(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1867-1868)
(Présidence de M. Dolezµ.)
(page 229) M. Reynaert, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 1/4 heures.
M. Van Humbeeck, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. Reynaert, secrétaireµ, présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Des habitants d'Ixelles demandent le prompt achèvement de la nouvelle gare du Midi. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur des pétitions relatives au même objet.
« Le conseil communal de Laroche prie la Chambre d'accorder à la compagnie Forcade la garantie d'un minimum d'intérêt pour assurer l'exécution des deux lignes qu'elle avait à construire et de l'autoriser à supprimer les embranchements. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur les pétitions relatives au même objet.
« Des habitants de Merxplas prient la Chambre de rejeter les propositions de la commission militaire ; la réduction du budget de la guerre, l'égalité des Belges pour le service militaire et l'abolition du tirage au sort pour la milice. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget de la guerre et dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur des pétitions relatives au même objet.
« Le sieur Hainaut se plaint du prix de certains livres d'étude élémentaire et de l'obligation qu'imposent les professeurs à leurs élèves dans les écoles communales à Bruxelles, d'acheter annuellement de nouveaux livres. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« MM. de Haerne et Beeckman, obligés de s »absenter pour affaires, demandent un congé. »
- Accordé.
M. Lelièvreµ. - En 1865, j'ai déposé une proposition relative à la suppression de la peine du bannissement et du carcan. Le code pénal, en vigueur depuis le 15 octobre dernier, abolissant ces pénalités, ma proposition est devenue inutile et sans objet ; je déclare donc la retirer. Toutefois, je saisirai cette occasion d'appeler l'attention de M. le ministre de la justice sur la nécessité de réviser les arrêts portant des condamnations judiciaires en matière criminelle à l'égard des condamnés qui subissent actuellement les peines qu'ils ont encourues. La législation nouvelle, en divers cas, a supprimé les peines perpétuelles ; elle a remplacé, dans plusieurs dispositions, les pénalités anciennes par des peines plus modérées. Il est juste de faire jouir les condamnés du bénéfice de la loi nouvelle, et je prie M. le ministre de faire en sorte que la Couronne use du droit de grâce à l'effet de modifier l'exécution des condamnations dans le sens du code pénal publié récemment.
M. le président. - La déclaration de M. Lelièvre sera actée au procès-verbal ; il n'y a donc plus lieu pour la Chambre de s'occuper de cet objet.
M. Coomans. - Si la Chambre est lasse de m'entendre, chaque année, formuler les mêmes plaintes au sujet de l'accroissement continu de nos dépenses diplomatiques, je suis bien plus fatigué, moi, de les lui soumettre, d'autant plus que je n'ai pas obtenu jusqu'ici le moindre succès, ni le moindre encouragement.
Chaque année, depuis 1848, on accroît nos dépenses diplomatiques, lesquelles me répugnent d'autant plus que je n'en comprends aucunement l'utilité.
Je n'ai qu'à me répéter cette année. Encore une fois, on nous demande des augmentations assez considérables sans les justifier le moins du monde ; je veux dire sans nous présenter une justification quelque peu sérieuse et acceptable. On se borne à nous assurer que la dignité du pays, les besoins de la diplomatie belge exigent ces sacrifices ; on se borne à de simples affirmations qui ne comportent, de ma part, que de simples protestations.
Je dois pourtant rappeler à la Chambré, à la grande majorité de la Chambre qui paraît l'avoir oublié, qu'en 1848, en pleine crise européenne, alors que le talent de nos diplomates avait de quoi s'exercer, on diminua notablement nos dépenses diplomatiques. Depuis on a peu à peu rehaussé les chiffres ; on a même dépassé ceux de 1847 dans des circonstances où ils me paraissent moins justifiables que jamais. Ceci soit dit en thèse générale.
Deux mots encore an sujet d'une double nemahde que j'ai à présenter à l'honorable ministre des affaires étrangères ; d'abord je lui demanderai s'il y a quelque indiscrétion de ma part ou de celle de la Chambre à nous enquérir du point de savoir si le gouvernement belge a accepté l'invitation qui lui a été adressée d'assister à la conférence pour les affaires romaines.
En second lieu, je désirerais savoir quelles sont les intentions du gouvernement au sujet de nos prochaines relations avec le Mexique.
M. Lelièvreµ. - Je demande la parole.
M. Coomans. - Il va sans dire que je voterai contre toutes les dépenses diplomatiques non consulaires, mais je ne crois pas moins être en droit de formuler poliment les questions que j'ai l'honneur de vous soumettre.
M. Lelièvreµ. - Je crois devoir recommander au gouvernement de faire en sorte que, par l'intermédiaire de nos agents diplomatiques, il soit arrêté autant que possible des conventions avec les Etats étrangers à l'effet de supprimer les distinctions entre les régnicoles et les étrangers. Déjà, en Belgique, le droit de succéder a été admis à l'égard de tous. Le système que nous devons réaliser, c'est celui ayant pour objet d'assimiler les étrangers aux régnicoles en ce qui concerne l'exercice des droits civils. C'est ainsi qu'à mon avis il faut faire disparaître les entraves apportées à l'exercice des actions judiciaires de la part des étrangers, notamment la nécessité de fournir la caution judicatum solvi, comme cela se pratique déjà en matière de commerce. Or, pourquoi ne pas décréter, d'une manière générale, un principe qui, en matière commerciale, n'a donné lieu à aucun inconvénient ? Il importe que les jugements rendus et les actes passés dans un pays puissent être mis partout à exécution sur simples pareatis.
Nos relations internationales exigent que l'on s'écarte des idées étroites qui ci-devant présidaient à la législation concernant les étrangers. Les dispositions restrictives des droits de ceux-ci ne peuvent plus être maintenues. Telles sont les mesures de progrès que je recommande à la sollicitude de M. le ministre des affaires étrangères ; elles réaliseront des améliorations qui seront généralement appréciées.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je prendrai note des observations de l'honorable M. Lelièvre et je les signalerai à l'attention particulière de mon honorable collègue de la justice, dans les attributions duquel rentre plus spécialement l'examen des questions qu'il a, de nouveau, soulevées au sein de la Chambre.
Quant au premier orateur qui a pris la parole, je crois pouvoir me dispenser de répondre à la critique qu'il a faite des traitements alloués à (page 230) nos agents diplomatiques. Je n'ai pas remarqué que, dans aucune section pas plus qu'au sein de la section centrale, aucune réclamation se fut élevée sur les augmentations que j'ai proposées et qui, d'ailleurs, ne sont pas considérables.
Deux questions m'ont été adressées par l'honorable membre, et je dois dire qu'il était parfaitement dans son droit et que je ne vois aucun inconvénient à lui répondre.
D'abord, la Belgique a-t-elle été invitée à prendre part à la conférence proposée par le gouvernement français aux divers gouvernements européens ?
Oui, la Belgique a été invitée à prendre part à cette conférence.
La Belgique a-t-elle accepté ; a-t-elle donné une réponse affirmative ?
Messieurs, la Belgique apprécie les intentions qui ont dirigé le gouvernement français ; elle ne peut que s'associer en principe à tout ce qui est entrepris, à tout ce qui sera tenté pour maintenir la paix entre les diverses nations de l'Europe, afin d'arriver à la solution des difficultés et des conflits par les moyens pacifiques et diplomatiques.
Nous ne pouvons, sous ce rapport, que rendre hommage à la pensée qui dirige le gouvernement français.
Dans la position particulière où elle se trouve, en présence de l'incertitude qui règne encore dans les dispositions de quelques gouvernements, la Belgique jusqu'ici n'a pas donné de réponse affirmative. La Belgique a cru qu'il lui appartenait, dans sa sphère modeste, de ne pas se mettre à la tête des Etats appelés à répondre au gouvernement français, et je crois que l'attitude de la Belgique est parfaitement comprise par ce gouvernement.
En ce qui concerne nos futures relations avec le Mexique, ici une réponse catégorique est plus difficile à donner.
Nous avons, messieurs, intérêt à entretenir de bonnes relations avec toutes les contrées du monde, soit au point de vue politique, soit au point de vue commercial.
Aujourd'hui nos relations politiques avec le Mexique ont cessé ; mais rien ne nous dit que dans l'avenir ces relations ne devront point se rétablir, surtout au point de vue de nos intérêts commerciaux. Dans le cas où nos relations avec le Mexique se rétabliraient sur un pied régulier, il y aurait lieu à nommer pour le moins, à Mexico, un consul général payé ; le poste aurait assez d'importance pour justifier une pareille nomination. Nous n'avons aujourd'hui dans tout le continent américain que deux agents politiques, l'un à Washington, l'autre à Rio de Janeiro ; partout ailleurs, ce sont des consuls généraux ou d'autres consuls qui représentent les intérêts de la Belgique.
Nous aurons donc à examiner plus tard si nous aurons à Mexico un consul général rétribué ou si les circonstances nous indiqueront un autre parti à prendre.
J'ai pris, au sein de la section centrale, l’engagement de réserver tout ou partie du crédit demandé pour le Mexique, suivant le caractère qui sera attribué à notre futur agent à Mexico.
M. d'Hane-Steenhuyseµ. - Messieurs, je ne veux pas abuser des moments de la Chambre, en reproduisant une discussion à laquelle j'ai déjà pris part trois ou quatre fois dans d'autres sessions ; je veux parler des traitements de nos agents consulaires à l'étranger. Il y a quatre ans, lorsque j'ai soumis mes idées pour la première fois à ce sujet, j'ai fait remarquer à l'honorable ministre des affaires étrangères que la plupart de nos agents consulaires à l'étranger sont trop peu payés. Je crois que tous ceux qui ont voyagé reconnaîtront volontiers la vérité de mon assertion et avoueront qu'il est impossible de continuer à n'allouer qu'une rétribution de 15,000 à 20,000 francs à nos consuls généraux accrédités dans les pays intertropicaux, où la vie est bien plus chère qu'en Europe.
Il est impossible que ces agents, avec un traitement aussi insuffisant, vivent, je ne dirai pas dans le luxe, mais seulement convenablement, comme de simples particuliers. Il en est ainsi, par exemple, pour les Indes, pour Singapore, pour l'Australie et pour la plus grande partie des Etats de l'Amérique.
J'ai demandé, dans le temps, à M. le ministre des affaires étrangères d'augmenter les traitements de nos consuls généraux ; je réitère ma demande avec d'autant plus de conviction que j'ai eu occasion de constater par moi-même que le traitement alloué aux agents consulaires belges est d'une évidente insuffisance.
Messieurs, l'honorable M. Coomans a dit un mot de nos agents diplomatiques. Je n'irai pas, sans doute, aussi loin que l'honorable membre, en demandant, comme lui, la suppression de tous nos agents diplomatiques. Mais il me semble que la Belgique, eu égard à 1a position de neutralité qu'elle occupe en Europe, peut parfaitement se passer de quelques-uns de ces agents. Ainsi si la Belgique se bornait à accréditer des envoyés extraordinaires ou des ministres en France, en Angleterre, en Autriche, en Italie, en Prusse et en Russie, je crois que ce nombre serait largement suffisant et que nous pourrions réaliser, de cette manière, une économie très considérable.
