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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 5 décembre 1867

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1867-1868)

(Présidence de M. Moreau, premier vice-présidentµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 273) M. Reynaert, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 1/4 heures.

M. Vau Humbeeck, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Reynaert, secrétaireµ, présente l'analyse suivante des pièces dressées à la Chambre.

« Le sieur De Jonghe demande que son fds François, milicien de 1865, soldat au 9ème régiment de ligne, soit renvoyé dans ses foyers. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Bruxelles demandent le prompt achèvement des travaux de la nouvelle gare du Midi. »

- Même renvoi.


« Des habitants du Sart-Bernard, commune de Weerde, demandent qu'il soit donné suite à leur pétition ayant pour objet la séparation de ce hameau de Weerde et son érection en commune spéciale. »

M. Lelièvreµ. - J'appuie cette pétition, qui est parfaitement fondée en justice et en équité, et je demande qu'elle soit renvoyée à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.


« Le conseil communal de Bastogne prie la Chambre d'accorder à la compagnie Forcade la garantie d'un minimum d'intérêt sur une somme proportionnée à l'importance des lignes qu'elle aurait à construire et d'accueillir favorablement toute demande de suppression des voies les moins utiles. ».

- Renvoi à la commission des pétitions.


« M. E. de Zerezo de Tejada, obligé de s'absenter pour une affaire urgente, demande un congé. »

- Accordé.


« M. Jamar, oblige de se rendre à Paris pour une affaire urgente, demande un congé de trois jours. »

- Accordé.

Projet de loi sur les protêts

Dépôt

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre un projet de loi sur les protêts.

- Ce projet sera imprimé et distribué.

M. Dupontµ. - La commission spéciale chargée de l'examen du projet de révision du code de commerce a également rédigé un projet de loi sur ce point ; il y aurait lieu de renvoyer à cette commission le projet de loi qui vient d'être déposé.

- Cette proposition est adoptée.

Projet de loi d’organisation judiciaire

Discussion des article

Chapitre IV. Des cours d’appel&

Article 70

M. le président. - La Chambre reprend la discussion de l'article 70.

Deux amendements ont été présentés à cet article : l'un par M. Carlier, qui est ainsi conçu :

« Cet article sera observé dès la promulgation de la présente loi. »

L'autre, par M. Dupont, qui est ainsi conçu :

« Cet article sera observé après l'épuisement de la série des présentations actuellement en cours d'exécution en vertu de la loi du 1 août 1832. »

M. de Naeyerµ. - Messieurs, je remarque qu'on n'a pas fait une part assez large, quant au droit de présentation des candidats, à la province de la Flandre orientale.

En effet, sur quinze nominations, on en attribue huit à la Flandre orientale et sept à la Flandre occidentale. On suppose donc que la population des deux provinces est dans la même proportion, c'est-à-dire comme huit à sept.

Or, l'écart entre les populations de ces deux provinces est beaucoup plus considérable. Au 1er décembre 1865, la population de la Flandre orientale était de 824,175 habitants ; celle de la Flandre occidentale était de 659,938 habitants ; la proportion est donc comme cinq à quatre, et, par conséquent, pour être logique et juste, sur neuf nominations, il faudrait en attribuer cinq à la Flandre orientale et quatre à la Flandre occidentale, au lieu de huit à la première de ces deux provinces et sept à la seconde sur quinze nominations.

Je crois que tout le monde sera d'accord pour adopter ce changement à la répartition qui est proposée dans le projet de loi, répartition qui repose sur une supposition matériellement erronée quant au chiffre de la population respective des deux provinces.

J'aurai l'honneur de déposer un amendement en ce sens.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, le gouvernement ne peut se rallier à l'amendement présenté par l'honorable M. de Naeyer ; la population ne peut être le seul élément qui serve à déterminer la proportion à établir entré les provinces, quant au nombre des conseillers quelles ont à présenter. Il faut tenir compte aussi du nombre des magistrats existant dans les provinces. Or, il y a dans la Flandre occidentale 19 magistrats des tribunaux de première instance et dans la Flandre orientale il y en a 17 ; c'est ce qui fait que dans la nouvelle répartition un conseiller de plus par série est attribué à la Flandre orientale.

M. de Naeyerµ. - Je crois cependant que dans toutes les autres répartitions, c'est principalement sur la population qu'on s'est basé et non sur le nombre des magistrats. cette dernière base me paraît évidemment fautive ; ainsi, en ce qui concerne les deux provinces flamandes, il pourrait en résulter qu'on attribuerait le même nombre de présentations de candidats à la Flandre occidentale et à la Flandre orientale, attendu que la province de la Flandre occidentale, quoique bien moins étendue et moins importante que la Flandre orientale, a quatre tribunaux de première instance tandis que la Flandre orientale n'en a que trois.

Il me semble que la base la plus logique, la plus rationnelle et la plus juste est la population, alors surtout que le chiffre de la population est en parfaite harmonie avec l'importance relative des provinces ; or, c'est ce qui existe incontestablement dans l'occurrence, car tout le monde reconnaîtra que la Flandre orientale, dont la population est beaucoup plus considérable que celle de la Flandre occidentale (la différence étant de près de 200,000 habitants), offre aussi, sous le rapport des intérêts une importance proportionnellement plus grande que cette dernière province.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Les arguments de l'honorable membre ne me paraissent pas admissibles. En effet les cours de justice ne sont pas la représentation des intérêts.

M. de Naeyerµ. - Elles sont juges des intérêts.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Ce n'est pas là exclusivement ce qui a fait admettre les articles que nous discutons en ce moment. Qu'a-t-on eu en vue en donnant aux provinces le droit de présenter des conseillers ? C'est d'avoir dans les cours des hommes qui connaissent les usages des tribunaux du ressort., Qu'arriverait-il, messieurs, avec le système de l'honorable membre ? La Flandre orientale, d'après ce système, aurait intérêt à avoir dans la cour un nombre de conseillers égal à celui de sa population.

Or, en est-il ainsi ? Non, elle a intérêt à avoir dans la cour des membres venant de ses trois tribunaux, de même que la Flandre occidentale a intérêt à avoir des membres venant de ses quatre tribunaux.

Si l'on prenait pour base la population, le Hainaut serait sacrifié dans le projet que nous proposons en ce moment. Le Brabant a onze conseillers et le Hainaut en a aussi onze, Cependant le Hainaut est plus populeux que le Brabant.

(page 274) M. de Naeyerµ. - Pas le moins du monde, la différence est insignifiante.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Pas si insignifiante, et la preuve c'est qu'auparavant le Hainaut avait 8 présentations et le Brabant 7. Mais on a créé une chambre de plus au tribunal de Bruxelles, et l'on a établi l'égalité pour les présentations entre le Brabant et le Hainaut.

Je crois donc que ce serait entrer dans un mauvais système que de venir dire que la population seule déterminera le nombre de présentation que les provinces auraient à faire. Il faut combiner les deux éléments : la population et le nombre des tribunaux, et je crois que les chiffres indiqués dans le projet peuvent être adoptés sans inconvénient. Au reste ces chiffres indiqués par une commission de magistrats n'ont donné lieu à aucune espèce de réclamation.

M. de Naeyerµ. - Messieurs, l'exemple que vient de citer l'honorable ministre de la justice, celui du Hainaut et de la province de Brabant, vient justement à l'appui de ma thèse : ces deux provinces ont le même nombre de présentations et cependant elles n'ont pas le même nombre de magistrats ; je crois que sous ce rapport il y a un écart considérable en faveur du Brabant. Pourquoi a-t-on donné aux deux provinces le même nombre de présentations ? Evidemment parce que la population est sensiblement la même. La différence est réellement insignifiante, elle n'est que (erratum, page 294) de quatre mille âmes, aussi les deux provinces ont le même nombre de représentants et le même nombre de sénateurs. Or, c'est bien la population qui sert de base pour la répartition des sénateurs et des représentants. Vous voyez donc, messieurs, que, loin de renverser ma proposition, l'observation de M. le ministre de la justice vient l'appuyer. Pour le Hainaut et le Brabant vous avez adopté la base de la population et vous avez laissé de côté celle du nombre des magistrats ; le même motif existe également pour justifier la proportion que j'ai indiquée entre la Flandre orientale et la Flandre occidentale.

M. Dupontµ. - Est-ce que M. le ministre de la justice n'a pas quelques explications à donner ?

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Le gouvernement est prêt à donner des explications et même à présenter un amendement.

Voici, messieurs, le résultat des recherches que j'ai pu faire. Il n'y a aucune espèce d'intérêt pour les ressorts de Bruxelles et de Gand à ce que l'ordre indiqué par le projet soit immédiatement observé. En effet on est arrivé, dans le ressort de Bruxelles, à la 14ème place de la deuxième série, et cette place appartient au Hainaut. La province d'Anvers, qui a été avantagée sous l'ancien système ne peut plus l'être que lorsqu'on commencera la troisième série.

Il en est de même pour le ressort de la cour d'appel de Gand, où l'on est à la première place de la série. Seulement comme il n'y a plus que 15 conseillers à la cour de Gand, il faudra s'arrêter à la quinzième place.

Quant à la province de Liège, les observations de l'honorable M. Dupont sont parfaitement fondées. Si l'on devait procéder à la nomination des membres d'après le projet de loi, la province de Liège serait frustrée.

Je proposerai l'amendement suivant :

« Cour de Bruxelles.

« § 3. Cet ordre sera observé après l'épuisement de la série des présentations en cours d'exécution.

« Cour de Gand.

« § 4. Cet ordre sera observé après les présentations à la quinzième place de la série en cours d'exécution.

« Cour de Liége.

« § 5. Cet ordre sera observé après l'épuisement de la série des présentations en cours d'exécution. »

M. Dupontµ. Il me paraît, messieurs, qu'il serait bon de faire de cette disposition un projet de loi spécial, car si la promulgation de la loi se fait attendre pendant quelque temps, il pourra arriver que le texte doive encore être remanié.

Je crois, pour éviter ce résultat, que la disposition proposée par M. le ministre de la justice devrait être mise à exécution dès à présent.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il résulte de mon examen que cela n'est pas nécessaire, que les séries commencées soient épuisées, il y aura encore pour le ressort de Bruxelles 12 présentations ; pour le ressort de Gand 14 présentations, et pour le ressort de Liége 5 ou ti présentations.

Cela suppose au moins une couple d'années et il est très probable que d'ici là, la loi sera publiée.

Si, toutefois, elle ne l'était pas, le gouvernement présenterait un projet de loi.

M. Dupontµ. - Je n'insiste pas.

M. Dupontµ et M. Carlierµ se rallient à l'amendement de M. le ministre de la justice.

M. le président. - Quelqu'un demande-t-il encore la parole sur l'article 70 et les amendements ?

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je ferai remarquer que l'amendement que j'ai déposé et celui de M. de Naeyer ont rapport à un ordre d'idées différent.

M. le président. - Je mets donc aux voix d'abord l'amendement de M. de Naeyer.

- Cet amendement n'est pas adopté.

M. le président. - Je mets aux voix maintenant l'amendement de M. le ministre de la justice, auquel MM. Carlier et Dupont se sont ralliés.

- Cet amendement est adopté.

L'article 70, amendé par M. le ministre de la justice, est mis aux voix et adopté.

