(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1867-1868)
(Présidence de M. Dolezµ.)
(page 203) M. Van Humbeeck, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 1/4 heures.
M. Reynaert, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. Van Humbeeck, secrétaireµ, présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Des habitants de Saint-Nicolas prient la Chambre de rejeter toutes les propositions qui seraient de nature à aggraver les charges militaires et surtout la charge en hommes. »
- Renvoi aux sections centrales chargées d'examiner les projets de loi relatifs à la réorganisation de l'armée et au contingent.
« Par onze pétitions, des habitants de Verviers demandent la prompte suppression des jeux de Spa. »
« Même demande d'habitants de Dison. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget de l'intérieur.
« Des habitants de Waterloo protestent contre les propositions de la commission militaire et prient la Chambre d'inviter le gouvernement à présenter un projet de loi qui abolisse le tirage au sort pour la milice. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« La chambre de commerce et des fabriques d'Arlon présente des observations en faveur de la demande ayant pour objet d'accorder à la société concessionnaire du réseau franco-prussien une garantie d'un minimum d'intérêt sur une somme proportionnée à l'importance des lignes qu'elle aurait à construire et d'autoriser la suppression des voies inutiles de ce réseau. »
- Même renvoi.
« M. Kervyn de Lettenhove fait hommage à la Chambre :
« 1° Du tome III des Chroniques de Froissart, édité par la commission de l'Académie, chargée de la publication dés grands écrivains belges ;
« 2° Du premier volume des lettres inédites de Comines. »
- Dépôt à la bibliothèque.
« M. De Fré, obligé de s'absenter pour affaires administratives, demande un congé d'un jour. »
- Accordé.
« M. Orts, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé d'un jour. »
- Accordé.
« M. Preud'homme, retenu chez lui pour affaires urgentes, demande un congé de cinq jours. »
- Accordé.
M. le président. - Nous avons à procéder au vote par appel nominal sur les conclusions de la commission des pétitions sur la pétition datée de Courtrai, le 11 mars 1867.
Le sieur Maes, milicien de la classe de 1863, réclame l'intervention de la Chambre, pour obtenir du département de la guerre une réponse à sa demande d'autorisation de se marier.
M. Coomans a demandé que la pétition soit renvoyée à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur la milice.
L'ordre du jour a la priorité ; conformément à la demande qui a été faite à la dernière séance, je mets ces conclusions aux voix par appel nominal.
- Voici le résultat de l'appel nominal :
74 membres sont présents.
50 membres répondent oui.
24 répondent non.
1 membre (M. Muller) s'abstient.
En conséquence l'ordre du jour est adopté.
Ont répondu oui ;
MM. Orban, Pirmez, Rogier, Sabatier, T'Serstevens, Valckenaere, Alphonse Vandenpeereboom, Ernest Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vander Maesen, Vanderstichelen, Van Hoorde, Van Humbeeck, Van Iseghem, Vleminckx, Warocqué, Ansiau, Anspach, Bara, Beeckman, Bouvier-Evenepoel, Bruneau, Carlier, de Baillet-Latour, de Brouckere, de Kerchove de Denterghem, de Maere, de Rongé, de Rossius, Descamps, de Smedt, Dethuin, Elias, Funck, Hagemans, Janssens, Jacquemyns, Jamar, Jonet, Julliot, Lambert, Landeloos, Lange, Lebeau, Lelièvre, Lippens, Moreau, Mouton, Nélis et Dolez.
Ont répondu non :
MM. Reynaert, Thienpont, Thonissen, Van Overloop, Van Renynghe, Vilain XIIII, Wouters, Coomans, David, de Coninck, de Haerne, Eugène de Kerckhove, Delcour, de Liedekerke, de Muelenaere, de Terbecq, de Zerezo de Tejada, d'Hane-Steenhuyse, d'Ursel, Gerrits, Magherman, Moncheur et Notelteirs.
M. le président. - M. Muller est prié de nous faire connaître les motifs de son abstention.
M. Mullerµ. - Messieurs, si le pétitionnaire était venu se plaindre à la Chambre d'un refus d'autorisation de contracter mariage, qu'il aurait essuyé de la part de M. le ministre de la guerre, j'aurais voté l'ordre du jour, parce que M. le ministre de la guerre n'aurait fait qu'user de son droit et que, selon moi, la Chambre ne peut pas entrer dans l'examen de ces détails ; mais j'aurais été partisan du renvoi à M. le ministre de la guerre, parce que le pétitionnaire ne se plaint que de n'avoir pas encore reçu de solution de la part de ce haut fonctionnaire, et non d'avoir essuyé un refus, ce qui est tout différent.
D'un autre côté, n'ayant pu prendre, samedi, la parole pour présenter cette observation, par suite de la clôture un peu brusque de la discussion et de la demande d'un appel nominal, je n'ai pas voulu voter le renvoi à M. le ministre de la guerre, parce que ce vote aurait pu être considéré comme une adhésion à la théorie, beaucoup trop absolue, selon moi, que l'honorable M. Coomans a développée sur la faculté de mariage des miliciens.
MpVµ. - La parole est continuée à M. Bouvier, rapporteur.
M. Bouvier, rapporteurµ. - Par pétition datée de Gosselies, le 26 mars 1867, le sieur Favresse se plaint d'un jugement prononcé par le tribunal correctionnel de Charleroi, le 20 septembre dernier.
Cette pétition devient sans objet, la personne à laquelle il y est fait mention ayant obtenu sa grâce. La commission conclut à l'ordre du jour.
- Adopté.
M. Bouvier, rapporteurµ. - Par pétition datée d'Iseghem, le 18 mars 1867, des habitants d'Iseghem prient la Chambre de discuter, dans le courant de la session actuelle, le projet de loi sur le temporel des cultes.
La nécessité d'introduire des modifications à la législation sur le temporel des cultes a été reconnue depuis longtemps. Le gouvernement l'a si bien compris qu'il a présenté à la sanction de la Chambre, dans la séance du 17 novembre 1864, un projet de loi qui a été discuté dans toutes les sections et en section centrale, sur lequel un rapport a été fait par l'honorable M. Van Humbeeck et déposé par lui sur le bureau le 29 novembre 1865. Il ne lui reste plus qu'à être soumis aux délibérations de l'assemblée.
Dans ces circonstances, l'administration communale d'Iseghem, témoin, comme le proclame la pétition émanée de la ville de Gand, des difficultés et des conflits que soulève le décret de 1809, en présence des grands intérêts qui se trouvent sans cesse compromis ou menacés, alors surtout qu'il s'agit des limites de la capacité civile des fabriques d'église, du contrôle de l'autorité communale sur leur administration (page 204) et leur comptabilité et des rapports d'intérêts établis entre elles et les communes, a cru de son droit comme de son devoir d'appeler avec instance l'attention de la législature sur l'urgence qu'il y a à s'occuper de la discussion de cette loi. Votre commission, sans méconnaître l'urgente nécessité d'une nouvelle législation en cette matière, mais ne pouvant empiéter sur le droit de la Chambre de fixer son ordre du jour, vous propose le dépôt de cette pétition sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur le temporel des cultes.
- Adopté.
M. Bouvier, rapporteurµ. - Par pétition datée de Gand, le 22 mars 1867, l'administration communale de Gand prie la Chambre de mettre le plus prochainement possible à l'ordre du jour le projet de loi sur le temporel des cultes.
Même conclusion, c'est-à-dire, dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur le temporel des cultes.
- Adopté.
M. Bouvier, rapporteurµ. - Par pétition sans date, la veuve Rousseaux réclame l'intervention de la Chambre pour faire rentrer en Belgique son fils Joseph-Prosper qui fait partie de la légion belge au Mexique.
La demande renfermée dans cette pétition étant devenue sans objet depuis le rapatriement des Belges qui se sont rendus au Mexique, votre commission a l'honneur de vous proposer l'ordre du jour.
- Adopté.
M. Bouvier, rapporteurµ. - Par pétition datée de Dickele, le 13 décembre 1866, le sieur Vandevelde, bourgmestre à Dickele, demande que le service postal de cette commune soit amélioré.
M. le bourgmestre de Dickele (Flandre orientale) se plaint du service postal dans sa commune, où la correspondance n'est remise à ses habitants que vers 2 heures du soir, sauf le dimanche et le jeudi, où elle l'est de meilleure heure.
Cet état de choses lui occasionne ainsi qu'à ses administrés un préjudice considérable et auquel il convie la Chambre d'apporter un prompt remède.
Votre commission a l'honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition à M. le ministre des travaux publics.
- Adopté.
M. Bouvier, rapporteurµ. - Par pétition datée d'Anvers le 15 novembre 1865, le sieur Peeters demande la réhabilitation des condamnés Coucke et Goethaels.
Une pétition identique à celle dont l'analyse vous est présentée ayant pour but d'obtenir la réhabilitation de Coucke et Goethaels a fait l'objet des débats du Sénat dans la séance du 22 mars 1866. Cette assemblée a prononcé l'ordre du jour sur la pétition qui lui était soumise, le renvoi à M. le ministre de la justice ne devant amener aucun résultat, parce que la réhabilitation ne s'applique pas aux condamnés à mort qui ont subi leur peine. Il résulte des pièces et des documents qui ont été soumis à votre commission qu'aucun doute ne peut être élevé sur leur culpabilité.
Le savant procureur général à la cour d'appel de Bruxelles, M. de Bavay, dans un discours prononcé devant cette cour le 15 octobre 1862, imprimé à Bruxelles par Devroye, a démontré d'une manière irréfutable que Coucke et Goethaels, condamnés par la cour d'assises du Hainaut comme complices de l'assassinat commis sur la personne de Mme veuve Dubois, à Couillet, et comme auteurs et complices du vol commis au même instant avec les cinq circonstances reprises à l'article 381 du code pénal, étaient les vrais coupables de ces forfaits qu'ils ont expiés par leur exécution à mort.
Votre commission a l'honneur de vous proposer l’ordre du jour.
M. Gerritsµ. - Messieurs, je viens m'opposer aux conclusions de la commission et je propose le renvoi de la pétition à M. le ministre de la justice.
Vous n'ignorez pas combien l'esprit public a été ému par la manière dont Coucke et Goethaels ont été condamnés.
Grand nombre de journaux rédigés en français et presque tous les journaux flamands ont signalé dans ce procès une manière de faire tellement irrégulière, tellement grave, que réellement on a peine à croire à l'existence du fait.
Non seulement Coucke et Goethaels ont été accusés et ont été condamnés dans une langue dont l'un des deux, au moins, ne comprenait pas un mot ; mais il paraît certain que l'interprète qui les assistait devant la cour d'assises ne connaissait presque pas la langue des accusés et ne connaissait pas bien la langue des juges. Cet interprète, improvisé à l'audience, était un simple gendarme, né dans le Luxembourg. On a cité dans les journaux des phrases entières qui auraient été traduites de la manière la plus erronée,
Aussi, dès le premier jour, dès le lendemain de la condamnation, il s'est produit dans le pays des protestations. Des doutes sérieux se sont répandus dans le public, quant à la culpabilité des condamnés. Ces doutes ont été singulièrement confirmés, lorsque, quelque temps après, des membres de la fameuse bande noire ont avoué qu'ils étaient les auteurs du crime pour lequel Coucke et Goethaels ont été condamnés et exécutés.
Vous comprenez que ce procès est l'un de ceux qui prouvent le mieux combien il est nécessaire de faire cette loi qui réglera l'emploi des langues dans les affaires judiciaires, loi qui est prévue dans l'article 25 de la Constitution.
Si le gouvernement persiste à ne pas nous présenter de projet à cet effet, mes amis et moi, nous userons de notre initiative parlementaire, L'an dernier déjà, l'honorable M Van Wambeke a annoncé qu'il avait l'intention de soumettre un projet de loi à la Chambre lorsqu'on s'occupera de la discussion de l'organisation judiciaire.
En attendant, il ne serait pas convenable, me paraît-il, de prononcer l'ordre du jour sur une pétition qui touche si vivement au sujet que nous aurons à débattre.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Si mes souvenirs sont exacts, je crois que l'honorable membre a déjà fait une pareille proposition sur une demande semblable qui avait été adressée à la Chambre.
M. Gerritsµ. - C'est une erreur.
- Un membre. - C'est M. Delaet.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Soit. Un honorable député d'Anvers a fait une demande semblable à propos du même objet. J'ai répondu à cet honorable membre qu'il était impossible au gouvernement de répéter tous les jours les mêmes réponses. Je suis complètement désintéressé dans l'affaire Coucke et Goethaels ; ce n'est pas sous mon administration...
M. Coomans. - Ce n'est pas une question personnelle.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - L'honorable M. Coomans ne sait pas même ce que je vais répondre ; il a tellement besoin de contredire un ministre qu'il le fait avant même qu'il ait pu s'expliquer. (Interruption.)
Je dis que je suis désintéressé dans l'affaire, qu'elle ne s'est pas passée sous mon administration ; mais je ne puis pas admettre que ce procès de Coucke et Goethaels se soit passé d'une manière irrégulière, contrairement à la loi, au mépris de la justice ; je ne puis pas admettre que mon honorable prédécesseur eût autorisé l'exécution des condamnés s'il n'avait eu tous ses apaisements quant à leur culpabilité.