Quoiqu'il en soit, il n'en est pas moins vrai que l'on peut entrer facilement et complètement dans la voie que j'ai eu l'honneur d'indiquer à la Chambre, il y a quelques années déjà, et qui aurait pour but d'augmenter d'une manière convenable et indispensable le traitement de nos agents consulaires à l'étranger. A Buenos-Ayres, au Cap de Bonne-Espérance, en Chine, dans l'Inde anglaise, dans les Etats de l'Amérique centrale et en général dans tous les pays où se trouvent ou bien où seraient nommés de ces fonctionnaires ; je trouverais l'argent nécessaire à cette augmentation dans la suppression de quelques postes diplomatiques.
Je pense, messieurs, que, sous ce rapport, nous pouvons être tous d'accord. Car, je le répète, dans la situation où se trouve en Europe notre pays, nous pourrions parfaitement nous passer de quelques-uns de ces postes et avoir des consuls généraux s'occupant exclusivement des questions commerciales, questions si intéressantes pour nous et qui doivent, à mon avis, être l'objet de la préoccupation principale de la Belgique.
L'honorable M. Coomans a aussi parlé du Mexique. Si un voile funèbre ne couvrait pas, en ce moment, cette question, je me laisserais peut-être aller à la satisfaction de constater que j'ai eu raison contre l'opinion de deux ministres des affaires étrangères, l'honorable M. Rogier, le ministre actuel et l'honorable M. de Brouckere, qui m'ont traité très légèrement à différentes reprises, lorsque j'annonçais dans cette Chambre les événements qui se sont passés depuis lors ; mais je tiens à déclarer que je ne veux pas réveiller ici de douloureux souvenirs ; je ne veux pas rouvrir cette discussion ni revenir sur les malheureux événements qui ont eu lieu dans ce pays.
Seulement je me joindrai à l'honorable M. Coomans pour demander à l'honorable ministre des affaires étrangères de bien étudier cette question et de saisir le plus promptement possible le moment favorable pour renouer nos relations avec le Mexique, pays très important et qui dès aujourd'hui, malgré la mauvaise opinion qu'on en avait, paraît vouloir se reconstituer sérieusement, et entrer ainsi dans une voie, sérieuse aussi, de progrès et de civilisation.
Je pense qu'il n'est pas indifférent pour le commerce belge en général et pour la ville d'Anvers en particulier, que ces relations se renouent le plus tôt possible, et je ne vois pas que, comme pour l'expédition, nous soyons forcés de nous mettre à la remorque des grandes puissances. Quand il s'agit d'intérêts commerciaux, d'intérêts très importants pour notre pays, la Belgique pourrait prendre une initiative qui, j'en suis persuadé, serait approuvée par le pays tout entier.
M. Coomans. - Messieurs, je trouve singulier et assez peu respectueux envers la Chambre, que M. le ministre des affaires étrangères ne daigne pas lire le rapport de la section centrale sur son propre budget.
L'honorable ministre vient de nous donner l'assurance que les propositions qu'il a faites en faveur de la diplomatie belge n'ont été l'objet d'aucune observation critique dans les sections de la Chambre. Or, deux sections de la Chambre ont refusé de les voter, ce que je vais avoir le plaisir ou le déplaisir de prouver à l'honorable ministre.
Pour la France, la quatrième section a rejeté l'augmentation. La sixième section l'a aussi rejetée.
La quatrième section a rejeté les propositions pour l'Italie. La sixième section a rejeté l'augmentation demandée pour la Prusse et la Confédération du Nord.
L'erreur de l'honorable ministre est un peu forte, je pourrais la qualifier de grossière, mais je ne le ferai pas.
L'intention de l'honorable ministre est évidente, c'est de me faire passer pour une individualité complètement isolée dans cette Chambre, pour un original désagréable. Mais, messieurs, outre que deux sections ont rejeté les propositions du gouvernement, des critiques ont été formulées dans d'autres sections et des critiques très sévères n'ont pas cessé d'être formulées chaque année depuis 1848, contre toutes les augmentations de notre budget diplomatique. La remarque que l'honorable ministre m'a faite est donc absolument déplacée ; d'autant plus que je n'ai pas figuré dans les deux sections qui ont rejeté les propositions du gouvernement.
Je regrette que la réponse du gouvernement au sujet de Rome ne soit (page 231) pas plus péremptoire. Au fond, elle se borne à nous annoncer que la Belgique a été invitée à la conférence, mais que nous étudions encore la question de savoir ce que nous devons répondre à l'invitation. Il me semble, toutes considérations cléricales à part, que la Belgique, petit et faible Etat, devrait toujours se montrer heureuse d'aller au secours, ne fût-ce que par un appui moral, des petits Etats menacés. Cela est surtout vrai aujourd'hui et je dis aujourd'hui dans le sens littéral du mot, car un grand publiciste français vient de demander, avec l'autorisation au moins tacite de la censure, l'annexion immédiate de la Belgique à la France.
- Plusieurs membres. - Très bien !
M. Coomans. - Aujourd'hui le danger de la formation des grands empires unitaires est plus flagrant que jamais, et ce n'est pas par des moyens militaires que vous obvierez à ce danger ; c'est bien plutôt par de bonnes et loyales protestations contre toutes les iniquités politiques dont on a donné le triste spectacle à l'Europe contemporaine.
Je me borne à l'expression de ce regret en ce qui concerne Rome.
J'ajouterai un mot pourtant : Si j'étais libéral, dans le sens académique et honnêtement politique du mot, je me ferais honneur d'aller au secours par ma parole et ma diplomatie, tout au moins, au secours du petit Etat romain qui a prouvé, à tous les points de vue, qu'il est viable.
M. Bouvierµ. - Grâce aux légions étrangères.
M. Coomans. - Quant à ses droits d'ancienneté, qui les nie ? (Interruption.)
Les honorables membres qui m'interrompent ne sont pas bien sûrs d'avoir raison, car ils le font à voix si basse que je ne les comprends pas.
M. le président. - Je les ai invités à ne pas interrompre, M. Coomans.
M. Coomans. - C'est votre droit, M. le président ; mais je regrette de ne pas les avoir entendus.
Quant au Mexique, il m'est impossible de me taire absolument ; j'en dirai un mot, non par vanité, il est des circonstances où l'on est désolé d'avoir eu raison et c'est ce sentiment-là que j'éprouve, mais mon honorable ami, M. d'Hane et d'autres, ont eu raison avec moi, car nous avons littéralement prédit les catastrophes qui ont affligé, humilié et non glorifié la Belgique.
Ce dont je me préoccupe aujourd'hui, c'est du sort des Belges nombreux qui vivent encore au Mexique et que nous avons été sottement compromettre.
Ce dont je me préoccupe aussi, c'est de nos intérêts commerciaux que l'on a déplorablement et sottement compromis et je crois qu'il est urgent de renouer nos relations avec le Mexique, fût-ce même avec M. Juarez redevenu Excellence.
Le gouvernement n'est pas composé d'amours-propres rancuniers même quand ils sont individuellement justifiés ; le gouvernement a charge d'intérêts, il a de grands devoirs et les gouvernants belges, tout en nourrissant de justes rancunes contre les maîtres actuels du Mexique, ne doivent pas oublier qu'il y a là, pour nous, de grands intérêts à défendre.
Faisons loyalement notre mea culpa et offrons au Mexique de renouer les relations commerciales et industrielles qui auraient dû être nos seules relations avec ce pays-là comme avec tous les autres.
Je viens de lire l'interminable liste des décorations fournies à de prétendues illustrations étrangères dans la seule année 1866, compte exagéré, injustifiable, qui se solde par une dizaine de mille francs que vous avez votés hier, et j'y remarque ceci, c'est que les décorations mexicaines y figurent pour une grosse part.
Mais, à ce propos, j'ai une question à poser à l'honorable ministre.
Je remarque que des noms de notabilités mexicaines qui avaient été décorées de l'ordre de Léopold par arrêté royal se trouvent biffés, régulièrement bâtonnés dans le document que j'ai sous la main.
Je voudrais savoir qui a supprimé ces noms. Je voudrais savoir s'il est permis, même à un ministre, d'annuler des arrêtés royaux sans des contre-arrêtés royaux. Je crois qu'un arrêté royal subsiste jusqu'à ce qu'un autre arrêté royal l'ait supprimé.
L'honorable ministre me fait un signe d'assentiment qui me fait plaisir et me justifie.
Y a-t-il donc eu trois arrêtés royaux qui ont rapporté les trois arrêtés royaux accordant des distinctions dans l'ordre de Léopold à des Mexicains ?
J'espère que l'honorable ministre voudra bien me répondre. Le document vient de lui, je pense ; sinon je n'y ajouterais aucun prix.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Il est clair que si l'on a ouvertement barré, c'est que l'on avait l'intention de ne rien dissimuler. Je ne comprends pas votre observation.
M. Coomans. - C'est que moi je ne comprends pas votre document.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Vous critiquez sans comprendre.
M. Coomans. - C'est un détail, mais il n'est pas dépourvu d'intérêt.
Un mot encore sous forme de réflexion générale.
Je l'avoue, car je ne suis pas honteux de mes opinions, quand je les ai au fond de ma conscience, et rien ne m'engagera jamais à les dissimuler, je voudrais voir supprimer tous les agents diplomatiques de la Belgique, même celui de La Haye pour lequel l'honorable ministre des affaires étrangères me paraissait avoir fait une réserve particulière tout à l'heure.
Je ne vois pas en quoi nos agents diplomatiques, politiquement au moins, ont jamais pu rendre des services qui ne nous auraient pas pu être rendus d'une autre façon, soit par des envoyés extraordinaires, soit par des consuls, soit même par personne, ce qui est souvent la meilleure manière de réussir en politique.
Et ici, ce n'est pas exclusivement au point de vue économique, au point de vue d'une économie de budget que je me suis placé, car je suis disposé, avec un honorable préopinant, à convertir en appointements pour des consuls les grosses dépenses que nous faisons pour notre diplomatie politique.
Vraiment quand je vois que des consuls envoyés loin de nous, quasi à nos antipodes, n'ont pas un traitement annuel supérieur à la somme accordée à beaucoup de nos agents politiques pour aller faire des promenades en Europe, je suis désagréablement étonné et je dois blâmer. Ainsi je vois que nos agents politiques ont dépensé, du 1er janvier au 31 mars 1867, plus de 60,000 fr. en frais de voyage extraordinaires, à ajouter aux autres frais que le Trésor belge supporte déjà. Il faut bien citer des noms ; lorsqu'on prend, il n’y a pas de déshonneur à être imprimé en plein Moniteur. Je vois M. Errembault de Dudzeele : voyage de Bruxelles à Saint-Pétersbourg 7,500 fr. ; pour notre ministre à Paris : voyage en France 5,000 fr. ; pour M. Bergmans, frais de retour définitif de Washington 3,500 fr. ; pour M. Pycke, frais de voyage à Cintra (je ne sais où c’est), 3,000 fr.