Article 75

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Le dernier paragraphe de l'article 75 porte ce qui suit :

« Les listes sont transmises au ministre de la justice respectivement par le procureur général et par le gouverneur. »

Pour empêcher que l'envoi des listes ne soit retardé par des formalités inutiles, je proposerai à la Chambre de supprimer l'avant-dernier paragraphe et de rédiger ce dernier paragraphe de la manière suivante : « Les listes respectives sont transmises au ministre de la justice par le procureur général et le gouverneur. »

M. le président. - La Chambre consent-elle à revenir sur cette disposition ?

- Voix nombreuses. - Oui, oui.

- L'amendement proposé par M. le ministre de la justice est mis aux voix et adopté.

Article 78

M. le président. - La discussion de l'article 78 a été également tenue en suspens jusqu'aujourd'hui. Cet article est ainsi conçu :

« Nul ne peut être nommé greffier en chef d'une cour d'appel, s'il n'est âgé de 30 ans accomplis et s'il n'est docteur en droit, ou s'il n'a rempli pendant dix ans, les fonctions de greffier d'un tribunal de première instance ou de commerce ou de commis greffier d'une cour.

« Nul ne peut être nommé commis greffier d'une cour d'appel,, s'il n'a vingt-cinq ans accomplis. »

A cet article M. Dupont propose une disposition additionnelle ainsi conçue :

« S'il n'est docteur en droit ou s'il n'a rempli pendant cinq ans les fonctions de greffier d'une justice de paix ou de commis greffier d'un tribunal de première instance. »

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je ne m'oppose pas à l'amendement de l'honorable M. Dupont, s'il est entendu que les commis greffiers surnuméraires sont compris dans le terme générique commis greffiers. Il a été admis que c'était au gouvernement à fixer le nombre des commis greffiers surnuméraires. Ces employés ne touchent pas de traitement, mais ils ne remplissent pas moins les fonctions de greffiers, et dès lors ils rentrent dans la catégorie générale des commis greffiers.

M. Dupontµ. - Il est une autre catégorie de fonctionnaires que l'on pourrait ajouter à celle que j'ai indiquée déjà, et je pense que M. le ministre de la justice sera d'accord avec moi sur ce point.

Il arrive très souvent, ce fait m'a été signalé depuis la séance d'hier, que dans les tribunaux de première instance et dans les cours, on donne comme avancement aux secrétaires des parquets, du tribunal ou de la cour, les fonctions de commis greffiers. Je pense donc qu'il conviendrait de comprendre aussi ces fonctionnaires parmi ceux qui sont aptes à être appelés à remplir les fonctions de commis greffiers,

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je me rallie à cette proposition.

M. Coomans. - Il est bien entendu que de cette innovation il ne doit résulter aucune augmentation de dépense.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Comment cela serait-il possible ?

M. le président. - M. Dupont propose d'ajouter |les mots : « secrétaires de parquets ».

(page 275) - Les deux amendements proposés par M. Dupont sont mis aux voix et adoptés.

Article 79

M. le président. - Un amendement a été proposé par M. Dupont à l'article 79. Cet amendement est ainsi conçu :

« Les greffiers sont nommés par le roi sur une liste triple de candidats présentée par la cour.

« Ils sont révoqués par le roi. »

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je ne puis pas, messieurs, me rallier à cet amendement, par les raisons que j'ai indiquées hier.

Ces raisons sont bien simples. Il ne convient pas de réunir solennellement la cour pour faire des présentations aux places de greffier, mais d'un autre côté, j'ai reconnu qu'il pouvait y avoir des abus à ce que le greffier en chef n'ait aucune part dans les nominations.

On pourrait tout concilier en proposant de donner au gouvernement la nomination des greffiers sur une liste double à dresser, l'une par le greffier en chef, l'autre par le premier président de la cour.

L'article 79 serait ainsi conçu :

« Art. 79. Les greffiers sont nommés par le roi sur deux listes doubles présentées l'une par le premier président de la cour, l'autre, par le greffier en chef.

« Ils peuvent être révoqués par le roi. »

M. Dupontµ. - Messieurs, je me rallie entièrement aux observations de M. le ministre de la justice et je retire mon amendement.

M. Lelièvreµ. - Je dois cependant soumettre une observation sur l'amendement proposé par M. le ministre. Le greffier en chef est responsable du fait des commis greffiers, eh bien, est-il juste qu'on puisse rendre le fonctionnaire responsable des actes d'individus à la nomination desquels il n'a pas concouru ? Dans le système du gouvernement, on pourrait choisir comme commis greffiers des hommes dont le greffier ne voudrait en aucune manière, des hommes avec lesquels il serait dans les plus mauvais termes. Quant à moi, je préférerais voir sanctionner le principe du projet primitif.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, c'est pour faire droit en partie aux observations de l'honorable préopinant que le gouvernement vous a proposé d'autoriser le greffier en chef à présenter une liste de candidats ; mais pour faire droit aux observations de l'honorable membre, il faudrait aller beaucoup plus loin ; dans son système, en cas de nomination d'un nouveau greffier en chef, celui-ci devrait avoir le droit de renvoyer les commis greffiers qui étaient en fonctions au moment de sa nomination. Evidemment, ce système n'est pas admissible.

M. Coomans. - Messieurs, je ne vois aucun motif sérieux pour diminuer en ce point l'indépendance et la dignité de l'ordre judiciaire. Le gouvernement s'arroge un droit quasi nouveau. Les cours n'ont pas abusé de ce droit de nomination dont elles ont joui jusqu'à présent. Par les raisons qu'on a alléguées et par d'autres encore dont j'épargne l'énumération à la Chambre, je trouverais plus convenable qu'on maintînt la rédaction telle qu'elle a été proposée primitivement par le gouvernement et adoptée par la commission spéciale.

Laissons les cours choisir elles-mêmes leur personnel inférieur. En procédant autrement, on créerait une sorte d'embarras pour le gouvernement, et on enlèverait une partie du prestige dont l'ordre judiciaire doit rester entouré.

M. Notelteirsµ. - Messieurs, je dois faire remarquer qu'en règle générale les corps judiciaires n'ont qu'un greffier ; à mon avis, il n'y a absolument aucun motif pour déférer la nomination des greffiers au gouvernement et pour enlever cette prérogative aux cours. C'est réduire leurs attributions, c'est diminuer leur prestige.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je demanderai à l'honorable membre de vouloir bien m'indiquer les motifs qui enlèvent au gouvernement la nomination des greffiers pour les faire nommer par la cour. Voilà le point de départ qui doit d'abord être démontré ; car le projet de loi admet en principe que le greffier en chef est nommé par le roi : ce qui répond complètement à l'argument de l'honorable M. Notelteirs.

Il devrait, pour être logique, proposer que les cours nommassent le greffier en chef ; or, c'est ce qu'il ne fait pas. Pourquoi adopter un autre principe pour les greffiers ? N'ont-ils pas les mêmes fonctions ?

On dit que c'est diminuer le prestige de la cour, que c'est réduire ses attributions,

On oublie que la nomination de la cour a lieu sur la présentation d'une liste faite par le greffier en chef. Or en définitive qui nomme ? C'est le greffier ; car s'il le veut, il compose sa liste de telle manière qu'il impose son choix à la cour ; en effet, à côté d'un candidat qui lui plaît, il en place deux autres qui n'ont aucun mérite et que la cour doit nécessairement repousser.

Il serait préférable dans ce système de dire, ce qui serait plus loyal et plus vrai, que le greffier en chef nomme les greffiers.

Si vous avez tant de confiance dans le greffier, pourquoi n'en avez vous pas dans le gouvernement ? Le gouvernement aura deux listes, l'une présentée par le premier président, l'autre par le greffier en chef ; non seulement le prestige de la cour sera maintenu, mais le gouvernement, se trouvant en présence de listes doubles, pourra faire un meilleur choix que le greffier en chef.

Je crois que des fonctionnaires de cette importance, jouissant d'un traitement élevé, doivent être à la nomination du Roi ; je pense aussi que le système que je combats doit faire naître des abus, donner lieu à des arrangements locaux, qu'il faut que les fonctions publiques soient équitablement réparties et qu'on ne les abandonne pas à telles ou telles personnes.

M. Notelteirsµ. - Les observations que vient de présenter M. le ministre de la justice ne m'ont pas fait changer d'opinion.

Je persiste à croire que le système actuel est le plus convenable : la présentation par le greffier en chef et la nomination par la Cour.

Il y a plusieurs autres circonstances dans lesquelles une autorité présente et une autre autorité nomme. Ce que dit M. le ministre de la justice contre la présentation du greffier en chef s'applique à toutes les autres présentations.

- La discussion est close.

La nouvelle rédaction de l'article 79, proposée par M. le ministre de la. justice, est mise aux voix et adoptée.

- M. Dolezµ remplace M. Moreau au fauteuil,

Chapitre V. Des assises

M. Lelièvreµ. - Je proposerai quelques courtes observations sur l'ensemble du chapitre en discussion.

Je pense qu'on peut aujourd'hui élargir le cercle des individus appelés à siéger comme jurés.

Les dispositions énoncées au projet reproduisent, à cet égard, les prescriptions de la loi de 1838. Mais remarquons qu'à cette époque l'instruction était loin d'être aussi répandue qu'elle l'est aujourd'hui. Les populations ont fait, à ce point de vue, des progrès immenses.

Il me semble donc qu'on pourrait non seulement ne pas exiger/ un cens aussi élevé, mais admettre dans le jury des individus exerçant des professions autres que celles énoncées au projet.

Pourquoi ne pas appeler à être jurés les professeurs des universités, ceux de l'enseignement moyen, les pharmaciens et d'autres personnes exerçant des professions pour lesquelles la loi requiert des certificats de capacité, et faisant présumer, chez les individus, qui les pratiquent l'instruction nécessaire pour remplir convenablement les fonctions de jurés ?

Je suis donc d'avis qu'il y a quelque chose à faire, et qu'il est impossible de se tenir, à cet égard, aux dispositions de la loi de 1838.

Je verrais avec une vive satisfaction qu'on pût apporter au régime existant des modifications que légitiment les progrès de la civilisation dans le pays.

Je dois aussi signaler un abus qui se produit assez souvent nu matière criminelle.

Lorsque l'accusé est déclaré coupable par le jury, à la majorité de sept voix contre cinq, la cour d'assises est appelée à délibérer, et j'ai toujours vu qu'elle énonçait formellement à quelle majorité elle se réunissait à l'avis de la majorité ou à celui de la minorité du jury, Souvent même elle déclare adopter à l'unanimité cet avis.

En ce qui me concerne, je pense que c'est là une violation du secret du vote. Ce mode de. procéder se concevait sous l'empire du code d'instruction criminelle, d'après lequel on devait compléter le nombre des voix des membres da jury ainsi que des membres de la cour pour décider s'il y avait lieu à condamnation ou acquittement. Mais aujourd'hui que c'est la majorité de la, cour qui décide souverainement la question de culpabilité, il suffit que la cour d'assises déclare adopter l'avis de la majorité ou de la minorité du jury, sans que l'on doive faire connaître comment s'est produite au vote l'expression de cette majorité.

(page 276) Or, ne perdons pas de vue que le secret du vote est une condition substantielle de toute décision judiciaire et qu'il n'est dérogé à cette règle impérieuse que dans certains cas exceptionnels prévus par le législateur.

Je pense donc qu'il faut revenir à un ordre de choses mieux en harmonie avec la légalité.

Telles sont les observations sur lesquelles j'appelle l'attention de la Chambre et du gouvernement. Je me réserve d’émettre ultérieurement mon opinion sur la composition des cours d’assises énoncées au projet.

