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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 6 décembre 1867

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1867-1868)

(Présidence de M. Dolezµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 285) M. Reynaert, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures et quart.

M. Van Humbeeck, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Reynaert présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Des habitants et propriétaires de la commune d'Overpelt demandent la construction : 1° d'une route de Looz à Hechtel par Caulille, Petit-Brogel et Exel ; 2° d'un embranchement de cette route partant d'Exel pour rencontrer celle de Lommel à Overpelt en passant par Linden, Neuss, Hasselt ; 3° l'établissement d'une station sur le chemin de fer de Hasselt à Eyndhoven, à la limite des communes d'Exel et d'Overpelt. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Bruxelles demandent le prompt achèvement des travaux de la nouvelle station du Midi. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Bruxelles demandent la révision de la loi du 25 septembre 1842, sur l'enseignement primaire. »

« Même demande du sieur Bourlard (Jules). »

- Même renvoi.


« M. Lange, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé. »

- Accordé.

Rapports sur des pétitions

M. Bricoult, rapporteurµ. - Par pétition datée de Willaupuis, le 12 mars 1867, le sieur Harnequau demande que la commune de Willaupuis, qui se trouve à l'avance dans le contingent de la milice, soit dispensée cette année de fournir un homme à l'armée.

Conclusions : Ordre du jour.

- Adopté.


M. Bricoult, rapporteurµ. - Par pétition datée d'Anvers, le 11 avril 1867, le sieur Joostens demande que le gouvernement supprime pour cinq ou six mois les bals publics.

Même demande du sieur Janssens.

Conclusions : Ordre du jour.

- Adopté.


M. Bricoult, rapporteurµ. - Par pétition sans date, le sieur Defrance propose des mesures pour sauvegarder l'indépendance de la Belgique et l'intégrité de son territoire.

Conclusions : Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur l'organisation de l'armée.

- Adopté.


M. Bricoult, rapporteurµ. - Par pétition datée de Bruxelles, le 6 mai 1867, la veuve Verreydt demande que son fils Gustave Emmanuel, milicien de 1867, soit exemple du service militaire.

Conclusions : Ordre du jour.

- Adopté.


M. Bricoult, rapporteurµ. - Par pétition datée de Héron, le 8 mai 1867, la veuve Lignon demande que son fils Charles, milicien de la levée de 1867, soit exempté du service militaire.

Conclusions : Ordre du jour.

- Adopté.


M. Bricoult, rapporteurµ. - Par pétition datée de Cruyshautem, le 3 avril 1867, des membres du conseil communal de Cruyshautem, se plaignant de l'envoi dans cette commune d'un commissaire spécial pour l'acquisition d'un terrain destiné à la construction d'une école, prient la Chambre de réviser la disposition législative en vertu de laquelle cette délégation a eu lieu, et s'il a été agi illégalement à l'égard de la commune, de prendre les mesures nécessaires pour rendre à la loi son cours.

Lorsque cette pétition fut adressée à la Chambre, les membres du conseil communal de Cruyshautem n'étaient pas d'accord sur le choix d'un terrain destiné à la construction d'une école.

Depuis cette époque, c'est-à-dire depuis le 3 avril 1867, le gouvernement a dû intervenir énergiquement pour aplanir les difficultés que rencontrait le projet de construction dont il s'agit, et à l'heure qu'il est l'école est bâtie.

Notre honorable collègue M. Vander Donckt, qui est bourgmestre de Cruyshaulem, ayant bien voulu donner ce renseignement à la commission des pétitions, celle-ci a l'honneur de vous proposer le dépôt de la requête des membres du conseil communal de Cruyshautem au bureau des renseignements.

- Adopté.

Motion d’ordre

M. Notelteirsµ. - La Belgique vient de faire une grande perte. Le pays a perdu l'un de ses citoyens les plus illustres ; l'Eglise, son premier pasteur en Belgique.

Son Eminence le cardinal Engelbert Sterckx, archevêque de Malines, primat de Belgique, est mort dans sa résidence métropolitaine, le 4 décembre, à 7 heures du matin.

Pendant sa longue carrière, nous avons vu le grand prélat remplir sa mission religieuse avec l'aménité, l'amour et la constance propres à. l'apôtre ; nous avons vu le grand citoyen prodiguer son dévouement au pays, à son indépendance, à ses institutions et à sa dynastie.

Ces grandes choses qui font notre bonheur et notre gloire, le défunt les a vues naître, prospérer et grandir. Nous savons tous, messieurs, la tendre sollicitude avec laquelle il suivait leur développement, les accidents et les succès, les douleurs et les joies de la pairie.

Messieurs, la Belgique entière a appris avec une douloureuse émotion la perte qu'elle vient de subir. La Chambre, j'en suis certain, partage ce sentiment si légitime et si digne.

Les funérailles auront lieu mardi 10 septembre, à dix heures du matin. Un grand nombre de membres de cette Chambre voudront assister à ces solennités. Ils tiennent à rendre à l'éminent prélat, à l'illustre citoyen, ce dernier devoir et ce témoignage public d'amour filial et de vénération.

Comme député de l'arrondissement de Malines, j'ai l'honneur d'être l'interprète d'un grand nombre de mes honorables collègues en priant la Chambre de décider qu'elle ne siégera pas mardi, jour des funérailles de Son Eminence le cardinal-archevêque.

M. le président. - M. Notelteirs propose qu'il n'y ait pas de séance mardi prochain parce qu'un grand nombre de membres de la Chambre croient de leur devoir de se rendre aux funérailles de son Eminence le cardinal-archevêque de Malines.

C'est une sorte de congé collectif que la Chambre accorderait à une grande partie de ses membres. La Chambre est-elle d'avis d'adopter la motion ainsi entendue ?

- La proposition de M. Notelteirs est adoptée. En conséquence, la Chambre ne siégera pas mardi prochain,

Rapports sur des pétitions

M. Bouvier-Evenepoel, rapporteurµ. - Par pétition datée de Courtrai, le 10 novembre 1867, le sieur Soubry, soldat réformé en 1832 et combattant de septembre, réclamé l'intervention de la Chambre pour obtenir une gratification annuelle.

(page 286) Le pétitionnaire allègue qu'il est combattant de septembre et soldat réformé en 1832 à la suite d'une maladie contractée au service militaire, sans produire aucun document à l'appui de sa requête, sur laquelle la Chambre est d’ailleurs incompétente pour statuer. Elle vous propose en conséquence l'ordre du jour.

- Adopté.


M. Bouvier-Evenepoel, rapporteurµ. - Par pétition datée d'Exel, le 18 novembre 1867, le conseil communal d'Exel demande la construction d'une roule de Hechtel par Exel, Petit-Brogel, Caulille, au grand bassin de Loozen.

Le conseil communal d'Exel, arrondissement de Maeseyck, s'est adressé à la Chambre dans la précédente session pour solliciter auprès d'elle une route d'Hechtel, par Exel, au grand bassin de Loozen. Il renouvelle sa première demande eu entre dans des détails très développés pour faire ressortir la haute utilité de cette construction.

Votre commission vous propose le renvoi de cette pétition à M. le ministre des travaux publics.

- Adopté.


M. Bouvier-Evenepoel, rapporteurµ. - Par pétition datée de Verviers, le 15 novembre 1867, le sieur Honnet se plaint d'être révoque de ses fonctions de garde-convoi au chemin de fer de l'Etat.

La Chambre étant incompétente pour statuer sur des mesures d'administration, votre commission vous propose l'ordre du jour.

- Adopté.


M. Bouvier-Evenepoel, rapporteurµ. - Par pétition datée de Gilly, le 11 novembre 1867, le sieur Lorge, ancien militaire pensionné, demande la révision de sa pension ou un emploi du gouvernement.

La Chambre étant incompétente pour statuer sur la révision de pensions ou pour pourvoir à des emplois, votre commission vous propose l’ordre du jour.

- Adopté.


M. Bouvier-Evenepoel, rapporteurµ. - Par pétition datée de Namur, le 15 novembre 1867, le sieur Ramaeckeis, ancien garde-convoi au chemin de fer de l'Etat et facteur de station, se plaint d'être démissionné parce qu'il se trouve momentanément dans l'impossibilité de reprendre son service à cause d'une affection contractée dans l'exercice de ses fonctions, et demande, s'il ne peut être réintégré dans son emploi, de lui faire accorder une indemnité en compensation de la perte qu'il subit et des retenues qui lui ont été faites.

La demande renfermée dans cette pétition n'étant pas de la compétence de la Chambre, votre commission vous propose l'ordre du jour.

- Adopté.


M. Bouvier-Evenepoel, rapporteurµ. - Par pétition datée de Bueken, le 19 août 1867, des membres de l'administration communale et d'autres habitants de Bueken réclament l'intervention de la Chambre pour que le curé de cette commune remette à la fabrique de l'église la recette annuelle des chaises.

Cette pétition, signée par le conseil communal de Bueken, dénonce le curé de la paroisse de cette commune comme faisant la recette, à son profit, depuis dix-huit ans environ, sans rendre compte au conseil de fabrique de cette recette.

Votre commission vous propose le dépôt de cette pétition sur le bureau de la Chambre pendant la discussion de la loi sur le temporel des cultes.

- Adopté.


M. Bouvier-Evenepoel, rapporteurµ. - Par pétition sans date, des habitants de Mesnil demandent une enquête sur le plan de l'église à construire dans cette commune.

La Chambre est incompétente pour faire droit à la pétition des habitants de Mesnil ; c'est à la députation permanente de la province de Namur qu'ils ont à s'adresser pour le redressement de leurs griefs.

Votre commission vous propose l'ordre du jour.

- Adopté.


M. Bouvier-Evenepoel, rapporteurµ. - Par pétition datée de Bruxelles, le 17 octobre 1867, le sieur Lebloys propose une loi qui déclare les vœux de célibat incompatibles avec les fonctions de l'enseignement public de la jeunesse.

Le pétitionnaire entre dans des considérations philosophiques et physiologiques pour soutenir la thèse sur laquelle votre commission pense que la Chambre n'est pas disposé à le suivre. Elle vous propose, en conséquence, l'ordre du jour.


M. Bouvier-Evenepoel, rapporteurµ. - Par pétition datée de Gand, les 18 août et 23 octobre 1867, le sieur Van Hoorebeke transmet une nouvelle dissertation, comme suite à ses réclamations, et demande une augmentation de traitement.

Par pétition datée de Gilly, le 30 juillet 1867, le sieur Lorge, gendarme pensionné, demande une augmentation tic pension ou bien un emploi de concierge ou de cantinier.

La Chambre, étant incompétente pour statuer sur les demandes renfermées dans ces pétitions, votre commission vous propose l'ordre du jour.

- Adopté.


M. Bouvier-Evenepoel, rapporteurµ. - Par pétition datée de Bruxelles, le 19 juillet 1867, la veuve du sieur Van Geem, ancien brigadier des douanes, demande une augmentation de pension.

Les mêmes motifs déterminent votre commission à vous proposer l'ordre du jour.

- Adopté.


M. Bouvier-Evenepoel, rapporteurµ. - Par pétition sans date, le sieur Meurice, blessé de septembre, demande un secours.

La Chambre étant incompétente pour statuer sur cette pétition, votre commission vous propose l'ordre du jour.