- Un membre. - C'est en Portugal.
M. Coomans. - En Portugal, bien ; mais je ne vois pas quel grand intérêt belge nous avons à défendre là. Etc., etc., il y en a pour plus de 60,000 fr. Je crois que c'est beaucoup trop. Je sais bien que je n'ai pas chance de réussir aujourd'hui, et c'est pourquoi je ne présenterai pas d'amendement ; on est bien décidé à n'en accueillir aucun. Je me bornerai à voter contre, comme je l'ai fait depuis de longues années.
M. de Brouckere. - Je laisserai bien volontiers à l'honorable M. d'Hane et à l'honorable M. Coomans, la satisfaction d'avoir prévu tous les événements qui se sont accomplis au Mexique ; à une condition cependant, c'est qu'ils me laissent à moi la permission de déplorer ces événements.
M. Coomans. - Vous le devez.
M. Delaetµ. - Nous les déplorons tous.
M. de Brouckere. - Bien ; je croyais que vous vouliez me défendre cette faculté. (Interruption.)
Au surplus l'honorable M. d'Hane a parfaitement compris qu'une discussion sur ces événements serait aujourd'hui inopportune.
L'honorable M. Coomans n'a pas cru devoir se renfermer dans la même réserve et il a profité de l'occasion pour lancer à la tête du gouvernement une de ces accusations dont il est si prodigue. Selon lui donc le gouvernement a ridiculement, sottement compromis le nom belge ; le gouvernement a exposé la Belgique à la plus regrettable humiliation.
Voilà à peu près dans quels termes il s'est exprimé, termes dont la convenance, est au moins douteuse.
Mais, messieurs, je voudrais bien savoir en quoi le nom belge a été compromis par ceux de nos compatriotes qui sont allés combattre au Mexique ; je voudrais bien savoir par quels événements quelconques la Belgique s'est trouvée humiliée de la conduite de nos compatriotes au Mexique ?
M. Coomans. - Je n'ai pas dit cela.
M. de Brouckere. - Partout où le petit corps belge a eu l'occasion de se montrer, il s'est distingué d'une manière toute particulière.
M. Coomans. - Je n'ai pas dit le contraire.
(page 232) M. le président. - Pas d'observation, M. Coomans.
M. Coomans. - Il ne faut pas qu'on dénature mon langage.
M. de Brouckere. - Je ne dénature rien ; vous avez dit que le nom belge avait été compromis, vous avez dit que la Belgique avait été humiliée. Je dis, moi, que le nom belge n'a pas été compromis, que la Belgique n'a pas été humiliée, et je vais tâcher de le démontrer.
Je dis que le nom belge n'a pas été compromis ; au contraire, le nom belge a été exalté par tout le monde, et par le gouvernement mexicain, et par le gouvernement français, et en général par tous les gouvernements qui se sont occupés des affaires du Mexique. Jamais le moindre reproche n'a été articulé contre la légion belge, qui dans toutes les occasions a justifié la réputation de bravoure dont les Belges ont toujours joui.
M. Coomans. - J'ai dit tout le contraire.
M. de Brouckere. - Je ne comprends pas la susceptibilité de M. Coomans, que je n'ai pas l'intention de mécontenter ; je dis seulement et je trouve que le nom belge n'a pas été compromis, que la Belgique n'a pas été humiliée.
La Belgique n'a été humiliée en aucune manière ; la légion belge a quitté le Mexique de la manière la plus honorable, elle l'a quitté en compagnie de la puissante armée française, sans subir la moindre humiliation, et je suis persuadé que le nom belge est resté en honneur au Mexique, comme il est en honneur dans tous les pays où nos compatriotes ont été combattre.
Comment donc peut on dire aujourd'hui que le nom belge est compromis et que la Belgique est humiliée ? Non, messieurs, cela n'est pas : le nom belge est aussi honorable depuis l'expédition du Mexique qu'il l'était avant. Seulement les Belges ont eu une occasion de plus de faire voir que sur le champ de bataille ils valent toujours autant que les soldats de tous les autres pays. Quant à la Belgique, je le répète, elle n'a subi aucune humiliation.
Les honorables membres qui ont pris la parole ont demandé : l'un, la suppression du corps diplomatique, rien que cela ; un autre, une diminution considérable de nos agents à l'étranger.
Je répondrai seulement au second des deux orateurs dont je viens de rappeler les opinions.
Je crois, messieurs, que le moment serait bien mal choisi pour mutiler notre corps diplomatique.
Je crois qu'à aucune époque il n'a été plus important pour le gouvernement belge d'entretenir de bonnes relations avec tous les gouvernements et d'être bien informé de ce qui se passe partout.
L'honorable M. d'Hane reconnaît la nécessité de maintenir nos représentants près les grandes puissances, et parmi celles-ci il range le royaume d'Italie. A coup sûr, il ne contestera pas non plus la nécessité pour nous d'entretenir un agent, et un agent de premier ordre, à La Haye.
Quelle mission diplomatique supprimerions-nous ? Est-ce celle de Rio de Janeiro ? Est-ce celle de Washington ? Mais de l'aveu de l'honorable membre, il faudrait remplacer immédiatement ces agents diplomatiques par des agents consulaires payés ; et vous ne leur donneriez certainement pas des appointements inférieurs à ceux que touchent nos agents diplomatiques, appointements qui sont, l'honorable M. d'Hane l'a reconnu lui-même, qui sont fort peu élevés. Le budget n'y gagnerait donc rien.
Je ne crois pas non plus qu'on demande aujourd'hui la suppression de notre légation de Rome, c'en est une encore sur laquelle, je pense, on se montrera indulgent.
Mais alors, que reste-t-il donc ? Une légation de second ordre en Espagne ; une autre en Portugal, une troisième en Bavière et une quatrième pour le Danemark et la Suède.
- Un membre. - Et la Turquie ?
M. de Brouckere. - Je dirai de la Turquie ce que je viens de dire du Brésil et des Etats-Unis, et avec plus de force encore. Vous n'auriez pas rappelé notre agent diplomatique à Constantinople, un jour, que vous ne reconnussiez, le lendemain, l'indispensable nécessité d'y envoyer un consul général, de sorte que vous n'y gagneriez rien. Vous ne pouvez pas vous passer d'y avoir un représentant, afin de pouvoir y faire défendre les intérêts les plus vivaces du pays.
Je le répète donc, il y a tout au plus quatre légations de seconde classe, sur lesquelles on pourrait tenter une discussion. Eh bien, ce n'est pas le moment de soulever une pareille question. Je crois, je l'ai dit en commençant, je crois que jamais notre corps diplomatique n'a été appelé à rendre des services plus sérieux au pays que dans les circonstances où nous nous trouvons aujourd'hui.
Je demande qu'au moins cette année on n'insiste pas pour obtenir la suppression d'une légation quelconque.
Peut-être le moment viendra-t-il où telle ou telle légation de second ordre pourra être contestée ; mais aujourd'hui cela me paraît impossible pour tous ceux qui veulent sérieusement réfléchir à l'état des affaires.
On s'est occupé aussi de l'invitation qui a été faite par la France à la Belgique, comme elle l'a faite à tous les autres gouvernements, d'assister à la conférence qui doit se réunir pour s'occuper des affaires de l'Italie. Eh bien, je dois déclarer que j'approuve à tous égards la conduite tenue par le gouvernement.
J'ai toujours pensé que dans de pareilles circonstances le gouvernement belge doit être très circonspect, doit montrer très peu d'empressement, ne doit jamais chercher à se mettre à la tête d'un parti quelconque. Notre rôle, messieurs, dans la politique européenne doit être essentiellement modeste : plus nous nous effaçons, plus nous obéissons aux véritables intérêts du pays, et ce n'est pas au gouvernement belge à donner l'exemple de la conduite à suivre lorsqu'un appel est fait à tous les gouvernements. Je crois donc que M. le ministre des affaires étrangères a agi avec une grande prudence et d'une manière qui est tout à fait conforme aux intérêts de la Belgique, en ne se hâtant point.
Du reste, il a rendu un parfait hommage aux bonnes intentions qu'a eues le gouvernement français en faisant un appel aux autres gouvernements, pour réunir dans une conférence et discuter avec lui des questions importantes qui intéressent à un haut degré tous les gouvernements et tous les peuples.
Le gouvernement belge prendra une décision quand l'heure en sera venue ; je maintiens qu'il a bien fait de ne se point hâter.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - L'honorable M. Coomans a formulé tout à l'heure un grief tellement imperceptible que je ne sais pas si la Chambre comprendra mes explications. Il a aperçu, dans la liste des décorés, fournie par le gouvernement à la section centrale, une rature, une barre passée sur trois noms. Cette rature, messieurs, n'a nullement été faite dans un but frauduleux, et si l'honorable M. Coomans avait eu la bonté de jeter les yeux sur la page précédente, il y aurait vu que les trois noms en question ont été barrés à la page suivante parce qu'ils figuraient déjà à la page antérieure.
Or, comme il y a déjà beaucoup de décorés, nous n'avons nul intérêt à faire figurer deux fois les mêmes noms.
Voilà ce grand grief articulé par l'honorable M. Coomans. Peut-être jugera-t-on par celui-là de la valeur des autres.
Est-ce sérieusement que l'on conteste encore aujourd'hui, en l'an de grâce 1867, l'utilité d'une diplomatie pour la Belgique ?
C'est là, à mon avis, une question définitivement jugée, sur laquelle il n'y a pas lieu de revenir et de faire perdre du temps à la Chambre.
Je ne prendrai donc pas la peine, la Chambre voudra bien me le pardonner, de défendre ici l'utilité d'une diplomatie belge.
On se plaint d'une part, je mets en présence les deux amis, on se plaint d'une part que nos agents diplomatiques soient trop payés ; d'autre part, que nos agents commerciaux le soient trop peu. Or, si l'utilité des agents diplomatiques est reconnue aussi bien que celle des agents commerciaux, comment peut-on dire que si les agents diplomatiques sont trop payés, les agents commerciaux ne le sont pas assez ?
Je crois que si l'honorable M. d'Hane trouve que les agents commerciaux sont trop peu payés, il doit trouver à plus forte raison que nos agents politiques ne le sont pas assez. En effet, l'année dernière, il a signalé, sous ce rapport, les deux postes diplomatiques de Washington et de Rio de Janeiro.
Quant aux traitements des agents politiques, je fais un appel à chacun de vous ; en est-il un seul qui, après avoir voyagé à l'étranger, n'en revienne avec l'impression que nos agents diplomatiques n'ont pas un traitement en rapport avec les exigences de leur position ?
J'ai, en conséquence, proposé une augmentation pour trois de nos postes diplomatiques ; il y en a d'autres encore qui ne sont pas suffisamment rétribués ; mais je ne propose pas, quant à présent, d'augmentation de crédit.
La Chambre a sous les yeux la liste de tous nos postes diplomatiques, y en a-t-il un seul qu'on puisse supprimer ? Je n'en aperçois aucun. Du reste, si on venait à supprimer un des postes diplomatiques, je demanderais immédiatement que l'allocation qui y est affectée fût répartie sur (page 233) les postes maintenus. Ainsi, de ce chef, il n'y aurait pas d'économie.
