, trouverez-vous dans le Hainaut, dans la province de Liège, 12 jurés qui sachent le flamand et irez-vous les choisir nominativement au lieu de les tirer au sort ? Impossible.

Vous voyez donc bien que ce droit que vous dites incontestable et que vous voudriez bien voir incontesté, n'existe pas, ne peut pas exister.

M. Delaetµ. - Nous n'avons plus de droits, nous le savons bien. (Interruption.)

M. Bouvierµ. - Pauvres martyrs ! (Nouvelle interruption.)

M. de Brouckere. - Je vais vous présenter une autre hypothèse, qui, à coup sûr, peut se présenter et qui probablement s'est réalisée plus d'une fois.

Devant une cour d'assises, siégeant à Mons, par exemple, se présentent deux accusés impliqués dans la même cause. L'un est Flamand et ne sait pas le français ; l'autre est Wallon et ne sait pas le flamand. Dans quelle langue faut-il juger ? Il y en a un des deux qui sera évidemment privé d'un droit incontestable et qui, selon vous, devrait être incontesté. Nouvelle preuve que votre prétention n'est pas soutenable.

Il a été prévu dans toutes les législations, dans les législations de tous les pays, que le cas pouvait se présenter où un justiciable ne connaîtrait pas la langue dans laquelle la procédure s'instruit ; et qu'a-t-on décidé pour lui ? Qu'on lui donnerait un interprète. C'est ce qui se pratique et ce qui continuera à se pratiquer. On lui donne un interprète, et l'accusé a le droit de se faire expliquer toutes choses par cet interprète, non seulement les dépositions des témoins, mais les pièces lues qu'il a intérêt à connaître et, même les plaidoiries. Il n'a donc nullement à se plaindre.

Je conçois qu'il est plus agréable de comprendre les plaidoyers que de se les faire expliquer par un interprète ; mais il est impossible dans certains cas de n'avoir pas recours à ce moyen subsidiaire, à l'usage d'un interprète.

Vous le voyez donc, messieurs, premièrement la proposition qu'on vous présente aujourd'hui n'est pas nécessaire ; elle n'a aucune utilité en fait.

En second lien, en droit, si droit il y avait elle ferait trop peu ; elle serait insuffisante, et sous aucun rapport, je pense qu'il n'y a lieu de l'adopter.

Messieurs, je viens de le dire, l'état de choses actuel ne donne lieu à aucune plainte fondée ; il est de nature à satisfaire tout le monde ; quant à moi, je ne suis pas du tout disposé à le changer et je demande à mes honorables contradicteurs la permission de terminer par un petit proverbe flamand, qui trouve ici son application : « Alle verandering is niet verbetering » (tout amendement n'est pas une amélioration).

(page 333) - La clôture est demandée.

M. Kervyn de Lettenhove. - J'avais demandé la parole contre la clôture, afin de répondre aux arguments présentés par l'honorable M. de Brouckere. Je me vois, à regret, réduit à y renoncer.

- La clôture est mise aux voix et prononcée.

M. le président. - Je mets aux voix l'amendement de MM. Delaet et autres membres.

- Des membres. - L'appel nominal !

(page 332) - La discussion est close.

Il est procédé au vote par appel nominal.

94 membres sont présents.

40 adoptent.

54 rejettent.

En conséquence la proposition n'est pas adoptée.

Ont voté l'adoption :

MM. Julliot, Kervyn de Lettenhove, Landeloos, Liénart, Magherman, Notelteirs, Royer de Behr, Tack, Thibaut, Thienpont, Thonissen, Van Cromphaut, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Overloop, Van Renynghe, Van Wambeke, Verwilghen, Vilain XIIII, Wouters, Beeckman, Coomans, de Coninck, de Haerne, Eugène de Kerckhove, Delaet, Delcour, de Liedekerke, de Maere, de Naeyer, de Smedt, de Terbecq, de Theux, de Zerezo de Tejada. d'Hane-Steenhuyse. d'Ursel, Gerrits, Haye«, Jacobs et Janssens.

Ont voté le rejet :

MM. Jonet, Jouret, Lambert, Le Hardy de Beaulieu, Lippens, Moreau, Mouton, Muller, Orban, Orts, Rogier, Sabatier, Tesch, T'Serstevens, Alphonse Vandenpeereboom', Ernest Vandenpeereboom, Vander Maesen, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Vleminckx, Warocqué, Watteeu, Allard, Ansiau, Anspach, Bara, Bouvier-Evenepoel, Braconier, Bricoult, Broustin, Bruneau, Carlier, Crombez, de Brouckere, De Fré, de Kerchove de Denterghem, d'Elhoungne, de Macar, de Moor, de Rongé, de Rossius, Descamps, Dethuin, de Vrière, Dewandre, Dupont, Elias, Frère-Orban, Funck, Hymans, Jacquemyns, Jamar et Dolez.

- La séance est levée à 4 3/4 heures.