M. Coomans. - Il me semble que pour être bon juré, il faudrait deux choses, outre celles indiquées par la loi : d'abord, il faudrait savoir lire et écrire ; en second lieu, il faudrait savoir le flamand dans les localités flamandes.

Il me semble impossible de continuer à laisser siéger des jurés qui n'entendent pas la langue parlée par l'accusé ou par l'accusateur.

M. Reynaertµ. - Messieurs, j'avais recueilli des éléments nombreux, d'une nature historique et juridique, dans le but de formuler et de soutenir devant cette Chambre un système nouveau, consacrant des modifications et, selon moi, des améliorations notables, spécialement en ce qui concerne la tenue périodique des assises. Ces éléments, je n'ai eu le temps ni de les compléter, ni de les coordonner. La transposition si subite et si inattendue de l'ordre du jour y a mis obstacle.

Cependant, messieurs, les idées que je me propose de défendre me paraissent si justes, si fécondes en résultats heureux, au point de vue d'une répression prompte et efficace, si empreintes d'un véritable esprit de progrès, que je croirais faillir à tous mes devoirs, si je ne venais pas les exposer, au moins sommairement, devant la Chambre.

Je me bornerai à appeler l'attention la plus sérieuse du gouvernement et de la Chambre sur un système d'innovations, auquel je n'ai pu, pour ma part, refuser mon assentiment, mais pour lequel, j'ai hâte de le dire, je n'ai pas même le mérite de l'invention.

Je l'ai trouvé exposé et formulé dans une pièce quasi officielle qu'une bonne fortune m'a fait rencontrer l'autre jour dans une revue de droit. Je veux parler d'un discours prononcé à la cour d'appel de Bruxelles, en 1849, par le procureur général M. de Fernelmont, actuellement membre de la cour de cassation.

Comme ce document était destiné à être un des éléments principaux de la thèse que je me proposais de défendre, et comme, du reste, je ne saurais ni mieux penser, ni mieux dire, je vous demande la permission de vous donner lecture d'un passage de ce discours qui est relatif à la question qui nous occupe. J'ai trouvé ce discours qui porte pour titre : » De l'intervention de la magistrature pour la confection des lois ; des sessions et de la présidence des assises, » dans la Revue des revues de droit, année 1842, page 318.

Après avoir démontré avec une grande logique et une grande fermeté de langage, le devoir de la magistrature de signaler périodiquement à l'attention du législateur les vices, les défectuosités et les lacunes qui se révèlent dans l'application des lois et de lui prêter ainsi le concours actif et puissant de ses lumières et de son expérience, l'honorable organe du ministère public continue en ces termes :

« Nous ne savons si cette vieille idée que nous avons cherché à rajeunir entrera quelque jour dans le domaine de la réalité, mais, en attendant, qu'il nous soit permis d'élever dans cette enceinte la faible voix d'un seul pour exprimer notre manière de voir sur une amélioration facile, dont nous paraît susceptible en Belgique l'administration de la justice criminelle lors de la mise en jugement des accusés.

« S'il est vrai que la répression des méfaits ait surtout pour but social un enseignement exemplaire, il faut que le châtiment ne se fasse pas longtemps attendre ; plus on le diffère, plus il perd de son efficacité ; plus s'éloigne le souvenir du crime, plus aussi les sentiments de pitié, si naturels à l'homme, reprennent de leur empire, et rendent plus pénible le devoir du juge ou du juré. De là, cette règle universellement proclamée, qui faut donner à l'instruction et au jugement la plus grande célérité qui soit compatible avec la recherche de la vérité.

» Dans l'instruction préparatoire, la loi de procédure criminelle n'a point méconnu ce principe : les lenteurs ne dépendraient plus que d'un défaut de zèle dans le magistrat instructeur ou d'un vice dans la loi d'organisation, si elle avait mesquinement fixé le nombre de ces magistrats. Mais faudrait-il absoudre de tout reproche le législateur de 1808, quand il a décrété les règles de la mise en jugement des accusés ? N'y a-t-il pas au moins quelque amélioration à introduire dans cette partie de la procédure criminelle ? Se montrait-on fidèle au double but de la répression quand on bornait à quatre le nombre des sessions de la cour d'assises ? Car c'est là le nombre presque toujours respecté. Rarement on a ordonné l'ouverture de sessions réputées extraordinaires dès qu'elles dépassaient ce nombre : l'orateur du gouvernement s'exprimait nettement à ce sujet quand il disait au corps législatif : « L'expérience ayant démontré que les affaires criminelles étaient, dans la majeure partie des départements, trop peu nombreuses pour exiger une session tous les mois, il n'y aura qu'une session par trimestre. Cependant partout où le besoin l'exigera, les assises se tiendront plus souvent. » Telles étaient les paroles de l'orateur du gouvernement à l'occasion de l'article 259 du code d'instruction criminelle. Rarement s'est fait sentir le besoin de ces sessions extraordinaires qui ne paraissaient exigées que par un grand nombre d'affaires en état. D'un tel système devaient naître des inconvénients faciles à pressentir.

« Les accusés ont vu se prolonger la durée de leur détention préventive ; les sessions ont été chargées d'un grand nombre d'affaires ; les jurés ont été retenus souvent au delà d'un mois entier, et les magistrats comme les jurés ont eu à s'acquitter d'un devoir déjà pénible en lui même et que la fatigue rendait plus pénible encore.

« Malgré les vices de cet état de la législation, on le vit subsister en Belgique jusqu'à la mise en vigueur de la loi du 1er mars 1852. Ce fut alors seulement que, surtout dans la vue d’alléger le fardeau qui pèse sur les jurés, on subdivisa les sessions en série, de manière à ne jamais tenir les jurés au-delà de quinze jours. Aucun abus n’a été révélé comme le résultat de cette innovation, toute de détail ; elle a donc été profitable ; elle est aujourd’hui consacrée par l’expérience.

« N'y a-t-il pas cependant un pas de plus à faire dans cette voie ?

« Dans la réalité chaque série forme une véritable session ; il y a changement dans le jury, permanence seulement dans la cour. S'il en est ainsi, pourquoi ne pas donner à ce fait l'application du principe de la loi pénale, en mettant la loi d'instruction en harmonie avec ce principe ?

« L'ouverture seulement de ces quatre sessions d'assises par année, devint souvent abusive : pour rester fidèle à la lettre de la loi, lorsqu'une affaire ne peut être jugée dans la série dont elle faisait partie, ce n'est pas à la série suivante, mais à la session prochaine qu'il fallait renvoyer ; la loi du 15 mai 1838, dans son article 17, a voulu obvier à cet abus, qui dans le fait existe encore lorsque déjà les séries ont été arrêtées. Lorsqu'une série a été épuisée, et qu'aucune autre n'a été fixée, la session est close ; et cependant dans l'intervalle de l'époque de cette clôture à la fixation de l'ouverture de la session trimestrielle qui suit, un assez grand nombre d'affaires en état pourrait motiver la formation d'une série nouvelle ; mais on ne considère pas ce nombre comme suffisant pour provoquer l'ouverture d'une session extraordinaire.

« Ainsi l'on ne respecte pas autant qu'on le pourrait cette loi d'humanité qui nous oblige à abréger autant qu'on le peut, sans détriment pour la chose publique, la durée de la détention préventive, et l'on oublie parfois ce principe, qui, pour rendre la répression plus salutaire et plus certaine, fait rapprocher autant qu'on le peut le jugement, de la perpétration du fait incriminé.

« Dans le système actuel, la fixation trimestrielle de l'ouverture des assises est devenue un non-sens législatif ; aujourd'hui que, dans la réalité, il y a autant de sessions que de séries ; aujourd'hui que le nombre de ces sessions réelles est plus élevé que ne le supposait l'article 259 du code d'instruction criminelle, les assises doivent être permanentes, en ce sens que le jury sera convoqué dès la réunion d'un nombre d'affaires en état suffisant pour former, non plus une session, mais une série d'assises.

« Si l'ordonnance du premier président qui décrète l'ouverture d'une session trimestrielle pouvait donner à l'administration de la justice criminelle une solennité plus grande, nous concevrions la nécessité de conserver scrupuleusement ce qui existe ; mais cette forme n'ajoute rien à la splendeur, à la publicité même qui doit accompagner le jugement au grand criminel,

« La mise à exécution, nous ne dirons pas de ce système nouveau, mais d'une seule modification au système du code d'instruction criminelle, déjà modifié en 1852, exigerait, pensons-nous, une innovation de plus, à laquelle nous croyons attachés d'assez grands avantages. Ici nous devons exprimer notre manière de voir sans aucun scrupule ; dans la recherche de la vérité, il ne faut pas s'arrêter devant la crainte de blesser parfois d'honorables susceptibilités.

« La réunion des deux justices, civile et criminelle, ne pouvait être évitée qu'au prix d'inconvénients fort graves dont nous avons ailleurs (page 277) présenté le tableau. Des cours criminelles seraient encore aujourd'hui dans la plupart de nos provinces de véritables sinécures ; mais si l'on a échappé à cet abus en attribuant aux cours souveraines la mission de juger au civil et au criminel, il ne faut pas se le dissimuler, cette réunion a fait négliger l'étude du droit criminel, auquel le magistrat n'a bientôt attaché qu'une importance secondaire.

« La nécessité d'une étude spéciale se fait cependant ici sentir, et sous ce rapport, nous voudrions quelque amélioration, qu'on pourrait obtenir jusqu'à un certain point d'une légère modification aux principes de notre organisation judiciaire.

« Dans le système de la loi qui nous régit, un magistrat de la cour est ordinairement chargé de la présidence des cours d'assises pour un trimestre seulement, pendant toute l'année. Ces fonctions sont ainsi successivement déférées à dix ou douze magistrats dans notre ressort.

« Envisagé dans ses rapports avec l'administration de la justice civile, ce système produit certains embarras et parfois quelques entraves à la prompte décision des procès civils, au jugement desquels ces présidents d'assises doivent concourir ; dans ses rapports avec la justice criminelle, ce système présente peut-être d'autres inconvénients qui auraient plus de gravité.

« Le magistrat qui n'est revêtu des fonctions de la présidence que pour une seule session, n'en fait pas l'objet d'une étude si approfondie que si elle devait durer davantage ; on acquiert moins alors l'habitude des débats criminels, dont la direction exige tant de qualités diverses ; on possède moins les principes ; leur application devient ainsi plus difficile, et l'on court bien plus le danger de ne point servilement respecter ces formes, dont le plus léger oubli peut faire entraîner la cassation de l'arrêt définitif ; cassation dont les résultats, en donnant parfois aux décisions de la justice criminelle le caractère d'une instabilité en quelque sorte aléatoire, ôte à ces décisions mêmes la force d'autorité et d'intimidation dont elles devraient être constamment fortifiées.

« On éviterait probablement une partie de ces abus, ou tout au moins de ces chances périlleuses, si l'on donnait plus de fixité aux fonctions de la présidence.

« Ainsi nous voudrions que pour toute une province un seul conseiller fût le président annuel de la cour d'assises ; on le choisirait parmi ceux qui semblent doués d'une aptitude plus grande pour des fonctions qui exigent, nous le répétons, des capacités toutes spéciales, et auxquelles ou ne peut être appelé par un tour de rôle.

« C'est ce président annuel qui déterminerait l'époque de la réunion du jury, aussitôt qu'il y aurait assez d'affaires en état pour former une série ou session de huit à quinze jours ; ses rapports avec les officiers du parquet de. la province l'instruiraient de l'opportunité de cette convocation ; les voies de publicité assurées aujourd'hui aux ordonnances du premier président, seraient maintenues pour les ordonnances rendues par ce président de la cour d'assises. Attache, pour ainsi dire, d'une façon exceptionnelle à une des chambres de la cour, il ne prendrait part à ses travaux que quand il ne menacerait pas de les entraver.