- Adopté.


M. Bouvier-Evenepoel, rapporteurµ. - Par pétition datée de Lanaeken, le 13 avril 1867, le sieur Bouwe, combattant de 1830 et ancien gardien de deuxième classe de la maison de force de Gand, demande une récompense nationale.

Le même motif détermine la commission à vous proposer l'ordre du jour.

- Adopté.


M. Bouvier-Evenepoel, rapporteurµ. - Par pétition datée de Wachtebeke, le 15 avril 1867, le sieur Steel, ancien militaire pensionné pour infirmité contractée au service, demande une augmentation de pension.

Conclusions : Ordre du jour.

- Adopté.


Par pétition datée de Bruxelles, le 11 mai 1867, des officiers pensionnés demandent que la Chambre, en attendant la révision des pensions militaires, leur accorde 10 p. c. d'augmentation de leur pension.

M. Vleminckxµ. - Messieurs, à diverses reprises, la Chambre a renvoyé, soit à M. le ministre de la guerre, soit à M. le ministre des finances, des pétitions d'officiers retraités, sollicitant une augmentation de pension. La pétition dont l'honorable M. Bouvier vient de présenter l'analyse a pour objet de demander qu'une augmentation de 10 ou 15 p. c. soit accordée aux officiers pétitionnaires, en attendant la révision de leurs pensions.

II est évident qu'il faut admettre d'abord le principe avant qu'on en vienne aux conséquences.

Il y a deux ans, la Chambre, sur ma proposition, a décidé que des pétitions, tendantes à faire augmenter les pensions militaires, seraient renvoyées, non seulement à M. le ministre de la guerre qui était favorable à cette réclamation, mais encore à M. le ministre des finances, avec demande d'explications.

Messieurs, il faut que la question de l'augmentation des pensions militaires soit enfin résolue. Il n'est pour ainsi dire pas de feuilleton où ne se trouvent inscrites des demandes y relatives. Je regrette que M. le ministre des finances ne soit pas à son banc ; mais j'espère qu'un de ses honorables collègues voudra bien lui faire part du désir que j'exprime en ce moment.

Je demande que l'honorable ministre veuille bien transmettre à la Chambre, dans le plus bref délai possible, les explications qu'il s'est engagé à fournir. Il faut que ces malheureux officiers sachent à quoi s'en tenir. Je sais bien qu'ils n'ont pas beaucoup à attendre, mais enfin il convient qu'ils soient fixés sur le sort qu'on leur réserve.

M. Bouvier, rapporteurµ. - Messieurs, ainsi que l'honorable M. Vleminckx vient de le faire observer, l'honorable ministre des finances a promis de donner des explications complètes sur les demandes renfermées dans les pétitions nombreuses qui ont été envoyées à la Chambre par les officiers pensionnés. M. le ministre des finances lira dans les Annales parlementaires les observations de l'honorable M. Vleminckx, auquel je m'empresse de me joindre dans cette circonstance.

- Le renvoi de la pétition à M. le ministre de la guerre est ordonné.


M. Bouvier-Evenepoel, rapporteurµ. - Par pétition datée de Bruxelles, le 4 novembre 1867, le colonel pensionné Van den Bussche prie la Chambre d'accorder aux officiers pensionnés une augmentation de 15 à 20 p. c, en attendant qu'une loi nouvelle règle leurs pensions.

La Chambre par ses précédentes résolutions a décidé de renvoyer les pétitions de cette nature à MM. les ministres des finances et de la guerre. Votre commission vous propose le même renvoi pour les deux pétitions qui précèdent.

- Adopté.


(page 287) M. Bouvier-Evenepoel, rapporteurµ. - Par pétition datée de Bruxelles, le 3 octobre 1867, le sieur Lecomte prie la Chambre de décréter qu'à l'avenir l'indemnité mensuelle sera remplacée par des jetons de présence.

Même demande d'habitants de Bruxelles.

L'article 52 de la Constitution portant que chaque membre n'habitant pas la ville où se tient la session, jouit d'un traitement qu'elle détermine, il n'y a pas lieu à prendre en considération la demande des pétitionnaires.

Votre commission vous propose l'ordre du jour.

- Adopté.


M. Vander Donckt, rapporteurµ. - Par pétition datée d'Anvers, le 27 novembre 1867, le sieur Tenvoorden présente des observations contre des annonces de la partie non officielle du Moniteur.

Messieurs, votre commission n'a trouvé dans les observations présentées par le pétitionnaire rien qui mérite l'attention de la Chambre, toutefois elle a conclu au dépôt de la pétition au bureau des renseignements.

- Ces conclusions sont mises aux voix et adoptées.


M. Vander Donckt, rapporteurµ. - Par pétition datée de Courtrai, le 25 octobre 1867, les sieurs Gillon-Cappon et Boin, président et secrétaire de la Société royale de rhétorique dite de Kruisbroeders demandent que les miliciens flamands illettrés apprennent à lire et à écrire dans leur langue maternelle.

Messieurs, les pétitionnaires, membres de la société royale de rhétorique « de Kruisbroeders » se plaignent de ce qu'on apprenne à lire et à écrire dans la langue française aux miliciens flamands illettrés. Leur plainte est basée sur un fait qu'ils signalent : à Courtrai, sur 40 miliciens illettrés, 35 appartiennent aux provinces flamandes ; cependant l'instruction primaire leur est donnée en français.

Messieurs, votre commission estime que cette pétition mérite l'attention la plus sérieuse de M. le ministre de la guerre. On se plaît quelquefois à dire que les réclamations des Flamands en faveur des droits de leur langue maternelle n'ont aucune raison d'être et se produisent uniquement dans un but d'agitation politique : eh bien, messieurs, voici un grief nouveau et sérieux, un abus criant et intolérable commis par les agents mêmes du pouvoir, impliquant à la fois le mépris de notre idiome national et la violation des principes les plus élémentaires et les plus incontestables d'une saine méthode pédagogique. On est vraiment surpris de voir que les officiers instructeurs, chargés de donner l'instruction aux miliciens illettrés aient pu interpréter aussi irrationnellement les circulaires ministérielles concernant cet objet.

En effet, messieurs, cette interprétation erronée est non seulement contraire au bon sens et à la raison, mais elle rend pratiquement impossible le résultat que l'on poursuit. Il est évident que l'instruction du milicien, donnée dans les conditions morales et matérielles les moins favorables, est nécessairement restreinte dans les limites les plus étroites ; l'âge déjà avancé du milicien et les mille distractions du service militaire empêchent l'instruction de prendre le développement désiré ; ajouter à ces obstacles naturels et en quelque sorte insurmontables, les difficultés inhérentes à l'apprentissage d'une langue étrangère, c'est rendre cette instruction illusoire et impossible. L'enseignement littéraire, pour être fructueusement reçu, surtout dans les conditions que nous venons de décrire, a besoin d’une base, d'un fondement ; or, la seule base possible, le seul fondement logique et rationnel, c'est la langue maternelle, la langue que l’on a appris à balbutier d'abord, à parler ensuite.

Ajoutez à ces considérations tirées de la nature même des choses, que suivre le procédé contraire, dénoncé par les pétitionnaires, c'est faire bon marché de la prescription constitutionnelle qui consacre la liberté des langues, en même temps que c'est professer un dédain injustifiable et immérité pour notre belle langue flamande, qui est la langue parlée et écrite de la majorité des Belges.

Pour toutes ces raisons, messieurs, votre commission conclut au renvoi de la pétition à M. le ministre de la guerre.

M. Reynaertµ. - Messieurs, permettez-moi de vous relire le résumé analytique de la pétition sur laquelle l'honorable M. Vander Donckt vient de vous faire rapport.

« Par pétition datée de Courtrai, le 25 octobre 1867, les sieurs Gillon-Cappon et Boin, président et secrétaire de la société royale de rhétorique dite de Kruisbroeders, demandent que les miliciens flamands illettrés apprennent à lire et à écrire dans leur langue maternelle. »

Il paraît, messieurs, qu'à Courtrai, les choses se passent d'une tout autre façon, d'une façon moins rationnelle et moins constitutionnelle ; au dire des pétitionnaires, les miliciens illettrés y reçoivent l'instruction primaire dans la langue française.

J'avais l'intention de présenter quelques observations sur l'objet de cette pétition. Mais comme la question flamande est en ce moment portée devant la Chambre, au moins en ce qui concerne l'administration de la justice, dans un amendement que j'ai eu l'honneur de signer avec un grand nombre de mes collègues, je pense que ce serait abuser de vos moments, messieurs, que de m'appesantir sur cette matière. Je pourrai plus utilement demander des éclaircissements sur les plaintes consignées dans cette pétition lors de la discussion du budget de la guerre.

Du reste, je dois déclarer que les faits abusifs dont se plaignent les pétitionnaires n'ont pu se produire que par une fausse interprétation des instructions ministérielles sur cet objet. Il m'a été assuré de la manière la plus positive que l'intention de M. le ministre de la guerre est de faire donner l'instruction élémentaire aux miliciens illettrés dans leur langue propre, aux miliciens flamands dans leur langue maternelle, aux miliciens wallons dans la langue française.

Je me réserve, je le répète, de revenir sur cette question lors de la discussion du budget de la guerre.

- Les conclusions de la commission sont adoptées.


M. Vander Donckt, rapporteurµ. - Par pétition datée de Bruxelles, le 28 novembre 1867, le sieur Hainaut se plaint du prix élevé de certains livres d'étude élémentaire et de l'obligation qu'imposent les professeurs à leurs élèves dans les écoles communales à Bruxelles, d'acheter annuellement de nouveaux livres.

Messieurs, la Chambre comprendra que ce sont là des détails dont la Chambre ne peut s'occuper. Le pétitionnaire ne propose rien. Il demande simplement qu'on veuille apprécier et bien réfléchir. Eh bien, à cette fin, la commission a l'honneur de vous proposer le dépôt de la requête au bureau des renseignements. Là, chacun pourra, s'il le trouve bon, se rendre pour apprécier les faits et réfléchir sur la matière que traite le pétitionnaire.

- Le dépôt au bureau des renseignements est ordonné.

Projet de loi d’organisation judiciaire

Discussion des articles

Chapitre V. Des assises

Article 90

« Art. 90. Le jour où les assises doivent s'ouvrir est fixé par le premier président de la cour d'appel.

« Elles ne peuvent être closes qu'après que toutes les affaires qui y sont renvoyées et qui étaient en état lors de leur ouverture, y auront été portées. »

M. Guillery a proposé l'amendement suivant :

« Supprimer les mots :

« Et qui étaient en état lors de leur ouverture. »

« Ajouter un paragraphe ainsi conçu ;

« Néanmoins, les affaires qui n'étaient pas en état lors de leur ouverture ne pourront être jugées que du consentement de l'accusé. »

M. Van Wambekeµ. - Il me semble, messieurs, qu'il faudrait définir plus clairement ces mots « affaire en état ». En effet, en matière civile l'article 343 du code de procédure civile dispose qu'une affaire est en état lorsque les conclusions ont été prises ; mais en matière criminelle je ne trouve aucun texte qui tranche la question. Considèrera-t-on l'affaire en état lorsque l'acte d'accusation aura été notifié, ou bien faudra-t-il encore que l'accusé ait été interrogé ? Ce sont là des questions messieurs, qu'il faudrait trancher, me paraît-il, pour que l'article soit clair.

