(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1867-1868)
(Présidence de M. Dolezµ.)
(page 295) M. Reynaert, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 1 1/4 heure.
M. Liénart, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. Reynaert, secrétaireµ, présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre :
« Des habitants de Bruxelles demandent le prompt achèvement de la station du Midi. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des habitants de 's Gravenwezel protestent contre les propositions de la commission militaire et demandent que le gouvernement soit invité à présenter un projet de loi qui abolisse le tirage au sort pour la milice. »
- Même renvoi.
« Par cinq pétitions, des habitants de Bruxelles demandent la révision des dispositions légales concernant les frais de protêts. »
- Renvoi à la commission chargée d'examiner le projet de loi sur les protêts.
« M. le ministre de la justice adresse à la Chambre deux exemplaires des nouveaux volumes publiés par la commission royale des anciennes (page 296) lois et ordonnances de la Belgique, comprenant le tome second des ordonnances des Pays-Bas autrichiens et la préface du tome premier de ce recueil. »
- Dépôt à la bibliothèque.
« Les bourgmestre et échevins de la ville de Tournai adressent à la Chambre deux exemplaires du rapport sur l'administration des affaires de cette ville au 1er octobre 1867. »
- Même dépôt.
M. de Kerchove de Denterghemµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la commission de comptabilité qui a examiné les comptes de la Chambre de l’exercice 1867 ainsi que le projet de budget pour l’exercice 1868.
- La Chambre fixe la discussion de ce dernier projet à mercredi.
M. le président. - Nous en sommes arrivés à l'article 93 ainsi conçu :
« Art. 93. En cas d'empêchement, le président de la cour d'assises est remplacé par le plus ancien des assesseurs.
« Néanmoins, si l'empêchement survenait avant l'ouverture des assises, il est nommé un remplaçant, par le premier président, parmi les membres de la cour d'appel.
« Lorsque, par suite de l'empêchement d'un ou de plusieurs assesseurs et suppléants, la cour d'assises n'a pu se composer, le premier président désigne un ou plusieurs membres de la cour d'appel, pour compléter le nombre nécessaire. »
- Adopté.
« Art. 94. La cour d'assises ne peut rendre arrêt qu'au nombre fixe des trois juges, y compris le président. »
- Adopté.
« Art. 95. Les membres de la cour d'appel, qui ont voté sur la mise en accusation, ne peuvent, dans la même affaire, ni présider les assises, ni assister le président, à peine de nullité.
« Il en est de même à l'égard du magistrat qui a rempli les fonctions de juge d'instruction. »
M. Orts. - J'attirerai l'attention de M. le ministre de la justice sur le point de savoir s'il ne serait pas utile d'ajouter aux incompatibilités dont parle cet article, les membres du ministère public qui peuvent avoir concouru à l'instruction préparatoire. Il y a souvent des membres du ministère public qui ont suivi l'affaire depuis les premiers pas de l'instruction jusqu'au moment de l'ouverture des assises et qui font partie de la cour.
Il y a autant d'inconvénients à laisser siéger ces membres qu'à laisser siéger les juges d'instruction.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je ne vois pas bien l'inconvénient signalé par M. Orts. En effet, si le membre du parquet qui a pris part aux délibérations de la chambre des mises en accusation s'est prononcé pour le renvoi devant la cour d'assises, il sera déjà éclairé et sa conviction sera plus forte.
M. Teschµ. - Il connaîtra mieux l'affaire.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - S'il ne s'est pas prononcé pour le renvoi devant la cour d'assises, eh bien, alors il ne sera pas désigné par le procureur général.
M. Orts. - Et lorsqu'il est devenu conseiller.
M. Teschµ. - Alors cela va de soi.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - M. Orts, faites-vous une proposition ?
M. Orts. - Je propose d'ajouter à l'article :
« Il en est de même u l'égard du magistrat qui a rempli les fonctions de juge d'instruction et les fonctions de ministère public pendant l'instruction. »
M. Teschµ. - Cela est inutile.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - L'observation de l'honorable M. Orts pourrait être juste, s'il s'agissait de l'officier du ministère public qui est devenu conseiller ; mais avec la rédaction qu'il propose on pourrait aller plus loin, on pourrait croire que ce magistrat ne pourrait plus même être officier du ministère public.
M. Orts croit-il que jamais dans la pratique cela se ferait ? Il n'y a donc pas, je pense, d'inconvénients à maintenir l'article tel qu'il est, parce qu'il va de soi que le membre du parquet qui se sera prononcé pour la culpabilité de l'accusé, ne pourra pas devenir président de la cour d'assises. Non seulement il n'y a pas de danger que le premier président le désigne, mais il est dans l'esprit de l'article 95, qu'il en soit éloigné.
MPDµ. - M. Orts insiste-t-il ?
M. Orts. - Non, M. le président.
- L'article 95 est adopté.
« Art. 96. Si le nombre des affaires le requiert, le président les divise en plusieurs séries, de manière que chacune d'elles, pour autant que possible, n'occupe pas les jurés plus de quinze jours. »
M. Reynaertµ. - L'article 17 de la loi du 15 mai 1838 permet à la cour d'assises de renvoyer l'affaire d'une série à une autre chaque fois que le code de procédure criminelle autorise ce renvoi de l'une session à l'autre.
J'ai cherché vainement cette disposition dans le projet de loi actuel. Je pense que c'est une lacune à combler. Il me semble que cette disposition est d'une importance très considérable, au point de vue de la durée de la détention préventive, dans plusieurs hypothèses prévues par le code de procédure criminelle. Je citerai, entre autres, l'article 306, quand le procureur général et l'accusé ont des motifs pour demander que l'affaire ne soit pas portée à la première assemblée ; l'article 330, en cas de faux témoignage ; l'article 352, dans le cas si grave ou les juges sont unanimes pour décider que le jury s'est trompé au fond et pour renvoyer l'affaire à une autre session. J'ajouterai, enfin, le cas de l'article 354, lors qu'un témoin fait défaut.
En conséquence, messieurs, je vous proposerai d'introduire dans le projet de loi la disposition de l'article 17 de la loi du 15 mai 1838 en l'ajoutant au texte actuel de l'article 96. Cette disposition, la voici :
« Lorsqu'il y a plusieurs séries, la cour d'assises pourra, dans le cas où la loi autorise le renvoi à une prochaine session, ordonner le renvoi d'une série à une autre, si l'accusé en fait la demande. »
J'oubliais de dire que l'amendement que j'ai déposé a été signé par mon honorable ami, M. Thonissen.
- Cet amendement est appuyé, il fait partie de la discussion.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, il m'est impossible de me prononcer d'une manière définitive sur cet amendement ; je l'examinerai d'ici au second vote. Mais à première vue, il me paraît inutile.
En effet, dans les cas indiqués par le code d'instruction criminelle, la cour d'assises a le droit de renvoyer à une prochaine session. Si elle a ce droit de renvoyer, elle peut aussi renvoyer l'affaire à la prochaine série.
Si donc l'accusé demande que son procès soit jugé dans la session, la cour, en pareil cas, fera droit à la demande.
M. Thonissenµ. - Je demande la permission de présenter quelques observations à l'appui de l'amendement que j'ai signé avec l'honorable M. Reynaert.
Messieurs, on trouve dans le code d'instruction criminelle plusieurs articles qui autorisent la cour d'assises à renvoyer une cause d'une session à une autre. Ainsi, par exemple, dans une affaire où il y a 20 à 30 témoins à charge, si un seul témoin à charge fait défaut, le procureur général peut demander le renvoi de la cause à une autre session.
Voilà donc la détention préventive de l'accusé prolongée pendant trois mois ; car les sessions n'ont lieu que de trois mois en trois mois.
Un article de la loi du 15 mai 1838 donne, au contraire, à la cour d'assises le droit de renvoyer la cause d'une série à une autre, dans tous les cas où, suivant le code d'instruction criminelle, elle peut renvoyer d'une session à une autre session.
De la sorte l'accusé, au lieu de subir une nouvelle détention préventive de trois mois, ne subit qu'une détention de quinze jours.
Voilà pourquoi je pense qu'il est indispensable d'accueillir l'amendement dans le projet de loi que nous discutons.
Je viens de dire que c'est dans la. loi de 1838 que se trouve la disposition qui autorise la cour à renvoyer d'une série à une autre. Or, cette loi s'occupe de l'organisation du jury, et le projet de loi en discussion s'en occupe également. On pourrait donc prétendre que cette disposition est abrogée.
La mesure sanctionnée par la loi de 1838 n'a donné lieu à aucune espèce d'inconvénient dans la pratique ; au contraire, chaque fois que l'occasion s'en est présentée, la cour a saisi avec empressement le moyen qui lui était offert,
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je demande (page 297) de nouveau que l'amendement soit réservé jusqu'au second vote ; j'ai besoin de l'examiner.
M. Thonissenµ. - Messieurs, il est évident que la cour peut renvoyer ou ne pas renvoyer la cause a une autre session ou à une autre série ; ce point est à l'abri de toute contestation. Mais on oublie que, suivant le code d'instruction criminelle, la cour ne peut renvoyer que d'une session à une autre session ; tandis que, en vertu de la loi de 1838, elle peut renvoyer d'une série à une autre série.
C'est cette dernière faculté que nous voulons conserver. Nous voulons épargner aux accusés une détention de trois mois, là où on peut suffire à tous les besoins avec une détention de quinze jours.
M. Teschµ. - Je crois que ce qu'il y aurait de mieux à faire, ce serait de renvoyer l'amendement à la commission.
Voici l'observation que je me permets de faire.
Le titre que nous discutons organise principalement le personnel des cours d'assises. La disposition qu'on propose est conçue dans un tout autre ordre d'idées à la manière de procéder, et doit plutôt, selon moi, figurer dans le code d'instruction criminelle que dans une loi qui organise le personnel des cours d'assises. La commission pourra examiner ce point.
Au fond, je crois qu'il est utile de maintenir la disposition de la loi de 1838, mais je crois qu'il faut la maintenir provisoirement où elle est, sauf, quand on révisera le code d'instruction criminelle, à l'y transporter.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je ne vois pas d'inconvénient à ce qu'on vote l'amendement. D'ici au second vote, les membres de la Chambre pourront examiner l'article. Je l'examinerai aussi. On verra si l'observation de l'honorable M. Tesch est fondée et si la disposition est nécessaire.
- L'amendement est mis aux voix et adopté.
L'article ainsi modifié est adopté.
« Art. 97. Nul ne peut être juré, s'il ne jouit des droits civils et politiques, et s'il n'a trente ans accomplis.
M. Coomans. - J'ai fait remarquer l'autre jour qu'il serait désirable que tous les jurés sussent lire et écrire. Cette obligation ne leur est pas imposée aujourd'hui.