« Par une pratique plus fréquente de ses devoirs comme président, il verrait journellement s'augmenter la somme de son expérience, et le droit criminel ne lui apparaîtrait plus comme l'objet d'une étude secondaire..

« On conçoit dans ce système combien il est facile de supprimer l'ouverture des sessions d'assises trimestrielles, pour les remplacer par des sessions indéterminées quant à leur nombre, et dont l'ouverture serait décrétée toutes les fois qu'il y aurait matière à le faire.

« Nous ne voyons, quant à nous, que des avantages attachés à ce mode de procéder, et nous cherchons vainement les abus auxquels il donnerait accès.

« Mais ce n'est point à cela, pensons-nous, que devraient se borner les innovations à introduire.

« La plupart des réflexions qui se sont présentées à notre esprit relativement à la présidence des assises, s'appliquent à l'officier du ministère public chargé de soutenir l'accusation au grand criminel.

» C'est surtout pour ces fonctions que des capacités spéciales semblent requises ; capacités qui seront le fruit d'études suivies et d'une pratique constante. Préposé à la défense des plus chers intérêts de la société que le crime met en péril, combien ne faut-il pas à l'officier du parquet tantôt de raison froide, tantôt de véhémente indignation ; combien ne lui faut-il pas toujours de présence d'esprit et de connaissances étendues, pour lutter seul contre les forces réunies de plusieurs avocats dont la voix, près du jury, semble presque toujours obtenir une faveur plus grande, puisqu'elle trouve un puissant auxiliaire dans les sentiments de généreuse pitié dont on se sent ému au moment de condamner même un grand coupable ? Pourvoir remplir dignement une mission d'un si grand intérêt pour l’Etat, n'y a-t-il pas quelque danger à voir disséminer les forces du ministère public ?

« Pourquoi ne pas les concentrer dans quelques spécialités auxquelles on ferait une position assez belle pour ne point leur faire désirer d'autres fonctions ; pourquoi, dans un pays où les communications sont si faciles entre les chefs-lieux de diverses provinces, les mêmes magistrats, attachés à la cour d'appel, n'iraient-ils pas, dans les chefs-lieux des provinces du ressort, soutenir les accusations dont les actes auraient été dressés par eux ?

« Nous croyons peu, quant à nous, à l'existence de connaissances universelles ; lorsque dans toutes les carrières on exige des spécialités, nous nous sommes étonné parfois de ce qu'on ne se plaçait pas dans les mêmes conditions de force en ce qui concerne l'administration de la justice, où la science a une si vaste étendue. L'emploi de spécialités reconnues nous a paru surtout facilement praticable pour le ministère public siégeant devant la cour d'assises. »

Messieurs, aux considérations si élevées et si éloquentes dont je viens d'avoir l'honneur de vous donner lecture, permettez-moi d'ajouter quelques réflexions personnelles, notamment en ce qui concerne la réunion trimestrielle.

La tenue trimestrielle des assises a l'inconvénient incontestable de retarder au delà du temps nécessaire le jugement de l'accusé et par conséquent de prolonger la détention préventive.

Cet inconvénient n'avait pas échappé au législateur de 1808. A côté de la règle, dont il reconnaissait lui-même les vices, il avait eu soin de poser des exceptions qui, dans sa pensée, devaient servir de tempérament et de correction.

Je vois un premier remède dans les sessions extraordinaires ou intermédiaires. Elles ont évidemment pour objet de satisfaire l'intérêt de la justice, qui veut que les affaires arriérées ou les affaires graves ne soient pas ajournées jusqu'au trimestre suivant.

Un deuxième remède réside dans la disposition de l'article 387 du code d'instruction criminelle qui permet le dédoublement de la session ; il est évident que cette disposition, permettant à plusieurs sections d'une même cour de siéger simultanément, a pour but de rendre plus prompte et plus rapide l'action de la justice et par conséquent d'effacer en partie les vices inhérents à la tenue trimestrielle des assises.

Enfin, l'article 261 du code d'instruction criminelle me semble inspiré par la même pensée. Cet article est conçu comme suit :

« Les accusés qui ne seront arrivés dans la maison de justice qu'après l'ouverture des assise, ne pourront y être jugés que lorsque le procureur général l'aura requis, lorsque les accusés y auront consenti et lorsque le président l'aura ordonné. »

Cette mise en jugement en dehors des règles ordinaires et moyennant le triple assentiment que la loi exige, n'a pas d'autre but que de hâter le moment du jugement et d'abréger la détention préventive.

Le législateur belge a cherché, à son tour, à porter remède aux conséquences funestes du paragraphe premier de l'article 259 du code d'instruction criminelle.

Voila pourquoi encore, par l’article 17 de la loi du 1er mars 1832, il autorise le président de la cour d'assises, chaque fois que l’exigera le nombre des affaires criminelles, à les diviser en plusieurs séries.

Voilà pourquoi encore, par l'article 17 delà loi du 17 mai 1838, il permet le renvoi d'une série à une autre dans le cas où le procureur général autorise ce renvoi d'une session à une autre.

Ainsi le législateur de 1808 et le législateur belge ont été d'accord à reconnaître les vices qui résultent du trop long intervalle laissé entre les sessions des cours d'assises.

La même pensée est au fond du projet de loi qui nous est soumis, puisque, à côté de la session trimestrielle il maintient les sessions extraordinaires et la division par séries.

Eh bien, messieurs, je me demande avec l'honorable procureur général de 1841 s'il ne reste pas un pas de plus à faire dans la voie que je viens d'indiquer, s'il ne serait pas juste, raisonnable, conforme aux véritables principes de mettre le jugement criminel en relation plus directe, plus immédiate et plus prompte avec les besoins qui se produisent. Je me demande si les sessions extraordinaires et la division en séries sont un remède bien efficace et s'il y aurait de grands inconvénients à ce que la cour d'assises se réunît chaque fois qu'un nombre suffisant d'affaires serait en état.

J'y vois, pour ma part, de grands, d'incontestables avantages et peu d'inconvénients.

(page 278) J'y vois plus de promptitude dans l'action de la justice et, par conséquent, une détention préventive moins longue et une répression plus rapide.

J'y vois encore, puisque le pouvoir de convoquer la cour d'assises, selon les nécessités du moment, serait déféré à un président annuel, moins de retard dans l'expédition des affaires civiles portées devant la cour d'appel : j'y vois plus d'aptitude spéciale, plus d'expérience dans l'exercice des fonctions aussi difficiles que délicates de la présidence, plus de connaissances juridiques dans le domaine propre du droit criminel, et par conséquent, en dernière analyse, plus de respect et plus de prestige dans la branche sans contredit la plus importante de la justice humaine.

Messieurs, en finissant, je déclare ce que j'ai eu l'honneur de dire en commençant. Je tenais, pour l'acquit de ma conscience, à appeler l'attention du gouvernement et de la Chambre sur ces idées. Il me suffit de les avoir indiquées. Je ne présenterai à cet égard ni proposition ni amendement.

Si le gouvernement croyait pouvoir les accueillir et leur donner l'hospitalité dans la loi, je lui laisserais tout le soin de les organiser et de les coordonner avec les autres dispositions du projet de loi. Quoique j'aie pour moi le patronage et l'autorité d'un magistrat distingué, je me défie trop de mon inexpérience, je suis trop pénétré de la gravité de la matière et du danger des innovations, pour oser formuler une proposition purement personnelle.

M. Van Wambekeµ. - Messieurs, mon honorable ami M. Coomans vient de dire qu'indépendamment des conditions exigées par la loi pour être juré, il faudrait, dans les provinces flamandes, que les jurés connussent la langue flamande.

Il est un autre inconvénient que je dois signaler à la Chambre et qui me paraît donner lieu à des abus excessivement graves.

Vous savez, messieurs, que devant les cours d'assises des provinces flamandes l'instruction se fait en général en langue flamande, mais que le réquisitoire et la défense sont présentées en langue française.

Nous tâcherons, messieurs, de vous présenter sous peu un projet de loi ayant pour but de redresser les griefs de la population flamande à ce sujet.

Or il arrive assez souvent dans les provinces flamandes que beaucoup de jurés ne savent pas le français et c'est là un abus des plus déplorables. Ainsi sur le nombre de douze jurés qui ont entendu l'instruction en flamand et le réquisitoire du ministère public ainsi que la défense en français, plusieurs, quand on va aux voix, sont obligés de dire qu'ils n'ont rien compris à la défense ni au réquisitoire.

Il me semble donc qu'aussi longtemps que le réquisitoire et la défense auront lieu en français, il est indispensable que les jurés appelés à siéger connaissent au moins la langue qu'emploient le ministère public et la défense.

Il est déjà assez pénible de supposer que le principal intéressé n'entend rien à sa défense, et certes on ne doit pas y ajouter un autre abus, celui des jurés qui n'ont pas compris la défense.

Articles 87 à 89

« Art. 87. Il est tenu des assises dans chaque province, pour juger les individus que la cour d'appel y aura renvoyés. »

- Adopté.


« Art. 88. Les assises se tiennent dans le chef-lieu de chaque province.

« La cour d'appel peut néanmoins désigner un tribunal autre que celui du chef-lieu. Cette désignation se fait en assemblée générale de la cour, à la requête du procureur général ou ce magistrat entendu, et avec l'indication du jour où les assises s'ouvriront. »

- Adopté.


« Art. 89. La tenue des assises a lieu tous les trois mois. Elles peuvent se tenir plus souvent si le besoin l'exige. »

- Adopté.

Article 90

« Art. 90. Le jour où les assises doivent s'ouvrir est fixé par le premier président de la cour d'appel.

« Elles ne peuvent être closes qu'après que toutes les affaires qui y sont renvoyées et qui étaient en état lors de leur ouverture, y auront été portées. »

M. Orts. - Messieurs, parmi les observations présentées tout à l'heure par l'honorable M. Reynaert, il en est une qui m'avait préoccupé également et je suis heureux de l'appui qu'il a bien voulu me donner sous ce rapport.

L'honorable M. Reynaert a fait remarquer qu'aujourd'hui la tenue bimestrielle des assises est, dans certains cas, de nature à entraîner la prolongation de la détention préventive, lorsque l'instruction est terminée, c'est-à-dire alors que cette détention n'a plus de raison d'être.

L'honorable M. Reynaert a proposé, dans le but d'accélérer le jugement en matière criminelle, de permettre la tenue de sessions extraordinaires ou la fixation d'un jour plus rapproché que le délai de trois mois fixé pour la tenue régulière des assises.

Je crois, messieurs, qu'il y a un remède plus simple au mal que veut faire cesser l'honorable M. Reynaert et que signalait déjà un magistrat éminent qui a pris une large part aux études préparatoires des différentes réformes judiciaires qui, depuis 20 ans, ont été sanctionnées par la Chambre.

Aujourd'hui, messieurs, la fixation des assises se fait de la façon que voici : aussitôt la clôture d'une session c'est-à-dire aussitôt qu'où a jugé toutes les affaires criminelles en état d'être jugées dans la province, et dans les dix jours qui suivent la clôture de la session, le premier président de la cour d'appel nomme le président de la cour d'assises et indique le jour où les nouvelles assises se rouvriront trois mois plus tard.