M. Orts. - Messieurs, je tiens à rassurer l'honorable M. Van Wambeke. Il n'y a pas de lacune dans la loi : le code d'instruction criminelle a parfaitement indiqué toutes les formalités qui doivent être accomplies pour qu'une affaire puisse être considérée comme étant en état de venir devant la cour d'assises.

- Les deux paragraphes de l’amendement de M. Guillery sont successivement mis aux voix et adoptés.

L'article 90, ainsi amendé, est ensuite mis aux voix et adopté.

Article 92

M. le président. - La Chambre reprend la discussion de l'article 92.

M. Coomans. - Messieurs, les deux ou trois remarques que j'ai à faire ne prolongeront guère le débat que beaucoup de membres croient épuisé.

L'erreur des honorables auteurs des amendements consiste, me semble-t-il, dans cette opinion, trop généralement répandue, que plus un tribunal est nombreux, plus il offre de garanties à tous les points de vue. Cette opinion n'est pas la mienne. Je suis très disposé à affirmer (page 288) l’inverse, à soutenir que, moins le personnel d'un tribunal quelconque est nombreux, plus il offre toutes sortes de garanties.

Je pourrais appuyer cette thèse de mille bonnes raisons que j'aurais à donner et de milliers d'exemples que l’histoire me fournirait, mais je veux me borner à cette considération générale-ci.

La véritable responsabilité est personnelle. Quand la responsabilité n'est pas personnelle, elle n'est guère sérieuse ; et moins elle est personnelle, moins elle est sérieuse.

L'honorable M. Guillery ne m'en voudra pas, j'espère, si je lui dis très sérieusement que j'aimerais mieux être jugé par lui seul que par tous ses amis politiques réunis, quoiqu'il n'ait pas la prétention d'avoir plus d'esprit et de connaissances à lui seul que l'ensemble de ses amis politiques.

Pourquoi aimerais-je mieux être jugé par un seul des membres de la gauche et, de préférence à bien d'autres, par l'honorable M. Guillery ? C'est parce que la responsabilité d'un seul homme est toujours efficace, sérieuse, presque infaillible, quand la conscience et la science ne font pas défaut.

Jamais, messieurs, on n'a vu un seul juge commettre les iniquités que l'histoire met à la charge des grandes assemblées politiques et judiciaires.

Ma conviction profonde est que si Robespierre seul avait pu juger Louis XVI, Louis XVI n'eût pas été condamné à mort.

M. Guillery. - C'est une opinion personnelle.

M. Coomans. - C'est une opinion personnelle, oui, mais si je ne craignais pas de prolonger ma démonstration, je citerais de nombreux exemples à l'appui de ma thèse.

La responsabilité ne doit pas être éparpillée ; plus elle est éparpillée, moins, je le répète, elle est sérieuse.

Evidemment, il faut qu'un juge unique, ou que deux ou trois juges offrent les garanties nécessaires pour tout jugement. Il faut la science, il faut l'honnêteté, mais, quand ces deux conditions sont réunies dans un seul homme, il me paraît fort inutile d'en rassembler beaucoup.

Je ne crains pas de le dire, je ne reculerais pas devant l'introduction en Belgique du régime judiciaire anglais. (Interruption.)

Je n'ai aucune chance de faire prévaloir un tel avis. Aussi n'y insisterai-je pas davantage.

La vérité est que la réforme opérée en 1849, avec l'assentiment presque unanime de cette assemblée, n'a pas donné lieu à des inconvénients bien graves. (Interruption.)

Quant à moi, je n'en ai jamais entendu citer qui méritaient d'être pris en considération.

La justice criminelle est convenablement rendue en Belgique. J'en dirais autant de la justice civile si elle n'était pas si chère pour les pauvres contribuables.

Donc un bon président avec deux assesseurs instruits et honnêtes (et j'espère que nous devons reconnaître, surtout M. le ministre, qu'ils le sont tous), un bon président avec deux assesseurs honnêtes suffit à tous les besoins d'une cour d'assises.

La question financière, qui est secondaire, je le reconnais avec l'honorable M. Orts, n'est pourtant pas à dédaigner, surtout dans les cas douteux.

Je voudrais qu'on reconnût que in dubiis il faut de l'économie.

Eh bien, d'après la déclaration faite hier par M. le ministre de la justice, si l'amendement de M. Guillery était adopté, il y aurait lieu a nommer immédiatement 18 à 20 conseillers de cour d'appel.

M. De Fréµ. - C'est l'amendement de M. Watteeu.

M. Coomans. - Oui, je confonds ; c'est l'amendement de M. Watteeu. Si donc il fallait faire siéger 5 membres de la cour d'appel à la cour d'assises, il faudrait procéder à la nomination de 18 à 20 conseillers nouveaux. Or il résulterait de là une dépense considérable et que nous n'avons pas le droit de décréter si elle n'est pas utile, frais de de placements, pensions et tout ce qui s'ensuit.

M. Bouvierµ. - 150,000 francs.

M. Coomans. - L'ordre judiciaire nous a déjà coûté inutilement une somme très forte naguère.

Restons-en là.

Je m'étonne que ni M. le ministre de la justice, ni M. Watteeu n'aient tenu compte d'une observation fort juste qui a été présentée par un honorable député d'Anvers. Mon honorable ami, M. Delaet, vous a fait remarquer hier qu'il sera difficile, pour ne pas dire impossible, de faire droit à l'un de nos griefs les plus sérieux ; à nous autres Flamands. Si vous êtes obligés de détacher pour chaque cour d'assises cinq membres de la cour d'appel, vous aurez à détacher vingt-cinq membres de cour d'appel, lesquels dans cinq de nos provinces devront savoir le flamand.

Tous les membres de la cour d'appel de Liège devront savoir le flamand, puisqu'ils auront à juger dans le Limbourg ; il en sera de même pour les membres de la cour d'appel de Bruxelles si, comme je l'espère, vous faites droit à nos justes réclamations. Eh bien, voilà une difficulté nouvelle que vous ajoutez à toutes celles que vous avez déjà à vaincre.

Cette difficulté sera énorme, et je m'étonne que les honorables MM. Watteeu et Orts n'en soient pas plus frappés.

J'ajoute que j'espère que nous ne commettrons pas l'espèce de gaspillage auquel nous sommes conviés, et pour le moment je n'en dirai pas davantage.

M. Watteeuµ. - Pour appuyer le projet présenté par le gouvernement, l'honorable ministre de la justice disait hier : Mais le système qui fonctionne depuis 1849 n'a donné lieu à aucun inconvénient, au moins on n'en signale pas. Il est difficile de répondre à une objection de ce genre ; c'est absolument comme si je demandais à l'honorable ministre de me dire pourquoi on a composé les cours d'appel de cinq membres. On pourrait lui dire : Il vous suffisait d'en avoir trois et vous pouviez attendre que des inconvénients se fussent produits pour en porter le nombre à cinq.

On m'objectera que si la cour d'appel est composée de cinq conseillers, c'est parce qu'il en faut au moins autant pour réformer une sentence rendue par trois magistrats

Cette augmentation de nombre me servira anticipativement de réponse à une observation de M. Coomans qui disait, lui, qu'il trouvait plus de garantie dans les décisions d'un seul juge, parce que la responsabilité serait plus concentrée. Mais l'honorable M. Coomans oublie que si l'on porte le nombre des magistrats à trois, à cinq et même à sept en cour de cassation, c'est parce qu'on admet et avec raison qu'il y a plus de lumières dans sept têtes qu'il n'y en a dans une seule

M. Coomans. - Cela n'est pas toujours certain.

M. Watteeuµ. - Ce n'est pas seulement ici une affaire de responsabilité, c'est encore une affaire de garantie au point de vue des lumières et des connaissances.

Eh bien, quand on a organisé notre ordre judiciaire et institué nos tribunaux au nombre de trois membres, nos cours d'appel au nombre de cinq, et la cour de cassation au nombre de sept, on n'a pas attendu que des inconvénients vinssent justifier ces chiffres : on a compris qu'il fallait une proportion limitée et raisonnable, qu'il fallait organiser les tribunaux de manière à offrir à l'avance toute espèce de garanties.

Ces motifs, messieurs, qui ont déterminé, l'organisation dans la proportion que je viens de rappeler, sont précisément ceux que j'invoque pour demander, à plus forte raison, que la juridiction qui est appelée à remplir le rôle le plus important, soit également composée de cinq membres.

L'honorable ministre me disait aussi que l'adoption de ma proposition aurait pour conséquence de doubler le personnel de nos cours d'appel. C'est là, messieurs, une erreur manifeste. Il y a dans chaque province trois cours d'assises. Aujourd'hui déjà, d'après la loi qui est en vigueur, un membre de la cour d'appel est détaché pour présider la cour d'assises, il ne faudrait que quatre membres pour la compléter et non pas cinq. Il faudrait donc quatre conseillers dans chacun des trois ressorts de cour d'appel du pays pour que le service fonctionnât parfaitement, sans entraver en quoi que ce soit le service des audiences civiles.

En effet, messieurs, les cours d'assises ne doivent pas siéger simultanément ; il ne faut pas qu'elles soient ouvertes tout à la fois à Bruxelles, à Mons et à Anvers. Le service peut parfaitement être organisé de telle manière que chaque série se succède de province à province. Je ne demande pas non plus qu'on organise une espèce de cour ambulante qui irait tour à tour de Bruxelles à Anvers, d'Anvers à Mons, pour revenir ensuite à Bruxelles. Je voudrais, au contraire, qu'au moyen d'un personnel de quatre conseillers en plus, la cour détachât successivement les conseillers qui devraient tenir les assises. Or, il y a loin d'une augmentation de douze membres pour tout le pays au doublement du personnel dont parlait M. le ministre de la justice. Qu'on y réfléchisse de près, messieurs, et on reconnaîtra qu'il n'en faudrait pas davantage.

Maintenant, je le demande, que devient une dépense qui ne serait pas considérable, en regard des services immenses qu'une pareille (page 289) organisation pourrait rendre ? Est-ce pour une somme qui n'atteindrait pas 100,000 francs que vous iriez insérer dans la loi un principe qui est en contradiction manifeste avec toutes les bases de l'organisation judiciaire et qui enlève des garanties auxquelles tous les citoyens doivent tenir parce qu'elles sont de nature à les rassurer sur la manière dont la justice est rendue ?

M. le ministre de la justice a bien voulu reconnaître que ma proposition aurait pour conséquence d'introduire plus d'harmonie et de mettre plus d'ensemble dans l'administration de la justice.

C'est déjà, messieurs, un motif dont la valeur ne doit pas être perdue de vue. L'honorable M. Orts, de son côté, regrettait qu'une question d'économie vînt empêcher la réalisation de ce complément d'organisation. Sans doute, messieurs, la question d'économie a sa valeur ; mais il est à remarquer que l'augmentation de la dépense ne serait pas considérable, et d'ailleurs cette considération est sans force en présence des résultats à obtenir.