Je ne sais pas si cela arrive encore, mais je puis affirmer qu'il est arrivé que des personnes complètement illettrées, c'est-à-dire ne sachant certainement pas écrire, ont siégé dans le jury.
Je me borne à présenter cette remarque. La Chambre en fera ce qu'elle voudra.
- L'article est adopté.
« Art. 98. Les jurés sont pris :
« 1° Parmi les citoyens portés sur les listes électorales et versant au trésor de l'Etat, en contributions directes, la somme indiquée ci-après :
« Province d’Anvers : Chef-lieu : 250 fr. ; autres communes : 170 fr.
« Province de Brabant : Chef-lieu : 250 fr. ; autres communes : 170 fr.
« Province de Flandre occidentale : Chef-lieu : 250 fr. ; autres communes : 170 fr.
« Province de Flandre orientale : Chef-lieu : 250 fr. ; autres communes : 170 fr.
« Province de Liége : Chef-lieu : 200 fr. ; autres communes : 170 fr.
« Province de Hainaut (Mons et Tournai) : Chef-lieu : 250 fr. ; autres communes : 170 fr.
« Province de Namur : Chef-lieu : 140 fr. ; autres communes : 120 fr.
« Province :de Luxembourg Chef-lieu : 120 fr. ; autres communes : 90 fr.
« Province de Limbourg : Chef-lieu : 110 fr. ; autres communes : 90 fr.
« 2° Indépendamment de toute contribution, parmi les classes de citoyens ci-dessous désignées :
« a. Les membres de la Chambre des représentants ;
« b. Les membres des conseils provinciaux ;
« c. Les bourgmestres, échevins, conseillers communaux, secrétaires et receveurs des communes de 4,000 âmes et au-dessus ;
« d. Les docteurs en droit, en médecine, chirurgie, sciences et lettres ;
« e. Les notaires, avoués, agents de change et courtiers ;
« f. Les pensionnaires de l'Etat jouissant d'une pension de retraite de 1,000 fr. au moins.
« Ces citoyens remplissent les fonctions de jurés près la cour d'assises dans le ressort de laquelle est établi leur domicile. »
M. Dupont a présenté l'amendement suivant :
« A. Au n° 1°, dire :
« Provinces d'Anvers, de Brabant, de Flandre occidentale, de Flandre orientale, de Liège et de Hainaut, 150 francs, province de Namur, 140 francs, provinces de Limbourg et de Luxembourg, 90 francs.
« Au n°2, littera D, in fine, ajouter :
« Les ingénieurs porteurs d'un diplôme régulier délivré par un jury d'examen, organisé conformément à la loi ;
« Les docteurs en pharmacie ;
« Les candidats notaires ;
« Les professeurs agrégés de l’enseignement moyen des deux degrés ;
« Les officiers de santé ;
« Les artistes vétérinaires.
« C. Au n° 2, littera E, supprimer :
« Les agents de change et les courtiers. »
M. Dupontµ. - Messieurs, j'ai l'honneur de proposer à la Chambre d'apporter certaines modifications assez importantes à l'article 98 du projet de loi qui lui est soumis. Ces modifications se rapportent à deux numéros de cet article. Je propose d'abord d'apporter des changements au cens exigé par la loi du 15 mai 1838 pour pouvoir être porté sur la liste du jury ; ces changements ont un double caractère : je voudrais voir disparaître la différence qui existe entre le chef-lieu et les autres communes de la même province ; d'autre part, je crois que l'on peut descendre au-dessous du chiffre fixé par la loi du 15 mai 1838.
Examinons d'abord le premier point.
Y a-t-il lieu, messieurs, de maintenir la différence de cens qui existe en vertu de la loi de 1838, entre le chef-lieu et les autres communes de la même province ? Je suis d'avis que cette différence ne se justifie par aucune raison sérieuse. Remarquez, messieurs, qu'il s'agit de la même mission, du même devoir à remplir dans la même localité, pour la même affaire. Il ne s'agit pas d'un droit électoral, par exemple, qui s'exerce dans des localités différentes et par des personnes également distinctes ; il s'agit de personnes qui, dans un même lieu, viennent remplir la même mission.
Il ne me semble donc pas raisonnable que le jury soit composé de personnes payant des cens différents. A un autre point de vue, cette différence ne se justifie pas encore : elle est contraire à l'esprit de la loi électorale actuelle. Sous l'empire de la loi du 3 mars 1831, époque ou l'on a rédigé la loi du 15 mars 1838, on comprend la distinction. En effet, il y avait entre Bruxelles, Anvers, Gand, d'une part, et les campagnes, d'autre part, une grande différence. Ainsi, le cens était à Bruxelles de 80 florins, il n'était dans les campagnes que de 20 florins. Aujourd'hui nous avons partout le cens uniforme.
Eh 1838 on a mis la législation sur le jury en rapport avec la loi politique ; aujourd'hui nous devons agir de même.
En 1848, on n'a pas compris qu'il fût possible qu'il y eût une assemblée de députés ayant un mandai conféré par des catégories d'électeurs payant un cens différent, on n'a pas compris qu'il y eût des assemblées électorales élisant les mêmes mandataires et composées de citoyens payant des cens différents.
Eh bien, si cela était rationnel et logique au point de vue où l’on s'est placé alors, cela est encore logique et rationnel au point de vue de l'article que nous discutons.
A cela, messieurs, il y a encore à ajouter que les résultats auxquels la loi de 1838 conduit sont réellement inexplicables et injustifiables. C'est ainsi qu'aujourd'hui il n'y a de distinction qu'entre le chef-lieu de la province et les autres communes de la même province. Si cette distinction est fondée, s'il y a lieu de la faire également entre le chef-lieu d'arrondissement et les autres communes, si ce principe est vrai, il doit conduire à d'autres conséquences que celles écrites dans l'article 98 du projet de loi. D'autre part, on ne comprend pas que, si l'on demeure à Hasselt, il faille payer 20 ou 30 francs de plus que si l'on demeure à Tongres et que, si l'on habite Arlon, il faille payer 10 ou 20 francs de plus que si l’on demeure à Marche ou à Neufchâteau. Si l'on entre dans la pratique, ces dispositions ne se justifieront donc pas et il y a lieu d'établir une uniformité entre les chefs-lieux de provinces et les différentes communes de la même province.
Il serait plus logique peut-être d'assimiler complètement non pas seulement toutes les communes d'une même province, mais aussi les communes de tout le pays.
Mais ici, nous rencontrons une difficulté que je dois signaler. C'est que dans les provinces de Limbourg, de Luxembourg et de Namur, la liste des jurés contiendrait trop peu de noms si l'on portait le cens électoral à un chiffre aussi élevé que dans les autres provinces ; par suite d'une nécessite pratique, on doit donc descendre là à un chiffre beaucoup plus bas.
(page 298) Messieurs, il me reste à motiver la seconde partie de mon amendement à l'article 98. Non seulement, je propose de rendre le cens uniforme, mais encore de le réduire à 150 fr.
Je ne me dissimule pas, messieurs, en proposant cet amendement, que la chose principale qu'il faut avoir en vue, c'est l'intérêt de la justice. Il faut au prévenu et à la société des garanties sérieuses d'intelligence de la part de ceux qui auront à apprécier les faits dont l'application leur est déférée ; c'est pourquoi, il faut avoir un cens assez élevé. Cependant quelques considérations me déterminent à diminuer le chiffre inscrit dans le. projet de loi.
D'abord, il est certain que depuis 1838, époque à laquelle remonte la loi, l'instruction a fait d'immenses progrès et si en 1838 on a admis qu'un cens de 90 fr. était suffisant dans le Limbourg et le Luxembourg pour avoir de bons jurés, à coup sûr aujourd'hui le chiffre de 150 fr. est suffisant dans les provinces indiquées par mon amendement pour atteindre le même résultat. D'autre part, depuis 1838, nous avons eu de nouvelles lois électorales qui ont abaissé considérablement le cens : de 80 florins on est descendu à 20 florins, cens uniforme pour tout le pays.
Si l'on a cru qu'on devait abaisser le cens électoral pour l'exercice des droits politiques, il me semble qu'on doit l'abaisser aussi, dans une certaine mesure, pour les fonctions de juré ; en maintenant le taux de 150 francs, c'est-à-dire un chiffre quatre fois plus considérable que la somme exigée pour l'exercice complet des droits politiques, on ne descend pas à un niveau trop bas, à un niveau insuffisant pour avoir une bonne justice, une justice éclairée et indépendante.
Enfin, messieurs, ce qui m'a déterminé à faire ma proposition, c'est que l'on a une garantie sérieuse et complète dans les articles suivants du projet de loi. En effet, messieurs, de ce qu'on est porté sur la liste du jury, parce qu'on paye 150 francs d'impôt, il ne résulte pas encore nécessairement qu'on sera appelé à faire partie du jury.
Vous savez, en effet, qu'après que la députation permanente a dressé le tableau de toutes les personnes qui doivent être portées sur la liste des jurés aux termes de l'article 98, le président du tribunal fait une révision de la liste dressée par la députation permanente, et élimine la moitié des noms qui y sont portés ; cela fait, la liste est transmise au premier président de la cour lequel, assisté des deux conseillers les plus figés ou de deux présidents de chambre, fait disparaître encore de la liste la moitié des noms restants.
Enfin, quand on a tiré au sort les noms de ceux qui doivent faire partie du jury, l'accusé et le ministère public exercent leur droit de récusations.
Je crois qu'avec toutes ces garanties, en présence de l'état de l'instruction et d'après l'esprit de notre loi électorale, il y a lieu d'abaisser le chiffre indiqué dans le projet de loi au taux fixé dans mon amendement. Aucun danger sérieux n'est à craindre.
La seconde partie de mon amendement a rapport aux personnes qui par leur profession ont droit d'être portées sur la liste du jury. Je propose d'ajouter à l'énumération du littéra D in fine tout d'abord les ingénieurs porteurs de diplômes réguliers délivrés par un jury d'examen organisé conformément à la loi.
Vous savez, messieurs, que depuis la loi de 1838 on a organisé l'école du génie civil, l'école des mines, l'école des arts et manufactures ; or, les jeunes gens qui ont fait leurs études dans ces écoles sont aussi aptes à être portés sur la liste des jurés que les docteurs en droit, que les docteurs en médecine.
Je propose d'ajouter encore les candidats notaires. C'est en vertu de la loi de 1849 que ce grade a été institué ; on s'explique donc qu'il n'en ait pas pu être question dans la loi de 1848. Il en est de même de ceux qui ont obtenu le diplôme de professeur agrégé de l'enseignement moyen du premier et du second degré.