Au moment où le premier président de la cour d'appel fait cette nomination et fixe le jour de l'ouverture des nouvelles assises, il ne peut y avoir d'affaires criminelles en état d'être jugées.

Le premier président fixe donc l'ouverture des assises au terme le plus reculé possible, afin de permettre de juger le plus grand nombre d'affaires possible.

Les premières affaires en état sont donc obligées d'attendre les autres, quel que soit le nombre des premières.

Le moyen pratique de remédier à cet état de choses est de permettre au président de la cour d'assises de fixer lui-même le jour de la tenue des assises.

Lui qui a pour mission de rechercher dans quel état se trouvent les procédures criminelles dont il sera plus tard chargé de conduire les débats, pourrait, aussitôt qu'il aurait reconnu qu'un nombre d'affaires suffisant est instruit pour remplir une série, c'est-à-dire quinze jours d'audience, convoquer les assises, et de cette façon les accusés seraient plus rapidement jugés.

Je demanderai donc à M. le ministre de la justice s'il verrait un inconvénient quelconque à substituer dans l'article 90, aux mots : « le premier président de la cour d'appel », les mots ; « le président de la cour d'assises. » C'était le système du code de 1808.

M. Guillery. - Article 260.

M. Orts. - Oui, l'article 260 ; je n'osais pas le citer de mémoire et je vous remercie de l'interruption.

De cette façon, une grande partie des inconvénients signalés à juste titre par l’honorable M. Reynaert tout à l'heure seraient évités. Il va de soi que les garanties de publicité que doit recevoir aujourd'hui d'après l'art.icle91 l'ordonnance du premier président seraient maintenues pour l'ordonnance du président des assises.

Je soumets cette idée à M. le ministre de la justice et j'attends ses observations.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, je ne vois pas le grand avantage pratique que procurerait la proposition de l'honorable M. Orts.

Elle donnerait au président de la cour d'assises le droit de fixer le jour de l'ouverture de la session, et de multiplier les séries, si le besoin l'exige.

Mais cela existe. On perd de vue, je crois, le texte de l'article 89, qui dit :

« La tenue des assises a lieu tous les trois mois. Elles peuvent se tenir plus souvent si le besoin l'exige. »

Or, je me demande si un premier président de cour d'appel a jamais opposé un refus à un président de cour d'assises, qui est venu lui demander de faire une séance de plus. Je ne le crois pas.

Il y a un grand avantage dans le système actuel. C'est que le procureur général peut s'adresser au premier président et lui faire connaître qu'il y a des affaires en état. C'est au premier président de convoquer la cour d'assises une fois de plus dans les trois mois, s'il y a un nombre suffisant d'affaires en état.

La proposition de l'honorable membre n'a d'autre conséquence que la remise du pouvoir du premier président aux mains du président de la cour d'assises.

M. Orts. - Voulez-vous me permettre de donner une explication ?

(page 279) M. le ministre de la justice (M. Bara). - Certainement.

M. Orts. - Voici comment les choses se passent.

Le premier président de la cour d'appel, dans les dix jours de la clôture de la session, nomme le président de la cour d'assises future et fixe le jour où la session s'ouvrira.

Or, pendant ces dix jours il est impossible qu'il y ait une seule affaire en état et il en résulte, comme je l'ai dit, que le premier président recule l'ouverture autant que possible.

Or, si le président de cour d'assises une fois nommé, lui qui a l’instruction entre les mains, lui qui interroge les prévenus en prison, qui nomme les avocats d'office, lui qui connaît l'état des affaires, pouvait fixer l'ouverture des assises, il y aurait plus de rapidité dans la procédure et la détention préventive serait abrégée.

Cela me semble parfaitement clair.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Ce serait le résultat contraire qui serait incontestablement obtenu, et voici pourquoi.

Dans le système actuel de la loi, il faut qu'il y ait, au moins tous les trois mois, une session de la cour d'assises.

Or, dans le système de l'honorable membre, il arriverait que le conseiller qui devrait présider la cour d'assises pourrait retarder la convocation.

M. Orts. - Mais non.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Pourquoi pas ? S'il jugeait, par exemple, qu'il n'y a pas un nombre suffisant d'affaires à porter au rôle !

L'article 89 dit formellement : « Les assises peuvent se tenir plus souvent si le besoin l'exige. » Eh bien, lorsque le président de la cour d'assises le jugera nécessaire, il se mettra en rapport avec le premier président de la cour et une session supplémentaire se tiendra.

Je ne vois donc pas où serait l'avantage de confier au président de la cour d'assises la fixation du jour de l'ouverture de la session, mais j'y vois cet inconvénient que le conseiller pourrait reculer le jour d'ouverture.

Dans le système actuel, l'époque de l'ouverture de la session est fixée dans les premiers jours du trimestre ; dans le système de M. Orts, le président de la cour d'assises serait libre de retarder la convocation.

Ce système va évidemment contre le vœu de la loi, et s'il était adopté, on pourrait dans certaines provinces retarder de six mois la session de la cour d'assises. Cet inconvénient ne peut pas se présenter dans le système en vigueur aujourd'hui et en vertu duquel la cour d'assises tient une session tous les trois mois.

M. Orts. - Je ferai simplement remarquer ceci à M. le ministre de la justice : dans son système, le juge du jour qu'il convient de fixer pour l'ouverture de la session est le premier président de la cour d'appel.

Le premier président ne connaît pas directement l'état des affaires criminelles de son ressort, parce que ce n'est pas là son devoir.

Dans mon système, le jour d'ouverture serait fixé par le président de la cour d'assises, lequel a mission et devoir de se tenir au courant de l'état de l'instruction des affaires destinées au corps qu'il préside, qui a mission et devoir d'accélérer cette instruction en ce qui le concerne, et qui peut l'accélérer.

Vous faites décider la question par un magistrat qui ne peut la connaître personnellement. Je la fais décider par qui la connaît et doit la connaître.

M. Guillery. - Le désir exprimé par les honorables membres qui viennent de prendre la parole est de diminuer la durée de la détention préventive. Dans le système actuel, s'il était appliqué strictement, la détention préventive pourrait se prolonger très longtemps, puisque les affaires qui ne sont pas en état lors de l'ouverture des assises pourraient n'être jugées que dans le trimestre suivant. Je sais que dans la pratique le président de la cour d'assises, d'accord avec le procureur général, apporte des tempéraments à la rigueur de la loi et qu'on juge, dans une session, le plus d'affaires possible. Mais enfin puisque nous faisons une loi, il vaut mieux la faire bonne.

Si l'on supprimait de l'article 90 les mots : « et qui étaient en état lors de leur ouverture » l'article resterait ainsi conçu : « Elles ne peuvent être closes qu'après que toutes les affaires qui y sont renvoyées, y auront été portées. »

Toutes les affaires renvoyées avant la clôture devraient être jugées afin de ne pas laisser des accusés en état de détention pendant un temps très long.

M. Orts. - Je crois que M. Guillery, pour compléter son amendement, devrait y ajouter que les choses se passeront ainsi si l'accusé y consent, car il doit être bien entendu que cela ne pourra jamais se faire que du consentement de l'accusé.

MPVµ. - Il faut une autre rédaction.

M. Guillery. - Si l'idée est acceptée par la Chambre et par M. le ministre de la justice, nous pourrons remettre à demain la discussion de l'article.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je ne vois aucun inconvénient à adopter le fond de l'idée de l'honorable membre. Ce qu'il veut, c'est que les cours d'assises jugent le plus tôt possible les affaires qui leur sont renvoyées. Mais il peut se produire des cas où l'accusé lui-même a intérêt à ce qu'il ne soit pas jugé sur-le-champ. Ainsi pendant que la cour est réunie, elle peut être saisie par la chambre des mises en accusation d'une affaire nouvelle. L'accusé n'a pas eu le temps de préparer sa défense. On ne peut le contraindre à se présenter devant la cour.

Si le premier président convoquait la cour d'assises lorsque les besoins l'exigent, l'amendement de M. Guillery est inutile. (Interruption.) Du reste, d'ici à demain je veux bien l'examiner.

M. Guillery. - Je vois avec plaisir que nous sommes d'accord quant au fond, mais je tiens à bien préciser ma pensée.

Notez que, d'après l'article qui est en vigueur aujourd'hui, un accusé peut parfaitement être pris au dépourvu, comme on le suppose dans le système de mon amendement.

Lorsque, le jour de l'ouverture, une affaire est en état, elle doit être jugée, et l'accusé serait exposé, dans ce cas, à ne pas pourvoir préparer sa défense tout comme dans le cas signalé par l'honorable M. Orts. Le but de mon amendement est de laisser aux accusés toutes les garanties qu'ils ont aujourd'hui et de leur accorder le droit d'être toujours jugés lorsque l'affaire est en état avant la clôture de la session.

M. le président. - Il est donc entendu que l'article 90 est réservé.

Article 91

« Art. 91. L'ordonnance portant fixation du jour de l'ouverture des assises, ou la délibération qui en indique le jour et le lieu, est publiée par affiches et par lecture qui en est faite dans tous les tribunaux de première instance du ressort, huit jours au moins avant l'ouverture. »

- Adopté.

Article 92

« Art. 92. Dans toutes les provinces, la cour d'assises est composée :

« 1° D'un membre de la cour d'appel, délégué à cet effet par le premier président et qui sera le président des assises ;

« 2° De deux juges pris parmi les présidents et les juges les plus anciens du tribunal de première instance du lieu de la tenue des assises, et, en cas d'empêchement des uns ou des autres à raison de leur service ou pour autre cause légitime, parmi les juges qui les suivent immédiatement dans l'ordre du tableau ;

« 3° Du procureur général ou de l'un de ses substituts dans la province où siège la cour d'appel, et, dans les autres provinces, du procureur du roi ou de l'un de ses substituts près du tribunal de première instance du lieu de la tenue des assises, à moins que le procureur général ne se réserve de porter lui-même la parole ou ne délègue ses fonctions à l'un de ses substituts près la cour ;

« 4° Du greffier du même tribunal.

« La cour d'appel pourra cependant déléguer un ou plusieurs de ses membres, pour compléter le nombre de trois juges de la cour d'assises. »

« Amendement de la commission :

« Dans toutes les provinces, les assises sont tenues par trois membres de la cour d'appel, dont l'un sera président.

« Le premier président de la cour nomme, pour chaque tenue des cours d'assises, un membre de ladite cour pour les présider. Il peut les présider lui même quand il le juge convenable.

« Le premier président de la cour nomme aussi les deux conseillers qui devront assister le président aux assises et leur adjoint un membre suppléant.

« Le procureur général ou l'un de ses substituts y remplit les fonctions du ministère public.

« Le greffier en chef ou l'un des greffiers de la cour y exerce les fonctions de greffier. »

M. Lelièvreµ. - La composition des cours d'assises donne lieu a de sérieuses difficultés. Il s'agit de savoir si nous adopterons le système proposé par le gouvernement ou si nous appellerons trois conseillers de la cour d'appel à composer les cours d'assises, magistrats qui se (page 280) rendraient au chef-lieu de chaque province. En ce qui me concerne, je me rallie à l'avis énoncé au projet.

L'état de choses réglé par la loi de 1849 n'a donné lieu à aucun inconvénient. Seulement on a cru que dans le but de ne pas désorganiser le service des tribunaux des provinces, l'on devait pouvoir convier à faire partie de la cour d'assises les juges du tribunal, sans rendre indispensable la présence des présidents et vice-présidents.