L'honorable M. Coomans a dit en termes un peu durs que j'aurais fait injure à la Chambre, en disant que dans les sections on n'avait pas fait d'objection contre les augmentations proposées. Eh bien, je le confesse avec la plus grande humilité ; j'avais cru que les sections avaient adopté ces augmentations sans objection ; je m'étais trompé ; je vois en effet qu'une des augmentations a été rejetée par la quatrième section, par 3 voix contre 3, et par la sixième, par 5 voix contre 1 et trois abstentions, et qu'une autre des augmentations a été rejetée dans la quatrième section, par 4 voix contre 2 et une abstention, et dans la sixième, par 5 voix contre 1 et 3 abstentions et qu'une autre augmentation avait été rejetée par la sixième section sans qu'on indique à quel nombre de voix. Ce qui m'avait induit en erreur, c'est que dans la section centrale où j'avais eu l'honneur d'être appelé, on avait discuté plusieurs questions, sans s'occuper le moins du monde des augmentations de traitement que j'avais proposées.
Passons à des choses plus graves que le fait que me reproche l'honorable membre.
Il vient de s'expliquer en termes fort durs sur une question qu'on pouvait croire pour le moment écartée de nos débats. La manière dont on traite le gouvernement belge, à cette occasion, ne nous permet pas de garder le silence.
Déjà l'honorable M. de Brouckere s'est expliqué à cet égard en des termes pleins de bienveillance pour le gouvernement, ce dont je le remercie ; mais il me semble que c'est pousser loin l'esprit d'opposition que de rendre le gouvernement belge responsable des événements qui se sont passés au Mexique, que de représenter la Belgique comme ayant compromis gravement dans ce pays ses intérêts et son honneur.
La. Belgique s'est conduite comme la plupart des Etats européens ; comme eux, elle a envoyé à Mexico un agent politique. La Belgique voyait dans l'établissement d'un Etat nouveau une occasion pour elle d'étendre ses relations avec un pays où l'industrie pouvait trouver de nouveaux débouchés.
La Belgique aurait compromis par là ses intérêts commerciaux. En quoi ses intérêts commerciaux auraient-ils été compromis, alors qu'elle c'est bornée à faire ce que les autres Etats ont fait ?
Ah ! je sais bien qu'on en a voulu à cette jeunesse courageuse qui s'est rendue en grand nombre au Mexique. Est-ce là votre grief ? Et je défie que vous en trouviez un autre à charge du gouvernement. Eh bien, dire que par là la Belgique a été humiliée, n'est-ce pas l'injure la plus grossière, puisque le mot vous plaît, la plus injuste dirigée contre le pays ? Est-ce que les jeunes gens pleins de bravoure qui sont allés au Mexique, y ont déshonoré le nom de leur patrie ? N'y ont-ils pas tenu une conduite irréprochable ? Je ne parle pas de quelques excès individuels qu'on peut attribuer à l'ardeur du sang, à l'entraînement de la jeunesse ; mais la grande masse de ces Belges ont fait honneur à leur pays. Ces mêmes jeunes hommes, rentres en Belgique, n'y ont-ils pas tenu une conduite digue de tout éloge ? Eprouvés par les fatigues, les souffrances et les dangers qu'ils ont eu à courir, ils sont rentrés calmes, modestes dans leurs foyers ; pas un seul n'a été pour le gouvernement l'occasion du moindre embarras, et le même hommage que je leur rendais à leur départ, je suis heureux de le leur rendre encore à leur retour.
Oui, ces braves gens, après avoir éprouvé tous les dangers, toutes les fatigues, tous les ennuis, toutes les privations d'une lointaine campagne, sont rentres dans leur pays, je le répète, résignés, calmes et modestes et je suis heureux de les en féliciter au sein de cette assemblée.
- Des membres. - Très bien !
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - On vient nous dire que, sans perdre de temps, il faut que la Belgique envoie un représentant au Mexique.
M. Coomans. - Je n'ai pas dit cela.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Mais que savez-vous si le gouvernement du Mexique enverra en Belgique ou en Europe des représentants ? Savez-vous quel sera le caractère définitif imprimé à la politique du Mexique ?
Je crois avoir fait assez et sous ce rapport être entré dans les idées des honorables opposants, en maintenant au budget l'allocation destinée au Mexique et en laissant figurer Mexico parmi les postes diplomatiques avec la réserve que le chiffre serait transféré, si l'on transformait l’agent diplomatie en agent commercial. Sous ce rapport, je crois avoir fait une chose qui doit être agréable aux honorables opposants et je ne regrette pas d'avoir été, dans cette circonstance exceptionnelle, d'accord avec eux et de leur avoir fait plaisir.
Messieurs, je ne sais pas si je dois m'arrêter a une critique qui vient dans l'ordre de mes notes. Il paraît que nos agents diplomatiques dépensent des sommes fabuleuses en voyages, alors que nos agents commerciaux ne feraient aucune dépense de ce genre. Mais quand les agents diplomatiques se déplacent, car ils ne sont pas immobiles dans leur poste, ils ont une famille, ils ont un mobilier, ils ont des frais de transport à supporter. Ils sont dispensés de voyager à leurs frais. Cela est prévu par les règlements et par le budget, puisqu'il y figure un chiffre pour des frais de voyage. Il en est de même des agents commerciaux.
Eh bien, il y a, suivant les circonstances, des déplacements plus nombreux, plus coûteux que dans d'autres. Ainsi pour l'année 1867, vu le grand nombre de mutations qui ont eu lieu dans le corps diplomatique, je crains que le crédit ne soit insuffisant ; j'ai cependant fait de grands efforts pour rester dans les limites du crédit alloué pour les frais de voyage. Je n'aimerais pas de venir demander un crédit supplémentaire à la Chambre ; si cependant cela est nécessaire, je le ferai. Mais, quant à ces sortes de dépenses, il n'y a pas d'exagération. Le gouvernement est très attentif à ne pas prodiguer les fonds du trésor public et il se montre particulièrement sévère pour l'allocation de ces sortes de dépenses. Il y a des antécédents et je ne pense pas qu'on puisse m'attribuer, sous ce rapport, d'être plus prodigue que ne l'ont été mes prédécesseurs.
M. Coomans. - Messieurs, je n'use pas d'un droit, en prenant pour la troisième fois la parole ; je remercie la Chambre de me l'accorder ; je lui promets de ne pas en abuser. Elle voudra bien reconnaître que je suis en ce moment sur la défensive.
Pour me réfuter, on croit avoir besoin de lancer contre moi toute la légion belge mexicaine, de me brouiller avec elle, moi qui compte dans son sein plusieurs amis. Ce dérivatif, de quelque rhétorique déclamatoire qu'on l'enveloppe, ne réussira pas ; je n'ai fait aucune allusion aux griefs que les deux honorables préopinants ont l'air de réfuter.
Je n'ai pas dit que les Belges au Mexique avaient compromis l'honneur national, je ne l'ai pas dit, parce que cela était à mille lieues de ma pensée.
Je sais que les Belges se sont courageusement conduits là-bas comme ils se sont conduits partout, même quand ils ont participé à des aventures que je suis loin d'approuver. Si demain une légion belge part contre l'Abyssinie, je suis certain qu'elle ferait merveille contre le roi Théodoros. Mais je n'approuverais pas cette folie.
Soyez donc juste ; je n'ai pas dit un mot concernant l'accusation que vous me lancez. Voici ce que j'ai dit : j'ai dit que vous aviez compromis les intérêts du commerce belge, l'intérêt des résidents belges et l'honneur de la Belgique. Ce dernier mot, je le justifie immédiatement.
Vous aviez fait avec Juarez un traité d'amitié ; vous, M. Rogier, vous l'aviez signé ; et ce traité, vous l'avez non pas dénoncé, mais violé longtemps avant qu'il expirât.
Voila la vérité.
Je vous ai déjà adressé ce reproche ; vous n'y avez jamais répondu ; la réponse est impossible. Ou les traités ne signifient rien et alors à quoi bon en faire ? ou ils ont une signification sacrée, et alors il faut les respecter. Et ici la violation est d'autant plus déplorable qu'elle a été commise par le ministre même qui avait signé le traité. (Interruption.)
Je le répète, vous aviez signé un traité de paix et d'amitié avec Juarez, et la deuxième année, longtemps avant que vous eussiez le droit de dénoncer ce traité, vous l'avez violé sans le dénoncer.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Comment cela ?
M. Coomans. - Comment cela ? Je vais vous le dire immédiatement.
Vous ou votre frère, et votre frère, c'est le ministre de la guerre, constitutionnellement parlant, vous avez favorisé les enrôlements dans l'armée belge. Les preuves officielles sont là.
Vous avez engagé non seulement des Belges civils, mais des Belges militaires à quitter le drapeau de la patrie pour aller combattre sous un autre drapeau.
Voilà en quoi, sans parler d'autres actes, le gouvernement a compromis, selon moi, l'honneur belge. Quant à la compromission des intérêts des Belges établis au Mexique (page 234) et de nos Belges commerçants, il n'y a pas de doute, je crois. La meilleure preuve que ces intérêts sont compromis, c'est que vos relations avec le Mexique sont rompues.
Et maintenant voici ma réponse à l'honorable M. de Brouckere, qui se félicite des résultats de l'aventure mexicaine, qui se félicite au moins d'avoir conseillé l'aventure mexicaine et qui la trouve si glorieuse. Un mot suffira pour lui répondre : Regrettez-vous le résultat, oui ou non ? Votre conscience vous dit : Oui ! je vous défie de dire non. Vous le regrettez comme nous le regrettons tous. Or, si ce résultat est regrettable, pourquoi vous en félicitez-vous ?
M. de Brouckere. - Je m'en félicite. (Interruption.)
M. Coomans. - Un honorable membre me passe une note pour me dire que l'article 27 du traité conclu par l'honorable M. Rogier avec M. Juarez porte qu'il est défendu aux nationaux belges de porter préjudice au Mexique. Vous qui aviez fait cette stipulation avec Juarez, c'était bien à son égard que vous deviez d'abord la respecter.
Et la Belgique n'a pas été humiliée ! On ose le dire. Mais depuis quand un insuccès prévu par beaucoup de monde, n'est-il pas une humiliation ? Depuis quand cet insuccès est-il une gloire ? Est-ce que la France n'a pas été humiliée ? Est-ce que l'Autriche n'a pas été humiliée ? Voilà des circonstances atténuantes pour nous, mais l'humiliation existe et j'en appelle à votre conscience, vous n'oseriez pas recommencer si c'était à refaire ! (Interruption.)
L'honorable M. de Brouckere croit, avec raison, qu'il sied à la Belgique d'être modeste. C'est ma conviction la plus profonde : mais la différence entre l'honorable membre et moi, c'est que je conforme mes actes et mon langage à mes convictions, tandis que l'honorable membre fait exactement le contraire. Moi je veux que la Belgique soit modeste diplomatiquement parlant, militairement parlant ; je voudrais qu'elle cherchât sa force dans l'union intime de tous ses habitants, sur le large, fécond, facile et pacifique terrain de la liberté.