Vous savez, messieurs, que depuis 1838, on a établi ce nouveau grade pour les personnes qui aspirent à remplir des fonctions professorales dans l'enseignement moyen. Eh bien, ces personnes, encore une fois, ont prouvé, par les examens qu'elles ont subis, une capacité plus que suffisante pour avoir le droit d'être portées sur la liste du jury. J'ajoute qu'il en est de même des pharmaciens qui, eux aussi, ont dû subir une épreuve sérieuse pour obtenir leur diplôme. Restent les artistes vétérinaires et les officiers de santé qui figuraient dans la loi de 1838 et que le projet de loi actuel fait disparaître.
Il me semble pourtant que ces deux catégories de personnes doivent conserver le droit que leur attribuait l'article 98. Si, en 1838, on les a portés sur la liste du jury, je ne vois guère aujourd'hui de bonnes raisons pour les faire disparaître de l'énumération de l'article 98.
Enfin, je propose une modification au littera E de l'article 98 portant « les notaires, avoués, agents de change et courtiers » ; je propose de supprimer les agents de change et les courtiers, attendu que la législature est saisie d'un projet de loi proclamant la liberté du courtage, qui a déjà été voté par la Chambre. Lorsque la qualité d'officiers ministériels leur aura été enlevée, il n'existera plus de raison de les comprendre parmi les personnes qui, à raison de leur position, doivent être portées sur la liste des jurés, comme les avoués et les notaires.
Ces modifications ont pour but de rendre l'article 98 plus conforme à l'esprit de notre législation politique et de lui donner une base plus rationnelle. J'ose espérer que ce motif déterminera la Chambre à leur faire un accueil favorable.
M. le président. - M. De Fré a fait parvenir au bureau un amendement tendant à supprimer du littera C les mots : « les secrétaires communaux. »
M. De Fréµ. - Messieurs, je suis particulièrement à même de juger de l'importance des services des secrétaires communaux. Il y a dans cette Chambre beaucoup de bourgmestres, et tous, j'en suis certain, déclareront avec moi que le secrétaire communal est, pour ainsi dire, la cheville ouvrière d'une administration communale.
MpVµ. - Je fais remarquer qu'il ne s'agit ici que des secrétaires communaux des communes de 4,000 âmes et au-dessus.
M. De Fréµ. - Je le sais, M. le président, mais mon observation est générale et s'applique à ceux-là.
Je dis que l'expérience démontre la nécessité absolue pour ces fonctionnaires de rester en permanence au local de l'administration. Ils doivent, en effet, recevoir la correspondance, ouvrir les dépêches, assister aux séances du collège et du conseil, en un mot ils ont une foule de devoirs qui rendent obligatoire leur présence permanente au local de l'administration.
Or, messieurs, si les secrétaires communaux sont portés sur la liste des jurés, s'ils peuvent être dans le cas de devoir s'absenter pendant dix, quinze jours, trois semaines, il est certain que la marche des affaires communales sera complètement enrayée.
Messieurs, l'article 99 énumère les personnes qui ne sont pas portées sur la liste des jurés, et j'y trouve, entre autres, des secrétaires généraux et des directeurs d'administration des départements ministériels. Pourquoi cette exemption, messieurs ? Parce qu'on a compris que ces fonctionnaires ne pourraient pas diriger les affaires de leurs départements pendant qu'ils siégeraient au jury. Cependant, messieurs, ces fonctionnaires habitent au chef-lieu de la cour d'assises. Or, comme les audiences des cours d'assises ne durent guère que jusqu'à trois heures MM. les secrétaires généraux et les directeurs d'administrations pourraient à la rigueur faire leur besogne quotidienne, tandis que les secrétaires communaux demeurant souvent à deux, trois et même quatre lieues du siège de la cour d'assises, ne sauraient se livrer à un travail quelconque pour l'administration communale après avoir accompli leurs fonctions de jurés.
Il y a donc nécessité absolue de dispenser de ces fonctions les secrétaires communaux. Si cette exemption ne leur est pas accordée, il est certain que les affaires communales en seront entravées, et vous savez messieurs, combien sont impérieux et urgents certains des devoirs qui leur incombent. Il y a beaucoup de communes, même de plus de 4,000 âmes, où les secrétaires tiennent l'état civil et vous savez, messieurs, combien est importante cette partie de l'administration communale.
Or, je le demande, comment se fera l'inscription régulière des actes de l'état civil, des actes de naissance, par exemple, qui doivent être enregistrés dans les trois jours, si le secrétaire communal est condamné à une absence de quinze jours, de trois semaines même par ses devoirs de juré ? Cela n'est pas possible, messieurs, et je me persuade que ces motifs vous engageront à adopter l'amendement que j'ai l'honneur de proposer.
- L'amendement de M. De Fré est appuyé ; il fait partie de la discussion.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il est un point sur lequel je suis d'accord avec M. Dupont et pour lequel j'avais un amendement tout préparé, c'est qu'il convient de supprimer de l'article les mots : « agents de change et courtiers ». La Chambre ayant aboli le courtage légal, cette suppression, est nécessaire.
Quant aux autres modifications, j'ai quelques objections à présenter.
(page 299) En ce qui concerne la diminution du cens, je ne puis me rallier à l'opinion de M. Dupont. M. Coomans nous disait tout à l'heure que parmi les jurés à 250 fr. on en rencontrait parfois qui ne savaient ni lire ni écrire ; nous ne pouvons dès lors nous joindre à l'honorable M. Dupont qui nous propose d'abaisser le cens. Il a fait remarquer, il est vrai, que les listes subissaient une épuration, mais il pourra cependant rester un grand nombre de jurés qui ne présenteront pas des garanties suffisantes.
Les principes admis en matière électorale ne peuvent être introduits en matière de jury.
Là il faut des juges, des hommes qui réunissent, au point de vue de la capacité, des garanties suffisantes. Or, on a pensé que 250 francs de contributions supposaient une profession, une position dans la société, telle que celui qui payait une pareille somme devait posséder certaines connaissances qui le rendaient apte à remplir les fonctions de juré. et encore n'est-il pas bien démontré qu'avec le cens de 250 francs on ait toujours comme jurés des citoyens instruits.
Je ne pense donc pas qu'il y ait lieu de réduire les chiffres indiqués dans l'article.
L'honorable membre s'élève contre la distinction qui est faite entre les personnes qui habitent le chef-lieu et celles qui habitent d'autres communes. Mais on sait que c'est dans les chefs-lieux qu'on paye les impôts les plus élevés. C'est là la raison de la distinction.
Je ne prétends point d'une manière absolue que les chiffres du projet sont irréprochables, mais lorsque l'honorable membre propose un chiffre uniforme pour chaque province, je crois qu'il n'atteint pas le but qu'il a en vue. D'ailleurs pourquoi ces changements ? Le tableau actuel n'a pas donné lieu à de grands inconvénients.
M. Dupontµ. - On n'a garde de réclamer.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Les avocats qui auraient à se plaindre d'acquittements ou de condamnations erronées, ne manqueraient pas de réclamer. Mais je ne crois pas que l'attention publique ait été appelée sur ce point ; on n'a pas jusqu'ici articulé de griefs.
Ce qui a égaré, selon moi, l'honorable membre, c'est qu'il confond les principes de la matière électorale avec les principes admis en matière de jury. Or, les principes ne sont pas les mêmes : j'ajouterai que si d'un côté on peut diminuer le cens, de l'autre, pour bien faire, il faudrait plutôt l’augmenter de l'autre.
L'honorable M. Dupont a aussi présenté un amendement tendant à introduire dans le jury, les ingénieurs. J'ai déjà entendu M. Lelièvre formuler des réclamations au sujet de la limitation du nombre de professions libérales qui donnent le droit de faire partie du jury.
Mais il y a plusieurs choses à considérer. Il faut voir d'abord si les études qu'ont dû faire les personnes que l'on veut porter sur les listes sont dans le courant des affaires qui se traitent d'ordinaire en cour d'assises ; il faut voir en outre si en appelant ces personnes à faire partie du jury, on ne porte pas atteinte à d'autres intérêts. Or je crois que l'intérêt public est en quelque sorte engagé à ce que les pharmaciens ne soient pas compris dans la catégorie des personnes qui peuvent faire partie du jury.
Dans les campagnes le pharmacien est indispensable et il ne pourrait se faire remplacer sans qu'il en résulte de grands inconvénients. (Interruption.)
Je ne nie pas la capacité des pharmaciens. Mais je crois que ce serait porter atteinte à certains intérêts que de les obliger à quitter pendant quinze jours leur laboratoire. Il en est de même des professeurs de l'enseignement moyen. (Interruption.)
Les avocats et les médecins peuvent à la rigueur s'absenter en se faisant remplacer par un de leurs confrères, mais les professeurs de l'enseignement moyeu peuvent-ils fermer leurs classes ? (Interruption.) Il n'y a pas d'exclusion prononcée contre eux à raison de leur capacité, mais à cause de leur profession, à l'exercice de laquelle il importe de ne pas les soustraire.
Il en est de même pour les ministres des cultes. L'exemption des ministres des cultes ne doit pas être considérée comme un privilège. C'est à raison de la nécessité où ils sont de remplir envers les fidèles leur service religieux qu'on a cru ne pas devoir les porter sur la liste du jury.
Maintenant l'honorable M. Dupont propose d'inscrire sur la liste les ingénieurs. (Interruption.) M. le ministre des travaux publics me dit qu'il a besoin de ceux qui font partie de son administration. C'est donc encore un point à examiner. Du reste, si on veut ajouter les ingénieurs, je n'y vois pas grand inconvénient,
Au surplus, le jury, tel qu'il est actuellement composé, a bien fonctionné. Dès qu'il est établi que les personnes qui n'y sont pas aujourd'hui comprises, ne sont pas l'objet d une exclusion blessante, pourquoi changer l'état actuel des choses ? Il ne s'agit pas ici d'un droit, il s'agit d'une garantie sociale que la loi organise de façon à ne léser aucun intérêt. Dès lors, puisque l'expérience a prouvé que cette garantie est efficace, pourquoi tenter d autres épreuves ?
L'honorable M. De Fré demande que les secrétaires communaux jouissent d'une exemption. Je ne puis me rallier à cet amendement. Quand le secrétaire d'une commune d'une population de 1,000 âmes et au-dessus est empêché de remplir ses fonctions, il est provisoirement remplacé ; dans les communes importantes et dans les villes, il y a bien toujours un échevin pour remplir ses fonctions pendant son absence.
M. Coomans. - Messieurs, quoi qu'en dise M. le ministre de la justice, les observations présentées par l'honorable M. Dupont semblent très fondées.