L'honorable membre demande que la pétition dont nous nous occupons soit renvoyée au ministre de la justice. Le gouvernement a donné tous les renseignements demandés par M. Gerrits, si je ne me trompe ; le procureur général a répondu à toutes les attaques dirigées contre l'arrêt de la cour d'assises du Hainaut ; que voulez-vous que fasse le gouvernement ? Le gouvernement ne pourra que répéter les explications du procureur général et celles qu'il a déjà fournies lui-même.
Tout à l'heure, j'avais à mes côtés le défenseur d'un des accusés, et il m'a dit une chose dont je ne doutais, du reste, pas, que si la moindre irrégularité eût été commise, il n'eût pas manqué d'en faire l'objet d'un incident. Mais on se plaint que les accusés aient été jugés dans une langue qu'ils ne connaissaient pas. C'est le grand grief. Or, Goethaels savait parfaitement le français, et Coucke le comprenait ; quant à l'interprête qui traduit les dépositions flamandes, on m'a assuré que ce n'était pas un gendarme né dans le Luxembourg, mais un huissier, Hollandais de naissance.
Je le répète, messieurs, le gouvernement ne pourrait, si la pétition lui était renvoyée, que reproduire les explications qui ont déjà été fournies.
M. Gerritsµ. - Si j'ai demandé le renvoi à M. le ministre, c'est parce que je crois que si M. le ministre avait la conviction qu'il s'est passé, dans ce procès, des faits comme ceux qui ont été signalés par les journaux, il prendrait des mesures pour que des abus aussi scandaleux ne puissent plus se reproduire.
J'ai vu dans tous les journaux que l'interprète était un gendarme ; M. le ministre de la justice vient de dire que c'était un huissier ; je le remercie de cette explication.
Une autre raison pour laquelle j'ai demandé le renvoi à M. le ministre, c'est que j'espère que l'étude de ce procès, l'engagera à présenter une loi pour faire cesser les abus dont nous nous plaignons.
L'emploi presque exclusif de la langue française, dans les provinces flamandes, blesse non seulement nos intérêts, mais notre dignité (page 205) nationale, et nous avons le droit d'exiger des magistrats comme des autres fonctionnaires qu'ils emploient la langue de leurs administrés.
J'ai la certitude qu'un projet présenté par le gouvernement aurait beaucoup plus de chances d'être adopté qu'un projet présenté par un membre de la minorité.
Nous serons cependant forcés de présenter ce projet de loi si le gouvernement ne veut pas le faire. Mais, en attendant, je n'ai pas voulu laisser passer une seule occasion de protester contre la manière dont la justice est rendue aux populations flamandes.
Voilà le but de ma proposition.
M. Carlierµ. - Je demande pardon à la Chambre de l'entretenir un moment d'une chose qui m'est tout à fait personnelle.
J'étais chargé de la défense de Coucke et je puis attester à mon honorable collègue, M. Gerrits, que si aucune des irrégularités qu'on lui a erronément signalées s'était produite, je ne me serais pas contenté de protester, mais j'aurais empêché tout fait de cette nature qui aurait porté atteinte aux droits de mon client.
Il peut être convaincu que la cause de Coucke et de Goethaels a été instruite et jugée avec tout le soin possible.
J'ai eu soin de me faire assister d'un interprète flamand pour expliquer à Coucke tous les actes de la procédure et toutes les phases du procès. Goethaels savait parfaitement le français et il a assisté à toutes mes conférences avec Coucke.
Naturellement, je n'ai pas à recommencer le procès de Coucke et Goethaels. C'est pourquoi je ne donne mon opinion ni sur leur innocence ni sur leur culpabilité.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, je ne puis que protester contre les accusations de l'honorable M. Gerrits.
Ce sont des accusations stéréotypées.
Tous les jours les mêmes personnes répètent que Coucke et Goethaels ont été exécutés quoique innocents et en infèrent que les Flamands ne peuvent se défendre convenablement devant la justice belge.
Les faits, messieurs, donnent le démenti le plus complet à ces accusations qui ont déjà été plus de vingt fois réfutées ailleurs et dans cette enceinte.
L'honorable M. Gerrits a fait l'année dernière la même interpellation. Il a reproduit ses observations lors de la discussion du budget de la justice et cela, messieurs, pour faire croire que les Flamands ne sont pas traités sur le pied de l'égalité.
Si les honorables membres ont des moyens de faire cesser le prétendu grief, qu'ils les emploient ; qu'ils usent de leur initiative ; qu'ils déposent un projet de loi.
M. Gerritsµ. - Nous venons de dire que nous le ferons.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Soit, mais je doute que l'honorable membre parvienne à faire croire à cette Chambre que les Belges, Flamands ou Wallons, ne sont pas jugés d'une manière convenable.
M. Coomans. - Pour mon compte, je n'affirme pas que Coecke et Goethals aient été injustement exécutés. Je n'affirme pas qu'il y ait eu des irrégularités judiciaires dans le cours de ce procès.
Je ne fais de reproche à personne. Nous devons tous rester dans le doute à ce sujet, doute pénible, mais obligatoire. Mais, ce que j'affirme, ce que vous devez tous affirmer et ce qui doit suffire pour faire repousser l'ordre du jour, c'est qu'il est inique et absurde de juger et de condamner les gens dans une langue qu'ils ne possèdent pas.
Voilà la signification donnée par l'honorable M. Gerrits à son opposition à l'ordre du jour.
Or, vous devez le reconnaître, dans tous les pays, à commencer par l'état sauvage jusqu'en plein moyen âge, la première garantie d'une bonne justice a été la langue.
Il est impossible, à moins de remonter aux temps les plus barbares du paganisme, d'admettre qu'un homme puisse être convenablement jugé dans une langue qu'il ne comprend pas. Je vois un signe d'assentiment de l'honorable M. Carlier. Je l'en remercie.
Eh bien, messieurs, voilà ce que vous ne pouvez pas refuser, en conséquence vous devez vous opposer à l'ordre du jour.
Il ne s'agit pas de savoir si M. Bara était ministre lorsque le procès de Coucke et Goethaels a eu lieu, il ne s'agit pas de savoir si des irrégularités ont été commises ; c'est vouloir embrouiller une question très simple. Nous affirmons une seule chose, mais nous l'affirmons de toutes les forces de notre âme, c'est qu'il est inique et absurde de juger et de condamner les gens dans une langue qu'ils ne comprennent pas. En fait, cet abus s'est-il commis ? Oui, nous le savons, et pour ma part, j'ai vu condamner des gens dans une langue dont ils n'entendaient pas un mot. Ils devaient se fier à des avocats, honorables sans doute, mais quand il s'agit de la vie et de l'honneur des citoyens, on peut prendre des précautions envers tout le monde même envers les avocats.
Mais on a commis des balourdises singulières, non seulement dans le procès de Coucke et Goethaels, mais dans d'autres ; je pourrais, par exemple, vous citer ce fait que des magistrats très éclairés, très savants ont fait des traductions incroyables du flamand en français ; c'était, si je ne me trompe, en cour de cassation ou tout au moins en cour d'appel. Il s'agissait de traduire ces mots : « Rekening vragen over hun beheer » ; et que faisaient MM. les magistrats supérieurs ? Ils les traduisaient par ceux-ci : » Demander des comptes sur leur honneur », lis avaient traduit « beheer » qui signifie gestion ou pouvoir, je l'apprends à M. Bara, par honneurs. (Interruption.) Ce mot « beheer » a plusieurs significations ou nuances, mais il ne signifie pas honneur.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il est impossible au gouvernement de laisser passer les paroles de M Coomans. L'insistance que l'honorable membre met à dénigrer la justice...
M. Coomans. - A quoi ?
M. le ministre de la justice (M. Bara). - A dénigrer la justice...
M. Coomans. - Je ne dénigre rien.
M. le président. - Je vous prie, M. Coomans, de ne pas interrompre.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Vous ne parviendrez pas à l'en empêcher, M. le président.
M. le président. - J'espère que si !
M. le ministre de la justice (M. Bara). - M. Coomans prétend que les Flamands sont jugés de façon à ne rien comprendre aux faits qui sont articulés contre eux. Mais voyons un peu à quel résultat on aboutirait si l'on écoutait M. Coomans ? M. Coomans est sans doute un grand démolisseur ; des abus, il en trouve partout ; des griefs, il en formule à chaque instant ; il ne voit que choses à abattre. Quant au système qui doit porter remède à tous les maux, quant à sa panacée universelle, M. Coomans ne l'apporte jamais.
M. Coomans nous dit qu'un Flamand traduit devant une cour d'assises du pays wallon ne comprend rien à l'instruction dirigée contre lui ; c'est inexact ; il y a devant la cour d'assises un interprète chargé de traduire l'acte d'accusation, les dépositions des témoins, les questions du président, les questions posées au jury, le verdict du jury. Cela ne suffit pas à M. Coomans. Oh, dit-il, on a vu des interprètes qui traduisent très mal. Bientôt ou devra demander à une Académie flamande de désigner les interprètes et d'apprécier les connaissances qu'ils possèdent.
Eh bien, messieurs, si ce qui existe ne suffit pas, voyons où nous irions en suivant les honorables membres.
Et d'abord, il faudra évidemment donner aux Flamands traduits devant la Cour d'assises du Hainaut, par exemple, trois juges flamands ; c'est-à-dire que nous allons avoir partout une double justice, une justice wallonne et une justice flamande. Car M. Coomans, qui parle toujours d'égalité devant la loi, ne prétendra pas, je suppose, que les Flamands seuls puissent prétendre aux fonctions judiciaires dans les provinces wallonnes.
Ce serait rompre complètement le principe de l'égalité de tous les Belges devant la loi ; ce serait violer en outre le principe constitutionnel en vertu duquel les Belges peuvent parler la langue qui leur convient.
Ce n'est point tout encore ; il faudrait constituer un jury flamand et c'est probablement à Turnhout qu'on ira chercher les douze citoyens appelés à former le jury du Hainaut. On devra donc appeler, pour juger les accusés, des gens étrangers au pays, n'en connaissant pas les mœurs et n'étant, par conséquent, pas en mesure de bien apprécier les faits. Il y aurait un jury ambulant, chargé de se rendre dans les différentes parties du pays wallon, pour juger les crimes qui seraient commis par des Flamands. (Interruption.)
Est-ce que tout cela est sérieux ; est-ce que tout cela est possible ? Ne serait-ce pas, au contraire, le renversement de toutes les garanties qu'offre la justice ?
Avons nous prétendu que la diversité des langues dans un pays, n'offre pas des inconvénients ? Jamais, messieurs ; mais n'y a-t il donc que les Flamands qui souffrent de ces inconvénients ? Est-ce que, quand les Wallons, vont plaider dans les provinces flamandes, ils ne rencontrent pas également ces inconvénients ?
Et cependant, messieurs, est-ce qu'ils viennent vous demander des (page 206) juges français, des jurys français quand ils vont plaider devant des cours d'assises flamandes ? Evidemment non : ils constatent ces difficultés et ils les subissent parce qu'elles sont inhérentes à la nature des choses.
Il y a plus ; si le système des honorables membres pouvait prévaloir, comme tous les Belges sont égaux devant la loi, il faudra constituer des cours et des jurys allemands ; car, messieurs, nous avons aussi des compatriotes qui ne parlent que la langue allemande ; et ils ont, autant que les Flamands, le droit de réclamer des juges qui comprennent leur langue.
J'ai donc le droit de dire, messieurs, que c'est là un thème d'agitation et rien de plus. On cherche à persuader aux populations flamandes qu'elles sont placées dans des conditions moins favorables que les autres populations du pays. On cherche à faire croire qu'elles sont persécutées, qu'elles sont des parias. Eh bien, messieurs, ce sont là des assertions purement gratuites et que rien ne justifie.
Le gouvernement, et moi tout le premier, je suis tout disposé à faire tout ce qui est possible pour les populations flamandes. Mais ce que je n'admets pas, c'est qu'on demande aux pouvoirs publics le renversement du principe de l'égalité des Belges devant la loi, c'est que l'on demande l'organisation d'une justice qui serait contraire au bon sens et à la raison et que nous ne pourrions pas plus établir en Belgique qu'on ne songe à le faire dans les autres pays où l'on parle plusieurs langues.
Je crois donc que la commission a eu parfaitement raison de proposer l’ordre du jour. Cependant si l'on considère l'ordre du jour comme ayant un caractère dédaigneux et si, comme on le dit, la pétition renferme des idées utiles à étudier, je ne m'oppose nullement à ce qu'on la renvoie au département de la justice. Mais quant au procès Coucke et Goethaels, je déclare que je ne puis fournir aucun nouveau renseignement.
M. Lelièvreµ. - Je ne puis me défendre de faire une observation sur l'objet de la discussion. Je suis convaincu que toutes les formes tutélaires ont été observées dans l'affaire Coucke et Goethaels. L'affirmation de notre honorable collègue M. Carlier ne permet pas, du reste, d'élever à cet égard le moindre doute. Les droits des accusés n'ont donc été lésés par aucun acte irrégulier.
D'un autre côté, les accusés ont été déclarés par le jury coupables d'être les auteurs d'un assassinat suivi de vol.
Or, d'après toutes les règles suivies depuis 1830 au département de la justice en matière d'exécutions judiciaires, on a constamment laissé suivre le libre cours de la justice, quand il s'agissait d'individus déclarés coupables d'avoir commis un assassinat, comme moyen de consommer un vol.