Sous ce rapport, je considère comme heureuse la modification proposée. Mais il me semble préférable de maintenir, pour le surplus, le régime en vigueur. En effet, ne perdons pas de vue que détacher d'une cour trois conseillers qui devront se rendre au chef-lieu de chaque province pour composer les cours d'assises, c'est désorganiser complètement le service des cours d'appel, c'est entraver l'expédition des affaires pour un terme assez long, c'est rendre indispensable une augmentation du personnel de ces dernières cours. Quand chaque trimestre trois conseillers devront quitter leur siège pour aller s'occuper des assises pendant un temps indéterminé, et peut-être très long, les hommes d'expérience peuvent déjà se faire une idée des inconvénients auxquels l'absence de ces magistrats donnera nécessairement lieu au siège de la cour d'appel.

Les plaidoiries commencées seront suspendues, les décisions seront retardées et souvent l'on sera obligé de plaider de nouveau des affaires qui étaient sur le point d'être jugées.

D'autre part, le service des cours souffrira évidemment de l'absence de trois conseillers, qui doit nécessairement affecter d'une manière notable l'expédition régulière des affaires.

Il est évident que cet ordre de choses donnera forcément lieu à une augmentation du personnel des cours d'appel. En effet celles-ci ne manqueront pas de se plaindre de l'insuffisance du personnel et elles invoqueront des motifs irrécusables, dans l'opinion que je combats.

Au reste, le régime qu'on veut introduire occasionnera un accroissement notable des frais de justice, chaque conseiller devant recevoir une juste indemnité.

Il n'existe d'ailleurs aucun motif sérieux justifiant la proposition de la commission. Tous ceux qui ont vu fonctionner la loi de 1849 peuvent attester que la justice a été parfaitement rendue par les cours d'assises telles qu'elles sont composées par cette disposition législative, et je ne vois aucune nécessité d'introduire, à cet égard, des changements qui ne me paraissent pas même avoir une utilité réelle. D'abord, c'est le jury qui statue irrévocablement, et, à cet égard, ne perdons pas de vue qu'aujourd'hui, l'accusé déclaré coupable par le jury à la simple majorité de sept voix contre cinq, ne peut être condamné que dans le cas où la majorité de la cour se réunit à la majorité de jury. Donc, l'accusé ne peut être condamné que par neuf voix contre six. Or, en pareille occurrence, il y a preuve de culpabilité suffisante pour qu'il intervienne condamnation. Les cours d'assises ne sont, du reste, appelées, en général, qu'à appliquer la peine, et toutes leurs décisions en droit sont soumises à la censure de la cour suprême.

Je persiste donc à penser que le projet du gouvernement donne satisfaction à tous les intérêts légitimes, et, en ce qui me concerne, je suis convaincu qu'il est préférable aux propositions de la commission.

M. Watteeuµ. - Je ne puis en aucune façon partager les idées que vient d'émettre l'honorable M. Lelièvre. Il trouve que la loi de 1849 a fonctionné jusqu'à présent à la satisfaction de tout le monde et que, par conséquent, il n'y a pas lieu de la modifier. Non seulement, je ne partage pas cette manière de voir, mais je voudrais que la réforme allât plus loin que ne le propose la commission.

De toutes les juridictions, celle de la cour d'assises est appelée à remplir les fonctions les plus délicates, les plus importantes : elle a dans ses attributions tout ce qui touche à la vie, à la liberté et même à la fortune des justiciables. Je dis : à la fortune des justiciables, car il ne faut pas oublier que la cour d'assises est appelée à prononcer sur les dommages-intérêts que réclame la partie civile.

Or, je ne comprends pas que jusqu'ici, et par des modifications successives, une juridiction aussi importante ait été tant de fois tiraillée. Je dis : tant de fois tiraillée, car il en est peu, je pense, qui aient subi plus de fluctuations.

Nous avons vu les cours d'assises composées tantôt de trois magistrats, tantôt de cinq ; tantôt de magistrats appartenant au même degré, puis de magistrats du premier et du second degré. C'est actuellement ce dernier système qui fonctionne encore.

A mes yeux, c'est là une véritable anomalie, une anomalie que je désire voir disparaître de notre législation pour une bonne fois, alors surtout qu'on s'occupe de la réorganisation judiciaire. Et comme il s'agit d'une véritable loi organique, nous ne pouvons y prêter assez d'attention ; nous ne pouvons vouloir qu'une disposition qui puisse désormais avoir, sans critique fondée, une certaine durée.

Je trouve d'abord une grande contradiction qu'il importe de signaler. Pour la décision de la chambre de mise en accusation qui précède le renvoi devant les assises, on réclame le concours de cinq magistrats ; c'est là certainement une grande garantie donnée à l'accusé. Or, ce que je ne comprends pas, c'est qu'après avoir donné cette première garantie dans l'intérêt unique du prévenu, on se contente de trois magistrats pour prononcer en définitive sur le sort de l'accusé.

D'un autre côté, vous le savez, messieurs, quand un fonctionnaire est poursuivi pour avoir commis un délit, on lui enlève le premier degré de juridiction. Il n'est pas appelé à comparaître devant le tribunal correctionnel, il va directement devant la cour d'appel, où il est jugé par la première chambre. Mais, du moins, si on lui enlève le premier degré de juridiction, il a cette garantie d'être jugé par cinq conseillers. Si, au contraire, il s'agit d'un accusé envoyé devant la cour d'assises, il ne subit également qu'une épreuve judiciaire ; il n'a également qu'un degré de juridiction, et cependant, quoiqu'il s'agisse de faits beaucoup plus graves, pouvant entraîner des peines beaucoup plus fatales pour lui que celles qu'il pourrait encourir devant une juridiction correctionnelle, il ne trouve là que trois magistrats pour appliquer la peine.

M. Coomans. - Il y a douze jurés.

M. Watteeuµ. - J'ai prévu l'objection. Je sais qu'on pourra me répondre que la cour d'assises n'a pas à apprécier les faits, qu'elle n'a qu'à appliquer la peine. Mais on oublie qu'il est des circonstances où le rôle principal est entièrement dévolu à la cour d'assises ; et c'est là un point qu'il importe de ne pas perdre, de vue. Puis, quand le fait est déclaré constant par le jury, l'application de la peine avec l'échelle qui existe, n'est-ce donc rien ?

L'appréciation des dommages-intérêts, elle n'appartient nullement au jury ; elle est entièrement dévolue à la cour d'assises ; encore une fois n'est-ce donc rien ? Comment ! si j'ai à me défendre contre une réclamation de quelques milliers de francs, j'aurai toutes les garanties désirables : j'aurai d'abord le tribunal de première instance, composé de trois magistrats ; puis la cour d'appel composée de cinq magistrats. Et parce que j'aurai le malheur d'être traîné devant la cour d'assises et que non seulement ma liberté mais encore ma fortune seront en cause, je n'aurai plus qu'un seul degré de juridiction où je ne rencontrerai que trois magistrats.

Oublie-t-on encore que si la cour d'assises a la conviction que le jury s'est manifestement trompé, elle peut, malgré son verdict, renvoyer l'affaire à une autre session ? C'est là une garantie précieuse, parce que la loi a compris que des personnes étrangères à l'administration de la justice pouvaient, par erreur, par distraction, émettre un oui fatal là où peut-être elles eussent voulu émettre un non.

Eh bien, dans ce cas il appartient à la cour d'assises, malgré la déclaration du jury, de renvoyer l'accusé à la session suivante. C'est encore là une garantie très précieuse, car elle a pour effet de prévenir les accusés contre les distractions ou les erreurs du jury.

Or, cette garantie qui est si précieuse quand on songe aux questions graves qui s'agitent devant les cours d'assises, cette garantie, l'accusé la trouve-t-il encore quand il n'a plus que trois magistrats pour prononcer la peine ?

Maintenant, messieurs, le projet va même jusqu'à prévoir la possibilité de composer les cours d'assises de deux conseillers et d'un juge. Mais, messieurs, il ne faut pas perdre de vue que les hommes sont les mêmes partout. Or, que voulez-vous que fasse un juge à côté de deux autres magistrats qui sont ses supérieurs, qui, dans la hiérarchie judiciaire, sont ses chefs ? De quelle liberté voulez-vous qu'il jouisse quand il aura à émettre son avis, quand il aura à délibérer à côté de deux magistrats qui sont hiérarchiquement ses supérieurs ?

Ce sont là, messieurs, autant d'anomalies que je regrette de voir dans un projet d'organisation où j'aurais voulu, au contraire, que les accusés trouvassent des garanties sérieuses, des garanties telles, qu'en sortant de la cour d'assises il ne puisse pas douter si la sentence qui l'a condamné n'eût pas été autre si la cour avait été autrement composée.

Ces courtes considérations me déterminent, messieurs, à proposer un amendement qui, contrairement au système préconisé par l'honorable M. Lelièvre, tend à composer les cours d'assises de cinq conseillers, afin de rendre la justice homogène et de prévenir l'anomalie qui existe aujourd'hui.

(page 281) Et s'il est vrai de dire qu'on ne peut pas signaler des abus ou des inconvénients résultant du système actuel, on pourrait dire la même chose des tribunaux qui jugent en dernier ressort. L’honorable M. Lelièvre peut-il soutenir que bien des justiciables ne déplorent pas de ne pas avoir un autre recours à exercer ?

Ce n'est pas une raison, parce que l'on ne signale pas d'inconvénients, de ne pas les prévoir, de ne pas les apprécier. Faites un pas de plus, et vous aurez alors, comme en d'autres pays, certaines juridictions qui rendront la justice par l'organe d'un seul magistrat.

Je proposerai donc un amendement ainsi conçu :

« Dans toutes les provinces, les assises sont tenues par cinq membres de la cour d'appel, dont l'un sera président.

« Le premier président de la cour nomme, pour chaque terme des cours d'assises un membre de ladite cour pour les présider. Il peut les présider lui-même quand il le juge convenable.

« Le premier président de la cour nomme aussi les quatre conseillers qui devront assister le président aux assises. »

M. Coomans. - Je demande la parole pour proposer l'ajournement de la discussion sur cet amendement, qui est très important. Nous ne pouvons pas, je pense, vider aujourd'hui ce débat. Sans vouloir en faire le moindre reproche à qui que ce soit, je dois dire qu'on abuse peut-être de cette présentation tardive d'amendements. La proposition de l'honorable M. Watteeu, je le répète, est très importante ; à première vue, je la repousse, surtout à cause de l'augmentation de dépense qui doit en résulter ; elle vaut la peine d'être examinée ; examinons-la donc d'ici à demain ou à après-demain. Peut-être même la commission spéciale pourrait-elle être priée de faire un rapport supplémentaire.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je dois croire que l'honorable M. Coomans n'a pas lu le rapport de son honorable ami, M. Nothomb ; l'honorable M. Nothomb traite tout au long dans son rapport la question que soulève l'amendement de l'honorable M. Watteeu.

Ce que celui-ci propose existait autrefois ; il n'y a donc rien de nouveau dans le système de l'honorable M. Watteeu ; la commission l'a repoussé, et elle a dit pourquoi.

M. Orts. - J'avais demandé la parole pour dire à l'honorable M. Coomans que l'amendement de l'honorable M. Watteeu a été soumis à la commission ; qu'elle l'a discuté dans son rapport et qu'elle l'a repoussé un peu, je regrette de l'avouer, par des considérations d'économie, ensuite et surtout parce que la présence de trois conseillers offrirait déjà des garanties considérables, eu égard à ce qui se passe aujourd'hui.