L'effet de la principale disposition de l'amendement de l'honorable M. Dupont serait de diminuer considérablement le cens pour les grands chefs-lieux, en d'autres termes d'augmenter beaucoup le nombre des jurés pris dans les grands chefs-lieux. Or, rien ne me semble à la fois plus juste, plus rationnel et plus économique. II est évident que les jurés des chefs-lieux où siègent les cours d'assises peuvent exercer avec moins de peine, à meilleur marché, et comme ils valent les autres, il ne serait que raisonnable de les choisir de préférence,
Ce serait l'effet de l'adoption de cette partie de l'amendement de l'honorable M. Dupont.
Messieurs, il ne faut pas trop étendre la faveur des exemptions, car en définitive, c'est une faveur de n'être pas juré. La loi étend cette faveur à trop de jurés.
Aussi, ne pourrai-je adopter l'amendement de l'honorable M. de Fré, car les raisons, au fond assez fondées, données par l'honorable membre s'appliquent à une foule de citoyens dont l'absence pendant une quinzaine de jours crée bien des inconvénients, non seulement pour eux, mais pour une certaine catégorie de citoyens auxquels ils doivent vouer leur temps et leurs peines. Donc, si l'argumentation de l'honorable M. De Fré était juste, il faudrait en accorder le bénéfice à beaucoup d'autres citoyens.
J'ai principalement demandé la parole pour relever une erreur singulière qui a été commise par M. le ministre de la justice.. A l'en croire, les ministres des cultes ne jouissent de ce que j'appelle, la faveur de l'exemption, qu'à cause de la nécessité où ils sont d'offrir leur ministère aux fidèles. Telle n'est pas la raison vraie. (Interruption.) Je prie M. le ministre de la justice de retirer le signe de dénégation qu'il me fait.
La raison vraie, c'est que la plupart des ministres des cultes, surtout en Belgique, pays catholique, sont excommuniés de fait, lorsqu'ils jugent en matière criminelle : Ecclesia abhorret a sanguine.
- Un membre. - Nous ne reconnaissons pas cela.
M. Coomans. - Vous devez au moins reconnaître le bon sens et la liberté des cultes. Je prétends que la liberté des cultes serait froissée, si vous obligiez les prêtres catholiques à siéger en matière criminelle.
M. Bouvierµ. - Ce sont des citoyens belges.
M. Coomans. - Ces dénégations m'étonnent ; aussi je vous invite à aller apprendre la tolérance à Berlin. (Interruption.) Oui, en Prusse, on pousse la vraie liberté, en ce point au moins, jusqu'à exempter les quakers du service militaire.
Cette exemption est inscrite dans la dernière loi votée à Berlin à une très grande majorité. Je trouve cette disposition parfaitement libérale.
Je m'étonne donc des singulières idées émises par M. le ministre de la justice et qui lui dictent parfois des projets de loi plus singuliers encore. Quoi ! il prétend qu'il aurait le droit de forcer le prêtre catholique à siéger dans un jury criminel !
Mais c'est là une erreur profonde ; M. le ministre de la justice s'inscrit en faux contre la liberté des cultes et contre la Constitution. Vous auriez beau voter dix lois semblables, on n'y obéirait pas, et le pays entier approuverait la violation de ces lois odieuses.
Messieurs, aux raisons que j'ai données pour l'adoption de la principale partie de l'amendement de l'honorable M. Dupont, je joins celle-ci : c'est que plus vous aurez de jurés pris dans les chefs-lieux, moins vous aurez de dépenses, parce que les indemnités accordées aux citoyens qui demeurent loin du chef-lieu de justice sont assez considérables ; vous aurez moins d« dépenses non seulement pour l'Etat, mais aussi pour les accusés condamnés aux frais.
(page 300) Je regrette que l'honorable M. Dupont n'ait pas poussé plus loin la logique et qu'il n'ait pas proposé un cens égal, cens que je voudrais assez élevé, de 150O fr. par exemple, mais égal, pour tous les citoyens belges.
Je ne comprends pas le cens différentiel, surtout lorsqu'on ajoute tant de catégories nouvelles ne payant pas le cens, catégories que je voudrais développer encore en dehors du cens.
M. Kervyn de Lettenhove. - Messieurs, il y a, selon moi, des catégories de citoyens qu'autant que d'autres il faudrait dispenser des fonctions de juré. Je veux parler, messieurs, des chirurgiens et des médecins.
Nous savons tous que, lorsque le chirurgien ou le médecin est appelé près d'un malade, le plus souvent ses soins sont réclamés d'une manière immédiate, et, dans une foule de circonstances, il ne peut quitter le chevet de celui qu'il soigne.
Cet argument, très sérieux pour les grandes villes, est bien plus sérieux encore quand il s'agit des campagnes. Il y a, en effet, un grand nombre de villages où il n'y a qu'un seul chirurgien remplissant en même temps les fonctions de médecin ; lorsque ce praticien est obligé de se rendre dans la ville où siège la cour d'assises, parfois à plusieurs lieues de sa résidence, les malades sont complètement abandonnés, et si, en ce moment, il survient quelque accident grave, personne ne peut donner des soins aux victimes de cet accident.
Il y a là une situation sur laquelle j’appelle la bienveillante sollicitude du gouvernement et de la Chambre, et je suis disposé, pour ma part, à croire que, de toutes les dispenses que la Chambre croirait devoir inscrire dans la loi, aucune ne serait mieux justifiée que celle que j'ai l'honneur d'indiquer en ce moment.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, je demande à justifier devant la Chambre l'opinion que j'ai émise que, selon moi, les ministres des cultes sont exemptés du jury non en vertu des prescriptions canoniques, mais parce qu'ils rendent des services aux fidèles, et qu'à raison de ces services leur présence est jugée indispensable dans la localité qu'ils habitent.
L'honorable M. Coomans prétend que si les ministres du culte catholique ne sont pas portés sur les listes du jury c'est parce qu'en vertu du droit canon ils ne peuvent verser le sang, abhorret a sanguine.
M. Coomans.µ. - En vertu de la Constitution.
M. le président. - Messieurs, veuillez ne pas interrompre.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, a-t-on jamais entendu soutenir une doctrine plus anticonstitutionnelle et je dirai plus antisociale que celle-là ? C'est un homme qui prône le suffrage universel et la souveraineté nationale qui proclame de pareils principes.
Ainsi donc, un citoyen a le droit, à raison de sa religion, de se soustraire aux obligations nationales ! Comme toutes les religions sont libres, comme il peut en naître tous les jours, les citoyens pourront se mettre constamment au-dessus de la loi, en se retranchant derrière leur conscience !
M. Coomans. - Je n'ai pas dit cela.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Comment ? vous n'avez pas dit cela ? Alors vous avez dit plus. Alors vous avez professé une thèse uniquement en faveur d'une seule religion, de la religion catholique, et cela au mépris de tous nos principes constitutionnels.
Si vous n'avez pas admis pour tous également la faveur que vous tirez de vos théories, alors vous voulez en faire un privilège exclusif pour les ministres de la religion catholique.
Voyons, messieurs, les conséquences de la prétention de l'honorable membre, L'honorable M. Coomans dit : Puisque je suis d'une religion, j'ai le droit de ne pas faire telle ou telle chose que la loi me prescrit et vous ne sauriez m'y contraindre en vertu de la loi civile. Ma loi religieuse prime la loi civile.
S'il en est ainsi, celui qui approuve le Syllabus et l'Encyclique, et qui les interprètent comme certains catholiques, doit combattre le droit de réunion, la liberté de conscience, le droit d'association, en un mot, toutes nos libertés constitutionnelles, car ses devoirs de catholique, s'il les place au-dessus de ses devoirs de citoyen, lui en imposent l'obligation impérieuse.
Ecoutez l'honorable M. Coomans, la religion empêche un prêtre de prononcer la peine de mort ; ce prêtre ne sera pas juré ; la religion fait défense au citoyen de prendre les armes ; ce citoyen ne sera pas soldat. Mais, messieurs, il plaît à une religion de défendre de payer l'impôt ? Les contribuables pourront se retrancher derrière cette défense ? Verser son sang ou son argent, quelle différence fera-t-on entre les deux obligations devant la loi religieuse ? Et si nous nous trouvions encore dans les temps anciens où le pape s'imaginait de délier les citoyens du serment de fidélité envers leurs souverains, viendrez-vous dire que parce que le pape aurait usé d'un pareil procédé, vous seriez déliés de votre devoir d'obéissance vis-à-vis des lois belges et de la Constitution ? Auriez-vous le droit de vous appuyer sur votre qualité de catholique pour repousser et combattre les lois belges ? L'affirmation est la conséquence logique, naturelle de votre thèse.
El l'honorable M. Coomans invoque l'exemple de la Prusse ; les quakers ne peuvent verser le sang ; en conséquence on les exempte en Prusse du service militaire.
Je ne sais pas ce qui se passe en Prusse ; les observations de l'honorable M. Coomans, comme tout ce qu'il dit, sont fort sujettes à caution, il importe de les vérifier. Mais je le demande, si une pareille théorie devait passer dans la loi, où aboutirions-nous ? Mais comme la liberté existe pour tout le monde, chacun se ferait quaker. Et où trouveriez-vous des soldats ? Comment formeriez-vous une armée ? (Interruption.)
Ainsi, il serait libre à chaque particulier, en professant une religion déterminée, de se soustraire à ses obligations civiles et sociales !
Au surplus, on me dit que ces quakers ne sont pas exempts de tout service, qu'on les incorpore dans l'intendance. C'est la preuve qu'il ne faut jamais accepter les observations de l'honorable M. Coomans que sous bénéfice d'inventaire. Les doctrines soutenues par l'honorable M. Coomans sont contraires à nos principes constitutionnels. Ou bien elles tendent à établir un privilège en faveur de la religion catholique, en faveur d'une religion qu'il faudrait considérer comme une religion d'Etat, ou bien elles sont absurdes, en ce sens qu'elles délient les citoyens de leurs obligations sociales.
A en croire M. Coomans, si la loi obligeait les prêtres catholiques à faire partie du jury, la loi resterait une lettre morte. C'est toujours la même thèse, la droite et l'honorable M. Coomans se font presque un devoir d'exciter une partie des citoyens à la désobéissance aux lois belges.
Ml. Thonissenµ. - Qui fait cela ?
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Celui que vous avez entendu sans protester. Il est venu vous dire que si la loi obligeait les ministres des cultes à siéger dans le jury, ils n'y siégeraient pas et que la loi serait impuissante.
Eh bien, moi, je vous dis que si les ministres des cultes étaient de par la loi obligés de siéger et s'ils se refusaient à ce service, ils seraient condamnés et ils subiraient l'exécution de la loi comme tous les autres citoyens.