Je comprends donc parfaitement l'exécution des condamnés en présence du verdict du jury, mais d'après les observations publiées par M le procureur général De Bavay, j'estime que Coucke et Goethaels ne seraient pas auteurs de l'assassinat, mais simplement complices. Or, si ces faits eussent été reconnus par le jury, les condamnés n'eussent pas été exécutes, parce que d'après la jurisprudence admise avec raison au département de la justice depuis nombre d'années, jamais on n'a exécuté des condamnés qui n'avaient pas participé directement et activement au fait même d'assassinat, il me paraît donc que c'est la qualification erronée donnée par le jury aux faits dont les accusés ont été déclares convaincus qui a été cause que la peine capitale n'a pas été commuée, Coucke et Goethaels, simples coupables, auraient obtenu certainement une commutation de peine.
Telles sont les observations que j'ai cru devoir proposer et qui me détermineront a voter le renvoi de la pétition à M. le ministre de la justice.
M. Gerritsµ. - Messieurs, j'ai été extrêmement surpris lorsque j'ai entendu tout à l'heure M. le ministre de la justice invoquer le principe de l'égalité, pour s'opposer à ce que nous demandons, c'est-à-dire que les Flamands soient accusés, entendus et jugés dans leur propre langue ; M. le ministre prétend que l'égalité existe en Belgique pour tous les citoyens.
Eh bien, nous prétendons le contraire ; cela est tellement évident que personne ne pourra contester notre affirmation.
Je soutiens que le citoyen flamand n'est en rien l'égal du citoyen wallon devant une administration publique quelconque. (Interruption.)
Lisez le rapport de la commission qui a été instituée par arrêté royal, et vous serez convaincus de la vérité de ce que j'avance ; relisez le rapport qui vous a été présenté par mon honorable ami, M. Delaet, et vous aurez l'intime conviction que nous sommes comme des étrangers devant toutes les administrations publiques. Il n'y a qu'une seule langue officielle, ce n'est pas la nôtre, c'est la langue française.
Pour le moment, cette question-là n'est pas en discussion ; je ne veux pas élargir le cercle du débat, mais je prétends que, dans l'administration de la justice, l'iniquité est tellement flagrante qu'elle ne serait tolérée dans aucun pays civilisé. (Interruption.)
Je le répète, elle ne serait tolérée dans aucun pays civilisé. Il est indigne d'un pays civilisé qu'un citoyen qui appartient à la majorité de la population, parce que, nous autres Flamands, nous formons la majorité du peuple belge, qu'un citoyen appartenant à la majorité de la population, soit jugé dans une langue qu'il ne comprend pas.
M. le ministre de la justice dit que ce n'est, de notre part, qu'un thème d'agitation. Eh bien, il appartient à M. le ministre de la justice de nous enlever ce thème d'agitation. Nous ne sommes pas exigeants ; que M. le ministre de la justice dépose un projet de loi déclarant que dans les provinces flamandes, le citoyen flamand ne sera plus accusé dans une langue qu'il ne comprend pas et nous serions déjà très reconnaissants de cette mesure à M. le ministre de la justice.
L'abus n'existe pas seulement dans les provinces wallonnes ; il existe encore dans les provinces flamandes. A Anvers, devant la cour d'assises, le procureur du roi accuse presque toujours en langue française. Cela est non seulement odieux, mais presque ridicule.
Si M. le ministre de la justice voulait nous ôter ce thème d'agitation, il présenterait un projet de loi pour appliquer, au moins aux provinces flamandes, la mesure que nous réclamons et, je le répète, nous lui eu serions reconnaissants.
Maintenant, l'honorable ministre nous demande pourquoi nous ne déposons pas nous-mêmes un projet de loi. J'ai déjà répondu tout à l'heure à cette observation. Nous attendons la discussion du projet de loi sur la réorganisation judiciaire.
D'autre part, l'honorable M. Van Wambeke nous a fait connaître l'année dernière son intention de saisir la Chambre d'une proposition ; mais nous préférerions de beaucoup voir le gouvernement déposer lui-même un projet de loi, parce que nous savons que si des membres.de la minorité prennent l'initiative, le gouvernement nous accusera de vouloir faire de l'agitation.
Voilà pourquoi l'année dernière nous avons prié M. le ministre de la justice de présenter un projet de loi. Nous l'y convions de nouveau : l'honorable membre n'appartient pas aux provinces flamandes ; il ne sait peut-être pas ce qui se passe dans ces provinces. Mais je déclare que dans l'intérêt de la justice, je vais plus loin : dans l'intérêt de notre nationalité, cette iniquité doit nécessairement disparaître.
M. Bouvier, rapporteurµ. - Messieurs, j'ai lu très attentivement le discours prononcé devant la cour d'appel par l'honorable procureur général M. De Bavay ; j'ai lu également avec non moins d'attention la pétition rédigée en flamand en faveur de Coucke et de Goethaels, celle langue ne m'étant pas étrangère, Non seulement j'ai examiné avec le plus grand soin cette pétition, mais je me suis même adressé à M. le ministre de la justice, pour lui demander s'il n'y avait pas possibilité d'être renseigné encore davantage : tant la question qui concerne la vie de nos semblables me paraît grave et délicate.
Au département de la justice on m'a fourni, avec le plus louable empressement, une pièce d'où il résulte que Goethaels était en aveu des crimes dont on l'a accusé. C'est le rapport présenté à M. le ministre de la justice par M. De Bavay, rapport demandé par ce haut fonctionnaire avant de prendre une décision sur la requête en grâce qui avait été adressée à son département. Ce n'est qu'après avoir pris connaissance de ce rapport qui ne laisse, comme je l'ai déclaré à la Chambre, aucun doute sur la culpabilité de Coucke et Goethaels, que leur exécution a été décidée. Toutes les garanties qu'ils étaient en droit d'attendre de la justice de leur pays ont donc entouré les deux condamnés et la conscience publique doit être rassurée ; la vindicte publique ne s'est pas trompée en les frappant.
Pour établir ce point, je ne puis mieux faire, si la Chambre le permet, que d'invoquer ce rapport qui jette les plus vives lumières sur le débat soulevé devant l'assemblée.
- Des voix. - Parlez, parlez !
M. Bouvier, rapporteurµ. - « Goethaels et Coucke ont été condamnés à la peine de mort par arrêt de la cour d'assises du Hainaut, du 25 août dernier, comme complices (page 207) de l'assassinat commis dans la nuit du 23 au 24 mars sur la personne de Mme veuve Du Bois, à Couillet, et comme auteurs et complices du vol commis au même instant à son préjudice, et avec les cinq circonstances reprises à l'article 381 du code pénal. Mme Du Bois a survécu cinq jours à la blessure qu'elle avait reçue et qui a entraîné sa mort. Elle avait conservé toute sa liberté d'esprit, et elle a fait connaître à différentes personnes, ainsi qu'à la justice qui l'interrogeait, les détails des crimes constatés plus tard à charge des deux condamnés. Elle a déclaré notamment que, se trouvant couchée seule au rez-de-chaussée, elle avait vu entrer vers minuit, dans sa chambre à coucher, trois hommes qui avaient la figure noircie ; que le chef de la bande, celui qui l'avait frappée, était un petit avec des moustaches et une impériale roussâtres, ce qui s'applique parfaitement à Goethaels ; que le second était de la même taille, et que le troisième était beaucoup plus grand : et Coucke a en effet dix centimètres de plus que Goethaels ; que tous trois avaient parlé le flamand entre eux ; que les deux petits avaient même proféré aussi quelques mots en français, mais que le plus grand ne s'était jamais servi de cette dernière langue ; et il a été constaté en effet par la procédure que Goethaels, bien que né à Lootenhulle, près de Gand, parle avec assez de facilité un français-wallon, mais que Coucke ne connaît pas un mot de français.
« Nous avons fait toutes les recherches possibles et nous les continuons encore aujourd'hui, afin de découvrir le complice des deux condamnés, qui se trouvait avec eux dans la maison de la veuve Du Bois. Dans cet état de choses, le jury du Hainaut s'est sans doute demandé s'il ne serait pas possible que ce troisième complice eût fait à Mme Du Bois l'énorme blessure dont elle est morte cinq jours plus tard ; et c'est probablement pour ce motif qu'il a répondu négativement à la quatrième et à la septième questions, par lesquelles on lui demandait si Goethaels et Coucke étaient coupables d'avoir volontairement porté le coup et fait la blessure reprise et mentionnée à la première question. Mais il n'a pas hésité, en répondant aux cinquième et sixième questions, à déclarer Goethaels complice de ce coup et de cette blessure ;
« 1° Pour avoir procuré les instruments qui ont servi à commettre l'action, sachant qu'ils devaient y servir ;
« 2° Pour avoir, avec connaissance, aidé ou assisté l'auteur ou les auteurs de l'action dans les faits qui l'ont préparée, facilitée ou consommée. Il n'a pas hésité davantage, en répondant à la neuvième question, à reconnaître également cette dernière complicité dans le chef de Coucke ; et, dans le fait, il résulte encore des déclarations de la veuve Du Bois, qu'elle n'a pas été frappée dans son lit, mais que les trois malfaiteurs se sont jetés sur elle, l'ont arrachée violemment de son lit, et qu'ils l'ont étendue sur le plancher pour donner au plus petit, qui marchait en tête de la bande, le moyen de la frapper dans cette position. Il est résulté enfin de l'instruction que la blessure qui a entraîné la mort de Mme Du Bois lui a été faite au moyen d'une pioche dont Goethaels s'était servi toute la journée en sa qualité de chef piocheur au chemin de fer industriel de douillet, et qu'il avait abandonné le soir cette pioche sur ce chemin de fer, à un endroit où il passé et où il devait passer quelques heures plus tard avec Coucke, au moment où ils allaient commettre leur crime. Cette pioche ne se terminait pas en pointe, mais elle présentait, à son extrémité, la forme d'un ciseau de menuisier ; et comme elle avait traversé la jaquette, la chemise et un gilet en flanelle rouge de la victime, les jurés ont reconnu, comme nous, que cette extrémité s'adaptait de la manière la plus parfaite aux entailles de ces trois vêtements.
« Aussi, tout en ne voulant pas prendre sur lui de considérer le chef-piocheur Goethaels comme l'auteur de ce coup de pioche, le jury n'a-t-il pas hésité, comme nous l'avons vu, à déclarer Goethaels complice de ce coup et de cette blessure, pour avoir procuré les instruments qui ont servi à commettre l'action, sachant qu'ils devaient y servir. Nous n'en persistons pas moins, pour ce qui nous concerne, à voir dans Goethaels le véritable assassin de Mme Du Bois, d'autant plus qu'à la manière dont le coup a été porté, il n'a pu l'être que par un piocheur. Les auteurs du crime avaient commencé en effet, comme nous l'avons dit, par étendre Mme Dubois sur le plancher à côté de son lit, et c'est dans cette position qu'elle a reçu le coup de pioche ; mais ce coup, au lieu de porter sur la partie antérieure du corps, est venu atteindre Mme Du Bois à l'omoplate droite, deux ou trois pouces en dessous de l'épaule, et à l'endroit où le corps de la victime touchait au plancher. Mme Du Bois a donc été frappée par dessous, de la même manière que les piocheurs des chemins de fer atteignent leurs billes quand ils veulent les assujettir. La susceptibilité du jury à donc été évidemment la seule cause de la réponse négative qu'il a donnée à la quatrième question ; aussi Goethaels s'attendait-il si bien à être condamné, non seulement comme complice, mais comme auteur de l'assassinat, qu'il a reconnu spontanément sa participation au crime, en ayant soin toutefois de s'attribuer une position plus secondaire et de se placer en sentinelle dans une prairie contiguë à la maison de la veuve Du Bois. Goethaels a ajouté que les auteurs principaux, auxquels il adjoignait Coucke dans ses révélations, se trouvaient dans l'intérieur de la maison.
« Les révélations de Goethaels se sont produites spontanément le 15 juillet, au moment où il venait d'apprendre que la chambre du conseil l'avait renvoyé à la chambre des mises en accusation, et au moment où il a vu qu'il serait prochainement traduit aux assises du Hainaut. Il les a faites d'abord au directeur de la prison de Charleroi, et il les a confirmées le lendemain devant le juge d'instruction, en ajoutant que l'idée de commettre le crime lui avait été suggérée par Coucke et que Coucke était entré dans la maison de Mme Du Bois avec les deux autres assassins qui étaient, disait-il, les nommés De Brouwer et Baugniet, c'est-à-dire les deux principaux témoins de l'accusation. Quant à lui-même, il a prétendu s'être borné à faire le guet dans la prairie voisine, et n'avoir rien reçu dans le produit du vol ; ce qui n'a pas empêché le jury, dans ses réponses aux 20ème, 21ème et 22ème questions, de considérer Goethaels comme auteur et subsidiairement comme complice de ce vol, pour avoir assisté son auteur dans les faits qui l'ont préparé, facilité ou consommé et pour lui avoir procuré les instruments qui ont servi aie commettre.