M. de Brouckere. - Messieurs, l'honorable M. Coomans a dit, en débutant, qu'il était sur la défensive. Comme si nous avions, nous, soulevé la question du Mexique et si nous avions lancé des accusations à ceux qui, dans des temps déjà éloignés, ont soutenu d'autres opinions que nous. Mais les accusations sont venues précisément de l'honorable M. Coomans et de l'honorable M. Coomans seul, car, je l'ai dit, l'honorable M. d'Hane avait eu le bon goût de se montrer fort réservé sur l'affaire du Mexique.
Je dois donc dire à l'honorable M. Coomans que c'est nous qui nous défendons, mais il a eu l'air de dire que si nous nous défendons c'était d'une manière qui n'était pas tout à fait loyale parce que, en nous défendant, nous l'accusions. Je ne l'ai pas accusé ; j'ai rappelé, en reproduisant ses propres expressions, qu'il avait accusé le gouvernement d'avoir « compromis le nom belge » et d'avoir « exposé la Belgique à un rôle humiliant ». J'ai démontré qu'il n'en était rien. Je n'ai donc pas attaqué l'honorable M. Coomans, je n'ai fait que répondre à ses accusations, accusations qui étaient absolument sans fondement.
Maintenant l'honorable M. Coomans défend une autre thèse et cette thèse est assez sérieuse pour être relevée.
Le gouvernement belge, dit-il, aurait fait un traité d'amitié avec M. Juarez, je me sers de l'expression de l'honorable membre...
M. Delaetµ. - Elle est de vous.
M. de Brouckere. - Il faut croire qu'on l'a trouvée bonne, puisqu'on l'a répétée.
M. Delaetµ. - Vous l'avez trouvée excellente, puisque vous vous en êtes servi.
M. de Brouckere. - Je voudrais bien que l'honorable M. Delaet m'expliquât en quoi il la trouve mauvaise. Mais enfin, mettons-nous d'accord, je dirai : « le président Juarez. »
Donc l'honorable M. Coomans a rappelé que le gouvernement avait fait un traité avec le gouvernement du président Juarez, et selon lui, le gouvernement a fait un acte extrêmement coupable en envoyant des troupes au Mexique pour soutenir le gouvernement de l'empereur Maximilien. Voilà l'accusation.
Je concevrais que l'honorable membre eût trouvé quelque chose à redire à la conduite du gouvernement belge s'il avait favorisé le départ de volontaires pour le Mexique lorsque le gouvernement du président Juarez était debout. Mais il n'en est rien ; quand la légion belge est partie pour le Mexique, le gouvernement du président Juarez était complètement tombé. (Interruption.)
M. le président. - Pas de colloques. M. de Brouckere, continuez votre discours.
M. de Brouckere. - On m'interrompt à droite et à gauche.
M. le président. - Ne répondez ni à droite ni à gauche.
M. de Brouckere. - Le gouvernement républicain était remplacé par un gouvernement nouveau et ce gouvernement nouveau avait été reconnu officiellement par la Belgique comme par tous les gouvernements de l’Europe. Est-ce que l'honorable M. Coomans serait de ceux qui veulent qu'on reste fidèle aux chefs d'un gouvernement personnellement ? Est-ce que nous n'avons pas reconnu bien d'autres gouvernements qui avaient remplacé des gouvernements renversés ? Est-ce que les traités se font avec le chef d'un Etat personnellement, ou individuellement, ou se font-ils avec le pays ?
Et quand le pays a reconnu un autre gouvernement et quand cet autre gouvernement a été également reconnu par toutes les nations, est-ce que nous devons, nous, maintenir nos relations personnelles avec un ancien chef du gouvernement ? Je ne le pense pas.
Je ne crois pas que le gouvernement ait, dans toute cette affaire, manqué à la loyauté en quoi que ce soit.
Maintenant l’honorable membre me dit : « Si je vous demandais : Ne regrettez-vous pas que des Belges soient allés se battre au Mexique ? la main sur la conscience vous répondriez : Oui, je le regrette. »
Je regrette d'abord une chose : c'est que la légion belge n'ait pas eu un plein succès dans la cause qu'elle défendait. Je regrette aussi, et je regrette vivement les compatriotes qui sont tombés victimes de leur bravoure et de leur noble entraînement. Mais je n'ai rien à déplorer au point de vue de la Belgique et des intérêts belges, en ce qui concerne la part qu'un corps belge a prise aux événements du Mexique, et rien dans ce qui s'est fait n'est de nature à compromettre ni le nom belge, ni l'honneur de la Belgique.
Messieurs, les Belges s'en vont combattre ailleurs encore qu'au Mexique. Nous avons, en ce moment-ci, un assez grand nombre de nos jeunes compatriotes qui se battent dans un autre pays et pour une cause que, à coup sûr, M. Coomans ne condamne pas. Que cette cause plaise à l'honorable M. Coomans ou qu'elle lui déplaise, comme lui déplaisait celle qu'a défendue la légion belge qui a été au Mexique, je m'en inquiète peu ; mais, quant à moi, je ne condamne en aucune manière ceux qui ont combattu à l'étranger.
Les jeunes Belges qui sont allés combattre en Italie ont réussi cette fois. Leur cause a été triomphante. Mais je suppose que les Belges eussent été battus par la petite troupe de Garibaldi, l'honorable M. Coomans trouve-t-il que le nom belge eût été humilié, que l'honneur belge eût été compromis ?
M. Coomans. - Le gouvernement belge n'est pour rien là dedans.
M. de Brouckere. - Le gouvernement belge n'y est pour rien, c'est parfaitement vrai ; mais le gouvernement belge ne s'y est pas opposé. Personne en Belgique ne trouve mauvais le parti que prennent certains jeunes gens d'aller combattre en Italie.
Mais l'honorable M. Coomans croit-il que la part que ces jeunes Belges ont prise à la défense du gouvernement temporel du pape puisse nous être reprochée sous le rapport, par exemple, des traités que nous avons avec d'autres puissances ? Il n'en dit mot. Là, il trouve que les traités sont parfaitement respectés.
Je ne prétends pas qu'ils aient été violés, mais je voudrais que l'honorable M. Coomans n'eût pas deux poids et deux mesures, ne jugeât pas les choses différemment selon que la cause que vont défendre les Belges lui convient ou ne lui convient pas.
Quant à moi, j'ai approuvé les jeunes gens se rendant au Mexique ; je les ai, je dois le dire, encouragés de ma parole autant qu'il a dépendu de moi.
Il n'entrera jamais dans ma tête de dire un mot contre les jeunes Belges qui vont combattre pour le pouvoir temporel du pape. Que l'honorable M. Coomans soit aussi juste que moi.
Au surplus, je terminerai en répétant ce que j'ai dit au début de la discussion, c'est qu'il me semble tout à fait inutile, hors de saison, d'établir aujourd'hui une discussion sur les affaires du Mexique.
M. Van Iseghem, rapporteur. - Messieurs, j'avais demandé la parole pour expliquer l'erreur commise par l'honorable M. Coomans à propos des noms qui ont été biffés sur la liste des décorations accordées à des étrangers.
M. le ministre des affaires étrangères a donné ces explications, je crois inutile d'y revenir.
M. Coomans. - Ces personnes ont été décorées deux fois.
M. Van Iseghem, rapporteur. - D'après cette note, trois officiers (page 235) alors au service de l'empereur du Mexique auraient été nommés chevaliers le 11 janvier 1866 et ces mêmes personnes ont été promues au grade d'officier le 20 juillet suivant. J'ignore ce qui se passe au ministère des affaires étrangères, mais il est bien possible que les premières nominations n'avaient pas été expédiées.
Puisque j'ai la parole, je dirai quelques mots sur les traitements de nos agents diplomatiques. Je suis un de ceux qui croient que ces traitements ne sont pas du tout exagérés ; je crois qu'ils suffisent à peine à vivre.
Nous ne pourrions jamais exiger de nos agents qui représentent la Belgique à l'étranger qu'ils dépensent pour vivre une certaine partie de leur fortune. Nous sommes un pays démocratique et nous devons faire en sorte que les hommes les plus capables, n'importe leur état de fortune, puissent être nommés à l'étranger pour la défense de nos intérêts. Nous devons donc conserver à notre budget des traitements convenables.
Quand je compare le budget actuel aux budgets antérieurs à 1848, bien que, depuis vingt ans, le prix des denrées et du loyer sont considérablement augmenté dans toutes les capitales de l'Europe, je trouve que, pour quelques légations, les allocations actuelles, malgré les augmentations successivement accordées, sont encore inférieures à ce qu'elles étaient à cette époque.
Je veux seulement établir des chiffres.
Pour la Confédération germanique, le traitement, en 1848, était de 40,000 fr. ; aujourd'hui notre légation à Munich est inscrite au budget pour 38,500 fr., donc 1,500 fr. de moins.
Pour la Grande-Bretagne, le traitement actuel est de 9,000 fr. inférieur à celui de 1847.
Pour La Haye, il est de 3,500 fr. inférieur à celui de cette époque et pour la Turquie, d'environ 1,000 fr. de moins.
Il est donc démontré, messieurs, que malgré les augmentations accordées jusqu'ici, les chiffres qui figuraient aux budgets antérieurs à 1848 ne sont pas encore atteints pour plusieurs de nos légations.
M. de Theuxµ. - Je considère comme un grand honneur fait à la Belgique et aux Etats secondaires d'avoir été appelés à la conférence par l'empereur des Français à l'égal des autres puissances. Jusqu'à présent, nous avons été habitués à voir les grandes puissances délibérer sur les intérêts des Etats secondaires et quelquefois décider les questions sans leur concours.
Je suis donc heureux, messieurs, de voir ce précédent, comme j'ai été heureux de voir le précédent par lequel la Belgique a été appelée à la Conférence de Londres sur la question du Luxembourg.
Dans la question actuelle, les Etats secondaires ont tout à la fois un intérêt moral et politique qu'ils ne peuvent négliger.
Je ne suis donc pas du tout de l'avis de l'honorable député de Mons, que le gouvernement doit accueillir cette proposition avec une grande réserve et se prononcer avec une grande lenteur.
Je ne désire pas que la Belgique soit à la queue des Etats secondaires ; si elle ne peut avoir la prétention d'être à la tête des grands Etats, je crois qu'elle ne doit pas rester la dernière à donner son assentiment à cette invitation.
Messieurs, je n'ai pas l'intention de rouvrir la discussion sur le Mexique. Je me bornerai simplement à déplorer vivement la fatale catastrophe qui a terminé l'expédition du Mexique, catastrophe qui est en dehors de tous les faits contemporains de l'histoire moderne.
Quant à la comparaison qui a été faite entre les volontaires qui se sont rendus à Rome pour défendre la cause du souverain pontife et ceux qui se sont rendus au Mexique, il y a cette différence que, dans le cas actuel, le gouvernement est resté complètement étranger à l'expédition, tandis que pour le Mexique, il l'a favorisée de diverses manières ; cela a été clairement démontré dans le temps.