Et s'il n'en était pas ainsi, si le pays était impuissant à faire respecter les lois par une catégorie de citoyens, le pays serait débordé, il ne serait plus maître de lui-même ; il y aurait dans son sein une société qui le dominerait.
Si j'avais la conviction que les ministres des cultes sont exempts en raison d'un privilège, je voterais contre cette exemption. Mais je reconnais qu'il peut y avoir des inconvénients à obliger les ministres des cultes à siéger dans le jury, de même qu'il peut y en avoir à y faire entrer les pharmaciens ou les médecins, comme l'honorable M. Kervyn le disait tout à l'heure.
Mais je ne reconnais nullement que c'est à titre d'un droit puisé dans le droit canon que les ministres du culte peuvent être dispensés de faire partie du jury. Le droit canon n'est pas reconnu en Belgique ; il n'existe pas devant la loi belge.
M. De Fréµ. - Je serai très court. Je croyais qu'il m'aurait suffi d'indiquer la contradiction qui existe entre l'article 98 et l'article 99 pour amener M. le ministre de la justice à faire droit à mon observation et à reconnaître que l'amendement que j'avais l'honneur de proposer était fondé.
En effet, voici cette contradiction. Les secrétaires généraux et les directeurs d'administration près d'un département ministériel en raison de leurs fonctions sont dispensés des devoirs de juré. Et les secrétaires des communes rurales, qui sont loin du chef-lieu de la cour d'assises, sont obligés de siéger comme jurés. Evidemment il y a là une contradiction. C'est en raison du service que fait le secrétaire général qu'il est dispensé de siéger dans le jury.
Eh bien, je disais à l'honorable ministre de la justice, par voie de conséquence : Dispensez donc de la fonction de juré le secrétaire communal. J'ajouterai que s'il y avait des raisons pour dispenser de ses fonctions de juré le secrétaire général, il y avait des raisons autrement (page 301) puissantes pour dispenser de ces mêmes fonctions le secrétaire communal.
En effet, messieurs, tout le monde sait jusqu'à quel point le secrétaire communal est indispensable dans une commune. Il a une fonction permanente ; s'il est absent, le service de l'administration est interrompu. Il y a des communes rurales qui ont une étendue considérable ; vous en trouvez qui ont une circonférence excessive, où il faut faire une lieue et demie pour arriver au centre de la commune. Il arrive dans ces communes que les personnes qui ont fait un long parcours, par exemple pour une déclaration de naissance, doivent s'en retourner sans avoir pu faire cette déclaration, parce que le secrétaire communal est absent.
Messieurs, le discours de l'honorable ministre de la justice me fournit un nouvel argument à l'appui de l'amendement que j'ai eu l'honneur de proposer.
Pourquoi dispense-t-il les ministres des cultes de la fonction de juré ? A cause de leur position.
Pourquoi dispense-t-on les pharmaciens des fonctions de juré ? A cause de leur position.
Eh bien, je demande que l'honorable ministre soit logique et qu'il étende également cette dispense aux secrétaires communaux.
M. le ministre me dit : Ils peuvent se faire remplacer. Mais il en est de même des ministres des cultes ; il en est de même des pharmaciens. Non, dites-vous, parce qu'ils ont une position spéciale et qu'il faut des connaissances spéciales ; n'en est-il pas de même pour les secrétaires communaux ?
J'admets la dispense pour les ministres des cultes ainsi que pour les pharmaciens ; cependant, il y a moins de raisons à les dispenser du service de la cour d'assises, parce que s'il y a plus d'un ministre dans la généralité des communes, il n'y a pas une seule commune où il y ait deux secrétaires communaux.
M. le ministre de la justice dit : Le secrétaire communal peut être remplacé par un échevin. Messieurs, il arrive tous les jours qu'à cause d'une absence momentanée, un échevin remplace le secrétaire communal pour signer un procès-verbal, un procès-verbal du collège, un procès-verbal du conseil communal. Mais vous ne trouverez pas un échevin qui remplace un secrétaire communal pendant quinze jours. Les échevins n'accepteront pas un pareil fardeau.
Vous le savez, messieurs, surtout dans les communes rurales, les fonctions d'échevin ne sont point payées et l'échevin exerce presque toujours une industrie ; or, il n'abandonnera pas son industrie pour venir à la maison communale. Du reste, je sais, par expérience, que vous ne trouverez pas un échevin capable de faire le ménage quotidien d'une administration communale. Il faut avoir fait un stage pour cela.
Il en résulte que vous désorganisez l'administration communale dans les campagnes. L'administré ne reçoit plus de réponse à ses réclamations, le père de famille qui vient déclarer la naissance d'un enfant est renvoyé ; le service dans tous ses rouages est arrêté.
Et, messieurs, il peut arriver que dans le même jury se trouvent le secrétaire et l'échevin qui doit le remplacer, car l'échevin, alors même qu'il ne paye pas les contributions voulues, est obligé de siéger comme juré.
Je pense donc, messieurs, qu'il y a lieu d'adopter mon amendement.
M. de Theuxµ. - Quoique M. le ministre de la justice soit également ministre des cultes, je n'hésite pas à déclarer que nous ne le reconnaissons en aucune manière comme l'interprète légitime du Syllabus. L'interprète du Syllabus est l'auteur de cet acte et ce sont ses collaborateurs, les évêques et d'antres prêtres chargés de l'enseignement du culte catholique, qui en sont les seuls légitimes organes. Il est donc inutile d'aborder de nouveau la discussion du Syllabus dans cette Chambre.
Le Syllabus ne nous empêche point de prendre part à l'exécution de la Constitution, bien plus, je remarque qu'en France les prélats les plus éminents siègent au sénat prêtent serment et ne croient, en aucune manière, encourir par là la condamnation fulminée par le Syllabus. J'espère donc que ce sera fini de cette question.
A propos de l'obéissance aux lois, M. le ministre de la justice a dit que personne n'est dispensé d'y obéir, que tout le monde peut être contraint à l'obéissance aux lois.
Nous voyons, messieurs, qu'à la naissance du christianisme tous les gouvernements condamnaient les chrétiens à mort lorsqu'ils ne voulaient pas sacrifier aux faux dieux.
Eh bien, ils subissaient la mort pour ne pas désobéir à leur conscience.
Il en a été de même dans les pays hérétiques et schismatiques ; à toutes les époques le vrai chrétien a maintenu sa foi et n'a pas abjuré sa liberté de ne pas coopérer à des lois qu'il considère comme injustes. Si l'on porte des lois qui blessent leur conscience, ceux qui sont sincèrement attachés à leur culte se laisseront condamner, mais ils ne trahiront pas leurs croyances.
C'est en ce sens que M. Coomans a dit avec beaucoup de raison : Vous pouvez porter des lois, mais vous ne pouvez pas nous contraindre à y obéir.
Dans la circonstance présente, il nous suffît que le prêtre soit dispensé d'assister au jury, que ce soit à cause de ses services journaliers ou que ce soit par respect pour les lois canoniques qui le lui défendent. Si un prêtre faisait partie du jury, il serait dégradé. Voilà la question réduite à son expression le plus simple et je suis persuadé que je ne trouverai pas de contradicteurs dans cette Chambre.
Je dirai seulement que ce serait une loi absurde que celle qui condamnerait le clergé à des peines plus ou moins fortes, parce qu'il se refuserait de violer ses devoirs religieux, et une telle loi tomberait sous le mépris du pays tout entier.
(page 305) M. Coomans. - Les gros mots de l'honorable ministre de la justice m'autoriseraient à en employer à mon tour ; mais ce droit de réciprocité, même quand il est légitime, je le dédaigne parce que, au fond, il ne prouve rien. M. le ministre n'est pas sérieux vis-à-vis de sa conscience lorsqu'il ose affirmer ici que je prêche la désobéissance aux lois, que je prêche l'anarchie, que je désire que partout les citoyens soient en guerre les uns avec les autres. Non seulement cela n'est pas poli, ni parlementaire, mais cela n'est pas vrai et j'ai le droit de protester contre une accusation aussi odieuse, la plus grave qu'on puisse porter contre un citoyen belge, contre un législateur.
Qu'ai-je dit ? La chose la plus simple du monde, que M. le comte de Theux vient de redire mieux que je ne l'ai fait, mais c'est exactement la même pensée. J'ai dit que les ministres des cultes reconnus par l'État sont exempts du devoir d'être jurés, non pas à raison de certaines convenances administratives, mais parce que la très grande majorité des prêtres ne sont pas autorisés à siéger dans un tribunal criminel ni à porter une sentence capitale.
Voilà la principale, même la seule raison pour laquelle les prêtres sont dispensés de faire partie du jury et M. le ministre ne réfutera pas cet argument-ci :
Peut-il reconnaître que les capucins et les jésuites, qu'il considère comme ses ennemis intimes, soient tellement nécessaires dans les localités où ils se trouvent qu'il ne faut pas les obliger à être jurés ?
Cet argument peut s'appliquer à des desservants, à des curés, à des chanoines peut-être, mais entendre dire par M. le ministre de la justice, par M. Bara, que les capucins, les jésuites et les franciscains sont des citoyens indispensables dans l'exercice quotidien de leurs fonctions, cela est un peu fort. Il n'en croit rien.
Vous voyez donc qu'aux yeux de M. Bara, ce n'est pas à cause de l'utilité de leurs fonctions que les capucins et les jésuites sont exempts de la corvée du jury. Ils le sont à cause du respect que le législateur a porté à l'exercice de la grande liberté des cultes. Cette liberté serait froissée, essentiellement froissée si l'on obligeait des prêtres chrétiens à commettre des actes qui leur sont positivement défendus.
Mais, a dit l'honorable ministre, en guise de dérivatif, car il ne se sentait pas à l'aise sur le terrain où il se fourvoyait, le Syllabus et l'Encyclique condamnent la liberté de réunion, la liberté de la presse, la liberté d'association et l'honorable M. Frère qui a soufflé plusieurs fois l'honorable M. Bara... (Interruption.) Je l'ai vu et entendu.
M. le président. - M. Coomans, répondez aux orateurs, mais pas du tout à des entretiens particuliers.
M. Coomans. - Je réponds à l'argument transmis par l'honorable M. Frère à l'honorable M. Bara.
M. le président. - M. Coomans, rien ne vous autorise à dire que l'honorable M. Frère a fourni un argument à l'honorable M. Bara.
M. Coomans. - Je ne vois rien d'inconvenant en cela. Je voulais rappeler ce fait remarquable : un jour, je m'étonnais à cette place même, de l'obstination dangereuse que des ministres du Roi mettaient à prouver, à leur façon, que l'Encyclique, le Syllabus et la Constitution belge étaient incompatibles. Ce jour-là je fis remarquer à MM. les ministres que c'était là un rôle étrange de la part de gouvernants, que c'était peut-être la première fois, depuis des siècles, que l'on voyait des gouvernants s'acharner à prouver aux gouvernés que leur culte était incompatible avec leur loi fondamentale.