« Après avoir fait cet aveu une première fois et spontanément au directeur de la prison : après l'avoir réitéré le lendemain devant le juge d'instruction, Goethaels l'a confirmé une troisième fois le 17 juillet, et il l'a maintenu encore trois autres fois, en présence de Coucke, Baugniet et De Brouwer, qu'il accusait d'être les auteurs principaux du crime. Il a cependant révoqué plus tard, devant le président de la Cour d'assises du Hainaut, tout ce qu'il avait déclaré à ce sujet dans les trois interrogatoires et dans les trois confrontations dont nous venons de parler. Il a même soutenu alors, et il a soutenu ensuite devant le jury, qu'il n'avait pas approché de la maison de madame Du Bois, et qu'il n'avait pris aucune part au crime de Couillet. Mais il est impossible d'admettre que Goethaels se soit spontanément attribué une intervention secondaire dans ce crime ; qu'il ait maintenu cette intervention secondaire dans trois interrogatoires différents ; qu'il l'ait maintenue trois autres fois en présence de Coucke, de Baugniet et de De Brouwer, s'il n'avait pris lui-même aucune part au crime qui nous occupe. Car il devait savoir que celle intervention, quoique plus ou moins secondaire, le rendait au moins complice de ce crime, et qu'elle devait entraîner pour lui la même peine que pour ses auteurs principaux. Il ne pouvait donc avoir d'autre but, en s'attribuant cette position secondaire, que celui de sauver sa tête par une commutation de peine ; aussi le jury n'a-t-il pas hésité, malgré ses rétractations postérieures :
« 1° A le déclarer complice de l'assassinat de la veuve Du Bois, pour avoir fourni l'instrument (la pioche) qui a servi à commettre cet assassinat et pour avoir assisté l'auteur de ce crime dans les faits qui l'ont préparé, facilité ou consommé ;
« 2° A le déclarer coupable comme auteur, et subsidiairement comme complice du vol commis à la suite et au moyen de cet assassinat, et qui réunissait, d'après la réponse du jury aux 10ème, 11ème, 12ème, 13ème, 14ème, 15ème 16ème, 17ème, 18ème et 19ème questions les cinq circonstances auxquelles l'article 381 du code pénal attache la peine de mort. Le jury a donc évidemment reconnu la présence de Goethaels dans la maison de la veuve Dubois, et sa coopération à tous les faits qui s'y sont passés dans la nuit du 23 au 24 mars. Il a d'ailleurs été parfaitement établi et Goethaels a dû finir par le reconnaître lui-même devant le jury, qu'il s'était trouvé avec Coucke au cabaret de De Brouwer dit le Tambour, pendant la soirée qui a précédé le crime ; qu'ils sont sortis de ce cabaret à 11 1/2 heures ; que Coucke, au lieu de retourner à sa maison, située à dix mètres du cabaret, a pris le chemin tout contraire, et a marché avec Goethaels dans la direction de la maison de la veuve Du Bois, en suivant le chemin de fer industriel de Couillet ; que Goethaels n'est rentré qu'à une heure moins dix minuits du matin, dans la baraque qu'il occupait avec deux autres piocheurs, le long de ce chemin de fer industriel ; qu'il ne lui fallait enfin qu'un quart d'heure pour se rendre du cabaret à cette baraque. Goethaels, nous le répétons, a reconnu tous ces faits devant la cour d'assises. Il en résulte qu'il aurait dû rentrer chez lui au plus tard à minuit moins un quart ou minuit moins dix minutes, et qu'il y a pendant la nuit du 23 au 24 mars, une heure tout entière dont il ne peut rendre compte, puisqu'il n'est (page 208) rentré à sa baraque qu'à une heure moins dix minutes du matin. Or c'est précisément à minuit, ou minuit et quelques minutes, que les assassins de Mme Du Bois sont entrés chez elle ; et la maison de Mme Du Bois était située tout au plus à deux ou trois cents mètres du chemin de fer et de la baraque habitée par Goethaels et par ses deux compagnons.
Pour ce qui concerne Coucke, l'instruction a établi qu'il était obligé d'emprunter de l'argent à Rosalie Gagnage, sa concubine, le samedi qui a précédé le crime de Couillet ; que Rosalie Gagnage lui avait avancé 15 fr. et que Coucke les lui a restitués le lendemain du crime, vers 9 heures du matin, dans le cabaret de De Brouwer, en faisant changer par De Brouwer une pièce d'or de 20 fr. La veille du crime, au contraire, Coucke empruntait une pièce de 5 fr. à ce même De Brouwer ; et ces deux faits, mis en rapport avec la route que Coucke et Goethaels avaient suivie en sortant du cabaret, ont donné à De Brouwer et à Baugniet, son beau-frère, qui était sorti en même temps qu'eux pour retourner chez lui la conviction qu'ils avaient dû participer à l'assassinat et au vol commis chez la veuve Du Bois.
« Mme Du Bois nous a déclaré d'ailleurs, comme elle l'a déclaré à d'autres personnes, qu'on lui avait volé, indépendamment de 650 fr. en pièces de cinq francs, un porte-monnaie qui contenait une centaine de francs en pièces d'or de dix et de vingt francs. La pièce d'or de vingt francs, changée par Coucke, le lendemain du crime provenait évidemment, selon nous, du vol commis chez la veuve Du Bois. Cela est d'autant plus certain que Coucke a assigné deux origines différentes à cette pièce de vingt francs, et que ces deux origines ont été reconnues fausses. Il a cherché ensuite à reporter l'échange de la pièce d'or à une date antérieure ; et Rosalie Gagnage, sa concubine, qui nous avait signalé la première cet échange et sa date réelle, le lendemain de l'arrestation de Coucke et qui avait maintenu en entier cette déclaration dans une déposition postérieure donnée par elle, est venue mentir ensuite à la justice, en déclarant sous serment devant le jury, que l'échange de la pièce d'or n'avait pas eu lieu le 24 mars, mais quelques jours plus tard. De Brouwer et sa femme, au contraire, ont maintenu ce qu'ils avaient dit précédemment au sujet de la date de cet échange, et Rosalie Gagnage, qui avait fait sous ce rapport une déclaration mensongère devant le jury, a été condamnée de ce chef, par le tribunal correctionnel de Mons, à cinq années d'emprisonnement. Elle n'a pas même jugé convenable d'interjeter appel de cette décision, qui est passée aujourd'hui en force de chose jugée. Il est donc impossible de révoquer en doute l'échange d'une pièce de vingt francs, effectué par Coucke le lendemain du crime, chez le cabaretier De Brouwer, et Coucke, ainsi que nous le disions, a assigné deux fois une fausse origine à la possession de cette pièce d'or. Il lui a même été impossible jusqu'aujourd'hui d'indiquer une seule personne qui lui en aurait fait la remise ; et lorsqu'on met cette circonstance en rapport avec le vol de quelques pièces de vingt francs commis chez Mme Du Bois la nuit précédente ; lorsqu'on la met en rapport avec la route que Coucke et Goethaels ont suivie en sortant du cabaret ; lorsqu'on la met enfin en rapport avec cette autre circonstance non moins décisive, que Coucke a passé la nuit hors de chez lui, qu'il est venu loger chez Rosalie Gagnage, et qu'il est arrivé chez elle vers une heure du matin, tout couvert de boue et la figure noircie, comme cette femme l'a déclaré à plusieurs témoins, il est impossible de ne pas reconnaître que Coucke a participé avec Goethaels à l'assassinat et au vol commis chez Mme Du Bois, et que la pièce d'or changée par lui le lendemain matin, provenait réellement de ce vol.
« Il a, d'ailleurs, été établi par l'instruction que le condamné Coucke avait encore en sa possession, après le crime, un assez grand nombre de pièces de cinq francs dont il n'a jamais pu renseigner l'origine et qu'il a évidemment obtenues de la même manière que la pièce d'or ; qu'il a été notamment à Namur le lundi 26 mars, qu'il y a acheté sept sacs de pommes de terre à 11 fr. le sac, et qu'il en a payé l'import en pièces de cinq francs, qu'il a fait encore d'autres dépenses plus ou moins considérables pendant les trois ou quatre jours qui ont suivi le crime de Couillet ; qu'il a payé toutes ces dépenses au moyen de pièces de cinq francs, et qu'une bonne partie de cet argent ne pouvait provenir que de chez Mme Dubois. On comprend, dès lors, que Goethaels devait dire la vérité dans ses révélations, lorsqu'il accusait Coucke d'être un des auteurs du crime. Aussi le jury n'a-t-il pas hésité, en répondant à la neuvième question, à admettre la complicité de Coucke dans le crime d'assassinat, pour avoir assisté son auteur dans les faits qui l'ont préparé, facilité ou consommé, et à le considérer ensuite, dans ses réponses aux 25ème, 27ème, 28ème et 20ème questions, comme auteur du vol et subsidiairement comme complice de ce dernier fait, pour en avoir sciemment recelé le produit, et pour avoir aidé ses auteurs dans les faits qui l'ont préparé, facilité ou consommé. Coucke avait du reste battu en grange, au mois de septembre dernier, chez Mme Du Bois, et Goethaels, de son propre aveu, connaissait également fort bien cette dame, dont les propriétés étaient contiguës au chemin de fer industriel et qu'il voyait presque tous les jours lorsqu'il travaillait sur ce chemin de fer. Il a même rapporté dans ses interrogatoires une conversation qu'il avait eue avec Mme. Du Bois au sujet d'un de ses camarades. Cela explique pourquoi les auteurs du crime avaient eu soin de se noircir la figure, et pourquoi Mme Du Bois a constamment déclaré qu'elle connaissait bien ses assassins et qu'elle les reconnaîtrait facilement s'ils étaient mis en sa présence. Elle est morte malheureusement cinq ou six jours avant l'arrestation de Coucke et de Goethaels.
« Une circonstance postérieure ne laisse, du reste, aucun doute sur leur culpabilité.
« Pendant que la cour délibérait sur le sort des accusés, l'agent de police Râteau se trouvait dans leur cellule. Coucke le croyait Wallon, parce que Râteau est agent de police à Mons. Râteau cependant est né dans les provinces flamandes, et, d'après la déclaration ci-jointe qu'il a donnée le 29 septembre dernier, Coucke aurait dit en flamand à Goethaels ;Want dat zy die andere krygen (si maintenant on attrapait les autres), ou bien : Want dat zy die andere niet krygen (pourvu qu'ils n'attrapent pas les autres). C'est cette dernière version que Râteau m'a communiquée le lendemain de la condamnation, et qu'il considère encore aujourd'hui comme rendant le mieux les paroles de Coucke. Mais que l'accusé ait dit l'une ou l'autre des deux choses attestées par Râteau, le propos échappé à Coucke prouve toujours d'une manière incontestable qu'il a concouru avec Goethaels au crime de Couillet, et qu'il y en avait d'autres encore qui étaient associés à ce crime. C'est même dans cet ordre d'idées et à l'appui de l'instruction dirigée aujourd'hui contre les complices de Coucke et Goethaels que le juge d'instruction de Charleroi a fait recevoir la déposition de Râteau par son collègue de Mons.
« Il est donc impossible d'avoir le moindre doute sur la culpabilité des deux condamnés ; et si le doute est impossible à l'égard de Coucke aussi bien qu'à l'égard de Goethaels, leur exécution à tous deux est devenue une véritable nécessité pour rassurer les populations de l'arrondissement de Charleroi, et pour rendre à ce pays la sécurité qui lui manque depuis deux ans. Il y a eu, en effet, dans cet arrondissement, depuis le 1er janvier 1859, plus de quatre-vingts vols de nuit avec escalade et effraction, dont je pourrais vous donner la nomenclature exacte, M. le ministre, et dont les auteurs sont restés inconnus. Quelques-uns de ces vols ont même été accompagnés des cinq circonstances qui entraînent la peine de mort, aux termes de l'article 381 du code pénal. Indépendamment de ces vols, nous avons eu dans les communes de Labestre et de Jumet deux assassinats accompagnés de vol, et dont les auteurs sont également restés inconnus.
« Pour mettre un terme à des crimes aussi graves et aussi nombreux, pour les empêcher de se reproduire, alors que leurs auteurs jouissent de leur liberté et peuvent compromettre chaque jour d'autres existences, il n'y a qu'un remède possible et ce remède consiste à exécuter complètement l'arrêt de la cour d'assises du Hainaut, qui a condamné et justement condamné Goethaels et Coucke. L'arrondissement de Tournai nous fournit à cet égard un résultat trop décisif pour ne pas devoir vous être signalé : Il y a quinze ans le mauvais gré provoquait des crimes journaliers dans cet arrondissement. La vengeance des locataires qui n'étaient pas maintenus dans leur ferme à l'expiration du bail, entraînait chaque jour des incendies et même des assassinats. Deux exécutions capitales opérées sur les lieux mêmes ont coupé le mal dans sa racine. Ferdinand Duret a été exécuté dans la commune de Celles le 1er juin 1844, pour avoir incendié une meule de foin, et Louis-Joseph Lacquement a été exécuté le 19 février 1850 sur la place publique de Maubray, pour avoir, par mauvais gré, commis une tentative d'assassinat sur le nommé Pourceles. Depuis cette époque, le mauvais gré a complètement disparu et les populations de cet arrondissement n'ont plus eu à souffrir des incendies et des coups de fusil qui les atteignaient périodiquement avant les deux exemples que nous venons de rapporter. J'ai la conviction qu'il en sera de même dans le pays de Charleroi, lorsque Goethaels et Coucke auront subi, dans la localité même, la peine capitale qu'ils ont encourue à deux ou trois titres différents. »
Ce rapport, mieux que des paroles, je le répète, démontre à l'évidence que Coucke et Goethaels étaient auteurs ou complices des crimes pour lesquels ils ont payé leur dette à la société.
M. Coomans. - Pour moi, il ne s'agit pas de savoir aujourd'hui si (page 209) Coucke et Goethaels étaient innocents ou non. L'affaire est faite, commet l'a dit une autre fois l'honorable M. Bouvier ; elle est enterrée, et quant à moi, je n'en parlerai pas.