Les cours d'assises, messieurs, on ne doit pas le perdre de vue, ont beaucoup moins d'affaires à juger aujourd'hui qu'elles n'en avaient jadis. Ce n'est pas à dire que la moralisation ait fait des progrès assez rapides pour que nous puissions espérer de voir diminuer dans une forte proportion le nombre des crimes. Mais je crois cependant que la moralité publique est en progrès. Je crois qu'elle a déjà gagné et qu'elle gagnera encore.

Mais à côté de cette première cause de diminution des crimes, il en est une autre qu'il ne faut point perdre de vue ; c'est que depuis un certain temps on a correctionnalisé un grand nombre de crimes qui jadis étaient dévolus aux cours d'assises et qui aujourd'hui sont jugés par les tribunaux correctionnels. De là, messieurs, une grande diminution du nombre des affaires dont les cours d'assises ont à connaître. Il en résulte qu'en moyenne on peut estimer que les séries ne durent que quinze jours à trois semaines ; il est peu d'exemples qu'une série de cour d'assises doive durer plus de trois semaines.

Par conséquent, des magistrats nouveaux pourraient, comme je l'ai démontré tantôt, parfaitement remplir ce service.

En résumé, messieurs, si j'ai fait cette proposition, c'est parce que j'ai cru que c'était pour moi un devoir de le faire ; et cependant, je ne me fais pas illusion sur le sort de mon amendement ; les uns, déterminés par des motifs d'économie, les autres par la crainte d'apporter un changement trop radical, émettront probablement un vote hostile. Mais il me sera tout au moins permis d'espérer que les considérations que j'ai fait valoir viendront singulièrement appuyer, en ordre subsidiaire, la proposition de la commission.

M. Orts. - Je demanderai à la Chambre la permission de défendre en quelques mots la proposition de la commission d'organisation judiciaire contre la proposition du gouvernement. Je tiens d'autant plus à remplir cette mission, que j'ai accepté le rôle de rapporteur devant vous pour suppléer un collègue à qui cette tâche incombait de droit, qu'une absence tient éloigné de nos travaux et qui, outre sa qualité de rapporteur et l'autorité de son expérience d'ancien magistrat, avait encore dans la question l'intérêt, de défendre un système dont il a été le père au sein de la commission.

En effet, messieurs, les conclusions de la commission sont l'adoption d'une proposition de l'honorable M. Nothomb désigné par elle comme rapporteur, de sorte que quand l'honorable M. Coomans disait tantôt qu'il combattait la proposition de M. Orts, il se trompait : à son insu, il combattait celle de son ami l'honorable M. Nothomb.

M. Coomans. - Cela prouve en ma faveur.

M. Orts. - Aussi je ne vous en fais pas un reproche ; mais je n'ai pas cru qu'il ne fût permis d’accepter l'honneur d'une patenté qui ne m'appartient pas.

M. Coomans. - Cela n'est pas un argument.

M. Orts. - Non, c'est une simple rectification.

Voici, messieurs, les trois systèmes entre lesquels vous aurez à vous prononcer.

Aujourd'hui, la cour d'assises est composée d'un conseiller de cour d'appel désigné pour la présider ; et à côté de lui siègent de par la loi le président et le vice-président du tribunal de première instance du lieu où la cour d'assises est appelée à fonctionner. Ce système a été organisé en Belgique par la loi de 1849, modification du code d'instruction criminelle de 1808. Après 41 ans d'expérience d'un système qui n'est pas en question devant vous aujourd'hui et dont le système de l'honorable M. Watteeu se rapproche le plus parmi tous ceux que vous aurez à apprécier, après 41 ans d'expérience, on a déclaré en 1849 que la cour d'assises, au lieu de se composer de cinq membres, n'en compterait plus que trois : un président, conseiller de cour d'appel et, pour suppléer comme on disait en 1849, à la quantité par la qualité, on a exigé la présence, comme assesseurs, du président et du vice-président du tribunal de première instance.

Aujourd'hui, le gouvernement propose de modifier ce système, en vue de remédier aux inconvénients incontestables signalés de toutes parts depuis 1849 et reconnus par le gouvernement. Il propose de dispenser le président et le vice-président de siéger d une façon obligatoire à la cour d'assises et de les remplacer par deux juges qui viendront siéger à la cour d'assises.

Le système proposé par le gouvernement diffère du système actuellement en vigueur, en ce qu'il ne donne plus, comme en 1849, la garantie que si le nombre des juges de la cour d'assises est diminué, il y a du moins compensation, sous le rapport de la qualité, à la perte de quantité. Par le système de 1849, vous aviez les chefs de corps, membres obligatoires de la cour d'assises, vous n'avez plus cette garantie par le système que le gouvernement propose aujourd'hui.

Dans le système de la commission, le nombre des juges reste le même, mais reconnaissant qu'il y a d'énormes inconvénients de service, un danger réel de désorganiser la justice civile, à forcer le président et le vice-président du tribunal de première instance à siéger à la cour d'assises, la commission demande à remplacer ces chefs de corps par des conseillers de la cour d'appel.

Le gouvernement veut deux juges : vous voulez deux conseillers ; voilà toute la différence. L'honorable M. Watteeu veut davantage ; il réclame cinq conseillers pour présider aux assises de toutes les provinces.

Ce système existait dans le code de 1808 pour les chefs-lieux des cours d'appel ; il fonctionnait à Liège, à Gand et à Bruxelles ; mais dans les autres chefs-lieux, la cour d'assises se composait de quatre membres, juges de première instance.

Messieurs, les considérations qui ont déterminé la commission à adopter la proposition due à l'initiative de l'honorable M. Nothomb sont exposées dans le rapport. Nous nous sommes dit, dans le sein de la commission, que la proposition de l'honorable M. Nothomb, comparée au système du gouvernement, présentait une somme de garanties plus considérable de bonne justice, dans la matière la plus importante parmi toutes celles qui rentrent dans le cadre de l'organisation judiciaire.

Messieurs, la première condition pour avoir le droit de réclamer, au nom des garanties, la substitution d'un système nouveau à un système qui fonctionne, c'est, j'en conviens tout le premier, que des inconvénients aient été ou aient pu être signalés dans la mise en pratique du système antérieur.

M. le ministre de la justice a très bien compris que c'était là le point de départ de la discussion, et il n'a pas manqué, pour la défense de son système qui tient à consacrer à peu près le maintien de l'état actuel des choses, de réclamer le bénéfice de l'expérience.

Personne ne se plaint, dit-il ; pourquoi dès lors faire du neuf, surtout si le neuf coûte plus cher que ce qui existe ?

Il y a eu des plaintes, de l'aveu même de M. le ministre de l'a justice, on s'est plaint, et avec raison, puisque le gouvernement modifie lui-même et dans un point important le système qui fonctionne aujourd'hui.

Le gouvernement enlève à la cour d'assises les chefs de corps et il les remplace par des magistrats qui sont peut-être les plus jeunes parmi les juges du tribunal de première instance.

Il est aussi d'usage, en effet, de donner la besogne la moins agréable et la plus fatigante aux magistrats les moins avancés en âge et qui ont par conséquent mieux que les autres l'aptitude physique de remplir ce service. Ces plaintes ne peuvent être restées les seules.

Je me permets de demander à l’honorable ministre de la justice comment il se fait, si le système de 1849 ne donne pas lieu à des inconvénients ; comment il se fait, dis-je, que depuis à peu près 10 années, tous les ministres de la justice qui se sont succédé, se sont préoccupés de la nécessité de réorganiser les cours d'assises. Dès 1856, je prie mes honorables collègues de noter cette date, dès 1856, le gouvernement à la tête duquel se trouvait, comme ministre de la justice, l'honorable M. Nothomb dont je défends aujourd'hui le rapport, proposait de substituer un nouveau système au système inauguré en 1849.

Le projet de loi présenté par l'honorable M. Nothomb en 1856 revenait au système du code d'instruction criminelle de 1808, c'est-à-dire à composer la cour d'assises de cinq membres au lieu de trois.

(page 290) Donc, dès 1856, le système de 1849, de l'aveu du gouvernement, n'était pas à l'abri de critiques sérieuses ; il fallait revenir à d'autres idées que celles qui, depuis 1849, avaient prévalu dans la pratique. Vous n'avez donc pas à invoquer comme un précédent en faveur de votre système, toute absence de réclamations. Si le pays n'a pas réclamé de 1849 à 1856, comment un ministre de la justice en 1856 eût-il proposé de réformer la loi ?

L'argument tiré de l'absence de plaintes n'est donc pas fondé. On a déjà répondu d'ailleurs à l'argument, et je me réfère aux observations que d'honorables collègues ont présentées à ce sujet.

Mais notre système, et c'est son mérite capital pour moi, présente au point de vue de l'indépendance des magistrats qui siègent à la cour d'assises, des garanties auxquelles nul autre système ne peut prétendre. Lorsqu'on crée une organisation judiciaire, avec l'idée prépondérante d'assurer l'indépendance du juge, il ne faut pas perdre de vue le système du recrutement de la magistrature.

Là où l'avancement est aux mains du pouvoir roya1, il faut se défier des influences gouvernementales. Chez nous, c'est autre chose. Comment avancent les magistrats dans notre pays ? Les membres du tribunal de première instance deviennent conseillers à la cour d'appel à la suite d'une présentation de la cour d'appel d'une part, du conseil provincial de l'autre.

Comment les cours d'appel peuvent-elles se trouver en mesure d'apprécier la capacité des magistrats des tribunaux de première instance, pour déterminer leur choix dans la liste des présentations ? Elles n'ont qu'un moyen : consulter les magistrats qui ont présidé les assises.

En réalité, le président de la cour d'assises, auprès de la cour d'appel dont il est membre, fait la réputation des magistrats des tribunaux de première instance. Vous comprenez combien ce système de nomination donne d'influence, de pouvoir prépondérant au magistrat de la cour d'appel lorsqu'il préside les assises. (Interruption.)

Pas d'illusions, messieurs ! Il y a dans les organisations les plus complètes, sous le rapport moral comme sous le rapport intellectuel, des défaillances fatalement inévitables, car elles tiennent à la faiblesse humaine, et cette faiblesse nul ne la supprimera.

Dans le système actuel, la présence des présidents de première instance est un contre-poids à l'influence du président des assises, que je ne trouve plus dans le système de M. le ministre de la justice.

Les chefs de corps sont des magistrats généralement d'un âge plus avancé, des hommes dont la carrière est souvent terminée et qui ont atteint les limites de l'ambition. Les juges, plus jeunes, aspirent à l'avancement.

Messieurs, cette indépendance de l'assesseur vis-à-vis du président est une condition essentielle de bonne justice lorsqu'il s'agit de la cour d'assises, plus essentielle à la cour d'assises que partout ailleurs.

L'intervention de la cour d'assises est le plus souvent nécessitée par certains conflits qui s'élèvent pendant l'instruction entre la défense d'une part et l'organe du ministère public de l'autre. Et qui est appelé le premier à trancher ces sortes de conflits ? Le président de la cour d'assises. Il a la direction des débats ; et si la décision du président de la cour d'assises sur un conflit de ce genre ne satisfait ni la défense ni le ministère public, à qui faut-il recourir pour obtenir le redressement de la décision du président ? A la cour, c'est-à-dire aux deux magistrats qui siègent à côté du président.