L’argument a paru fort, car l'honorable M. Frère s'est hâté de me répondre que l'Encyclique n'était pas incompatible avec la Constitution belge. (Interruption.)
La Chambre tout entière doit avoir gardé la mémoire de cette déclaration. Nous en avons pris acte.
Elle n'est du reste que vraie, je n'en fais pas un reproche à l'honorable ministre, au contraire. Ce jour-là, il disait parfaitement la vérité. L'Encyclique et la Constitution ne sont pas incompatibles. Elles sont très conciliables, et, la preuve, c'est que nous les concilions. A cette époque, je n'hésitai pas à déclarer qu'il était fort heureux que l'Encyclique et la Constitution fussent très conciliables, attendu que si, par malheur, la lutte s'organisait, si elle éclatait manifestement entre l'une et l'autre, ce serait la Constitution qui serait vaincue.
L'histoire de tous les temps et de tous les peuples atteste que les citoyens qui se respectaient ont toujours préféré leur foi à la loi. Et, au fond, cette résolution, qui est généreuse, n'est que de la bonne logique.
La religion c'est la vérité éternelle, la loi c'est la vérité temporaire et changeante et, pour revenir immédiatement à la Constitution belge, dit-elle que ses 139 articles sont imperfectibles, qu'ils renferment la vérité politique absolue, non modifiable ?
Non, elle n'affirme point cela parce qu'elle reconnaît la possibilité, l'utilité des modifications constitutionnelles, tandis que le Syllabus et l'Encyclique définissent des vérités perpétuelles.
Vous m'avez dit, M. le ministre, que mes allégations étaient sujettes à caution. Je pourrais vous renvoyer ce gros mot avec infiniment de raison. Si vous vous défiez de moi, soyez sur que je vous le rends bien. Mais à propos de quoi cette insulte m'est-elle adressée ? Parce que j'ai dit que la loi militaire prussienne récemment votée affranchit du service militaire les quakers. L'honorable ministre n'en savait rien, mais un de ses honorables voisins lui a dit : C'est vrai, seulement ils ne sont affranchis que du service militaire proprement dit et ils doivent servir dans les intendances et les hôpitaux.
Cela est exact, mais ils ne sont pas moins exempts du véritable service militaire, ainsi que je l'ai affirmé.
Il est bien heureux pour vous, mais non pour moi, que la religion de la grande majorité des Belges n'interdise pas le service militaire forcé, car j'ai la conviction profonde que si une pareille prescription existait, les catholiques l'observeraient religieusement et politiquement. Je ne crois pas que cela arrivera jamais, la loi catholique est faite, parfaite, et ce n'est pas vous qui la changerez.
Pourquoi ai-je cité cet exemple emprunté à la Prusse où malheureusement nous n'en trouvons pas beaucoup de semblables ? Pour démontrer qu'en Prusse la liberté des cultes est mieux pratiquée et mieux observée que dans d'autres pays, qu'en Belgique même ; et pourtant en Belgique la liberté des cultes est un article de la loi fondamentale.
Messieurs, je maintiens tout ce que j'ai dit. Je maintiens que M. le ministre de la justice a commis une hérésie, non seulement religieuse, mais constitutionnelle, en disant qu'il n'exempte les prêtres du jury qu'à cause des services qu'ils rendent aux fidèles.
Non, ce n'est pas pour les fidèles que les prêtres sont exemptés, c'est pour les prêtres mêmes, c'est pour la liberté religieuse, c'est par respect pour la Constitution.
Je le répète, une loi qui obligerait nos prêtres à siéger en cour d'assises ne serait pas observée par eux, pas plus que ne le serait une loi qui les obligerait de révéler en justice le secret de la confession dans n'importe que l'intérêt public ou social. Ils désobéiraient au législateur plutôt qu'à Dieu, et ils feraient bien, car s'ils obéissaient à des lois essentiellement anticatholiques, ils agiraient en mauvais prêtres, et aussi, je le déclare, en mauvais citoyens, attendu que les mauvais prêtres sont de mauvais citoyens.
Je me résume en un mot : la Constitution belge n'est pas anticatholique, et j'espère qu'on ne parviendra pas à la dénaturer dans ce sens.
(page 301) M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, les honorables préopinants viennent de me contester le droit de parler du Syllabus et de l'Encyclique. D'après l'honorable M. de Theux, il n'y a que l'auteur de ces documents et ses honorables collaborateurs qui puissent les interpréter. Mais, il me paraît que parmi ces collaborateurs se trouvent les honorables MM. de Theux et Coomans, car ils viennent de nous donner la signification du Syllabus.
Ce qui leur est permis n'est pas. permis à nous ! Quand nous disons que les doctrines du Syllabus, comme certains les expliquent, sont contraires à celles de la Constitution belge, on nous répond que notre parole n'a aucune espèce de valeur, attendu que nous ne sommes pas les auteurs de cet écrit.
Quand, au contraire, MM. de Theux et Coomans disent que les principes des encycliques et ceux de la Constitution ne sont nullement opposés, il faut les croire sur parole, car probablement ces honorables membres ont participé à la rédaction de ces documents ! (Interruption.)
Je crois que tout homme de bon sens a le droit d'interpréter le Syllabus et l’Encyclique aussi bien que MM. Coomans et de Theux.
Et pour ma part, je ne saurai jamais me convaincre qu'un document qui dit que la liberté de la presse et la liberté d'association sont condamnables en conscience, engage les citoyens à faire tous leurs efforts pour faire respecter ces libertés. Cela surpasse mon intelligence ; il faut des grâces d'état pour comprendre de pareilles choses. (Interruption.)
Nous assistons à un spectacle assez singulier. La discussion s'était poursuivie jusqu'ici dans le plus grand calme, on n'entendait pas parler de questions politiques. Au sujet d'une observation de M. Dupont, je m'avise incidemment d'expliquer pourquoi les ministres des cultes étaient exemptés du jury et voilà que tout à coup un honorable membre se lève pour revendiquer une prétention du clergé, pour invoquer le droit divin, le droit canonique. Et qui se lève pour soutenir cette thèse ? Est-ce le chef de la droite, l'honorable M. de Theux ? Du tout, il était au repos. C'est le chef de la droite démocratique, c'est le vaillant adversaire de l'armée, c'est le propagandiste de toutes les idées avancées, c'est l'homme qui se moque du clérical et du libéral, de l'Encyclique et du Syllabus...
M. Coomans. - Oh !
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Oui, c'est cet honorable membre qui vient planter le drapeau de la théocratie dans la Chambre et dire à ses amis : Vous ne remplissez par votre mission ; il y a ici un privilège de l'Eglise à défendre et c'est moi qui suis obligé de prendre la parole !
Voilà ce que nous pouvons montrer à ceux qui portent M. Coomans sur le pavois et qui le représentent comme l'homme aux idées avancées. Non, M. Coomans, vous n'êtes pas un avancé, vous n'êtes que le défenseur des anciens abus et des vieux privilèges cléricaux, le défenseur de la théocratie, et quand vous allez avec des drapeaux multicolores vous promener dans tout le pays, c'est uniquement pour arriver à la restauration de ces abus, par des voies détournées, pour arriver à votre but final, qui est le rétablissement d'un ministère clérical. (Interruption.)
L'honorable M. de Theux me dit : Vous avez beau faire des lois, vous n'empêcherez pas la liberté de conscience ! Mais en quoi voulons-nous empêcher la liberté de conscience ? Absolument en rien. Nous avons dit que quand une loi existait, elle devait être obéie ; mais avons-nous (page 302) contesté aux citoyens le droit de dire que cette loi était mauvaise, de chercher à la réformer ? En aucune manière.
Lorsqu'une loi sera contraire à tel ou tel dogme, on n'empêchera pas les religionnaires qui acceptent ces dogmes de la condamner, mais, comme citoyens, ils seront tenus de l'observer. (Interruption.)
Quand l'inquisition brûlait les protestants, les hérétiques, est-ce que les protestants et les hérétiques ne conservaient par leur foi et leur croyance ? Evidemment.
L'honorable membre est venu vous dire aussi que les ministres des cultes ne peuvent pas faire partie du jury, parce qu'ils ne peuvent prendre part à une condamnation judiciaire. Où avez-vous vu cela ? Est-ce que, du reste, le juré condamne, prononce les peines ? Il se borne à apprécier une question de fait. Et puis est-ce que les ministres des cultes n'ont pas participé comme témoins dans de nombreuses affaires, qui ont eu pour conséquence une condamnation criminelle ? Ne venez donc pas soutenir que les ministres des cultes ne peuvent prendre part à une condamnation judiciaire.
Je prétends qu'il est impossible d'admettre, dans une nation civilisée, qu'un citoyen, à raison de sa religion, puisse être dispensé de remplir les devoirs sociaux.
Tous les citoyens, quel que soit leur culte, doivent respecter la loi ; voilà la seule théorie qui puisse prévaloir dans un Etat comme le nôtre.
MfFOµ. - Je ne relève qu'une assertion de M. Coomans, et en deux mots.
M. Coomans se flatte, il se persuade qu'à un moment donné il a imaginé une objection tellement puissante, qu'il m'a obligé de reculer devant certaines conséquences d'opinions que j'émettais.
Je suis obligé de lui ravir cette illusion.
A propos de l’Encyclique et du Syllabus, j'ai toujours soutenu qu'il y avait dans ce pays comme dans tous les pays, deux opinions dans le parti catholique : l'une, qui prétend que les principes du Syllabus et de l’Encyclique sont des vérités absolues, que l'on doit proclamer et dont il faut poursuivre la. réalisation ; l'autre, qui se contente de reléguer ces doctrines parmi les théories que l'on peut imaginer pour un état de choses purement idéal, mais dont il ne faut pas provoquer l'application au monde réel dans lequel nous vivons.
Voilà ce que j'ai dit, et voilà en réalité ce qui existe, ce que nous voyons sous nos yeux tous les jours. Nous trouvons dans la presse une catégorie d'écrivains qui déclarent qu'il n'y a pas à transiger avec ces principes, qu'il faut en poursuivre l'application et arriver aussitôt que possible a établir cette société parfaite, cette société chrétienne que définissent l’Encyclique et le Syllabus. Mais, à côté d'eux, il y a beaucoup de gens de bon sens qui ne se prêtent pas à cette doctrine.