Mais je ne puis pas laisser dire par M. le ministre de la justice que j'ai dénigré la justice. Je ne sais où il a cherché cela. J'ai reconnu que tontes les opérations judiciaires se sont régulièrement accomplies. J'ai ajouté que je ne doutais pas de la parfaite loyauté ni de la science des juges et que les avocats eux-mêmes n'avaient manqué à aucun de leurs devoirs. Que voulez-vous de plus ?
Mais j'ai dit et je maintiens qu'il est inique, qu'il est absurde de juger les gens dans une langue qu'ils ne comprennent pas et je dirai que jamais aucun ministre n'a eu l'audace qu'a montrée aujourd'hui M. le ministre de la justice.
Jamais ministre n'a osé dire que le régime dont nous nous plaignons depuis longtemps, nous autres Flamands, était juste, qu'il était impossible de le changer et qu'il n'y avait là, de notre part, qu'un moyen d'agitation politique.
M. le ministre de la justice (M. Bara). Je l'ai déjà dit l'année dernière.
M. Coomans. - Ceci est une insulte et une grave insulte.
Nous connaissons un peu l'histoire, quoique Flamands, et nous savons que notre langue a toujours été respectée, excepté dans ces derniers temps et qu'elle l'a toujours été par tous les ministres, au moins en parole, excepté par M. Bara.
Dois-je apprendre à l'honorable ministre que, jusqu'en 1789, dans le duché de Brabant qui était en partie peuplé de Wallons et de Flamands, la constitution portait en termes formels que Wallons et Flamands devaient être jugés et administrés dans leur langue. (Interruption de M. Lebeau.)
Je ne comprends pas votre interruption, M. Lebeau ; si M. le président veut me la transmettre, j'en serai heureux.
M. le président. - Je n'ai pas entendu d'interruption et je demande de nouveau que les interruptions cessent de la part de tout le monde.
M. Coomans. - Je dis que dans le duché de Brabant depuis l'an 1250 jusqu'en 1794 ou 1795, les Flamands et les Wallons ont été mis sur la même ligne, ont joui d'une égalité constitutionnelle parfaite et ont toujours été jugés et administrés dans leur langue.
Or, c'est ce qui n'existe pas aujourd'hui. Nous ne sommes pas jugés et très souvent nous ne sommes pas administrés dans notre langue, et il m'est impossible de croire que la Constitution belge marque sous ce rapport un progrès sur la joyeuse entrée. Il était positivement stipulé qu'un fonctionnaire ne pouvait être envoyé par l'empereur-duc ni par les pouvoirs publics dans une localité dont il ne comprenait pas parfaitement la langue, et qui plus est, les ministres ou les fonctionnaires équivalents devaient savoir la langue flamande. C était une prescription constitutionnelle. Je ne dis pas qu'il faille aller aussi loin.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Pourquoi pas ?
M. Coomans. - Pourquoi pas ? Je ramasse encore cette interruption et je dis que nous sommes très bons de ne pas demander que les ministres connaissent notre langue, puisque vous nous forcez à connaître la vôtre. Nous sommes bien bons, mon honorable ami M. Gerrits et moi, de vous répondre en français. Ce n'est pas nous qui serions embarrassés. (Interruption.)
M. le président. - M. Coomans, vous êtes libre de répondre en flamand.
M. Coomans. - Je suis heureux de votre déclaration, M. le président ; car il a été affirmé ici, par feu M. Lebeau, je crois, qu'on nous empêcherait de parler flamand.
- Des membres. - Non ! non !
M. Coomans. - Du reste, ce n'est pas à cause de cette menace que nous n'avons pas usé de nos avantages ; c'est par politesse pour les collègues très nombreux qui ne savent pas le flamand.
Quand l'honorable député d'Anvers affirme, et ceci est la question principale, que les Flamands ne jouissent pas d'une égalité réelle vis-à-vis des Wallons, il est dans le vrai. Que de faits je pourrais citer pour justifier cette assertion !
Dans cette chambre même l'égalité n'est pas parfaite. Il peut arriver ici un député ne connaissant pas la langue française. Lui sera-t-il possible de s'exprimer en flamand ? Toutes les fonctions publiques sont fermées aux Flamands qui ne savent pas le français. Un milicien flamand ne peut devenir sergent, s'il ne sait pas le français ; c'est une condition sine qua non, attendu que tous vos commandements se font en français. II y a des centaines de sous-officiers qui ne savent que le français plus ou moins, tandis qu'il n'y a pas un seul sous-officier flamand qui ignore le français. Cependant, on ne prétendra pas que la connaissance de la langue française soit absolument indispensable à l'accomplissement des graves fonctions de caporal.
Messieurs, cette discussion a pris des proportions beaucoup plus grandes que je ne m'y attendais.
La faute en est précisément à l'honorable ministre qui a changé le langage tenu jusqu'ici par le gouvernement. On avait reconnu qu'il y avait là une difficulté plus ou moins grave, je reconnais qu'elle existe, mais qu'on tâcherait de l'atténuer dans ses effets. Or, le gouvernement nous répond aujourd'hui que ce qui existe est bien, qu'on ne changera rien et, joignant l'injure au mépris, il dit que nous en faisons un misérable moyen d'agitation politique. Messieurs, cela est odieusement inexact.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il entre dans le plan d'agitation de l'honorable membre de dire que le ministre joint l'injure au mépris. Je ne crois pas que le gouvernement ait injurié qui que ce soit et ait même la pensée de le faire. Le gouvernement a fait aujourd'hui à l'honorable M. Coomans et à l'honorable M. Gerrits, la réponse qu'il a faite l'année dernière.
Pour ce qui me regarde personnellement, M. Coomans m'accuse d'insulter la population flamande. Il est vrai que des Flamands ont bien voulu me remercier de ce que j'avais fait, en d'autres circonstances, mais c'étaient des Flamands bienveillants et l'honorable M. Coomans ne fait pas partie de ces Flamands. Toujours est-il que j'ai fait à MM. Delaet et Gerrits, l'année dernière, absolument la même réponse que je fais aujourd'hui Je n'ai jamais dit qu'il n'y eût pas d'inconvénients résultant de plusieurs langues, mais où est le remède ? Le remède, vous ne le donnerez pas, vous continuerez à agiter, vous continuerez à dire que les Flamands sont des parias ; c'est bien plus commode. M. Gerrits dit : Faites un projet de loi, je réponds que je ne veux pas faire un projet de loi, parce ce projet est impossible.
Quand M. Gerrits, enflant sa voix, s'écrie que dans aucun pays civilisé on ne tolère ce qui se passe en Belgique, je suis obligé de le rappeler à la réalité. Qu'il regarde à nos portes. Est ce qu'en France aussi on ne parle pas plusieurs langues ? Les habitants que parlent l'allemand ou le flamand sont-ils jugés autrement que chez nous ? Que M. Gerrits interroge les habitants d'Hazebroeck et de Dunkerque !
Ainsi donc, je le répète, il n'y a dans les prétendus griefs qu'on formule au sujet de l'administration de la justice, qu'un thème d'agitation. Il n'est pas exact que le gouvernement soit hostile aux Flamands ; les Wallons de leur côté sont animés des meilleurs sentiments à l'égard de populations flamandes, et il n'est personne qui ne désire maintenir et augmenter les liens d'union qui existent entre les deux fractions du pays, et qui ne feront que se fortifier malgré les excitations incessantes de certaines personnes.
Nous avons dans la magistrature de nombreux membres qui parlent flamand, croyez-vous que ces magistrats qui voient tous les jours administrer la justice, ne protesteraient pas contre les abus que vous signalez ; si ces abus existaient ? Croyez-vous que nos présidents de cours d'assises, honorables à tant de titres et complètement indépendants du pouvoir, ne viendraient pas dire : Il y a là des malheureux qui sont traités indignement ? Or, par une plainte de ce genre ne s'est produite. Ceux qui inventent des griefs n'appartiennent ni de près ni de loin à l'administration de la justice.
Je demande pardon à la Chambre de l'animation que je mets à défendre la loi et nos institutions, mais il m'est impossible de rester calme quand on vient prétendre qu'une partie de nos frères et de nos concitoyens sont traités en parias par la justice belge. (Interruption.)
M. le président. - Les conclusions de la commission sont l'ordre du jour ; je vais mettre ces conclusions aux voix.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - On dit qu'il y avait dans la pétition, que je ne connais pas, des observations relatives à l'emploi delà langue flamande, observations qu'il peut être utile d'examiner. Je suis tout prêt à examiner ces observations et je demande qu'elles soient renvoyées au gouvernement ; mais quant à l'affaire Coucke et Goethaels, je ne puis que persister dans les déclarations que j'ai faites.
M. le président. - M. Gerrits accepte-t-il la proposition de M, le ministre de la justice ?
M. Gerritsµ. - Oui, M. le président.
- La proposition de M. le ministre de la justice est adoptée.
M. Bouvier, rapporteurµ. - Par pétition datée du Petit-Enghien, le 12 décembre 18G6, le sieur Lebrun demande que le gouvernement envoie un vaisseau de guerre dans les eaux de Civita-Vecchia.
(page 210) Votre commission a pensé qu'elle engagerait en vain le gouvernement, comme le désire le pétitionnaire, à envoyer un vaisseau dans les eaux de Civita-Vecchia afin de manifester l'intérêt que porte la Belgique catholique au maintien du pouvoir temporel du saint-père le pape, c'est pour ce motif qu'elle a l'honneur de vous proposer l'ordre du jour sur cette pétition.
- L'ordre du jour est adopté.
M. Bouvier, rapporteurµ. - Par pétition datée d'Anvers, le sieur Vandewal demande le congé de son fils Christien-François, milicien de la classe de 1864, incorporé au 2ème régiment d'artillerie.
La Chambre étant incompétente pour statuer sur de semblables demandes, votre commission a l'honneur de vous proposer l'ordre du jour.
- Adopté.
M. Bouvier, rapporteurµ. - Par pétition datée de Bruxelles, le 4 décembre 1866, des habitants de Bruxelles demandent la révision de la loi du 13 juillet 1853 sur la garde civique.
Même demande d'habitants de Liège, Strythem et Saint-Josse-ten-Noode.
Les conclusions de la commission étaient le renvoi à M. le ministre de l'intérieur, mais je pense que depuis la présentation du projet de loi sur l'organisation de nos forces militaires, il y a lieu de renvoyer la pétition à la section centrale chargée d'examiner ce projet.
- Cette proposition est adoptée.
M. T'Serstevens, rapporteurµ. - Par pétition datée de Fontaine-l'Evêque, le 5 décembre 1866, les instituteurs primaires des communes rurales du canton de Fontaine-l'Evêque demandent que les dispositions qui règlent la pension des instituteurs urbains leur soient rendues applicables.
A l'appui de leur pétition, ils citent un exemple de deux instituteurs versant, pendant leurs dernières années de service, la même somme à la caisse de retraite ; mais l'un, étant instituteur urbain, reçoit 714 fr. 28 c. de pension, et l'autre, instituteur rural, ne reçoit que 360 fr.
La commission propose le renvoi à M. le ministre de l'intérieur.
- Adopté.
M. T'Serstevens, rapporteurµ. - Par pétition datée de Molenbeek-Saint-Jean, le 13 décembre 1866, le sieur Lesuisse, ancien facteur au bureau de Liège, demande une augmentation de pension ou du moins un subside annuel et permanent.
Conclusions : Ordre du jour.
- Adopté.
M. T'Serstevens, rapporteurµ. - Par pétition datée de Termonde, le 16 décembre 1866, le sieur Guille, ancien combattant de 1830, demande la médaille distinctive décrétée par la loi du 30 décembre 1833.
En 1830, il combattait dans le Parc, à Bruxelles ; en 1835, il voit distribuer des croix aux officiers et soldats de son régiment, il s'adresse à la commission des récompenses honorifiques, lui remet ses certificats au moment où les pouvoirs de cette commission s'éteignent et on lui répond : Il est trop tard.
La commission propose le renvoi au ministre de la guerre.
- Adopté.
M. T'Serstevens, rapporteurµ. - Par pétition datée de Nivelles, le 14 décembre 1866, des facteurs urbains et ruraux attachés au service de la poste aux lettres de Nivelles demandent le maximum de traitement de facteur de poste, un règlement d'ordre pour la répartition des indemnités et la nomination d'une commission pour faire cette répartition.
Ils décrivent les fatigues de leur service, leur moralité, leur bonne conduite et demandent que la répartition des indemnités ne soit plus confiée au percepteur des postes.
La commission propose le renvoi au ministre des travaux publics.
- Adopté.
M. T'Serstevens, rapporteurµ. - Par pétition datée de Zomerghem, le 15 décembre 1866, les sieurs Vandeynze demandent l'abolition des droits de barrières sur les routes provinciales et communales, particulièrement en faveur des malles-postes, prétendant que les malles-postes, autant que les chemins de fer, qui sont établies pour le service de l'Etat, ne doivent, pas plus que les chemins de fer, payer barrière.
Conclusions : Ordre du jour.
- Adopté.
M. T'Serstevens, rapporteurµ. - Par pétition datée de Bruxelles, le 14 décembre 1866, des officiers pensionnés demandent une augmentation de pension.
Is exposent que de 1831 à 1865 sur 1,235 officiers pensionnés, 1,155 ont à regretter que les bases des pensions civiles ne leur aient pas été appliquées, et prient la Chambre de réviser les pensions militaires et d'admettre les mêmes bases pour les pensions civiles et militaires.
La commission propose le renvoi aux ministres de la guerre et des finances.