M. d'Hane-Steenhuyseµ. - Messieurs, les honorables MM. Rogier et de Brouckere se sont efforcés tantôt de me mettre en contradiction avec moi-même en disant que si, d'un côté, je propose de diminuer le nombre de nos agents diplomatiques, je veux, de l'autre, augmenter celui de nos agents consulaires, de sorte que le résultat financier reste le même.
Je me permettrai de dire à ces honorables membres qu'ils m'ont mal compris et que si j'ai parlé de conserver plusieurs postes diplomatiques, j'ai proposé d'en supprimer d'autres.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Et La Haye.
M. d'Hane-Steenhuyseµ. - Eh bien, messieurs, en y ajoutant même le poste de La Haye, il y aurait encore à réaliser un bénéfice de 264,970 fr.
Or, je crois que cette somme serait suffisante pour augmenter le nombre des consuls généraux, ainsi que leur traitement.
Messieurs, j'ai dit en commençant que je ne m'occuperais pas du fond de la question mexicaine. Il est cependant un point que je ne puis laisser passer sans le relever ; il s'agit d'une assertion émise par l'honorable M. de Brouckere et qui, j'en ai la conviction, ne sera acceptée par personne. Cet honorable membre a dit que lorsque les Belges se sont rendus au Mexique, le gouvernement républicain, le gouvernement de Juarez n'existait plus.
Tous les faits protestent contre une pareille déclaration.
Qu'est-ce donc en définitive que cette guerre du Mexique depuis le commencement de l'invasion jusqu'à sa fin ? C'est une immense protestation d'un peuple libre contre l'envahissement de son territoire ; c'est un peuple se défendant pied à pied ; déjouant complètement, par son courage et par son patriotisme, les calculs d'un puissant monarque et le forçant enfin à abandonner le sol mexicain.
Disons que l'expédition mexicaine est une erreur de ce monarque, disons qu'il avait espéré pouvoir établir au Mexique une barrière contre les idées démocratiques des Etats-Unis ; mais ne venons pas prétendre que les Belges qui sont allés au Mexique y sont arrivés lorsque le pouvoir de Juarez n'existait plus. Il n'a jamais cessé d'exister. Je ne puis donc pas accepter l'assertion de l'honorable membre et je ne puis qu'insister sur la proposition que j'ai faite de hâter autant que possible, au point de vue des intérêts commerciaux de la Belgique, le moment de la reprise de nos relations avec le Mexique.
M. de Brouckere. - Je demanderai à dire deux mots encore pour faire une rectification.
Je n'ai jamais dit, ou si je l'ai dit, j'ai mal exprimé ma pensée, je n'ai jamais voulu dire que le gouvernement républicain avait complètement cessé d'exister sur tout le territoire du Mexique ; j'ai voulu dire que le gouvernement républicain avait été remplacé à Mexico...
- Voix à droite. - Ah !
M. de Brouckere. - Je dis à Mexico, pour être plus clair... que le gouvernement républicain avait été remplacé par un nouveau gouvernement, reconnu par toutes les puissances de l'Europe.
A la vérité, les Etats-Unis démocratiques ne l'avaient pas reconnu, mais je ne pense pas qu'en pareil cas la Belgique doive imiter la seule puissance dissidente, qui est une puissance américaine, et se mettre en opposition avec ce que font tous les gouvernements européens.
M. Orts. - Je n'ai pas l'intention de me mêler au débat soulevé à propos de l'expédition mexicaine et d'autres questions qu'on y rattache indirectement. Je n'ai demandé la parole que lorsque j'ai entendu l'honorable comte de Theux adresser au gouvernement belge des conseils qui me paraissent dangereux pour l'intérêt bien entendu de la Belgique, et devoir compromettre tout autant l'essence de ses institutions intérieures, que sa bonne position internationale telle qu'elle a été définie par les traités en vertu desquels nous avons pris place au milieu du concert européen.
Je veux parler de l'invitation adressée à la Belgique de prendre part à la conférence dans laquelle se discuteraient la question italienne d'une part, et d'autre part la question, nécessairement parallèle, du maintien de la puissance temporelle d'un souverain de la Péninsule.
Je ne méconnais pas que la question du pouvoir temporel ne soit une grande et importante question, mais, à mon avis, elle est ou une question politique ou une question religieuse. Au point de vue de l'unité italienne elle est une question politique, c'est la question de savoir si les citoyens de ce grand pays peuvent user du droit en vertu duquel la Belgique elle-même s'est constituée comme nation indépendante.
M. Dumortier. - Je demande la parole.
M. Orts. - Si c'est une question religieuse, et ce n'est pas pour l'amoindrir que je la qualifie ainsi, car je déclare que l'existence du pouvoir temporel du pape est peut-être la question la plus capitale que, dans cet ordre d'idées, on puisse soulever, mon sentiment est le même.
Qu'elle soit une question politique ou religieuse, la Belgique est incompétente pour se prononcer.
Est-ce une question politique ? Nous sommes une puissance constituée de par l'Europe et avec sa garantie, sur un pied de neutralité absolue. Nous n'avons pas à nous mêler de questions politiques qui s'agitent autour de nous alors que l'intérêt politique belge n'y est pas engagé. El, sous ce rapport, il y a une différence considérable à faire entre (page 236) l'invitation dont je m'occupe et une invitation récente adressée à la Belgique de se mêler à la conférence qui a décide de l'intérêt luxembourgeois. Pourquoi ? Mais parce que le Luxembourg est une ancienne portion de la Belgique qui lui a été arrachée et qui a été séparée de la Belgique avec le consentement de la Belgique. La signature de la Belgique était au bas du traité qui a constitué le Luxembourg indépendant comme celle des autres puissances. Mais la signature de la Belgique a-t-elle jamais été engagée soit pour garantir le pouvoir de la souveraineté du pape, soit pour défendre, au nom de la souveraineté du peuple, au roi d'Italie et à son peuple de constituer l'unité italienne ? (Interruption.)
Conquérir un petit peuple ! dit M. Dumortier. Devons-nous nous mêler, pouvons-nous nous mêler de toutes les questions diplomatiques que peut soulever le point de savoir si un petit Etat sera conquis par un grand, si ce petit Etat dépouillé devra se constituer plus tard dans des limites plus étroites, si ce grand Etat pourra s'adjoindre, sans réclamation de notre part, les dépouilles de son voisin plus faible. Mais alors pourquoi a-t-on attendu jusqu'aujourd'hui pour conseiller à la Belgique de se mêler de l'amoindrissement du Danemark, de la suppression du Hanovre et de tant d'autres questions plus importantes, aussi importantes au moins pour les petits Etats que celle du pouvoir temporel ?
Est-ce une question religieuse ? Non seulement nous ne pouvons pas nous en mêler parce que nous sommes neutres au point de vue des intérêts religieux comme des intérêts politiques lorsque ces intérêts doivent être décidés par la voie diplomatique et qu'il en peut sortir des questions de paix ou de guerre, mais encore parce que nous appartenons à un pays qui doit, au point de vue même de ses institutions fondamentales, se déclarer incompétent lorsqu'il s'agit de l'intérêt religieux.
La Belgique est un de ces rares pays ou l'Eglise et l'Etat sont heureusement séparés ; l'Etat ne peut donc s'y mêler de querelles religieuses d'aucune croyance Nous ne pouvons pas plus, à mon avis, prendre part à un congrès qui aurait pour mission de décider la question romaine que nous ne pourrions raisonnablement nous mêler d'un congrès chargé de décider la question de savoir s'il conviendrait d'arracher Jérusalem à la Turquie et de la rendre aux Israélites.
Pour ma part, loin d'encourager le gouvernement à accepter l'invitation qui lui a été adressée, je déclare dès aujourd'hui et je ne l'aurais pas fait si le conseil contraire n'avait été donné par un homme aussi légitimement considérable dans cette Chambre et dans le pays que M. de Theux, je déclare dès aujourd'hui que je considère cette ingérence de la Belgique, si elle a lieu, comme une faute capitale et une grave imprudence ; dès aujourd'hui, si clic se produit, j'affirme que je la blâmerai.
M. Dumortier. - S'il est une chose à laquelle je ne m'attendais pas, messieurs, c'était, à coup sûr, d'entendre un homme qui nous a si souvent parlé du respect qui est dû à notre nationalité, prononcer ici les paroles que vous venez d'entendre, paroles qui peuvent et qui doivent être considérées comme une atteinte violente à ce même principe qu'il ne manque aucune occasion de proclamer.
Quoi ! quand il s'agit de la Belgique, quand il s'agit de menaces adressées à notre nationalité, vous vous écriez qu'il faut respecter les petits Etats ! Et ici quand il s'agit d'un autre petit Etat, vous faites entendre que la Belgique n'a rien à dire, qu'il n'est pas de son intérêt et de son devoir de prendre la défense de ce petit Etat menacé par la cupidité voisine.
Mais ne voyez-vous donc pas qu'il y a la plus étroite communauté d'intérêts entre tous les petits Etats ; que le droit de l'un est la sanction du droit et de l'existence de l'autre ?
Il est impossible que vous le contestiez et je crois avoir le droit de dire que si le petit Etat dont il est ici question n'avait pas pour chef le chef vénéré de l'Eglise catholique, vous seriez les premiers à dire qu'il est du devoir du gouvernement d'intervenir en sa faveur parce que, en défendant les. intérêts de l'Etat menacé, la Belgique défend par cela même le principe de son existence nationale.
Mais quand vous aurez abandonne ce principe, quand au lieu de suivre le sage conseil de mon honorable ami, vous aurez consacré le droit d'absorption des petits Etats, quelle défense aurez-vous à opposer si un jour quelque grand Etat voisin faisait à l'égard de la Belgique ce que veut faire l'Italie à l'égard des Etats pontificaux, si un de nos puissants voisins venait aussi invoquer son intérêt politique pour absorber la nationalité belge, comme le Piémont prétend, sans respect pour le droit, absorber la nationalité pontificale ?
Je dis que la similitude est complète et que vous vous exposez aux plus affreux désastres en engageant notre gouvernement dans la voie de l'abstention alors qu'il s'agit du droit d'un petit Etat contre un envahisseur.
Nous voulons rester Belges, comme les habitants des Etats Pontificaux ont montré leur énergique volonté de rester citoyens romains. Dans l'odieuse invasion qui vient d'avoir lieu, partout, en dépit des perfides conseils que le Piémont leur donnait, partout les habitants se sont soulevés contre les envahisseurs ; partout ils ont pris les armes pour les combattre et sur bien des points du territoire ce sont eux et eux seuls qui ont repoussé les envahisseurs du sol de la patrie.