J'ai opposé à ceux qui voulaient faire considérer l’Encyclique et le Syllabus comme renfermant une doctrine à pratiquer, afin d'arriver, dans un temps donné, au renversement des principes de la Constitution, ceux-là qui croyaient pouvoir concilier leurs devoirs de citoyens avec leur foi religieuse.
M. Coomans nous a dit qu'essayer de faire prévaloir l'idée que nos institutions sont inconciliables avec tel ou tel dogme, serait une absurdité, parce que, dans tous les temps et dans tous les pays, c'est toujours la foi qui l'a emporté.
Eh bien, je dois le dire, M. Coomans connaît fort mal l'histoire. C'est le contraire qui est vrai, c'est la foi qui a toujours succombé... (Interruption.) . . sauf, cela va de soi, dans ses parties incontestées et essentielles. (Nouvelle interruption.) Mais s'il n'en était ainsi, nous aurions encore les juridictions ecclésiastiques ; nous aurions encore la proscription des cultes dissidents ; nous aurions encore l'inquisition pour poursuivre et persécuter tous ceux qui ne puisent pas d'une certaine façon.
M. de Theuxµ. - Ce ne sont pas là des articles de foi.
MfFOµ. - C'était la religion qui prescrivait cela ; c'étaient les Encycliques et les Syllabus du temps qui avaient prescrit tout cela ; et voilà ce qui a été renversé, avec tous les privilèges que ces encycliques et ces syllabus avaient attribués au clergé.
Ce qui a été renversé encore, ce sont les immunités ecclésiastiques ; ce qui a été renversé encore, c'est le mariage religieux, auquel a succédé le mariage civil comme ayant seul une valeur légale. Et retenez-le bien, messieurs, aux yeux de l'Eglise catholique, le mariage est un sacrement ; et c'est contrairement à ce dogme que la Constitution a proclamé la prééminence du mariage civil sur le mariage religieux.
M. de Theuxµ. - J'admire vraiment la prétention de MM. les ministres de vouloir nous enseigner notre religion, à nous catholiques.
MfFOµ. - Non, je conteste les privilèges que vous voulez vous attribuer.
M. de Theuxµ. - J'admire leurs efforts pour faire croire que nous blessons nos consciences quand nous prêtons serment d'obéissance ù la Constitution, quand nous participons à la confection des lois.
Mais, messieurs, leurs efforts sont vains.
L'éminent archevêque de Malines que la mort vient de nous enlever a publié une lettre qui explique parfaitement, comme l'a fait, à son tour, l'illustre évêque d'Orléans, la signification du Syllabus. Tous les cardinaux, archevêques et évêques ont adhéré au Syllabus comme ils l'ont fait récemment encore à Rome, et cependant plusieurs de ces éminents prélats siègent dans la chambre des pairs et y prennent part aux délibérations de cette assemblée.
Ainsi, messieurs les ministres, rassurez-vous ; ne vous inquiétez pas de nous. Seulement, il me sera permis de trouver étrange que dans un parlement on cherche à persuader à la grande majorité de la population qu'on ne peut plus participer aux affaires publiques sans manquer aux devoirs les plus impérieux de la religion.
Car enfin, notre devoir, à nous catholiques, est évidemment d'obéir au saint-père et aux évêques chargés de nous expliquer les saints évangiles, la foi et la morale ; et notre conduite serait absurde, si, par notre présence ici, nous manquions à ce devoir ; car nous ne pourrions plus nous prétendre catholiques.
Encore une fois, j'adjure MM. les ministres de ne plus s'inquiéter de nous et de nous permettre de suivre les inspirations de nos consciences. C'est à nous de savoir qui nous avons à consulter pour savoir quelles règles nous avons à suivre, et comme nous jouissons de la liberté des cultes, j'espère que ces messieurs voudront bien ne pas nous en contester le bénéfice.
En résumé, messieurs, nous maintenons tout ce que nous avons dit : nous n'avons rien à en retrancher. M. le ministre de la justice dit qu'il saura bien faire exécuter la loi. Oui, messieurs, on peut aller jusqu'à la prison, jusqu'à la mort ; cela s'est vu de tout temps, nous avons vu de tout temps des hommes de foi, des hommes courageux subir tous les supplices plutôt que de manquer à leur foi.
M. le ministre des finances nous a parlé de plusieurs lois de la discipline ecclésiastique ; mais, messieurs, ces lois ne constituaient pas des dogmes, c'étaient de pures matières de discipline qu'elles traitaient. Quant au mariage c'est un sacrement, et l'acte civil n'est qu'un contrat qu'on peut passer sans manquer à la foi.
Ces messieurs connaissent très peu de chose dans les matières religieuses que nous, nous tenons à connaître pour mettre notre conduite d'accord avec notre foi. Voilà toute la différence qui existe entre nous.
MfFOµ. - Les paroles que vient de prononcer l'honorable M. de Theux m'ont beaucoup étonné. Il faut qu'il nous ait bien mal compris, moi en particulier. Il déclare que les ministres doivent se rassurer, que les catholiques savent fort bien ce qu'ils ont à faire, qu'ils n'ont pas de conseils à recevoir de nous, et il ne voit pas quel intérêt nous avons à prétendre que la foi catholique impose à ceux qui la professent l'obligation de combattre les principes de la Constitution belge.
Mais, messieurs, qui donc a dit cela ? A coup sûr, ce n'est pas nous ; ce n'est assurément pas moi. J'ai dit tout le contraire. J'ai constaté un fait que personne ne peut méconnaître : c'est qu'il y a parmi les catholiques deux manières toutes différentes d'apprécier la valeur et les conséquences de l'Encyclique et du Syllabus. Les uns, et je range dans cette catégorie l'honorable M. de Theux et ses amis, concilient parfaitement les principes consacrés par ces actes avec ceux de la Constitution ; je les en félicite, messieurs ; et bien loin de les en blâmer, de les critiquer, je les approuve complètement. Mais j'ai constaté également qu'il y a une autre fraction de catholiques qui soutiennent énergiquement qu'il s'agit, dans l'Encyclique et dans le Syllabus, de vérités qu'il faut chercher à appliquer aussitôt qu'on le pourra.
Ils veulent bien patienter quelque peu, vu les malheurs des temps ; mais, d'après eux, il faut réagir contre les principes de la société moderne, pour appliquer ce que l'autre fraction ne considère que comme un idéal impossible à réaliser. Voilà ce que j'ai dit, et j'ai ajouté que ceux-là sont redoutables pour la société civile et qu'il faut les combattre. L'honorable M. de Theux n'est il pas de cet avis ?
M de Theuxµ. - Je suis d'avis qu'il faut respecter la conscience de chacun.
(page 303) MfFOµ. - C'est très bien ! Si l'honorable M. de Theux est également d'avis qu'il ne faut pas substituer les principes de l'Encyclique à ceux de la Constitution, nous sommes parfaitement d'accord.
Maintenant, j'ai dit encore ceci à l'honorable M. de Theux : c'est que bien des principes qui avaient été proclamés par l'Eglise comme des vérités absolues, indiscutables, et maintenus avec cette autorité pendant des siècles, ont été renversés par la société moderne. L'honorable M. de Theux répond qu'il s'agit de questions de discipline, et que sur ces questions on peut varier. Mais, messieurs, parmi tous ces principes imposés autrefois de par l'autorité ecclésiastique, il y en avait beaucoup qui n'étaient pas simplement des questions de discipline, et qui pourtant ont subi le sort commun.
Ainsi, l'honorable membre a cité notamment la question du mariage, qui est un sacrement d'après la foi catholique, et qui, en réalité, est un. contrat civil d'après notre Constitution et en général d'après les lois qui règnent à peu près dans tous les pays civilisés. Est-ce que par hasard il ne s'agit ici que d'une simple question de discipline, comme le dit l'honorable M. de Theux ? Nullement, messieurs : la transformation du sacrement de mariage en un contrat civil, est une innovation contre laquelle la cour de Rome n'a jamais cessé de protester, et contre laquelle elle proteste encore à l'heure qu'il est.
Chaque fois que, dans un pays quelconque où les principes de la société moderne n'ont pu encore prévaloir, on parle de proclamer le mariage civil, il y a une protestation formelle de la part de la cour de Rome ; elle déclare que c'est là une violation d'une doctrine formelle de l'Eglise. Vous voyez donc bien qu'il y a là tout autre chose qu'une question de forme ou de simple discipline.
M. Vilain XIIIIµ. - Voulez-vous me permettre de dire un mot ?
MfFOµ. - Très volontiers.
M. Vilain XIIIIµ. - La société civile et la société religieuse sont sur le même pied. La société religieuse ne reconnaît pas le contrat civil comme sacrement et la société civile ne reconnaît pas le sacrement comme contrat civil.
MfFOµ. - Sans doute : mais c'est contre la loi civil» que l'on proteste. Ce n'est pas la doctrine de l'honorable M. Vilain XIIII. Et cependant, je le répète, on proteste contre de pareilles lois, et l'on dit que vous, législateurs, n'avez pas le droit d'en décréter qui portent atteinte aux principes que l'Eglise proclame. Et c'est cette prétention qui succombe partout, malgré les Encycliques et les Syllabus.
- La discussion est close sur l'article 98 et sur les amendements qui s'y rapportent.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Le gouvernement maintient son projet ; il ne se rallie à aucun des amendements que l'honorable M. Dupont a proposés à l'article 98, sauf en ce qui concerne les agents de change et les courtiers.
- Des membres. - Aux voix !
- La Chambre procède par division sur l'article 98 du projet du gouvernement :
« Art. 98. Les jurés sont pris :
« Art. 98. Les jurés sont pris :
« 1° Parmi les citoyens portés sur les listes électorales et versant au trésor de l'Etat, en contributions directes, la somme indiquée ci-après :
« Province d’Anvers : Chef-lieu : 250 fr. ; autres communes : 170 fr.
« Province de Brabant : Chef-lieu : 250 fr. ; autres communes : 170 fr.
« Province de Flandre occidentale : Chef-lieu : 250 fr. ; autres communes : 170 fr.
« Province de Flandre orientale : Chef-lieu : 250 fr. ; autres communes : 170 fr.
« Province de Liége : Chef-lieu : 200 fr. ; autres communes : 170 fr.
« Province de Hainaut (Mons et Tournai) : Chef-lieu : 250 fr. ; autres communes : 170 fr.
« Province de Namur : Chef-lieu : 140 fr. ; autres communes : 120 fr.
« Province :de Luxembourg Chef-lieu : 120 fr. ; autres communes : 90 fr.
« Province de Limbourg : Chef-lieu : 110 fr. ; autres communes : 90 fr. »
MpVµ. - M. Dupont propose, à l'égard des sept premières provinces, d'établir un cens uniforme de 150 francs, sans distinction entre les différentes communes, et, en outre, à l'égard des communes du Luxembourg et du Limbourg, un cens de 90 francs, sans distinguer non plus entre les communes.