M. Delaetµ. - Messieurs, j'ai eu l'honneur de déposer un amendement dont M. le président donnera lecture tout à l'heure, mais dont je me permets de vous parler, parce qu'il ne se rattache pas à l'article en discussion. Je ne puis laisser passer le débat actuel sans rencontrer un point qui a un rapport intime avec l'amendement que j'ai présenté.

L'honorable M. Watteeu propose, de composer la cour d'assises de cinq membres de la cour d'appel ; la commission, de trois membres de la même cour. Au point de vue où je me place, la proposition de M. Watteeu doit être écartée forcément, et celle de la commission n'est pas acceptable.

On s'est plaint, et à bon droit, des abus graves auxquels l'emploi de la langue française donne lieu devant les cours d'assises dans les provinces flamandes. Il y a moyen de remédier à ces abus, et l'amendement que j'ai eu l'honneur de déposer avec 19 de mes honorables collègues a pour but d'y remédier.

Mais si l'on fait tenir la cour d'assises dans les provinces flamandes par des membres de la cour d'appel, et qu'il n'y ait que trois de ces conseillers, il arrivera très souvent que parmi eux il y en ait un qui ne comprenne pas la langue de l'accusé ; tout se ferait donc par traduction ; l'abus serait coûteux et ce qui serait pis, il éterniserait une criante injustice envers l'accusé flamand. Dans toute question judiciaire, c'est l'intérêt de l'accusé qui doit primer tout, dominer même l'intérêt social. Or, le premier intérêt de l'accusé est d'être entendu et jugé dans sa langue, c'est-à-dire de comprendre tout le monde et d'être compris par tout le monde, par le président, par le ministère public et parles jurés.

Ainsi que l'a dit l'honorable M. Van Wambeke, il arrive souvent que dans les provinces flamandes les jurés ne comprennent pas le français. Vous allez donc avoir, quant à l'usage des langues, des conflits à chaque instant aux cours d'assises ; d'après le mode actuel de composition qui n'a donné lieu à aucune plainte, il y a moyen de faire présider les assises dans les provinces flamandes par un conseiller du cour d'appel qui connaît la langue des accusés.

A ce point de vue, le système proposé par l'honorable M. Watteeu est, comme je l'ai dit, devenu radicalement impossible ; le système de la commission ne peut être admis. Je me réserve de revenir sur la matière, lorsque j'aurai l'honneur de développer mon amendement.

M. le président. - J'ai en effet reçu une disposition additionnelle dont je comptais donner lecture, à la fin de la séance, parce qu'elle ne se rapporte pas à la discussion actuelle. Je demande cependant la permission de la faire connaître dès à présent.

La disposition additionnelle qui est proposée par M. Delaet et par 19 de ses collègues et qui formerait un article additionnel, est ainsi conçue :

« Art. 137 (additionnel au titre II). Dans les provinces d'Anvers, de la Flandre occidentale, de la Flandre orientale, du Limbourg et dans les arrondissements judiciaires de Bruxelles et de Louvain nul ne peut être nommé à des fonctions judiciaires, s'il ne connaît la langue flamande. »

Je pense qu'il entre dans les intentions de la Chambre d'entendre ultérieurement les développements de cette proposition. (Oui ! oui !) Il en sera donc ainsi.

En attendant, la proposition sera imprimée et distribuée.

Voici l'amendement proposé par M. Watteeu :

« Dans toutes les provinces les assises seront tenues par cinq membres ; de la cour d'appel dont l'un sera président.

« Le premier président de la cour nomme, pour chaque terme des cours d'assises, un membre de ladite cour pour les présider. Il peut les présider lui-même quand il le juge convenable..

« Le premier président nomme aussi les quatre conseillers qui devront assister le président aux assises. »

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je tiens à faire connaître l'opinion du gouvernement sur l'article qui est en discussion.

Comme je l'ai déjà dit, il est impossible au gouvernement de se rallier au système proposé par la commission pas plus qu'au système proposé par l'honorable M. Watteeu. Du reste, le rejet du système de la commission implique le rejet du système de M. Watteeu.

Messieurs, voici les raisons pour lesquelles je ne puis admettre ces systèmes.

Lorsqu'on a critiqué l'organisation actuelle de la cour d'assises, on l'a fait surtout à cause des embarras, du trouble que cette organisation apportait dans le service des tribunaux de première instance, et si je ne me trompe, l'honorable M. Guillery a motivé une proposition qu'il a faite dans le sein de cette Chambre, en faisant voir tous les inconvénients qui résultaient d'un système qui obligeait le président d'un tribunal important à aller siéger pendant, trois à quatre semaines à la cour d'assises et à laisser en souffrance les affaires du tribunal.

Cet inconvénient était réel, il sautait aux yeux de toutes les personnes qui approchaient de la magistrature et qui savaient quelles étaient les nécessités du service. En effet, à un tribunal important on enlevait son chef ; pendant la durée des assises ce magistrat devait renoncer aux fonctions si nombreuses qu'il a à remplir.

Le système du gouvernement pare à cet inconvénient, y apporte un remède complet.

Que fait-il ? Il conserve le conseiller président ; il conserve aussi, comme assesseurs de ce conseiller, le président et le vice-président du tribunal de première instance. Mais le projet ajoute que si le président ou le vice-président sont empêchés, soit à raison de leur service, soit pour autre cause légitime, ils sont remplacés par un des juges les plus anciens dans l'ordre du tableau.

Ce système est parfaitement rationnel.

On objecte que la cour d'assises juge souverainement et qu'elle ne se compose que de trois juges. Mais que l'on adopte le système de la commission, ou le système de l'honorable M. Watteeu, ou le système du gouvernement, la cour jugera toujours sans appel.

M. Watteeuµ. - Oui, mais il y a plus de garanties.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Nous allons voir. Donc, sous ce premier rapport, vous ne pouvez formuler de grief ; le fait qu'il n'y a pas d'appel résulte de la constitution même de la cour d'assises.

L'honorable M Watteeu formule un autre grief, celui de l'importance des questions qui sont soumises aux cours d'assises. Or, cette importance n'est pas aussi considérable que veut bien le dire l'honorable membre.

(page 282) En effet, de quoi s'agit-il pour la cour d'assises ? Il s'agit de délibérer sur des incidents. Voilà les questions les plus graves. En second lieu, il y a l'application de la peine.

Or, les magistrats de première instance et le conseiller-président sont parfaitement aptes à trancher les difficultés qui se présentent à cet égard.

Mais, dit l'honorable membre, on peut avoir à statuer sur les réclamations de dommages-intérêts et voyez l'inconséquence : Lorsqu'on réclame des dommages-intérêts devant le tribunal de première instance, on a un recours à la cour d'appel.

Mais est-ce que la partie civile est obligée d'aller réclamer des dommages-intérêts devant la cour d'assises ? Qu'elle laisse l'arrêt intervenir ; elle ira ensuite devant le tribunal de première instance et elle pourra en appeler à la cour.

Mais, si la partie civile prend une voie plus expéditive, celle de la cour d'assises, est-ce pour une question d'argent ? Non, au contraire ; on obtient souvent moins devant une cour d'assises que devant un tribunal civil. Quand on se porte partie civile devant la cour d'assises, c'est qu'il y a d'autres intérêts en jeu que des intérêts matériels. La partie civile a donc le choix entre deux voies. Elle peut se pourvoir devant la cour d'assises et elle peut recourir aux tribunaux ordinaires.

M. Watteeuµ. - C'est l'accusé dont les intérêts ne sont pas sauvegardés.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Nous allons y arriver ; je suis l'ordre des arguments de l'honorable membre.

Je crois avoir démontré que tant sous le point de vue de l'application de la peine que sous le point de vue des intérêts de la partie civile, l'organisation de la loi de 1849 ne sera pas défectueuse.

Mais, dit-on, il faut à l'accusé plus de garanties.

Eh bien, je le demande, quels sont les inconvénients qu'on a signalés ? L'honorable membre dit qu'il faut aller au-devant des inconvénients ; je ]e veux bien, mais à une condition : c'est que la pratique faite de la loi me démontre qu'il va y avoir des inconvénients.

Quand je vois une loi fonctionner pendant vingt ans sans autres inconvénients que ceux qui ont été signalés par l'honorable M. Guillery, à savoir que les présidents de sièges importants sont arrachés, contrairement à l'intérêt du service, à leur tribunal, je demande que l'on signale les grandes erreurs judiciaires, les grandes erreurs d'application du droit qui ont été commises.

Il faut le constater à l'honneur des cours d'assises, la cour de cassation casse rarement leurs arrêts.

Se plaint-on d'une exagération dans l'application de la peine ? Jamais pareille plainte n'a été formulée.

Il ne faut pas oublier que pour la garantie des accusés il y a autre chose que la cour, il y a le jury. Le jury, voilà le véritable juge.

Dès que l'individu est condamné par la sentence du jury, il n'y a plus que l'application de la peine. Eh bien, je dis que, pour l'application de la peine, un conseiller suffit, et il est très probable que sans nos habitudes qui veulent qu'il y ait en cour d'assises un peu d'apparat, un peu de solennité, on pourrait adopter sans inconvénient le système anglais et faire prononcer la peine par un seul juge, comme en Angleterre. Mais j'admets que nos idées ne sont pas faites à cela. On ne peut se figurer qu'on est devant un tribunal criminel, lorsque l'on est devant un seul homme et il faut l'encadrer de deux assesseurs. Mais il faut le faire en troublant le moins possible le service de la justice. Il n'y a pas eu d'inconvénient jusqu'à présent. Il n'y en aura pas, à l'avenir, davantage.

Voyons où conduirait le système de la commission et de l'honorable M. Orts.

Quant au système de l'honorable M. Watteeu, je pourrais dire que je ne sais pas quels en seraient les avantages, si ce n'est d'avoir l'harmonie dans la cour d'assises, mais il faudrait immédiatement doubler les cours d'appel. Car, dans le ressort de Bruxelles, on a devant la cour d'assises de Bruxelles des affaires quelquefois très longues et très importantes qui peuvent durer un mois entier. Or, comme la loi exige qu'il y ait une session tous les trois mois, que fera-t-on lorsqu'on aura une affaire semblable à Anvers et une affaire aussi importante à Mons ? Il faudra déléguer en province 15 conseillers et 3 suppléants, de telle sorte que la cour d'appel de Bruxelles perdra 18 conseillers A moins de doubler le nombre des conseillers, je ne sais comment les chambres ordinaires pourraient siéger. Ce système est-il pratique ?

Je ne nie pas que le système de M. Watteeu ne soit très beau, très complet, très homogène. Je ne dis pas que ces magistrats rendront moins bien la justice que ceux qui composent les cours d'assises dans le système actuel, mais pour faire une pareille dépense, il faut qu'on démontre les avantages ; or je ne les aperçois pas.

Je crois que les modifications introduites par le projet du gouvernement répondront à tous les besoins. Si l'on veut aller plus loin et composer la cour d'assise de cinq ou de trois conseillers on entraînera le pays dans de grandes dépenses sans obtenir aucun avantage appréciable.

M. Guillery. - Messieurs, le système actuel a produit des résultats de deux espèces différentes. Je les ai signalés toutes les deux dans les développements auxquels l'honorable ministre de la justice vient de faire allusion, mais le gouvernement n'a eu égard qu'à l'une de ces catégories d'inconvénients : c'est que le service des tribunaux de première instance est entravé par ce fait que le président, et un vice-président du tribunal sont, pendant un temps quelquefois très long, distraits de leurs importantes fonctions. Sur ce point, le gouvernement me donne parfaitement raison.