Dans une situation pareille, l'indépendance la plus complète est indispensable. Elle existe de fait ; mais l'opinion publique ne croit pas à la réalité des faits lorsque le fait contraire est possible et l'intégrité de la justice ne doit pas pouvoir être soupçonnée. Voilà la raison déterminante du projet de la commission que je défends en ce moment.

Il en est bien d'autres encore.

On vous l'a dit, messieurs, il est assez singulier de voir la cour d'assises décider sans appel, au nombre de trois magistrats dont deux appartiennent à une juridiction inférieure, alors que les plus minimes intérêts d'argent peuvent donner lieu à l'appel devant une cour composée de cinq membres.

A cela on répond : Mais la cour d'assises a une mission de juge extrêmement limitée. Elle applique le droit au fait, rien de plus ; le vrai juge en cour d'assises, c'est le jury.

Il y a du vrai dans cette réponse ; mais il ne faut pas aller jusqu'à l'exagération ; car alors la vérité devient complètement inexacte.

Oui, la cour d'assises applique le droit à la déclaration du jury et la déclaration du jury est le point de départ de sa décision, Elle ne peut s'en écarter. Mais à côté de cette mission, il est mille circonstances graves où la cour d'assises statue seule.

Je vous ai déjà montré les conflits entre le président, le ministère public et la défense. Outre cela, mille questions importantes sont tranchées par la cour d'assises seule.

Toutes les questions de recevabilité de l'action publique, par exemple, toutes les fins de non-recevoir qu'on voudrait opposer au ministère public, pour soutenir, par exemple, que le fait est un fait prescrit, que le ministère public n'a pas le droit d'agir sans plainte là où elle est indispensable, que la plainte n'est pas régulière, tout ce qui, en un mot, arrête l'accusation à son début ; tout cela se juge par la cour d'assises seule, et cela est d'une haute gravité dans notre pays, où la cour d'assises juge les délits de presse et les délits politiques, matières où le législateur a entouré l'action du ministère public d'une foule d'obstacles qui constituent, chaque fois qu'on les rencontre, une barrière infranchissable pour elle, et en même temps des garanties précieuses pour la liberté.

Nierez-vous le haut intérêt qu'ont les citoyens à faire décider ces questions par des magistrats de l'ordre le plus élevé, complètement indépendants les uns des autres, complètement indépendants des pouvoirs politiques ?

Non seulement cette indépendance est importante dans les circonstances que j'indique et pour les motifs que j'ai dits, mais il est un autre rôle de la cour d'assises où l'indépendance du magistrat est mieux assurée par notre système.

Les cours d'assises, le procès terminé, ont le droit d'adjuger des dommages-intérêts à la partie civile, alors même que l'accusé est acquitté et à fortiori en cas de condamnation.

En cas d'acquittement, l'accusé peut demander immédiatement à la cour d'assises des dommages-intérêts contre ses dénonciateurs et contre la partie civile, Et ne croyez pas que cette attribution soit de mince importance ! Dans une procédure qui s'est produite devant la cour d'assises d'Anvers, il y a peu d'années, un accusé acquitté a demandé contre la partie civile des dommages-intérêts montant à 500,000 fr., et la cour d'assises a statué sur un intérêt pécuniaire de 500,000 fr., sans appel lorsque partout ailleurs une contestation de 2,000 fr. a la garantie de d'appel.

Lorsque des questions de ce genre se présentent, le procès est fini ; l'accusé a été acquitté ou condamné. La partie civile réclame une réparation pécuniaire. L'accusé, s'il est acquitté, réclame une réparation pécuniaire contre ceux qui l'ont injustement accusé. Dans ces circonstance, l'opinion publique locale est essentiellement impressionnée ; les passions locales sont surexcitées, car il s'agit toujours de grands crimes, de grandes accusations qui émeuvent les cœurs et passionnent les esprits.

Ces passions locales, il est impossible à un législateur sérieux de ne pas en tenir compte et de supposer que le juge local, homme avant tout, n'en subira jamais l'influence. Or, ces passions locales resteront complètement étrangères à trois magistrats arrivant d'une autre ville membres d'une cour d'appel, habitués à voir débattre devant eux de grands intérêts. Ils se trouveront placés tout naturellement au-dessus des passions locales qu'ils ignorent et par lesquelles ils ne se laisseront jamais guider ni vers un excès de sévérité, ni vers un excès .d'indulgence.

La mission est souvent ici très délicate. L'adjudication de concluions à la partie-civile en cas d'acquittement, n'est que trop facilement considérée par l'opinion publique comme une protestation indirecte de la magistrature contre le verdict du jury.

Je réponds maintenant quelques mots à la question d'argent.

Sans doute, si le projet de la commission triomphe, il faudra distraire quelques conseillers de l’administration de la justice civile pour les occuper à l’administration de la justice criminelle. Mais de là à une augmentation nécessaire de personnel, il y a un abîme, et l'expérience n'a pas encore prouvé que cet abîme doive être franchi.

N'oubliez pas que la magistrature, en suite de la loi récemment votée, est aujourd'hui, si je puis m'exprimer ainsi, fortement rajeunie dans son personnel, et par conséquent, lorsque ce personnel se trouve ainsi dans des conditions de vigueur physique toutes spéciales, il est facile d'en exiger un service plus considérable. Ce sera là une compensation des avantages marqués que la législature belge a faits à nos magistrats.

Je ne crois donc pas à la nécessité d'augmenter le personnel. Je ne crois pas aux inconvénients d'argent dont on nous menace, mais dont on ne prouve pas l'imminence.

J'ajoute un dernier mot pour dissiper d'autres craintes, soulevées hier par l'honorable M. Delaet et auxquelles l'honorable M. Coomans est venu donner son appui.

Si vous prenez trois conseillers, disent les honorables membres, dans le sein de la cour d'appel pour former la cour d'assises, vous serez dans (page 291) l'impossibilité de trouver, dans le personnel de la cour d'appel de Bruxelles, trois conseillers sachant le flamand pour faire le service de la cour d'assises d'Anvers, et dans le personnel de la cour d'appel de Liège, trois conseillers pour faire le service de la cour d'assises du Limbourg.

Messieurs, cette crainte est chimérique. Elle ne tient pas en présence du système de recrutement de nos cours d'appel. Chacune de nos provinces a un droit d'intervention dans la composition de la cour d'appel et il ne sera pas difficile, avec ce système, de trouver trois magistrats qui parlent la langue de la province dans laquelle ils devront opérer la tenue des assises. La cour d'appel de Bruxelles, dont je connais parfaitement le personnel, où la province d'Anvers a une part d'intervention, où le Brabant concourt pour deux arrondissements flamands, le personnel de la cour d'appel de Bruxelles comprend assez de membres aptes à siéger à la cour d'assises d'Anvers, fussent-ils au nombre de cinq ou même au nombre de dix.

M. Coomans. - Ce seront toujours les mêmes.

M. Orts. - L'honorable M. Reynaert disait hier qu'il considérait comme un avantage les spécialités criminelles siégeant aux assises. Vous n'avez pas combattu son opinion.

Je vous ferai cependant et volontiers une concession.

Je conviens qu'il y aurait un inconvénient à avoir toujours les mêmes membres à la cour d'assises si la cour d'assises jugeait l'accusé. L'habitude des affaires criminelles dispose naturellement à la longue l'organisation la plus bénigne à un certain endurcissement.

Mais le conseiller de cour d'assises n'est que très exceptionnellement appelé à se prononcer sur la culpabilité. L'inconvénient n'existe pas ici.

Messieurs, une dernière considération a également exercé de l'influence sur la détermination de la commission.

Il est incontestable que la justice criminelle, pour atteindre le but social qu'elle se propose, doit non seulement bien juger, mais qu'elle doit exercer un certain prestige sur les populations. La cour d'assises agit peut-être plus énergiquement par la solennité dans sa manière de fonctionner que par les châtiments qu'elle inflige. C'est là un mérite que les hommes initiés aux affaires judiciaires ne contesteront pas.

Cette vérité a déterminé le législateur de 1808 à organiser les cours d'assises avec l'apparat de fonctionnement que le code d'instruction criminelle détermine et voici ce que disait pour la proclamer le rapporteur de la commission du corps législatif à cette époque.

« L'apparat et la dignité extérieure, inutiles pour l'homme éclairé, vaines illusions pour le juge, assurent presque toujours, de la part de la multitude, la considération et le respect. Les institutions qui ont besoin d'être environnées de ces sentiments ne doivent jamais dédaigner les dehors, frivoles en apparence, qui les concilient où les préparent. S'il en est qui puissent avoir besoin de ce prestige, auxquelles peut-il être plus favorable qu'aux tribunaux qui doivent prononcer sur l'honneur et la vie des hommes. »

Messieurs, je défie que l'on trouve un témoin parmi ceux qui ont vu une cour d'assises de près, pour affirmer que le prestige de la cour d'assises n'a pas perdu depuis 1849.

C'est là une vérité pratique à l'état d'axiome. Que l'on s'informe de l'exactitude de mon observation, soit aux membres du barreau, des cours ou des parquets, ils ne me contrediront pas.

Je pourrais peut-être descendre plus bas, dût l’argument paraître trivial, et dire que l'on consulte les gendarmes, ils seront de mon avis. (Interruption.) Je me souviens d'avoir, en plaidant devant la cour d'assises il y a quelques années, réclamé le silence de l'auditoire. M'adressant au gendarme chargé de l'obtenir, je lui disais : Comment se fait-il que vous ne parveniez pas à empêcher le bruit ? Il me répondit : « Depuis qu'il y a des robes noires à la cour d'assises, on ne peut pas plus maintenir l'ordre, qu' au tribunal correctionnel. Du temps des robes rouges, on aurait entendu une mouche voler. »

Messieurs, je reviens au sérieux, et je défie tout homme pratique ayant vu les choses de près, de ne pas avouer que le prestige de la cour d'assises est amoindri. Ce prestige nous le lui rendons ; nous le lui rendons par l'arrivée au lieu où se rendra la justice criminelle de magistrats que la multitude ne connaît pas, de magistrats élevés en dignité et que le public n'a pas rencontrés la veille au tribunal correctionnel, jugeant les petites misères de la criminalité.

Je me résume. La question d'argent est un épouvantait, une fantasmagorie dont rien ne saurait prouver la réalité. La question des langues est hors de débat. Nous apportons à la justice criminelle des garanties d'indépendance incontestables. Nous lui restituons un prestige nécessaire qu'elle a perdu. Rien ne saurait, à mon avis, s'opposer raisonnablement à l'adoption des conclusions de la commission.

M. Carlierµ. - Messieurs, je me lève pour appuyer le système de l'honorable M. Guillery, c'est-à-dire pour engager la Chambre à rétablir l'organisation des cours d'assises telle qu'elle fonctionnait avant la loi de 1849.

Mon honorable ami, dans les développements qu'il a donnés à la proposition de loi qu'il a jadis soumise à la Chambre et dans l'éloquent discours qu'il a prononcé hier, a fourni tant de raisons à l'appui de l'adoption de sa proposition, qu'il ne me reste guère qu'à rencontrer les objections que cette proposition a soulevées, particulièrement de la part de l'honorable ministre de la justice.