- Cet amendement est mis aux voix et n'est pas adopté.
Les propositions du gouvernement, formant le n°1° de l'article 98, sont ensuite mises aux voix et adoptées.
« 2° Indépendamment de toute contribution, parmi les classes de citoyens ci-dessous désignées :
« a. Les membres de la Chambre des représentants ;
« b. Les membres des conseils provinciaux ;
« c. Les bourgmestres, échevins, conseillers communaux, secrétaires et receveurs des communes de 4,000 âmes et au-dessus. »
MpVµ. - M. De Fré propose de supprimer les secrétaires communaux.
- Cette suppression est mise aux voix et n'est pas adoptée.
Les propositions du gouvernement depuis le n°2° jusqu'à la lettre c, sont mises aux voix et adoptées.
« d. Les docteurs en droit, en médecine, chirurgie, sciences et lettres. »
- Adopté.
« Les notaires, avoués, agents de change et courtiers. »
M. le président. - M. Dupont propose de supprimer les mots : « agents de change et les courtiers. »
- Cette suppression est mise aux voix et adoptée. Le littera e, ainsi modifié, est adopté.
« f. Les pensionnaires de l'Etat jouissant d'une pension de retraite de 1,000 francs au moins. »
- Adopté.
MPDµ. - M. Dupont propose d'ajouter à la nouvelle rédaction :
« Les ingénieurs porteurs d'un diplôme régulier délivré par un jury d'examen, organisé conformément à la loi ;
« Les docteurs en pharmacie ;
« Les candidats notaires ;
« Les professeurs agrégés de l'enseignement moyen des deux degrés ;
« Les officiers de santé ;
« Les artistes vétérinaires. »
M. Mullerµ. - Il faudrait voter par division.
MpVµ. - La division est de droit, dès qu'elle est demandée.
Je mets le paragraphe 15 aux voix :
« Les ingénieurs porteurs d'un diplôme régulier, délivré par un jury d'examen, organisé conformément à la loi. »
- Ce paragraphe est adopté.
« Les docteurs en pharmacie. »
M. Vleminckxµ. - Il n'y a plus de docteurs en pharmacie. On peut dire : les pharmaciens ; c'est le titre qu'ils ont en vertu de leur diplôme.
M. Dupont. — Je retire cette partie de l'amendement.
- « Les candidats notaires. »
Cette proposition n'est pas adoptée.
« Les professeurs agrégés de l'enseignement moyen des deux degrés. »
La proposition n'est pas adoptée.
« Les officiers de santé. »
- Des membres. - Il n'y en a plus.
M. Dupontµ. - Je retire le reste de mon amendement.
MpVµ. - Le dernier paragraphe de l'article est ainsi conçu :
« Ces citoyens remplissent les fonctions de jurés près la cour d'assises dans le ressort de laquelle est établi leur domicile. »
- Le paragraphe est adopté.
L'ensemble de l'article est adopté.
« Art. 99. Ne sont pas portés ou cessent d'être portés sur la liste des jurés :
« 1° Ceux qui ont atteint leur soixante et dixième année ;
« 2° Les ministres, les gouverneurs des provinces, les membres des députations permanentes des conseils provinciaux, les greffiers provinciaux, les commissaires d'arrondissement, les juges, procureurs généraux, procureurs du roi et leurs substituts, les greffiers et commis greffiers des cours et tribunaux ;
« 3° Les ministres du culte ;
« 4° Les membres de la cour des comptes ;
« 5° Les secrétaires généraux et les directeurs d'administration près d'un département ministériel ;
« 6° Les militaires en service actif et les auditeurs militaires. »
M. le président. - MM. Vleminckx et Kervyn ont déposé un amendement tendant à ajouter à l'article :
« Les chirurgiens et médecins exerçant leur profession. »
M. Vleminckxµ. - Déjà l'honorable M. Kervyn a fait valoir (page 304) quelques considérations en faveur de la proposition que nous avons eu l'honneur de déposer ; j'aurai très peu de chose à y ajouter.
Les ministres des cultes sont exemptés, d'après une disposition que nous venons de voter, pour des nécessités de service. Je crois que si des nécessités de service peuvent être invoquées, c'est surtout en faveur des ' médecins.
Déjà M. le ministre de la justice s'est associé à cette manière de voir en ce qui concerne les médecins de campagne ; mais il est incontestable que la nécessité n'existe pas moins pour les médecins des villes.
Ce qui fait que M. le ministre de la justice serait disposé à exempter les médecins des campagnes et pas ceux des villes, c'est que, suivant lui, les premiers se font difficilement remplacer, tandis que les autres n'éprouvent pas cette difficulté.
C'est, de la part de M. le ministre de la justice, une grande erreur. Ce n'est pas dans l'intérêt des médecins qu'il faut les exempter des fonctions de juré, c'est dans l'intérêt de la société.
Il n'est pas indifférent qu'un médecin soit remplacé auprès d'un malade. La chose peut avoir les plus graves conséquences. Qu'il s'agisse, par exemple, d'une maladie aiguë, dans laquelle le sort du malade dépend des lumières de celui qui a commencé le traitement : croyez-vous qu'il soit indifférent de donner, à un moment donné, à ce malade un autre médecin ?
S'agit-il d'opérations chirurgicales, il peut arriver qu'une opération ayant été faite, des accidents surviennent, qui ne peuvent être bien conjurés et traités que par celui qui a fait l'opération.
Je citerai une autre branche de l'art de guérir, les accouchements. Croyez-vous qu'il soit indifférent à tout le monde d'avoir tel accoucheur au lieu de tel autre ?
M. Hymans. - Quand cela arrive-t-il ?
M. Vleminckxµ. - Quand cela arrive-t-il ? dit l’honorable M. Hymans.
M. Orts. - Cela arrive presque toujours la nuit, dit M. Hymans. (Interruption.)
M. Vleminckxµ. - Je puis affirmer à l'honorable M. Orts que cela arrive très fréquemment pendant le jour.
En voilà assez, me semble-t-il, pour faire comprendre à la Chambre que, dans l'intérêt de la société, il convient de dispenser les médecins et les chirurgiens de fonctions qui peuvent les tenir, dans les moments les plus difficiles, éloignés de leurs clients.
M. Coomans. - J'ai demandé la parole pour un seul mot.
M. le ministre de la justice m'accuse de ne reconnaître qu'un seul culte, de ne respecter qu'un culte, de vouloir faire régner un seul culte en despote.
Or, je crois que c'est lui qui mérite ce reproche. Il propose d'exempter les ministres du culte ; je propose d'exempter les ministres des cultes pour rester dans la Constitution et dans la justice.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - J'avais précisément en main l'amendement. Je ne croyais pas que l'honorable. M. Coomans devait en faire un argument.
Le projet de loi n'avait nullement l'intention de dire : les ministres du culte ; ce sont les typographes qui ont fait ces modifications. Car, la loi de 1838 exempte les ministres des cultes et l'article n'est que la reproduction textuelle de la disposition ancienne.
Je propose un autre changement à l'article 99, c'est de comprendre au second paragraphe, parmi les personnes exemptées, les auditeurs militaires après les mots : « et leurs substituts ». Je crois qu'il convient de les séparer des militaires en service actif, et de les joindre aux autres membres de la magistrature.
M. le président. - Je mettrai aux voix l'article par paragraphe.
« Art. 99. Ne sont pas portés ou cessent d'être portés sur la liste des jurés :
« 1° Ceux qui ont atteint leur soixante et dixième année ;
« 2° Les ministres, les gouverneurs des provinces, les membres des députations permanentes des conseils provinciaux, les greffiers provinciaux, les commissaires d'arrondissement, les juges, procureurs généraux, procureurs du roi et leurs substituts, les auditeurs militaires, les greffiers et commis greffiers des cours et tribunaux ;
- Un membre. - Il faut supprimer les commis greffiers ; il n'y en a plus.
M. le président. - Il y a encore des commis greffiers dans les tribunaux ; c'est pour les cours seulement qu'on a supprimé cette dénomination.
M. Delaetµ. - Il faudrait ajouter : « les substituts des auditeurs militaires. »
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il n'y a pas de substituts des auditeurs militaires, il y a l'auditeur général qui lui seul a un substitut ; il y a ensuite des auditeurs militaires. M. Delaet confond les substituts des auditeurs militaires avec les auditeurs suppléants, mais ceux-là ne doivent pas jouir de l'exemption, car ils n'ont que des fonctions temporaires, ils remplacent l'auditeur en cas d'absence ou d'empêchement.
- Le n°2° est mis aux voix et adopté.
« 3° Les ministres du culte ; »
- Adopté.
« 4° Les membres de la cour des comptes ; »
- Adopté.
« 5° Les secrétaires généraux et les directeurs d'administration près d'un département ministériel ; »
- Adopté.
« 6° Les militaires en service actif et les auditeurs militaires. »
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il faut supprimer ici les auditeurs militaires, qui ont été ajoutés au n°2°.
- Le n°6°, ainsi modifié, est adopté.
M. le président. - Il y a un n°7°, proposé par MM. Vleminckx et Kervyn et qui est ainsi conçu :
« Les chirurgiens et médecins exerçant leurs fonctions. »
- L'appel nominal est demandé ; en voici le résultât :
70 membres prennent part au vote.
61 adoptent.
9 rejettent.
En conséquence le paragraphe est adopté.
Ont voté l'adoption :
MM. d'Elhoungne, de Liedekerke, de Macro, de Naeyer, de Rossius, de Terbecq, de Theux, de Vrière, d’Hane-Steenhuyse, Elias, Frère-Orban, Funck, Gerrits, Hagemans, Hayez, Hymans, Jacquemyns, Jonet, Kervyn de Lettenhove, Landeloos, Le Hardy de Beaulieu, Liénart, Lippens, Magherman, Moncheur, Moreau, Mouton, Muller, Orban, Orts, Preud’homme, Reynaert, Sabatier, Thibeau, Thonissen, Valckenaere, Van Cromphaut, Alphonse Vandenpeereboom, Ernest Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vanderstichelen, Van Wambeke, Vilain XIIII, Vleminckx, Warocqué, Watteeu, Allard, Ansiau, Anspach, Bara, Bouvier-Evenepoel, Broustin, Bruneau, Carlier, Coomans, Crombez, David, de Brouckere, De Fré, de Kerchove Delaet et Dolez.
Ont voté le rejet :
MM. de Macar, Descamps, Dewandre, Dupont, Pirmez, Tesch, T'Serstevens, Vander Maesen, et Van Humbeeck.
- L'article est ensuite adopté dans son ensemble.
La séance est levée à 4 heures.