Mais il est un autre point qu'il a passé sous silence, c'est l'importance de la mission des cours d'assises, et sur ce point, loin de faire droit aux réclamations de l'opinion publique, de la magistrature et du barreau, il aggrave le mal.

Lorsque le législateur de 1849 a modifié le système qui composait la cour d'assises d'autant de membres que les cours d'appel (chambres civiles), il a compris qu'il fallait mettre, à côté d'un conseiller président, des magistrats qui eussent au moins son importance, approchant de celle du président, et l'on a pris les deux fonctionnaires les plus importants du tribunal de première instance ; l'on trouvait dans la qualité de ces fonctionnaires qui sont presque toujours des magistrats d'élite, on trouvait dans l'importance de ces magistrats une compensation à la réduction du nombre des membres de la cour.

Aujourd'hui, le président et le vice-président pourront se dispenser de siéger à raison de leur service ; le juge le plus ancien, qui n'est pas toujours le plus capable, pourra les remplacer et on pourra descendre même jusqu'aux plus jeunes membres du tribunal.

M. Wasseige. - Et jusqu'aux juges suppléants.

M. Guillery. - Voilà donc les magistrats composant une cour de justice, qui se trouvent être des juges du tribunal de première instance.

N'est-ce pas là une anomalie ?

Si l'on consultait les personnes les plus étrangères au barreau et à l'étude du droit, ne diraient-elles pas qu'il y a là quelque chose qui blesse les idées de justice et de hiérarchie ?

Et, messieurs, si nous descendons à l'examen de la procédure criminelle, nous verrons combien cette première impression est fondée.

Il y a, dans l'instruction criminelle, des procédures préparatoires aux deux degrés de juridiction qu'il y a dans la procédure civile et dans la procédure correctionnelle.

Le prévenu est jugé par la chambre du conseil, composée de juges de première instance ; puis la chambre des mises en accusation, offrant toutes les garanties d'indépendance et de lumières, composée de cinq conseillers, vient examiner si les charges sont assez graves pour qu'il puisse être renvoyé devant la cour d'assises.

Et c'est un accusé ainsi jugé accusable, si vous me permettez cette expression, qui va être soumis en dernier ressort par un tribunal de moindre importance, composé de magistrats d'un ordre inférieur.

L'honorable ministre de la justice a réduit singulièrement les fonctions de la cour d'assises et il voudrait même qu'il n'y eût qu'un seul juge, comme en Angleterre, ce qui me fait supposer qu'il n'a pas étudié à fond la procédure criminelle de l'Angleterre. Ne parlons pas de l'Angleterre sans la connaître et surtout ne cherchons pas à l'imiter dans ce qu'elle offre d'abusif et surtout ne l'imitons pas dans les abus qui sont condamnés aujourd'hui par l'opinion publique dans ce pays.

Mais nous sommes en Belgique ; parlons de la Belgique : le juge unique n'est pas le principe de la législation du continent et cinq magistrats sont jugés nécessaires pour décider si une somme de 2,000 fr. doit appartenir à Paul ou à Jacques, cinq magistrats sont jugés nécessaires pour décider si des coups et blessures ont été infligés par un tel ou un tel. Je vois dans ce système, qui est traditionnel chez nous et qui est également pratiqué en France, j'y vois une garantie pour les justiciables. Il faut accepter ce système, ou refondre complètement notre législation, en changeant nos traditions et nos mœurs.

La cour d'assises a une importance incontestable et vous l'avez augmentée encore en lui donnant l'appréciation des circonstances atténuantes.

(page 283) Je disais : La chambre des mises en accusation qui renvoie devant la cour d'assises, la chambre des mises en accusation a souvent des questions de droit a juger, entre autres celle-ci : Le fait constitue-t-il un crime ?

Si la qualification du fait est douteuse, soyez persuadés que l'accusé fera devant la cour d'assises les mêmes efforts qu'il a faits par son mémoire écrit devant la chambre des mises en accusation pour démontrer que le fait dont il s'agit n'est pas puni par la loi. Dès lors la cour d'assises aura à résoudre cette même question de droit, déjà décidée par la chambre des mises en accusation.

Voilà donc une cour composée de trois magistrats, un conseiller et deux membres du tribunal de première instance, qui va avoir à juger une question qui a déjà été résolue par 5 membres de la cour d'appel, et si vous jugez qu'il faille la garantie de 5 magistrats de la cour d'appel quand il s'agit d'une procédure provisoire, qu'il faille la garantie de 5 magistrats pour les appels correctionnels, croyez-vous que ce soit trop de 5 magistrats lorsqu'il s'agit de juger définitivement ?

Devons-nous nous inquiéter, dans une circonstance pareille, de la question de savoir s'il en coûtera quelques milliers de francs de plus ?

On dit que la cour d'assises n'a que de simples incidents à juger ; mais ces simples incidents, c'est tout simplement la garantie de l'accusé ; mais ces simples incidents, c'est la question de savoir si les règles protectrices de la défense des accusés devant les tribunaux sont ou ne sont pas respectées. Je sais moins ce qui se passe aujourd'hui, n'ayant plus l'honneur de plaider dans les cours d'assises ; mais dans ma jeunesse, pendant que le code d'instruction criminelle était en vigueur, je plaidais souvent en cour d'assises. Eh bien, j'ai vu fréquemment que ces cours composées de 5 membres donnaient tort à leur président. J'ai vu renvoyer une affaire à une autre session, contre l'avis du président.

Vous qui voudriez qu'il n'y eût qu'un seul juge, vous voudriez désarmer la défense.

J'ai vu souvent, lorsque le président refusait à l'accusé de poser certaines questions, la cour, sur les conclusions prises par le conseil de l'accusé, forcer le président à poser ces questions.

Est-il donc dans nos codes une partie plus importante que celle-là ? Est-il une mission qui touche de plus près à ce qu'il y a de plus sacré dans la société, que celle de la défense devant la cour d'assises ? Et nous irions nous occuper de la question de savoir s'il faut ajouter deux magistrats à la cour d'assises lorsqu'il s'agit de garanties qu'on ne peut refuser aux accusés sans compromettre la société elle-même.

J'arrive, messieurs, à une matière moins importante, mais puisque nous comparons les cours d'assises aux cours d'appel, je dirai que si la cour d'appel, institué comme elle l'est, a de l'importance à raison de ses fonctions, la cour d'assises, en matière civile, en a de plus importants.

On dit, messieurs, que la partie civile n'a pas besoin, pour exercer son action, de choisir la cour d'assises.

Mais l'accusé a-t-il le choix ?

Moi, accusé, je suis poursuivi, non seulement par le ministère public, mais par la partie civile. Puis-je dire à la partie civile : Attendez, nous irons vider notre contestation devant le tribunal civil ? La partie civile a choisi la voie criminelle, parce qu'elle a cru qu'elle avait ainsi plus de chance d'obtenir gain de cause. Mais lorsque l'accusé veut réclamer des dommages-intérêts contre son accusateur ou son calomniateur, a-t-il le choix des tribunaux civils ? Non, le code d'instruction criminelle lui refuse cette faculté. S'il a connu son dénonciateur avant l'arrêt, il doit prendre des conclusions immédiatement.

J'ajoute encore un cas de la plus haute importance. Voyez ce qui se passe en matière de faux.

L'article 463 du code d'instruction porte : (L'honorable membre lit cet article.)

Voilà donc la cour d'assises statuant sur les questions les plus importantes qui puissent être soumises à une cour de justice. Ainsi, en matière civile comme en matière criminelle, l'importance de la cour d'assises est considérable. On vous a rappelé tout à l'heure, je n'ai pas à y revenir, l'importance des attributions des cours d'assises.

En matière civile, les attributions de la cour d'assises sont tout aussi importantes que celles d'une cour d'appel.

Dès lors, je demande que les garanties des accusés soient les mêmes que celles qui sont données à des personnes qui, en définitive, ne contestent, ne plaident, que pour des intérêts purement matériels, purement civils.

Les institutions judiciaires, pas plus que les autres institutions humaines, ne peuvent être parfaites, mais lorsque nous voyons que, même avec les organisations les plus parfaites, des erreurs judiciaires sont commises, nous, législateurs, nous ne pouvons nous trouver en paix avec notre conscience que lorsque nous pouvons dire : Nous avons fait tout ce qui était en notre pouvoir pour donner aux accusés toutes les garanties possibles.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, je n'ai qu'un mot à dire dans l'intérêt de la discussion.

L'honorable M. Guillery prétend que j'ai méconnu les principes en ce qui concerne l'instruction criminelle, et que j'ai eu tort d'avancer qu'en Angleterre il n'y avait qu'un seul juge.

Si je me suis trompé, je l'ai fait en assez bonne compagnie.

M. Guillery. - Ce n'est pas cela que j'ai dit.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Tous les griefs que j'ai élevés contre le système des honorables MM. Guillery et Watteeu, c'est un des criminalistes les plus distingués de France qui les a fait valoir, c'est Faustin Hélie.

Voici comment il répondait aux honorables membres : .

« Il est facile de répondre à ces critiques. On ne nie pas que le nombre actuel des membres de la cour d'assises puisse paraître une anomalie dans notre organisation judiciaire ; mais cette anomalie n'existe que pour ceux qui prétendent appliquer à cette juridiction des règles qui ne peuvent concerner que les juridictions permanentes. A ces juridictions il faut un nombre considérable de juges ; c'est là ce qui fait leur force et leur dignité. Mais il n'en est plus ainsi dans les assises, où les véritables juges ne sont pas les juges permanents, mais les jurés. Les magistrats ne viennent siéger à côté d'eux que pour diriger les débats, conduire leurs délibérations et faire à leurs déclarations l'application des lois. Leurs fonctions ne sont donc que secondaires et en quelque sorte subordonnées : c'est le jury qui prononce souverainement sur l'accusation. Comment donc trouver une analogie entre cette juridiction temporaire et composée d'éléments divers, et les chambres d'accusation et de police correctionnelle qui prononcent à la fois comme juges et comme jurés ?...

« ... Ils sont encore, à la vérité, investis du droit de statuer sur les exceptions, sur la position des questions, sur l'application des peines et sur les réparations civiles. Mais ils ne prononcent sur ces points qu'à la suite des débats les plus complets et les plus lumineux, et sous l'influence des impressions qu'ils recueillent dans le jury. Un seul juge suffit à cette tâche en Angleterre.»

Voilà où j'avais puisé mes renseignements.

« Comment trois juges n'y suffiraient-ils pas ? Que si d'ailleurs ces dernières attributions semblent trop pesantes, il en est peut-être quelques-unes que la loi pourra quelque jour circonscrire, comme, par exemple, le pouvoir d'arbitrer non le taux de la peine, mais sa nature, ou de fixer le droit à des dommages-intérêts. »

Ainsi donc, messieurs, c'est en compagnie d'un des plus grands criminalistes de France que je me suis permis de combattre le système de l'honorable M. Watteeu et l'amendement proposé par la commission.

MpVµ. - L'honorable M. Guillery a fait parvenir au bureau l'amendement qu'il avait indiqué à l'article 90 et qui a été réservé pour demain.

Voici cet amendement ; Supprimer les mots :

« Et qui étaient en état lors de leur ouverture. »

« Ajouter un paragraphe ainsi conçu :

« Néanmoins les affaires qui n'étaient pas en état lors de leur ouverture ne pourront être jugées que du consentement de l'accusé. »

- La séance est levée à 5 heures.