L'honorable ministre s'est particulièrement appuyé hier sur une des grandes autorités de la science du droit criminel ; il a invoqué l'opinion de M. Faustin Hélie : nous respectons cette autorité, mais nous ne la croyons pas incontestable. M. Faustin Hélie tire argument de ce qui se passe en Angleterre. Mais, en se prévalant de cet exemple, Faustin Hélie s'est complètement mépris ; il ne s'est pas rendu compte de la différence qui existe entre l'organisation de la justice anglaise et l'organisation de la justice en France et en Belgique.

En effet, messieurs, si en Angleterre le jury vient apporter à la distribution de la justice un concours considérable, un concours qui ne laisse pour ainsi dire au juge qu'à prononcer l’arrêt, il faut reconnaître que le jury fonctionne tout autrement chez nous. D'abord l'accusé anglais est jugé par un jury d'accusation qui décide s'il doit être traduit en cour d'assises.

Ensuite l'accusé anglais n'est condamné que si le jury de jugement le déclare coupable à l'unanimité. Que reste-t-il alors à faire au juge qui préside les assises ? Il lui reste à prononcer l'arrêt. Jamais le juge anglais n'a à se joindre à une fraction du jury, qui se divise si souvent chez nous sur les décisions qu'il a à rendre.

Le magistrat anglais n'est pas, comme le magistrat français, comme le magistrat belge, une personnalité dont le mérite, le talent personnel, n'exerce pas une sorte de prestige ; le magistrat anglais, juge unique, est d'ordinaire choisi parmi les sommités du barreau, parmi les sommités de la science du droit, de telle sorte que les juges anglais, présentent par leur savoir, par leur mérite reconnu, une valeur tellement transcendante que l'on peut la supposer égale à celle que peut présenter la composition de nos cours d'assises.

Les juges anglais choisis parmi ces sommités reçoivent des traitements considérables, et s'ils assument une grande responsabilité, certains d'entre eux content à leur pays jusqu’à 200,000 francs de traitement par an.

Qu'un magistrat à qui l'on reconnaît un talent, un mérite tel qu'on puisse lui assigner un pareil traitement, soit jugé capable de diriger seul une cour d'assises, je le conçois ; mais je n'admets pas que cet exemple puisse être suivi dans notre pays, pas plus qu'il ne pourrait l'être dans le pays où écrivait Faustin Hélie.

Notons-le encore, le système anglais, bien qu'il fonctionne de cette façon et d'après ces règles qui sont tout autres que celles qui régissent nos cours d'assises, est loin d'être exempt d'abus, et des plaintes s'élèvent en Angleterre contre cette grande puissance qu'on y accorde à un seul magistrat.

L'honorable M. Coomans disait tout à l'heure que la responsabilité, lorsqu'elle est assumée par un seul, faisait davantage ressentir son influence, mais si la responsabilité unique est plus grande, je crois que la somme de lumières est plus considérable lorsque plusieurs magistrats concourent à rendre la justice, et il faudrait, pour admettre le contraire, nier cette vérité incontestable que c'est de la discussion que jaillit la lumière.

J'ajouterai, messieurs, que le système anglais peut être parfaitement d'accord avec les mœurs judiciaires du peuple anglais, mais qu'il ne le serait pas du tout avec nos mœurs judiciaires.

Faustin Hélie, pour écrire ce qu'il a écrit, ne se plaçait pas en vue du système qui régit nos cours d'assises ; il se plaçait au point de vue du système des cours d'assises françaises.

Le système français diffère du nôtre dans une particularité essentielle et qui diminue infiniment la portée des fonctions des magistrats qui siègent en cour d'assises.

L'honorable ministre de la justice me paraît avoir oublié que le jury français dispose des circonstances atténuantes et que dès lors le verdict (page 292) qu'il porte laisse à la cour une action beaucoup plus grande que le verdict porté par le jury belge n'en laisse aux cours d'assises belges.

L'honorable ministre nous disait hier que le système centre lequel s'élevait l'honorable M. Guillery n'avait donné lieu à aucune plainte. Il vient d'entendre une voix beaucoup plus autorisée que la mienne, répondre à cet argument et lui démontrer qu'il était complètement inexact. Je puis dire aussi, messieurs, que le système qui fonctionnait avant 1849 n'a pas non plus été l'objet de plaintes bien vives. Jamais on ne s'est plaint qu'on fût plus mal jugé par 5 magistrats qu'on ne peut l'être par 3.

En ce qui concerne la question d'économie, messieurs, le système que je soutiens en ce moment me semble plus économique que le système de la commission, que préconisait l'honorable M. Orts.

En effet, pour les cours d'assises qui ne siègent pas au chef-lieu de cour d'appel, les quatre assesseurs seraient pris parmi les membres du tribunal, ce qui ne coûterait pas les frais de déplacement que nécessiterait le transport de plusieurs membres de la cour d'appel.

L'honorable M. Orts disait tout à l'heure, messieurs, que la solennité dont s'entoure la justice était loin d'être inutile, qu'elle ajoutait, au contraire, à son prestige et qu'elle était destinée surtout à frapper les masses d'un effet salutaire.

Je partage complètement les idées de l'honorable membre à cet égard et je demanderai volontiers à l'honorable ministre pourquoi, s'il croit peu à l'effet de la solennité dont s'entoure la justice et qui se déploie surtout dans les séances des cours d'assises, il maintient la nécessité pour les juges de revêtir leurs robes et pour les procureurs généraux celle de revêtir l'hermine.

On a parlé, messieurs, d'intérêts en jeu. L'honorable M. Orts a démontré quels puissants intérêts les cours d'assises peuvent avoir à traiter, sur quelles affaires importantes elles peuvent avoir à statuer.

Je me demande, et c'est la question par laquelle je terminerai, comment il se peut que pour statuer sur un simple délit commis par un garde champêtre ou un garde-chasse, il soit nécessaire de traduire le délinquant devant une cour d'appel composée de 5 magistrats supérieurs, alors que pour juger des questions d'où dépendent la vie et la fortune des citoyens, l'honneur des familles, il suffit de traduire l'accusé devant une cour composée de deux juges et d'un conseiller ?

Je pense, messieurs, que cette question suffit pour démontrer combien le système présenté par l'honorable M. Guillery est préférable a celui qu'a soutenu l'honorable ministre de la justice.

M. de Brouckere. - Messieurs, l'honorable membre qui a pris le premier la parole dans cette séance aime les paradoxes. C'est un goût qu'il partage avec beaucoup d'hommes d'esprit qui dédaignent les opinions généralement adoptées et préfèrent des idées nouvelles, spéciales et plus ou moins extraordinaires.

M. Coomans. - Mon opinion est très vieille ; elle date de six mille ans.

M. de Brouckere. - L'opinion qu'a professée l'honorable M. Coomans, il l'a depuis longtemps et d'autres ont pu la défendre avant lui, mais, ce que je puis lui dire, c'est qu'elle n'a jamais eu de succès.

Selon l'honorable membre, donc, on doit avoir plus de confiance dans un juge unique que dans un corps composé de plusieurs magistrats, de 3, de 5 ou de 7 et, selon lui probablement, le corps composé de 7 est moins bon que celui qui n\n compte que 5 et celui qui est composé de 5 est inférieur à celui de 3.

Le motif que l'honorable membre a fait valoir à l'appui de son opinion, c'est que la responsabilité d'un juge unique est plus grande que celle de plusieurs magistrats.

Il suppose probablement que ce juge unique examinera les affaires avec plus de soin et d'une manière plus scrupuleuse qu'un corps de magistrats ; mais je ne m'explique pas sur quoi est fondée cette supposition, au moins hasardée, et que je considère moi comme entièrement fausse.

J'ai entendu des hommes et des hommes d'esprit comme M. Coomans défendre ce système, mais par un autre motif.

Ils disaient qu'il y a dans le monde beaucoup plus de sots et d'ignorants que de gens d'esprit et de gens éclairés, que par conséquent plus le nombre d'hommes par lequel ou devait être jugé était petit, plus on avait de chances de l'être par des gens capables.

Mais, je le répète, ce sont là des opinions particulières spéciales, et qui ne rencontreront jamais l'assentiment d'une Chambre composée comme celle-ci.

Notre système d'organisation judiciaire repose sur des idées toutes contraires à celles de l'honorable membre.

On a pensé en 1832 et on pense sans doute encore aujourd'hui que les justiciables trouvent une double garantie dans la qualité supérieure et dans le nombre plus grand des magistrats par lesquels ils doivent être jugés. Ainsi le juge de paix prononce seul ; le tribunal correctionnel est composé de trois juges, la cour d'appel de cinq conseillers et la cour de cassation de 7 conseillers d'un rang supérieur à celui des conseillers de la cour d'appel.

Il est très probable, je n'ai pas de doutes à cet égard, que le système décrété en 1832 sera maintenu.

La question que nous avons à décider est celle de savoir de combien de juges doit être composée la cour d'assises et quelle est la qualité que doivent avoir ces juges. Nous sommes en présence de deux systèmes : le système préconisé par M. Watteeu, qui veut que les cours d'assises soient composées de 5 membres d'un rang supérieur, de 5 conseillers à la cour d'appel ; le système qui existait avant 1849, qui composait la cour d'assises de 5 membres, de 5 conseillers dans les villes où résidait la cour d'appel, d'un conseiller et de 4 juges de première instance dans les autres chefs-lieux de province ; le système que vient de défendre l'honorable rapporteur de la section centrale, par suite duquel les cours d'assises seraient composées de trois conseillers de la cour d'appel ; vient ensuite le système actuellement en vigueur ; aujourd'hui les cours d'assises se composent d'un conseiller et de deux assesseurs qui doivent être les présidents et vice-présidents des tribunaux de première instance, à moins que ces magistrats ne soient empêchés par maladie ; la jurisprudence a établi que, sauf les cas d'impossibilité absolue, les chefs des tribunaux ne peuvent pas s'abstenir de siéger aux cours d'assises ; il y a enfin, en cinquième lieu, le système présenté par le gouvernement, qui propose que les cours d'assises soient composées, comme aujourd'hui, d'un conseiller de la cour d'appel et de deux membres des tribunaux de première instance, avec cette différence que, s'il était admis, on prendrait, pour composer les cours d'assises, les présidents des tribunaux de première instance, et en cas d'empêchement de leur part, soit par maladie, soit pour service, les juges du tribunal de première instance, en commençant par les plus anciens. (Interruption.)

J'entends dire derrière moi : « Y compris les suppléants. » On m'a en effet cité un cas, un cas peut-être unique, où un juge suppléant a siégé dans une cour d'assises. Mais si l'on craint que pareille chose se renouvelle, rien n'est plus facile que d'insérer dans la loi une disposition qui ferait défense d'y appeler les juges suppléants.

Voilà donc cinq systèmes et pour ma part je n'hésite pas à donner la préférence au dernier, à celui présenté par le gouvernement.

Si, comme en 1830, nous n'avions pas l'institution du jury, si la cour d'appel était appelée à se prononcer sur le fait, je comprendrais qu'on insistât pour qu'elle fût composée de cinq membres, mais le rôle des cours d'assises est singulièrement restreint depuis l'établissement du jury.

Quel est son rôle ? En règle générale il est d'appliquer la loi après que le jury s'est prononcé sur le fait, et ce n'est qu'exceptionnellement et très exceptionnellement que la cour est appelée à connaître du fond de l'affaire, lorsqu'il y a eu dans le jury 7 voix pour la culpabilité et 5 voix pour l'acquittement.