- Adopté.
M. T'Serstevens, rapporteurµ. - Par pétition datée de Lierre, le 10 décembre 1866, le sieur Lanou, volontaire de 1830, demande la pension dont jouissent les décorés de la croix de Fer.
Il a fait partie du corps des volontaires sous le général Niellon, a été blessé et a été vingt-deux ans volontaire dans l'armée belge.
Ses papiers ayant été égarés dans les bureaux du général Niellon, il a été privé de la pension et de la croix de Fer.
Conclusions : Renvoi au ministre de la guerre.
M. Vleminckxµ. - Je ferai remarquer à la Chambre qu'il a été décidé qu'on ne donnerait plus de croix de Fer, et je ne sache pas qu'il en ait été donné après celles qui ont été décernées à la suite de la révolution. Il me semble donc que le renvoi au ministre de la guerre serait sans objet.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Du reste, ce n'est pas le ministre de la guerre qui donnait les croix de Fer, c'était le ministre de l'intérieur.
M. Vleminckxµ. - Il a été décidé qu'on n'en donnerait plus.
- Plusieurs membres. - L'ordre du jour.
- L'ordre du jour est mis aux voix et adopté.
M. T'Serstevens, rapporteurµ. - Par pétition datée de Mons, le 7 décembre 1866, le sieur Dubois demande le rétablissement du train de Bruxelles pour Mons à 8 1/2 heures du soir, ou du moins qu'il y ait un train partant tous les dimanches de Bruxelles pour Mons vers 10 heures du soir, parce qu'il est désagréable de devoir partir de Bruxelles pour Mons dès 7 heures et quart du soir.
Conclusions : Renvoi au ministre des travaux publics.
- Adopté.
M. T'Serstevens, rapporteurµ. - Par pétition datée de Schaerbeek, le 4 décembre 1866, le sieur Vandercruyssen, pensionné civil du département de la justice, demande une augmentation de pension.
Agé de 39 ans, ayant obtenu, pour cause d'infirmité, une pension de 267 fr., père de six enfants, il demande une augmentation de pension.
Conclusions : Ordre du jour.
- Adopté.
M. T'Serstevens, rapporteurµ. - Par pétition datée de Jamoigne, le 4 décembre 1866, les employés pensionnés des contributions et des douanes du canton de Florenville demandent que la loi sur les pensions soit modifiée en leur faveur.
Faisant erreur, ils supposent que la loi, modifiant les bases de la pension des professeurs d'enseignement moyen, a révisé les pensions antérieurement à 1865, et demandent également la révision de leur pension.
Conclusions : Ordre du jour.
- Adopté.
M. Elias, rapporteurµ. - Messieurs, c'est par erreur que les pétitions adressées à la Chambre par des habitants de Molenbeek-Saint-Jean et de Bruxelles, demandant la discussion de la loi sur la réforme électorale figurent encore au feuilleton. Le rapport a été fait et ces pétitions ont été déposées sur le bureau pendant la discussion de la loi.
M. Elias, rapporteurµ. - Par pétition datée de Watermael, le 5 février 1867, des membres du conseil communal de Watermael-Boitsfort demandent une école communale à Watermael.
Conclusions : Renvoi à M. le ministre de l'intérieur.
- Adopté.
M. Elias, rapporteurµ. - Par pétition sans date, des habitants de Lokeren demandent le rachat, par le gouvernement, des canaux embranchements du canal de Charleroi à Bruxelles.
Même demande d'habitants de Malines, Anvers, Termonde.
Conclusions : Renvoi à MM. les ministres des travaux publics et des finances.
- Adopté.
M. Elias, rapporteurµ. - Par pétition datée de St-Josse-ten-Noode, le 2 février 1867, le sieur Vandendoren, sous-officier pensionné, demande la révision de la loi sur les pensions militaires et la participation des sous-officiers et soldats pensionnés aux bénéfices de la loi révisée.
Conclusions : Renvoi à M. le ministre de la guerre.
M. Lelièvreµ. - D'après une décision antérieure de la Chambre, semblable pétition a été renvoyée non seulement à M. le ministre de la guerre, mais aussi à M. le ministre des finances. Je demande qu'il en soit ainsi à l'égard de la réclamation dont nous nous occupons. J'appuie du reste la pétition, qui est fondée sur des motifs sérieux ; à cet égard, je ne puis que me référer aux observations que j'ai faites antérieurement sur le même objet.
- La proposition de M. Lelièvre est mise aux voix et adoptée.
(page 211) M. Elias, rapporteurµ. - Par pétition datée d'Alost, le 4 février 1867, le sieur Caudron, ancien préposé des douanes, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir le maximum de la pension accordée aux anciens préposés de douanes.
Conclusions : Renvoi à M. le ministre des finances.
- Adopté.
M. de Rossius, rapporteurµ. - Par pétition datée de Liège le 24 février 1867, le sieur Stevens réclame l'intervention de la Chambre pour être admis dans l'administration des chemins de fer de l'Etat.
Conclusions : Ordre du jour.
- Adopté.
M. de Rossius, rapporteurµ. - Par pétition datée de Molenbeek-Saint-Jean, le 26 février 1867, le sieur Espreman réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir de M. le ministre des travaux publics une réponse au sujet de sa pétition qui a été renvoyée à ce département par décision de l'assemblée du 24 janvier dernier.
Conclusions : Renvoi à M. le ministre des travaux publics.
- Adopté.
M. de Rossius, rapporteurµ. - Par pétition datée de Bruxelles, le 25 février 1867, des ouvriers passementiers, à Bruxelles, demandent que l'exécution des approvisionnements pour le service de l'Etat ne puisse être confiée directement ni indirectement aux détenus dans les prisons.
Conclusions : Renvoi à MM. les ministres de la justice et des travaux publics.
- Adopté.
M. de Rossius, rapporteurµ. - Par pétition datée de Gand, le 25 février 1867, le sieur Claus, militaire pensionné, demande le payement de ce qu'il aurait touché si sa pension lui avait été accordée à l'époque où il a été réformé du service.
Conclusions : Renvoi à M. le ministre de la guerre.
- Adopté.
M. de Rossius, rapporteurµ. - Par pétition datée de Vielsalm, le 21 février 1867, le conseil communal de Vielsalm demande le prolongement, aux frais de l'Etat, de la route de la frontière prussienne à Vielsalm jusqu'à la station du chemin de fer.
La commission, conclut au renvoi à M. le ministre des travaux publics.
M. Van Hoordeµ. - Messieurs, le renvoi de cette pétition à M. le ministre des travaux publics est inutile, et j'en propose le dépôt au bureau des renseignements. L'affaire dont il s'agit est terminée. Le gouvernement a fait droit en partie à la réclamation du conseil communal de Vielsalm, en intervenant dans la dépense. Je le remercie de cette intervention et je saisis cette occasion pour le prier d'accueillir tout à fait favorablement les deux pétitions dont l'analyse va suivre ; celles par lesquelles les communes de Bovigny, de Cherain et de Mont demandent que l'Etat reprenne le chemin de grande communication qui les traverse. L'entretien de ce chemin les ruine, il absorbe une grande partie de leurs ressources, qui sont très restreintes. C'est pourquoi j'appelle de nouveau, sur ce point, un examen bienveillant.
- Les conclusions sont adoptés.
M. de Rossius, rapporteurµ. - Par pétition datée de Cherain, le 5 février 1867, les membres du conseil communal de Cherain demandent que la partie du chemin de grande communication de Houffalize à Vielsalm, restante sur les communes de Cherain et de Bovigny, soit déclarée route de l'Etat et qu'en attendant le gouvernement se charge de son entretien.
Même demande des membres du conseil communal de Bovigny.
Conclusions : Renvoi à M. le ministre des travaux publics.
- Adopté.
M. de Rossius, rapporteurµ. - Par pétition datée de Brugelette, le 5 février 1867, le sieur Bogaert demande que la loi du 12 juin 1816 et l'arrêté royal du 12 septembre 1822 cessent d'être applicables aux ventes d'immeubles confiées, aux soins d'exécuteurs testamentaires par des personnes ne laissant, pas d'héritiers à réserve, et que la loi permette aux notaires de faire ces ventes publiquement, si les testateurs n'ont pas déterminé un autre mode de vente.
La commission conclut au renvoi à M. le ministre de la justice.
M. Lelièvreµ. - J'appuie le renvoi de la pétition à M. le ministre de la justice. Celui-ci nous a annoncé la présentation d'un projet de loi relatif à l'aliénation des biens des mineurs. Ce sera certainement un progrès marqué, mais j'aurai l'honneur de faire observer que même les formalités relatives aux licitations entre majeurs doivent être réduites et simplifiées. Aujourd'hui quand il y a résistance de la part de l’un des colicitants majeurs, la procédure est telle, qu'il y a lieu à des frais très élevés qui absorbent souvent une partie du patrimoine commun. Il y a donc lieu de présenter un projet changeant cet état de choses. Les frais doivent être réduits et la procédure simplifiée, soit qu'il s'agisse de ventes concernant des mineurs, soit que celles-ci concernent des majeurs. Je recommande donc cet objet à l'attention du gouvernement.
- Les conclusions de la commission sont adoptées.
M. de Rossius, rapporteurµ. - Par pétition datée de Neufchâteau, le 2 février 1867, des habitants de Neufchâteau demandent qu'il soit pourvu aux trois places d'avoués vacantes près le tribunal de cette ville.
Conclusions : renvoi à M. le ministre de la justice.
- Adopté.
M. de Rossius, rapporteurµ. - Par pétition sans date, des habitants d'une commune non dénommée demandent la révision de la loi sur la garde civique.
Même demande d'habitants de Bruxelles et de ses faubourgs, de Lodelinsart, Enghien, Mariembourg.
Conclusions : renvoi à M. le ministre de l'intérieur.
- Adopté.
M. Dethuin, rapporteurµ. - Par pétition datée d'Orgy, le 12 février 1867, les membres de l'administration communale et des habitants d'Orgy demandent l'établissement d'une station dans la traverse de leur commune par le chemin de fer de Braine-le-Comte à Courtrai.
La réclamation des membres du conseil communal et des notables de la commune d'Orgy paraît équitable et parfaitement fondée.
En effet, bien que placés entre deux centres importants, Lessines et Flobecq, et éloignés de l'une et de l'autre de ces localités par 4 kilomètres, les industriels, agriculteurs et négociants de cette commune éprouvent une peine extrême à exporter leurs produits, c'est-à-dire le charbon, la chicorée, la betterave, le foin, etc. ; la traction de ces produits pondéreux s'accroît encore par les difficultés des chemins à parcourir, des montagnes qui' se dressent entre Orgy et la station de Lessines.
II est de toute évidence que l'intérêt local exige que cet état de choses cesse dans le plus bref délai.
La commune ne demande pas un privilège, elle demande simplement d'obtenir ce que d'autres communes ont pu déjà obtenir.
En effet, 11 kilomètres séparent sur la ligne de Dendre et Waes la ville de Grammont de celle de Ninove, et entre ces deux villes se trouvent trois stations : Scheldebeke, Ideghem, Santbergen, communes bien loin d'offrir l'importance d'Orgy.
Lessines au contraire, sur la ligne de Braine-le-Comte à Courtrai, est distante de Renaix de 17 kilomètres. En concédant à Orgy la station qu'elle réclame, il n'y aurait que trois stations intermédiaires entre ces deux villes : Orgy, Flobecq, Ellezelles.
Par conséquent, un nombre de stations inférieur sur un plus long parcours.
Tels sont les motifs qui ont décidé la commission à renvoyer la pétition à M. le ministre des travaux publics.
- Adopté.
M. Dethuin, rapporteurµ. - Par pétition datée d'Oolen, le 19 mars 1867, les membres du conseil communal d'Oolen demandent la construction d'un chemin de fer qui relie Herenthals avec le railwvay Liégeois-Limbourgeois, en traversant le canton de Moll.
La commission conclut au renvoi à M. le ministre des travaux publics.
- Adopté.
M. Dethuin, rapporteurµ. - Par pétition datée de Moll, le 1er février 1867, les sieurs Vander Gracht et van Eetvelde, membres délégués du comice agricole et des administrations communales du canton de Moll, prient la Chambre d'accorder, avec la garantie d'un minimum d'intérêt, la concession d'un chemin de fer reliant la ville d'Herenthals an chemin de fer liégeois-limbourgeois, en traversant les principales communes du canton de Moll.
Conclusions : Renvoi à M. le ministre des travaux publics.
- Adopté.
M. Dethuin, rapporteurµ. - Par pétition datée de Neerpelt, le 14 mars 1867, la section agricole de Neerpelt, pour le canton d'Achel, déclare appuyer la pétition présentée, le 11 février dernier, par la section agricole de Moll.
Conclusions : Renvoi à M. le ministre des travaux publics.
- Adopté.
M. Dethuin, rapporteurµ. - Par pétition sans date, les membres du conseil communal de Mont demandent que le chemin de grande communication de la route au-dessus de Taverneux, passant par Sommerain vers la halte de Courtil, soit repris par l'Etat, dans les parties qui seront abandonnées par le nouveau tracé.
(page 212) Conclusions : Renvoi à M. le ministre des travaux publics.
- Adopté.
M. Dethuin, rapporteurµ. - Par pétition datée de Bruxelles, le 13 février 1867, le sieur Salviniac, combattant de septembre, demande une récompense nationale et la pension dont jouissent les décorés de la croix de Fer, ou du moins un secours annuel et permanent.