Après une telle conduite des populations romaines, après qu'elles ont repoussé l'étranger et manifesté leur volonté énergique et unanime de conserver leur gouvernement, est-ce que leur droit est moins sacré que le nôtre ; est ce que les citoyens romains sujets du pape sont moins dignes de respect que les citoyens belges ? Suffit-il que le Piémont soit astucieux et cupide pour anéantir les droits du peuple romain ? Je dis qu'à Rome et en Belgique les droits sont les mêmes : ce qui est un droit pour nous est un droit pour les citoyens romains. Et si je prends ici la défense des citoyens romanis, c'est qu'en les attaquant on attaque les Belges, parce qu'en violant leur territoire on menace, par cela même, le territoire de tous les petits Etats ; que, quand on attaque Rome, on attaque la Belgique ; que, quand on nie son droit, c'est votre droit qui est mis en question.
Maintenant, messieurs, je demande si, en présence d'un pareil fait, il n'est point du devoir du gouvernement de suivre ls conseil de mon honorable et excellent ami, et de prendre la défense d'une petite nationalité menacée, quand l'Europe vous y convie.
Mais, nous dit l'honorable préopinant, pourquoi vouloir empêcher l'Italie d'arriver à son unification ? Pourquoi, messieurs ? Pour empêcher la France d'arriver à ce qu'elle appelle son unification en s'annexant la Belgique ; pour empêcher la Prusse d'arriver à ce qu'elle appelle son unification en s'annexant la Hollande. Je dis, messieurs, que la théorie des grandes nationalités absorbant les petites, cette théorie que le préopinant vient de soutenir, est funeste, fatale à la Belgique.
- Voix à droite. - Très bien !
M. Dumortier. - Le droit des Romains, c'est le droit des Belges ; les intérêts des uns sont les intérêts des autres. Vous voulez l'unification de l'Italie, c'est-à-dire qu'après la conquête inique du royaume de Naples et des autres Etats de l'Italie par le Piémont, vous voulez que la conquête s'achève par l'absorption du domaine sacré du souverain pontife de l'Etat le plus ancien de l'Europe qui a pour roi l'immortel Pie IX, la plus grande figure de notre époque et l'un des plus illustres pontifes de la chrétienté !
Eh bien, je le demande, quelle objection aurez vous à faire si la Belgique à son tour était menacée d'un pareil envahissement ? Quelle objection aurez-vous à faire quand la Prusse voudra conquérir la Hollande et les bouches du Rhin ; quand la France voudra s'emparer de la Belgique et des bouches de l'Escaut ? Quelle serait dans ce cas votre situation ?
Mais, messieurs, ne perdez pas de vue, je vous prie, qu'il s'agit ici, pour la Belgique, d'un devoir beaucoup plus grand encore. Je sais que notre Constitution proclame la liberté des cultes et la séparation de l'Eglise et de l'Etat, mais ce que vous savez aussi bien que nous, c'est que les 99 centièmes des Belges sont catholiques, et que par conséquent il y a pour nous un immense intérêt en cause quand nous voyons le péril qui menace le chef de la catholicité ; parce que cet intérêt est le nôtre au point de vue national comme au point de vue religieux.
Et cependant vous reculez devant l'accomplissement des devoirs que vous commande ce grand intérêt national et sacré ! Vous reculez, et pourquoi ? Parce qu'il s'agit du pape, parce qu'il s'agît de l'Eglise catholique. Et vous dites que vous êtes des enfants de la Belgique ! Allez !
M. de Theuxµ. - Je désire répondre deux mots à l'honorable M. Orts, tout en le remerciant des égards avec lesquels il a combattu mon opinion.
Il y a, messieurs, une différence essentielle entre le fait qui se produit aujourd'hui et ceux dont a parlé l'honorable député de Bruxelles. Quand un grand nombre de petits Etats ont été supprimés depuis quelques années, ç'a été à la suite de guerres entre de grandes puissances ; entre la France et l'Autriche pour les Etats italiens, entre la Prusse et l'Autriche pour les Etats allemands. Et aucun de ces petits Etats, messieurs, n'a été consulté avant ni après la guerre. Mais ici, la conférence est appelée à statuer sur une question territoriale, sur les moyens de garantir ou de sacrifier le domaine temporel du pape.
(page 237) Eh bien, je dis que c'est un bonheur immense pour tous les petits Etats que ce soit un des plus grands potentats de l'Europe, le plus grand peut-être, qui appelle tous les petits Etats à cette conférence ; et tous mes vœux sont qu'à l'avenir quand un intérêt de ce genre sera débattu, tous les petits Etats puissent être appelés à se prononcer ; ce sera la plus précieuse garantie de leur propre existence.
Indépendamment de ce grand intérêt, je n'ai pas non plus dissimulé qu'il y avait pour nous un grand intérêt moral, un grand intérêt religieux ; et, bien que notre Constitution proclame la liberté la plus illimitée des cultes, et que je sois toujours resté fidèle aux principes de cette Constitution à la rédaction de laquelle j'ai pris part, il n'est pas moins vrai qu'il y a ici un intérêt religieux qu'il importe à la Belgique de sauvegarder si cela est en son pouvoir.
M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Ce n'est pas sur l'incident que je prends la parole ; si la discussion devait continuer sur ce point, j'attendrais que la question fût vidée.
M. le président. - Il n'y a plus d'autres orateurs inscrits pour le moment.
M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Je désire poser à M. le ministre des affaires étrangères une question qui aurait mieux trouvé sa place dans la discussion générale, si des devoirs douloureux de famille ne m'avaient empêché d'assister à la séance d'hier. Mais comme la discussion actuelle a pris un caractère de généralité, je crois qu'il n'est pas hors de propos de poser ici cette question, d'autant plus que les derniers orateurs qui viennent d'être entendus ont fait précisément allusion au point que je veux élucider, à la conférence du mois de mai dernier, sur laquelle j'ai à demander une explication à M. le ministre des affaires étrangères.
Vous savez tous, messieurs, qu'au mois de mai dernier à la suite d'incidents qu'il est inutile de rappeler ici, une conférence européenne a été convoquée à Londres. La Belgique y a été conviée avec les autres nations et, comme l'a fort bien fait remarquer tantôt l'honorable M. Orts, aux observations de qui je m'associe, la Belgique avait intérêt et par conséquent c'était son droit et son devoir d'y assister, comme partie contractante aux traités qui ont constitué son indépendance et sa propre neutralité.
Un traité a donc été convenu dans cette conférence et l'article 3 de ce traité porte ce qui suit :
« Art. 3. Le grand-duché de Luxembourg étant neutralisé, aux termes de l’article précédent, le maintien ou l’établissement de places fortes sur son territoire devient sans nécessité comme sans objet.
« En conséquence, il est convenu d'un commun accord que la ville de Luxembourg, considérée par le passé, sous le rapport militaire, comme forteresse fédérale, cessera d'être une ville fortifiée. »
Ce texte fut adopté dans la séance du 7 mai.
Dans la séance du 11 mai, le plénipotentiaire belge demande qu'il soit bien entendu que l'article 3 du projet de traité ne porte pas atteinte au droit des autres puissances neutres de conserver et, au besoin, d'améliorer leurs places fortes et autres moyens de défense.
Messieurs, autant je comprenais l'intervention passive du plénipotentiaire belge dans cette conférence à laquelle, en notre qualité de puissance neutre, il ne pouvait guère assister que comme témoin de l'acte qui allait constituer la neutralité du Luxembourg, autant je ne comprends ni la nécessité de la remarque qu'il fit dans la séance du 11 mai, ni même son utilité politique ou diplomatique au point de vue des traités qui nous lient à l'Europe, puisque sa proposition nous faisait passer du rôle passif au rôle actif.
En effet, ou bien l'annexe au traité du 11 mai était complètement inutile ; les traités de 1839 n'ayant été mis nullement en question ni en discussion dans la conférence, ou bien, il s'agissait en quelque sorte d'assumer sur nous seuls la responsabilité de la défense de notre neutralité et d'en dégager l'Europe. Or, je ne puis croire qu'il soit de l'intérêt de la Belgique de dégager un instant l'Europe de sa responsabilité envers nous, du chef de la neutralité qu'elle nous a imposée et que nous avons acceptées.
Je demanderai donc à M. le ministre des affaires étrangères de vouloir bien nous faire connaître le but qu'avait le gouvernement en faisant rédiger l'annexe que je signale du traité du 11 mai 1867.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Messieurs, je répondrai d'abord à la dernière interpellation qui vient de m'être adressée.
Le traité de Londres, dans son article 3, parlant de la démolition de la forteresse de Luxembourg, invoque la neutralité de ce pays, pour déclarer que la forteresse est inutile.
Bien que ce fût une disposition d'un traité tout spécial, on pouvait se demander quelle en était la portée. L'explication a été donnée par la Conférence. Il résulte de cette explication qu'il ne s'agissait que du Luxembourg et qu'il n'était pas défendu aux pays neutres de se défendre comme ils l'entendraient.
Messieurs, la Belgique est neutre, mais indépendante ; elle a un grand intérêt à pouvoir user de son indépendance, lorsqu'il s'agit de se moyens de défense. Elle doit être libre dans le choix de ces moyens. Il n'est pas un esprit pratique et sérieux qui puisse soutenir que la neutralité de la Belgique étant garantie par toutes les puissances elle n'a rien à faire pour se défendre de son côté. Une pareille thés n'est pas admissible ; qu'il s'agisse de l'armée, qu'il s'agisse des fortifications, la première condition à remplir par la Belgique, si elle veut sérieusement défendre sa neutralité et son indépendance, c'est de se mettre en mesure de se défendre elle-même, par les moyens qu'elle juge les plus convenables.
C'est cette réserve qui a été introduite dans le traité de Londres, et je ne pense pas qu'on puisse blâmer le gouvernement d'avoir indiqué les conséquences que pouvait avoir cette déclaration de la Conférence de Londres en ce qui concerne les autres Etats neutres.
Si l'article 3 contenait une déclaration de principe, il s'ensuivrait que la Belgique aurait dû évidemment démolir ses forteresses ; il s'ensuivrait que la république Helvétique qui fait en ce moment préparer des plans pour la défense de son territoire, ne pourrait pas exécuter les plans qu'elle aura arrêtés.
Messieurs, j'ai considéré l'article 3 du traité de Londres, permettez-moi de vous le dire, comme une sorte de politesse faite au gouvernement qui s'était engage à démolir la forteresse de Luxembourg. Cette forteresse n'était certes pas un point de peu d'importance ; il a fallu de grands efforts pour en obtenir l'abandon. Peut-être a-t-on voulu adoucir ce qu'il y avait de pénible dans ce sacrifice, en disant : La forteresse de Luxembourg sera démolie, parce qu'elle est inutile dans nt territoire neutre, au lieu d'employer une formule plus dure qui aurait consisté à dire : « La forteresse de Luxembourg sera démolie parce qu'elle est un danger pour la France. »
Voilà comment je m'explique l'insertion de cette disposition dans le traité de Londres.
Quoi qu'il en soit, il a été reconnu par tout le monde que la disposition dont il s'agit n'était pas une déclaration de principe, qu'elle ne s'appliquait pas aux autres pays neutres qui restaient maîtres de défendre leur neutralité et leur indépendance par tous les moyens qu'ils jugeraient convenables.
Je passe maintenant à un autre objet de la discussion.