Les cours d'assises ont aussi, comme l'a dit M. Orts, à juger les incidents qui s'élèvent pendant le cours des débats, mais quant à ces incidents je regarde comme bien certain qu'une cour où figurent un conseiller comme président et deux juges de première instance comme assesseurs est parfaitement suffisante pour le décider ; ce ne serait pas, à coup sûr, cette attribution exceptionnelle de la cour d'assises qui me ferait changer d'opinion à cet égard.

Je ne m'arrêterai pas au système de cinq conseillers ; je crois, et l'honorable membre qui l'a défendu estime lui-même qu'il n'a aucune chance d'être adopté. Ce système de cinq conseillers qu'on ferait promener une grande partie de l'année dans les provinces serait une chose que j'appellerai exorbitante et qui entraînerait à de grandes dépenses sans utilité.

On a dit que chaque cour d'appel n'aurait à composer que trois cours d'assises ; c'est une erreur, la cour de Liège aura à en former quatre. Ce serait donc vingt conseillers qu'il faudrait avoir sous la main pour le service des cours d'assises. Ce système n'a, je le répète, aucune chance d'être adopté.

On a rappelé l'organisation antérieure à 1849 et on a prétendu qu'on ne l'avait supprimée que dans des vues d'économie. C'est une erreur ; (page 293) cette organisation était incontestablement vicieuse par la raison qu'elle donnait aux accusés des juges différents, suivant les localités où ils étaient jugés ; il y avait des accusés privilégiés et des accusés qui ne l'étaient pas.

Ainsi un accusé à Bruxelles, à Liège ou à Gand était jugé par cinq conseilleurs des cours d'appel dans les six autres provinces l'accusé n'était pas regardé comme digne de pareil honneur, il était jugé par un conseiller et 4 juges de première instance. Eh bien, on a trouvé et avec raison, selon moi, que c'était un système vicieux. S'il y a lieu d'avoir plus de confiance dans des juges d'un rang supérieur que dans des juges d'un rang inférieur, c'était un privilège qu'on accordait aux accusés de trois provinces, privilège refusé à ceux des six autres.

Ce système a été réformé, condamné, et je suis persuadé qu'il ne se relèvera pas.

Nous en sommes donc maintenant à trois systèmes, admettant tous également trois membres pour les cours d'assises. Eh bien, messieurs, je ne vois pas la nécessité que ces trois membres appartiennent à la cour d'appel ; il suffit, me semble-t-il, qu'à côté du président qui doit être un magistrat d'un rang supérieur, il y ait comme assesseurs deux membres du tribunal de première instance, pour avoir toutes les garanties désirables.

Vous savez tous, messieurs, que c'est le président de la cour d'assises qui a le rôle principal ; c'est lui qui dirige les débats ; c'est lui qui interroge les accusés et les témoins ; c'est lui, en un mot, qui statue sur tous les incidents qui surgissent pendant le cours du débat, à moins que des conclusions ne soient prises par des défenseurs, de nature à rendre nécessaire un arrêt de la cour.

Pour ce rôle, je reconnais qu'il faut un magistrat d'un rang élevé et ayant une longue et sérieuse expérience ; mais pour le rôle d'assesseurs je trouve que des juges de tribunaux de première instance sont suffisants et qu'il n'est pas nécessaire du tout que les cours d'assises soient composées de trois membres pris dans le sein de la cour d'appel.

L'honorable M. Orts nous a raconté une très jolie anecdote, celle d'un gendarme qui prétendait qu'on ne savait plus maintenir l'ordre dans les cours d'assises depuis qu'on n'y voyait plus siéger des magistrats en robe rouge. Si la robe rouge joue un si grand rôle en matière criminelle, je ne vois aucun obstacle à ce qu'on permette aux deux membres du tribunal de première instance de changer la couleur de leur robe. (Interruption). Mais je crois, messieurs, que l'opinion de ce gendarme n'est nullement partagée par la magistrature.

La couleur de la robe ne peut pas exercer une si grande influence,' et au surplus, on a au moins une douce satisfaction à cet égard puis que le président de la cour d'assises a le privilège de porter cette robe rouge qui inspire tant de respect et tant de terreur.

Reste, messieurs, à se prononcer entre le système actuellement en vigueur et celui qui est présenté par le gouvernement. J'ai expliqué déjà quelle est la différence qui existe entre l'un et l'autre. On a trouvé généralement de très grands inconvénients à priver les tribunaux de première instance, pendant tout le temps que siège la cour d'assises, de tous leurs présidents ; et c'est le cas pour les localités où il n'y a qu'un seul vice-président. Pendant toute la durée des assises, c'est-à-dire quatre fois par an pendant 10, 12 et 15 jours, trois semaines même, le tribunal de première instance se trouve en quelque sorte décapité.

Les présidents des deux chambres doivent abandonner leur service ordinaire et cet état de choses, je le répète, a soulevé des réclamations très vives et que je crois parfaitement fondées. D'après la proposition du gouvernement, les assesseurs seront pris parmi les membres des tribunaux de première instance en commençant par le président, les vice-présidents, pour continuer par les membres d'après l'ordre déterminé par leur ancienneté. Ce système, messieurs, me paraît, à moi, le plus simple ; je le considère comme offrant toutes les garanties, comme ne laissant rien à désirer et c'est pour ce système que je me prononcerai par mon vote.

(page 295) M. Coomans. - J'admire, messieurs, que l'honorable préopinant se donne la peine de me lancer une foule de critiques pour finir par se ranger à mon avis.

Nous sommes parfaitement d'accord, et je suis étonné de voir la mauvaise humeur que l'honorable membre m'a témoignée en commençant son discours. (Interruption.)

Je ne puis pas accepter le reproche trop flatteur qu'il m'a adressé de vous avoir soumis une idée paradoxale et neuve. Il n'en est rien, messieurs ; cette idée, je suis surpris que je doive l'apprendre à l'honorable M. de Brouckere, celle idée est aussi vieille que le monde : tous les anciens tribunaux n'étaient composés que d'un juge ; toutes les grandes autorités n'ont jamais été représentées que par un homme : la royauté, le pontificat, le généralat ; tous les jugements les plus célèbres ont été rendus par un seul homme, y compris le fameux jugement de Salomon, le roi de la sagesse, dont vient de parler l'honorable membre.,

Il est vrai que Salomon avait très peu de confiance dans la panacée du nombre et des majorités : c'est lui qui a dit que toutes les majorités se composaient en majorité d'imbéciles, et je crois qu'il avait parfaitement raison. (Interruption.) Infinitus numerus stultorum. Et si cela est vrai, et cela paraît vrai, depuis des milliers d'années, aux yeux de tous les philosophes, je n'ai pas eu tort autant que semble le croire l'honorable membre.

M. De Fréµ. - Cela justifie le suffrage universel.

M. Orts. - M. Coomans est pour le suffrage le plus général.

M. Coomans. - Sans doute. Le nombre est aussi bien dans le suffrage restreint que dans le suffrage universel. (Interruption.)

Je ne vois partout qu'un chiffre, et un chiffre pour moi n'est jamais qu'un chiffre : le droit est dans la raison, dans la justice et non pas dans le nombre, qui n'est autre que la force brutale. Il n'y a pas de droit contre le droit.

Si je préfère le suffrage universel au suffrage restreint, ce n'est pas parce que je crois au droit divin du nombre ; c'est parce que j'aime mieux que la grande majorité se trompe qu'une minorité. La majorité a le droit rigoureux de se tromper ; une minorité n'a pas le droit d'imposer sa volonté à la majorité.

Voilà pourquoi, sans admettre la souveraineté illimitée du nombre, pas plus celle du suffrage universel que celle du suffrage restreint, je suis partisan du suffrage universel comme du système qui offre le plus de chances de vérité et de justice. Et si c'est là la base de l'encyclique, comme je le pense, je suis parfaitement de l'avis de l'encyclique.

Maintenant, messieurs, je vais démontrer à l'honorable M. de Brouckere qu'au fond du cœur il a une opinion toute contraire à celle qu'il a professée devant vous et contre moi. Voici mon raisonnement :

Si plus un tribunal est nombreux plus il offre de garanties, l'honorable membre ne peut pas se contenter de trois juges en cour d'assises. Si cinq juges valent mieux que trois, il faut qu'il décrète la présence de cinq juges en cour d'assises, parce que la bonne justice est le premier devoir social. Et si sept juges valent mieux que cinq, il faut que notre cour d'assises se compose de sept juges. Et si douze valent mieux que sept, il faut composer nos cours d'assises de douze juges. (Interruption.) Ainsi de suite. (Interruption.) Mais, messieurs, cela est élémentaire, évident ; cela est éminemment clair.

J'ai raison d'après l'honorable membre, puisque lui prétend que trois juges en savent autant que cinq, que sept, que douze même ; or, si trois juges en savent autant, offrent autant de garanties que cinq, que sept, que douze, pourquoi ne pourrai-je pas dire qu'un seul en offre autant que trois, pourvu, bien entendu, que ce juge unique présente les garanties de science et de moralité qui sont indispensables chez tout juge quelconque ?

Et, messieurs, il est vraiment étrange qu'on me reproche des tendances au paradoxe, alors que je soutiens des vérités qui courent les rues, depuis qu'il y a des rues dans le monde.

Quelle est donc l'Académie qui ait fait la moindre invention ? A-t-on connu une Académie de génie ? Vous avez des individualités de génie. Quant aux Académies, jamais l'histoire n'a enregistré une invention faite par des réunions de savants. Est-ce une Académie qui a découvert la boussole, la poudre, l'Amérique, la photographie, la télégraphie, etc. ?

Mettez ensemble quarante hommes d'esprit, il est fort à craindre que vous n'obteniez des résultats complètement négatifs à tous les points de vue.

Et puis, tout ce que vous venez de dire est la condamnation de la justice la plus essentielle, de la justice cantonale. Comment pouvez-vous dire qu'un juge seul n'offre pas de garanties, alors que la justice de paix est rendue par un seul magistrat ? Ayez au motus trois juges par tribunal de canton ; d'après votre doctrine, c'est obligatoire.

L'honorable M. Watteeu pense que nous faisons des progrès en moralité et en intelligence ; j« voudrais bien qu'il en fût ainsi ; mais s'il en est ainsi, n'attachons pas beaucoup d'importance à certains détails de parade auxquels on vient de faire allusion. Peu m'importe et peu importe au public sensé le costume du juge ; il y quarante ans, sur les bancs du collège, je le confesse, nous respections les professeurs en robe moins qu'on ne les respecte aujourd'hui en simple frac.

Et moi aussi, je rencontrai un jour une espèce de gendarme anglais, non ce n'était qu'un quasi-gendarme, c'était un volontaire armé de pied en cap, qui m'assura, de la manière la plus sérieuse du monde, que c'en serait fait de la moralité anglaise du jour on la grande perruque séculaire, serait enlevée aux magistrats !

II m'est impossible, de croire que la robe fasse un tel effet sur le public ; on a abusé jadis de cette argumentation pour maintenir la robe des professeurs. Nous autres vieux, nous avons vu des professeurs en robe noire, devant nous, pendant de longues années et nous n'en sommes pas plus savants pour cela.