Conclusions : Ordre du jour.
- Adopté.
M. Dethuin, rapporteurµ. - Par pétition datée de Spalbeek, le 20 février 1867, le conseil communal de Spalbeek appelle l'attention de la Chambre sur les dangers, pour la santé publique, de la circulation des viandes provenant du bétail abattu à Hasselt, et la prie d'aviser aux mesures que réclame cette situation.
La commission propose le renvoi à M. le ministre de l'intérieur.
- Plusieurs membres. - Cette pétition est devenue sans objet.
M. le président. - Cette pétition étant devenue sans objet sera déposée au bureau des renseignements.
M. Dethuin, rapporteurµ. - Par pétition datée d'Ostende, le 15 février 1867, le sieur Marlin, ancien chef de convoi des chemins de fer de l'Etat, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir les indemnités qui lui seraient dues par le département des travaux publics.
Conclusions : Ordre du jour.
- Adopté.
M. Descamps, rapporteurµ. - Les membres de l'administration communale d'Herquegies, Montreul-au-Bois, Anvaing, Moustier, Arc-Ainières, Cordes, Thieulain, Saint-Sauveur, Hacquegnies, Forest et les sieurs Mainvaulx, demandent que le pouvoir de fermer les barrières sur les chemins de petite vicinalité, soit conféré au bourgmestre du chef-lieu de canton, ou au commissaire voyer cantonal, et que des agents à nommer par les conseils communaux soient reconnus aptes à dresser des procès-verbaux contre les délinquants.
Un arrêté du 28 janvier 1852 relatif à la fermeture des barrières porte qu'aussitôt le dégel déclaré et la nécessité reconnue d'interrompre la circulation sur les routes pavées ou empierrées, les ingénieurs en chef des ponts et chaussées, de service dans les provinces, en préviendront les gouverneurs qui ordonneront sur-le-champ la fermeture des barrières. Une loi du 24 mars 1848 rend applicables aux routes vicinales pavées ou empierrées, les lois et règlements sur les routes provinciales et de l'Etat.
Les pétitionnaires font valoir que les chemins vicinaux ne se trouvent pas dans les mêmes conditions de solidité que les routes de l'Etat et que, par conséquent, la fermeture des barrières a toujours lieu tardivement pour ces chemins ; ils se plaignent en outre que l'arrêté du gouverneur ordonnant la fermeture des barrières ne parvienne pas assez rapidement àl'a connaissance de toutes les communes intéressées.
Pour remédier à ces inconvénients, les pétitionnaires proposent de confier, soit au bourgmestre du chef-lieu de canton, soit au commissaire voyer cantonal, le pouvoir de fermer les barrières sur les chemins de petite vicinalité.
La commission des pétitions reconnaît la parfaite légitimité des plaintes formulées par les pétitionnaires : elle partage surtout l'avis que les formalités actuellement suivies pour la fermeture des barrières sur les chemins vicinaux occasionnent presque toujours des lenteurs très nuisibles à la bonne conservation de ces voies de communication.
Cependant, elle pense que les mesures proposées par les pétitionnaires sont trop radicales, et que leur application créerait de nouveaux et nombreux abus contre lesquels il importe de se mettre en garde. Pour décentraliser l'action administrative actuelle en ce qui concerne la fermeture des barrières, la commission des pétitions a l'honneur de proposer que les attributions aujourd'hui dévolues de ce chef aux gouverneurs de provinces, soient conférées désormais aux commissaires d'arrondissement.
Ce système, nous le reconnaissons toutefois, n'est point parfait ; la fermeture des barrières sur les routes de l'Etat n'ayant pas lieu en même temps que sur les chemins vicinaux, il pourra, dans certains cas, résulter quelques inconvénients de la décentralisation proposée, mais nous ferons observer que la même anomalie a existé dans le système actuel, sans donner lieu à des réclamations bien graves.
En effet, la circulation à charge sur les routes de l'Etat a presque toujours été autorisée avant l'ouverture des barrières sur les chemins vicinaux, et il s'est quelquefois écoulé quinze jours avant que les mêmes dispositions fussent appliquées à ces deux catégories de voies communales. Quelles que soient d'ailleurs les dispositions auxquelles le gouvernement jugera convenable de s'arrêter pour remédier aux abus très sérieux signalés par les pétitionnaires, il croira certainement devoir prescrire plus de promptitude dans la transmission des arrêtés pris par les autorités compétentes. Les lenteurs signalées ont été la principale cause des abus, et aujourd'hui que des moyens si rapides de transmission des dépêches sont établis presque partout, il est au moins inconcevable que les décisions prises par les gouverneurs mettent, dans certains cas, deux et même trois jours à parvenir aux communes intéressées.
Nous proposons le renvoi des pétitions à M. le ministre de l'intérieur, en les recommandant d'une manière toute spéciale à sa bienveillante attention.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. Descamps, rapporteurµ. - Par pétition datée de Barry le 24 février 1867, l'administration communale de Barry demande une loi qui interdise la circulation à charge sur les chemins vicinaux pavés, pendant quinze jours au moins après la date fixée par la députation permanente pour la circulation sur les routes de l'Etat.
Les considérations que nous avons fait valoir, et les conclusions que nous avons prises concernant la pétition précédente, sont implicitement applicables à la présente requête.
Nous proposons donc également le renvoi de la pétition à M. le ministre de l'intérieur.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. Descamps, rapporteurµ. - Par pétition sans date, des habitants d'une commune non dénommée demandent la révision de la loi sur la garde civique. µMême demande d'habitants de Bruxelles.
Conclusions : Renvoi à M. le ministre de l'intérieur.
- Adopté.
M. Descamps, rapporteurµ. - Par pétition datée de Bruxelles, le 19 mars 1867, des habitants de Bruxelles et de ses faubourgs prient la Chambre d'appliquer à l'institution de la garde civique le principe du service volontaire.
Conclusions : Renvoi à M. le ministre de l'intérieur.
- Adopté.
M. Descamps, rapporteurµ. - Par pétition datée de Bruxelles, le 10 mars 1867, le sieur Schoonbeyt demande que la garde civique soit organisée en deux bans et que le service du premier ban cesse d'être obligatoire à trente ans.
Conclusions : Renvoi à M. le ministre de l'intérieur.
- Adopté.
M. Descamps, rapporteurµ. - Des élèves de l'école industrielle de Charleroi demandent le rétablissement du tarif de faveur dont ils jouissaient naguère sur le chemin de fer de l'Etat.
Parmi les élèves ouvriers qui fréquentent les leçons du dimanche, un grand nombre arrivent de localités assez éloignées de Charleroi, pour que les dépenses actuelles du trajet soient en disproportion avec leur modique salaire. Pour ceux de la même catégorie qui suivent les cours de la semaine, le sacrifice est devenu pour ainsi dire indispensable ; en effet, les élèves qui habitent Châtelineau, par exemple, localité située à 7 kilomètres seulement de Charleroi, se trouvent astreints à une dépense de 15 francs par mois, dépense certainement disproportionnée à leurs faibles ressources.
Il ne sera pas inutile, croyons-nous, messieurs, de vous tracer eu quelques mots l'historique du développement rapide que prit l'école industrielle de Charleroi, grâce surtout aux mesures libérales que lui avaient appliquées, dans ces dernières années, la commune, la province et le département des travaux publics.
L'école de Charleroi, fondée depuis assez longtemps déjà, sous le nom d' « école des porions et contre-maîtres », subit, pendant les premières années de son existence, le sort des institutions nouvelles, d'abord peu comprises ou mal appréciées. Ce ne fut que vers 1803, que des officiers du corps des mines et l'administration communale, mesurant tout le parti qu'on pouvait tirer d'une telle institution au centre d'une vaste agglomération de populations ouvrières, provoquèrent des réformes et toute une organisation nouvelle, dont le résultat fut de décupler au moins, en très peu de temps, le nombre des élèves. Ce nombre s'éleva, à cette époque, à 290.
En 1864, l'administration de l'école obtint du gouvernement, en faveur des élèves, une réduction de 50 p. c. du parcours sur le chemin de fer de l'Etat ; quelque temps après, le même privilège, maintenu, celui-ci, jusqu'aujourd'hui, fut accordé par les diverses sociétés concessionnaires des lignes qui desservent Charleroi.
(page 213) L'heureuse influence de cette mesure sur le succès de l'école de Charleroi ne se fit pas attendre ; le nombre des élèves inscrits atteignit, en effet, au 31 décembre 1861, le chiffre considérable de 486.
Enfin, dans le courant de l'exercice 1865, l'école, mise sous le patronage du gouvernement, fut divisée en deux sections, l'une des dimanches, l'autre de la semaine, et au mois de mai 1866, c'est-à-dire à l'époque où le département des travaux publics crut devoir retirer à l'école industrielle le privilège dont elle jouissait depuis deux ans, le nombre des élèves inscrits s'élevait à 490.
La conséquence fatale de ce retrait se manifesta immédiatement ; le nombre des élèves fournis par les localités desservies par le chemin de fer de l'Etat alla diminuant sans cesse, quoiqu'il augmentât cependant dans les communes les plus voisines de Charleroi ou dans celles qui sont desservies par les chemins de fer concédés.
Il sera, croyons-nous, intéressant de consulter à cet égard le tableau suivant, qui fait connaître la différence par commune entre le nombre d'élèves fournis respectivement au 31 décembre 1865 et au 1er mars 1867 : (Ce tableau n’est pas repris dans la présente version numérisée).
Il ressort de ce tableau que la diminution du nombre d'élèves venant des communes desservies par le chemin de fer de l'Etat a été, du 31 décembre 1865 au 1er mars 1867, de 41 p. c, alors que l'augmentation, pendant la même période, des élèves fournis par les autres localités a été de 34 p. c. environ.
La diminution que nous venons de constater sera, on ne peut malheureusement en douter, plus sensible encore l'an prochain, quand ceux qui ont commencé des études qu'ils ont à cœur de terminer, au prix même de sacrifices assez lourds, auront obtenu les certificats de capacité auxquels ils aspirent.
Le gouvernement, messieurs, accueille toujours avec bienveillance les demandes de subsides qui lui sont faites en faveur des écoles industrielles. A défaut d'organisation de ces écoles dans les petites localités, il serait sans doute opportun, équitable et en tout cas moins dispendieux pour l'Etat, d'accorder une réduction de transports, sinon le transport gratuit, aux élèves qui viennent se grouper dans quelques centres industriels où, dès lors, il est possible au gouvernement de concentrer les subsides au lieu de les multiplier.
Il est donc désirable que la sollicitude du pouvoir s'étende, au point de vue de la facilité de la fréquentation des cours, sur toutes les écoles industrielles du pays ; il est certain que l'instruction subsidiée par l'Etat n'est, en général, abordable que par une certaine catégorie de personnes déjà privilégiées par la fortune, qui les met à même de se transporter dans les grands centres, où sont fondées les écoles du gouvernement (erratum, page 226) et d'y établir leur résidence.
Il y aurait une injuste anomalie à exclure plus longtemps des avantages offerts aux classes aisées de la société, les petits contribuables qui alimentent d'ailleurs, dans une large proportion, les ressources de l'Etat.
Nous sommes persuadés que la sollicitude de M. le ministre des travaux publics s'appliquera (erratum, page 226) à écarter ou du moins à atténuer cette anomalie, soit qu'il décrète le transport gratuit des élèves dont nous venons de parler, soit qu'il consente, tout au moins, à créer des abonnements à prix réduits, en faveur de ces mêmes élèves.
La commission des pétitions a donc conclu au renvoi de la requête à M. le ministre des travaux publics, eu la signalant d'une manière toute spéciale à sa haute bienveillance.
M. Coomans. - Messieurs, je ne puis me rallier aux conclusions dans les termes où elles sont présentées.
Si le renvoi proposé n'impliquait aucune abdication de nos pouvoirs, je crois que nous pourrions encore faire, dans cette circonstance, l'office de poste aux lettres.
Mais engager le département des travaux publics à développer le système des réductions de prix et des libres parcours sur le chemin de fer, je ne le ferai pas.
Je crois que le département des travaux publics, même avant qu'il fût dirigé par l'honorable M. Vanderstichelen, a usé et abusé de ce moyen.
On accorde des réductions de prix ou des libres parcours aux uns, on les refuse à d'autres. Il en résulte une diminution des recettes de l'Etat et, ce qui est plus grave, des injustices relatives.
Il me paraît très difficile de marquer la différence de traitement à appliquer aux personnes naturellement très nombreuses qui demandent à jouir de quelques faveurs sur le chemin de fer de l'Etat.
Je propose donc à la Chambre de ne renvoyer la pétition à M. le ministre des travaux publics que sous la condition formelle de ne rien préjuger.
A ce propos j'engage l'honorable ministre, dont je ne conteste pas les excellentes intentions, à diminuer au lieu d'augmenter les faveurs qu'il accorde à droite et à gauche, quant au tarif du chemin de fer.
Je crois qu'il serait très simple et même très raisonnable et très équitable de supprimer à peu près toutes les faveurs de ce genre, et de proclamer l'égalité de tous les Belges grands et petits devant le chemin de fer, égalité méconnue en cette matière comme en d'autres.
Un autre conseil que je me permettrai d'adresser à l'honorable ministre, c'est de faire vérifier de plus près si une loi votée en 1852 n'est pas quotidiennement violée.