Quand on conseille au gouvernement de s'associer à toutes les réunions diplomatiques auxquelles le pays peut être convié, et de figurer autant que possible parmi les puissances qui adhèrent les premières, je crois qu'on ne tient pas suffisamment compte des obligations que nous impose notre état de neutralité. Je pense qu'avant d'engager cette neutralité, nous devons nous préoccuper des conséquences, nous demander où pourrait nous conduire notre participation aux travaux et aux décisions d'un congrès.
Certes, messieurs, l'invitation que l'on fait à un Etat comme la Belgique d'assister à une grande réunion européenne est une chose flatteuse pour elle, utile pour elle. Certes, si la Belgique se trouvait exclue, alors que tous les autres Etats seraient appelés, il y aurait là, certainement, pour nous, un motif de nous plaindre, sinon de nous alarmer. Je trouve donc très bien que l'on convie la Belgique, Etat nouveau en Europe, à toutes les grandes réunions diplomatiques et, sous ce rapport, nous avons été heureux de figurer dans la dernière Conférence de Londres.
Nous avions, au surplus, le droit d'y figurer, ayant été partie au traité que la Conférence avait pour mission de modifier.
Ainsi encore, lorsque, il y à quatre arts, le gouvernement français, toujours guidé par cette idée généreuse de chercher à régler les conflits, à résoudre les questions irritantes par les moyens pacifiques, par les moyens diplomatiques, avait invité tous les gouvernements européens à une conférence pour chercher, par une commune entente, à écarter (page 238) les dangers que courait la situation générale de l'Europe, la Belgique, convoquée comme Etat européen, à un congrès où il était question de reconstituer peut-être l'Europe sur de nouvelles bases, avait un intérêt direct à assister à cette conférence.
Aussi, nous acceptâmes tout d'abord en principe l'invitation qui nous fut faite alors et nous l'accueillîmes avec beaucoup de faveur. Mais, quel que fût l'intérêt que nous eussions à figurer dans le congrès projeté, nous ne nous hâtâmes pas de donner une réponse définitive ; nous figurâmes parmi les derniers adhérents. et la France comprenait si bien ce que nous commandait notre position particulière en Europe, qu'elle a approuvé la réserve que nous mettions dans notre adhésion.
A l'heure qu'il est, la France comprend encore les réserves de la Belgique.
Ce n'est pas seulement la Belgique qui fait des réserves ; elle n'est pas la dernière à se prononcer ; les petits Etats dont on parle n'ont pas encore adhéré. La Suisse n'a pas répondu, les Pays-Bas n'ont pas répondu. Tous les grands Etats ont-ils adhéré ? Et ceux qui ont adhéré, à quelles conditions l'ont-ils fait ? Est ce que tout cela ne mérite pas un sérieux examen de la part de la Belgique ?
La Belgique peut-elle, à l'aventure, accepter une position qui pourrait devenir pour elle fort difficile ? Je demande à ces messieurs de bien vouloir y réfléchir et je suis convaincu qu'à notre place, ils éprouveraient aussi des hésitations et des perplexités en présence des conséquences qui peuvent surgir des délibérations du congrès qui est projeté.
Je crois, dans tous les cas, que nous nous livrons ici à une discussion prématurée.
Si le gouvernement avait pris un parti définitif, je conçois qu'on pourrait l'interpeller et pousser à bout la discussion. Mais le gouvernement n'a pas encore pris de parti définitif ; il examine ; il délibère, et lorsqu'il aura pris une résolution, il la livrera à l'appréciation de la Chambre et du pays. C'est alors qu'une discussion pourra sérieusement s'établir.
Messieurs, quoi qu'il m'en coûte, je dois dire encore un mot de la question qu'on a traitée la première.
Je ne puis pas accepter l'accusation d'un honorable membre contre le gouvernement d'avoir violé ses engagements par l'expédition au Mexique. D'abord le gouvernement n'est pas solidaire de ce qui a été fait au Mexique.
M. Coomans. - Ne dites pas cela.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Pourquoi rendriez-vous le gouvernement solidaire de l'expédition du Mexique, parce que 1,500 à 1,600 jeunes Belges ont été combattre dans ce pays ?
M. Coomans. - Avec la faveur du gouvernement.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Le gouvernement, tout en ne dissimulant pas ses sympathies pour ces jeunes gens qui allaient affronter des dangers dans des pays lointains, n'a cessé de répéter, et a déclaré dans cette Chambre qu'il restait étranger à cette entreprise. Dans quel but voulez-vous y engager directement le gouvernement ?
M. Coomans. - Parce que c'est la vérité.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Ce n'est pas la vérité.
Je dis que le gouvernement n'a pas violé de traite. Qu'a fait le gouvernement belge ? ii a suivi l'exemple de tous les Etats européens ; il a reconnu l'empereur du Mexique qui s'était substitué au président de la république.
Voilà ce qui a eu lieu, et ce n'est pas violer un traité de commerce que de reconnaître un gouvernement nouveau. Lorsque nous avons reconnu le gouvernement d'Italie, on aurait donc pu prétendre aussi que nous avions violé les traités qui nous liaient à d'autres Etats.
Ces critiques, comme la plupart des critiques de l'honorable membre, me paraissent singulièrement exagérées.
Il a dit qu'un grand nombre de Belges se trouvaient encore au Mexique et que nous avions compromis leur position. C'est encore une pure illusion de la part de l'honorable membre. Il y a très peu de Belges au Mexique. Ceux qui y sont restés, y étaient avant l'expédition, avant le changement de gouvernement. Ils y étaient établis depuis un assez grand nombre d'années ; ils y sont restés ; ils n'y éprouvent aucune sorte de vexation.
Quant aux Belges qui ont pris part à l'expédition, ils sont revenus en grand nombre.
Quant aux autres, ils sont tombés glorieusement ; et lorsque nous faisons un retour sur les craintes qui ont été produites dans cette Chambre, alors qu'on venait nous dire que tous ces malheureux jeunes gens allaient périr jusqu'au dernier, c'est avec consolation que nous constatons que, sur le grand nombre de ceux qui sont partis, 200 à peine ne sont pas revenus. Tous les autres sont rentrés dans le pays. Un seul était resté prisonnier ; ce n'était pas un soldat, c'était un Belge volontaire qui avait suivi l'empereur Maximilien. Celui-là a été emprisonné, mais d'après les dernières nouvelles, il paraîtrait qu'il a été mis en liberté. A part cela, je ne connais pas un seul Belge qui ne soit parfaitement libre au Mexique et qui ait à subir aucune espèce de vexation dans sa personne ou ses intérêts. Je ne sais pas si l'honorable M. Coomans est autrement renseigné ; mais voilà, d'après mes renseignements, ce que je puis déclarer à la Chambre.
M. Thonissenµ. - Je n'ai demandé la parole que pour dissiper un scrupule de l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu. Il a demandé si une convention récente, relative à la démolition de la forteresse de Luxembourg, n'avait pas pour conséquence de modifier la situation de la Belgique, en ce qui concerne l'organisation de ses moyens de défense.
M. Le Hardy de Beaulieuµ. - J'ai demandé quel intérêt l'on avait à faire insérer cette clause.
M. Thonissenµ. - En 1851, la question de savoir si la Belgique neutre pouvait avoir des forteresses a été soulevée au sein de la Conférence de Londres, et elle fut résolue affirmativement.
La Belgique avait manifesté le désir de ne pas être obligée de conserver toutes les places fortes, érigées dans les premières années du royaume des Pays-Bas, le long de la frontière de France. La Conférence de Londres, après une foule de négociations, consentit à ce que la Belgique démolît certaines forteresses ; mais, en même temps, elle nous imposa l'obligation d'entretenir les autres et de les conserver dans un état de défense permanente.
II résulte de là, messieurs, que la Belgique ne peut pas seulement avoir des forteresses, mais que même elle doit en avoir.
Voici une autre preuve.
nu 1815, par un traité daté de Paris, les puissances alliées avaient alloué une somme de 60 millions au royaume des Pays-Bas, pour élever des forteresses le long de la frontière française. En 1832, le compte définitif de ces 60 millions n'était pas encore arrêté. Or, la Conférence de Londres décida que le compte serait rendu et que l'excédant serait remis à la Belgique, pour servir à l'entretien de ses forteresses.
Il est donc évident, comme je l'ai dit, qu'au point de vue du droit européen, non seulement nous pouvons avoir des travaux permanents de fortification, mais que même, à certains égards, nous sommes obligés d'en avoir.
M. Le Hardy de Beaulieuµ. - J'avais posé à M. le ministre des affaires étrangères une question bien précise, bien nette. Il y a répondu diplomatiquement, c'est-à-dire, qu'il a noyé sa réponse dans de longues digressions sur des détails qui ne nous apprennent rien de bien neuf.
Si j'ai bien compris la réponse que l'honorable ministre a prétendu me faire, l'annexe au traité du 11 mai 1867 n'y a été ajoutée, à la demande de la Belgique, qu'à la seule fin de constater qu'elle restait libre dans le choix de ses moyens de défense. Je pense que ce sont bien là les termes mêmes dont s'est servi l'honorable ministre. Je vais traduire, messieurs, cette réponse en termes plus clairs et plus réels, au point de vue du débat qui s'est élevé tantôt et je dis que l'annexe n'avait aucune utilité, aucune nécessité au point de vue diplomatique.
En effet, l'honorable M. Thonissen vient de démontrer d'une façon péremptoire par les actes de la Conférence de Londres de 1830 et 1831, que la Belgique pouvait se défendre et élever des fortifications ; il était donc parfaitement inutile d'adjoindre au traité de 1867 aucune annexe pour nous accorder un droit qui ne nous avait pas été contesté.
Celte annexe n'a donc été faite que pour essayer de justifier aux yeux du pays les augmentations considérables de nos dépenses militaires que l'on se propose de nous faire voter.
Je ne puis donc voir dans l'annexe que ce but unique exclusivement d'ordre intérieur ; c'est pour obtenir ce petit avantage momentané que l'on a fait sortir la Belgique du rôle exclusivement passif qu'elle doit maintenir, en sa qualité d'Etat neutre, dans les négociations et dans les discussions d'intérêt européen.
La déclaration contenue dans l'article 3 du traité du 11 mai n'infirmait en rien les traités de 1839 ni les protocoles antérieurs de la Conférence (page 239) de Londres. II n'y avait donc aucune nécessité de poser un acte diplomatique qui plus tard pourra nous être reproché et retomber de tout son poids sur nous.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je ne puis pas admettre que l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu ait fait sa demande d'explications arec une arrière-pensée quelconque, mais si telle avait été son intention, je lui demanderais de vouloir bien répondre franchement à cette question :
Si l'explication relative au paragraphe 3 n'avait pas été donnée, M. Le Hardy de Beaulieu et les autres partisans de la suppression de l'armée ne seraient-ils pas venus l'invoquer ?
Evidemment le paragraphe explicatif vous gêne, il vous enlève un de vos arguments ; mais ceci ne veut pas dire que c'est dans ce but qu'il a été inséré au protocole. Ce paragraphe consacre le droit de la Belgique. Voilà tout.
- La séance est levée à 4 heures trois quarts.