En somme, je pense que le nombre de trois juges est très suffisant et j'engage fort la Chambre à ne pas l'accroître. Efforçons-nous seulement de bien composer la magistrature, et d'en faire une institution vraiment nationale et sociale, élevée au-dessus des partis.

(page 293) M. le ministre de la justice (M. Bara). - La Chambre comprendra que je ne prends pas la parole pour répondre à l'honorable M. Coomans ; je tiens seulement à ajouter quelques observations à celles que j'ai présentées hier, pour faire adopter, comme je l'espère, le système proposé par le gouvernement.

Quel est le but que poursuivent mes honorables contradicteurs ? Ils veulent augmenter sans aucun profit le nombre des conseillers qui doivent siéger à la cour d'assises ; le gouvernement, au contraire, demande à maintenir l'état actuel des choses, sauf à parer à quelques inconvénients qui ont été signalés.

J'ai dit hier, et je le maintiens, que le point de départ de la discussion est de savoir si le système qu'on veut renverser offre des inconvénients.

L'honorable M. Orts affirme qu'en effet il y a des inconvénients, et l'honorable M. Watteeu déclare qu'il lui est impossible de répondre à la question que j'ai eu l'honneur de poser. M. Watteeu se trompe, car on a signalé des vices à la loi de 1849, celui qui oblige le président et le vice-président à siéger aux assises.

Eh bien, le projet du gouvernement apporte à cette situation un remède efficace. Cela ne suffit-il pas ?

Le système en lui-même est-il bon ou mauvais ? Pour établir que le système est mauvais, il faut qu'on démontre, ce me semble, que les arrêts rendus par la cour d'assises blessent le droit et l'équité ? Va-t-il des plaintes à ce sujet ? Non : personne ne prétend que les arrêts des cours d'assises prêtent à critique.

Je ne crois pas qu'on se soit jamais élevé contre le rôle qu'ont joué les cours d'assises, en se joignant soit à la majorité, soit à la minorité du jury, après le prononcé du verdict de celui-ci. En général, on ne peut signaler de faits qui tendent à accuser les cours d'assises, soit d'incapacité, soit d'exagération dans l'application de la peine.

Eh bien, s'il en est ainsi, pourquoi changer ce qui existe ? pourquoi obliger le pays à supporter des charges nouvelles ?

Messieurs, je ne rencontrerai plus les arguments auxquels j'ai déjà répondu hier ; mais l'honorable M. Orts a introduit un argument auquel je n'ai guère pensé, il objecte que les deux assesseurs du président ne sont pas indépendants, qu'ils sont placés sous l'influence du conseiller de la cour d'appel, que c'est auprès de celui-ci que la cour prend ses renseignements pour apprécier le mérite des membres assesseurs, que par conséquent les assesseurs doivent être pleins de déférence pour le président, ne jamais le contrarier, se rallier toujours à son opinion, afin d'obtenir plus tard son suffrage et celui de la cour, comme candidat à des fonctions supérieures.

Eh bien, si ce que l'honorable M. Orts dit est vrai pour la cour d'assises, il l'est aussi pour le tribunal de première instance, car ce magistrat adresse au premier président de la cour des renseignements sur les juges du tribunal qui demandent un avancement ; ces magistrats seraient donc à la discrétion de leur président ; si l'on admet pareil système, toute notre magistrature doit être suspecte. Dès qu'un magistrat peut faire dépendre son opinion dans une affaire, des chances d'avancement et de la protection qu'il attend, l'ordre judiciaire tout entier ne doit plus inspirer la moindre confiance.

Mais, messieurs, si un juge d'un tribunal de première instance demande une place de conseiller à la cour, ce n'est pas seulement le membre de la cour président des assises où siégeait ce juge, qui fournit de renseignements à la cour sur le candidat ; mais les membres de la cour reçoivent des avis, des renseignements de tous côtés ; donc ce ne sont pas les informations du président des assises qui seul font connaître la valeur des candidats. Cet argument de l'honorable membre n'a donc pas une grande valeur.

L'honorable M. Orts a fait en outre valoir que l'honorable M. Nothomb avait présenté un projet de loi. Le projet que présentait l'honorable M. Nothomb en 1856 est précisément la justification de notre système. Que proposait-il ? Le rétablissement du système de 1808. Or, le code de 1808 crée deux sortes de juridictions ; une juridiction composée exclusivement de conseillers de cours d'appel dans les villes où il y a une cour, et une juridiction mixte composée d'un conseiller de cour d'appel et de quatre juges de première instance dans les villes où ne siège pas de cour d'appel.

Eh bien, comme l'a dit l'honorable M. de Brouckere, ce système ne tient pas. Dès que vous prétendez qu'il y a plus de lumières, plus de savoir, plus d'indépendance dans une cour d'assises composée de cinq conseillers, il faut que toutes les cours soient composées de la même manière.

Les accusés doivent être égaux devant la loi.

Or, nous avons pris dans le système de 1808 ce qui était convenable ; nous avons introduit de l'uniformité ; ce qui était bon pour six provinces du pays, nous a paru convenable également pour les trois provinces où il y a des cours d'appel ; je ne vois à ce système aucune espèce d'inconvénient.

Mais, dit l'honorable M. Orts, au lieu d'avoir comme assesseur le (page 294) président, il n'y aura plus que de simples juges ; c'est le but de la loi. Si la loi était interprétée dans ce sens, on irait au delà de sa pensée.

Quand on a fait le projet de loi actuel, on a vu qu'il y avait des inconvénients à exiger toujours, dans la cour d'assises, la présence du président et du premier vice-président du tribunal.

Mais si l'article tel qu'il est proposé est voté, le principe sera que le président et le premier vice-président du tribunal devront siéger ; telle est la pensée du législateur ; ce n'est que par des raisons sérieuses de service qu'ils pourront être remplacés ; et il est très probable que les présidents siégeront souvent à la cour d'assises, qu'ils ne délégueront pas ce soin à des juges.

Je ferai remarquer que, dans tous les cas, ce ne sont pas des juges tout à fait nouveaux qui seront appelés à siéger à la cour d'assises. Ainsi le tribunal de Bruxelles a un personnel nombreux ; il compte 26 membres et il a un président et quatre vice-présidents. Si te président et le premier vice-président sont empêchés par raison de service, ils seront remplacés par deux vice-présidents.

Je crois donc que la Chambre peut sans hésiter adopter le projet du gouvernement. Si le système proposé par la commission pouvait être adopté, je ne dois pas dissimuler à la Chambre qu'il faudrait immédiatement augmenter le personnel de la cour de Gand. On se plaint déjà de l'insuffisance du personnel de cette cour ; la cour de Bruxelles devrait aussi être augmentée ; dans le système de la commission, il faudrait six conseillers de plus. (Interruption.)

L'honorable M. Orts fait un signe de dénégation, mais l'honorable membre suppose-t-il que les mêmes conseillers puissent aller passer quinze jours à Anvers, puis ensuite quinze jours à Mons, et enfin quinze jours à Bruxelles ? Cela pourra se faire quelquefois, soit, mais il se présentera des cas où les cours des trois provinces devront siéger simultanément.

Il faut donc évidemment que nous ayons un personnel qui dans certaines circonstances n'aura rien à faire, je le comprends, et c'est encore là un des vices du système, mais qui réponde à toutes les éventualités. Je ne pourrais donc me charger de mettre à exécution le système de la commission sans une augmentation du personnel de nos trois cours d'appel.

-— La discussion est close.

M. le président. - Nous avons à voter d'abord sur l'amendement de M. Watteeu, qui s'éloigne le plus de la proposition du gouvernement.

M. Watteeuµ. - Je me rallie à l'amendement de la commission.

M. le président. - Dans ce cas, je mets aux voix la proposition de la commission. Elle est ainsi conçue :

« Dans toutes les provinces, les assises sont tenues par trois membres de la cour d'appel, dont l'un sera président.

« Le premier président de la cour nomme, pour chaque tenue des cours d'assises, un membre de ladite cour pour les présider. Il peut les présider lui-même quand il le juge convenable.

« Le premier président de la cour nomme aussi les deux conseillers qui devront assister le président aux assises et leur adjoint un membre suppléant.

« Le procureur général ou l'un de ses substituts y remplit les fonctions du ministère public.

« Le greffier en chef ou l'un des greffiers de la cour y exerce les fonctions de greffier. »

- Plusieurs membres : L'appel nominal !

M. le président. - L'appel nominal étant demandé par plus de cinq membres, il va y être procédé.

Je dois vous faire connaître qu'il vient de m'être remis une demande de congé de M. Couvreur, retenu chez lui par indisposition. Cette demande est arrivée pendant la séance ; s'il n'y a pas d'opposition, le congé est accordé.

- L'article proposé par la commission est mis aux voix par appel nominal.

77 membres prennent part au vote.

22 votent pour.

55 votent contre.

En conséquence ta Chambre n'adopte pas.

Ont voté l'adoption :

MM. Orts, Preud'homme, Reynaert, Sabatier, Ern. Vandenpeereboom, Vermeire, Verwilghen, Vleminckx, Wasseige, Watteeu, Carlier, De Fré, de Kerchove de Denterghem, d'Elhoungne, de Maere, Dethuin, Dewandre, Dupont, Guillery, Janssens, Jacquemyns et Lippens.

Ont voté le rejet :

MM. Muller, Notelteirs, Orban, Rogier, Thibaut, T'Serstevens, Valckenaere, A. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vander Maesen, Vanderstichelen, Van Hoorde, Van Iseghem, Van Wambeke, Warocqué, Wouters, Allard, Anspach, Bara, Bricoult, Broustin, Bruneau, Coomans, Crombez, David, de Brouckere, Delaet, Delcour, de Liedekerke, de Macar, de Naeyer, de Rongé, de Rossius, de Smedt, de Terbecq, de Theux, de Vrière, Dumortier, d'Ursel, Elias, Frère-Orban, Funck, Gerrits, Hagemans, Hayez, Jonet, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Landeloos, Le Hardy de Beaulieu, Liénart, Magherman, Moreau, Mouton et Dolez.

« Art. 92. Dans toutes les provinces, la cour d'assises est composée :

« 1° D'un membre de la cour d'appel, délégué à cet effet par le premier président et qui sera le président des assises ;

« 2° De deux juges pris parmi les présidents et les juges les plus anciens du tribunal de première instance du lieu de la tenue des assises, et, en cas d'empêchement des uns ou des autres à raison de leur service ou pour autre cause légitime, parmi les juges qui les suivent immédiatement dans l'ordre du tableau ;

« 3° Du procureur général ou de l'un de ses substituts dans la province où siège la cour d'appel, et, dans les autres provinces, du procureur du roi ou de l’un de ses substituts près du tribunal de première instance du lieu de la tenue des assises, à moins que le procureur général ne se réserve de porter lui-même la parole ou ne. délègue ses fonctions à l'un de ses substituts près la cour ;

« 4° Du greffier du même tribunal.

« La cour d'appel pourra cependant déléguer un ou plusieurs de ses membres, pour compléter le nombre de trois juges de la cour d'assises. »

- L'article ainsi rédigé est adopté.

La séance est levée à 4 heures trois quarts.