Je me rappelle avoir proposé avec mon honorable ami M. de Man d'Attenrode qui, à cette époque, prêtait une attention très suivie aux questions financières, un amendement qui a été adopté par la presque unanimité de la Chambre et qui défendait toute espèce de circulation gratuite sur le chemin de fer en faveur de fonctionnaires publics, sous la réserve, bien entendu, que les fonctionnaires qui voyageaient dans l'intérêt de l'administration pouvaient être porteurs de cartes. Il était bien entendu aussi par nous tous que ces cartes devaient être personnelles et n'être accordées que dans des cas d'utilité administrative.
Je ne dis pas que telle n'est pas l'interprétation que l'honorable ministre des travaux publics donne à cette loi, mais j'affirme que la loi est violée. On n'en conviendra pas facilement ; les intéressés à nier ce que j'avance sont nombreux et je crains fort d'être éconduit, à moins que l'honorable ministre ne fasse examiner de près les abus que je signale.
Non seulement, beaucoup de fonctionnaires voyagent gratuitement sur le chemin de fer pour leur simple agrément, très souvent à l'insu de leurs supérieurs, mais ils font encore voyager gratuitement leurs amis.
Je ne sais pas si les abus qui ont été signalés en 1852 existent encore, mais, à cette époque, on faisait circuler les dames sur le chemin de fer et même les demoiselles.
On me répondit à cette époque que cet abus se restreignait vraisemblablement aux femmes légitimes de messieurs les fonctionnaires. Je répondis que je n'avais pas vérifié les actes de mariage, mais que si l'allégation qu'on m'opposait était vraie, ces messieurs étaient assurément bigames, puisque j'en avais remarqué avec deux et même trois femmes.
Ce point mérite une attention particulière. Nous pouvons différer d'opinion sur le chiffre du dommage que le trésor public éprouve par suite de l'abus que je signale, mais le dommage doit être très réel.
Quant à moi, ce qui me frappe surtout, c'est la question de justice ; je n'admets pas que certaines gens puissent user et abuser du domaine de l'Etat, tandis que cet avantage est refusé à d'autres. Je serai donc heureux d'apprendre de la bouche de l'honorable ministre des travaux publics qu'il reconnaît, au moins en principe, que mes observations méritent toute son attention, et que si les faits sont tels que j'ose l'affirmer, il remédiera à un pareil abus.
M. de Theuxµ. - L'honorable membre ne s'oppose pas au renvoi au ministre pour autant que ce renvoi n'implique pas d'appui moral de la part de la Chambre.
Je pense qu'il est dans la jurisprudence constante de la Chambre, de (page 214) ne pas donner d'appui moral aux pétitions dont elle prononce le renvoi aux ministres. S'il en était autrement, chaque pétition soulèverait dans cette enceinte une discussion qui serait sans utilité.
M. le président. - C'est toujours ainsi que le renvoi aux ministres a été compris par la Chambre.
MtpVSµ. - Je reconnais qu'il y a des abus du genre de ceux que vient de signaler l'honorable M. Coomans. J'en ai trouvé quand je suis entré à l'administration des chemins de fer, et malgré tous mes efforts je ne suis pas parvenu à les extirper complètement.
Pour montrer à la Chambre la sévérité que je mets à l'exécution sévère des instructions sur la matière, je lui dirai que je viens de révoquer quatre gardes convaincus du fait d'avoir accepté des pourboires.
Je m'occupe en ce moment de réviser l'arrêté qui règle la circulation gratuite sur les chemins de fer de l'Etat ; j'ai donné des ordres formels pour me présenter un travail coupant le mal par la racine.
M. Pirmezµ. - Je viens appuyer les observations présentées par M. Coomans au sujet des cartes de circulation gratuite sur le chemin de fer. L'abus est flagrant ; pour peu qu'on voyage, on rencontre à chaque instant des personnes qui, pour un motif ou un autre que l'on ignore, ont une carte de circulation gratuite. J'engage donc M. le ministre à supprimer ces cartes d'une manière absolue Si quelque fonctionnaire doit payer pour circuler, la petite dépense qui en résultera pour l'Etat sera largement compensée par l'augmentation des recettes.
Mais la question qui nous occupe en ce moment n'est pas celle que soulève la pétition. Celle-ci demande beaucoup plus de réflexion. Il s'agit, en effet, de savoir si dans certaines circonstances, il ne faut pas admettre des abonnements à des prix réduits pour les voyages à courtes distances. Je crois que l'affirmative est certaine, et qu'en adoptant cette mesure, on amènerait un progrès sensible.
Il y a une question qui préoccupe beaucoup d'esprits et qui les préoccupe avec raison, c'est celle de l'assainissement des grandes villes et des logements d'ouvriers en particulier.
Pour ma part, je suis convaincu qu'il n'y a qu'une seule solution réellement efficace à cette question, c'est celle de l'éparpillement des logements d'ouvriers, la faculté donnée aux ouvriers d'aller habiter la campagne à une petite distance des grandes villes où ils auraient des logements salubres et où, sous le rapport moral, ils se trouveraient dans une position infiniment meilleure qu'à la ville. Nous avons aujourd'hui beaucoup d'ouvriers qui viennent travailler à la ville et qui, à cause du prix élevé du transport sont obligés d'y passer toute la semaine. Je suis persuadé que s'il y avait des abonnements à prix réduit...
M. Bouvierµ. - Cela existe en Angleterre ; on y trouve des penny-trains.
M. Pirmezµ. - Je suis convaincu que s'il y avait des abonnements à prix réduits, les ouvriers retourneraient chez eux dans la semaine et que leur santé et leur moralité s'en ressentiraient. Il faut bien se garder de proscrire celle réduction de tarif.
Il existe à Charleroi une école industrielle ; celle école n'est pas instituée pour les habitants de la ville même, mais pour tout le bassin qui est très peuplé et très industriel.
Si l'on maintient des tarifs élevés, personne ne viendra à cette école ; si, au contraire on abaisse le tarif, on en encouragera la fréquentation et le nombre d'élèves ira en augmentant. Cela est si incontestable que les chemins de fer concédés ont admis des réductions de tarif parce qu'ils les jugeaient favorables à leurs intérêts. Si par un abaissement de tarif on peut arriver à augmenter les recettes de l'Etat, on aura obtenu un double avantage, car on aura aidé en même temps a la diffusion de 1'instruction industrielle dans un arrondissement où elle est de la plus haute utilité.
Pour repousser une pareille mesure il faudrait méconnaître les avantages qu'elle présente.
Je ne suis pas non plus d'avis que le renvoi au ministre doit être interprété comme une adhésion de la Chambre.
Les pétitions renvoyées aux ministres le sont pour faire l'objet de leur examen. A propos de la pétition qui nous occupe, M. Coomans a exprimé son opinion, j'ai exprimé la mienne, M. le ministre jugera.
M. Coomans. - J'ai demandé la parole d'abord pour remercier M. le ministre des bonnes déclarations qu'il a faites. Je les aurais désirées plus catégoriques encore, mais je suis convaincu qu'en examinant de plus près les choses M. le ministre se rapprochera beaucoup de ma conclusion, qui est la suppression de toute espèce de faveur personnelle, de toute espèce de carte de circulation gratuite.
Je reconnais avec M. Pirmez, que la meilleure solution du grave problème de l'assainissement des villes et du logement des ouvriers gît dans l'éparpillement de ces derniers et leur transport à une certaine distance des centres industriels.
Cela est désirable à tous les points de vue, mais le meilleur moyen d'y parvenir, ne serait pas, je pense, celui qu'indique l'honorable membre, c'est-à-dire l'abonnement accordé à une certaine classe de citoyens. Le meilleur moyen serait d'établir, si je puis m'exprimer ainsi, une quatrième classe de waggons, comme il en existe dans plusieurs pays et qui seraient mis, à très bas prix, à la disposition des ouvriers.
Ce dont je me préoccupe surtout, messieurs, c'est de l'injustice qui résulte de l'application de certaines faveurs et des plaintes qui en résultent. Je crains que vos billets d'abonnement ne donnent lieu à de nouveaux abus. Pourquoi, au lieu de cela, ne pas réduire de moitié ou même des deux tiers les prix de parcours sur les chemins de fer qui relient les grands centres à quelques villages distants d'une ou de deux lieues ? Pourquoi aussi ne pas permettre que l'on vende d'avance les coupons ? J'avoue, pour ma part, que je ne comprends pas pourquoi on n'use pas dès à présent déjà de ce moyen ; je ne vois pas non plus pourquoi un bulletin ne peut servir qu'à une certaine heure et pour un train déterminé. De même que la poste délivre des timbres pour affranchir les lettres quand on veut, pourquoi ne pourrait-on pas permettre la vente anticipée de billets de parcours par chemin de fer ?
J'indique ce remède à un inconvénient qui a été signalé, parce qu'un employé supérieur des travaux publics me disait un jour qu'il était impossible, ou tout au moins très difficile, de réduire considérablement les prix de transport sur le chemin de fer à proximité des villes, attendu qu'il y aurait fréquemment des désordres aux guichets pour la délivrance des billets. Si vous délivriez d'avance les coupons, cet inconvénient ne serait pas à redouter.
J'aborde donc complètement dans le sens des observations de l'honorable député de Charleroi ; mais je diffère avec lui en ce sens que je voudrais voir supprimer tous les tarifs différentiels, tous les tarifs de faveur. Alors le gouvernement ne se trouvera plus dans l'embarras où il s'est trouvé bien souvent et résultant de ce qu'il refusait aux uns les faveurs qu'il avait accordées aux autres, et cela pour des motifs souvent si futiles et parfois si arbitraires que bien des gens ne pouvaient pas les accepter.
MtpVSµ. - Je désire ajouter un seul mot à la réponse que j'ai faite tout à l'heure à l'honorable M. Coomans.
Il y a deux catégories de personnes voyageant gratuitement d'une manière fort légale sur nos chemins de fer ; ce sont les fonctionnaires mêmes de l'administration voyageant pour affaires de service ; et en second lieu, les administrateurs des compagnies avec lesquels le gouvernement est autorisé, en vertu d'une loi régulièrement votée, à faire des échanges de permis de circulation.
M. Coomans. - Il y en a trop.
MtpVSµ. - Il y en a trop certainement, je suis de voire avis, je vous l'ai déjà dit.
Je puis constater qu'il y en a beaucoup moins aujourd'hui que lorsque j'ai pris la direction du département des travaux publics ; mais je suis néanmoins d'avis, je le répète, qu'il y en a encore trop et j'en réduirai le nombre dans une proportion très notable à partir du 1er janvier prochain.
Maintenant, messieurs, s'il y a des fonctionnaires qui abusent de leur position en voyageant gratuitement pour affaires autres que des affaires de service et qui se font accompagner de leur femme et de leurs enfants, voire même de leurs amis, voyageant, comme eux, gratuitement, ils mériteraient, évidemment, d'être sévèrement punis et ils le seraient s'ils étaient reconnus coupables de ce fait. Aussi, je me propose de prendre, à cet égard, des mesures préventives, qui, je l'espère, seront décisives.
En ce qui concerne, messieurs, les transports à prix réduit, par exemple au moyen d'abonnements, des jeunes gens qui fréquentent certaines écoles ou des ouvriers qui seraient logés à proximité des grands centres, voici la déclaration que j'ai à faire. Depuis ces réductions des tarifs des voyageurs, dont les résultats justifieront, je l'espère, l'expérience que nous avons tentée, je cherche naturellement à restreindre le plus possible toutes les faveurs pour le transport des hommes ; en (page 215)) dehors des réductions générales des tarifs, il est désirable qu'il y ait le moins possible de réductions spéciales.
A ce titre, messieurs, loin d'étendre le cercle des faveurs qui existent encore, par exemple, au profit des militaires, des sociétaires, etc., il est indubitablement préférable de procéder par voie de restriction. Mais j'admets que si des faveurs peuvent être maintenues, on ne peut mieux les placer qu'au profit des jeunes gens qui, pour s'instruire, doivent se rendre dans une localité voisine. J'examinerai donc s'il est possible d'introduire cette nouvelle catégorie de voyageurs privilégiés.
Quant aux ouvriers, je me suis déjà expliqué sur ces points. S'il existe à proximité de quelque grand centre, comme Bruxelles, Gand, Anvers, Liège, etc., des industries employant un grand nombre d'ouvriers, s'il existe une localité suburbaine à une ou deux lieues où des ouvriers se logent en nombre plus ou moins considérable, je suis tout disposé à accorder, dès demain, un service spécial pour transporter le matin ces ouvriers dans les usines où ils travaillent et les ramener le soir chez eux. Mais, messieurs, je demande où sont ces groupes d'ouvriers assez importants pour justifier une telle mesure ; qu'on me le dise et immédiatement j'organiserai des trains spéciaux pour ces travailleurs.
Je le répète, messieurs, je ne demande pas mieux que de donner suite à ce vœu et déjà, sur l'interpellation de l'honorable M. Bouvier, lors de la discussion de mon dernier budget, j'ai fait la même déclaration. Je ne puis, en cette circonstance, que m'y référer de la manière la plus formelle.
- Les conclusions de la commission sont mises aux voix et adoptées. En conséquence la pétition sera renvoyée à M. le ministre des travaux publics.
- Plusieurs membres. - A demain !
M. le président. - Je dois prévenir du Chambre que peut-être nous devrons intervertir demain notre ordre du jour. M. le ministre des finances était indisposé aujourd'hui ; s'il l'était encore demain, nous devrions tenir en suspens la discussion de son budget et aborder celle du budget des affaires étrangères.
- La séance est levée à 4 1/2 heures.